Poly 136 - Octobre/Novembre 2010

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N° 136 – Octobre / Novembre 2010 – www.poly.fr

RENCONTRER L’EUROPE – BUCAREST // JAZZDOR // VIENNE 1900 À BÂLE // CATERPILLAR & DAVID SALA À COLMAR SEMIANYKI & BETTINA STEINBRÜGGE À MULHOUSE // ROSA LA ROUGE À STRASBOURG // BRASSEURS D’ALSACE



À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Au vert

Anne-Sophie Tschiegg, auteure entre autres des visuels de saison du TJP, montre ses peintures à L’Escalier, du 23 au 31 octobre. Un espace culturel (et un beau jardin) à Brumath, écrin pour ses images végétales. Elle expose aussi (à partir du 20 novembre) à la galerie Hagen d’Offenbourg. www.a-lescalier.com – www.galeriehagen.de

En bref C’est curieux…

Transfrontalières Jusqu’au 30 décembre, l’Espace d’art contemporain FernetBranca de Saint-Louis organise, en simultané avec Bâle et Rheinfelden, une exposition sur les Architectures transfrontalières. L’occasion d’y découvrir les maquettes des bâtiments emblématiques de la région signés, notamment, Frank O. Gehry, mais aussi le développement urbain de chaque côté des trois frontières de l’Eurodistrict de Bâle. Les sculptures de Giuliano Pedretti et les broderies de WeRo (voir visuel) achèveront d’inscrire l’exposition ludovicienne dans la manifestation transrégionale Utopies & Innovations. Les deux artistes (un Suisse et une Alsacienne) livrent leur vision utopique de l’architecture de la cité. www.museefernetbranca.fr – www.utopinov.net

© Pascal Bastien

L’orchestre, côté coulisses Du 19 au 28 novembre, l’AFO (Association française des Orchestres) propose la troisième édition d’Orchestres en Fête ! À Strasbourg (avec l’OPS), Mulhouse (avec l’OSM) et dans toute la France sont organisées de multiples manifestations – rencontres, concerts spéciaux, répétitions ouvertes au public… – afin de mieux connaître l’envers du décor de la musique classique et ainsi lever le voile sur un genre qui apparaît encore (trop) souvent comme réservé à une élite sociale ou intellectuelle. Pour ce faire, quel meilleur parrain aurait-on pu trouver que l’humoriste Smaïn ? www.orchestresenfete.com

Le génie des alpages Pas de naufrage possible avec cette Erika-là. Punkette suisse qui a fait ses débuts dans un cirque anarchiste africain (!), la chanteuse lyrique déroute avec un style qui emprunte autant au jazz qu’au folklore alpin. Erika Stucky se produira en quartet, au sein du Roots of Communication, à Pôle Sud, mercredi 20 octobre. Voix, percussions, trombones, coquillages et cors des Alpes… Une première à Strasbourg ! www.pole-sud.fr

En attendant l’édition de mars de l’événement, un mini Étrange Festival aura lieu à Strasbourg du 29 au 31 octobre aux cinémas Star et Saint-Ex. Avant-premières (Outrage de Takeshi Kitano…), séances jeune public (Dark Crystal…) et soirées… étranges. www.madcineclub.com

Daydream

2010. Brooklyn, New York, USA. Les Beach Fossils font revivre les grandes heures de la pop indé de la fin des 80’s et du début des 90’s (The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine). Leurs titres (comme Daydream) sont beaux comme des rêves éveillés. À découvrir à Strasbourg, au Hall des Chars, vendredi 29 octobre. www.komakino.org

Corée contemporaine

Le prochain concert de l’Ensemble Linea se déroulera mardi 19 octobre au Portique (à l’Université de Strasbourg). Ils nous proposent une rencontre avec le répertoire coréen contemporain, après une conférence de leur directeur musical Jean-Philippe Wurtz. www.ensemble-linea.com

De Glinka à Rachmaninov

Retenez bien ces trois dates : à Colmar, au Théâtre municipal, jeudi 4 novembre, à Strasbourg, à l’Opéra deux jours plus tard, puis à Illkirch-Graffenstaden, dimanche 14 novembre. Elles sont celles d’un voyage musical sur le thème de l’amour dans l’opéra russe en compagnie des artistes de l’Opéra Studio. www.operanationaldurhin.eu

D’amour et d’eau fraîche

L’amour, l’eau fraîche et le reste. Le nouveau spectacle musical et coquin de la compagnie La main dans la culotte, concocté par Jean-Patrice accompagné de deux musiciennes, aura lieu du 21 octobre au 14 novembre à la galerie No Smoking (19 rue Thiergarten, Strasbourg). www.lecanonapatates.org Poly 136 - Octobre / Novembre 10 _ 3


e e l a t i enn Cap é p ro

Orchestre

eu

PHILHARMONIQUE dE STRASBOURG ORcHESTRE NATIONAL

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // © SHUTTERSTOCK // IMP INT C.U. STRASBOURG // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

2010

OCTOBRE

jeudi 28 vendredi 29

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• Heinrich ScHiff Direction et violoncelle

Fauré

Élégie pour violoncelle et orchestre, en ut mineur op.24

Saint-SaënS

Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 en la mineur op. 33

LutoSLawSki

Musique funèbre pour cordes À la mémoire de Béla Bartók

Haydn

Symphonie n° 98 en si bémol majeur

2010

NOVEMBRE

mercredi 10 •

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

Suite du ballet Kratt

weber

Concerto n°1 pour clarinette et orchestre en fa mineur J.114 p.73

Neeme Järvi Direction

• Martin fröSt

GLazounov

Symphonie n° 5 en si bémol majeur op. 55

Clarinette

jeudi 25

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• Otto tausk Direction • Lilli Paasikivi Alto • chœur de l’OPS catherine Bolzinger chef de chœur

SAISON 2010>2011

tubin

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

Haydn

Ouverture à « L’Anima del filosofo »

braHmS

Alto Rhapsody op.53 / Schicksalslied op.54

dvor˘ ák

Symphonie n° 5 en fa majeur op.76

experts-comptables


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Un Prophète

En taule, Malik prend de la bouteille dans la fiction d’Audiard, Un Prophète. En BO, une ballade de Turner Cody, folk singer au look de pionnier américain, à découvrir le 12 nov au Troc’afé (Strasbourg) et le 13 au Lézard (Colmar). Se la jouera-t-il comme Cash à Folsom ? www.panimix.net – www.hiero.fr

e

En bref BROKEN GIRL

Strates et traces

Ex-bassiste du groupe Eric’s Trip au début des 90’s, chanteuse en solo depuis 96, Julie Doiron produit et tourne beaucoup. La folk rockeuse canadienne se réinvente à chaque fois. Vendredi 12 novembre au Colisée colmarien et samedi 13 à La Passerelle strasbourgeoise, elle sera accompagnée de Daniel Romano et de Frederick Squire avec lesquels elle a composé son dernier album lo-fi. www.hiero.fr www.rosemacadam.com

Le Strasbourgeois Mathieu Wernert (http://mathieu wernert.blogspot.com) a signé le visuel de saison de l’Illiade. Il expose ses peintures au centre culturel d’Illkirch-Graffenstaden du 24 novembre au 12 décembre. Ses toiles abstraites grand format, qui peuvent évoquer à la fois Rothko et Villeglé, sont comme autant de murs urbains délavés et usés, avec leurs couches successives, grattées, abîmées. www.illiade.com

AFRODISIAQUE

© Uli Weber / Decca

Baroque star

Ils sont américains, comme les Vampire Weekend, et comme eux, font se frotter mélodies pop et rythmes d’Afrique. Les gars de Fool’s Gold seront en concert à Mulhouse, au Noumatrouff le 12 novembre, dans le cadre du Festival Musiques Volantes. www.noumatrouff.com

Samedi 30 octobre, le Palais de la musique et des congrès de Strasbourg accueille la grande, la sublime, la merveilleuse Cecilia Bartoli (qui sera également au Festspielhaus de Baden-Baden jeudi 11 novembre pour un programme 100 % Haendel avec l’Orchestre de Chambre de Bâle). Pour son récital Sacrificium, la mezzo (accompagnée par les musiciens de La Scintilla placés sous la baguette d’Ada Pesch) nous entraîne dans le Naples du XVIIIe siècle, une époque où les stars se nomment Caffarelli ou Farinelli. La diva remet ce répertoire à l’honneur et leur rend hommage avec des airs nécessitant, pour la plupart, une souplesse vocale d’acrobate…

SIMULTANÉ

Samedi 13 novembre, les Universités de Santiago du Chili et de Strasbourg se retrouvent en simultané, via internet, dans un espace de réflexion artistique autour de l’idée de miroir virtuel. Une expérience à vivre au Collège doctoral européen, à 20h30, où est présenté Danse au seuil du monde. http://savoirsencommun.unistra.fr

www.lesgrandesvoix.fr – www.festspielhaus.de

AMOUR ETC.

Destination Chine

www.sitvcolmar.com

GLA GLA GLA © Geoffroy Krempp

Pour sa 26e édition, le Salon International du Tourisme et des Voyages de Colmar (au Parc des expositions du 11 au 14 novembre) intègre pour la deuxième fois Solidarissimo (Salon du Tourisme & de l’Économie solidaire, dans le Hall 5) qui regroupe une cinquantaine d’exposants, organismes impliqués dans la coopération internationale et dans le commerce équitable notamment. Le SITV, pour sa part, a choisi la Chine comme invitée d’honneur, et plus précisément Xi’an, avec une très belle exposition consacrée aux trésors de la Chine impériale. Découvrez les célèbres soldats de terre cuite de l’empereur Qin, considéré comme le père de la Grande Muraille… et profitez-en pour préparer de la plus efficace des manières vos prochaines vacances dans l’Empire du Milieu !

La compagnie Arcal nous invite à découvrir un opéra de Monteverdi, Le couronnement de Poppée (vendredi 22 octobre à La Coupole). En prologue, la Fortune et la Vertu se crêpent le chignon : laquelle gouverne le destin des hommes ? C’était compter sans l’Amour, qui s’en mêle… et les coiffe au poteau. www.lacoupole.fr

Pour sa 21e édition, le Salon du Livre de Colmar prend pour thème Les écrivains venus du froid. Il se déroule les 27 et 28 octobre au Parc des Expositions. Plus de renseignements en page 48. www.salon-du-livre-colmar.com

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Adam Adach Saâdane Afif Pierre Ardouvin Kader Attia Gilles Barbier Valérie Belin Carole Benzaken Pierre Bismuth Olivier Blanckart Michel Blazy Rebecca Bournigault Céleste BoursierMougenot Stéphane Calais Claude Closky Philippe Cognée Stéphane Couturier Damien Deroubaix Leandro Erlich Richard Fauguet Bernard Frize Cyprien Gaillard Dominique Gonzalez-Foerster Laurent Grasso Camille Henrot Thomas Hirschhorn Valérie Jouve Claude Lévêque Didier Marcel Philippe Mayaux Mathieu Mercier Nicolas Moulin Bruno Peinado Philippe Perrot Pascal Pinaud Éric Poitevin Philippe Ramette Anri Sala Anne-Marie Schneider Tatiana Trouvé Felice Varini Xavier Veilhan Wang Du

de leur temps LE PRIX MARCEL DUCHAMP 10 ans de création en France

6 novembre 2010 - 13 février 2011 Musée d’Art moderne et contemporain, Strasbourg www.musees.strasbourg.eu

Frac, Sélestat

frac.culture-alsace.org

ADIAF

Graphisme : Rebeka Aginako

www.adiaf.com


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Made in UK

À l’occasion de la sortie de leur CD Quintettes consacré à Ralph Vaughan Williams et Franz Schubert, l’Ensemble de Chambre de Strasbourg organise deux concerts dédiés au premier nommé. Cela se passe, dimanche 31 octobre, salle Mozart à Strasbourg (11h et 17h). http://ecstrasbourg.free.fr

Verre à bois

MOUVEMENT

À la fin de la saison, Didier Deschamps, l’actuel directeur général du Centre Chorégraphique national – Ballet de Lorraine, remplacera Dominique Hervieu au Théâtre national de Chaillot. www.ballet-de-lorraine.com

Quand le Centre International d’Art Verrier de Meisenthal (57) rencontre le designer de l’année (dixit Le Salon du meuble de Paris, en 2009), nous obtenons Douglas. Douglas, comme le résineux des Vosges du Nord. En le mettant en contact, comme un moule, lors de la fusion du verre, il laisse ses traces, veines et nœuds. Un motif végétal unique pour chaque vase (20 cm de hauteur pour 13 cm de longueur), une belle rencontre des matières (verre & bois) inventée par François Azambourg. Vase à partir de 120 € (selon le modèle) à la boutique du CIAV ou en commande sur son site Internet. Disponible en noir, incolore ou argenté.

BRILLANT

www.ciav-meisenthal.com

Cinétique de l’objet Du 15 octobre au 6 novembre, La Chaufferie, espace d’exposition des Arts déco de Strasbourg, accueille le sculpteur allemand Gereon Lepper. Il présente une seule pièce, Pfadfinder (Scout), sculpture cinétique composée de sept colonnes métalliques (de hauteurs variées) placées circulairement, et d’un motoréducteur permettant aux trois “pattes” du Pfadfinder de tourner, allant, dans un lent mouvement acrobatique et improbable, d’une colonne à l’autre. S’en dégage une poésie de l’objet quasi hypnotique… www.esad-stg.org – www.gereon-lepper.de

Graphisme : Rebeka Aginako

Auteurs et vivants La compagnie indépendante alsacienne Plume d’Éléphant organise, jusqu’au 22 octobre, la 3e édition de Faites du théâtre ! Un temps de rencontre avec comédiens et auteurs contemporains bien vivants. Deux ateliers autour de Pacamambo et Protagoras enfermé aux toilettes de Wajdi Mouawad se tiendront au CréA de Kingersheim (16 octobre) et des Stammtisch se dérouleront (du 18 au 21 octobre) au Hall des Chars de Strasbourg, avec Ariane Mnouchkine en ouverture. Le 24 novembre, direction la Comédie De l’Est pour dialoguer avec Guy-Pierre Couleau autour d’Hiver, sa dernière création (du 16 nov au 1er déc).

En bref

Le Mulhousien Zouhair Chebbale a reçu l’Étoile de la Scam (Société civile des auteurs multimédia) pour son documentaire Un Piranha sous la capuche. Une belle récompense pour ce réalisateur qui nous emmenait dans les pas de Maïza, rappeur de 28 ans tentant de percer dans le milieu, et dans ceux de son label Rimes Féroces. www.bixfilms.fr

FLIPPANT

Depuis le 6 octobre, Captifs, premier long métrage de Yann Gozlan avec la belle Zoé Félix, est dans les salles. Entièrement tourné en Alsace à l’été 2009, ce thriller éprouvant prend place dans les Balkans, où une équipe humanitaire est attaquée, puis enfermée. www.sombrero.fr

CHOQUANT

La galerie mulhousienne Le Truc, notamment tenue par Niok, organise l’expo Canal X jusqu’au 2 novembre. Des œuvres provocatrices signées du street-artist strasbourgeois Milkvonstrass interrogent l’iconographie porno et son rapport aux médias. www.letruc.fr

BOULEVERSANT

Répétitions d’Hiver

Comme son nom l’indique, Caribou, alias Daniel Victor Snaith, est un musicien canadien. En studio (sous Caribou ou sous Manitoba), il compose des merveilles électroniques et mathématiques (qu’il a étudiées). En live, il dépote avec ses compos géométriques, comme nous le verrons mercredi 17 novembre à La Laiterie (Strasbourg). En première partie : Mount Kimbie, un duo à suivre. www.laiterie.artefact.org

www.plumedelephant.fr

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 sommaire & couverture

49 ­_ Marjorie Burger-Chassignet

Une jeune danseuse au Hall des Chars

50 ­_ Caterpillar

Pièce africaine à la Comédie de l’Est

12 ­_ Édito 14 ­_ Livres BD CD DVD 16 ­_ Cinq questions à…

52 ­_ Richard Bellia

18 ­_ Dossier

56 ­_ Artiste Associé

22 ­_ Architecture

58 ­_ Rosa La Rouge

24 ­_ Design

60 ­_ Carte blanche

26 ­_ Empty Spaces & Simon Boccanegra

62 ­_ Une ville vue par une critique d’art

Bières et brasseries d’Alsace L’Espace Django Reinhardt au Neuhof Studio Ruo

À l’Opéra

28 ­_ Au Gobelet d’Or

Découverte d’un lieu

30 ­_ Semianyki

Clowns russes à La Filature

31 ­_ Festival Young Europe

Au TJP

32 ­_ Les 50 ans de l’AJAM

Pauline Haas, harpiste

34 ­_ Chucho Valdès

À Jazzdor

36 ­_ Alexander Toradze

Le pianiste vient à l’OPS

37 ­_ Soudain l’été dernier

Tennessee Williams au Taps Scala

38 ­_ Portrait

Bettina Steinbrügge à la Kunsthalle

54 ­_ Hiroaki Umeda

Chorégraphe-performeur à Pôle Sud Arne Sierens à La Filature Rencontre avec Claire Diterzi au Maillon Éric Genetet Irina Cios

64 ­_ Littérature

Ismail Kadaré

65 ­_ L’illustrateur

Lou Rihn

66 ­_ Musées insolites

Musée Théodore Deck

68 ­_ Ailleurs

Notre sélection d’événements chez nos voisins

76 ­_ Culture scientifique

L’eau

77 ­_ Promenades

Le Guirbaden

80 ­_ Gastronomie

Blindekuh / Cuvée Frédéric Émile

82 ­_ Last but not least

Christophe Arleston (scénariste) et Jean-Louis Mourier (dessinateur) de Trolls de Troy

40 ­_ Arno/Katerine

À Schilick et à La Laiterie

42 ­_ Prix Marcel Duchamp

Au MAMCS et au Frac Alsace

44 ­_ L’Idée du Nord

Entretien avec Benoit Giros au TNS

46 ­_ L’Artothèque

Ouvre dans la Médiathèque Neudorf

48 ­_ David Sala

Au Salon du Livre de Colmar

COUVERTURE Madonna (2002), photographie de Luminita Liboutet, artiste roumaine audacieuse et prometteuse présentée à Strasbourg – à Apollonia et à St-Art – (voir page 62). Elle montre la face sensuelle de son travail, souvent qualifié de “déroutant”. Religieuse rejouant l’épisode de La Dernière tentation du Christ ? Sainte en pleine crise mystique ? Vierge s’apprêtant à se “dévoiler” ? Image pieuse ou photo de charme ?

conception :

Éric Wolff

Expose ses photos pendant Supersounds

RC Colmar : 388 014792B 289


11 - 14 novembre 2010

Colmar 10h - 19h parc des expositions

Salon International du Tourisme & des Voyages # 26

Exposition é vénement

RC Colmar : 388 014792B 289

conception :

Xi’An - Trés la Chine Impors de ériale

Plus de 500 exposants # 2 Solidarissimo : salon du Tourisme & de l’économie solidaire Espace Génération Liberté, village des 50 ans et plus www.sitvcolmar.com - INFO : 03 90 50 50 50 en partenariat avec :

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES ET EUROPÉENNES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DES MINISTÈRE


 contributeurs & qui a vu l’ours ? Pascal Bastien (né en 1970)

Ours :

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Libération, Télérama, Le Monde… et Poly : Pascal Bastien est un fidèle de notre magazine. Il alterne commandes pour la presse et travaux personnels menant notamment une réflexion photographique sur les zones frontalières en Alsace. m www.pascalbastien.com Photo : Pascal Bastien

Benoît Linder (né en 1969) Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes.

Peinture murale, Colonia Montana di Rovegno Photo : Hervé Lévy

m www.frenchco.eu/benoitlinder Photo : Benoît Linder

www.poly.fr Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. On lui doit aussi un passionnant ouvrage, Portraits, Acteurs du cinéma français (textes de Romain Sublon). m www.stephanelouis.com Photo : Elias Zitronenbaum

Loïc Sander (né en 1987) Graphiste passionné de typographie, il aime créer des caractères et pratique chez Arthénon avec deux livres d’art à son actif, dont Portraits, Acteurs du cinéma français, en 2007. Photographe à ses heures, on peut découvrir sa production protéiforme sur son site… m www.akalollip.com Photo : Günther Dragocewicz

Annika Spenlé (née en 1987) Graphiste (chez Arthénon depuis un an environ), elle est passionnée d’illustration… et adore « dessiner, dans les cafés, les gens à l’air déprimé qui ont une gueule ». Elle travaille le trait et le contraste sur divers supports (crayon, peinture…). Son truc ? Se servir de ses mains pour créer, créer, créer…

RÉDACTION / GRAPHISME > redaction@poly.fr - 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Secrétaire de rédaction : Valérie Kempf / valerie.kempf@poly.fr Secrétaire de rédaction adj. : Nathalie Martin / nathalie.martin@poly.fr Rédacteurs : Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro : Thomas Calinon, Geneviève Charras, Éric Genetet, Catherine Jordy, Geoffroy Krempp, Paul Mauricey, Paul Munch, Pierre Reichert, Laure Roman, Irina Schrag, Serge Simon, Daniel Vogel, Marion Wagner, Quentin Zimmermann, Raphaël Zimmermann Graphiste : Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr avec le concours de Stévy Bourgeais © Poly 2010. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.

ADMINISTRATION et publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements : Gwenaëlle Lecointe / 03 90 22 93 38 / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Publicité : Julien Schick / 03 90 22 93 36 / julien.schick@bkn.fr Vincent Nebois / 06 09 66 19 13 / vincent.nebois@bkn.fr Catherine Prompicai / 03 90 22 93 36 / catherine.prompicai@bkn.fr Magazine bimestriel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100.000 e 16 rue Edouard Teutsch - 67000 STRASBOURG Dépôt légal : octobre 2010 - SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE

COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio - www.bkn.fr

Fanny Walz (née en 1983) Décomposition & recomposition : voilà peut-être les deux pôles autour desquels cette graphiste (print & multimédia) évolue. Passionnée des images qui bougent, font bouger et rêver, elle avoue un réel penchant pour dada et les constructivistes russes. m www.fannywalz.com

10 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10


Empty Spaces Observation Action Emanuel Gat Empty House Johan Inger Mulhouse, La Filature 30, 31 (15 h) octobre 20 h Colmar, Théâtre municipal 9 novembre 20 h Strasbourg, Opéra 17, 18, 19, 20, 21 (15 h) novembre 20 h

www.operanationaldurhin.eu


© Maxime Stange

 édito

Pour la musique classique

O

n se souvient des mots d’une petite fille. Huit ou neuf ans, grand maximum. Elle définissait le répertoire classique comme « de la musique écrite par des morts, pour des vieux ». Pas mal vu, en effet… Il suffit de fréquenter, même de temps en temps, les salles de concert pour le constater. Un moutonnement de cheveux blancs et des alignements de crânes chauves : voilà pour les spectateurs vus d’en haut. Quant aux partitions jouées, avouons qu’elles ne font pas la part belle aux compositeurs vivants… Si rien n’est fait, demain ou après-demain (voire un peu plus tard, si on a de la chance), la musique symphonique ne sera plus qu’une langue morte. Pensons à l’analyse de Jacques Drillon dans un article du Nouvel Observateur paru en 2008 et intitulé La musique classique se meurt. Pessimiste en diable, il citait le grand chef d’orchestre Daniel Barenboim : « Tout ce marketing qu’on fait autour de la musique repose sur une idée : vous n’avez pas besoin de la connaître, vous n’avez qu’à venir et prendre votre pied. Comme si l’auditeur n’avait rien à faire, ni à être concentré, ni à être préparé. Comme s’il lui suffisait de s’asseoir et de laisser agir la magie de la musique. C’est faux, c’est faux ! » Un discours qui érige l’exigence au rang de vertu cardinale… mais qui comporte le risque de laisser un public nombreux sur le bord de la route. Mais alors, pour paraphraser Lénine, que faire ? Y a-t-il encore quelque chose à faire ? Osons – timidement – affirmer que

oui. Ne soyons pas aussi radical que Maestro Barenboim… La “solution” passe par des manifestations comme Orchestres en Fête ! et, surtout, par des initiatives concrètes, des rencontres, des incursions dans “les quartiers”, un travail au quotidien des instituteurs (qui, plutôt que de faire chanter Sexion d’Assaut à leurs élèves à la fin de l’année, pourraient tenter un Schubert), une volonté des orchestres pour, parfois, casser le rituel du concert (l’Orchestre philharmonique de Strasbourg l’avait très bien réussi avec Evelyn Glennie, il y a quelques saisons), la mise en place de soirées populaires – au meilleur sens du terme – comme la Symphonie des deux Rives… Pas évident néanmoins de sortir des clichés, mais gagner de nouveaux auditeurs est une nécessité vitale, puisque la fin de la musique classique correspondrait aussi à la disparition d’une certaine idée de la culture occidentale. Brahms, Ravel, Chostakovitch, Bach ou Haydn appartiennent, qu’on le veuille ou non, à notre patrimoine culturel commun. Et c’est peut-être le pianiste Jean-Yves Thibaudet qui donne une piste en affirmant : « Aux USA, il est extraordinaire de constater qu’il n’y a pas autant de barrières entre les styles qu’en Europe. (…) Ce mélange des genres entre pop, classique, rock ou encore jazz est sans doute la meilleure manière de renouveler le public de Beethoven et Mozart. Aux ÉtatsUnis, je joue devant des spectateurs qui

m’ont découvert à travers des musiques de films ou le travail mené autour du jazz. Ils constatent alors qu’on peut éprouver un plaisir aussi intense avec Satie ou Liszt ». Hervé Lévy

Nous souhaitons dédier ce numéro de Poly au compositeur strasbourgeois Christophe Bertrand, disparu le 17 septembre dernier. Il avait choisi de « plonger le public et les interprètes dans un bain d’énergie pure et ne jamais les ennuyer ». Ses pièces poussaient « l’instrumentiste vers ses limites ». Virtuosité. Vitalité. Étranges tourbillons qui, dans les derniers temps, se faisaient de plus en plus introspectifs et douloureux, reflets d’une âme tourmentée qui a trouvé le repos. Né en 1981, le musicien était un des plus grands de sa génération. Sa présence et sa musique nous manquent. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg créera Okthor (qu’il lui avait commandé) en février 2011. Chaque concert de la phalange, au cours d’Orchestres en Fête ! (du 19 au 28 novembre), s’ouvrira en outre par une courte pièce imaginée pour l’occasion. Écouter, c’est aussi se souvenir…

12 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10

Pres


NOVEMBRE DANSE / FRANCE

THéÂTRE, VIDéO / FRANCE

SOIRÉE WILLIAM FORSYTHE

22H13

CCN – BALLET DE LORRAINE

PIERRICK SORIN

JEU 4 + VEN 5 + SAM 6 NOVEMBRE / 20H30 MAILLON-WAckEN

MER 17 + JEU 18 + VEN 19 NOVEMBRE / 20H30 MAILLON-WAckEN

MUSIQUE / NORVÈGE, SUISSE PRéSENTé PAR LE MAILLON ET LE FESTIVAL JAzzDOR

MUSIQUE / FRANCE

DANS LES BRUMES ÉLEcTRIQUES SIDSEL ENDRESEN / HAKON KORNSTAD + JAN GALEGA BRÖNNIMAN’S BRINK MAN SHIP AVEC NILS PETTER MOLVAER AND NYA

ROSA LA ROUGE CLAIRE DITERzI / MARCIAL DI FONzO BO VEN 26 + SAM 27 NOVEMBRE / 20H30 MAILLON-WAckEN

MER 10 NOVEMBRE / 20H30 MAILLON-WAckEN

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Presse Maillon Novembre Poly 200x270.indd 1

22/09/10 16:59


Livres BD CD DVD

Orchestre symphonique de Mulhouse L’OSM et son directeur musical Daniel Klajner consacrent un passionnant disque – le premier gravé par une formation symphonique – à Norbert Glanzberg (1910-2001), créateur polonais encore mal connu. Enregistré à La Filature, cet opus regroupe deux pièces d’un compositeur qui imagina des musiques de films et des chansons pour des artistes comme Édith Piaf, Yves Montand ou Tino Rossi. Avec la Suite Yiddish (1984), nous voilà transportés dans un shtetl d’Europe centrale d’avant la Deuxième Guerre mondiale. Les textes des Holocaust Lieder (1983) – remarquablement interprétés par le baryton Roman Trekel – proviennent d’une anthologie regroupant différents écrits de prisonniers internés dans le système concentrationnaire nazi. (H.L.) m Paru chez MDG (18 e) www.mdg.de – www.mulhouse.fr

Les Mordicantes

m Paru chez Al Dante (23 e) www.al-dante.org

Fascination de l’artiste pour la cuisine. Grande bouffe de Ferreri ou Cuisine cannibale de Topor. Plasticienne alsacienne installée à Marseille, Myriam Boisaubert livre 26 recettes illustrées qui – et c’est le sous-titre du livre – plairont à tout le monde. Arty. Décalé. Décadent. Les papilles excitées. D’autres sens aussi. C’est parti pour un Corbeau façon François Villon, cuit à la foudre et lavé à la pluie, une Hystérie de moules aux épines, ou Pompéi mon amour qui nécessite « un foie gras de jeune fille, d’une fraîcheur remarquable ». Poétesse et sorcière qui « teste avec sa langue, sa bouche et son sexe des herbes non comestibles », l’auteure sait nous mettre l’eau à la bouche. (P.R.)

Laisse faire les sphères Le jeune Léon Maret – nous vous présentions avant l’été les planches qui le sacrèrent second lauréat du Concours Jeunes Talents 2010 au festival d’Angoulême – publie un irrévérencieux recueil de plaisanteries dans la collection des Petits Carnets, chez Alain Beaulet. Entre vannes graveleuses volontairement douteuses (René Grozizi & Albert Uderzob, par exemple) et inversions lexicales illustrées (train-en-boute, rouler-à-tabac, Anglaise-clef…), le p’tit gars de Belleville formé aux Arts déco de Strasbourg multiplie les dessins aux traits faussement naïfs. L’élégant A6 en main, le lecteur passe un bon moment, de surprise en ironie version 256e degré, au milieu d’Alice au Pays des Marvels ou d’une King-Kong-Case… (T.F.) m Paru chez Alain Beaulet Éditeur (5 e) www.alainbeaulet.com

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Ostfront Le deuxième volet de la série Malgré Nous – inspirée de l’histoire familiale de son scénariste Thierry Gloris – permet de suivre les pérégrinations de Louis (devenu Ludwig, politique de germanisation oblige), Alsacien enrôlé de force dans la Waffen SS et de ses camarades. Certains sont des nazis convaincus, d’autres sont là par tradition militaire familiale… Les voilà tous réunis par le hasard dans les plaines russes. Au début de l’album, c’est l’été. Il fait encore chaud et leurs adversaires les plus coriaces sont les moustiques. Pas pour longtemps, puisque les troufions allemands vont bientôt connaître la boue, puis la glace. Le trait de Marie Terray restitue alors de belle manière l’ambiance blafarde et sourde de l’hiver soviétique. Dans l’horreur de la guerre, notre Alsacien tente de ramasser les morceaux épars de son identité… La grande Histoire se mêle ici indissolublement avec les histoires personnelles des différents protagonistes : que fait donc là Conrad, ennemi intime de Louis, devenu officier SS ? (H.L.) m Paru chez Quadrants (10,50 e) www.quadrants.eu


DJ Fost La pochette n’est certes pas très engageante, mais il serait vraiment dommage de passer à côté de Crack Park, premier long format autoproduit du DJ strasbourgeois. Du hip-hop profondément sombre qui laisse imaginer que Fost a passé un pacte avec le diable. Treize titres qui rappellent l’âge d’or des DJ / producteurs, les 90’s, celles des Cam, Krush ou autres Muggs. Beats lourds, samples riches, basses rondes. Grâce aux miracles du net, des MC’s français ou du bout du monde (USA, Colombie, Mexique) ont posé leur flow sur les productions fostiennes : Mister Jack, Gosh, Kozmi (rappeurs du crew alsacien Ectoplasme qui l’accompagnent sur scène), Zonah ou encore l’Américaine Righteous Da Goddess sur U Killed Life, point d’orgue d’un disque deep, mélancolique, diabolique. (E.D.)

L’Ange & La culture de l’oubli Aqua de Katsuhito Nishikawa au Musée du textile de Wesserling, La Ligne des amers d’Alain Willaume sur les rives du Rhin à Gambsheim… Outre la gestion de son espace d’exposition, le CEAAC est également un précieux conseiller quant aux commandes publiques d’œuvres d’art auprès des collectivités. Dernières actions : l’installation de L’Ange, ensemble de vitraux réalisés par François Bruetschy en l’église Saint-Michel d’Ernolsheim-lès-Saverne, et La culture de l’oubli, sculpture de “mots forgés” – « Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on écrit n’a finalement aucune importance, nous ne faisons tout simplement que lutter contre l’effacement… » – signée Pierre Gaucher à la Médiathèque intercommunale du Kochersberg. Œuvres à découvrir in situ, brochures (gratuites) retraçant l’élaboration des travaux à se procurer au CEAAC, au 7 rue de L’Abreuvoir. (E.D.) m www.ceaac.org

m Crack Park, Antipod www.myspace.com/droolingbeatbastardz

Nyctalope.3 Le troisième opus de cette jeune revue fondée par trois étudiants de l’Atelier Illustration des Arts déco est notre coup de cœur du moment. Privilégiant l’idée narrative dans des planches et illustrations audacieuses, la vingtaine de contributeurs fait état d’une réelle patte et d’une dose conséquente d’audace : BD de Matthias Malingrëy où « le colonel à la r’traite Douglas Bradigan » sauve son monde du seul moyen qu’il connaît (ses gros poings et ses préjugés), anamorphoses au trait de Vincent Broquaire, ou encore Les Deux architectes de Jérémie Fischer (maîtrise d’un graphisme original, recherché et efficace)… Parmi ces 98 pages, mention spéciale à l’éclatement formel selon Marine Rivoal, à l’humour noir de Bénédicte Muller livrant en lignes simples et sèches les peurs parentales façon L’Arrache-cœur, à la face sombre de notre monde en noir et blanc par Yann Kebbi, et aux histoires de quatre cases imaginées par Cyril Ollivier dont la concision narrative et l’écriture font mouche. (T.F.)

Inner city bootleg vol.2 Fidèle à la tradition musicale hip-hop, le beatmaker strasbourgeois Kayo remixe une dizaine de titres de pointures US : le prince de Brooklyn Jay-Z, la reine de la nu-soul Erykah Badu ou encore les mercenaires Mos Def, Common et The Roots. Une compile oscillant entre influences soul et jazzy que n’aurait pas reniée le Guru de Jazzmatazz. (T.F.) m À télécharger gratuitement au www.myspace.com/kayohome http://kayohome.bandcamp.com

m En vente à Quai des brumes et à Kléber (18 e) ou sur le http://nyctalope.magazine.free.fr

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Cinq questions à…

Éric Wolff Le Point d’eau, salle de spectacle d’Ostwald, se refait une beauté. Durant les travaux, la saison culturelle continue… sous chapiteau. Questions à Éric Wolff, directeur et responsable d’une programmation « dotée d’une vision du monde ».

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Une pin-up qui “enlève le bas” sur votre visuel de saison, c’est osé, non ? Oui, ça fait trois ans que nous déclinons une pin-up rétro des années 1950. Nous avions envie d’interpeller, de “choquer” un peu, toujours dans cette relation à l’eau, avec l’accroche “Bain de culture”. La mise à nu que vous évoquez est suggérée : la salle actuelle étant en rénovation, les premiers spectacles auront lieu à l’extérieur du Point d’eau, sous chapiteau. Ce petit côté bohème que prendra le Point d’eau grâce aux spectacles joués sous tente a l’air de vous séduire… Effectivement, le chapiteau confère quelque chose de l’ordre de l’enfance, du magique. Quand on voit les enfants aller au cirque, il y a une étincelle dans leurs yeux que nous avions envie de retrouver. Les travaux actuels permettent de répondre à plusieurs problématiques, notamment de sécurité. Nous en avons profité pour revoir les gradins et le sol, pour favoriser l’accessibilité aux handicapés, construire une scène fixe avec un vrai plateau technique de théâtre, faire la réfection des loges… La salle date du début des années 1990 : les travaux s‘imposaient, même si nous perdons un peu en capacité d’accueil, passant de 320 à 289 places, mais en gagnant en confort. Avec la Ville d’Ostwald, nous avons un projet de pôle culturel intégrant des écoles de danse, de musique ou de théâtre, et une salle de spectacle de 500 places qui devrait voir le jour d’ici quelques années. La saison s’est ouverte avec un spectacle d’Yvan Le Bolloc’h, un show musical teinté de sonorités tziganes, avec des musiciens gitans. Nous sommes en plein cœur de l’actualité : hasard de calendrier

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ou volonté de mettre le doigt où ça fait mal ? Honnêtement, c’est un spectacle qui tombe très, très bien ! Je trouve son concept assez culotté : Le Bolloc’h parle des polémiques actuelles, avec une parole engagée, sans être ni dans la stigmatisation, ni dans la victimisation. Ils ont tous une belle présence sur le plateau. Yvan Le Bolloc’h est très humble, il se met peu en avant et arrive à distiller deux, trois petites choses par rapport aux gitans, au nomadisme… Par mon parcours personnel et mes valeurs, je pense que le rôle d’un théâtre “de

« L’arrière du Point d’eau s’ouvre complètement sur la forêt, comme à Bussang. J’ai tendance à dire que nous sommes un petit Théâtre du Peuple. »

mission de service public” est de divertir, mais aussi de questionner les gens sur l’état du monde actuel. Ce sera le cas avec Marc Jolivet qui nous parlera du réchauffement climatique ou encore KoloK, une réflexion autour de l’autre…

Il sera beaucoup question d’identité, d’ouverture ou, a contrario, de replis cette saison, notamment avec Sans ailes et sans racines de Hadami et Soufian El Boubsi… Il s’agit d’un père qui a quitté son pays natal pour travailler en Europe, et d’un fils. Le père a souvent mis ses poings dans ses poches pour nourrir ses enfants. Son fils lui reproche de l’“avoir fermé” durant ces années. Il se sent ballotté entre plusieurs cultures, étant traité de sale immigré ici et de sale occidental là-bas. Une fois de plus, ce qui se passe actuellement n’aplanit pas les choses :

on attise les passions. La génération qui nous a précédés était attirée par un radicalisme politique d’extrême gauche alors qu’aujourd’hui, les jeunes se réfugient dans un islam dur. Ce spectacle pose, de manière sensible, la fameuse question de l’identité nationale. Outre votre activité de directeur, vous êtes comédien et metteur en scène de la compagnie Le Théâtrino qui présente Ubu roi, joué par les élèves de l’atelier adulte du Point d’eau en juin. Vit-on dans un monde particulièrement ubuesque actuellement ? Le père Ubu me fait penser à… pas mal de personnes en ce moment. Nous sommes dans une fuite en avant, dans une avidité de pouvoir que caricature parfaitement le personnage d’Ubu. Il utilise ce pouvoir non pas pour le bonheur de la population, mais pour son bien-être personnel. Avec cette dose d’humour que Jarry a mis en place et qui fonctionne à merveille. Ubu massacrant les fonctionnaires qui ne ramassent pas assez d’argent est un miroir de notre société où règne le profit immédiat. Depuis une dizaine d’années, Le Théâtrino est en résidence au Point d’eau. Il propose un travail de terrain, d’animation, de création dans les écoles, les quartiers d’Oswald, avec une production de spectacles mélangeant professionnels et amateurs. L’arrière du Point d’eau s’ouvre complètement sur la forêt, comme à Bussang. J’ai tendance à dire que nous sommes un petit Théâtre du Peuple. Propos recueillis par Emmanuel Dosda Photo : Pascal Bastien

m À voir en novembre à Ostwald au Point d’eau : Le Misanthrope (les 5 et 6), Chansons à moustaches - Les Sea Girls (le 13), Un mouton pour la vie (le 16), Duo Carrington-Brown (le 19) et Les Ariels (les 26 et 27) 03 88 30 17 17 – www.lepointdeau.com


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Dossier – Bières et brasseries d’Alsace

Sous pression Fermeture de brasseries et licenciements. Essor de microstructures et lancement de nouveaux produits. L’activité brassicole alsacienne est en profonde mutation. Fera-t-il aussi bon, dans l’avenir, auprès de ma blonde ? uand j’étais petit, il y avait 17 grandes brasseries en Alsace », soupire André Schneider, élu UMP de la 3e circonscription du Bas-Rhin (StrasbourgSchiltigheim) et président du groupe des députés brassicoles à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il peut faire le compte sur les doigts d’une main. La région ne compte plus que quatre brasseries de taille industrielle : “K2” de Kronenbourg à Obernai ; la brasserie de l’Espérance à Schiltigheim, siège du “pôle Alsace” de Heineken ; la brasserie de la Licorne à Saverne, détenue par l’Allemand Karlsberg ; la brasserie Meteor de Hochfelden, accrochée à son indépendance.

« En 2009, les ventes en volume ont baissé de 3,5 % dans les cafés et augmenté de 3,5 % dans les grandes et moyennes surfaces » Gérard Laloi, président de l’association Brasseurs de France

Amer bière Schiltigheim, surnommée “la Cité des brasseurs”, illustre le recul de l’activité brassicole. Il y a dix ans déjà, la centaine de salariés d’Adelshoffen déversait des hectolitres de bière dans la rue et menaçaient de faire sauter leur usine, promise à la fermeture par le groupe néerlandais Heineken. Puis est venu le tour de l’indépendante Schutzenberger, à l’agonie avec son outil de production vieillissant, liquidée en 2006, au prix de 70 licenciements. En 2009 enfin, Heineken mettait fin à l’activité de la brasserie Fischer et supprimait 114 postes. À ces fermetures


Dossier – Bières et brasseries d’Alsace

de sites s’ajoutent des restructurations, comme celle en cours chez Kronenbourg qui doit s’achever, d’ici la fin de l’année, par un peu plus de 200 départs volontaires. Cette chute des emplois est la conséquence du déclin régulier du marché (voir ci-dessous) et de la concentration de ces grands acteurs, des groupes mondiaux qui ciblent leurs investissements et éliminent les usines jugées insuffisamment productives. Aura-t-elle une fin ? Oui, veut croire André Schneider, qui « reste raisonnablement optimiste sur le maintien global de l’activité brassicole en Alsace ». D’ailleurs, il « salue le dynamisme de nos brasseurs ».

« Les gens ont envie de déguster et des amateurs se constituent des caves à bière comme on se compose des caves à vin »

bière s’appréhende de moins en moins comme une boisson désaltérante, mais davantage comme accompagnement d’un bon repas ou d’un moment particulier », reprend Gérard Laloi. « Aujourd’hui, le consommateur accepte de payer plus cher un produit de meilleure qualité. C’est un peu comme ce qui s’est passé avec le vin il y a une quinzaine d’années : le petit vin qu’on prenait au comptoir ou à table a été progressivement remplacé par des vins du terroir. »

Retour vers un futur artisanal « Cela correspond à une recherche de nouveaux goûts de la part du public. Les gens ont envie de déguster et des amateurs se constituent des caves à bière comme on se compose des caves à vin », abonde le

journaliste Jean-Claude Colin, “bièrologue”1 et co-organisateur de la deuxième édition du Mondial de la Bière de Strasbourg qui se déroulera du 22 au 24 octobre. C’est sur cette vague que surfent les micro-brasseries. On en compte une quinzaine en Alsace, dont une bonne partie sera présente. « Pour la région, cela ressemble à un retour vers le futur, parce qu’il y a 250 ans, il y avait en Alsace des centaines d’auberges qui brassaient leur propre bière », rappelle Jean-Claude Colin. « Aujourd’hui, on en trouve au safran, au poivre, à la pêche de vigne, au crémant... L’imagination a pris le pouvoir grâce à des gens qui arrivent dans le métier avec des vécus complètement différents. Ils préfèrent d’ailleurs que l’on parle de brasserie artisanale plutôt que de micro-brasserie, parce que c’est avant

La bière, un marché en évolution

Jean-Claude Colin, journaliste et “bièrologue”

Vu le contexte, l’expression peut surprendre. Mais elle a du sens. Car ils doivent s’adapter aux évolutions d’un marché marqué par deux mouvements concomitants. « Il y a d’abord un transfert très important de la consommation dans le réseau des cafés, hôtels et restaurants (CHR) vers la consommation à domicile. En 2009, les ventes en volume ont baissé de 3,5 % dans les cafés et augmenté de 3,5 % dans les grandes et moyennes surfaces (GMS) », explique Gérard Laloi, président de l’association Brasseurs de France. Heineken exploite cette tendance avec son Beertender, une tireuse à bière qui s’installe à la maison : « Même si les gens consomment à domicile, ils ont envie de retrouver le goût de la pression », commente Ludovic Auvray, directeur marketing d’Heineken Entreprise. La seconde évolution concerne les goûts des consommateurs. Les bières spéciales (des bières blondes de qualité supérieure) et de spécialité (blanches, ambrées, aromatisées, d’abbaye...) connaissent de fortes croissances, tandis que les blondes classiques sont dans le dur. « La

D

epuis 1990, la consommation de bière en France est frappée par un déclin quasi-continu. Les ventes sont passées de 23 millions d’hectolitres en 1990 à 18,6 millions en 2008. Un Français boit en moyenne 30 litres de bière par an, quatre fois moins qu’un Allemand. Un petit rebond a cependant été enregistré en 2009 (+1%) et il devrait en être de même en 2010. Le segment des bières traditionnelles, dites “de luxe”, est celui qui souffre le plus. À

l’inverse, les ventes de bières spéciales et de spécialité augmentent. Elles représentent aujourd’hui 53 % des parts de marché en volume et 67% en valeur. La production des brasseries françaises est globalement stable ces dernières années, autour de 16 millions d’hectolitres. L’Alsace fournit plus de 60 % de cette production, soit trois fois plus que dans les années 1960. La filière compte 3 500 emplois directs, dont un peu moins des deux tiers en Alsace.

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Dossier – Bières et brasseries d’Alsace

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Une nouvelle vie pour la Perle L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

qui leur permettent d’être présents sur tout une question d’état d’esprit et de les segments porteurs. « On a la chansavoir-faire. » Cette année, huit d’entre ce de surfer sur cette vague grâce à un elles2, représentant une petite cinquanportefeuille de marques plutôt orienté vers taine d’emplois, ont créé la Corporale premium », se rétion libre des artisans jouit Ludovic Auvray, brasseurs d’Alsace. Leur objectif est de « Alsaciens nous sommes, d’Heineken Entreprise (220 salariés à la braspromouvoir ensemble et fiers de l’être » serie de l’Espérance). leurs productions à Slogan de la bière Meteor Ce qui n’empêche pas l’occasion des foires et de lancer des « extendes salons, mais aussi sions de marques », comme la Desperad’œuvrer pour l’obtention d’une indicados Red, ou des bouteilles refermables tion géographique protégée (IGP) “Bière en aluminium, deux produits imaginés d’Alsace”. à Schiltigheim où « des Géo Trouvetou et des marketeux » cohabitent au sein du Les brasseurs industriels suivent eux département innovation. Chez Kronenaussi ces tendances du marché. Ils brasbourg, qui emploie environ 600 salariés sent des bières spéciales et de spécialités

E

n 1882, Charles Hoeffel fondait la brasserie Perle à Schiltigheim. À l’été 2009, Christian Artzner reprenait le flambeau en perçant le premier fût de la Perle nouvelle génération. Ce maître-brasseur de 32 ans est l’arrièrearrière-petit-fils du fondateur de la brasserie qui avait cessé son activité en 1971. Il a appris le métier en Écosse, a travaillé chez Scottish & Newcastle au Nigeria, puis aux États-Unis pour un brasseur du Missouri, avant de reposer ses valises à Strasbourg pour y concrétiser une idée qu’il avait en tête « depuis pas mal d’années ». Il dit de la Perle, « en deux mots », que c’est une « pils artisanale » à base de houblon strisselspalt : « Je ne revendique pas d’avoir retrouvé la recette originelle dans le grenier, ce serait du bluff. Mais j’essaie de faire quelque chose de légitime et fidèle par rapport au goût d’une bière alsacienne » du milieu du XXe siècle, en veillant particulièrement « aux matières premières, à l’outil et au process ». Aujourd’hui, la Perle est disponible à la pression dans une vingtaine de cafés-restaurants du Bas-Rhin et en bouteille dans une quarantaine de points de vente. « On grandit doucement, c’est un produit qui a une maturation longue et il faut faire un travail d’escargot pour augmenter doucement le niveau de chalandise », commente-t-il. Sa production moyenne s’établit à « une quarantaine d’hectolitres » par mois, brassés pour l’heure de l’autre côté du Rhin, en Forêt Noire. Mais il projette de réimplanter la production de Perle en Alsace en créant sa propre brasserie. Une ambition à maturation longue, là aussi, « car cela nécessite des investissements qui ne peuvent pas se faire du jour au lendemain ».


Dossier – Bières et brasseries d’Alsace

à Obernai, la nouveauté de l’année est la “Kronenbourg Sélection des Brasseurs”. Elle se positionne « dans le haut du coeur de marché » et décline à un rythme saisonnier « des variations de goût sur un même ADN » réservées au réseau CHR, résume le directeur de la communication des Brasseries, Jean Hansmaennel. « Le consommateur voulait élargir sa palette de goûts et ce qui a commencé avec les bières spéciales et de spécialité s’étend aujourd’hui à tous les marchés. Les bières de luxe font aussi leur mue. » De leur côté, les Brasseries Kronenbourg ont également entamé, dans la foulée de leur rachat par Carlsberg en 2008, une démarche marketing de valorisation de la marque au célèbre K « dont l’image était dégradée par rapport à la qualité des produits ». « L’authenticité » prime dans le message et les maîtres-brasseurs apparaissent désormais sur les affiches publicitaires, engageant leur « parole » pour soutenir les ventes. Meteor, avec ses 170 salariés, a élaboré la bière d’abbaye Wendelinus et mise plus que jamais surtout sa “Pils” fortement houblonnée, qu’elle entend développer en priorité dans le Grand Est, via des publicités à fibre régionaliste (« Alsaciens nous sommes, et fiers de l’être »). « Nous avons recruté un nouveau directeur marketing et avons intensifié nos campagnes, ce qui a permis de gagner des parts de marché en GMS », se félicite Philippe Généreux, directeur de la brasserie, qui annonce pour 2009 une production « record » de 535 000 hectolitres. À Saverne, la brasserie de la Licorne (160 salariés) joue elle aussi la carte régionale, avec la Licorne Elsass, une blonde lancée en 2008, brassée à partir d’orge et de houblon alsaciens. « En complément, on développe aussi un panaché Licorne, avec du sucre d’Erstein », précise le directeur de la brasserie, Daniel Cardot. Décidément, le terroir est tendance.

Schiltigheim veut faire mousser ses friches D

e la “cité de la bière” à l’“écocité” ? À Schiltigheim, où le repli de l’activité brassicole a fait apparaître trois friches industrielles en moins de dix ans, le maire PS Raphaël Nisand souhaite profiter de ces terrains pour créer « un maillage d’écoquartiers ». Le projet le plus abouti est celui de l’ancienne brasserie Adelshoffen, non loin de la mairie. Le site de deux hectares est au cœur d’une opération portant sur une surface deux fois plus vaste « qui nous permettra de créer un centre ville ex-nihilo, puisque nous n’en avons pas », dixit Raphaël Nisand. Il s’agira d’un « écoquartier solaire » comptant 200 logements, au sein duquel sera implantée la médiathèque nord de la CUS. De la brasserie Adelshoffen ne subsistera que la villa Weber, dans laquelle sera aménagée une bierstub et des cuves qui serviront à stocker l’eau chauffée par les panneaux solaires de l’écoquartier. Le pilotage global du projet a été confié au cabinet d’architectes Denu & Paradon, « mais des lots seront confiés à d’autres », souligne le Maire. Début des travaux en 2011 « si tout va bien », livrai-

son prévue en 2013 pour les logements et pas avant 2014 pour la médiathèque. Une étude vient par ailleurs d’être lancée par la CUS sur l’aménagement urbain de la partie sud de Schiltigheim. La zone concernée comprend les défuntes brasseries Fischer et Schutzenberger, pour laquelle la ville avait fait une proposition d’achat qui n’a pas débouché. « Nous n’avons pas vocation à tout acheter », complète toutefois Nisand. « Par exemple, Heineken souhaite travailler avec ses propres promoteurs pour valoriser son patrimoine, en lien avec la ville. Mais pour la brasserie Schutzenberger, un projet public trouverait son utilité du fait de la proximité avec le Wacken (qui doit se muer en quartier d’affaires, NDLR) et le CMCO. » Des modifications imminentes des règles d’urbanisme risquent de retarder l’émergence d’écoquartiers sur cette zone. « Mais cela ne nous empêche pas de commencer la concertation ou la dépollution, d’avancer en temps masqué pour faire progresser la maturation des projets », affirme le Maire.

1 Dernier ouvrage paru : La bière racontée par l’image, Les Petites Vagues éditions, 2009 www.petites-vagues-editions.com 2 Uberach, Lobsann, Storig, Au Brasseur, Saint-Alphonse, Lauth, l’Atelier du brasseur et du vigneron, la Saaloise

Dossier réalisé par Thomas Calinon Illustrations : Fanny Walz (p.18) et Annika Spenlé (p.20)

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Architecture

Intérieur-extérieur au Neuhof Le nouvel Espace culturel Django Reinhardt a été inauguré en septembre, à Strasbourg Neuhof. 1200 m2 de bâti basse consommation accueillent trois espaces : médiathèque, école de musique et salle de spectacle1.

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erminus de la ligne C du Tram. Arrêt Rodolphe Reuss. Débuté il y a cinq ans, le chantier de l’espace Django Reinhardt a laissé la place à un bâtiment multifonctionnel. « Chaque volume a son expression, le tout emballé dans une seule peau », une façade où se dessinent, par effet d’optique, des portraits d’artistes et d’auteurs dans une clôture perforée. Alain Oesch, architecte de l’agence TOA2, qui a conçu le lieu, est clair : « Quand l’appel d’offre a été passé, le mot d’ordre portait sur la protection des bâtiments de leur périphérie. Ici, pas une vitre ne donne directement sur l’extérieur. Le thème de la clôture était obligatoire, à nous d’en faire un objet architectural. » D’où cette palissade en mélèze qui ceint l’ensem-

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ble et son jardin instituant un « double langage ». De l’intérieur on voit plutôt la vie qui file hors les murs : les abords du centre commercial en face, les habitants qui patientent à l’arrêt de Tram, la circulation. De l’extérieur, plus on s’approche de la clôture, moins on distingue les lecteurs de la médiathèque, les élèves musiciens ou Mohammed El Hassnaoui, le concierge qui vit sur place. « Il y a un fort besoin d’intimité dans les quartiers, nous avons voulu créer un écrin dans lequel on se sente bien. » Pas d’aluminium ni d’acier donc à l’intérieur, mais des matériaux chaleureux : sapin, verre et béton. De l’étage, où s’imbriquent six petites salles de musique, on découvre les toits végétalisés et le jardin qui ceint le centre. Là, de

jeunes bambous grandiront et brouilleront encore un peu la présence de la clôture. Entre eux, de petites boules de verre : des lampes qui s’allument à la tombée de la nuit, alimentées par l’énergie solaire stockée la journée. Le bâtiment est en effet à basse consommation d’énergie. 1 2

153 places assises et 480 debout www.toa-archi.com Texte : Marion Wagner Photos : Benoît Linder

m L’Espace culturel Django Reinhardt est situé 4 impasse Kiefer à Strasbourg Neuhof 03 88 79 86 64 – www.strasbourg.eu m À voir notamment, vendredi 12 novembre Oreka TX, un “concert-voyage” entre Bulgarie et Mongolie


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Design

D’idées en dessins Grégoire Ruault et Tamim Daoudi : les deux designers strasbourgeois associés depuis un peu plus de six mois au sein du Studio Ruo partagent la même quête de l’objet parfait.

«N

ous nous sommes rencontrés via IDée1 : une association – dont Grégoire est président – qui œuvre à valoriser les produits du design contemporain à travers la pérennisation et le renouvellement de savoir-faire locaux. » Les initiés retiennent par exemple le projet KouG, développé lors du Parcours du design 2007. Il visait à « imaginer une suite à l’histoire du Kougelhopf pour qu’il per-

dure au-delà des boutiques à touristes ». Neuf designers proposèrent alors leur vision d’un moule « venant revisiter un objet traditionnel et insuffler une démarche contemporaine, innovante et singulière dans la production locale ». Jean-Luc Weimar est lauréat, avec son “moule de poche” : une barre de cinq (mini) Kougelhopfs, obtenue grâce à un moulage 3D et produite par un potier alsacien. Pour Grégoire, « c’est à ce

moment que s’est créée une synergie de designers à Strasbourg ». Il a déjà sa propre galerie et côtoie les V82. En 2008, IDée organise à l’initiative de Tamim Daoudi et Antoine Bosc un nouveau workshop, “Boring Products”.

Dessiner l’ennui

« Nous avions la volonté de travailler avec une idée, et pas un objet. » Tamim présente trois produits qui expriment

Lampes culbutos, par Grégoire Ruault, en partenariat avec le Centre international d’art verrier de Miesenthal. Ou comment marier une LED à la technique du soufflage de verre, 2009

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Projet d’hôtel, dans une ancienne banque, à Colmar. Design Grégoire Ruault et Tamim Daoudi, avec Seltz Construction et Lenys Concept, en cours

l’ennui. Un coucou intempestif mesurant l’intensité sonore d’un lieu et se déclenchant lorsque le bruit disparaît. Un poing américain gris : il applique lentement “BORING” sur la joue de celui sur lequel il s’appuie. Et Crumb, un packaging de mie de pain refermant une notice didactique : elle suggère des formes de petit bonhomme, à réaliser par ceux qui s’ennuient à table, et joueraient, impoliment, avec les aliments. Grégoire, pour sa part, propose un miroir horizontal. D’abord linéaire, il se déforme peu à peu vers la droite : les volumes se brouillent et transforment la réalité du reflet en une contemplation abstraite. Une référence à un sentiment d’enfance du côté de la Bretagne. « Quand j’accompagnais mon père naviguer j’étais entre deux états, l’action et la somnolence. C’est une représentation de “l’absorption chimérique”, un moment où la réalité explose, on perd le sentiment de l’être et de l’image. »

Fourchette ou cuillère ?

Cette différence d’approche perdure, mais les deux hommes sont « complémentaires, deux pôles qui se nourrissent l’un et l’autre ». À son compte depuis six ans, Grégoire a « l’expérience, la rigueur dans l’approche du détail, la recherche de pertinence dans les formes et l’idée », dixit son associé. Tamim se voit « plutôt dans la recherche d’idées

qui sortent de l’ordinaire, affranchies des contraintes. J’ai besoin de nourrir ma recherche sur l’objet à travers une réflexion plus globale. » Lorsqu’il cite les pyramides comme une des formes les plus abouties, esthétiquement et techniquement, son associé le reprend : « Mais ce n’est pas comparable à la Tour Eiffel ou à la Cathédrale de Strasbourg. » L’autre renchérit : « Il y a une donnée qui est de l’ordre du divin, je trouve ça fascinant qu’un Pharaon se commande une telle pierre tombale. » Conclusion de Grégoire, sourire aux lèvres : « Avec toi, on pourrait finir avec une cuillère alors que le client a commandé une fourchette. »

donne un second souffle aux objets qui ont tendance à être cannibalisés par l’industrie. » Une démarche qu’ils appliquent aussi à l’élaboration du projet, avec le client, dans la droite ligne des ambitions d’IDée. « Dans beaucoup de petites entreprises, le besoin en design n’est pas perçu. On nous dit : “Hop là, ça, là, mettre les étiquettes, c’est pas la peine, c’est ma femme qui s’en occupe”. » Pourtant, bien sûr, cela en vaudrait la peine. 1 Innovations, design and experiences http://info.idee.free.fr 2 Voir Poly n°135, rubrique Design ³ Centre International d’Art Verrier de Miesenthal www.ciav-miesenthal.fr

Texte : Marion Wagner

L’activité va de la conception d’objet au graphisme, en passant par l’architecture d’intérieur. À la quête de l’objet parfait : simple, élégant, esthétique, en accord avec son époque. Chartes graphiques, lunettes, caisses de vin en métal et en forme de voiture – commandées par un viticulteur – les créatifs s’attaquent à tout. Ils assurent le processus d’élaboration du début à la fin, notamment la production, en lien avec les artisans. « C’est peut-être un de nos plus. » Résolument multidisciplinaires, les designers envisagent leur avenir en privilégiant les collaboration avec le CIAV3 pour allier artisanat et design : « C’est un projet local intéressant, le designer

m Tamim Daoudi et Grégoire Ruault, designers associés 19 rue de l’ail, à Strasbourg 03 88 32 69 10 – www.studio-ruo.com

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Danse & Opéra

Amours & Politique A Simon Boccanegra de Verdi est la nouvelle production de l’Opéra national du Rhin. À la fois drame historique et saga familiale, l’œuvre est sans doute la plus attachante de son auteur.

près une première version créée en 1856 qu’il qualifia lui-même de « froide et monotone », Verdi en imagina, avec Arrigo Boito, une seconde en 1881 – celle-là même donnée à Strasbourg – qui connut le succès. L’histoire, foisonnante et complexe, se déroule à Gênes au milieu du XIV e siècle. S’y mêlent une réflexion sur le pouvoir (comment, alors, ne pas tracer un parallèle avec la situation de l’Italie au milieu du XIXe siècle ?) puisque les luttes intestines qui opposent le peuple et la noblesse sont un des points centraux de l’ouvrage, et une histoire d’amour (forcément impossible). Ingrédients classiques et efficaces de tout bon opéra ! Dans une atmosphère où domine une esthétique picturale médiévale, le metteur en scène Keith Warner a choisi un parti-pris cinématographique tendance Nouvelle Vague : « J’aime savoir jusqu’où on peut représenter des émotions, comment les codifier. Je veux laisser percevoir la psychologie détaillée des personnages, comme Verdi s’est également attelé à le faire. »

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m À Strasbourg, à l’Opéra, du 24 octobre au 10 novembre – 08 25 84 14 84 m À Mulhouse, à La Filature, vendredi 19 et dimanche 21 novembre – 03 89 36 28 29 www.operanationaldurhin.eu Élément du décor inspiré de La Chambre des époux de Mantegna, au Palais ducal de Mantoue

En deux temps Le Ballet de l’Opéra national du Rhin propose Empty Spaces, soirée au double programme avec Observation Action, création d’Emanuel Gat, et Empty House du chorégraphe Johan Inger.

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eux pièces sinon rien. Voilà le mot d’ordre que semble s’être donné le Ballet de l’Opéra qui présente, avec Empty Spaces, sa seconde pièce chorégraphique signée Johan Inger. Après son Walking Mad hyper énergétique présenté ici même en avril dernier, le Suédois récidive avec Empty House, évocation tout en décalage, humour et étrangeté sur l’identité et les rapports conflictuels entre personnes du sexe opposé, métaphore sur les difficultés de l’évolution. Cette nouvelle entrée au répertoire du Ballet s’accompagne d’une création du chorégraphe israélien Emanuel Gat. Inventant progressivement Observation Action avec les danseurs strasbourgeois, il « cherche le mouvement nettoyé d’habitudes », désireux de voir « un être humain qui danse et pas un danseur qui joue un rôle ». Son langage chorégraphique hérité de la danse post-moderne et de l’étude du mouvement pur ne manquera pas d’étonner et de détonner. Texte : Irina Schrag

m À Mulhouse, à La Filature, samedi 30 et dimanche 31 octobre – 03 89 36 28 28 m À Colmar, au Théâtre municipal, mardi 9 novembre – 03 89 20 29 02 m À Strasbourg, à l’Opéra national du Rhin, du 17 au 21 novembre – 0 825 84 14 84 www.operanationaldurhin.eu

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Répétitions d’Observation Action d’Emanuel Gat © Valentin et Langenbronn

PHOTO FRANCK GIRARD

Texte : Hervé Lévy


La Filature, Scène nationale – Mulhouse 20 allée Nathan Katz 68090 Mulhouse cedex T +33 (0)3 89 36 28 28 www.lafilature.org

arts du cirque du jeudi 25 au samedi 27 novembre

SEMIANYKI PHOTO FRANCK GIRARD

( La Famille) Teatr Licedei

ET AUSSI. . . musique / mardi 19 octobre

THOMAS FERSEN

danse / jeudi 21 octobre

WALKING NEXT TO OUR SHOES...

Robyn Orlin

théâtre / vendredi 12, samedi 13 novembre

SCHONE BLUMEN

de et par Arne Sierens théâtre / jeudi 18, vendredi 19 novembre

PENELOPE O PENELOPE

de et par Simon Abkarian danse – performance / jeudi 18, vendredi 19, samedi 20 novembre samedi 11, dimanche 12 décembre

VISITE DANSEE

Aurélie Gandit théâtre / mardi 23, mercredi 24, jeudi 25, vendredi 26, samedi 27 novembre

LE TRIOMPHE DE L’AMOUR

de Marivaux – Jacques Osinski danse / mardi 30 novembre / mercredi 1er décembre

LA VERITE 25 X PAR SECONDE Ballet National de Marseille

Frédéric Flamand, Ai Weiwei,


BD, CAFÉ & RESTO – STRASBOURG

Viet Man Bistrot du quartier de La Laiterie, Au Gobelet d’Or est de ces rares troquets d’antan ayant conservé une âme. La personnalité des patrons, mère & fils, et un cuistot aussi doué aux fourneaux qu’un crayon en main n’y sont pas étrangers.

À

mi-chemin entre La Laiterie et les ateliers d’artistes de La Semencerie, un café populo fait l’angle. Son enseigne en lettres rouges rappelle la couleur du drapeau vietnamien dont était originaire le père de Nguyen Anza qui tient, avec sa mère, l’établissement familial depuis 22 ans. Aucun lien pourtant, le nom – Au Gobelet d’Or – comme le zinc massif tout en rondeurs, datant des seventies, sont d’époque. Nguyen arpente la salle depuis ses 16 ans. Les années passent, les lois se succèdent (Évin en 1991, interdiction de fumer dans les lieux publics en 2008), les habitudes changent. Avec une pointe de nostalgie, il évoque aujourd’hui « le temps des Tontons Flingueurs, ces habitués aux gueules pas croyables ». Il y a 20 ans, des rangées de clients s’agglutinaient par vagues au comptoir, laissant la salle quasiment vide. Aujourd’hui, on s’y presse le midi pour profiter du repas du jour (entrée + plat + dessert pour 8,5 €) dans un mélange hétéroclite de musicos d’Artefact, de voisins, d’artistes underground, de théâtreux de La Fabrique ou des Taps, de cols bleus, de VRP et livreurs de passage… Certaines choses semblent immuables : le charisme du patron apposant, en vitrine, une citation à côté du menu du jour, la chaleur humaine am-

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biante – dernier venu ou pilier de bar de longue date, tout le monde se salue – et le mélange des genres. Membre des troupes Les Improductibles et Occasion d’impro, Nguyen organise des soirées d’improvisation chaque 1er samedi du mois, donne un coin de salle aux groupes de passage (le Johnny de Madagascar, Éric Manana, ou Gil Jogging, looser à textes habitant le quartier) et expose ses photos d’habitués qu’il appelle tous par leur prénom.

et scénario d’après une trame originale, Frédo fait tout lui-même. Il ne s’arrête pas là. Avec son frère et deux amis, il a monté l’Asia Bro Team avec laquelle il réalise des courts métrages déjantés à base de voix accélérées et de scénars’ humoristiques entre polar, parodie et kung-fu. Le Gobelet d’Or, un creuset de talents dans un écrin d’authenticité.

Aux fourneaux, c’est Frédéric Pham Chuong, dit “Frédo”, qui s’active. Cuisine française tous les jours. Un plat vietnamien de temps en temps. À 29 ans, il vient de Mulhouse tous les jours, profitant du trajet en train pour peaufiner, non pas ses recettes, mais ses planches. Il rêve en effet de percer dans la BD, version comics. Autodidacte talentueux, son coup de crayon a tapé dans l’œil d’Ælement Comics où sortira en fin d’année Les Golden Stars, cosigné avec un autre dessinateur. Encrage, lettrage, colorisation, dessin

m À boire, manger et découvrir : Au Gobelet d’or, 28 rue de la broque à Strasbourg 03 88 75 18 77 – http://augobelet.free.fr

Texte : Thomas Flagel Illustration : Frédéric Pham Chuong

m Soirée impro, samedi 27 novembre 03 88 75 18 77 – http://augobelet.free.fr m À voir : Super Good Team, court métrage de l’Asia Bro Team au Festival du Film de Colmar “7 Jours pour le 7ème Art”, du 10 au 16 octobre www.colmar.fr – www.asiabroteam.com


aps Les T tre théâuel act

Soudain l’été dernier de Tennessee Williams Nouvelle traduction de Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier Mise en scène René Loyon Compagnie René Loyon, Paris – Création 2009 Avec Agathe Alexis, Blandine Baudrillart, Clément Bresson, Laurence Campet, Marie Delmares, Martine Laisné, Igor Mendjisky Décor Nicolas Sire Dramaturgie Laurence Campet Compositeur Daniel Diaz Lumière Laurent Castaingt Son Françoise Marchesseau Composition Daniel Diaz Costumes Nathalie Martella Assistée d’Agathe Meinemare Direction technique François Sinapi

Taps Scala en octobre mardi 19, mercredi 20, jeudi 21, vendredi 22 à 20h30

Dans la Nouvelle-Orléans puritaine de l’entredeux guerres, on assiste à un procès d’inquisition dont l’accusée est la cousine d’un homme retrouvé assassiné à Cabeza de Lobo, pittoresque cité balnéaire des Galápagos. L’enjeu est le triomphe de la vérité contre les préjugés et les mensonges. Échouée dans une société homophobe et raciste, la jeune Catherine échappe à la tyrannie d’une médecine psychiatrique à la recherche de nouvelles techniques, au mépris des libertés individuelles... info. 03 88 34 10 36 ou www.taps.strasbourg.eu


Bons baisers de Russie Depuis cinq ans, le Teatr Licedeï parcourt l’Europe avec Semianyki, spectacle à l’humour corrosif et décapant sur la famille. Entre clowns et pantomimes, voyage dans le chaos quotidien d’une fratrie russe.

F

ondé en 1968 à Leningrad par six artistes, ce théâtre de clowns et de mimes n’a eu de cesse de porter un regard critique, amusé et acerbe sur son pays et les comportements de ses concitoyens. Malgré une absence totale de mots, leurs spectacles ne seront jamais du goût des autorités de la grande URSS. Seuls la ténacité et le talent de ces agités du geste leur permettront d’obtenir des bons de sortie pour se produire dans les plus grands festivals du monde. Avec la fin du bloc soviétique, Saint-Pétersbourg remplace Leningrad et les fondateurs de ce qui est devenu une École de clown au sein de l’Académie Théâtrale de l’Université voient leur avenir s’ouvrir. La plupart réalisent leurs envies d’ailleurs en poursuivant une carrière solo ou en intégrant le prestigieux Cirque du soleil. L’âme de Licedeï est confiée à la relève, de jeunes artistes aussi doués et frappadingues que leurs aînés. Exit les nez rouges. Place à la

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mise en abîme, à l’abolition des frontières du théâtre, de la musique et des genres.

Par-delà les rêves Semianyki – la famille, en russe – est nourri à l’atmosphère brutale du réel : un père complètement alcoolo, une mère à deux doigts d’accoucher et quatre enfants jouant à qui sera le plus terrible ! S’appuyant sur une vive folie poétique et une totale absence de logique narrative, cette fratrie nous emmène au bout de ses rêves cauchemardesques et surréalistes. Les relations familiales détraquées sont brocardées sans ménagement avec, comme souvent dans les spectacles venus de l’Est, une violence contenant cette dose d’amour immense qui bouleverse nos sentiments. Dans ce quotidien fait de bric et de broc, tout apparaît laid, foutraque et injuste. On rit de l’humour noir et du grotesque irriguant les dix-neuf tableaux qui se succèdent sur un rythme effréné, mais dans un

capharnaüm scénique maîtrisé. Chacun défend sa place avec panache, audace et inventivité. Les bravades face à l’autorité parentale sont une obsession, l’acharnement sur le plus faible que soi une règle, les coups bas un moyen pour arriver à ses fins, et la prise à partie du public un plaisir partagé (préparez-vous, entre autres, à une bataille de polochons dantesque et à un concert sous la coupe dictatoriale d’un chef dangereusement pointilleux). Au milieu des poussettes instables, d’un rocking-chair pour cinq, d’une partie de hockey sur draps, de poupées décapitées par le petit dernier, les cœurs de cette tribu de clowns battent d’un même rythme : rapide, intense et aussi diablement cruel que généreux. Texte : Thomas Flagel Photo : BM Palazon

m À Mulhouse, à La Filature, du 25 au 27 novembre 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org


Opération jeunesse Le Théâtre Jeune Public ouvre à Strasbourg le premier volet du festival Young Europe – Jeune création théâtrale et éducation. Huit compagnies présentent le fruit de deux années de travail.

À

l’initiative de la Convention Théâtrale Européenne en octobre 2008, le festival Young Europe voit le jour pour défendre le théâtre d’auteur et la circulation des œuvres dans un souci de pédagogie. Le principe est simple : deux théâtres affiliés et originaires de pays différents commandent ensemble une pièce de théâtre à un jeune auteur. Une fois traduite, elle est montée puis présentée dans les deux versions à un public scolaire. En prolongement du spectacle s’ouvre une discussion entre les artistes et les jeunes spectateurs. « Il s’agit pour la compagnie de travailler avec un auteur, mais aussi de réfléchir à la façon de présenter un spectacle dans des salles de classe », explique Christiane Wächter, chargée de mission pour Young Europe. La mise en scène est alors pensée audelà de la barrière de la langue avec une contrainte d’espace (une salle de classe) et de temps (la durée d’un cours). Cette première édition, présentée à Strasbourg, est l’occasion de découvrir la quasi totalité des créations. Seront présentes des compagnies anglaises, allemandes, françaises et une chypriote. Parmi la pluralité de sujets abordés, se trame, en filigrane, la question de l’identité. Des problématiques aussi importantes que la violence, l’immigration, les conflits ou l’adolescence sont d’actualité dans chaque pays. Elles ne prennent cependant pas les mêmes formes. Kopf oder Zahl et Korona Grammata abordent la violence à l’école à travers le regard d’un jeune garçon. Un sujet encore délicat à Chypre où le metteur en scène opte pour un décor minimaliste et suggestif. À l’inverse, la violence presque

Meine Mutter Medea © Markus Kaesler

“banalisée” à Berlin surgit sur scène par un jeu d’exagération. D’une autre manière, Champ de mines et Verminte Zone s’attachent aux thèmes de la religion et de la tolérance. D’un commun accord, la compagnie française traite le sujet par la fiction, la compagnie allemande s’astreignant d’avantage au souci d’historicité. À n’en pas douter, Young Europe met en lumière de nouvelles écritures dramatiques et scéniques qui, comme le souligne Christiane Wächter, posent « la question de l’émergence d’un répertoire européen

et l’exportation de spectacles nationaux dans ce même contexte ». Le TJP espère participer à l’édition Young Europe 2. Il est en tout cas candidat, en binôme avec nos voisins allemands, pour le festival qui aurait lieu à Berlin. Texte : Laure Roman

m À Strasbourg, au TJP, au Parlement Européen et à la Cour européenne des Droits de l’Homme ainsi que dans des collèges et lycées, du 19 au 24 novembre – 03 88 35 70 10 www.theatre-jeune-public.com

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MUSIQUE CLASSIQUE – STRASBOURG

Plus d’une corde à sa harpe Dans les semaines à venir, on retrouvera la harpiste alsacienne Pauline Haas à l’occasion de la soirée célébrant les 50 ans de l’AJAM et du concert “jeunes talents” de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Portrait d’une virtuose de 18 ans.

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lle arrive un peu fatiguée. Rentrée la veille après un périple complexe. Plus de vingt heures de voyage depuis Montevideo. Décalage horaire. Ce qui ne l’empêche pas de parler avec passion de sa découverte de la harpe à huit ans et demi, « même si le déclic est venu quelques années plus tard ». Avec deux parents musiciens – dont un père altiste au sein de l’OPS – cette vocation précoce n’est guère surprenante. Parcours classique : Conservatoire de Strasbourg, premier récital à l’âge de 12 ans, puis Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (de 2007 à 2009). Pauline Haas

a envie de « casser l’image de la harpe. Souvent, elle est associée à des sonorités angéliques et cristallines, voire mièvres », explique-t-elle. « Mais elle possède des possibilités sonores importantes et sait aussi se montrer violente et impétueuse. On peut l’utiliser de mille manières, notamment comme une percussion.» Elle avoue sa fascination pour un instrument « dont le répertoire n’est pas encore très étendu », puisqu’il n’est réellement exploité que depuis le début du XXe siècle. D’où l’importance des transcriptions de pièces pour piano ou guitare – qu’elle réalise elle-même – et de la collaboration

avec des créateurs contemporains comme Philippe Hersant, Nicolas Bacri ou Détlef Kieffer. Pauline Haas est ravie d'être sur scène pour le concert du cinquantenaire de l’AJAM (Amis des Jeunes Artistes Musiciens), association dont l’objectif premier est de permettre à de jeunes instrumentistes, issus des meilleures formations européennes, de participer à des tournées de musique de chambre qui les entraînent dans toute l’Alsace. Elle avait pris part à une telle manifestation il y a deux ans, et souligne « l’importance de la pratique chambriste où l’on appartient à un groupe qui ne fait qu’un. Voilà un des centres de mon existence musicale, avec l’enseignement. » Elle interprétera « une des plus belles pages écrites pour la harpe », l’Introduction et Allegro pour harpe, quatuor à cordes, flûte et clarinette de Ravel, « d’une incroyable diversité, alors que le compositeur n’utilise que deux ou trois éléments thématiques ». Musique française encore pour le programme “jeunes talents” de l’OPS, où elle partagera le plateau avec quatre autres instrumentistes, nés dans les années 1980 et 1990. Elle y jouera en effet les Deux Danses pour harpe et orchestre à cordes de Debussy « à la fois transparentes et profondes ». À l’image de la harpe, en somme… Texte : Hervé Lévy Photo : Pascal Bastien

m L’AJAM fête son cinquantième anniversaire avec un concert de gala, samedi 23 octobre au Palais de la musique et des congrès 03 88 22 19 22 – www.ajam.fr m Le concert “jeunes talents” de l’OPS se déroule vendredi 10 décembre au Palais de la musique et des congrès 03 69 06 37 06 www.philharmonique-strasbourg.com

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u o s v ! z e r niv Dis leur que la vérité est belle

Mina Agossi Sad Lisa

Anne Baquet

Rafistol « Velo cello con vibrato » Piccolo « Tout ça » André Minvielle, Lionel Suarez

Movin’Melvin Brown Kolok, les voisins terribles

Bjørn Berge Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux

Sprütz faux rêveur

Jean-Louis Trintignant lit Prévert, Vian, Desnos Trio Erik Marchand Chanson plus bifluorée

éric Bouvron, la mission de Victor Mulot L’Avaar

Piano sur un plateau ! Beautiful Djazair Faim de loup Julien Labigne « 4 secrets »

Renseignements et réservations

03 88 59 45 50 VENDENHEIM > 14, rue Jean Holweg 03 88 59 45 50 espace.culturel@vendenheim.fr www.vendenheim.fr


JAZZ – SCHILTIGHEIM

Cuba, l’Afrique et le jazz Dans le cadre de Jazzdor, la Salle des Fêtes de Schiltigheim accueille un des plus grands pianistes de la planète, Chucho Valdés, icône de la musique cubaine et du jazz contemporain.

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esus – dit “Chucho” – Valdés baigne dans la musique dès sa naissance. Enfant, son père qui n’est autre que Bebo Valdés, précurseur du latin jazz pendant les années pré-Castro, l’initie au piano. Démontrant des facilités hors du commun, Chucho intègre le conservatoire de La Havane, puis monte son premier trio à l’âge de 15 ans. Au cours des années 1960, il se produit avec de nombreuses formations cubaines. Il faut attendre 1970 et ses premières performances en Europe pour que son talent soit reconnu sur la scène internationale. À cette époque, Valdés et son combo sont d’ailleurs les premiers musiciens cubains à pouvoir tourner à l’étranger.

Hommages Déjà, Chucho Valdés semble en quête de formes vocales et rythmiques nouvelles pour le jazz afro-cubain. Dans son désir d’innovation et d’intégration d’éléments typiquement africains dans la musique populaire de son pays, il fonde Irakere en 1973. Cette formation, largement issue de la Orquestra Cubana de Musica Moderna, lui permettra de parvenir à ses fins dans un rôle de compositeur et d’arrangeur exceptionnel. Il deviendra rapidement incontournable sur l’île. D’ailleurs, la gloire ne tarde pas, et en 1979 Valdés remporte son premier Grammy Award pour l’album Live at Newport. Depuis, à l’image de sa musique, il ne s’est jamais épuisé, n’a pas cessé d’expérimenter, tantôt soliste, accompagnateur ou arrangeur, tantôt enseignant, conférencier ou ambassadeur de bonne volonté pour la FAO (Food and Agriculture Organisation). Aujourd’hui, ce septuagénaire adepte du quatuor continue de jouer le rôle de Pygmalion qu’il a endossé au cours des récentes décennies en s’entourant de jeunes musiciens dans

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une nouvelle formation, les Afro-Cuban Messengers. Avec eux, il présente son dernier opus intitulé Chucho’s Steps, une forme d’hommage à ses pairs, au premier rang desquels figure l’incontournable John Coltrane (et son Giant Steps). Mais les références sont légion dans cet album où se côtoient écriture sophistiquée et spontanéité. Le claviériste de Weather Report Joe Zawinul est salué par Zawinul’s Mambo, George Gershwin et Cole Porter sont indirectement présents dans Begin to Be Good, alors que la fratrie Marsalis semble indissociable de New Orleans. Par ailleurs, un titre comme Las Dos Caras, qui ouvre ce disque, illustre parfaitement la double identité jazz et latine de cette œuvre. Car si la tradition jazz y est omniprésente, les inclinaisons afro-cubaines et mystiques de Chucho Valdés ne le sont pas moins, surtout dans le titre Yansa et ses rythmes yorubas.

Africanité On touche ici à un des fondements du travail de Chucho Valdés : la part d’Afrique et la composante purement afro de la musique cubaine. L’hommage fait aux Jazz Messengers d’Art Blakey prend tout son sens, car nul autre musicien ayant eu une réelle influence sur Valdés n’a été aussi précurseur en matière de recherche d’africanité dans sa quête de racines culturelles et artistiques. Pour lui, l’Afrique constituait une source d’inspiration, mais aussi un mode de réappropriation culturelle. Elle devait permettre, par le biais du hard bop, de réinventer une musique trop souvent vidée de son sens par la machine commerciale blanche. Pour Valdés, elle permet de redonner à la musique cubaine des racines spirituelles, et ainsi de recréer un lien culturel maltraité par des siècles d’esclavage. Enfin, à l’image de ce qu’a

fait Blakey, celui qui est considéré outreAtlantique comme “le pianiste le plus complet du monde” a toujours favorisé l’éclosion des talents de La Havane. Avec Irakere ce furent, entre autre, le saxophoniste cubain Paco D’Rivera ou le trompettiste Arturo Sandoval. Nul doute donc que d’autres talents seront au rendez-vous de son concert alsacien, et que la performance qui s’annonce aura tout pour ravir fans de jazz traditionnel, de musique cubaine et de composition moderne. Texte : Quentin Zimmermann Photo : Puyol

m À Schiltigheim, à la Salle des fêtes, vendredi 19 novembre 03 88 83 84 85 – www.ville-schiltigheim.fr


Les femmes s’en mêlent

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azzdor s’est ouvert cette année avec le concert d’Anthony Braxton, musicien radical qualifié par Philippe Ochem, directeur du festival, de « figure emblématique du jazz afro-américain », accompagné pour l’occasion par « la jeune garde newyorkaise ». Des historiques (Chucho Valdés…), de jeunes pousses plus que prometteuses (Reut Regev…), mais aussi des incontournables (Marc Ribot – en quartet à deux guitares ! –, Louis Sclavis, Éric Legnini…) à l’affiche. Et beaucoup de femmes. Le jazz, une affaire de mecs ? L’édition 2010 contredit cette idée reçue en conviant – pour la première fois en France, avec son propre groupe – la tromboniste Reut Regev,

mais aussi la contrebassiste énergique Hélène Labarrière, la violoniste suisse Maya Homburger (en quartet), la pianiste Sylvie Courvoisier (et son compagnon Mark Feldman au violon) ou la chanteuse venue des îles indonésiennes, Monika Akihary, à la tête du groupe Boi Akih. Définitivement, le jazz se décline au féminin. (E.D.) m À Strasbourg (Pôle Sud, Club TJP, Le-Maillon…), Haguenau (Théâtre), Schiltigheim (Cheval Blanc), Oberhausbergen (Le PréO) ou encore à Offenburg (Reithalle), du 5 au 19 novembre 03 88 36 30 48 – www.jazzdor.com

Reut Regev © DR Poly 136 - Octobre / Novembre 10 _ 35


MUSIQUE CLASSIQUE – STRASBOURG

L’âme russe L’Orchestre philharmonique de Strasbourg a choisi de placer la fin du mois de novembre sous le double signe de Stravinsky et Prokofiev, en compagnie du pianiste Alexander Toradze et de ses complices du studio.

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ormé au prestigieux Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, Alexander Toradze est nommé, en 1991, titulaire de la Chaire de piano à la Indiana University South Bend. Il décide alors de mettre en place un programme d’enseignement dont le but est « de donner aux jeunes instrumentistes le plus d’occasions possible de se produire ». Le Toradze Piano Studio* est né : très rapidement, le virtuose et ses élèves parcourent la planète avec des programmes monographiques centrés sur différents compositeurs. On les avait ainsi entendus à Strasbourg, au cours de la saison 2008 / 2009, pour un Marathon Rachmaninov. Cette immersion totale dans l’œuvre d’un créateur

permet de bousculer les codes et les rythmes traditionnels du concert, le métamorphosant en une étonnante expérience temporelle. Pour mémoire, mentionnons un programme de huit heures donné au Klavier Festival Ruhr. Ainsi le studio est-il, pour ses membres, « à la fois un endroit pour apprendre et un lieu pour explorer profondément l’œuvre de différents compositeurs… mais c’est avant tout une famille où toutes les générations se mêlent. Chaque saison, nous partons dans le Michigan faire les vendanges et produisons notre propre vin ! Il y a quelques années, nous avions aussi une équipe de football qui gagna le championnat de l’Université trois années durant… Il est

vrai qu’à l’époque nous avions dans nos rangs trois pianistes brésiliens », explique Alexander Toradze. Nous découvrirons la virtuosité du pianiste dans un concert avec l’OPS regroupant, sous la baguette de Dima Slobodeniouk, le Concerto n°1 de Prokofiev et Concerto pour piano et instruments à vent de Stravinsky. Suivra une aventure artistique de deux journées – et quatre concerts – au cours de laquelle le studio explorera différentes facettes (principalement pianistiques, mais également chambristes) de la personnalité musicale de deux compositeurs russes, dressant un fascinant portrait fragmenté de chacun. La première odyssée mêlera différents aspects de l’œuvre de Stravinsky (populaire, néo-classique…) tandis que, le lendemain, la seconde nous entraînera au cœur de celle de Prokofiev (enfant terrible, puis respectueux des canons soviétiques). Pour Alexander Toradze, le compositeur « n’a pas écrit une note qui ne soit pas géniale. Si le répertoire pour piano de Rachmaninov est profondément relié à la musique religieuse » poursuit-il, celui de Prokofiev « reflète sa passion pour le théâtre, l’opéra et le ballet : c’est sans doute sous cet angle qu’il faut l’appréhender. Nous sommes à la conjonction d’une géographie sonore et d’un monde d’images. » Et c’est celle-ci que nous sommes invités à parcourir. *

www.toradzepianostudio.org Texte : Hervé Lévy

m À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 18 et vendredi 19 novembre (concert d’Alexander Toradze avec l’OPS) et à la Cité de la musique et de la danse, samedi 20 (Odyssée Stravinsky) et dimanche 21 novembre (Odyssée Prokofiev) avec le Toradze Piano Studio 03 69 06 37 06 www.philharmonique-strasbourg.com

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Souviens-toi… L’été dernier Créée par René Loyon juste avant le retour à la mode de Tennessee Williams en France, Soudain l’été dernier est de passage au Taps Scala. Une enquête policière haletante au cœur de notre face la plus sombre.

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efroidis par les adaptations signées Elia Kazan (Un tramway nommé désir), Richard Brooks (La Chatte sur un toit brûlant) et Joseph Leo Mankiewicz (Soudain l’été dernier) érigées au statut de chefs-d’œuvre du 7e art, rares étaient les metteurs en scène à s’attaquer au théâtre de Tennessee Williams. Fui par le succès et lâché par tous, le grand dramaturge américain disparaissait en 1983, après une nuit d’alcool et de médicaments, dans la solitude de l’hôtel new-yorkais sans relief où il résidait, à quelques blocs de Times Square. Depuis deux ans, voilà que les textes du “vieux crocodile” refont surface. En 2009, le Wooster Group créait Vieux carré au TNS et en 2010 Krzyzstof Warlikowski s’attaquait à Un Tramway nommé désir à l’Odéon. Ces grands noms, René Loyon les précéda, s’intéressant avec sa compagnie et des acteurs fidèles à une pièce de 1958 : Soudain l’été dernier.

Dans la chaleur étouffante de La Nouvelle-Orléans, une riche héritière fait appel à un jeune psychiatre, spécialiste

de la prometteuse lobotomie qui voit le jour dans ces années 1930. À lui de ramener à la raison – mais aussi de faire taire – Catherine, la cousine du fils chéri, Sébastien, retrouvé mort dans une cité balnéaire du tiers-monde dans des conditions mystérieuses. Seul témoin des faits, la jeune femme en livre une description si effroyable que chacun la croit folle. Mais face à son obstination et à la terrible vérité qu’elle ne cesse de clamer, sa famille bourgeoise tente de sauver la face. Grâce à une nouvelle traduction du texte signée Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, nous voilà confrontés, dans une confondante modernité, à une violence sociale qui révèle ses fondements : peur de l’étranger, racisme, homophobie, folie et injustice. Autant de thèmes hantant un Tennessee Williams qui n’aura de cesse de décrire les marginaux de son époque, catégorie dont il ne s’éloignera lui-même jamais dans une société américaine aussi conservatrice que chrétienne, qui le portera aux nues avant de le renvoyer à l’anonymat et à la misère de ses débuts. De la blancheur des costumes imaginés

par l’auteur, René Loyon joue des contrastes en plaçant ses comédiens dans un espace minimaliste baigné d’une lumière bleutée et orangée, propice à l’émergence de la vérité. Soudain l’été dernier est un bijou d’orfèvrerie qui ne révèle son éclat qu’après un lent polissage des âmes, une plongée – grâce aux métaphores et aux mots du poète – dans les non-dits coupables qui nous donnent une idée de la vie de Thomas Lanier Williams, dit “Tennessee” : homosexuel comme Sébastien, qui prit à sa charge sa sœur schizophrène après sa lobotomie. La leçon de vie est âpre, sur scène… comme en dehors. Texte : Thomas Flagel Photo : Lot

m À Strasbourg, au Taps Scala, du 19 au 22 octobre 03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu www.compagnierl.com

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Portrait

La fin du commissaire tel que nous le connaissons ? La première exposition de Bettina Steinbrügge reflète les préoccupations essentielles de la commissaire d’exposition de la Kunsthalle de Mulhouse pour la saison 2010 / 2011. Histoire(s) d’abord. Socio, ethno, philo, anthropo… ensuite.

«A

ujourd’hui, mes parents sont encore étonnés que je sois devenue commissaire d’exposition », affirme d’emblée Bettina Steinbrügge. Enfance “normale” dans le nord-ouest de l’Allemagne, entre Ostercappeln où elle est née, et Bad Essen où elle passe son Bac en 1990, deux petites localités voisines de Basse-Saxe. Les premiers contacts avec l’art ? « Des lectures, des rencontres. Peut-être, à dix ans, la découverte du masque de Toutankhamon. Puis les modernes, Picasso… » Rien de surprenant donc dans les débuts de celle qui habite désormais Berlin. Mais au fait, la capitale allemande, est-elle toujours l’épicentre de l’art contemporain en Europe ? « Ok, la ville s’est embourgeoisée » admet-elle, mais « le bouillonnement reste toujours là. Et puis, malgré une certaine hausse, les loyers demeurent parmi les moins chers du continent. Cela contribue à attirer des créateurs dynamiques. »

L’Histoire de l’art

Le cursus universitaire de la (future) commissaire est exemplaire : School of the Art Institute of Chicago (19901991), Alliance Française de Paris (1991-1992, un français avec un accent germanique so cute en témoigne), puis l’Université de Kassel (1992-2000) avec la proximité de la dOCUMENTA1. Elle insiste sur l’importance de l’Histoire de l’art dans sa formation : « C’est d’où je viens. En travaillant avec des personnalités comme Udo Kittelmann2, j’ai compris que la connaissance du passé était fondamentale. Depuis quelques années, les choses ont changé : aujourd’hui, nombre de commissaires d’exposition ont fait des écoles de… commissaires. Elles permettent à leurs diplômés d’avoir des réseaux et un car-

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net d’adresses bien rempli. » Argllll… Le retour (mais sont-ils un jour partis ?) des fameux professionnels de la profession que dénonçait Jean-Luc Godard. Pour Bettina Steinbrügge, là n’est pas le fond du métier : « Il faut essayer, expérimenter, ne pas proposer un concept et vouloir que son nom soit écrit sur les affiches en quatre fois plus gros que celui des artistes », conclut-elle en souriant. Il est vrai que cette nouvelle génération de commissaires vient de la Kulturwissenschaft, avatar germanique des transversales cultural studies, vaste creuset où se fondent sociologie, littérature, arts, philosophie, ethnologie, anthropologie… Si une telle approche est « évidemment intéressante, il ne faut jamais perdre de vue d’où l’on vient. Toujours se poser les questions essentielles… Que signifie la peinture ? La sculpture ? » Elle s’avoue passionnée par les « époques de rupture » et cite spontanément un artiste qui la fascine, le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783) et ses visages grimaçants à la parfaite frontière entre baroque et classicisme.

L’Art de l’histoire

Pour l’ancienne directrice de la Halle für Kunst de Lüneburg (2001-2008) et désormais co-commissaire, au sein de la Berlinale, du Forum Expanded3, une exposition réussie consiste à « travailler en amont avec les artistes – le centre de tout – et de trouver le juste équilibre entre les œuvres et l’espace. Il faut créer des tensions entre les pièces : chacune doit avoir son autonomie dans l’ensemble, mais aussi être une partie signifiante du tout. » Sa référence absolue : la Biennale de Lyon en 1997, imaginée par Harald Szeemann et intitulée L’Autre. « Inégalée ». Mettre en scène. Raconter une histoire. Il y a de

cela à Mulhouse avec La Fin du monde tel que nous le connaissons. Une référence à la chanson de R.E.M. Euh, non. Bettina Steinbrügge se déclare « Musikidiot » (qui se dispense de traduction). Plutôt l’essai éponyme du sociologue Immanuel Wallerstein décrivant une « société post-capitaliste en phase de transition. On voit ce qui disparaît, mais on ne perçoit pas encore les contours de l’avenir. » Et de préciser que les artistes présentés se positionnent face « à la réalité actuelle, qu’elle soit politique, sociale, économique ». Le discours de la commissaire se déploie, soudain teinté de préoccupations proches des cultural studies : « Je n’ai pas dit que je refusais ces rapprochements, simplement qu’il ne faut pas se laisser déconnecter de l’histoire de l’art. » Que pense-t-elle de Takashi Murakami à Versailles qu’elle a découvert quelques jours plus tôt ? « Je n’aime pas son œuvre, mais de telles confrontations sont fécondes et celle-ci fonctionne. L’art d’aujourd’hui permet de montrer que celui du passé a encore quelque chose à nous dire, et réciproquement. » Et pan sur le bec des pisse-froid ! 1 Une des plus importantes manifestations d’art contemporain se déroulant tous les cinq ans (prochaine édition en 2012) – www.documenta.de 2 Célèbre commissaire d’exposition qui fut notamment en charge du Pavillon allemand à la Biennale de Venise en 2001 3 Une des sections du célèbre festival dont le but est d’arpenter les frontières entre art contemporain et cinéma www.berlinale.de

Texte : Hervé Lévy Photo : Benoît Linder

m La fin du monde tel que nous le connaissons est à voir à Mulhouse, à la Kunsthalle, jusqu’au 14 novembre — 03 69 77 66 28 www.kunsthallemulhouse.com


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MUSIQUE – STRASBOURG & SCHILTIGHEIM

Le benêt… De dandy à dadais, il n’y a qu’un pas… que Philippe Katerine a aisément franchi. Songwriter pop devenu clown du paf, il se produit à La Laiterie.

«

C’

est à croire vraiment qu’il se complaît à vivre au milieu de ses déchets / Comment veux-tu qu’il soit embauché, il ne pourra jamais se marier / Comment veux-tu ne pas l’appeler le simplet, l’idiot du village, le benêt ? », chantait le Vendéen en 1999 sur l’album L’Homme À Trois Mains. Hymne aux inadaptés, aux “originaux”, aux éternels enfants. Aujourd’hui, Katerine n’est plus seulement un type “borderline” qui pose en slibard et en sous-pull rose, mais un artiste régressif, voire carrément à l’ouest, qui se balade à poil en mangeant des bananes, reprend La Queuleuleu de Bézu ou Vive le douanier Rousseau de on ne sait qui (à écouter sur www.katerinefrancisetsespeintres.com) ou chante en compagnie de papa et maman sur son dernier album, Philippe Katerine… Trublion d’opérette n’hésitant pas à mettre le paquet pour se faire remarquer sur les plateaux télé ? Punk intello à tendance dada ? Connaissant ce proche de Thierry Jousse, Mathilde Monnier ou Cédric Kahn, nous optons pour la seconde hypothèse. Texte : Emmanuel Dosda Photo : Dominique Gouband

m À Strasbourg, à La Laiterie, mardi 23 novembre 03 88 237 237 – www.artefact.org

…et le Belge Arno a beau faire de la “chanson française”, il est belge et le clame avec son nouvel album, Brussld. En concert à Schiltigheim.

V

oix caverneuse, voire d’outre-tombe, façon Tom Waits (comparaison tarte à la crème le concernant), accent à couper au couteau et silhouette reconnaissable entre mille autres. Si vous croisez un grand type vêtu de noir, chemise ouverte, cheveux plus sel que poivre, devant un vieux bistrot bruxellois, pas de doute, c’est lui : Arno est un personnage, une gueule. Le Tango de la peau, Bathroom singer, Putain Putain, sa version du Bon Dieu de Jacques Brel ou encore du Get up, stand up de Bob Marley… Qu’on aime ou non ses morceaux, difficile de résister à ce type sympathique et malicieux. Arnold Charles Ernest Hintjens – de son vrai nom – auteur de l’album À la française, revendique sa belgitude avec son nouvel album, Brussld. Sur le titre Brussels, il chante sur un air rock’n’roll : « Let’s sing this song for Linda, Mustapha, Jean-Pierre, Fatima, Michel and Paul / The brain of God, les Flamands et les Wallons / You and Me and Mr Nobody ». La Belgique avait besoin d’un (ré)conciliateur ? Qu’elle arrête de chercher. Texte : Emmanuel Dosda Photo : Danny Willems

m À Schiltigheim, à la Salle des fêtes, samedi 6 novembre 03 88 83 84 85 – www.ville-schiltigheim.fr

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ART CONTEMPORAIN – STRASBOURG & SÉLESTAT

Étant donné… L’exposition De leur temps, organisée au MAMCS et au Frac Alsace, met en lumière la création contemporaine hexagonale au travers des artistes nominés pour le prestigieux Prix Marcel Duchamp depuis dix ans. L’occasion aussi de découvrir les plasticiens en lice pour l’édition 2010.

X

avier Veilhan, Wang Du, Thomas Hirschhorn, Philippe Ramette, Claude Lévêque, Dominique Gonzalez-Foerster ou Saâdane Afif (lauréat l’an dernier) : des noms connus, des artistes célébrés ici et dans le monde, des plasticiens qui ont tous été sélectionnés par le jury du Prix Marcel Duchamp, dont la mission est « de contribuer au rayonnement international de la scène artistique française et de sensibiliser un large public à la vitalité de la création contemporaine ».

Un Turner Prize à la française Initié par l’Association pour la Diffusion Internationale de l’Art Français (ADIAF), ce prix, remis à l’occasion de la FIAC (à Paris, du 21 au 24 octobre) depuis 10 ans, permet notamment à l’élu de pouvoir réaliser une œuvre au Centre Pompidou, sur 300 m2. Gilles Fuchs, président de l’ADIAF et collectionneur, est à l’origine de la création de l’association, en 1994, afin de « mettre en avant la scène française qui périclitait totalement à l’époque. Il

Cyprien Gaillard, Pruitt-Igoe Falls, courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris ; Laura Bartlett Gallery, Londres

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s’agissait alors de soutenir financièrement les galeries qui voulaient présenter des Français à l’étranger. » En 2000, vient le Prix Marcel Duchamp, « inspiré par le Turner Prize anglais », pour distinguer les artistes installés en France. Duchamp, “parrain” de ce prix, un héritage lourd à porter ? « Non ! » s’exclame Gilles Fuchs. « C’est un révolutionnaire, il a sans cesse évolué, ami de Picabia qui lui avait pourtant fait des coquineries… C’est un imprévisible qui ouvre toutes les portes. » Les artistes nominés bénéficient d’une belle


Camille Henrot, Les Cages, 2009, vue de l’exposition Pour ne pas mourir deux fois, Centre d’art Le Lait

exposition publique, soulignée par la manifestation De leur temps (à Tourcoing en 2004 et à Grenoble en 2007). De leur temps (3) : 10 ans de création en France en est le troisième volet. Cette double expo alsacienne, présentée au MAMCS et au Frac Alsace, place sous les spotlights les 40 plasticiens sélectionnés depuis dix années (soit quatre par an). Lequel d’entre Céleste Boursier-Mougenot (installations musicales), Camille Henrot (vidéo, installations, sculptures), Cyprien Gaillard (connu pour ses vidéos de zones périurbaines) et Anne-Marie Schneider (dessins qui explorent la condition humaine) sera l’heureux lauréat ? Qui d’entre ces plasticiens, « caractéristiques des tendances actuelles du monde de l’art », sera auréolé ?

Suspens… S’agira-t-il de Camille Henrot ? Cette plasticienne touche-à-tout a notamment réalisé Les Espèces Menacées, de fausses sculptures africaines aux noms évocateurs empruntés au monde automobile (Porsche Cayman, Lotus Elan, Opel Tigra…), fabriquées avec des fragments mécaniques. Un travail « duchampien » qui réconcilie le monde sauvage et celui de la civilisation. Notons que l’artiste est éga-

lement vidéaste, qu’elle réalise des clips pour les groupes du label electro français Tigersushi. Cyprien Gaillard entretient, lui aussi, un lien étroit avec la musique en collaborant avec Koudlam, compositeur électronique et chamanique qui intervient sur ses vidéos hyper anxiogènes. Dans les œuvres de ce plasticien né en 1980 (c’est le plus jeune nominé), le chaos architectural fait écho au chaos social, comme par exemple dans Desniansky Raion (2007), qui fait alterner captations d’une violente bagarre entre deux bandes de hooligans dans la banlieue de Saint-Pétersbourg et images de barres HLM. Œuvre emblématique de sa démarche, La Grande allée du château de Oiron (2008) consiste en un tapis de gravats résultant de la destruction d’une tour d’Issy-les-Moulineaux. Barre de banlieue versus architecture patrimoniale, mise au “tapis” d’une utopie architecturale, choc des cultures, éloge de la ruine ? Nettement moins angoissant : le travail poétique de Céleste Boursier-Mougenot. Auteur d’installations sonores, de sculptures musicales, il a réalisé From Here to Ear, composé d’amplificateurs reliant des guitares électriques Gibson sur lesquelles viennent se poser des mandarins, oiseaux qui deviennent guitaristes malgré

eux. Musicien de formation, il « introduit les arts plastiques dans la musique », selon Gilles Fuchs. « Ça n’est pas comme un Lied de Schubert sur une poésie de Goethe, c’est aussi l’inverse, c’est un tout. Chez Boursier-Mougenot, l’accompagnement sonore est aussi important que le visuel. » La plus discrète, Anne-Marie Schneider, propose un travail graphique très sensible et d’une grande spontanéité. Ses dessins sont « un refuge pour cette femme émotive, qui a parfois des passages à vide ». Une œuvre délicate qui, encore une fois, pointe la fragilité du monde. Quatre artistes et autant d’univers. Des œuvres hétéroclites qui devront séduire les différents membres du jury qui tranchera le 24 octobre. Texte : Emmanuel Dosda

m À Strasbourg, au MAMCS et à Sélestat, au Frac Alsace, du 6 novembre au 13 février 2011 – 03 88 52 50 00 www.musees-strasbourg.eu 03 88 58 87 55 – www.culture-alsace.org www.adiaf.com

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THÉÂTRE – STRASBOURG

Prélude à solitude En 1967, Glenn Gould, célèbre interprète de Bach ayant mis un terme à ses concerts depuis 1964, enregistrait la pièce radiophonique The Idea of North. Pour sa première mise en scène, Benoît Giros adapte L’Idée du Nord au TNS. Passer de la pièce radiophonique au théâtre, c’est créer des images. Que nous donnez-vous à voir ? Un studio de radio est un endroit où la vie s’exprime par la parole. C’est ce que nous avons reproduit sur le plateau. Pas une imitation de la dramatique radio, mais plutôt un moyen pour que les paroles de Gould s’échappent d’un studio d’enregistrement pour aller vers le public. L’Idée du Nord parle de solitude, d’un face-à-face avec soi-même tout en étant une réflexion sur la nature de la création… À sa mort, Gould avait deux livres sur sa table de chevet : Oreiller d’herbes de l’auteur japonais Natsume Sôseki et La Bible. Un texte de Sôseki est lu dans la pièce. Il parle de solitude et de création, un thème qui se retrouve dans une autre émission de La Trilogie de la solitude de Gould : être dans le monde sans être du monde. Un artiste doit être “dans” le monde, pour pouvoir en parler, mais ne pas être “du” monde. Dans ses pièces, on retrouve cette phrase : « Je me suis senti plus seule en ville que je ne l’ai jamais été dans le Nord. » C’est là qu’on devient artiste et philosophe, dans cet espace de solitude qui n’est pas forcément celui du silence. Gould a fini sa vie dans une chambre d’hôtel où s’entassaient ses machines, un mini studio pour s’enregistrer tout seul. Il habitait Toronto, mais y avait recréé son Nord. En plus, entre les médicaments et toutes les drogues qu’il prenait, il se trouvait dans une sorte de camisole chimique. Ce Nord est aussi métaphorique : on assiste à la confrontation des fantasmes de cette zone géographique avec les expériences concrètes de cinq personnages qui

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font un récit quasi ethnographique. En filigrane, c’est un Nord à l’intérieur de soi qui se dessine… Exactement. Je pense que, très consciemment, lorsque Gould fait parler les gens qui y ont vécu, il remplace en lui-même le mot Nord par celui de création. La dimension métaphorique de L’Idée du Nord est inhérente : Gould n’y a passé que deux jours, pas sa vie ! Il y évoque la création, le royaume musical d’un monde où tout serait musique et vers lequel il aimerait aller, mais qui demeure inatteignable. C’est en fait un endroit d’imagination. Le décor du spectacle que nous évoquions est tout autant un studio, la banquise que l’intérieur du cerveau de Glenn Gould. On assiste à son voyage vers la création et aux petites voix qui traversent son esprit. Il voulait passer un hiver, dans le noir, en Alaska. Pourquoi ne l’a-t-il jamais fait ? Il allait souvent en voiture à Wawa, petite ville à environ 1 000 km au nord de Toronto. Il passait 15 jours reclus dans sa chambre de motel en dehors de la ville, à écrire et travailler des partitions. Il avait ce projet de partir au-delà du cercle polaire pour y passer les six mois d’obscurité. Mais c’était un urbain ayant besoin de technologie autour de lui. Une de ses nombreuses contradictions comme l’arrêt de tout concert pour composer sans jamais réellement réussir à écrire. Il a fait ses émissions de radio, tiraillé entre son art d’interprète développé à merveille mais muet devant une partition blanche. N’y a-t-il pas une dimension qui lui échappe et qui transparaît dans la pièce ? Dans le Nord on n’échappe pas à la société car on y est encore plus dépendant des autres. Lui qui vivait reclus…

Voilà un autre de ses paradoxes. Les témoignages sur lui sont très contradictoires. Il défend la solitude et en même temps beaucoup de gens parlent de lui comme d’un être éminemment sympathique, très social. Dormant la journée, pas la nuit, il voyait tout de même du monde, s’amusant à jouer de ses identités en fonction de ce qu’on attendait de lui. Un documentaire* le montre avec une femme qui aurait été sa maîtresse et avec laquelle il aurait vécu. À côté de ça, des témoignages le dépeignent totalement shooté aux médicaments… Chaque personnage du spectacle est une facette de lui, différente, drôle, solitaire, désespérée, coquine – Gould se déguisait


en chef d’orchestre allemand fou à moustache. Ses contradictions sont inconscientes et son désir de Nord n’est pas tout à fait assumé. On entend d’ailleurs pas une seule note jouée par Gould dans la pièce… Si, juste à l’entrée du public. Mais quand tout le monde est là, on arrête et on passe à autre chose. Par contre, il y a une œuvre que Gould a composée – So you want to write a fugue ? – fugue à quatre voix, chantée en français. Mais nous reprenons son invention de polyphonie de voix, de personnages s’exprimant en même temps

qui est aussi poétique que déroutante et intrigante.

elle est à 30 cm du sol, on voit bien qu’elle n’est pas normale !

Glenn Gould est symbolisé par sa fameuse chaise pliable qui l’accompagnait partout et dont il avait scié les pieds… Il est là par tout un tas de petites allusions : ses gants, ses lunettes de soleil, un aspirateur… Il jouait les passages difficiles des partitions en mettant la télé et l’aspirateur afin d’écouter autre chose que lui-même. La chaise est tellement centrale… Chacun des personnages vient s’asseoir dessus lors des passages du texte où nous estimons qu’il s’exprimait vraiment. Comme

Je terminerai par cette question : le Nord c’est chercher, trouver ou se perdre ? (Rire) Chercher. * Glenn Gould, le génie et la passion, réalisé par Michèle Hozer et Peter Raymont, 2009, ZDF Propos recueillis par Thomas Flagel Photo : Frédéric Nauczyciel

m À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 9 au 20 novembre 03 88 24 88 24 – www.tns.fr

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ART CONTEMPORAIN – STRASBOURG

A(r)t home L’Artothèque de Strasbourg ouvre le 20 novembre dans les locaux de la Médiathèque de Neudorf. Présentation d’une initiative qui permettra à tout un chacun d’emprunter une œuvre d’art.

I

nstaller un Morellet au salon ? Un Waydelich au-dessus de son bureau ? Rien de plus simple grâce à l’Artothèque de Strasbourg qui rassemble un fonds conséquent. « Photographies, gravures, sérigraphies… Il s’agit de multiples qui sont l’œuvre d’artistes contemporains » explique sa responsable, Madeline Dupuy Belmedjahed. Pour emprunter, « le processus est extrêmement simple ». La condition ? Avoir la Carte PASS’relle option multimédia (25 € par an, 19 500 titulaires à ce jour) et présenter une attestation d’assurance “responsabilité civile”. Ensuite, il suffit de faire son choix avec comme principe “une œuvre pour

un mois”. L’objectif est de « permettre le plus large accès possible à l’art contemporain ». Grâce à une collaboration active avec le Frac (70 œuvres en dépôt), le CEAAC (40) et les Arts déco (10), mais aussi une politique d’achat active (rendue possible grâce au mécénat de Suez Environnement), l’Artothèque proposera, à son ouverture, quelque 500 œuvres à l’emprunt… Un chiffre qui ne demande qu’à croître dans l’avenir. Texte : Serge Simon

m L’Artothèque de Strasbourg est située dans les locaux de la Médiathèque de Neudorf (1, place du Marché) 03 88 41 45 00 – www.mediatheques-cus.fr

Nathalie Savey, Les Montagnes rêvées n°2, photographie, 2008 « Nathalie Savey est une artiste qui vit et travaille à Strasbourg. Les œuvres issues de la série des oniriques Montagnes rêvées jouent sur les limites entre le connu et l’ambigu, entre le réel et l’étrange, le tangible et le spirituel. Ces œuvres ne sont pas destinées aux regards pressés et fuyants. Elles se laissent découvrir par un lent ajustement de l’œil qui, petit à petit, essaye de percer le caractère énigmatique et enchanteur de cette photographie. » 46 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10

Artothèque-Médiathèque de Neudorf, service des médiathèques de la Ville de Strasbourg Avec le soutien de Suez Environnement

Les coups de cœur de Madeline Dupuy Belmedjahed, responsable de l'Artothèque


Artothèque-Médiathèque de Neudorf, service des médiathèques de la Ville de Strasbourg Avec le soutien de Suez Environnement

ART CONTEMPORAIN – STRASBOURG

Artothèque-Médiathèque de Neudorf, service des médiathèques de la Ville de Strasbourg Avec le soutien de Suez Environnement

Artothèque-Médiathèque de Neudorf, service des médiathèques de la Ville de Strasbourg Avec le soutien de Suez Environnement

François Morellet, Pi et plis (noir), estampe, 2008 « Artiste français internationalement reconnu, François Morellet s’oriente dès les années 1950 vers une certaine abstraction. Formes géométriques, lignes, superpositions, trames et effets optiques sont les composantes majeures de son travail, qu’il veut expérimental autant d’un point de vue artistique que scientifique. La géométrie dépouillée, les lignes et la dichotomie noir/blanc de cette estampe font vibrer notre perception. Cette œuvre surprenante prend ainsi vie sous nos yeux. Entre relief et profondeur, François Morellet crée une véritable sculpture visuelle en deux dimensions. »

Diana Quinby, Sans titre (pieds), pointe sèche, 2009 « Diana Quinby est une artiste et historienne de l’art dont le travail plastique et théorique interroge la place de la femme dans l’art, autant comme artiste que comme sujet. Cette gravure en pointe sèche réalisée en 2009 appartient à une série de trois œuvres toutes présentes à l’Artothèque (les mains, les hanches et les pieds). Par un cadrage resserré ainsi que par la qualité du trait, l’artiste entraîne dans son expérience du corps le regard du spectateur, irrésistiblement attiré par la puissante émotion qui se dégage de cette œuvre. »

Françoise Pétrovitch, Poupée, estampe, 2005 « Trois estampes de Françoise Pétrovitch, stylistiquement très proches, sont présentes au sein de notre fonds. Celle-ci, comme les deux autres, est composée de traits rouges sur fond blanc, d’une apparente légèreté mais faisant corps avec le support. Avec une narration totalement ouverte, cette œuvre de Pétrovitch est comme une brève apparition, un flash furtif, un fragment de mémoire, une énigme sublime dont la signification glisse d’un univers à un autre, de l’humour à l’étrange, laissant ainsi à chacun la possibilité de se créer son propre rapport à l’œuvre. » Poly 136 - Octobre / Novembre 10 _ 47


LIVRE – COLMAR

L’arpenteur Auteur de BD, illustrateur jeunesse, peintre… David Sala est un créateur polymorphe. Cette année, l’artiste installé à Strasbourg a imaginé la traditionnelle carte postale pour le jeune public du Salon du Livre de Colmar dont il est un des invités de marque.

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out gamin, David Sala frappe à la porte de Lug, maison d’édition lyonnaise qui publie alors les comics américains en France (dans Strange, Titans, Nova…), histoire de rencontrer une de ses idoles, Cyrus Tota, créateur du super-héros hexagonal Photonik. Les BD Marvel sont une de ses influences majeures, la seconde, un « coup de poing dans l’estomac, c’est Alberto Breccia » (dont l’œuvre fait l’objet d’un beau travail de réédition chez Rackham). Très rapidement, il est convaincu de faire de la bande dessinée son métier. Des études à l’École Emile Cohl et le voilà dans le grand bain avec Replay (Casterman) puis, avec le même scénariste, Jorge Zentner, une adaptation du héros culte créé par le romancier Valerio Evangelisti, Nicolas Eymerich, inquisiteur du Royaume d’Aragon (Delcourt) dont les aventures font sauter le lecteur de siècle en siècle. Et enfin ONE OF US (Soleil), première réalisation à l’ordinateur (même s’il « préfère le crayon et le pinceau où le rapport avec la matière est plus intense ») dont il a aussi écrit les textes, une « variation sur les super-héros ». Voilà des univers d’essence fantastique très différents plastiquement les uns des autres, généralement sombres où se reflète la noirceur de l’âme humaine. Mais l’artiste est aussi peintre, photographe et « un jeune auteur de livre jeunesse ». Dans le premier, La Colère de Banshee (Casterman, 2010), on découvre son amour pour la Sécession viennoise avec « un hommage à Klimt ». Quel fil directeur dans ces réalisations très diverses ? « L’envie d’explorer tous les aspects de l’image et de me confronter à l’inconnu, 48 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10

quitter les habitudes et le confort de ne pas employer sans cesse les mêmes trucs, chercher encore et encore. » Sa devise ? « Je ne sais pas comment faire… Alors j’y vais. » À 36 ans, David Sala a ainsi déjà arpenté de multiples continents graphiques… à l’inverse de nombre de ses collègues qui imaginent un monde et s’y tiennent. Tellement plus rassurant pour le lecteur… Texte : Hervé Lévy Dessin : David Sala (autoportrait)

m David Sala participera à un atelier destiné aux 8-12 ans à la Bibliothèque Europe de Colmar, mercredi 27 octobre 03 89 79 60 44 m Au Salon, on le rencontrera à l’Espace TaPage dimanche 28 novembre à 14h www.davidsala.com

Cap au Nord

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our sa 21e édition, le Salon du Livre de Colmar prend pour thème Les écrivains venus du froid. Auteurs russes, exploration du vaste continent qu’est le polar nordique, aventures polaires… Près de 250 stands pour une manifestation multiforme où les têtes d’affiche (Loustal, Fatou Diome ou Pia Petersen dont le très beau Une Livre de chair est sorti cette année chez Actes Sud) voisinent avec jeunes pousses et auteurs régionaux dans une ambiance détendue. m À Colmar, au Parc des Expositions, samedi 27 et dimanche 28 novembre entrée libre — 03 89 24 48 18 www.salon-du-livre-colmar.com


DANSE – STRASBOURG

SomeBody is perfect À l’occasion du festival IMPRéVU, portrait de Marjorie BurgerChassignet, directrice artistique – avec Galaad Le Goaster – de la compagnie SomeBody qui organise l’événement.

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arjorie a-t-elle choisi la danse ou la danse a-t-elle choisi Marjorie ? En tout cas, le « Je serai danseuse », lancé à l’aube de l’année 2000 après la résidence de Mark Tompkins à Strasbourg ne fut pas lettre morte pour cette jeune fille, auréolée d’une tignasse rousse, pugnace et sauvageonne, au regard clair et limpide. Comme un « petit rat de l’opéra », sa voix était tracée… même si elle arpente plutôt les chemins de traverse depuis sa rencontre avec la composition instantanée et la post modern dance*. Sa formation ? Transversale, auprès de Julyen Hamilton surtout, chantre et maître d’une réflexion sur l’imprévisible, la marge et les frontières dans la danse. Ni chapelle, ni école pour songer au lien, au corps et au mouvement qui modèle et modélise le rapport à soi-même, aux autres et au monde. Marcher, parler, penser… La poésie peut encore trouver un écho direct avec l’expérience chorégraphique de l’instant et devenir chair. Ce qui la préoccupe ? La rencontre entre danse et matière sonore, entre composition instantanée et spoken word, entre le fran-

çais et l’américain, entre les années 1960 où beaucoup de choses se sont fracturées dans la danse et son cours historique. Son œuvre chorégraphique emblématique, The Art of dead birds, ressemble à un espace de convergences et de contradictions, poreux et sensoriel. La pièce fonctionne comme un manifeste de la compagnie SomeBody, fondée en 2005 avec Galaad Le Goaster. Dans son art, Marjorie Burger-Chassignet se nourrit d’autres pratiques : musique, poésie, cinéma… La responsabilité de l’interprète est engagée, sa conscience du temps, de l’espace, de la dramaturgie et de la structure interne d’une pièce y prend source et sens. Son credo ? Faire de SomeBody un creuset de recherche sur l’anatomie vécue et la perception comme supports principaux de l’imaginaire. Également bâtir un répertoire, organiser des événements mêlant chorégraphies et autres arts, et promouvoir la danse hors des théâtres (au CHU de Strasbourg, par exemple). Enfin, elle parle de pédagogie, de transmission et de sensibilisation avec bonheur et efficacité. Discrète mais persuasive, charmeuse mais travailleuse, la chorégraphe se taille une réputation de

défricheuse à l’esprit collectif, fédérant les énergies à la manière d’un groupe de rock. Marjorie milite pour une danse en lien avec la vie de ceux qui la regardent, afin d’être toujours réactive, légère, mobile… Déconcertante et concentrée, elle va sur des « territoires inenvisagés » et affirme sereinement : « La voix guide le corps et est guidée par lui, vivant dans le son tandis que la chair même de la danse creuse son sillon dans une matière commune, un espace commun et un temps théâtral. » * Courant apparu aux USA dans les années 1960 qui revendique la liberté du mouvement et la singularité de l’interprète Texte : Geneviève Charras Photo : Jean-Philippe Senn

m La compagnie SomeBody présente la deuxième édition du festival IMPRéVU (danse, musique et performance) à Strasbourg, au Hall des Chars du 11 au 13 novembre 03 88 22 46 71 – www.halldeschars.eu

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THÉÂTRE – COLMAR

Saga africaine Créée en 2008 au Théâtre BlonBa de Bamako, Caterpillar est une pièce sociale sur le sort des petites gens, signée Hawa Demba Diallo.

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ares sont les occasions de découvrir le théâtre africain en France. Encore baigné de tradition orale dans laquelle le griot est le passeur des récits, l’acte théâtral s’impose pas à pas dans le paysage. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la parole portée par l’auteure Hawa Demba Diallo est, comme le dit JeanLuc Baillet, directeur du Centre culturel français de Bamako, « un combat ». Caterpillar conte le quotidien de Sèba, une “52”, surnom donné aux aides ménagères – petites bonnes venues de villages de brousse – en référence aux fripes dont elles sont vêtues et qui ressemblent à la mode de 1952. Violée par le fils de sa patronne puis mise à la porte lorsqu’elle se retrouve engrossée par son salaud de patron, elle n’ose retourner, honteuse, dans son village. La jeune femme trouve alors refuge dans une cabane branlante de fortune, faite de bouts de bois et de

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plastique bleu assemblés au beau milieu d’une décharge sauvage située en périphérie de la capitale malienne. Le destin va la faire rencontrer Aliou dit “Caterpillar”, Malien expulsé de France qui est chargé de nettoyer, avec son engin, le terrain vague. À ce duo qui se lie d’amitié, s’ajoute Bijou, enfant de la rue laissée-pour-compte. Ensemble, ils recomposent une idée de la famille face à une misère tant sociale qu’affective, que l’arrivée du bébé de Sèba chamboulera, une nouvelle fois.

Voix des sans voie Écrit lors de résidences communes d’auteurs dramatiques francophones venus d’Afrique et d’Europe, ce texte « radical, sans concessions, livre au public les tabous de la société malienne : le viol, l’exclusion, la prostitution des jeunes femmes, la précarité urbaine », explique Jean-Luc Baillet. Sa grande force réside

dans sa langue : un français imagé, populaire, réinventé, argotique, poétique… « Un autre français créolisé par les gens d’en bas » et qui ne manquera pas de provoquer le rire, l’étonnement et parfois l’incompréhension. Autant d’éléments qui ont séduit Claude Yersin, ancien directeur du Nouveau théâtre d’Angers, engagé dans des collaborations avec des artistes du continent africain. La sobriété de sa mise en scène tranche avec la volubilité et le charisme d’interprètes criants de vérité. Loin de tout écueil misérabiliste ou démago, le portrait esquissé d’une frange délaissée de la société africaine séduit par sa vigueur, sa dureté et sa simplicité. Texte : Irina Schrag Illustration : Loïc Sander

m À Colmar, à la Comédie de l’Est, lundi 22 et mardi 23 novembre 03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com


10.10.10 – 16.01.11 ER OL K L O F

MARIA THEREZA ALVES ALEXANDRA BIRCKEN JEAN-LUC CRAMATTE COLLECTIF DOP

+ PROJECT ROOM Nº 8 : MAIS GODARD C’EST DELACROIX / PLAN 3 THE PLUG + JULIEN LESCOEUR UNE PROPOSITION DE DIXIT

JEAN-DAMIEN FLEURY LUCA FRANCESCONI CHARLES FRÉGER SUSAN HILLER LA MÉTHODE BERNADETTE TIMO NASSERI AMY O’NEILL VANESSA SAFAVI ELÉONORE SAINTAGNAN ANA STRIKA

Le CRAC Alsace bénéficie du soutien de : Ville d’Altkirch / Conseil Général du Haut-Rhin / Conseil Régionald’Alsace / DRAC Alsace - Ministère de la Culture et de la Communication ainsi que du club d’entreprises partenaires du CRAC Alsace – CRAC 40 L’exposition Folklore ? bénéficie du soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la Culture et du Canton de Fribourg

CRAC ALSACE

CRAC Alsace – 18 rue du Château F-68130 Altkirch + 33 (0)3 89 08 82 59 / www.cracalsace.com Image : Sylvesterklaus 2010 - Urnasch (Appenzell Rhodes-Extérieures), photo Luca Francesconi

idée Nord

du 9 > 20 novembre Mise en scène Benoît Giros

D’après la dramatique radio The Idea of NorTh réalisée par Glenn Gould en 1967

03 88 24 88 24 / www.tns.fr


PHOTOGRAPHIE – Colmar & GuebWiLler

Pictures of You Dans le cadre de la session d’automne de son festival Supersounds, Hiéro Colmar propose une double expo de Richard Bellia, fan de Cure devenu photographe de rock stars.

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hotographe depuis une trentaine d’années, aujourd’hui pour Rock&Folk ou Arte, Bellia est connu pour son œil. Fou des Cure, Clash ou Stones, Richard a aussi l’oreille. Évoquons également le parlé franc et le sens de la formule de celui qui, sur son site, signe des textes aux titres brut de décoffrage (“Rencontre avec le propriétaire de la bite photographiée par cet escroc de Warhol pour la pochette de Sticky Fingers”) et commente quelques-unes de ses images de manière cinglante (à propos de Sinsemilia : « Mecs sympas, musique stupide »). Richard Bellia tombe dans l’univers de la musique fin 1970, début 1980 grâce à Poste restante, « passionnante émission d’obédience rock » de Jean-Bernard Hebey sur… RTL. « Faut pas croire que c’était des babas cool à l’époque », cet OVNI sur les ondes « tous les dimanches après-midi semblait venir de nulle part ». Richard fait ses premiers clichés, la photo devenant le moyen d’entrer en contact avec les artistes (« un appareil meuble la conversation »), d’aller en backstage. D’entrer notamment dans les loges des Cure qui lui rachètent ses photos 25 ans plus tard pour la réédition deluxe de leurs albums en 2005. Il participe alors à différents fanzines, dont un tenu par un certain Denis Robert, « le mec qui a fait sauter Villepin avec l’affaire Clearstream… et qui n’avait jamais de thunes pour payer ses photographes », dit-il, irascible. 1985. Richard s’installe « chez les Anglais » et travaille pour Melody Maker, pas au New Musical Express « qui détestait les Cure ». Il ne s’en rend pas compte, mais Bellia vit alors une époque formidable : « Quand mon coloc’, maquettiste au NME, me disait “J’ai récupéré le nouveau remix des Happy Mondays”, on se disait “Ouais, on va s’ouvrir une bouteille de

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Jack et se faire un pét’” ; on ne se prenait pas dans les bras en disant “Putain, dans dix ans, on pourra dire qu’on y était”. » Pixies, Sugacubes, Sonic Youth, les sorties du label 4AD… Richard s’abreuve de musique et fréquente assidûment les salles de concert londoniennes avec seulement quelques pounds en poche. « Aujourd’hui, si tu vas à Rock en Seine sans ta CB, tu oublies ! » Nostalgique ? « Forcément, un photographe est dans une forme de nostalgie : une photo raconte une période qui a eu lieu », dit celui qui évite de radoter sur ses moments passés avec Shaun Ryder des Happy Mondays ou Robert Smith. « Mes prochaines photos seront tout autant intéressantes ! » Il aime toujours « frotter sa créativité à celle des musiciens ». « Pen-

« La trouille d’avoir planté une photo est géniale car elle n’appartient qu’à toi » ser comme ça, c’est avoir dans sa tête une liste de choses que tu dois t’interdire. Par exemple, faire poser des artistes devant un panneau débile avec des ailes d’anges peintes ! », cite-t-il en exemple vécu. « Là, on est dans l’irrespect le plus complet de son modèle : c’est une série, c’est une collec’. T’es un con qui s’adresse aux musiciens pour la mauvaise raison car tu ne racontes rien d’eux. » Iggy Pop se tortillant comme un ver, Lee Scratch Perry se mettant en caleçon sur une tombe, Keith Richards faisant la trogne… La recette d’une photo réussie ? Tout simplement une bonne lumière, un bon cadre, un petit quelque chose dans les yeux du modèle. Puis, il y a ce délicieux moment de montée d’adrénaline, la frousse d’avoir raté son cliché. « Les mecs avec

des numériques qui froncent les sourcils en regardant le cul de l’appareil et bougeant leurs pouces comme sur un joystick, c’est un tue l’amour ! La trouille d’avoir planté une photo est géniale car elle n’appartient qu’à toi », insiste ce Lonesome Cowboy de l’argentique qui, il y a trois ans, a autoédité son livre de photos, Un œil sur la musique 1982-2007*. Richard a tout géré, de l’écriture des textes aux ventes, en passant par le stockage des ouvrages. C’est sa liberté. Être seul responsable de son succès ou de ses échecs. En vente sur www.richardbellia.com au prix de 65 €

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Texte : Emmanuel Dosda Photo : Richard Bellia (Robert Smith, The Cure in Greece 85)

m Exposition dans le cloître des Dominicains de Guebwiller du 5 au 20 novembre, et à l’Hôtel du département du Haut-Rhin à Colmar du 9 au 20 novembre, dans le cadre du festival Supersounds www.hiero.fr – www.les-dominicains.com

Rock & Folk Cette session automnale du festival Supersounds a lieu du 4 au 20 novembre à Colmar (Grillen, Lézard, Musée du Jouet…), mais aussi à Guebwiller (Dominicains) ou Strasbourg (Stimultania). Ciné-concert sur Faust de Murnau par Rami & Bachar Khalifé, musique math-rock avec les Nantais de Chevreuil, folk en solitaire grâce à l’Américain Turner Cody, pop made in USA (Wild Nothing), rencontre rock-folk nanto-lyonnaise (Zëro VS The Healthy Boy) ou rock-soul ibérique (Tokyo Sex Destruction)… 03 89 41 01 81 http://supersounds.hiero.fr



En voir de toutes les couleurs Pôle Sud accueille le Japonais Hiroaki Umeda pour deux pièces. Artiste visuel plutôt que chorégraphe, performer plutôt que danseur, il nous invite dans son univers polychrome.

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enu tardivement à la danse classique et au hip-hop, Hiroaki Umeda (né en 1977) propose des pièces chorégraphiques – principalement des solos – ressemblant à de véritables installations, à la fois visuelles et sonores, dans lesquelles l’artiste déploie une gestuelle très personnelle. Si les propositions esthétiques placent sa danse au cœur de la matière électronique et des mutations technologiques numériques, Hiroaki Umeda entend y révéler les traces persistantes d’une humanité. Sa pièce Adapting For Distorsion (2008) s’inspirait déjà de l’art cinétique, s’appuyant sur ses développements les plus récents. Distorsion du temps, altération du mouvement et de l’immobilité étaient au cœur d’une création utilisant des effets d’optique pour

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« élargir le champ de représentation de la danse et interroger le rôle de la perception visuelle ».

Couleurs & Lumières Dans la soirée qui lui est consacrée à Pôle Sud, Haptig (2008) est un solo qui délaisse l’informatique et la vidéo pour privilégier la lumière et la couleur. Au plus loin des associations qui lient communément le prisme chromatique et les stimuli physiologiques (rouge / colère, bleu / apaisement), Umeda se concentre sur « l’aspect physique de la perception de la couleur, non pour la montrer en elle-même, mais pour donner corps aux relations qu’elle entretient avec la danse ». Cet artiste pluridisciplinaire, à la fois auteur et interprète, compositeur et vidéaste, est atypique sur

la scène actuelle. Un univers unique, une signature plastique sans égal. Son art est à la fois minimal et radical : la danse demeure dans le noyau de la matière électronique et numérique. La lumière est une partenaire à part entière et fait de notre artiste une interface qui dialogue avec les différents médias avec grâce.

Technique & Poétique En expert des nouvelles technologies, il métamorphose son espace de représentation et nous convie à une cérémonie explorant les capacités d’investigation de ces outils. La technique est brillante, mais se fait vite oublier au profit d’une incroyable intensité. Faisceaux lumineux, zébrures, rayures. Autant de tensions lumineuses sur le plateau qui révèlent ou font disparaître


les corps. De là naît un graphisme abstrait, fragile, éphémère, qui tend à brouiller les pistes de la perception visuelle. Aucune tranquillité dans ces paysages ou compositions qui apparaissent et disparaissent, laissant leur rémanence opérer sur notre rétine, parfois malmenée par tant de flux

« La création telle que je la conçois résulte d’une tentative d’incarner des choses qui ne peuvent être verbalisées » et de reflux éblouissants, vifs, rapides, cinglants. Les corps émergent de ces effets spéciaux multiples, comme autant de radeaux voguant dans une marée tumultueuse et sauvage. Un art du mouvement jaillit de cette osmose entre surfaces mobiles et réfléchissantes que deviennent les danseurs et le plateau offert à la déferlante

des couleurs et des signes géométriques. Les gestes sont tétaniques, rapides, saccadés et obéissent à une plastique des corps sèche et virulente. Proche de l’esthétique du hip-hop, froide et distancée, violente, électrique.

Construction & Improvisation La seconde pièce, 2. repulsion (2010), est une chorégraphie tonique pour trois danseurs hip-hop. L’écriture est sobre et forte, révélant l’incroyable inventivité de l’artiste ainsi que la richesse du vocabulaire gestuel et la complexité de la syntaxe née de la combinaison de son alphabet corporel. La répulsion n’en est que plus attractive et l’adhésion cathartique opère avec bonheur pour une communion de corps entre danseurs et spectateurs. Partage d’intenses instants de danse, de mouvements infimes parcourant la surface des corps animés par l’énergie de la peau, des muscles convoqués pour faire apparaître une chorégraphie de surface venue du fond de la matière corporelle. Umeda cherche à révéler ce qui reste d’humain quand on est plongé au cœur des mutations technologiques.

À l’origine de son travail, « l’impulsion » et « la couleur lumineuse ». « Je n’ai pas de mots pour les décrire : la création telle que je la conçois résulte d’une tentative d’incarner des choses qui ne peuvent être verbalisées. C’est, et cela devrait rester, un facteur déterminant dans mon désir de continuer à faire des pièces. [Ses] chorégraphies reposent presque entièrement sur l’improvisation. Le processus créatif démarre avec l’élaboration de l’environnement-son, -lumière, -vidéo dans lequel la chorégraphie proprement dite va s’inscrire. C’est à partir de là que je discerne la direction que je dois effectuer. La pièce peut alors exister. Elle est terminée au moment où elle est présentée pour la première fois devant un public. » Texte : Geneviève Charras Photos : Shin Yamataga

m À Strasbourg, à Pôle Sud, mardi 23 et mercredi 24 novembre 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr (et http://hiroakiumeda.com) m Master class, lundi 22 novembre, à 18h30 à Pôle Sud

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Artiste associé

Marqué au fer

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Depuis 2009, La Filature a fait du metteur en scène belge Arne Sierens, un artiste associé. Découverte d’un auteur en quête de vérité.

Après la trilogie composée pour sa Compagnie Cécilia* – Marie Éternelle consolation, Mariages et tribunaux & Tous des gagnants – qui nous emmenaient à la rencontre de personnages ballotés entre misère et chagrin, il présente sa dernière création : Schöne Blumen. Ses “belles plantes” travaillent pour la plupart dans des clubs privés, hôtesses nocturnes excitantes pour mâles en manque d’extases éphémères, barmaids célibataires en quête d’amour, tiraillées par leurs envies d’ailleurs et l’incapacité chronique qui les fait user, vaille que vaille, de leurs charmes pour survivre. Totalement dénuée de fards et de paillettes, l’humanité ici décrite se pare du vernis d’un réalisme langagier, oscillant entre poésie du quotidien et humour absurde, inquiétude de l’incer-

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titude, rêves pavés d’illusions. Fils d’un romancier et critique de cinéma, Arne Sierens est le génial ordonnateur du dialogue entre les âmes de ses personnages et du public. Son écriture explosive émeut par sa simplicité, tout autant qu’elle ébranle par son réalisme social. Preuve, s’il en fallait, qu’il en va du théâtre belge comme du cinéma et que ce petit pays est, somme toute, bien plus grand qu’il ne le croit.

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* Une compagnie régulièrement invitée, elle aussi, à La Filature puisque nous avions pu découvrir Sœur sourire, mis en scène par Marijke Pinoy, en février (voir Poly n°131) Texte : Irina Schrag

m Tous des gagnants, à Thionville (57), au Nord Est Théâtre, du 4 au 7 novembre 03 82 82 14 92 – www.nest-theatre.fr m Schöne Blumen, à Mulhouse, à La Filature, vendredi 12 et samedi 13 novembre (Arne Sierens donnera une conférence, Arne joue du cinéma, samedi 13 novembre à 17h) 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org

LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

sant une grande place à l’improvisation des interprètes et artistes invités qui nourrissent, par leurs propositions, son écriture scénographique et textuelle.

Schöne Blumen © Guido Vrolix

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rugse Poort, 1959. Dans cette cité ouvrière de l’ouest de Gand grandit Arne Sierens. « Un endroit où la condition humaine devient visible », révèle-t-il. « Là, n’habitent pas de dieux, mais des paumés. On n’y voit pas de tragédies, mais des mélodrames. » Comme la banlieue industrielle de Liège pour les frères Dardenne, ce quartier populaire flamand le marque à tout jamais. Son ancre dans les flots du monde. Nourri de théâtre et de contreculture, celui qui sera chanteur dans le groupe punk Perfectone – fondé avec son frère Sven et leur ami Johan De Smet – devient en moins de deux décennies un des grands « faiseurs de théâtre », terme qu’il préfère à celui d’auteur. Il faut dire que depuis sa première compagnie (La Misère Insidieuse) jusqu’à ses créations avec Alain Platel (l’un des fondateurs des Ballets C de la B à Gand) qui feront sa renommée, Arne Sierens développe, pour chaque pièce, un travail de plusieurs mois lais-

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S


e e l a t i enn Cap é p ro

Orchestre

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PHILHARMONIQUE dE STRASBOURG ORcHESTRE NATIONAL

Marathon 2010

StravinSky / Prokofiev

LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

Jeudi 18 novembre 20h30 Vendredi 19 novembre 20h30 Strasbourg PMC Salle Érasme • Dima SloboDeniouk Direction • Alexander TorADze Piano

Samedi 20 novembre 17h et 20h45 • l’odyssée Stravinsky Strasbourg Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse Dimanche 21 novembre 15h et 18h30 • l’odyssée Prokofiev Strasbourg Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse

SaiSon 2010>2011

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

experts-comptables


SPECTACLE MUSICAL – STRASBOURG

La vie en rouge Découverte en concert l’an passé au Maillon, l’auteure-compositrice-interprète Claire Diterzi revient avec Rosa La Rouge, spectacle musical autour de la vie de la révolutionnaire allemande, Rosa Luxemburg. Entretien. Que représentait, pour vous, Rosa Luxemburg avant cette collaboration avec le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo ? C’est lui qui m’a proposé de travailler sur ce personnage. J’ai beaucoup lu sur elle car je la connaissais peu. J’ai aimé l’authenticité, le courage, l’intégrité, l’obstination et la générosité de cette femme engagée, qui a sacrifié sa vie personnelle à sa vocation politique, quitte à passer des mois entiers en prison et à finir assassinée. Est-il important de porter sa parole – radicalement engagée pour la révolution et pour la démocratie qui primait, à ses yeux, sur tout – dans le monde d’aujourd’hui ? Nous vivons une époque où un artiste doit être rentable, où tout est vulgarisé et tiré vers le bas, donc je trouve important de revenir à la passion, à des choses entières comme celles-là. Le consensualisme actuel où l’offre artistique est démentielle par rapport à la demande fait que nous perdons nos repères qualitatifs. Rosa Luxemburg est sûrement trop radicale, mais se confronter à des personnalités fortes fait du bien, surtout quand on voit les chanteurs plus soucieux de passer à la télé et à la radio pour vendre des disques que de développer un réel propos artistique. Dans Touch the mass, vous chantez : « Je n’veux pas pas me fondre dans la masse / Moi je veux toucher la masse. » C’est ça l’esprit de Rosa Luxemburg aujourd’hui : réaliser un hold-up mental en se battant contre la musique mainstream et la rentabilité, mais de l’intérieur,

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SPECTACLE MUSICAL – STRASBOURG

en utilisant ses codes tout en gardant un message engagé ? C’est tout ça à la fois. Le spectacle débute par cette chanson drôle et décalée. En l’écrivant, je me suis constamment amusée à comparer mon parcours de chanteuse contemporaine à celui de cette femme qui n’avait rien à voir avec l’art. Cent ans séparent nos naissances. Elle avait besoin de sillonner la Pologne et l’Allemagne pour porter son discours auprès des ouvriers et mineurs. Comment toucher la masse est une question qui résonne en moi.

« Rosa Luxemburg est à la fois dans le passé, le présent et l'avenir. Elle veut tout, prend tout et on lui donne tout ! » Claire Diterzi

De mon côté, j’ai beaucoup joué des codes du R’n’B commercial à base de vidéos très chaudes dans le spectacle où des danseurs en petite tenue se caressent. Indirectement, j’interroge de manière critique : faut-il absolument montrer son cul et être vulgaire comme Lady Gaga, pour atteindre les masses ? Le spectacle mélange son engagement historique et des éléments de sa vie amoureuse. Vous aviez besoin de cette dimension plus intime avec elle ? Il n’était pas question de faire un spectacle politique sur le communisme, le trotskisme, le capitalisme… Ce n’est pas cette part d’elle-même qui m’a plu. Elle évoluait dans un milieu complètement macho et viril où les femmes ne faisaient pas de politique ! Piocher dans sa vie privée, raconter ses sacrifices, tout ce à quoi elle a renoncé (avoir des enfants, un appartement…) parce qu’elle s’est mise en danger pour des idées avant-gardistes. À plusieurs moments, nous revenons sur ses amours : les bons moments comme les choses qui l’ont fait souffrir.

Dans ses lettres de prison, elle écrit : « La beauté trop formelle devient une grimace. » Cette idée aurait pu guider la création visuelle du spectacle ? Ça me plaît ça ! Ç’aurait pu être le fer de lance du spectacle car lorsqu’on est trop dans la séduction, on vire facilement vers la vulgarité et le néant. Nous avons recherché l’intériorité plutôt qu’un esthétisme formel. Qui a conçu la Kalachguitare ? C’est un graphiste polonais rencontré il y a quelques années : Michal Batory. Quelqu’un que j’admire beaucoup. En écoutant ma musique et en lisant le projet, il a eu cette idée et a fabriqué de ses mains cet objet. Cellule 45 est composé à partir des fins de nombreuses lettres qu’elle a écrites en captivité. Vous y associez des sons entêtants d’univers carcéral : bruits sourds de geôles, pas, clés. On découvre l’espoir sans faille d’une femme pourtant enfermée. Parlez-nous de ce recours à une construction poétique… Plutôt que d’aller dans le pathos et le larmoyant, je me suis tournée vers la rage de vie, la violence. Sur scène, ce morceau monte en puissance, porté par un rythme obsessionnel, et je deviens folle. Rosa Luxemburg devient folle en tapant dans le décor. On sent la prison qui se ferme mais elle ne sombre pas, reste à flots, dit son espoir. C’est très beau… Il y a de nombreux clins d’œil dans vos fins de chansons, à L’Internationale, aux sept nains, à Ikéa… Une dose d’humour et de cynisme ? Le spectacle est à la fois très poignant et drôle car c’était une femme qui aimait la vie. Son destin tragique de martyre ne doit pas nous faire tomber dans le sentimentalisme à outrance. On s’est donc servi de son énergie, de son courage, de son charisme… Cela donne une énergie et un optimisme incroyables. Lorsque je détourne les symboles communistes comme L’Internationale, je montre que ce ne sont pas forcément mes idées politiques.

Je me suis aussi amusée à trouver une version polonaise de l’air que sifflent les sept nains – d’authentiques travailleurs ! – dans Blanche Neige. Comment traduisez-vous la vision internationaliste de Rosa Luxemburg qui était contre tout nationalisme ? Dès le début, elle est cosmopolite. Le spectacle est à la fois dans le passé, le présent et l’avenir. Ni biographique et rétro, ni didactique, mais plutôt avant-gardiste. Quand j’ai besoin de taper dans l’opérette, le R’n’B, la drum & bass ou carrément la musique electro voire techno, je n’hésite pas. C’est une façon de dire qu’elle n’a pas d’âge. Après il y a des chants en polonais, en anglais, en allemand… qui rappellent qu’elle ne connaissait pas de frontière. Rentrer dans la peau de cette femme m’a pris deux ans. Elle veut tout et on lui donne tout ! C’est drôle, puissant, émouvant, beau et un peu grinçant… Propos recueillis par Thomas Flagel Photos : Michal Batory

m À Strasbourg, au Maillon-Wacken, vendredi 26 et samedi 27 novembre 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com www.myspace.com/diterzi

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Carte blanche à Éric Genetet

Sébastien Loeb s’achètera-t-il une conduite ?

Je ne sais pas vous, mais moi ça m’énerve. Quand j’aperçois le pilote alsacien, dans Stade 2, par exemple, j’ai l’impression de voir la même chose depuis dix ans. Un virage, un bruit de moteur, un nuage de fumée… On passe au foot. Loeb est le seul sportif français élevé au rang de star qu’on ne découvre pas en action et en direct. Quasiment pas d’images, pas de DVD en vente après sept titres mondiaux. Circulez, y’a rien à voir. Heureusement qu’il fait de la pub ! Là, on le voit bien, très bien même. Bien trop ? De plus, pas vraiment besoin de s’intéresser à lui pour savoir s’il a gagné, il l’emporte (presque) toujours… Et c’est là le problème. L’homme qui boit de la Carola lève les bouteilles de Champagne si souvent qu’il banalise la victoire. Il est tellement fort qu’il réduit le succès à une simple formalité. Raymond Poulidor peut dormir tranquille, l’homme qui commence sa journée avec un baume énergisant Mennen n’est pas prêt de lui faire de l’ombre. Les records tombent comme des douches. Sept titres mondiaux. Monstrueux. Mais, l’homme qui entretient sa Citroën, le dimanche matin comme tout le monde chez Éléphant Bleu, après une bonne partie de PlayStation, est en train de nous dégoûter de la victoire. Maintenant, quand je perds au tennis, ça me fait du bien. Le Henri Leconte qui sommeille en moi peut dormir tranquille. L’homme qui porte une chemise Mise au Green n’est pas près de devenir la personnalité préférée des Français. Le nº1 c’est Noah. Lui, il a tout compris depuis longtemps. Une victoire dans un tournoi du Grand Chelem, une seule. Prenez-en de la graine, Monsieur Loeb. Mais y’a pire, comme le dit Sébastien Keller, l’auteur du livre : « Il est honnête, simple et droit ». N’en jetez plus, c’est insupportable… Je suis certain que des types comme Bernard Tapie, Marine Le Pen ou Raymond Domenech sont à la limite de la nausée lorsqu’ils regardent la télé au moment de la pub. Tous ces bons sentiments qui font passer Loeb pour un modèle aussi lisse qu’une carrosserie d’une C4 WRC, ça fait mal au ventre. Derrière ce sourire éculé, il n’a pas une petite sortie de route ? Pas un pétage de bougie ? Une demande de mariage en direct après une défaite ? Un mot plus haut que l’autre ? Une Zizou ? Le n°10, lui, a eu la décence de mettre

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un coup de boule à Materazzi, ce qui l’a privé d’un deuxième titre mondial. Ouf, un exemple pour la jeunesse. Zizou est n°2 au Top 50 JDD. Prenez-en de la graine Monsieur Loeb. Alors, cool Sébastien (c’est vrai, vous avez l’air tout tendu dans les pubs), pas la peine de vous acheter une conduite, de passer pour un homme exemplaire. Ah ! On me dit dans l’oreillette que je dois arrêter de chercher des noises à l’Alsacien le plus connu dans le monde des gens connus, parce que Sébastien Loeb est vraiment quelqu’un de bien… Je n’en doutais pas une seconde chrono. Mais, un type bien peut devenir autre chose qu’une icône de la pub, non ? Même s’il joue l’apparence dans le spot Allianz, Sébastien Loeb n’accorderait pas d’importance aux apparences ? Bonne route à vous Monsieur Loeb, malgré ce qu’en pensent les défenseurs de la nature, vous êtes premier au Top 50 de la région. Le vrai développement durable pour l’Alsace, c’est vous. La pub, c’est pour bientôt ?

© Geoffroy Krempp

L’

homme à la casquette Red Bull est le sportif préféré des Français, derrière Sébastien Chabal… mais ne figure pas au palmarès du Top 50 établi par le JDD, véritable baromètre de la popularité dans l’Hexagone. Sébastien Loeb a profité de son passage dans son Alsace natale pour conduire un peu vite, asseoir sa domination en rallyes et présenter Ma ligne de conduite, livre écrit en collaboration avec un autre Sébastien, journaliste aux DNA.


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30.09.2010

15:13 Uhr

Kurhaus Baden-Baden

Welttanz-Gala

Gala de danse Rendez-vous des champions du monde suivi par un bal avec le fameux orchestre Erich Erber

Le 06 novembre 2010, 20h Bénazet-Saal

Silvester Dinner Ball Le Bal de Réveillon – une belle façon de commencer la nouvelle année Chris Genteman Group Casino Band Baden-Baden Eurocats

Le 31 décembre 2010, 20h Bénazet-Saal

Réservation: Tourist-Information Baden-Baden · Tél. 0049 7221-275 233 i-Punkt in der Trinkhalle · Tél. 0049 7221-93 27 00 Réservation sur internet: www.badenbadenevents.de Renseignements: Baden-Baden Events GmbH Tél. 0049 7221-275 275

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Une ville vue par une critique d'art

Bucarest /Irina Cios Irina Cios, critique d’art et commissaire d’exposition, a sélectionné pour Apollonia et St-Art des œuvres qui reflètent le bouillonnement artistique roumain et parlent de Bucarest, encore marquée du sceau Ceausescu.

I

rina Cios, directrice du Centre International pour l’Art Contemporain (CIAC) de Bucarest, est très active dans le milieu culturel roumain. À Strasbourg, la voilà curatrice de deux expositions, dans le cadre d’e.cités1 : Transitions urbaines, à l’Espace Apollonia, et Multi_pli_cités–Photographie contemporaine, à l’occasion de la foire européenne d’art contemporain St-Art. La co-auteure de l’ouvrage La photographie dans l’art contemporain – tendances roumaines après 1989 a sélectionné des plasticiens roumains qui interrogent leur époque et, pour la plupart d’entre eux, la ville de Bucarest, sorte de mosaïque urbaine imprégnée de l’histoire du pays, du communisme, puis du libéralisme.

églises, certaines demeures jugées trop “bourgeoises”, tout en édifiant un palais en son honneur, la Casa Poporului (Maison du Peuple), reprenant les codes de Versailles, ainsi que des bâtisses façon nord-coréenne sur de nouvelles artères. Résultat : des édifices démesurés et un grand n’importe quoi urbanistique. Un tohu-bohu architectural qui reste, aujourd’hui encore de mise, « mais au profit des promoteurs immobiliers – et plus du parti communiste – qui jouissent du manque législatif », s’indigne Irina Cios. Ce qui ferait dire à certaines mauvaises langues que Ceausescu serait ravi de constater que toutes ses incohérences ont toujours court.

Construction, dévastation…

Les artistes ont, sous le régime, représenté les chantiers ou les immeubles d’habitations collectives, mais soit de manière idéalisée, soit clandestinement, car tout regard critique était censuré. Les peintres ou photographes “officiels” s’évertuaient à « illustrer le succès de la société socialiste en cours de déve-

Sous Nicolae Ceausescu, au pouvoir de 1965 à 1989, Bucarest connaît la destruction de quartiers entiers pour effacer le passé et privilégier des expressions de type fonctionnaliste socialiste. Le tyran mégalo tente de redéfinir l’architecture de la ville, fait démolir des

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Dans la peinture ou les arts graphiques…

loppement ». Après la chute du régime, Bucarest devient sujet de réflexion. Décembre 1989. Alors que la photo et la vidéo se démocratisent enfin, la ville devient un sujet largement exploré. Fresque vivante, elle permet aux artistes « l’observation directe des changements profonds au niveau de la société, ainsi exposés à l’épiderme ».

Le principe de l’irrégularité

L’artiste Iosif Király 2, qu’Irina Cios a convié à Strasbourg, analyse cette structure multifacette de la ville. Dans sa série Reconstructions (présentée à Strasbourg), il superpose des images, des espaces, des temps… Sa démarche fait appel à la manière dont l’individu structure sa mémoire. En compagnie de Cãlin Dan (en résidence à l’Ésad et à l’École d’archi du 2 au 5 novembre) au sein du collectif subREAL, il a “interviewé” des monuments de Bucarest, les “interrogeant” comme des personnalités, dès les années 1990. « Bucarest est dirigée par le principe de l’irrégularité. » Les bâtiments de la capitale roumaine ont beaucoup de choses à dire


Reconstruction - Bucarest - Europe Day_2, 2004

aux artistes. Recherche de son identité, relation entre l’espace et le temps… À chacun ses thématiques, son langage, son type d’approche. Mais la ville sert bien souvent de cadre, voire de « personnage » principal à leurs œuvres.

Bucarest en 2010

Un eldorado pour les artistes et l’art contemporain ? Dotée de nombreuses structures (le Musée d’art contemporain, des centres d’art – le CIAC, le Centre d’Introspection Visuelle, etc. –, une dizaine de galeries d’art contemporain présentes aux foires internationales3), la ville connaît beaucoup d’initiatives, même si le monde de l’art rencontre d’importantes difficultés financières, la

crise n’arrangeant pas les choses. Et que les collectionneurs roumains, encore trop frileux, s’intéressent trop peu à la photo ou la vidéo, privilégiant les médiums “classiques”, peinture ou sculpture. D’ordre général, « c’est une ville qui pourrait avoir un profil culturel mieux défini », déplore Irina Cios. « Énergique, dynamique », elle ne cesse cependant de renforcer les relations avec le reste de l’Europe. Attrayante, « elle a les repères des cités de l’Ouest, avec cet esprit flâneur de l’Orient ». C’est la ville de tous les possibles. Ateliers d’artistes, clubs où s’expriment des DJ’s en vue, quartiers touristiques ou vraiment malfamés… « Bucarest est quelque part entre Paris et Bombay. »

1 Projet initié par Apollonia qui rassemble une série d’événements, durant le mois de novembre, autour d’une ville – cette année Bucarest. Rencontres, projections, résidences (à l’Ésad et l’Ensas) et expositions, à l’Espace Apollonia et ailleurs dans la ville (l’Institut Culturel Italien, etc.) – www.apollonia-art-exchanges.com 2 www.iokira.com 3 http://noapteagaleriilor.ro

Texte : Emmanuel Dosda Photos : Iosif Király

m Transitions urbaines, à Strasbourg, à l’Espace Apollonia, du 5 au 30 novembre – 03 88 52 15 12 www.apollonia-art-exchanges.com Multi_pli_cités – Photographie contemporaine, à Strasbourg, au Wacken, sur le stand Apollonia lors de la quinzième édition de St-Art, foire européenne d’art contemporain, du 26 au 29 novembre www.st-art.com

Reconstruction - Bucarest, Calea Victoriei - Str. Gh. Manu, 2007

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Littérature

Au pays des aigles À l’occasion de la sortie de deux livres, un chacun, la Librairie Kléber reçoit le couple Kadaré, Ismail et Helena. À la rencontre d’un écrivain mondialement célèbre et de son épouse.

À

l’heure où nous écrivons ces lignes, les pronostics pour le Nobel de littérature (attribué jeudi 7 octobre) vont bon train : chez Ladbrokes, le favori est le poète suédois Tomas Tranströmer (4/1). Le dernier de la liste se nomme Bob Dylan (150/1). Ismail Kadaré (né en 1936) – annoncé depuis des années comme possible lauréat – demeure dans le ventre mou à 66 contre 1. Quoiqu’il arrive, ce n’est pas le Prix qui fait l’écrivain, même si on aimerait bien que l’auteur du Général de l’armée morte soit enfin distingué par l’académie de Stockholm. Auteur albanais le plus connu (même si le pays des aigles – traduction de Shqipëria – en compte de très intéressants comme Fatos Kongoli ou Besnik Mustafaj), il est devenu le rhapsode des Balkans, mêlant mythologie, histoire et politique… Très prolixe – ses œuvres complètes comptent aujourd’hui 12 imposants volumes chez Fayard, il explore les traditions de son pays (Avril brisé) ou son histoire ancestrale (Les Tambours de la pluie) et récente (Le Grand hiver ou Le Concert). Dans son dernier roman L’Entravée, il nous replonge dans l’ère communiste : Linda B. aimerait bien visiter la capitale

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de son pays, mais elle ne peut voyager librement. Comme souvent, le parallèle est fait avec une grande figure de la mythologie, Eurydice cette fois. Écrivain elle aussi, Helena est moins célèbre que son mari (on se souvient néanmoins d’Une femme de Tirana, Stock, 1995). Chez Fayard, ils n’ont du reste pas de photo d’elle à nous fournir ! Ses volumineuses mémoires (près de 800 pages) se révèlent passionnantes : elle avoue avoir hésité et s’être rendue compte progressivement qu’un tel exercice, « loin de faire obstacle à l’analyse d’une œuvre, y contribuait ». Voilà donc le regard aiguisé de celle qui observa au plus près la genèse des livres de son mari… Au-delà de la foisonnante description d’un “laboratoire littéraire”, Helena Kadaré se révèle aussi – et surtout, aurions-nous envie d’écrire – le témoin privilégié d’un demisiècle d’histoire. Glaciation communiste sous Enver Hoxha et cache-cache avec la censure. Chute de la dictature. Ce Temps qui manque débute avec les premiers émois amoureux d’une jeune fille albanaise dont le cœur tressaille à la réception de la lettre d’un poète à

l’aube de sa carrière… pour s’achever avec le point final mis à L’Entravée, en 2009, et la décision prise par son époux d’arrêter d’écrire des romans. Comme si une boucle se bouclait. Texte : Hervé Lévy Photo : John Foley (OPALE / Éditions Fayard)

m Derniers livres parus : Helena Kadaré, Le Temps qui manque, mémoires et Ismail Kadaré, L’Entravée, Requiem pour Linda B. www.editions-fayard.fr

m Rencontre avec Ismail et Helena Kadaré à Strasbourg, à la Librairie Kléber (Salle Blanche), vendredi 22 octobre à 17h30 03 88 15 78 88 – www.librairie-kleber.com


L'illustrateur

Lou Rihn Né en 1986, Lou, après des études d’illustration à l’École Estienne (Paris), intègre les Arts décoratifs de Strasbourg où il se penche sur la question de narration par l’image. Du genre à chiper les brochures de consignes dans l’avion, il s’intéresse à l’esthétique didactique, aux pictogrammes, modes d’emploi et autres fascicules explicatifs dont il recycle les codes. http://lourihn.ultra-book.com

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Les musées insolites

Le grand bleu Dans l’ancienne demeure des chanoines de Murbach, en plein cœur de Guebwiller, un musée permet de découvrir l’œuvre d’un enfant du pays, le céramiste Théodore Deck (1823-1891) qui donna son nom à un célèbre bleu.

C’

est l’histoire d’un p’tit gars de Guebwiller dont le père était teinturier sur soie. Une vocation précoce pousse Théodore Deck à devenir poêlier, puis à monter à Paris pour fonder, avec son frère, son propre atelier nommé Faïences d’art. Le succès arrive en 1861 lorsqu’il présente quelques œuvres au Salon des arts et industries de Paris. Il sera foudroyant. Les collections du musée – plus de 500 pièces – témoignent de la richesse d’invention du céramiste… et de l’évolution des goûts au cours du XIXe siècle. En parcourant les salles, on a le sentiment de déambuler dans un intérieur bourgeois, « un des ces appartements où se trouvent rassemblés et confondus des meubles de tous les temps et de tous les pays », comme l’écrivait Alfred de Musset dans La Confession d’un enfant du siècle. Vaisselle venant imiter la Renaissance italienne, jardinières japonisantes, plats inspirés de la Perse (la découverte des faïences d’Iznik lors d’une exposition du Musée de Cluny

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fut déterminante), vases aux formes et aux décors antiques, statuette évoquant une vestale romaine… Parfois les réalisations se font aristocratiques, comme ces immenses décors (composés de dizaines de carreaux) destinés à orner la véranda de la villa de Bary ou la salle de bains de la villa Schlumberger. Nous ne sommes pas loin des premières efflorescences de l’Art nouveau. Toute sa vie, Théodore Deck expérimenta de nouvelles techniques (qu’il ne souhaita pas, comme nombre de ses concurrents, garder secrètes ; il écrivit ainsi des traités comme La Faïence en 1887), tentant, par exemple, de s’approcher au plus près du vert céladon de la porcelaine de la Chine ancienne. S’inspirant des dômes des mosquées d’Ispahan, il créa une couleur et lui donna son nom. Le “Bleu Deck” est un turquoise aux reflets subtils et changeants, éclatant et profond à la fois, d’une intense pureté chromatique. Vases en stock, gobelet orné d’une bacchanale, statuette

de chat qu’on croirait tout droit sorti de l’Égypte pharaonique, carreaux de céramique aux motifs géométriques… La couleur est bien présente dans les salles d’un musée dédié à un Alsacien qui émigra à Paris et choisit, après la guerre de 1870, de demeurer français (il devint même adjoint au maire du XVe arrondissement), finissant sa carrière à la tête de la Manufacture nationale de Sèvres, excusez du peu. Il est enterré au cimetière du Montparnasse, où son monument funéraire a été réalisé par son ami le Colmarien Auguste Bartholdi. On peut y lire cette phrase, un résumé de son art : « Il arracha le feu au ciel. » Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis

m Le Musée Théodore Deck est situé 1 rue du 4 Février à Guebwiller. Il est ouvert toute l’année (du lundi au vendredi, sauf mardi, de 14h à 18h, le week-end de 10h à 12h et de 14h à 18h) 03 89 74 22 89 – www.ville-guebwiller.fr


Où trouver Prochaine parution de Poly le 25 novembre 2010

Les lieux référents (plus de 120 exemplaires) Bas-Rhin

Strasbourg La Boutique Culture, Cg67, Cinéma Odyssée, Graphigro, Restaurant la Victoire, CUS, Région Alsace, Pôle Sud Oberausbergen PréO Haguenau Médiathèque, Théâtre, Mairie Sélestat FRAC Alsace, Mairie

Schilthigheim Mairie, l'École de Musique, le Cheval Blanc Illkirch L'Illiade Bischwiller MAC

Mulhouse Cinéma Bel Air, Mairie Saint Louis Mairie, Musée Fernet Branca

Haut-Rhin

Franche-Comté

Colmar Le Poussin Vert, Cg68, Cinéma Colisée Kingersheim Espace Tival

Belfort Centre chorégraphique Montbéliard l’allan

Focus référents Graphigro

Graphigro est aujourd’hui une enseigne absolument incontournable pour les artistes, les étudiants en arts, les créateurs en herbe. On y trouve palettes et pinceaux, crayons ou ciseaux… www.crea.tm.fr

Le PréO

Les lieux de diffusion ++ Bas-Rhin

Bischheim Mairie / Centre Culturel / Salle du Cercle, Bibliothèque – Cour des Bœcklin Bischwiller MAC Haguenau École de Musique, Musée Historique, Relais Culturel Hœnheim Mairie Illkirch Mairie Lingolsheim Mairie Obernai Espace Athic Ostwald Mairie, Château de l'Île, Le Point d'Eau Sélestat ACA Saverne Rohan Schilthigheim ferme Linck Strasbourg ARTE, CIRDD, Espace Insight, FEC, La Choucrouterie, L'Artichaut, Le Kafteur, LISAA, La Maison des Associations, Stimultania, Strasbourg Événements, 3 magasins BEMAC Mésange, Neuhof & St Nicolas, Café Broglie, Snack Michel, Trolleybus, Archives de la Ville de Strasbourg et de la CUS, CEAAC, CRDP, Restaurant Chez

Yvonne, Cinéma Star St Éxupéry, IUFM, AFGES, ES, MAMCS, TJP Petite Scène et grande Scène, Bibliothèque de L'ULP, CCI de Strasbourg, La Laiterie, les TAPS Gare et Scala, Pôle Sud, Le Vaisseau, l'École d'Architecture de Strasbourg, FNAC, BNU, Bibliothèques du Neudorf, Hautepierre, Kuhn, Meinau & de Cronenbourg, CREPS Cube Noir, Le Maillon, L'Opéra National du Rhin, l'ESADS Vendenheim Mairie

Haut-Rhin

Altkirch CRAC Alsace Cernay Espace Grün Colmar Hiéro Colmar, Lézard, Le Grillen, CIVA, Bibliothèque Municipale, Musée d'Unterlinden, FNAC Guebwiller Les Dominicains de Haute-Alsace, IEAC Huningue Triangle Illzach Espace 110 Kembs Espace Rhénan Kingersheim CRÉA

Mulhouse Société Industrielle, Maison du Technopole, La filature, FNAC Mulhouse, Bibliothèque Médiathèque, Bibliothèque FLSH, Musée des Beaux Arts, École Le Quai, BEMAC, CCI, Kunsthalle, Théâtre de la Sinne, hôtel du Parc, l'Entrepôt, Musée de l'Impression sur Étoffes, Office du Tourisme Ribeauvillé Salle du Parc Rixheim La Passerelle Saint-Louis Théâtre de la Coupôle, Médiathèque Thann Relais Culturel

Franche-Comté

Belfort Mairie, le Granit, Bourogne Espace Multimédia Gantner Montbéliard le 10neuf Et dans plus de 100 autres lieux : bars, restaurants, magasins…

Les lieux de lecture en Alsace Les salles d'attente des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg 70 bars

50 restaurants 60 salons de coiffure 40 cabinets médicaux et dentaires

(Liste en cours de réalisation)

Si vous souhaitez vous aussi devenir un lieu de diffusion pour Poly, n'hésitez pas à nous en faire la demande. Contact gwenaelle.lecointe@bkn.fr

Le théâtre de la commune d’Oberhausbergen. Spectacles d’humour (en novembre, Artisto !), jeune public (Donner corps), musicaux (Luciano Biondini, Michel Godard et Ernst Reijseger) : riche programmation à venir… www.le-preo.fr

Focus ++ Restaurant Chez Yvonne

Située au centre de Strasbourg, l’adresse est appréciée par les amateurs d’ambiance cosy et authentique. La winstub qui propose une cuisine de terroir et de caractère attire artistes de passage et habitués. www.chez-yvonne.net

L’espace d’art contemporain André Malraux

Encourager la création et la diffusion, susciter des rencontres entre le public et l’art d’aujourd’hui, telles sont les missions de cet espace colmarien qui accueille, du 6 nov au 13 jan, le travail d’Alexandre Ponomarev. www.vinsalsace.com

Le-Maillon

Le théâtre dans toute sa contemporanéité a son écrin à Strasbourg : Le-Maillon. Avec, cette année, William Forsythe par le CCN de Lorraine, Pierrick Sorin, Zimmermann & De Perrot… Preuves de son éclectisme. www.le-maillon.com

16 rue Édouard Teutsch – 67000 Strasbourg – tél. 03 90 22 93 30 – fax 03 90 22 93 37


Cunningham2 L’Arsenal de Metz accueille la Merce Cunningham Dance Compagny, qui présente la dernière pièce du grand chorégraphe américain : Nearly 90 2.

E

n avril 2009, le jour même de ses 90 ans, Merce Cunningham dévoilait Nearly Ninety à New York, sa dernière création avant sa disparition, fin juillet. Ce monstre sacré de la danse contemporaine, égal de William Forsythe et Trisha Brown avec lesquels il révolutionna cet art, nous laisse ce cadeau d’adieu. Nearly 90 2 en est la version modifiée pour la tournée mondiale. Tout Cunningham tient en ces deux heures de construction de l’aléatoire et d’absence totale de narration : la démultiplication à l’infini des espaces, des mouvements et des corps qui, par grappes, se doublent et se triplent avant d’essaimer par soubresauts dans l’espace. Une chorégraphie sauvage, énergique, tout en sensualité, faite de poésie abstraite et de pure émotion renforcée dans cette nouvelle version du spectacle par la présence de deux musiciens composant sur scène : Takehisa Kosugi et John King interprétant celle de John Paul Jones, l’ancien bassiste de Led Zeppelin. Ne ratez pas cette unique date française avant 2011. © Anna Finke

Texte : Irina Schrag

m À Metz (57), à L’Arsenal, samedi 20 novembre 03 87 74 16 16 – www.arsenal-metz.fr

Dans les cordes À Forbach, le chorégraphe Mourad Merzouki présente sa dernière création, Boxe Boxe. Une rencontre alléchante entre noble art et danse hip-hop.

© M. Cavalca

M

ourad Merzouki n’en finit pas d’étonner. Tombé dans la danse hip-hop sur le tard après des débuts dans le cirque et les arts martiaux, ce Lyonnais, nommé en 2009 à la direction du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, s’est déjà payé le luxe de refuser une collaboration avec le Cirque du Soleil et de parcourir les cinq continents avec les précédentes créations de sa compagnie Käfig. Dans Boxe Boxe, créé en septembre – “à domicile” – lors de la 14e Biennale de la danse de Lyon, le chorégraphe associe le Quatuor Debussy (deux violons, un alto et un violoncelle) à son inspiration du noble art. Cette rencontre entre la boxe et la danse hip-hop s’annonçait déjà prometteuse alors la confrontation avec ces musiciens classiques audacieux – qui ont déjà eu pour sparring-partners scéniques Maguy Marin ou Abou Lagraa – ne fait qu’aggraver notre impatience. Du gong au lever de rideau, de la peur au ventre au trac, en passant par la mise en danger face à l’autre (adversaire ou public), danseurs et musiciens exploreront les allersretours entre violence et légèreté, grâce et accomplissement. Texte : Daniel Vogel

m À Forbach (57), au Carreau, mardi 16 novembre 03 87 84 64 34 – www.carreau-forbach.com

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Jeux d’ego Avec Jeder Künstler ist ein Mensch ! la Staatliche Kunsthalle de Baden-Baden explore un genre, l’autoportrait, au cours d’une période allant du pop art à la fin des années 1980.

E

n choisissant pour titre une citation de Martin Kippenberger, exacte inverse de celle, fameuse, de Beuys, « Jeder Mensch ist ein Künstler » (chaque homme est un artiste), la commissaire de l’exposition, Karola Kraus – également directrice de la Staatliche Kunsthalle, questionne le visiteur sur la place de l’autoportrait dans la seconde moitié du XXe siècle. Une trentaine de pièces (peintures, sculptures, photos, vidéos et installations) sont le reflet de la diversité d’un genre qui, jusque-là, était demeuré cantonné dans la représentation de l’artiste en majesté (Dürer, Rembrandt…) ou dans la mise en évidence de ses tourments intérieurs (van Gogh, Beckmann, les modernes…). À partir des années 1960, il se fait multifocal (et donne naissance, en parallèle, à un questionnement théorique sur lui-même) : jeu de rôles, mise en scène, déconstruction du moi, réflexion sur l’identité sexuelle… Andy Warhol – très présent dans l’exposition avec notamment six autoportraits de 1986 – a su métamorphoser son visage en icône dans une équation simple, mais efficace : ma gueule = une boîte de soupe Campbell. Par la répétition incessante, se crée un culte de la personnalité venant rappeler la propagande totalitaire. À rapprocher des délires post-pop (et eighties kitsch) de Jeff Koons. Chez d’autres, comme Cindy Sherman, la représentation de soimême ressemble à la fois à l’exploration d’archétypes sociaux et à une réflexion sur l’identité et ses modes d’expression : une photographie glaçante où elle trône, attifée en bourgeoise américaine sous le grand lustre d’un opéra, en témoigne avec éclat. Chaque artiste est évidemment un être humain, mais pas comme les autres… Des couleurs dégoulinantes de Martin Kippenberger à l’abstraction toute en bonbons bleus de Felix Gonzalez-Torres (le visiteur peut se

servir et en manger, ce qui crée une relation tangible entre l’œuvre et le spectateur, un principe cher à l’artiste américain d’origine cubaine), en passant par l’ironie grinçante du collectif canadien General Idea qui montre la présence persistante du totalitarisme au cœur de la société de consommation… Se pose alors l’éternelle question de l’identité humaine et de sa représentation. Impossible, forcément. La meilleure réponse est peut-être celle qui fut donnée

par Beuys dans une œuvre de 1970, Filanzug : un costume gris posé sur un cintre accroché au mur qui figure une silhouette humaine. Rien de plus. Texte : Raphaël Zimmermann

m À Baden-Baden (Allemagne), à la Staatliche Kunsthalle, jusqu’au 21 novembre +49 72 21 300 763 www.kunsthalle-baden-baden.de

General Idea, Nazi Milk, 1979-1990, Sammlung Schürmann, Herzogenrath

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Bella Italia La Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe possède un fonds d’une incroyable richesse. Avec sa seule collection, le musée peut en effet monter toute une exposition sur le thème du Viaggio in Italia.

A

vec plus de 150 esquisses et dessins, la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe propose un tour d’Italie en n’utilisant que ses fonds propres. Voilà qui est impressionnant. La richesse de la collection s’explique avant tout par les goûts du grand-duc Leopold de Bade, qui avait séjourné en Italie dans sa jeunesse puis, à son retour, aidé les artistes avec des bourses et surtout multiplié les acquisitions d’œuvres ayant trait à l’Italie. Autre personnalité importante, Johann Wilhelm Schirmer, premier directeur de l’académie de Karlsruhe, ramena de multiples études de plein air entreprises dans les années 1840. Sa passion se transmit à la génération suivante et à ses élèves, parmi lesquels figure Arnold Böcklin dont on découvre le très beau Paysage depuis les monts albains. C’est en effet principalement autour des travaux en plein air que s’organise le choix des conservateurs. Du Lorrain à Feuerbach,

en passant par Fragonard ou Corot, l’échantillonnage des créateurs présentés est large et permet de saisir l’évolution du paysage, mais surtout le regard des artistes – essentiellement allemands et français – sur la péninsule, dans ses aspects les plus variés. On note un intérêt plus marqué pour certains sites, comme Tivoli et Rome ou encore le petit village d’Olevano. Certains documents sont présentés pour la première fois au public, en particulier des gravures dans les détails desquels on se noie avec plaisir, sans oublier des feuilles saisissantes par leur vivacité et l’acuité de leurs auteurs. On s’émerveille devant les relevés des fresques de Pompéi, pour s’émouvoir ensuite face à un simple tronc d’arbre ou un carnet de croquis. L’occasion de connaître des auteurs moins célèbres, mais marqués par l’expérience italienne, entre découverte des vestiges sublimes

du passé, beauté des paysages méridionaux et fascination pour les mœurs locales et la vie quotidienne. Une salle est également consacrée aux cartons réalisés par les Nazaréens pour les fresques de la célèbre villa Massimo de Rome. Le parcours de l’exposition une fois achevé, on peut continuer la visite en admirant les autres œuvres liées à l’Italie (portraits, scènes de genre, peintures d’histoire…) restées dans leur salle originelle. Des cartels colorés les signalent aux visiteurs, mais bien d’autres tableaux auraient pu faire partie de la sélection, qu’on cherche soi-même en furetant dans les salles qui fourmillent de chefs-d’œuvre. Quel musée, mamma mia ! Texte : Catherine Jordy

m À Karlsruhe (Allemagne), à la Staatliche Kunsthalle, jusqu’au 28 novembre + 49 721 926 33 59 www.kunsthalle-karlsruhe.de

Pierre-Jacques Volaire, L’Éruption du Vésuve le 14 mai 1771 Photo : SKK, Wolfgang Pankoke 70 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10


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OCTObre

30/09/10

13:02

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2010

Le Musée WürTh fêTe Le pianO samedi 23 octobre

17 h Concert de piano jazz Erwin Siffer 20 h Concert de piano à 4 mains Claire Buttin et Charles Offenstein Dimanche 24 octobre

17 h récital Liszt, schumann, Chopin Lionel Ramousse Tarifs : 1 concert : 8 ou 12 € 2 concerts : 16 € / 3 concerts : 23 € réservations au + 33 (0)3 88 64 54 65 ou mwfe.info@wurth.fr

Z.i. ouest / rue Georges besse bp 40013 f–67158 erstein cedex Tél. + 33 (0)3 88 64 74 84 www.musee-wurth.fr

07.10. JEUDI

10.11. MERCREDI

• ANTHONY BRAXTON SEPTET

• SIDSEL ENDRESEN / HAKON KORNSTAD + JAN GALEGA BRÖNNIMANN’S BRINK MAN SHIP FEAT. NYA AND NILS PETTER MOLVAER • NANOUK L’ESQUIMAU CINÉ-CONCERT

05.11. VENDREDI • JAZZPASSAGE AKI TAKASE / LOUIS SCLAVIS + LE DOUBLE TRIO DE CLARINETTES

06.11. SAMEDI • FRANCOIS CORNELOUP SOLO • MAYA HOMBURGER / BARRY GUY / LUCAS NIGGLI • JAZZPASSAGE HEINZ SAUER / MICHAEL WOLLNY + CHRISTOPHE MARGUET QUINTET

07.11. DIMANCHE • FAT KID WEDNESDAYS + HÉLÈNE LABARRIÈRE QUARTET • JOHN SCOFIELD TRIO

09.11. MARDI • REUT REGEV R*TIME + MARC RIBOT SUN SHIP • BOI AKIH “PHILOSOPHY OF LOVE“ • HÉGÉ TRIO

11.11. JEUDI • CEDIM + OUTHOUSE FEAT. HILMAR JENSSON • MELOSOLEX • RÉTROVISEUR

• PORTICO QUARTET • LUCIANO BIONDINI / MICHEL GODARD / LUCAS NIGGLI

15.11. LUNDI • DONNY MCCASLIN FEAT. URI CAINE

16.11. MARDI • JULIEN WEYER SOLO + LE GRAND FER À CHEVAL • SYLVIE COURVOISIER / MARK FELDMAN QUARTET + MAURICE HORSTHUIS’ ELASTIC JARGON • TRIO D’EN BAS

12.11. VENDREDI 17.11. MERCREDI • LA SUITE TRANSATLANTIQUE • JAZZPASSAGE JOACHIM KÜHN SOLO + LEE KONITZ / DAN TEPFER • IVRIM

• REGARDS CROISÉS • ENRICO RAVA NEW QUINTET FEAT. GIANLUCA PETRELLA + OZMA ORKESTRÂ

13.11. SAMEDI

18.11. JEUDI

• DENIS LEVAILLANT • SAMUEL BLASER / PIERRE FAVRE • JAZZPASSAGE ERIC LEGNINI RENCONTRE TILL BRÖNNER

• JEAN-LOUIS MATINIER / MICHAEL RIESSLER • STRASAX + BENJAMIN MOUSSAY

14.11. DIMANCHE

• CHUCHO VALDÈS AND THE AFRO-CUBAN MESSENGERS

• ALAIN KIRILI ET LE JAZZ

19.11. VENDREDI

LES PARTENAIRES : VILLE DE STRASBOURG, CONSEIL GENERAL DU BAS-RHIN, REGION ALSACE, MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION // SACEM, ADAMI, SPEDIDAM, FCM, CNV, IMPULS NEUE MUSIK // GOETHE INSTITUT, PRO HELVETIA // HARMONIA MUNDI, FNAC.COM // FRANCE MUSIQUE, FIP, DNA, JAZZ MAGAZINE, JAZZTHETIK, MEZZO, ARTE LIVE WEB JAZZDOR EST MEMBRE DE : AFIJMA, EUROPE JAZZ NETWORK, STRASBOURG-FESTIVALS. AFFICHE © HELMO + C. URBAIN


Le centre d’art La Synagogue de Delme (57) organise, dans le cadre de Thermostat, The Barranquilla Principle jusqu’au 9 janvier 2011. Les artistes Joëlle de La Casinière, David Hatcher et Javier Téllez y abordent les implications de l’absence de décideur ou de directeur au sein de projets collectifs. www.cac-synagoguededelme.org

Prolongé

Alors qu’il vient de fêter son 400 000e visiteur, le Centre Pompidou-Metz (57) prolonge l’exposition Chefs-d’œuvre ? dans son intégralité jusqu’au 17 janvier 2011. Vous n’avez plus d’excuses pour ne pas y aller. www.centrepompidou-metz.fr

Le très amusant XIXe siècle Le Museum für Kunst und Technik des 19. Jahrhunderts (“pour l’art et la technique du XIXe siècle” en VF) de Baden-Baden abrite, jusqu’au 20 mars 2011, une passionnante exposition intitulée Daumier et Paris, sous titrée Arts et techniques d’une métropole. Sont exposées quelque 220 lithographies (parmi les 4 000 que l’artiste publia dans La Caricature et Le Charivari) où se déploient les métamorphoses de la capitale. Souvent caustique, Daumier s’adresse au plus grand nombre grâce à la puissance des médias et brocarde, avec finesse, une cité qui entre dans la modernité. www.museum.la8.de Tiré de la sérié En Chemin de fer, 1864

Humaniser l’architecture

Andy, j’te dis oui !

Le Vitra Design Museum de Weil am Rhein (Allemagne) consacre jusqu’au 13 mars 2011, une importante exposition à l’œuvre de Frank O. Gehry sur la période qui court de 1997 à aujourd’hui. Elle se tient dans le premier bâtiment réalisé en Europe par l’architecte. Dessins originaux, maquettes, archives… www.design-museum.de

Dansé

Fraîchement nommée à la direction du Centre Chorégraphique national de Franche-Comté, à Belfort (90), Joanne Leighton présente Display / Copy Only, les 21 et 22 octobre au Granit, scène nationale de sa nouvelle ville d’adoption. www.theatregranit.com

Vroum vroum

Le rappeur underground Busdriver, en concert à La Poudrière de Belfort (90) le 12 novembre ? En voiture ! www.pmabelfort.com

Pop stars en herbe

Morning Star Pop Choir, à L’Autre Canal de Nancy (54) ? Il s’agit du projet jeune public mené par les membres du groupe Morning Star qui auront, quelques jours avant le concert du 29 octobre, conviés petits et moins petits (leurs parents) à chanter ensemble, lors d’un atelier choral pop, le 27. Inscrivez vos enfants dès à présent. http://lautrecanalnancy.fr

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Andy Warhol, Flowers, 1964, The Andy Warhol Museum, Pittsburgh

Les sixties. Les débuts de la consommation de masse… et ceux d’Andy Warhol. C’est sur cette période – entre 1961 et 1964, très précisément – que le Kunstmuseum de Bâle a choisi de se pencher dans une importante exposition (qui dure jusqu’au 23 janvier 2011) rassemblant 70 peintures et dessins. Ces premières années sont décisives pour l’artiste qui, en un court laps de temps, opère un tournant significatif, instillant les canons de la publicité et les méthodes de la production standardisée dans sa création (avec des hectomètres de Marilyn et des kilotonnes de boîtes de soupe Campbell). Nous voilà aux sources vives du Pop Art… www.kunstmuseumbasel.ch

Glamourobaroque Elle est aujourd’hui l’une des plus grandes chanteuses de la scène musicale internationale : la mezzo tchèque Magdalena Kožená vient régaler le Festspielhaus de BadenBaden d’un récital rêvé avec ses complices baroqueux, Pierre Pitzl (guitare et direction), Jesús Fernández Baena (théorbe) ou encore Elizabeth Rumsey (lyre de gambe). Une dizaine de musiciens au total. Cet ensemble précieux nous entraîne des débuts du baroque à la fin de la Renaissance, avec des pages de compositeurs fameux comme Claudio Monteverdi, mais aussi à la découverte de créateurs moins connus tels Giulio Caccini, Filippo Vitali, Tarquinio Merula… auxquels la voix délicate et profonde de la Kožená donne chair. www.festspielhaus.de

© Kasskara / DG

Exposé


ROBERT LIEB REL AIS CULTUREL DE BISCHWILLER

2010 2 0 11

théâtre

WWW.MAC-BISCHWILLER.FR

Di. 7 NOVEMBRE à 20h30

Jazz manouche

Ve. 19 NOVEMBRE à 20h30 humour

TRIO BELLEVILLE

mon beau

sapin Créez votre sapin... nous l’exposons l’idée

Sélestat conserve la première mention écrite de l’arbre de Noël, datant de 1521. Arbre emblématique, ses décorations n’ont cessé d’évoluer à travers les siècles. Alors, vous aussi participez à cette histoire et créez votre sapin du XXIe siècle avec tous types de matériaux. Un seul mot d’ordre : l’originalité !

date de retour

Les sapins sont à déposer à l’0ffice de la

Culture de Sélestat au plus tard le 3 décembre 2010 avec une feuille libre précisant le titre du sapin réalisé, vos coordonnées et, si vous le souhaitez, une légende.

exposition

Vos réalisations seront exposées dans le bâtiment des Archives Municipales, av. de la Liberté à Sélestat au courant du mois de décembre. Le public pourra voter sur place et en ligne pour les créations les plus originales.

renseignements - Inscriptions OFFICE DE LA CULTURE DE SELESTAT Pl. Dr Kubler - 67600 Sélestat - Tél. 03 88 58 85 75 - culture@ville-selestat.fr

www.noel-selestat.fr

Me. 1 DECEMBRE à 20h30

Francis HUSTER dans Traversée de Paris

www.mac-bischwiller.fr

Renseignements : 03 88 53 75 00

jeune public

cinéma

danse

musique

JOHN SCOFIELD TRIO


Une apocalypse joyeuse Klimt, Schiele, Kokoschka… Quelque 200 toiles, aquarelles et dessins, mais aussi des maquettes, des meubles, de la vaisselle… Avec cette exposition, la Fondation Beyeler restitue avec éclat l’atmosphère de Vienne 1900.

S

i on devait donner un point de départ symbolique au grand mouvement qui bouleversa Vienne, puis l’Europe toute entière, la date du 3 avril 1897 serait idéale. C’est en effet ce jour qu’est fondée l’Association des artistes plasticiens d’Autriche, plus connue sous le nom de Sécession, dont le premier président est Gustav Klimt. Dans leur revue, Ver Sacrum 1 (créée en janvier 1898), ils vouent aux gémonies le conservatisme poussiéreux de leurs aînés et tracent les contours théoriques d’une vision du monde refusant toute distinction entre arts mineurs et majeurs.

Une œuvre d’art totale

Richard Wagner jette dès 1850 les bases de l’œuvre d’art totale : elle « doit réunir tous les genres artistiques pour les employer en quelque sorte chacun comme moyen et les dépasser dans la poursuite d’un but commun à tous »2. Si la réalisation la plus accomplie de la Sécession (qui reprend le concept à son compte) demeure le Palais Sto-

« Ce ne sont pas seulement ceux qui créent l’art qui méritent le nom d’artistes, mais aussi ceux qui savent en jouir » Gustav Klimt

Egon Schiele, Autoportrait à la chemise rayée, 1910 Photo : Manfred Thumberger

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clet à Bruxelles (sur des plans de Josef Hoffmann avec de somptueuses fresques de Klimt), l’exposition retrace bien cette quête de totalité avec des meubles, des tasses, des cafetières, des verres, des tissus, des esquisses et maquettes de bâtiments, dont le célèbre Pavillon de la Sécession de Josef Maria Olbrich. L’artiste n’étant pas uniquement le concepteur, mais aussi celui qui jouit intellectuellement de ces biens. Fondés en 1903 par Koloman Moser et Josef Hoffmann, les Wiener Werkstätte – regroupant ateliers d’orfèvrerie, de reliure, d’ébénisterie… – sont sans doute la plus intéressante concrétisation de l’utopie bouillonnante de la capitale autrichienne du début


Gustav Klimt, Le Parc, vers 1910 © 2010 Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

du XXe siècle. La cité des Habsbourg est alors un improbable creuset où les artistes d’avant-garde se meuvent dans une structure socio-économique archaïque et corsetée… C’est la Vienne au crépuscule d’Arthur Schnitzler. Cette impression que tout s’achèvera dans un tonnerre de feu. Qu’il faut profiter, rêver et créer fiévreusement avant cette inéluctable fin. Un sentiment de désastre imminent tout entier concentré dans l’expression forgée par Hermann Broch : « L’Apocalypse joyeuse ».

Des figures tutélaires

La Fondation Beyeler a rassemblé un ensemble impressionnant d’œuvres des trois artistes emblématiques de la période. Le premier, Gustav Klimt, offre ses mondes lascifs et colorés où de sublimes saillies dorées traversent souvent le tableau, lui conférant une

impression d’irréalité. Egon Schiele, lui, déploie un univers étrange fait d’hommes et de femmes aux silhouettes émaciées, maladives et représentées, le plus souvent, dans des poses improbables, en tout cas très différentes des nus académiques. Carnations blafardes. Érotisme parfois dérangeant. Regards voluptueux et intranquilles. Appel désespéré d’une chair livide pour des étreintes exsangues et nerveuses. Yeux exorbités. Plaisir ? Angoisse ? Eros et Thanatos violemment mêlés. Dessins et toiles évoquent un expressionnisme en germe que l’on retrouve chez Oskar Kokoschka qui a tenté de disséquer l’âme humaine. Ne pas représenter les traits d’un visage mais les replis de l’esprit et de l’âme. La vérité intérieure derrière l’enveloppe physique. Pas très loin des préoccupations – contemporaines – d’un certain Sigmund Freud. Nous dé-

couvrons aussi les étonnantes toiles du compositeur Arnold Schoenberg (dont l’une possède une curieuse parenté avec Le Cri de Munch). Les peintres viennois dynamitaient l’art de leur époque pour ouvrir sur la modernité. Schoenberg faisait de même en musique : en 1899, La Nuit transfigurée s’inscrit encore dans la filiation wagnérienne, mais, progressivement, il va construire la musique du XXe siècle en détruisant l’ordre ancien. Vienne 1900 ouvre décidément toutes grandes les portes de l’avenir. Printemps sacré Richard Wagner, Das Kunstwerk der Zukunft (l’œuvre d’art de l’avenir) 1 2

Texte : Hervé Lévy

m À Riehen, à côté de Bâle (Suisse), à la Fondation Beyeler, jusqu’au 16 janvier 2011 + 41 61 645 97 00 – www.beyeler.com

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Culture scientifique

L’eau qui sait parler aux enfants Avec À l’eau, j’écoute, petits et grands découvrent les mille et une problématiques liées à l’eau. Dans cette exposition aquatique, L’Etappenstall d’Erstein plonge ses visiteurs au cœur d’un milieu naturel fragile.

U

n petit filet d’eau pointe son museau. Il sort de terre. Le voyezvous luire ? Il avance, regarde, hésite et puis, curieux, s’aventure et s’enhardit. L’entendez-vous rire et bruire ? Hop, il saute de pierre en pierre, dévale le talus et part à la découverte du vaste monde. Sur son chemin, il va grandir et vivre mille aventures, surmontant maints périls pour se rendre utile, indispensable, et, au final, retourner dans le ventre de la terre… Voilà l’histoire que l’exposition raconte, celle du cycle de l’eau. On la découvre au fil d’un parcours tout en méandres, baigné de camaïeux de bleu océanique et porteur de cinq thèmes : homme et navigation, milieux du Ried, eau ressource et énergie, eau à Erstein, problématique des enjeux de l’eau. À travers une thématique transversale, l’eau dans le monde, le visiteur découvre une approche géographique (sécheresse, pollution…) du sujet. L’exposition dialogue avec les adultes et sait parler aux enfants. « Nous voulons rendre la culture accessible à tous » explique Martine Heym, adjointe au maire en charge de la culture, et « sensibiliser, dès le plus jeune âge, à notre patrimoine commun. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » L’eau est un élément fondamental du territoire d’Erstein. Une partie du ban se situe en effet au sein du Ried (zone inondable modelée par les divagations du Rhin). « Dans le passé, le bourg était parcouru de multiples petits cours d’eaux et de nombreux canaux, malheureusement comblés dans les années cinquante », regrette-t-elle, « à l’époque du modernisme formica ». L’eau a ancré les hommes dans des métiers : calfats, tanneurs, pêcheurs, vanniers… Leur mémoire vibre dans des

76 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10

objets d’époque. Dans cette nasse à anguille, par exemple, ou ce vivier à poisson en osier tressé, cette intéressante collection d’hameçons, ou encore cette grande barque à fond plat qui, rame à la main, attend toujours son pêcheur. La nostalgie nous saisit lorsque nous collons notre nez à la fenêtre de l’atelier du calfat, l’homme qui fabriquait les barques. « Autrefois, chaque maison avait son embarcation », précise notre guide. « La pêche, peu coûteuse, nourrissait la famille. » Sur un établi semé de copeaux de bois, nous découvrons une nature morte d’outils vivants : un maillet à mousse, un doloir (couteau), une herminette (hache), des bois à tasser et à bourrer, un fer à calfater (pour rendre étanches les bordages de la coque) et toute une armée de clous, grands, petits, forgés à la main. Quand le vieil artisan reviendra-t-il ?

Étape par étape, l’adulte s’approprie l’exposition à son gré. L’enfant, lui, sera apprivoisé par elle. Toutes les découvertes se font par le jeu. Fabrication d’origamis, manipulation de bâtons de pluie, jeux de questions-réponses : où va l’eau qui sort des stations d’épuration ? Facile dès lors d’acquérir du vocabulaire et des savoirs scientifiques en suivant d’utiles conseils écologiques. Assurément, cette exposition nous séduit. Elle parle avec éloquence à la semblance de l’eau qui, selon la belle formule d’Octavio Paz inscrite sur le sol, « parle sans jamais se répéter ». Texte : Paul Munch Photo : Geoffroy Krempp

m À Erstein, à l’Etappenstall jusqu’en juin 2011 03 90 29 93 55 – www.ville-erstein.fr


Promenade

Le (très) grand château Les ruines du Guirbaden, plus vaste château d’Alsace, sont parmi les plus émouvantes de la région. Châtaigniers, vieilles pierres et histoires de trésors oubliés en font une charmante promenade d’automne.

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L

e château du Guirbaden, c’est un peu comme Rome : tous les chemins, ou presque, y mènent. Parmi les diverses possibilités, citons les deux plus signifiantes : départ de la gare de Heiligenberg-Mollkirch pour randonneurs ingambes (adjectif quelque peu tombé en désuétude dont raffolait le Guide Vert dans les années 1950 : dérivé de l’italien “in gamba”, il signifie alerte, en forme). Ce n’est néanmoins pas si difficile que ça… mais les plus fainéants partiront de La Fischhutte, hôtel-restaurant familial cher à notre enfance qui a connu quelques adjonctions architecturales dommageables, mais bon. 1h aller / 1h retour et un dénivelé doux, c’est la voie express pour le Guirbaden.

Stratégie d’approche

Forêt de feuillus. Bien entretenue. Champignons en saison. Salut les cèpes & bolets cueillis par des randonneurs passés avant nous et bonjour les amanites phalloïdes & autres espèces non identifiées… sans doute peu comestibles. Quelque soit le chemin choisi, le

promeneur passe par l’ancienne maison forestière du Guirbaden, après la traversée d’une merveilleuse forêt de châtaigniers avec quelques arbres remarquables et vénérables de 4,75 mètres de diamètre – c’est écrit dessus – au profil déchiqueté. Désormais totalement ruinée, la bâtisse (et sa grange attenante où subsistent les bribes rouillées d’une carcasse de voiture, une 4 CV ?) a su préserver quelques éléments de sa grâce passée. Traces pompéiennes de peinture bleue. Encadrement de porte qui a résisté au temps… Jadis trônait là une majestueuse statue représentant un sanglier. Disparue. Le château n’est plus loin.

Une ruine en majesté

Le Guirbaden n’est sans doute pas le château le mieux conservé d’Alsace, mais avec ses deux hectares, il est le plus étendu. Mentionné pour la première fois au XIIe siècle, il est détruit par Frédéric Barberousse de Hohenstaufen en 1162. Reconstruit, il est à nouveau démoli par les Suédois en 1633 au cours de la Guerre de Trente

Ans, puis en 1652 « par les Lorrains », explique Arnold Kientzler dans L’Essor en 1965. « Pour achever la déchéance de la vieille forteresse, il est probable que des soldats français, sous les ordres de Louvois, firent sauter les derniers murs encore debout en 1657. » Aujourd’hui restent de nobles et larges murailles où s’épanouit une abondante végétation, une chapelle (Saint-Valentin) remise en état à la toiture impeccable, la Tour de la Faim restaurée, une arche qui fait corps avec le rocher… et quelques autres souvenirs du passé, comme une inscription gravée dans la pierre surmontée d’une croix indiquant “A. Boulanger décédé le 7 juin 1891 à l’âge de 19 ans”. On dit aussi que la ruine renferme un trésor… La légende (reproduite à l’entrée du château, sans doute pour exciter l’imagination du promeneur ; merci à la section StrasbourgGrendelbruch du Club vosgien) affirme qu’il y a bien longtemps les comtes d’Eguisheim rentrèrent des Croisades, accompagnés de quelques Templiers qui prirent racine dans la région. Lorsque Philippe IV Le Bel décide de dis-

After balade

À

quelques encablures d’un des départs possibles de la promenade – La Fischhutte – se trouve le cimetière juif de Rosenwiller : quatre hectares et quelque 4 000 tombes (dont la plus ancienne date du milieu du XVIIe siècle) à la symbolique multiforme, incluant notamment de rares soleils qui représentent la lumière du monde d’après… Une promenade émouvante dans la végétation venant parfois rappeler de manière saisissante l’atmosphère qui régnait au cimetière juif de Prague avant qu’il ne devienne une attraction touristique.

78 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10


soudre l’Ordre, envoyant au bûcher son grand-maître, Jacques de Molay, en 1314, ils laissent un trésor dans la forteresse rhénane et c’est Odile qui en hérite. Peu avant sa disparition, elle demande à un vieux serviteur « de l’enterrer dans un caveau profond, près du château. Il devait placer sous son corps la cassette pleine d’or et de bijoux » et la préserver pour les siècles à venir, transmettant son emplacement à ses descendants. Les générations passent,

gardant le secret jusqu’au jour où deux jumeaux en deviennent les gardiens. Les audacieux décident un soir de s’approprier le trésor. Ils creusent et « aperçoivent le coffret. À côté du tombeau, il y a un grand rocher. Les coups de pic l’ont ébranlé et tout doucement, tout doucement, il penche et glisse vers la fosse profonde. Il s’abat sur la tombe dans un grand craquement qui ébranle toute la montagne, au moment où Gertrude et Paul, triomphants, portaient la main

sur les bijoux. Nul n’a jamais revu les deux jumeaux. Pour l’éternité, ils sont couchés sur le trésor qui a fait d’eux des sacrilèges. » On a retourné quelques pierres. Cherché. Tenté de sonder les murs. En vain. Le soir tombe, il faut redescendre dans la vallée et laisser le Guirbaden et ses mystères derrière soi. Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis

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Gastronomie

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

Dîner sans chandelles À Bâle, au Blindekuh, on mange dans le noir. Une expérience gustative et sensorielle des plus étonnantes. Et si de l’obscurité jaillissait une lumière pour les papilles ?

C’

est bien connu, la perte de l’un de nos cinq sens oblige à une réorganisation corticale laissant l’initiative à d’autres. Ainsi, ne pas voir le contenu de notre assiette signifie s’en remettre à d’autres perceptions comme l’odorat, naturellement, mais aussi l’ouïe, en écoutant les serveurs du restaurant Blindekuh… Déconseillons notamment de toucher sous peine de ressembler, à la sortie, au nourrisson goûteur de bouillie et risquer ainsi une situation embarrassante pour ceux qui seraient venus à “La vache aveugle” pour un blind date. Dans ce restaurant, on savoure en effet ses mets à l’aveugle après s’être installé à table dans le noir le plus complet. Pas si facile alors de placer une part de la terrine de cèpes sur un morceau de pain à proximité car elle pourrait bien être celle du voisin, et votre tartare de saumon est susceptible de laisser quelques traces malencontreuses d’huile d’olive sur votre jolie chemise (pas blanche !).

Mais quel plaisir de devoir deviner les ingrédients du dessert-surprise proposé au menu. Les plus adroits se régaleront, les autres appelleront le serveur à la rescousse pour tenter d’amener les cuillers pleines à la bouche… et ça en vaut la peine. Ici, les produits sont frais, régionaux et de saison : gnocchis aux bolets ou risotto de courges, vous pouvez faire confiance à la délicieuse Sonja Hohgraefe, maîtresse des lieux, pour vous mettre l’eau à la bouche et vous entraîner avec enthousiasme dans la salle obscure, après avoir déposé montres et autres portables possiblement lumineux. Ici, on ne triche pas. Depuis quelque temps, la Blindekuh propose aussi, dans les anciens locaux industriels du Gundeli, au-dessus du restaurant, un bar lounge où prendre l’apéritif… en pleine lumière. Texte : Véronique Bidinger

m Restaurant Blindekuh, Gundeldingerfeld, Dornacherstrasse 192 à Bâle (Suisse), ouvert le soir du mercredi au dimanche + 41 61 336 33 00 – www.blindekuh.ch

Riesling d’exception

Q

uelques bouteilles de la très prestigieuse Cuvée Frédéric Émile 2004 (du nom de l’aïeul de la famille) de la maison Trimbach (viticulteurs depuis 12 générations à Ribeauvillé, leur réputation n’est plus à faire) sont encore disponibles. Prochainement en outre, sera mis en vente le millésime 2005 (annoncé à 31,80 €), sans doute l’un des plus intéressants depuis 1990, année de tous les superlatifs. Un vin racé et puissant : avec sa grande richesse, il est issu uniquement des terroirs de Ribeauvillé surplombant le domaine, le Geisberg et l’Osterberg. La cuvée réussit un étonnant équilibre entre finesse et nécessaire minéralité, caractéristique que délaissent malheureusement bien des producteurs au profit de goûts fruités stéréotypés. Une bouteille que l’on peut largement garder en cave une quinzaine d’années. (H.L.) m Trimbach Riesling 2005 “Cuvée Fréderic Émile” Famille Trimbach, 15 Route de Bergheim à Ribeauvillé 03 89 73 60 30 www.maison-trimbach.fr

Bar Lounge © G.Nielsen 80 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10



Last but not least

Jean-Louis Mourier, dessinateur de Trolls de Troy Christophe Arleston, scénariste interviewé Dernier morceau de rock’n’troll écouté. Je travaille toujours en musique et ce matin je me suis mis Uncontrollable urge du groupe Devo. Pas tout récent, 1978, mais un son qui n’a pas vieilli.

R

1

Dernier jeu de mot pas conservé. J’ai une fâcheuse tendance à tous les garder. J’ai très peu de limites d’autant que les jeux de mots sont un plus, jamais le centre d’un gag. Dernière troll de vanne. En sortant d’un resto ce midi, on croise un groupe de touristes anglo-saxons du troisième âge. On a imaginé les attaquer sauvagement, ici, à Aix-en-Provence. Dernier troll inventé. Manshdekäs, parce que Manshdekästroll ! Dernier événement inspirant. Il est très rare que j’injecte de l’actu chaude dans un scénario. Journaliste de formation, je suis un bouffeur d’infos mais je préfère laisser les choses fermenter, même si je songe à un épisode où un troll voudra prendre le pouvoir sur les autres. Le hasard du calendrier veut qu’il sortira fin 2011… Dernier coup de sang. Je suis plutôt Bourgogne que sang dans le crâne d’un ennemi vaincu. J’avoue aussi qu’il m’arrive, en écoutant France Inter le matin dans ma salle de bains, de casser ma brosse à dents face aux mensonges permanents que le pouvoir s’obstine à défendre. Dernière prise de bec avec JeanLouis Mourier, dessinateur de Trolls de Troy. En 1993 sur le choix d’un vin à table (rires). Non, c’est l’homme le plus gentil au monde, il est impossible de s’engueuler avec lui.

82 _ Poly 136 - Octobre / Novembre 10

Dernier mot. Arg ! Mais je ne suis pas pressé de le prononcer. Dernier album paru. Trolls de Troy volume 13, La guerre des gloutons II (chez Soleil, 13,50 €) www.soleilprod.com Propos recueillis par H.L. et P.M.

m À rencontrer au cours de la 26e édition du festival Bédéciné que préside Jean-Louis Mourier, à Illzach, à l’Espace 110, samedi 13 et dimanche 14 novembre 03 89 52 18 81 – www.espace110.org

M d L

0


Raoul Dufy 1877 - 1953

Musée national d’histoire et d’art Luxembourg

Marché-aux-Poissons L-2345 Luxembourg www.mnha.lu

mardi - dimanche 10h -18h jeudi 10h - 20h lundi fermé

08 .10 . 2010 - 09 . 01. 2011

10 A, bd Royal L-2093 Luxembourg



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