memoire photographique champenoise n° 12

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Mémoire photographique Champenoise « Centre Régional de la Photographie de Champagne Ardenne » Rue de Clamecy (ancienne caserne des pompiers) 51160 Ay Bulletin bisannuel Prix de vente au numéro : 2 €

La révolte des vignerons en 1911 : prise de vue du 15 avril. Jean Poyet fut appelé par Edmond de Ayala pour faire une série d'une trentaine de photographies des dégâts subis par sa maison de Champagne lors des manifestations à Ay. C'est sur une poutre calcinée que le photographe a apposé sa signature... Il a couvert également les manifestations à Epernay. De portraitiste, il était entrain de devenir reporter !

N° 12 2° semestre 2011 Parution du n° 13 En janvier 2012

http://memoirephotographiquechampenoise.org

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Mémoire photographique champenoise Bulletin de l'association loi de 1901 Centre Régional de la Photographie de Champagne-Ardenne Rue de Clamecy (ancienne caserne des pompiers) 51160 Ay http://memoirephotographiquechampenoise.org

Editorial Tout ne va pas toujours bien dans le monde associatif, et nous avons connu ces derniers mois quelques soubresauts qui vont entraîner une restructuration de notre association. Heureusement, le travail continue, et nous sommes heureux d'accueillir depuis quelques mois Pascal Pécriaux, jeune retraité qui vient chaque semaine participer à l'énorme travail de numérisation entrepris sur la partie « portraits » du fonds Poyet. Vous lirez ses impressions dans ce numéro. Nous continuons à assurer les permanences mensuelles avec parfois des surprises totalement inattendues. Ainsi, lors de celle d'avril, M. Petit, de Ferbrianges, nous a établi une liste impressionnante de membres de sa famille photographiés chez Poyet. Déjà quelques semaines de travail ont permis de rendre visibles un bon nombre de ces portraits, et sans chercher le concours, il est possible que cette famille soit la plus représentée dans ce précieux fonds photographique... Ce sera peut être le terreau d'une future exposition... Une partie importante de notre action, ou de notre désir d'action est en panne depuis deux ans : les actions villages. Nous espérons qu'une nouvelle équipe permettra de reprendre l'organisation de ces actions. Plusieurs communes dont Festigny attendent d'y participer. Des partenariats sont en cours de négociation, car nous avons besoin de ressources afin d'avancer dans notre travail de valorisation, et chacun sait que les organismes publics sont beaucoup plus regardants que par le passé pour leurs dépenses culturelles. Encore faut il que la culture défendue ici soit dans l'air du temps, ce qui n'est pas le cas. Pas assez spectaculaire comme le théâtre de rue, par exemple ... Heureusement, notre enthousiasme reste inoxydable...

Francis Dumelié. Sommaire :

Quelques cartes de photographes régionaux

- Album de famille aux Grandes Loges

p.2

- Vie de l'association, Bourse Amicarte 51

p.3

- En bref :

p.5

Madagascar revient ,

Visite de Pierre Poyet,

FR3 tourne un reportage sur le fonds Poyet,

Centenaire du Champagne Goutorbe Bouillot - D'hier et d'aujourd'hui : Grauves , Cormontreuil, Avize

p.8

- Nous ne sommes pas seuls au monde : Epernay Patrimoine

p.12

- Histoire de la photographie chapitre 10 : Kodak-Pathé

p.14

- Technique : calculer le poids d'une image numérique

p.16

- A voir au FRAC de Reims : exposition

p.18

- Les accessoires du photographe : un lapin qui dure !

p.20

- Confession d'un serial numérisateur

p.21

- Les illustrateurs dans le fonds Poyet

p.23

- Encore des histoires de retouches

p.25

- Il y a portrait et portrait... ou la trace d'un conflit de générations

p.27

- Le flou et le photographe

p.29

- Des années qui tricotent

p.32

- John Coplans, photographe d'aujourd'hui

p.33

- Première vue économique sur le fonds Poyet

p.35

Ont participé à la rédaction de ce numéro : Claude Bavoux, Jean Luc Chelles, Daniel Désandré, Francis Dumelié, Marc Genevrier, Agathe Hoffman, Jacques Mambret, Pascal Pécriaux, Florence Durieux (citée), Bertrand Demarque. Coordination : Francis Dumelié


L’association « La nouvelle vague », qui anime les jeunes de la commune des Grandes Loges a travaillé à un projet de longue haleine : de juillet 2009 à février 2011, ses adhérents ont contacté tous les habitants de leur village et collecté ainsi quelques centaines de photos de famille qui ont été mises en scène avec talent pour une exposition qui a bien sûr attiré toute la population locale... Une initiative particulièrement heureuse liant passé et présent, d’autant plus remarquable qu’elle ait été initiée par des jeunes gens que l’on dit plus portés sur d’autres activités futiles que sur l’histoire familiale et locale.

Les Grandes Loges : un village redevenu paisible depuis la construction d’un contournement de la N44 en 1967, qui a vu sa population passer de 148 habitants en 1962 à près de 250 aujourd’hui. Il faut dire qu’il est situé à 17 km de Châlons en Champagne et à 40 km de Reims. -2-




Madagascar revient...

Jusqu’à présent, chaque « bouteille à la mer » que nous ayons lancée est arrivée quelque part et a suscité une réaction. Pour mémoire, la dernière concernait une série de cartes postales sur le champagne Fortin, dont une descendante a pris contact avec nous pour identifier le petit garçon figurant sur ces images.(voir bulletin n° 9) La première fut celle de la recherche de l’identité d’un photographe ayant opéré à Madagascar au début du 20° siècle, bouteille débouchée et message lu par Claude Bavoux, ancien professeur en retraite, érudit spécialisé dans la carte postale malgache, vivant à la Réunion, avec qui nous avons depuis des relations suivies. Je lui avais fait parvenir l’intégralité des images que nous possédions, en basse définition afin qu’il les regarde et les identifie. ( voir notre bulletin n° 6) Rédigeant un travail sur ce photographe amateur, il publie dans son ouvrage la photo suivante représentant une cérémonie qui a été photographiée par M. Leygoute en 1907 et nous a fait parvenir la légende suivante :

« Il existe quelques clichés originels de G.Leygoute. Celui-ci, pris vers Maintirano en 1907, n’est pas le moins beau. Nous sommes au tout début de l’aube. C’est le moment nommé misandratse. On devine les premiers rayons du soleil. Les participants du bilo n’ont pas chaud. Chacun est couvert et tourné vers l’Est propice. Sur le bâti de bois (talatala), la personne possédée (bilo) tourne le dos à sa tiam-bilo, expressément désignée par elle lors de la cérémonie pour être l’intercesseur(e) entre les mondes des esprits et ce bas monde. La coiffure féminine dokodoko (cheveux noués en boule) s’impose en période de rite de passage, de soins de maladie, c’est à dire en période intermédiaire entre un départ et une arrivée. Leygoute a produit près de sept mille clichés qui n’ont pas tous cette richesse. Collection "Mémoire photographique champenoise". Reste un mystère non élucidé : comment ces négatifs ont-ils atterri dans un grenier de Rilly la Montagne, alors que jamais M. Leygoute n’est revenu en métropole... Nous espérons un jour éclaircir ce mystère !

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Contact avec la Famille Poyet Le 20 mai, j’ai eu le plaisir d’accueillir à notre local de la rue de Clamecy à Ay, Pierre, le petit fils de Jean Poyet, né en 1936, fils de Fernand Poyet, qui a fait sa carrière professionnelle dans l’industrie tout en étant un photographe amateur averti. Il a, comme d’autres membres de cette famille Poyet, beaucoup apprécié notre travail au service de la mémoire de son grand-père qu’il a assez peu connu, et dont il garde un souvenir plus sévère que chaleureux... Un reportage sur le Fonds Poyet sur FR3 en février

L’équipe de tournage essaie de retrouver l’endroit exact de la rue Gambetta d’où Jean Poyet à pris une photo de son magasin qu’il éditera en carte postale en 1903. Il est sorti de cette journée de tournage un film de 7 minutes faisant intervenir diverses personnes, dont Marie Thérèse Peltier qui travailla chez Poyet, ainsi que d’autres témoins et tout particulièrement le professeur Philippe Buton, adhérent de notre association et historien reconnu qui enseigne l’histoire contemporaine à l’Université de Reims. L’Union s’est fait l’écho de ce tournage...

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Centenaire du Champagne Goutorbe-Bouillot à Damery

A l’occasion de cette commémoration, Dominique Papleux, dernier descendant des créateurs de l’entreprise en activité nous a proposé d’exposer quelquesunes des photographies du fonds Poyet concernant le Champagne, et tout particulièrement celles de la révolte des vignerons cette année là. Il nous a rappelé que son grand père et son oncle furent surpris à la gare de Damery entrain de percer les fûts de vin arrivant frauduleusement de Bourgogne, et firent pour ce délit, qui n’était autre qu’un cri de désespoir lancé aux grandes maisons fraudeuses, 3 mois de prison...

L’union de Jules GOUTORBE et de Louise BOUILLOT a été à l’origine de la création de la marque GOUTORBE-BOUILLOT dès 1911. Auparavant, la famille GOUTORBE exploitait bien les vignes (et cela depuis six générations), mais vendait son vin aux grands négociants, qui se chargeaient eux-mêmes de l’élaboration en Champagne. De 1908 à 1911, le négoce suspend ses approvisionnements en raisins auprès des petits propriétaires. Ces derniers vont subir trois années de crise qui déboucheront en 1911 sur des émeutes et à la création de coopératives. Dès lors, un grand nombre de vignerons indépendants commercialiseront sous leur propre marque. Ils feront alors le tour des marchés et des foires pour développer leur activité commerciale. C’est ainsi que Jules GOUTORBE et quelques collègues furent à l’initiative de la Coopérative du village de DAMERY dans la Vallée de la Marne ; village de Champagne qui compte encore aujourd’hui le plus grand nombre de récoltants-manipulants.

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Grauves 1938 - 2011 C’est le Champagne de Cazanove qui commanda cette prise de vue réalisée par Fernand, le fils de Jean Poyet, en avril 1938. Là aussi, localisation du point de prise de vue assez difficile, mais nous nous sommes calés sur la maison qui apparaît au premier plan, simple grange à l’époque devenue habitation depuis. Tout commentaire sur ces images sera le bienvenu !

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Avize 1938 - 2011 C’est le Champagne de Cazanove qui commanda cette prise de vue réalisée par Fernand, le fils de Jean Poyet, en avril 1938. La recherche du point précis d’où a été prise la photographie n’est pas aisée. On voit que le paysage a bien changé : une belle maison bourgeoise disparue à gauche de l’église, et beaucoup de constructions à gauche de la tour carrée de cette maison de champagne. L’extension d’Avize vers le Nord est très perceptible.

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Association Epernay Patrimoine 8 rue Maurice Cerveaux 51200 EPERNAY

Présentation de notre association par son président, Daniel DESANDRE A l’initiative de M. Etienne Charbonneaux, une réunion a été organisée à la salle des Fêtes d’Epernay en début d’année 2010 en vue de la création d’une association visant à la préservation et la mise en valeur du patrimoine architectural sparnacien. Cette assemblée constitutive avait comme objectif principal de choisir le nom de l’association et d’en approuver les statuts. Les statuts permettent de déterminer les valeurs et les missions principales de notre association :

protéger, conserver et mettre en valeur le patrimoine architectural et historique d’Epernay, mettre en œuvre toutes actions à cet effet, susciter le recensement des documents et archives détenus par les particuliers et les faire connaître, encourager les Sparnaciens à rénover leurs immeubles et les aider à respecter les règles de construction et de modification de l’aspect extérieur des bâtiments, recueillir les suggestions et propositions d’aménagements de la ville, Etre l’interprète des Sparnaciens auprès de la mairie et autres collectivités territoriales et des administrations dans le domaine de la protection du patrimoine.

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Après quelques péripéties dans le déroulement du fonctionnement de notre comité dans les premiers mois, nous avons créé quatre commissions pour porter des projets de façon plus efficace :

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Publicité, Communication : animateur M Jean LOCHE, Bâtiments et édifices historiques : animateur M Francis GRONGNET, Façades, rues, histoires de la ville : animateur M François KICHMEYER, Ateliers des chemins de fer : animateurs M. Bernard ANDRE et M. Raymond GALATAUD

A partir du travail réalisé par ces commissions, nous avons organisé dans le cadre des journées du patrimoine la visite de la crypte de la Chapelle de l’Hôpital Notre Dame de l’Assomption. Nous proposons à la municipalité d’Epernay un projet d’implantation de panneaux en reproduisant des cartes postales anciennes dans l’objectif de faire connaître aux sparnaciens et aux touristes, une partie du passé de notre ville (époque 19ème siècle). Nous avons participé de façon très active à la journée consacrée à la rue du Docteur Verron à travers la recherche de l’historique des maisons et hôtels particuliers ainsi que la présence d’un stand qui nous a permis de donner des informations sur notre association. Notre nomination à la commission des ravalements de façade dans le cadre de la cinquième campagne de la Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager appelé ZPPAUP nous permet d’avoir un rôle consultatif. Bien évidement, nous sommes particulièrement à l’écoute de l’élaboration du projet scientifique et culturel qui constitue l’étape indispensable à l’ouverture du Musée d’Epernay. Pour faciliter la communication, nous avons créé une page facebook intitulé tout simplement « Epernay Patrimoine » pour la diffusion d’informations concernant notre association mais pas uniquement… - 12 -


13 janvier 1925

Quelques clichés de Jean Poyet représentant le patrimoine bâti d’Epernay

21 juillet 1920

5 mai 1923

1° juin 1920

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Histoire de la photographie. Chapître 10. Dans notre précedent bulletin, nous avons abordé l’histoire de la formidable réussite de Kodak, société crée par George Eastman et le succès mondial rencontré par son célèbre appareil photo, le Brownie qui a été à la photographie ce que sera bien plus tard la 2CV à l’automobile... En France, tout d'abord représentée par Paul Nadar (fils du célèbre photographe Félix Nadar), cette Compagnie crée, en 1897, Eastman Kodak S.A.F., sous contrôle britannique, avec un Siège et un magasin de ventes situé à Paris (avenue de l'Opéra), qui devient Kodak S.A.F. en 1906. Celle-ci s'installe, en 1913, au coin de l'avenue Montaigne et de la rue François 1er à Paris, et, en 1925, regroupe ses activités de traitement dans un nouvel établissement situé à Sevran.

Né en 1863, Charles Pathé est installé à Vincennes depuis 1891 comme restaurateur lorsque, par hasard, en 1894, il découvre le phonographe d'Edison et en assure l'exploitation d'abord dans les fêtes foraines, puis dans une boutique et un atelier installés Cours de Vincennes, à Paris. Le 28 décembre 1895, il est enthousiasmé par sa rencontre avec les frères Lumière et les premières "projections cinématographiques" publiques. Associé avec son frère Emile, il décide d'exploiter cette invention et, en 1896, fait réaliser les premiers films d'édition. L'année suivante est créée la "Compagnie Générale des Phonographes, Cinématographes et Appareils de Précision". Des succursales sont fondées en Europe et même aux Etats-Unis (1904). En 1908, grâce à l'apport de capitaux financiers, est formée la nouvelle Société Pathé-Cinéma afin de développer les activités dans ce domaine et, si possible, de produire des films vierges qu'il est de plus en plus difficile de trouver sur le marché américain. C'est vers cette date que, pour compléter les capacités des ateliers de Joinville-lePont, commence la construction d'une usine de production sur un terrain - 14 -

situé à Vincennes, près du château, appartenant à Charles Pathé : elle ne cessera de se développer. S'étant déjà rencontrés deux fois (en 1906 et 1908), George Eastman et Charles Pathé se contactent à nouveau en 1926. Le premier propose à son principal concurrent à Paris la création d'une Société industrielle et commerciale commune. Après un an de négociation, ils arrivent à un accord : ainsi naît le 28 juillet 1927, par fusion de Kodak S.A.F. et de la Société Française Pathé-Cinéma, la nouvelle Société Kodak-Pathé S.A.F. dont le capital est fixé à 100 millions de francs. En octobre 1931, elle devient filiale d'Eastman Kodak Company.

En 1918 , les frères Pathé se sont convaincus de la suprématie de l'industrie cinématographique américaine et qu'il est illusoire de vouloir s'y opposer. Il s'agit alors de céder dans les meilleures conditions les différentes branches de leur trust. À cet effet, la branche phonographique et l'usine de Chatou sont détachées de l'ensemble et continueront à fonctionner sous la direction d'Émile Pathé, qui abandonne ainsi toute activité dans la branche cinéma. En 1924, Émile Pathé prendra sa retraite et cédera ses intérêts à Marconi : la société s'appellera désormais « Pathé Marconi » bien que Pathé n'ait plus de participation dans l'affaire. La branche cinématographique deviendra « Société Pathé Cinéma » et sera animée par Charles Pathé exclusivement. À remarquer que Charles Pathé a prévu par contrat de percevoir 10 % des sommes reçues pour chaque cession d'une affaire.


En1920, Charles Pathé va céder à une nouvelle société baptisée « Pathé Consortium Cinéma » (mais dans laquelle Pathé s'est gardé d'investir) les studios de Joinville et l'appareil de distribution. En contrepartie la nouvelle société devra verser une redevance de 10% de son chiffre d'affaires, ce qu'elle n'arrivera pas à assurer, d'où des litiges incessants.

Charles Pathé va liquider à des conditions que nous connaissons mal les différentes succursales étrangères, notamment la branche américaine baptisée « Pathé Exchange ».

Il va céder à Eastman la prospère usine de films vierges de Vincennes pour la somme de 150 millions de francs. Cette cession sera présentée comme une collaboration entre Eastman et Pathé, puisque la nouvelle société s'appelle « Kodak Pathé », mais en réalité la quasi-totalité des actions (995 000 sur un million) et le pouvoir sont dévolus au trust américain.

En même temps qu'il liquide les actifs principaux, Charles Pathé va cependant créer deux activités annexes intéressantes. Il imagine en 1922 le Pathé Babyou « Cinéma chez soi », appareil de format réduit (sur film 9,5 mm) conçu par Continsouza pour les particuliers et qui connaîtra un succès tel que l'usine Continsouza aura du mal à fournir. Charles Pathé ne veut pas investir des fonds importants dans cette activité. Il va donc créer une « Société du Pathé Baby » au capital de dix millions de francs dans laquelle il participe à hauteur de un million de francs. La nouvelle société est tenue d'acheter exclusivement les bandes positives de format réduit à Pathé Cinéma, ce qui représente des rentrées financières appréciables et sans risques. Dans le même ordre d'idées, Charles Pathé va s'efforcer dès 1923 de promouvoir e Pathé Rural appareils de projection et films de format réduit (sur film de 17,5 mm) destinés à la petite exploitation rurale et aux salles de patronage et concurrent du film 16 mmqui vient d'apparaître aux États-Unis. Mais comme il n'arrive pas à trouver d'investisseurs, ce projet subit de grands retards. Finalement Charles Pathé se résigne à le lancer lui-même en 1928 (Texte source : Société Kodak) - 15 -

Il est incontestable que l’apparence de collaboration entre Eastman et Pathé n’est en réalité qu’une prise de possession du merveilleux outils européen que constituait cette usine ultra moderne de Vincennes, et qui permettait à Kodak de produire hors Amérique les films aussi bien photographiques que cinématographiques. Il est extrêmement tentant de faire un parallèle entre le développement des sociétés photographiques de ce début de XX° siècle, et celui des géants informatiques d’aujourd’hui, passant d’entreprises tout à fait artisanales à de véritables trusts en quelques années. L’aventure Kodak ressemble aussi bien à celle d’Apple que de Microsoft, voire Google avec encore une similitude : dans l’informatique comme dans la photographie et le cinéma, les progrès réalisés sur le plan technique ont souvent été le fait d’amateurs géniaux comme Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce, ou de bénévoles astucieux comme les créateurs des logiciels libres. Charles Pathé, à son époque, bâtira un empire à partir d’une diversification de son métier de restaurateur...


Le calcul du poids d'une image numérique par Marc Genevrier

Ingénieur de formation traducteur indépendant en allemand et anglais Passionné de grand format et familier du numérique. Je réponds ici à la question posée régulièrement : quel sera le poids en Mo d'une image de telles dimensions et de telle résolution ?

1. Combien y a-t-il de pixels dans l'image ? La résolution indique le nombre de points sur une unité de longueur de l'image. L'unité choisie étant le pouce (dpi = points par pouce), les dimensions de l'image doivent aussi être exprimées en pouces. Il suffit ensuite de multiplier. Exemple d'un 4 x 5 à N dpi : Sur la hauteur : 4 x N pixels Sur la longueur : 5 x N pixels Surface : 20N² pixels

2. Quelle quantité d'information binaire faut-il pour décrire un pixel ? L'image est codée en 24 bits/pixels ou 48 bits/pixels (8 ou 16 par canal R, V et B). Les scanners qui délivrent du 36 ou du 42 bits (par pixel) modifient ensuite ces données pour les enregistrer dans les deux seuls formats qui existent : 24 ou 48 bits. Donc il n'y a pas d'autre cas à considérer. OR 1 OCTET = 8 BITS (souligné trois fois en rouge !!!) Donc un pixel est décrit par 3 octets en 24 bits, 6 octets en 48 bits.

3. On multiplie : Nombre de pixels x nombre d'octets par pixel = nombre total d'octets dans l'image. Dans notre exemple : 60N² octets en 24 bits, 120N² en 48 bits. Application : une image 4x5 scannée à 1200 dpi pèse en 24 bits : 60 x 1200 x 1200 : 86400000 octets Comme 1Ko = 1024 octets et 1 Mo octet=1024Ko : Le poids de l'image est de 82,4 Mo. Note : la résolution intervient au carré, donc ça augmente très vite. Si on multiplie la résolution par 2, on augmente le poids de son fichier par 4. Exemple : un 4 x 5 à 2400 dpi en 48 bits : 691,2 Mo. Note : pour obtenir grosso modo le résultat en Mo, on peut diviser la résolution par 1000 avant de multiplier : 20 x 1,2 x 1,2 = 28,4 Pour les photoscopes, c'est encore plus simple, puisque les fabricants donnent directement le nombre de pixels dans l'image, pas la résolution : Un 3,3 mégapixels donne en 24 bits des images de 3,3 x 3 = environ 10 Mo. Dernière remarque : évidemment, c'est en quelque sorte un poids maximal avant toute compression jpeg ou autre. Mais c'est aussi le poids que l'image occupe en mémoire quand on la traite dans Photoshop ou un autre logiciel.

Enfin : quelques observations pratiques : 1/ Photoshop propose à la création d'une image (avec : Fichier Nouveau) ou après que l'image ait été scannée (avec : Image - Taille de l'image) deux commandes qui permettent d'évaluer le poids de l'image en fonction des paramètres retenus (dimension et résolution). Cela permet d'avoir le résultat tout cuit (mais ne dispense pas de comprendre !) 2/ Faut-il scanner en 24 ou en 48 bits ? Si l'image de départ est de bonne qualité, il suffit de scanner en 24 bits. Si on a à retoucher pas mal les images, mieux vaut scanner en 48 bits. En effet chaque traitement de Photoshop amoindrit la richesse de l'image. Alors il vaut mieux partir "riche". - 16 -


3/ les deux résolutions d'images les plus couramment employées sont : 72 points par pouce, pour les images web, et 300 points par pouce pour l'impression sur une imprimante de qualité photo ou chez l'imprimeur. Au moment de scanner on scanne pour une résolution donnée et une taille d'image (résultante) donnée. Les amateurs ont tendance à scanner le plus gros possible pour réduire ensuite, d'où il résulte : - des fichiers monstrueux qui encombrent les ordinateurs - un résultat ramené à la dimension inférieure par une interpolation logicielle (sorte de calcul des moyennes) qui rend l'image rétrécie moins étincelante que l'image d'origine.

Résolution en numérique Ce tableau permettent d'aborder la question de la résolution nécessaire en fonction de l'usage que l'on veut faire de la photographie numérique. Seule la question de la résolution est abordée... rappelons que du seul point de vue technique il faut que la sensibilité du scanner (le gamma) soit la plus élevée possible, si l'on veut des ombres fouillées et pas de vilaines taches noires sur le scan.

Tableau rappelant les poids des fichiers nécessaires suivant le type d'usage envisagé (dimensions données pour des photographies couleur)

Utilisation

Résolution (pixels)

e-mail / page internetex. 8,47x11,29 cm

Poids du fichier

240x320

225 ko

Affichage écran TV

480x640

900 ko

Affichage XGA

768x1024

2,25 Mo

Tirage jet d’encre 10x15cm

700x1000

2,01 Mo

Tirage photo 10x15cm

1200x1800

6,2 Mo

Tirage photo 13x18cm

1530x2100

9,2 Mo

Tirage jet d’encre A4 (21x29,7cm)

1400x2100

8,4 Mo

Tirage photo A4

2300x3500

24 Mo

Tirage jet d’encre A3 (30x40cm)

2100x2800

17 Mo

http://www.galerie-photo.com/

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Le FRAC (ancien collège des Jésuites à Reims) présente de belles images : exposition jusqu’au 14 août 2011. FRAC : fonds régional d’art contemporain

Trois personnages pour cette exposition : le peintre et sculpteur Eugène van Lamsweerde, d’origine hollandaise, mais qui travaille à Romilly sur Seine, et le couple de photographes de mode parmi les plus réputés : Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin. Les œuvres réalisées par ces trois artistes sont appelées « Sculptographs » et combinent deux techniques : la photographie et la sculpture. Eugène sélectionne minutieusement certaines photos crées par le couple, qu’il découpe le plus souvent, afin de ne conserver qu’un détail de l’image initiale, et qu’il manipule ensuite comme un matériau quelconque en le pliant, le froissant, le tordant. Il travaille ensuite de fines tiges de métal qu’il sculpte à partir et autour de l’image choisie, comme pour lui créer un environnement. Il attribue ainsi une troisième dimension à ces images, celle de l’espace. L’univers en expansion qui apparaît alors est tout à la fois beau et fragile, précieux et gracieux, protecteur et inquiétant. En un mot : fascinant. (texte issu du dossier de presse du FRAC) Comment ne pas imaginer les bons pères jésuites entrain de prier et se recueillir dans cette chapelle qui, bien que désaffectée porte tous les signes de la religiosité des lieux, autel et chaire toujours en place, sous ces scupltographies dansant au-dessus de leur tête ? Page suivante, le travail de Julien Carreyn, né en 1973 à Angers : photographies retravaillées et associées pour constituer des tableaux étonnants. La commissaire de l’exposition, Florence Durieux s’exprime ainsi à son sujet : « Il donne à voir des images à l’esthétique surannée mais terriblement séduisante, qui convoquent notamment un imaginaire de fin de civilisation. C’est dans la confrontation de ces différents univers que le travail de Julien Carreyn prend tout son sens, dans sa capacité à amorcer un récit, voire à raconter une histoire, à partir d’éléments hétérogènes. » On parle et on écrit bien quand on est commissaire d’exposition, même si le sens profond reste parfois obscur - 18 -


Julien Carreyn fait sur ses images un travail d’atelier important, non seulement dans la découpe, le montage, mais aussi beaucoup de transformations par le tramage comme ci-dessus, l'œuvre étant totalement transformée suivant la distance à laquelle on la regarde.

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Les accessoires du photographe : un lapin qui dure...

Sur la photo de gauche apparaît pour la première fois ce lapin, en haut de la colonne. C’est Marguerite, la fille de Jean Poyet, en 1901, avant qu’il ne s’installe à Epernay, qui tente de l’approcher. Le voilà encore, accompagné d’un autre lapin plus petit ainsi que d’un pigeon en bois peint, en 1928, ci –contre. Et il est toujours là, fidèle au poste ci-dessous, posé sur la petite chaise où d’innombrables enfants se sont assis, le 16 août 1939...

C’est en mai 1941 qu’apparaît avec ce communiant, un fauteuil furieusement moderne pour l ‘époque qui tranche avec les tablettes servant de support à des bouquets, des objets, et surtout des bébés, datant incontestablement du début du XX° siècle. Notre lapin a déjà la quarantaine, et la suite du travail de numérisation des négatifs du fonds Poyet nous permettra de savoir quel âge il a atteint...

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Confession d’un serial numérisateur

D’abord, il y a la vision de ce mur couvert de classeurs métalliques, et dans chaque casier, bien serrées, des boites en carton de plaques de verres. Des dizaines de milliers de plaques, et sur chaque plaque, de un à huit clichés. La première question : combien de vies humaines pour numériser un par un chacun de ces clichés ? Mais qu’importe : comme les archéologues qui dégagent un site de plusieurs hectares à la petite cuiller, ce qui prévaut, c’est de commencer, de sauvegarde un patrimoine sauvé par miracle, avec ordre, soin et méticulosité. Je retrouve l’obstination et l’enthousiasme du moine copiste d’un scriptorium médiéval. D’autres ont commencé auparavant, d’autres continueront ensuite. Le temps compte peu, il suffit de contribuer humblement à une tâche qui n’aura sans doute pas de fin. La procédure est écrite, il n’y a qu’à la suivre. Prendre une première boîte, puis une pochette que l’on plie, y reporter le numéro d’ordre de la boîte, le numéro de la première et de la dernière plaque de la boîte. Ouvrir la boîte, enfiler des gants pour en extraire les plaques, en vérifier l’ordre, relever les noms des clients qui y figurent, les écrire sur la pochette puis, plaque après plaque, cliché après cliché, noter le thème : un homme, une femme, un enfant, un groupe, un animal, une scène. Ensuite, photographier chaque cliché sur un boîtier lumineux. Il faut près de deux heures pour une série de trois ou quatre boîtes. Dans un second temps, reprendre toutes les photos car ce sont des négatifs. Il faut donc les mettre en noir et blanc, les inverser et les

mettre en positif : les gauchers deviennent droitiers,les mariées en noir s’habillent de blanc et les mariés en blanc se vêtent de noir. Ensuite, confronter les clichés au registre Poyet : vérifier, corriger ou compléter ces informations et renommer chaque cliché du numéro de la plaque et de son donneur d’ordre. Encore une bonne paire d’heures pour cette seconde partie de la procédure. Une fois les clichés sauvegardés, ranger les plaques dans leur pochette, la replier, la clore avec une ficelle bien serrée et la remettre dans les casiers dans leur ordre d’origine. Et puis, de temps à autre, il y a la mauvaise surprise des émulsions qui se sont détériorées avec le temps, qui collent les plaques les une aux autres ou qui se fendillent et se gondolent sous l’effet de la chaleur du boîtier lumineux. En les recouvrant rapidement d’une plaque de verre transparent, il est souvent possible de limiter les dégâts et de sauvegarder le cliché Pascal Pécriaux, auteur de cette mais ce n’est pas toujours possible. confession, au travail. Heureusement que bien souvent le même sujet a fait l’objet de plusieurs prises. Il arrive cependant de tomber sur toute une série d’émulsions défectueuses, avec la déception de perdre plusieurs clichés, irrémédiablement. Parfois aussi, des plaques manquantes, disparues ou fendues, ou des clichés qui ne sont pas répertoriés dans les registres, surtout en ce qui concerne les reproductions de photos plus anciennes, que Monsieur Poyet traitait entre deux prises de vues de modèles venus au studio. Le nom figurant en général sur la plaque, l’identification reste possible, mais, sur le millier de clichés traités, il me reste un visage d’homme, un peu flou, sans aucune identité, le fantôme d’un fantôme… De tels incidents ralentissent le travail qui, modestement, en trois mois et demi, a permis Mariés « classiques » de numériser 1181 clichés, issus de 660 plaques, couvrant à peine six mois de l’activité du studio Poyet, de janvier à juillet 1920 A ce rythme, il faudrait encore une trentaine d’années pour mener à bien la numérisation de l’ensemble du fonds… Mais il n’y a rien de fastidieux dans ces gestes sans cesse répétés car naît peu à peu la magie des images qui se révèlent et qui fait rentrer dans le mystère de ces êtres saisis par l’art du photographe il y a plus de quatre-vingt dix ans. La pose hiératique des mariés, debout côte à côte dans leur tenue de cérémonie, et tout d’un coup, un couple qui échappe au stéréotype et ne fixe plus l’objectif, mais se regarde l’un l’autre. Selon la saison, il y a les séries de communiants, de mariés, de bébés. Les premiers mariés qui se regardent : 6 avril 1920 !

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Une partie des classeurs contenant les boites

Les négatifs sur verre sont dans leurs boîtes d’origine

La marque, voire les stigmates de la Grande Guerre s’imposent, avec ces soldats italiens, encore présents chez nous près de deux ans après l’Armistice, qui viennent se faire tirer le portrait dans leur uniforme impeccable, souvent par deux, comme si la nostalgie du pays natal s’apaisait de poser avec un camarade. Plus émouvantes encore, ces reproductions de photos de soldats, fantômes disparus dans la tourmente de la guerre et dont un être cher a voulu conserver l’image. Et toutes ces demoiselles qui viennent se faire portraiturer chez Monsieur Poyet, certaines guindées, empruntées, peu habituées à sourire, et d’autres mutines, qui reviennent à plusieurs reprises au studio comme pour affirmer leur charme. Et puis quelques surprises : un chinois en imperméable et grand chapeau, la pipe aux lèvres, ou ce bel officier noir en uniforme dont la photo a pour donneur d’ordre une demoiselle d’Epernay, et ces jeunes mariés de 1920 qui, plus de soixante ans plus tard étaient devenus mes voisins… De ces milliers de modèles qui sont venus demander à Monsieur Poyet de les saisir à un moment de leur vie, combien ont laissé un souvenir encore vivace, un parent qui viendra nous demander un tirage de leur portrait pour les faire revivre ? Où sont allés ces jeunes italiens venus faire la guerre si loin dans le nord ? Ont-ils fait souche chez nous ou sont-ils retournés chez eux ? Qui sait dans leur famille que leur portrait est dans nos archives ? Et ces bébés tout nus allongés sur un coussin au regard étonné, ces communiantes recueillies mais qui laissent paraître la fierté d’être si belles dans leur robe blanche, ces collégiens en uniforme qui apprennent à avoir l’air sérieux, que sont-ils devenus ? Peu importe ! Comme le copiste bénédictin qui reproduisait fidèlement des textes sans savoir qui les lirait et ce qu’il en adviendrait, nous conservons l’œuvre d’un artiste, le témoignage de la vie des générations d’hier avec le bonheur de ressentir l’émotion d’une vie figée sur un cliché pour que d’autres, plus tard puissent se pencher sur ce patrimoine qui illustre une époque et des êtres à la fois si proches et si lointains.

Un des défauts courants : gélatine éclatée

Ainsi qu’en témoigne Pascal Pécriaux, si vous êtes tenté(e) de participer à ce travail monacal, vous pouvez comme il l’a fait, nous rejoindre et ensemble, nous pourrons sans doute raccourcir l’issue de cet immense travail... Contact : Francis Dumelié 06 08 61 15 33

Négatif sur acétate de cellulose détérioré par l’humidité

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Encore de la retouche ! Nous avons déjà abondamment parlé de retouches dans le n° 10 de notre bulletin, mais le travail de numérisation nous fait sans cesse découvrir de nouveaux aspects de ces pratiques essentielles pour l’obtention d’un résultat parfait au tirage : correction de défauts soit physiques (rides, bouton, grain de beauté...), soit inhérents à une reproduction d’une photo ancienne et abîmée, soit encore pour obtenir un montage harmonieux, et enfin pour corriger les erreurs de manipulation du photographe à la prise de vue...Nous avons même rencontré des consignes concernant la retouche, directement inscrites sur le négatif, destinées à celui qui va effectuer le tirage en positif...

La photographie d’origine est rayée, froissée et trop sombre. le talent du retoucheur permet d’arriver au résultat ci-dessous !

A la suite d’une superposition de deux images, le photographe a estompé la tête de l’enfant afin de reconstruire le col du veston et pouvoir faire un tirage normal de ce portrait.

« Arranger le bas de robe » : avec son crayon, le photographe peut tout faire ! Il suffit de le dire... - 25 -


Avec deux prises de vues, Jean Poyet a découpé, remonté et redessiné l’ensemble pour obtenir le cliché final particulièrement harmonieux dans sa composition, affirmant l’unité de costume de trois des enfants en faisant regarder le quatrième dans une autre direction, contrairement à ce qui s’était produit à la prise de vue. Il a même déplacé le troisième vers la gauche afin de réduire l’espace entre le petit garçon et sa soeur. Notre photographe ne connaissait pas photoshop, et pourtant, quelle maîtrise de l’image et du montage avec les outils les plus simples qui soient !

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Le flou et le photographe...

Le photographe, quelle que soit son époque est amené à fréquenter ce phénomène. A le fuir, le traquer, l’éviter, mais aussi à en faire un instrument artistique. D’ailleurs, le terme existe bien : on parle de flou artistique qui est caractérisé en général par un sujet net se découpant sur un fond flou, cette pratique donnant presque toujours un relief saisissant à l’image. Mais il rencontre aussi le flou dû à un bougé, et nous en extrayons quelques exemples saisissants dans le fonds Poyet. On y trouve aussi une utilisation du flou tout à fait volontaire afin d’adoucir un portrait qui reste reconnaissable, mais dont les « aspérités » disparaissent complètement.. Nous trouvons souvent dans les négatifs le même portrait légèrement flou ou parfaitement net, sans savoir ce qu’a choisi le photographe au tirage...

Il fallait incontestablement une patience angélique au photographe pour saisir un bébé immobile. L’énorme chambre photographique qu’utilisait Jean Poyet ne dépassait pas en vitesse d’obturation le centième de seconde ! Sur les photos de groupe ci-contre, performance aussi : presque 50 personnes devant être immobiles en même temps... Dans le cas présent, ce sont les enfants qui jouent le mieux le jeu de l’immobilité, attentifs qu’ils sont sans doute à surprendre le petit oiseau qui va sortir !

A droite, cette fillette photographiée le 13 janvier 1928 par Jean Poyet a les plis sous les paupières particulièrement marqués. Sur le deuxième cliché, le photographe a retouché le négatif, et enfin, sur le troisième, en augmentant son ouverture de diaphragme, il a diminué la profondeur de champ et donc adouci l’image par un très léger floutage.

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A la pouponnière d’Epernay, le 20 mars 1939 : sur six bébés, la netteté généralisée semble impossible, malgré l’échange du bébé central, ces trois prises de vues ayant duré sans doute moins d’une minute !

Un bel exemple de flou artistique sur ce portrait de l’écrivain Olivier Rolin, réalisé par notre ami Gérard Rondeau, grand portraitiste s’il en est, mettant en avant les outils de l’écrivain, et suggérant seulement son visage... L’image est extraite de l’ouvrage « chroniques d’un portraitiste » édité au Seuil en 2006.

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En haut, deux exemples de prises de vues de 1928, dont le flou est incontestablement voulu par le photographe : la douceur du cliché est parlante ! et une seule prise de vue a été faite.

Ci-contre, nous avons deux prises de vues pour chacun des portraits, celui de la fillette à gauche de 1938, celui de droite de 1940. Mais n’ayant pas en notre possession les tirages réalisés, nous sommes incapables de dire quelle a été la préférence du photographe ou du client, le net ou le flou ?

Seule la découverte dans quelque habitation champenoise des tirages réalisés nous permettrait d’apporter une réponse plausible. Flou ou pas flou ? Là est la question ! Un indice utile : le portrait de la fillette (qui doit avoir aujourd’hui plus de 80 ans) est au nom de Hardy, celui de la jeune femme au nom de Hauller. - 31 -


Des années qui tricotent...

Chacun soignait particulièrement sa tenue pour aller chez le photographe. Mariés comme communiants sont toujours très élégants. Bien que le début du XX° siècle ait vu – surtout grâce à la guerre de 1914- toutes les femmes se mettre à tricoter, pour envoyer aux pioupious écharpes et chaussettes chaudes, ce n’est qu’à partir de 1938 que l’on voit dans les portraits du fonds Poyet un déploiement de points savants pour vêtir petits et grands... En voici quelques exemples.

2 avril 1928

30 avril 1938

25 avril 1938

23 août 1938

23 septembre 1938

24 janvier 1939 14 décembre 1938

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7 novembre 1939


John Coplans

Nous avons déjà eu l’occasion de présenter deux autres photographes « parlant » avec leur corps : Gilbert Garcin (voir bulletin N°7), corps habillé mis en situations curieuses, humoristiques, voire tragiques. Arno Rafael Minkkinen que nous avons présenté dans le n° 8, qui utilisait les lignes de son propre corps pour créer une véritable architecture. John Coplans est plus macroscopique, donnant à voir de près la surface d’un corps vieillissant... En se prenant lui-même comme modèle, John Coplans choqua par ses photographies d’une nudité inattendue, dans les années 1980. Aujourd’hui exposé à la galerie Anne de Villepoix, le photographe livre son corps à l’objectif, en présentant à nouveau ses premières séries d’autoportraits Self portrait, réalisées entre 1984 et 1988. Le corps anonyme et tronqué, telle est la vision personnelle de John Coplans. L’œil du visiteur glisse sur le papier photosensible comme l’air sur la peau tachetée de l’artiste lui-même. Malgré ses soixante-cinq ans, il n’hésite pas à jouer de sa chair, de ses articulations, pour produire chez le spectateur une forme d’intimité à partager avec lui-même. Les plis et replis de noir et de blanc deviennent les vagues d’une mer laiteuse, constellée de grains de beauté et autres imperfections qui confèrent à chaque photographie une sensibilité honnête. Capté de manière frontale, le corps de l’artiste est aussi le lieu de la déformation. En effet, comme aurait pu le faire John Baldessari, Coplans joue de la malléabilité de ses chairs et de ses organes, génitaux ceux-ci, en les étirant, les froissant. Le caractère sexuel n’est alors plus indécent, ni brutal mais proche d’une certaine forme d’acceptation de l’âge, du temps, qui, parfois grotesque, ramène l’adulte vers l’infantile. De plus, puisque dépossédé d’identité (par l’absence de figure), le corps ici photographié peut être (ou devenir) celui auquel songe chacun des visiteurs. La communication, le transfert s’opère alors entre l’image et le témoin de celle-ci. En observant le corps de John Coplans, le visiteur est moins voyeur que confident. La familiarité se dégage peu à peu de ses membres, en évitant cependant l’auto contemplation. Il semble aussi que la photographie prenne un rôle introspectif dans l’œuvre de l’artiste, qui tente à travers le regard de l’autre, de mieux saisir la globalité de son propre corps. Rappelant les anatomies désarticulées et tortueuses que photographiait volontiers Hans Bellmer à travers ses séries sur la poupée, les œuvres de Coplans traduisent une architecture des corps, une codification des attitudes que ce dernier s’attache à brouiller. Pourtant, tout reste lisible. On reconnaît bien les coudes et autres membres anguleux du corps, qui prennent leur source dans une sorte de quête anthropologique. John Coplans, s’emploie "à une sorte d'archéologie qui transcenderait le temps et retournerait aux origines premières de l'humanité" affirme-t-il. Ainsi se dressent au cœur de sa démarche une mise à plat, une certaine démonstration où la vanité, la sculpture académique, la peinture héroïque et les nombreuses odalisques s’emparent du corps-sujet. Faisant face à l’œil du spectateur, sans vraiment le convoquer, John Coplans laisse sa morphologie parler, divulguer l’ « autre » à sa place. Ses mains et ses bras se substituent aux mouvements de ses lèvres, poings serrés, coudes arqués, pour énoncer l’histoire d’un corps commun à tous, où la peau devient parchemin et ses gestes les paroles d’une vie.

Agathe Hoffmann

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John Coplans 1920- 2003 Lieu de naissance: Londres, Royaume-Uni John Coplans était un artiste et un photographe britannique qui a émigré aux États-Unis en 1960 et a eu beaucoup d’expositions en Europe et Amérique du Nord. Il fît partie de la rédaction de la revue Artforum de 1962 à 1971, et fut rédacteur en chef du magazine de 1971 à 1977. Il fut le directeur de plusieurs musées entre autre, le musée d’art d’Akron, Ohio. En 1980 il se déplace à New York où il commence à se concentrer sur la photographie. Coplans est célèbre pour sa série d’autoportraits noirs et blancs qui sont des études assez crues du corps nu et vieillissant. Il a photographié, sans fioriture, son corps en le découpant en section des pieds jusqu’aux mains ridées. Le résultat de treize ans de travail, de 1984 à 1997, est le portrait poétique d’un homme comme entité corporelle, chaque partie devenant l’histoire de l’artiste. - 34 -


Premier regard économique sur l’activité des trente premières années du studio de Jean Poyet à Epernay

3 000,00

2 500,00

2 000,00

CA en centaines de F CA en centaines d'€ Nbre clients MAC*10

1 500,00

1 000,00

500,00

0,00

1902 1 2

3

4 1906 5 6

7

1914 1918 1922 8 1910 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 1927 26 27 28 29 301931 31

Tous les chiffres dont le récolement a permis de construire ces courbes ont été obtenus à partir des recettes notées au jour le jour, client par client, dans les registres du fonds Poyet, travail aussi minutieux, laborieux, fastidieux, même, que celui de numérisation entrepris par Pascal Pécriaux et Francis Dumelié. Mais quel éclairage s’en dégage ! Sans agonir le lecteur de données chiffrées, notons seulement quelques points notoires de la comparaison de ces données : - le chiffre d’affaires : il est ici exprimé en francs de l’époque et l’on peut constater sa croissance régulière jusqu’à l’année 1918 où le studio fut fermé plusieurs mois.

Ensuite, progression constante jusqu’à la grande crise des années 1930. L’expression de ce chiffre d’affaires en euros constants, donc actualisé de l’inflation est beaucoup plus chaotique et montre bien les périodes de déflation avant 1914, et d’inflation entre 1920 et 1930. - Le nombre de clients : une montée très rapide, surtout pendant la guerre de 14-18, une chute vertigineuse en 1918, et enfin, après un redressement d’une dizaine d’année, la chute de fréquentation du studio, moins sensible dans le chiffre d’affaire, cette période correspondant à un

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regain d’activité dans les maisons de Champagne, elles aussi victimes de la crise, et faisant plus de frais de publicité et de communication, donc faisant appel au studio Poyet pour leurs : prises de vues faites essentiellement par Fernand, le fils de Jean Poyet. - La moyenne d’achat par client une montée rapide de 1902 à 1906 où elle atteint 122 €, ce qui caractérise bien l’aisance des clients de Jean Poyet à cette époque. Elle chute en 1916 à 37 €, alors que le nombre de clients s’envole, permettant une augmentation du chiffre d’affaires, et l’accès à beaucoup de soldats au privilège d’être pris en photo...


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