Etat des lieux et recommandations pour la philosophie à l'école primaire

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Février 2011

France – niveau primaire

Etat des lieux et recommandations pour l’enseignement de la philosophie

26 rue Auguste Gervais 92130 Issy-les-Moulineaux- France www.philolab.fr contact@philolab.fr

Etat des lieux et recommandations exprimées à l’occasion de la réunion régionale de haut niveau sur l’enseignement de la philosophie, région Europe/Amérique du Nord, organisée par l’UNESCO les 14,15 et 16 février 2011.

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TABLE DES MATIÈRES

Etat des lieux ............................................................................................................................. 3 Recommandations ................................................................................................................... 6 Les méthodes et les outils ................................................................................................... 6 La formation des instituteurs .............................................................................................. 8 Le suivi, l’évaluation et la recherche ................................................................................... 9

A l’occasion de la réunion régionale

de Haut niveau sur

l’enseignement de la philosophie pour l’Europe et l’Amérique du Nord organisée conjointement par l’UNESCO et la commission italienne pour l’UNESCO les 14, 15 et 16 février 2011 à Milan, l’association Philolab est heureuse de présenter à ses partenaires un état des lieux ainsi que quelques recommandations concernant l’enseignement de la philosophie au niveau primaire. Le développement de la philosophie avec les enfants constitue pour l’association Philolab une priorité, ce pourquoi elle s’est associée à l’ICPIC pour lancer solennellement un appel à la création d’un Réseau international pour le développement et le soutien des pratiques philosophiques avec les enfants avec l’aide de l’UNESCO. Ces recommandations sont adaptées au contexte éducatif français ; nous espérons qu’elles pourront néanmoins constituer une source de réflexion pour d’autres Etats. Jean-Pierre Bianchi, président de Philolab

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ETAT DES LIEUX L’enseignement de la philosophie aux niveaux préscolaire et primaire est officiellement inexistant en France. En tant que discipline spécifique, il ne fait parti d’aucun programme et n’est explicitement ni autorisé ni recommandé au niveau national. Une incitation explicite au débat et à la réflexion philosophique existe cependant dans le cadre du programme d’enseignement de la littérature et l’on peut considérer que de nombreuses compétences attendues dans les programmes français sont développées par la pratique de la philosophie avec les enfants (questionner, rechercher, raisonner, construire une argumentation, reformuler, tenir compte du point de vue des autres, etc.) Conscients de la cohérence de la pratique philosophique avec les programmes officiels, un certain nombre d’instituteurs profitent ainsi de la liberté pédagogique qui leur est accordée pour mettre en place des ateliers de philosophie avec leurs élèves ; certains inspecteurs d’académies et certains Instituts de Formation des Maîtres favorisent par ailleurs le développement de ces pratiques en organisant des animations pédagogiques ou des formations à destination des enseignants. S’agissant de pratiques informelles, l’ampleur du phénomène est difficile à évaluer mais il concerne l’ensemble des classes, de la maternelle (enfants de 3 à 6 ans) et du primaire (enfants de 6 à 11 ans). Historique La philosophie à l’école élémentaire est apparue en France dans les années 19971998 à l’initiative d’enseignants du premier degré ayant une formation universitaire en philosophie (ex : A. Lalanne, P. Sonzogni ou J.C. Pettier) ou de réseaux associatifs (ex : A. Pautard et le réseau de l'AGSAS de J. Lévine, Asphodèle avec Sylvie Brel). Certains professeurs d’IUFM (ex : M. Bailleul à Caen, E. Auriac-Peyronnet à ClermontFerrand), ayant découvert la méthode de Lipman, ont commencé à animer des sessions de formation continue en philosophie pour les instituteurs. Des intervenants en philosophie (ex : J.F. Chazerans à Poitiers, O. Brénifier à Paris), parfois animateurs de café-philo, s’y sont intéressés de même que des mouvements pédagogiques (Cahiers pédagogiques, ICEM, OCCE, GFEN), dont certains militants se sont lancés dans l'expérience. Ce mouvement de la philosophie à l’école a rapidement pris de l’ampleur.

Un

laboratoire de de recherche en didactique de la philosophie dédié à l’université Montpellier 3 sous la direction de Michel Tozzi a permis la soutenance de plusieurs thèses sur le sujet en sciences de l’éducation. Une revue internationale de 3


didactique de la philosophie Diotime l’Agora (http://www.educ-revues.fr/diotime/) ainsi

qu’un

site

internet

sur

les

Nouvelles

pratiques

philosophiques

(http://pratiquesphilo.free.fr/) ont vu le jour. Dans le même temps, certains des outils et dispositifs pédagogiques mis en place ont fait l’objet d’un travail de théorisation et de mise en cohérence didactique par leurs auteurs, donnant ainsi naissance à un certain nombre de « méthodes » identifiées comme telles (ex : méthodes « AGSAS », « Delsol-Tozzi », « Brenifier »). Ces méthodes partagent certains grands principes tout en poursuivant des objectifs pédagogiques distincts.

Les méthodes de PPE en France La France a développé une pluralité de méthodes de philosophie avec les enfants qui se distinguent les unes des autres essentiellement par le dispositif d’animation mis en place et les objectifs prioritairement visés. Quatre grandes méthodes ayant fait l’objet d’un travail d’élaboration théorique sont à ce jour utilisées en France : 1.

Celle de Matthew Lipman, qui consiste à lire en petit groupe des extraits de romans écrits pour l’occasion ; à laisser les enfants faire émerger des questions ; puis à choisir et discuter l’une d’elles. L’animateur intervient uniquement pour faire progresser la rigueur et la pertinence de la réflexion commune, en incitant à la mise en œuvre de compétences précises. La séance dure en général entre une heure et une heure trente.

2.

Celle de J. Lévine, et du groupe AGSAS, qui repose sur une approche psychanalytique. Les enfants discutent librement une question donnée, sans aucune intervention de l’animateur pendant dix minutes en étant, si possible, enregistrés. Les dix minutes suivantes sont éventuellement consacrées à l’écoute de l’enregistrement et à son exploitation avec l’aide de l’animateur. L’idée est de laisser l’occasion à l’enfant de faire l’expérience de sa pensée, de ce que ses mots disent du monde dans lequel il vit.

3.

Celle de la « Discussion à visée philosophique » (DVP) conceptualisée par Alain Delsol et Michel Tozzi, professeur en didactique de la philosophie à Montpellier 3, qui consiste à choisir un thème de réflexion avec les enfants et à les laisser s’exprimer de manière semi-dirigée. Le dispositif d’animation qui distribue différents rôles aux élèves s’inspire des apports de la pédagogie institutionnelle. L’accent est mis sur l’acquisition de trois compétences : conceptualisation ; problématisation ; argumentation.

4.

Celle d’Oscar Brénifier, d’inspiration socratique, qui suppose une intervention importante de l’animateur pour amener l’enfant à préciser sa pensée, en examiner la cohérence logique et la portée.

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Afin de favoriser la diffusion de ces méthodes sur le terrain, particulièrement en contexte scolaire, leurs initiateurs ou défenseurs ont, outre la publication d’ouvrages pédagogiques, mis en place différents cursus de formations d’ambition et de durée variables (de la simple sensibilisation quelques heures en Institut Universitaire de Formation des Maîtres à des stages de quelques jours dispensés dans un cadre associatif). Faute de financements, de soutien institutionnel et de formateurs expérimentés en nombre suffisant, ces offres de formation demeurent cependant aujourd’hui relativement limitées et ne permettent pas d’envisager une diffusion large et de qualité de l’ensemble de ces outils et dispositifs. Après une période faste au début des années 2000 qui a conduit à la mise en place du colloque sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques en 2001 et à des débats et échanges fructueux entre praticiens et chercheurs, de nombreux acteurs se sont essoufflés et le comité d’organisation du colloque a fini par perdre un grand nombre de ses membres en 2006. L’opposition vigoureuse exprimée à l’époque par l’Inspection de philosophie ainsi que la coexistence de méthodes aux objectifs différents et de personnalités fortes n’a sans doute pas été pour rien dans cet essoufflement. Le soutien de l’UNESCO a permis depuis de relancer une dynamique collective favorable que l’association Philolab, créée en 2006, s’efforce d’entretenir. Pendant toute cette période, l’intérêt pour la philosophie pour enfants n’a cessé de croître en France au sein du grand public. De nombreux éditeurs ont ainsi créé des collections de petits manuels de philosophie pour enfants auxquels ont parfois contribué des professeurs d’université (Philozenfants chez Nathan ; Les goûters philo chez Milan, Les petits albums de philosophie chez Autrement Jeunesse, Chouette ! Penser chez Gallimard Jeunesse, etc.) Plus récemment, des éditeurs comme Le cheval vert ou Les petits Platons ont tenté de mettre à la portée du jeune public de grands classiques de la philosophie. Le documentaire Ce n’est qu’un début sorti au cinéma en novembre 2010 a été l’occasion de médiatiser la pratique de la philosophie en maternelle et semble avoir rencontré un écho très favorable au sein de l’opinion française. Il semble que l’Institution modifie elle-même progressivement ses positions. Le ministre français de l’éducation nationale a ainsi demandé en personne que soit organisée une projection officielle de ce documentaire à l’attention de certains de ses cadres. Le film a par ailleurs reçu une accréditation comme document pédagogique pour les écoles. Le contexte français semble ainsi plus favorable qu’avant à la philosophie pour enfants.

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70 60 "L'école n'a pas de tâche plus

importante

que

50

d'enseigner la rigueur de

40

la pensée, la prudence du

30

jugement, la logique du

20

raisonnement."

L'école devrait avant tout donner le sens de la discipline et de l'effort L'école devrait former avant tout des gens à l'esprit critique et éveillé

10 F. Nietzsche

0 1978

1988

1998

2010

Figure 1 - Enquête TNS sofres/Fondation Gabriel Peri Inquiétudes, dynamiques idéologiques, attitudes politiques : quoi de neuf en 2010 ?

RECOMMANDATIONS Philolab est favorable à la diffusion des pratiques philosophiques à l’école dans la mesure où elles ne constituent pas un enseignement purement formel de la philosophie mais permettent aux enfants de mettre à distance et de développer leur jugement sur toutes les situations auxquelles ils sont confrontés à l’école (vie collective ou situations d’apprentissage). En l’état actuel des choses, Philolab ne recommande pas l’institutionnalisation de la pratique de la philosophie à l’école, craignant que ces pratiques, une fois obligatoires, ne puissent plus être mises en œuvre dans l’esprit qui convient. Philolab préfère que le déploiement de ces pratiques soit laissé pour l’instant à la libre initiative des maîtres d’écoles les plus motivés, même si cela aboutit nécessairement à une inégalité d’accès à la philosophie pour les enfants. Pour garantir la possibilité même de l’exercice de la PPE aux niveaux préscolaire et primaire, il est nécessaire que les programmes et directives officiels de l’éduation nationale autorisent explicitement ces pratiques et légitiment le temps que les instituteurs pourront y consacrer. Philolab invite donc les responsables politiques à prendre les mesures nécessaires en ce sens. LES METHODES ET LES OUTILS Philolab considère la pluralité des méthodes et outils pédagogiques en philosophie pour enfants comme une richesse et n’est pas favorable à une uniformisation arbitraire des pratiques mises en œuvre à l’école. 6


Même si Philolab recommande de donner la priorité aux pratiques visant à développer des compétences réflexives par le moyen de l’oralité, elle est aussi favorable au développement équilibré et progressif, sur l’ensemble du cursus scolaire, de compétences en lecture et écriture philosophiques, pourvu que des méthodes adaptées à l’âge des enfants soient développées par les maîtres et favorisent un exercice authentique du jugement. Philolab encourage par ailleurs, et avec les mêmes précautions, la transmission mesurée d’une culture philosophique à travers, par exemple, l’étude de mythes célèbres ou de textes philosophiques rendus accessibles au jeune public (ex : mythe de la caverne, anecdotes tirées de Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres de Diogène Laërce, etc.). Philolab

recommande

prioritairement

une

approche

thématique

et/ou

problématique de la philosophie correspondant aux intérêts des enfants. Philolab incite les maîtres à privilégier dans un premier temps les thématiques et problématiques en lien avec le vécu quotidien des enfants à l’école (ex : les règles, l’amitié, le respect, l’autorité, la réussite, la honte, l’obéissance, le silence, grandir, les disputes, les garçons et les filles, l’intelligence, le travail, etc.) et les approches visant à interroger le sens des savoirs scolaires transmis aux enfants, en particulier dans une perspective transdisciplinaire (ex : qu’est-ce qu’un livre ? ; à quoi sert l’histoire ? ; à quoi sert l’école ? qu’est-ce que les mathématiques ? pourquoi écrire ? les sciences, l’expérimentation, le langage, l’art, etc.). Le traitement de thématiques directement en lien avec les systèmes de croyance et de valeurs familiaux (la mort, la religion, la sexualité, l’origine du monde, etc.) doivent être réservés aux enseignants expérimentés, se faire avec précaution et en dialogue avec les familles. Afin de circonscrire clairement la pratique et les compétences spécifiques qu’elle développe, Philolab conseille aux enseignants de constituer l’espace de pratique philosophique comme un espace propre identifié comme tel dans l’emploi du temps des enfants au moyen d’un horaire, d’un lieu, d’un objectif et d’un dispositif réglé bien définis. Afin que les enfants puissent bénéficier d’une pratique philosophique pérenne et cohérente sur plusieurs années, Philolab recommande aux écoles de réfléchir avec les enseignants volontaires à un parcours philosophique progressif tout au long de la scolarité, quitte à se mettre en réseau avec d’autres écoles pour organiser des échanges d’enseignants formés si ces derniers venaient à manquer dans certaines classes.

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Philolab recommande que la mise place de pratiques philosophiques au sein des écoles se fassent dans le cadre d’un « projet d’école » cohérent et ouvert associant étroitement un maximum d’acteurs (familles, médiathèques, écoles, chercheurs, etc.).

Pour agir…

Penser la progressivité des pratiques

Afin de donner davantage de cohérence à la pratique de la philosophie tout au long de la scolarité élémentaire, Philolab a mis en place un chantier de réflexion autour de la notion de progressivité : Philocursus. L’objectif est de définir quelques grands principes de construction d’un cursus complet de philosophie du primaire à la fin du secondaire. Ce chantier est coordonné par Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation. Contact :

michel.tozzi@orange.fr

Plus

d’information

sur

www.philolab.fr rubrique « Philocursus ». LA FORMATION DES INSTITUTEURS Philolab n’est pas favorable au déploiement d’une seule méthode de PPE dans les écoles et ne considère pas que la formation des enseignants puisse être déléguée à un unique acteur, quelle que soit sa qualité. Philolab défend la mise en place de formations et la diffusion de dispositifs et supports pédagogiques « pluralistes », afin que les enseignants disposent d’une « boîte à outils » éprouvée la plus riche possible dans laquelle ils puissent puiser librement les ressources les mieux adaptées à leurs objectifs pédagogiques et à leur contexte d’enseignement. Afin de garantir la diversité et la qualité des pratiques, Philolab recommande ainsi que soit institutionnalisée une politique de formation ambitieuse associant l’ensemble des acteurs concernés, de sorte que : 1.

tous les futurs instituteurs reçoivent une formation initiale solide à la philosophie pour enfants au cours de leur cursus (master pro)

2.

des modules de formation continue soient proposés au niveau des Inspections académiques pour les instituteurs déjà en poste qui le souhaitent

3. soit favorisée au niveau national la réalisation de supports d’autoformation facilement accessibles répertoriant les « bonnes pratiques » et fournissant des supports pédagogiques de qualité

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La formation : une priorité

Pour agir…

Conscient de l’importance de l’enjeu de la formation des praticiens, Philolab a ouvert un chantier spécifique Philoformation dont l’objectif pour l’année 2011 est de réaliser de manière collaborative un manuel d’autoformation répertoriant un grand nombre de pratiques, d’outils et de conseils à l’attention des enseignants pratiquant la philosophie à l’école. Ce chantier est coordonné par Nathalie Frieden, maître d’enseignement et de recherche à l’université de Fribourg (Suisse) et Véronique Delille, formatrice méthode Lipman. Contact : n.frieden@sunrise.ch Plus d’information sur www.philolab.fr rubrique « Philoformation ».

LE SUIVI, L’EVALUATION ET LA RECHERCHE Philolab recommande que les enseignants pratiquant la philosophie dans leur classe se fédèrent en un réseau structuré au niveau local, académique et national afin de favoriser le suivi, l’évaluation, la co-formation et les échanges de pratiques. Il serait par ailleurs très souhaitable qu’une véritable « communauté » nationale regroupant enseignants et chercheurs et dotée de moyens de collaboration efficace se constitue autour de la PPE afin de faciliter l’évaluation, la diffusion et la recherche.

Mettre en réseau les enseignants

Pour agir…

Afin de garantir une certaine pérenité aux pratiques des enseignants, il est important que ces derniers ne se retrouvent pas seuls face aux éventuelles difficultés qu’ils peuvent rencontrer et puissent bénéficier d’un réseau d’aide, d’échange et de coformation. C’est l’un des enjeux du chantier Philoécole mis en place par Philolab sous la responsabilité d’Edwige Chirouter, professeur de philosophie à l’IUFM des pays de la Loire. Il s’agit, en particulier, de favoriser la création de clubs UNESCO pour la PPE au sein des écoles. Contact : edwige.chirouter@wanadoo.fr Plus d’information sur www.philolab.fr rubrique « Philoenfants ».

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