Riva - Art de Vivre

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Riva Sous le Rocher, l’hivernage Dans le port de Monaco, insoupçonnable depuis les quais, se trouve un mystérieux tunnel d’une centaine de mètres de long, creusé pour ainsi dire sous le palais princier. Hors saison, lorsque les plaisanciers doivent hiverner leur bateau, on y stocke en cale sèche les plus sublimes canots Riva, qui y sont également entretenus ou restaurés le reste du temps. Petit tour du propriétaire... Textes et photos B. Chalon

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ême certains des meilleurs clients de la marque n’ont jamais eu l’occasion d’y mettre les pieds ! Nous sommes sur le port de Monaco, à l’exact opposé de l’emblématique quartier de Monte-Carlo et de ses casinos, que l’on peut d’ailleurs rejoindre en bac 100 % électrique quand on n’a pas soi-même de canot Riva et qu’on n’aime pas la marche. Les façades ne sont pas exactement les plus pittoresques de la Côte d’Azur, elles évoqueraient même quelque station balnéaire construite dans les années 1970 et depuis délaissée. Mais elles dissimulent un véritable trésor : un tunnel, creusé dans la roche, qui file à peine au-dessus du niveau de la mer en direction du Ministère d’État, siège du gouvernement de la Principauté. C’est Carlo Riva (disparu au printemps 2017), créateur des iconiques canots mais représentant la quatrième génération de la famille dans la construction navale, qui en a ordonné le percement dans la seconde moitié des années 1950. L’idée était d’abriter dans l’arrière-saison quelques-uns des mythiques canots en acajou (puis en polyester et désormais en fibre de verre ou en aluminium), exclusivement assemblés à l’époque 400 kilomètres plus au nordest, dans les chantiers navals de Sarnico, sur les rives du lac d’Iseo. En plein milieu des terres ! L’ouvrage pharaonique, ainsi que ses deux pontons flottants (les tout premiers du port de Monaco), fut dûment autorisé par le prince Rainier, troisième du nom, et la princesse Grace. Le tunnel fut achevé le

Tout au bout du tunnel, un magnifique runabout en cours de carénage : ce mot désigne l’ensemble des opérations d’entretien de la coque.

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25 août 1959, après deux ans de travaux, et l’extraction d’une bonne dizaine de milliers de tonnes de roche calcaire. Un chantier colossal mais finalement si raisonnable, car, dans les parages, les places sont chères : Monaco compte encore aujourd’hui à peine 40 000 résidents, mais qui se concentrent sur seulement deux kilomètres carrés, soit 20 % de la superficie de la seule bourgade de Saint-Tropez. C’est tout bonnement le pays le plus densément peuplé au monde ! Certes, c’est également une « simple » capitale, puisqu’elle est la seule et unique commune de la Principauté, couvrant 100 % de son territoire : à ce même petit jeu, elle passe alors largement derrière une demi-douzaine de mégalopoles, à commencer par Le Caire et sa concentration absolument ahurissante de 75 000 habitants au kilomètre carré. Toujours est-il que les promoteurs, architectes et urbanistes azuréens doivent de longue date rivaliser d’ingéniosité pour mettre à profit l’important dénivelé, lié au fait que le mont Agel (1 148 mètres), qui surplombe le littoral monégasque et accueille le très select Golf Club de Monte-Carlo, vient y tremper un orteil dans la mer... sur laquelle la Principauté a d’ailleurs aussi grappillé un peu de terrain.

À l’abri, sous la roche La stratégie originale de Carlo Riva, consistant donc à s’enfoncer sous terre, a donné naissance à cette énorme cave, de 12 mètres de hauteur sous voûte, 13 mètres de largeur au ras du sol, et environ 75 mètres de longueur (ou 100 mètres voie

Quelques-unes des plus belles productions de la marque sont en restauration dans ce lieu exclusif Followed Magazine 35


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Le tunnel peut accueillir une centaine de canots. Comme des modèles réduits sur une étagère 36 Followed Magazine

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Avec ses runabouts, Carlo Riva a voulu entretenir la confusion avec les voitures des années 1960 d’accès comprise). Une centaine de canots (et théoriquement plus s’il le fallait vraiment) peuvent y être entreposés, comme autant de grands crus millésimés, non seulement hors de l’eau salée et à l’ombre, mais aussi à température et hygrométrie presque constantes au fil des saisons, pour éviter le redoutable jeu du bois précieux, originellement importé d’Afrique équatoriale ou d’Amérique centrale. Lorsque le spot est débarrassé de son contenu contemporain, et accessoirement des voitures du personnel (les places de parking sont, elles aussi, comptées dans le coin !), comme c’est régulièrement le cas à l’occasion d’événements en grande pompe, tout ce petit monde bien sagement aligné fait immanquablement penser à une collection de miniatures sur des étagères, lesquelles sont d’ailleurs bel et bien en bois. À ceci près, tout de même, que chacun de ces magnifiques gros jouets anciens cote aujourd’hui, au bas mot, de 150 000 à 500 000 €.

Du Junior à l’Aquarama La version la plus emblématique, car la plus répandue parmi la jet-set de la grande époque, est certainement l’Aquarama (1962), d’un peu plus de 8 mètres de long, abandonné au milieu des années 1990 (puis un peu ressuscité au travers de l’Aquariva). L’exemplaire personnel de feu ­Ferruccio Lamborghini, récemment remis « en route » (façon de parler...) par un collectionneur

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fortuné, est propulsé d’origine par deux V12 de la maison de Sant’Agata Bolognese, pour une puissance cumulée d’environ 700 ch. Mais le commun des mortels devait, quant à lui, se contenter de deux V8 de 280 ch (même s’il y avait plusieurs motorisations au catalogue). Cependant, les modèles les plus adorables restent certainement les vieux runabouts, équivalents maritimes des roadsters que nous connaissons sur le plancher des vaches, et qui permettent comme eux de se déplacer cheveux au vent (d’autant qu’il n’y a pas de limitation de vitesse en haute mer !). Notamment ­l’Ariston (des années 1950) et le Junior (de la décennie suivante) qui, ce jour-là, attendaient bien sagement leurs gentlemen-drivers (pardon, leurs capitaines). On adore le premier pour sa longue poupe biseautée vers la fin et entièrement recouverte d’acajou (donc sans solarium au-dessus du compartiment moteur) et sa planche de bord de grosse Buick à l’ancienne. Le second, pour ses dimensions (à peine 5,70 mètres de longueur) qui en font une sorte de mignon pendant nautique à la non moins mignonne première génération de Ford Thunderbird. Ainsi que pour son minuscule poste de conduite, épuré au possible quoique tendu d’un magnifique cuir turquoise comme on n’en fait plus guère, et qui évoque vraiment les voitures futuristes (voire les soucoupes volantes !) telles qu’on les fantasmait à l’époque dans les vieux films de science-fiction de série B.

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Treuillé sur le quai, ce canot s’apprête à prendre la route sur une remorque, pour partir vers de nouvelles aventures.

Avec sa « carrosserie » entièrement en acajou (sans solarium), l’Ariston (1953) ressemble particulièrement à un cabriolet de route.

Dehors, sur les deux pontons qui accueillent exclusivement des Riva, on trouve essentiellement des modèles plus récents, sans l’ombre d’un placage acajou (Gitano, Sport Fisherman, Bravo...), dont bon nombre de gros, voire très gros yachts (Rivarama, Rivale, Domino...). Eux n’ont pas été conçus sous le patronage de la famille Riva, qui n’est plus propriétaire de la marque depuis 1971 mais continue à prendre soin des quelque 4 000 bateaux en bois produits à la grande époque (et désormais de quelques versions en polyester), notamment en les restaurant entièrement ou en les réinterprétant (sous une marque distincte, ­VintageRiva). Quoi qu’il en soit, toutes ces embarcations d’époques

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diverses, qu’elles soient amarrées au ponton ou en cale sèche dans le tunnel, ont en commun d’avoir d’heureux propriétaires (on n’est ni chez un concessionnaire, ni dans un musée) qui veulent pouvoir débarquer à l’improviste pour une balade en mer sans s’encombrer des contingences tenant à la remise en route d’un bateau. C’est pourquoi les installations de Monaco Boat Service ne se chargent pas seulement de l’entretien (avec notamment un atelier de menuiserie à demeure). Elles proposent également des Riva à la location : compter, hors budget carburant, 2 000 € par jour pour un runabout Aquariva de 33 pieds (10 mètres, sept places), ou 5 400 € par

jour pour un yacht Venere de 75 pieds (23 mètres, douze passagers). Mais c’est avant tout un endroit où les veinards peuvent laisser sans arrièrepensée leur propre Riva entre deux escapades, notamment pour le délicat hivernage. Il existe désormais, outre le centre RAM (pour Revisione e Assistenza Motoscafi) toujours basé à Sarnico, deux autres structures équivalentes en France, à Cannes et Saint-Tropez, sans compter le grand port privé transalpin de Rapallo, créé en 1976 sur la côte génoise. Mais, curieusement, il n’existe pas de solution estampillée Riva sur le lac de Côme, par exemple. Bref, les ateliers monégasques MBS, dirigés par Lia, la fille de Carlo, se chargent pour

leurs clients de toutes les démarches d’assistance et de préparation des bateaux : transport, stockage, mouillage, amarrage, lavage, polissage, ou installation des indispensables accessoires en tout genre. Une conciergerie peut également assurer des services de blanchisserie, de distribution de courrier, ainsi que, bien évidemment, les approvisionnements (traiteur, vin, champagne...), les transferts (au besoin en avion ou en hélicoptère), et même toutes sortes de pénibles et chronophages démarches administratives ou douanières. Ne reste alors plus qu’à embarquer à bord et faire chauffer les moteurs pour partir s’isoler au large ou mouiller dans une petite crique alentour l’esprit tranquille !

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Riva et le Yacht Club de Monaco Les destins de la marque et de la Principauté sont unis depuis que Carlo Riva s’est mis le prince Rainier III (le père du prince actuel, Albert II) dans la poche, juste après son mariage avec la star ­hollywoodienne Grace Kelly (en 1956). Car, pendant que Carlo faisait creuser son tunnel, Rainier attendait de prendre possession d’un Riva Tritone, offert par une riche famille d’industriels milanais. Des années plus tard, il s’est d’ailleurs aussi acheté lui-même un Junior. On retrouve donc des clins d’œil à Riva un peu partout dans la Principauté, et notamment au nouveau Yacht Club de Monaco (tout à droite de la photo ci-contre), sorti de terre en 2014. Encore une façon de parler, puisque le bâtiment en forme de paquebot, qui permet de suivre aussi bien les régates côté sud que les Grands Prix de Formule 1 côté nord, a en fait été édifié sur une parcelle gagnée sur la mer Méditerranée. Toujours est-il qu’au dernier étage (ou sur le « pont supérieur », si l’on veut filer la métaphore), se trouve un lounge Riva panoramique, qui joue avec les emblématiques éléments d’accastillage des vieux runabouts, ou encore le design des sièges des yachts plus récents. Un autre moyen de s’installer dans un Riva sans vider son PEL ni souffrir du mal de mer... même s’il vaut tout de même mieux se renseigner préalablement sur les conditions d’adhésion (il faut commencer par trouver deux parrains) et le montant de la cotisation annuelle (non communiqué) !

Un peu partout (et pas seulement au Yacht Club de Monaco), on tombe sur des clins d’œil, des accastillages habilement recyclés, ou même des jouets évoquant les fameux canots Riva en acajou de la grande époque.

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La plupart des Riva amarrés aux deux pontons du port sont des modèles récents : ils sont faits non plus de bois, mais de fibre de verre ou d’aluminium.

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