5232 — Le magazine de l'Institut Paul Scherrer (numéro 3/2018)

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Le magazine de l’Institut Paul Scherrer

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DOSSIER

D É PA R T V E R S DE N O U VE AUX R I VA G E S


DOSSIER: D É PA R T V E R S D E N O U V E AU X R I VAG E S

CONTEXTE

De chercheur à entrepreneur Au PSI, certains chercheurs courageux tentent le saut vers l’inconnu. Ils quittent la sécurité de leur port d’attache dans l’idée de réussir comme entrepreneurs. Avec le soutien du PSI. Page 10

INFOGRAPHIE

Les spin-off du PSI en cartes à jouer Explorer de nouveaux territoires dans les domaines de la médecine et de la technique: les spin-off du PSI permettent à la société d’exploiter les résultats issus de la recherche. A partir de la page 10

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RUBRIK

QUESTIONS-RÉPONSES

Trois questions à Joël Mesot

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LE PRODUIT

Cellules solaires  6 L’ A U X I L I A I R E

Durgol

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DOSSIER: D ÉPAR T V ERS D E N O U V E AUX RI VAG ES

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CONTEXTE

De chercheur à entrepreneur

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INFOGRAPHIE

Les spin-off du PSI en cartes à jouer INTERVIEW

INTERVIEW

«Il faut être un motivateur»

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«Il faut être un motivateur»

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EN IMAGE

CONTENU

Marco Stampanoni, physicien, travaille depuis seize ans à l’Institut Paul Scherrer PSI et a déjà mis en route deux spin-off qui ambitionnent de rendre le diagnostic médical par imagerie plus rapide et précis.

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Daniela Kiselev

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AILLEURS EN SUISSE

Un été très cool

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Neuf jeunes filles découvrent dans les Alpes valaisannes ce qu’est la vie de glaciologue. EN BREF

Actualité de la recherche au PSI

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1 Gaz d’échappement purifiés 2 Aiguilles hypodermiques bouchées 3 Les incohérences de la théorie du Big Bang 4 De meilleurs transistors GALERIE

Une pause en Suisse romande

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Découvrez les endroits où les grands utilisateurs romands de nos installations aiment se rendre pour se ressourcer. PORTRAIT

Celle qui fonce à 200 kilomètres à l’heure

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Fabia Gozzo n’est pas faite pour les zones de confort. QUI SOMMES-NOUS?

IMPRESSUM DANS LE PROCHAIN NUMÉRO

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Joël Mesot, le PSI encourage activement ses chercheurs à fonder une spin-off. Pourquoi? Dans un environnement de recherche et de développement comme le PSI, de nouvelles connaissances émergent sans cesse. Ce savoir fait avancer la recherche, mais il peut aussi être transféré de manières très diverses dans l’innovation. Quand des chercheurs fondent une spin-off basée sur une technologie ou un savoir-faire issus de leur propre recherche au PSI, c’est sans doute la manière la plus efficace de rendre ce savoir utilisable par la société. La passion du chercheur pour sa recherche passe alors dans la nouvelle entreprise. Y a-t-il meilleur terreau pour faire éclore un produit innovant?

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En quoi la société suisse peut-elle profiter d’une spin-off? Plusieurs de nos spin-off se concentrent sur des produits qui revêtent une importance directe pour la société. Dans le domaine médical, par exemple, nous avons toute une série de spin-off qui sont susceptibles de contribuer à mieux prévenir et à soigner des maladies. La spin-off GratXray, fondée l’an dernier, a pour but d’améliorer la mammographie et de la rendre plus confortable pour les patientes. D’autres spin-off du PSI – comme Excelsus Structural Solutions, InterAx Biotech et leadXpro – participent au développement de nouveaux médicaments.

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Comment le PSI épaule-t-il concrètement les chercheurs pour qu’ils deviennent entrepreneurs? Nous avons créé, au PSI, le Founder Fellowship tout particulièrement pour les jeunes chercheurs. Il accompagne les futurs entrepreneurs pendant la phase la plus difficile: la fondation proprement dite de l’entreprise, lorsqu’il s’agit de transformer une idée commerciale en produit viable et d’élaborer concrètement un business plan susceptible d’être mis en œuvre. Par ailleurs, avec le parc d’innovation Park innovaare, sis à proximité immédiate du PSI, les chercheurs disposent d’un site où ils peuvent profiter, d’un côté, de l’infrastructure du PSI et, de l’autre, d’un environnement entrepreneurial, où échanger idées et expériences.


QUESTIONS-RÉPONSES

QUESTIONS-RÉPONSES

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Trois questions à Joël Mesot Départ vers de nouveaux rivages: le dossier de cette édition est consacré aux chercheurs qui tentent l’aventure de l’entrepreneuriat et qui fondent une spin-off. Mais, au fait, pourquoi le PSI les épaule-t-il? Et en quoi est-ce que tout cela profite à la société suisse? Les réponses de Joël Mesot, directeur de l’Institut Paul Scherrer.

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LE PRODUIT

Certaines analyses menées au PSI pourraient servir un jour à améliorer des produits du quotidien. Exemple.

Cellules solaires

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Les cellules solaires apportent déjà une contribution essentielle au tournant énergétique. Chercheurs et ingénieurs continuent donc de plancher pour améliorer cette technologie. Actuellement, le marché est dominé par les installations photovoltaïques à base de silicium. Mais, dans la communauté scientifique, c’est un autre matériau, le CIGS (cuivre-indium-gallium-disélénide), qui a la cote. Car les cellules solaires CIGS sont beaucoup plus minces que les cellules à base de silicium. De fait, elles sont meilleur marché et flexibles en termes mécaniques. Autrement dit, il est possible de les plier. Aspect décisif pour la performance des cellules solaires, il faut que certains atomes aient été déplacés de manière ciblée dans une couche précise du cœur de la cellule. Or, dans les systèmes CIGS, cette couche ne peut être analysée aux installations de recherche conventionnelles. C’est là que la Source de Muons Suisse SμS du PSI entre en jeu: avec ses 500 millions de muons par seconde, elle produit un faisceau d’une qualité unique au monde. Les chercheurs utilisent les muons comme des sondes: ces particules élémentaires exotiques leur permettent de visualiser les emplacements décisifs au cœur des matériaux CIGS.


L’ A U X I L I A I R E

La recherche de pointe recourt parfois à des auxiliaires étonnamment ordinaires. Exemple: un détartrant du commerce.

Durgol

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La Source de Muons Suisse SμS permet d’analyser certains matériaux et leurs propriétés à l’aide de muons. Mais avant de percuter l’échantillon de matériau, chacun de ces muons doit avoir été détecté. C’est la condition nécessaire pour obtenir des informations correctes… Pour ce faire, les chercheurs font passer les muons à travers un film ultramince en carbone. Chaque fois qu’il laisse passer un muon, le film détecte la particule et signale son passage à un appareil de mesure. De tels films en carbone sont disponibles dans le commerce: ils sont fabriqués sur une couche de cuivre de seulement quelques centaines de nanomètres d’épaisseur. Ce support, les chercheurs du PSI doivent donc d’abord le décaper. Alors que les scientifiques se creusaient la tête sur l’acide le plus approprié à ce décapage, un technicien d’un groupe de recherche a eu l’idée d’utiliser le détartrant domestique Durgol. Et c’est ce produit qui s’est révélé le plus efficace! Depuis lors, on utilise du Durgol, au PSI, pour préparer les films de carbone, avant de les utiliser à la Source de Muons.

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1 CONTEXTE

De chercheur à entrepreneur Page 10

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INFOGRAPHIE

Les spin-off du PSI en cartes à jouer

DOSSIER

A partir de la page 10

Départ vers de nouveaux rivages N

Les spin-off permettent à la société d’exploiter directement les résultats issus de la recherche. Le PSI soutient activement ses chercheurs qui désirent explorer de nouveaux territoires et fonder leur propre entreprise. W

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«Il faut être un motivateur» Page 18

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De chercheur à entrepreneur A l’Institut Paul Scherrer PSI, certains chercheurs courageux tentent le saut vers l’inconnu. Ils quittent la sécurité de leur port d’attache dans l’idée de réussir comme entrepreneurs. Le périple qui mène du PSI à la fondation d’une spin-off demande de l’audace. Afin de leur éviter de trop grosses tempêtes, le PSI soutient ses entrepreneurs durant cette navigation difficile et reste ensuite en contact avec eux pendant des années. 1

Texte: Sabine Goldhahn

Douze kilomètres à vol d’oiseau séparent le PSI du siège principal de l’entreprise DECTRIS 1 . L’ascenseur vitré file silencieusement jusqu’au dernier étage de l’immeuble moderne et lumineux qui se dresse dans la zone industrielle de Baden-Dättwil, dans le canton d’Argovie. C’est là que Christian Brönnimann nous reçoit, dans son bureau spacieux qui donne sur un paysage verdoyant. Avec son polo blanc-gris, ses pantalons en lin kaki et ses baskets, le CEO de DECTRIS a l’allure sportive, pas vraiment celle d’un manager. Mais on sent tout de suite qu’il fait partie de ceux qui ont réussi. Christian Brönnimann dirige une entreprise de 110 collaborateurs, qui a conquis le marché mondial avec ses détecteurs de rayons X à haute résolution. Cette success-story a commencé il y a plus de vingt ans, au PSI, alors que le jeune physicien travaillait au développement de nouveaux détecteurs. Ces appareils étaient fondés sur la technologie du CMS, le détecteur à pixels que le PSI avait construit pour le CERN. Une caméra à rayons X ultrasensible, capable de capter chaque quantum de rayons X, tel était le grand objectif du projet. Les chercheurs voulaient pouvoir intercepter les puissants rayons X de la Source de Lumière Suisse SLS, qui venait d’être construite, pour réaliser des images précises de molécules de pro­ téines et d’autres structures et matériaux minuscules. Pendant neuf ans, Christian Brönnimann et ses collègues ont bricolé au PSI pour développer les capteurs en silicium, l’électronique de lecture et le logiciel correspondant. Le nom qu’ils ont donné à leur premier détecteur opérationnel avait une forte portée symbolique: PILATUS. «Ce sont la fascination pour cette technologie et le plaisir de développer ces détecteurs qui m’ont fait avancer, analyse Christian Brönnimann aujourd’hui. En 2005, quand nous avons réalisé notre premier détecteur au PSI et que nous n’y avons plus

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seulement vu des images mouchetées mais la structure cristalline d’une protéine, j’ai vécu le moment le plus extraordinaire de ma carrière.» C’est aussi à cette occasion que le chercheur a réfléchi à l’idée d’explorer de nouveaux rivages et de monter sa propre entreprise. Il s’est alors tourné vers le bureau de transfert de technologie du PSI, où il a enfoncé des portes ouvertes. Car ses interlocuteurs savaient exactement ce qu’il fallait pour rendre des résultats de recherche et des produits innovants compatibles avec les exigences de l’industrie. Point le plus important: la propriété intellectuelle. «Quand des chercheurs viennent nous présenter une idée, nous examinons d’abord si la technologie en question est brevetable et s’il est possible d’en obtenir les droits, explique John Millard, responsable du transfert de technologie au PSI. Une fois que cet aspect est réglé, il est beaucoup plus facile, pour les chercheurs, de

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trouver des investisseurs lorsqu’ils veulent ensuite fonder une spin-off.» John Millard sait de quoi il parle: avant de travailler au PSI, ce spécialiste d’origine anglaise avait déjà fondé et mené au sommet plusieurs entreprises. Dans le cas du détecteur de rayons X PILATUS, les conditions pour lancer une spin-off étaient réunies: plusieurs brevets, un produit que personne d’autre au monde ne proposait et une équipe de chercheurs et d’ingénieurs extrêmement motivés. S’y ajoutait l’autre avantage du projet: des clients potentiels. «C’est sans doute la toute première chose que nous essayons d’expliquer à ceux qui sollicitent le transfert de technologie du PSI: si l’on envisage de fonder une spin-off, il faut commencer par analyser le marché et par parler avec ses clients potentiels, souligne John Millard. Si l’on ignore ce que veut le client et quels sont les problèmes à résoudre, ni la meilleure technologie ni la meilleure idée ne seront d’aucune aide. Sans acheteur, pas d’affaires!» Des premières étapes bien planifiées Pour éviter ce cas de figure, les fondateurs de DECTRIS ont lancé un premier ballon d’essai, avant de franchir le pas vers l’indépendance. Le PILATUS avait été développé par des experts pour des experts: de fait, son domaine d’utilisation se limitait aux spécialistes d’autres installations synchrotron. Les aspirants entrepreneurs ont donc encore construit et testé trois prototypes au PSI pour voir s’ils se vendaient et s’ils se vendaient bien. Comme tout s’est finalement déroulé sans le moindre accroc, la décision est tombée en 2006: ils allaient se lancer dans les affaires. Les chercheurs étaient enthousiastes. Pour les deux premières années, le PSI leur avait offert des conditions de transition confortables: ils pouvaient utiliser l’infrastructure de l’institut et tout l’équipement développé pour la production des premiers systèmes. Des contrats de licence leur permettaient aussi d’exploiter le savoir-faire acquis au PSI. «Pendant les deux premières années, tout s’est bien dé­roulé, raconte Christian Brönnimann. Nous étions encore avec les autres chercheurs du PSI, les premières commandes de détecteurs arrivaient, et nous avons vraiment bien démarré.»

«J’ai vu l’énorme potentiel et j’ai saisi cette chance.» Christian Brönnimann, CEO de DECTRIS, une spin-off du PSI

climatisées s’est mise à dysfonctionner. «Nous avions dupliqué tout ce qui avait fonctionné au laboratoire du PSI, mais, à Baden, ça n’a absolument pas marché», se souvient Christian Brönnimann. L’entreprise s’est alors retrouvée au creux de la vague. John Millard connaît bien cette phase que traversent certaines jeunes spin-off. «Que tout ne se passe pas toujours bien, c’est parfaitement normal, souligne le spécialiste du transfert de technologie. Surtout au début. On tente quelque chose, on échoue et on est obligé de tout reprendre depuis le commencement. On cherche à localiser les erreurs, on finit par les trouver et on corrige. C’est un revers passager, duquel on tire des enseignements.» L’équipe de DECTRIS a elle aussi opéré une recherche systématique d’erreurs. Cette approche, bien connue des anciens scientifiques du PSI, remontait à l’époque où ils étaient encore chercheurs et devaient analyser puis résoudre des problèmes.

Surmonter les revers Puis est venue la désillusion, en 2008, au moment où la spin-off a fait le grand saut et déménagé à Baden. Alors que les jeunes entrepreneurs enregistraient toujours plus de commandes de détecteurs PILATUS, la production des appareils dans les nouvelles halles non

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Cherche des médicaments entièrement nouveaux pour soigner des maladies aujourd’hui incurable s.

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DÉPAR T V ERS DE N O U V E AUX RI VAG ES – TO ILE DE F O ND

Saisir la chance Aujourd’hui, Christian Brönnimann arrive à rire de ces difficultés des premiers temps. Au terme de neuf mois, les appareils se sont mis à fonctionner impeccablement et la production en interne a pu démarrer. Depuis lors, l’entreprise a vu son chiffre d’affaires augmenter de manière continue et conçu d’autres détecteurs encore plus performants. La nouvelle famille de produits, baptisée EIGER2, est cent fois plus rapide que le modèle PILATUS de départ. Dans son bureau, Christian Brönni­mann désigne une plaque de métal dorée de la taille d’un sous-verre, sur la partie inférieure de laquelle seize minuscules circuits ont été montés. Voilà l’aspect d’un détecteur de rayons X moderne, qui attend d’être monté dans son boîtier. «Au départ, je n’avais aucune ambition de devenir entrepreneur, avoue Christian Brönnimann, mais j’ai vu l’énorme potentiel et j’ai saisi cette chance.» Cette attitude lui a permis d’aller très loin, avec toute l’équipe de DECTRIS. L’entreprise a remporté le Swiss Economic Award, le Prix de l’entreprise argovien et le prix SVC. Elle est solidement ancrée dans le tissu économique de la région. Son essor profite aux fournisseurs locaux, mais aussi au PSI: pour chaque appareil vendu, le PSI touche des redevances de licence, dont bénéficient d’autres activités de recherche. En 2017, l’entreprise a fondé une filiale aux Etats-Unis, et l’expansion se poursuit. A l’avenir, DECTRIS prévoit de s’établir hors de la niche des exploitants de synchrotron. La société vise le marché du laboratoire et le domaine de la microscopie électronique. L’ancien module PILATUS qui trône sur une console du bureau de Christian Brönnimann est là pour lui rappeler ses premières années. Avec un ballon de volley-ball, que les collaborateurs de DECTRIS ont offert à leur CEO pour son anniversaire et qu’ils ont tous signé. Si l’entreprise poursuit sa croissance au même rythme, il se pourrait qu’à son prochain anniversaire un seul ballon ne suffise plus. Terreau fertile pour les idées d’entrepreneuriat DECTRIS est la plus grande parmi les spin-off issues du PSI et qui ont connu le succès. La plus ancienne est SwissNeutronics  4 . Depuis une vingtaine d’années,

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cette entreprise produit des guides de neutrons à Klingnau, près du PSI, et couvre, elle aussi, avec ses produits, un segment de marché réservé à des spécialistes. Comme dans le cas des détecteurs de rayons X, la technologie est issue de la recherche au PSI. Lorsque, dans les années 1990, la Source de Neutrons SINQ y a été construite, des spécialistes ingénieux qui gravitaient autour d’Albert Furrer (à l’époque chercheur spécialisé dans le domaine des neutrons et aujourd’hui professeur émérite à l’ETH Zurich) ont eux-mêmes développé les guides de neutrons dont ils avaient urgemment besoin, avant de les commercialiser par le biais de leur société. Les grandes installations de recherche à Villigen offrent des possibilités uniques pour la quête de nouvelles connaissances. Mais c’est en même temps un terreau pour des idées commerciales créatives et des produits ou des services innovants. C’est ce qui enthousiasme John Millard: «Hormis la science, nos compétences fondamentales résident dans la construction et l’exploitation de grandes installations de recherche complexes, rappelle-t-il. Les développements qui naissent là et les composants indispensables, on ne les trouve pas chez le grossiste. Il s’agit le plus souvent de pièces uniques qui sont réalisées en étroite collaboration avec l’industrie. Elles sont donc nées de

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«Le fourchon supplémentaire qui est apparu à l’écran a éveillé ma curiosité.» Philipp Spycher, scientifique au PSI et futur entrepreneur

nisme. Or, ce jeune spécialiste des nanobiotechnologies a fait une découverte fortuite en laboratoire – le genre de hasard dont rêvent de nombreux chercheurs: alors qu’il analysait un anticorps par spectrométrie de masse, il a découvert à l’écran «un fourchon supplémentaire encore jamais vu auparavant». Voilà qui a éveillé sa curiosité! Au terme de quelques semaines et de plusieurs essais, Philipp Spycher a fini par comprendre qu’il s’agissait de quelque chose de sensationnel: il venait de découvrir une espèce d’adhésif. Ce dernier permet d’accoler anticorps et principe actif de manière simple et précise, sans avoir à les modifier chimiquement, comme cela se faisait jusque-là. Le scientifique n’a pas tardé à réaliser le potentiel de sa découverte: grâce à celle-ci, les entreprises pharmaceutiques pourraient gagner du temps et réduire leurs coûts. la nécessité, parce qu’il n’existait encore rien de convenable ou qu’on a tenté d’améliorer un produit existant. C’est ce qui mène aux innovations.» Nombre de spin-off du PSI trouvent leur origine dans la recherche fondamentale. A l’instar de GratXray 13 , une entreprise encore jeune, que Marco Stampanoni, chercheur et professeur à l’ETH Zurich, a fondée en 2017 avec trois collègues et le PSI. Objectif de la start-up: établir un nouvel étalon dans le domaine de la détection précoce du cancer du sein. Pour y arriver, la société utilise une méthode développée à l’origine au PSI pour caractériser le rayonnement synchrotron (lire aussi l’entretien en page 18). GratXray a son siège dans le Park innovaare, qui est en train d’être construit à proximité immédiate du PSI. Son premier bâtiment, un pavillon gris moderne, offre un beau panorama. Les entreprises qui ont leurs bureaux derrière sa façade vitrée mettront sur le marché des innovations dans la recherche médico-pharmaceutique, la recherche sur les matériaux, l’énergie et les technologies des accélérateurs. Et ce en étroite collaboration avec le PSI ou en tant que spin-off du PSI. Une découverte fortuite qui mène à l’idée commerciale Philipp Spycher, du Centre des sciences radiopharmaceutiques du PSI, espère lui aussi pouvoir établir son entreprise au Park innovaare. Arrivé en 2014 comme postdoc à Villigen, il consacre sa recherche aux conjugués anticorps-principe actif, qui acheminent le principe actif jusqu’à certaines cellules précises de l’orga-

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Un Founder Fellowship pour soutenir l’esprit d’entreprise A cette période, Philipp Spycher a eu de la chance une seconde fois. Le Founder Fellowship venait d’être lancé au PSI. Cet instrument d’encouragement a pour objectif de soutenir les chercheurs ayant l’esprit d’entreprise et de les mettre sur la voie qui les mènera à

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Les spin-off du PSI façonnent le futur de la techno­logie. Elles fabriquent des nanostructures qui multiplient par cent la capacité de stockage des ordinateurs, construisent des systèmes de propulsion qui émettent de l’eau à la place du CO2 et produisent des matériaux qui raccourcissent le temps de charge des accumu­ lateurs ou qui prolongent la durée de conservation des aliments.

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«Nous transmettons aux chercheurs les fondamentaux nécessaires pour lancer une entreprise.» John Millard, responsable du transfert de technologie au PSI

leur propre société. Seule condition: la technologie qu’ils cherchent à commercialiser doit avoir été développée au PSI. «Le Fellowship permet au scientifique de disposer d’un maximum d’un an et demi pour développer sa technologie et la transformer en poste rémunéré, de discuter avec des clients potentiels et de constituer une équipe, détaille John Millard. Les lauréats bénéficient d’un coaching et participent à des cours où ils acquièrent les bases pour fonder une

entreprise.» Lors de la première édition du Founder Fellowship en 2017, cinq chercheurs, dont Philipp Spycher, ont déposé leur candidature. Avec le soutien de son chef et des pros du transfert de technologie, le chercheur a analysé les bénéfices, les coûts et les risques de son idée commerciale, qu’il a défendue avec succès devant un jury externe composé de chercheurs et d’acteurs économiques. La toute nouvelle spin-off en train d’être fondée

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Pour le jeune spécialiste des nanobiotechnologies, rien ne va assez vite lorsqu’il est question de la création de son entreprise. Il venait de remporter le Founder Fellowship et, donc, un subside pour les dix-huit mois à venir, lorsqu’il a trouvé son premier client. Fonder sa société, il n’a que cela en tête. Car de grandes entreprises pharmaceutiques l’ont déjà sollicité. C’est une situation confortable pour démarrer, qui pousse les investisseurs à s’engager dans la start-up. Chez Philipp Spycher, l’enthousiasme pour sa nouvelle orientation est palpable. Encore chercheur, bientôt entrepreneur, il a déjà recruté une première collaboratrice, donné un nom à son entreprise ainsi qu’un site Internet dédié: Araris Biotech AG. Il y a quelques années, il n’aurait jamais imaginé quitter l’univers scientifique pour devenir entrepreneur. Mais, maintenant, l’esprit pionnier s’est emparé de lui: «Avec mon entreprise, c’est vraiment un nouvel univers qui s’ouvre, dont j’ignorais beaucoup jusque-là», avoue-t-il. La success-story d’une nouvelle spin-off au PSI a commencé.


DÉPAR T V ERS DE N O U V E AUX RI VAG ES – TO ILE DE F O ND

Des spin-off du PSI offrent leurs connaissances. Elles commercialisent des technologies d’accélérateurs, conçues à l’origine pour les grandes installations de recherche du PSI, et mènent des mesures en soustraitance à la Source de Lumière Suisse SLS, sur mandat de l’industrie pharmaceutique et biotechnologique.

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«Il faut être un motivateur» Marco Stampanoni, physicien, travaille depuis seize ans à l’Institut Paul Scherrer PSI et consacre sa recherche aux rayons X et à leurs applications. Il a poussé la technologie moderne des rayons X au maximum de ses possibilités. Et, avec le soutien du PSI, il a déjà mis en route deux spin-off qui ambitionnent de rendre le diagnostic médical par imagerie plus rapide et précis. Propos recueillis par Sabine Goldhahn

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DÉPAR T V ERS DE N O U V E AUX RI VAG ES – INTERV IE W

Marco Stampanoni est le chef du groupe de recherche Tomographie par rayons X à la Source de Lumière Suisse SLS au PSI et professeur titulaire d’imagerie de rayons X à l’ETH Zurich. Après ses études de physique à l’ETH Zurich, ce Tessinois a fait des études postgrades de physique médicale. Il est chercheur au PSI depuis 2002 dans le domaine des rayons X. Il a cofondé en 2017 la start-up GratXray et largement soutenu la mise sur pied de 4Quant, une start-up qui a été fondée en 2015.

Marco Stampanoni, vous êtes chercheur au PSI et professeur à l’ETH. Pourquoi vous engagez-vous par-dessus le marché dans la fondation d’entreprises? Parce que ça me démange et que ça a un sens à mes yeux. Lorsqu’un nouveau développement est suffisamment avancé et que les seules questions à résoudre sont d’ordre purement économique, il n’y a plus besoin de le faire financer par des fonds publics. Nous sommes privilégiés. Ici, au PSI, nous avons la possibilité de faire de la recherche au top niveau avec la meilleure infrastructure. A mes yeux, il faut impérativement le rendre à la société. Par exemple, en fondant une entreprise qui lui permettra d’accéder à de nouveaux développements.

conventionnelles, mais aussi leur réfraction et leur dispersion. Le procédé d’interférométrie à réseaux a été développé au PSI. L’entreprise cherche maintenant à faire avancer le développement de l’appareil pour permettre aux hôpitaux et aux centres du sein de proposer à l’avenir une imagerie du sein plus précise et confortable que la mammographie conventionnelle. Qu’est-ce que ce nouveau procédé a de particulier? Il permet d’examiner le sein en 3D, de produire des images avec plus de contraste et une très bonne résolution. On peut ainsi mieux distinguer les différents types de tissus et localiser plus précisément les micro­ calcifications. Ces dernières sont souvent un indice de tissu cancéreux. Par ailleurs, le sein n’est pas pressé pendant l’examen, comme avec la mammographie. Pour les patientes, l’examen est nettement plus confortable. Quand avez-vous fondé cette société? L’idée a émergé lorsque nous avons achevé de comprendre et de résoudre le problème scientifique pour tout ce qui relevait de la physique. Il faut maintenant se consacrer au côté technique de l’ingénierie et construire un prototype. L’entreprise doit assurer cette prochaine étape. Puis il faudra continuer à développer ce prototype et à l’adapter pour aboutir à un produit qui sera certifié. J’ai fondé l’entreprise en juillet 2017, avec trois collègues et le PSI.

Que font les deux spin-off pour lesquelles vous vous êtes engagé? La première, 4Quant 14 , qui a été fondée en 2015 par l’un de mes doctorants et deux de ses collègues, fait de l’analyse quantitative d’ensembles de données complexes. Grâce à des algorithmes autoadaptatifs et à l’intelligence artificielle, il devient possible d’identifier plus rapidement et précisément des structures similaires sur des images, de les comparer et de les utiliser pour des prédictions diagnostiques dans le domaine médical. Et la seconde spin-off? La seconde, GratXray 13 , développe un nouveau type de CT scan, un appareil de tomodensitométrie qui réalise des radiographies du sein au moyen d’un contraste de phase fondé sur une technique d’interféro­métrie à réseaux. Pour dire les choses simplement, cet appareil ne mesure pas seulement l’absorption des rayons X, comme le font les méthodes

«En fondant une entreprise, nous permettons à la société d’accéder à de nouveaux développements.» Marco Stampanoni, chercheur au PSI et fondateur d’entreprise

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voire qui les ont déjà commercialisés. On peut échanger nos expériences respectives. S’y ajoute la proxi­ mité du PSI avec son infrastructure. Durant la phase initiale, elle est encore à notre disposition en soutien, car il est aussi dans l’intérêt du PSI que de telles entreprises apprennent à voler de leurs propres ailes. Après tout, il s’agit de développements réalisés grâce aux deniers publics. Lorsqu’une entreprise de ce type est fondée et qu’elle réussit, elle paie des impôts et crée des emplois. Le circuit est ainsi bouclé.

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Comment fait-on pour financer une entreprise comme GratXray? Lors de la phase initiale, il est extrêmement important de trouver le bon soutien et les bons investisseurs, qui partagent à 100 % la vision de l’entreprise. Nous avons trouvé les premiers investisseurs pour GratXray. Cela nous a permis de nous lancer dans le développement. Mais il faut sans cesse chercher d’autres financements, tant que l’on n’a pas de produit prêt pour une exploitation commerciale. Cela passe par des fonds de promotion de start-up et d’aide à la recherche ainsi que par des investisseurs. Là est mon rôle: je ne travaille pas activement pour l’entreprise, mais je la soutiens pour ces aspects précisément. En termes de personnel, comment l’entreprise se présente-t-elle? Les collaborateurs sont aussi bien au PSI qu’à l’ETH Zurich. Pour une période limitée, ils ont encore le droit d’être employés par les deux institutions, avant de passer complètement chez GratXray. Officiellement, la société compte un seul collaborateur pour l’instant. Jusque-là, qu’est-ce qui a le plus aidé GratXray? Il était important d’avoir notre siège au Park innov­ aare. Nous y côtoyons d’autres start-up issues du PSI et qui développent leurs produits ou leurs services,

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Où en est 4Quant, l’autre spin-off? 4Quant est constituée d’une équipe de trois personnes qui poursuivent le développement de leur plate-forme d’analyse d’images et ils ont déjà réussi à gagner leurs premiers clients payants. Quand est-ce le moment, pour des chercheurs, de donner corps à une idée en fondant une entreprise? Il n’y a pas de recette. Pour commencer, il faut avoir planché un certain temps sur une idée. Par ailleurs, il faut les bonnes personnes. Dans notre domaine de recherche, on dispose de suffisamment de temps pour valider soigneusement les méthodes. A partir d’un certain point, il faut toutefois avoir le courage de dire: là, maintenant, nous franchissons le pas, nous passons dans l’économie privée et nous essayons de transformer l’idée en affaire qui marche. Y a-t-il des similarités entre chercheurs et entrepreneurs? Dans les deux cas, il faut avoir une foi absolue dans son projet et ne jamais abandonner. Dans la recherche, il arrive souvent qu’on n’avance pas ou que les résultats issus des mesures ne soient pas tout de suite ceux attendus. Dans une entreprise, il y a des problèmes semblables à résoudre. Une autre simila­rité au niveau du personnel dirigeant, c’est qu’un professeur, comme un CEO, doit monter une équipe. On exige beaucoup d’engagement. Il faut être un motivateur et partager avec enthousiasme sa vision de l’entreprise avec les collaborateurs. C’est comme cela qu’on crée les bonnes conditions pour que l’équipe puisse travailler aux objectifs de l’entreprise.


EN IMAGE

Daniela Kiselev

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Daniela Kiselev veille à ce que les conditions de travail aux grandes installations de recherche soient les meilleures possibles et à ce que leur exploitation reste sûre. Dans son travail, elle se concentre sur les accélérateurs. C’est là que sont accélérées des particules comme les électrons et les protons, grâce auxquelles il est ensuite possible de produire de nouvelles particules comme des photons, des neutrons et des muons. Pour Daniela Kiselev, l’objectif est d’assurer un flux de particules d’une qualité optimale afin que les usagers internes et externes puissent mener leurs expériences de manière efficace, productive et réussie.

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AILLEURS EN SUISSE 22

Un été très cool Cet été, neuf jeunes filles ont vécu une expérience bien particulière dans les Alpes valaisannes. Encadrées par des experts, elles ont découvert ce qu’est la vie de glaciologue. Texte: Martina Gröschl


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Une vie sans eau courante, ni toilettes, ni même un simple toit au-dessus de la tête, avec des lacs glaciaires aux eaux froides, des températures matinales du même acabit et des paysages glaciaires impressionnants: en cette chaude journée d’été, l’Institut Paul Scherrer PSI accueille neuf jeunes filles, âgées de 15 à 17 ans, qui ont beaucoup de choses à raconter sur ce qu’elles ont vécu au cours des semaines précédentes. Leurs impressions fusent: «Ça vous donne une tout autre perspective sur la nature et son fonctionnement.» «De bout en bout, ç’a été une expérience extraordinaire, une véritable aventure.» Et puis vient le moment de se concentrer: il s’agit maintenant de présenter leurs résultats de recherche des derniers jours devant une grande assemblée – comme des scientifiques, justement. Neuf jours dans la peau d’une glaciologue Où le glacier fond-il le plus vite? Quels sont le degré de pureté et la température de son eau de fonte? Et comment cette température évolue-t-elle, lorsque l’eau de fonte se transforme en torrent glaciaire et qu’elle s’écoule? Neuf jours durant, neuf jeunes filles ont endossé le rôle d’une glaciologue. Elles ont installé un camp de base au glacier de Findelen, au-dessus de Zermatt, à 2860 mètres d’altitude. De là, elles ont exploré leur environnement, tout en se penchant sur différentes questions de recherche relatives aux glaciers. Des chercheuses expérimentées et une guide de montagne les accompagnaient. Encadrées par ces expertes, les jeunes filles ont découvert en quoi consiste le regard d’une chercheuse sur la nature. Elles se sont jetées à l’eau, et pas seulement au sens propre lors d’un bain dans le lac glaciaire. La plupart d’entre elles n’avaient que des connaissances scolaires sur la glaciologie, autrement dit l’étude de la glace et de la neige. Pour répondre à leurs questions de recherche, les chercheuses en herbe ont procédé de manière tout à fait scientifique. En commençant par formuler une hypo­thèse. Où le glacier fond-il le plus rapidement? En haut ou en bas? Où doit-on s’attendre à trouver l’eau de fonte la plus chaude? La plus pure? Durant plusieurs jours, les jeunes filles ont méticuleusement mené leur travail de recherche sur place. Elles ont mesuré la température des torrents glaciaires à différents endroits, prélevé des échantillons d’eau dans des sachets en plastique, qu’elles ont photographiés. Elles ont également déterminé la vitesse de fonte du glacier en plantant des baguettes de bambou dans la glace à différents endroits et en mesurant tous les jours le taux de fonte. Afin de s’immerger davantage dans la glaciologie, les jeunes glaciologues se sont essayées au carottage de glace. Les carottes de glace représentent un instrument important pour la recherche en glaciologie. En tant qu’archives, elles révèlent la composition de

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l’atmo­sphère au cours des siècles passés. Cela permet de reconstruire les changements climatiques, les éruptions volcaniques et la pollution environnementale. Au terme de plusieurs journées intenses sur le glacier, lors desquelles elles ont pu relever quelques défis d’alpinisme – descendre dans une crevasse et gravir la Torre di Castelfranco qui culmine à 3628 mètres d’altitude dans l’Italie voisine –, nos aventurières ont démonté leur campement et sont parties pour le PSI. L’heure de vérité était venue: elles allaient devoir analyser leurs mesures. Ces dernières confirmeraient­elles leurs hypothèses? Lors des présentations de clôture, le public était impatient de découvrir les résultats. Et certains d’entre eux ont bel et bien réservé quelques surprises. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait intuitivement supposer, nos chercheuses en herbe ont découvert que ce n’est pas en contrebas du glacier que l’eau de fonte est la moins pure, mais à son extrémité supérieure. Quant à la température du torrent glaciaire, elle ne change pas tant que le torrent s’écoule sur le glacier, mais seulement après. «Cela vient probablement du fait que le trajet de l’eau sur le glacier est trop court», ont avancé les chercheuses en guise d’explication possible, lors de la présentation impeccablement construite de leur projet de recherche. Par ailleurs, ont-elles ajouté de manière très scientifique, il est probable que l’énergie thermique de l’air ambiant ou du soleil passe dans la fonte de la glace, et non dans le réchauffement de l’eau. Un encouragement de la relève bien particulier L’expédition a été organisée par l’association «Girls on Ice», en collaboration avec le PSI. «Au départ, l’idée d’enthousiasmer de cette manière des jeunes filles pour les sciences naturelles a émergé aux Etats-Unis», explique Marijke Habermann, présidente de l’association. C’est en 1999 que la première expédition américaine a conduit les participantes au mont Baker, un volcan de la chaîne des Cascades situé au nord-ouest des Etats-Unis. L’an dernier, Marijke Habermann a ramené en Suisse ce concept aussi simple que convaincant: permettre à des jeunes filles de vivre en direct une vie de chercheuse et éveiller ainsi leur engouement pour les sciences naturelles. L’expédition au glacier de Findelen était la deuxième du genre, et une troisième suivra l’an prochain. «Nous avons réussi à obtenir un subside d’encouragement du Fonds national suisse pour les trois premières années, mais, bien entendu, notre intention est de continuer après», souligne Margit Schwikowski, cheffe de projet au PSI. Le fait que des jeunes filles qui n’auraient pas les moyens d’une telle aventure puissent participer gratuitement a notamment convaincu la Société suisse de neige, glace et pergélisol de la SCNAT, qui collabore également au financement du


projet. Grâce à son engagement, l’association a réussi à convaincre les entreprises Mammut et Bächli d’officier comme sponsors pour l’équipement. L’ETH Zurich, l’université de Fribourg, l’université de Zurich et le WSL Institut pour l’étude de la neige et des avalanches SLF contribuent, eux aussi, à encourager la relève. Nouveau regard sur la nature et sur la science Il se pourrait que l’une ou l’autre, parmi les participantes de cette expédition, devienne un jour une scientifique. Et, même si ce n’est pas le cas, ces intenses journées passées au glacier de Findelen auront changé le regard que ces jeunes filles portent sur les sciences naturelles et leurs protagonistes: l’image dominante du nerd ou du génie hyperintelligent, façon Albert Einstein ou Stephen Hawking, a cédé la place à un tableau plus nuancé. Elles reconnaissent, parfois non sans surprise, que les scientifiques sont des personnes tout à fait normales, très intéressées par ce qu’elles font, et que les sciences naturelles sont plus captivantes qu’elles ne l’imaginaient.

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Leur regard sur la nature a changé, lui aussi. Elles se sentent notamment concernées par la fonte rapide du glacier de Findelen. «C’est une chose, disent-elles, d’en entendre parler sur le plan théorique, et c’en est une autre de la vivre concrètement dans la pratique.» Elles ont ainsi été nombreuses à s’étonner de la vitesse à laquelle le glacier fondait. Le message principal qu’elles en retirent est le suivant: il est indispensable que nous changions notre comportement vis-à-vis de la nature. L’expédition, qui n’a laissé insensible aucune de ces jeunes filles, a renforcé leur conscience environnementale et celle de la valeur des sciences.

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Actualité de la recherche au PSI 3 Les incohérences

1 Gaz d’échappement purifiés Les moteurs à gaz naturel sont censés ouvrir la voie à une meilleure protection du climat. Les plus écologiques sont ceux qui fonctionnent au biogaz et non au gaz naturel fossile. Mais leurs gaz d’échappement restent un sujet de préoccupation. Des chercheurs du PSI viennent de développer un nouveau catalyseur pour le traitement des gaz d’échappement émis par les moteurs à gaz naturel. L’astuce réside dans la structure du matériau, traitée au palladium, qui supporte le catalyseur: celle-ci ressemble à une éponge. A la différence des catalyseurs actuellement disponibles, ce nouveau modèle reste très actif à basse température et sur une longue période, ce qui permet une combustion plus propre et plus écologique du gaz naturel. Ce développement renforce l’attrait du gaz naturel et du biogaz comme solution alternative aux produits pétroliers, par exemple comme carburant pour les voitures. En savoir plus: http://psi.ch/YcGS

2 Aiguilles hypo­dermiques bouchées Les seringues préremplies sont des dispositifs courants, grâce auxquels les patients peuvent s’administrer un traitement médical chez eux. Aspect décisif: il faut que ces seringues restent entreposées au frais jusqu’au moment de l’injection. Des chercheurs du PSI, de l’université de Bâle et de la société F. Hoffmann-La Roche viennent d’examiner les conséquences de conditions de stockage inadéquates. Grâce à un procédé d’imagerie neutronique bien établi au PSI, ils ont réussi à montrer que le principe actif liquide pouvait passer par inadvertance avant l’administration du cylindre d’injection à la canule métallique, lorsque la seringue était stockée à des températures trop élevées, et boucher ainsi l’aiguille hypodermique. En savoir plus: http://psi.ch/hYEP

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de la théorie du Big Bang

Le Big Bang a été immédiatement suivi de l’apparition d’atomes radioactifs de type béryllium 7. La plupart de ces atomes se sont désintégrés depuis belle lurette: ils n’existent donc plus aujourd’hui à l’état naturel dans l’univers, contrairement au lithium, qui est leur produit de désintégration. Fait remarquable: il existe une nette disparité entre l’abondance de lithium prédite par la théorie du Big Bang et l’abondance de lithium effectivement mesurée dans l’univers. Des chercheurs du PSI viennent de contribuer à une meilleure compréhension de ce phénomène, appelé «problème cosmologique du lithium», et donc des premières minutes de l’univers. Ils ont fabriqué un échantillon de béryllium 7, produit de manière artificielle, qui a ensuite été analysé par des chercheurs du CERN. Cette étude collaborative, à laquelle ont participé 43 centres de recherche, n’a pas permis de résoudre l’énigme. De sorte que la probabilité de devoir un jour adapter la théorie du Big Bang est encore plus importante qu’auparavant. En savoir plus: http://psi.ch/yBL1


EN BREF

5G

Le futur standard pour la communication mobile ne pourra être réalisé que grâce à des transistors plus puissants.

Le débit atteindra alors par seconde.

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gigabits

La recherche au PSI permettra d’améliorer

10 %

encore d’environ des futurs transmetteurs.

la performance

4 De meilleurs transistors Le passage de nos réseaux de communication mobile au futur standard 5G va nécessiter des transistors plus rapides et performants que les transistors à haute fréquence conventionnels. Les transistors de puissance en nitrure de gallium sont particulièrement prometteurs. Mais de nombreuses propriétés fondamentales de ce matériau sont encore inconnues. Avec des collègues de Russie et de Roumanie, des chercheurs du PSI ont observé pour la première fois un flux d’électrons dans un transistor de ce type. Cette étude d’un transistor en nitrure de gallium en régime à haute tension a notamment montré que les électrons se déplaçaient plus efficacement dans certaines directions. Ces connaissances permettront d’améliorer encore d’environ 10 % la performance des futurs transmetteurs, estiment les chercheurs. En savoir plus: http://psi.ch/6K59

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GALERIE

Une pause en Suisse romande Les grandes installations de recherche du PSI ne sont pas seulement à la disposition des chercheurs de l’institut, mais aussi des chercheurs du monde entier. Sans aller si loin, nous vous présentons aujourd’hui quelques chercheurs romands, utilisateurs intensifs de nos instruments de recherche. Sur quel sujet travaillent-ils en ce moment et en quoi les installations du PSI leur permettent-elles d’avancer? Et lorsqu’ils regagnent leur domicile, épuisés d’avoir mené toutes ces expériences au PSI, quel est leur endroit préféré pour se ressourcer le temps d’une pause bien méritée? Nous leur avons posé la question. Levez le pied avec eux à Fribourg, à Genève et à Lausanne et profitez de paysages magnifiques. Texte: Dagmar Baroke

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GALERIE

Au parc Louis-Bourget Peter Babkevich est postdoc à l’EPFL. Il étudie les inter­ actions magnétiques de matériaux qui servent de modèles pour mieux comprendre les mécanismes qui se jouent dans un supraconducteur à hautes températures. La supraconduction est aujourd’hui associée, dans les esprits, aux trains à sustentation magnétique ou encore aux appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) des hôpitaux. Mais, à l’avenir, ces matériaux devraient aussi permettre d’acheminer du courant sans perte sur de grandes distances ou encore de produire des moteurs électriques très compacts et à haut rendement. A la Source de Neutrons de Spallation Suisse SINQ du PSI, Peter Babkevich mène des expériences pour comprendre les processus fondamentaux qui se jouent dans les matériaux magnétiques, mais aussi pour tester l’exactitude de ses modèles théoriques. Son endroit préféré pour faire une pause, c’est le parc Louis-Bourget, où il s’adonne à la photographie.

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Au Jardin botanique Maria Longobardi est en train de changer de métier: cette chercheuse de l’université de Genève sera bientôt journaliste scientifique. En tant que chercheuse, elle crée des combinaisons novatrices en combinant des biomatériaux et des nanomatériaux: par exemple, en assemblant de la cellulose (fabriquée à partir de bactéries et non de bois) et des matériaux bidimensionnels ultrafins composés uniquement d’une seule couche d’atomes (comme du graphène). Ces combinaisons pourraient un jour déboucher sur des résultats aussi différents qu’un écran d’affichage de téléphone portable ou des antiinflammatoires pour cicatriser les plaies. Grâce aux mesures qu’ils mènent à la Source de Neutrons de Spallation Suisse SINQ au PSI, Maria Longobardi et ses collègues peuvent élaborer la meilleure méthode de fabrication de matériaux hybrides. Son endroit préféré pour faire une pause, c’est le Jardin botanique, situé à Chambésy.

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GALERIE

A la vieille ville Claude Monney est professeur à l’université de Fribourg. Avec son groupe de recherche, il étudie les propriétés physiques de matériaux innovants destinés à l’électronique de demain. Il peut ensuite en affiner les caractéristiques et en déduire les usages possibles. Sans recherche fondamentale, aucun appareil électro­ nique de grands fabricants renommés n’aurait trouvé sa place dans notre quotidien. Claude Monney et son équipe étudient le comportement complexe d’électrons et de noyaux atomiques au sein de nouveaux matériaux à la Source de Lumière Suisse SLS, à l’aide de rayons X. Son endroit préféré pour faire une pause, ce sont les rives de la Sarine, qui donnent sur la vieille ville de Fribourg et où il s’adonne au jogging.

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Au parc du Pélican Esther Amstad est professeure à l’EPFL. Son groupe de recherche développe des revêtements biocompatibles composés de microcapsules pas plus larges qu’un cheveu humain. Ces minuscules contenants permettent d’encapsuler puis de libérer des principes actifs de manière contrôlée, à l’endroit désiré. Ils utilisent ces revêtements, dont la structure est similaire à celle des écailles de lézard, par exemple pour obtenir des changements de couleurs dynamiques (à l’instar de ce que font les lézards), délivrer des médicaments de manière locale et ciblée, ou encore pour purifier l’eau. Esther Amstad et son équipe étudient à la Source de Lumière Suisse SLS du PSI la composition et la structure des capsules pour mieux contrôler la libération des principes actifs. Son endroit préféré pour faire une pause, c’est le parc du Pélican, au bord du Léman à Lausanne.

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Au viaduc Michael Hothorn est professeur à l’université de Genève. Son groupe de recherche étudie entre autres la manière dont les plantes perçoivent leur environnement et contrôlent ainsi leur croissance comme leur développement. C’est une question très importante, car, en raison du changement climatique et de la croissance de la population mondiale, il faudra nourrir de plus en plus d’individus avec des surfaces cultivables de moins en moins fertiles. Grâce aux mesures qu’ils conduisent à la Source de Lumière Suisse SLS du PSI, Michael Hothorn et son équipe comprennent les voies par lesquelles les végétaux envoient des signaux à travers leur membrane cellulaire ou encore la manière dont ils contrôlent leur taux de phosphate et se protègent du rayonnement UV. Son endroit préféré pour faire une pause, c’est le viaduc de la Jonction, situé au bord du Rhône.

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PORTRAIT

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Celle qui fonce à 200 kilomètres à l’heure Fabia Gozzo n’est pas faite pour les zones de confort. Elle a commencé par positionner une ligne de faisceau du PSI, dont elle avait la charge à la Source de Lumière Suisse SLS, parmi les installations les plus performantes au monde. Aujourd’hui, elle met ses connaissances à la disposition de l’industrie par le biais de sa spin-off. Texte: Joel Bedetti

Au printemps 2012, Fabia Gozzo était sur le point de faire un choix fondamental: la sécurité ou le risque? Elle venait de démissionner de son poste à l’Institut Paul Scherrer, où elle avait officié pendant douze ans, pour déménager avec sa famille à Bruxelles, où son mari se préparait à prendre ses fonctions de viceprési­dent d’une entreprise. Tous deux avaient décidé depuis longtemps qu’ils partiraient à l’étranger, si l’un d’eux se voyait offrir pareille opportunité. Fabia Gozzo a, elle aussi, cherché du travail. Elle n’a pas tardé à se voir proposer un poste de responsable de laboratoire de nano- et de microélectronique dans un institut de Bruxelles. Elle y aurait occupé une position comparable à celle qu’elle avait au PSI. «Et là, raconte-t-elle, je me suis posé la question: est-ce que j’ai vraiment envie de m’infliger tout ce déménagement pour un tel choix?» Elle a fini par décider que non. Et, à la place, par fonder sa propre entreprise: Excelsus Structural Solutions. Cela faisait longtemps que lui trottait dans la tête l’idée d’offrir à l’industrie pharmaceutique les fruits de l’expérience qu’elle avait acquise à la Source de Lumière Suisse SLS dans le domaine de l’analyse des structures de matériaux. La lumière synchrotron permet en effet de mettre en évidence les plus petits écarts dans les médicaments par rapport à la structure de solide désirée et donc d’améliorer leur efficacité. Fabia Gozzo et le PSI ont alors signé un accord qui l’autorisait à utiliser régulièrement à des fins commerciales une ligne de faisceau à la SLS. Il ne lui manquait plus que les clients. Elle s’est donné deux ans pour voir si tout cela pouvait marcher.

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Et ça a marché. Six ans plus tard, nous retrouvons Fabia Gozzo, âgée de 53 ans, au deliveryLAB, le premier bâtiment du Park innovaare, situé juste à côté du PSI. Elégante dans sa robe de printemps, elle porte un collier avec un pendentif en forme de «F». Elle a pris place à la table de conférence avec ses trois collaborateurs: Mathilde Reinle-Schmitt, Pam Whitfield et Mickaël Morin. Ils ont tous les quatre leur bloc-notes. A l’exception de Mickaël Morin, qui est resté veiller sur le bureau, ils rentrent des Etats-Unis, où Excelsus a organisé une conférence sur l’analyse de structures de médicaments à l’état solide amorphe, c’est-à-dire à l’état solide non cristallin. Les principes actifs pharmaceutiques à l’état solide cristallin sont plus stables, mais leur efficacité reste parfois insuffisante. Fabia Gozzo envisage ce domaine comme un nouveau secteur d’activité pour sa société. Pour elle, cette réunion est donc l’occasion de réfléchir, avec son équipe, aux chercheurs qu’elle pourrait impliquer afin d’élaborer prochainement des procédures standardisées pour ce nouveau domaine d’application. Ils se préparent par ailleurs à effectuer une première mesure de ce genre pour le compte d’une société pharmaceutique, au Diamond Light Source, le synchrotron situé près d’Oxford. «Et si l’on répétait les mesures trois fois? suggère Pam Whitfield, senior scientist. Ça nous permettrait d’être complètement sûrs. — Ce n’est pas le seul critère», rappelle Fabia Gozzo. Car les temps de mesure aux lignes de faisceau sont chers. Et si la qualité de pointe est un impératif, la redondance aux frais des clients n’est pas la bonne option. Mais, comme il s’agit

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«Quand on a fait un choix, le doute n’a aucun sens.» Fabia Gozzo, CEO et fondatrice d’Excelsus Structural Solutions

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PORTRAIT

d’une nouvelle méthode, Fabia Gozzo et ses collaborateurs finissent par décider de mener trois essais. Excelsus supportera les coûts supplémentaires. «Nous offrons de la technologie de pointe, souligne Fabia Gozzo pour expliquer cette décision risquée. Si nous ne bougeons pas maintenant, nous serons hors jeu dans deux ans.» Discipline de fer Fabia Gozzo avoue qu’il lui arrive d’être incroyablement distraite: elle oublie sans arrêt l’endroit où elle a laissé ses lunettes et ses clés. Mais, pour les choses qui comptent, elle n’a jamais la tête en l’air. «Quand on a fait un choix, le doute n’a aucun sens, affirme-t-elle. Voilà pourquoi je fonce à 200 kilomètres à l’heure.» Cette aptitude l’a bien aidée lorsqu’elle est arrivée au PSI, en 1998. Italienne d’origine, aujourd’hui naturalisée suisse, Fabia Gozzo a fait ses études de physique à Bari, dans le sud de l’Italie, et sa thèse de doctorat à l’EPFL. Son postdoc l’a amenée au synchrotron de Berkeley, en Californie. Puis elle a participé au développement d’un spectromicroscope qui permettait de repérer les plus petites impuretés sur les toutes nouvelles puces informatiques Intel. Fabia Gozzo est revenue en Suisse pour la construction de la SLS. Son travail consistait à faire avancer l’exploitation commerciale de ce synchrotron flambant neuf. «Mais c’était trop tôt, se souvient-elle. Les chercheurs étaient encore occupés à mettre en service l’installation.» Les anciens responsables de projet à la SLS lui ont alors demandé si, à la place, elle pouvait se charger de construire une station d’expérimentation à la SLS pour la diffraction de poudre. Le responsable prévu au départ n’était plus disponible. Fabia Gozzo a accepté, même si ce n’était pas son domaine de spécialité. Christoph Quitmann, qui, lui aussi, était revenu des Etats-Unis à la même époque pour travailler à la SLS, se souvient: «La moitié des physiciens disaient: “Fabia, on pense que tu peux le faire.” Et l’autre moitié pensait: “Elle n’a aucune idée de ce qu’elle fait.”» L’installation que Fabia Gozzo a construite figure aujourd’hui parmi les meilleures du monde. Une réussite qu’elle doit à son savoir-faire technique et à sa discipline de fer. Ce sens de la discipline devient manifeste lorsqu’on apprend dans quelles conditions Fabia Gozzo a monté Excelsus Structural Solutions à partir de 2012. Après avoir déménagé avec sa famille à Bruxelles, elle a d’abord travaillé depuis son nouveau logement. L’après-midi, sa fille faisait ses devoirs à côté d’elle. Pour chaque mandat de mesure, même le plus modeste, Fabia Gozzo quittait Bruxelles en voiture et faisait les huit heures de trajet qui la séparaient du PSI. Le budget des débuts ne lui permettait pas de prendre l’avion. Mais, peu à peu, sa clientèle s’est étoffée, et Excelsus s’est agrandie. Fabia Gozzo a alors constitué une

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équipe de postdocs du PSI, parmi lesquels Mathilde Reinle-Schmitt. Puis, en 2017, elle a engagé Pam Whitfield, une chercheuse anglaise expérimentée qui a dirigé durant vingt ans un laboratoire d’analyse de structures cristallines au Canada, avant d’être responsable, pendant cinq ans, d’une ligne de faisceau de neutrons au Oak Ridge National Laboratory, aux Etats-Unis. Un pied dans l’économie privée, l’autre dans la science Même s’il s’écoulait régulièrement plusieurs semaines sans que Fabia Gozzo vienne de Bruxelles, les quartiers d’Excelsus – sis dans une salle pour postdocs, près de la SLS – sont peu à peu devenus trop exigus. En 2016, toute l’équipe a donc déménagé au deliveryLAB. Des locaux spacieux, où la spin-off profite de ses excellents contacts avec le personnel de la SLS: quand elle décroche un mandat assorti de délais serrés, Excelsus obtient presque toujours une fenêtre pour mener ses mesures à la SLS. A l’évidence, Fabia Gozzo se donne de la peine pour que le climat de travail soit agréable. Les bureaux d’Excelsus sont aménagés avec goût: table de bois ovale, réfrigérateur rouge, machine à café rouge. Mathilde Reinle-Schmitt, qui vient d’avoir un enfant, travaille à temps partiel depuis la maison. Tout comme Fabia Gozzo, qui a déménagé à Lausanne au début de l’année, en raison, cette fois encore, du nouvel emploi de son mari. Pourtant, même si Excelsus connaît le succès, le marché dans lequel elle évolue reste dur. Comme l’entreprise est relativement petite, Fabia Gozzo ne peut guère se permettre d’attendre durant plusieurs mois le versement de montants importants en cas de retard de paiement de la part de clients. Par ailleurs, Excelsus doit adapter ses méthodes aux nouveautés de la recherche. Fabia Gozzo et ses collaborateurs ont donc un pied dans l’économie privée et l’autre dans la science: au PSI, ils réalisent des mesures à des fins commerciales et, le reste du temps, ils mènent leurs propres expériences, sur lesquelles ils publient des articles dans des revues scientifiques spécialisées. En termes d’innovation, cela permet aussi d’avoir toujours un temps d’avance sur la concurrence. Aux congrès, ils échangent avec leurs collègues chercheurs, mais ils nouent aussi des contacts avec des représentants de l’industrie pharmaceutique. «C’est comme cela que Mathilde nous a récemment permis de décrocher un excellent nouveau mandat», raconte Fabia Gozzo avec fierté. Elle aime ce double défi: «Se limiter à des procédures standard, ce serait agir à très court terme d’un point de vue économique, dit-elle. Mais, surtout, nous ne pourrions plus nous faire plaisir!»

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QUI SOMMES-NOUS?

Depuis chez nous, en Argovie, nous faisons de la recherche pour la Suisse en coopĂŠration mondiale.

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L’Institut Paul Scherrer 5232 Villigen PSI, Suisse

Bâle

Zurich

Berne

Bellinzone Genève

4 grandes installations de recherche uniques en Suisse

800 articles scientifiques publiés chaque année dans des revues spécialisées qui reposent sur des expériences menées aux grandes installations de recherche

5232 est l’adresse où l’on fait de la recherche en Suisse à de grandes installations de recherche. Car l’Institut Paul Scherrer PSI a son propre code postal. Une particularité justifiée, d’après nous, pour un institut qui s’étire sur 352 643 mètres carrés, qui possède son propre pont sur l’Aar et qui compte 2000 collaborateurs, autrement dit plus d’employés que certains villages des environs n’ont d’habitants. Le PSI est sis dans le canton d’Argovie, sur les deux rives de l’Aar, entre les communes de Villigen et de Würenligen. C’est un institut de recherche fédéral pour les sciences naturelles et les sciences de l’ingénieur, qui fait partie du domaine des Ecoles polytechniques fédérales (EPF), les autres membres étant l’ETH Zurich, l’EPF Lausanne, l’Eawag, l’Empa et le WSL. Avec notre recherche fondamentale et notre recherche appliquée, nous œuvrons à l’élaboration de solutions durables pour répondre à des questions majeures, tant sociétales que scientifiques et économiques.

5000 visites annuelles de scientifiques venus du monde entier pour mener des expériences à ces grandes installations de recherche

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De grandes installations de recherche complexes Nous avons reçu de la Confédération suisse le mandat de développer, de construire et d’exploiter de grandes installations de recherche complexes. Ces dernières sont uniques en Suisse et certains équipements sont même uniques au monde, car ils n’existent qu’au PSI.

Le magazine de l’Institut Paul Scherrer

De nombreux chercheurs, actifs dans les disciplines les plus diverses, ont la possibilité de faire des découvertes essentielles pour leur travail en menant des expériences à nos grandes installations de recherche. En même temps, la construction et l’exploitation d’installations pareilles sont si complexes et coûteuses qu’au niveau de leur propre infrastructure les groupes de recherche dans les hautes écoles et dans l’industrie ne peuvent pas disposer de ce genre d’instruments de mesure. C’est pourquoi nos installations sont ouvertes à tous les chercheurs. S’ils veulent obtenir du temps de mesure pour leurs expériences, les chercheurs de Suisse et de l’étranger doivent toutefois faire acte de candidature auprès du PSI. Le comité de sélection, composé d’experts, évalue ces demandes en fonction de leur qualité scientifique et recommande au PSI les scientifiques auxquels il faut véritablement l’allouer. En effet, même si le PSI dispose d’une quarantaine de postes de mesure auxquels des expériences peuvent être menées simultanément, il n’y a pas assez de temps disponible pour toutes les candidatures. Entre un tiers et la moitié des demandes doivent être refusées. Chaque année, quelque 1900 expériences sont conduites aux grandes installations de recherche au PSI. Le temps de mesure au PSI est gratuit pour tous les chercheurs académiques. Les utilisateurs de l’industrie ont la possibilité d’acheter du

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Nos trois principaux domaines de recherche Mais le PSI n’est pas seulement prestataire de services pour d’autres chercheurs; il a son propre programme de recherche et ce dernier est ambitieux. Les découvertes faites par les chercheurs au PSI permettent de mieux comprendre le monde qui nous entoure et établissent les fondements nécessaires au développement d’appareils et de traitements médicaux innovants. En même temps, la recherche en interne est une condition importante pour assurer le succès du programme utilisateurs aux grandes installations. Car seuls des chercheurs impliqués dans les derniers développements scientifiques sont en mesure d’épauler les utilisateurs externes dans leur travail et de continuer à développer les installations pour qu’à l’avenir elles correspondent aux besoins de la recherche. Notre propre recherche se concentre sur trois domaines. Dans celui de la matière et des matériaux, nous étudions la structure interne de différentes substances. Les résultats aident à mieux comprendre les processus qui se jouent dans la nature et fournissent les bases de nouveaux matériaux destinés à des applications techniques et médicales.

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Dans le domaine de l’énergie et de l’environnement, l’objectif des travaux menés est de développer de nouvelles technologies pour un approvisionnement énergétique durable, sûr et respectueux de l’environnement. Dans le domaine de la santé humaine, les chercheurs s’efforcent d’identifier les causes de certaines maladies et les méthodes thérapeutiques possibles. Dans le cadre de la recherche fondamentale, ils étudient les processus généraux qui se jouent au sein des organismes vivants. Par ailleurs, nous exploitons la seule installation de Suisse permettant de traiter certaines maladies cancéreuses spécifiques avec des protons. Cette méthode particulièrement peu agressive permet de détruire les tumeurs de manière ciblée, tout en préservant la quasi-totalité des tissus sains environnants.

5232 – Le magazine de l’Institut Paul Scherrer Paraît trois fois par an. Numéro 3/2018 (septembre 2018) ISSN 2571-6891 Editeur Institut Paul Scherrer Forschungsstrasse 111 5232 Villigen PSI, Suisse Téléphone +41 56 310 21 11 www.psi.ch Rédaction Dagmar Baroke, Monika Blétry, Martina Gröschl (resp.), Christian Heid, Dr Laura Hennemann Traduction Catherine Riva Correction Étienne Diemert Design et direction artistique Studio HübnerBraun

Les cerveaux derrière les machines Le travail aux grandes installations de recherche du PSI est exigeant. Nos chercheurs, ingénieurs et professionnels sont des experts hautement spécialisés. Pour nous, il est important de préserver ces connaissances. Nous attendons donc de nos collaborateurs qu’ils transmettent leur savoir à des jeunes qui s’en serviront dans le cadre de différentes positions professionnelles, pas seulement au PSI. C’est pourquoi près d’un quart de nos collaborateurs sont des apprentis, des doctorants et des postdocs.

Le magazine de l’Institut Paul Scherrer

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temps de mesure pour leur propre recherche dans le cadre d’une procédure spécifique et d’utiliser les installations de recherche pour leur recherche appliquée. Le PSI offre à cet effet des prestations spéciales de recherche et de développement. Au total, le PSI entretient quatre grandes installations de recherche qui permettent de se plonger dans des matériaux, des biomolécules et des appareils techniques afin de sonder les processus qui se jouent à l’intérieur. Lors de leurs expériences, les chercheurs «radiographient» les échantillons qu’ils veulent analyser au moyen de différents rayonnements. Ils ont à disposition des faisceaux de particules – neutrons et muons – ou de lumière intense de type rayons X – lumière synchrotron ou laser à rayons X. Ces divers types de rayonnements permettent d’étudier au PSI une grande variété de propriétés des matériaux. La complexité et les coûts de ces installations sont dus notamment au fait que, pour produire ces différents rayonnements, il faut de grands accélérateurs.

Photos Scanderbeg Sauer Photography, sauf: Pages 22 / 23, 25: Girls on Ice Switzerland; Pages 26 / 27: Pixabay; Pages 28 – 33: Amélie Blanc; Page 38: Markus Fischer. Infographies Studio HübnerBraun, sauf: Pages 6, 7: Nick Radford – Folio Art.

Pour en savoir plus sur le PSI www.psi.ch/fr/ Pour lire 5232 sur Internet www.psi.ch/5232/le-magazine-5232 Pour vous abonner gratuitement au magazine www.psi.ch/5232/abonner-5232

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DANS LE PROCHAIN NUMÉRO

Ce qui vous attend au prochain numéro

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Les appareils électroniques nous offrent une belle part de confort au quotidien. Mais s’il n’y avait pas eu au préalable de recherche sur de nouvelles compositions exotiques de matériaux, nous n’aurions aujourd’hui ni ordinateurs portables ni smartphones. Et l’évolution se poursuit: «plus rapide», «plus petit», «moins gourmand en énergie», tels sont les objectifs du moment. Dans le monde entier, des chercheurs s’interrogent: comment les électrons s’écoulent-ils dans les matériaux de composants électroniques? Et quelles sont les conséquences de ce flux pour les transistors du futur? De minuscules lasers permettront-ils d’accélérer la communication au cœur des puces informatiques? Et sera-t-il un jour possible de construire des mémoires de stockage hypercompactes sur la base de quelques dizaines d’atomes agencés en forme de minuscule tourbillon? Vous découvrirez dans le prochain numéro de 5232 comment les chercheurs du PSI œuvrent, eux aussi, à l’électronique du futur.

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Paul Scherrer Institut Forschungsstrasse 111 | 5232 Villigen PSI | Suisse www.psi.ch | +41 56 310 21 11 


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