Or Norme N°8 - Art & Culture

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OURS OR NORME STRASBOURG N°8 EST ÉDITÉ PAR L’AGENCE DE PRESSE ASP 25, boulevard Wilson - 67000 Strasbourg Tèl : 03 68 41 80 60 CONTACT : Corinne Geudin - corinne@asp-presse.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Pascal Candiotto DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jean-Luc Fournier - jlf@asp-presse.fr RÉDACTION : Alain Ancian - Erika Chelly - Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc - Charles Nouar - Benjamin Thomas Hervé Weill SECRÉTARIAT DE RÉDACTION ET ADMINISTRATION : Corinne Geudin - corinne@asp-presse.fr MAQUETTE ET MISE EN PAGES : Julie - www.juleye.fr juleye.graphicdesigner@gmail.com IMPRESSION : IDS IMPRESSION SELESTAT ids@ids-impression.fr DISTRIBUTION : Impact Media Pub info@impactmediapub.com PUBLICITÉ : Au support et TemaevenT - welcome@temaevent.com - 07.600.70.200 TIRAGE : 20 000 exemplaires 15 000 exemplaires sont distribués en boîte aux lettres (distribution solo sans autres documents publicitaires) et 5000 exemplaires sont déposés dans les lieux de passage de l’agglomération (liste des points de dépôt sur demande). Dépôt légal : décembre 2012. ISSN : en cours.

Édito Alors que Noël s’expose depuis quelques semaines dans sa Capitale incontestée, il nous fallait une fois de plus souligner tout ce qui fait de Strasbourg une ville différente, dans le concert de ses homologues françaises et même étrangères. C’est pourquoi, comme nous le faisons depuis deux ans déjà, nos pages sont remplies à ras bord de reportages sur des gens qui œuvrent résolument avec leur seul talent en bandoulière et en refusant de se vautrer dans le blingbling, le futile et le vulgaire qui ont essaimé un peu partout depuis pas mal d’années maintenant. C’est notre rôle de les dénicher pour mieux vous les présenter et souligner leur talent et leur obstination. Ils sont nombreux à être au rendez-vous de notre numéro d’hiver… Mais, alors que Strasbourg, en ce mois de décembre, en met plein les yeux à quasiment deux millions de visiteurs, en coulisses, sournoisement, il y a des dagues qui s’aiguisent et des coups fourrés qui se préparent. C’est la vocation européenne de Strasbourg qui est en cause, rien de moins. La bataille pour le siège européen de Strasbourg va devenir âpre et féroce dans les mois qui viennent. Ce n’est pas nouveau, me direz-vous… Non, certes, mais d’ici les élections européennes de 2014, on peut s’attendre à des polémiques cruelles et très agressives d’une ampleur jusque là jamais vue. Car, certains, les Britanniques en tête, rêvent de dépouiller Strasbourg de son Parlement européen. Pour mieux tout rapatrier à Bruxelles, là où ils jouent quasiment à domicile. Entre technocrates ultra-libéraux, on adore l’entre-soi… Il semble que l’heure de la mobilisation générale ait sonné et c’est tant mieux. Enfin !.. Nous consacrons de nombreuses pages à ce dossier et nul doute que certains en seront contrariés en ces périodes truffespapillotes-chocolats où la France, traditionnellement, ferme les écoutilles pendant quinze jours. Mais notre revue est fabriquée par des journalistes et quand l’actualité est là, nous le sommes aussi… Que serait Strasbourg sans les institutions européennes ? Une aimable et tranquille capitale régionale très provinciale, un peu assoupie, d’une beauté qui resterait sans pareil certes, mais privée du caractère cosmopolite et international qui est le sien, aujourd’hui encore. Et on ne parle même pas de l’électrochoc économique qui s’en suivrait… Pardon de vous inquiéter ainsi à l’approche des fêtes mais, à leur lendemain, dans le calme glacé de janvier prochain, il va falloir se mobiliser sérieusement pour Strasbourg l’Européenne. C’est le sens des pages que nous publions dans ce numéro 8… Malgré tout, nous vous souhaitons de très belles fêtes, apaisantes, joyeuses, ressourçantes et pleines d’amour… Et, bien sûr, restez Or Norme ! JEAN-LUC FOURNIER

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Sommaire N°8 - DÉCEMBRE 2012

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ART ET CULTURE - ÉVÈNEMENTS PARIS, BÂLE, STRASBOURG ET... NOS DÉCOUVERTES...

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RENCONTRE AVEC PHILIPPE LABRO

HORÉA - IVRE DES CATHÉDRALES

ANNETTE MESSAGER ELLE BASCULE LE MAMCS DANS UNE AUTRE DIMENSION

ANNE LE MUSICAL UNE CRÉATION À STRASBOURG

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HATIM ELMRINI - IL AVAIT RÊVÉ D’UN

LONG MÉTRAGE, IL L’A FAIT !

STRASBOURG SE JETTE DANS LA BATAILLE DU MAINTIEN DU

PARLEMENT EUROPÉEN DOSSIER EXCLUSIF 11 PAGES

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SOLDATS ALSACIENS EN AFGHANISTAN OR NORME EST ALLÉ LES RENCONTRER

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MIREILLE OSTER : LA GLOBE TROTTEUSE

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PORTFOLIO : JEANNETTE GREGORI

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LE BLOC NOTES D’ HERVÉ WEILL


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PHILIPPE

labro LE FOU D’AMÉRIQUE Entretien réalisé par JEAN-LUC FOURNIER

C’est un des CV médias parmi les plus fournis et les plus brillants de France. Europe 1, France-Soir ( le grand FranceSoir, celui de Pierre Lazareff ), RTL, Paris-Match, TF1, France 2, D8 aujourd’hui. Mais aussi un touche-à-tout de génie : écrivain, réalisateur cinéma… Rencontre Or Norme avec Philippe Labro, le fou d’Amérique. En deux temps : à la veille de l’élection américaine lors de sa venue à Strasbourg pour son ouvrage « Mon Amérique » et deux semaines plus tard, après la réélection de Barack Obama…

OR NORME : Il y a une minuscule photo noir et blanc dès l’ouverture du superbe pavé « Mon Amérique » que vous signez aux Éditions de La Martinière. C’est vous, au milieu des années 50, à l’Université Washington&Lee en Virginie. Tous les codes de la légende y sont : la mince cravate noire sur la chemise blanche, la clope sur le côté de la bouche, vous tapez sur une machine à écrire. Une « Royal » comme celle sur laquelle Ernest Hemingway tapait ses manuscrits ? PHILIPPE LABRO : « Sans doute ! Ou alors une « Underwood ». De toutes les façons, c’est sur ce genre de machine que j’ai appris à travailler. À l’époque, elles n’étaient pas portatives. Cela m’aurait bien aidé entre 1954 et 1956, pendant mes innombrables voyages à travers les USA – mais je prenais aussi (et déjà !) des notes sur un carnet Moleskine (comme ceux d’Hemingway, encore une fois !) pour ne pas oublier tout ce que je voyais et tout ce qui m’arrivait : j’ai traversé 4 fois le pays, en auto-stop, d’Est en Ouest et retour. Je ne connais pas plus belle façon de comprendre un peuple. O.N. : Les cinquante portraits présentés dans le livre sont tous ceux d’Américains de légende. J’imagine sans peine qu’il a dû être très difficile, voire déchirant, de choisir… P.L. : Oh oui ! Il m’a fallu procéder à beaucoup d’impasses : pourquoi Armstrong et pas Miles Davis, pourquoi Dylan et pas Springsteen ? Je cite Thomas Edison et pas Bill Gates, je ne parle pas d’Obama, de Steve Jobs, de Spielberg entre plein d’autres… Même l’angle que j’ai choisi au départ ne justifie pas l’absence de tant et tant. Pour expliquer mes choix, je n’ai que la paraphrase des citations de Montaigne et La Boétie : parce que c’étaient eux, parce que c’était moi… O.N. : Manifestement, l’angle, c’est celui des rebelles, de ceux qui contestent l’ordre établi…

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P.L. : Oui, absolument. Les hommes et les femmes dont je parle sont tous des « mavericks », un mot dont les Américains connaissent la signification par cœur. Les mavericks sont, parmi les mustangs Philippe Labro dans les années 50 5


sauvages, ceux qui se distinguent de la masse de leurs semblables et se mettent soudain à galoper seuls, comme s’ils avaient décidé une fois pour toutes de n’appliquer que leurs propres règles. Mes cinquante Américains sont des mavericks, des empêcheurs de tourner en rond, des individualités inclassables… O.N. : Beaucoup ont vécu au milieu des années cinquantesoixante, au cœur de cette Amérique rêvée dont l’écho nous parvenait ensuite en Europe avec quelques années de décalage. Certains d’entre eux, vous n’avez fait que les frôler mais avec l’œil du journaliste. Je pense à Ali qui est le premier de vos Américains, par ordre d’entrée en scène dans l’ouvrage… P.L. : Mohamed Ali, je n’ai entrevu en effet que quelques secondes, juste après sa défaite contre Joe Frazier, l’espace d’une porte qu’on ouvre et qui se referme. Il était assis sur une table de massage, son peignoir encore sur le dos. Il avait l’air d’un enfant que l’on vient de punir et qui ne trouve pas cela juste. Comme je l’écris dans le livre, je ne l’ai jamais autant aimé qu’à ce moment-là, ce soir-là…

39 quand il a été assassiné. Certains dénigreurs racistes ont prétendu ensuite qu’elle avait refusé de se lever parce qu’elle se sentait fatiguée par sa journée de travail. Elle a vite mis les choses au point en déclarant que la seule fatigue qu’elle avait éprouvée, à ce moment-là, c’était celle de toujours devoir se soumettre. Grâce à elle, on ne dit plus « negro » et à peine encore « black ». On parle d’Afro-Américains… Un soir de décembre 1955, une Noire inconnue a décidé de ne plus céder et 53 ans plus tard, Barack Obama a été élu Président des États-Unis… O.N. : On apprend beaucoup de choses en vous lisant sur cette Amérique qu’on croyait pourtant connaître par cœur. Mais il y aussi cette iconographie somptueuse et très souvent inédite. J’imagine que cette partie du travail a dû être longue, prenante et que là aussi, les choix n’ont pas été faciles. Toutes sont exceptionnelles et font que ce livre est un véritable regard…

Getty Images

P.L. : Là, vous touchez du doigt tout ce qui fait du travail d’éditeur un travail irremplaçable et précieux. Grâce à mon éditeur, j’ai eu accès, en effet, à des archives inédites et à d’excellents iconographes et documentalistes. Je me rappelle ces moments où le sol était jonché par ces photos et que nous nous concertions avec passion sur les choix à faire. Un beau travail ! Mais j’espère que le résultat est à la hauteur…

Mohammed Ali O.N. : Ces cinquante portraits couvrent tout le panel des Américains de légende : sportifs, comme Ali, mais aussi les hommes et femmes politiciens, chanteurs, cinéastes, acteurs, inventeurs, écrivains, peintres, architectes… Certains font partie des légendes américaines grâce à l’incroyable engagement qui a été le leur, comme Rosa Parks ou Martin Luther King par exemple… P.L. : Rosa Louise Parks, c’est cette femme noire qui avait refusé de céder sa place à un blanc dans un bus du sud des États-Unis, en Alabama. Son geste a déclenché, avec son procès, un boycott des sociétés de transport public et un mouvement extraordinaire dont un jeune pasteur, Martin Luther King, a pris la tête. L’histoire des droits civiques s’est écrite comme ça, avec des actes de résistance individuels et une solidarité gigantesque. Jusqu’à ce que l’Amérique élise son premier président noir, il y a quatre ans. Dans mon université de Virginie, on a à peine commenté le procès de Rosa Parks, à l’époque. Je me suis dit ensuite, à de nombreuses reprises, que je n’avais rien compris, ou pas voulu comprendre peut-être… Rosa Parks avait 42 ans quand elle a refusé de céder sa place, Martin Luther King

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O.N. : Journaliste un jour, journaliste toujours... Dans votre panthéon personnel, vous parlez d’une femme qui n’est pas très connue de ce côté-ci de l’Atlantique mais qui est une légende de la presse américaine. Son mari s’étant suicidé, Katarine Graham hérita un jour du Washington Post et se transforma en quelques mois en une patronne de presse redoutable jusqu’à ce que le Post devienne le symbole-même de la presse d’investigation avec l’affaire du Watergate qui scella la destitution de Richard Nixon… P.L. : Le destin de cette femme est en effet incroyable. Avant la disparition de son mari, elle était une « housewife », pas « desesperate » du tout. En quelques mois ensuite, elle a fait sa mue et a stupéfié non seulement les gens de son milieu mais aussi ceux de la presse, de la politique, de la finance. En soutenant son rédacteur en chef, Ben Bradlee, et ces deux presque gamins journalistes qu’étaient Bob Woodward et Carl Bernstein, ceux qui ont levé le lièvre du Watergate, elle a défié Nixon et est devenu ensuite la femme la plus puissante de Washington. Sans se départir de son calme et du solide bon sens qui l’animait. Je me souviens bien d’une anecdote lorsque je l’ai rencontrée


chez elle. J’étais en avance et j’ai fait le tour de sa maison. Il y avait un petit cimetière juste en face. J’y ai repéré assez vite la tombe blanche de son mari, Philip Graham qui s’était suicidé – ce qui l’obligea à reprendre les rouages du Post en 48 heures. En levant les yeux, je me suis aperçu que la fenêtre du premier étage était en droite ligne du regard, sans obstacle. Ainsi, chaque matin, « Kay » pouvait voir à son réveil cette pierre plate et blanche. Elle n’a jamais révélé si elle commençait ainsi ses journées…

certainement, par ailleurs, un homme décent et non dépourvu de qualités d’entrepreneur, manager, businessman – il y avait des doutes – des retournements de veste – et une ligne de conduite qui allait à l’encontre du mouvement de la société américaine d‘aujourd’hui. Quelque chose d’un peu rétrograde. Vous savez, au niveau des chiffres, la réélection d’Obama est un véritable exploit, compte tenu de la réalité selon laquelle tous les chefs d’État sortants, en ces temps de crise, ont été sortis – de Zapatero à Sarkozy, de Berlusconi à … qui vous voulez ! Obama est le seul qui ait survécu. Il doit y avoir des raisons.

O.N. : Vous faites aussi le lien entre le journalisme et le roman en évoquant Tom Wolfe, qui est un ami à vous. Un mot sur le « new journalism » dont il est un des papes en partant peut-être d’une de ses confidences que vous rapportez : « Je voudrais correspondre à la belle définition que Balzac donnait de lui-même : « Secrétaire de la Société »…

O.N. : Que peut-on attendre raisonnablement du second mandat de Barack Obama ? Peut-être qu’affranchi de la crainte de n’être pas réélu puisqu’il ne peut diriger les ÉtatsUnis que durant deux mandats, il soit enfin audacieux, notamment au niveau d’une certaine mise au pas de la finance sauvage qui a provoqué le marasme économique actuel…

P.L. : Je considère, en effet, Tom Wolfe, comme un mélange de Balzac et Zola – avec du Mark Twain par-dessus. Humour corrosif, et formidable capacité d’enquêter sur tel ou tel microcosme de la société américaine (il en existe des myriades) afin, ensuite, d’en faire un récit de fiction. Wolfe a réussi le passage, souvent délicat, du journalisme à la littérature. En vérité, pour moi, ces deux disciplines sont liées. Voyez, chez nous, Kessel, Simenon, Roger Vailland, etc… Mais pour revenir à Wolfe, ce qui est bluffant, chez lui, c’est, à l’âge de 80 ans, son énergie dans son travail d’enquêtes. Des années de voyages, interrogations, prises de notes. Un modèle.

ON AURAIT TORT DE S’IMAGINER QUE L’AMÉRIQUE PEUT, À ELLE SEULE « CHANGER LE MONDE » O.N. : Nous nous retrouvons dix jours après la réélection de Barack Obama. Lors de votre venue à Strasbourg, lorsque nous avons parlé de « Mon Amérique », vous n’aviez pas caché votre préférence sur ce résultat. L’issue a été beaucoup moins serrée que prévu même si, en nombre de voix au niveau national, les deux hommes ont été dans un mouchoir…. P.L. : C’est bien comme ça. Pour l’Amérique et pour le monde. Il y avait, autour de Romney, qui est

P.L. : On peut et on doit attendre, d’abord, qu’il trouve en luimême les qualités nécessaires pour bien négocier avec les Républicains par rapport aux graves problèmes de déficit et de dette, de taxes fiscales. Qu’il abandonne son attitude un peu trop professorale et qu’il fasse du massage psychologique. On peut et on doit attendre qu’il prenne au sérieux, et son pays avec, la terrible menace écologique qui pèse sur la Terre, donc sur l’avenir de nos enfants. Qu’il parvienne, avec d’autres pays, à réduire les multiples incendies qui brulent au Moyen-Orient. Etc… etc… Il a du pain sur la planche. O.N. : Le monde semble aujourd’hui à la veille d’un changement de paradigme considérable. « On ne peut plus continuer comme ça… » entend-on dire dans tous les pays, du moins ceux de l’hémisphère nord. Les grands changements qui s’annoncent viendront-ils toujours de cette Amérique que vous avez tant aimée. Barack Obama lui-même, durant la campagne, a évoqué une sorte de co-gestion du monde, entre les États-Unis et les pays émergents, dont la Chine bien sûr… P.L. : On aurait tort de s’imaginer que l’Amérique peut, à elle seule, « changer » le monde. Elle n’est plus cette « hyper puissance » qui a, en grande partie, dominé le XXe siècle. Soyons réalistes. Quant à cogérer l’univers avec la Chine, cela relève un peu de l’utopie ! Pour l’instant, on est plutôt dans un climat de confrontation, en particulier à propos des positions maritimes et militaires dans le Pacifique. Difficile de prévoir – mais je ne m’attends à aucun miracle. Le monde du XXe siècle semble de plus en plus difficile et imprévisible. Il est évident que l’Amérique y jouera un rôle – mais lequel ? O.N. : Pour finir, y a-t-il encore de la place pour les mavericks, qu’ils soient américains ou non, dans un monde aussi impitoyable que celui de 2012 ? P.L. : Bien sûr ! J’espère bien ! Le « maverick », c’est-à-dire celui qui sort du troupeau – celui qui crée, qui ose, qui invente, qui se différencie de la norme, qui brise les tabous et les barrières, existera toujours. En Amérique ou ailleurs. Il n’y a pas de raison pour que ces sortes de personnages disparaissent de l’écran de la vie.

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ART ET CULTURE - EXPO TGV

edward hopper L’AMI AMÉRICAIN

Reportage JEAN-LUC FOURNIER

Vous avez jusqu’au 28 janvier prochain pour ne pas rater un rendez-vous précieux avec Edward Hopper au Grand Palais à Paris. La peinture comme au cinéma ? Pas seulement. Or Norme a visité l’expo pour vous donner une envie irrésistible de vous y rendre…

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Nighthawks Š The Art Institute of Chicago

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Ed Hopper est l’incontestable peintre de la solitude, du silence et de tous ces moments où nous sommes plongés dans une lourde et profonde méditation. Comme cette femme ci-contre, seule dans sa chambre d’hôtel - lit-elle ? Pleure-t-elle ? Est-elle perdue dans ses pensées ? On ne sait pas... Et cette autre, pourtant en pleine lumière matinale, invisible au reste du monde et sans doute à elle-même… La lumière crue jaillit de la fenêtre comme le faisceau d’un projecteur de cinéma. Et les yeux sont des trous noirs…

Morning Sun © Columbus Museum of Art, Ohio

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Hôtel room (1931) - © Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid


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LE PLAN

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Nighthawks - © The Art Institute of Chicago

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L’hommage de Wim Wenders dans cette scène de son film « End of violence ».

Les personnages du cultissime Nighthawks sont dans une terrible et muette solitude, bien que reliés par un étrange canal invisible : ils sont seuls mais ensemble, dans un cadre cinématographique dont se sont largement inspirés un nombre considérable de réalisateurs. Pour eux, Hopper, l’ami américain, avait, très tôt, tracé la voie…

Wim Wenders - End of Violence (1986)

Cette eau-forte réalisée par Hopper date de 1921. Le cinéma n’était que balbutiant mais le peintre avait déjà tout compris. Cette gravure pourrait à elle seule illustrer les grands films noirs américains (ils ne verront le jour qu’une vingtaine d’années plus tard) grâce aux jeux de la lumière et des ombres. Et que dire de la perspective et du point de vue ? La grue cinématographique ne sera inventée que trente ans plus tard…

Page de droite en bas : Wim Wenders - Paris Texas (1986) New York Movie Night Shadows © Philadelphia Museum of Art 14


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Ed Hopper - Night Windows A. Hitchcock - Fenêtre sur Cour

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Le clin d’œil du maître Alfred Hitchcock dans son film « Fenêtre sur cour » (1954)

Maison près de la voie ferrée

Psychose

« Two comedians » est l’ultime tableau peint par Edward Hopper en 1966, juste avant sa disparition. En s’y représentant lui-même en Pierrot aux côtés de sa femme Jo en Colombine, le peintre américain, à son tour, rend hommage à la France et au film « Les enfants du paradis » de Marcel Carné. Two Comedians - © Collection particulière

La « maison près de la voie ferrée » date de 1925. En 1956, Hitchcock, encore, s’en inspire pour le Bate’s Motel dans Psychose. En 1978, l’exigeant Terrence Mallick nous fait littéralement rentrer dans le tableau d’Hopper en ouverture des « Moissons du ciel »…

Dans « Paris-Texas », formidable chef d’œuvre de Wim Wenders sur la fuite, la solitude et le renoncement, l’homme (Harry Dean Stanton) retrouve la femme de sa vie (Natacha Kinski) après une longue errance dont on ne saura aucun détail. La scène finale se situe dans un peepshow crasseux du sud des ÉtatsUnis. À travers une glace sans tain, la femme qui, quelques minutes auparavant, s’exhibait devant un client invisible de plus, devine sans doute à qui appartient la voix déformée qui lui parvient via le hautparleur d’un téléphone. Le silence s’est installé, les personnages sont rigoureusement immobiles. Le plan, interminable, est bouleversant… Ces deux-là ne se reverront plus jamais. En 1986, au moment du tournage de « Paris-Texas », Edward Hopper avait quitté ce monde depuis dix-neuf ans. Mais c’est bien à lui que Wim Wenders avait confié le cadrage, l’éclairage et l’illustration de la profonde solitude de ses personnages… 15


Gas - © 2012. Digital image, The Museum of Modern Art, New-York/Scala, Florence

À BIEN Y REGARDER...

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C’est une petite route de la campagne américaine. Le soleil vient à peine de disparaître derrière la cime des arbres, on est entre chien et loup, le soir tombe… Le pompiste va bientôt fermer sa station, il vérifie le litrage écoulé durant cette journée qui s’en va… Bien sûr, ce sont les années cinquante : le design des trois pompes ne trompe pas… Mais, à bien y regarder, « Gas » est l’un des archétypes du style et du parti pris d’Hopper. À bien y regarder, il y a cette lumière à la fois dure et douce de cette scène emblématique. Au fond, la route disparaît dans la nuit de la forêt et on imagine sans peine qu’avant cette station, il en est de même. On est dans une clairière habitée par l’essentiel de l’Amérique de ces années-là : c’est une étape quelconque d’un road-movie forcément génial… À bien y regarder, on est à une autre époque : la route est étroite, aucune peinture au sol ne la délimite. La terre du remblai, à gauche, a été battue à la pelle. Entre le bitume et la station, les herbes folles ont la rousseur de l’été indien. Et le sol de la station est en terre battue, lui aussi…À bien y regarder, l’enseigne lumineuse Mobilgas a dû arriver directement de la très grande ville du coin, son poteau également : mais c’est sans doute un ferronnier traditionnel qui a fabriqué son support. Peut-être… À bien y regarder aussi, ce pompiste qui relève les compteurs vient juste de se dévêtir de son bleu de travail, a revêtu de nouveau sa belle chemise du matin et a enfilé son gilet middle class… Dans deux minutes, il fermera tout à double tour, éteindra les lumières, démarrera au volant d’une Chevy flambant neuve et s’engouffrera dans le noir de la forêt pour retrouver sa petite famille au village un peu plus loin. Seule l’enseigne lumineuse restera éclairée, diffusant son halo sur les arbres tout proches. Les pinceaux des phares des rares véhicules, qui passeront, éclaireront une clairière soudain rétrécie. Ce sera alors sans doute le seul point lumineux à des kilomètres à la ronde. Dans les années cinquante, les boîtes à chaussures alignées à la queue leu leu dans les zones commerciales n’existaient pas…

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À bien y regarder, on entend presque le son de la country music qui bave d’un transistor aux grandes touches de bakélite. On devine que dans un an, deux peut-être, il crachera sans prévenir l’étrange son de la rythmique de Bill Haley : ce « Rock around the clock » rendra le pompiste un poil furieux : il préférait largement la country music d’avant… « Gas » est un instantané de l’Amérique de ces années-là, une toile aussi précieuse que la photo de nos parents, tout jeunes, qu’on redécouvre aujourd’hui dans une vieille pochette après la disparition du dernier d’entre eux. « Gas » nous raconte d’où nous venons… Edward Hopper était un peintre qui adorait la littérature. Dans son portefeuille, se trouvait en permanence une citation de Goethe, soigneusement recopiée sur une feuille de carnet pliée en quatre : « Le début et la fin de toute activité littéraire est la reproduction du monde qui m’entoure afin de signifier le monde qui est en moi, toutes les choses devant être saisies, reprises, recréés, assimilées et reconstruites dans une forme personnelle et avec des moyens originaux. » Pas difficile de deviner que l’ami américain avait adopté la même démarche pour son œuvre…


PARIS

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Soir Bleu - © Heirs of Josephine N. Hopper, licensed by the Whitney Museum of American Art

L’appréciation de l’œuvre d’Hopper n’a pas échappé aux poncifs en tous genres, au fil des décennies. « Le peintre du vide », « le peintre de la solitude », « le peintre de l’Amérique sans âme », on retrouve ces expressions dans l’abondante bibliographie disponible grâce à l’expo du Grand Palais. Regardez « Soir bleu », peinte en 1914, peu après son retour de ses années parisiennes. L’œil d’Hopper saisit la scène comme un appareil photo. Ils sont tous là dans une France pourtant à l’orée de la grande boucherie de la première Guerre Mondiale. Le prolo, perdu dans ses pensées, fume silencieusement sa clope. À la grande table, un artiste peintre (hommage à Toulouse-Lautrec ?) et un officier qui ne sait pas encore que son pantalon rouge réglementaire servira bientôt de cible facile pour les Mauser allemands quand il sortira de sa tranchée. À droite, un couple de bourgeois. Lui parade avec son smoking, elle s’ennuie, manifestement : son verre de vin est déjà vide, englouti d’un seul coup… Au centre, le clown triste vient de terminer sa représentation. Et la femme, fière et droite, attend patiemment. C’est évidemment une fille de joie, comme on disait à l’époque. Ces deux-là ont une aventure ensemble depuis quelque temps, c’est certain… Revenu aux États-Unis, Hopper n’oubliera jamais ses belles années parisiennes. Se dévouant à son pays d’origine, il ne peindra qu’à peine deux voire trois œuvres par an, restant concentré sur son réalisme naturel à l’heure où Pollock, en pleine histoire d’amour avec l’héritière Peggy Guggenheim, se soulageait des épisodes désastreux de sa relation torride à grands coups de dripping sur la blancheur de ses toiles horizontales étendues à terre. « Chop Suey », peinte en 1929. Le même sens du cadrage, la lumière qui magnétise implacablement le visage de cette jeune femme. Quelle âge a-t-elle ? Moins de vingt ans, à coup sûr… Peut-être raconte-t-elle à son amie new-yorkaise qu’elle attend fébrilement, depuis qu’elle a traversé l’Atlantique, des nouvelles de ses parents qui vivent séparés en France ? Son père était clown, sa mère faisait la pute… Le peintre du vide ? Non, le vide n’est souvent seulement que dans la tête de celui qui regarde, ne sait pas voir et est donc incapable d’imaginer…

Chop Suey (1929) - © Collection particulière

Certaines morgues sont de vrais hommages… C’était il y a quelques semaines, sur une de ces chaînes télé d’info continue, au lendemain de l’ouverture de l’expo Edward Hopper au Grand Palais. Face à face sur le ring d’un débat pour-contre qu’affectionnent ces robinets à massacrer l’info, un critique d’art, passionné par l’univers du peintre américain, essayait d’expliquer à un pseudo chroniqueur branchouille l’acuité et la profondeur de l’œil d’Ed Hopper, son sens de l’observation de l’Amérique du milieu du siècle dernier et l’incroyable sentiment de solitude qu’il savait si bien faire émaner de ses toiles. En face, le branchouille écoutait, s’agitait, contestait, s’essayait à quelques boutades contemporaines qui sont au comique ce que le Red Bull est au Gevrey-Chambertin. De plus en plus pathétique, le chroniqueur décida de mériter son cachet de trublion décomplexé. Fort de quelques très rudimentaires connaissances de l’histoire de l’art, il fut invité à conclure car la pub déboulait dans quelques secondes. Et il eut ces mots : « Franchement, la peinture d’Hopper est plate, sans relief. Elle n’accroche pas la lumière, elle n’a aucune profondeur. Il ne travaille avec aucun outil remarquable, il lave ses toiles au pinceau avec des à-plats plaqués très grossièrement. Personnellement, je trouve ça très surfait, sans souffle, plat… » Dans la foulée, on enchaîna avec la météo, encadrée par deux pubs sur un club internet de rencontres. Certaines morgues sont de vrais hommages… JLF

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ÉVÈNEMENT : DEGAS À LA FONDATION BEYELER

Devant le miroir (vers 1889) - © Hamburger Kunsthalle / bpk, Elke Walford

PAR LE TROU DE LA serrure... Texte CHARLES NOUAR

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Après Basquiat et Jeff Koons, la Fondation Beyeler continue d’impressionner par la qualité de ses expositions. Dernière en date, celle consacrée aux œuvres tardives de Degas, première du genre, ouverte au public jusqu’au 27 janvier. « Si Degas était mort à cinquante ans, il aurait laissé la réputation d’un peintre excellent, sans plus ; c’est à partir de cinquante ans que son œuvre s’élargit et qu’il devient Degas », aurait déclaré Renoir, comme le rapporte Ambroise Vollard, dans ses « Souvenirs d’un marchand de tableaux ». Autant dire qu’en consacrant une exposition à cette période du peintre français, la Fondation Beyeler frappe un nouveau grand coup dans le domaine de l’art, après, pour n’en citer que deux, les expositions précédemment consacrées à Basquiat et Jeff Koons. Le musée de Riehen, dans la proche banlieue de Bâle, ne s’en cache d’ailleurs pas : « Cette exposition sur Degas est la première que l’on peut voir depuis vingt ans en Suisse et en Allemagne du Sud. C’est par ailleurs la toute première à se vouer exclusivement à son œuvre tardive, riche et complexe, qui a vu le jour à partir de 1886 environ et marque l’accomplissement d’un audacieux pionnier de l’art moderne ». La période tardive d’Edgar Degas, qui a vu le jour à partir de 1886 environ, après la dernière exposition


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impressionniste, « reflète une œuvre riche et complexe » et marque « l’apogée de plus de soixante années d’une activité créatrice remarquablement productive », insiste la Fondation.

La sortie du bain (vers 1896) © Boltin Picture Library The Bridgeman Art Library

Après le bain, femme s’essuyant (vers 1896) © Philadelphia Museum of Art, Graydon Wood

150 ŒUVRES VENUES DU MONDE ENTIER Souvent faussement intimiste dans ses toiles, Degas ne cache pas à cette période un côté voyeur, mais empreint d’une belle sensibilité, rompant avec les règles jusque-là admises dans le monde de l’art. Ainsi, expliquait-il alors, « jusqu’à présent, le nu avait toujours été représenté dans des poses qui supposent un public, mais mes femmes sont des gens simples. Je les montre sans coquetterie, à l’état de bêtes qui se nettoient (…) C’est comme si vous regardiez par le trou de la serrure ». Coquettes, animales, ces femmes n’en inspirent pas moins une belle poésie dont Degas s’est fait le chantre, à l’image de ces trois danseuses en « jupes bleues, corsages rouges » ou de la scène du « Bain » qui ouvrent avec voluptué l’exposition qui lui est consacrée. Deux pastels, issus de la collection privée de la Fondation et respectivement peints dans les années 1895-1898 et 1903. Une introduction donc, qui laisse très rapidement place à une vaste collection de 150 œuvres choisies et prêtées par des collectionneurs privés européens, nords américains et asiatiques mais également par les plus prestigieux musées internationaux. Parmi ceux-ci, le Museum of Fine Arts de Boston, le Kunstmuseum Bâle, la Tate de Londres, le Bayerischen Staatsgemäldesammlungen de Munich, le Museum of Modern Art de New York, le Metropolitan Museum of Art de New York, le Musée d’Orsay de Paris, le National Museum of Modern Art de Tokyo, le Hirshhorn Museum and Sculpture Garden de Washington, ou le Kunsthaus Zurich. Cette diversité d’institutions, bien au-delà de la reconnaissance du monde de l’art envers le travail accompli ces dernières années par la Fondation Beyeler, témoigne avant tout de la difficulté à réunir sous le même toit des œuvres majeures jusque-là éparpillées à travers le monde. Puzzle reconstruit donc, qui, sur le plan technique, permet d’apprécier la richesse de l’oeuvre tardive du peintre, empreinte d’une étonnante modernité.

bien précis de son oeuvre », note la direction du musée. Or, en regroupant ses œuvres tardives, la Fondation Beyeler fait ici le tour de force de rassembler tous les thèmes et toutes les séries représentatives du peintre : « De fascinantes représentations de danseuses et de nus féminins, de jockeys et de chevaux de course, ainsi que des paysages et des portraits audacieux », mais aussi l’ensemble des techniques dont il acquit la maîtrise, du pastel au dessin, en passant par la gravure, la sculpture ou la photographie. « Toutes les techniques employées par Degas sont reflétées dans le cadre de cette exposition », se réjouit la Fondation. « Degas, plus que tout autre artiste de son temps, a expérimenté une grande diversité de moyens d’expression, a créé son oeuvre tardive sensuelle, d’une remarquable liberté chromatique, dans une ivresse proche de l’obsession, où s’entremêlent inextricablement présent et passé, réalités vues et souvenirs ». Une expérimentation désormais reproduite dans l’espace architectural pensé par l’architecte Renzo Piano, accessible jusqu’au 27 janvier prochain.

Fondation Beyeler Baselstrasse 101, CH-4125 Riehen/Bâle www.fondationbeyeler.ch

TOUT DEGAS « Bien que l’art d’Edgar Degas jouisse d’une grande popularité, les expositions qui lui sont consacrées se limitent généralement à sa période impressionniste (vers 1870 –1885) ou à certains aspects 20

Trois danseuses, jupes violettes (vers 1895-98)) © Maurice Aeschimann, Onex / Genève


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« La création artistique s’effectue toujours à la main, à partir de pains de terre que je modèle. J’utilise de la terre rouge (couleur oblige) et une fois la pièce façonnée, elle sèche complètement et je la fais cuire. Puis j’applique les émaux de différentes couleurs au pinceau, minutieusement et cette étape est très longue. Plusieurs cuissons sont nécessaires pour faire fondre les différents émaux. Au moins trois : une à 1070°, puis une autre à 1050°, puis, enfin une troisième à 1020°… Ensuite une dernière cuisson est nécessaire après l’application de l’or, pour finir chacune de mes pièces précieuses ».

ANNICK

HURST

L’ART NE M’A JAMAIS QUITTÉE ! Texte

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Récente lauréate du Trophée « Talents » organisé dans le cadre du Salon des Élites à Haguenau, Annick Hurst avoue que « les épreuves n’ont pas manqué » dans sa vie. Mais cette céramiste d’une grande sensibilité ne s’en laisse pas compter et va résolument de l’avant. Une rencontre comme Or Norme les aime…

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ALAIN ANCIAN

C’est une maison toute jaune, presque banale, à l’orée du village de Eckwersheim, au nord de Strasbourg, qu’on atteint difficilement aujourd’hui tant les travaux de la ligne TGV bouleversent les paysages à proximité. Une maison pleine de vie, du sous-sol où Annick Hurst a installé son atelier jusqu’à l’arrière où deux superbes chevaux occupent une écurie qui donne sur un vaste verger herbeux.

LA TERRE, CE MATÉRIAU MERVEILLEUX À 54 ans, Annick pourrait facilement en dire long sur une vie qui ne s’est manifestement pas toujours déroulée sur un tapis de pétales de roses. Mais elle se contente de quelques discrètes allusions. Juste pour mieux parler de sa démarche : « À dix huit ans, je venais d’intégrer les Arts Déco de Strasbourg et je suis tombée enceinte de mon fils . J’ai dû arrêter pour m’en occuper en 1976 et travailler pour gagner ma vie. À la naissance de ma fille en 1982 lorsque j’étais en congé maternité, j’ai intégré un petit atelier de poterie à Rumersheim, ce qui m’a permis de redécouvrir les bases et techniques de ce matériau merveilleux « la terre », monter des pièces et étudier le raku. Lors d’un stage avec Viviane Ambre, je me suis perfectionnée aux proportions du visage. À ce moment-là, après le décès de ma mère, je travaillais avec mon père dans son entreprise où je m’occupais de la comptabilité et l’administratif de la société.


LA DÉCOUVERTE DE KLIMT Une dizaine d’années plus tard alors que je travaillais à temps partiel au club hippique, j’ai monté mon propre atelier « Terrakomartis ». Dans mon esprit, ce nom matérialise bien la terre, la couleur et l’art. Et j’ai toujours aimé la couleur… C’est donc en 2001 que j’ai commencé à donner des cours à la salle socioculturelle d’Eckwersheim où, les mercredis, j’ai accompagné une trentaine d’enfants avec ma plus jeune fille née en 1993, et qui était très douée, les mercredis et une dizaine d’adultes en cours du mardi soir. En 2002/2003 je me suis perfectionnée « au corps humain » avec Gérard Stark en cours du soir à l’école des Arts décoratifs de Strasbourg. Mon travail de la terre ne se limitait pas aux cours que je donnais ou prenais, il y avait une remise en question permanente avec des essais de techniques différentes, des essais d’émaux pour obtenir une valeur de couleur, des difficultés, des réussites, des échecs, de la casse, des naissances de pièces magnifiques… Voilà tout ce qui me motivait car la terre n’a pas de limite… En parallèle aux cours et à mon travail au club, en 2002 on me proposa de faire ma première exposition et depuis je n’ai pas arrêté d’exposer un peu partout en France, tout en travaillant pour gagner ma vie. Lors d’une exposition, une personne m’a dit que mon travail se rapprochait beaucoup de celui de Klimt… et elle m’a offert un livre sur ce peintre autrichien que je ne connaissais pas. J’ai découvert et vraiment adoré le travail de Klimt et me suis permis de lui faire quelques clins d’œil en m’inspirant de ces œuvres.

MA VIE, C’EST LA TERRE…

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En 2008 alors que j’avais transféré pour trois ans mon atelier à Hoerdt et y donnais mes cours, j’ai fait également des stages de perfectionnement sur le thème des coquillages, les formes de la nature, la porcelaine papier et la terre sigillée. Ces stages ont fortement contribué à me perfectionner encore plus dans l’univers de « la couleur »… Je n’ai de cesse de découvrir tout ce que la terre peut m’apporter en matière de plaisir… Ma vie c’est la terre… mais elle ne me fait pas vivre pour le moment, malheureusement. Depuis 2010 je suis au chômage. Mais je ne me plains pas, je ne me pose pas de questions : je n’ai pas hésité à prendre tous les risques qu’il fallait. Heureusement, l’art ne m’a jamais quittée ».

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horéa IVRE DES CATHÉDRALES Texte BENJAMIN THOMAS

Vingt cathédrales, vingt rosaces, vingt vitrines et… le vin. Voilà à quoi Horéa, que nous vous avions présentée dans Or Norme de noël dernier, a consacré une bonne part de son année 2012. Avec toujours autant de fraîcheur, de talent et d’inventivité… Elle est loin de l’artiste maudite qui, sans cesse et sans cesse, se plaint sur son sort et râle contre la dureté des temps. Non, elle fonce, Horéa, toujours aussi vaillante et motivée. Et quand surgit l’Idée, la grande, l’unique, alors là, rien ne l’arrête.

« La cathédrale de Strasbourg, je vis avec elle depuis toujours. Pour moi, c’est la Grande Dame de la ville qui m’a accueillie (et n’oubliez pas le G et le D majuscules, s’il-vous-plait) » précise-t-elle. « J’ai toujours été très près d’elle. Au lycée Fustel-de-Coulanges, quand j’ai fait mes études, moi la petite Lorraine de culture musulmane qui débarquait en Alsace. Ensuite, j’ai habité Place Saint-Etienne et je la voyais de ma fenêtre. Aujourd’hui, je vis rue du Dôme, tout près d’elle. Je sens qu’elle me protège, qu’elle m’entoure, et qu’elle me fait vibrer. Sa verticalité me plaît et je la trouve très féminine. En fouillant les archives, j’ai découvert que beaucoup de ses architectes, au fil des décennies, s’étaient inspirés du corps de la femme pour que la cathédrale s’élance au-dessus de Strasbourg. Je me suis dit qu’il fallait que je traduise ça en peinture car, depuis vingt ans, je jongle entre le corps et le paysage, le vu et le ressenti, le figuratif et l’abstrait. En créant ces vingt toiles et ces vingt rosaces, en y associant le vin également, j’exprime l’ivresse que je ressens à vivre et travailler près de la cathédrale, ici, à Strasbourg. »

PARTAGER AVEC LES STRASBOURGEOIS

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Mais Horéa est allée encore plus loin. Parallèlement au travail sur ses vingt toiles (chacune au format 2 m sur 1m) et ses vingt rosaces, elle a peint le vin du Domaine Brand & Fils, un travail remarqué par Elle et Paris-Match. Mais comment faire pour qu’un maximum de Strasbourgeois partagent son ivresse ? Elle a donc pris son bâton de pèlerin et contacté les patrons de vingt vitrines prestigieuses (voir pages suivantes) qui, toutes, ont été séduites par son talent et sans doute aussi sa volonté de fer. Ainsi, les visiteurs des Marchés de noël et nous-mêmes, au hasard de nos courses de fin d’année, pourront admirer les cathédrales d’Horéa. Son talent est réellement bluffant et personne ne s’y trompe ici. Le vernissage de l’exposition a attiré la grande foule le 1er décembre dernier au Café de l’Opéra ainsi que dans la magnifique entrée de la bâtisse dédiée à l’art lyrique, au bout de la place Broglie. Entourée par ses cathédrales, réchauffée par ses amis, Horea rayonnait au soir d’un samedi devenu soudain glacial. Et dans les vitrines, désormais, ses cathédrales caressent les yeux des passants…

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dÉcouverte or norme

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CAROLINE

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Alors naît la saveur de l’âme... Texte JEAN-LUC FOURNIER

Lors de l’inauguration de l’exposition consacrée à Marie-Anne Mouton (lire Or Norme n°7) en octobre dernier, une jeune femme a littéralement subjugué les amateurs d’art présents dans le hall de la Maison de la Région Alsace. Vêtue d’un costume traditionnel somptueux, au son d’une musique étrange et rythmée, Caroline Fix a fait découvrir le Bharata Natyam à un public d’abord interloqué puis franchement conquis. Une extraordinaire rencontre, bien au-delà de l’insolite…

« JE ME SENTAIS AVENTURIÈRE »

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Loin du « folklore » exotique, Caroline Fix est devenue une réputée praticienne de Bharata Natyam, une danse indienne millénaire. Elle s’y donne corps et âme, sans compter, comme plongée dans un univers qui se renouvelle sans cesse…

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Pas la peine d’être un spécialiste (ou un vétéran des voyages en Inde…) pour percevoir instantanément que cette danse est d’une exigence absolue. Sur le plan physique, tout d’abord : les pieds nus frappent franchement le sol et s’y collent instantanément, sans le moindre tremblement et l’once d’une hésitation. Les grelots qui enserrent les chevilles sonnent à chaque fois justes et ponctuent efficacement les gestes. Les postures sont très codifiées, les mimiques du visage et des yeux soulignent les thèmes, avec le cou et les épaules qui semblent coulisser parfaitement, comme montés sur une mécanique fluide et invisible. L’extrémité des doigts est gracile... Un régal pour les yeux et aussi, une envie immédiate d’en savoir beaucoup plus. Caroline Fix, 40 ans, vit (et enseigne son art, ainsi que le yoga) dans sa maison natale de Dossenheim, au cœur du Kochersberg. « C’est là que j’ai vécu comme l’adolescente un peu timide et renfermée que j’étais jusqu’à mes dix-neuf ans » nous confie-t-elle. « Puis, j’ai soudain été prise d’une envie irrépressible de parcourir le monde et de m’ouvrir à d’autres cultures. J’avais comme un besoin d’engagement, je me sentais aventurière aussi, je voulais défendre une cause. J’ai donc beaucoup voyagé : Amérique latine, Afrique du Nord, Thaïlande pour apprendre les techniques du massage thaï puis l’Inde, enfin, où j’ai découvert la danse indienne. Ce fut soudain comme si j’apprenais une nouvelle langue, comme si je développais une véritable conscience de mon corps. Car le Bharata Natyam demande un énorme travail physique avec la coordination totale entre les bras et les jambes. L’esthétique compte également beaucoup et fait partie de la danse, autant que les postures, le rythme, les expressions. Bien sûr, comme souvent en Inde, cette danse sacrée véhicule des valeurs profondes et très universelles. Son nom les résument bien : Bha pour Bhava, émotion ; Ra comme Raga, la mélodie et Ta comme Talam, le rythme associés à Nathya, l’art dramatique. C’est le Dieu Shiva Nataraja qui est à l’origine de cette danse dont les lois sont décrites dans le cinquième Veda, consacré à l’art –musique, danse, théâtre, poésie, sculpture, architecture, peinture-… Où va la main va l’œil. Où va l’œil va l’esprit. Où va l’esprit, le sentiment s’éveille. Alors naît la saveur de l’âme… »


L’INDE COMME PORT D’ATTACHE…

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Ce fut soudain comme si j'apprenais une nouvelle langue...

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Depuis cette découverte, l’Inde ne m’a jamais quittée. J’ai dû m’y rendre huit fois déjà, et la dernière fois, j’y étais avec mon fils Yaël, neuf ans et ma fille Surya, 7 ans, pour pratiquer le yoga et trouver un Maître de danse. Je vous avoue que j’aimerais bien acquérir un équilibre entre ma vie ici et là-bas. Le Bharata Natyam demande autant d’engagement et de rigueur que la danse classique, en Europe. Cette danse me procure beaucoup de joie et un grand équilibre personnel. En fait, c’est ma méditation à moi, même sans la présence du public. Je danse et je me sens comme reliée à mon temple intérieur. Cet art m’élève, me permet de passer outre mes souffrances personnelles. C’est un yoga, on y retrouve tous les bienfaits physiques, psychologiques, spirituels. On peut exprimer tous les sentiments. Le cœur devient alors le véhicule du Sacré… ».

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messager BASCULE LE Mamcs DANS UNE AUTRE DIMENSION Texte CHARLES NOUAR Photos MARC DOMAGE

Opération

« C’est un hôte étrange, un pantin géant gonflé par l’action d’une soufflerie, qui accueille le visiteur à l’abord du musée ; balloté, animé de mouvements convulsifs et déstructurés, il se cogne aux murs, comme emprisonné », prévient Joëlle Pijaudier Cabot, directrice des musées de la ville Strasbourg. À l’étonnement amusé de sa découverte, succède bientôt un sentiment diffus de malaise au spectacle des combats dérisoires de cet avatar d’un « héros kafkaien ». Histoire, sans doute, de donner le ton. Celui d'un univers tantôt onirique, tantôt cataclysmique. « Un monde pétrifié, carbonisé, un univers urbain d’après la catastrophe, dont les résidus miniaturisés flottent, agglutinés en des sortes d’îlots volants, ou semblent étouffer ce qu’il reste de vie sur la planète terre ». Un univers, une rencontre des (im)possibles, lointainement inspirée, diton, de l’univers de Swift dans ses « Voyages de Gulliver », où Annette Messager « explore un registre relevant du fantastique ou de la science fiction, pour mettre en scène les pathologies du monde contemporain, en une manière de conte philosophique ou de fable politique ».

Sous le titre Continents noirs, l'exposition consacrée à Annette Messager continue de sublimer les couloirs du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg jusqu'au 3 février. Une première en France, depuis la grande rétrospective qui avait été consacrée à l'artiste en 2007 par le Centre Pompidou. Une belle audace que l'on n’osait plus imaginer de la part du MAMCS. Pari gagnant.

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LE SPECTATEUR SE FAIT SON CINÉMA

Annette Messager

Annette Messager, une figure de l'art moderne. Envoûtante par ses inspirations et la liberté qui s'en ressent. La liberté d'être femme, déjà, dans un monde de l'art qui fut longtemps réservé aux hommes. Où la femme, lorsqu'elle était évoquée, n'avait le plus souvent que le rôle de muse et non de mage. De créateur. De créatrice. La liberté aussi, du regard qu'elle aime laisser porter au public sur son œuvre. « Quelques indices précieux et le spectateur reconstitue lui-même son propre cheminement, se plaît-elle à dire. Je n’ai aucune histoire à lui imposer ».

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Ou encore : « J’aime bien raconter des histoires ; je veux que mes travaux racontent des histoires, que le spectateur se fasse, comme on dit, son cinéma ». À bien y regarder, il y a du Burton dans l’univers de Messager. Dans cette exposition aux accents de parcours initiatique, organisé en plusieurs séquences, « à la manière d’un récit dont la tension dramatique s’intensifie au fil de la progression du spectateur ». Vêtements, déchets de plastique, pantins suspendus, gonflés et animés par le souffle d’une batterie de ventilateurs. Tous reprennent vie, comme sortis de l’au-delà, sous l’inspiration transcendante de cette artiste qui, dès ses débuts, dans les années 1970, construisit une œuvre unique et insolite, où se mêlaient déjà bricolages, jeux d’enfants, photographies, dessins, objets manufacturés, ou encore animaux naturalisés. Où chaque mot, aussi, prend sens dans leur matérialisation artistique. Quarante ans plus tard, Continents noirs affirme une identité de plus en plus sombre, empreinte de tensions existentielles sublimées par la finesse d’un humour duquel Messager ne se départit jamais. Avec, au final un rendu sous forme d’ « étrange sarabande chamarrée, joyeuse et grinçante à la fois, où il est question de sensibilité féminine désorientée, d’insoutenable légèreté de l’être », relève la direction du musée. Une inquiétude, aussi, dégagée par l’oeuvre, allégée par l’envoûtement de la chorégraphie et par quelques clins d’oeil à la robe soulevée de Marilyn, dans 7 ans de réflexion ou à la farce ubuesque de Jarry. Oui, Continents noirs, « nous fait pénétrer dans un monde inversé”, s’enflamme Joëlle Pijaudier Cabot. Trois ampoules, en un balancement régulier, rythment l’inéluctable du temps ; elles dessinent sur les murs des ombres menaçantes, dont les contours indécis, transformant ces conglomérats volants en monstres dont les silhouettes évoquent le monde animal ou minéral, suscitent stupeur et effroi. Dans une ambiance évoquant celle de Metropolis, l’ombre projetée d’une grande horloge égrène dérisoirement le temps sur cet univers figé. Mais la gravité de ce spectacle et les terreurs qu’il suggère sont mises à distance, comme exorcisées par l’humour - justement - dont l’artiste anime ces gros jouets échoués du monde de l’enfance avec l’esprit de jeu et la poésie tendre et grinçante qui lui sont familières»lui sont familières ».

Vitrine - 2012 Miroir aux Alouettes 34


Motion-Émotion

Longtemps l'on a souhaité un peu de magie et d'émotion de la part du MAMCS. Qu'il sorte (enfin) des sentiers battus. Qu'il joue, comme bien d'autres musées à travers le monde, la carte de l'audace artistique. Qu'il bouleverse les codes et son public. Avec Messager, c'est désormais chose faite. Peut-être pour la première fois depuis son ouverture. Comme si le Musée avait enfin pris conscience de la carte qu'il avait à jouer dans le paysage culturel rhénan, bousculé, peut-être aussi, par l'ambition des Beyeler et autres Würth. L’expo “Continents noirs” est bien plus qu'un voyage extraordinaire, elle est une une renaissance. Pour continuer à jouer avec les mots, elle pourrait bien être celle du renouveau pour ce qui n'avait jusqu'alors de moderne que les fondations... Désir 35


EXCLUSIVITÉ or norme

EN SOUVENIR

D'ANNE

en souvenir D'ANNE JEAN-LUC FOURNIER

Le 19 mars prochain, Strasbourg sera le théâtre de la création d’un « Musical » appelé à un rayonnement international. Histoire d’une incroyable chaîne d’amitiés et de talents autour de l’histoire d’Anne Frank, la jeune fille terrée au cœur d’Amsterdam durant la barbarie nazie et qui, soixante-dix ans plus tard, nous adresse une superbe leçon d’amour et d’engagement…

Un « petit bout de femme » diablement combative et dotée, au fond, d’une seule arme : sa force de conviction. Voilà comment apparaît, au premier regard, Francine Disegni, 56 ans, productrice de « Anne - Le Musical » qui sera présenté le 19 mars prochain, au PMC de Strasbourg. « J’ai toujours été un moteur. Porter des projets auxquels je crois, ça me plait » nous précise-t-elle d’emblée, à deux pas de ce qui constitue un de ses QG stratégiques, l’Académie Internationale de Comédie Musicale (AICOM), nichée au cœur de Paris, tout près des Grands Boulevards. « Tout est parti il y a cinq ans maintenant du spectacle de fin d’année de cette école où, dès leur plus jeune âge, les enfants et adolescents découvrent les disciplines de la scène et s’épanouissent réellement en groupe au sein d’un projet artistique unique. J’ai été très émue par la vision de l’histoire d’Anne Frank qui fut alors présentée. Mais je me suis dit qu’il

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Francine Disegni 36


la musique, l’image, la performance des acteurs… » Anne - Le Musical a été présenté à Paris, au Théâtre du Gymnase, et a rencontré un grand succès. Les critiques positives se sont enchaînées dans la presse spécialisée mais, avoue Francine, « il restait à lui donner une envergure susceptible d’intéresser nombre de villes françaises et européennes. Depuis cinq ans, nous n’étions bloqués, au fond, que par l’étroitesse de nos moyens. Au début, on a tout fait avec des bouts de ficelle. Il fallait donc que ce spectacle trouve le chemin de son public en le dotant de tout ce qui fait son intérêt : la modernité des thèmes évoqués, son attrait pour les jeunes et des dispositifs musicaux scéniques d’envergure… »

fallait s’en occuper autrement pour que la lecture des jeunes en soit facilitée. » Mais rien n’aurait pu se faire sans l’apport d’un grand auteur-compositeur. C’est là qu’entre en scène Jean-Pierre Hadida, 52 ans, l’associé et le complice de Francine au sein de la société de production qu’ils ont tous deux créée.

DES MOMENTS INTENSES LORS DES REPRÉSENTATIONS PARISIENNES DR

« Je suis né avec un crayon à la main et une guitare dans la poche » dit aujourd’hui cet ex-publicitaire de renom (nombre de jingles et signatures sonores restés Jean-Pierre Hadida célèbres sont son œuvre) mais il ajoute aussitôt : « Au lieu de cet art éphémère qu’est la publicité, j’ai voulu essayer d’installer quelque chose qui puisse prendre racine. J’ai d’abord écrit L’Odyssée d’Ulysse, une comédie musicale montée pour un one-shot événementiel. Puis je l’ai laissée naviguer… En me souvenant du « Journal d’Anne Frank », je me suis longtemps demandé comment mettre cette œuvre en musique. Ce n’est quand même pas n’importe quel livre. Dans sa prison sudafricaine, Nelson Mandela ne possédait que deux livres : la Bible et Le Journal d’Anne Frank… Il m’a fallu vraiment me réimprégner de ce livre puis je me suis mis directement au piano pour composer des chansons, les harmoniser au sein de tableaux. Après avoir rencontré Francine, les choses sont tout à coup devenues plus grandes, plus sérieuses. Anne - Le Musical touche à des choses très sensibles bien sûr, mais le but est de les raconter aussi aux plus jeunes, c’est pourquoi j’y ai introduit du rap et du slam, comme un pont entre les générations. J’ai écrit une partition d’1h20 et le défi de Strasbourg est d’asseoir le spectacle dans sa version ultime. Nous allons enfin avoir les moyens : il y aura du monde sur la scène, de la musique, des éclairages, des musiciens. Le musical va dépasser le caractère intime et confidentiel qu’il avait à ses débuts. J’ai hâte d’y être… » « C’est avec le soutien de Pierre-Yves Duchesne, le fondateur de l’AICOM, que nous sommes parvenus à nos fins » enchaîne Francine. « En effet, les jeunes considèrent que l’histoire d’Anne Frank, et plus généralement les atrocités qui se sont produites au milieu du siècle dernier, appartiennent à leurs parents. Ces derniers veulent même s’en défaire, tant les douleurs restent vives malgré le temps qui a passé. Je pense sincèrement qu’Anne - Le Musical peut beaucoup concerner les jeunes générations. Nos armes : nous avons introduit un rappeur et un slameur dans le scénario mais il y aussi l’émotion,

Même avec des moyens limités, les représentations parisiennes ont servi de tremplin à l’aventure de ce spectacle musical dont les Strasbourgeois auront la primeur de la création définitive au début du printemps prochain. Francine Disegni se souvient avec une grande émotion de deux rencontres exceptionnelles à l’issue des représentations au Gymnase. « Eva Schloss, la demi-sœur d’Anne Frank, a appris par la presse anglaise qu’elle figurait dans une des scènes du Musical. Elle est venue spécialement de Grande-Bretagne, où elle vit, pour nous rencontrer. J’ai vu tant de pièces et de films sur la vie d’Anne, nous a-t-elle dit, mais c’est la première fois que je l’ai réellement revue sur scène ce soir. Comme si elle était encore vivante et qu’elle n’avait pas vieilli. Elle aurait été très fière de ce que vous avez fait… » Un autre soir, Francine, Jean-Pierre Hadida et toute la troupe se rendent au traditionnel repas d’après spectacle dans un modeste restaurant parisien. À leur arrivée, et à leur grande surprise, une bouteille de champagne trône sur chacune des tables réservées. C’est un inconnu qui a pris cette initiative, après s’être discrètement renseigné sur le lieu où la troupe terminait la soirée. « J’étais l’amie d’Anne Frank à Amsterdam durant la seconde guerre mondiale, j’ai été déporté avec elle. Je voulais absolument voir votre spectacle. Un Musical sur l’histoire d’Anne, je pensais que ce n’était pas possible. C’est incroyable, je l’ai revue grâce à vous plus de soixante ans après ! » « Cloé (la comédienne qui joue le rôle d’Anne Frank) est tombée dans ses bras, c’était incroyablement émouvant » se rappelle Francine Disegni.

L’APPUI DE STRASBOURG Et, un autre soir, c’est Patrick Adler (grand ami d’Or Norme), qui assiste au spectacle. « Quand j’ai vu le regard qu’il a porté sur le spectacle » se souvient Francine Disegni « j’ai réalisé à quel point il était bouleversé. Nos discussions, ensuite, m’ont confirmée dans mon jugement. Jean-Pierre et moi avons été formidablement accueillis à Strasbourg, grâce à Patrick, et nous nous sommes dits que c’était dans cette ville que nous devions produire le spectacle dans sa version quasi définitive, en y mettant les moyens qui nous avaient manqué jusqu’alors. La Ville nous a beaucoup aidés et nous a mis en contact avec une grande société qui a décidé de nous soutenir. (Il s’agit du Groupe Suez –ndlr). Tout le monde a bien compris que notre projet était porteur de sens et je crois aussi que notre sincérité les a bluffés. Là, cet accueil et ce budget que Strasbourg nous a permis de réunir nous autorisent à présenter 37


Anne - Le Musical dans des conditions idéales. Tout a donc été refait, remonté, tout va se jouer désormais en grand. Et toute la troupe se motive pour mars prochain tant l’enjeu est considérable. Grâce à Strasbourg, on espère que le musical va prendre son envol. Quand on y songe : Strasbourg est la ville géographiquement la plus proche de l’Allemagne, c’est la ville de la résistance. À Strasbourg, on aurait pu alors basculer dans un camp ou dans l’autre… »

abouti de ma carrière » confirme Pierre-Yves. « C’est une version épurée, intemporelle, un très beau boulot comme un diamant parfait qui sera présenté pour la première fois à Strasbourg. Cette version finale atteint un véritable esthétisme sur le message qu’elle véhicule. On sera vraiment dans l’universalité la plus accomplie… » Claire Jomard, 23 ans, est l’assistante du metteur en scène depuis deux ans. « Elle porte notre spectacle avec un dévouement exceptionnel, elle réalise un magnifique travail » nous confie Francine Diegni.

LES PILIERS DE L’AVENTURE

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« Respecter les codes, c’est pas trop mon truc » avoue Pierre-Yves Duchesne qui n’oublie cependant pas de préciser qu’il a été « premier prix du conservatoire en art dramatique et chant » avant d’être « ballotté d’opéras en opérettes, de théâtre musical en théâtre musical… ». Le succès de l’AICOM n’a pas été immédiat – « la première année, personne ne s’est payé » mais très vite, la mayonnaise a pris. « Et la troisième année » sourit Pierre-Yves Duchesne, « un malade mental frappe à ma porte ». C’est Jean-Pierre Hadida ! « Il me fait écouter un truc de très grande qualité, la première partition d’Anne Frank. Il faut savoir que je traîne quelque chose de très dur sur cette époque : ma mère est la seule survivante de sa famille, tous les autres ont trouvé la mort dans les camps. C’est d’ailleurs pour cela que je suis catholique. Elle a eu tellement peur que ça recommence un jour… Le « Journal d’Anne Frank » était son livre de chevet. Cette histoire m’a donc immédiatement parlé et j’ai décidé tout de suite d’en être. Jean-Pierre est un sublime mélodiste et son travail est magnifique. » Jean-Pierre Hadida, qui assiste à l’entretien, confirme : « Pierre-Yves a permis aux choses d’exister. C’est un accoucheur ! Peut-être aura-til le temps, un jour, de m’apprendre à respirer pour chanter ?.. Je suis si mauvais quand je chante… » Un rire énorme éclate alors entre les deux compères, signifiant bien l’un des ingrédients du succès parisien du Musical dans sa première version. « Anne - Le Musical est le travail le plus

Claire Jomard

Christophe Borie

Christophe Borie joue Otto, le père d’Anne Frank. Lui aussi s’est senti tout de suite très concerné par le thème du musical. « L’histoire d’Anne a toujours bercé mon enfance car ma mère était juive, d’origine autrichienne. Pour ce rôle, j’ai essayé de me projeter dans ce qu’Anne et sa famille avaient vécu. Je peux vous dire qu’on ne sort pas indemne de ce spectacle quand on y joue. On y projette notre propre histoire, nos propres sentiments. À un certain moment du musical, lors d’un certain chant, c’est notre propre départ et notre propre fin qu’on joue. J’ai deux enfants, un fils de sept ans et une fille de treize ans. Ils ont bien sûr vu le spectacle. Ma fille, qui a l’âge qu’Anne avait au moment des événements, a lu le livre et nous avons beaucoup discuté ensemble. Ce que je trouve magique, c’est qu’Anne-Le Musical positionne les jeunes d’aujourd’hui dans un univers très contemporain et qui leur est familier, notamment grâce au rappeur et au slameur. Les jeunes y retrouvent leurs codes et du coup, réfléchissent sur ces événements… » Cloé Horry joue Anne. Un physique parfait pour le rôle car, à 28 ans, elle endosse le physique et les gestuelles d’une jeune adolescente de 15 ans. « Ce n’est pas un problème » nous confie-t-elle. « Le metteur en scène est là pour nous donner des techniques de jeu, placer notre voix et dépouiller nos gestes, nous inciter à une grande simplicité corporelle. ». Cloé, elle aussi, est très marquée par le personnage qu’elle joue : « J’ai lu les contes qu’Anne avait écrits. Elle avait un incroyable talent d’auteur, c’était un sacré petit bout de femme. J’essaie de lui rendre hommage. Là où notre responsabilité est immense, c’est dans le fait de raconter la petite histoire pour qu’on n’oublie pas la grande. Mais, sur scène, je ne vis pas la déportation. Certes, je vis intensément les situations mais je ne vis pas la Shoah, je ne porte pas cela. Notre seule responsabilité est de permettre de raconter la petite histoire, elle s’arrête là. Ce n’est pas à Cloé Horry

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Pierre-Yves Duchesne, d’origine belge, dirige l’AICOM qu’il a fondée et dont il fête cette année le 10ème anniversaire. Sur un espace de 1200 m2 au cœur de Paris, l’Académie de la comédie musicale accueillent 500 jeunes étudiants, encadrés par 30 professeurs, qui suivent chaque semaine 10h de cours de chant, danse et théâtre.


moi de porter le tragique car Anne, au moment des faits, était rieuse, joyeuse. Je ne fais que montrer sa joie de vivre car Anne avait du talent, des envies… Le spectateur se rend très bien compte tout seul des aspects tragiques de ce que nous évoquons, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Cette petite fille, c’est tous les enfants qui ont souffert et ont disparu à cette époque mais elle représente aussi tous ceux qui souffrent aujourd’hui, maintenant, chez nous… » Pour Cloé Horry, Anne-Le Musical aura été une parfaite rampe de lancement. Depuis, elle a joué Peter Pan, au Théâtre des Variétés, Un Violon sur le Toit au Palace, Lili Lampion au Théâtre de Paris et Frankenstein Junior au Théâtre Desjazet. « Cloé est une future très grande de la comédie musicale » nous souffle à l’oreille l’auteur-mélodiste JeanPierre Hadida, alors que le beau sourire d’ « Anne-Cloé » illumine encore la terrasse de ce bar parisien où nous venons de la rencontrer…

La conjuration des talents

Qui était

Anne Frank ? Anne Frank était une jeune juive allemande dont la famille, fuyant le nazisme, s’était réfugiée à Amsterdam, aux Pays-Bas. Ce pays étant à son tour occupé par l’Allemagne, les Frank se sont alors cachés durant deux ans dans l’annexe de l’entreprise d’Otto Frank, le père de famille. C’est là qu’Anne a débuté l’écriture d’un journal intime, elle qui rêvait de cinéma et voulait devenir journaliste. Dénoncés, les Frank ont été arrêtés en 1944 et immédiatement déportés au camp de Bergen Belsen où Anne, victime du typhus, a trouvé la mort. Le journal d’Anne Frank a été récupéré dans la cachette des Frank après leur arrestation et précieusement conservé par un voisin, Miep Gis, qui l’a remis à Otto Frank, seul survivant de la famille, à son retour des camps. Le Journal d’Anne Frank est un des livres les plus lus dans le monde entier (environ 25 millions d’exemplaires vendus, il a été traduit en plus de 70 langues). Il occupe la 19e place dans le classement des 100 meilleurs livres du XXe siècle, établi en 1999 par le quotidien le Monde et la FNAC. Lui-même survivant d’Auschwitz, Primo Levi (auteur de « Si c’est un homme », un des plus célèbres ouvrages sur l’extermination) a déclaré, à propos du Journal d’Anne Frank : « Anne Frank nous émeut plus que les innombrables victimes restées anonymes et peut être doit-il en être ainsi. Si l’on devait et pouvait montrer de la compassion pour chacune d’elles, la vie serait insoutenable. »

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L’ aventure de la création strasbourgeoise d’Anne-Le Musical est une histoire comme nous les aimons à Or Norme Strasbourg. Au départ, il y a un événement presque quelconque (le spectacle de fin d’année d’une école artistique) mais qui, à l’instar de ce battement d’une aile de papillon qui va déclencher une tempête des dizaines de milliers de kilomètres plus loin, a fait naître un événement dont la notoriété risque de dépasser de très loin les espérances les plus folles de ses promoteurs. Le chemin aura certes été très long, entre les « petits bouts de ficelle » du départ et la production qui sera présentée au PMC de Strasbourg le 19 mars prochain. Mais l’histoire est belle. C’est celle d’une conjuration de talents hors normes. Celui de « l’accoucheur » Pierre-Yves Duchesne, du mélodiste et co-producteur Jean-Pierre Hadida, celui d’une troupe d’acteurs exceptionnels où dominent la fraîcheur et le talent de Cloé Horry, sans parler de tous les autres passionnés de cette belle aventure. C’est aussi le talent et le battant d’une autre passionnée comme on n’en rencontre que trop peu aujourd’hui : Francine Disegni, qui vient de consacrer cinq ans de sa vie -et une part non négligeable de ses moyens financiers- à la création de ce Musical promis au plus bel avenir. Que Strasbourg ait su rebondir sur cette occasion est tout à l’honneur de notre ville. Dans notre dernier numéro, nous suggérions comme une sainte alliance entre la Ville et les partenaires privés susceptibles de soutenir son rayonnement en matière culturelle. Et nous émettions une condition impérative : que Strasbourg puisse émettre un projet et une ambition claire, susceptibles de déclencher ce cercle vertueux. En soutenant Anne-Le Musical lors des deux représentations du 19 mars prochain (une matinée pour les scolaires et une autre le soir, pour le grand public), la Ville de Strasbourg a montré qu’elle savait elle aussi s’inscrire dans les plus originales aventures d’aujourd’hui. À sa façon, notre titre soutient aussi Anne - Le Musical. Nous remercions la production d’avoir offert 30 places pour nos lecteurs (voir page 71) . Toute la communauté d’Or Norme Strasbourg sera aux premiers rangs pour soutenir et saluer cet événement atypique et porteur de si belles valeurs…

Anne – Le Musical Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg Deux représentations le 19 mars prochain : En matinée, pour les scolaires En soirée, pour le grand public.

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LEUR AVENIR SERA

symphonique ! Texte

Parmi les originalités qui font de Strasbourg une ville unique, l’Orchestre Symphonique des Jeunes de Strasbourg va fêter l’an prochain ses vingt-cinq ans. Et le travail de ces musiciens en herbe est époustouflant…

ALAIN ANCIAN

Plus récemment en Pologne et il y a deux ans, nous avons même joué au domicile du président croate, grâce au soutien de l’Ambassadrice de Croatie à Strasbourg. Le prochain été, nous serons au Québec… » Et tout ça avec pas mal d’huile de coude et de passion. Car les subventions municipales que reçoit l’OSJ de Strasbourg n’entrent que pour 10% environ dans son budget annuel. « Cette année, la Région Alsace va contribuer également à notre déplacement au Québec, car c’est notre anniversaire. Pour le reste, on se débrouille avec nos relations, mais aussi avec les recettes de nos concerts… » précise Jean-François Heyd. Raison de plus pour que le grand public amateur de musique symphonique rencontre le talent exceptionnel de ces jeunes musiciens, tous passionnés et… passionnants, comme nous avons pu le mesurer nous-même lors d’une soirée familiale et amicale, où les enfants d’un de nos amis n’ont pas résisté au plaisir de nous faire découvrir une petite parcelle de leur talent. Les lecteurs d’Or Norme Strasbourg pourront les entendre et les applaudir le 12 janvier prochain, au Palais des Fêtes…

Ils n’ont pas hésité à tous se réunir dans un chalet vosgien, un week-end entier de novembre dernier, pour répéter et répéter encore… Ils, ce sont les jeunes de l’orchestre symphonique des jeunes de Strasbourg, une association présidée par un jeune ingénieur de 30 ans, Jean-François Heyd, lui-même passionné de musique et violon alto à ses heures...

C’EST DU SÉRIEUX ! « Deux ensembles distincts composent notre orchestre » nous confie-t-il. « L’orchestre Juniors, qui accueille les jeunes entre 10 et 15 ans. Il est dirigé par Marie Castéran, une contrebassiste professionnelle, et l’orchestre des Jeunes, pour les 15-35 ans dirigé par Sylvain Marchal, lui-même musicien professionnel puisqu’il est directeur artistique de la Fédération des Sociétés de Musique d’Alsace. Chaque ensemble travaille toute l’année pour préparer les deux concerts que l’association présente tous les ans à Strasbourg. Le prochain aura lieu le 26 janvier au Palais des Fêtes de Strasbourg avec un beau programme où on retrouvera les œuvres de Verdi, Puccini et beaucoup de musiques sud-américaines, en guise de clin d’œil à la Principauté d’Andorre qui préside le Conseil de l’Europe en ce moment. Mais il y aura un rendez-vous encore plus prestigieux, celui de notre 25ème anniversaire, le 2 juin prochain au Palais de la Musique et des Congrès. Ce rendez-vous, c’est du sérieux pour nous ! Les deux ensembles seront présents, avec un programme de circonstance. »

L’association présidée par Jean-François Heyd ne se fixe pas de limites. « C’est si rare cette possibilité que nous donnons aux jeunes de découvrir et pratiquer la musique dans ces conditions. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à organiser nous-même des déplacements lointains. L’été dernier, nous étions en Aveyron, par exemple. Nous avons des amis un peu partout avec qui nous sommes fréquemment en contact, c’est un bon réseau pour organiser nos périples. Il y a cinq ans, nous avons tourné aux Etats-Unis.

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ILS TOURNENT MÊME À L’INTERNATIONAL

Jean-François Heyd 41


De Gaulle - Adenauer : QUAND « LES MOTS JONGLENT AVEC L’ESPOIR, LA GRANDEUR ET L’ÉLAN VISIONNAIRE »... De Gaulle - Adenauer. Un duo, un tandem historique qui bouleversa profondément l'histoire des relations franco-allemandes. Un couple politique qui donna vie à l'Union européenne. Une histoire, aussi, avec un grand H sur laquelle revient le dramaturge strasbourgeois Lionel Courtot à l'occasion du cinquantième anniversaire du Traité de l'Elysée, sur une mise en scène de Pierre Diependaële. Plus qu'une pièce, un huis clos entre deux acteurs majeurs de la construction des possibles. Rencontre.

Texte CHARLES NOUAR

Lionel Courtot

Pourquoi Adenauer – De Gaulle ? « L’idée est partie d’une discussion avec Robert Walter, de la Fondation Centre culturel franco-allemand de Karlsruhe. Nous étions alors en janvier dernier. Robert connaissait mes travaux sur l’histoire, au travers du Champ de l’Oubli et du Vent de Mai, notamment. Des périodes marquées par la montée du nazisme et les événements d’Algérie suivis de Mai 68. Revenir sur cet entre-deux me paraissait être une évidence tant il est impossible de comprendre notre histoire moderne et celle du rôle qu’ont joué et continuent à jouer la France et l’Allemagne dans la construction européenne sans mettre en relief cette relation toute particulière entre ces deux chefs d’État. Deux personnages sans lesquels le Traité de l’Elysée ne fêterait pas ses cinquante ans en janvier... Oui. Parce que sans eux, ce traité n’existerait tout simplement pas, alors qu’il est d’une importance capitale dans les relations entre nos deux pays. Bien que trop peu connu du grand public, ce texte est essentiel car il scelle une coopération accrue entre l’Allemagne et la France en matière d’affaires étrangères, de défense mais aussi d’éducation. C’est aussi sur sa base qu’ont été plus récemment lancés les projets d’eurodistricts entre nos deux pays. Cette coopération n’était pourtant pas une évidence, au départ... En effet, même si on a aujourd’hui tendance à parfois l’oublier. Et c’est d’ailleurs là l’un des propos de la pièce qui revient plus particulièrement sur la période 1958 - 1963. 1958 car c’est l’époque où De Gaulle arrive au pouvoir et invite Adenauer chez lui, à la Boisserie. Cette rencontre est importante parce que c’est la première et la dernière fois que De Gaulle invite un chef d’État chez lui. 1963, parce que c’est l’année où, le 22 janvier, est signé le Traité de l’Elysée. Qu’est-ce que cette rencontre à la Boisserie a justement changé ? et la Tout. Parce qu’au-delà des lignes de fracture qui auraient dû les éloigner, cette rencontre a rapproché les deux hommes. 42

De Gaulle savait l’opposition au nazisme d’Adenauer durant la guerre et le respectait pour cela. Surtout, il le considérait comme un véritable homme d’État vertueux. C’est pour cela, sans doute, qu’il souhaitait rapidement le rencontrer et, qu’au-delà de leur entrevue, il aspirait à organiser une explication historique entre deux nations si longtemps ennemies, afin d’enterrer le passé. Adenauer, lui, s’il craignait d’être accueilli en représentant du pays vaincu et dans une ambiance bercée de rancoeurs, ne pouvait cependant refuser l’invitation à se rendre à Colombey-lesdeux Églises, le 14 septembre 1958. Et contre toute attente, au bout de deux jours de tête-à-tête, le miracle se produisit : les deux hommes se lièrent d’une véritable amitié qui aura des répercussions profondes sur nos relations mutuelles. Et c’est cela que met la pièce en lumière. Cette rencontre marqua la fin d’une ère, celle du conflit franco-allemand, de la haine tenace, et en ouvrit une nouvelle, celle de l’entente. Une ère de coopération et d’amitié entre les deux peuples. L’avenir de l’Europe se penserait désormais sous l’égide du couple franco-allemand, une mini révolution… Pas forcément soutenue par tous, du moins jusque dans ses moindres détails... Bien sûr, il y eut aussi des déceptions, comme lorsque le Bundestag refusa que la défense de l’Europe se construise de manière autonome, en dehors de l’Otan, ce qui précipita le départ du pouvoir d’Adenauer. Et la pièce aspire également à le montrer. C’est d’ailleurs pour cela que je voulais emmener le public au-delà de la seule signature, quelques mois plus tard, aux jours de sa ratification par les parlements, afin de bien mettre en avant les difficultés que rencontrèrent De Gaulle et Adenauer. De ce point de vue, le ton final est empreint d’un souffle mélancolique, illustrant l’amertume des deux hommes au regard de l’accueil mitigé de leurs contemporains, mais la conclusion reste éminemment positive, dans un élan lyrique cher au général, où les mots jonglent avec l’espoir, la grandeur et l’élan visionnaire. Parce que s’il est des actes qui peuvent frapper bien au-delà du symbole, des décisions qui bouleversent à tout jamais le destin en dépassant les limites de ce que l’Histoire peut laisser espérer, la signature du traité de l’Élysée le 22 janvier 1963, célébrant la réconciliation franco-allemande, est forcément de ceux-là… ».


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HATIM

ELMRINI Texte BENJAMIN THOMAS

IL RÊVAIT DE TOURNER UN LONG MÉTRAGE ... IL L’A FAIT !

Tour à tour musicien, pianiste, guitariste, coursier, moniteur de centres de loisirs, ce touche-à-tout de génie a même vendu des encyclopédies avant d’intégrer les rangs d’un grand distributeur de matériel informatique. Mais sa vraie passion était l’image, le cinéma… Il en a fait son vrai métier. Et pas qu’un peu…

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histoire à raconter à partir de ce véhicule qui revenait d’outre-tombe, en quelque sorte. Je me suis mis à écrire là-dessus, pendant des semaines. Puis ma mère, qui elle aussi écrit-elle a déjà publié trois romans aux Editions L’Harmattan- s’est prise au jeu. Le début de l’histoire l‘avait bouleversée et elle trouvait que l’idée de départ était bonne. Peut-être l’écriture du scénario était pour elle comme une thérapie… Et pour moi aussi… va savoir ! Toujours est-il que le scénario a été bouclé au début de l’été dernier. Un scénario original cependant, pas forcément basé sur notre vie. Cette voiture n’a été qu’un déclic… »

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Une visite tout à fait professionnelle dans les studios de GOS Production, une très performante société de production audio-visuelle basée au Parc des Poteries à Strasbourg. En compagnie de Fouad El Bousani, un des deux associés de GOS, nous conversons près de la large baie vitrée de son bureau. Et soudain, nos yeux tombent sur une vieille guimbarde en sale état qui stationne bravachement sur sa place de parking, entourée des rutilants véhicules des boss des sociétés alentours. « C’est une Triumph Herald 1968 » annonce fièrement Fouad. « Elle appartient à mon associé et… c’est la vedette de son premier long métrage ». Le tout dit tranquillement, comme s’il s’agissait d’une évidence ! Le temps de digérer l’information (parce quand même ! C’est un scoop : un réalisateur strasbourgeois qui s’attaque à son premier film, ça ne court quand même pas les rues…), nous nous retrouvons face à Hatim Elmrini, 40 ans. Et il a une histoire à nous raconter. Hors normes…

LE VENT EN POUPE « J’ai fait plein de métiers dans ma vie » nous confie Hatim. « J’ai passé toute mon enfance et mon adolescence au Maroc, le pays d’origine de mon père. Puis je suis arrivé à Strasbourg à l’âge de 21 ans où j’ai suivi mes études universitaires en musicologie et histoire de l’art. Mais je me suis mis très vite à travailler, pendant cinq ans. Puis j’ai créé un studio graphique que j’ai appelé Green Object Studio. On y faisait un peu de tout, pour faire « bouillir la marmite ». J’ai rencontré Fouad en 2007. C’est un ancien des agences de pub, il a un réel talent commercial. On s’est associés un an plus tard pour créer GOS Production. Malgré les difficultés économiques, on s’en sort plutôt pas mal, grâce à nos innovations. Nous tournons des films publicitaires, des films promotionnels pour les entreprises et nous travaillons aussi avec les institutionnels. Notre image de marque est bonne, nous avons un peu le vent en poupe. »

EN MÉMOIRE DU PÈRE « Mon père est décédé il y a cinq ans. Mon frère et moi savions qu’il possédait une voiture qui avait déjà beaucoup roulé et qui était abritée dans le garage d’un de ses amis, à 100 km de Strasbourg. Mon frère voulait et moi, j’hésitais. Puis, en février dernier, il m’a incité à la récupérer. C’est ce que j’ai fait. En remontant à Strasbourg, durant tout le trajet, j’ai beaucoup réfléchi en la conduisant. Je me suis dit qu’il y avait une belle

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Commence alors le long parcours de la pré-production. Pour les besoins du scénario, il faut dénicher deux voitures d’un même modèle « un peu exotique, qu’on ne connaît pas très bien par ici », avec la même couleur, l’une en bon état et l’autre en quasi épave. « L’épave, je l’ai trouvée à Béziers et le modèle restauré à Nantes » se rappelle Hatim. « À Béziers, j’ai eu peur que son propriétaire, un restaurateur de vieilles voitures, refuse de me la vendre s’il apprenait qu’elle allait être la vedette d’un film. Alors, je me suis fait passer pour un restaurateur moi aussi. Et la neuve, je l’ai louée à une particulière passionnée de cinéma qui, avec beaucoup de gentillesse, a bien compris ma démarche. Nous pouvions commencer à tourner… »

LE SYSTÈME DÉMERDE MAIS UN RÉSULTAT TRÈS PROFESSIONNEL Côté budget, il a fallu bien évidemment réaliser des miracles sans trop débourser. En serrant tout au maximum. « J’ai commencé à injecter 50 000 € en souscrivant un prêt bancaire personnel. Avec cette somme, j’aurais pu me payer une belle Mercedes mais je me connais : au bout de six mois, je me serais lassé… GOS a valorisé 30 000 € en me prêtant son matériel. Il faut dire que nous sommes équipés des dernières caméras qui permettent une image plus proche que jamais du 35 mm, pour un coût bien inférieur. Il nous reste 20 000 € à trouver. On les trouvera, d’une manière ou d’une autre… « À l’exception de quelques plans de coupe, le tournage est aujourd’hui terminé et la petite équipe entame désormais l’étape cruciale du montage. Hatim se démène sur tous les fronts pour trouver un distributeur : « Deux ou trois sont très intéressés par le pitch et la bande-annonce que nous leur avons fait parvenir. Les


discussions sérieuses commencent. Après, on verra bien… Simplement, ce long métrage, je l’avais dans les tripes, il fallait que ça sorte. Voilà, c’est tout ! »

FOREVER CAR « Nous avons choisi ce titre à consonance anglaise après moult débats avec ma mère. C’est surtout pas pour se la jouer « Hollywood » mais nous avons tellement cherché un titre français équivalent sans le trouver que nous nous sommes dits que nous n’avions pas de complexe, finalement, à assumer ce titre en anglais. Tout s’est d’ailleurs fait comme ça, à l’instinct. Ce budget minuscule nous a obligés à travailler entre passionnés. Les comédiens sont tous de Strasbourg, l’équipe technique aussi. Le chef opérateur ? Pas de moyen pour le payer. Alors, je m’y suis collé… J’ai déniché deux étudiants en art et cinéma qui ont fait un travail formidable. Les maquilleuses, les stylistes, les coiffeuses, les électros, la chargée de production –qui faisait la script en même temps-… tout le monde est resté fidèle chaque matin du tournage, malgré les tensions, les clashs, les engueulades monumentales de la veille, jusqu’à deux heures du matin. Mais qu’est-ce que c’est magnifique de ne rien faire de traditionnel ! Ce fut une très belle aventure humaine. Maman est très excitée, elle a hâte de découvrir le film monté. Elle m’a confié récemment qu’elle aurait adoré écrire un livre sur ce sujet. Avec elle, c’est finalement la première fois qu’on se rencontre vraiment tous les deux. J’ai toujours été un petit con, hermétique aux discussions philosophiques. Et elle a été longtemps prof de philo !.. Il y a longtemps que nous aurions dû partager des choses comme ça… » « Forever car » verra donc le jour au printemps prochain. Le film entamera ensuite un long parcours parmi les festivals français. Hatim espère une distribution en salles mais là, c’est au bon vouloir d’un distributeur. Une autre étape encore… En attendant, séduite par la vision d’une bandeannonce qui, comme dans les salles, donne vraiment envie de découvrir le film, la rédaction d’Or Norme s’est mise en tête de permettre à ses lecteurs de partager le fruit du rêve d’Hatim. Avec le grand public strasbourgeois… Forts de l’idée fondatrice de notre revue (ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les faisons pas, mais parce que nous ne les faisons pas qu’elles sont difficiles), nous avons tout de suite pris les contacts nécessaires. Avec un peu de chance, « Forever Car » sera projeté à Strasbourg dans les mois qui viennent. Nous y travaillons…

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Édith chantait et HUGUES photographiait...

Texte BENJAMIN THOMAS Photos DR

HUGUES VASSAL

Hugues Vassal fêtera ses 80 ans en juin prochain. Sa rencontre, fortuite, avec Edith Piaf, sept ans avant la mort de l’inoubliable chanteuse, a bouleversé sa vie. Cinquante ans, et beaucoup d’aventures plus tard, le photographe co-fondateur de l’agence Gamma raconte la merveilleuse personne qu’elle fut…

Hugues Vassal (2e à gauche)

Hugues Vassal aujourd’hui

Il est des circonstances qui font basculer une vie. Et ce n’est pas Hugues Vassal qui dira le contraire… À l’automne 1957, ce jeune photographe fait ses débuts à l’hebdomadaire France Dimanche (le « Voici » de l’époque) que le grand Pierre Lazareff a créé pour suivre les vedettes de l’époque. Édith Piaf est déjà la

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chanteuse la plus célèbre de France. Partout où elle se produit, c’est de la folie. Reine du marketing avant l’heure, la chanteuse ne laisse à personne le soin d’assurer sa communication. Elle passe un coup de fil à l’hebdo et annonce qu’elle s’apprête à quitter l’homme avec qui elle partage sa vie… Elle chante à Dijon le lendemain et elle a l’intention de dévoiler qui sera le successeur. Guy Goujon, le directeur de France Dimanche, n’a plus aucun photographe de disponible. Il confie le reportage à Hugues Vassal, jusqu’alors abonné aux faits divers. Vassal est le benjamin de l’équipe de choc de l’hebdo et il connaît déjà Édith Piaf pour l’avoir croisée chez elle pour une série de photos pour la pochette d’un de ses disques. Il ne garde pas un bon souvenir de cette rencontre : la star ne lui avait laissé aucune marge de manœuvre, posant à sa façon, là où elle voulait et comme elle voulait… Mais il avait déjà remarqué son charisme. Arrivé très tard sur les lieux, Hugues Vassal va se retrouver… dans le trou du souffleur, assis sur un petit tabouret avec, comme seule vision, les jambes d’Édith Piaf et l’ourlet de sa mythique petite robe noire. Mais la voix d’Édith est un vrai choc qui le laisse abasourdi quand le rideau se baisse deux heures plus tard, après qu’Edith se soit cassée en deux pour saluer son public… Une véritable passion est née exactement à ce moment-là… Edith chantait et Hugues photographiait, inlassablement… Ils ne se quitteront plus, jusqu’à la disparition de la chanteuse en 1963. Un événement qui bouleversa la France de l’époque, à un point qu’on a bien du mal à imaginer aujourd’hui…

« ELLE VOUS PROJETAIT DANS LE CIEL » Hugues Vassal porte bien ses proches 80 ans. Et le beau chemin qu’il a effectué auprès d’Édith Piaf le marque encore : « Aujourd’hui encore, je vis dans l’esprit d’Édith. Je l’ai côtoyée les sept dernières années de sa vie et j’ai vécu intensément ces moments-là. Elle était alors très loin de l’image de carte postale que l’on donnait d’elle : les hommes, les seringues, le


pinard, tout ça… Non, Édith apportait et donnait tant de belles choses aux gens qui la rencontraient, c’était une très grande humaniste. Personnellement, je ne l’ai jamais vue dans l’excès. Même malade -ses rhumatismes déformants la faisaient terriblement souffrir-, elle était d’une extrême rigueur dans le travail, elle prônait l’excellence pour les autres certes, mais elle s’appliquait avant tout ce précepte pour elle-même. Ce qui faisait qu’elle dégageait une force et une énergie incroyables. Elle vous les communiquait, littéralement. Je vais vous faire une confidence : il y a trente ans, j’étais devenu un alcoolo invétéré, la faute sans doute au milieu dans lequel j’évoluais. Et bien, je vais fêter cette année mes trente ans d’abstinence et je crois bien que ma victoire dans ce combat, je la lui dois. Sa volonté transcendait les gens qu’elle rencontrait. Elle était un exemple de courage et de détermination, c’était impressionnant. Malgré la vie déréglée qui a été la sienne, elle a donné une immense leçon de courage. En fait, elle vous projetait dans le ciel, je ne sais pas comment mieux le dire comme ça aujourd’hui. Elle vous projetait dans le ciel… »

LA PHOTO, JUSQU’AU BOUT… Le superbe livre publié par les Éditions du Signe est tout entier axé sur les photos de Hugues Vassal. Plus de 350 pages où la chanteuse apparaît en effet souriante, pleine de vie, en compagnie des plus grandes personnalités de l’époque mais aussi dans son intimité. Énormément de photos jamais ou très peu publiées, toutes extraites de l’immense collection de Hugues. « Elle a toujours voulu que je fasse des photos d’elle telle qu’elle était. Avouez qu’on était loin de son exigence initiale, la première fois où nous nous sommes rencontrés. Ce livre est absolument magnifique, il m’a

Édith Piaf répète avec Georges Moustaki au piano.

Apartheid

permis de me souvenir de tant et tant de choses, certaines de ces photos, je les avais oubliées. Je m’aperçois, avec le recul, qu’elle m’a littéralement appris à saisir les moments sans mise en scène particulière, comme la vie qui passe et se fige sur la pellicule. Je ne suis pas Doisneau, certes, mais je pense que j’ai bien travaillé dans le sens de transmettre l’image vraie, dépouillée de tout artifice de mise en scène… » Fantastique destin que celui de Hugues Vassal. Sa rencontre avec Édith Piaf l’a propulsé au sommet de son métier. Quelques années après la disparition d’Edith, il a fondé l’Agence Gamma que Raymond Depardon a ensuite rejointe pour en faire une référence mondiale. Peu à peu, il s’est éloigné du showbizz pour s’intéresser à des thèmes moins « futiles » comme l’apartheid en Afrique du Sud, par exemple. Un de ses clichés sur ce sujet a fait le tour du monde… Il fut également le premier photo-reporter occidental à se rendre en Chine, en pleine révolution culturelle maoïste. Une question nous brûlait les lèvres mais n’y voyez aucune indiscrétion malsaine. L’énorme proximité qui fut la sienne avec Édith Piaf (elle transpire à chaque page du livre) l’a-t-il rendu amoureux de cette femme au destin exceptionnel. Hugues Vassal y répond clairement : « J’étais au-dessus du lit d’Édith, pas dedans. Je n’ai pas été un de ses amants mais oui, j’étais fou amoureux d’elle. Subjugué aussi… Être amoureux d’Édith comme je l’ai été, c’était bien au-delà du lit, vous savez, bien au-delà…» Juste avant de nous quitter, pour bien enfoncer le clou, Hugues Vassal nous confie : « Je suis en train de préparer un film pour le cinquantenaire de sa mort. Édith existera encore longtemps... ».

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MARTIN

HIRSCH PRÉSIDENT DE L’AGENCE DU SERVICE CIVIQUE

CES RACINES DE L’ENGAGEMENT QUI POUSSENT, QUI POUSSENT… Texte

Parfaite réactivité du Conseil général du Bas-Rhin. Apprenant la venue de Martin Hirsch à Strasbourg pour la présentation de son dernier (et excellent) ouvrage « La lettre perdue », la collectivité départementale et Unis Cité Alsace en ont profité pour réunir plusieurs dizaines de jeunes volontaires du Service Civique au Vaisseau à Strasbourg…

Conseil Général du Bas-Rhin

ALAIN ANCIAN

Voilà un homme que vous retrouverez tôt ou tard en interview « de tête » dans Or Norme Strasbourg… Car la pauvreté ne cesse de gagner du terrain et que les millions de Français qui la subissent attendent du concret et du tangible… Le concret, Martin Hirsch, ex-président D’Emmaüs France et exHaut Commissaire gouvernemental à la lutte contre la pauvreté, le vit tous les jours… Son père, avant de disparaître, ne lui avait-il pas écrit cette précieuse lettre dans laquelle il mettait en garde son fils contre l’endormissement dans la pratique du pouvoir. Citant, au passage, cette forte parole de Jean Monnet : « Dans la vie, il faut choisir entre être quelqu’un et faire quelque chose »…

LES VOLONTAIRES DU SERVICE CIVIQUE Ils ont entre 16 et 25 ans et sont des milliers en France qui ont accepté de donner entre 6 et 12 mois de leur (jeune) vie au service des autres et de la collectivité. Comme l’ont témoigné quelques-uns d’entre eux, venus à la rencontre de Martin Hirsch le 5 décembre dernier, ils parcourent les cages d’escaliers des immeubles de logements sociaux pour informer leurs locataires des bonnes pratiques en matière de réduction de la consommation d’énergie. Ou bien encore, ils renseignent les lycéens et collégiens sur les méfaits de la malbouffe et les aident à lutter contre l’obésité qui devient peu à peu, en France aussi, le mal du siècle…

Des actions concrètes comme celles-là, Martin Hirsch en compte des centaines et des centaines parmi les rangs des volontaires du Service Civique. Et il s’en réjouit : « Je suis persuadé que ces jeunes seront ensuite profondément marqués par l’expérience qu’ils font et sauront transmettre aux autres les racines d’un vrai engagement désintéressé.» dira-t-il ce soir-là, avant de le marteler de nouveau le lendemain matin face à un parterre de décideurs réunis par la rédaction d’Or Norme à l’Hôtel Hilton de Strasbourg et, à la mijournée, devant ses lecteurs, à la salle blanche de la Librairie Kléber. Le tout sans jamais se départir de son humour et de sa décontraction. Un homme bien dans ses baskets quoi… qui fait ce qu’il dit et n’hésite pas non plus à dire ce qu’il fait. Il y a fort à parier que, parmi les jeunes Alsaciens réunis grâce à Unis Cité et au Conseil général du Bas-Rhin au Vaisseau, il y en aura beaucoup qui auront retenu la leçon et continueront à agir bien après la fin de leur service civique. Ces racines de l’engagement qui poussent, qui poussent…

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LA BATAILLE DU PARLEMENT EUROPÉEN

Parlez D’UNE SEULE

voix ! Dossier Or Norme dirigé par JEAN-LUC FOURNIER Avec BENJAMIN THOMAS - ALAIN ANCIAN ERIKA SCHELLY – CHARLES NOUAR

Le récent vote de l’amendement « A single seat » (un seul Siège) a, semble-t-il provoqué un électrochoc. Il semblerait qu’enfin Strasbourg ait décidé d’employer les grands moyens pour gagner la bataille du Parlement européen. Elle s’annonce féroce. Et déterminante…

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L’OFFENSIVE DES

ANTI-STRASBOURG Le récent vote de l’amendement « A single seat » (un seul Siège) a, semble-t-il provoqué un électrochoc. Il semblerait qu’enfin Strasbourg ait décidé d’employer les grands moyens pour gagner la bataille du Parlement européen. Elle s’annonce féroce. Et déterminante… Ce gars-là déteste venir siéger à Strasbourg. Et il le fait savoir depuis des lustres et des lustres. Faisons les présentations : Edward McMillan, député européen anglais depuis 1986, actuellement un des nombreux vice-présidents du Parlement européen. Affilié à l’Alliance des Démocrates et de Libéraux pour l’Europe. McMillan mène donc une violente (et permanente) campagne pour que le Parlement européen quitte Strasbourg et rejoigne Bruxelles. Ses arguments sont archi-connus : les sessions mensuelles à Strasbourg coûtent une fortune au contribuable européen et présentent un bilan carbone effarant à cause de la transhumance des députés et leurs assistants parlementaires et de la noria de camions qui transportent leurs archives. Voilà, pour faire simple, mais on pourrait ajouter aussi l’exploitation maximale du jour où le plafond de l’hémicycle strasbourgeois s’est effondré. C’était en août 2008. Pour la rédaction de ce dossier, nous nous sommes plongés de longues heures dans l’abondante littérature des arguments développés par l’honorable Edward et ses soutiens. Tous tournent toujours autour du coût de la tenue des sessions mensuelles strasbourgeoises. Ça en fait des articles, des interviews radio et télé durant tant d’années. Le discours est bien rodé, manifestement. Mais voilà : un jour où tout se présentait pour le mieux (belle mise en scène d’Euronews, la chaîne télé européenne, McMillan qui arrive fourbu à Strasbourg après 8h15 de voyage et qui répond aux questions d’un jeune journaliste compatissant en commençant par dénigrer le fait que les bus de visiteurs ne peuvent plus accéder sur le parvis du Parlement car le sol est « craquelé » -si, si, ndlr-), un autre argument apparaît soudainement. Nous citons les extraits de cette interview diffusée par Euronews le 8 avril 2011 : « Je suis pro-européen,

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fondamentalement et je l’ai été toute ma vie. Je veux que le Parlement européen réussisse. Malheureusement, il ne peut pas réussir ici à Strasbourg. C’est une ville du passé… » Tiens, tiens… Strasbourg, une ville du passé… Que voulait dire par là ce bon Edward ? On n’en saura jamais rien. Notre jeune confrère n’a pas eu la présence d’esprit de le relancer sur le sujet. Dommage. Mais, nous y reviendrons en conclusion de ce dossier… Reste que, depuis le 24 octobre dernier, McMillan et ses amis pavoisent encore un peu plus. Ce jour-là, l’amendement sur le siège unique, sans aucune valeur juridique car ce vote n’implique aucun changement ni aucune décision concrète à court, moyen ou long terme, a été voté en faveur d’un siège unique pour le Parlement européen. 518 députés ont voté pour et seulement 149 contre. C’est sans doute ce vote qui a provoqué une réelle prise de conscience de la part de Strasbourg. Car, incontestablement, l’étau se resserre… Et, même si, répétons-le, ce vote n’implique rien de concret, on a le sentiment ici qu’il va falloir désormais être très offensif pour contrer ces campagnes bien huilées. En cette fin d’année, Strasbourg semble tout près de la mobilisation générale en vue de la bataille du siège du Parlement européen. Les futures élections européennes de 2014 approchent à grands pas. Et, crise économique généralisée oblige, les arguments visant à économiser un maximum de dépenses inutiles vont permettre aux opposants de Strasbourg de jouer avec conviction les pères-la vertu. Alors que le fond du problème n’est sans doute pas seulement celui des nécessaires économies. Loin de là même, à notre avis…


POLITIQUES : Parlez d’une seule voix !, disions-nous au début de ce dossier. Il semblerait bien que les politiques aient enfin pris conscience que le maintien du Parlement européen à Strasbourg est un objectif capable de leur permettre de se rassembler. Réalité ou trompe-l’œil ?

L'UNION SACRÉE ?

Le maire de Strasbourg, Roland Ries, est évidemment en première ligne sur le dossier. Lui aussi convient qu’il faut désormais se mobiliser avec une autre amplitude que celle constatée ces dernières années : « Contrairement à ce que d’aucuns pensent, la bataille n’est pas perdue, très loin de là même » affirme-t-il. « D’abord, Strasbourg est protégée par les traités (il faudrait l’unanimité des 27 pays membres - dont la France, évidemment - pour que le siège du Parlement européen soit définitivement établi à Bruxelles-ndlr). Ensuite, la présence des institutions européennes à Strasbourg, dont le Parlement, est une chance considérable pour notre ville et lui procure de très importantes retombées en matière économique, c’est une évidence, mais aussi en matière de notoriété et de communication. La seule présence de ces institutions fait de Strasbourg bien plus qu’une importante capitale régionale. Elle fait de notre ville une capitale internationale. Mais la raison qui est notre première arme est autre et elle est la plus importante, à mes yeux : C’est à Strasbourg que siège l’Europe des citoyens, l’Europe des peuples. Nous sommes là à l’épicentre de ce débat. Je ne suis certes pas un partisan inconditionnel de Jean-Luc Mélenchon, chacun le sait, mais il a raison quand il proclame que l’Europe n’appartient pas aux technocrates mais bien à ses peuples. Que serait l’Europe si son Parlement rejoignait Bruxelles ? Un machin technocratique de plus, comme aurait dit de Gaulle, complètement déconnecté de la réalité citoyenne. Les citoyens qui œuvrent depuis toujours dans l’aventure de la construction européenne, c’est ici qu’ils sont représentés. A Strasbourg ! Les valeurs de cette même construction européenne, c’est ici qu’elles résonnent. C’est à Strasbourg que se trouve l’ADN de l’identité européenne et ces valeurs sont aux antipodes de l’ultra-libéralisme à la mode anglo-saxonne. Derrière les prétextes invoqués contre Strasbourg, derrière cette bataille du siège, il y a une bataille politique non avouée contre l’intégration européenne. Mais elle se fera, cette intégration, même par étapes. Si la Grande-Bretagne n’en veut pas, et bien nous formerons avec les Etats qui la veulent un noyau politique. Et ce sera sans elle… Le président de la République sera à Strasbourg en janvier prochain » poursuit Roland Ries, très remonté. « Il sera là durant la session du Parlement, le rendez-vous avec son président, Martin Schultz, est déjà pris. François Hollande rappellera alors avec force que pour la France, c’est ferme et irrévocable, le siège du Parlement européen, c’est ici, à Strasbourg. Il me l’a dit et répété ».

Autre signe que l’union sacrée entre politiques serait de mise, la récente initiative prise par Fabienne Keller, ex-maire de Strasbourg et sénatrice. A sa propre demande, une rencontre avec son vainqueur de 2008 vient d’avoir lieu au Sénat où ils se côtoient tous deux chaque semaine. Fabienne Keller a développé devant Roland Ries une plate-forme en deux niveaux. « Les députés européens ne sont pas insensibles à l’engagement du Gouvernement français. Bien au contraire. » précise-t-elle lorsque nous la rencontrons dans sa permanence de la rue du Saumon. « Loin de la résignation » poursuit-elle, « je propose un véritable pacte de confiance : un engagement ferme de l’Etat français en faveur du parlement de Strasbourg. Je propose que le Gouvernement organise une réunion interministérielle à Strasbourg avec le Président de la République, le Premier ministre et les ministres directement concernés par le dossier du parlement ainsi que l’ensemble des parlementaires et grands élus alsaciens. Je propose également la mise en place d’un contrat quinquennal en lieu et place du contrat triennal. En liant plus étroitement ce contrat avec le temps du mandat de la présidence de la République, le statut de Strasbourg constituerait une des composantes du bilan présidentiel. Hormis l’idée du plan quinquennal, sans doute une bonne piste à creuser, rien de bien nouveau sous le soleil. Mais l’ex-maire de Strasbourg se souvient encore avec une pointe d’émotion des « bons moments vécus avec l’Europe de Strasbourg » quand elle était maire. Elle souhaite que se multiplient les

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Côté assemblée régionale, Philippe Richert insiste lui sur le fait qu’il « entretient des contacts réguliers avec des membres du Parlement. A titre d’exemple parmi d’autres, je rencontre ainsi à chaque session le président du groupe PPE, Joseph Daul, pour faire un point de situation. Je veux rappeler également que lorsque j’étais au Gouvernement, j’avais plaidé pour le renforcement des services du Parlement européen présents tout au long de l’année à Strasbourg et le renforcement de Strasbourg par un secrétariat général de l’Eurogroupe. Je suis convaincu que cette piste mérite d’être poursuivie » affirme avec force Philippe Richert. Sur le sujet de l’union sacrée, il plaide aussi que « l’unité autour de la vocation européenne de Strasbourg existe de longue date. Elle s’exprime notamment par le soutien apporté par les collectivités départementale et régionale au Contrat Triennal Strasbourg Capitale européenne. Les contributions financières de la Région et du Département du Bas-Rhin sont significatives. Mais c’est un sujet plus général qui touche à la capacité de l’Alsace de se retrouver sur les sujets d’intérêt général, cela vaut pour la position européenne de Strasbourg comme pour la Collectivité territoriale d’Alsace ». Une pierre dans le jardin de Roland Ries qui se bat aussi sur cet autre front et refuse mordicus que le siège de l’exécutif de la future collectivité unique se déplace à Colmar ? Sans doute, mais l’union sacrée autour du maintien du siège du Parlement européen à Strasbourg ne s’en trouve pas altérée pour autant. Enfin, Guy-Dominique Kennel, le président du Conseil général du Bas-Rhin (qui a boudé la récente signature du protocole d’accord sur le Contrat triennal, manifestant ainsi sa désapprobation face aux engagements moindres de l’Etat –ndlr) affirme cependant que sur le plan de l’accessibilité de Strasbourg « le Conseil Général s’est aussi engagé pour l’amélioration de la compétitivité de l’aéroport Strasbourg-Entzheim en prenant à sa charge une part des taxes. Cette démarche est en train de s’avérer payante puisque plusieurs nouvelles compagnies ont choisi d’assurer une desserte et une liaison de l’aéroport de Strasbourg vers d’autres capitales ». Guy-

Dominique Kennel évoque également le fait que « le Conseil Général est naturellement favorable à une stratégie commune pour maintenir le siège du Parlement européen à Strasbourg. Il est essentiel que cette mobilisation soit non seulement unanimement partagée par tous les partenaires publics mais qu’elle bénéficie aussi du soutien de la population et des acteurs de la société civile. Le Conseil Général est disposé à s’engager activement dans une politique volontariste, comme les élus de notre Assemblée l’ont à plusieurs reprises démontré par leur vote, visant à consolider et développer le rôle et la place de Strasbourg dans l’avenir de l’Union européenne. Nous avons tous tout à y gagner » termine-t-il.

LES DIPLOMATES AVEC STRASBOURG Pourquoi ne pas utiliser le lobby des diplomates qui résident à Strasbourg dans le cadre des relations de leur pays avec le Conseil de l’Europe et le Parlement européen ? Beaucoup y travaillent activement, à l’image de Nawel Rafik-Elmrini, adjointe au maire de Strasbourg, chargée des relations internationales et européennes.

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CG du Bas-Rhin

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rencontres initiées par Strasbourg avec toutes les composantes des déplacements européens (députés, assistants parlementaires) : « Nous pourrions organiser chaque mois le « Forum européen de Strasbourg ». Les talents ne manquent pas au parlement européen et les Strasbourgeois et les Européens avides de débats non plus ! Des agoras citoyennes et thématiques pourraient également être organisées, dans une collaboration étroite avec le Parlement européen. » propose-t-elle. Mais son idée la plus originale (et quelque part la plus audacieuse) serait d’anticiper sur la création de l’Europe des 17, celle de la zone Euro. « Pourquoi ne pas tout faire pour initier un Parlement de cette zone Euro ? Il faut en discuter et ici, à Strasbourg, ce serait idéal. Il peut y avoir des fenêtres d’opportunité en ce sens, soyons prêts à les saisir » conclue Fabienne Keller.

Les diplomates représentent une énorme richesse en faveur de Strasbourg » confirme cette jeune avocate apparue sur la scène politique locale à la faveur des dernières élections municipales. « Strasbourg est la deuxième capitale diplomatique de France, après Paris » poursuit-elle en détaillant les effectifs du corps diplomatique basé ici : « 47 ambassadeurs auprès du Conseil de l’Europe, auxquels il faut rajouter les huit représentants des Etats qui ne sont qu’observateurs. 31 consulats également. Cette imposante présence est la conséquence directe de la présence de l’Europe à Strasbourg, que ce soit le Conseil de l’Europe ou le Parlement européen. Avec la Chine, les USA, les pays arabes qui sont également représentés, Strasbourg est une ville-monde ! » déclare-t-elle 57


EXCLUSIF OR NORME

CATHERINE

TRAUTMANN PILOTERA LA RIPOSTE Alors que nous étions sur le point de boucler notre dossier sur Strasbourg et l’Europe le dimanche 9 décembre dernier, une importante nouvelle est venue confirmer que la mobilisation générale est bel et bien devenue une réalité. Selon nos sources, 58

Roland Ries aurait décidé de la création d’une « Task force » destinée à contrer sévèrement les lobbies pro-Bruxelles qui font entendre leur voix. Une information que le maire de Strasbourg nous a confirmée immédiatement : « Oui, c’est ce que je souhaite. Et j’ai même demandé à Catherine Trautmann de piloter et d’animer la riposte de Strasbourg. Je l’ai chargée de me faire des propositions. « Task Force » : le mot est directement inspiré du vocabulaire guerrier et cette perspective ne peut que réjouir toutes celles et ceux qui attendaient une initiative importante de Strasbourg. Et le fait que Catherine Trautmann la pilote est incontestablement une bonne nouvelle. La députée européenne n’a jamais renâclé au moment où il s’agissait de défendre le statut européen de la ville dont elle assura deux mandants consécutifs en tant que maire entre 1989 et 2002. Son implication au Parlement européen est une réalité qui n’a échappé à personne. Et sa complicité objective sur ces sujets avec Joseph Daul, député européen alsacien, président du groupe du Parti Populaire Européen (PPE) et autre ardent défenseur de Strasbourg, n’est pas une légende. « Ceux qui prétendent que l’issue fatale de la perte du Parlement européen pour Strasbourg est déjà une quasi-réalité se trompent lourdement » nous signifie-t-elle sur un ton très sûre d’elle. « Un an avant que je devienne maire de Strasbourg pour la première fois, on m’avait déjà expliqué que c’était fini ! Nous étions en 1988… » souritelle. « Le Parlement Européen est la seule institution européenne présente sur le territoire français et ça, ce n’est pas négociable, au même titre que la présence de la Commission Européenne à Bruxelles, la Banque Centrale Européenne à Francfort ou la Cour Européenne de justice à Luxembourg. Le polycentrisme européen est la règle commune. Point. Mais derrière tout ça, derrière ces attaques incessantes qui fragilisent Strasbourg, il y a un combat politique majeur : la Grande-Bretagne rêve de scinder en deux le couple franco-allemand qui fut en permanence à la base de la construction européeenne. Et pour cela, tous les moyens sont bons.

Parlement Européen

avec un enthousiasme non feint. « Nous travaillons énormément avec eux pour bien renforcer nos relations communes. Et cela débouche sur une belle promotion pour Strasbourg qui renforce ainsi son image internationale. Je peux citer le cas de l’ex-consul du Japon, qui a pris ensuite d’importantes fonctions au Ministère des affaires étrangères. Les bons contacts que nous avions ont permis d’exporter notre concept de Marché de noël à Tokyo même, le tout grâce à d’importants financements japonais. Nous lui devons cette réussite-là… Quel atout d’avoir tant de diplomates dans notre ville ! Ce sont d’excellents relais durant leur séjour ici et encore plus quand ils nous quittent. Un autre exemple : l’ex-consul de Suisse à Strasbourg. Muté à Montréal, il est déjà en train de nous proposer nombre d’actions avec le Québec. Tous ces exemples, et bien d’autres, prouvent que pour eux, Strasbourg est une capitale européenne légitime et naturelle. Une pétition a été signée en nombre par les députés des Etats membres, elle était adossée à une déclaration « Strasbourg ; capitale parlementaire de l’Europe. Il y a même des anglais qui l’ont signée ! Et je peux affirmer que beaucoup parmi les plus de cinq cent députés qui ont voté l’amendement « A single Seat » sont en réalité pro-Strasbourg. Un lieu unique, certes, mais pour eux c’est Strasbourg ! Certains signes forts ne trompent pas et nous confortent dans notre combat. Quel est le seul maire d’une ville qui a été invité à Oslo pour la remise du prix Nobel de la Paix à l’Union européenne ? C’est le maire de Strasbourg ! Roland Ries y était le 10 décembre dernier. Ça veut dire quelque chose, non ? Enfin, je voudrais rappeler que je suis avocate. Pour l’heure, Strasbourg décide, Bruxelles exécute et Luxembourg juge. Cela s’appelle la séparation des pouvoirs. Les Droits de l’Homme, la démocratie, la citoyenneté ; c’est l’ADN de Strasbourg, notre marque de fabrique. Et c’est bien comme ça » conclue énergiquement Nawel Rafik-Elmrini.

La bataille s’est engagée il y a vingt ans déjà et tout ce qui était bon pour attaquer a été mis en œuvre pour une simple raison : les racines politiques de l’Europe sont ici, à Strasbourg, au Parlement européen. A Bruxelles, tout autour de la Commission, ce ne sont que technocrates et lobbies en tous genres. Si le Parlement européen se retrouvait là-bas, il serait noyé au milieu de tout ça… A Strasbourg, on retrouve les valeurs qu’il n’y a pas ailleurs et qui font de nous une métropole européenne. Cette réalité, elle dépend de nous. Si on ne l’investit pas, on perd. Si on l’investit, on gagne ! Au final, tout dépend de nous et de notre capacité d’initiative, c’est une certitude ! »


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ACCESSIBILITÉ - BUSINESS - LOBBYING - ASSOCIATIONS :

Sur le dossier de l’accessibilité, le froid a été soufflé par Air France l’été dernier avec l’annonce de la suppression en janvier de la ligne Strasbourg-Roissy CDG. Une vigoureuse réaction, menée par un Roland Ries courroucé, a fait réfléchir la compagnie nationale. Le 10 décembre dernier, Thierry de Bailleul, le nouveau directeur régional d’Air France, a annoncé le report de cette suppression au 2 avril prochain. « En compensation, Air France met en place un billet commun avec la SNCF et proposera quatre fréquences quotidiennes reliant la gare de Strasbourg à celle située au coeur de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle » nous apprend Thierry de Bailleul. « Les clients voyageant sur un vol Air France long ou moyen-courrier n’effectueront qu’une seule réservation lors de l’achat de leur trajet. Ils auront ainsi un billet unique et un seul interlocuteur pour leur voyage en avion et en train. Pour plus de flexibilité, les passagers auront la possibilité de s’enregistrer jusqu’à 15 minutes avant le départ du train pour l’ensemble de leur voyage qui se fera en 1ère classe, quelle que soit la classe du vol aérien suivant. A Strasbourg et Paris-Charles de Gaulle, tous les passagers seront accueillis par des agents Air France. Ils bénéficieront d’un service gratuit pour le chargement et le déchargement de leurs bagages dans un large espace dédié. Ceux-ci seront étiquetés « prioritaire » pour faciliter les correspondances. En proposant un service simple et efficace, nous avons pour ambition de faciliter et développer les correspondances internationales au départ de Strasbourg via notre hub de Paris-Charles de Gaulle » affirme-t-il. Le même système existe entre le Thalis, le TGV nord-européen et l’aéroport de Bruxelles et il semble fonctionner à la satisfaction générale.

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Pour autant, Entzheim ne baisse pas les bras. Thomas Dubus, le directeur de l’aéroport, a plutôt le sourire quand il fait part des événements survenus en 2012 : avec 14 ouvertures de lignes cette année et l’arrivée de quatre compagnies low cost déjà annoncées, parmi lesquelles Volotea et Ryanair, nous assistons à une véritable rupture et à un redémarrage très fort de l’aéroport de Strasbourg. La recette fonctionne et Strasbourg retrouve un aéroport à sa mesure. 2013 verra l’ouverture des liaisons annoncées, après notamment Rome, Vienne, Barcelone Venise et Montpellier en 2012, ce sera Londres, Porto, la Corse, Biarritz et Toulon dès l’été. D’autres ouvertures européennes et internationales seront sous peu annoncées. L’accessibilité a longtemps été l’un des reproche utilisé pour justifier le retrait de Strasbourg du Parlement Européen. Nous nous faisons fort, à l’aéroport, de contrer cette critique. L’enjeu est pour nous une motivation supplémentaire. Strasbourg capitale européenne est absolument légitime. Avec un aéroport fort, Strasbourg sera encore renforcée dans cette légitimité » affirme Thomas Dubus. Autre bonne nouvelle : l’ouverture d’un vol Francfort-Strasbourg durant les sessions parlementaires européennes. Affrêté par Lufthansa, ce vol très court devrait permettre aux députés européens de rejoindre plus rapidement Strasbourg, Francfort étant un hub aéroportuaire d’envergure qui dessert toute l’Europe. Strasbourg se doit aussi de renforcer son rôle en matière de business international. C’est tout le sens du projet du quartier Wacken-Europe, un projet qui devrait également contribuer à apporter de la vie et des loisirs autour du Parlement européen, pour l’heure encore trop isolé dans une zone située trop loin des lieux de vie strasbourgeois. Un enjeu fort, celui de la construction de bureaux pour les sièges des sociétés, est bien connu par Claudine Dreyfuss-Wyler, qui gère les activités strasbourgeoises de Colliers International, le 3e groupe mondial et le plus grand réseau d’indépendants en matière d’immobilier d’entreprises. « Quand j’ai démarré mes activités en 1983, Strasbourg était le premier marché français en tertiaire en dehors de l’Ile-de-France, au coude à coude avec Bordeaux. Tous les clignotants étaient alors au vert. Aujourd’hui, on est en 10e position, derrière Nantes, Rennes, Montpellier… Ca fait mal, non ? En 2005, on construisait 90 000 m2 de bureau chaque année à Strasbourg. La crise de 2008 a ensuite éclaté. On est tombé à 50 000 m2 en 2009… Aujourd’hui, nos entreprises réagissent en fonction de l’état de l’économie, elles rationalisent leurs investissements ». Claudine Dreyfuss-Wyler est une vraie militante de l’Europe à Strasbourg et elle l’exprime avec une conviction qui fait plaisir à voir : « Notre ville bénéficie d’une aura extraordinaire grâce à l’Europe. Même très loin d’ici, quand on parle de Strasbourg, inutile d’en dire beaucoup plus : nos interlocuteurs savent tout sur notre vocation internationale. C’est pourquoi il faut accélérer au maximum pour fabriquer un nouveau quartier d’affaires international et plein de

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faire feu DE TOUT BOIS !


Son analyse est confortée par un journaliste allemand, Kai Littmann, directeur de la publication bilingue Eurojournal.net qui enrage un peu de ne pas encore sentir Strasbourg s’emparer résolument des importants atouts qui restent les siens : « Une véritable opportunité pour Strasbourg consisterait à se positionner en tant que siège de l’Europe des citoyens. Un projet dont beaucoup parlent mais qui n’existe pas. Qui mieux que Strasbourg pour incarner cette Europe face à la « technocratie » bruxelloise ? Le polycentrisme n’est pas qu’une architecture institutionnelle. Il a aussi des répercussions concrètes dans le fonctionnement des institutions. Loin des lobbies, le Parlement de Strasbourg gagne en indépendance. L’omniprésence des lobbies à Bruxelles a quelque chose de malsain, d’incestueux. Bien sûr il est important de travailler avec des experts mais de là à s’en faire le représentant au détriment des citoyens et de l’intérêt public, comme cela est souvent le cas à Bruxelles, cela ne grandit pas l’Union » affirme-t-il… Et à la question de savoir ce que peut faire concrètement Strasbourg pour rapprocher l’Europe de ses citoyens, il dit : « Le Parlement n’a pas été pensé comme un lieu dans la ville mais hors la ville. Sortez-en et vous tomberez sur un no man’s land urbanistique. Cela peut vous sembler un détail, mais comment créer du lien entre le Parlement et les Strasbourgeois quand vous n’avez pas de vie de quartier autour de l’institution ? Aucun café, restaurant, habitation, siège d’associations. A la différence, quand vous sortez du Parlement de Bruxelles, vous êtes intégré à la ville, vous rencontrez des gens, organisez des afterworks. Vous êtes au contact d’autres personnes et non pas enfermés dans votre tour d’Ivoire. Strasbourg doit donner envie aux élus et aux personnels parlementaires de vivre la ville, d’y inscrire une partie de leur histoire. Strasbourg doit permettre à la société civile d’entrer facilement en contact avec les élus européens. Cela vaut pour le Parlement mais aussi pour le Conseil

de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme, Eurimages, la Pharmacopée, ou même le siège de l’Eurodistrict qui pourrait trouver sa place dans un tel projet de rénovation urbaine, situé à à peine deux ponts de l’Allemagne ! Strasbourg doit cesser de se défendre et se battre véritablement, mais autour d’une campagne qui associe véritablement les gens. Soyons clairs, peu de personnes, hors de Strasbourg défendront le maintien du siège pour le siège. Encore moins en période de crise où la préoccupation des citoyens est très éloignée des querelles institutionnelles. Par contre, défendre le siège pour rapprocher les citoyens de leur Parlement, ceci autour d’un projet innovant politiquement, gage d’une plus grande démocratisation de l’Union, ça peut faire la différence. Parce que cela ne concerne pas que notre région mais les 500 millions ou presque d’Européens qui composent l’Union. J’entends souvent parler de cause nationale à propos de Strasbourg. Cette approche est obsolète. Strasbourg n’est pas le Parlement d’une ville, d’un pays, mais de l’ensemble des Européens. Strasbourg doit devenir cause européenne et proposer un projet en accord avec cette ambition. A défaut, elle perdra le siège du Parlement, et sans doute, quelques années après, celui du Conseil de l’Europe que d’aucuns voient déjà partir plus à l’Est... ». Le fougueux Kai Littmann est sûr de lui… A l’intérieur même du Parlement, d’autres sont également de cet avis. Isabelle Zerrouk est d’origine strasbourgeoise certes, mais elle nous affirme qu’elle ne parle pas sous l’influence du chauvinisme. Cette attachée de presse du groupe « Les Verts » réside à Bruxelles, avec son mari et ses enfants, depuis 23 ans. Et depuis toutes ces années, elle fait la navette entre Bruxelles et Strasbourg chaque mois. Par la route, le plus souvent, tant les liaisons ferroviaires ne sont pas pratiques entre la Belgique et Strasbourg. Pour autant, elle est une fan du maintien du Parlement européen à Strasbourg. « A Bruxelles, nous sommes bunkerisés six jours sur sept et du matin au soir. Bien sûr, il y a la place du Luxembourg tout près mais elle n’est fréquentable qu’en été, et l’été à Bruxelles c’est 6 ou 7 semaines par an, grand maximum ! Alors, une semaine par mois, mes collègues et moi-même nous respirons enfin à Strasbourg. Il ne faudrait pas grand chose pour que Strasbourg soit à la hauteur des enjeux. Le principal axe sur lequel il faudrait agir est pourtant très facile à actionner : à Strasbourg, les parlementaires

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vie près du Parlement européen. Et accumuler les services qui s’y établiront. Des hôtels, des restaurants, des bars, des cinémas mais aussi des salons de coiffure, un bureau de poste dédié, un maximum de lieux de vie pour les salariés des sociétés. Ensuite, vous verrez, les bureaux et les sociétés qui les occuperont seront au rendezvous. On pourra ensuite parler technique, fonctionnalité, accès et réaliser un quartier exemplaire, loin des absurdités comme on en voit près d’Entzheim avec ces milliers de m2 neufs dont personne ne veut ou à l’Espace européen de l’entreprise à Schiltigheim, avec toutes les galères des salariés pour s’y rendre chaque matin et en revenir chaque soir… Ceux qui travaillent aujourd’hui dans les grands quartiers d’affaires des capitales internationales sont des jeunes urbains, des geeks, qui veulent vivre en ville. Regardez ce qui se passe actuellement sur la route du Rhin, à deux pas du centreville : c’est ça ! Une médiathèque, un grand complexe de cinéma, un centre commercial urbain remarquablement réalisé, le tram… Ce sont ces équipements qui ont convaincu la Caisse d’Épargne de s’y installer, de même qu’Axa, Perthuis Construction, le siège de l’Automobile-Club… C’est cette mixité-là qu’il faut réaliser dans le nouveau quartier Wacken-Europe. Il est encore temps de s’y mettre, rien n’est perdu même si je sais bien que le temps politique est bien plus lent que le temps des affaires. En tout cas, pour la bataille du maintien du Parlement européen à Strasbourg, ce nouveau quartier européen est un sacré atout, un atout essentiel. Alors, il faut s’y mettre ! » répète Claudine Dreyfuss-Wyler.

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et leurs assistants souffrent d’un cruel manque d’information sur les spectacles, les concerts, les distractions qui sont proposés. Il faudrait vraiment que le personnel mis en place par la Ville lors des sessions soit beaucoup plus pro-actif. A Bruxelles, tout est placardé en permanence en ville, chacun a les moyens de choisir. A Strasbourg, à part le journal local (mais qui le connaît, à part moi bien sûr, parmi les personnels et parlementaires présents ?..) rien ne nous parvient vraiment. Et pourtant, Strasbourg regorge de restaurants uniques, de petits bars où on peut se lâcher enfin et faire la fiesta jusqu’à trois heures du matin tout en étant frais et dispo le lendemain matin pour le boulot ! Ce n’est pas du tout le cas à Bruxelles. Alors, à mon sens, il faut que Strasbourg se mobilise auprès de nous tous pour faire savoir tout ça. Pourquoi ne pas créer un magazine spécial bi ou trilingue distribué durant les sessions, par exemple ? « propose Isabelle Zerrouk. « En tout cas, l’Europe des peuples, c’est à Strasbourg » reprend-elle avec fougue. « Les minisessions du Parlement à Bruxelles sont ennuyeuses, insipides et passent inaperçues. En revanche, quand il y a une session à Strasbourg, tout le monde le sait ! Il y a une vraie émotion à Strasbourg quand nous débattons, elle est palpable, c’est incroyable ! Le Parlement européen, je ne l’imagine pas du tout, mais alors pas du tout rapatrié à Bruxelles… »

Jean-Louis de Valmigère, l’ex-patron de Chez Yvonne, est aux côtés de Nicolas Snowman, en tant que vice-président de Démocratie Européenne : « Maintenant que l’association est en ordre de marche » déclare-t-il « nous allons œuvrer pour que Strasbourg mette en place une capacité de lobbying à la hauteur des moyens dont disposent les anti-Strasbourg à Bruxelles. Pour l’instant, nous les estimons à 2 M€ et, en face, Strasbourg c’est deux trois repas et des bouquets de fleurs !.. » Strasbourg pour l’Europe vient elle aussi de renouveler son bureau et sa gouvernance. Et du côté du Cercle Daniel Riot (du nom de notre confrère trop tôt disparu et qui fut un européen convaincu et ardent), Vincent Gouvion, l’actuel président, n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat en évoquant une nécessaire et indispensable coordination entre toutes les associations à vocation européenne qui prétendent défendre Strasbourg : « Nous sommes, comme le disait Tomi Ungerer, dans cette escargotisme Alsacien, ou chacun veut faire, exister et ou chacun regarde son nombril d’une manière tellement intense qu’il a du mal à aller de l’avant en s’organisant avec son voisin. On peut constater un manque fort de transversalité et Strasbourg doit pour 2013 parler d’une seule voie. Le Cercle Daniel Riot est totalement disposé à aller dans ce sens, afin qu’ensemble nous aboutissions collectivement à des actions communes. Cette initiative d’Or Norme et la publication du grand dossier de mobilisation que vous évoquez, va dans ce sens, d’ailleurs… » conclue-t-il.

Les associations strabourgeoises sont elles aussi concernées par la bataille du Parlement européen. Hasard ou signe des temps, elles aussi, très récemment, se sont mises en ordre de marche pour être à la hauteur des enjeux. Démocratie Européenne est désormais présidée par l’ex-directeur de l’Opéra, l’anglo-français (il dispose des deux nationalités) Nicolas Snowman. Sans jeu de mot, ce dernier connaît la musique : « Il n’est pas envisageable que Strasbourg perde ce combat-là » nous déclare-t-il au lendemain de son élection. « Je suis anglais et je peux vous dire que pour mes concitoyens, la France, c’est un peu un grand Disneyland ! Tourisme, visites, gastronomie et c’est tout. L’homme de la rue, en Grande-Bretagne, n’est pas concerné par ces histoires. Pour lui, c’est le continent, tout ça c’est les autres… Winston Churchill, l’humanisme rhénan, la réconciliation et l’amitié franco-allemande, j’en saisis personnellement le poids et la grande importance, mais pour mon compatriote qui vit en GrandeBretagne, ça ne veut rien dire. Il ne faut jamais oublier que si la Grande-Bretagne a souffert durant la seconde guerre mondiale, elle n’a pas été envahie et occupée. Sa mentalité est donc très différente… Elle n’est pas loin de penser qu’elle a gagné la guerre à elle seule. A l’évidence, il va falloir beaucoup de temps et de travail pour que la Grande-Bretagne apprécie l’Europe à sa juste valeur »

C’est maintenant ou jamais !

BBC

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LOBBYING

Voilà sans doute le mot qui fut le plus prononcé par nos interlocuteurs durant les entretiens que la rédaction d’Or Norme a menés pour publier ce dossier sur Strasbourg et l’Europe. Et il s’accorde bien avec l’action menée par Pierre Loeb, 25 ans, président de l’Association européenne des Jeunes Entrepreneurs (AEJE) - page suivante en photo entre François Hollande et Roland Ries -. Ce strasbourgeois d’origine, diplômé Master II de L’Institut Supérieur Européen du Lobbying, a dirigé et réalisé un tonitruant rapport, « Le Siège dans tous ses Etats », publié en février dernier, dans lequel il passe au crible les arguments historiques, institutionnels, politiques, financiers et environnementaux qui permettent de bien comprendre les enjeux liés au maintien du Parlement européen à Strasbourg. Au passage, il démythifie complètement les pseudosarguments financiers des opposants à Strasbourg, ce qui ruine la posture de notre « très cher » Edward McMillan-Scott dont nous vous parlions en ouverture de ce dossier. Pierre Loeb est déjà connu comme le « loup blanc » par l’ensemble des acteurs européens tant à Bruxelles qu’à Strasbourg et, malgré son jeune âge, présente une vraie expertise dans cette spécialité pointue qu’est le lobbying. Nous l’avons rencontré à plusieurs reprises pour la rédaction de ce dossier et avons pu nous rendre compte par nous-même de l’excellence de ses enquêtes et de sa réflexion sur la problématique globale. Il n’y pas grand chose qui échappe à sa sagacité tant sur le plan politique, diplomatique, financier, historique, associatif, sans parler de certaines belles idées, peu coûteuses de surcroît, qu’il développe au fur et à mesure de sa réflexion et qui pourraient excellemment contribuer à l’image de Strasbourg au niveau des parlementaires européens.


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Nul doute qu’il aura été ravi d’apprendre que la mobilisation générale a été déclarée à Strasbourg par le biais de la « task force » pilotée par Catherine Trautmann dont nous révélons la création dans le présent numéro de Or Norme Strasbourg (une précision : le bouclage de notre édition a été effectué le dimanche 9 décembre dernier, sa distribution étant prévue à compter du 15 décembre. Les informations que nous fournissons ont été vérifiées à la date et l’heure du bouclage). En outre, l’homme n’est guère suspect de concourir à une carrière politique imminente et cultive un œucuménisme de bon aloi. Son combat, c’est Strasbourg, sa ville natale et, à l’un ou l’autre des moments passés avec lui, nous l’avons lui aussi senti un peu agacé par les immobilismes qui, selon lui, « font perdre un temps précieux pour Strasbourg. D’autant » ajoute-t-il « que des cabinets entiers de lobbysistes en tous genres sont très actifs à Bruxelles. Il sont 15 000, actuellement. La très grande majorité d’entre eux « travaillent » la Commission européenne et les députés pour la formalisation des lois et directives. Mais un nombre considérable n’est là que pour démolir Strasbourg. Et ils savent pourquoi : le déplacement du Parlement à Bruxelles serait une aubaine pour eux » soupire-t-il avant d’ajouter : « Tout le monde ici doit parler d’une seule et même voix. Il faut mieux vendre Strasbourg, faire reconnaître les institutions européennes qui œuvrent ici, et aussi faire de la pédagogie auprès des étudiants strasbourgeois : combien d’entre eux ont-ils visité, ne serait-ce qu’une seule fois, le Parlement ? Combien d’entre eux savent ce qui se passe à Strasbourg ? Leur a-t-on expliqué les enjeux fondamentaux pour le futur qui se fabriquent ici ? Je n’en suis pas sûr » conclue-t-il. En tout cas, Pierre Loeb bout d’impatience de croiser le fer avec ses homologues bruxellois. La bataille du Siège est enfin lancée…

LE COMMENTAIRE DE LA RÉDACTION Après des semaines (passionnantes) passées à rencontrer, questionner et écouter tous les acteurs que nous vous présentons dans ce dossier Strasbourg et l’Europe, nous avons nous aussi acquis quelques désormais solides convictions. La bataille pour le maintien du Parlement européen à Strasbourg -et surtout son issue- conditionnera grandement l’avenir de la ville que nous aimons et ce, bien au-delà des seuls enjeux économiques qui sont pourtant considérables. On le sent plus ou moins confusément mais c’est une réalité : si personne ne sait ce que sera l’Europe de demain, l’immense majorité de ses citoyens n’éprouve aucune envie que des technocrates obscurs dictent leurs croyances jusqu’à influer au quotidien sur leur vie quotidienne et sur celles des générations à venir. L’Europe mérite bien mieux que la dictature des catéchismes de ceux qui ne raisonnent que par le seul biais d’un tableur Excel incorporé à leur cerveau, formaté exactement pour cela. Les citoyens européens, l’Europe des peuples, doivent pouvoir s’exprimer beaucoup plus par le biais de leurs élus, les députés européens. Et cette expression doit avoir le cœur de l’Europe comme théâtre, c’est à dire Strasbourg, là où tout est né, sur les décombres d’un conflit qui faillit anéantir l’idée même de l’humanité. Le Parlement européen à Strasbourg, c’est la preuve que la mémoire ne sera plus jamais courte… Cet objectif vaut bien la belle bagarre qui s’annonce et pour laquelle Strasbourg fourbit enfin de bonnes armes. Modestement, à Or Norme Strasbourg, nous rendrons désormais compte des épisodes de la bataille, numéro après numéro. Et nous enquêterons nous aussi. A Bruxelles, par exemple, pour être vraiment certain que le bon Edward n’a vraiment pour seul souci que d’économiser l’argent de ses concitoyens européens…

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EXCLUSIVITÉ or norme - Soldats alsaciens en Afghanistan

AVONS-NOUS FINI NOTRE

TRAVAIL? ...

Envoyée spéciale à Kaboul pour Or Norme VÉRONIQUE LEBLANC Photos VÉRONIQUE LEBLANC FRÉDÉRIC LERT

Le départ des 400 derniers militaires de la base de Nijrab en Kapisa a marqué officiellement la fin de la mission française en Afghanistan. L'heure est aujourd'hui au rapatriement du matériel et des hommes, dont beaucoup sont habituellement stationnés dans l’agglomération de Strasbourg. "Mission accomplie" disent-ils pour la plupart. Oui, mais encore ?...

« Ce drapeau pesait très lourd, bien plus qu'un tissu. J'avais dans la tête le visage de ceux qui sont morts ici, les cinq que je connaissais. Et puis une question : avons-nous fini notre travail ? » L'instant vacille en ce 27 novembre afghan, autour d'une table du « Montmartre », café-carrefour des soldats français basés à Warehouse, entre l'aéroport militaire de Kaboul (KAIA) et le centre ville. Icono café Ils sont quelques uns rassemblés là, les capitaines Thierry, Pascal, Henri... et puis le sergent-chef Frédéric, cet Alsacien de la région de Haguenau à qui l'on a demandé, le 20 novembre, de descendre les couleurs à la FOB (base opérationnelle avancée) de Nijrab, dernière emprise quittée par les forces françaises déployées dans la vallée de la Kapisa. Tous servent au 16e Bataillon de Chasseurs de Bitche, une unité relevant de la 2e Brigade Blindée d’Illkirch au même titre que le 13e Régiment du Génie du Valdahon, le 40e Régiment d’Artilleurs de Suippes, les Blindés de Mourmelon... et tous ont effectué leur mandat dans cette province de l’Est de l’Afghanistan frontalière avec le Pakistan et « réputée indégageable » selon le lieutenant-colonel Mariotti rencontré un peu plus tôt. Lui évoque la « formidable histoire d’amitié » et la « grande cohérence » des unités de la 2e BB déployées sur le terrain.

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IL FAUT UNE FIN…

MAIS IL N'Y A PAS DE « BOULE DE CRISTAL »

« Mission accomplie », dit-il, même s'il souligne « qu'il serait très immodeste d'affirmer que l'on a réglé le problème en Kapisa ». « L'Afghanistan n'est pas un pays anodin, tout est toujours possible mais nous laissons aux Afghans un dispositif à la mesure de ce qu'ils peuvent assumer pour sécuriser durablement la zone ». Alors à quoi tient cette hésitation du sergent-chef Frédéric, Freddy comme l'appelle ses compagnons d'armes, « un rouspéteur au grand coeur, mécanicien doué qui a toujours une solution pour tout » et qui en est à son quatrième mandat afghan ? « Mission accomplie, je ne sais pas, poursuit-il, un peu hésitant. À la FOB de Nijrab nous avons passé le relais aux Afghans mais sur la COP (poste de combat avancé) de Tagab, ce sont les Américains qui vont nous succéder. Est-ce que ça ne veut pas dire que, quelque part, on ne l'a pas fini ce travail ? » Les autres le regardent, étonnés de cette réticence, et lui font remarquer qu'à Tagab, emprise bien plus réduite que Nijrab, on est passé de 800 Français à 200/250 Américains et que la mission de ceux-ci n'est plus la même. « Ils vont poursuivre la formation des Afghans ». Le sergent-chef approuve : « À un moment, il faut laisser les gens se débrouiller par euxmêmes. Si les Américains étaient restés dix ans chez nous, on en aurait eu marre... ». « Mission accomplie » donc. Parce qu'il faut une fin, parce que « la culture afghane, profondément bouleversée par l'intervention de la coalition, a besoin aujourd'hui d'une nouvelle marche en avant, moins rapide mais qui sera la sienne » avait déclaré la veille le Général Olivier de Bavinchove, commandant de l'Eurocorps à Strasbourg et numéro 3 du QG de l'ISAF (Force internationale d'assistance et de sécurité) à Kaboul depuis fin 2011.

Selon lui, « c'est maintenant qu'il faut partir » car « aujourd'hui, les forces afghanes sont prêtes et laissent parfois faire par la coalition un travail qu'elles pourraient accomplir ». « L'insurrection ne dispose pas d'armes puissantes, poursuit-il, elle est à la portée de l'armée nationale afghane (ANA) forte de combattants qui ne mesurent pas leur peine, les Russes s'en souviennent...» Mais le général de Bavinchove ajoute qu'il « n'a pas de boule de cristal », phrase-clé récurrente dans le discours de bien des militaires. Tout peut arriver en Afghanistan. Les talibans y ont été sérieusement ébranlés et se sont repliés au Pakistan et, si la situation est relativement calme pour le moment, c'est au printemps que l'on mesurera leur capacité à regagner du terrain. La végétation reprendra alors ses droits aux abords des ouadis - ruisseaux - créant une « jungle impénétrable » propice à la guérilla... La situation peut rebasculer. Face à cette issue en forme de point d'interrogation, les soldats trouvent le sens de leur engagement en s'en tenant aux termes précis de leur mission et se refusent la plupart du temps à tirer des plans sur la comète afghane.

MISER SUR LE DÉVELOPPEMENT Certains sont plus dubitatifs que d’autres, racontent que ce n’est pas toujours simple entre kandaks (régiments de l’ANA), parlent de désorganisation endémique, évoquent un pays « médiéval »... D’autres soulignent les avancées, Kaboul contrôlée par l’ANA, le recrutement continu de militaires et policiers, leur envie d’apprendre, de servir, les gouverneurs qui s’imposent comme autorités politiques dans les provinces, la notion d’Etat qui se met en place et « ce développement qui - peut-être - permettra à l’Afghanistan de ne pas retomber dans le fondamentalisme ». « Une université afghane au début de la guerre, cent aujourd’hui, des routes, de l’électricité, la 3G à Kaboul », souligne notamment le colonel Philippe Troistorff, chef d’ÉtatMajor de la Taskforce Lafayette. Le lieutenant Nolwenn du 17e régiment de génie parachutiste de Montauban, évoque quant à elle le téléphone portable aujourd’hui très largement répandu dans la population. « Chez les hommes certes, pour les femmes, ce n’est pas encore gagné », soulignent certains. Des femmes, on en voit lorsque l’on traverse Kaboul en voiture, mais vraiment très peu. La plupart portent le nikab et forment des petits groupes de silhouettes fondues dans le gris d’une ville poussiéreuse où des échoppes, au delà du vétuste, côtoient quelques gratte-ciels enguirlandés aux couleurs d’un noël mondialisé.

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DES GÉNÉRATIONS DOIVENT PASSER

Le général Olivier de Bavinchove

Mais en une heure de trajet en véhicule blindé, comment imaginer avoir compris quelque chose... Beaucoup de militaires racontent, eux, leur « fierté » de voir les enfants aller à l’école, garçons et filles. « On se dit qu’on a réussi quelque chose... ». Certains évoquent cependant une « arrogance » des premiers qui mettra sans doute des décennies à tomber, ne fut-ce que de quelques crans. Ils se souviennent aussi des distributions de cahiers, de stylos et de crayons dans les villages de la Kapisa avec, tout de suite, « les grands qui arrivent pour tout récupérer et revendre ». « Mission accomplie » oui mais ils savent qu’il faudra que des générations passent avant d’envisager un bilan. D’ici là, on peut regarder le verre à moitié vide ou à moitié plein, se perdre dans des considérations géopolitiques : quel sera le jeu du Pakistan ? Quid de l’Inde ? de la Chine ? Compter le nombre d’attentats hebdomadaires en Afghanistan... mais se torturer n’avance à rien pour ces hommes et ces femmes qui ont passé au moins six mois sur l’un des terrains les plus complexes de ce début de siècle. Si l’heure est

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aujourd’hui au retrait des troupes françaises, ils répètent qu’on « ne laissera pas tomber l’Afghanistan dans sa marche vers le développement ». Le désengagement a été programmé depuis le printemps et coordonné « à la manière d’un puzzle, raconte le colonel Troistorff, il arrive à son terme ». Peu à peu les soldats repartent vers la métropole à bord des VAMS (voies aériennes militaires) qui font escale à Douchanbé, au Tadjikistan, avant de se poser à Paphos, sur l’île de Chypre, pour débarquer les arrivants de Kaboul et embarquer ceux qui ont déjà passé leurs deux jours réglementaires dans le « sas » mis en place par l’armée. Décompression, réadaptation à la vie civile...

pour elle de mener l’enquête ». Ce laboratoire qui perdurera après le retrait des troupes de la coalition traite une trentaine de cas par mois, « un cas, un cas et demi par jour mais c’est « saisonnier ». Avec l’hiver la cadence va ralentir pour redémarrer avec la « Fighting season » du printemps ».

« PERSONNE NE COMPLIQUE RIEN » A « Rôle 3 », l’hôpital français de KAIA, l’heure n’est pas non plus à plier bagage. Créé pour soigner les blessés de guerre évacués vers Kaboul, il a développé des consultations à destination des civils afghans et si aucun soldat n’y est soigné en cette

« LE PAYS LE PLUS MINÉ AU MONDE » Deux jours, c’est court pour évacuer six mois de terrain mais il y a l’hôtel où l’on croise des vacanciers comme vous et moi, du sport, des massages, des excursions et puis des débriefs « psys » individuels ou collectifs avant de reprendre l’avion pour Paris. Pour d’autres, la page afghane n’est pas encore tournée. « Nous, nous ne sommes pas dans le contexte du désengagement mais dans celui de la transition », déclare notamment le commandant Lionel, directeur du « Multi National Theater Exploitation Laboratory », une fois franchie la porte de ce laboratoire installé à Warehouse. Quinze militaires, experts et gendarmes y travaillent à la mise en oeuvre sur le terrain afghan des techniques d’investigation classiques de nos polices judiciaires. Fichiers d’empreintes digitales, de profils ADN, recoupement d’informations, dossiers d’expertise... Avec un objectif : identifier - en amont ou en aval les artificiers et poseurs d’IED, ces Explosives Devices, « engins explosifs improvisés » appelés couramment « bombes artisanales ». « Aujourd’hui, l’Afghanistan est sans doute le pays le plus miné au monde, explique le commandant Lionel, nous communiquons à la justice afghane les éléments que nous collectons, à charge

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fin novembre, deux femmes et deux enfants se partagent une chambre commune dans l’aile non militaire. Grièvement blastée à la tête par une IED et souffrant de fractures au bras et à la jambe, une toute petite fille est assise dans une chaise roulante à côté de sa mère, elle-même blessée et alitée. Un gamin plus grand se balade dans la chambre, veut à toutes force être photographié, prend la pose très sérieusement et puis sourit de toutes ses dents. Dans le couloir, un couple attend une consultation. « Les femmes sont traitées par les médecins hommes », explique le lieutenant Marie-Laure « mais elles sont toujours accompagnées d’un mari, frère, cousin... Des hommes sont pris en charge par notre kiné, qui est une femme, sans que cela ne crée de problème. Ces questions se posent sans doute dans la société afghane mais ici, elles disparaissent. Ces gens viennent chercher des soins que nous pouvons leur donner, c’est tout. Personne ne complique rien. »


PASSER LE FLAMBEAU L'hôpital va rester. Sous quelle forme, on ne le sait pas encore. Mais ici comme ailleurs, le principe est celui de la transition vers les locaux, d'un monitoring à plus ou moins grande échelle pendant plus ou moins longtemps. Dans l'esprit des militaires français rencontrés à Warehouse, à KAIA ou au QG de l'ISAF à Kaboul, cette pérennisation sous forme de passage de flambeau est essentielle. C'est aussi ce qui donne du sens à leur mission et, lorsqu'ils ont vu à la télévision française les images de gamins caillassant les blindés lors du désengagement de Nijrab, ils n'ont pas souri. « La bataille des coeurs n'a pas été gagnée », ajoutait un commentaire trop réducteur à leurs yeux. « Si ça tombe, ce sont les mêmes gosses qui se bousculaient pour nous « checker » dans les villages de Kapisa », remarque le lieutenant Nolwenn. Un geste n'avait pas forcément plus de signification que l'autre. « Ce sont des enfants ». Des enfants pour qui les choix de demain ne seront plus un jeu. L'avenir de l'Afghanistan dépendra de la société pour laquelle ils décideront de se battre. Sur tous les fronts.

veut pas dire que l’Afghanistan est sorti d’affaire même si je pense que les gens d’ici n’accepteront plus d’en revenir à l’obscurantisme. À terme, il faudra sans doute sortir de cette guerre insurrectionnelle par un travail politique de réconciliation. La mission des militaires a été et reste de permettre ce retour au dialogue ». Aujourd’hui, le général Hautecloque a regagné la France et plus précisément… Strasbourg où il vient de prendre ses fonctions de gouverneur militaire le 3 décembre dernier.

L’EUROCORPS DÉPLOYÉ À KABOUL

DE LA KAPISA-SUROBI À STRASBOURG C’est à lui que le sergent-chef Freddy a remis le drapeau français à Nijrab le 20 novembre dernier. Commandant de la Taskforce Lafayette en Afghanistan, le général Eric Hautecloque Raisz n’était pas au courant des sentiments qui traversaient le soldat à ce moment-là. « C’est fort » a-t-il commenté avant de dresser un bilan de l’engagement des troupes en Kapisa-Surobi. Il parle de « cohérence » et croit en la capacité des forces afghanes à gérer désormais la zone. « Lorsque le retrait a été décidé il y a six mois, j’ai craint que l’on n’y arrive pas dans les délais impartis, poursuit-il, mais tout le monde s’est concerté, Afghans compris. Si l’un de mes interlocuteurs s’est dit à l’époque « un peu groggy », dès juillet tous se sentaient fiers d’assumer leurs responsabilités. Notre travail de transfert a été progressif et s’inscrivait dans la ligne définie par la Taskforce dès le départ. De mon point de vue, les Afghans sont aujourd’hui en mesure de lutter contre l’insurrection, notre mission est une réussite mais cela ne Le général Eric Hautecloque Raisz

Un engin démineur sur le point d’être repatrié en France

Basé à Strasbourg au Quartier Aubert de Vincelles, l’Eurocorps a déployé près de 300 militaires à Kaboul de janvier 2012 à janvier 2013 après une première mission en 2004/200. La plupart travaillent au sein de l’État major de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF Joint Command - IJC) basé à KAIA et quelques uns - dont le général de Bavinchove - sont intégrés au quartier général de l’ISAF. D’autres enfin ont été affectés à la mission de formation de l’OTAN pour l’Afghanistan, chargée d’instruire et d’entraîner l’armée nationale. (NTMA). Lorsqu’on les rencontre, tous évoquent le côté exceptionnel de cette expérience, la chance de donner tout son sens à ce qui constitue leur caractéristique première : la multinationalité. L’anglais est la langue de travail d’un corps européen rassemblant à ce jour neuf nations*, les militaires n’ont donc pas été linguistiquement dépaysés même si certains racontent que « parler avec des « natives » c’est parfois plus compliqué ». Quant à la collaboration avec les Américains, elle ne pose pas de problème selon eux. « Nous avons les mêmes concepts de travail », précise le major français David alors que le commandant allemand Swen pense que « le regard européen est le bienvenu dans les discussions ». Pour le major espagnol Javier et pour d’autres, c’est le quotidien des blessés et des morts côté américain qui les frappe le plus. * France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Espagne, Pologne, Turquie, Italie et Grèce

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MIREILLE

OSTER

JE SUIS UNE GLOBE CROQUEUSE ! Texte

Quand vous lirez ces lignes, la reine du pain d’épices à Strasbourg sera soit dans sa merveilleuse petite boutique de la rue des Dentelles, soit dans son chalet du Christkindelmärik, place Broglie. Au four et au moulin mais toujours le sourire aux lèvres, rencontre avec une personnalité incroyablement attachante et… Or Norme ! 68

JEAN-LUC FOURNIER

L’expérience vaut pour toutes les saisons. Vous poussez la porte de la boutique de Mireille Oster dans la quartier de la Petite France et… vous êtes immédiatement dans une autre dimension. Question d’odeurs d’une suavité incroyable (la cannelle domine en ce moment, et le citron, le gingembre, l’anis… ne sont pas loin), mais la vision de ces gracieux empilements de pains d’épices renforce aussi votre plaisir. Tout comme la joyeuse sympathie qui anime les employées… Un bonheur de convivialité bien résumé par la citation fétiche qui barre le linteau : « Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c’est d’y céder.. ». Tout est dit.


ELLE A VÉCU MILLE VIES « Dire que ma mère, qui a créé cette boutique avec mon père aux fourneaux, m’avait déconseillé de lui succéder. Fais tes études, me disait-elle. Je l’ai écoutée, les filles suivaient souvent les conseils de leurs parents à cette époque… » sourit Mireille. « Quand j’ai quitté le pensionnat religieux, je me suis lancée dans un grand groupe de distribution, au sein du service achats. Ca m’a permis de jongler avec les plus beaux tissus du monde. Puis j’ai ouvert ma boutique de prêt-à-porter. Mais j’avais une obsession : partir en Chine. Tout ça à cause des livres de Pearl Buck ou d’Han Suyin. Je me sentais chinoise à 100%. J’ai mis de côté de quoi me payer le train pour Pékin. Tout était prêt. Et… je ne suis jamais partie parce que juste avant, j’ai rencontré mon mari ! Maman a ensuite voulu arrêter son affaire de pains d’épices. Vends cette boutique, me disait-elle, et tu feras ce que tu voudras avec cet argent. Je ne l’ai pas vendue et je lui ai succédée… » Et depuis, Mireille… court le monde. Elle a en quelque sorte réalisé son rêve chinois en participant au SIAL à Shangaï en 2007 (« J’en connaissais tellement sur l’ancienne Chine, le pays où le pain d’épices est né pourtant, que j’ai bluffé mes interlocuteurs ») puis ce fut, entre autres, Barcelone, Berlin, Ho Chi Min au Vietnam, Beyrouth, Tel-Aviv, Seoul, Tokyo… A chaque fois, elle revêt son habit d’ambassadeur du pain d’épices raffiné et de l’Alsace. Elle a des amis partout sur la planète. « J’ai l’aventure facile » avouet-elle, j’aime l’inconnu. J’adore me rendre dans des lieux qui recèlent la beauté et où règne un bel esprit. Les épices sont un fil conducteur dans le monde entier. C’est un lien universel… »

« MAMAN DISAIT : NE FAIS JAMAIS COMME TOUT LE MONDE ! » Bien sûr, la renommée des pains d’épices de Mireille Oster a depuis longtemps dépassé l’Alsace. Il y a fort à parier que sa maman serait sidérée si elle apprenait que sa fille parcourt la planète pour vendre ses pains d’épices. « Le business n’est qu’un prétexte » ajoute malicieusement Mireille. « L’argent, je le gagne pour le dépenser car je suis une grande amoureuse de la vie, une globe croqueuse. C’est vrai que je me sens hors normes. Maman me disait qu’il ne faut jamais faire comme tout le monde. Chaque jour, je lui dis merci pour m’avoir inculqué cela. Ça m’a amenée en quelque sorte à détourner le pain d’épices. Il y a cinquante ans, c’était le cadeau des pauvres. Peu à peu, à partir de recettes simples, je pense avoir contribué à le magnifier et à lui donner ses véritables lettres de noblesse. C’est allé tellement loin que je ne fais même plus le compte de toutes mes recettes. C’est l’imagination au pouvoir : une idée par jour ! »

femme à la passion contagieuse. Jusqu’au bout, pain d’épices ou pas, elle nous aura fait saliver. Juste avant de se quitter, son œil brille encore un peu plus fort : « J’ai adoré votre numéro Destinations de légende sur Israël au printemps dernier. Je connais à Nazareth un meunier qui fabrique un pain d’épices divin. Ca vous dirait si je vous le faisais rencontrer ? Allez, on y va ? » La question nous déconcerte un peu. Mais l’œil brille toujours et attend une réponse. Alors oui, Mireille, on va essayer d’y aller avec vous prochainement…

Mais comment fait-elle ? Certains vendraient père et mère pour figurer dans les journaux, être interviewés à la télé, à la radio… Pour ça, ils se paient les services d’attachés de presse, de dircoms. Ils stratègent, ils manœuvrent, ils soudoient, ils facebookent, ils tweetent… Le tout-à-l’égo permanent, si typique de l’époque. Début décembre, Mireille Oster est passée sur TF1, France 2, BFM TV et I Télé, RTL, Europe 1, France 3, Sudwestfunk entre autres... et a même fait la Une du Figaro Magazine. Et tout ça sur sa seule renommée et son savoir-faire. Ce sont les médias qui viennent à elle et il arrive même que ça la contrarie un peu en cette période évidemment très chargée. Mais elle assure ! Et pas qu’un peu… Quand il y a du talent, de la passion et de l’authenticité, pas besoin des artifices de la com. Une leçon, là aussi…

Mireille est une extra-terrestre, vraiment. Elle continue, l’air de rien, à mener ses mille vies. Elle s’amuse en permanence de la réflexion de son mari : « Tu as encore acheté des livres ! ». « Quand je vais à la librairie Kleber, j’en reviens avec au moins sept bouquins à chaque fois, et j’en ai toujours deux ou trois en lecture parallèle. Je lis énormément. Et je me régale de musique : jazz, classique, chansons -Barbara, Brassens, Bécaud- mais aussi Bénébar et Mika, actuellement, moitié libanais, pêtri par deux cultures, j’adore ! » Il faudrait sans doute la moitié d’un numéro d’Or Norme pour vous faire partager les mille et un enchantements de ce petit bout de

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MIHAELA

y croit ... Texte VÉRONIQUE LEBLANC

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Elle est exemplaire, peut-être exceptionnelle, mais elle répète que chez les Roms c’est comme partout « il a des gens bien et d’autres qui ne le sont pas ». Rencontre avec Mihaela Moldovan, une Rom qui dit « merci à la France ». Malgré les galères.

« J’arrive »... Les mots jaillissent d’un préfabriqué estampillé « SpalatorieVase-Plonge », en roumain, en rom et en français. À côté, d’autres locaux sont installés : laverie, WC et douches Hommes/Femmes... Ces installations sont basiques mais nickel, bien entretenues qu’elles sont par la vingtaine de familles roms installées depuis octobre 2011 dans « l’Espace 16 », rue du Rempart à Koenigshoffen. Mihaela Moldovan a les yeux qui brillent et le sourire aux lèvres, comme souvent d’ailleurs : la récrimination et l’amertume, ce n’est pas son style. Son fils Aurel a eu 14 ans hier et ils ont marqué le coup en famille avant la grande fête de samedi, jour de ses 44 ans à elle ! Il y a de la légèreté dans l’air cette semaine et elle est heureuse de parler, le temps d’une pause cafécigarettes dans sa petite caravane impeccablement rangée.

DANS LES ÉCOLES ROUMAINES, DES CLASSES SÉPARÉES Mihaela est née à Galati dans l’Est de la Roumanie où vivent encore ses parents, sa soeur et son frère. « Ils vont bien », dit-elle... Pourquoi est-elle à Strasbourg ? Parce qu’en 2002 « quelqu’un » lui a promis du travail ici et qu’elle voulait « un beau futur pour son fils ». Une fois arrivée, le « quelqu’un » avait disparu mais elle est restée avec sa famille parce que là-bas « l’école pour Aurel c’était très difficile ». Difficile parce que trop chère et trop discriminatoire. « Les quatre premières années sont gratuites », explique-t-elle, « mais après il faut compter 200/300 euros par mois


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pour les Roms qu’on met dans des classes séparées ». Avec 10 euros d’allocations mensuelles et un chômage plus impitoyable encore pour les Roms que pour les Roumains, c’était d’autant moins jouable qu’Aurel ne voulait plus aller à l’école où le racisme cognait dur sur les gosses des classes « à part ». Mihaela a un diplôme de mécanique. Comme beaucoup de femmes de sa communauté en Roumanie, elle a travaillé dans un car-wash pendant une année avant de perdre son emploi et puis de faire ce qu’elle pouvait entre les ménages et l’agriculture qui emploie essentiellement les hommes. Alors, une fois à Strasbourg, elle et son mari ont décidé d’y rester.

regarde les certificats de son fils « son coeur se gonfle » et elle se dit qu’elle a « réussi quelque chose ». Et puis, il y a aussi ces presque riens qui comptent double ou triple. Hier, Aurel a été invité à déjeuner chez un copain. Samedi ils seront quelques uns à venir fêter son anniversaire à « L’Espace 16 »... « La confiance, c’est quelque chose pour moi », murmure Mihaela. Elle a conscience de faire des petits pas en avant et l’installation de la famille dans « L’Espace 16 » - un projet d’intégration mis en place par la Ville de Strasbourg pour des Roms n’ayant connu aucun problème avec la justice - est un plus énorme pour elle. « On n’a plus la peur de l’expulsion, de la police ».

TROUVER DU TRAVAIL

« LA CONFIANCE C’EST QUELQUE CHOSE » La manche bien sûr pour tenir dans un pays dont ils ne connaissaient pas la langue, une installation dans le campement de fortune du Chemin long à Koenigshoffen, sans eau courante ni sanitaires, avec le champ de maïs voisin pour horizon... Mais Aurel a pu aller à l’école, sa mère a appris le français en suivant sa scolarité et aujourd’hui, confie-t-elle, quand elle

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Son idée fixe c’est de trouver un travail et elle a été à deux doigts d’y parvenir. Une société d’insertion était d’accord pour l’embaucher comme femme de ménage. Mihaela avait son code et son identifiant à Pôle Emploi mais la Préfecture lui a refusé la carte de séjour parce que le contrat portait sur 25 heures et non 35. La déception a été à la mesure de l’espoir mais « c’est la vie », déclare Mihaela qui sait que c’est à des lois qu’elle se heurte plus qu’à des gens. Les gens, elle les aime. Ceux de « Horizon Amitié », toujours à l’écoute, les fonctionnaires du Conseil de l’Europe qui se sont impliqués personnellement auprès des Roms du Chemin long après une visite du camp il y a quelques années. Collecte de vêtements, soutien scolaire à Aurel, des heures de ménage et d’aide à la personne déclarées pour Mihaela... « Ils nous ont beaucoup appuyés et le Consulat de Roumanie est très gentil ». Aujourd’hui elle ne fait plus la manche que lorsqu’elle n’a pas le choix. Pour Aurel c’est terminé, il ne supporte pas que ses copains ou ses profs le voient réduit à cette extrémité et ses parents ne veulent plus de ça pour lui. Son mari cherche de l’embauche dans le secteur du bâtiment mais c’est d’autant moins simple que le français reste un problème pour lui. Elle, elle dit « Merci à la France. Pour la caravane, la tranquillité, l’école de son fils ». Par la fenêtre, on voit le linge tendu aux fils, les jouets des enfants, quelques Roms discutent mais la plupart sont en ville. La manche, la récupération de vieux métaux, des choses à faire... Il y a du soleil en ce matin du 20 novembre. L’année prochaine tout ira bien. Ou la suivante…


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SECTEUR DU BÂTIMENT

LES TEMPS SONT DIFFICILES

Texte

Alors que la commercialisation du Premium (lire Or Norme n°5) se déroule conformément aux prévisions, le promoteur immobilier Patrick Singer craint que le secteur de la construction connaisse une année 2013 plus que périlleuse…

2013, L’ANNÉE DE TOUS LES DANGERS ? La crise financière, déclenchée en septembre 2008 par le scandale des subprimes aux Etats-Unis, a gagné les mois suivants l’ensemble des impénétrables arcanes de la finance mondiale, révélant au passage les méthodes sans scrupule d’opérateurs privés qui échappent à toute régulation des Etats. Résultat : l’économie réelle, celle des entreprises notamment, s’en trouve dramatiquement affectée et l’année 2013 est annoncée par un grand nombre d’experts comme sans doute la plus noire de cet interminable tunnel…

LE PREMIUM EST « DANS LES CLOUS »… L’immobilier (avec le secteur automobile) est sans doute un des plus fiables des marqueurs de la situation économique. Quand le bâtiment va, tout va, dit la maxime populaire. À l’inverse… Le promoteur immobilier Patrick Singer termine la commercialisation d’une des opérations privées parmi les

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ASP

ALAIN ANCIAN

plus spectaculaires actuellement en cours à Strasbourg. Son complexe, le Premium, dans le quartier du Tribunal, va être érigé sur l’emplacement de l’ancienne concession Mercedes. La partie démolition, la plus gênante de cet énorme chantier, se termine. Désormais, les riverains seront moins impactés, le plus dur est passé. Reste la commercialisation en cours : « Neuf villas en haut du complexe étaient à vendre » comptabilise-t-il. « Cinq ont trouvé preneurs. Nous sommes dans l’épure de départ. Côté bureaux aussi : sur les 2500 m2 disponibles, il ne nous reste plus que 200 m2 à commercialiser. En revanche, côté commerces, 1800 m2 n’ont pas encore été commercialisés sur les 2200 m2 de départ. Mais il est vrai que nous n’avons débuté cette commercialisation qu’il y a quatre mois seulement » précise Patrick Singer. Cette réalisation est résolument haut de gamme, avec des prestations exceptionnelles très au-dessus du traditionnel immeuble de « standing » (entre 3990 et 4600 €/m2 pour les appartements, 6500 €/m2 pour les villas -ce concept est unique à Strasbourg- et 3400 €/m2 pour les commerces. De plus, ce prix comprend les indispensables places de parking, rares dans le secteur. A lui seul donc, le Premium ne peut donc


pas être considéré comme une opération représentant parfaitement la tendance du secteur de la construction.

L’IMMOBILIER VA SOUFFRIR… Il n’en va pas de même pour les autres opérations menées par ce promoteur immobilier. « Les inquiétudes sont nombreuses » avoue-t-il. « Car la politique ne nous aide pas, notamment en matière de défiscalisation. De plus, si les taux de crédit sont au plus bas, les conditions d’attribution par les banques ont beaucoup changé. Les banques sont devenues extraordinairement rétives, il nous faut donc imaginer des financements en nous regroupant de manière inter-professionnelle. Je suis devenu très prudent sur les opérations immobilières plus classiques que le Premium. Aujourd’hui, on ne lance rien tant que la commercialisation n’est pas totalement achevée. Le mot d’ordre c’est au service du client et en fonction de ses moyens. Plus que jamais… Le gros problème des sociétés de promotion immobilière, c’est la trésorerie. C’est là que les banques doivent jouer le jeu car sinon, c’est toute une chaîne qui risque de s’arrêter brutalement. Et il faudrait qu’elles jouent le jeu tout de suite, dès les deux ou trois premiers mois de 2013, sinon l’année risque d’être pourrie… » conclue-t-il. A suivre…

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PortFOLIO Jeannette Gregori Jeannette Gregori, 44 ans, a suivi des cours de photographie aux Beaux-arts de l’Université d’Indiana aux États-Unis. Les voyages dans les banlieues et quartiers populaires de New-York ou de la Louisiane lui ont donné envie de laisser une trace des fragments de vie croisées sur son chemin. De retour à Strasbourg, elle s’est intéressée aux peuples tsiganes lorsqu’elle a ressenti qu’il était nécessaire de poser sur eux un nouveau regard. Avant les mesures d’expulsions prononcées par le gouvernement français, le choix de photographier les enfants gitans, roms et manouches lui a permis de sensibiliser le public à l’ensemble de la communauté...

www.jeannettegregori.com - 06 08 48 80 06

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Magdalena

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Aurel et Kebab

Grandma


Chouchou et son chien Corso 81


Le

Bloc-NOTES

HERVÉ WEILL FANA D’ACTUALITÉ, LA PLUME IMPERTINENTE ET ICONOCLASTE, HERVÉ WEILL REVIENT SUR LES ÉVÈNEMENTS DES DERNIERS MOIS.

novembre

• Comment donner raison aux détracteurs du rallye de France qui se déroule en Alsace ? Prenez une poignée d’abrutis, trois suffisent : faites jeter une pierre sur un concurrent de Sébastien Loeb par le premier et placez les deux autres dans une zone interdite au public pour qu’ils se fassent écraser. Normalement la « spéciale » suivante devrait être annulée et ruiner le boulot d’une année, parfait !

• Alors qu’on attendait une élection au coude à coude entre Barack Obama et Mitt Romney, le président sortant est élu haut la main pour un second mandat. Bush junior luimême a voté Démocrate. Le fait qu’il ne l’a pas fait exprès apporte même un soulagement supplémentaire quant au résultat de ce scrutin.

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octobre

• Les ayants-droits de Joe Dassin n’ont pu retenir des larmes de joie en entendant Jean-François Copé parler d’un enfant qui se fait voler son petit pain au chocolat par des gars en djellaba, la la la la... • Paul-Loup Sulitzer et Christian Clavier s’exilent respectivement en Belgique et en Angleterre. Ils nient tous les deux partir pour des raisons fiscales. Nous ne sommes pas obligés de les croire, mais ce qui est sûr, c’est que la théorie de la fuite des cerveaux ne tient pas.

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• La roche Tarpéienne est proche du Capitole : une phrase à méditer pour certains joueurs de handball menottés à la sortie des vestiaires, alors que les commentaires sont dithyrambiques pour un simple match nul en Espagne pour l’équipe de France de football. • Le prix Nobel de la paix a été attribué à l’Union européenne. Une belle manière de rappeler aux autonomistes, indépendantistes, communautaristes, sécessionnistes et autres istes en tous genres, que nous vivons tous une formidable période de paix que de nombreux pays au monde nous envient. Malgré tout, l’Union fait bien la force. • Les cinq premières étapes du Tour 2013 passeront par la Corse, Nice et Marseille. Entre les actuels règlements de compte et trafics en tous genres dans ces régions, on pourrait presque regretter l’absence de Lance Armstrong, car pour couronner le tout, l’Alpe d’Huez sera escaladée deux fois dans la même journée. Un bel hommage posthume.

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• Alors qu’on annonçait une élection haut la main de François Fillon, le favori est coiffé au poteau par Jean-François Copé. Nonobstant le pitoyable et affligeant spectacle que nous ont donné les deux hommes, on sait désormais une chose : si on ne savait pas pour qui voter pour élire le patron de l’UMP en 2012, on sait maintenant pour qui ne pas voter en 2017.


décembre

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• Strasbourg se bat pour le maintien du siège du Parlement européen (ce numéro d’Or Norme y consacre de nombreuses pages…) et, en même temps, pour son statut de Capitale régionale en prévision de la réunification des collectivités locales dont l’Alsace se fait le héraut national. Ça vous étonne ? Nous non, car il a bien fallu faire des concessions au président du Conseil général du Haut-Rhin, Charles Butner, qui a passé le plus clair de son temps depuis 18 mois à flatter ses électeurs dans le sens du poil sur le thème « Ouh ! les vilains Strasbourgeois qui veulent sans arrêt tirer la couverture à eux et qui vous méprisent à qui mieux ». Ce populisme d’un autre âge a manifestement fonctionné…

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• L’art français d’être incapable de faire voter une loi et de la faire appliquer : celle sur le mariage pour tous est adoptée, mais si ça pose un problème à certains élus, qu’ils s’abstiennent de célébrer les unions… C’est étrange de la part d’un gouvernement qui veut remettre l’éducation civique à l’honneur. Dans ce cas pourquoi ne pas tenir compte de l’avis des religieux sur le mariage civil dans un État laïc tant qu’on y est ? Ah, on en tient compte aussi ? Si les uns avancent et les autres reculent, faut pas s’étonner du nombre de comités Théodule.

• Que les amateurs de football, qui sont tristes en pensant que le niveau du foot alsacien est tombé bien bas quand un derby Racing-FCM se joue en CFA, se rassurent : ceux qui se prétendent supporteurs et qui sont venus faire le coup de poing à Mulhouse sont au niveau de tous ceux des grands clubs européens, aussi crétins et bas de plafond.

Question : dans quelle autre région de France une telle situation serait-elle d’actualité ? Imagine-t-on l’Aquitaine sans Bordeaux, le Nord-Pas-de-Calais sans Lille, la Bourgogne sans Dijon, la PACA sans Marseille ? Imagine-t-on Toulouse, Besançon, Lyon dépossédées au profit de Lavelanet, Dôle ou encore Bourg-en-Bresse ?.. En tout cas, il y en a un ou deux qui rigolent doucement… Vous pensez à Charles Buttner et l’inénarrable Gilbert Meyer, maire de Colmar qui, lui, a attendu patiemment et sans déclaration intempestive, que le fruit bien mûr lui tombe directement dans le bec ? Quelles mauvaises langues vous êtes… Peut-être a-t-on d’ailleurs de peu échappé au pire ? Un temps, certains (sérieux !) avaient envisagé de construire la Maison de la nouvelle collectivité unique à cheval sur la limite des deux départements, dans un champ (forcément !) au sud de Sélestat. La longue histoire du tribalisme atavique alsacien n’est pas close. Il y aura d’autres épisodes… Allez, Joyeux Noël quand même !

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