Boletin ayiti 2017 (1)

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Bienvenue. « Bankomunales en Haïti c’est l’histoire d’un apprentissage », nous livre la sœur Juaniste Iselande, la coordinatrice du projet en Haïti. En effet, c’est en novembre 2014 que la première Bankomunale a été ouverte en Haïti, et depuis beaucoup de chemin a été parcouru, si bien qu’aujourd’hui des milliers d’haïtiens bénéficient de services financiers mais surtout d’une éducation à ce sujet, qui a pour nombre d’entre eux changé leur quotidien. Ce bulletin a pour vocation de vous raconter notre histoire et nos aspirations.

CONTENU Définition Bk en Haïti Notre impact Les étapes Nos projets Entretien

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Présentation des Bankomunales Qu’est-ce que les Bankomunales ? Les “Bankomunales” sont de petites organisations dont les membres sont les propriétaires, qui décident de constituer un capital pour se rendre des services de financement et d’investissement. En d’autres termes, ce sont de petites banques communautaires, qui mettent en place un service de prêts entre ses membres. L’avantage est que c’est un moyen très rapide d’accorder des crédits, sans les difficultés et les prérequis que demandent les banques traditionnelles, et qui permet aux membres de bénéficier des fruits de l’argent prêté. Elles ont comme ressources le capital apporté par les membres de la communauté à travers l’achat d’actions.

Comment fonctionne une Bankomunal ? Les ressources apportées par les membres de la communauté sont gérées par un conseil de direction et un conseil administratif rotatif, choisis par les membres. Au fur et à mesure que les crédits sont payés et que le capital augmente grâce à la vente de nouvelles actions, de nouveaux crédits sont possibles, qui seront payés et génèreront d’autres revenus, qui permettront ensuite d’accorder d’autres crédits et ainsi de suite. Les réunions ont lieu chaque mois. Chaque membre peut alors acheter ou vendre des actions. Ensuite, chaque membre peut emprunter de l’argent à la communauté, sur la base de 5 fois le montant de ses actions. Ainsi, si un membre achète une action qui vaut 100 gourdes, il peut emprunter jusqu’à 500 gourdes, en justifiant d’un garant. De plus, les membres qui ont un prêt en cours payent leurs intérêts, le taux d’intérêt étant choisi par la Bk en question. Lorsque cela fait 1 an qu’un membre a acheté une action, il reçoit les bénéfices générés par son action pendant l’année.

Qui gère les Bankomunales ? La réunion mensuelle du Bankomunal est dirigée par le comité de gestion, qui est choisi par la communauté et à vocation à changer dès que d’autres membres se sentent capables d’accomplir ce même travail. Ensuite, les Bk sont suivies par les conseillères qui s’occupent chacune d’une ou plusieurs banques. Enfin, il existe une coordinatrice nationale du projet.

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Les Bankomunales en Haïti En Haïti, il y a 24 banques, 11 conseillères, et des centaines de membres. La majorité des membres sont des femmes, travailleuses, qui utilisent les prêts pour investir dans leur petit commerce et générer des revenus pour elles et leurs familles. Les Bk se trouvent dans les communautés de Mont Organize, Pech, Cap Haitien, Savann Long, Jannant, Vaja et Akil de Pen.

Le rôle d’une conseillère, l’exemple de Madame Joselyne Vilmé Joselyne administre le Bankomunal « Ann Fe Efo » qui compte 17 membres à janvier 2017. Elle nous confie qu’au tout début les membres de la Bk ne se rendaient pas compte de l’importance des réunions mensuelles, et ne venaient pas toujours. D’autre part, ils ne comprenaient pas bien la méthodologie du Bankomunal et donc Joselyne devait elle-même administrer la Bk. Mais aujourd’hui, grâce à son travail de sensibilisation et d’éducation financière, chaque mois les réunions sont pleines et le comité de gestion de la banque est autonome. Notamment, les bénéfices générés l’année dernière grâce à l’argent prêté ont su motiver les membres de la Bk. Cette année dès la première réunion, 70 actions ont été achetées. Selon elle, la recette d’un Bk qui fonctionne bien c’est d’abord une conseillère qui aime son travail et qui transmet ses connaissances à sa communauté, dans le but de l’aider à se développer. Ce qui lui donne la force de travailler, ce sont les témoignages des membres de sa communauté, qui lui racontent comment ils ont pu lancer leur petite entreprise ou payer pour les funérailles de leur proche sans s’endetter aux taux exorbitants des autres banques existantes. Elle constate aujourd’hui la différence : les membres de sa communauté comprennent mieux comment gérer leur argent et ont confiance dans le Bankomunal. Maintenant, ils sont un groupe soudé et elle organise des activités de solidarité avec les membres, comme la visite de malades. Son objectif aujourd’hui, c’est que sa banque accueille plus de membres, qu’elle fasse plus de prêts et qu’elle, en tant que conseillère, puisse continuer à apprendre davantage de méthodes comptables et les transmettre.

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Notre impact Depuis le début du programme en 2014, nous avons recueillis de nombreux témoignages de l’impact positif des Bankomunales dans la vie des communautés. Nous les avons résumés en quatre dimensions : l’apprentissage, la solidarité, la responsabilité et la dignité.

1. L’apprentissage Le processus d’implémentation des Bankomunales en Haïti est un processus d’apprentissage en tant que tel. En effet, chaque membre d’une Bk apprend chaque jour, à gérer son argent, comment et pourquoi. Ainsi, depuis 2 ans, les coordinatrices du projet ont pu voir les évolutions dans la mentalité des haïtiens avec qui elles travaillent, qui aujourd’hui comprennent comment mieux gérer leur argent et ainsi se donner les moyens d’accéder à un niveau de vie meilleur. Car les Bankomunales ne font aucun « dons », elles donnent accès à une méthodologie et permettent l’apprentissage de ces personnes qui sortent de l’assistanat pour entrer dans l’entrepreneuriat. Sœur Juaniste Iselande, coordinatrice du projet en Haïti, nous confie qu’avant d’entrer dans une Bk, les haïtiens dépensaient beaucoup de leur argent inconsciemment en dépenses qui ne participent pas à la construction d’un futur meilleur, comme les cigarettes ou les cartes téléphoniques prépayées. En dépensant de cette manière chaque semaine le peu d’argent qu’ils avaient, ils pensaient ne pas pouvoir économiser. Or, le fait d’entrer comme membre dans une Bk les oblige à économiser cet argent, et le partage d’expériences avec les autres membres de la communauté leur permet de prendre conscience de leurs erreurs et d’aller de l’avant. En effet la plupart des membres des Bk en Haïti utilisent aujourd’hui les prêts qu’ils peuvent contracter pour commencer une petite activité entrepreneuriale génératrice de revenus. Sœur Juaniste Alexandra, qui aide également au développement du projet en Haïti, nous confie : « Comme le dit le titre du projet, les Bankomunals c’est avant tout de l’innovation financière. De l’innovation car ça amène un changement, car il ne s’agit pas d’assistance où les fonds sont mis à disposition par des institutions extérieures, mais à l’inverse l’argent vient des communautés elles-mêmes et de leur travail. Quand le Bankomunal avance, la vie de ces membres avance aussi, car ils apprennent à gérer les prêts et les actions, et à en comprendre les conséquences. Ainsi c’est un projet très important, qui donne d’autres horizons, il permet de reconstruire le tissu social, ce qui est une problématique forte en Haïti suite aux catastrophes naturelles. » 4


2. La solidarité En entrant dans un Bankomunal, les membres apprennent à être solidaires les uns des autres. Par exemple, les membres d’un Bk à un moment ont décidé de ne pas emprunter d’argent pour aider une des leurs à emprunter la totalité du capital pour régler une urgence personnelle de santé. Ainsi, quand l’un des leurs est en nécessité, les autres font en sorte d’être solidaires. D’autant plus en Haiti, le sentiment de communauté est très fort, en particulier dans les zones rurales. Ainsi, les conseillères des Bk nous racontent qu’elles font ce travail non pas pour gagner un salaire, mais pour participer au développement de leur communauté. Ce sentiment de solidarité s’épanouit au sein des Bankomunales. Sœur Alexandra nous explique : « Aujourd’hui les Bk sont déjà intégrés dans les communautés, si bien que le Bk est une pièce importante de la transformation et du développement de ces communautés. »

3. La responsabilité Les obligations financières dans lesquelles s’engagent chaque membre (économiser et rembourser les prêts) sont déjà responsabilisantes en tant que telles. D’autre part, le fait d’appartenir à une communauté plus grande procure un sentiment de responsabilité envers les autres membres, mais aussi une fierté d’appartenance, qui leur donne la motivation nécessaire pour effectuer leur travail de manière sérieuse et consciencieuse. Les conseillères sont d’autant plus responsables aujourd’hui car elles doivent répondre à des exigences qui se sont durcies depuis le début du projet, dans un soucis d’efficacité : chaque conseillère doit s’assurer de la qualité de l’information financière des banques qu’elle gère.

4. La dignité En Haïti, à cause des conditions de vie difficile et du niveau de pauvreté, les citoyens sont habitués à percevoir des aides des organisations non-gouvernementales internationales. Ainsi, les responsables du projet Bankomunales ont du faire un effort pour faire comprendre qu’il ne s’agit pas ici de « dons » mais d’un projet d’inclusion financière qui a pour but de perdurer dans le temps et surtout d’être géré exclusivement par les haïtiens pour les haïtiens. Ainsi, les membres des Bk ont compris qu’ils ne gagneraient que les fruits de leur propre argent économisé. Aujourd’hui, ils savent qu’à eux seuls ils ont le pouvoir de faire de grandes choses, et ainsi de prendre leur avenir en main sans attendre des aides extérieures. Sœur Juaniste Alexandra nous confie : « Je pense que la dignité c’est le plus important, et le projet Bankomunales et son application en Haïti montre que c’est effectivement possible : qu’il existe une vie plus digne, plus stable, et que nous pouvons apprendre à nous gérer nousmêmes. Souvent on dit que les gens en situation de pauvreté n’ont pas du tout d’argent, mais c’est justement là où l’argent circule beaucoup. Car d’un côté ils recherchent de l’argent, de l’autre ils en prêtent. Au final le Bankomunal est une manière d’organiser entre eux de façon autonome ces services financiers. »

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Les étapes de notre développement 2014

2015

Naissance des Bankomunales en Haïti, suite à une visite des sœurs Juanistes à Radio Marien, radio catholique dominicaine, le partenaire de Bankomunale en République Dominicaine.

En novembre 2014 ouvre la première Bk en Haïti, « Tet ansanm ».

Développement de Bankomunales en Haïti, et visites entre les coordinatrices d’Haïti et de République Dominicaine pour échanger les expériences et partager leur vision du rôle l’éducation financière dans le développement des communautés. En décembre, première rencontre nationale des Bankomunales, à Ouanaminthe.

2016

2017

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Renforcement des Bankomunales et développement des activités communautaires : Par exemple, les membres Bk « Men nan Men », sous l’impulsion de leur conseillère Emilien, ont réalisé une collecte alimentaire pour un couple de personnes fragilisées qu’ils sont allés visiter. Les 5 autres Bk de la conseillère ont également organisés des activités similaires. En novembre a eu lieu la première rencontre régionale. 10 Bankomunales de 4 conseillères différentes se sont réunis pour célébrer leur appartenance à la communauté Bankomunal depuis 1an et demi. L’événement était festif, avec des chansons sur les Bankomunales et des danses, mais également un jeu concours avec des questions sur le fonctionnement des Bk et des prix pour les meilleurs connaisseurs. En décembre a eu lieu la deuxième rencontre nationale haïtienne. Le millier de membres des Bk était représenté par 33 représentants et les 16 conseillères, qui se sont réunis pour partager un moment de réflexion en faisant le bilan de l’année mais aussi en partageant les défis à relever pour continuer ensemble à progresser. La cérémonie s’est clôturée en fête, avec danses et chants. Grâce au bilan de l’année 2016 réalisé lors de la rencontre nationale, des premières initiatives d’amélioration sont nées : Après un test durant plusieurs mois avec 3 groupes, depuis janvier 2017 tous les membres de toutes les Bk haïtiennes ont un « livret d’épargne », pour gérer plus facilement leur finances personnelles. D’autres améliorations sont en cours d’implémentation…


Nos projets pour 2017 •

Maintenant que les conseillères comprennent bien la méthodologie Bk et surtout les enjeux de développement de communauté sous-jacents, il a été identifié lors du bilan de fin d’année 2016 la nécessité de former de la même manière les membres de l’équipe de gestion (le comité) de chaque banque. En effet, ce sont eux qui font fonctionner les banques au jour le jour, et donc il est nécessaire qu’ils aient également pleinement conscience de la vision derrière les Bankomunales, afin d’être encore plus responsables et de répandre à leur tour ces valeurs. Un autre projet impulsé par la coordinatrice est de créer une assemblée annuelle où participeraient les représentants élus des banques avec pour but de faire remonter toutes les informations sur leur fonctionnement qui peuvent être partagées à la communauté : les problèmes qu’ils rencontrent mais aussi leurs idées d’amélioration. Ce processus existe déjà de manière informelle, mais il est important pour la coordinatrice de le rendre obligatoire. Ainsi un plan d’action pour l’année suivante pourra être construit sur la base des participations de ceux qui travaillent dans ces banques, en captant leur ressenti et leurs souhaits. Pour organiser un événement de cette ampleur, comme il est nécessaire de collecter de l’argent, chaque Bk a déjà proposé d’économiser 100 gourdes chaque mois pour participer au frais de cet événement annuel. Toutes les initiatives venant des communautés sont les bienvenues, et nous espérons continuer à apprendre et à grandir ensemble !


Entretien Sœur Marleny Gomez – Directrice des sœurs Juanistes en Haiti jusqu’à février 2017

Pourquoi implémenter le programme Bankomunals a Haiti ? Tout a commencé par une invitation du père Guillermo. Il nous a invité à une réunion pour nous parler du projet des bankomunals, pensant que ça pourrait nous intéresser. Donc nous sommes allées à cette réunion, seulement pour écouter et voir de quoi ça parlait. Salomon était celui qui expliquait le principe des bankomunals, qui était lancé à Dajabon. Il nous a demandé si nous étions intéressés pour le lancer à Haïti. D’autre part, nous lui avons expliqué la manière dont nous travaillons, puisque nous travaillions notamment à travers le micro-crédit. Il nous a expliqué la différence entre le micro-crédit et ce que les Bankomunals font, qui est selon moi une innovation financière. Cela nous a paru ingénieux et intéressant. Nous avons ensuite eu une deuxième réunion, et nous avons commencé à lancer le projet à Haiti, en 2014. Nous avons commencé avec deux groupes, et déjà en 2015 il y avait de nombreux groupes. Pourquoi ce pays est il adapté pour accueillir les Bankomunales ? En Haïti cela fonctionne car ici les gens aiment travailler pour la communauté. Ainsi tout ce qui est communautaire a du succès. Et ce projet est solidaire, communautaire, d’économie pour la famille. Ainsi, je pense qu’il a beaucoup de force et de potentiel en Haïti. Quelle différence avec le micro-crédit ? Le programme Bankomunal a un impact, sur les personnes, sur la famille. Nous avons vu la différence, je la vois. Avec les micro-crédits, les gens pouvaient emprunter de l’argent. Mais comme ils devaient payer à une organisation extérieure pour rembourser ces crédits et leurs intérêts, ils ne voyaient pas bien l’amélioration de leur qualité de vie. A l’inverse, avec le Bankomunal, ils savent que l’argent est le leur, donc c’est celui de chacun, c’est la Bankomunal de tout le monde, et donc on voit facilement le progrès. Tellement que les femmes avec qui nous travaillons ne sont pas revenues à la mendicité, et pour cela le Bankomunal leur a beaucoup servi à Ouanaminthe, à améliorer leur niveau de vie.

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Que peuvent apporter les Bankomunales à ces femmes travailleuses ? La partie solidaire est très importante, le fait de s’associer. Quand il y a plus de personnes dans un groupe, ça devient plus facile. Car l’argent que je mets, que l’autre met, au final on arrive à un capital. Ce capital peut ensuite servir à une bonne cause, un investissement dans une petite entreprise, des travaux dans la maison… Alors qu’à l’inverse, avec seulement son argent personnel, seulement ces 100 gourdes, on ne peut même pas acheter un sac de ciment. Alors qu’avec les 100 gourdes de chaque personne du groupe, on peut faire de grandes choses. C’est alors beaucoup plus facile de réparer sa maison, de pouvoir envoyer son enfant à l’école… Je pense que c’est très important l’association, et le service solidaire. Car le service financier seul n’a pas le même impact, tandis que le service solidaire amène de la satisfaction, et nous nous aidons mutuellement. Quel a été l’impact de Bankomunal à Ouanaminthe ? Moi ce qui m’a beaucoup impressionné, c’est ce que ce banc où je suis assise, venaient beaucoup de personnes, surtout des femmes, pour mendier. Et beaucoup de ces femmes venaient du groupe « Femme Pa Chita », qui est l’une de nos premières banques ici. Avec la main tendue, demandant de l’argent pour son enfant malade, pour acheter un uniforme à un autre, pour acheter des cahiers, pour manger… Pour moi cette situation ne pouvait pas durer. Ainsi, avec l’aide d’une organisation allemande, nous avons commencé à lancer un programme de micro-crédit. Et quand les gens venaient mendier nous leur avons parlé du micro-crédit, en leur expliquant qu’ils ne pouvaient plus mendier, car ça ne les aidait pas à se construire ni à élever leur propre dignité. La dignité se gagne en travaillant, à travers de ce qui se fait par ses propres mains. Les choses ne se trouvent pas si facilement, il faut lutter pour les avoir. C’est ainsi que nous avons commencé avec le micro-crédit. Le micro-crédit a aidé un peu, et même si certaines personnes n’arrivaient pas à payer, elles ressentaient qu’elles avaient reçus un prêt, et au final la majorité remboursait le prêt car elles étaient reconnaissantes du service. Mais le micro-crédit n’était pas suffisant pour améliorer leur qualité de vie. C’est pourquoi selon moi Bankomunales était la solution, plus efficace, car basée sur leur propre argent. Mais ça n’est pas garder son argent caché et ne le sortir qu’à la fin de l’année, mais plutôt que chaque mois, chaque membre a l’opportunité d’économiser ou d’emprunter de l’argent pour investir.

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