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LA CONSOMMATION DE VIANDE FAVORISE-T-ELLE LA SURVENUE D’UN DIABÈTE DE TYPE 2 ? Fernand LAMISSE

Introduction Il y a actuellement en France plus de deux millions de diabétiques de type 2 auxquels il faut ajouter environ 800 000 cas méconnus. L’augmentation de la maladie entre 1995 et 2002 a été de 38 % avec une croissance annuelle de 5,43 % [1]. Parmi les facteurs de risque qui tentent d’expliquer l’augmentation de l’incidence du diabète de type 2 en France et au niveau mondial, il faut essentiellement retenir la sédentarité et la progression de l’obésité chez l’adulte, mais aussi chez l’enfant [2]. Le rôle de certains aliments a aussi été évoqué dans la survenue du diabète de type 2 [35] et la responsabilité des viandes a fait l’objet de plusieurs publications ces 10 dernières années. L’objectif de notre travail est de faire le point sur ce sujet à partir des publications les plus récentes [6-9].

Relation entre la consommation de viande et la survenue du diabète de type 2 Nous avons procédé à l’analyse bibliographique de 4 études publiées entre 2002 et 2006. La première étude concernait 42 504 hommes âgés de 40 à 75 ans, suivis pendant 12 années [6] dont 1 321 ont développé un diabète de type 2 durant la période de suivi. Les consommations alimentaires incluaient, entre autres, les graisses saturées et les viandes transformées (bacon, hot-dog et saucisses). Lorsque l’on comparait la fréquence de consommation des viandes transformées réparties en 5 quintiles (le 1er quintile concerne une consommation de moins d’une fois par mois et le 5e quintile, 5 fois ou plus par semaine), le risque relatif (RR) de développer un diabète de type 2 était de 1,46 pour les patients du 5e quintile comparés à ceux du 1er quintile. Lorsqu’il s’agissait de viande rouge non transformée et de volailles, les plus gros consommateurs n’avaient pas de RR plus important de développer un diabète que les plus petits consommateurs (RR 1,05 pour la viande rouge, 1,12 pour la volaille) en dehors de la consommation de hamburgers (RR 1,27). Il

Maison du Diabète et de la Nutrition, 2, rue Jean-Baptiste-Greuze, 37200 Tours. Correspondance : Fernand Lamisse à l’adresse ci-dessus. Email : maisondudiabete-tours@wanadoo.fr

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en était de même pour l’agneau et le porc. Bien que les quantités totales de viandes consommées n’aient pas été précisées, les auteurs ont insisté sur le rôle que pourrait jouer la consommation trop fréquente de graisses totales, de graisses saturées et de viandes transformées (bacon, hot-dog et saucisses). Dans une seconde étude publiée en 2003, un diabète de type 2 a été rapporté chez 741 infirmières parmi les 91 246 suivies pendant 8 années et âgées de 26 à 46 ans. Le RR de survenue d’un diabète de type 2 était de 1,91 chez les femmes qui consommaient des viandes transformées (bacon, hot-dog et saucisses), cinq fois par semaine ou plus, par opposition à celles qui en consommaient moins d’une fois par semaine, et ceci en tenant compte de nombreux facteurs de confusion potentielle dont l’index de masse corporelle (IMC) et l’âge. Le RR le plus élevé apparaissait pour le bacon (1,71), les hot-dog (1,45) et les saucisses (1,32). Pour les viandes non transformées : viandes rouges (bœuf, agneau), ou le porc, le RR de survenue d’un diabète de type 2 était de 1,58 pour une consommation de plus de 5 fois par semaine comparée à moins d’une fois par semaine. Ce RR diminuait cependant après ajustement pour certains facteurs alimentaires tels que le magnésium, les fibres céréalières, l’index glycémique et la caféine. Il était alors de 1,26 et n’était plus significatif (p : 0,269). Pour une consommation de volailles 5 fois par semaine ou plus par opposition à moins d’une fois par semaine le RR était diminué à 0,78 (p ⬍ 0,017). L’étude européenne EPIC comporte une cohorte de 27 548 sujets âgés de 35-65 ans suivis entre 1994 et 1998. Les auteurs ont constaté l’apparition de 192 diabètes de type 2 qui ont été appariés à 382 sujets contrôles pour l’âge et le sexe [8]. Les 574 patients ont été soumis à un questionnaire de fréquence alimentaire portant sur la consommation de 148 aliments rangés en 48 groupes et ingérés dans les 12 derniers mois (tableau I). La taille des portions a été exprimée en grammes par jour. L’IMC et le tour de taille ont été calculés pour tous les patients. Dans le plasma, l’HbA1C, le HDL-cholestérol, la C-réactive protéine et l’adiponectine ont été dosés. Dans le groupe des 192 diabétiques, l’HbA11C et la CRP étaient plus élevées que chez les non-diabétiques, le HDL et l’adiponectine étaient plus bas. Cinq quintiles ont été constitués pour l’ensemble des 574. Dans le 1er, les consommations les plus élevées concernaient les viandes rouges, les volailles, les viandes transformées, mais aussi les œufs, les pommes de terre frites, le beurre, l’alcool, les fromages gras, les Cah. Nutr. Diét., 43, Hors-série 1, 2008


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viande et santé Tableau I. Différences de consommation de 15 groupes d’aliments entre le 1er et le 5e et quintile [d’après Kristin Heidemann [8] avec son aimable autorisation].

Groupe d’aliments (g/j)

1er quintile

5e quintile

p

Viande rouge

65,4 ± 3,6

31,8 ± 1,7

⬍ 0,0001

Volailles

22,6 ± 2,0

8,37 ± 0,7

⬍ 0,0001

Viandes transformées

91,2 ± 3,6

42,0 ± 2,9

⬍ 0,0001

Poissons

28,7 ± 1,1

11,6 ± 0,9

0,08

Pizza

6,47 ± 0,97

4,33 ± 0,53

0,04

Légumes crus

48,2 ± 4,0

54,6 ± 3,5

0,77

Pommes de terre frites

21,3 ± 1,7

12,8 ± 1,4

⬍ 0,0001

Légumineuses

45,8 ± 3,1

20,2 ± 16

⬍ 0,0001

105 ± 7

204 ± 12

⬍ 0,0001

32,2 ± 4,4

54,0 ± 5,3

⬍ 0,0001

170 ± 7

102 ± 6

⬍ 0,0001

Beurre

13,6± 1,8

7,50 ± 0,94

0,0003

Fromages riches en graisses

32,8 ± 2,7

23,4 ± 2,2

0,001

Huiles végétales

3,65 ± 0,34

3,02 ± 0,26

0,02

Alcools

6,22 ± 1,35

1,41 ± 0,43

0,0008

Fruits frais Pain complet Pain en dehors pain complet

produits laitiers riches en graisses, les desserts (tableau I). Après ajustement pour de nombreux facteurs de confusion potentielle, les auteurs ont constaté un plus grand nombre de diabétiques dans le 1er quintile (54 vs 60 contrôles) comparé au 5e quintile (25 vs 90 contrôles). De même, dans le 1er quintile, l’HbA1C et la CRP étaient plus élevées, le HDL-cholestérol et l’adiponectine étaient plus bas. Si le modèle alimentaire du 1er quintile comparé au 5e comportait plus de viandes rouges et de viandes transformées, il comportait aussi plus de fromages, de graisses animales totales, moins de fruits, mais plus légumes et, de ce fait, il n’était pas possible d’attribuer aux seules viandes le RR plus important de développer un diabète de type 2. L’étude la plus récente a été publiée en octobre 2006. Elle concernait 70 609 femmes chinoises sans histoire de diabète de type 2 au moment du recrutement, âgées en moyenne de 52 ans et suivies pendant 4,6 années [9]. Les données de l’alimentation ont été évaluées par un questionnaire de fréquence. Le rôle de la consommation de viandes transformées ou non a été étudié dans la survenue du diabète de type 2. Cinq quintiles tenaient compte de la fréquence de consommation et des quantités ingérées en grammes par jour. Les ajustements ont été faits pour l’âge, les apports énergétiques totaux, l’IMC, le rapport taille/hanches, la consommation de légumes, le tabac et l’alcool, l’activité physique, le niveau d’éducation et les antécédents d’hypertension artérielle ou de maladie chronique. Un diabète de type 2 a été identifié chez 1 979 femmes. La consommation de viandes non transformées, en particulier les volailles, était associée à une diminution du RR de survenue d’un diabète de type 2. Dans le groupe où la consommation de viandes non transformées était la plus élevée (en dehors des volailles), si l’on tenait compte de l’IMC, le RR de survenue d’un diabète de type 2 était plus important chez les femmes obèses et diminuait chez les femmes minces. La consommation de viandes transformées était positivement corrélée au RR de survenue d’un diabète de type 2 (p = 0,04). Cah. Nutr. Diét., 43, Hors-série 1, 2008

Comment les viandes pourraient-elles entraîner la survenue d’un diabète de type 2 ? Les nitrates et les nitrites, les graisses, les produits terminaux de glycation et le fer héminique des viandes sont parmi les hypothèses évoquées pour expliquer leur rôle dans la survenue d’un diabète de type 2. Les nitrites sont communément utilisés dans la conservation des viandes et les viandes transformées en sont une source majeure [6]. Certains conservateurs, additifs, ou autres agents chimiques peuvent aussi contenir des nitrates et des nitrites. Les nitrosamines, formées par interaction des nitrites avec les amines des viandes, sont, pour certaines d’entre elles, des toxines des cellules β des îlots de Langerhans [10]. Le rôle des produits terminaux de glycation avancée (« Advanced glycation end products ») a également été rapporté dans le développement d’un diabète de type 2 [11]. Les graisses animales et les viandes contiennent des quantités importantes d’ « Advanced glycation end products ». Ces derniers sont retrouvés dans certains produits transformés d’origine animale : saucisses de Francfort, bacon, poudres de blancs d’œufs. Chez des patients diabétiques, la diminution des « Advanced glycation end products » a conduit à une diminution des marqueurs de l’inflammation caractéristiques de la maladie vasculaire du diabète. Le rôle de la prise alimentaire de fer a également été évoqué dans une étude qui concernait 38 394 hommes de 40 à 75 ans dont 33 541 étaient des donneurs de sang. Ils ont été suivis pendant 12 ans. Un diabète de type 2 est apparu chez 1 168 sujets. Après ajustement pour l’âge et l’IMC, il n’y a pas eu de relation établie entre la prise totale de fer et le risque de survenue d’un diabète. Il n’a pas été davantage possible d’établir un lien entre le fer héminique de la viande rouge et l’augmentation du risque de diabète de type 2 [12]. 1S59


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viande et santé Conclusion Trois des 4 études rapportées entre 2002 et 2006 ont constaté une relation entre la survenue d’un diabète de type 2 et la fréquence de consommation des viandes seulement lorsqu’elles étaient transformées. Les hypothèses retenues pour tenter d’expliquer cette relation ont été les nitrosamines et la formation de produits terminaux de glycation avancée. Aucune de ces 2 hypothèses n’emporte la conviction. Les viandes transformées (saucisses, pâtés, plats cuisinés et conserves de viande) sont, pour la plupart, riches en graisses et, malgré des résultats contradictoires, il n’est pas interdit de penser qu’une consommation excessive participe à la prise de poids, l’insulinorésistance et la survenue du diabète de type 2.

Résumé Le but de ce travail est d’évaluer les relations éventuelles entre la consommation de viande et la survenue d’un diabète de type 2 à partir de 4 travaux récents publiés entre 2002 et 2006. Dans l’étude de 2002, une consommation fréquente de viandes transformées augmente le risque de survenue d’un diabète de type 2, de même que la consommation de graisses totales et de graisses saturées. Toutefois, cette dernière association doit prendre en compte l’IMC. Dans la 2e étude, une consommation élevée de viande rouge, spécialement sous forme transformée, peut augmenter le risque de survenue d’un diabète de type 2. Dans l’étude prospective EPIC, le risque de survenue d’un diabète de type 2 est associé au score alimentaire riche en boissons caloriques et sucrées, en bière, viande rouge, volailles, viandes transformées, légumineuses et pain. Ces résultats sont indépendants de l’IMC et du rapport taille sur hanches. Dans l’étude la plus récente, la consommation de viande transformée était positivement associée au risque de diabète de type 2. Il en était de même pour les viandes non transformées chez les obèses. La plupart de ces études suggèrent que certains composants des viandes transformées pourraient intervenir dans la survenue d’un diabète de type 2. Parmi ces composants, elles citent les nitrosamines potentiellement toxiques pour les cellules β-pancréatiques. Il en serait de même des produits terminaux de glycation avancée (AGE s). Le rôle du fer corporel et du fer héminique a aussi été envisagé dans la survenue d’un diabète de type 2, mais aucune certitude n’a pu être établie. Mots-clés : Diabète de type 2 – Consommation de viande.

Abstract The aim of our study was to assess the relation between meat and incidence of type 2 diabetes, from four recently published epidemiological prospective studies. In the first study, total and saturated fat intake were associated with a higher risk of type 2 diabetes but these associations were not independent of BMI. Frequent consumption of processed meats may increase risk of type 2 diabetes. In the second study, a higher consumption of various processed meats may increase risk of developing type 2 diabetes. In the EPIC-Potsdam study, a dietary pattern score with a high intake of red meat, poultry, processed meat, 1S60

legumes end bread, was prospectively associated with a substantially higher risk of type 2 diabetes, independently of BMI and WHR. In the fourth study, processed meat intake was positively associated with the risk of type 2 diabetes and there was an indication that the effect of unprocessed meat intake on type 2 diabetes may be modified by BMI. Most of these studies indicate that components of processed meats, other than fatty acids and cholesterol might be relevant in the development of type 2 diabetes. Processed meats may include nitrites, nitrates and heterocyclic amines formed during cooking. Nitrosamines may be toxic to pancreatic cells. In addition advanced glycation end-products formed in meat and high fat products through processing have been associated with diabetes complications in humans. There is no evidence that total iron intake or heme-iron intake are related independently to the risk of type 2 diabetes. Key-words: Type 2 diabetes – Meat intake.

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