Planète Paix n°574

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ACTUALITÉ Armes nucléaires

Un mensonge français

D Ex-ministre de la Défense de 1985 à 1986, président de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale de 1997 à 2002, maire de Cordessur-Ciel (Tarn), membre de Global Zero, Paul Quilès publie « Nucléaire, un mensonge français » dans lequel il réexamine les hypothèses faites en France sur la dissuasion nucléaire. 6

N° 574 - Septembre 2012 - Planète PAIX

epuis que j’ai publié un livre sur le désarmement nucléaire , je reçois plusieurs types de commentaires. Il y a ceux qui me félicitent de m’élever contre l’omerta, qui entoure ce sujet si grave, devenu une sorte de tabou. Il y a aussi ceux qui me traitent d’irresponsable, incapable de comprendre le danger que cette réflexion ferait courir à l’indépendance et à l’autonomie de décision de la France. Il y a encore ceux qui me considèrent comme un dangereux pacifiste, qui ne comprend pas l’état du monde et les risques de prolifération nucléaire. Bien entendu, ces critiques me stimulent et je ne me prive pas de répondre et d’expliquer ma position, qui n’a rien à voir avec ces caricatures. Il s’agit malheureusement d’ailleurs d’un grand classique de la vie politique, qui consiste à caricaturer une position pour mieux la démolir et empêcher un vrai débat. Quand je vois l’état du monde, de ses désordres, des guerres, des menaces de conflit et d’embrasement, je me dis que c’est mon devoir de parler. J’ai été ministre de la défense, il y a 26 ans, à l’époque où la course aux armements, notamment nucléaires, continuait entre l’Est et l’Ouest. Mais le monde d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était avant 1989. Le mur de Berlin est tombé, l’URSS n’existe plus, pas plus que l’affrontement des blocs Est/Ouest. C’est pourquoi j’ai évolué, me refusant à rester attaché à ce qui ressemble de plus en plus à des dogmes. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ont fait le même cheminement que moi, en particulier d’éminentes personnalités signataires du mouvement « Global Zero ». Depuis une dizaine d’années, j’ai émis des doutes à haute voix sur la stratégie de dissuasion nucléaire, sur ses dangers et sur son caractère inadapté au monde du 21ème siècle, surarmé, multipolaire, soumis à des conflits asymétriques et incapable de respecter les objectifs du Traité de non prolifération (TNP). C’est donc bien parce que je crois connaître le sujet, que j’ai abordé à plusieurs reprises dans mes diverses fonctions politiques et parce que j’ai moimême évolué dans mon approche, que je ne peux me satisfaire de ces silences, ces approxi-

mations, ces slogans ou ces arguments d’autorité qui entourent la question de l’armement nucléaire. C’est cela que j’appelle « un mensonge français », fait d’une dizaine de contre-vérités, que je ne ferai ici qu’énoncer : • L’armement nucléaire est notre « assurance vie ». • La dissuasion interdit toute attaque nucléaire. • Notre armement correspond au principe de « stricte suffisance ». • C’est indispensable pour lutter contre la prolifération. • Nous respectons le TNP. • Nous ne pouvons pas demander le retrait des armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe. • Cet armement ne coûte pas cher. • Il assure notre indépendance. • Il nous permet de faire entendre notre voix au Conseil de sécurité. • Il y a un consensus en France sur cette question. Sur chacun de ces points, il doit y avoir une confrontation avec les tenants de la doxa, notamment sur le dernier. Ce « consensus français » sur le nucléaire ne peut être qu’un consensus par défaut, en l’absence d’un véritable débat, qui supposerait la confrontation et l’expression des désaccords, ainsi qu’une information complète du public. Or ces conditions ne sont pas remplies. Le terme de consensus est donc déplacé et quelque peu mystificateur.


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