L astrolabe

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La face circulaire ou le dos de l’astrolabe de Béthencourt

Fiche focus

Astrolabe Quadrant

Sur cette face sont gravés différents cercles, qui constituent trois systèmes indépendants. Décrivons ces systèmes depuis l’extérieur jusqu’au centre des cercles : 1

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Bibliographie Ph. Dutarte, «Principe et usage de l’astrolabe planisphérique» in E. Hébert (dir.), Instruments scientifiques à travers l’histoire, Paris, 2004. • Le premier de ces systèmes, à l’extérieur, est un calendrier zodiacal,

donnant la position du soleil sur l’écliptique en fonction de la date dans l’année. Une première zone circulaire contient les différents signes du zodiaque (1), chacun de ces signes étant partagé en 30°. Dans une deuxième zone (2), on retrouve les jours du calendrier julien, avec les noms de mois en latin. On utilise une des deux alidades pour visualiser la correspondance entre le jour et la position dans le zodiaque. Une fois le soleil localisé dans le zodiaque, en fonction de la date, il peut être placé sur l’écliptique de la face avant.

• Le deuxième système (3), en allant un peu plus vers l’intérieur,

est un zodiaque lunaire. On sait que la lune a une période sidérale d’un peu moins de 28 jours c’est-à-dire qu’elle occupe la même place par rapport aux étoiles au bout de presque 28 jours (à distinguer du cycle des phases, pour lesquelles la période est de 29,53 jours). Elle se déplace, à peu de choses près, dans l’écliptique : les astronomes indiens ont donc choisi de partager l’écliptique en 28 constellations, ou mansions lunaires. Ces mansions sont décrites sur l’astrolabe et leurs étoiles les plus représentatives sont dessinées : l’utilisation qui en est faite est essentiellement astrologique.

• Le dernier système est une sorte d’ingénieux calendrier pour la détermination de la date de Pâques d’une année quelconque du calendrier julien. Dans une première zone (4), figurent les noms Martius (mars) et Aprilis (avril), puis dans une autre zone (5), les dates du 22 mars au 25 avril, limites extrêmes de la fête de Pâques. Plus à l’intérieur (5), on retrouve les éléments du calcul de la date de Pâques : lettre dominicale, cycle solaire de 28 ans, cycle (lunaire) de Méton de 19 ans. • Enfin, un compas lunaire, constitué de deux alidades, dont une est solidaire d’un cercle gradué de 1 à un peu plus de 29, permet de déterminer l’âge de la lune13.

Cette deuxième face donne à l’astrolabe de Béthencourt des capacités nautiques : des calculs sommaires de marées, liées comme chacun sait à la lune, peuvent être faits et permettent à un marin de connaître l’heure de la pleine mer dans un port donné14... Ce double aspect, astronomique et nautique, donne à l’astrolabe de Béthencourt une particularité que peu d’instruments possèdent. Il témoigne aussi de l’ambition des Normands du XIVe siècle en matière de navigation : ils avaient entre les mains un instrument perfectionné15 à une époque où aucun peuple ne pratiquait la navigation au long cours. S’en sont-ils servi ? La question peut être posée mais aujourd’hui, nul ne peut l’affirmer, en l’absence de documents formels... Christian Vassard, Association Sciences en Seine et Patrimoine

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Qui donne le nombre de jours écoulés depuis la nouvelle lune. Et donc de savoir grosso modo s’il y avait assez d’eau dans un port pour pouvoir accoster. Que très peu de marins devaient maîtriser...

Ch. Vassard, «L’astrolabe quadrant» in E. Hébert (dir.), Instruments scientifiques à travers l’histoire, Paris, 2004. R. d’Hollander, L’astrolabe, histoire, théorie pratique, Paris, 1999.

et

«L’astrolabe dit de Béthencourt et la science nautique des Normands au moyen Âge», Bulletin de géographie historique et descriptive, vol. 3, 1909. On pourra aussi utilement consulter le site de l’Association Sciences en Seine et Patrimoine, notamment : http://assprouen.free.fr/dossiers/ astrolabe_bethencourt.phps http://assprouen.free.fr/dossiers/ astrolabe_planispherique.php

Musée départemental des Antiquités 198 rue Beauvoisine 76000 Rouen musee-des-antiquites@cg76.fr Conservateur en chef : Nathalie Roy Crédit photographique : Yohann Deslandes

IMP. Département de Seine-Maritime / Mars 2011

Figure 11. Une partie du dos de l’astrolabe


Astrolabe Quadrant

L’astrolabe quadrant du musée départemental des Antiquités est un très bel instrument en cuivre : il a la forme d’un quart de cercle de 169 millimètres de rayon, pesant 465 grammes et à peine épais de plus de 2 millimètres.

La sphère armillaire est un des plus beaux instruments astronomiques qui soit, permettant de représenter l’univers tout entier, tel qu’on le concevait au moyen âge et depuis l’Antiquité Grecque selon la conception dite géocentrique 9 : la terre est au centre du monde, immobile ; le soleil, les planètes, la lune et les étoiles tournent tous autour de la terre. • Mais une sphère armillaire est encombrante, et en conséquence difficile à transporter. L’astrolabe planisphérique en est une version aplatie, ... mathématiquement, cela va de soi ! C’est un peu comme si l’on cherchait à dresser le plan ou la carte d’une sphère armillaire. Il faudrait d’abord choisir un point de vue : c’est le pôle sud de la sphère, là où est placé le personnage de la figure 8 ; les différents cercles, graduations et étoiles sont alors ramenés dans le plan de l’équateur. •

Description de l’instrument • Il est composé de deux faces. L’une est la face avant (à droite sur la figure 1), celle que l’on peut qualifier de face astronomique de l’astrolabe, en ce sens qu’elle propose un véritable modèle réduit de l’univers. Quelques étoiles, comme Altaïr, y sont dessinées. On y trouve aussi de nombreux tracés, quelque peu ésotériques pour le profane, et diverses graduations sur le pourtour de l’instrument. Il manque de nos jours à cette face un fil à plomb sur lequel pouvaient coulisser deux perles. Alors que les lettres qui figurent sur l’instrument sont à peu près reconnaissables pour un œil moderne, on est surpris par la forme très particulière des chiffres, comme on peut le constater par exemple sur la graduation qui longe les deux pinnules* :

Une des étoiles de l’astrolabe

Pôle nord de la sphère

Figure 4. Echelle trigonométrique : une graduation de 5 en 5, de 5 à 60 sur l’échelle inférieure et de 65 à 120 sur l’échelle supérieure

Figure 1. L’astrolabe quadrant du musée départemental des Antiquités à Rouen (Photo François Dugué)

Cet astrolabe, dont la fabrication remonte à la fin du Moyen Age (XIVe siècle), est de nos jours un objet très rare : on en dénombre1 aujourd’hui quatre de par le monde, dont deux en France2. Le musée départemental des Antiquités en a fait l’acquisition au milieu du XIXe siècle et, depuis, il trône, fièrement mais discrètement, dans sa vitrine.

Astrolabe de Béthencourt ? On a supposé longtemps que cet astrolabe a appartenu au grand navigateur normand Jean de Béthencourt (1360 environ-1425), qui en 1402 est parti conquérir les Îles Fortunées3 et en est revenu, ruiné, avec le titre exotique de «roi des Canaries». Mais les historiens pensent aujourd’hui que cette affirmation est très probablement erronée. Il demeure cependant commode de l’appeler «astrolabe de Béthencourt» et il n’en reste pas moins que cet astrolabe est rouennais, comme le prouve le magnifique étui qui l’accompagne, orné des armes de la ville de Rouen4 .

Figure 2. Jean de Béthencourt (tiré de Les premiers explorateurs, Jules Verne, Diderot Éditeur)

L’autre, une face circulaire (à gauche sur la figure 1), le dos de l’astrolabe, est constituée de différents cercles presque tous concentriques ; deux « règles » qu’on appelle des alidades5 peuvent tourner autour du centre de ces cercles. Sur le côté vertical de l’instrument, subsiste une pinnule alors que l’autre a disparu : ces deux pinnules servaient essentiellement à mesurer la hauteur6 d’un astre (soleil ou étoile) sur l’horizon, ou à viser le sommet d’une tour ou le fond d’un puits... C’est la fonction de base d’un astrolabe en général, à partir de laquelle seront déduites de nombreuses autres informations. Figure 5. Astronomes observant le ciel sur le mont Athos, Étymologiquement, d’ailleurs, l’astro- MS 24,189,f.15 XVe siècle, British Library Board (MS 24 189, f.15) labe est un « preneur d’étoiles ». La visée est directe, quand il s’agit d’une étoile7, en utilisant les deux pinnules (voir fig. 5.) : la hauteur h, qui est l’angle SIH de la figure 6, se retrouve en GCD et se lit directement sur la graduation extérieure. Pour le soleil, il vaut mieux ménager ses yeux et procéder par ombre portée, en cherchant à superposer l’ombre, produite sur le sol, des deux pinnules*. Cette hauteur est un élément permettant de déterminer la latitude du lieu où la mesure a été faite : elle est donc importante pour les marins. A ce titre, l’astrolabe de Béthencourt est un lointain 6. Mesure de la hauteur d’un astre avec ancêtre de nos sextants modernes, incompara- unFigure astrolable (tiré de L’astrolabe, R. d’Hollander) blement plus précis8.

De la sphère armillaire à l’astrolabe quadrant Pôle nord céleste Axe de rotation de la « sphère des fixes » Écliptique c’est-à-dire parcours apparent du soleil autour de la terre pendant une année

Horizon de l’observateur

Figure 3. Etui en cuir de l’astrolabe, (Photo François Dugué) Figure 7. sphère armillaire, gravure tirée de La Cosmographie de Pierre Apian, 1544, (Photo Bibliothèque Municipale de Rouen), Thierry Asciendo-Parvy, U 7862. Étymologiquement, ce mot vient de l’arabe al-idãda, la règle. 6 Attention, cette hauteur est un angle... 7 Ou le sommet d’une tour par exemple pour en calculer la hauteur. On s’appuie alors sur le traditionnel carré géométrique de la face astronomique. 8 Il faut être très soigneux pour réaliser une mesure à moins de 1° près avec un instrument de ce type. Et il faut se souvenir qu’une erreur de 1° en latitude correspond à une distance d’un peu plus de 100 kilomètres ! * Petite plaque de cuivre, élevée perpendiculairement à chaque extrémité d’une alidade et percée d’un petit trou ou d’une petite fente pour laisser passer les rayons lumineux ou les rayons visuels. 5

Selon Raymond d’Hollander, dans L’astrolabe, histoire, théorie et pratique, publié par l’Institut Océanographique en 1999. L’autre instrument français appartient au musée Saint-Jean à Angers. Nos îles Canaries... 4 Un mouton qui regarde en arrière, tandis qu’au loin flotte un drapeau... On retrouve les armes de la ville de Rouen sur le célèbre Gros-Horloge, édifié à la fin du XIVe siècle. 1 2 3

Écliptique

Figure 8. Aplatir une sphère

Équateur céleste

Figure 9. Un astrolabe planisphérique, Musée des Arts et Métiers, Paris

• L’astrolabe quadrant est inventé à la fin du XIIIe siècle par un astronome et traducteur de planisphérique, en supprimant quelques-uns de ses tracés et ... le plie véritablement en quatre : toutes les graduations, lignes, étoiles se retrouvent dans un seul et même quart de cercle.

Figure 10. On plie en quatre ou... de l’astrolabe planisphérique vers l’astrolabe quadrant (tiré de L’astrolabe, R d’Hollander)

Par ailleurs, les pièces en mouvement de l’astrolabe traditionnel sont remplacées par... un fil, muni d’une perle pouvant coulisser sur ce fil 11. Il réalise ainsi un instrument plus facile à fabriquer, plus simple dans ses tracés, fonctionnant à diverses latitudes, permettant une lecture plus précise puisque le quart de cercle va couvrir une surface plus grande que sur un astrolabe traditionnel. En revanche, il est plus complexe à maîtriser. Voici comment un quart de cercle peut contenir l’univers tout entier... • Quelles sont les utilisations possibles de cette face de l’astrolabe ? La plupart des utilisations astronomiques d’un astrolabe planisphérique sont possibles avec l’astrolabe quadrant, mais là où une lecture suffisait sur ce dernier, une lecture, et souvent un calcul de nature trigonométrique, seront nécessaires... Pour gérer ces délicats calculs, l’astrolabe quadrant contient une échelle trigonométrique, le long des pinnules (graduation de la figure 4.), qui fonctionne avec le fil et les perles. Après avoir repéré la hauteur d’un astre, il est possible, en des endroits de latitudes différentes : - de déterminer l’heure, à tout moment de la journée (si l’on vise le soleil) ou de la nuit (en visant une étoile... figurant sur la face avant) ; - la durée du jour, ou de la nuit à toute époque de l’année. Il est aussi possible de relever les coordonnées équatoriales des étoiles12 et du soleil à une date donnée. Remise en cause comme on le sait par l’astronome polonais Nicolas Copernic en 1543. À cette époque très largement ouverte à la science orientale. Fil et perle qui n’existent plus sur l’astrolabe du musée des Antiquités. 12 Comme ces coordonnées varient avec le temps, cette détermination permet de dater l’instrument.

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