"Frank Sinatra 100" - pages 1-30

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CHARLES PIGNONE

Avant-propos

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NANCY SINATRA FRANK SINATRA JR. TINA SINATRA

FONDS MERCATOR


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Table des matières

Préface

CHARLES PIGNONE

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THE VOICE

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL 1953–1972

1973–1998

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Postface

Postface

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NANCY SINATRA

FRANK SINATRA JR.

TINA SINATRA

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1915–1952

OL’ BLUE EYES

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Introduction

STEVE WYNN

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TONY BENNETT

Préface

DISCOGRAPHIE choisie 278 • FILMOGRAPHIE choisie 281 CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES 285 • INDEX 286


PRÉFACE

TONY BENNETT

Préface

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1965, et un ami américain m’appelle et me dit : « Attends de voir ce que Sinatra a écrit sur toi dans le magazine LIFE ». Après avoir lu l’article, je suis tombé de ma chaise ! Frank avait dit au journaliste : « Pour moi, Tony Bennett est le meilleur chanteur dans le métier. Il m’enthousiasme quand je le regarde. Il m’émeut. C’est le chanteur qui fait le mieux passer ce que le compositeur veut dire, et sans doute davantage encore ». Avec ces paroles, il a eu en fait la gentillesse de m’offrir tout son public car après ça, ses fans ont commencé à venir m’écouter. Ses commentaires ont triplé mon audience. La déclaration de Sinatra a changé ma vie. Depuis lors, je joue à guichets fermés partout dans le monde et je crois que c’est la chose la plus généreuse qu’un artiste ait jamais faite pour un autre. Un autre moment inoubliable a eu lieu lors de son concert télévisé en direct en 1974, The Main Event. Ma mère était malheureusement très malade à cette époque. La sachant mourante, j’étais avec elle ce soir-là pour regarder le show. Pendant le concert, Sinatra a cité mon nom de manière très élogieuse. Ma mère a entendu ces commentaires et je suis persuadé que ça lui a permis de vivre six mois de plus. Comme le reste de ma famille, elle était si fière que Frank m’ait rendu cet hommage. Je l’adore pour tout cela. Une nuit, peu avant sa mort, nous dînions ensemble chez lui. Frank me dit : « Je ne crois qu’en une chose et en rien d’autre... la loyauté ». J’ai compris alors que toute la vie de Sinatra tournait autour de ce principe. Je veux dire par là que s’il aimait quelqu’un, il l’adorait, et s’il ne l’aimait pas, il ne vous laissait même pas prononcer son nom. Frank Sinatra est devenu mon meilleur ami dans le métier. J’ai eu le grand plaisir de fêter avec lui de nombreux anniversaires et j’ai eu l’honneur de chanter pour son cinquantième, son soixante-quinzième et son quatre-vingtième anniversaire. On ne passait pas beaucoup de temps ensemble, mais quand c’était le cas on s’amusait toujours comme des rois. Alors que nous célébrons son centième anniversaire, Frank est toujours au devant de la scène. Même s’il me manque, c’est très réconfortant que son héritage – la merveilleuse musique qu’il nous a laissée – reste vivant pour que les générations à venir en tirent autant de plaisir que moi.

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ci-contre  •  Tony Bennett dans son atelier à Manhattan.

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n Frank Sinatra, j’ai trouvé mon plus grand mentor. À mes yeux, il a créé la plus belle musique jamais sortie d’Amérique. Je n’oublierai jamais ma première rencontre avec Frank. C’était en 1956, au Paramount Theatre à New York. J’étais le petit nouveau et Perry Como m’avait pris comme remplaçant pour son show estival. La chaîne de télé NBC avait réduit le budget de ma production, ne me permettant que très peu d’invités et un orchestre restreint. J’étais inquiet de l’impact de ces changements et je ne savais pas trop quoi faire. Une seule personne pouvait m’aider : Frank Sinatra. Frank jouait au Paramount et j’ai décidé d’essayer d’aller le voir. Des proches m’avaient prévenu : « Tu es sûr ? Parfois il peut être très dur ». Comme j’étais un immense fan depuis mon adolescence et que j’adorais sa façon de chanter, je me disais qu’il comprendrait mon problème. J’ai donc tenté ma chance et je me suis pointé en coulisses entre deux prestations. J’ai dit à un garde que je voulais voir M. Sinatra. Le garde a transmis le message à Frank, qui a dit : « Fais-le monter ». J’entre dans la loge de Frank Sinatra et je me présente : « Je suis Tony Bennett ». À ma grande surprise, il me répond : « Je sais, ton disque est joué partout. Qu’est-ce que je peux faire pour toi, fils ? » Je lui explique la situation : « Je dois chanter en direct à la télé chaque semaine et je suis terriblement nerveux. Je ne sais tout simplement pas quoi faire ! » Frank m’a dit : « Ne t’inquiète pas de ça, gamin. Si le public voit que tu as le trac il te soutiendra encore plus ». C’est ainsi qu’il m’a donné le meilleur tuyau de toute ma vie professionnelle. Rencontrer Frank et recevoir ce conseil amical m’a aidé à surmonter mon trac sur scène. Mais laissez-moi aussi vous parler du « pouvoir » de Frank Sinatra. J’étais à Londres pour un spectacle en

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PRÉFACE

STEVE WYNN

Préface

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Répondez à cette simple question et vous comprendrez la force de Sinatra : imaginez que vous êtes de sortie et que Sinatra joue, et vous demandez à votre partenaire « Qui allonsnous voir ce soir, Sinatra ou... ? » Il n’y a pas de « OU » ! Frank possédait ce charisme qui n’est donné qu’à quelques rares autres personnes de mon entourage. Dès qu’il entrait dans une pièce, l’atmosphère devenait électrique. Tout changeait. Sa seule présence faisait que les gens se comportaient différemment. Durant toutes les années durant lesquelles j’ai travaillé avec Sinatra, ce que j’ai le plus aimé était d’être avec lui. Quand il s’agissait de glander et de s’amuser, Frank était sans égal. Ce qu’il préférait, c’était être entre copains, un Jack Daniel’s en main, desserrer sa cravate et être au centre de l’attention. Il était l’hôte le plus attentionné et un merveilleux conteur ; j’étais stupéfait de voir comme il se rappelait le moindre détail, depuis l’époque de Harry James et Tommy Dorsey jusqu’à celle de ses films. Il adorait aussi parler de ses amis les plus proches comme Joe E. Lewis, Dean Martin et Sammy Davis Jr. L’une des choses rarement évoquées à propos de Frank, c’est sa délicatesse envers ses amis. Il pouvait être extraordinairement prévenant. Le grand public ne voyait pas ce côté doux, car en dehors de ses chansons, il montrait rarement ses émotions. Il aimait les enfants et les chiens. Il y a des années, lors d’une tournée mondiale, il visitait un orphelinat et une fillette aveugle lui demande : « De quelle couleur est le vent ? » Les larmes aux yeux, il lui répond tendrement : « Ma douce, personne ne le sait car le vent bouge trop vite ». En matière de pourboire – ce que Frank appelait « faire le duc » – sa légende est sans limites. Une histoire vraie : le jeune voiturier d’un hôtel lui apporte sa voiture. Frank lui demande quel est le plus gros pourboire qu’il ait jamais reçu, et le gamin répond : « Cent dollars ». Sinatra lui donne le double et lui demande qui lui avait donné les cent dollars : « C’est vous, M. Sinatra, le mois dernier ! » C’était tout Frank ! Les choses ignorées qu’il a faites pour tant de gens au cours de sa vie sont stupéfiantes. Personne ne connaît la véritable étendue de sa générosité car Frank croyait que si d’autres le savaient, alors ce ne serait pas fait pour les bonnes raisons. Frank Sinatra est intemporel. Il incarnait l’intelligence de la musique et des arrangements musicaux, mais aussi le comble de l’intégrité, du glamour et de la classe. C’est l’héritage qu’il nous laisse. La musique d’aujourd’hui est si pauvre en comparaison, et, à quelques exceptions près, elle est périssable. Pas un jour ne passe sans que j’écoute sa musique. C’est un cliché, mais ses disques sont la bande-son de nos vies. Il n’y aura jamais d’autre Frank Sinatra, ni une autre histoire valant la sienne. L’un des grands privilèges de mon existence est d’avoir connu cet homme et d’avoir travaillé avec lui. À l’heure de célébrer le centième anniversaire de Frank, mon espoir est que cet ouvrage rappelle de merveilleux souvenirs à ceux qui les ont connus, lui et sa musique. Et pour tous ceux qui n’ont pas eu ce plaisir... Profitez-en bien !

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ci-contre  •  Steve Wynn et Frank Sinatra au Golden Nugget à Las Vegas.

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rank Sinatra a été le plus grand vocaliste du vingtième siècle ; ça ne se discute pas. Mais Frank était bien plus qu’un artiste de variété. Sinatra était l’un d’entre nous. Il a grandi au début du siècle passé et a été confronté aux mêmes problèmes que la plupart des Américains. C’est pour cette raison que les gens se sentaient proches de lui, qu’ils éprouvaient un lien personnel avec l’homme et sa musique. Frank était quelqu’un de très complexe, mais c’est ce qui le rendait tellement intéressant et sa musique tellement honnête. Frank a goûté la vie sous tous ses aspects ; il a connu le bon et le mauvais, les hauts et les bas, mais il retombait toujours sur ses pieds et repartait de l’avant. Après son come-back en 1953, rien ne pouvait plus l’atteindre et il n’a jamais regardé en arrière. Les femmes étaient folles de lui et les hommes le respectaient. C’est ainsi que je me suis dit, au début des années 1980, que Frank devrait être le porte-parole de mon hôtel de luxe et de mon casino à Las Vegas, le Golden Nugget, et pas simplement un chanteur qu’on engageait de temps à autre. Ce dont tous nos clients rêvaient, c’était de toucher du doigt le charisme de Sinatra. C’est là que je suis intervenu, avec une stratégie de marketing haut de gamme pour Frank. Je faisais des pubs avec lui. Je le proposais comme invité d’honneur à des soirées à Hong-Kong, à New York et à La Nouvelle-Orléans – n’importe où. Sinatra prenait l’avion avec moi pour rencontrer les clients, prendre une photo avec eux et dire : « Bon, la prochaine fois que vous venez à Las Vegas ou à Atlantic City, laissez Steve et moi nous occuper de vous ». Frank m’a dit : « Steve, c’est ce que j’ai toujours rêvé de faire, mais personne ne me l’a jamais demandé. Tout ce qu’ils voulaient de moi, c’est que je chante le soir et que je reste sagement dans ma chambre toute la journée ». Il a été un véritable aimant, et il a contribué à présenter aux gens le Nugget et notre label.

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carrière exceptionnelle. Le temps ne fait qu’accroître son importance et sa stature. La musique de Frank Sinatra reste d’actualité car on y découvre comment nos vies ont évolué parallèlement à la sienne. Ses chansons sont toujours abordées à un niveau très émotionnel : il est davantage intéressé par l’émotion qui s’en dégage que par sa structure. Frank a interprété des chansons écrites par les plus grands auteurs de son temps : Cole Porter, Irving Berlin, Jerome Kern, Harold Arlen, Ted Koehler, Yip Harburg, Johnny Mercer, Sammy Cahn, Jule Styne, Johnny Burke, Jimmy Van Heusen, Oscar Hammerstein, George et Ira Gershwin, Lorenz Hart, Richard Rodgers, Hoagy Carmichael, Vernon Duke, Cy Coleman, Carolyn Leigh, Duke Ellington, Antonio Carlos Jobim, et d’autres encore. Il est l’interprète le plus acclamé du grand chansonnier américain. Des centaines d’autres chanteurs ont interprété les mêmes airs, mais ils sonnaient autrement dans la bouche de Frank. Le lien qu’il a créé avec le public ne s’est jamais rompu. Sa musique appartient à toutes les générations qui vivent et qui aiment. En mots et en photos, cet ouvrage est une célébration de la vie de Sinatra par lui-même et sa famille, ses amis et ses collaborateurs. Comme vous le constaterez, ce qu’il nous a donné perdurera bien au-delà de nos vies à nous. Mais les photos et les mots ne pourront jamais transmettre l’essence ou l’esprit de l’homme et de sa musique. Rien de ce que je pourrais écrire ne fera justice à son héritage. C’est la raison pour laquelle ce livre reprend des réflexions de ceux qui l’ont connu. Un exemple : en 1992, Tony Bennett explique : « Il y a chez Sinatra un côté chaleureux qui n’a jamais été reconnu comme tel. Moi qui suis dans le monde du show business, je ne peux pas vous dire combien d’anecdotes j’ai entendues sur le discret Sinatra. Éminemment philanthrope, il minimise les milliers de soirées qu’il a consacrées à des causes méritoires au fil des années. En homme réservé, doté d’une profonde loyauté envers ses amis, il ne se vante jamais de la générosité dont il a fait preuve envers ceux qu’il aime. Et voilà l’homme ! » Si vous voulez savoir qui est Frank Sinatra, il suffit d’écouter sa musique ; alors et alors seulement vous comprendrez la nature essentielle de l’homme. La réplique de Marc Antoine, dans le Jules César de Shakespeare, aurait pu être écrite pour lui :

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pages précédentes  •  panneau aide-mémoire destiné au maire de New York, John Lindsay, pour présenter Sinatra lors d’une soirée de charité télévisée au Madison Square Garden, le 11 octobre 1969.

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inatra n’a jamais eu besoin d’introduction. Dans les boîtes de nuit et sur les scènes de concert, dans les saloons et à l’écran, Frank a toujours été au centre de l’attention. De New York à Londres et de Las Vegas à Tokyo, il a séduit le monde entier ; une sensation intemporelle et éternelle. Sinatra était et reste un trésor américain – et mondial. L’histoire de Frank Sinatra est celle d’un homme né dans un cadre modeste, et qui est devenu l’un des artistes de variété les plus célèbres et les plus acclamés de son temps. Ne nous y trompons pas : Frank Sinatra est la voix qui définit le vingtième siècle. Cet homme a également vécu l’une des vies les plus authentiques, les plus passionnantes et les plus admirées de l’histoire. Sa vie regorge de décisions courageuses : il abandonne l’école pour entamer une carrière musicale, il quitte le groupe de Tommy Dorsey pour se lancer seul, il crée sa propre maison de disques, il se dresse publiquement contre la ségrégation raciale et l’intolérance... La liste est longue. Le plus étonnant, c’est que ceux qui le connaissaient ou le côtoyaient comprenaient que Frank était un type comme les autres, semblable à nous tous, mais doué d’un talent extraordinaire. En définitive, la musique est l’héritage de Frank. Des décennies après ses premiers enregistrements, son œuvre reste incomparable : un monument de l’art dans un monde de banalités. Dans l’industrie imprévisible de la musique, les artistes et les carrières vont et viennent en une fraction de seconde. Cinq ans sont une vie entière ; une décennie, une éternité. Comment classer un musicien dont le premier disque a été enregistré en 1939 et qui travaillait toujours en 1993 ? Frank Sinatra est inclassable. Unique. De son vivant, personne ne lui ressemblait et aucun artiste d’aujourd’hui n’est capable de reproduire sa

Sa vie était paisible ; et les éléments si bien combinés en lui, que la Nature pourrait se lever et dire au monde entier : C’était un homme !

Au moment où nous célébrons le centième anniversaire de sa naissance, le monde a plus que jamais besoin de cet homme et de sa musique.

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1. Frank Sinatra dans les années 1940. 2. Sinatra, 1951. 3. Frank, le jour de son mariage avec Ava Gardner, en 1951. 4. Sinatra à Palm Springs, 1950. 5. Noël avec les Martin et les Sinatra, 1967. 6. Casa Sinatra, années 1960. 7. Sinatra avec une coiffe de chef indien, années 1960. 8. Sinatra et Bill Miller à une soirée privée devant Le petit Pierrot aux fleurs (1923–1924) de Picasso, en 1965. 9. Sinatra en 1970 au mariage de sa fille Nancy Jr. avec Hugh Lambert, aux côtés de sa fille Tina et de sa femme Nancy Sr., à Rancho Mirage en Californie. 10. Frank et sa mère, Dolly Sinatra, dans les années 1970. 11. Sinatra chez lui à Palm Springs, dans les années 1960. 12. Sinatra en studio, 1979.

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ci-contre  •  Frank Sinatra vers 1940, avec sa nouvelle caméra.

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que tu dois faire ». À mon petit niveau, je trouvais que c’était merveilleux de chanter… le germe était là ; c’est là que ça a commencé. Et je n’ai jamais oublié. Plusieurs années plus tard, au collège, j’ai chanté dans la chorale et à nouveau au lycée et aussi au sein de l’orchestre de danse. Frank quitte la High School Demarest en terminale.

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Quand j’ai dit à mon père que je voulais devenir chanteur il m’a dit : « Tu veux avoir un travail décent ou tu veux être vagabond ? » À cette époque, si on n’avait pas un travail solide, comme ouvrier dans une usine ou un chantier naval, on était un bon à rien. Alors j’ai quitté la maison... Mon père a eu le cœur brisé quand je lui ai dit que je voulais me lancer dans la musique. Il ne m’a pas adressé la parole pendant une année entière.

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En 1935, Sinatra passe une audition pour Major Bowes and His Original Amateur Hour, une émission radio très populaire à l’époque. On le met en contact avec un trio local et ils se rebaptisent « The Hoboken Four ». Le groupe part en tournée avec l’une des troupes d’amateurs du Major Bowes, mais Sinatra a le mal du pays et rentre chez lui avant la fin.

es premières impressions sont généralement les bonnes. Dans le cas de Frank Sinatra, la théorie se confirme : on l’a immédiatement surnommé The Voice, « La Voix ». Francis Albert Sinatra vient au monde à Hoboken, dans le New Jersey, le 12 décembre 1915. La naissance n’est pas facile, comme Sinatra le racontera en 1986 :

Les choses vont bientôt changer pour Sinatra et sa carrière. Comme pour beaucoup d’autres, ces années seront les plus formatives. Les principes même de son être et de sa personnalité vont devenir partie intégrante de sa musique.

On m’a dit que c’était une terrible journée d’hiver. Ma mère pesait à peu près quarante kilos et mon poids à la naissance était de 5,8 kilos. Au moment de l’accouchement, c’était une sage-femme qui s’en occupait, il y a eu un problème... Je ne voulais pas sortir. Ils ont fini par appeler un médecin en urgence et, quand je suis sorti, j’étais assez abîmé sur le côté gauche du cou, de l’oreille et du visage. Le docteur m’a mis de côté pour sauver la vie de ma mère. Ma grand-mère a su ce qu’il fallait faire de moi. Elle m’a plongé dans l’eau glacée, ça a fait circuler le sang, elle m’a flanqué quelques gifles. J’ai grandi – pas beaucoup, mais j’ai grandi – et j’ai été éduqué dans une famille merveilleuse. Ma mère n’a pas eu d’autre bébé après ça. Je lui ai empoisonné la vie dès le départ !

À mon retour, j’ai très vite décroché un job dans un restoroute du New Jersey appelé « The Rustic Cabin ». De là, je suis passé dans le groupe de Harry James. Harry m’avait entendu à la radio un soir tard. Il est venu, m’a parlé, et je l’ai rejoint. Frank Sinatra épouse Nancy Barbato le 4 février 1939, en l’église Our Lady of Sorrows à Jersey City, dans le New Jersey. Le 13 juillet 1939, Frank Sinatra enregistre « From The Bottom Of My Heart » et « Melancholy Mood » avec Harry James à New York. Il y a peu de chances que les participants à cette session aient réalisé l’importance de ce jeudi particulier qui restera le début de la carrière de Sinatra dans le monde du disque.

Le jeune Frank découvre le chant dans le bar de son père : Mon père était une crème... Un homme très calme, et il tenait un établissement appelé Marty O’Brien’s Bar and Grill. Dans le bar il y avait un piano avec un rouleau dedans, et quand on y mettait une pièce il jouait des airs. Quand j’avais à peu près neuf, dix ou onze ans, parfois l’un des clients du bar me soulevait et me posait sur le piano, et je chantais sur la musique du rouleau. J’avais une voix horrible, franchement pitoyable. Alors un jour j’y vais pour la pièce et je me dis : « C’est le pied, c’est ça

Mon premier grand tournant a été l’orchestre de Harry James, car si je n’avais pas suivi Harry, je ne suis pas sûr que quelqu’un m’aurait jamais entendu. Le fait est que j’ai enregistré quelques disques avec lui, que Tommy Dorsey les a entendus à la radio (ou que quelqu’un les lui a joués), et puis il m’a proposé de quitter l’orchestre de James et de travailler avec lui. J’étais évidemment ravi, car à cette époque le groupe de Dorsey était considéré comme une véritable vitrine pour tous les chanteurs.

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1. Un bébé aux yeux bleus, 1916, sans doute la première image publicitaire de Francis Albert Sinatra ! 2. Arrêté pour « séduction », le 27 novembre 1938. 3. Sinatra et sa femme Nancy au début des années 1940. 4. Sinatra à la plage avec Nancy Jr., durant l’été 1941. 5. Sinatra chez lui dans le New Jersey, devant une gravure de Franklin D. Roosevelt, au début des années 1940. 6. Publicité pour Sinatra et le Riobamba Revusical, 1943. 7. Sinatra arrive à Pasadena, en Californie, en 1943.

commencé à écouter à la fois du jazz et des musiciens classiques. J’étais fasciné par [Jascha] Heifetz, la manière dont il pouvait changer d’archet en plein milieu d’une phrase et continuer sans manquer une note. Je me disais que si c’était possible avec un instrument, pourquoi ne pas le tenter avec la voix humaine. C’était très dur à faire. Il m’a fallu beaucoup de gymnastique et de travail physique pour développer mon coffre. J’y ai travaillé pendant des années et puis c’est arrivé. Je n’ai pas étudié sérieusement la musique et je ne sais pas lire une note. Mais j’ai pris des cours de chant ; j’ai trouvé un coach vocal qui s’appelait John Quinlan. C’était un homme merveilleux qui avait été chanteur d’opéra au Met. Quinlan était un grand professeur de gym pour la gorge, pour éviter de la fatiguer en chantant.

L’étoile de Sinatra monte pendant son passage chez Dorsey, et il se souvient avec affection des années des « big bands ».

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Il s’est passé des choses merveilleuses dans ma vie. Imaginez, faire huit cents kilomètres dans la nuit jusqu’à la prochaine étape d’un soir, avoir quarante minutes pour sortir du bus, s’installer à l’hôtel, faire beaucoup de vapeur dans la douche et y pendre la veste de smoking pour la défroisser ; attraper un sandwich, monter sur une scène ; mais les applaudissements du public étaient la plus belle récompense du monde. Il n’était jamais question d’argent en ce temps-là. Si on avait de quoi survivre, tout semblait parfait. En 1940, le premier enfant de Frank, Nancy, naît dans le New Jersey. Sinatra quitte le Dorsey Band en 1942.

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J’ai décidé de me lancer en solo et à partir de là, avec l’aide de Dieu et mon énergie, j’ai acquis un certain statut dans le business. Je croyais que tout ce que je faisais était bon. C’est là que les groupies ont vraiment commencé à casser la baraque. J’écoutais, j’observais la réaction des gosses. On les a beaucoup tancées car elles déchiraient leurs vêtements mais c’était une légende. Elles voulaient juste s’approcher de moi, me dire bonjour ou me serrer la main, et dénicher un mouchoir ou un nœud papillon comme souvenir. Elles avaient une merveilleuse affection pour moi et moi, en retour, j’avais beaucoup d’affection pour elles. J’aimais leur enthousiasme et je n’oublierai jamais leur gentillesse.

Dire que Frank Sinatra est devenu un véritable phénomène national est très en-dessous de la réalité. De 1942 à 1946, tout semble lui réussir. Sa popularité à la radio, au cinéma et sur scène est sans précédent. En 1943, Sinatra signe chez Columbia Records et commence sa carrière solo. En 1944 naît son fils unique, Frank Jr. Quelques mois plus tard, toute la famille déménage en Californie. L’année suivante, Sinatra tourne dans The House I Live In, un court-métrage sur la tolérance raciale qui lui vaudra un Oscar spécial de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences. Louis B. Mayer, le président de la MGM, signe un contrat avec Sinatra en 1945, qui atteint très vite le haut de l’affiche. « La MGM, c’était énorme. Je me promenais sur le site, les yeux écarquillés, en regardant Katherine Hepburn, Spencer Tracy, Lionel Barrymore et tous les gens qu’un an plus tôt, je ne pouvais voir qu’en payant un ticket de cinéma », se rappelle-t-il. Cette carrière menée au pas de charge est suivie, à la fin des années 1940, d’un rapide déclin à la fois dans la carrière de

Au début, mon phrasé était emprunté à une série de musiciens que j’avais entendus et qui m’influençaient, comme certaines nuances de Billie Holiday. Louis Armstrong me faisait aussi beaucoup d’effet. Alors j’ai

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Sinatra dans les années 1940 devant un petit groupe de fans. 9. Le soutien à l’effort de guerre, 1945. 10. Carte de membre du fan club de Sinatra, 1946. 11. Photo publicitaire, dans les années 1940. 12. « Sinatra Day », le 30 octobre 1947, avec ses parents à Hoboken, dans le New Jersey. 13. Jimmy Van Heusen et Sinatra en Espagne, 1950. 14. Ava Gardner, Sinatra et Jimmy Van Heusen présentent leur passeport à la douane britannique, au début des années 1950.

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chez Patsy’s. Il était là la veille de Thanksgiving, pour le dîner, et vous savez comme les gens peuvent être terribles… Des gens qui le connaissaient passaient devant lui sans lui parler, sans le saluer, rien. Après avoir mangé, Frank a dit à mon père : « Je dînerais bien ici pour Thanksgiving, avec vous. À quelle heure servez-vous ? » Mon père a regardé Frank, et il a compris à quel point il se sentait seul. Il aurait pu dire à Frank que le restaurant était fermé pour Thanksgiving et l’inviter à la maison. Mais il savait que cela blesserait sa fierté, alors il a juste dit « Trois heures, Frank. Nous servons à trois heures ». Après le départ de Frank mon père a rassemblé toute l’équipe... Ils ont un peu grogné. Mais ils ont été plus compréhensifs quand mon père leur a dit d’amener leurs familles.

Sinatra et dans sa vie privée. L’un des rares moments de bonheur à cette époque est la naissance de sa fille Tina en 1948. La célébrité de Sinatra fait qu’il est harcelé par la presse et les journalistes à potins. Le goût musical du public change aussi ; la mode est à la chanson comique. Johnny Ray, Eddie Fisher et Frankie Lane, entre autres, sont aujourd’hui oubliés, mais à cette époque ils éclipsent Sinatra, qui semble voué à devenir une note de bas de page dans l’histoire de la pop. Sinatra ne s’en prend qu’à lui-même pour expliquer cette période sombre : C’est moi. J’en suis responsable. Je suis mon propre pire ennemi. La qualité de mon chant était en chute libre et je l’accompagnais, ou vice-versa. C’est arrivé parce que je ne faisais pas attention à ma manière de chanter. Au contraire, je voulais le prendre à l’aise, profiter de mon succès, signer des autographes et ramasser le fric... J’allais mal, j’étais grillé. Je dois dire que j’ai perdu une bonne part de ma confiance dans la nature humaine car beaucoup de mes amis de cette époque se sont volatilisés. Je le dis sans rancune, car j’ai vraiment beaucoup appris en la matière.

Frank a remarqué que le restaurant était assez vide, et il s’en est inquiété auprès de mon père. « Beaucoup de gens restent chez eux pour Thanksgiving » a-t-il répondu. Je suppose que Frank a découvert le pot aux roses plus tard, mais il n’en a jamais parlé et nous non plus. Une fois que Frank était votre ami, c’était pour la vie. Les années 1950 démarrent mal : Frank se sépare de Nancy. Ils divorcent en 1951. Un peu plus tard dans l’année, il épouse l’actrice Ava Gardner. La carrière de Frank est toujours chancelante en 1952. Son show sur CBS est annulé, la MCA et la MGM le laissent tomber et il ne renouvelle pas son contrat d’enregistrement chez Columbia. « 1952 est l’une des années les plus frustrantes de ma vie » explique Sinatra, « et puis un jour je me suis réveillé et je me suis dit qu’il était temps de se remettre au travail. C’est vraiment ce qui s’est passé – c’est aussi simple que cela ».

Les amis de Frank ne désertent pas tous. Joe Scognamillo, le propriétaire du Patsy’s Italian Restaurant à New York, se souvient des années de vaches maigres : On n’ouvrait pas à Thanksgiving. C’était il y a des années, quand Frank n’allait pas bien professionnellement... Tout le monde disait qu’il était fini. Nous savions qu’il était génial, on se fichait de ce que les gens racontaient. Et chaque fois que Frank venait à New York, il venait traîner

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« MA MÈRE ÉTAIT TRÈS MODERNE À SA MANIÈRE, ET ASSEZ AMBITIEUSE. ELLE AVAIT FAIT DES ÉTUDES D’INFIRMIÈRE ET ÉTAIT DEVENUE SAGE-FEMME. ET ELLE AVAIT UNE SOLUTION À TOUT ; C’EST UN DON QU’ELLE AVAIT. DÈS QU’IL Y AVAIT UN PROBLÈME QUELQUE PART, DANS UNE DES FAMILLES... LA PREMIÈRE CHOSE QU’ON ENTENDAIT, C’ÉTAIT ‘TU DEVRAIS APPELER DOLLY’. »

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Frank et sa mère, Dolly, sur la route au milieu des années 1920. « Ma mère n’était pas dure ; c’est l’environnement qui l’était. Elle était ferme. Elle voulait que je sois à l’abri, que je sois un homme bien ».

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« Il y a eu un moment où j’avais une bande de

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copains de mon âge, treize ou quatorze ans. L’été, nous allions nager dans une piscine de Palisades Park, dans le New Jersey. J’avais de la chance – j’avais une carte d’entrée... Je passais avec ma carte, je filais à l’arrière et je donnais ma carte à un autre gars à travers la grille... Il entrait et je retournais donner la même carte à un autre, jusqu’à ce qu’on soit tous dedans. Un jour le gardien a compris le manège... Ce gros costaud m’a attrapé par le cou et m’a battu comme plâtre. Après il m’a chassé avec un bon coup de pied au derrière. J’avais mal, bien sûr, mais ce n’est pas ça qui m’a blessé le plus. Combien de fois j’avais fait entrer les gars à la piscine, mais pendant que je me faisais tabasser, pas un d’entre eux n’est venu à mon aide. Ils ont juste... détalé. »

Frank et ses amis prennent la pose sur une plage du New Jersey, à la fin des années 1920.

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– Frank Sinatra


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Après avoir quitté la formation du major Bowes et les Hoboken Four, Sinatra chante partout où il peut jusqu’en 1938, quand il décroche un contrat à la Rustic Cabin, un restoroute dont les spectacles passaient en direct à l’émission Dance Parade de WNEW, la station radio new-yorkaise. Sinatra est engagé comme « serveur chantant » et maître de cérémonie.

« Quand on m’a proposé un job à la Rustic Cabin, j’ai sauté dessus même si ça ne payait que 15 $ la semaine. De la radio ? Et comment ! Quatre fois par soir ! Chaque fois qu’on se retournait, quelqu’un vous passait un micro » se souvient Sinatra. « C’est ce qu’on appelait alors un sneak joint, un endroit où les gars mariés emmenaient leurs maîtresses, car il y avait de petites cabines dans la salle et elles étaient très privées ».

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« J’aimais la voix de Frank et sa façon de formuler les paroles. Après le spectacle, quelques gars de l’orchestre et moi sommes allés le voir à la Rustic Cabin. Il a demandé au patron s’il pouvait faire un numéro pour moi. Il a chanté ‘Begin the Beguine’. Je l’ai engagé à 75 $ par semaine pendant deux ans. »

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– Harry James

en haut  •  le chef d’orchestre Harry James et Sinatra à la Hollywood Canteen. en bas  •  Sinatra en tournée avec le groupe de James. à droite  •  Frank et Nancy en 1940. « À l’époque de la photo, j’attendais

Nancy, et c’est pour ça que je tenais le chapeau devant moi. C’était une belle période de notre vie. Il ne s’agissait pas d’être riche et célèbre ; il n’était question que de vrais sentiments ». – Nancy Sinatra Sr.

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Buddy Rich (à la percussion) rejoint le groupe de Dorsey en 1939. « Frank et moi partagions une chambre... Une fois, à l’hôtel Astor, on s’est un peu disputés et il m’a jeté à la tête une de ces grosses carafes en verre très lourdes. Je l’ai sentie voler à travers la pièce et elle s’est écrasée en mille morceaux à l’endroit précis où j’étais une seconde plus tôt. S’il m’avait touché, je ne serais pas là aujourd’hui... Il visait juste ! Nous avons eu une petite explication et tout s’est arrangé, et nous sommes devenus les meilleurs amis du monde ». – Buddy Rich.

En janvier 1940, Dorsey engage officiellement Sinatra pour 125 $ la semaine, une augmentation considérable par rapport à son salaire au sein du groupe de James. « J’allais écouter le groupe de Dorsey à Roseland... Je voulais le rejoindre à cause de sa façon de mettre les voix en valeur. C’est la seule fois de ma vie que j’ai vraiment voulu arriver à quelque chose et que je me suis démené pour y parvenir », explique Sinatra. En tournée comme soliste avec l’orchestre de Dorsey, Sinatra goûte pour la première fois aux joies du vedettariat.

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– Tommy Dorsey

en haut  •  Sinatra avec l’orchestre de Tommy Dorsey, au début des années 1940. en bas  •  Tommy Dorsey et Frank Sinatra prennent un dernier verre.

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« SES QUALITÉS D’INTERPRÈTE LUI ONT CERTES PERMIS DE CONNAÎTRE LE SUCCÈS ET DE CRÉER DE NOMBREUX TUBES POUR DIVERS PRODUCTEURS, MAIS AUSSI ET SURTOUT DE PROCURER UN IMMENSE PLAISIR À DES MILLIERS D’AUDITEURS. »

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« L’excitation qui montait du public quand ce gamin se levait pour chanter était presque palpable. Rappelezvous, ce n’était pas une idole. C’était juste un jeune gars maigrichon avec de grandes oreilles. Je me tenais là, si épaté que j’en oubliais presque mes solos. »

– Tommy Dorsey


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– Bing Crosby

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« J’ai connu Frank quand il était dans l’orchestre de Dorsey. J’étais un grand ami de Tommy et de Jimmy Dorsey et je traînais souvent avec le groupe, parce qu’ils faisaient du swing et que j’adorais ça ; Frank était leur voix. Un mince gamin, aux cheveux en bataille, avec un gros nœud papillon noir. Moi j’étais la période « croon » avec Valle et Colombo, lui c’était la période « swoon », celle des évanouissements d’extase. C’était le précurseur, c’est lui qui a ouvert cette ère hystérique et chaque fois qu’il poussait une note, elles hurlaient, tombaient dans les couloirs comme des folles. Je pense que c’était une espèce d’exhibitionnisme ; elles voulaient toutes montrer qu’elles pouvaient s’évanouir plus profondément et faire plus de bruit que les autres. Il avait un talent fou, une voix superbe et le sens de la chanson, avec cette merveilleuse capacité de créer une ambiance quand il chantait, ce qui est à mon avis la marque d’un grand artiste de scène, surtout d’un chanteur. »

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La presse a créé une rivalité entre le chanteur de charme et l’idole qui fait tomber en pâmoison – le « crooner » et le « swooner » – mais Bing Crosby et Frank Sinatra ont été amis dès le début de la carrière de Sinatra, comme en témoigne cette photo du début des années 1940.

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« Je me souviens de mon premier engagement dans un club à New York, en 1943 au Riobamba. Je devais ouvrir le spectacle et me promener de table en table en chantant. Il n’y avait pas de scène ou rien de tel, et la piste de danse était grande comme un timbreposte. J’avais un trac d’enfer, mais j’ai chanté quelques morceaux et c’était parti. La star du show était Walter O’Keefe, et c’était son dernier spectacle. Cette nuit-là, il a juste pris le micro et a dit : ‘Mesdames et Messieurs, j’étais votre star de la soirée, mais ce soir, dans ce club, nous venons tous d’assister à la naissance d’une étoile’. Et il est sorti sans dire un mot de plus. Je n’avais pas été conscient de la forte réception du public pendant ma prestation, peut-être parce que j’étais particulièrement nerveux, mais le lendemain c’était l’explosion dans tous les journaux, partout. »

Sinatra dans un night-club au milieu des années 1940. « Je pense qu’il ne pouvait rien m’arriver de mieux que passer des années sur les routes avec les groupes, car on travaillait 365 jours par an. S’il faut devenir bon dans n’importe quel domaine, je crois que si on vit son job quand on dort, marche, parle et rêve, on devient bon et on finit par jouer dans la cour des grands ». – Frank Sinatra.

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– Frank Sinatra


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Frank et ses parents au milieu des années 1940 : « Je ne crois pas que mon père ait jamais su écrire autre chose que son nom. Il ne savait pas lire non plus, pas grand-chose en tout cas. Si je recevais une lettre amusante, je ne lui demandais pas de la lire – on ne lui faisait pas ça, pour ne pas l’embarrasser – mais je la lui lisais, ça ou d’autres choses intéressantes dans le journal ».

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Un numéro de Frankfare, le journal officiel du fan-club de Sinatra, en juillet 1943. Publiés « de temps en temps », les articles allaient de reportages sur le terrain (dans ce cas, aux portes de la maison de Sinatra) à la poésie expressive. Relevons l’intérêt porté au statut d’homme marié de Frank.

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Une foule d’admirateurs se presse pour obtenir un autographe de Sinatra à Pasadena en Californie, en août 1943. Le 11 décembre de cette année-là, le comité de conscription le classe 4-F (inapte au service militaire) à cause d’un tympan perforé. Ne pouvant pas s’engager à l’armée, Sinatra distraira les troupes lors de plusieurs tournées USO (United Services Organisations) et soutiendra divers organismes de charité pendant la guerre.

Frank et Johnny Mercer, 1943. Sinatra enregistrera certains de ses albums les plus mémorables chez Capitol Records, le label fondé par Mercer en 1942. « Frank était très Don Quichotte et extraordinairement généreux. Il vous aurait donné sa chemise. Quand il a commencé à faire beaucoup d’argent, il s’empressait de le donner. Mais seuls ceux qui sont dans le business sont vraiment conscients de l’étendue de cette générosité ». – Johnny Mercer.

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« En 1944, la MGM a engagé un petit chanteur italien pour tourner à mes côtés un film qui s’appelait Anchors Aweigh. Bien sûr, le gringalet était déjà l’idole de toutes les filles d’Amérique. Quand il chantait, elles se pâmaient. Et pourtant, il posait un problème au studio, on ne savait pas quel rôle lui donner dans un film. C’est simplement qu’il était l’antithèse absolue des superstars de l’époque comme Clark Gable, Gary Cooper ou Errol Flynn... Comment faire un jeune premier d’un type qu’on aurait soulevé de terre d’une seule main ? Finalement, nous avons tous trouvé la solution et Frank nous a suivis : le mettre en uniforme de marin et laisser agir son physique. C’est ce qu’on a fait – et ça a marché. Francis Albert Sinatra a donc joué, dans Anchors Aweigh, le marin le plus timide et le plus timoré de toutes les forces navales américaines. »

Frank Sinatra commence à tourner Anchors Aweigh en juin 1944 : « Quand je suis arrivé à la MGM, je n’étais personne dans le monde du cinéma. Qu’est-ce que j’étais ? Juste un crooner. C’est Gene [Kelly] qui m’a repéré. Je ne savais pas danser comme lui, alors il s’abaissait à mon niveau. Il m’a appris tout ce que je sais. Il est l’une des raisons pour lesquelles je suis devenu une star ».

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– Gene Kelly


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– Sammy Cahn

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« Ma loyauté éternelle pour Frank Sinatra date d’Anchors Aweigh. Le producteur Joe Pasternak avait demandé à Frank qui il voulait pour la bande-son – Kern, Gershwin, Rodgers ou Hart... – Frank a dit négligemment, ‘Sammy Cahn’. Les gros bonnets de la MGM ne voulaient pas engager deux inconnus (moi-même et Jule Styne) pour créer la première comédie musicale à plusieurs millions de dollars. On est arrivé dans une telle impasse que Lew Wasserman, l’agent de Frank, est venu me dire : ‘Si Frank ne cède pas, il perd le film. Tu veux bien lui parler ?’ Moi, bien sûr, je suis allé voir Frank et je lui ai dit : ‘Frank, tu en as déjà fait assez pour moi. Pourquoi ne pas laisser tomber cette fois-ci ? On aura d’autres occasions’. Frank m’a regardé – et ça restera toujours très fort entre nous – et m’a dit : ‘Si tu n’es pas là lundi, je ne suis pas là lundi !’ J’étais là le lundi. Et lui aussi. »

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ci-dessus  •  Sinatra au piano dans une photo promotionnelle pour

Anchors Aweigh, tourné en 1944 et distribué l’année suivante. pages suivantes  •  Frank Sinatra, la chanteuse Eileen Barton, le pilote le Lt. Col. Winn et l’acteur Walter Huston à Long Beach, le 30 août 1944. Le FBI ayant interdit à Frank de chanter à l’étranger, il soutient dans la mesure du possible l’effort de guerre au pays. L’avion a été baptisé « The Voice » en son honneur.

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L’exemplaire personnel de Sinatra du script du Frank Sinatra Show, le 18 octobre 1944, avec Orson Welles en invité. Cette année-là, Sinatra confirme sa mainmise sur les ondes après avoir obtenu son propre show d’une demi-heure sur CBS, tout en restant l’un des présentateurs de Your Hit Parade.

Sinatra, en tenue décontractée, avec Orson Welles pendant un show radiophonique dans les années 1940. Sinatra et Welles resteront très proches pendant des décennies.

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« J’AI CRU QUE TOUT CE FOUTU BÂTIMENT ALLAIT S’ÉCROULER. JE N’AI JAMAIS ENTENDU UN TEL VACARME, LES GENS QUI SE PRÉCIPITAIENT SUR LA SCÈNE, HURLANT ET MANQUANT DE ME FAIRE BASCULER. TOUT ÇA POUR UN TYPE DONT JE N’AVAIS JAMAIS ENTENDU PARLER. »

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– Jack Benny

ci-dessus  •  La légendaire seconde apparition de Sinatra au Paramount

Theatre, au plus fort de la « Sinatramania ». Plus d’une centaine de policiers sont mobilisés pour maintenir l’ordre face à des milliers de bobbysoxers en octobre 1944. L’hystérie collective a été telle qu’elle a été baptisée « l’émeute du Columbus Day ». pages suivantes  •  Les bobbysoxers expriment leur enthousiasme dans la salle du Paramount Theatre lors du tour de chant de Sinatra en 1944.

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Sinatra et Phil Silvers lors d’un spectacle USO en Italie après la victoire du 8 mai 1945. « Au sommet de sa carrière, on a demandé à Frank de partir outre-Atlantique pour distraire nos troupes. On a fait un tabac. On parle des femmes qui réagissent à la voix de Frank... Vous auriez dû entendre les hommes ». – Phil Silvers.

Prospectus pour un spectacle à la base USO de Naples, en Italie, en juin 1945. Outre Sinatra et Silvers, l’équipe comprend aussi l’actrice et chanteuse Fay McKenzie, Betty Yeaton, présentée comme une « charmante acrobate » et le pianiste et arrangeur musical Saul Chaplin.

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– Jo Davidson

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« SON VISAGE A UNE STRUCTURE TRÈS CURIEUSE. CES POMMETTES ! CES RENFLEMENTS AUTOUR DES JOUES ! CETTE LÈVRE INFÉRIEURE LOURDE ! ON DIRAIT LINCOLN JEUNE. »

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Jo Davidson (1883–1952) travaillant, en 1946, à un buste de Frank Sinatra. Décrit un jour par l’acteur et humoriste Will Rogers comme « le dernier des chasseurs de têtes », Davidson a sculpté un impressionnant aréopage de célébrités, notamment Joseph Conrad, Gertrude Stein, Sir Arthur Conan Doyle, Theodore Roosevelt, Dwight D. Eisenhower, Charlie Chaplin et Albert Einstein.

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