Friture n°6

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MIDI-PYRÉNÉES

Trimestriel (octobre › décembre 2008) - 3 €

www.friture.net

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MÉDIA RÉGIONAL DES POSSIBLES

Économie, la place à prendre

Voyage au pays des initiatives solidaires


TOULOUSE - MIDI PYRENEES

28, rue des Trente Six Ponts - 31 400 Toulouse Tél./Fax : 05 61 52 37 54


Sommaire

Dans ce

numéro 6 :

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La planche de Yann Normand

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Débat › Échanges entre économiste, institutionnel, accompagnateur de projets et financeur solidaire

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Portrait › Rob Day, un Américain pas comme les autres

octobre › décembre 2008

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L’édito › Y a-t-il une économie après le libéralisme ?

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Initiatives › Florilège de diversité

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Portfolio › « Trabajo mano a mano » de Christophe Abramovsky

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Panorama › Une boussole pour les créateurs solidaires

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Ailleurs › L’étonnante histoire coopérative de Mondragon

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Nouvelle › « Les billes » de Laurent Roustan

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La planche de Yann Normand

yannexpo.canalblog.com

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L’édito

Y a-t-il une

économ e

après le libéralisme ? Quel consensus ! Que d’appels à une gouvernance économique et à un État régulateur ! Les grands de ce monde s’affolent et nationalisent, au grand dam d’Oncle Sam, les banques les plus prestigieuses, fleurons d’un système financier à la dérive. Un constat unanime donc, le capitalisme est sauvage, les marchés incontrôlables. La question est désormais : Quelle économie pour demain, pour quel monde riche de quelles valeurs ? Bref, après le libéralisme, qu’y a-t-il ? Il y a l’économie solidaire qui s’est forgée dans l’ombre d’un système qui a provoqué les crises économiques, écologiques et sociales. L’économie solidaire est une galaxie d’initiatives innovantes, sociales et écologiques qui produisent des biens et services. Une production aux indéniables valeurs marchandes et humaines à la fois. Loin d’être une utopie, l’économie solidaire existe bel et bien, enracinée sur des territoires de proximité. La région Midi-Pyrénées en fourmille et ce nouveau numéro vous offre un aperçu de la réalité et de la diversité de ce foisonnement. Des entreprises parfois leader du marché national à l’image d’Éthiquable ou Websourd. D’autres reconnues mondialement, comme l’Orchestre de chambre de Toulouse, sous statut coopéra-

Sur

tif depuis 2004. La richesse de ces initiatives solidaires ne tient pas à l’envergure du marché qu’elles couvrent mais au besoin de proximité auquel elles répondent. Comme le font, par exemple, le réseau Cocagne ou la régie de quartier Reynerie Services. Le Bio Atelier conjugue innovation technologique, écologie et développement local. Pour une fois, et pas la dernière, Friture s’ouvre sur l’ailleurs. Difficile de passer outre la fabuleuse et unique expérience de Mondragon au Pays Basque espagnol. Mais pour entreprendre, encore faut-il frapper à la bonne porte pour être accompagné dans son projet. Pour s’y retrouver, Friture a réalisé un organigramme afin de faciliter le parcours du porteur de projet. Un outil unique. Enfin, nous vous proposons un débat entre différents acteurs de l’économie solidaire qui lancent des pistes pour que l’économie solidaire devienne un véritable levier de transformation de notre société. Les institutions locales ont bien évidemment un rôle à jouer, tout comme les acteurs de terrain qui ont tout à gagner à se structurer afin de peser face aux pouvoirs publics et d’apprendre à travailler avec eux. Emmanuel Scheffer

www.friture.net

› Retrouvez toute l’actualité des alternatives en Midi-Pyrénées › Tenez-vous informés des manifestations régionales et du local de Friture grâce à nos agendas › Repérez d’un coup d’œil les diffuseurs du magazine et les lieux alternatifs régionaux

› Directeur de publication on et responsable diffusion n: Cédric Fleutiaux (cedric@friture.net) › Rédacteur en chef : Emmanuel Scheffer (redaction@friture.net) › Rédacteur en chef adjoint sur ce numéro : Florian Vair Piova › Responsable d’édition : Nathalie Piquet › Ont participé à ce numéro : Philippe Gagnebet, Bruno Vincens, Fatima Guevara, Christophe Abramovsky, Émilie Delpeyrat, Laurent Roustan, Marie-Pierre Buttigieg, Stéphanie Amiot, Irène Barja, Florian Vair Piova, Marie-Laëtitia Melliand › Illustrations : Yann Normand › Photographies : Audrey Guerrini/Émulsion, Christophe Abramosky, Émilie Delpeyrat, Caroline Dieutre, Amandine Leconte › Mise en page et iconographie : Tim Bastian et Carine Bigot (atelier kunstart) › Publicité : Eloïse Dougère (publicite@friture.net) › Responsable communication-abonnements : Maÿlis d’Aboville (maylis@friture.net) › Imprimerie : imprimerie 34 › Tirage : 3000 exemplaires › Distribution : liste des points de vente sur www.friture.net est imprimé sur du papier recyclé. est édité par l’association 2bouts. › Bureau de l’association : Cédric Fleutiaux (président), Florian Vair Piova (secrétaire) › Conseil d’administration : Didier Labertrandie, Marie-Pierre Buttigieg, Philippe Gagnebet, Elodie Touret, Hélène Duffau, Christophe Abramovsky, Marie Chèvre, Djamila Benzidane, MaPi Devilliers, Emmanuel Scheffer, Yann Normand. Association 2bouts : 22 place du Salin – 31000 Toulouse 09 · 54 · 62 · 04 · 01 - contact@friture.net N°ISSN : 1951-1558 Dépôt légal : à parution Commission paritaire : 0510G89540 Photo couverture : Audrey Guerrini/Emulsion Encarts jetés : › bulletin d’abonnement/soutien › documents de campagne « Ni nucléaire, ni effet de serre »

octobre tobre › décembre 2008

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Panorama

Sociale et solidaire,

e r i o t d’une économie s i h

Les racines de l’économie sociale et solidaire (ESS) remontent, en Europe, au Moyen Âge. Depuis, entre industrialisation, économie libérale et capitalisme, cette économie essaie de se frayer un chemin, et surtout d’être reconnue pour les valeurs qu’elle porte. Avec près de 12 % des emplois salariés en Midi-Pyrénées, l’ESS fait son trou social et économique autant qu’elle fait parler d’elle. Nul ne sait s’il faut s’en retourner aux grottes de Lascaux pour savoir si, un jour, l’économie a été réellement sociale et solidaire. Ce que l’on sait, c’est que l’homme s’est organisé progressivement pour structurer sa façon de produire et de répartir les richesses, les profits ou les pertes. Il semble que l’origine véritable de ce que l’on appelle aujourd’hui l’économie sociale et solidaire date du Moyen Âge qui vit l’apparition des guildes, confréries, corporations et compagnonnages. C’est à cette époque que les hommes ont décidé d’unir leurs forces, leurs savoir-faire et leurs ressources pour développer un système économique mutualiste dans un environnement concurrentiel. Dès lors, ce secteur (appelé tiers secteur) a dû s’adapter, progresser ou s’imposer face à la mutation des sociétés, au progrès, aux diverses écoles économiques ou de pensée. C’est avec la révolution industrielle qu’émergent véritablement les premiers penseurs et théoriciens de l’ESS. Face à la pensée libérale, Saint-Simon, Charles

Fourier ou, plus tard, Pierre Proudhon au XIXe siècle, développent des fonctionnements alternatifs. Ils sont les inventeurs d’une économie qui veut replacer l’homme au cœur du système, dans des entreprises démocratiques où chaque salarié possède une voix, où les bénéfices sont redistribués équitablement sans recherche absolue du profit. Ainsi, à partir de 1880, vont naître de multiples formes d’entreprises ou associations : coopératives de consommation, coopératives agricoles ou ouvrières de production, code de la mutualité, syndicats, caisse de crédit agricole ou mutuel, banques coopératives… De filiation libérale et sociale, elles sont également tiraillées entre le socialisme et l’autogestion. En 1844, dans la banlieue de Manchester en Angleterre, un regroupement d’ouvriers tisserands (Société des équitables pionniers de Rochdale) est créé, considéré depuis comme fondateur du mouvement coopératif. Depuis, l’ESS navigue et cherche sa voie entre socialisme, expérimentation sociale, mouvements alternatifs, communis-

me, économie marchande ou simple association non marchande. Une sorte de vaste nébuleuse, hétéroclite et dispersée, mais toujours régie par une « autre façon » d’appréhender l’économie ou le lien social. Depuis les années 1970, avec la fin du plein emploi, le chômage de masse, l’effacement de l’État providence et la montée en puissance du capitalisme, l’ESS est cependant devenue plus visible et reconnue. Des alliances se sont nouées entre ses diverses composantes qui se structurent désormais au niveau régional, national et européen. C’est en 1981 que le terme économie sociale et solidaire entre dans le droit français, après qu’une charte a été signée, en 1980, par les multiples organisations se reconnaissant sous cette appellation. Depuis, toutes ces composantes se réunissent, se rencontrent, agissent parfois ensemble, formant une sorte de grande famille dans laquelle on trouve cependant plus de cousins et cousines que de frères et sœurs… En 2000, en France, un secrétaire d’état est nommé pour les représenter, et les défendre. Malheureusement, Guy Hascouët demeure un pionnier éphémère. Au plan régional, la création de l’ADEPES, de la CRESS, d’une vice-présidence à l’ESS au sein du conseil régional, et même d’un DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) à l’université du Mirail sont le reflet d’un dynamisme et de tentatives de structuration. Reste que, dans son immense diversité, l’ESS, comme à ses origines, a du mal à imposer ses valeurs. Un atout et un handicap face à l’ogre capitaliste, à moins que l’homme ne soit jamais qu’un loup pour lui-même… Philippe Gagnebet

ADEPES : Agence de développement et de promotion de l’économie solidaire en Midi-Pyrénées CRESS : Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire

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Panorama

proximitéet des valeurs en plus

Une économie de

L’économie solidaire manque de visibilité. Elle ne manque pas, en revanche, de sens ni de valeurs, et s’inscrit dans la construction d’une alternative au système dominant. Évacuons la définition de l’économie sociale qui, basée sur des statuts juridiques (lire encadré), est relativement simple. L’économie solidaire, en revanche, se définit en dehors de ces statuts juridiques, souligne Jean-Louis Laville*, pour qui elle désigne « l’ensemble des activités économiques visant à démocratiser l’économie à partir d’engagements citoyens, en posant la solidarité comme principe économique, et ce, quel que soit le statut juridique adopté ». Pour l’ADEPES (Agence de développement et de promotion de l’économie solidaire), l’économie solidaire « issue du mouvement coopératif et mutualiste du début du XXe, est porteuse d’un nouveau projet de société. Elle témoigne d’un questionnement politique sur l’économie, avec l’idée qu’il y a un certain nombre de phénomènes qui relèvent plus d’une sphère intermédiaire articulée entre l’économie marchande et l’économie non marchande ». Geneviève Azam va dans ce sens quand elle affirme** que l’économie solidaire « a permis de se poser les grandes questions que l’on ne se posait plus. Elle apporte une réflexion sur les mécanismes et le fondement de l’économie, c’est-à-dire : Qu’est-ce que la richesse ? Est-ce que c’est le marché qui fixe la valeur d’un bien ou au contraire est-ce que le prix doit intégrer les valeurs humaines, sociales et écologiques ? » De véritables questions donc, posées par un « mouvement de milliers d’initiatives locales (entreprises adaptées aux personnes handicapées, logement des exclus, éducation populaire, aide aux personnes, accès aux loisirs pour les plus démunis, recyclage, protection de l’environnement, commerce équitable, régies de quartier…) pour produire, consommer, employer, épargner et décider autrement, explique France Active. Produisant à la fois de la valeur ajoutée marchande et de la valeur sociale […] c’est une économie de proximité en pleine expansion, dont les emplois ne peuvent être délocalisés ». Emmanuel Scheffer * Jean-Louis Laville : Docteur en sociologie diplômé de l’ESSEC ; il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur l’économie solidaire. ** Extraits du DVD « Valeurs en hausse (Fragment d’une économie sociale et solidaire en Midi-Pyrénées) », Mira Production.

octobre › décembre 2008

Les statuts juridiques des structures de l’économie sociale SCIC De forme privée et d’intérêt public, la Société coopérative d’intérêt collectif est une nouvelle forme d’entreprise coopérative qui permet d’associer celles et ceux qui, salariés, bénéficiaires, bénévoles, collectivités territoriales ou tout autre partenaire, veulent agir ensemble dans un même projet de développement local. La SCIC est régie par la loi du 17 juillet 2001.

SCOP La Société coopérative de production est une entreprise de forme SA ou SARL, dont les salariés sont associés majoritaires et vivent un projet commun en mutualisant équitablement les risques et les grandes décisions : désignation des dirigeants, orientations stratégiques, affectation des résultats. Son originalité : les salariés sont asso ciés majoritaires de l’entreprise dont ils détiennent au moins 51% du capital. Tous les salariés ont vocation à devenir associés selon des modalités définies par les associés existants et avec leur accord.

Association Une association est un regroupement d’au moins deux personnes qui décident de mettre en commun des moyens afin d’exercer une activité

dont le but n’est pas leur enrichissement personnel ; c’est pourquoi on parle aussi d’association à but non lucratif (http://fr.wikipedia.org/wiki/ Association_loi_1901). Le caractère désintéressé interdit la distribution d’un bénéfice aux associés, mais il n’implique pas que l’activité soit déficitaire, et un bénéfice peut servir à développer l’activité.

Mutuelle « Les mutuelles sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif. […] Elles mènent, notamment au moyen de cotisations versées par leurs membres et dans l’intérêt de ces derniers et de leurs ayants droit, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide dans les conditions prévues par leurs statuts, afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie. » (Article L111-1, alinéa 1 du Code de la mutualité)

Fondation Le terme de fondation est défini par l’article 18 de la loi du 23 juillet 1987. Une fondation désigne l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif.

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Panorama

Créer un projet économique solidaire Réaliser un projet dans le domaine de l’économie solidaire est complexe. Pour s’y retrouver nous avons imaginé cet outil encore inexistant en région, afin de faciliter le parcours (du combattant) du porteur de projet. À défaut d’être exhaustifs, ces tableaux permettent de

Maisons de chômeurs en MP Objectifs : Accueil et informations généralistes : droits des chômeurs, aide à la création et à la formation www.mncp.fr

Formation universitaire : Université Toulouse Le Mirail 2 Master et doctorat d’économie sociale 05 61 50 41 79

visualiser la plupart des structures de MidiPyrénées et leur(s) domaine(s) d’intervention. L’organigramme ci-dessous est bâti sur 4 axes : s’informer, se former, financer, obtenir un accompagnement. Utilisez-le comme une boussole et bonne route ! Vous retrouverez les

structures par département en page 10. Ce travail, malgré notre vigilance, peut comporter des erreurs et des oublis. En effet, les activités des acteurs présentés sont variées et en constante évolution.

CRESS Midi-Pyrénées Chambre régionale d’économie sociale et solidaire

ADEPES Agence de développement et de promotion

www.cress-midipyrenees.org · 05 62 75 99 14 Objectifs : Représenter les différents acteurs de l’économie sociale et solidaire

de l’économie solidaire www.adepes.org · 05 61 73 04 86 Objectifs : Créer, animer, et gérer toute action de soutien et de promotion de l’économie sociale et solidaire, comme moyen de création de lien social et de lutte contre les exclusions. Activités : Quinzaine de l’économie solidaire, Forum régional, accueil, pôles d’activités…

CERISES (Centre européen de ressources sur les initiatives solidaires et les entreprises sociales) http://w3.cerises.univ-tlse2.fr · 05 61 50 38 42 En lien avec le master de l’université Toulouse Le Mirail

Formation par le réseau associatif sur les départements (voir page suivante)

S’informer

Les dispositifs publics de formation : › Vos droits : tout savoir sur la VAE (Validation des acquis de l’expérience), le CIF (Congé individuel de formation)… www.travail-solidarite.gouv.fr : fiches pratiques / formation professionnelle › AFPA : www.afpa.fr

Porteur de projet

Se former

En région : Retrouvez les formations agréées par le conseil régional (gratuites pour demandeurs d’emploi et allocataires du RMI ) › www.formation.midipyrenees.fr › www.cariforef-mp.asso.fr

Obtenir des conseils techniques, juridiques et un accompagnement sur votre projet

DLA (Dispositif local d’accompagnement) : audit et conseils gratuits pour les associations en cours d’activité En MP : CRP consulting · www.crpconsulting.net

Tester son activité : Couveuses d’activités : Etymôn : www.etymon.fr · 05 61 80 27 82 Altitude : www.couveuse.net · 05 61 41 48 06 Entreprendre, tester et s’entraider au sein de coopératives d’activités ou de coopératives d’emplois : UES : www.cooperer.coop · 05 62 07 38 08 Ou de pépinières d’entreprises : www.rezopep-midipyr.com

En fonction du statut :

• En fonction du projet j :

Entreprise d’insertion : UREI MP (Union régionale des entreprises d’insertion) : 05 61 73 14 14 · www.cnei.org

Rural et agricole : ADEAR (Agence pour le développement de l’emploi agricole rural) : 05 61 10 43 73 Terre de liens : 05 53 59 57 70 · www.terredeliens.org Fédération régionale des CIVAM : 05 62 27 16 87 www.civam.org Développement durable : Etymôn : 05 61 80 27 82 · www.etymon.fr

SCOP/SCIC : URSCOP MP (Union régionale des sociétés coopératives ouvrières de production) : 05 61 61 04 61 · www.scop-midipy.org/

Vous avez une entreprise et souhaitez rejoindre : › Un GEIQ (Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification) : www.geiq.net › Le CREPI (Club régional des entreprises pour l’insertion) : www.crepi31.org · 05 61 40 45 44

› Les associations intermédiaires : www.loi1901.com/ association/creer_un_association_intermediaire.php › Une régie de quartier ou une régie de territoire : www.cnlrq.org › COORACE Midi-Pyrénées : 05 62 14 49 96 www.cooperactive.org › FNARS 05 34 31 40 29 www.fnars.org

Vous souhaitez : Créer une structure d’insertion : › Les jardins d’insertion : www.loi1901.com/ association/les_jardins_d-insertion.php

Créer ou rejoindre : › Une crèche parentale : www.vosdroits.service-public.fr/F607.xhtml › Une couveuse d’activités : www.uniondescouveuses.com

Aller plus loin dans l’économie solidaire !

• Pour des publics spécifiques :

Associations : CLAP Midi-Pyrénées : 05 62 27 50 48 www.clapmp.com

Femmes : Égalitère : 05 62 27 16 87 · http://egalitere.free.fr

› Une pépinière d’entreprises en Midi-Pyrénées : www.rezopep-midipyr.com/ › Une structure de services à la personne : www.servicesalapersonne.gouv.fr › Une maison de chômeurs en Midi-Pyrénées : http://pagesperso-orange.fr/chomeurs.associes /st%20gaudens.htm#Toulouse › Une AMAP en Midi-Pyrénées : www.amapreseau-mp.org › Le réseau Cocagne et ses paniers de légumes bio : www.reseaucocagne.asso.fr/ Travailler dans l’économie solidaire : › http://www.ressources-solidaires.org

Pour un accès en quelques clics aux sites Internet, ce document est en ligne sur le site www.friture.net

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Panorama

Public / Subventions Conseil régional

URSCOP (Union régionale des sociétés coopératives ouvrières de production) : 05 61 61 04 61 www.scop.coop Associations Midi-Pyrénées :

05 61 39 66 26 › Aide à la création, public en difficulté › Soutien aux promoteurs de l’économie solidaire › Développement de projets de développement local solidaire (appel à projets « Pays » et Parcs naturels régionaux) › Aide insertion par l’activité économique › Sub décroissante en 3 phases : diagnostic, projet et expérimentation

Programmes européens en MP (Sub) FSE, FEDER, FEADER, Coopération En attente de la nouvelle mesure FSE (432 qui succède à la 10b) Consulter : www.europe-en-midipyrenees.eu

Le CLAP www.clapmp.com 05 62 27 50 48

Maison de l’environnement MP Prix Henri-Vernhes Projets liant économie et environnement (Sub) 05 34 31 97 00

Mairie de Toulouse 05 61 22 20 95 Délégation de l’économie sociale et de l’économie solidaire

Financer

Jeunesse et sports 05 34 41 73 00 Programmes « Envie d’agir » · www.enviedagir.fr

Infos sur aides publiques Tout savoir sur les aides au niveau des communes, communautés d’agglo, départements, pays… Consulter : www.associations-midipy.org Infos spécifiques à la solidarité internationale : www.microprojets.org

La Maison de l’initiative : 05 34 63 81 10 www.maison-initiative.org Jeunes : Dispositif « Créajeunes » sur www.adie.org Mission locale : www.mlmidipy.org/arml Club Europe Maghreb MP : 05 34 50 50 49 · www.cemmp.org Personnes en situation de handicap : AGEFIPH : 08 11 37 38 39 www.agefiph.fr

• Autres coordonnées (voir page suivante par département)

Mieux connaître les acteurs de l’économie solidaire en Midi-Pyrénées : › Répertoire édité par l’ADEPES à commander : 05 61 73 04 86 › Les acteurs régionaux classés par thèmes sur www.adepes.org/spip.php?article90 › www.cress-midipyrenees.org Dans d’autres régions, des outils, des idées : › AVISE (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques) : www.avise.org › La région PACA et la région Nord–Pas-de-Calais

Privé / Finances Prêts / Sub / Accompagnement IES

(Initiatives pour une économie solidaire) Pour entreprises collectives d’économie solidaire Apport en capital en PRD 05 61 75 12 97

Midi-Pyrénées Active Projets d’insertion et d’utilité sociale par l’activité économique Prêts participatifs à 2 % - PRD - PTZ associatif - GB 05 62 73 16 53

Solidarité Emploi MP PTZ de 150–2500 € http://solempmidipy.free.fr/ · 05 61 44 27 74

ADIE

(Association pour le droit à l’initiative économique) Micro-crédit pour public n’ayant pas accès au prêt bancaire. Cumulable avec aide EDEN ou PTZ et/ou primes région - Sub · 08 00 80 05 66 (no vert)

CIGALE (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne) CERISOL : 05 61 50 38 42 Sainte-Thérèse : 05 63 66 06 46 Aide à la création AKP · www.cigales.asso.fr/

Nef Prêts professionnels & associatifs pour projets écologiques, sociaux ou culturels · 05 53 70 95 26

Crédit Coopératif 05 62 73 66 81 Relais sur Sub – Prêt d’investissement

Caisse d’épargne 05 62 12 12 82 PELS, Projets d’économie locale et sociale : Sub pour projets de structures (asso, SCOP…)

Association Parcours confiance MP Accompagnement bancaire et micro-crédit · 05 61 22 17 55 Légendes : AD : Aide au démarrage GB : Garanties bancaires Sub : Subvention PTZ : Prêt à taux 0 % - Prêt d’honneur PRD : Prêt à remboursement différé AKP : Apport en capital sous forme de prise de participation

Fondation Macif 05 53 68 15 22 Pour SCOP, associations, fondations et mutuelles Sub pour création ou pérennisation d’emploi dans l’économie sociale

Fondations sont particulièrement dynamiques grâce à l’APEAS et à l’APES : www.apeas.fr · www.apes-npdc.org/ › FINANSOL : www.finansol.org › D’autres indicateurs de richesse : www.caracoleando.org À lire : › L’économie sociale de A à Z, à commander (9,5 €) ou à lire en ligne sur www.alternatives-economiques.fr › L’économie solidaire, J. Prades et B. Costa-Prades, Essentiels Milan, Milan 2008 (5,50 €) › Manifeste de l’économie solidaire : www.sinvestir.org

Guides fondations (CRES) : www.entrepreneursocial-npdc.org/spip.php?rubrique18 www.fondations.org Fondation de France : www.fdf.org

Mécénat Guides du mécénat (CRES) : www.entrepreneursocial-npdc.org/spip.php?rubrique18 www.financements-prives.fr Florian Vair Piova, Fatima Guevara

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Panorama

Structures d’aide aux porteurs de projets par département 82 Tarn-et-Garonne Infos générales : › Action chômage 82 · 05 63 91 13 16 › EREF (Espaces ruraux emploi formation) Saint-Antonin Noble-Val · 05 63 68 24 66 › FOLIES (Formation locale et internationale économie solidaire) · 06 50 48 85 53 Conseil & accompagnement pré-création : › ADPSPA · 05 63 66 67 68 › ADEFPAT · 05 63 36 20 30 › OZON · Saint-Antonin Noble-Val 05 63 68 24 66 / EREF › Boutique de gestion CREER · 05 63 21 01 09 Formation : › ADIF Montauban · 05 63 66 00 22 › ADPSPA / ADEFPAT Financement : › Montauban Tarn-et-Garonne Initiative 05 63 23 25 05 › CIGALE Sainte-Thérèse · 05 63 66 06 46 Accompagnement post-création : › ADEFPAT / OZON Test d’activité : › OZON

46 Lot

12 Aveyron

32 Gers

Infos générales & conseil : › ADEFPAT, Albi, 05 63 36 20 30 › Pot éthique, Maz Mazamet, 05 63 61 21 25 › FOLIES 06 50 48 85 53 Accompagnement pré-création : › REGATE, Castre Castres, 05 63 62 82 84 Permanences à G Graulhet et Carmaux Formation : › ADEFPAT Financement : › Association Parcours confiance 05 63 48 59 60 › Initiatives Tarnaises, Albi, 05 63 48 87 40 Accompagnement post-création : › REGATE › ADEFPAT Test d’activité : › REGATE

Infos générales, conseil & accompagnement précréation : › Culture et Liberté Garonne 06 72 26 24 95 › ADEFPAT 05 63 36 20 30 › OZON – Saint-Antonin Noble-Val 05 63 68 24 66 Formation : › Culture et Liberté Garonne / ADEFPAT Financement : › Quercy Initiative Développement 05 65 20 35 16 Accompagnement post-création : › OZON Test d’activité : › OZON, Culture et Liberté Garonne

31 Haute-Garonne

Infos générales : ADEPES 05 61 73 04 86 / CLAP MP 05 62 27 50 48 / FFPE (Fédération des femmes pour l’Europe) 05 34 30 99 92 / Maison de l’environnement MP 05 34 31 97 00 / FOLIES 06 50 48 85 53 Conseil : BBB 05 61 13 37 14 / CAMINO (Muret, Revel) 05 61 14 62 23 / CBE Nord-Est Toulousain 05 62 89 07 70 / CBE Comminges 05 62 00 12 10 / Culture et Liberté Garonne 06 72 26 24 95 / Égalitère 05 34 46 51 70 / Etymôn (Toulouse, Cazères) 05 61 80 27 82 / Avenir Maison des Chômeurs 05 34 31 33 11 / CEMMP Club Europe Maghreb Midi-Pyrénées 05 34 50 50 49 / Quartier 31, 05 61 40 57 87 / Partage Faourette 05 61 41 61 42 / TO7 Toulouse-Ouverture 05 61 40 97 05 / FFPE /ADEPES / CLAP Accompagnement pré-création : EIC Empalot Initiative et Création 05 61 14 62 20 / Boutique de gestion CREER 05 61 61 45 00 / Oceanides 05 61 98 10 27 / La Maison de l’initiative 05 34 63 81 10 / Midi-Pyrénées Entreprendre 05 61 75 02 36 / Avenir / CEMMP / CAMINO (Muret, Revel) / Culture et Liberté Garonne / Égalitère / Etymôn Formation : ADEFIM 05 61 14 61 21 / ADEPFO 05 61 11 03 11 / Boutique de gestion CREER / Cépière Formation 05 62 14 95 00 / AFPA 05 61 14 71 39 / Culture et Liberté Garonne / Oceanides / Égalitère / BBB / La Maison de l’initiative Financement : Solidarité Emploi MP 05 61 44 27 74 / Comminges Initiative 05 62 00 96 10 / Haute-Garonne Initiative 05 61 33 65 45 / CERISOL 05 61 50 38 42 / EIC Accompagnement post-création : La Maison de l’initiative 05 34 63 81 10 / CAMINO / EIC / CLAP/ Égalitère / Midi-Pyrénées Entreprendre Test d’activité : Coop’Action 05 62 19 11 06 / Boutique de Gestion CREER / La Maison de l’initiative / Culture et Liberté Garonne / Etymôn

10

Infos générales & conseil : › RILE 12, Onet Le Château, 05 65 78 08 00 › IDEES, Saint-Affrique, 05 65 99 38 42 › Oct’ave, Rodez, 05 65 77 77 05 Accompagnement pré-création : › ADEAR 12, Saint Izaire, 05 65 99 45 65 › REGATE 12, Onet Le Château, 05 65 42 42 42 › IDEES / RILE 12 / Oct’ave Formation : › URQR, Villefranche-de-Rouergue, 05 65 81 26 64 › CRAISAF, Rodez, 05 65 77 09 74 › ADEFPAT, Albi, 05 63 36 20 30 Financement : Parcours confiance 05 63 48 59 60 › Association Parco › Sud Aveyron Initiatives, Millau 05 65 59 59 14 › Aveyron Rodez Initiative 05 65 77 77 00 › Oct’ave Accompagnement post-création Accom & test d’activité : › REGATE RE

81 TTarn

Infos générales, conseil, accompagnement pré-création & formation : › Culture et Liberté Garonne 06 72 26 24 95 › Boutique de gestion ARTE 05 62 05 52 55 › ADEFPAT 05 63 36 20 30 Financement : › Solidarité Emploi Gers 05 62 58 07 19 › Initiative Artisanale Gersoise 05 62 61 22 22 Accompagnement post-création & test d’activité : › Gers Initiatives 05 62 07 38 08 › Boutique de gestion ARTE

65 Hautes-Pyrénées Infos générales : › ADEL (Association pour un développement équitable et local), Tarbes 05 62 38 05 12 Conseil, accompagnement pré-création & formation : › Boutique de gestion ARTE, Auch 05 62 05 52 55 › ADEPFO 05 61 11 03 11 Financement : › Bigorre Initiative,Tarbes 05 62 56 79 65 › Accompagnement post-création : › Boutique de gestion ARTE Test d’activité : › Crescendo, couveuse associative, Tarbes 05 62 36 21 34 › Boutique de gestion ARTE

09 Ariège

Infos générales : › L’équi’table 05 61 64 92 97 › Volonté de femmes en Ariège, Pamiers, 05 61 67 51 72 Conseil, accompagnement pré-création : › Formascop, La Bastide de Sérou, 05 61 02 71 49 › Oceanides, Montbrun-Bocage, 05 61 98 10 27 Formation : › ADEPFO 05 61 11 03 11 / Formascop Financement : › Ariège Initiative, Verniolle, 05 61 69 00 28 Accompagnement post-création : › Oceanides Test d’activité : (voir structures régionales) Florian Vair Piova, Fatima Guevara avec la collaboration d’Alexandra Véland et Claire Landat Sources ADEPES actualisées

Friture 6


Panorama

Le retour en force de la

fraternit é

François Plassard est ingénieur en agriculture et docteur en économie. Il fut à l’initiative de « l’Université du temps choisi » menée en Rhône-Alpes et en Italie dans les années 1990. Homme de terrain, il navigue aussi dans l’autoconstruction, les projets de quartiers et de milieux ruraux. Il donne sa vision de la crise actuelle et explique son concept de l’économie circulaire. Friture : Selon vous, une société équilibrée est une combinaison d’échanges entre trois utopies : la liberté associée au marché ; l’égalité, fonction de l’État ; la fraternité basée sur le don et la réciprocité.

François Plassard : Dans notre imaginaire, la liberté est liée au pouvoir de l’argent et associée au marché qui produit des biens privés. L’égalité est liée à la fonction compensatrice de l’État qui prélève et redistribue et qui va produire des biens collectifs. Quant au mot fraternité, inscrit sur les frontons de notre République depuis 1848, nous n’avons pas su lui donner un contenu. Mais il veut bien dire que notre société est un équilibre entre ces trois formes d’échanges : celui du marché, de l’État, du don et de la réciprocité. Si une société ne régule pas le marché, et on le constate depuis ces 20 dernières années, elle court à la catastrophe. F. : Pouvez-vous préciser cette notion de fraternité, de don et réciprocité ? F.P. : Nous passons de plus en plus d’une économie industrielle productrice d’objets de masse où le contenu en travail humain se réduit à une économie domestique où, en revanche, le contenu de travail est important. Près de 90 % des activités humaines de demain sont dans l’agriculture et l’environnement de proximité, la santé, la culture, le service à la personne, les loisirs, l’éducation… Don et réciprocité font partie de la qualité de l’économie domestique. Par la nature même des activités de demain et de l’évolution de la société de services, le mot fraternité, qui englobe l’échange de don et de réciprocité, est à l’ordre du jour. F. : C’est une vision plutôt optimiste ! F.P. : À chaque rupture dans notre histoire, le mot fraternité revient en force. Et nous vivons aujourd’hui une rupture du même ordre que celle des années 1930. La société civile voit la faillite de l’alliance entre le

octobre › décembre 2008

marché et l’État qui a abandonné sa fonction régulatrice. F. : Justement, n’est-ce pas la société civile qui a récupéré certaines prérogatives abandonnées par l’État ? F.P. : Dans l’économie solidaire, une part des emplois est déléguée par l’État, mais en créant des activités précarisées et peu pérennes. Dans la vision de « moins » d’État, il y a d’évidence cette idée que, si les gens peuvent bénévolement accomplir certaines fonctions autrefois à la charge de l’État, c’est parfait. Le débat posé est de savoir si l’on considère l’économie solidaire comme l’infirmerie de la mondialisation ou comme un outil de transformation de la société. F. : L’économie solidaire peut-elle donc transformer la société ?

© Audrey Guerrini/Émulsion

F.P. : Un des enjeux est de changer de système de production. En 20 ans, la production a doublé avec un tiers de travailleurs en moins. La France est l’un des pays avec la plus grande productivité par travailleur. Ce n’est pas en formant des gens qu’ils trouveront du boulot. On ne peut plus croire que le chômage est une inadéquation entre l’offre et la demande. F. : Est-ce que l’économie solidaire peut incarner cette transformation ? F.P. : Une économie de marché menée par la liberté, un peu d’égalité, est linéaire : elle extrait, transforme et jette. 95 % de nos produits ont une durée de vie inférieure à

six semaines. Il faut sortir de cette économie linéaire pour entrer dans une économie circulaire qui recycle, répare, réévalue, recombine, relocalise… C’est-à-dire une économie qui ressemble au processus du vivant. Ce qui fait sens localement ne doit plus être défini au niveau national et doit être négocié au plus proche du territoire. Le débat est sur le pourquoi et le quoi produire, nous devons dépasser le comment produire pour entrer dans un échange de circularité. Pour cela, il faut interpeller les processus décisionnels et créer aussi une monnaie d’économie de territoire qui stimulerait l’économie circulaire. Propos recueillis par Florian Vair Piova et Emmanuel Scheffer

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Débat

Pour que l’économie solidaire transforme la société,

il suffirait… Friture a souhaité rassembler autour d’une table différents acteurs de l’économie solidaire en MidiPyrénées : institutionnels*, financeurs solidaires, accompagnateurs de projets et économistes. Un débat pour comprendre ce qu’est l’économie solidaire et quels sont les outils à mettre en place pour qu’elle devienne un véritable levier pour un autre développement. Ont participé au débat Josette Combes, spécialiste de l’économie solidaire, Frédéric Gay, accompagnateur de porteurs de projets, et Jean-Éric Florin, financeur solidaire. Friture : Pouvez-vous donner une définition de ce qu’est l’économie solidaire ?

l’écologie et l’économie solidaire sont très proches par contingence obligatoire.

F. : Des innovations qui donc s’inscrivent sur du long terme.

Josette Combes : Ma définition de l’économie solidaire n’est pas « économiciste ». L’économie solidaire est une forme d’économie qui respecte avant tout le vivant. L’économie est la gestion et la mise en équilibre du flux du vivant. Elle cherche à maintenir l’équilibre entre tous les éléments vivant sur la planète. Et pour maintenir cet équilibre, cela veut dire que l’on prend en compte le fait que la planète est limitée, que l’être humain n’est pas le seul être vivant et on inclut toute l’écologie, parce que

Frédéric Gay : Tout d’abord, je ne crois pas qu’il faille mélanger économie sociale et économie solidaire, au risque de les rendre illisibles. La définition de l’économie sociale est claire et simple : elle se définit en fonction des statuts juridiques associatif, coopératif et mutualiste. Les acteurs de l’économie solidaire, au-delà de la question du statut qu’ils empruntent souvent à l’économie sociale, sont des acteurs qui veulent se transformer en transformant le monde. Il y a un côté innovation sociale et écologique fondamentale au cœur du projet.

F.G. : C’est pour ça que c’est de l’économie solidaire. Des structures comme Éthiquable changent le marché, la façon de faire de la politique et de l’économie, parce qu’elles ont un poids. Mais elles n’ont pas vocation à devenir grandes et surtout pas à rester petites. Rester de taille raisonnable leur permet d’avoir suffisamment de moyens professionnels, un impact en termes de communication et de crédibilité pour montrer que vivre et travailler autrement est possible. Même si en termes de volume économique ce n’est pas encore énorme, l’économie solidaire est un véritable laboratoire qui peut être ensuite récupéré par le marché.

Josette Combes : spécialiste en méthodologie de projets dans l’économie solidaire, sociolinguiste de formation, maître de conférence, et enseignante au Master d’économie sociale et solidaire de Toulouse Le Mirail 2.

Jean-Éric Florin : J’ajouterais que l’économie solidaire s’inscrit dans une logique de création de richesses portée par des militants. Mais l’objet des entreprises solidaires diffère des structures capitalistiques qui cherchent à faire fructifier leur capital. Ici, les structures d’économie solidaire transforment cette notion de capital qui n’appartient à personne. F. : En économie solidaire, la notion de territoire est importante. F.G. : Les structures d’économie solidaire sont effectivement ancrées sur leur territoire. Elles sont indépendantes des collectivités territoriales et pratiquent un fonctionnement démocratique dont l’objectif principal n’est pas le profit, mais dont la logique est économique.

© Audrey Guerrini/Émulsion

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J.-E.F. : Si l’économie solidaire veut exister, il faut qu’elle soit effectivement économique. C’est-à-dire qu’elle soit pertinente dans son offre et rentable, qu’elle crée de la richesse et donc qu’elle s’inscrive dans un système concurrentiel. Ce qui veut dire

Friture 6


Débat

proposer un rapport qualité/prix cohérent avec son environnement.

F. : Comment fonctionne ce fonds commun de placement (FCPIE) ?

F. : Quel est l’intérêt du consommateur à utiliser telle prestation ou tel produit de l’économie solidaire ?

J.-E.F. : L’encours du FCPIE est environ de 200 millions d’euros dont 90 % sont investis en bourse et 10 % dans les entreprises solidaires. Nous utilisons ces 10 %, ce qui fait un peu d’argent. Le gestionnaire du FCPIE est Natixis, qui n’a rien de solidaire. En investissant 90 % dans des valeurs qui gagnent de l’argent, on cherche à sécuriser

J.-E.F. : La différence n’est pas dans le produit ou dans la prestation mais dans le fait qu’il offre la possibilité d’être acteur d’un choix de société. Je préfère choisir le produit de telle structure parce qu’elle porte des valeurs et qu’elle fonctionne de telle manière. Il me semble que le consommateur est, premièrement, capable et, deuxièmement, a envie d’être acteur de sa consommation. Mes propos sont peut-être naïfs ou utopiques, mais j’y crois.

F. : Quel est votre deuxième exemple ? J.-E.F. : Éthiquable apporte de l’image à une grande surface et se paye le luxe de l’écrire. Moi, je trouve ça extrêmement intéressant. C’est une manière d’être dans la compromission de fait, mais de faire avancer des idées. Je reviens à ce que je disais, je ne crois pas à la pureté de l’économie solidaire, je crois à la pureté du sens que l’on donne. La fin ne justifie pas les moyens, mais on

J.C. : Je retourne votre question : pourquoi des producteurs se lanceraient-ils dans une histoire d’économie solidaire ? Parce qu’ils voudraient travailler autrement, ils voudraient donner du sens à leur activité professionnelle. Le ferment du développement de l’économie solidaire est là ! S’il n’y a pas des gens qui sont motivés pour produire autrement, pour travailler autrement, exister autrement, l’économie solidaire aura vécu un petit temps et elle disparaîtra. Sur ce projet se rencontrent d’un côté des gens qui veulent travailler autrement et, de l’autre, des gens qui ne peuvent plus travailler parce que le système dit « normal » ne le leur permet pas. J.-E.F. : Je ne crois pas à la pureté de l’économie solidaire qui dit : « Nous, on est des gens biens et les autres non ». Au contraire, je crois à une vision plus compromettante. Deux petits exemples qui me parlent. Le premier concerne le travail de Midi-Pyrénées Active. On fait des financements pour les entreprises de l’économie solidaire. Pour prêter de l’argent, il faut le collecter quelque part. Les trois quarts de nos ressources proviennent de l’épargne solidaire, notamment de l’épargne salariale. Le réseau France Active dispose d’outils qui collectent cette épargne. Aujourd’hui, dans les plans d’épargne salariale, les employeurs ont l’obligation de proposer à leurs salariés un support solidaire. C’est ensuite le salarié qui arbitre en choisissant tel ou tel fonds comme, par exemple, le fonds commun de placement insertion emploi que nous utilisons pour collecter des ressources et pour investir dans les entreprises solidaires.

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© Audrey Guerrini/Émulsion

Frédéric Gay : président d’Etymôn, pépinière associative qui accompagne les porteurs de projets en économie solidaire (www.etymon.fr) ; conseiller pour une SCOP de conseil en développement local solidaire (SAPI) ; responsable de la formation et de l’animation de Terra Via (www.terra-via.org), association d’éducation à la consommation responsable.

l’épargne et, éventuellement, à produire un peu de rendement pour dégager ces 10 % servant à financer des projets dont on n’espère pas de rentabilité et qui sont plus risqués. En un mot : compromission ! F. : Mais à quoi servent les 90 % placés en bourse ? Dans quels réseaux s’insèrent-ils ? Et quelles en sont les conséquences ? J.-E.F. : Compromission ! Moi je trouve ce fonctionnement intéressant. On utilise les outils du marché pour les pervertir afin de mobiliser de la ressource là où on veut la mobiliser.

est dans une réalité. On ne peut pas vendre un produit en disant qu’il est plus sympathique, qu’il est plus gentil. Cela n’a pas de sens. On ne peut pas collecter de l’épargne solidaire en disant : prenez 100 % de risque avec zéro espérance de gain. F. : Comment aider les structures de l’économie solidaire ? Quels types de mesures pourraient prendre les collectivités territoriales pour favoriser leur essor ? J.C. : Les collectivités territoriales qui souhaitent encourager l’emploi local peuvent donner la priorité à l’entreprise qui a

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Débat

F. : Comment remédier à cette dépendance ? J.C. : Quand le secrétariat d’État à l’économie solidaire a été créé, Guy Hascoët a lancé un appel à projet. Plus de 2000 propositions ont émergé du terrain, dont 140 en Midi-Pyrénées. Le fait de donner cette espèce de bannière a permis une forme de coalition qui rend le mouvement plus fort. On finit par s’apercevoir que l’économie solidaire c’est plus, et sur beaucoup plus de champs que ce que l’on avait coutume d’entendre et de voir. Je conseille aux élus locaux de lancer un appel à projet et de décider de mettre une somme. La mission du politique est de regarder sur son terrain les niveaux d’innovation et d’effervescence qui existent, incarnés par des acteurs qui « galèrent » à trouver des soutiens financiers. Le problème des projets de l’économie solidaire, ce n’est pas qu’ils ne sont pas rentables, c’est qu’ils s’épuisent à aller voir les banques et à monter des plans de trésorerie.

© Audrey Guerrini/Émulsion

Jean-Éric Florin : directeur de Midi-Pyrénées Active (réseau national France Active) financeur solidaire pour l’emploi (www.franceactive.org).

recours à la fabrication locale, plutôt qu’une entreprise de plus grande envergure qui a une volatilité territoriale plus importante. C’est une arme de choix que possèdent les élus locaux, comme celle de la taxation des produits au bilan carbone déplorable, qui encouragerait la production locale et limiterait le transport des produits. Je pense que la relocalisation de l’économie va se faire, contrainte et forcée, parce que la question des transports va devenir tragiquement insoluble. J.-E.F. : Les choix des collectivités doivent intégrer des critères de localisation et des clauses d’insertion. Elles doivent prendre en compte cette notion de long terme qu’il y a dans le bio, le commerce équitable, l’environnement et l’emploi. Quand le précédent maire de Toulouse a choisi Decaux au lieu de Movimento, c’était de la politique à court terme sachant que les élections étaient dans trois mois. L’argument des marchés publics peut être énorme. À partir du moment où l’on souhaite inclure des clauses d’insertion dans les marchés publics, on regarde le territoire, on accompagne un créateur dans le domaine s’il le faut. C’est une logique de cohérence

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de l’ensemble de la politique que d’inclure la dimension de long terme et de mettre en place les outils nécessaires.

F.G. : Il faut arrêter les subventions à l’année et mettre en place une convention pluriannuelle et que se retrouve, tous les trois mois, une commission composée de l’État, du conseil régional, du conseil général et de la ville, avec des outils d’évaluation des projets. Du coup, les projets auront une visibilité et pourront mobiliser des financiers et des ressources humaines.

J.C. : Cela repose aussi sur la capacité des acteurs à se regrouper sous une forme qui soit opérationnelle politiquement. En MidiPyrénées, je suis navré de le dire, mais c’est poussif. Il y a une dispersion incroyable des têtes de réseaux qui ont leurs pôles qui les soutiennent. Je ne remets pas en cause la qualité du travail qui est fait, mais la visibilité et le fait que cela finisse par faire une politique. La CRESS (Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire) et l’ADEPES (Agence de développement et de promotion de l’économie solidaire) auraient dû fusionner pour faire un seul outil de promotion de ces économies. Chez les acteurs de l’économie solidaire manque souvent une perception des enjeux de représentation politique. Il n’y a pas de mobilisation forte pour se faire entendre, pour revendiquer.

J.C. : Le conseil régional devrait dire : « Voilà nos orientations et voilà une somme allouée à l’innovation et à l’expérimentation. » Sinon, c’est toujours les mêmes structures qui reçoivent les subventions. Si tu ne fais pas partie du lot, tu mets deux ou trois ans à te faire reconnaître et tu meurs en route. Plein d’initiatives disparaissent parce qu’elles ne sont pas dans le créneau. Le conseil régional devrait avoir un fonds pour soutenir les innovations et les expérimentations de l’économie solidaire. Il faut aussi que l’économie soit ambitieuse.

J.-E.F. : Notre dépendance aux finances publiques fait que l’on a du mal à se coordonner. On se partage le gâteau. Une fragilité qui induit un comportement pas forcément solidaire.

Propos recueillis par Florian Vair Piova et Emmanuel Scheffer

F. : Encore faut-il avoir les outils à disposition ! J.C. : Oui, mais sans ambition, les outils ne viennent pas.

* Interview institutionnel en page 15.

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Débat

Vers un fonds d’

investissement

solidaire géré par la ville de Toulouse et la région ? La création de la délégation de l’économie sociale et solidaire à la mairie de Toulouse suscite l’intérêt. Jean-Paul Pla, son représentant, nous explique la politique de la ville, les premières réalisations et ses objectifs. Friture : Depuis l’élection de Pierre Cohen à la mairie de Toulouse, qu’est-ce qui a été mis en place pour le développement de l’économie solidaire ? Jean-Paul Pla : La première chose mise en place est une délégation à l’économie sociale et solidaire. Cela signifie qu’il y a une volonté de montrer qu’à Toulouse on peut avoir un développement solidaire pour les gens qui sont mis en exclusion mais aussi pour toutes les autres personnes qui veulent créer des projets autrement. Des projets qui prennent en compte le territoire et répondent à des besoins non satisfaits. Donc, concrètement, on a financé plusieurs structures de l’économie solidaire comme ADEPES (Agence de développement et de promotion de l’économie solidaire), Etymôn, Mobilib, Bois et compagnie, la Maison de l’initiative ou les régies de quartiers. On a aussi décidé de financer et d’aider IES (Initiatives pour une économie solidaire) sur la démarche de financement solidaire. Pour finir, la mairie lance l’opération « Toulouse solidaire ». Ce sont deux mois d’événements sur la ville. F. : En ce qui concerne les marchés publics, quel est le positionnement de la ville ? J.-P.P. : Premier point sur les marchés publics, on est en train de réfléchir à la façon dont la clause d’insertion doit être respectée par toutes les entreprises qui ont eu des marchés publics dans lesquels cette clause était insérée. Il faut voir comment suivre et susciter son application. Le deuxième point est de voir comment, sur les marchés publics de la ville de Toulouse, on peut avoir une partie pour les entreprises d’insertion ou les entreprises solidaires qui ne peuvent pas répondre à de gros marchés, mais qui peuvent répondre à des parties de ces marchés. Nous essayons aussi de susciter ce que l’on appelle un groupement d’établissements solidaires. On l’a fait pour le second œuvre du bâtiment. Le but est de voir comment, en se mettant ensemble, on peut être complémentaires et on peut répondre à des marchés plus importants.

Active, qui permette d’obtenir des prêts (avec des taux ne dépassant pas les 2 %) un peu plus importants pour le monde associatif et les entreprises solidaires. Des prêts allant jusqu’à 60 000 euros, avec un remboursement sur cinq ans. Ce qui veut dire qu’on n’est plus sur du micro-crédit mais sur du prêt plus important. On travaille là-dessus actuellement. La région a cette idée, nous aussi. On se dit que l’on pourrait avoir une seule structure de gestion de ce fonds qui permettrait de faire des économies et d’aller vers une complémentarité. F. : Donc il y a un portage politique au niveau de la mairie de Toulouse ? J.-P.P. : Il y a une volonté politique, qui était déjà affirmée pendant la campagne, qui passe aujourd’hui au stade de la réalisation et de la concrétisation. Le développement solidaire est transversal. Les questions aujourd’hui sont : comment mettre en place dans les cantines des repas équilibrés avec des producteurs locaux, comment le transport peut permettre à des structures de l’économie solidaire telles que Mobilib ou d’autres de se développer, comment construire autrement…? Bref, comment encourager à s’investir dans ces créneaux des structures nouvelles qui ont comme valeurs le respect de l’environnement et de l’individu ? Propos recueillis par Florian Vair Piova

F. : Actuellement le conseil général de la Haute-Garonne, le conseil régional Midi-Pyrénées et la mairie de Toulouse sont à gauche. Est-ce qu’il y a l’idée de se réunir pour des projets à plus grande échelle ? J.-P.P. : On est en train de réfléchir avec la région à la mise en place d’un « Fonds régional d’investissement solidaire » alimenté par les banques solidaires et par Midi-Pyrénées

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Commerce

É thiquable :

des coopératives au Sud… et au Nord !

Allée du Commerce équitable à Fleurance, dans le Gers, c’est bien là le siège de la SCOP Éthiquable, créée en 2003, et déjà leader du commerce équitable sur le marché national. La preuve qu’on peut concilier réussite et valeurs humaines. Lorsque Rémi Roux a fondé Éthiquable avec deux amis, c’était pour donner du sens à son travail et venir en aide aux autres. Pour lui, « le commerce équitable permet de remettre l’homme et son travail au centre des valeurs et de défendre l’agriculture paysanne et ses savoir-faire ». Et pour appliquer ces valeurs participatives et humanistes, le statut de SCOP s’est imposé. Avec, en 2007, 18 % de son chiffre d’affaires réalisés en grandes surfaces, la recette fonctionne !

Au Sud, l’union fait la force Avec ses 35 coopératives partenaires, Éthiquable commercialise 20 millions de produits par an, tous labellisés Max Havelaar. Pour les petits producteurs du Sud, les coopératives représentent la possibilité de s’unir pour accéder à des marchés plus vastes, de mutualiser les moyens de production, de se former, de pratiquer la démocratie et d’être acteurs de leurs choix de développement. De fait, Éthiquable alloue 10 % de ses bénéfices à des projets portés par les coopératives, notamment pour maintenir la valeur ajoutée sur place, par de la transformation et du conditionnement. Conscient que certains s’interrogent sur la légitimité de promouvoir le commerce équitable en grande surface (GMS), Rémi Roux est confiant : « Il faut savoir utiliser la GMS car en vendant de

© Ethiquable

gros volumes, nous touchons plus de petits producteurs. Or, notre objectif principal est justement d’aider les plus pauvres, avant de s’intéresser par la suite aux autres maillons de la chaîne. » De plus, Éthiquable a la particularité d’avoir imposé à la GMS une marge de 25 % maximum sur ses produits, alors que cette marge frise parfois les 50 %.

Une SCOP, pour entreprendre autrement Mais Éthiquable ne se contente pas d’appliquer ses principes uniquement au Sud : le statut de société coopérative de production (SCOP) s’est imposé naturellement, ce qui n’est pas le cas chez tous les concurrents ! Ainsi, Rémi Roux se réclame de l’entreprenariat social* : « L’entreprise est l’outil de l’homme moderne et doit permettre d’aider et non d’opprimer ou d’enrichir une minorité. » Ici, tous les salariés deviennent associés au bout de deux ans, par l’achat d’une ou de plusieurs parts sociales à 20 euros, et c’est la règle : « un associé = une voix » qui s’applique pour toute décision. Comme le capital est détenu en majorité par les salariés, la SCOP se voit pérennisée. Malgré certains inconvénients, la décision de s’implanter au cœur du Gers est aussi un choix fort, générateur d’emplois. Éthiquable est agréée entreprise solidaire : les salaires les plus hauts y sont plafonnés à quatre fois les plus bas, eux-mêmes supérieurs au SMIC. Pour Rémi Roux, « la SCOP permet de dépasser les questions de rémunération et d’impliquer chaque salarié tout en lui offrant une véritable considération ». Quel dommage que ce statut ne soit pas davantage choisi par les créateurs d’activité… Marie-Laëtitia Melliand

© Ethiquable

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*Collectif pour le développement de l’entreprenariat social (CODES) : www.avise.org/es www.ethiquable.com

Friture 6


Commerce

Concilier

et réalités économiques

Websourd est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Son statut lui permet d’attirer des investisseurs extérieurs mais nécessite d’être vigilant pour préserver sa démarche solidaire envers les sourds. Websourd développe des services à destination des personnes sourdes : un site Internet, bien sûr, et une diversité de prestations dont, par exemple, l’assistance dans les entreprises pour les communications téléphoniques d’un salarié sourd via une webcam et un interprète en langue des signes ; ou encore, gare de l’Est, à Paris, des informations sur écran, là aussi en langue des signes. Un procédé qui sera étendu à d’autres gares et, peut-être, à des aéroports et des lieux publics. Le but de Websourd est de faciliter l’insertion des sourds dans la société, dans la vie citoyenne. Quand l’association a vu le jour à Toulouse, en 2001, ses fondateurs, la Fédération nationale des sourds de France (FNSF) et l’Union régionale des sociétés coopératives (URSCOP) de Midi-Pyrénées, avaient déjà pour projet de la transformer en SCIC, ce qui a été fait en février 2004. « La SCIC permet de réunir d’autres partenaires que les usagers », explique François Goudenove, PDG de Websourd. Des collectivités ont été contactées et seule la mairie de Toulouse a accepté d’entrer dans le capital de la jeune SCIC, en avril 2006, en investissant 10 000 euros. Cependant, le conseil général de l’Essonne et les villes

de Paris, Lille ou Lorient sont clientes de Websourd. François Goudenove poursuit : « Nous avons une démarche de solidarité. L’objectif n’est pas de rémunérer des actionnaires, mais Websourd doit être économiquement viable. » Chaque action de la SCIC a une valeur de 50 euros. Les actionnaires sont répartis en cinq collèges : les partenaires financiers (qui ont chacun un capital supérieur à 5000 euros) : Macif, Mutualité française, Sanofi-Aventis, Caisse d’épargne, ville de Toulouse, Chèques déjeuner… ; les partenaires actifs (dont le capital ne dépasse pas 5000 euros) : Interprétis, la société de communication Nuances du sud… ; les membres fondateurs FNSF et URSCOP Midi-Pyrénées ; les salariés ; les usagers qui représentent quelque trois cents personnes, sourdes pour la plupart. L’actionnariat de Websourd est donc très éclaté : « Ainsi, le pouvoir reste à ceux qui ont le savoir sur les problèmes liés aux sourds », se félicite François Goudenove. Chaque collège représente 20 % des voix en assemblée générale et a deux représentants au conseil d’administration. Celui-ci est composé de cinq sourds et cinq entendants, dont deux connaissent la langue des

signes. « Notre tâche n’est pas simple, car les financiers investissent rarement dans des coopératives », regrette le PDG de Websourd. Les partenaires financiers, faute d’obtenir un retour sur investissement, accordent des prêts avec intérêts à Websourd. Une forme pour eux de rémunération. Websourd compte 15 salariés, auxquels s’ajoutent 4 ou 5 interprètes travaillant en sous-traitance. En 2007, la SCIC a réalisé un chiffre d’affaires de 1,1 million d’euros et dégagé un bénéfice de 50 000 euros, une somme utilisée pour éponger le déficit subi en 2005. La SCIC entend aussi investir ses futurs profits dans le développement des indispensables innovations technologiques à la base des prestations rendues aux usagers. Websourd, pionnier des prestations destinées aux sourds, s’efforce de concilier nécessités économiques et démarche militante — les actionnaires attendront —, alors que d’autres entreprises se développent sous forme de SA ou de SARL sur le même créneau : le secteur est devenu très concurrentiel. Bruno Vincens www.websourd.com

© Websourd

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Fruits

Environnement

fleurs de Partage

Dans les jardins familiaux de l’association Partage-Faourette, les habitants du quartier pratiquent la gestion collective et l’autoproduction. Inaugurés en 1999, les jardins sont nés de deux années de travaux communs entre Partage-Faourette et les familles, fruits de réflexions et productions partagées. Parmi les choux et les aubergines fleurissent solidarité et mixité culturelle. Entre la rocade toulousaine et la route de Seysses, les jardins sont des havres de paix mais aussi, de façon très pragmatique, un apport conséquent en légumes frais et bio. L’idée est venue d’habitants du quartier dotés d’un savoir-faire agricole. Avec du matériel de récupération, cabanons et toilettes ont été bâtis en commun. Le comité de pilotage, composé de 10 jardiniers et d’un représentant de Partage-Faourette (élus pour trois ans), gère les 48 parcelles de 140 m2 octroyées à vie à chaque famille dont la production doit servir à la consommation familiale. Les attributions se basent sur une mixité générationnelle, sociale, culturelle... Les jardiniers participent aux assemblées générales tous les deux mois. Dans ces espaces de parole s’organisent l’entretien des communs (eau, allées, toilettes), les fêtes ou les échanges de semis. Parfois, chocs culturels ou idéologiques génèrent des débats houleux : alors que certains tentaient d’interdire la consommation d’alcool dans les jardins, de nombreux échanges ont eu lieu avant d’aboutir à un statu quo et à une tolérance réciproque. Les 13 origines culturelles de cette micro-société s’expriment aussi à travers les cultures pratiquées. Chabane, jardinier assidu raconte : « Quand tu vois beaucoup de choux dans un jardin, tu peux être sûr que c’est un Portugais qui s’en occupe. Beaucoup de piments, ce sont des Chinois ou des Asiatiques, et beaucoup de menthe, c’est forcément des Marocains ! » Fils-Aimé, Haïtien et tailleur à la retraite, soigne ses haricots en grains, ses poivrons et « piments piqués », et anime également l’atelier couture. Pour Martine, qui aime

venir « toucher la terre », la richesse des jardins c’est « la mixité, avec les problèmes que ça pose. On tchatche des légumes et d’un peu de tout ». Elle note un certain cloisonnement : « On visite peu les jardins des autres. » Certaines parcelles sont exploitées jusqu’au dernier recoin, alors que d’autres laissent des herbes folâtrer. Sous la tonnelle de Miloud et Chabane, on voit une mare avec joncs et nénuphars. Le potager étonnant de Kassous, très land art, se pare de mille objets colorés et brillants. Au fond, quatre parcelles sont réservées à des associations et 10 lopins à des personnes en grande difficulté. Actuellement, 200 familles sont en liste d’attente. « Il y a besoin d’essaimer ce genre de projet, déclare Bernard Baubil, directeur de Partage-Faourette. Cette action concrète de proximité répond à une demande de développement de citoyenneté. » Dans le même esprit, un salon de thé co-géré ouvrira ses portes en novembre. En 2009, pour fêter les 10 ans des jardins, une agora doit voir le jour dans le cadre d’un théâtre de verdure qui pourra accueillir jusqu’à 60 personnes lors de spectacles de théâtre et de musique. Fatima Guevara Partage-Faourette 17 rue Paul-Lambert · 31000 Toulouse Tél. : 05 61 41 61 42

© Audrey Guerrini/Émulsion

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Friture 6


Environnement

Le Garage est dans le pré L’atelier d’Ibos, à côté de Tarbes, est un bel exemple de structure de l’économie solidaire qui concilie innovation technologique, écologie, développement local et utilité publique. Rien que ça ! Augmentation du prix du pétrole, baisse du pouvoir d’achat, changement climatique font la une des journaux. La voiture, gourmande en énergie et productrice de CO2, apparaît comme un problème central. Pourtant, les stratégies de développement des constructeurs vont toujours dans le même sens : si ces nouvelles voitures sont moins polluantes, elles ont une durée de vie de plus en plus courte et ne sont plus réparables par leur propriétaire, du fait de leur technicité. L’État, lui non plus, n’encourage pas le meilleur changement dans le domaine puisqu’il récolte, via la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), 25 % de son budget annuel. Mais aujourd’hui, quand on prend le temps d’étudier les alternatives, on se rend compte que des solutions solidaires, viables et durables existent bel et bien près de chez nous. Il y a cinq ans, Jérôme DuffaurDessus, mécanicien, quittait son poste de chef d’équipe « véhicules de travaux publics » pour créer l’association le Garage. L’idée : permettre aux adhérents de réparer leur véhicule en mettant à leur disposition un lieu, de l’outillage et, éventuellement, des conseils techniques. « Aujourd’hui, 370 personnes, dont la moitié en difficulté sociale, fréquentent le lieu », indique Jérôme. Si l’idée allait de soi, sa mise en œuvre fut difficile. Il a fallu d’abord trouver un assureur qui accepte de couvrir les risques pour les utilisateurs, puis des financeurs qui assument une partie des coûts d’encadrement. Paradoxalement, la reconnaissance d’utilité publique du service proposé par le Garage n’est pas venue du conseil général, mais de la fondation SEB qui a pris en charge, pour 2008, la moitié des frais de fonctionnement de l’association.

Des réalisations éco-technologiques Parallèlement au Garage, Jérôme Duffaur-Dessus crée une autre association : le Bio Atelier de Bigorre (BAB). Il s’agit d’un bureau d’études composé d’enseignants, de techniciens, d’ingénieurs, de mécaniciens… qui propose des animations et des modules de formation autour de produits éco-technologiques de sa conception. La première réalisation a été la mise en fonction du réacteur Pantone® dont le procédé développé et breveté s’appelle Nebulibox® H2O. Adaptable sur n’importe quel moteur thermique, Nebulibox® H2O utilise l’hydrogène de l’eau qu’il conduit dans l’arrivée d’air, via le réacteur Pantone®,

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pour optimiser la combustion. Il en résulte un meilleur rendement qui permet une économie de carburant et une dépollution. Jérôme Duffaur-Dessus confirme : « Les résultats sont optimums sur des moteurs très productifs. Par exemple, pour les groupes électrogènes, les tracteurs, les motopompes, l’économie de gazole est de 30 à 40 %. » Cette combustion optimisée réduit de 99 % l’émission de CO2. Récemment, le BAB a mis au point un éco-biogénérateur. Mobile, puisqu’il est installé sur une petite remorque, ce groupe combine des panneaux solaires, un moteur qui fonctionne à l’huile végétale et des batteries. L’ensemble est géré par un ordinateur qui démarre le groupe en fonction de la puissance demandée. Avec une puissance de 9 kW, l’éco-biogénérateur peut répondre aux besoins en électricité d’une famille de quatre personnes qui vit dans une maison de 120 m2. Il est idéal pour ceux qui recherchent l’autonomie.

Trouver l’équilibre entre projet collectif, utilité publique et viabilité financière En 2008, un tournant se profile : l’enjeu initial était de développer les activités économiques pour pouvoir produire et commercialiser les produits du BAB à plus grande échelle. Aujourd’hui, le statut d’association n’est plus adéquat pour permettre, entre autres, d’être reconnu auprès des banques. Après réflexion, les membres du BAB ont créé une SARL : O2E (Optimise Énergies Environnement), qui reverse 7,5 % de ses bénéfices à l’association. Malgré l’enthousiasme immédiat des usagers du Garage et le développement du BAB, il aura fallu quelques années de bénévolat pour que ces structures se voient reconnues et soutenues par les pouvoirs publics. Le conseil régional de Midi-Pyrénées vient de donner son accord pour le financement d’un emploi mutualisé à mi-temps entre le BAB et le Garage pour Jérôme Duffaur-Dessus. Et la fin de l’année s’annonce bien remplie : huit formations à venir, une dizaine de Nebulibox® H2O vendus et quatre éco-biogénérateurs en commande. Florian Vair Piova Associations le Garage et Bio Atelier de Bigorre 65420 Ibos · Tél. : 05 62 34 58 73

Pantoneurs expérimentés et leurs sites : 1 - Paul Pantone (inventeur présumé du système) : www.geet.com et brevet : www.patents.ibm.com/details?patent_number=5794601 2 - Quant’Homme, le site de référence des énergies libres : http://quanthomme.free.fr 3 - Christophe Martz : www.econologie.com 4 - Groupe de discussion autour du système Pantone : http://muevet.free.fr/article.php3?id_article=539 5 - www.oliomobile.org

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Environnement

Le jardin du Chayran : pour creuser le bon sillon Vitrine de l’agriculture biologique, le jardin du Chayran est un chantier d’insertion conçu pour faciliter l’accès à l’emploi des personnes en difficulté. Mode d’emploi. Un banal champ de sillons dédié à l’agriculture traditionnelle est aujourd’hui une surface maraîchère de 2,5 hectares, bastion fertile de l’agriculture biologique. Neuf ans après sa création, le jardin du Chayran, à Millau, incarne la réussite de deux ambitions : l’une d’abord et surtout sociale, car cette association loi 1901 est un chantier d’insertion, conçu pour faciliter l’accès à l’emploi aux personnes qui en sont le plus éloignées ; l’autre éco-citoyenne, car le jardin © Émilie Delpeyrat du Chayran, membre du réseau Cocagne*, milite pour un retour à la grande tradition maraîchère à laquelle Millau a longtemps été fidèle. Joseph Pineau, directeur, précise : « À l’origine, la parcelle que nous cultivons était un terrain de maraîchage en bordure du Tarn. Il y en avait beaucoup avant qu’elles ne soient progressivement abandonnées. » Le jardin du Chayran constitue la première étape dans le dispositif global de réinsertion par lequel transitent les personnes en difficulté, avant d’intégrer les associations intermédiaires et les entreprises de réinsertion. Douze jardiniers y sont employés : six femmes et six hommes embauchés en contrat aidé, contrat d’accès à l’emploi (CAE) ou contrat d’avenir pour les bénéficiaires du RMI et des minima sociaux, dont la durée n’excède pas 24 mois. « La plupart des contrats ont une durée de 6 mois à 1 an, indique Joseph Pineau. Le jardin du Chayran ne doit être qu’une parenthèse dans la vie de nos employés. » Quels que soient les termes du contrat, le recrutement de tous les employés est conditionné par des règles strictes, explique le directeur du jardin : « Une commission se réunit pour étudier le profil des candidats. Rien n’est laissé au hasard. » La difficulté principale reste liée au maintien de la cohésion des équipes, du fait du changement de personnel inhérent au fonctionnement de la structure : « Je m’en tiens à quelques principes pour assurer au mieux la continuité du jardin, ajoute Joseph Pineau, tels que la parité, la répartition des âges (le plus jeune a 18 ans, le plus âgé 57) ou encore l’état d’esprit de chacun. Ceux qui vont mieux sont censés jouer un rôle de locomotive et tirer les autres vers le haut. Malgré tout, ce n’est pas toujours évident de concilier tous ces critères. »

Des salariés ordinaires Encadrés par deux jardiniers professionnels, les 12 employés du jardin travaillent 24 h par semaine et sont considérés à ce titre comme « des salariés à part entière ». La plupart d’entre eux n’ayant jamais reçu de formation à l’activité maraîchère, c’est sur le terrain et sur le tas qu’ils découvrent le métier de jardinier et les multiples facettes de l’activité maraîchère biologique : « Ils travaillent sur la chaîne de production d’un bout à l’autre, détaille Joseph Pineau, depuis la graine déposée dans le sillon jusqu’à la préparation des paniers biologiques. La logique de production ne leur échappe pas. » Et parce

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que travailler en groupe est source de motivation, l’encadrement encourage l’apprentissage collectif et l’esprit d’équipe : de quoi faire oublier le bout des doigts gelés en hiver et les coups de soleil en été, car « le métier reste dur, en raison des conditions climatiques », rappelle-t-on au jardin. Si la direction veille à remettre les employés en situation de travail, elle leur permet par ailleurs de bénéficier d’un accompagnement social personnalisé visant à repérer et traiter les éventuelles difficultés d’accès à l’emploi. L’accompagnement intervient en interne et en collaboration avec les partenaires sociaux (mission locale pour les moins de 26 ans, ANPE). Tous les quinze jours, chaque employé dresse le bilan de son activité professionnelle et de sa situation personnelle : « Nous sommes là pour les aider à régler des problèmes de permis, de logement ou encore d’alphabétisation. Des problèmes de santé également. Petit à petit, nous faisons en sorte que la situation de chacun évolue dans ces domaines extraprofessionnels. L’idée, c’est qu’à la sortie du jardin, ils aillent mieux », conclut Joseph Pineau. Une fois leur contrat terminé, les employés ne reviennent pas forcément au jardin, à l’inverse des bénévoles qui portent le projet à bout de bras depuis neuf ans, parallèlement au soutien, parfois aléatoire, que peuvent apporter les services de l’État, du conseil général, de l’ANPE ou encore le réseau d’associations et d’entreprises partenaires. Des bénévoles qui, s’ils ont œuvré à la réalisation des préfabriqués dans lesquels se trouvent aujourd’hui la salle commune et les bureaux du Chayran, ne jouent pas non plus les intermittents de la consommation. Si les adhérents de l’association sont au nombre de 200, certains sont moins des croisés de la solidarité que des consommateurs purs et durs qui trouvent au jardin de quoi remplir leur panier. Et, en la matière, ils sont plutôt gâtés : « On cultive une cinquantaine de variétés, plutôt des espèces anciennes », explique Joseph Pineau. Tomates, topinambours, fenouil…, autant de fleurons de l’agriculture bio, tous contrôlés par l’organisme Ecocert. Émilie Delpeyrat *Le réseau Cocagne regroupe 90 jardins en maraîchage biologique (www.reseaucocagne.asso.fr). Il existe un deuxième jardin en Aveyron, à Cassagnes-Begonhès.

Friture 6


Social

C’est du propre ! Au cœur du Mirail, Reynerie Services emploie 60 personnes en insertion dans le secteur d’activité du nettoyage, et 20 autres dans la gestion technique et l’animation sociale. Source d’activité pour la cité qui compte 40 % de chômeurs, l’entreprise a prouvé sa viabilité économique et affirmé sa vocation solidaire. Depuis 1991, la plus ancienne régie toulousaine a permis à plusieurs centaines de personnes un démarrage ou un retour dans la vie active. Ici, la mixité est le liant : femmes et hommes de tout âge, de nationalités et parcours divers, habitants du quartier et d’ailleurs qui, tous, ont un criant besoin d’insertion professionnelle et sociale. Entre 7 h et 23 h 30, 7 jours sur 7, à temps complet ou à temps partiel, les salariés fournissent « un travail permanent de qualité, qui part du haut des HLM et plonge jusqu’au métro », indique Jean-Marc Izrine, directeur adjoint de la régie. Sébastien et Bala balaient les parkings et traquent les déchets sous les buissons. Comme la plupart des agents, Bala est en CDDI*. Après son BEP, Sébastien, 23 ans, le premier apprenti, compte passer un bac pro et devenir chef d’équipe : « L’avantage des métiers du ménage, c’est que peu de personnes veulent les faire. Ça laisse beaucoup plus d’opportunités au niveau des offres d’emploi. » En dépit des indélicats qui vident encore leurs poubelles n’importe où, depuis 15 ans l’amélioration est nette : « Ce n’est plus comparable, on ne voit plus de frigo tomber par-dessus bord, raconte Jean-Marc Izrine. Maintenant, le vrai problème, c’est la santé sociale du quartier. » Fatalisme et manque d’implication des habitants sont contrés par des campagnes de sensibilisation adaptées à la cage d’escalier ou à l’immeuble concerné : porte-à-porte, charte d’engagement, photographie des dégradations et, parfois, arrêt temporaire du nettoyage. En parallèle, la branche « lien social » de la régie organise avec les locataires repas de quartier et autres ateliers, instillant « de l’humain dans le béton ». Entreprise comme les autres, la régie répond aux appels d’offre des marchés publics. Ses revenus sont constitués à 80 % par les revenus de la facturation des chantiers, et à 20 % par des aides

publiques affectées, pour moitié, à l’animation sociale. Quand les clauses d’insertion interviennent dans le recrutement, Reynerie Services dépasse illico ses concurrents. Les accompagnements qu’elle propose, basés sur des partenariats, n’ont plus à prouver leur efficacité : écrivain public pour les démarches administratives, cours d’alphabétisation à proximité, médecin qui va à la rencontre des salariés en petits groupes ou individuellement. Parfois, l’aide au logement s’impose et le solidaire prend alors le relais du professionnel. « Seul, on ne marche pas, on marche ensemble », dit Karim, agent superviseur. L’affirmation par le travail et les soutiens spécifiques dynamisent les anciens chômeurs. « On voit des gens dévalorisés reprendre confiance en eux, s’épanouir », illustre Jean-Marc Izrine. Le chiffre de 30 % de retour à l’emploi énoncé par les pouvoirs publics lui semble erroné : « L’effet tremplin du passage à la régie a souvent lieu six mois ou un an après. » Entreprise atypique, la régie respecte le code du travail au point de solliciter elle-même le contrôle de l’inspection du travail « pour voir s’il n’y a pas de dérives », précise son directeur, Jean-François Ravary. Reynerie Services encourage ses employés à affirmer leurs droits, elle les engage à connaître la convention collective qui régit leur branche professionnelle et les incite à élire des délégués du personnel. Une attitude qui s’explique en partie par son statut associatif et son conseil d’administration qui réunit des institutions et une dizaine d’habitants actifs. Peut-être est-ce encore une bien faible représentation en regard des 10 000 habitants du Mirail : « L’économie solidaire, c’est pas encore l’autogestion », conclut Karim. Fatima Guevara * CDDI : contrat à durée déterminée d’insertion pour personnes en grande difficulté, d’une durée maximale de 24 mois.

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Social

AIL 46 : loueur social « Sans véhicule, pas de travail. Sans travail, pas de véhicule... » : une spirale de l’exclusion contre laquelle se bat AIL 46.

© Audrey Guerrini/Émulsion

L’association Auto insertion lotoise 46 est créée par Jean-Pierre Clair en 1996. Alors éducateur, il devient le premier « loueur social » de quatre roues à bas prix – le tiers du prix du marché – dans une région rurale mal desservie par les transports en commun. Son but : permettre aux chômeurs bénéficiaires des minima sociaux, aux travailleurs pauvres, aux accidentés de la vie et aux jeunes en difficulté d’accéder à un travail, à un stage, à des soins ou des services de première nécessité. Pour bénéficier de ce soutien, quelques conditions sont nécessaires : vivre dans le Lot, être aiguillé par le réseau de prescripteurs sociaux locaux (assistantes sociales, ANPE, tissu associatif, conseil régional), avoir un projet viable, respecter le délai de prêt imposé et le périmètre du département... « En créant un cadre rigoureux, explique Jean-Pierre Clair, nous visons la responsabilisation de nos adhérents, quitte à assouplir les conditions au cas par cas. Nous devons minimiser les risques pour montrer aux assurances, méfiantes, que notre public se montre digne de confiance. Car, sans assurance, notre activité s’arrête. » Depuis 11 ans, AIL 46 a aidé 2600 personnes en difficulté et, actuellement, 410 personnes par an. Elle a démarré avec la voiture d’occasion de son créateur et fonctionne aujourd’hui avec 25 voitures neuves,

Le goût de la

vie

42 scooters et cinq fourgons, un parc pourtant inférieur à la demande. L’association parvient à s’autofinancer à hauteur de 60 % et emploie 12 salariés en contrat d’insertion par an, dont huit équivalents temps plein. Son atelier de réparation est cependant mis à mal par la technicité électronique croissante des véhicules neufs. Enfin, AIL 46 diversifie ses services : études de faisabilité pour les collectivités territoriales ; attribution de micro-crédits pour l’accès et l’entretien d’un mode de locomotion ; transport urgent à la demande ; projet de centrale de mobilité par le biais d’un numéro vert ; rapprochement en cours avec des associations hors du département... Jean-Pierre Clair ambitionne de faire d’AIL 46 un interlocuteur local incontournable sur le plan de la mobilité pour l’insertion. Ses résultats séduisent des partenaires privés qui interviennent sous forme financière, matérielle ou encore en pérennisant des emplois. Cependant, il faut les convaincre à nouveau chaque année ! Ainsi, les volontés et idées solidaires sont toujours les bienvenues. Irène Barja AIL 46 · 30, avenue du Général-Leclerc · Begoux · 46000 Cahors Tél. : 05 65 35 29 30 · ail46@wanadoo.fr

ça se cuisine

Depuis 1999, l’association Olympe-de-Gouges a ouvert une tarterie dans La Maison d’à côté. Des femmes en insertion y retrouvent le goût de la vie et mijotent de savoureuses tartes pour le plaisir des gourmets. « Maintenant, je me sens bien, je travaille ! », lance Jacqueline, 52 ans. Son tablier blanc noué dans le dos, une charlotte sur la tête, elle vient de terminer son service. Les derniers clients sirotent leur café sur la terrasse à l’ombre des lauriers-roses ou dans l’une des deux salles de restauration de cette toulousaine aux volets pastel. Dans la cuisine de La Maison d’à côté se range la vaisselle, se ramassent les miettes, tandis que quelques éclats de rire fusent. Ici, finalement, on cuisine le bonheur. Comme un bon petit plat, le moral retrouve toute sa saveur à force de mijoter à petit feu. « Nous avons créé la tarterie pour que les femmes de notre centre d’hébergement reprennent confiance en elles, explique Betty Fournier, directrice de La Maison d’à côté. Ce travail leur permet de se reconstruire. Leur autonomie passe par l’autonomie financière et celle-ci passe par l’insertion professionnelle. Le but est de les accompagner vers une formation qualifiante ou un emploi. Ici, c’est un restaurant associatif ouvert à tous. Nous demandons une adhésion de 10 euros pour soutenir cet atelier à caractère social. Des buffets peuvent y être réalisés pour les associations. »

elles peuvent reprendre des projets. Ainsi, les grands yeux verts de Jacqueline ont retrouvé leur éclat, après un parcours chaotique qu’elle n’imaginait pas : « J’ai dû quitter à 50 ans un poste d’assistante dans un cabinet d’expertise pour m’occuper de ma mère. Je suis tombée dans l’engrenage du chômage. Et, brusquement, je me suis retrouvée seule, dans la rue, avec comme unique perspective d’appeler le 115 pour ne pas dormir dehors. L’association m’a proposé de m’héberger et de rejoindre l’équipe de la tarterie. Je reviens dans la normalité, c’est valorisant. J’ai repris confiance en moi. Mon vécu, mes problèmes sont mis de côté. » Par son activité à temps partiel, Jacqueline perçoit une rémunération qui arrondit son RMI (revenu minimum d’insertion). Parallèlement, elle peut se consacrer à la recherche d’un nouvel emploi. « C’est un bon tremplin pour rebondir. Cela fait trois mois que je travaille ici et j’ai envie de reprendre un emploi, d’avoir un appartement », poursuit Jacqueline. Grâce à la tarterie, ouverte tous les midis du mardi au vendredi, une trentaine de femmes se retrouvent chaque année derrière les fourneaux pour préparer leur nouveau départ. De quoi rendre encore plus savoureuses ces assiettes garnies de salade et de tartes aux saveurs originales.

Préparer un nouveau départ Marie-Pierre Buttigieg Créée en 1959, l’association Olympe-de-Gouges lutte contre les violences faites aux femmes et milite pour leurs droits. Brisées, des femmes rejoignent le centre d’hébergement d’urgence et intègrent la tarterie où

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La Maison d’à côté 45, rue Jean-des-Pins · 31300 Toulouse · Tél. : 05 62 48 56 68

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Culture

Naissance équitables

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du collectif des voyages solidaires de Midi-Pyrénées

Depuis 2002, date de la campagne « Quand le bonheur des uns fait le malheur des hôtes » d’Oxfam France–Agir ici , l’idée d’un tourisme responsable et solidaire fait son chemin. En février 2007, à l’initiative de l’ADEPES, les associations de Midi-Pyrénées Échoway, Aina Madagascar, Palabres sans frontières, Via Brachy, Evrasya, Mondovélo, Parcourires le monde et TDS voyages lancent les bases d’un collectif qui a pour objectifs de se faire connaître, de mutualiser informations pratiques et outils pédagogiques, d’être reconnues par les collectivités territoriales. Ils sont rejoints par Solafrika, Baga percussion, l’AFDI, Aidesem, ASSOL et ATTM. La charte qui les réunit précise : « Le voyage solidaire doit être un outil d’appui au développement local et soutenable bénéficiant à la collectivité dans le respect de son équilibre économique, social, environnemental et culturel. Fondé sur l’échange et la rencontre, ce sont les populations locales qui sont au centre du processus d’accueil. » Elle indique également « la nécessité d’une formation préalable au départ ». Cette année, le collectif des voyages équitables et solidaires de Midi-Pyrénées propose une soirée « voyages et solidarité internationale », chaque dernier vendredi du mois (dans les locaux de Friture), qui réunit des acteurs de terrain autour d’un repas et de musique. La soirée d’octobre portera sur l’Asie et la suivante sur le Maroc (plus d’informations sur le site de Friture).

© Caroline Dieutre

Exemples de destinations et formules de voyages : AINA France et AINA Madagascar fondent un réseau d’accueil chez l’habitant dans toute l’île de Madagascar. Leur objectif est de favoriser la réflexion, l’initiative, la fraternité et l’inter-culturalité, à travers des voyages solidaires et grâce, notamment, à la mise en place de commerce équitable d’artisanat. www.aina-madagascar.org Parcourires le monde permet d’aller rencontrer en profondeur une culture en participant à des stages de clown ou de théâtre avec les habitants (Maroc et Inde). Un voyage en Inde est prévu en février 2009. www.parcourireslemonde.com

© Amandine Leconte

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TDS voyages (Tourisme et développement solidaire) est implanté au Maroc, au Mali,

au Bénin et au Burkina Faso et propose des voyages au fil desquels alternent vie en village d’accueil et circuits touristiques. www.tourisme-dev-solidaires.org/ Échoway recense des lieux de tourisme alternatif dans le monde entier. Avec une démarche participative, l’association encourage les voyageurs adhérents à rechercher et à référencer des projets. Le principe est simple : avant votre départ, Échoway vous forme à évaluer l’éthique et la fiabilité de ces projets qui, une fois validés, seront mis en ligne sur le site et bénéficieront à tous. www.echoway.org Baga percussion propose des stages culturels en Guinée autour de la danse et de la musique. Un voyage est prévu en février 2009. www.bagapercussion.com Florian Vair Piova

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Culture

Un orchestre pas si classique

L’Orchestre de chambre de Toulouse, reconnu à l’international, joue depuis 2004 sous statut coopératif. Une reprise en SCOP (société coopérative de production) voulue par les musiciens après une période tumultueuse et un combat participatif inédit dans le milieu de la musique classique. Qui a dit que le monde de la musique classique était figé, enfermé dans un fonctionnement guindé ? L’histoire de l’Orchestre de chambre de Toulouse demeure inédite : cet ensemble de 12 musiciens qui écume les salles du monde depuis 1953, avec plus de 5000 concerts à son actif et près de 60 disques, prouve tout le renouveau de cet univers. En 2001, l’ensemble est au bord du gouffre. Son directeur musical, Alain Moglia, est licencié de l’assocation. Le déficit atteint 400 000 euros pour un budget de 900 000 euros. Frais d’hôtel et de bouche somptuaires : le succès de l’orchestre aurait-il fait tourner la tête aux administrateurs ? Fin 2003, certains musiciens, dont Renaud Gruss alors contrebassiste et délégué syndical, révèlent l’affaire. Ils entreprennent également des démarches pour sauver le petit frère de l’Orchestre national du Capitole. C’est lors d’une réunion organisée par l’Union régionale des SCOP que les musiciens syndiqués des cordes et des vents découvrent le statut

coopératif, son fonctionnement, sa transparence. Une sorte de « bataille des LIP », toutes proportions gardées, dans le monde rêvé et envié du classique ? Avec l’appui des différentes collectivités, une mobilisation des musiciens et le soutien du sérail musical national, Renaud Gruss et huit autres deviennent les premiers salariés associés de la SCOP Orchestre de chambre de Toulouse. Les salaires sont revus à la baisse. La mairie, la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), puis le conseil général suivi par le conseil régional Midi-Pyrénées, accordent des financements, confortés par la volonté marquée de l’ensemble mobilisé pour continuer de faire vivre l’orchestre, qui est un ambassadeur de renom de la ville. Le nouveau statut assure une transparence financière, permet d’encadrer les dépenses et redonne aux salariés associés le contrôle de leur outil de production, tout en évitant de possibles dérives financières et médiatiques via des administrateurs ou des investisseurs

© Orchestre de chambre de Toulosue

indélicats. Depuis 2004, l’ensemble, composé de 12 à 30 musiciens selon les formules, a connu des hauts et des bas, mais il continue de jouer dans les festivals et les grandes salles. Bien que son budget ait été revu à la baisse, l’orchestre se produit dorénavant, grâce sa nouvelle image, dans des endroits inédits, comme récemment lors d’un vernissage de Manifesto à Toulouse. Philippe Gagnebet www.orchestredechambredetoulouse.fr

L’Ibère familier, caféassociatif Originaire de Casablanca, ancien conducteur de travaux puis gérant du bar-restaurant Le Fil à Montpellier, Fernand Ortega a décidé de lancer un pari fou en la ville de Graulhet : ouvrir un café associatif atypique L’Ibère familier, clin d’œil à ses origines espagnoles et à son sens du brassage ! « Quand je suis arrivé en 2006, j’ai ressenti comme un grand vide », raconte-t-il. Et pour cause : la ville ne fait pas office d’exemple en matière de politique culturelle, avec un manque cruel d’équipements et d’actions de fond en faveur des jeunes comme des moins jeunes. Ici, l’initiative vient essentiellement des associations qui, jusqu’aux dernières élections municipales, ont dû composer avec très peu de moyens. « J’avais envie de proposer des actions pour les jeunes. J’ai rencontré Fred Tousche et je lui ai proposé de lui louer son local, c’était un ancien magasin de surgelés », confie Fernand Ortega. Situé au rez-de-chaussée d’une mégisserie, le lieu s’est transformé en un espace hybride accueillant une salle de jeux avec baby-foot, billard et flipper, modulable selon les projets. Des spectacles, des expositions et même un restaurant se côtoient sans se gêner dans une ambiance détendue qui mêle les générations. L’Ibère familier fonctionne en autofinancement, sur la base du plaisir et de l’envie de partager, un beau point de départ où la question de la pérennité reste malgré tout en suspens.

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Graulhet, qui compte pourtant près de 14 000 habitants, voit la part de sa population relevant des minima sociaux 2 à 3 fois plus importante qu’au niveau départemental. Un CUCS (contrat urbain de cohésion sociale) vient d’être signé à nouveau dans lequel l’offre culturelle concernant les jeunes de 16-18 ans et les jeunes majeurs se situe sur la liste des objectifs dits « stratégiques ». Fernand Ortega est confiant en l’avenir et quand on lui demande quel accueil reçoit son initiative, il répond : « Le public est majoritairement graulhetois. Ce lieu correspond à une attente, à un manque. Les gens sont satisfaits autant que la mairie qui a salué cette action. Pour le moment nous ne demandons rien d’autre que de pouvoir exister et d’être aidés dans ce sens. » Des partenariats se dessinent avec notamment l’Athanor, à Albi, pour des scènes slam, l’AFIAC pour des expositions et Volubilo pour le lien entretenu savamment avec les quartiers. Une histoire à suivre donc de très près... Stéphanie Amiot L’Ibère familier · (en face du stade, à côté de la Poste) 29, avenue Amiral-Jaurès · 81300 Graulhet · Tél. : 05 63 40 31 65

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Ailleurs

L’étonnante coopérative de

histoire Mondragon

La coopérative de Mondragon, nom d’une petite ville du Pays Basque espagnol fondée par un prêtre jésuite, a réussi à combiner une politique sociale généreuse et des affaires prospères. Avec plus de 80 000 salariés travaillant dans différents secteurs d’activités sous l’égide d’une direction commune, elle a su marier profits, partage des décisions et forte ligne sociale. À méditer pour s’en inspirer ? Mondragon en chiffres, c’est cela : fin 2006, les effectifs s’élevaient à 83 601 personnes travaillant de l’électroménager aux banques, dont 44 % exerçaient leur activité au Pays Basque (80 % étant associés-salariés), 37 % dans le reste de l’Espagne et 19 % à l’international ; 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires (données 2004), 40 % des bénéfices de l’entreprise allant aux salariés, 10 % à des œuvres de charité ou de formation, 50 % restant pour les provisions, réserves et investissements lourds de l’entreprise ; aucune grève depuis la date de création ; le licenciement est interdit pour les coopérateurs et les

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rémunérations sont fixées par ces derniers ; un recrutement continu dans un secteur réputé sinistré et une expansion à l’international ; pas de parachutes dorés ; deux instances décisionnelles, à savoir l’équipe dirigeante d’un côté et le conseil des ouvriers de l’autre ; une université technologique forte de plus de 4000 étudiants qui sert aussi de pôle R&D et de vivier de compétences pointues… Au-delà de ces chiffres, l’histoire de Mondragon est unique, exemplaire pour le système coopératif, mais issue d’un contexte politique et historique si particulier qu’on aurait peut-être du mal à le transposer chez nous…

Pour comprendre ces origines, il faut remonter à la guerre civile espagnole. Mondragon est une petite ville de 7000 habitants située à la limite des trois provinces de Guipuzcoa, Biscaye et Alava. Elle connaît de fortes tensions sociales en 1934, période de forts affrontements idéologiques entre capitalisme et marxisme – nouvel espoir qui, en théorie, devait succéder au capitalisme ; elle est aussi une ville de longue tradition industrielle, avec la Union Cerrajera de Mondragon, industrie à haute intégration, et les Altos Hornos de Vergara, centrale électrique et production de fonderie. En 1941, un jeune prêtre, José Maria

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Ailleurs

Arizmendiarreta, arrive à Mondragon et avec lui commence ce que l’on appelle aujourd’hui « l’expérience coopérative de Mondragon ». Dynamique, entreprenant, idéaliste et pragmatique, il a tiré plusieurs enseignements de ses expériences de la guerre civile. Pour lui, la seule manière de s’en sortir est de parvenir à l’égalité des chances pour tous. En mentor charismatique, il découvre une ville déchirée par la guerre, manquant de structures éducatives ou bien assujetties à l’emprise de l’élite, la grande masse de la population restant dans l’ignorance relative. Cependant, Mondragon dispose d’un avantage : car l’entreprise la plus emblématique, l’Union Cerrajera, a créé une école pour les fils de ses travailleurs. Très tôt, José Maria Arizmendiarreta engage un travail de formation sociologique, dénonçant les incohérences entre croyances et réalités, développant, et notamment avec les jeunes, l’engagement à l’égard de la communauté dans un esprit de responsabilité sociale. Guidé par sa propre idéologie, il utilise tous les leviers pour « faire ce qu’il est possible de faire au lieu de rêver à l’impossible ». Le fait coopératif n’est pas structuré dans la pensée du père José Maria Arizmendiarrieta, c’est le fruit du hasard. Ce qui est primordial pour lui est l’accès par le travailleur à la participation et au contrôle du pouvoir de l’entreprise. Tentative à l’époque plus connue par ses échecs que par ses succès.

Une tradition communautaire et coopérative Au cours de son histoire, une tradition communautaire coopérative avait cependant vu le jour au Pays Basque, notamment dans le domaine agricole. Les expériences pratiques et théoriques des activités en coopération avaient été interrompues par la guerre civile dont le dénouement avait engendré un recul économique et social. L’idée centrale était de faire « une communauté riche et non pas des hommes riches ». En 1943, le père Arizmendiarrieta crée l’École professionnelle (devenue aujourd’hui Mondragon Eskola Politecknikoa) démocratiquement administrée et ouverte à tous les jeunes de la région. Cette école jouera un rôle prépondérant dans l’expérience coopérative ultérieure. La création de la première entreprise,

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ULGOR (dont la marque est FAGOR), constitue un moment décisif dans cette histoire. Ses cinq jeunes fondateurs, adeptes de Arizmendiarrieta et formés dans son école professionnelle, sont motivés par l’espoir de donner vie à un nouveau concept d’entreprise. Leur connaissance des lois de l’économie est certes modeste, mais l’environnement est propice. Le succès est immédiat, la ville acquiert une grande notoriété. L’expérience naît au sein de l’autarcie économique, sur un marché demandeur où tout manque, sans confrontation concurrentielle. La ville dispose d’une structure d’enseignement pour alimenter les besoins en personnel qualifié. La naissance de ULGOR marque le point de départ de l’expérience du modèle de Mondragon. Ces jeunes entrepreneurs sont néanmoins conscients que pour construire une autre réalité, il faut d’abord construire une réalité économique compétitive : pour être une entreprise sociale, il faut avant tout être une entreprise économiquement viable ; ils savent que la coopérative est différente en interne (démocratique et participative) mais identique face au marché.

Le mouvement coopératif a besoin de ses propres armes financières Quatre ans après la création de la coopérative, le père Arizmendiarrieta comprend qu’un mouvement anti-conventionnel comme le mouvement coopératif a besoin de ses propres armes financières. Il devient impératif de créer une plateforme financière qui soutiendra le projet industriel. La Caja Laboral surgit en 1959 comme l’outil de développement et d’indépendance financière des coopératives intégrées. La Caja Laboral Popular mène alors une double mission : financer le développement coopératif et promouvoir l’expansion sur toute l’étendue du Pays Basque. La banque coopérative se transforme en outil stratégique essentiel pour maintenir le processus d’expansion. Au cours de l’année 1958, le gouvernement espagnol exclut les coopérateurs des droits de la sécurité sociale générale. Cette situation de vulnérabilité transitoire donne lieu à l’organisation de la sécurité sociale autonome, à la création

de la mutuelle Lagun-Aro qui, au cours de son histoire, devient un magnifique instrument de gestion des prestations de sécurité sociale, gérant en même temps les prestations de capitalisation. Un système mixte qui combine avec efficacité le système général et la capitalisation à titre individuel. En 1964, Mondragon s’articule donc tel qu’on la connaît encore aujourd’hui avec ses quatre entités : production, banque, formation, mutuelle. Ce groupe, constitué de ces quatre branches, connaît une croissance très rapide au cours de la décennie 1960 : on comptait 479 emplois en 1960, 4211 en 1965 et 8743 en 1970, au sein de 40 coopératives dont 34 créées entre 1964 et 1970. Mondragon n’échappe pas à la crise économique du début des années 1970, dont les effets vont se poursuivre durant une dizaine d’années. Le redressement s’opérera au prix d’efforts considérables en matière d’organisation du travail, de gestion (péréquation des résultats entre secteurs) et de politique commerciale (ouverture à l’export) ; on observe simultanément la mise en réserve des excédents de gestion et le développement de la caisse, qui collecte 300 000 comptes en 1980. Le complexe est actuellement divisé en trois secteurs : industrie, distribution et finance, faisant de Mondragon un modèle unique de développement coopératif, difficile à imiter, mais certainement indispensable à connaître et reconnaître à l’heure d’une nouvelle crise mondiale du capitalisme. Philippe Gagnebet www.mcc.es

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Portrait

ne Pas un clou manque à « La Tournée du coq » Après des années en entreprise « classique », Rob Day et son équipe ont transformé La Tournée du coq en coopérative. Sans regret, au point que la démarche des SCOP a réveillé chez cet Américain son désir de militer. Avec efficacité et décontraction. Rencontre avec un homme solidement perché sur des valeurs et des charpentes. La vie est riche de hasards, de choix aussi. Du haut de ses 16 ans, Rob Day débarque au début de l’été 1976 à Paris. « Comme beaucoup d’Américains, j’avais envie de découvrir mes racines européennes. Paris, Rome… », explique ce grand gaillard de 48 ans d’une fraîcheur étonnante. Cet été-là, une canicule s’abat sur le territoire et Rob part découvrir les Pyrénées en quête justement de fraîcheur. Elle semble depuis ne pas l’avoir quitté. « J’ai été accueilli dans un refuge, on m’a offert à manger et l’on m’a demandé si je voulais travailler, j’ai accepté », se rappelle le charpentier. Trente-deux ans plus tard, il est toujours là. Pas trop loin des Pyrénées. Toujours sur les cimes, celles des moulins à vent, églises ou monuments historiques dont son équipe et lui prolongent l’existence. Des chirurgiens, en quelque sorte, de bâtiments en péril. Rob Day est donc un charpentier qui a « mis quinze années de métier pour le comprendre ». Entre-temps, il a décroché un diplôme d’architecte et se retrouve aujourd’hui gérant d’une coopérative de charpentiers-couvreurs fondée en janvier 2004. Le nom de l’entreprise « La Tournée du coq » est à l’image de Rob et de ses associés dont il n’a de cesse de louer les qualités. Festif, symbolique et poétique. Autrefois s’organisait dans les villages la tournée du coq avant qu’il ne retourne sur le clocher © de l’église rénové par les charpentiers. La tournée festive clôturant le chantier servait d’obole pour les chirurgiens de notre patrimoine.

Audrey Guerrini/Émulsion

Les valeurs partage et travail « Nous étions une belle équipe, raconte Rob. La mayonnaise avait pris, mais certains d’entre nous désiraient monter leur propre structure. C’était dommage de se séparer, nous cherchions donc une structure juridique collégiale. » Et de poursuivre : « puis un jour, nous nous sommes retrouvés dans une réunion présentant le fonctionnement des SCOP. Cela correspondait à notre vision de l’entreprise. » Une certaine philosophie et des valeurs, certes, mais sans se sentir « solidaires ou dans le social, explique-t-il. Nous sommes justes normaux, des professionnels qui comptent faire des bénéfices avec des convictions ». La notion de partage qui « existe déjà dans le métier de charpentier » est pour eux naturelle dans l’entreprise SCOP. « L’engagement que cela induit, poursuit Rob, vient tout seul car tout salarié peut devenir associé. » Sur le terrain aussi, l’implication dans

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l’entreprise instaure confiance et efficacité. « Je n’ai plus besoin d’aller surveiller les chantiers », sourit le président de la Tournée du coq. Et Rob Day sourit beaucoup. « À la base, la charpente est quelque chose de génial et le métier de plus en plus passionnant. Dans notre équipe, en plus d’être efficaces, nous rions toute la journée. » Et d’évoquer des « états de grâce, où la machine bien rodée permet de travailler dans le bonheur sans avoir le besoin de trop parler ». Perché sur les toits, celui qui ne pensait plus militer de sa vie plonge à nouveau dans le bain. Rob Day représente le secteur bâtiment à la Fédération nationale des SCOP. « Les dimensions humaines et de partage sont exceptionnelles, explique Rob. Il y a dans le mou-

vement des SCOP des gens d’envergure et des débats très vifs. » Et l’économie solidaire dans tout ça ? « L’économie solidaire sert les SCOP, mais il ne faut pas que son image nuise à nos compétences, avance-t-il. Je ne suis pas trop pour donner une image collectiviste. Une SCOP, ce n’est pas le bordel. Bien au contraire, quand on autorise les gens à penser, ça marche mieux. » Pour briser quelques clichés sur l’économie solidaire, il ajoute : « notre entreprise est basée sur un outil de travail et sur la valeur travail ». Compétences, travail et partage. « Dans un monde en faillite de sens, le monde du travail gagnerait à s’inspirer du fonctionnement des coopératives » insiste Rob. Une question de choix. Le hasard apporte parfois sa touche. À l’image de celui qui a installé La Tournée du coq au 9, impasse des Poussins. Emmanuel Scheffer www.latourneeducoq.com

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Nouvelle

Les Il faut les laisser, les grands, avec toutes leurs histoires d’argent. Pour eux, tout s’achète. Ils disent comme ça, si tu n’as pas d’argent, tu n’es rien, tu n’es qu’une bille. Et la plupart d’entre eux courent après ça, après l’argent, ils passent leur vie à y courir derrière. Et ils s’estiment contents, après, quand ils ont un truc à eux. Une maison, une voiture, une femme même et des enfants. Tout ça, ils disent que c’est grâce à l’argent, que plus tu as d’argent, plus ta maison a de pièces, plus ta voiture est grosse et plus ta femme est belle. Que sans argent, t’es qu’une bille, un moins que rien, un clochard. Que le type qui dit que l’argent ne lui fait rien, c’est un menteur, un fou ou un millionnaire. Et la plupart d’entre eux, presque tous, comme mon père et le tien, comme tous les pères du monde et même nous quand on sera père, on ne sera content qu’à partir du moment où l’argent nous aura permis d’avoir des choses. La plupart des

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billes

gens. Parce que les riches eux, ils ont mille fois plus que celui qui court derrière les billets de banque, et ils sont même prêts à lui donner un billet pour lui faire croire que l’argent fait le bonheur. Les riches, ils n’ont qu’à agiter quelques billets sous le nez de tous les autres gens pour que ceux-là croient en la richesse. L’argent, ça a une odeur vachement puissante, personne ne la sent, mais personne n’y résiste. Personne, sauf nous, les gosses. Nous, on a entre six et huit ans. L’argent, c’est bon pour les carambars, pour les malabars et tous les trucs au sucre. Mais ça n’est quand même pas une chose sérieuse. Nous, on a notre propre monnaie. Nous, la chose sérieuse qu’on a, c’est les billes. Il y en a qui croient que les billes, c’est un truc qui n’existe plus. C’est pas vrai : les billes, c’est notre truc à nous, c’est notre argent, c’est notre portefeuille. Le patrimoine des gamins et c’est interdit aux adultes.

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Nouvelle

Si les adultes s’en mêlaient, ils mettraient la pagaille, ils trouveraient des trucs pour que ça leur rapporte des sous. Avec les billes, tu peux naître riche, tu peux naître pauvre. Si tu n’es pas doué, tu auras les poches vides, tu regarderas les autres faire, mais tu n’en mourras pas. Il n’y a pas d’études à faire pour ça, pas à passer de diplômes, pas à demander à papa qu’il te donne du piston. Tu joues, c’est tout, et si tu aimes ça, même si tu as affaire à des cracks, tu retrouves tes billes, plus ou moins. Au début, j’étais nul, je ne savais pas m’y prendre. Je jouais avec les autres dans la cour de récréation, mais plus pour passer le temps que pour gagner. Quand tu te mets à perdre toutes les billes que tu avais, ça commence à t’énerver. Et puis, ça coûte cher, il faut se priver de réglisse et de carambars, ça ne va pas du tout, tu ne peux plus offrir des bonbons aux filles qui jouent à l’élastique. Mon père, il n’avait ni usine ni magasin, il me donnait juste de quoi acheter une chocolatine à l’école, à l’heure du goûter. La chocolatine, je m’en suis passé longtemps, le temps que j’apprenne à jouer aux billes. Quand j’ai su, je n’avais plus à piocher dans mon argent de poche pour m’acheter de quoi jouer. Mais c’est dur, il faut apprendre et ça, les maîtres, ils ne vous l’apprennent jamais. Ça se fait dans la cour et pas dans la classe. Quand j’ai commencé, c’était avec des biles en terre que m’avait filées Antoine, mon meilleur copain. « Mais si, vas-y, joue, tu vas voir c’est sympa ! » Et il m’a appris à tirer, à essayer de mettre les billes dans le rond. Les premiers temps, je me prenais des raclées. J’en ai acheté des billes en terre, c’étaient les moins chères et les plus nombreuses. Mais c’étaient aussi les plus légères. À peine on y tapait dedans et hop ! Elles sortaient du rond et tu l’avais dans l’os. Je voyais toutes mes billes de pauvre se faire croquer par les belles billes des autres, des cracks, des professionnels. Petit à petit, ça m’a donné des sueurs froides, ça me faisait faire des cauchemars et même pire ; je crois que c’est à cause des billes que je faisais pipi au lit. « Va jouer à l’élastique », n’arrêtait pas de me dire Alain, un grand gros qui était fils du maire. Lui, ce n’était pas qu’il soit si doué que ça aux billes, mais il avait tellement d’argent de poche qu’il ne jouait presque qu’avec des boulards. Comme quoi, même dans les cours de récré des écoles publiques, on n’était pas à l’abri du pouvoir de l’argent. Quand on n’avait pas la foi ni la chance, jouer avec Alain, c’était perdre à peu près la moitié de ses billes, d’entrée. Les boulards, tu pouvais toujours essayer de les dégommer, avec tes billes en terre c’était comme essayer de couler le Titanic avec un pédalo, tu pouvais toujours courir pour l’avoir dans ta poche. Il fallait tirer fort et précis pour que peut-être le boulard sorte du rond, mais avec des billes en terre, c’était comme l’histoire des pots, celui de terre et celui de fer. Celui qui bouge, c’est rarement le boulard.

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Ça ne vaut pas le coup de jouer avec des types comme Alain, c’est peine perdue, il n’y a pas de suspense. Gagner un boulard d’Alain, c’était un exploit, et les exploits, tu ne fais pas ça tout le temps, sinon, le monde n’en serait pas là à se lamenter. Je préférais largement les billes en verre, les billes chic. Les types qui jouaient directement avec des billes de verre, ils avaient de la classe, eux au moins ils étaient « sport ». Elles étaient un peu plus lourdes que celles en terre, un peu plus chères aussi et puis, surtout, il y en avait qui étaient vraiment jolies. Farid en avait une magnifique, couleur émeraude, et Farid, il était sport. Sa belle bille émeraude, il la jouait quelquefois et c’était comme si elle lui portait bonheur. Quand il se retrouvait mal en point dans la partie, il sortait son émeraude, et alors là, c’était comme si son visage se métamorphosait. Sa mâchoire se serrait, son regard devenait plus sombre, plus dur, il se concentrait un maximum et il arrivait à regagner d’un seul coup deux ou trois billes sans perdre la sienne. Parfois, on avait la possibilité de la gagner, mais rien à faire, c’était comme si elle était magique, et qu’aucune autre bille ne pouvait la toucher. Grâce à elle, il rentrait toujours plus ou moins dans ses comptes, et parfois même il gagnait. Farid me l’a fait tenir, elle était bizarre, elle pesait très lourd, plus peut-être que le poids d’un boulard. À l’école, on était tous dingues de cette bille, on voulait tous l’avoir et personne n’y arrivait jamais. Alain a même voulu l’acheter trois boulards, mais Farid a dit non. C’était un mythe. Il n’y en a pas un dans l’école qui n’ait pas cherché une bille pareille dans les magasins, mais personne n’en a trouvée. Elle était unique, peut-être à des kilomètres à la ronde et peut-être même dans le monde entier. Et puis j’ai eu mon jour de chance. Je jouais avec Alain et Guillaume et il ne m’en restait que trois des billes, deux en terre et une en verre. J’en avais quinze au début, mais les boulards d’Alain avaient fait des dégâts. J’ai regardé une des trois billes qui me restaient, une en terre, peutêtre la plus vieille de toute l’école, qui avait dû passer des centaines de fois dans toutes les mains des copains, une vraie bille de perdant, et j’ai pensé très fort à la bille émeraude de Farid. J’ai visé d’un œil un boulard d’Alain en tirant fort la langue, et j’ai tiré. Je me suis senti partir avec la bille et ensemble, on est allé s’écraser contre le boulard. C’était comme si j’avais senti le choc : ma bille s’est cassée en trois morceaux, mais le boulard a bougé, pas beaucoup, juste à peine pour sortir du rond. Il était à moi maintenant : mon premier boulard. Après, j’en ai eu d’autres, plein d’autres. Ce jour-là, je n’en ai pas laissé un seul à Alain. J’étais riche, j’étais redoutable, et pourtant, les boulards, je les laissais de côté, je ne jouais jamais avec. Je jouais toujours avec des billes en terre, avec mes billes de pauvre. Pour moi, c’étaient des émeraudes. Laurent Roustan

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*Entreprise Valorisant les Energies Renouvelables


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