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IMMERSION

SUNLESS 03.04.05 mars 2014 Le Noumatrouff Mulhouse

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Il ne fait pas chaud au Noumatrouff un lundi matin de début mars et Gaëtan, le guitariste de Sunless, garde sa capuche relevée pendant qu’il se concentre sur le branchement de ses pédales d’effet. Maxime, préposé aux claviers et autres machines, tire sur sa clope, électronique elle aussi. Ça vapote, ça papote, Pierre, le chanteur, s’échauffe la voix, tandis que Guillaume, technicien du son du groupe, s’affaire derrière la console. « L’avantage d’une résidence, c’est qu’on a tout le temps pour bien équilibrer les sons », commente Franck, qui avec Pascal assiste le groupe dans cette première étape. Connaissant bien la salle et son équipement, les deux hommes constatent que tout roule avec Sunless : « c’est tranquille, presque trop, j’espère qu’ils n’hésitent pas à dire précisément ce qu’ils veulent ! ».

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Boum, boum, boum… Tchac, tchac, tchac… Mike Ponton, le guitariste de Dionysos, intervenant sur cette résidence de trois jours dans le cadre de l’opération Iceberg, sort prendre l’air pendant le réglage de la batterie. « Je connais le Nouma, Dionysos est passé ici en 1999 ou 2000 ! ». L’expérience d’accompagnement n’est pas non plus tout à fait nouvelle pour lui : « j’ai déjà bossé avec un groupe punk de Valence, sur une année entière, c’était différent. Mais je m’intéresse aussi à la production, que ce soit sur disque ou en concert, je suis sensible à l’esthétique sonore en général, j’ai aussi bossé sur la bande-son du film de Mathias Malzieu (chanteur de Dionysos, ndlr), Jack ou la mécanique du cœur, qui vient de sortir… ». Il ne s’inquiète pas des différences stylistiques entre les deux groupes. « En fait c’est mieux, ça m’évite

la tentation de les faire sonner comme Dionysos ! ». L’important est ailleurs. « Je n’arrive pas avec mes gros sabots pour tout chambouler. Je sais comment un groupe fonctionne humainement, il y a un univers et un équilibre entre les membres que tu dois respecter. Avec Dionysos, on s’est fait tout seuls, sans « grands frères », sans conseils avisés, on était presque tous autodidactes, ça a aussi forgé notre style… On a ensuite beaucoup appris en travaillant en studio avec des grands professionnels comme Steve Albini ou John Parrish ! Mais un accompagnement nous aurait fait du bien à nos débuts, des bons conseils au bon moment ça peut donner un coup d’accélérateur, débloquer ce qui peut coincer ».


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En l’occurrence, il s’agit de donner une nouvelle dimension aux concerts de Sunless. Le quintet dijonnais ne sort pas de nulle part : certains de ses membres jouent ensemble depuis dix ans, les compositions et arrangements sont déjà solides, élaborés. Un premier EP de quatre titres est déjà paru, un deuxième ne va pas tarder. Mais le projet n’existe réellement que depuis l’an dernier et doit encore roder son show. « Ils dégagent une belle fraîcheur, ils étaient en demande de développement scénique pour la suite de leur carrière, commente Sacha Boroukhoff, chargé de l’action artistique à la Vapeur, la salle de musiques actuelles dijonnaise qui accompagne le groupe depuis ses débuts. C’est pour ça qu’on a proposé leur participation à l’opération Iceberg, après une résidence à la Vapeur sur la gestion sonore, il y a quinze jours ».

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Il s’agit donc de s’ouvrir au public, de faire vibrer la salle grâce à une attitude en adéquation avec l’énergie dégagée par la musique. L a soif de jouer explose en fin de matinée, une fois la balance terminée : chacun se rejoint, un groove commence à tourner, avant l’entrée de Pierre et l’enchaînement de trois morceaux pop exaltés, dansants, mélodieux, entêtants… Le potentiel de Sunless est énorme, la suite de la résidence s’annonce passionnante. À l’heure du café, Mike dégage avec le groupe un premier axe de travail : l’ordre des morceaux, l’efficacité des enchaînements. L’élaboration d’une setlist à même de prendre un public par la main pour mieux l’emporter dans l’ivresse sonore. Alternance des rythmes, des ambiances, des longueurs de morceaux… Rien ne doit être laissé au hasard pour créer une vraie dynamique pendant la durée du concert. « Trouver des fins et des débuts de morceaux qui fonctionnent bien ensemble », comme l’exprime Mike : au début de l’après-midi, le groupe travaille sur ces instants qui peuvent aussi bien chauffer l’ambiance que la tuer. Pourquoi ne pas esquisser la ligne de basse avant l’assaut de la rythmique et des boucles électroniques, histoire de faire rentrer les spectateurs dans le morceau de manière moins frontale, par exemple ? Des idées qui vont pouvoir être appliquées dès le filage programmé pour le lendemain, en fin de journée. En attendant de remettre les mains dans le cambouis, une soirée dans une winstub traditionnelle du centre historique de Mulhouse permet à Sunless de s’offrir un brin d’exotisme culinaire en compagnie de Mike.

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Parce qu’une résidence Iceberg, c’est aussi une immersion totale dans une ville inconnue, avec un nouvel entourage, sous la direction d’un intervenant à l’expérience affirmée… Calme et ouvert, Mike est tout sauf intimidant. Sur la grande scène du Noumatrouff, il se fond parmi le groupe pendant que celuici répète inlassablement les morceaux ou les passages à travailler. S’ensuivent les commentaires, débats d’idées, tous concentrés sur le perfectionnement des moindres détails. Morceau par morceau, la nouvelle setlist est travaillée. Mike a lancé l’idée de commencer le concert par un morceau plus lent que les autres, « To the wonder » : une mélodie prenante qui serpente et qui captive, ne laissant aucune chance aux spectateurs de s’échapper avant les déflagrations à venir. Le groupe répète son entrée, il ne s’agirait pas de se prendre les pieds dans les câbles, cela tuerait la solennité du moment : une nappe électronique emplit les enceintes, le groupe reste quasiment statique et entre en action par une harmonie vocale du meilleur effet… « On n’aurait pas adopté ce genre d’attitude tout seul, on aurait trouvé ça trop théâtral, note Gaëtan. En fait ça peut aussi être classe, de rester statique ! ». On sent que Pierre se retient pour limiter ses mouvements, lui que l’on n’a jamais vu rester sur place sur scène… Mais l’impact est réel.

Le deuxième morceau prévu pour le show, « Good shoes », explose ensuite dans une euphorie typique du son Sunless. Le couple basse/batterie de Thomas et Randy ne laisse aucun répit aux danseurs, les boucles de Maxime et la guitare de Gaëtan tissent à part égale une texture sonore riche et précise, la voix de Pierre regorge d’aplomb sensuel. Le tout respire la maîtrise, l’apport équilibré d’influences et d’expériences variées. Pierre fredonne du Blur et se souvient avec émotion d’un de leurs concerts aux Nuits de Four vière. Gaëtan lance le nouvel album de Beck pendant la pause. On apprend pendant le repas que Thomas est fan du batteur de jazz Brian Blade, tout en utilisant des pads électroniques à part égale avec les sons acoustiques. Maxime écoute volontiers de l’electro ardue dont il s’inspire pour rendre pop et pêchus des sons étranges : sur scène, son attirail comprend plusieurs claviers dont un MS-20 analogique, un séquenceur, un Mac portable. Mike lui fait découvrir le groupe Tuung. Grande affaire de la résidence, l’attitude scénique continue d’évoluer avant le filage : sur « Château », le dernier morceau, le guitariste et le bassiste se juchent sur les deux enceintes placées devant la scène. S’ouvrir au public, toujours. Un morceau plus calme, « Sad song », est provisoirement abandonné, le temps de trouver des sons de batterie plus appropriés et de revoir la mise en place. Il reste neuf morceaux, répétés une première fois dans l’après-midi devant trois professionnels : Vivien Becle, assistant à la programmation aux Eurockéennes, qui coordonne et assiste à l’ensemble de la résidence ; Kem Lalot, programmateur des Eurockéennes, le festival qui mène le projet iceberg avec la fondation suisse CMA ; et Sacha Bourkhoff, de la Vapeur.

« Iceberg, c’est l’idée de ce qui émerge, du travail caché en-dessous, explique Kem. L’opération prend la suite des Repérages des Eurockéennes, mais avec un vrai accompagnement. On travaille avec des salles qui ont le même état d’esprit artistique, qui sont aussi dans le circuit Génériq, l’idée est aussi de faire découvrir aux groupes d’autres villes, d’autres salles ». Oliver Dieterlen, le directeur du Noumatrouff, voit dans l’opération une nouvelle étape dans le renforcement du rôle de création de la salle mulhousienne. « Iceberg, c’est le fruit d’un gros maillage. Un bon moyen de faire bouger les artistes hors de la région, ils le demandent. C’est beau de voir des gamins assister à leurs premiers concerts au Nouma, fréquenter ensuite les salles de répétition, puis la grande scène pour des résidences ou des premières parties… » Avant de les voir partir en résidence plus loin dans le cadre d’Iceberg : c’est l’histoire des D-Bangerz, l’un des deux groupes mulhousiens retenus par l’opération. Deux de ses membres, qui se souviennent avec émotion de leur résidence à Lausanne avec le bassiste des Silmarils, sont d’ailleurs présents ce soir au Noumatrouff pour assister au filage de Sunless : il est 18h30, une petite foule d’une vingtaine de personnes, notamment des membres du personnel et des bénévoles du Noumatrouff, assistent à la première prestation scénique revue et corrigée de Sunless.

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« Daydream », « 911 », « Where submarines are going to die », “After moon”… Les morceaux s’enchaînent pendant une quarantaine de minutes avec grâce et énergie, Alsace 20 a planté sa caméra au pied de la scène, Pierre se permet un brin de moonwalk, Guillaume l’ingé-son relève un quasi sans-faute. « Je les avais déjà vus à la Vapeur lors de Génériq, en première partie de Fauve… Eh bien, pour moi c’est le jour et la nuit ! Les morceaux étaient déjà là, mais ils ont fait des progrès énormes sur l’attitude ». Du côté du public, Baptiste a aimé « les boucles électroniques bien pêchues et la basse à la Arctic Monkeys ». Derrière le bar, Nadia vante « la voix douce du chanteur». Albin, stagiaire normand aux Eurockéennes, les voit s’ouvrir à « un large public » et s’étonne qu’ils aient commencé à tourner il y a si peu de temps.

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Il ne s’agit pas de se reposer sur ses lauriers : c’est encore une journée bien remplie qui attend le groupe, histoire de profiter au maximum des conseils éclairés de Mike. Ce matin, tout le monde s’est posé en cercle sur la scène pour travailler sur « Daydream ». Une foule de détails mis bouts à bouts, comme la gestion des harmonies vocales, peut faire infléchir le morceau sur un versant plus rock ou plus dancefloor. Chacun apporte ses idées, comme toujours chez Sunless, pour qui l’élaboration des morceaux s’apparente à un puzzle : « On travaille sur deux pôles, entre Dijon et Paris, on s’envoie nos idées, pareil pour les arrangements », déclare Pierre. C’est lui qui se charge des paroles, qui viennent plutôt en dernier dans le processus de création : « le thème se dégage de la musique… Je m’inspire de mon expérience mais de manière assez cryptée pour que tous les auditeurs puissent s’y retrouver, avoir l’impression qu’on parle de la leur ! ». La dernière demi-journée de résidence se profile déjà : Sunless revient sur le final de leur show, « Château », un moment qui se doit d’être magistral. Ouvrir ou fermer la charley, baisser d’une octave la boucle électronique, tout peut contribuer à maintenir une dynamique pendant que Pierre descend dans le public pour lancer les remerciements.

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Le dernier jour, c’est aussi celui du débriefing : « excellent », « top », « trois étoiles », les termes que l’on distingue sur les fiches d’évaluation remplies par les membres du groupe ont l’air plutôt positifs. Vivien enregistre quelques commentaires à destination des coordinateurs de l’opération Iceberg. « Mike vient d’un univers musical différent, on se demandait comment il allait aborder notre style, mais on s’est découvert des bases communes », souligne Mike. « On avait un spectre très fermé, le fait de commencer les morceaux de manière différente, plus subtile, nous fait imaginer des constructions de morceaux différentes. Ça nous ouvre à de nouvelles méthodes de travail, de nouveaux enjeux, déclare Gaëtan. « Il nous a appris à habiter la scène », selon Randy : « à transformer notre concert en vrai show », confirme Maxime. « On se concentrait sur la technique, on apprend à la partager avec les spectateurs », témoigne Pierre : « on jouait les morceaux, maintenant on les interprète », résume Gaëtan.

Autre acquis, plus général, de l’expérience : « arriver ici avec un crew et un Mike qui s’occupe de nous, ça conforte la crédibilité du projet Sunless », se réjouit Maxime. Une immersion, c’est aussi une aventure humaine intense, inoubliable. Prendre ses repères au Noumatrouff, entre la scène, la machine à café à proximité, la cantine et les loges. Nadia fait l’unanimité avec son agneau, sa bolognaise ou son couscous, Flammekueche et bière alsacienne ont agrémenté les soirées au centre-ville. « On est sorti tous les soirs, on s’est un peu demandé où sont les gens à Mulhouse ? Et on a compris qu’ils sont au Gambrinus ! On regrette juste de ne pas avoir eu le temps de voir la ville de jour avec ses magnifiques couleurs », témoigne Pierre, inspiré. Mike assure apprendre lui aussi de son expérience d’accompagnement : «quand t’entends des jeunes, tu te mets à la page ! En musique, on est toujours en train d’apprendre. Ils sont tous super ouverts, il y a un vrai partage. On a passé du temps sur la manière de transmettre les émotions, ça passe aussi par la position du corps par exemple. Tout compte, de la compilation qui passe dans la salle avant le concert aux enchaînements qui font que tu passes une bonne soirée. C’est un travail de fond, il y a plein de trucs techniques qui peuvent leur servir tout de suite mais qui vont surtout ressortir par la suite… On a planté des graines ! ». Celles-ci vont pouvoir éclore dès la semaine prochaine à l’occasion d’un concert en première partie du Hollysiz à la Rodia, une autre salle qui fait partie du réseau Iceberg, le 14 mars à Besançon. Pour la suite de l’opération Iceberg, en attendant de savoir si Sunless va suivre le cycle court ou le cycle long de deux ans, la piste du travail sur les lumières est déjà évoquée : un autre élément incontournable pour parfaire les prestations scéniques du groupe, d’autant plus que celui-ci envisage l’utilisation de vidéos pour enrichir son dispositif. L’enregistrement d’un deuxième EP ne va pas tarder, il s’agit maintenant de « bouffer de la scène », comme dit Pierre, pour gagner le côté visible de l’iceberg.

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CARNET DE BORD Rédacteur basé à Mulhouse, Sylvain Freyburger cherche à trouver les mots justes pour discerner ce qu'il y a d'unique et de précieux dans toute création. Une quête qui le mène régulièrement au Noumatrouff, où cette résidence avec Sunless et Mike Ponton lui a permis de découvrir l'envers du décor.

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