NOVO N°30

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La culture n'a pas de prix

07 —> 09.2014

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Les 11 & 12 juillet

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au festival Les Zaccros d’ma rue à Nevers (58)

Du 23 au 26 juillet

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Conseil régional de Bourgogne - 2014

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au Festival des Arts de la Rue à Corbigny (58)


ours Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Claire Tourdot Direction artistique et graphisme : starlight

Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Julien Amillard, Florence Andoka, Gabrielle Awad, Cécile Becker, Betty Biedermann, Benjamin Bottemer, Pierre-Louis Cereja, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Anthony Ghilas, Justine Goepfert, Xavier Hug, Virginie Joalland, Claire Kueny, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Marie Marchal, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Julien Pleis, Martial Ratel, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Valentine Schroeter, Claire Tourdot, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES ET ILLUSTRATEURS Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Luarence Benz, Oriane Blandel, Aglaé Bory, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Caroline Cutaia, Mélina Farine, Sherley Freudenreich, Sébastien Grisey, Marianne Maric, Patrick Messina, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Arno Paul, Yves Petit, Olivier Roller, Dorian Rollin, Camille Roux, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly, Hadrien Wissler

CONTRIBUTEURS Bearboz, Christophe Fourvel, Vanessa Schmitz-Grucker, Chloé Tercé, Sandrine Wymann.

COUVERTURE Photo : Elise Boularan www.eliseboularan.com IMPRIMEUR Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : juillet 2014 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2014 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.

Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com — 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire

médiapop 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr — 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr

ABONNEMENT — www.novomag.fr Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros — 40 euros / 12 numéros — 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros — 50 euros / 12 numéros — 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser Novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros — 25 euros 1 carton de 50 numéros — 40 euros

Édito – 05

sommaire

CARNET – 07

Nº30

Le monde est un seul / 29, par Christophe Fourvel – 07 Bréviaire des circonstances / 09, par Vanessa Schmitz-Grucker – 09 Bagarre / 04, par Chloé Tercé/Atelier 25 – 98

FOCUS – 11

La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer Une balade d’art contemporain par Bearboz et Sandrine Wymann : exposition le Corbeau et le Renard au Museum für Gegenwartskunst à Bâle – 34

RENCONTRES – 36 Jonathan Coe à Strasbourg – 36 Mehdi Zannad à Strasbourg – 38 Sal P & James Murphy à Dijon – 40 Son Lux à Luxemboug – 44 Leonie Pernet à Metz – 45 Pégase à Nancy – 46 Halls à Luxembourg – 47 John Doe à Strasbourg – 48

MAGAZINE – 52 EM/M (http://emslashm.tumblr.com) – 50 Dans La Bible du boudoir, Betony Vernon prône une sexualité spirituelle et recentrée sur le corps – 52 Retour aux sources pour L’Origine du monde de Courbet exposé à Ornans – 58 Rétrospective de l’œuvre-expérience picturale de Gerhard Richter à la fondation Beyeler à Bâle – 60 Bidouillant des objets du quotidien Kintera développe une esthétique macabre au Musée Tinguely – 64 Trois publications accompagnent l’exposition Selected Works de Paul Chan au Schaulager à Bâle – 66 Xavier Veilhan implante sa plateforme contemporaine Le Baron de Triqueti dans l’historique Abbaye de Cluny – 68 Formes épurées, esthétiques minimalistes, les Formes simples à l’origine de la modernité au Centre-Pompidou Metz – 72 Faites la rencontre de Seymour, personnage transversal de l’œuvre de J.D. Salinger, au CEAAC à Strasbourg – 74 In situ, le MAMCS de Strasbourg accueille les créations sculpturales et ludiques de Daniel Buren – 76 Détruire pour mieux créer, petit tour d’horizon de la destruction dans l’art contemporain au Mudam à Luxembourg – 77 Quand la performance se fait outil de reconstruction nationale avec Beuys Brock Vostell au ZKM à Karlsruhe – 78 Des Vosges à l’Alsace en passant par le Bade-Wurtemberg, lumière sur le Centenaire de la Première Guerre mondiale – 80 Germinaux Rouaux revient sur son film Left Foot, Right Foot et son univers tout en noir et blanc – 82 Le 67e Festival de Cannes résumé en quelques aphorismes : champagne, tapis rouge et chefs d’œuvre – 84 Depuis maintenant 20 ans, La Mousson d’été donne à entendre l’écriture théâtrale contemporaine – 86 Le Théâtre du Peuple de Bussang revêt les couleurs du Québec pour sa saison estivale – 87 Défenseur de la langue française, Eric Chevillard se joue des mots avec un humour décapant – 88 Heureux événement dans le paysage éditorial alsacien : bienvenue à la maison Elitchka – 90

SELECTA Disques — 92 Livres — 94 Hommage à Emmanuel Pop Blondeau, Vincent Arbelet – 96 3


— Théâtre musical—

JOSSE dE PAUW & KRIS dEFOORT TRIO LOd ET ThéâTRE VIdy-LAUSAnnE An Old Monk Ven.5 + Sam.6 Décembre 2014 — Musique —

BERnARd LAVILLIERS Vendredi 12 décembre 2014

— Humour —

— Danse —

Mardi 23 septembre 2014

PETTER JACOBSOn ET ThOMAS CALEy

— Folk-rock —

Performing Performing Dimanche 14 Décembre 2014

ALEx LUTz

FE RGE S S E n

Ven. 3 + Sam. 4 Octobre 2014 — Musique electro —

— Théâtre —

MIChEL dIdyM

OWLLE

Samedi 11 octobre 2014

LA MAn U FACTU RE — nAnCy Le Malade Imaginaire Sam. 31 Janvier + Dim. 1er Février 2015

— Danse —

— Humour —

dAnIELLE GABOU

GAS PARd PROU ST

nORMAn

Jeudi 23 octobre 2014 — Théâtre —

LU K PE RC EVAL ThALIA Th EATE R — nTGE nT Front Lun. 10 + Mar. 11 Novembre 2014 — Punk-rock —

AdAPTATS IA KAzAKh STAn Vendredi 21 Novembre 2014 — Théâtre —

VALERy WARnOTTE ET LE TRAP dOOR ThEATER dE ChICAGO Regarding the Just Samedi 29 Novembre 2014 — Spectacle / concert —

LES ROIS VAGABOndS Concerto pour deux clowns Mardi 2 décembre2014

— Théâtre —

EMMA dAnTE — ITALI E Operetta Burlesca Vendredi 13 Mars 2015

Design graphique . Antoine Caquard

— Humour —

Vendredi 27 février 2015

— Soul music —

MARIO B IOn dI Samedi 28 mars 2015 — Danse —

— Cnn — BALLET dE LORRAInE WILLIAM FORSyThE TWyLA ThARP Samedi 30 Mai 2015

Espace Georges-Sadoul 26-28, quai Carnot 88100 Saint-Dié-des-Vosges Tél . 03 29 56 14 09 billetterie@ville-saintdie.fr www.ticketnet.fr / www.saint-die.eu

contact

C SAnS SOMMEIL Transe Vendredi 17 Octobre 2014 ie


édito Par Philippe Schweyer

La vie, c’est la vie… C’est l’été. Le soleil éclabousse le quai de gare. Elle descend lentement du TGV, un livre de nouvelles d’Alice Munro à la main. Cela fait tellement longtemps qu’on ne s’est pas vus, que l’on a tous les deux un long instant d’hésitation. C’est elle qui parle la première : - J’ai vu ton magazine. - Oui… - Tu fais ce que tu as toujours voulu faire. - C’est drôle que tu dises ça. J’ai l’impression de n’avoir jamais su ce que je voulais. - N’empêche que tu fais ce qu’il te plaît. - Oui… - Ce n’est pas comme moi. - Tu aurais voulu faire quoi ? - Je ne sais pas, écrire des nouvelles. - Il n’est pas trop tard. - Bien sûr qu’il est trop tard. La vie est passée si vite. - Tu as encore de belles années devant toi. - à condition d’échapper aux drogues, aux cancers et aux accidents d’avion. - Tu as l’air en pleine forme et tu as toujours eu de la chance. - Toi aussi tu as l’air en forme, mais tu devrais changer de job. Les collectivités sont à sec et il n’y aura bientôt plus du tout d’argent pour la culture. Pour te faire du fric, tu devrais ouvrir une galerie d’art ou une pizzeria! Il est temps de penser à tes vieux jours. - Je m’en fiche de mes vieux jours. - Tu ne changes pas. - Toi non plus, on dirait que tu as toujours la tête sur les épaules. Tu es heureuse ? - Je ne sais pas. C’est une drôle de question. On ne s’est pas vus depuis vingt ans et c’est tout ce que tu trouves à me demander !

- Le train ne va pas tarder à repartir… - Il y a des jours où je suis heureuse et des jours où la vie est compliquée… - Mais aujourd’hui, tu es heureuse ? - Oui. C’est le premier jour des vacances, je viens de lire un bon livre et je te retrouve par hasard sur ce quai de gare. - Tu devrais raconter notre rencontre dans une nouvelle. - Tu crois ? Et ça intéresserait qui ? - Moi. - Des millions de personnes se croisent chaque jour sur un quai de gare… - Raison de plus. - Je préfère garder notre histoire pour moi. Je n’ai pas besoin de la raconter à des inconnus. - Dommage. Et qu’est-ce que tu pourrais raconter dans tes nouvelles ? - Des histoires qui ne sont jamais arrivées à personne. - Je n’aime pas les écrivains qui ont trop d’imagination. - C’est ce que tu disais déjà à l’époque… - Ah oui ? Et quoi d’autre ? - Tu buvais comme un trou et tu te prenais pour Mastroianni. - C’est fini. Je ne bois plus et je ne me prends plus pour personne. - Dommage. Et les autres, tu les revois ? - Seulement aux enterrements… - Moi je préfère pleurer dans mon coin. - Tu as vu, ils annoncent que le train ne repart pas. - On dirait que c’est la grève. - Qu’est-ce qu’on va faire ? - Je ne sais pas. Tu n’as déjà plus rien à me dire ? - Si… Regarde, le train repart dans deux minutes. - Dommage… Au fait, pourquoi tu ne te prends plus pour Mastroianni ? - Sans doute parce que la vie, finalement, ce n’est pas du cinéma. - Ah… Et ce n’est pas non plus de la littérature ? - Non. La vie, c’est la vie…



Le monde est un seul

Christophe Fourvel

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Une vie où tout se mélange Dans un article consacré à l’écrivain français Henri Calet et intitulé La Littérature et le privilège de la dépression (1), Georges Bataille écrivait, en 1950 : « Henri Calet excelle dans la peinture de ces états intermédiaires, où les choses sont encore des choses mais tombent en poussière ». Et c’est vrai que les romans d’Henri Calet (1904-1956) sont des petits bijoux façonnés avec une mélancolie pure, issue des origines, d’une enfance sans père et sans argent. Avec Calet, c’est toute une génération d’écrivains français qui, entre deux guerres, inventa une poésie moderne de la déroute et des désillusions : outre Céline, qui fit de l’ombre à ces ciseleurs d’ombres, il faut citer Bove, Gadenne, Guérin, Herbart, Hyvernaud... Leurs livres nuancent à l’infini les bleus de l’âme mais, diront leurs détracteurs, pèchent par l’étroitesse de leur palette. Ils n’ont pas su ou pas voulu regarder la vie dans le miroir entier et ont laissé de côté, ce qu’Olivier Chazaud appelle joliment des « zones irréfléchies »...
Il en est de la galerie des Lettres comme de celle des BeauxArts : s’y succèdent des grandes perspectives, des natures mortes, des monochromes, des vanités... De combien de couleurs est constitué un livre ? Il ne s’agit pas là de hiérarchiser les ouvrages selon l’étendue de leur nuancier (Vladimir Nabokov ou Philip Roth auraient des chances d’enfoncer Proust ou Dostoïevski) mais d’envisager un peu, à partir d’une sorte de spectrogramme, le vouloir et l’ambition des auteurs. Nous avons toujours en tête la très belle phrase de Chaplin : « Life is a tragedy when seen in close-up, but a comedy in long-shot » (2).

Ce souci de composer avec les aspects tragiques et comiques de l’existence habite un court roman (3) publié chez Actes Sud, par l’écrivain français Olivier Benyahya. Quatre-vingt quatre pages seulement, mais dans un enchevêtrement de sentiments : la mort, la famille, le sexe, l’humour, la religion, la rupture, l’errance, l’amitié. Un homme est confronté à la maladie de son père. Dans une chambre d’hôpital, le temps partagé est toujours plus contraint à moins de mots, de gestes, d’espoirs, de sourires. Cela commence ainsi : « Je regarde mon père.

Dès le premier jour j’avais renoncé à comprendre quel tuyau assurait quelle fonction. Il y a des gens qui tiennent à s’y retrouver. Au bout de quarante-huit heures, ils savent à quoi sert chaque appareil. Ils posent des questions. Ils savent pour la dialyse, les drains, la respiration assistée. Je fais seulement attention à ne pas arracher un fil en me penchant sur son front ». La mort se rapproche et précise, à coup de signes de plus en plus violents, l’idée qu’il faut bien s’en faire. Les pères se meurent parfois avec un mauvais sens du timing, tandis que leurs enfants sont empêtrés dans des déceptions amoureuses. C’est ce qui arrive au héros de Si le froid est rude : oublier Syd, l’amante américaine et veiller son père en tentant de faire vivre l’affection mâle avec des souvenirs de matchs de football télévisés, des demi phrases maladroites, des taquineries tendres. Le reste est puisé au courant de la vie ou dans le creux des nuits sans sommeil ; il invite à ne pas perdre le fil des choses qui appartiennent aux vivants. Le livre d’Olivier Benyahya tisse ses flopées d’histoires infimes et ses humeurs dépareillées à la manière d’un bracelet brésilien. La musique mélancolique que s’entête à tricoter le pianola de ces jours au bord du deuil est sans cesse rompue, traversée par des instants constitués du bric et du broc de nos existences. Il y a du Calet façon XXIe siècle chez Benyahya, pour la manière dont le héros n’est jamais héros, ou alors, la tête et les yeux baissés, comme un petit garçon. Un pendant post-moderne à l’édifiant Quand vient la fin de Guérin, où comment perdre son père soixante-dix ans après, au mitan de nos vies soumises à un champ des possibles accrus (ou faussement accrus). Mais s’il fallait citer un lointain ascendant à Benyahya, ce serait l’écrivain américain John Fante. Son nom est d’ailleurs cité, à la fin du livre. Fante, ou l’art d’être profond avec des mots usuels, de toucher le désespoir, la peur, le drame, avec des envies de baises ou d’alcool tenaces et de vivre une vie en acceptant que tout s’y mélange. 1—P aru initialement dans la revue Critique et cité par Olivier Chazaud dans l’ouvrage collectif Lire Calet paru aux Presses Universitaires de Lyon 2—« La vie est une tragédie quand elle est vue en plan rapproché ; une comédie quand elle est vue en plan large ».
 3 — Si le froid est rude, Olivier Benyahya, éditions Actes Sud. 84 p. 13€50

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gratuit Trois jours d’inauguratio n 26/27/28 sept. 2014

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La Boîte à Musiques Nouvelle salle de concerts à Metz-Borny www.bam-metz.fr

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Bréviaire des circonstances

Vanessa Schmitz-Grucker

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Le Marégraphe (3) J’ai décidé de ne plus bouger jusqu’au moment où je trouverais ma place définitive. De rester suspendue le temps que je cesse de vivre hors de moi. La gare de péage. C’est là que j’ai compris. J’ai compris qu’il n’y avait pas d’ailleurs où je pouvais être, où je me devais d’être. On ne m’attendait pas. On ne m’attendrait plus. Je ne sursauterai plus mais le prix à payer, c’était de renoncer à cette place. Une place qui n’a ni nom ni lieu, dont les reflets à travers la vitre parlent la langue d’un monde qui imite pâlement le nôtre mais dont le sens nous échappera à jamais. Les bandes blanches sur l’autoroute défilent. Elles passent à travers mon corps aliéné à des lieux qui n’en sont pas. Et puis, on est arrivées. Je n’ai pas regardé l’urne. J’ai regardé droit devant moi, les cheveux humides, les pieds un peu au-dessus de la terre. Il y avait, pourtant, toujours ce monde qui ne s’arrêtait jamais de tourner et ces voyages si interminables qu’on n’en croyait plus la fin quand elle arrivait bien qu’on n’eût attendu qu’elle. On a marché. Le sentier était escarpé, je les connais, ces sentiers escarpés. C’est une croix inutile qu’on vous vend malhabilement comme nécessaire. Vertueuse. Expiatoire. Inutile, dis-je. Et il fallait marcher. Avec je-ne-sais-quoi de vie, je-ne-sais-quoi de mort, d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Je n’ai pas écouté les sermons, il y avait trop de bruit dans mes veines.

On a embarqué sur un zodiaque. Encore un voyage, toujours des voyages. J’ai quitté le monde mais je n’ai pas de suite compris le poids que j’avais entre les mains. C’était un objet rond, d’un gris qui pour la première fois depuis bien longtemps donnait une couleur et une lumière à la vie. Mais très vite, j’ai tremblé, j’ai vu, j’ai senti. L’eau froide de cette mer hivernale a fait bleuir mes mains. J’avais mal, je ne savais plus où. Il fallait lâcher. Il fallait te laisser partir au fond de la mer. Mes mains ont cédé. J’ai lâché et le bruit dans mes veines m’a projeté sur Terre. Du haut de la falaise, mon corps semblait être un obstacle comme il ne l’avait jamais été, même lorsque j’affronte le sommeil. Un obstacle à la fin, un obstacle au commencement. Seule face au tranchant des lames, sans armes dans les mains, je suis partie à l’assaut du phare qui faisait de l’ombre à mon marégraphe. Je voulais trébucher juste avant le Monde pour qu’il n’ait pas ma fin. Nous ne sommes que des visiteurs, nous avons tous rendez-vous à Samarcande. Et je ne voulais pas être pardonnée pour ne pas être oubliée.

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LA JURASSIENNE DE RÉPARATION THÉÂTRE GROUP’

Rendez-vous Gare de l’Est

Guillaume Vincent

Du Pain et des Rolls

Julie Duclos / guy - patrick sainderichin

Passim

François Tanguy — Le Théâtre du Radeau

Yvette Horner et l’Odeur du mouton Mohamed Guellati — corinne bastaT

SAISON QUATORZE QUINZE Ainsi se laissa-t-il vivre

Robert Walser — Guillaume Delaveau

La Bête dans la jungle

Henry James — Marguerite Duras — Célie Pauthe

Les Événements récents Nicolas Laurent

Petit Pierre

Suzanne Lebeau — Maud Hufnagel / Lucie Nicolas

Le Triomphe de l’amour Marivaux — Michel Raskine

Aglavaine et Sélysette

Maurice Maeterlinck — Célie Pauthe

Déjeuner chez Wittgenstein

Rodzenstwo (Ritter, Dene, Voss) Thomas Bernhard — Krystian Lupa

Les Particules élémentaires

graphisme Jérôme Le Scanff

Michel Houellebecq — Julien Gosselin

La Mate

Flore Lefebvre des Noëttes

Woyzeck [Je n’arrive pas à pleurer] Georg Büchner — Jean-Pierre Baro

www.cdn-besancon.fr 03 81 88 55 11 Avenue Édouard Droz 25000 Besançon


focus

La permanence du spirituel

Thomas de Pourquery

La communauté de la note La 15e édition du Tribu Festival se déroulera à Dijon du 18 au 29 septembre. Mais si on parle de « tribu », point de sectarisme, il ne s’agit pas de défendre une bannière en particulier. Parce que le groove est pluriel et les influences infinies, ici toutes les tribus sont représentées et les zoulous de tous horizons sont invités à se joindre à la fête. Considérant qu’il ne doit pas y avoir de frontières entre les genres et entre les peuples, le Tribu Festival nous emmène à la découverte des musiques de notre monde, aux confluents du jazz, de l’électro, du hip hop et des musiques traditionnelles, créant même des fusions entre les styles. Ainsi s’entrecroiseront au fil des soirs, le saxophoniste Thomas de Pourquery qui rendra un hommage vibrant à l’exceptionnel Sun Ra en compagnie de cinq acolytes, la délicate Low Leaf, « beatmakeuse » d’origine philippine aussi à l’aise à la harpe qu’au clavier, ou encore Oh ! Tiger Mountain, sorte de crooner barré aux influences seventies. Une diversité de talents qui charmera à coup sûr un public en recherche de nouveauté et de sensations musicales inédites. Car la pluralité se joue aussi par l’espace occupé, le festival investit la ville de part en part et rebondit à travers différents lieux culturels tels que La Vapeur, le Port du Canal ou le Théâtre Mansart. Les jeunes musicos en herbe ne seront pas délaissés puisque le dimanche un programme spécial leur est consacré à la Minoterie de 11h à 18h avec un plateau d’artistes de qualité, enclin à susciter la curiosité. Par Julien Pleis — Photo : S. Gripoix

Proposée par le Frac en partenariat avec le Consortium et le Musée Nicéphore Nièpce, l’exposition « Tulkus 1880 to 2018 » de l’artiste Paola Pivi offre une œuvre étonnante, tant par son ampleur, sa durée que sa transversalité. Exposant aux Bains du nord quelques 500 portraits sur les plus de 3 000 réunis à ce jour, le projet entend rassembler toutes les photographies existantes de tulkus, ces réincarnations reconnues d’un précédent maître bouddhiste. Un work in progress au long cours, qui excède le seul domaine artistique. Car à travers les questions de l’âge des portraits – datant pour certains de la fin du XIXe –, de leur situation géographique – les tulkus sont disséminés sur tout le territoire tibétain – ou des particularités théologiques – il existe cinq écoles de bouddhisme tibétain –, émergent des problématiques autant anthropologiques, sociologiques, qu’historiques. La photographie d’un tulku étant dotée de la même puissance que le tulku himself, la majorité des portraits sont minutieusement composés. À travers cette succession d’images un ensemble singulier se déploie, aussi disparate formellement (changements d’échelles des photos, de qualités, de lieux, de couleurs), qu’homogène et répétitif dans ses modes de représentation. Mais si le photographe, le lieu, l’identité et les dates de naissance et de mort du tulku figurent dès que possible, il est une information qui n’apparaît jamais : l’année de prise de la photo. Façon de rappeler que tous, vieillards comme jeunes enfants, ont dédié leur vie entière au pouvoir spirituel qu’ils incarnent. Par Caroline Châtelet

TRIBU FESTIVAL, du 18 au 29 septembre à Dijon. www.tribufestival.com

TULKUS 1880 TO 2018, exposition jusqu’au 19 octobre aux Bains du Nord à Dijon. www.frac-bourgogne.org

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focus

Tempus Fugit

Chair à passion On ne mesure pas à quel point cet Américain au parcours incroyable, qui a décidé de quitter son pays pour rejoindre le Vieux Continent dans les années 70, a pu se montrer influent sur la scène rock hexagonale. Au sein d’Orchestre Rouge, il avait livré le meilleur du rock d’ici, bousculant les codes, intégrant toute sa culture pour inventer une forme qui puisait dans le post-punk pour faire la jonction avec Johnny Cash, Bob Dylan et tous les autres. Cette entreprise s’est poursuivie avec brio à l’époque de Passion Fodder, un groupe qui a pesé sur l’émergence de groupes tels que Noir Désir par exemple et qui constituait la juste réponse au Gun Club et annonçait d’une certaine manière les Pixies, puis des groupes comme 16 Horsepower auquel participaient d’anciens compagnons de route dans un mouvement inverse, de la France vers les États-Unis. Ce monstre de culture n’a cessé ni de produire ni d’écrire et aujourd’hui, on ne s’étonne guère de le voir puiser dans le background intellectuel des années 30 en France pour continuer à délivrer son message d’humanité. Ainsi, le ciné-concert Au Bonheur des dames, le dernier film muet de Julien Duvivier, qu’il donnera avec Bénédicte Villain (violon et accordéon), Tatiana Mladenovitch (batterie), Laureline Prod’homme (basse) et Matthieu Texier (guitare), est presque une évidence. La thématique de cette jeune orpheline interprétée par Dita Parlo, qui monte à Paris, dans le contexte de la crise, pourrait constituer la belle métaphore de sa vie à lui, Theo Hakola, un artiste en mouvement permanent. En quête de soi et des autres. Par Emmanuel Abela — Gravure : Henri Walliser

THEO HAKOLA, AU BONHEUR DES DAMES, Ciné-concert le 8 juillet à la Saline Royale d’Arc et Senans

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Le livre est un seuil pour le regard, au sens où l’entend Georges Didi-Huberman, il est un objet en soi, pourvu de qualités plastiques, mais il est aussi, par le texte qu’il contient, ouvert sur un Ailleurs auquel il convie l’esprit. Le Musée du Temps s’associe à la bibliothèque municipale de Besançon pour offrir aux regards des visiteurs les plus belles pièces de la collection de livres de la famille Granvelle. Plusieurs voies permettent de pénétrer cette exposition suscitant ainsi la curiosité de publics divers. Une première salle est consacrée au travail de la reliure, où les livres proclament leur matérialité, surélevés par de petits présentoirs. On peut de ce fait admirer la facture des peaux, avant de découvrir dans un second temps les livres ouverts laissant voir leurs manuscrits ornementés. Parmi les enluminures délicates et les précieuses reliures italiennes de maroquins, c’est l’esprit d’une époque qui se dévoile. L’exposition, audelà des qualités plastiques de ces pièces, révèle également les références littéraires et philosophiques qui forgeaient la culture de la famille, empreinte de l’humanisme de la Renaissance. Le grec, le latin, l’italien et le français sont alors les langues d’une culture où se fréquentent Saint Augustin, Castiglione, Tite-Live, ou encore Aristote, à l’heure où l’érudition était un attribut du pouvoir politique. Cette exposition in situ évite l’écueil de la décontextualisation du White cube et permet également une redécouverte des collections permanentes de l’institution, notamment des majestueuses tentures célébrant le règne de Charles Quint. Par Florence Andoka

LA BIBLIOTHÈQUE DES GRANVELLE, RELIURES ET MANUSCRITS, exposition jusqu’au 5 octobre au Musée du Temps à Besançon. www.mdt.besancon.fr



focus

Asgeir

Boom box

L’ensemble Aedes

Musique en tête ! Il a beau avoir 66 printemps, le vent de la jeunesse souffle sur le Festival de Musique de Besançon, notamment depuis que Jean-Michel Mathé en a pris la direction en septembre 2012. Pour cette 67e édition, dont il assure seul la programmation, il a souhaité recentrer le propos du festival sur l’univers de l’orchestre. Ainsi en 9 jours, ce ne sont pas moins de 9 orchestres – dont l’Orchestre Symphonique de Bâle ou l’Orchestre de Chambre de Paris –, 2 ensembles vocaux et 1 ensemble baroque qui sont invités à revisiter principalement les pièces maîtresses des XIXe et XXe siècles, ce qui n’empêche pas de faire l’aller-retour entre un répertoire plus ancien et des œuvres plus contemporaines. Mozart côtoie Ligeti tout comme la musique vocale de la Renaissance voisine avec l’œuvre de John Adams, des cycles sont consacrés à Richard Strauss, à Chostakovitch ou au répertoire romantique, avec toujours une volonté d’ouverture qui conduit jusqu’au jazz et une petite pointe de pédagogie autour d’œuvres jugées plus complexes. La voix, elle, trouve légitimement sa place au cœur de ce dispositif principalement instrumental : à ce titre, le public pourra apprécier la majesté contenue dans le Requiem de Fauré, choix judicieux, presque courageux, sur la base d’une œuvre majeure qui réconciliera amateurs éclairés et néophytes prêts à se laisser surprendre. Une œuvre qui donne une belle tonalité d’ensemble à un festival ambitieux mais populaire, exigeant mais spontanément ouvert. Rien de tel, comme chaque année, pour célébrer la rentrée ! Par Emmanuel Abela — Photo : Pierre Hakimian

LE 67e FESTIVAL DE MUSIQUE DE BESANÇON, du 12 au 21 septembre à Besançon et en Franche-Comté www.festival-besançon.com

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La nouvelle édition du Détonation festival de Besançon va encore faire grand bruit avec une programmation éclectique et pointue ! Sous l’égide de La Rodia, l’événement s’étalera du 25 au 27 septembre et se déroulera entre deux espaces, la Grande Salle et le Club, qui auront chacun leur ambiance musicale pour contenter toutes les oreilles. La soirée du 25 accueillera tour à tour de la pop planante, du reggae, du rap, des riffs électriques énervés et même de la folktronica minimale… Le vendredi 26 proposera du rock bien « burné » au Club, avec entres autres, I Me Mine et Ty Segall dont le style oscille entre garage et psyché, alors que, dans la grande salle, on s’orientera vers des rythmes plus electro avec notamment Para One et Shit Robot. Enfin le dernier soir fera la part belle à l’énergie, qu’elle soit matinée de folk aérien avec Asgeir – jeune prodige venu d’Islande – ou bien de hip-hop rugueux par la voix de Coely et les platines de DJ Fly, le champion du monde DMC 2013. Mais l’explosion promise ne sera pas que musicale. En effet les spectateurs en prendront également plein les mirettes, puisque le collectif Spotlight habillera les lieux avec ses créations de video-mapping pour une expérience immersive et pluri-sensorielle. Aussi, une partie de cette animation lumineuse sera générée par le public grâce à un système de jeux ludiques et interactifs. Par Julien Pleis

DÉTONATION, festival les 25, 26 et 27 septembre à La Rodia à Besançon. www.larodia.com


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ILLUSTRATION

©JOE BIEL

MÉTÉO | MULHOUSE MUSIC FESTIVAL 26-30.08.2014

CHES SMITH (USA) / CHRIS CORSANO (USA) / JIM DENLEY (AU) / PAUL DUNMALL (GB) / CATHERINE JAUNIAUX (FR) / RHODRI DAVIES (GB) / JACQUES DEMIERRE (CH) / CHRISTIAN WALLUMRØD (NO) / JONAS KOCHER (CH) / JENNY HVAL (NO) / ALBERT MARCOEUR (FR) / LEE PATTERSON (GB) / ERIKM (FR) / DAUNIK LAZRO (FR) / JULIEN DESPREZ (FR) / HASSE POULSEN (DK) / MARK SANDERS (GB) / DIDIER LASSERRE (FR) / AXEL DÖRNER (DE) / LOUIS LAURAIN (FR) / JEAN-SÉBASTIEN MARIAGE (FR) / VIRGINIA GENTA (IT) / PAUL ROGERS (GB) / JOHN EDWARDS (GB) / CHRISTIAN PRUVOST (FR) / HANNES LINGENS (DE) / GREG POPE (GB) / WILL GUTHRIE (AU) / MATHIAS PONTEVIA (FR) / JOKE LANZ (CH) / ANTONIO BORGHINI (IT) / DEVIN HOFF (USA) / PASCAL CONTET (FR) / PIERRE BOREL (FR) / KIM MYHR (NO) / QUATUOR BÉLA (FR) / TRONDHEIM JAZZ ORCHESTRA (NO) / VALENTIN CECCALDI (FR) / MORTEN J. OLSEN (NO) / DAVID VANZAN (IT) / METTE RASMUSSEN (DK) / QUENTIN BIARDEAU (FR) / FREDERICK GALIAY (FR) / BENJAMIN DUBOC (FR) … FESTIVAL MÉTÉO BP 1335/ F-68056 MULHOUSE CEDEX +33 (0)3 89 45 36 67

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Nature des sons/ sons de la nature

Irish fusion Loin de l’image contrefaite et trop lisse des spectacles de danse irlandaise, le Fabulous Beast Dance Theatre fait l’unanimité depuis la création de Rian en 2011 de Dublin à New York, en passant par Singapour et bientôt Sochaux. Salué depuis les années 1990 pour ses productions dramatiques, Michael Keegan-Dolan a travaillé main dans la main avec le compositeur Liam Ó Maonlaí de façon à créer une pièce musicale et chorégraphique unique, où musiciens et danseurs « performent » dans un même élan de ravissement. Fusion des genres, fusion des corps et des ethnies, Rian – « empreinte » en irlandais – trouve son inspiration première dans la tradition gaélique mais ne se résume pas seulement à cela. Alors que les compositions musicales interprétées par Liam Ó Maonlaí et quatre musiciens magnifient un héritage populaire, Michael Keegan-Dolan imagine une chorégraphie contemporaine tournée en tout point vers le renouveau. Sur une scène circulaire enveloppée d’un éloquent halo vert, huit danseurs pieds nus s’encouragent à prendre possession de l’espace dans une fausse improvisation. Aux énergiques frappements de pieds se superposent des mouvements souples et ondoyants, fruits d’un métissage entre danse irlandaise et afro-américaine. Tantôt seul, tantôt en duo ou en groupe, les danseurs laissent libre cours à leur corps et réactualisent le propos traditionnel, portés par les vibrantes sonorités du violon, de la harpe et de la cornemuse. Un éclatant retour à une danse païenne, viscérale et épuisante, jusqu’à la griserie. Par Claire Tourdot — Photo : Ros-Kavanagh

RIAN, danse et musique le 30 octobre à la MALS à Sochaux, dans le cadre de l’ouverture de la nouvelle saison de MA scène nationale. www.1415.mascenenationale.com

Laissez les sons allez où ils vont, nouvelle exposition présentée au FRAC FrancheComté, résulte d’une collaboration avec le Centre National des Arts Plastiques (CNAP). L’exposition entend explorer la dimension sonore de l’art contemporain. Cette perspective, déjà présente lors de l’exposition Sound Houses consacrée à Alvin Lucier et Tom Johnson, se dessine aujourd’hui dans l’articulation entre le son et la nature, à travers les œuvres de 17 artistes, parmi lesquels Jonas Mekas, Jean Dupuy, Pierre Alferi, Edith Dekyndt, Silvia Bächli. La figure tutélaire de John Cage est à nouveau citée, notamment par le titre de l’exposition, mais c’est le penseur Henry David Thoreau qui fait figure d’horizon. Ainsi toutes les œuvres réunies interrogent dans une veine proche de l’esprit romantique le rapport entre nature et musique, entre son et paysage. Quelle musique émerge de la nature ? Quel paysage serait à même de représenter le son ? L’exposition conçue comme une ballade méditative se joue de la question esquissant par chaque pièce de multiples réponses. On s’arrêtera sans doute sur l’œuvre inattendue From here to ear de Céleste Boursier-Mougenot, artiste chargé de représenter la France à la biennale de Venise en 2015. Des mandarins sont invités à composer librement une étrange musique, faite d’échos et de répétitions. Le secours de l’animal offre ainsi une nouvelle interprétation de la musique aléatoire de John Cage, la nature se faisant alors le creuset du hasard. Par Florence Andoka

LAISSER LES SONS ALLER OU ILS VONT, exposition jusqu’au 21 septembre au Frac Franche-Comté. www.frac-franche-comte.fr Visuel : Céleste Boursier-Mougenot, from here to ear, 1999-2009, Collection Centre national des arts plastiques, FNAC 10-1068 © ADAGP, Paris / CNAP / Photo : Frédéric Lanternier

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Les récits d’Ulysse Si être programmé dans un festival d’arts de la rue est essentiel pour une compagnie, cela ne suffit pas à être vu. Les conditions d’accès y étant facilitées par les Off – tranche massive de la programmation où les équipes ne sont pas salariées par le festival et où la sélection est, donc, beaucoup plus souple – ; la durée des festivals ne permettant guère au bouche-à-oreille d’exister ; et les critères d’entrée dans la profession entretenant un flou (qui rend méfiant le programmateur), une jeune équipe débarquant dans l’un des grands raouts estivaux aura du mal à tirer son épingle du jeu. Soit à être repérée par des professionnels du secteur, qui assureront sa pérennité en diffusant son travail... C’est forte de ce constat que la région Bourgogne initie depuis cinq années désormais Arts publics. Un programme régional d’accompagnement destiné à faciliter l’émergence de jeunes équipes bourguignonnes d’arts de la rue. Engageant à ses côtés trois partenaires-programmateurs, la région soutient une compagnie par saison. En 2014, c’est Caracol qui bénéficie de résidences, de conseils et de diffusion. Dirigée par Francine Vidal, elle crée Café Ulysse : une proposition en forme de matriochka qui déploie plusieurs langues pour raconter des histoires de traversées. Du plus épique, celui d’Ulysse l’éternel voyageur de L’Odyssée, aux plus confidentiels ou parcellaires, tous ces récits suivent un même fil rouge. Ils interrogent ainsi, à travers des tentatives de départ ou de retour réels ou fictifs, subis ou choisis, les multiples sens de l’expression « se sentir chez soi ». Par Caroline Châtelet

CAFE ULYSSE, théâtre de rue, 11 et 12 juillet aux Zaccros d’ma rue à Nevers, du 23 au 26 juillet à Chalon dans la rue à Chalon-sur-Saône, le 27 septembre aux Arts de la rue en Pays Corbigeois www.compagniecaracol.com


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Error HTTP 404 Le travail plastique de Benjamin Gaulon présenté à l’espace Gantner s’inscrit dans la droite lignée des travaux de recherche qu’il impulse depuis 2011 à Dublin, au sein du Recyclism Hacklab dont il est le fondateur. Si l’on insiste sur le réemploi des matériaux tel que le pratiquaient César, Arman ou Tinguely, Benjamin Gaulon a réduit son champ d’intervention au multimédia, mais a élargi le domaine de la pensée du recyclage à l’esthétique du dysfonctionnement technologique. Son travail questionne les limites de la communication mais aussi le consumérisme à outrance engagé par l’obsolescence planifiée, le tout jetable. À Bourogne, il explore une dimension actuelle des nouvelles technologies, le piratage et le détournement. Entre résistance et dérision, le rebut électronique ne questionne pas uniquement le rapport à la consommation de la collectivité mais le rapport individuel. Avec un brin de nostalgie, le spectateur trouvera les premiers supports qui ont fait sa génération. C’est là, une émotion nouvelle que l’artiste met à jour : la nostalgie à l’ère du tout technologique d’une autre ère technologique. Sa façon de réactiver des mécanismes condamnés n’est pas dénuée d’une certaine poésie. Les habitants du territoire de Belfort ont été invités à ramener les objets dont ils n’avaient plus usage. Ordinateurs, radioréveils, téléphones, jeux vidéos, mais aussi ce touchant jouet, un chien animé dont un œil est remplacé par une carte à puce, tout cela ne forme qu’un, s’anime ensemble au sein d’une installation entre passé et futur. Par Vanessa Schmitz-Grucker

HACK ! DÉTOURNEMENTS, exposition jusqu’au 6 septembre à l’Espace multimédia Gantner à Bourogne. www.espacemultimediagantner.cg90.net

Attraction (s) À la suite du projet présenté au Panthéon de Paris en 2000, Sarkis propose au Musée du Château des Ducs de Wurtemberg de Montbéliard une rencontre entre les grands noms du monument parisien et des anonymes qui ont fait l’histoire locale. Des photographies de l’autre siècle, par centaines, côtoient des signatures en néons bleus, les noms de ces grands écrivains, de ces grands hommes. L’unique éclairage, des néons d’un bleu intense, des noms illustres, illuminent les anonymes. La mise en scène est chaotique. L’artiste a réemployé divers objets de la collection des Musées de Montbéliard. L’ensemble se rencontre sur un fond de musique mécanique, des boîtes à musique du Musée d’Art et d’Histoire. Ce travail s’inscrit dans la trajectoire de l’artiste dont l’attention s’est régulièrement tournée vers la mémoire. Les archives à sa disposition forment un nouvel ensemble dans l’enceinte du château, une nouvelle lecture. La première lecture est évidente. Elle implique l’emploi d’objets et de lieux porteurs de la mémoire de la ville. La second niveau ne tient pas tant à réhabiliter des anonymes mais à rappeler que l’existence de grands noms implique fatalement celle des anonymes. L’exposition invite à repenser l’Histoire qui se cristallise autour de grands faits, de grandes dates, de grands noms mais qui a longtemps oublié la longue marche des anonymes. Par Vanessa Schmitz-Grucker

LES PÔLES DES AIMANTS, exposition jusqu’au 4 janvier 2015 au Musée du Château des Ducs de Wurtemberg. www.montbeliard.fr

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LA JURASSIENNE DE RÉPARATION DENNIS RUSSELL DAVIES chef d’orchestre associé GUILLAUME CONNESSON compositeur en résidence PHILHARMONIE DE LA RADIO ALLEMANDE SAARBRÜCKEN KAISERSLAUTERN ORCHESTRE NATIONAL D’ÎLE DE FRANCE

un spectacle du

THÉÂTRE GROUP’ AVEC PATRICE JOUFFROY MARTIN PETITGUYOT PIO D’ELIA GUILLAUME DERIEUX RESPONSABLE ARTISTIQUE PATRICE JOUFFROY REGARD EXTÉRIEUR CHRISTIAN PAGEAULT

LE CERCLE DE L’HARMONIE MIKHAÏL RUDY PAVEL SPORCL / GIPSY WAY

Du 22 au 25 septembre 2014 Cdn EN EXTÉRIEUR

www.cdn-besancon.fr 03 81 88 55 11 Avenue Édouard Droz 25000 Besançon


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“Nis, poto?”

Au boulot ! Les artistes, c’est bien connu, sont des fainéants. Ils se lèvent à pas d’heure, font tarder leur café matinal, travaillent vaguement deux ou trois heures avant de sortir prendre l’apéro qui s’éternise jusqu’au petit matin. Rebelote le lendemain. Anna Ostoya a décidé de les prendre au pied de la lettre pour sa première exposition personnelle en France. En apprenant que la Kunsthalle de Mulhouse était au départ une fonderie industrielle, elle décide de calquer ses journées sur celles que vivaient les ouvriers d’alors : horaires réguliers, travail pénible, production normée et cadencée. Partant d’une production artistique réglée sur le rythme de travail d’usine, elle questionne la figure stéréotypée de l’artiste paresseux, doublée de son mythe corollaire : l’artiste est un libre-penseur, incompris parce que précurseur. Le résultat voit des Transpositions de couleurs s’égrainer au fil de formes (bandes, carrés, ondes, courbes), de techniques (peinture à l’huile, acrylique, gomme et laque), de matériaux (feuille d’or, aluminium, sang) et de références historiques (Constructivisme russe et Suprématisme, groupe BMPT) pour un rendu vibrant et coloré qui captive les sens et donne à penser sur les conditions de transformation sociale de la condition ouvrière comme celle de l’artiste. Par Xavier Hug

ANNA OSTAYA, TRANSPOSITIONS, exposition jusqu’au 24 août à la Kunsthalle de Mulhouse. www.kunsthallemulhouse.fr

sous des airs frivoles, l’exposition collective estivale du CRAC Alsace interroge avec perspicacité la notion de normalité et montre à quel point un centre d’art prend aujourd’hui prétexte de tout pour construire un discours cohérent et sensible. Partant d’un fait divers quelque peu banal, le réalisateur Jean-Pierre Gorin réalise un documentaire en 1977 sur deux sœurs jumelles qui ont perpétué plus longtemps que les autres enfants leur idiome propre : une suite incompréhensible d’où émergent quelques fragments d’allemand, d’anglais et d’espagnol. Contraintes de s’adapter par le corps médical et forcées par leur père d’abandonner leurs enfantillages, elles grandissent de manière ordinaire. De là, s’élabore un jeu de pistes à travers un ensemble d’œuvres faits de babillages artistiques, tordus et redressés par l’institution pour les rendre intelligibles. Ce principe, miroir au film de Gorin, laisse le spectateur dans un entredeux, entre chien et loup, où il assiste au passage de la déviance au conformisme. Certains travaux restent d’ailleurs à la lisière du cryptique (Mariana Castillo Deball, Matt Mullican) quand d’autres énoncent clairement cette transition accompagnée d’une perte (Katarina Zdjelar, Lothar Baumgarten). Ce point de bascule que tente d’immortaliser Gorin sublime l’acte poétique, cette résistance à l’engourdissement, magnifié par les détournements plastiques de la langue opérés par Henri Chopin ou Natalie Czech. Par Xavier Hug

Der Leone Have sePt cabeças, exposition jusqu’au 21 septembre au CRAC Alsace à Altkirch. www.cracalsace.com Visuel : Mariana Castillo Deball El dónde estoy va desapareciendo (détail) Courtesy de l’artiste et Barbara Wien-Wilma Lukatsch, Berlin

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Froideur expérimentale

Identité & Brouillard À l’instar de la gravure, le monotype commence par une plaque sur laquelle l’artiste inscrit ses lignes, ses couleurs, ses images. Par la suite, l’artiste applique une surface sur cette plaque et, via la pression de ses mains ou d’une presse, le dessin de la plaque est transmis à la surface. Mais, contrairement à la gravure, une fois que la surface se sera approprié le dessin, la plaque redeviendra vierge. Unique, il faudra transporter cette image avec autant de soin que cela le nécessite car la matrice, nom de la plaque en gravure, ne contient plus de mémoire. Dès lors, nous ne pouvons qu’apprécier le travail de Grzegorz Biénias exposé actuellement au Musée des Beaux-arts de la ville de Mulhouse dans le cadre de l’exposition Identités plurielles / Toż samość et qui propose une réflexion sur l’identité polonaise. Son travail consiste en de grands monotypes où l’on aperçoit des paysages issus d’un pays inconnu : des bribes d’architecture nous rappellent des cathédrales mais, très vite, du fait de la pression que l’artiste a exercé, ces architectures s’estompent dans une brume d’encre d’où surgissent quelquefois des esquisses d’individus qui, eux aussi, finiront par disparaître. Devons-nous en penser que cette Pologne n’est désormais plus qu’une mémoire évanescente ? Cela doit être le cas pour certains tel Christian Glusak qui ne connaît de ce pays que les dires de ses grands-parents, des dires contenant certainement des lacunes que l’artiste tente de combler via la culture du concombre. Par Julien Amillard — Visuel : Christian Glusak

Sylvain Couzinet-Jacques investit à la rentrée prochaine la galerie mulhousienne Hors-Champs pour présenter Zero Rankine, une exposition qui s’inscrit dans le cadre de la Biennale de la photographie de Mulhouse et de Mulhouse Art Contemporain. Ses photographies jouent avec les seuils de visibilité, tantôt voilées par des verres teintés qui rappellent les lunettes de soleil, tantôt surexposées voir sous-exposées, comme froides, très froides. Zero Rankine fait en effet référence à un terme de mesure thermodynamique qui a pour valeur le zéro absolu – la température la plus basse qui puisse exister. On en perd la trace du motif, du sujet, parfois les images sont maltraitées au point de rendre quasiment impossible une lecture plane et complète des clichés. Un effet sur le public particulier, des visuels pourtant simples mais dont le traitement singulier dérange la pupille et titille l’imaginaire des visiteurs renvoyant l’image d’un monde vu avec des lunettes post-apocalyptiques. Sylvain Couzinet-Jacques fait partie de ces diplômés de l’École de photographie d’Arles rapidement devenus plasticiens, pratiquant une photographie résolument contemporaine, tant par le souci de la technique que par l’originalité de sa mise en œuvre. La galerie Hors Champs se fait laboratoire de création, accueillant en ses murs des matériaux éloignés du champ photographique comme des papiers industriels sensibles à la chaleur. Dans la série Zero Rankine, la plupart des œuvres conçues insitu seront inédites – certaines sont d’ailleurs toujours en phase expérimentale –, imposant à la photographie de nouveaux codes esthétiques. Par Gabrielle Awad

IDENTITÉS PLURIELLES / TOZ SAMOSC, exposition jusqu’au 31 août au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse. www.musees-mulhouse.fr

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ZERO RANKINE, exposition du 13 septembre au 19 octobre à la galerie Hors-Champs à Mulhouse.


Fonds régional d’art contemporain Alsace

exposition —

02 mai —

12 you can´t beat time

octobre —

2014

avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication / Direction régionale des affaires culturelles d’Alsace

Agence culturelle d’Alsace 1 espace Gilbert Estève Route de Marckolsheim à Sélestat

© Felix Schramm / Photo Jean-Baptiste Dorner

felix schramm


focus Théâtre de la Sinne à Mulhouse

Beau fixe

Lancé en 1998, Scènes de rue est devenu un rendezvous incontournable de la vie culturelle de Mulhouse. Grâce à une programmation pluridisciplinaire (théâtre, cirque, musique, danse, arts forains,…) au sein de laquelle « cohabitent » des performances portées par des artistes confirmés, mais aussi des projets en cours d’élaboration développés par des artistes en devenir, l’événement offre une nouvelle lecture de la ville au gré de rencontres intimes ou grandioses. Cette année ce ne sont pas moins de 27 compagnies qui se partagent l’espace urbain et animent, chacune à leur manière, les rues mulhousiennes. Cette diversité des genres et des disciplines, fait du festival un évènement à la fois visuel et bruyant, joyeux et intelligent, populaire et audacieux, où est encouragé l’accès à la culture pour tous. On y trouve des moments de partage et de rencontre, pour tous les publics (même les plus jeunes), mais aussi des représentations plus exigeantes qui interpellent notre société et poussent à la réflexion sur les rapports de l’homme et de la cité. Ainsi d’un bout à l’autre de la ville on trouvera des éléments accessibles du cirque, avec les clowns foutraques de la troupe La Chouing, ou avec les membres de l’académie Fratellini, côte à côte avec des œuvres plus conceptuelles qui parsèmeront également la ville. On s’attardera notamment sur la poétique installation de bois de Denis Tricot et sur l’œuvre charnelle Knights of the Invisible, toute à la fois bizarre, brutale et majestueuse.

À la fin de l’été, retour aux affaires sérieuses ! Libérer les genres musicaux, dépasser les frontières et creuser les « sillons de la Terre », ce ne sont pas les moindres des finalités de Météo. Ce festival qui peut s’appuyer sur la belle légitimité qui découle d’une histoire vieille de trente ans, poursuit sans relâche son travail de défricheur : les musiciens qu’il invite, laborantins du son, expérimentateurs de nouveaux formats, mènent une bataille contre les idées musicales préconçues. Ils le font avec brio, et souvent avec un certain sens de la dérision, comme c’est le cas avec Albert Marcœur. Sur scène, avec l’appui du Quatuor Béla, nul doute qu’il nous emmènera en voyage, à l’écart de tout dans les méandres de son esprit. C’est le cas également de Joke Lanz qui, à l’heure du DJ devenu roi du poussebouton, impose une autre pratique de la platine possible ! Ce performer exigeant éprouve les opportunités sonores infinies ; avec des scratchs aventureux et des cut-ups bruitistes vertigineux, il triture la matière, la découpe, la décompose et la recompose avec un sens tactile, et bien sûr visuel, qui transforme son set en véritable happening. C’est le cas enfin de Will Guthrie, un batteur émérite qui saura nous tenir en haleine, quitte à nous conduire au bout de nousmêmes ! Il suffit d’un peu d’empathie et d’esprit d’ouverture pour non seulement se montrer réceptif à leur message et surtout passer des moments inouïs, dont certains restent à jamais inscrits dans la mémoire.

Par Julien Pleis

Par Emmanuel Abela — Photo : Sébastien Bozon

SCÈNEs DE RUE, festival du 17 au 20 juillet dans les rues de Mulhouse. scenesderue.mulhouse.fr

METEO, festival du 26 au 30 août à Mulhouse et environs www.festival-meteo.fr

Dominoes

Scènes d’esprit

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www.ceaac.org

21.06 19.10.14 au :

du :

Mer — Dim : 14h > 18h

FERMETURE ESTIVALE DU 3/08 > 3/09

Commissaires invités : Élodie Royer, Yoann Gourmel & Bruno Persat.

Centre d'art : 7 rue de l’Abreuvoir, 67000 Strasbourg

Erica Baum / Lenka Clayton / Julien Crépieux / Moyra Davey / Joseph Grigely / Chitti Kasemkitvatana / Gareth Long / Benoît Maire / Benoît-Marie Moriceau / Antoinette Ohannessian / Bruno Persat / William Wegman / et la participation de Holden.

Centre européen d’actions artistiques contemporaines

VISUE L : S E Y M O U R S K E T C H ” , 2 0 1 4 © B U D D Y G L A S S

ÉTÉ COUR ÉTÉ JARDIN

Concerts / Soirées classiques Spectacles jeune public Lectures musicales

Création graphique : kathleenrousset.com

été 2014 – 11.07 – 14.08

TAPS LAITERIE + TAPS SCALA

Info-réservations Boutique Culture + 33 (0)3 88 23 84 65 www.strasbourg.eu

GRAPHISME HORSTAXE.FR

TAPS Théâtre actuel et public de Strasbourg


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Lalala

Arrêter le temps Inutile de chercher à lutter, le temps finit toujours par supplanter l’humain. Il file sans que l’on puisse le rattraper. L’espace, quant à lui, tend à se laisser plus facilement modeler. Est-ce cette contradiction que Felix Schramm, sculpteur allemand formé par Jannis Kounellis à l’école des Beaux-Arts de Düsseldorf, a voulu mettre en avant à travers le titre de son œuvre monumentale You Can’t Beat Time ? Comme un affront à l’égard du temps, il casse l’espace avec audace, s’en prend aux limites formelles par les performations et les déchirures. Au-delà de l’idée de chaos, Felix Schramm explore les concepts de construction et de déconstruction, un paradoxe alimenté par les volumes assemblés ou détachés, le réel ou l’artificiel. Comme un rappel de l’œuvre Omission, présentée au Palais de Tokyo en 2009, Felix Schramm crée une tension entre sculpture et espace. Un accident maîtrisé, déterminé par les choix de l’artiste et du spectateur où tout ne se joue pas sur la perception mais aussi sur les déplacements. Une œuvre pour affirmer notre emprise sur l’espace en attendant de dompter le temps. Par Cécile Becker — Photo : Jean-Baptiste Dorner

Felix Schramm, You Can’t Beat Time, exposition jusqu’au 12 octobre au Frac Alsace à Sélestat www.culture-alsace.org

Dix ans, et toutes ses dents (ou pas). Un bon anniversaire au meilleur festival de l’été dédié à l’image et à la musique, en plein air, en plein milieu des arbres ! Cette année, en vrac : un ciné-concert spécial mauvais genre, du light painting de nuit, de la pop noisy avec Lo Fat Orchestra ou encore des Allemands über-chouettes dont le vrai rock’n’roll de Snoffeltoffs, duo berlinois à la sauce Black Lips, déçu de la scène musicale allemande et enthousiaste à l’idée de construire un son brut minimaliste avec deux bouts de ficelle ; mais aussi le surf rock de Leopold Kraus Wellenkapelle. Pour danser à tout moment, des apéromix, after-mix et entre-mix à gogo. Le dimanche, la traditionnelle journée consacrée aux mômes avec Marta des Bois pour un dessin-concert et des ateliers jeux, tags et construction. À noter, la présence des Gallon Drunk, groupe anglais actif depuis plus de 20 ans dans le vaste chaos fécond de la scène britannique. Après une collaboration avec Lydia Lunch dans le groupe Big Sexy Noise, ils reviennent avec un neuvième album pour défendre les couleurs du rock primitif et jouissif ! On n’oublie pas les suppléments frétillants avec un tournoi de foot Bas-Rhin vs. HautRhin et un confessionnal Hiéro façon Loft Story, sans Loana. Nos conseils : Profitez-en pour aller manger des tartes flambées chez Peter, et n’oubliez pas l’anti-moustiques ! Par Cécile Becker

Festival Natala, concerts et cinéma sous les arbres du 17 au 20 juillet au parc du Natala à Colmar. www.hiero.fr Visuel : Gallon Drunk © Melanie Gautier

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présente

Direction Michel Didym

25 septembre

24 > 28 février, CCAM - Création

Bernard Faivre d’Arcier

Isabelle Rèbre / Bernard Bloch

27 > 28 septembre

3 > 6 mars

Les Codes-barres d’Avignon Fin Savoir Vivre

Oncle Vania

Pierre Desproges / Michel Didym

Anton Tchekhov / Pierre Pradinas

8 > 11 octobre, CCAM

20 > 27 mars

Beno t Fourchard

24 > 26 mars

14 > 18 octobre

Babouillec / Pierre Meunier

Rewind, provisoirement Nancy Jazz Pulsations 12 > 16 novembre

au programme dans cette 20e édition lectures, spectacles, conférences, débats, concerts, spectacle de rue, Université d’été européenne

avec notamment JEANNE BENAMEUR (France) / HERVE BLUTSCH (France) / TIM CROUCH (Angleterre) / GIANINA CARBUNARIU (Roumanie) / SÉBASTIEN DAVID (Québèc) / LUCIE DEPAUW (France) / RÉMI DE VOS (France) / NICOLETA ESINENCU (Roumanie) / AIAT FAYEZ (France) / BOGDAN GEORGESCU (Roumanie) / JONAS HASSEM KHEMIRI (Suède) / REBEKKA KRICHELDORF (Allemagne) / DAVID LESCOT (France) / STEFANO MASSINI (Italie) / YANNIS MAVRITSAKIS (Grèce) / PRZEMYSLAW NOWAKOWSKI (Pologne) / MICHELE SANTERAMO (Italie) / GUILLAUME VINCENT (France) en partenariat avec France Culture, La Comédie Française et le projet de coopération FABULAMUNDI. Playwriting Europe soutenu par la programme culture 2007-2013 de l’Union Européenne / avec le soutien du CnT, de la SACD et des éditions Actes Sud-Papiers

et aussi des spectacles • Une femme de Philippe Minyana (mise en scène Marcial Di Fonzo Bo) • Conférence autour du projet « corps diplomatique » de Halory Goerger • Examen par des auteurs franco-allemands (mise en scène Michel Didym) • Le spectacle de rue Circuit D Visites guidées par la Compagnie Delice Dada Les deux rendez-vous estivaux de la mousson d’été / Dans le cadre des Rencontres d’été de La Chartreuse à Villeuneuve-lez-Avignon / À Pont-à-Mousson en Lorraine

Programme complet sur www.meec.org

Neue Stücke

La Révolte / Bénéfice / Examen

Mousson d’hiver Forbidden di sporgersi 7 > 9 avril

Illusions

Ivan Viripaev / Julia Vidit 6 > 7 mai - Poirel

25 > 28 novembre

L’Or et la Paille

Samuel Beckett / Jean Lambert-wild

12 > 13 mai

28 > 29 novembre

Musique action

En attendant Godot La boue originelle

Henri Roorda / Françoise Klein 2 > 5 décembre

Rien de moi

Arne Lygre / Stéphane Braunschweig 15 > 16 décembre

Majorettes Lolita Monga

13 > 24 janvier - Création

Le Malade imaginaire

Barillet & Gredy / Jeanne Herry

Les Enfants de la terreur Judith Depaule 19 > 22 mai

Elvis (Polyptyque)

Emmanuel Darley / Gilone Brun 11 > 12 juin

J’avais un beau ballon rouge Angela Dematté / Michel Didym 19 > 21 juin

Fête de la Manufacture

Molière / Michel Didym 3 > 6 février

Requiem

Hanokh Levin / Cécile Backès

Théâtre de la Manufacture 10 rue Baron Louis 54014 Nancy cedex Location 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr


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Oh les beaux jours Les Rocking Chairs, 2003. Épreuves au chlorobromure d’argent avec virage, 1 de 60 × 60 cm, 4 de 40 × 40 cm

L’Alchimiste Depuis plus de 30 ans, le photographe strasbourgeois Patrick Bailly-Maître-Grand construit des images à la fois énigmatiques et rigoureuses. Le MAMCS, auquel il a fait don d’une centaine d’images, consacre aujourd’hui une grande rétrospective à cet expérimentateur qui analyse le réel pour produire des icônes d’une grande précision. Comment naissent vos images ? En trois étapes : désir, outil, traduction. Le désir c’est ce qui vous tombe sur la tête le matin en vous réveillant. C’est l’imagination : je vois une image, et je vais essayer de faire ça. Ensuite il faut connaître les outils pour créer cette image. Cela nécessite une longue connaissance : c’est l’expérience. L’icône qui vient ensuite sur le papier, c’est la traduction. Quelle place laissez-vous au hasard, à la surprise ? Aucune. On peut qualifier mon travail de rigoureux. Je ne représente rien de l’extérieur, c’est un peu autistique, un jeu formel de montage, c’est du Méliès. Il n’explique pas le comportement des gens : je suis fasciné par les objets de façon morbide. Êtes-vous un alchimiste ou un bricoleur ? Les deux mais je déteste ces mots trop chargés d’emphase, surtout alchimiste qui a un côté magie. Mais c’est vrai que je suis un alchimiste. Si ça renvoie au côté tambouille, alors je suis d’accord. Enfermé dans son antre, l’alchimiste cherche la pierre philosophale qui va lui permettre de transformer le plomb en or. Le bricoleur manie le carton et le scotch, c’est ce que je fais aussi quand je construis mes outils. Par Sylvia Dubost

Patrick Bailly-Maître-Grand, Colles & Chimères, jusqu’au 19 octobre au musée d’Art moderne de la Ville de Strasbourg www.musees-strasbourg.eu

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Pour les scènes des Taps strasbourgeois, l’arrivée de l’été ne rime pas avec un farniente bien mérité mais au contraire, annonce une joyeuse saison estivale célébrant les créations locales et les arts vivants sous leurs formes diverses. Tout au long des mois de juillet et d’août, les planches du Taps Scala et du Taps Gare-Laiterie sont le lieu de rencontres entre pratiques musicales et théâtrales, innovations scéniques et classiques revisités. Côté notes, c’est aux rythmes de récital romantique, cabaret, concert rockfolk et chants traditionnels que s’écouleront ces douces soirées. À ne pas manquer, la performance psychédélique du duo TikaTika risque de faire monter considérablement les températures : leurs compositions musicales métissées et épicées se superposent au travail de video-mapping de Jérémie Bellot pour une distorsion temporelle totale. Côté mots, le festival n’oublie pas ses plus jeunes visiteurs et propose une sélection de spectacles jeune public, à l’image du conte écologique C’est pour ma pomme imaginé par la compagnie Les Zanimos. Mais toute l’originalité d’Été cour été jardin se situe dans ses – désormais attendues – lectures musicales, créées spécialement pour l’occasion. La mise en musique d’Une saison en enfer présage d’ores et déjà un moment d’exception où les percussions de Manu Wandji et le clavier de Michel Carras révèleront toute la force de la brûlante prose poétique rimbaldienne déclamée par Alain Moussay. N’oubliez pas de passer à la Boutique Culture place de la Cathédrale réservez vos billets : tous les spectacles sont gratuits ! Par Claire Tourdot — Photo : François Duffait

ÉTÉ COUR ÉTÉ JARDIN, festival du 11 juillet au 14 août aux Taps Scala et Taps Gare-Laiterie à Strasbourg. www.taps.strasbourg.eu Photo : Alain Moussay, Manu Wandji et Michel Carras pour la lecture musicale d'Un Été en Enfer.


Images : David Musgrave, Painted Form N°2, 2003 . Friedrich Kiesler, Correalistic Instrument, 1942 Ricky Swallow, Tube Lamp Study (yellow), 2011 . Robert Stadler, Pools & Pouf!, 2004

Galerie Poirel — Nancy 13.06 / 12.10 2014

Sur une idée de Robert Stadler

www.poirel.nancy.fr

Ouverture de saison le samedi 20 septembre

SAISON

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Avec

PSS PSS

Cie Baccalà Clown

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Infos & réservations : 03 87 84 64 34 billetterie@carreau-forbach.com www.carreau-forbach.com

HENK THE TANK  Rhythm & blues, soul, funk...

« Projet cofinancé par le Fonds européen de développement régional dans le cadre du programme INTERREG IVA Grande Région » „Gefördert durch den Europäischen Fonds für regionale Entwicklung im Rahmen des Programms INTERREG IVA Großregion“

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Le design en jeu

Yiumsiri Vantanapindu, 1/11/11, collier, porcelaine noire, fer

La parure de soi Le désir de plaire est sans doute celui qui définit le mieux la nature humaine. Dans sa relation au corps, le bijou est l’une des armes de séduction essentielle et, aujourd’hui pas moins qu’hier, il retrouve sa place entière en tant que parure de soi. Pour mieux comprendre comment depuis les temps anciens il revêt une fonction privilégiée dans le jeu qui s’opère à tous les niveaux, sensuel bien sûr, mais aussi politique et rituel, quoi de mieux qu’un petit mouvement arrière pour s’attacher aux collections de bracelets, colliers et autres torques conservées au Musée Historique de Haguenau, et de confronter celles-ci à des créations contemporaines ? Voilà une belle manière de signifier la permanence de la création joaillière. À déambuler à Haguenau dans les trois lieux, le Musée historique, la Chapelle des Annonciades et l’Espace Saint-Martin, on mesure l’étonnante actualité des pièces les plus anciennes : leur capacité d’abstraction des motifs organiques et leur vocation symbolique. Placées en vis-à-vis des œuvres réalisées par les étudiants de l’Atelier Bijou de la HEAR (Haute École des Arts du Rhin) ou celles des apprenants du centre de formation d’art et de tradition La Table d’Émeraude, leur charge continue de rayonner dans des allers-retours qui font que ces trésors de l’Antiquité et les créations contemporaines s’interconnectent pour des effets délicieux. Florence Lehmann, l’une des deux responsables de l’Atelier bijou, nous l’affirme : « C’est en se penchant sur ce qui a existé qu’on réinjecte du sens, le sens d’aujourd’hui. » Par Emmanuel Abela

BIJOUX CELTES, exposition jusqu’au 9 novembre au Musée Historique à la Chapelle des Annonciades et à l’Espace Saint-Martin à Haguenau. www.ville-haguenau.fr

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À son entrée au sein de la nouvelle exposition de la Galerie Poirel, le visiteur est confronté à la question soulevée par les objets/œuvres soumis à son regard : à quoi ça sert ? Une interrogation au centre de Quiz, qui explore les frontières entre le design, sa fonction utilitaire, et l’art contemporain. Une large sélection d’objets, réalisés par 70 designers, illustre la notion de porosité entre ces deux champs. Jouant avec les formes et les matières utilisées par le design industriel, Missing object de Konstantin Grcic, Heimo Zobernig et son énigmatique pièce de polystyrène Untitled ou encore Pools and pouf ! de Robert Stadler, commissaire d’exposition aux côtés d’Alexis Vaillant (responsable de la programmation du CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux) laissent perplexes : est-ce une assise, un objet de décoration, un meuble stoppé net dans sa croissance ? Les œuvres résistent aux clivages, invitent à la contemplation et à la réflexion, ne se soumettant qu’à l’exercice de l’observation et au plaisir d’admirer. Après Traits d’union, œuvre permanente qui marque la chair et la nouvelle orientation de la galerie Poirel, où Robert Stadler jouait déjà sa carte blanche en misant sur le dialogue entre design et patrimoine, Quiz se propose de briser de manière ludique les normes imposées au design, qui, à l’instar de l’art contemporain, revendique son lot de créations inclassables. Par Benjamin Bottemer — Photo : Martin Argyroglo

QUIZ, exposition jusqu’au 12 octobre à l’Ensemble Poirel à Nancy. www.poirel.nancy.fr


Temps développés L’exposition itinérante Plossu-cinéma, 1962-2009 est un voyage : elle vous emmène des moments d’intimité de Bernard Plossu à ses voyages ferroviaires en Inde, en passant par les cinémas américains. L’exposition contient 200 photographies de l’artiste, assez pour vous faire découvrir ou redécouvrir ses cadrages rigoureux, ses instants volés, les nuances délicates de ses images. « Ma culture n’est pas photographique mais cinématographique », nous dit l’artiste. Il cite notamment les films L’année dernière à Marienbad, Alphaville et Ascenseur pour l’échafaud comme influences dans son travail. Nourries au cinéma de la Nouvelle Vague, ses photographies peuvent paraître empreintes de nostalgie, notamment dans ses séries sur les vieux cinémas mais aussi dans les portraits des femmes qu’il a aimées. Bernard Plossu exprime ainsi son attachement au moment fuyant : « En photographie, on ne capture pas le temps, on l’évoque. Il coule comme du sable fin, sans fin, et les paysages qui changent n’y changent rien. » Le Déroulement du temps – nom d’une série de photographies et chapitre de l’exposition – est perceptible dans l’exposition de triptyques. Bernard Plossu a l’habitude de capturer les images en ayant en tête leur regroupement. Loin des haïkus mystérieux que l’on attend souvent des triptyques, ces juxtapositions rappellent la pellicule cinématographique. Le dernier chapitre de l’exposition, Train de lumière, tourne son regard vers le cinéma de façon encore plus directe. Il s’agit d’un livre conçu à partir de photogrammes issus d’un film en Super 8 de Plossu, réalisé à La Ciotat, ville emblématique du septième art. L’ensemble forme une exposition riche et touchante, à ne pas manquer. Par Betty Biedermann

PLOSSU-CINÉMA 1962-2009, exposition jusqu’au 14 septembre à la Galerie d’exposition de l’Arsenal à Metz. www.arsenal-metz.fr Santa Fe, New Mexico, 1979 © Bernard Plossu, courtesy galerie La Non-Maison

Le temps la concorde Un siècle après, le souvenir de la Grande Guerre reste vivace au cœur des hommes. À l’égal de certains historiens, les artistes savent sonder les traces de ce passé douloureux. En médiums, ils puisent au cœur de la terre de quoi alimenter la résurgence du souvenir. Ainsi en va-til de ces artistes qui, dans la continuité d’un travail à quatre mains engagé par Thierry Devaux et Éric Didym, sont partis à la recherche du quotidien de cette guerre, la première de l’ère industrielle, pour nous exposer la chronique de gens tout à fait ordinaires, ces hommes et ces femmes plongés individuellement dans la tourmente. Ainsi, les Arpenteurs Stéphane Guidat, Markus Kiefer, Claude Philippot et Manu Poydenot ont-ils arpenté quelques sites historiques et nous livrent-ils dessins, gravures, photographies, courts métrages et vidéos. Ainsi, deux artistes, l’une française l’autre allemande, Catherine de Rosa et Cornelia Enax, ont-elles intégré les codes de l’iconographie de l’époque à leur propre production plastique. Ainsi Thierry Devaux et Éric Didym nous exposent-ils le fruit d’un travail qu’ils ont entamé il y a quelques années, et dont cette manifestation ne constitue qu’un inestimable prolongement. Et ainsi de suite, dans un bel esprit de concorde. Par Emmanuel Abela

RÉSURGENCE TERRE, exposition du 7 juillet au 12 octobre au Château des Lumière à Lunéville

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Le son, de l’attention à l’intention Thee Oh sees

Des incises La 10 e édition du festival Cabaret Vert se construit de bruits et de fureurs avec Metronomy, King Khan and the Shrines amis survoltés des Black Lips ou encore Schoolboy Q, gangster rap sombre. Incise rock sur l’un de nos groupes garages favoris : Thee oh Sees, passionnant et infatigable. À sa tête : John Dwyer, quadragénaire possédé qui s’est probablement mis en tête de dresser un tableau exhaustif du rock contemporain avec une audace et une spontanéité incomparables. Élevé dans la plus pure tradition américaine du rock indé, il fait du roller, écoute Van Halen, fume des joints, prend de la drogue et se bagarre. Un terrain fertile pour un son à la fois juvénile (entendre : jouissif ) mais tout autant recherché, puisque le gamin, passionné de musiques, explore autant les classiques rock que les maîtres krautrock et les expériences jazz. Des aspirations musicales à retrouver d’abord avec les géniaux Coachwhips, puis sous la houlette des non moins géniaux Thee Oh Sees. « Le plus grand groupe de rock’n’roll au monde » selon Jim Jarmush, publie un album par an et signe trois opus indispensables : Putrifiers II, bijou de pérégrinations psychédéliques, Floating Coffin, album musclé, ou le plus récent, Drop, décadent et plus pop. Des refrains efficaces, des mélodies entêtantes et une voix, celle de Dwyer, reconnaissable parmi 1000. Ce n’est pas Ty Segall qui dira le contraire. Testés et approuvés : ils sont redoutables sur scène. Par Cécile Becker — Photo : Sarah Cass

CABARET VERT, festival du 21 au 24 août au square Bayard à Charleville-Mézières. www.cabaretvert.com

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Si la question de l’image animée est omniprésente dans l’art du XXe siècle, le XXIe siècle est marqué par une présence aiguë du son. L’expérience de l’écoute renvoie intimement au politique dans ce sens qu’elle exige des facultés cognitives, une intention et une ouverture au monde. La démocratisation des techniques d’enregistrement vocal a modifié notre rapport au son. L’atelier Aporee recense en ligne des sons enregistrés par des artistes du monde entier. C’est un exemple parlant des formes nouvelles permises par ce médium. Au Casino, l’exposition se veut interactive à l’extrême. Chaque artiste trouve sa propre intention dans le son, à l’instar de Marco Godinho. Dans Wait/ Listen, il questionne, à l’aide d’un simple smartphone, le son de l’attente. Silencieux, urbain, environnemental, le son est cartographié pour restituer l’ensemble de ce qui nous donne le sentiment d’attendre. Le son se retrouve donc lié à la question du temps comme une archive de l’instant qui ouvre sur un nouvel imaginaire, lieu d’une autre relation au réel. Par Vanessa Schmitz-Grucker

Hlysnan : The Notion and Politics of Listening, exposition jusqu’au 7 septembre au Casino, Forum d’art contemporain, Luxembourg www.casino-luxembourg.lu Visuel : John Menick, Subliminal Projection Company, 2009 4 CD, 45’ chaque – Vue d’installation Photo : Patrick Galbats, Casino Luxembourg 2014


Arnold Odermatt, Buochs, 1965 (detail) © Urs Odermatt, Windisch, Switzerland. Courtesy Galerie Springer Berlin

UNDER THE PATRONAGE OF THE EMBASSY OF THE UNITED STATES IN LUXEMBOURG

MU D AM L U X E MBOU R G 12/ 07/ 2014 – 12/ 10/ 2 0 1 4

DAMAGE CONTROL ART AND DESTRUCTION SINCE 1950 AI WEIWEI, ROY ARDEN, JOHN BALDESSARI, WALEAD BESHTY, MONICA BONVICINI, MIRCEA CANTOR VIJA CELMINS, JAKE AND DINOS CHAPMAN, BRUCE CONNER, LUC DELAHAYE, THOMAS DEMAND, SAM DURANT HAROLD EDGERTON, DARA FRIEDMAN, ORI GERSHT, JACK GOLDSTEIN, FELIX GONZALEZ-TORRES AND CHRISTOPHER WOOL, DOUGLAS GORDON, MONA HATOUM, LARRY JOHNSON, YVES KLEIN, MICHAEL LANDY CHRISTIAN MARCLAY, GORDON MATTA-CLARK, STEVE MCQUEEN, GUSTAV METZGER, JUAN MUÑOZ LAUREL NAKADATE, YOSHITOMO NARA, ARNOLD ODERMATT, YOKO ONO, RAPHAEL MONTAÑEZ ORTIZ ¯ MEI TO ¯ MATSU PIPILOTTI RIST, THOMAS RUFF, ED RUSCHA, JOE SOLA, JEAN TINGUELY, SHO JEFF WALL, ANDY WARHOL Damage Control: Art and Destruction Since 1950 is organized by the Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington, DC, in association with Mudam Luxembourg and Universalmuseum Joanneum/Kunsthaus Graz and is curated by Kerry Brougher and Russell Ferguson. The international tour of Damage Control: Art and Destruction Since 1950 received major funding from the Terra Foundation for American Art, and is also made possible through the generous support from the Swiss Arts Council Pro Helvetia and the Japan Foundation.

Main partner of the exhibition at Mudam:

Mudam Luxembourg Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean

3, Park Dräi Eechelen L-1499 Luxembourg

info@mudam.lu www.mudam.lu


Une balade d’art contemporain par Sandrine Wymann et Bearboz

Le Corbeau et le Renard (avec Hans Arp, Robert Barry, Alighiero Boetti, Marcel Broodthaers, László Moholy-Nagy, Dieter Roth et John Smith), exposition au Museum für Gegenwartskunst à Bâle jusqu’au 17 août. www.kunstmuseumbasel.ch

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Jonathan Coe 15.04 librairie Kléber Strasbourg

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Par Claire Tourdot, traduction : Marie Marchal — Photo : Pascal Bastien


Rencontres

Vos écrits se déroulent habituellement dans un cadre social et politique britannique. Comment l’univers particulier de l’Exposition universelle de 1958 a-t-il servi l’écriture d’Expo 58 ? L’histoire se passe dans un lieu étrange et artificiel, créé pour six mois et qui n’appartient à aucun pays. Cet univers fantasmé est un no-man’s land qui par hasard se trouve en Belgique, mais pour moi Expo 58 est un roman britannique, peut-être même le plus britannique de tous mes romans. Ce que j’ai voulu décrire, c’est la société de la Grande-Bretagne à la fin des années 50. Je n’ai trouvé aucun sujet à Londres ni dans le Royaume-Uni qui pouvait m’intéresser, jusqu’à ce que j’entende parler de l’Exposition de 1958. Ce nouvel opus se démarque de vos précédentes productions par sa légèreté de ton. Le recul géographique était-il nécessaire pour engager cette transition ? Plus que prendre de la distance géographiquement parlant, je dirais que le recul temporel était essentiel. Quand je pense au présent, à la situation actuelle en Europe, j’ai tendance à me mettre en colère et parfois je désespère… Cet état d’esprit n’est pas vraiment idéal pour commencer la rédaction d’un livre ! Avec une distance temporelle, il est plus facile d’avoir le sens de la perspective, de percevoir le comique de la situation, plus facile aussi de la décrire sans y faire intervenir mon indignation satyrique. Vous avez intégré une résidence en Flandre afin de rédiger votre roman. Avez-vous eu l’occasion de visiter les lieux de l’Exposition ? Oui tout à fait et le contraste était énorme entre ce que j’avais vu au cours de mes recherches préliminaires et la réalité du site actuel. J’y ai trouvé le vide, l’absence complète de ce qui était autrefois là. Certains pavillons ou constructions ont été transformés en écoles, restaurants ou en maisons... Je me suis alors posé la question : comment un site métamorphosé pour un événement aussi magique que l’Exposition universelle peut-il retomber de cette manière dans l’ordinaire ? Expo 58 est réellement un livre qui parle des souvenirs que les lieux gardent, même après la disparition de toute trace physique des évènements qui s’y sont déroulés.

Le contraste est d’ailleurs tout aussi frappant en ce qui concerne les mentalités des années 50 face à la société d’aujourd’hui. Lorsqu’on considère une époque passée comme celle des années 50, on est tenté de rire de la naïveté des gens. Pour ma part, j’ai plutôt vu quelque chose de magnifique dans leur idéalisme : la foi qu’on avait dans la science et la technologie semblait pouvoir nous apporter la paix et un meilleur futur. Beaucoup d’espoirs ont été placés dans des projets comme l’Exposition de 1958 sensée rassembler les nations aux débuts de l’Union européenne. Malheureusement les choses ont plutôt mal tourné : la science ne s’est pas avérée si bénéfique et l’Union européenne n’a pas fonctionné aussi facilement que prévu. Évidemment, on peut railler l’esprit de l’époque mais j’ai voulu rappeler que la motivation première de ces gens était leur idéalisme, certes un peu naïf mais aussi extrêmement précieux. Pour Thomas, le personnage principal, l’Exposition représente un enjeu important puisqu’il part sur les traces de ses ancêtres. La question de l’identité est au cœur de l’ouvrage, jusqu’à atteindre la caricature ! Aujourd’hui, on pose beaucoup la question de l’identité nationale : qu’est-ce qu’être français, qu’est-ce qu’être britannique, etc. J’ai pris le parti d’aborder le sujet d’un point de vue humoristique et de m’appuyer sur les stéréotypes pour montrer que la question n’est pas si intéressante que cela. Ce qui compte c’est l’identité personnelle, ce qui fait qu’on est la personne qu’on est. C’est pourquoi Expo 58 n’est sûrement que le début d’une grande mosaïque consacrée à l’histoire de Thomas et de ses proches. Je pense développer leur identité en tant que famille britannique et européenne dans des romans à venir. Deux personnages d’Expo 58, Wayne et Radford, sont directement inspirés de The Lady vanishes d’Hitchcock. Comment le cinéma influence-t-il votre écriture ? J’ai eu la chance de grandir dans les années 70 quand tous les jours ou presque étaient diffusés des films hollywoodiens à la télévision britannique. De cette manière j’ai pu découvrir le cinéma de grands réalisateurs comme Billy Wilder, Alfred Hitchcock, George Cukor ou John Ford. Ce roman en particulier est un hommage à Hitchcock, non pas à ses films d’horreur mais à ses productions où il combine romance, suspense et comédie comme dans La Mort aux trousses ou The Lady Vanishes. J’adore la façon dont Hitchcock emprunte aux films d’espionnage sans les prendre au sérieux pour ensuite s’en servir dans sa narration.

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Mehdi Zannad 12.06 Troc’afé Strasbourg Par Cécile Becker Photo : Christophe Urbain

Vous rééditez Fugu 1 avec le label WeWant2Wigoler, cette réédition présente de nouveaux mixages et masterings basés sur ceux d’époque travaillés par John Cunningham. À cette occasion, on découvre dans le livret qui accompagne le vinyle toute la douleur qui a entouré ce bel album, pouvez-vous revenir sur cette délicate histoire ? Au début, c’était un peu la lune de miel, je venais d’être signé sur Ici d’ailleurs, le label nancéien, qui me connaissait déjà car Stéphane Grégoire, le fondateur, s’était occupé de mon EP sorti en 1996 chez Semantic. À mon retour de Roumanie, où j’ai écrit l’album, il a voulu me faire profiter d’accords qu’il avait avec Virgin. C’était l’année de la coupe du monde, en 1998. Le groupe Air marchait bien, il y avait une certaine euphorie. Tout le monde était assez excité à l’idée que j’enregistre ce que je leur avais présenté. À l’enregistrement, je n’avais pas les moyens de faire ce que je voulais vraiment : on n’a pas fini dans les temps, les budgets n’étaient pas très carrés, et puis finalement Virgin a lâché. En faisant ces interviews pour le livret avec WeWant2Wigoler, je me suis aperçu que le cœur du problème était l’argent. On avait fait quelque chose qui était très délimité, le disque n’a pas coûté si cher, mais comme la major n’a pas suivi, ça a été très difficile pour Stéphane. Je me suis retrouvé un peu planté au

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moment du mixage : on était seuls avec John devant une machine qu’on ne connaissait pas du tout à devoir travailler sur le mix en moins d’une semaine... Ensuite, le disque a traîné à sortir : il est sorti en 2000 au Japon et un an plus tard en France. Le disque n’a pas tellement marché en France, on n’avait pas de tourneur et puis Ici d’Ailleurs n’était pas un label de pop, les gens n’ont pas su comment recevoir cet album. Chanter en anglais, ça ne se faisait pas, le fait de déclarer son amour pour les Beach Boys ou Left Banke de façon claire, non plus... Mais ça a marqué : en ressortant ce disque des gens l’ont racheté et sont venus me voir pour me dire qu’il avait été un appel d’air. Finalement, à part Tahiti 80 qui sont différents de moi car un vrai groupe et avec qui on partageait beaucoup, il n’y avait qu’Air et Phoenix qui étaient très loin des sixties.


Rencontres

Tu révèles également dans ce livret que ce disque a été produit en réaction au rock indé de l’époque. De quoi Fugu 1 est-il l’affirmation ? Il est l’affirmation de ce que j’aime et de ce que je voulais faire : des choses définies où l’on entend chaque instrument, où j’allais chanter en anglais que j’avais appris à maîtriser en Angleterre dont l’usage avait été approuvé par Sean O’Hagan des High Llamas que j’avais rencontré là-bas et que j’admire. Ça a été un problème car à l’époque, on ne pouvait pas chanter en anglais, pour des raisons commerciales. Je t’entendais dire tout à l’heure que le langage pop pour toi était obligatoirement en anglais... Ecrire en français, c’est oublier ce qui existe déjà. Le seul moyen que j’ai trouvé pour oublier c’est l’anglais. Et quand on se met à l’instrument pour composer, quelque chose se fige. Si j’avais décidé de tout passer en français, je n’aurai pas pris le même chemin mélodique. C’est une question de flux, d’accents toniques, c’est assez intuitif. Pour Fugue, j’ai tout écrit en anglais, j’ai compté les syllabes et Serge Bozon s’est basé sur cette contrainte métrique pour écrire les paroles : tout découle de l’anglais. On a découvert que l’on pouvait faire autre chose que du Serge Gainsbourg, que la richesse du français est infinie alors que les Anglais sont finalement un peu piégés par leur passé. Nous, on a la chance de pouvoir aller ailleurs, la pop française est très pauvre alors qu’il y a beaucoup de possibilités inexplorées.

Mehdi Zannad et John Cunningham

moment particulier. Je suis revenu à Nancy, je l’ai mis sur ma chaîne et j’ai été complètement ébloui, c’était complètement fou. Pourquoi John Cunningham ? C’est quelqu’un qui s’accompagne d’une guitare et qui fait des trucs très simples. Je n’écris pas de la même façon que lui mais il y a eu tout de suite un truc comme si on était de la même famille musicale, de la même sensibilité. J’ai écouté son album Homeless House le soir de son concert à Nancy, j’ai ressenti quelque chose de très spécial. Apparemment, il a ressenti la même chose quand il a écouté mes disques. J’ai voulu qu’on travaille ensemble. Il m’a invité sur l’album Happy-Go-Unlucky et moi sur Fugu 1. John est – au même titre que moi – le fantasme des Everly Brothers, des Beach Boys et Left Banke, c’est précis. Les harmonies vocales ne sont pas décoratives : c’est la note qui manque qu’il faut chanter pour étendre le spectre et qui arrive au bon moment. Nos deux voix se mélangent bien. Avec Xavier Boyer de Tahiti 80 ça fonctionne un peu comme ça aussi. Il y a une fraternité musicale. Il faut se serrer les coudes pour la même cause : une certaine façon de penser la musique, avec de la rigueur. Il faut se retenir, contrôler. C’est pour ça qu’il n’y a pas tant de collaborations que ça avec Xavier ou John, on ne le fait que si c’est nécessaire. Les chansons que je sors, c’est parce qu’elles sont nécessaires, sinon je les jette.

Fugu 1 est un album plutôt confidentiel, comme un trésor que l’on garde et que l’on aimerait garder pour soi. Est-ce que cet album devient beau par ce rapport de discrétion ? Je ne sais plus ce que représente ce disque, aujourd’hui il est complètement détaché de moi. C’est vrai que l’on me parle beaucoup de trésor caché, lorsque je l’ai écrit j’avais un peu cette idée-là. C’est l’année où le coffret Nuggets est sorti en CD, j’ai lu l’article des Inrockuptibles sur Nuggets avant d’y avoir accès parce que j’étais en Roumanie. J’ai essayé de l’imaginer en lisant l’article, en construisant une espèce de mythologie. J’ai écrit beaucoup de morceaux en pensant à Nuggets, notamment Vibravox. Parce qu’on ne pouvait m’empêcher de rien en composant une musique qui aurait pu être dans Nuggets, c’était un peu ça : bazarder tous les interdits. Ça m’a aidé à imaginer un truc qui n’existait pas. J’ai adoré Nuggets finalement, mais je pensais qu’il y aurait plus de baroque, que j’allais y découvrir du post-Left Banke. Les Left Banke, c’est la base de mon envie de musique. D’ailleurs, c’est drôle parce que la réédition des Left Banke, je l’ai achetée à la FNAC de Strasbourg, c’est un

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Sal P & James Murphy (Liquid Liquid) 07.06 La Vapeur Dijon

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Rencontres Par Martial Ratel Photos : Vincent Arbelet

De passage au Consortium de Dijon, deux légendes new-yorkaises des musiques à danser, James Murphy – ex-LCD Soundsystem et boss du label DFA – et Sal P – chanteur et percussionniste du mythique Liquid Liquid –, ont pris le temps de revenir sur l’importance, l’histoire et l’influence de Liquid Liquid. Actif durant cinq années 1979-1984, ce groupe n’aura pris le temps de livrer que cinq maxis sur 99 Records : cinq disques dont le temps n’arrive toujours pas à balayer la puissance. Des morceaux séminaux comme Cavern, Optimo, Scaper où la fougue postpunk rencontre le disco et où les percussions latines s’habillent d’une basse groovy. Bien avant l’heure, Liquid Liquid élaborait le son new-yorkais typique des années 2000 (LCD Soundsystem, Rapture...). En grand admirateur, James Murphy eut même ce geste de grand seigneur : inviter Liquid Liquid, tout frais reformé, pour les concerts d’adieux de LCD au Madison Square Garden en 2011. Évidemment impossible d’oublier que les rappeurs comprirent tout de suite la force de ces morceaux. Grandmaster Flash et le backing band du label Sugar Hill, pimentèrent en 1983 leur morceau White Lines (Don’t Do It) de passages de Cavern – et notamment sa célèbre ligne de basse – pour obtenir le succès que l’on sait.

Sal, que s’est-il passé pour toi entre 1984, la fin de Liquid Liquid, et aujourd’hui ? Sal P : Je suis toujours resté dans l’underground. J’ai monté un projet musical qui s’appelait Fist Of Facts avec mon pote Ken Caldeira, lui et moi avec un ordinateur et une table de mixage. Nous avons sorti un disque en 1988 sur un label suisse, Helvète Underground Records. Dans les années 1990, mon activité principale était promoteur. J’organisais des concerts. À ce moment-là, les choses tournaient en rond pour la musique américaine et européenne. Tout semblait avoir été déjà fait. Donc, je me suis intéressé aux musiques du reste du monde. Et le truc génial quand tu vis à New York, c’est que tu n’as pas besoin de voyager, le monde vient à toi ! J’ai organisé des concerts de musique africaine, de musique caribéenne roots. J’ai fait ça un bon moment, mais sans arrêter totalement de faire de la musique. Rien de vraiment sérieux cependant. Ce qui est drôle c’est que les gens pour qui j’organisais les concerts ne savaient même pas que j’étais musiciens, j’étais « Sal le promoteur ». Et puis, vers 2002, avec les autres membres de Liquid Liquid, on s’est tous dit que ce serait bien de rejouer tous nos vieux morceaux, juste pour le plaisir de jouer. Ce qui est incroyable, c’est que ce vieux matériel qu’on n’avait pas joué tous les quatre depuis une vingtaine d’années, était resté intact : l’esprit et l’intensité des morceaux étaient encore là. On s’est alors juré que la prochaine fois que quelqu’un nous proposerait de nous reformer on accepterait. C’est ce qui est arrivé un peu plus tard en 2003 à Manhattan. On n’avait aucune idée de ce que ça donnerait, ni si ça allait intéresser des gens et ça a été incroyable, même James Murphy était là ! Et à partir de là on a joué à Paris, à Berlin, au Montreux Jazz Festival... Il suffit de regarder les artistes signés chez 99 Record (ESG, Lizzy Mercier Descloux, Vivien Goldman), le label qui sortait vos EPs, pour imaginer le bouillonnement musical incroyable de l’époque. Ça allait dans tous les sens… Sal P : 99 Records, c’est la vision de Ed Bahlman, le boss du label. Il avait de très bonnes oreilles, plus que quiconque. Le plupart de ces groupes n’étaient pas commerciaux mais funky, avec une vraie personnalité. Quand on lui a apporté nos premiers enregistrements, on ne savait pas ce qu’il allait nous dire et il a tout de suite été emballé. Il nous a dit : « Je veux vous voir sur scène ! ». On lui a répondu : « Euh, tu peux nous organiser un concert, s’il te plait ?». Il nous a organisé ça dans un club. Il est alors devenu notre manager et notre producteur.

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Rencontres

Vous n’avez pas eu de regrets d’avoir arrêté aussi vite ? Sal P : Quand on a arrêté le groupe, on s’est dit – et moi le premier – c’est pas grave, c’est un tout petit truc, une parenthèse, on a encore tout le reste de notre vie à construire. Et un jour, en 1994, Duran Duran invité au show TV de David Letterman reprend le morceau White Lines de Grandmaster Flash. Ils parlent de nous, relatent l’histoire du sample et du procès avec Sugar Hill. Là, ça a été un vrai choc. On a alors décidé de rééditer les EPs avec Mo’Wax et Grand Royal, puis plus récemment sur Domino Records… Alan Vega de Suicide était complètement fan de Liquid Liquid, paraît-il. Sal P : Totalement fan peut-être pas, mais on a joué avec Alan Vega pour le Nouvel An de 1979, ça doit vouloir dire quelque chose, et j’ai le souvenir d’une nuit hallucinante. C’était dans un lieu très branché où on a rencontré Jean-Michel Basquiat et Thurston Moore de Sonic Youth…

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Justement, est-il vrai que Thurston Moore vous a arrêtés dans la rue pour vous demander si vous cherchiez un guitariste ? Sal P : Ça n’est pas à moi que cette histoire est arrivée mais Thurston a démenti depuis… James, tu es trop jeune pour avoir connu Liquid Liquid en activité au début des années 1980. Que représente alors pour toi ce groupe, cette période ? James Murphy : Liquid Liquid est tout simplement un des mes groupes préférés. Je les adore ! C’est aussi simple que ça. La première fois que je les ai écoutés, leur musique m’a touché : de bons rythmes, une musique pour le corps. Comme un bon gâteau, leur musique est délicieuse ! C’est vrai que kid, début 1980, j’écoutais plein de punk. Je devais avoir 10, 12 ans quand ils étaient en activité. Cette période-là, celle du post-punk, était vraiment excitante : un peu comme à la période de la Renaissance, plein de choses nouvelles pouvaient être inventées. À l’époque, il n’y avait pas Internet, donc personne ne


—Q uand tu fais de l’art et que tu écris des chansons tu as envie d’avoir de l’impact, tu veux que les choses continuent même si toi tu as décidé de t’arrêter. — savait vraiment ce qu’il était en train de se passer. Les choses se faisaient mais un peu dans le vide. C’est pour ça que cette période est si importante pour moi.

tu veux que les choses continuent même si toi tu as décidé de t’arrêter. C’est d’autant plus gratifiant quand les groupes qui te citent sont très bons.

Comment avez-vous inventé le groove si typique de Liquid Liquid, alors que vous veniez tous les quatre de la scène punk ? Sal P : On avait juste envie d’un « big beat ». À part Scotty, le batteur, nous n’étions pas de très bons musiciens. Richard est un bon bassiste mais pas un grand musicien. Je n’avais jamais fait de musique avant de jouer dans le groupe. On a juste essayé de prendre le chemin le plus direct pour aller là où on voulait aller, loin de tout business plan. On n’essayait pas d’être quelqu’un ou quelque chose d’autre, on voulait être nous-mêmes. On voyait bien que le punk s’essoufflait, nos influences pouvaient venir de partout : du hip-hop, du dub, du reggae, de Fela ou de l’album Lust for Life d’Iggy Pop.

De nouveaux enregistrements de Liquid Liquid vont-ils sortir un jour sur DFA ? Sal P : C’est un secret ! C’est vrai que nous avons enregistré des choses avec DFA en 2004, la première fois que nous nous sommes reformés. C’était une session d’enregistrement très drôle avec Tim Goldsworthy, James Murphy et des sushis... Mais c’était tellement bizarre, notre reformation était si récente, je ne suis pas sûr qu’on ait réussi à trouver ce que l’on cherchait. Il faudrait le demander à James. Peut-être que dans l’avenir ces enregistrements sortiront. Ça sonnait bien, même si à l’époque on les trouvait nuls.

Quelles connexions existent entre ton chant et celui de John Lydon de Public Image Ltd. Il y a une familiarité assez évidente. PiL était-il un groupe que tu écoutais ? Sal P : Si son chant m’a influencé, c’est vraiment de manière inconsciente. Mon background se situe plutôt du côté des poètes de la Beat Generation, des choses figuratives, expressives et émotionnelles comme chez Patti Smith ou Yma Sumac, Fela... J’adore Metal Box de PiL mais je n’ai jamais trop écouté d’autres choses qui ressemblaient à notre musique pour ne pas être influencé. Pendant un temps, j’étais à fond dans le dub, là j’étais tenté de m’en inspirer mais justement parce que je ne comprenais pas tout. J’écoutais ces voix fortes, brusques, c’était incompréhensible. En fait comme moi-même à cette période. De toute façon, il y a très peu de morceaux de Liquid Liquid sur lesquels je chante vraiment. Il doit y en avoir deux, et sur les deux je crois qu’on voit que je ne suis pas vraiment un grand chanteur !

James, un mot sur ces enregistrements ? James Murphy : Moi, je n’en sais rien. On a enregistré de choses avec Liquid Liquid, il y a un bon moment maintenant, c’était d’ailleurs très drôle. Le seul truc qui soit sorti jusqu’à présent c’est Bellhead sur une compil du label en 2004. Pour le reste des enregistrements, on avait dû se dire « on n’aime pas ce qu’on vient de faire ». Ces enregistrements doivent se trouver quelque part dans le monde, on ne les a pas détruits, mais je n’ai aucune idée de là où ils se trouvent ! Ils doivent être enfermés dans une cage !

Des groupes comme LCD Soundsystem revendiquent l’héritage musical de Liquid Liquid. Sal P : C’était quelque chose d’inattendu d’être cité comme influence après toutes ces années. Ça faisait 20 ans que ces chansons avaient été écrites… C’est très agréable parce que quand tu fais de l’art et que tu écris des chansons tu as envie d’avoir de l’impact,

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Rencontres

Son Lux 17.01 Carré Rotondes Luxembourg Elle est loin l’époque où Ryan Lott, alias Son lux, était un jeune artiste méconnu, loin également le temps où il était venu à Nancy composer la bande originale d’une pièce pour le CCN – Ballet de Lorraine. Depuis, le New Yorkais a fait du chemin et a passé ces trois dernières années à préparer son album, Lanterns, sorti en 2013. Quelques six mois plus tard, toute la presse l’encense, le public de plus en plus diversifié l’adore et son nom est à l’affiche des festivals les plus prestigieux. Ryan Lott, musicien de formation classique, confirme donc aujourd’hui tout ce qu’on savait déjà de lui auparavant : il est un génie capable de créer des atmosphères uniques en jouant avec les textures et en superposant les couches sonores. Le travail au niveau de la voix est surprenant également puisque son imprécision qui le mettait d’abord mal à l’aise constitue aujourd’hui un contraste nécessaire avec sa musique qui est très structurée. Même si cela n’est pas flagrant à l’écoute du disque, l’américain s’est fait plaisir en s’entourant de nombreux chanteurs comme Chris Thile (The Punch Brothers) ou Peter Silberman (The Antlers)... « Si les voix sont difficiles à identifier, c’est dû à ma façon de les mixer. Sur cet album, c’est un ensemble de voix qui prédomine. Par conséquent, c’est impossible à retranscrire tel quel sur scène », précise-t-il. Aussi, Ryan intellectualise beaucoup la musique, réfléchit et retourne ses compositions dans tous les sens pour ensuite donner la musique qu’on lui connaît, riche, complexe et à la fois minimaliste. « J’attache beaucoup d’importance aux textures et à la densité. La couleur du son est, pour

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Par Anthony Gaborit Photo : Hadrien Wissler

moi, aussi importante que la mélodie, l’harmonie ou le rythme. Au-delà de ce triptyque traditionnel, il est possible aujourd’hui de se concentrer davantage sur la couleur du son, à la densité et aux textures. Si je parviens à trouver une forme d’équilibre entre ces différentes parties, c’est que cela fonctionne », ajoute-til. Processus de composition riche et complexe, mais pour autant le passage au live n’en devient pas trop conceptuel. L’efficacité de ses shows est immédiate, notamment par une formation live épurée allant droit à la simplicité. « Sur scène, on est trois. Je chante et joue des synthés en plus des samples, un batteur que je vois comme un genre de cyborg joue sur une batterie mi-classique mi-électronique et un guitariste apporte quelque chose de nouveau. Pour moi, il n’y a rien de tel qu’une guitare sur scène… » confie Ryan. En parallèle, le New Yorkais ne trouve pas le temps de s’ennuyer et compose régulièrement des bandes originales, la dernière en date étant pour le film The Disappearance of Eleanor Rigby de Ned Benson. Bien sûr, Ryan prend aussi le temps de se divertir avec ses amis Sufjan Stevens et Serengeti et crée le projet Sisyphus. Sourire aux lèvres, il raconte : « Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, à faire de la musique, manger, boire, dormir et encore faire de la musique… Je peux te dire que cette musique est celle de potes qui se sont fait plaisir ».


Léonie Pernet 29.03 Les Trinitaires Metz

Par Cécile Becker Photo : Mélina Farine

Elle semble impavide. Elle boîte, s’est blessée mais ne sait pas trop comment. Sur scène, la douleur disparaît, comme si la musique la transportait sur une autre planète, la sienne : pavée de sensibilités et de fulgurances, entourée d’astres insaisissables qu’elle voudrait toucher du doigt, avec ses sons. Léonie Pernet gravite entre ses synthétiseurs, ses percussions, sa batterie, toujours debout et concentrée. Une recherche de maîtrise et de perfection presque pathologique qui pourrait se confondre avec de la timidité. Mais il n’en est rien. Sans le vouloir, Léonie Pernet joue le jeu des apparences, se plie à celles qu’on voudrait lui coller : aux plus perspicaces, sensibles aussi, de lire entre les lignes. Elle est définitivement cérébrale, cherche et trouve par le regard, mais en même temps très physique. Duelle. Une dualité ardente dans ses chansons passant d’un extrême sonore à un autre : une voix chétive portée par des sons assurés, de douces mélodies menant à des explosions, l’inverse étant possible, des rythmes qui ralentissent ou s’accélèrent. Comme si elle courrait après quelque chose, après quoi ? « Je n’ai pas l’impression de courir. C’est une urgence verticale, une urgence de vivre bien que je sois très lente, loin d’être hyperactive. C’est une pulsion de vie, forte, très forte. J’ai l’impression de chercher quelque chose, une intensité que je ressens de manière interne. » Forte mais fragile, comme ses « ceauxmor » [morceaux, ndlr.] qu’elle veut bruts,

taillés avec précision, par ses soins avant que d’autres ne s’en emparent quitte à se poser beaucoup trop de questions : « Contempler je l’ai fait, il faut que j’apprenne à être dans le “faire”... Plutôt que de penser ma musique, la composer, il faut que je l’enregistre… C’est un long travail que j’ai à faire. Des morceaux j’en ai plein en avance, il faut que je réalise, mais ce n’est pas mon karma, je ne suis pas comme ça, ça me demande du temps. » Un temps qu’elle a pris avant de sortir son tout premier EP Two of Us et qui a été lourd à porter au moment de revenir sur ses chansons, car pour elle, la musique est un geste, une impulsion primaire qui se doit d’être conservée, même si disparités entre les sons il y a. « Mansfield. TYA et Young Marble Giants sont restés comme ça, et c’est très bien. Moi, je me tâte un peu entre minimalisme et grandiloquence. Désolée, plein de gens détestent, je ne comprends pas pourquoi d’ailleurs, mais quand j’entends la production sur les albums de Radiohead, j’ai des frissons... C’est magnifique. J’en ai envie et parfois je me dis que je n’en ai pas besoin. À terme, j’imagine que l’équilibre pourra se trouver entre le brut et la recherche de sons plus raffinés. » Un équilibre, autant musical que mental, qu’on espère toujours sur le fil, parce que c’est aussi à cette propension de basculer d’un état à l’autre que l’on reconnaît les grands artistes.

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Pégase 24.04 L’Autre Canal Nancy Par Anthony Gaborit Photo : Arno Paul

C’est aux environs de 18h30 que j’ai rendez-vous avec le groupe. Lorsque j’arrive sur place, Arno est déjà derrière le bâtiment pour ses traditionnels repérages photo. Le ciel couvert et la faible luminosité n’annonçant rien de bon, il semble qu’il faille vite retrouver le groupe Pégase pour faire notre petite séance photo. À peine leurs balances terminées, les membres du groupe laissent tout sur scène, enfilent une chemise bien boutonnée pour la fière allure et nous rejoignent à l’extérieur de l’imposant bâtiment. Entre les séries de clichés, le groupe nous raconte n’être jamais venu à Nancy mais se souvient d’un concert non loin de là, dans une cathédrale à Metz. Le groupe préfère ne pas multiplier ses apparitions sur scène : « Si on m’invite à jouer quelque part, j’y vais, je suis vraiment dans cet esprit. J’évite simplement de jouer plus d’une fois dans ma ville ou une ou deux fois à Paris » confie Raphaël, fondateur du groupe. Le Nantais, également connu pour son ancien projet Minitel Rose avoue avoir une vision assez personnelle du projet. Il compose et enregistre tout seul et a monté le groupe spécialement pour le live : « Sur scène, t’as une énergie qui vient de cinq personnes, ça change tout ! Je ne pouvais concevoir le live à moins de cinq. J’ai un batteur, un bassiste, un guitariste, un claviériste et moi, c’est exactement ce que je voulais, sinon j’aurais l’impression qu’il manque quelque chose. Tant pis pour l’aspect logistique compliqué. » Le soir, le groupe est programmé dans le club de l’Autre

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Canal, il ajoute « Avec cette formule live, je cherche à voir les gens un peu hypnotisés, à les voir un peu s’envoler. Mais je ne m’attends pas non plus à les voir danser, je ne fais pas du Todd Terje ». Unique Français à l’affiche de la dernière édition parisienne du Pitchfork festival avec les non moins bons Petit Fantôme, Pégase plaît et gravit rapidement les échelons avec seulement deux maxis et un album sorti en février dernier. Une fois la séance photo terminée, Raphaël rajoute : « Il faut se méfier quand même, c’est le danger des « nouvelles scènes » dites par la presse. Les gens aiment la nouveauté et il est plus facile de buzzer que de durer. » Voir son nom associé à une telle programmation que celle du Pitchfork leur permet toutefois de voir plus grand et d’imaginer une possible réussite à l’étranger, notamment outreAtlantique : « C’est très difficile pour la petite scène française. Aux États-Unis, ce sont les français les plus américains qui réussissent... comme Gesaffelstein, M83, Daft Punk ou encore Phoenix. » reconnaît le Nantais, également à la tête du label FVTVR Records. Que ce soit pour Pégase ou les artistes du label, Raphaël ne voit pas d’objection à profiter des nouveaux systèmes de tournées étiquetés par des grands groupes commerciaux : « On vit une époque très difficile, notamment dans la musique, il faut vivre avec son temps et ses réalités. Si on te permet de jouer, peu importe qui est derrière, ce n’est pas ça qui compte ! ».


Rencontres

Halls 28.03 Carré Rotondes Luxembourg Un peu de recherche et je comprends rapidement qu’ils viennent de Londres, sont jeunes et talentueux et qu’un grand hebdomadaire français qualifie leur musique de « pop de cathédrale »… Au-delà de ça, Internet ne me dit pas grand chose. Ah si, le chanteur aurait été mannequin. Faites avaler quelques anxiolytiques à un Owen Pallett et vous obtiendrez la mélancolie et l’émotion – voire même les fameuses cathédrales – qui font le charisme et la beauté de la voix de Samuel Howard, chanteur de Halls. Jour J, J+1 du concert, Marc – programmateur – me raconte que la foule n’est pas venue en masse mais est repartie heureuse et conquise par sa découverte. Voilà d’ailleurs le créneau très exact emprunté par la programmation du Carré Rotondes : découverte + exigence, qui lui permet ainsi de s’intégrer à une offre locale déjà forte. Entre deux paniers d’une séance de basket improvisée sur le parking de la salle, le groupe nous rejoint : « L’accueil était parfait, c’est super pour nous ! À moins d’être vraiment riche, c’est compliqué de tourner à l’étranger dans de bonnes conditions et nous n’avons pas d’agence de booking. » me glisse Sam Howard, enchanté à l’idée de tourner une session. Looké mais réservé, il n’aime pas trop les étiquettes et encore moins celle un peu hasardeuse de chanteur man-

Par Anthony Gaborit Photo : Hadrien Wissler

nequin qu’il retrouve ici et là. « J’ai fait quelques photos mais ce n’était pas professionnel et je ne suis pas doué pour ça... La connexion est dangereuse, je ne veux ni faire ça ni le mettre en avant », ajoute le concerné. Mettre leur musique dans une case ou parler influence ne sont pas non plus des choses avec lesquels le groupe souhaite se construire : « Nous ne voulons pas nous limiter nous-même et nous enfermer dans un genre... These New Puritans parvient à faire ça très bien par exemple, à chaque album ils changent de son sans pour autant que cela ne devienne incohérent... Cette « logique » est celle qui nous plait ». Loin de la recherche du buzz, et bien qu’il ait complètement arrêté de lire les médias spécialisés, Sam juge essentiel d’avoir leur soutien : « Ça va et vient et c’est naturel mais ça ne m’intéresse plus. Je ne compose pas en me disant que telle ou telle chose plaira... Après, si notre musique plaît, tant mieux ! ». Le temps de terminer sur les effets de mode et les limites des médias sur la création, et Samuel retourne auprès de ses musiciens pour démarrer le tournage de la session. Une seule consigne : rester libre et revisiter le rapport à la scène sur laquelle notre ami Marc a conservé la sono une journée supplémentaire. Tout en retenue, ils nous jouent le magnifique titre Aside et nous sommes dépités d’avoir, nous aussi, manqué leur concert.

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John Doe 14.05 église Saint Pierre-le-Vieux

Strasbourg

Par Emmanuel Abela et Marie Marchal Photo : Éric Antoine

L’anecdote est assez croustillante, et elle mérite d’être relatée d’emblée. Quand le groupe X de Los Angeles interprète Soul Kitchen au Whisky a Go Go devant Ray Manzarek, le clavier historique des Doors, c’est la femme de ce dernier qui l’avise : « Hey, mais c’est ta chanson ! ». À quoi le principal intéressé répond : « Hum, je ne m’en étais pas rendu compte. Mais c’est cool ! ». Près de 35 ans après, John Doe, leader de X, s’amuse d’autant plus de cette anecdote qu’il a entretenu une relation privilégiée à Ray jusqu’à sa mort survenue récemment – « C’était dur, mais il admettait lui-même : il a vécu une vie plus longue que ce qu’il n’a jamais soupçonné ! ». L’ex-Doors a même été l’artisan, en tant que producteur, du succès de ce groupe post-punk de LA, le meilleur de la côte ouest, qui s’adonnait autant au surf punk, au country rock qu’au rockabilly, avec cette affection indéfectible à la poésie Beat. John Doe le considère non pas comme un « défenseur » de X, mais comme son « champion », dans le sens où il était totalement partie prenante de l’aventure ; Ray reconnaissait dans le jeu de guitare de Billy Zoom des similitudes avec celui de Robbie Krieger des Doors, dans une version plus rock, moins jazz, quelque chose qui le renvoyait à Chuck Berry, l’une de ses idoles. « Vous savez, se souvient-il, quand nous jouions dans les clubs de la ville, les gens avaient simplement changé de places : les artistes que nous admirions avaient rejoint les rangs de spectateurs, alors

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que nous, leurs fans, nous étions montés sur scène. » La proximité entre les générations existait donc, et le respect mutuel aussi, se rappelle-t-il dans l’espace très intime de l’église St Pierre-le-Vieux où il se produit le soir même en acoustique sous une magnifique arcade à la sobriété toute protestante, mais loin des grands espaces américains. Il y interprète quelques reprises de X, mais rend également hommage à ses héros country, Merle Haggard ou Sammi Smith, devant un public clairsemé. On ne peut s’empêcher de l’interroger sur cette récurrence qui fait que certains artistes punk se consacrent dans une deuxième partie de leur carrière à la country justement. « Le lien entre les deux est loin d’être un fantasme, peut-être est-il exagéré, mais la similarité que je vois entre le punk et la country, c’est cette volonté d’aller droit devant de manière honnête et vraie ! Pour moi, il est question dans les deux cas de cette possibilité qui s’offre à nous d’appréhender le monde. » L’autre lien qui semble une évidence pour lui, c’est celui du punk et de la poésie. Il admet bien volontiers : « Oui, tous les thèmes de la poésie sont contenus dans le punk, mais ils sont exprimés de manière plus simple, plus directe ». Et de citer spontanément Charles Bukowski ou Sylvia Plath. « Nous ne les avons pas étudiés, mais ici ou là, nous les avons intégrés dans nos paroles. C’était déjà le cas pour Bob Dylan ou Jim Morrison. »


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LE sAut DE L’AngE HommAgE à DAniEL DArC

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LE sAut DE L’AngE HommAgE à DAniEL DArC

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SUBLime n°10

L’ouvrage hommage à Daniel Darc, Le Saut de l’Ange, sous la direction d’Emmanuel Abela et de Bruno Chibane en librairie et en vente sur le site de médiapop éditions.

www.mediapop-editions.fr


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Prêcher le désir Par Cécile Becker Photo : Pascal Bastien Illustrations : François Berthoud pour La Bible du Boudoir

Jamais le sexe n’avait autant occupé l’espace public : quand les médias s’approprient les désirs, l’adultère, désormais lucratif, s’affiche sur les autobus et le plan cul devient modèle de jouissance. Il faut jouir et le plus vite possible, à la manière des films pornographiques qui présentent des fantasmes toujours plus inaccessibles. Notre société serait-elle devenue hypersexuelle ? C’est une obsession : pas un jour ne se passe sans que l’on voit s’afficher un article abordant la sexualité sur nos fils d’actualité Facebook. La plupart des grands médias nationaux comme Libération, Les Inrockuptibles, Rue89 ou le Huffington Post disposent même de rubriques ou blogs consacrés au sujet, fournis en papiers plus ou moins pertinents. Alors que l’information se cherche et se trouve principalement sur Internet, nombreux sont les blogs amateurs ou médias avertis prodiguant conseils bardés de fausses vérités mais surtout de clichés. En témoigne cet article titré Messieurs, 5 choses que vous faîtes sans doute mal au lit publié sur le site du Huffington Post où l’expression « faire l’amour » s’est mystérieusement transformée en « piloner » et où notre coach en développement personnel indique à ses lecteurs : « Surprenez votre partenaire. Trouvez des lieux insolites, réveillez-la en pleine nuit en lui faisant un cunnilingus par exemple »... Conjointement, les études scientifiques et sociologiques fleurissent ces derniers mois, certaines n’hésitant pas à véhiculer des visions ancestrales toujours bien ancrées dans notre société. Une récente étude publiée dans la revue Evolution and Human Behavior creusait même le principe de sexualité comme besoin primaire de reproduction en enfermant

l’homme dans des clichés populaires et en omettant radicalement la notion de plaisir. On y lit notamment que l’homme a tendance à être attiré par une femme à l’air stupide plutôt qu’à une intellectuelle. Le raisonnement se base sur la production quotidienne de l’homme de 170 millions de cellules spermatiques opposée à la production d’ovule mensuelle de la femme. Résultat : l’homme aurait ce besoin irrépressible de se reproduire, donc de féconder le plus de femmes possible, donc disposé à choisir des femmes plus disponibles, donc « stupides » [sic]. Au-delà du nombre de publications dédiées au sujet, on ne peut qu’être étonné de voir la sexualité, résultante d’une relation, quelle qu’elle soit, entre deux individus, donc intime, autant affichée sur la place publique. Un étalage contribuant à cette hypersexualisation de la société qui tend à standardiser les relations sexuelles. Pourquoi ? Michelle Boiron, psychologue clinicienne, thérapeute de couples et sexologue explique : « Pour obtenir des résultats sexuellement corrects, on théorise la sexualité dans l’espace public : on donne des codes, on établit des normes. La sexualité est devenue un produit de consommation par excellence ». L’on pense évidemment aux films pornographiques dont la consommation a quasiment doublé en cinq ans, une explosion aidée par l’hyper disponibilité de toutes sortes de fantasmes à la demande sur Internet. Selon l’IFOP, auteur de nombreux sondages liés à la pornographie, « cette forme de production culturelle influence directement la vie sexuelle des Français ».

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Michelle Boiron explique : « Il existe en l’homme un besoin violent et indéracinable de stimulants et d’excès indépendamment de son milieu. Avant Internet, l’accès à la pornographie était plus difficile. La démarche était active, volontaire, risquée et pas si simple. Aujourd’hui en deux clics et à tous moments, on peut rentrer dans un monde pornographique hard sans avoir eu le temps de s’y être préparé vraiment. La pornographie ne peut être le support d’une initiation à la sexualité sous peine d’être terriblement “effractante”. Les images qu’on visualise sont peut-être virtuelles mais ce que l’on ressent est bel et bien réel. » Des visionnages, couplés aux standards de la mode, qui ne sont pas sans conséquences sur notre façon d’entrevoir la sexualité IRL [In Real Life : dans la vraie vie, ndlr] : l’épilation intégrale chez les femmes explose, plus particulièrement chez les jeunes femmes, quand la vue d’organes masculins surdimensionnés s’avèrent anxiogène chez 1/3 des jeunes de moins de 25 ans : 61 % d’entre eux pensent que la taille joue sur le plaisir féminin. La femme se doit d’être séductrice et disponible, l’homme, performant (et vice versa), tous deux doivent absolument jouir, Michelle Boiron d’aller plus loin : « Là où l’important était la jouissance, confondue avec l’éjaculation aujourd’hui, le faire jouir devient un must, sous le regard de la société ». Et lorsque qu’au sein d’un couple la jouissance disparaît, l’adultère devient la solution ultime. Gleeden, « premier site de rencontres extraconjugales pensé par des femmes », l’affirme : « l’infidélité est le secret de longévité d’un couple ». Avec l’affichage du plan cul comme modèle de jouissance, la vie affective a tendance à se dissocier de la vie sexuelle, quitte à oublier que la sexualité est une chose qui s’apprend tout au long de l’existence et se travaille, si ce n’est seul par la masturbation, surtout à deux. Ces phénomènes ne font que rappeler un des maux de notre société, il faut tout avoir et tout de suite. Mais l’un des bénéfices de ce déballage de la sexualité est justement d’accorder plus de place aux plaisirs et désirs de la femme, laquelle a longtemps été mise à distance par l’hégémonie masculine véhiculée par la pornographie et par son image utilisée massivement par la publicité. Les femmes regardent de plus en plus les films pornographiques quand l’usage des sextoys se banalise : 38 % des femmes admettent en avoir déjà utilisés contre à peine 14 % en 2009. Concernant la sexualité, l’écart entre les genres a tendance à se resserrer. Ne reste plus qu’à équilibrer la prédominance d’images sensuelles et sexuelles avec l’accès aux informations idoines pour pouvoir s’émanciper des idées reçues. Une éducation qui, selon Michelle Boiron doit se travailler dès l’adolescence : « L’éducation sexuelle est indispensable à l’école. Pour le moment elle est surtout enseignée sous forme de danger. Il faut savoir qu’une jeune fille d’aujourd’hui a été prévenue surtout des risques de la sexualité : celui d’être enceinte et en terme de maladies, sida, MST mais aussi cancer, le dernier né des risques. Dans cette “éducation sexuelle” on ne parle pas assez d’affect, de lien, de relation, juste de dangers. Peut-être que l’école, associée à la famille, pourrait aussi être le lieu pour parler de sexualité en termes de relation sexuelle ? ». Un message difficile à instaurer dans une société qui s’immisce plus que jamais dans notre intimité...

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Anthropologue et designer dévouée à la sexualité, Betony Vernon prêche l’amour au ralenti, centré sur le corps mais surtout l’esprit. Un échange comme un rituel loin des pratiques effrénées, à l’heure où la pornographie se normalise. Dans son ouvrage, La Bible du Boudoir, elle souhaite informer le plus grand nombre sur le désir et les plaisirs. Elle en a même fait sa « mission ». Pourquoi avoir choisi d’écrire cette Bible du Boudoir ? Après avoir créé ma ligne de bijoux érotiques, j’ai été confrontée à beaucoup d’idées reçues. Certaines personnes avaient même tendance à assimiler mes objets à des pratiques SM... J’ai été assez surprise, je n’avais jamais considéré mon travail comme tel. Comme j’ai toujours aimé écrire, l’idée de devenir auteure est apparue comme une évidence : pour avancer, il fallait que j’informe les gens, que je casse les tabous autour du plaisir, les préjugés qui touchent notre sexualité et notre sensualité. Pensez-vous que l’on ait régressé depuis la révolution sexuelle ? Dans les années 70, on entrait dans une forme de sexual enlightment [éveil sexuel, ndlr.]. Dans tous les domaines, nous étions à la recherche de libertés. Pour les femmes, ces années ont été cruciales : elles ont eu plus de droits, se sont lâché les cheveux, ont retiré leurs soutiens-gorge. C’était fantastique ! Puis, les premiers cas de VIH sont apparus. Cette maladie a créé une peur terrible sur laquelle beaucoup de radicaux religieux ont joué : faire l’amour pour le plaisir est devenu péché. Tout en régressant, nous avons pris le risque de ne plus être aussi libre qu’avant et avons donc laissé toutes leur places aux tabous et aux idées reçues. Dans les années 90, l’industrie porno a explosé, particulièrement vers la fin et surtout avec l’arrivée d’Internet et des produits chimiques comme le Viagra. On ne pouvait plus compter que sur la nature. Les hommes pouvaient tourner durant cinq jours

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avec une érection continue ! Tout cela a provoqué la consommation de masse de la sexualité, donc une forme de régression dans cette mécanisation. Dans votre ouvrage, vous remettez un certain nombre d’idées reçues à leur place, tout votre discours tournant autour du sexe comme plaisir égal et partagé. Pourquoi est-ce nécessaire de rappeler des choses qui paraissent si naturelles ? C’est naturel oui, mais en même temps, à cause de la pornographie, beaucoup d’évidences doivent être rappelées. En écrivant le livre, je me suis retrouvée face à une impasse : tout en étant constamment bombardés d’images de séduction, nous manquons cruellement d’informations concernant le plaisir et le moyen de le porter à un autre niveau. L’industrie de la pornographie a diffusé cette idée de fast sex très phallocentré qui est venu bouleverser toutes les sexualités : l’homme doit jouir et jouit beaucoup. Il y a encore beaucoup de femmes qui ne réalisent pas que leur plaisir est aussi important que celui de leur partenaire masculin...

J’ai été fascinée de découvrir que certains centres traitaient ces addictions en utilisant les mêmes techniques que pour un héroïnomane ou un cocaïnomane. Le sexe est très puissant, il peut détruire, il faut traiter cet acte précieusement.

extraordinaire car le plaisir est le plus grand des aphrodisiaques. Un exemple par ailleurs : on sait que les femmes sont multi-orgasmiques, ce que les hommes peuvent tout à fait apprendre à faire en se retenant d’éjaculer tout en ayant un orgasme !

La sexualité devient genrée : on établit des différences, des normes, entre le désir masculin et le désir féminin, entre les jouissances aussi, est-ce une bonne chose de démystifier ces procédés ? Oui, c’est une bonne chose pour peu que l’information ne soit pas erronée ! Il y a des différences certes, mais dans mon livre je parle beaucoup de similitudes, d’ailleurs, à l’état de fœtus, on commence tous de la même façon. Notre plaisir est similaire rien que par cette phrase : « Ton plaisir est le mien, mais mon plaisir est aussi important que le tien », si on l’applique, l’on tient déjà une base

Finalement : comment bien faire l’amour ? Il faut s’abandonner à l’autre, prendre le temps de faire l’amour et apprendre à traiter le corps et l’esprit comme un grand organe sexuel. Eteindre la télévision, tous les objets électroniques pouvant venir troubler ce moment. Il faut éteindre le monde réel et se créer un espace dédié au plaisir. La Bible du Boudoir de Betony Vernon, aux éditions Robert Laffont

Si la pornographie est responsable de certaines de ces idées reçues, faudraitil arrêter de la regarder ? Il faut regarder le porno intelligemment, on ne peut pas le regarder intelligemment si on ne dispose pas d’informations adéquates. J’ai l’impression que la pornographie est en quelque sorte devenue une référence, c’est dangereux ! Il ne faut pas oublier que le porno est d’abord une performance ! C’est presque de la science-fiction ! Je ne suis pas anti-porno, mais il devrait être plus précis sur les questions du désir et de la relation qui est la base de tout. On peut acheter le plaisir, mais on ne peut pas acheter tout ce qui fait qu’un acte va être différent d’un autre, tout ce qui fait la communication sexuelle. On n’est pas obligé d’être en couple ou marié, mais quoi qu’il arrive, il faut du respect. Le sexe est un art noble qui comprend des sensibilités, du raffinement aussi, c’est aussi le rapport le plus intime qui soit. Faire de ce rapport une chose virtuelle est très grave. Si le ou la partenaire regarde beaucoup de films pornographiques, il s’éloigne de la réalité, pire, cela peut devenir une drogue.

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Par Florence Andoka

Jeu de miroirs Pour la première fois L’Origine du monde de Courbet quitte les cimaises du musée d’Orsay pour une exposition dans le pays du peintre, à Ornans qui nous invite à analyser la multiplicité des regards portés par les artistes occidentaux sur le sexe féminin à travers soixante-dix œuvres, de l’antiquité à la période contemporaine. Cette œuvre mythique est donc « Cet obscur objet de désirs », qui donne son intitulé à l’exposition du bord de Loue. Si L’Origine du monde est longtemps restée mystérieuse et quasiment ignorée du public, elle est aujourd’hui largement reconnue, son image ayant été souvent reproduite par les médias, parodiée par les artistes. De quels ténébreux atours L’Origine du monde peut-elle encore se parer aujourd’hui ? Cet obscur objet de désirs désigne plus largement le sexe féminin. Sa représentation par les artistes sert de sujet aux soixante-dix œuvres présentées. Le regard devient le fil conducteur de cette déambulation parmi les vulves du musée révélant ainsi à quel point l’observateur n’est jamais neutre et construit son objet. En effet, c’est sans doute parce que le sexe féminin n’est plus, à l’heure où la déconstruction des genres agite le débat social, le grand mystère qu’il a été, qu’il est possible d’analyser sa représentation dans l’histoire. Le sexe féminin, idole crépusculaire a donc été l’objet d’un regard tour à tour érotique, poétique, anatomique. Les artistes, comme les scientifiques, ont participé à cette élaboration d’une féminité érigée en altérité absolue, où la vulve devient alors un élément symbolique, plus qu’un organe relevant de la biologie. Le sexe serait l’élément matériel qui fonde le genre c’est-à-dire l’ensemble des attributs et fonctions attribués à un individu au sein d’une société. Ce parcours de l’exposition correspond en un sens à une démarche critique qui dissèque

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impitoyablement ce qu’elle désigne comme une construction historique et sociale. Voici l’histoire d’un mythe qui défilerait sous nos yeux. Cette dimension de l’exposition trouve son plein aboutissement dans la dernière section de l’exposition qui propose des pièces contemporaines, citant le plus souvent explicitement la toile de Courbet. Ces dernières œuvres ne sont sans doute pas les plus savoureuses sur le plan plastique, mais pointent la construction du genre féminin des époques antérieures. Agnès Thurnauer dans sa toile Original World, réalisée en 2006, copie l’œuvre du maître et y ajoute les noms des artistes les plus connus de l’histoire de l’art. Mais ces noms masculins ont été féminisés. Francine Picabia, Jacqueline Pollock et Joséphine Beuys, entre autres, nous rappellent alors que ce regard sur le sexe féminin est celui de la gente masculine omniprésente dans la construction de l’histoire de l’art occidental. Dans cette perspective contemporaine teintée d’ironie, la vulve miroir de Janette Laverrière, créée en 2001, intitulée A Gustave Courbet, n’offre à l’observateur qu’un jeu de dupes, chacun ne voyant au sein de l’objet consulté que son propre regard. Voici que l’œil bute sur un véritable mystère celui de la réalité, du monde qui nous entoure et qui peut-être nous échappe, restant sourd et opaque, où chacun cherchant l’autre ne fait que se retrouver luimême. Alors que voit-on ? La section sur le regard poétique souligne au mieux la subjectivité de l’observateur, puisque l’analogie est nécessairement


Jean-Baptiste Mondino (1949) Lost, 1995 Tirage photographique, 95 x 76,14 cm Collection particulière ©Jean-Baptiste Mondino

un rapprochement élaboré, ou saisi par l’artiste. La vulve se fait rose sous les mains du sculpteur contemporain Johan Creten. Elle apparaît parfois dans le paysage, on la devine au détour d’une grotte ou de la source de la Loue dans les peintures de Courbet. En classant les œuvres selon différents type de regard portés sur le sexe féminin, l’exposition évite avec subtilité l’écueil historique, en ce sens que chaque type de regard n’est jamais enlisé dans une époque précise. La multiplicité des regards cohabite toujours et le débat sur la théorie du genre n’a pas entièrement annihilé la puissance de l’imaginaire actuel autour de la vulve. Ainsi chaque salle de l’exposition rassemble les siècles. Le regard érotique devient un angle où se rejoignent, la Feuille de vigne femelle de Marcel Duchamp et La coquille d’Odilon Redon. Au côté d’une sculpture de Rodin, une petite femme en terre cuite, dépourvue de tête, écarte ses cuisses pour nous montrer son sexe. Cette minuscule statuette, vestige antique et anonyme, est une représentation de la déesse Baubo. Le mythe grec rapporte que Déméter pleure sa fille Perséphone disparue aux Enfers, Baubo à Eleusis apparaît alors et montre sa vulve à la déesse en deuil. L’ethnopsychiatre Georges Devereux

qui consacre un ouvrage au mythe de Baubo voit dans ce geste une dimension érotique. Il s’agit d’une invitation à la joie, le sexe féminin étant un organe susceptible d’engendrement, la déesse indique à Déméter la puissance de son propre sexe, l’invitant à faire revenir la vie par une nouvelle grossesse. L’Origine du monde est aussi ce sexe procréateur qui détourne l’érotisme de la seule sensualité, venant ainsi légitimer les pièces évoquant le regard anatomique au sein de l’exposition. De même que les époques s’entrecroisent, les types de regard identifiés ne sont jamais étrangers les uns aux autres. Le titre de l’exposition est aussi un clin d’œil habile au film de Luis Buñuel, Cet obscur objet du désir, où sévit l’inaccessible Conchita, femme perverse se jouant de son amant. L’héroïne à la personnalité divisée, incarnée par deux actrices, promet de s’offrir puis disparaît toujours, conservant ainsi son mystère. L’Origine du monde est aussi une œuvre perverse en ce sens qu’elle invite sans cesse à un ailleurs, un au-delà, un va-etvient entre la toile et son titre, entre sa surface et son antre invisible, entre son réalisme supposé et son invitation à lui redonner un visage. Fausse réponse au désir de savoir qu’elle ne comble pas, elle piège celui qui l’interroge l’égarant sans répit. Cet Obscur objet de désirs. Autour de l’origine du monde, exposition jusqu’au 1er septembre 2014 au musée Courbet à Ornans. www.musee-courbet.fr

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Par Emmanuel Abela

La peinture en elle-même L’artiste allemand Gerhard Richter s’obstine à peindre. Et c’est en explorant les possibilités infinies de ce médium qu’il impose un discours centré sur l’œuvre, et rien que sur l’œuvre. Nouvelle rétrospective à la Fondation Beyeler. Quand on évoque Gerhard Richter, on s’étonne de la diversité qu’on peut rencontrer dans son œuvre : portraits, paysages, peintures abstraites, etc. Et pourtant, le célèbre peintre allemand s’inscrit dans une constante. Laquelle a été théorisée très tôt dans une courte série de notes dès 1966 : « Je n’obéis à aucune intention, à aucun système, à aucune tendance ; je n’ai ni programme, ni style, ni prétention », précisait-il alors, s’affirmant en totale rupture avec l’idée que l’intention fait l’œuvre. Avec un brin de provocation, il poursuit dans ses notes : « Je fuis toute détermination, je ne sais pas ce que je veux, je suis incohérent, indifférent, passif. J’aime l’incertitude, l’infini et l’insécurité permanente. » Dans les années 60, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il se distingue presque violemment, surtout quand il insiste sur le fait que « les autres qualités servent à la performance, à la publicité et à la réussite ». Et de conclure : « [ces autres qualités] sont aussi obsolètes que les idéologies, les opinions, les

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concepts et la désignation des choses. » Et vlan, dans les dents de tous ceux qui chercheraient à intellectualiser la chose ! À l’ère du Pop Art et de l’art conceptuel dominant, un mouvement auquel on veut l’associer parfois à tort, le jeune peintre – il n’a que 34 ans – oppose une approche distanciée, une manière presque amusante de faire table rase : en quelque sorte, c’est no fun avant l’heure ! Cet artiste qui a fui la République Démocratique Allemande pour se réfugier à Düsseldorf au début de la décennie n’en est pas à une provocation près. Dès 1962-63, il reproduit sa première photo en affirmant que celle-ci « est la meilleure image » qu’il puisse penser, et même qu’elle est la « seule image » qui puisse renseigner. Un credo qu’il puise dans cette découverte fondatrice pour lui dans les années 50 d’une des rares photos réalisées clandestinement par la résistance polonaise à Auschwitz, depuis la chambre à gaz : elle montre la crémation des corps, l’information est


là, désespérément tangible, et l’insouciance qui se manifeste à l’image renforce sa dimension hautement dramatique. Un choc pour lui, et une image qu’il n’a jamais réussi à peindre mais qu’il commente aujourd’hui encore à l’envi dans son atelier. C’est pourtant avec un certain détachement – ceci explique peut-être cela ! – qu’il généralise la pratique à ses portraits : il n’est pas question de s’attacher à la personne, sa nature ou son caractère, mais bien à son image « qui n’a rien en commun avec le modèle ». Et comme pour mieux brouiller les pistes encore, s’il ne nie pas l’idée même de représentation, il nie cependant celle que le tableau peut apporter la moindre information. La photo n’est utilisée que comme un « prétexte ». Ce qui le fascine, c’est au final l’homme dans son rapport au temps et à la réalité. Et ce qui semble irréductible à son étrange capacité de nier le sens de sa pratique artistique, ce sont les tableaux justement. Bien que n’ayant « ni contenu, ni signification », ils sont l’objet d’eux-mêmes. Dans les années

Gerhard Richter, Blumen, 1992, huile sur toile, Collection privée

80, Richter nuance la part de nihilisme contenu dans son (non-)discours pour faire vivre, à côté du constat du nouvel abîme vers lequel glissent immanquablement artistes et critiques d’art, l’idée plus réjouissante d’une absolue nécessité de l’art en général et de la peinture en particulier : « L’art est l’ultime forme de l’espoir », écrit-il en conclusion d’un texte à destination de la Documenta en 1982. Sa peinture se ressent de cet espoir-là, elle révèle une énergie vitale, y compris dans les œuvres douloureuses et sujettes à polémique – on pense forcément à la série consacrée à la bande

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à Baader-Meinhof réalisée en 1988, 18. Oktober 1977. Pour mieux expliquer la genèse de ce projet singulier, la réalisation d’un cycle de toiles peintes d’après photo sur les membres assassinés de la Rote Armee Fraktion, il rappelle que certaines de ses photos étaient restées chez lui pendant des années « comme en attente ». Ça n’est que dans un second temps, à la fin 1987, qu’il s’est procuré des photos de la vie privée des différents protagonistes, parmi lesquelles Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin, avant d’entamer ce cycle avec des formats généralement de petites tailles, en optant pour le gris. Contrairement aux apparences, l’interrogation n’est pas politique, elle ne présente rien de mortifère non plus – on peut même voir dans les portraits d’Ensslin vivante un réel désir de vie –, et dans ce cadrelà comme dans de nombreuses toiles abstraites de Richter, une vibration naît du traitement particulier : la peinture s’émancipe pour ne vivre que par elle-même. Il admet lui-même qu’elle n’en fait qu’à sa tête, ce qui l’amène à la reconsidérer de manière amusée dans une relation d’égal à égal. Dès lors, on ne sait plus qui, du peintre ou de la peinture, manipule qui. L’exposition qui lui est consacrée à la Fondation Beyeler ne tente pas de rivaliser avec les rétrospectives récentes de Londres et Paris, même si le volume d’œuvres présentées, une centaine de tableaux, des tirages numériques et deux objets en verre récents, est conséquent avec de très grands formats. Non, elle a pour vocation de favoriser le cheminement du spectateur de salle en salle, tout en insistant sur l’interdépendance entre l’espace pictural du tableau et l’espace dans lequel celui-ci est exposé. Comme autant de points de repères familiers, les pièces les plus emblématiques de l’artiste, Betty (1988) par exemple, viennent ponctuer ce parcours entre les salles ; elles rappellent que l’œuvre ne vaut que pour elle-même. Par ellemême et en elle-même, serait-on tenté de rajouter. GERHARD RICHTER, Tableaux / Séries, exposition jusqu’au 7 septembre à la Fondation Beyeler à Riehen (Bâle) www.fondationbeyeler.ch

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Gerhard Richter, Bach (4), 1992 Huile sur toile, 300 cm x 300 cm, Moderna Museet, Stockholm, Acquisition 1994 with a contribution from Moderna Museets Vänner (The Friends of Moderna Museet) © 2014 Gerhard Richter

Gerhard Richter, Gegenüberstellung 2, 1988, Extrait du cycle 18. Oktober 1977, huile sur toile, The Museum of Modern Art, New York

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Par Vanessa Schmitz-Grucker

You’d better free your mind instead

S’il avait partagé l’époque de Tinguely, Kintera aurait pu être son élève. Tous deux partagent ce goût pour une esthétique macabre, ce besoin de détourner le sens des objets de la vie quotidienne, cette envie de bousculer son public mais surtout ce recours presque systématique aux machines animées par des moteurs.

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À l’évocation du potentiel de l’art à être vecteur ou suiveur de la révolution, certains souriront en se remémorant au mieux la naïveté d’un Banksy jetant des fleurs à l’ordre établi, au pire la Révolution Surréaliste qui n’a de révolutionnaire que le nom. De révolution, il n’est, d’ailleurs, presque plus question dans l’art contemporain. Du tumulte existentiel un rien nombriliste, des tourments de notre monde, de la perversité de notre société, assurément. Mais établir un constat du monde, aussi incisif soit-il, là n’est certainement pas la Révolution. Krištof Kintera l’a bien compris. Ce jeune artiste tchèque s’amuse, du haut de son cynisme qui frôle l’insolence, de la candeur du spectateur qui vient chercher dans l’art l’Idée qui changera le monde. À ceux qui venaient trouver un réconfort dans leurs convictions sur ce monde, il joue le jeu, non sans violence, de la déstabilisation. Des œuvres-miroirs leur renvoient leur incapacité à changer quoique ce soit voire à leur tendance à suivre la marche de ce monde qu’ils abhorrent pourtant mais que l’art sauvera, à n’en point douter. Un landau déguisé en tank et les voilà ramenés à leurs peurs les plus ancrées. Vous voulez faire la révolution mais vous voulez toujours plus de sécurité, de bien-être et de confort. Du confort petit bourgeois ? Au diable. L’entrée principale est fermée. Il faut tourner autour du musée pour trouver l’entrée qui s’avère être la sortie : « Ça énerve les gens, j’adore ça » sourit Kintera, « Ils veulent toujours faire simple, pour une fois, ils feront compliqué ». Le musée devient une solution architecturale nouvelle. Kintera confie en avoir fait « sa sculpture ».


Krištof Kintera, Bad News, 2011 Sound track, movement mechanism, solenoids, microchip controller, drum, horns, radio, clothes, etc. © 2014, Krištof Kintera, photo: Martin Polák

Bang-Bang-Bang. Depuis l’étage, on entend un bruit sourd parvenir du sous-sol. On est pourtant devant une débauche de lumière, de couleur et d’électricité. Palmiers, cactus en canettes vides – les matériaux de récupération, encore un héritage de Tinguely et que dire du renard empaillé ? – de l’énergie à l’état brut. Des centaines de personnes ont construit, pendant un an, patiemment un étrange ensemble abstrait, outrageusement coloré. « L’énergie humaine, c’est aussi une énergie qui m’intéresse » bien qu’une prise électrique en tension crache ses étincelles. Bang-Bang-Bang. Cette énergie dont il nous appartient de faire usage mais qui nous fait défaut. Parce qu’on croit encore à le venue du Moment comme d’autres croient à la venue du Messie. Le visiteur s’émerveille. Peutêtre n’a-t-il pas encore vu le corbeau perché dont la branche a littéralement détruit le mur ? Ce corbeau qui les met en garde, en répétant des slogans publicitaires auxquels on voue, sans l’admettre, un culte salvateur mais qui, une fois décontextualisés, deviennent fades, insipides, insignifiants. Gare à celui qui n’a pas écouté le corbeau en s’aventurant dans les sous-sols. La pénombre, le bruit, on hésiterait presque à continuer. Bang-Bang-Bang hurle le sous-sol. « La vie est faite de sa part de lumière et de ses parts d’ombre » se justifie Kintera. Ce n’est plus Saint-Jean mais le Diable qui annonce l’Apocalypse. Le jeune Tchèque reconnaît pudiquement : « C’est un traumatisme d’enfance. On a tous peur du diable qui, selon la tradition, peut venir nous prendre en décembre ». Peut-être est-ce pour cela que l’artiste l’a démystifié. Dans une composition mélodramatique, le diable, ivre, écoute la radio, bat

la mesure dans un jogging inapproprié, la queue frétillante comme un rat désorienté. Un instant de lumière, « My light is yours » – ironie ? – et l’on descend les dernières marches qui mènent au sous-sol, celui-là même qui crie Bang-Bang-Bang. Le mot « Révolution » est là, sur le mur, à droite. Au pied des marches, l’effet est des plus saisissants, l’objet est inattendu. Au fond d’un couloir à la lumière froide qui rappelle les couloirs de la mort, un petit garçon, de dos, se cogne la tête contre le mur. Tout se joue ici : « Les gens pensent lutter avec le monde mais en réalité, c’est avec eux-mêmes qu’ils luttent. La révolution, ils la font dans leur tête et c’est une révolution sans issue quelle que soit la force qu’on y met. Vous pouvez vous cognez des heures durant contre un mur, rien ne changera ». Au sortir de l’expérience, on entendrait presque comme un murmure au-dessus de notre épaule : « You say you want a revolution ? ». Krištof Kintera, I AM NOT YOU, exposition jusqu’au 28 septembre au Musée Tinguely, à Bâle www.tinguely.ch

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Par Claire Kueny

Lors de son exposition au Schaulager, l’artiste Paul Chan a vécu quelques mois à Bâle pour s’imprégner de la ville, rencontrer ses habitants et expérimenter les espaces. Abondante, mais surtout sensible et saisissante, l’exposition Selected works nous projette dans l’univers de l’artiste, qui nous a accompagné lors de notre visite.

Selected words Vous préparez cette exposition depuis plus de 4 ans. Vous vivez à Bâle depuis février, où vous enseignez pour l’occasion à l’Université et à l’École d’art et du design. Avec la publication de trois ouvrages, New New Testament, Paul Chan : Selected Writing 2000-2014, et Paul Chan : Selected Works, cette exposition se poursuit bien au-delà de ses murs… Le Schaulager est incontestablement le plus grand espace dans lequel j’ai exposé jusqu’à présent et c’est le plus grand espace qu’un artiste puisse avoir pour réaliser une exposition personnelle. Ce sont des conditions uniques, que je ne retrouverais probablement plus au cours de ma vie. Préparer cette exposition m’a donc demandé beaucoup de temps. Durant ce temps de préparation, j’ai surtout réalisé qu’il serait dommage de n’avoir à penser qu’à l’exposition, et j’ai alors réfléchi à une manière originale dont je pouvais aussi occuper la ville. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’enseigner, de parler, de partager mes idées sur l’art en général, comme j’ai l’habitude de le faire dans mes écrits. Cet exercice m’aide à comprendre ce que les gens pensent de l’endroit où ils sont et m’aide à réfléchir sur l’art, la vie.

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Paul Chan, The argument: haircut (of the year), 2012 - 2013, Kabel, Steckdosen, Karton, 306.7 x 525.1 x 153 cm Courtesy the Artist and Greene Naftali, New York © Paul Chan – Photo : Jason Mandella

Pour en revenir à cette idée de « questions universelles », j’ai lu que vous proposez quatre thématiques dans votre exposition : la terre et le ciel ; l’ici et l’au-delà ; le bien et le mal ; le rêve d’un monde alternatif et la réalité de notre monde. Comment apparaissent-elles dans l’exposition ? Je ne dirai pas que je les ai « proposées », dans le sens où elles ne construisent pas un parcours, elles ne sont pas affichées dans l’exposition. Il s’agit de réflexions qui font partie du développement de l’exposition et qui traversent l’ensemble de mon travail, mais seulement en partie et je ne souhaitais donc pas qu’elles apparaissent de manière frontale. Je ne veux pas emprisonner les visiteurs dans un parcours cloisonné.

Pourquoi avoir choisi de passer par l’enseignement ? Qu’avez-vous retiré de ces échanges ? En général, je n’enseigne pas, mais j’avais envie d’avoir une idée de l’activité culturelle de la ville en me connectant notamment à ses étudiants. Je voulais partager une expérience avec les gens. J’ai été très intéressé de voir que les étudiants de Bâle se posent le même genre de questions que n’importe quel étudiant de New York par exemple. Comment survivre en tant qu’artiste ? Comment l’art contemporain reflète ou non la vie contemporaine ? Ce type de réflexions « universelles » que vous posez aussi dans votre travail… Oui, je suppose. Je pense que c’est la preuve que certains thèmes ne disparaissent jamais.

On ressent aussi cette volonté de liberté par le choix du titre de l’exposition, Selected works, qui n’enferme aucunement l’exposition sous une idée ou sous une forme, et qui va ainsi à l’encontre de l’exposition rétrospective exhaustive… Oui, effectivement ! Appeler l’exposition Selected works me laissait la liberté de faire des expériences nouvelles, c’està-dire d’essayer de nouveaux accrochages, de faire le choix d’exposer certaines œuvres et pas d’autres, de créer de nouvelles œuvres, de ne pas présenter une sommation de mon travail – bien que beaucoup de mes œuvres soient présentes. C’est aussi la liberté que m’a accordée le Schaulager et qui fait partie du challenge de l’exposition. Il faut savoir aussi que cet espace est en général dédié à de grands artistes, plus âgés et plus connus que moi comme Robert Gober, Jeff Wall, Matthew Barney… Je devais donc penser une manière différente d’être présent ici.

sionnistes et mimétiques comme Untitled (after St. Caravaggio), j’en suis progressivement venu à réduire les images et ainsi à représenter des ombres et des silhouettes. Avec les Arguments et les Nonprojections, il s’agissait à nouveau pour moi de réduire. Les Arguments, que l’on retrouve dispersés dans toute la partie basse de l’exposition, sont le prolongement d’un questionnement sur la projection, au cœur de mon travail. Je m’intéresse à la notion de projection aussi bien d’un point de vue cinématographique que psychologique. Pour cette exposition, j’ai réfléchi à ce qui se trouve avant la projection (= le projecteur) et avant le projecteur : les câbles et l’énergie. J’ai ainsi réalisé, avec les câbles, des dessins dans l’espace disséminés dans l’exposition, qui sont pour moi des portraits. En le questionnant notamment sur l’effective – ou non – conductivité des câbles, il met le spectateur face à un éventuel danger. C’est en faisant les Arguments que j’ai ensuite eu l’idée des Nonprojections, c’est-à-dire des projections qui ne projettent rien, mais qui créent un signal lumineux. Ainsi, elles questionnent l’intrigante apparition (ou disparition) de l’image et interpellent le spectateur… Approchez ! PAUL CHAN – SELECTED WORKS, exposition jusqu’au 19 octobre au Schaulager à Bâle. www.schaulager.org

Vous mêlez des œuvres très célèbres comme la série des 7 Lights ou Sade for Sade’s Sake qui était exposée à la Biennale de Venise en 2009 et de nouvelles œuvres. Dans mon travail, je procède par réduction. Alors que dans ma formation j’ai appris à réaliser des animations illu-

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Par Vanessa Schmitz-Grucker

« L’espace est le lieu de l’œuvre d’art, mais il ne suffit pas de dire qu’elle y prend place, elle le traite selon ses besoins, elle le définit, et même elle le crée tel qu’il lui est, nécessaire. » Selon Henri Focillon, l’œuvre d’art ne saurait s’extraire de son espace au point de n’envisager que deux solutions : l’amalgame ou la subordination au projet architectural. Cette zone intermédiaire entre la sculpture et l’architecture est interrogée dès la Renaissance par Vasari qui, au sujet du Baptistère de Pise par Nicolas Pisano datant du XIIIe siècle, parle de “sculpture architecturale”. Cette formule peut sembler moderne pour son époque si l’on tient compte du cloisonnement strict des Beaux-Arts mais il ne faut pas

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oublier que chaque artiste est alors tout à la fois peintre, architecte, sculpteur quand ce n’est pas auteur ou ingénieur. Toutefois, la sculpture – bien qu’elle connaisse un essor considérable à la Renaissance – suit les tendances et les mouvements. Pas de révolution via la sculpture : le coût des matériaux est trop onéreux pour se lancer dans des projets novateurs et hasardeux et le poids du commanditaire trop lourd. La sculpture se veut alors classique,


Jeu de plateforme Présentée par Xavier Veilhan, Le Baron de Triqueti est une installation contemporaine qui trouve sa place dans le lieu éminemment historique de l’Abbaye de Cluny. Ce podium destiné à accueillir des sculptures propose une approche nouvelle des formes, de l’espace et de la sculpture.

baroque, néo-classsique. La seule constance reste son rapport à l’espace que la muséographie occulte dans l’esprit du visiteur en plaçant des sculptures sur un socle, hors contexte. Isolé au Louvre, L’Esclave mourant de Michel-Ange n’a pas la même dimension que dans sa composition d’origine destinée au tombeau du pape Jules II. De même, la rigueur des statues équestres qui fleurissent sous le règne de Louis XIV ne s’envisage que dans la

place où elles sont positionnées et où elles entendent remplir leur rôle de propagande. Au XIXe siècle, la sculpture se plie encore au courant artistique de son temps malgré la diversité des courants. Le seul déplacement propre à la sculpture est d’ordre socio-politique. Elle est propulsée dans l’espace urbain, dans les jardins, en se déclinant sous la forme animalière ou de monuments. Dans la veine romantique, Antoine-Louis Barye réalise un exploit sur commande royale. Son célèbre Lion au serpent au Jardin des Tuileries n’est autre qu’une allégorie de la monarchie écrasant la révolution de Juillet. « Quelle vigueur et quelle vérité ! Ce lion rugit, ce serpent siffle » s’exclame Alfred de Musset. Le profane dans toute sa vérité vient de faire une entrée fracassante sur la scène urbaine. Point de roi divin, point de représentation religieuse ou mythologique, Barye excelle dans la sculpture animalière et impose ses bronzes romantiques à ses contemporains tandis que la véritable transition approche. Elle s’appelle bien sûr Rodin. Si ce dernier est considéré comme l’un des pères de la sculpture moderne, c’est que sous

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Le Baron de Triqueti, 2006. Avec Alexis Bertrand. Technique mixte, 4,3 x 22 x 7,6 m Vue d’exposition Le Baron de Triqueti, Abbaye de Cluny Photo © Florian Kleinefenn © Veilhan / ADAGP, Paris, 2014.

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l’impulsion de son œuvre, la sculpture devient un activateur et non plus un suiveur des tendances, elle participe au même titre que les autres formes d’art au renouvellement esthétique. Rodin libère le mouvement et le volume qui semblent s’échapper de la matière. Ce que les minimalistes ont systématisé, Rodin l’avait annoncé : la suppression du socle. À l’opposé, on remarque parfois la prise du volume dans un bloc non achevé. Une brèche s’est ouverte rendant possible une approche radicalement iconoclaste. Les avant-gardistes, à la suite de l’avancée moderniste de Rodin, intègrent des éléments tridimensionnels dans l’espace bidimensionnel. On connaît l’œuvre hybride de Boccioni en 1911 Tête + fenêtre + paysage où la diversité des matériaux entérine la tradition de l’image lisse. Le début du siècle voit émerger des ensembles plastiques qui renvoient à une notion nouvelle de la matière et donc de l’œuvre d’art. Il est remarquable de noter que dans toute cette déconstruction de l’art, la forme tridimensionnelle est au premier plan, tant la vision d’Alberti est rejetée. Si la perspective est évacuée de la toile, le volume doit lui aussi être réinterprété. C’est même toute la notion de l’art et de la matière qui est réévaluée. Kurt Schwitters disait : « Les matériaux sont aussi inessentiels que moi-même. L’essentiel, c’est “former” ». Nous sommes à l’apogée des sciences

linguistiques, le langage, cette autre forme de communication si proche de l’art. Alors que le signe signifie, la forme se signifie. Elle ne renvoie à nul signifiant. La juxtaposition d’œuvres sur la plate-forme de Xavier Veilhan permet des significations multiples véhiculées dans un ensemble nouveau. On se rappelle des mots de Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage : « Elaborer des ensembles structures, non pas directement avec d’autres ensembles structures mais en utilisant des résidus et des bribes d’événements : des bribes et des morceaux, témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société. » Les œuvres choisies par Xavier Veilhan sont-elles ces témoins fossiles ? Si ce n’est pas l’intention de l’artiste, il est certain qu’elles portent en elles une dimension historique, voire socio-politique forte. La plate-forme Le Baron de Triqueti n’est pas étrangère au public. Elle avait déjà été présentée en 2006 au Grand Palais. Il s’agit, ici, d’une réactivation dans un autre lieu. Ses formes géométriques simples et anguleuses – une constante dans la sculpture d’après-guerre – d’un jaune éclatant tranche avec le cellier de l’Abbaye de Cluny. « On est un dans un ensemble architectural exceptionnel et ce navire jaune, encastré, arrive de manière assez incongrue. Il s’agit de jouer la carte de l’interaction et du choc. » En revanche, il n’est pas question de réhabiliter le socle. Il s’agit d’un podium sur lequel


le public peut déambuler et approcher les œuvres : « Si l’on suit l’idée de Focillon, l’amalgame peut s’opérer dans l’expérience du visiteur. On a déplacé la fonction sociale du lieu, un cellier, vers un lieu de tourisme. Si les artistes investissent les lieux patrimoniaux, c’est aussi en raison de cette nouvelle donne. Mais l’ensemble est à sa place, c’est juste une nouvelle fonction autour du loisir et du patrimoine plutôt que de la religion. Je ne pense pas qu’il y ait une dimension socio-politique. Je ne délivre pas de message et l’intervention entérine ce genre de question » explique l’artiste. L’espace architectural reste une donnée clé : « Je ne me situe pas en opposition mais en imbrication, je prends à bras le corps un lieu dans toutes ses dimensions, formelles, sociales, économiques. Quand j’interviens dans un lieu, je me renseigne sur la fréquentation du lieu, sur les éléments pratiques. Cela influe l’expérience de la visite, l’œuvre n’est pas un sanctuaire isolé, il est comme une continuité de l’ordre de la promenade. » L’œuvre, un sanctuaire isolé ? Le Baron de Triqueti expose des tendances, des mouvements mais surtout il se pose là comme un dispositif qui questionne avant tout sa propre définition c’est à dire à la

fois un ensemble pour lui-même et un socle pour d’autres œuvres dont le tout forme un troisième ensemble. En vrai précurseur Xavier Veilhan sait que « c’est une forme d’exposition qui semble nouvelle mais qui va devenir inventoriée et identifiée ». Daniel Buren concédait qu’en mettant deux œuvres côte-àcôte, elles rentrent, qu’on le veuille ou non, en écho. Sur la plate-forme, c’est une véritable scénographie imbibée de mise en abîme entre contenant et contenu qui se joue. « Chez Graham, on retrouve des réflexions sur l’espace, chez Lavier, des réflexions sur le socle. On retrouve aussi une réflexion sur l’objet en série. On expose aussi un objet étonnant, une attelle de la Seconde Guerre mondiale, comme une sorte de totem. Il y a également à l’intérieur de la plate-forme des objets qui s’introduisent sans être des objets d’art mais des objets de musée, non créés par un artiste, et qui induisent des questionnement entre des époques, des représentations, des modes de fonctionnement. » L’interdépendance du design, des arts du spectacle et de l’architecture étant aujourd’hui admis, la question ne se pose pas. Xavier Veilhan se refuse à jouer le rôle d’historien d’art, « les œuvres ont été choisies sur des concours

de circonstances. » La question qui se pose est celle du rapport que nous entretenons avec l’œuvre et la façon dont nous faisons vivre ces formes d’exposition. Graham rencontre Bouchard dans un propos sur la sculpture qui dépasse le propos lui-même. D’ici à 2017, d’autres artistes, d’autres commissaires seront invités à venir sélectionner un ensemble d’œuvres. Les questions resteront celles de la frontalité entre la pièce et le visiteur et des modalités encore non identifiées d’exposition. Le Baron de Triqueti, ce sculpteur méconnu du Louvre, est sorti de sa réserve pour faire tomber tout un pan de la muséographie contemporaine. LE BARON DE TRIQUETI, exposition jusqu’au 31 décembre au Cellier de l’Abbaye de Cluny. www.leconsortium.fr www.cluny.monuments-nationaux.fr

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Par Emmanuel Abela

Élise est lisse !

Formes simples, la nouvelle exposition thématique au Centre Pompidou-Metz confirme la tendance largement répandue au XXe que pureté = modernité. Avec cependant cette conclusion surprenante : la forme ne ferme pas, elle ouvre !

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Constantin Brancusi, Le Poisson, 1924

Le XXe est le siècle du ready-made et des abstractions, il est aussi le siècle de l’épure. Peintres, sculpteurs, architectes et designers ont tous tendu vers une forme qui accorde leur importance à ces éléments constitutifs qu’on qualifiera de “premiers” : forme, couleur et espace. On le sait, ils se sont inspirés pour cela à la fois de la nature, et de ce que celle-ci a pu inspirer elle-même à des civilisations plus anciennes, avec une volonté constante : renouer le lien à l’essentiel. Quand on compare la Tête d’une grande statuette féminine du Cycladique ancien II et certaines pièces de Brancusi, on constate qu’un même élan les lie. Un même souffle créateur qui tend à révéler l’affect au-delà de la forme même. Et donc à sublimer la matière. Pour des artistes comme František Kupka par exemple, il s’agissait de poursuivre ce qui avait été entrepris par les cubistes ou des artistes abstraits comme Wassily Kandinsky ou Piet Mondrian, à savoir dissocier esprit et matière, s’affranchir de la simple imitation – ce qui n’empêche pas de puiser dans les modèles formels qu’offre la nature – et tendre à la pureté : une obsession intellectuelle chez certains, spirituelle chez d’autres. Quand Marcel Duchamp s’arrête devant un avion au salon de la locomotion aérienne en 1912 et qu’il s’exclame que « la peinture est morte. Qui pourra faire mieux que cette hélice ? », le constat qu’il formule n’est en rien une boutade – il faut toujours se méfier des provocations de l’ami Duchamp ! Tout comme pour Fernand Léger et surtout Brancusi qui l’accompagnent ce jour-là, il sent que ses propres intuitions formelles trouvent des relais à tous les niveaux, et que ce sont bien elles qui vont conditionner une nouvelle approche de la modernité. À ce moment-là, Brancusi n’en est qu’à ses premières tentatives d’inspiration africaine, mais il sait déjà que ce qu’il explore le conduit vers un ailleurs dépouillé, dont il trouve sa source ici dans un haut de reliquaire du Gabon ou là dans la forme rectiligne d’une poupée de fertilité de l’archipel des Bijagos. Dès lors, la forme s’offre à lui, et de ses tentatives sans cesse renouvelées vers le longiligne, le courbe et le lisse – avec pourquoi pas, ce modèle d’hélice en tête ? –, il explore des voies qui auront un impact considérable sur les sculpteurs des générations suivantes : son grand admirateur, Richard Serra, mais aussi Tony Smith, entre autres artistes représentés dans le cadre de l’exposition. En visionnaire, Duchamp avait annoncé la mort de la peinture, mais celle-ci a, elle aussi, poursuivi sa quête de pureté. Les exemples sont nombreux, mais au-delà des avantgardes du XXe et de toutes les tentatives magnifiques – Klein, Rothko, etc. – attachons-nous au cas d’Ellsworth Kelly. Il est assez étonnant de constater – même si c’est le cas également pour bien d’autres ! –, combien cet artiste new-yorkais reste porteur d’une forme particulière de modernité : l’émotion naît du cadre, à une époque où la peinture s’affirmait justement hors-cadre. Comme dans un étonnant mouvement de balancier, la couleur, pourtant émancipée depuis un siècle, se retrouve à nouveau circonscrite sans que sa liberté de rayonnement n’en soit limitée. En cela, la présence des œuvres de Kelly donne tout son sens à cette exposition sur les Formes simples, parce qu’ici, contrairement à ce qu’on cherche à faire croire habituellement, la forme libère. FORMES SIMPLES, jusqu’au 5 novembre au Centre Pompidou-Metz www.centrepompidou-metz.com

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Par Cécile Becker

Elodie Royer et Yoann Gourmel, les deux commissaires invités du CEAAC, poursuivent leur cycle autour de personnages d’œuvres littéraires. Après avoir raconté Rose – issue de l’imaginaire de Gertrude Stein –, à travers le regard de chaque spectateur, ils évoquent le Seymour de J.D Salinger.

Fragments de vies Pourquoi Seymour, après Rose ? En quoi poursuit-il le cycle ? Seymour est un personnage différent de Rose. Dans ses apparitions et son écriture tout d’abord. Contrairement à Rose qui n’apparaît que dans un roman, Seymour est un personnage que l’on retrouve dans une série de nouvelles publiées par Salinger principalement dans le New Yorker entre 1948 et 1965. C’est donc un personnage récurrent, fils aîné de la famille Glass qui compte sept enfants que l’on retrouve dans les différentes nouvelles de manière non chronologique. On apprend son suicide à 31 ans lors de sa lune de miel dans Un jour rêvé pour le poisson banane, la première nouvelle de la série, tandis que dans la dernière nouvelle publiée par Salinger de son vivant en 1965, il a sept ans et écrit une lettre à sa famille alors qu’il est en colonie de vacances. Seymour est ainsi omniprésent dans ces nouvelles tout en n’apparaissant que de manière indirecte et fragmentée à travers les lettres et les récits de ses frères et sœurs. Voilà pour une brève présentation de ce personnage, décrit comme un génie, un anti-héros féru de philosophie et de poésies orientales, refusant d’assister à son propre mariage car se sentant trop heureux, figure d’un adolescent romantique et désespéré, dont la recherche de bonheur et de spiritualité ne peut s’accomplir dans la superficialité du monde qui l’entoure et face aux valeurs liées à la montée du mode de vie consumériste américain des années 50... Si Rose abordait de manière indirecte un certain rapport à l’enfance, Seymour évoque davantage des questions liées à l’adolescence et son désenchantement devant la perte de l’innocence de l’enfance.

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En quoi l’œuvre de Salinger vous a-telle touchée ? Pour sa poésie, son humour, son désespoir, sa lucidité, sa contemporanéité. Pour sa capacité à passer d’un paragraphe à un autre, de la légèreté la plus désinvolte à des réflexions plus profondes et existentielles. Comment représentez-vous ce Seymour ? Comme Rose, Seymour est un personnage qui existe différemment pour chacun de ses lecteurs. Nous ne cherchons donc pas à le représenter. Ce sera davantage à chaque visiteur de le faire. Les différentes œuvres de l’exposition donneront ainsi chacune une lecture particulière d’une ou plusieurs facettes de ce personnage. Dans le premier volet Rose, vous encouragiez le spectateur à renouer avec des mécanismes de l’enfance : faire appel à son imagination, se fier à ses sens etc. Avec Seymour, qu’invoquez-vous ? En écho à ce personnage d’anti-héros ambigu, on retrouve dans les œuvres présentées certains des thèmes et des procédés narratifs qui parcourent la saga de la famille Glass tels que le rapport à la spiritualité, à la correspondance et à l’adresse, à la poésie et au jeu, à la mélancolie et à l’énigme du bonheur.


© Bruno Persat

Comme Rose, votre exposition regroupe des œuvres venant servir plusieurs propos : au spectateur de trouver ce qu’il veut y trouver. Que proposez-vous ici ? Nous avons invité l’artiste Bruno Persat à travailler de façon très proche avec nous. Nous avons ainsi travaillé ensemble à l’invitation des artistes et à la sélection des pièces. Bruno a réalisé de nouvelles pièces spécifiquement pour l’exposition et pour l’espace du CEAAC, tout comme d’autres artistes : Lenka Clayton, Moyra Davey ou l’artiste Thaïlandais Chitti Kasemkitvatana. Il y a entre autres un film de William Wegman montrant des chiens menant une enquête policière entre deux parties de tennis, des correspondances venues du passé avec une série de fragments photographiques postés par l’artiste américaine Moyra Davey à partir de lettres et d’une photo de sa famille également composée de sept frères et sœurs prise dans les années 70, une installation de l’artiste Chitti Kasemkitvatana inspirée de son expérience de moine bouddhiste pendant 7 ans en Thaïlande, un ticket de caisse dont les

articles sont classés par ordre alphabétique par Lenka Clayton, quelques bambous, des photographies de détails de cartes de bibliothèque par Erica Baum comme autant de poèmes trouvés, des phrases extraites de conversations quotidiennes collées aux murs par Joseph Grigely, une peinture mathématique réalisée au sol en graviers comme un jardin zen japonais par Bruno Persat, une salle recouverte de papier-peint représentant le dégradé d’un coucher de soleil dans le désert texan réalisé par Benoît-Marie Moriceau comme un paysage synthétique et domestique, des nuages du passé cristallisés en sérigraphies réalisées en sel sur bois teinté noir de gravures de nuages du XIXe siècle par Julien Crépieux, une bandeson réalisée par le groupe Holden, des cocktails Tom Collins servis glacés et d’autres surprises encore... SEYMOUR, exposition jusqu’au 19 octobre au CEAAC à Strasbourg. www.ceaac.org

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Par Vanessa Schmitz-Grucker

Les détours de l’intuition Avec une économie de moyens qui lui est propre, Daniel Buren investit le MAMCS avec un travail in situ qui permet une nouvelle lecture de l’espace.

déjà abordé. Prenons l’exemple des Cabanes. Je n’ai jamais fait deux cabanes éclatées identiques. Mais depuis la première, j’exécute des variations infinies. Or, à Strasbourg, rien ne s’apparente à de la variation. Vous proposez deux œuvres distinctes*. On imagine qu’elles entrent en écho l’une avec l’autre ? Vous savez, dès que vous mettez deux objets ensemble, ils se répondent, que vous le vouliez ou non ! [rires] Dans mon esprit, ce sont deux grandes pièces importantes mais qui ont chacune leurs spécificités. La première est totalement inédite, j’en parle peu car elle est en cours. L’autre, sur la verrière, s’inscrit dans mes travaux sur la lumière, la couleur, des notions que j’aborde depuis longtemps. Photo-souvenir : Les cabanes éclatées imbriquées (détail), travail in situ, in “Échos”, Daniel Buren, mai 2011, Centre Pompidou-Metz. © DB-ADAGP, Paris 2014

Peut-on s’attarder sur le titre de votre proposition, Comme un jeu d’enfant ? Ce titre peut se lire de façon tout à fait générale, dans l’acceptation commune de l’expression « simple comme un jeu d’enfant ». Il y a aussi de la fraîcheur et de la naïveté. Les gens y mettront du sens en voyant l’œuvre, même s’il est vrai qu’un jeu est souvent considéré comme quelque chose d’aisé. Matisse a beaucoup été critiqué à l’époque de ses papiers découpés, on l’accusait d’être sénile et de faire des collages d’enfant. Il est évident que c’est absurde et que faire des choses avec la fraîcheur de l’enfant, c’est aussi manipuler les choses intuitivement. Et on n’imagine pas une seconde que ça puisse être complexe. En fait, c’est intuitivement compliqué. La preuve, c’est que ce sont des choses qu’on n’arrive plus à reproduire ensuite. [rires] Votre approche est très intuitive ? Oui, je pense. Tout part de l’intuition, c’est sûr. Votre proposition s’inscrit-elle dans la lignée de vos travaux de ces dernières années ? Elle s’inscrit dans une logique de travaux qu’on pourra reconnaître, mais en même temps, c’est complètement nouveau : on ne pourra pas dire que c’est une variation sur un thème

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Comment avez-vous appréhendé l’architecture d’Adrien Fainsilber ? Ici, la grande galerie est comme une rue entièrement vitrée sur trois côtés. Cette masse nue en verre sert de support pour le travail polychrome que je réalise in situ. Les jours de soleil, on pourra constater l’effet de projection des panneaux de couleur dans tout le hall. Il va se colorer sans dissociation de ses aspects. Quant à l’extérieur, on ne pourra plus le voir de l’intérieur du musée tel qu’il est. Je travaille aussi avec le contexte urbain du lieu. Il y a toujours un rapport à l’extérieur. Ce peut être un arbre, une fenêtre à ses abords. Là, étant donné l’architecture, la transformation sera plus importante. DANIEL BUREN, COMME UN JEU D’ENFANT, exposition jusqu’au 14 janvier au MAMCS à Strasbourg www.musees.strasbourg.eu *Les œuvres de Daniel Buren se déploient sur les 1500 m2 de la façade vitrée ainsi que dans les 600 m2 de la salle d’exposition temporaire


Par Vanessa Schmitz-Grucker

Extrait du film Crossroads de Bruce Conner, 1976. UCLA Film & Television Archive. Courtesy and © the Conner Family Trust

Chaos L’exposition itinérante initiée par le Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington DC, en relation avec le Mudam, propose une immersion dans le large spectre de la destruction en art contemporain.

Toujours subversive, la notion de destruction dans le domaine de l’art émerge dans un premier temps des affres de la Seconde Guerre mondiale et des menaces de l’ère atomique ; elle résulte de la crainte d’un anéantissement totale que les artistes anticipent et explorent. Aujourd’hui, la vision apocalyptique que les médias aiment faire porter sur notre monde prolonge leurs interrogations sur cette notion de destruction et naturellement son pendant, la construction. La destruction n’est jamais gratuite. Dans son aspect plus symbolique, plus conceptuel, elle peut constituer une arme pour dénoncer. Détruire les conventions sociales, dénoncer les systèmes politiques, l’artiste chinois Ai Weiwei connaît cette voie tumultueuse. Sa liberté (toute) conditionnelle aujourd’hui prouve, si besoin était, qu’il n’est jamais aisé de s’attaquer frontalement au politique, et que l’entreprise de destruction peut malheureuse-

ment fonctionner dans les deux sens, résistance / réaction et naturellement réaction / résistance. Avec un corpus d’environ 90 œuvres réalisées par une quarantaine d’artistes (dont Christian Marclay, Yoko Ono ou Steve McQueen), l’accrochage conséquent s’attache à tout type de médium pour offrir un vaste panorama de la thématique et insister sur une vraie récurrence artistique : une quasi obsession depuis plus de 60 ans ! DAMAGE CONTROL : Art and Destruction Since 1950, du 12 juillet au 17 octobre au Mudam Luxembourg www.mudam.lu.fr

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Par Emmanuel Abela

Acte premier : art !

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Joseph Beuys, Wolf Vostell et Bazon Brock, trois piliers de l’art de la performance en Allemagne, et une vision tournée vers une redéfinition de la société. On ne soupçonne guère plus l’importance qu’ont eu certains artistes allemands dans la reconstruction mentale de leur pays sur la période d’après-guerre. Pourtant, la radicalité d’un Joseph Beuys, d’un Bazon Brock et d’un Wolf Vostell, parmi les performers les plus exposés dans les années 60 et 70, a conduit à une vraie prise de conscience. Laquelle a aussi permis à l’Allemagne de retrouver sa juste position dans le concert des nations. Ces trois-là, amis dans la vie, ont puisé dans l’expérience du système totalitaire et de la guerre pour alerter les consciences et proposer d’autres modèles aussi bien esthétiques que politiques, avec une double finalité : l’émancipation totale de l’individu et son implication dans des expériences sociales nouvelles. Joseph Beuys y a même construit sa propre mythologie sur la base d’éléments stylistiques distinctifs comme la graisse et le feutre – les éléments avec lesquels il aurait été soigné pendant la Seconde Guerre mondiale par des habitants en Crimée. D’où l’idée de creuser « les matériaux de la vie dans le but de la transformer », selon la belle formule que Beuys emploie dans un entretien en 1977. Sa vision élargie de l’art comme « sculpture sociale », il la développe dans le cadre de performances parfois participatives et à vocation pédagogique, non sans cette pointe d’humour qui le rattache au courant dont il est issu dans les années 60 : Fluxus. On se souvient à ce titre de manière très amusée du Combat de boxe pour la démocratique directe à Kassel, en 1972 : assis pendant trois mois derrière un petit bureau, Beuys exposait son programme d’art révolutionnaire et défiait dans un combat de boxe les contradicteurs qui lui cherchaient noise…

Cette vision de l’enseignement redéfinie par l’art de performance, il la partage avec Bazon Brock et Wolf Wostell. Instruction, discussion, action et agitation sont indissociables ; elles sont mises à la contribution des utopies nouvelles nées à la fin des années 60, en rupture totale avec la génération précédente. On a sans doute eu le tort de situer ces trois artistes majeurs séparément les uns des autres – la notoriété de Beuys et Wostell demeurant écrasante à bien des égards. Le mérite de l’exposition que leur consacre le ZKM est non seulement de rétablir un juste équilibre, mais aussi de mieux envisager les démarches communes de ces actionnistes qui avançaient en parallèle malgré leurs différences. Elle offre un éclairage particulier sur les finalités mêmes de l’avènement de la performance ou du happening, un art auxquels ils ont donné ses lettres de noblesse – en histoire de l’art, on parle à ce titre de « tournant performatif » –, de manière éloignée des tentatives sans doute excessives de leurs voisins autrichiens. Un art qui, comme chacun sait, a connu bien des extensions plastiques. Le ZKM profite de cette exposition pour présenter la pièce de Wolf Vostell récemment acquise, Transmigracíon II, l’une des premières installations à intégrer un poste de télévision, œuvre historique s’il en est qui prouve la dimension proprement visionnaire de ces artistes. Une dimension à laquelle il est bon aujourd’hui de se référer, et peut-être même de se ressourcer. À ce titre, laissons parler Joseph Beuys. À la question « Une notion de l’art élargie à la vie entière ne fait-elle pas disparaître l’art au profit de la vie ? », il répond : « Au contraire. C’est le début de l’art. » Dont acte ! BEUYS BROCK VOSTELL, exposition jusqu’au 9 novembre au ZKM, à Karlsruhe www.zkm.de

Joseph Beuys, « Kukei, Akopee - Nein!, BRAUNKREUZ – FETTECKEN – MODELLFETTECKEN », durant le Festival Der Neuen Kunst le 20 juillet 1964 Photo : Peter Thomann © Estate of Joseph Beuys VG Bild-Kunst, Bonn 2014

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Par Emmanuel Abela

Les sentiers de l’âme Le Centenaire de la Première Guerre mondiale suscite bon nombre d’expositions : sélection indicative parmi les cycles proposés dans la région. On se souvient avec une certaine émotion de la lettre que Franz Marc adressa à Maria, son épouse, le 4 mars 1916. « Ne t’inquiète pas, je m’en sortirai et je n’y laisserai pas ma santé. » Le peintre munichois tomba à Verdun ce jour-là, vers 4h de l’après-midi. Plus que quiconque, il avait pourtant pressenti dans sa chair l’imminence du chaos ; ses tableaux de la période qui précède le conflit laissaient apparaître de manière prémonitoire le voile du drame dans lequel allait plonger l’Europe toute entière, et le monde à sa suite. L’artiste savait que l’humanité allait à sa perte. Il savait, même s’il cherchait à le nier, qu’il y perdrait lui-même la vie. D’autres en sont revenus cependant, et leur art a été marqué à jamais par l’expérience qu’ils ont vécue. C’est le cas de Max Beckmann, Erich Heckel et Otto Dix, si durement éprouvés qu’ils livrèrent quelques-unes de leurs plus belles pièces au cours de l’immédiate après-guerre. Les tableaux et œuvres sur papier présentés dans le cadre des Illusions mitraillées à Karlsruhe touchent par la violence intime qu’ils manifestent. On a beaucoup insisté sur la dimension visionnaire de ces artistes expressionnistes, on redécouvre à quel point leur travail a posé les bases d’une nouvelle vision de l’humanité, lucide, affectée mais pas forcément désespérée.

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Ces images renvoient à des tentatives plus anciennes, celle du Lorrain Jacques Callot qui a établi lors de la Guerre de Trente Ans les codes stylistiques de l’art de guerre, très loin de toute forme d’héroïsme. Ses gravures rencontrent un écho chez Goya, mais aussi chez tous les artistes qui ont tenté d’approcher cette réalité-là. Aujourd’hui, découvrir au musée des Beaux-Arts de Nancy l’intégralité de la série Les malheurs et misères de la guerre nous offre un éclairage particulier sur une première approche quasi documentaire, objective et soucieuse du détail. C’est avec une finalité documentaire voisine que six musées dans les Vosges s’attachent à l’arrière du front pendant les quatre années de guerre. On suit le parcours de cinq personnages qui tentent de vivre l’ordinaire de la guerre : l’enfant qui découpe les images produites par l’imagerie Pellerin – images à jouer racontant le quotidien de la guerre – ; le luthier et l’artiste qui continuent de créer ; la femme qui livre ses pensées dans son journal et le passant qui s’interroge. Œuvres graphiques, photos, peintures, affiches, ce parcours est un cheminement à travers le quotidien de chacun pour une émotion de chaque instant.


Photo : © FI 0122 0086, Archives Départementales du Haut-Rhin.

À Strasbourg, on s’est posé la question des points de vue : les combattants français et allemands se font face. Avant de s’entretuer, leurs regards finissent par se croiser, ils y découvrent la même terreur, le même abîme. En s’appuyant sur un fonds documentaire considérable – archives départementales, médiathèque des armées et collections privées –, La Chambre donne à voir des images saisissantes réalisées à un moment où la photographie prend le pas sur l’illustration, non seulement pour témoigner mais aussi livrer sa propre vision de la réalité. Mais revenons à Franz Marc. Avant de disparaître au front, il avait eu le temps d’achever Les Cent Aphorismes sous-titré La Seconde Vue. Aphorisme 99 : « L’avenir donne toujours raison aux créateurs. »

Les illusions mitraillées, Beckmann, Heckel, Dix et la Première Guerre mondiale, jusqu’au 3 août à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe www.kunsthalle-karlsruhe.de L’Art et la guerre, jusqu’au 16 février au musée des Beaux-Arts de Nancy www.mban.nancy.fr La Vie encore, jusqu’au 11 novembre dans les musées des Vosges (Musée de l’Image à Épinal, Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal, Musée de la lutherie de Mirecourt, Musée Pierre-Noël à Saint-Dié, Musée Friry de Remiremont, Musées de Remiremont) XIV / XVIII, La photographie et la Grande Guerre, du 13 juin au 27 juillet et du 20 août au 7 septembre à La Chambre à Strasbourg www.la-chambre.org

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Par Nadja Dumouchel

Gommer l’anecdote au profit de l’universel Le cinéaste suisse Germinal Roaux nous livre Left Foot, Right Foot, un poème initiatique détonnant. La profondeur du propos et l’esthétique monochrome valurent à ce film coproduit en Alsace plusieurs récompenses prestigieuses, dont le Bayard d’Or pour la Meilleure Première Œuvre au FIFF de Namur 2013 et une Mention Spéciale du Jury au Festival de Palm Springs 2014. D’où vient le titre de ton film, Left Foot, Right Foot ? Au départ, c’est une anecdote tirée de mon journal photographique. J’ai pris la photo d’une fille dont les chaussures étaient taggées « left foot right foot » un jour à Paris. Du coup, j’ai écrit une scène dans laquelle le personnage de Vincent écrit « left foot right foot » sur les baskets de Marie. J’aime bien l’idée que ce ne soit pas un titre romancé, un peu audessus du film, comme on le fait souvent en France, mais qu’il soit ancré dans le film par une anecdote. Ce titre parle à la fois du couple, des deux personnages, de la difficulté d’avancer dans leur vie, de comment mettre un pas devant l’autre, de comment devenir adulte.

Est-ce que tu considères ton film comme un « Coming of age » ? Je viens d’apprendre ce terme il n’y a pas longtemps. Le film s’inscrit dans cette tradition de films qui parlent du passage à l’âge adulte, mais en même temps je ne l’ai pas pensé comme ça. Le fait d’être autodidacte me rend plus candide sur l’écriture. Je vois le film comme un poème initiatique, comme quelque chose qui me ramène à mon propre passage à l’âge adulte. Ce qui m’intéressait, c’est comment la conscience s’éveille aujourd’hui dans une société qui est très tournée vers le virtuel, une société qui nous tire hors de nous-mêmes. J’ai essayé de faire le tableau d’un âge et d’une époque dans laquelle il est compliqué de s’éveiller. C’est un film sans adultes, dans lequel les jeunes doivent se débrouiller face à des situations difficiles, sans guides. Oui, il y a une véritable fracture entre la génération des parents et celle des jeunes. C’est un rapport qui a toujours été compliqué, de tout temps. Mais aujourd’hui, encore plus qu’avant, il y a une véritable incompréhension du monde adulte pour celui de l’adolescence. Je pense que les jeunes sont happés par les nouveaux médias, par la technologie et par les relations virtuelles qui filtrent chaque instant de leur vies. Les adultes sont complètement ignorants et coupés de cette réalité-là,

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par exemple concernant le rapport avec la pornographie ou la sexualité. ça va beaucoup plus loin que ce qu’on pense, ça touche et façonne les ados d’une manière dont on ignore la portée. C’est un film léger tout en traitant des sujets difficiles comme la prostitution, le handicap. D’où proviennent ces touches complémentaires ? Le film a été nourri à la fois par mon journal photographique noir et blanc autour de la jeunesse, où j’ai photographié pendant plus de sept ans des skaters, des rockers, des groupes de pop. Ce travail était pour moi une forme d’outil pour garder les yeux ouverts. Et à côté de ça, je n’ai pas lâché les questions profondes, plus existentielles du film. Ce projet est né à une époque où je sortais beaucoup et j’avais rencontré des jeunes filles qui se prostituaient occasionnellement pour s’acheter des objets de luxe. Ça m’a bouleversé et beaucoup questionné sur notre société, sur le rapport au corps. Ensuite, j’avais fait un documen-

taire qui s’appelait Des Tas de choses, présenté au festival Visions du Réel, un film autoproduit. C’était le portrait d’un jeune trisomique qui était serveur dans un restaurant à Genève que j’ai filmé pendant huit mois en lui laissant raconter sa vie, son handicap, sa différence. Tes photos et tes films sont presque toujours en noir et blanc. Pourquoi ? Ce n’est pas pour moi un choix esthétique, c’est une langue que j’ai développée, avec laquelle je me sens très à l’aise. Elle permet de raconter des histoires qui touchent autrement, avec une force particulière. Le noir et blanc gomme l’anecdote au profit de l’universel. Un visage en noir et blanc nous emmène vers quelque chose de plus humain. J’en ai fait l’expérience à l’époque où je travaillais pour la rubrique « Vécu » du magazine suisse L’illustré, dans lequel on faisait le portrait d’anonymes, de gens avec des parcours de vie compliqués. Pendant dix ans ça a été mon école, c’était déjà

une manière de raconter des histoires en quelques images. Un jour, le rédacteur en chef a décidé de passer la rubrique en couleur. À ce moment-là, on devait aller photographier un grand brûlé à l’hôpital, qui avait le visage complètement défiguré. Au moment de développer les images, j’ai fait des tirages noir et blanc et en couleur puis confronté ces mêmes images. C’était pour moi évident que les deux tirages ne racontaient pas la même chose. Les photos en couleur avaient quelque chose de très obscène, de violent, on ne voyait que les blessures de cet homme. En noir et blanc, une grande humanité s’en dégageait au contraire : on ne voyait que ses yeux. Il y a eu plusieurs étapes comme ça dans mon travail qui m’ont convaincu que ce que j’avais envie de raconter au cinéma passe par le noir et blanc. LEFT FOOT RIGHT FOOT, film de Germinal Roaux. www.germinalroaux.com

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Par Pierre-Louis Cereja Illustration : Laurence Benz

Roxy, Angélique, Depardieu, la maman et le ballon fantôme À la manière des fameux Fragments de Georges Perec (1978), retour sur le 67e Festival de Cannes pour une libre évocation du quotidien de la Croisette et des foisonnements du cinéma.

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Je me souviens de l’émouvant match de football sans ballon dans Timbuktu, superbe plaidoyer d’Abderrahmane Sissako contre l’extrémisme religieux au Mali. Je me souviens que Noami Kawase filme admirablement la nature dans Still the water. Je me souviens que Tommy Lee Jones a offert, avec The Homesman, un rare et puissant personnage de femme westernienne à Hilary Swank. Je me souviens que Xavier Dolan a 25 ans et qu’il est un surdoué du cinéma. Je me souviens d’Anne Dorval, extravagante mère au bout du rouleau dans Mommy de Xavier Dolan. Je me souviens que la réplique « On s’achètera une ferme près de Montpellier » dans Grace de Monaco a déclenché l’hilarité en projection de presse. Je me souviens du regard malicieux de Marcello Mastroianni sur l’affiche du 67e Festival. Je me souviens des incessants grognements du peintre anglais dans Mr. Turner de Mike Leigh. Je me souviens de la casquette d’Olivier Dahan. Je me souviens que Jane Campion, la présidente du jury, s’inquiétait des tenues qu’elle allait porter pendant le Festival. Je me souviens que Leviathan d’Andrey Zvyagintsev est un terrible et… drolatique réquisitoire contre la corruption en Russie. Je me souviens que Gilles Jacob a fait la bise à l’actrice iranienne Leila Hatami, membre du jury cannois, et que cela a irrité les autorités de Téhéran. Je me souviens que Bertrand Bonello a fait interpréter son « Saint Laurent » jeune par Gaspard Ulliel et âgé par Helmut Berger. Je me souviens des paysages de Cappadoce sous la neige dans Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan. Je me souviens qu’on a beaucoup vomi dans les films de la sélection officielle 2014. Je me souviens qu’une jeune femme proposait d’échanger une invitation contre une bise. Je me souviens qu’avec Deux jours, une nuit, Marion Cotillard s’est complètement fondue dans l’univers des frères Dardenne. Je me souviens que le réalisateur chinois Wang Chao a promis d’assister à toutes les projections de son film Fantasia. Je me souviens que Steve Carrel est méconnaissable dans Foxcatcher où il incarne un milliardaire américain halluciné et passionné de lutte. Je me souviens du clochard qui, tous les matins à 7h55, pliait ses cartons devant l’entrée des Galeries Lafayette. Je me souviens de Roxy, le chien de Jean-Luc Godard dans Adieu au langage. Je me souviens que Godard n’est pas venu à Cannes pour la présentation de son premier film en 3D. Je me souviens des yeux clairs, des paupières bleues, des bagues et des bracelets d’Angélique Litzenburger dans Party girl. Je me souviens que Michel Hazanavicius n’a pas convaincu la Croisette avec The Search.

Je me souviens que Sylvester Stallone et ses acolytes d’Expendables 3 ont aussi fait un petit tour sur les marches. Je me souviens des parfums calisson et amarena chez Vilfeu, le meilleur glacier de Cannes. Je me souviens que, dans Maps to the Stars, David Cronenberg cite quatre fois le poème Liberté de Paul Eluard. Je me souviens que Jimmy’s Hall pourrait bien être le dernier film de Ken Loach. Je me souviens d’Adèle Haenel, têtue et tonique dans Les Combattants, amoureuse éperdue dans L’Homme que l’on aimait trop. Je me souviens de la robe rouge de Jane Fonda sur les marches du palais. Je me souviens que, dans Sils Maria d’Olivier Assayas, Juliette Binoche se baigne nue alors que Kristen Stewart garde ses sous-vêtements. Je me souviens de Depardieu monstrueusement nu dans Welcome to New York. Je me souviens que Depardieu a aussi fait la promotion d’United Passions où il incarne Jules Rimet, l’initiateur de la Coupe du monde de football. Je me souviens que Rosario Dawson est une enquêtrice très séduisante dans Captives d’Atom Egoyan. Je me souviens que Sophia Loren a donné une Leçon de cinéma. Je me souviens que l’équipe de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? est venue se faire applaudir sur les marches. Je me souviens qu’au-delà du boulevard Bachaga Boualam, Cannes, même pendant le festival, ressemble à un village assoupi. Je me souviens des jeunes Américaines qui ont fait la queue quatre heures durant pour voir Lost River, la première réalisation de Ryan Gosling. Je me souviens que, dans La Chambre bleue, Mathieu Amalric revisite le mythe des amants maudits. Je me souviens du mariage qui vire au chaos total dans Relatos Salvajes de l’Argentin Damian Szifron. Je me souviens du vent qui soulève les robes longues. Je me souviens qu’aux abords du palais, les belles quittent leurs ballerines pour des talons hauts. Je me souviens que le générique du Festival de Cannes se déroule sur le Carnaval des animaux de Saint-Saëns. Je me souviens que Sharon Stone est toujours la star préférée des chasseurs d’autographes. Je me souviens que, dans Force majeure, une avalanche dans les Alpes fait exploser le faux bonheur d’un couple de vacanciers suédois. Je me souviens des intermittents du spectacle interrompant la cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs. Je me souviens de l’odeur du jasmin dans l’avenue Saint-Louis. Je me souviens que Chopard, créateur de la Palme, a annoncé que celle-ci était fairmined, c’est-à-dire que l’or utilisé provient d’exploitations respectueuses des règles de développement économique, social et environnemental. Je me souviens du sourire radieux de Nuri Bilge Ceylan, sa Palme d’or dans les bras.

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Par Caroline Châtelet

Subversion estivale Fêtant cette année sa vingtième édition, La Mousson d’été prolonge ce qui la fonde – donner à entendre des écritures théâtrales contemporaines françaises comme internationales – tout en procédant à un vivifiant renversement des schémas dominants.

« Le théâtre est un art collectif où on est finalement assez seul. On est ensemble le temps d’une production mais, très vite, chacun repart de son côté, on est dispersé. » Citées par la journaliste Maïa Bouteillet dans l’ouvrage célébrant les 20 ans de La Mousson d’été (à paraître mi-juillet), ces paroles du comédien Charlie Nelson résument bien l’un des paradoxes de la vie théâtrale française : alors que les temps de création et d’exploitation de spectacles se fondent sur la réunion d’énergies collectives, les lieux de retrouvailles hors de ces périodes sont rares. Pire, la structuration du système théâtral, en faisant de chacun l’ambassadeur (le mercenaire ?) de son propre travail, isole. Ainsi à la discontinuité de l’emploi – discontinuité remise en cause par le nouvel accord d’assurance-chômage qui argue de son prétendu coût pour précariser – répond une discontinuité « sociale », soit l’alternance entre des périodes de solitude et de vie en commun. Mais si artistes et techniciens éprouvent l’expérience de la troupe, ce n’est pas le cas des auteurs, qui sont majoritairement exclus de ces moments. Travailleurs solitaires, sollicités le plus souvent en amont des répétitions lors de commandes, ils bénéficient rarement d’espaces pour rencontrer, échanger, inventer avec le reste des maillons de la chaîne théâtrale. Dans ce cadre, ceux qui écrivent au fil des répétitions se comptent sur les doigts de la main. Cette absence de lieux collectifs pour

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l’écriture et ceux qui la font, dont on se dit qu’elle ne favorise pas la promotion des dramaturgies contemporaines, ne rend que plus nécessaire l’existence de La Mousson d’été. Car depuis sa création en 1995, ce festival permet, par la mise en relation de langues et de textes fragmentaires ou achevés avec des auteurs, metteurs en scène, comédiens, traducteurs, universitaires et spectateurs, de faire entrer les écritures contemporaines dans le champ du visible. À l’Abbaye des Prémontrés les formes se succèdent, se croisent, et lectures, mises en espace, impromptus, conversations ou déjeuners avec un auteur sont autant de possibilités pour entendre des langues. Mais au-delà de l’émulation produite par un tel espace de frictions – dont on imagine qu’il a dû donner naissance à nombre de projets, théâtraux comme littéraires (Le Baleinié, dictionnaire des tracas en étant un des exemples les plus connus) – c’est un joli et salvateur renversement que met en jeu le festival. Car durant ces cinq jours, l’ensemble des hiérarchies théâtrales dominantes (inconscientes comme inavouables) s’effacent. Le schéma majoritaire d’un metteur en scène réunissant autour de lui des collaborateurs cède la place à de multiples autres formes. Tandis, par exemple, qu’un auteur dirigera des acteurs pour une lecture, un acteur passera, lui, à la mise en scène, accompagné de musiciens. Cela sans jamais aucune obligation de résultat, l’ensemble étant proposé pour le seul festival. Sans que ce bouleversement de l’ordre établi ait été prémédité par l’équipe de La Mousson d’été et par son fondateur et actuel directeur Michel Didym – également directeur du Théâtre de la Manufacture à Nancy –, l’on se dit qu’il participe aussi, à sa façon, de la préservation de la vivacité et de l’esprit aventureux du festival. LA MOUSSON D’ÉTÉ, festival (lectures, débats, rencontres, spectacles, concerts, université d’été européenne) du 22 au 27 août à Pont-à-Mousson. www.meec.org/-la-mousson-d-ete-/


Par Claire Tourdot

En scène, tabarnak !

À la tête du Théâtre du Peuple de Bussang depuis trois ans, Vincent Goethals clôt cette année une trilogie consacrée aux écritures francophones et invite la nouvelle scène québécoise à prendre possession de l’éminente bâtisse. Au programme, des créations inédites produites à l’occasion de la saison estivale. Il est des manifestations que l’on attend chaque année avec la même impatience. Qui inlassablement nous surprennent, tant par leur identité restée intacte que par leur capacité à se renouveler. Fidèle à ses valeurs de partage et de démocratisation des savoirs, la saison estivale du Théâtre du Peuple de Bussang en fait sans conteste partie. Vincent Goethals a su trouver sa place au sein de cette machine centenaire bien huilée et explore les territoires de la création francophone depuis sa nomination à la direction des lieux en 2012. Après la France et la Belgique, la diversité du Québec est le fil rouge d’une programmation pointue, lancée en grande pompe le 12 juillet par les arabesques et entrechats du ballet de l’OpéraThéâtre de Metz qui présentera pour l’occasion en plein air l’Estancia d’Alberto Ginastera. Pour cette nouvelle édition boostée au sirop d’érable, Vincent Goethals a sollicité la plume de pointures outre-Atlantique que sont Carole Fréchette et Fabrice Melquiot. Les dramaturges proposent tous deux des créations inédites, destinées à rythmer les traditionnelles séances de l’après-midi et du soir. Carole Fréchette signe avec Small Talk une fresque intimiste dans laquelle une jeune fille tétanisée à l’idée de mener une conversation anodine fait le choix de se confronter à ses problèmes de communication. Tout en contrastes, la pièce s’atèle avec tendresse au sujet de la solitude que la foule de personnages présents sur scène ne fait qu’exacerber. Une création qui répond aux attentes de Vincent Goethals, acolyte de longue date de la québécoise : « J’ai fait confiance à Carole

Fréchette comme toujours, à la force de son écriture. Parce que ses pièces nous touchent au plus profond de nous-mêmes, en partant toujours d’une proposition presque légère, pour faire ensuite jaillir une émotion très forte ». Dans un registre tout autre, Fabrice Melquiot donne lui aussi naissance à des personnages en quête de soi. Son Catalina in fine écrit sur mesure pour le Théâtre du Peuple est une pièce accessible au jeune public mais pas que. La personnalité changeante d’une adolescente entre ombre et lumière est le point de départ d’une création flirtant avec le fantastique où la délectable écriture de Fabrice Melquiot aborde des questions graves en toute légèreté. Si D’Alaska de Sébastien Harrison – déjà présenté durant les hivernales – persiste dans cette veine initiatique mettant en scène la rencontre entre une septuagénaire et un garçon en fugue, les one-woman shows de la truculente Marie-Eve Perron se tournent eux vers l’humour quant il s’agit de dénoncer la société du paraître (Marion fait maison) ou de décortiquer les relations amoureuses (Gars). Sans surprise – et c’est tant mieux ! –, la 119 e édition du Théâtre de Bussang s’annonce haute en couleur, célébrant le théâtre contemporain dans tout son anticonformisme. THÉÂTRE DU PEUPLE, saison estivale du 12 juillet au 24 août à Bussang. www.theatredupeuple.com

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Par Martial Ratel Photo : Vincent Arbelet

Tutti qwerty Écrivain installé depuis début 2000 à Dijon, auteur de plus de 35 ouvrages et chroniqueur pour le supplément livres du Monde, Éric Chevillard vient de recevoir le prix Vialatte pour l’ensemble de son œuvre. Son dernier livre, sorti début 2014, Le Désordre azerty, un abécédaire drôle, intempestif, décalé, nous plonge dans l’univers auto-fictif de Chevillard. Rencontre avec l’auteur sous forme forcément d’un questionnaire Q.W.E.R.T.Y.

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penser que mon monolinguisme forcené est un mécanisme d’autodéfense qui veille à ce que ma langue d’écrivain ne s’émousse au contact d’autres langues, mais il se pourrait que ce soit une excuse lamentable. W comme World Le paradoxe, c’est que je suis très sédentaire naturellement, par inclination. Si je m’étais écouté, je n’aurais pas quitté la chambre de la maternité où j’ai vu le jour, mais j’en ai été chassé sans pitié. Puis curieusement, par tout un tas de concours de circonstances, dans cette vie d’écrivain, j’ai été amené à voyager. Il n’y a guère qu’en Amérique du sud ou au Groenland où je n’ai pas mis les pieds. Mais toujours sans désir préalable, je me suis beaucoup forcé. Le voyage est indispensable, il vous déniaise. Dans Oreille rouge, je fais le portrait d’un personnage, sorte de double excessif de moi-même, invité à Koulikoro au Mali, qui renâcle à partir. De même, si je ne regrette jamais d’avoir voyagé, la meilleure raison de partir, pour moi, c’est que le premier pas du voyage est aussi celui du retour... En voyage, je suis très curieux des noms. Celui d’Ulan Bator me fait encore rêver alors que j’y suis allé. La réalité n’a pas tué le songe enfoui dans le nom. E comme Editor Q comme Queen English La domination de la langue anglaise m’énerve. Surtout, cet anglais cosmopolite, imparfait, que tout le monde balbutie très bien sauf moi. On a parfois l’impression que le français est devenu une langue régionale, un patois parlé encore par quelques centenaires et par quelques écrivains. Le français a longtemps été une langue dominante, rayonnante. Là, c’est à notre tour de recevoir une petite leçon d’humilité, les écrivains en particulier. Par esprit de contradiction, il m’arrive de plaider pour une forme de conservatisme de la langue, alors que ma pratique de l’écriture (jugée par beaucoup presque expérimentale) fait aussi la part belle à l’invention formelle. Les écrivains sont malgré tout les dépositaires de leur langue. Ils ont droit à tous les mots ! Et je refuse d’en voir disparaître certains, remplacés par des termes empruntés à cet anglais mondialisé. Il m’arrive de

Dans la relation aux éditeurs, on retrouve les profils d’écrivains sédentaires et d’écrivains nomades. On reste fidèle à un éditeur par paresse aussi. Mais je n’ai jamais eu à me plaindre des Éditions de Minuit qui constituaient pour moi un idéal quand j’étais – très jeune, très ambitieux et très prétentieux – un écrivain débutant, parce qu’elles publiaient Beckett. Ce fut un très grand honneur d’être accueilli par Jérôme Lindon. Je sais que je dois, que je me dois, de proposer mes romans aux Éditions de Minuit. Par ailleurs, j’ai développé d’autres types d’écritures avec d’autres éditeurs : L’Arbre vengeur ou Fata Morgana. Ce n’est pas plus mal d’avoir plusieurs éditeurs quand on aime varier les genres. R comme Rhythm Longtemps, j’ai été sceptique sur cette comparaison musique et écriture. Je me reconnaissais davantage dans l’écri-

vain dessinateur, qui ajoute des bulles à droite, à gauche, des incises. Mais depuis une dizaine d’années, j’écris aussi des textes plus courts, plus tendus et effectivement, ils se prêtent bien à la lecture à voix haute, sans doute en raison des effets d’humour. Tout écrivain finit par développer des pratiques qui confinent aux tics d’écriture parce qu’elles obéissent à des réflexes, une sorte de conditionnement sensible, nerveux. Il est donc intéressant de se dérouter, de se surprendre soi-même. La difficulté est là : ne pas reproduire éternellement le même morceau, avec la même intro, le même solo... T comme Tennis Un mot d’anglais qui vient du français, c’est pour ça que je pratique ce sport avec beaucoup d’assiduité. Je trouve que le tennis et l’écriture ont des points communs. On pourrait jouer d’ailleurs à distinguer les écrivains terre battue et les écrivains gazon, les écrivains puncheurs et les écrivains increvables en défense... Le tennis est un jeu d’intelligence où l’on alterne les balles longues, les balles croisées, des amorties, des contre-pieds. Et quand j’écris j’ai l’impression en effet d’utiliser ce même arsenal de coups. Comme si le lecteur était un adversairepartenaire, j’essaye de le mettre loin de la balle tout en espérant qu’il la rattrapera quand même. Bon, comme toute comparaison, celle-ci a ses limites... Y comme You Quand on écrit, on se confronte à quelque chose que ceux qui n’écrivent pas peuvent ignorer ou feindre d’ignorer : nos identités sont des constructions factices, très artificielles, liées à tout un tas de conditionnements sociaux, familiaux. Originellement, l’homme était la créature la moins instinctive qui soit, la plus vulnérable, dépourvue de défenses naturelles. Il s’est construit une identité culturelle, ce que chacun fait à son tour dans sa vie. Je pense de même que l’écrivain s’invente un personnage d’auteur qui, à force d’être sollicité et employé à la tâche d’écrire, devient plus réel que l’homme qui, à l’origine, s’est caché derrière. Une armure qui deviendrait non seulement plus solide, plus forte, mais plus vivante que le corps infirme recroquevillé dedans. L’écrivain accompli est devenu cette personnalité que son écriture a enfantée.

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Par Marie Marchal

Une histoire d’édition Délicates et poétiques, les éditions Elitchka comptent bien bousculer le paysage éditorial alsacien en promouvant des créations bulgares dans des ouvrages de jeunesse à consommer sans limitation d’âge. Leur première publication, Une Histoire de dragons nous embarque dans une aventure fantastique à dos de reptiles cracheurs de feu. Comme le marmot qui à coups d’épaule tente de se frayer un chemin à travers la haie de jambes adultes pour découvrir le spectacle qu’on lui cache, la littérature de jeunesse joue des coudes et s’installe doucement mais sûrement dans les salons du livre. Que les évènements liés au livre lui soient intégralement dédiés ou non, l’espace dédié à la littérature de jeunesse gagne de plus en plus de terrain au sein des salons et des foires. Albums d’images, cartonnés, pop-ups et autres fleurissent en toute saison, mais c’est avec le printemps – comme par hasard – qu’on a découvert cette belle plante : les éditions Elitchka. En tant que lecteur, c’est toujours avec un grand plaisir que l’on assiste aux premiers pas d’une nouvelle maison d’édition, car c’est une promesse silencieuse, l’air de rien, d’ô combien de douces heures de lecture inédite. Fondées et menées par Elitza Dimitrova, les éditions veulent pour leur coup d’essai un coup de maître ; dans notre bibliothèque, Une Histoire de dragons se range illico presto au rayon des délicieux contes venus d’ailleurs. Et la destination

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pour laquelle le lecteur s’embarque à dos de créature fantastique n’est autre que la Bulgarie, terre d’origine de la jeune éditrice. Le conte est signé Edvin Sugarev, figure politique et critique essayiste bulgare qu’on ne connaissait pas conteur pour la simple et bonne raison que ses histoires, offertes à ses enfants le soir avant de dormir, n’ont jusqu’à aujourd’hui jamais été publiées. Pour cette collection naissante d’albums de jeunesse, la jeune éditrice se lance un défi bien particulier. Car convaincre les parents des bienfaits de la désobéissance de leur progéniture, on s’en doute, n’est pas chose aisée. Être accompagnée dans sa croisade par un dragon à trois têtes bien nourri par les facéties d’un enfant, ça peut aider et aux côtés de l’éditrice-traductrice – en plus de l’imposant gentil monstre – il y a l’illustratrice Sylvie Kromer, qui rend avec justesse et une grande maîtrise toute la poésie que renferment les quarante pages d’Une Histoire de dragons. Un univers visuel à part s’offre à l’œil du lecteur, et on est loin de tomber dans les écueils de l’illustration de jeunesse classique. Le dépaysement du regard vient renforcer celui du texte : si on ne sait pas à quoi ressemble la Bulgarie, l’ouvrage nous emmène bien ailleurs. Dans Une Histoire de dragons, on retrouve les idées chères aux éditions : la force de l’imaginaire, l’émancipation de l’enfant, la liberté de rêver. Le charme opère rapidement, et on aurait bien du mal à dire grâce à qui : l’exotisme du conte bulgare, les illustrations magiques de Sylvie Kromer ou l’entrain pugnace de la jeune éditrice. Certainement à cause de tout ça en même temps, et c’est à cette cohérence que l’on reconnaît des débuts prometteurs. Leur second ouvrage, Une Larme de maman, promet pour le mois de juillet un nouveau voyage ; gracieux, délicat et fragile, il se fait cette fois à dos d’hirondelle… UNE HISTOIRE DE DRAGON, ouvrage de Edvin Sugarev illustré par Sylvie Kromer, éditions Elitchka.


EXPOSITION

HUIT REGARDS ARTISTIQUES CONTEMPORAINS SUR LA GRANDE GUERRE THIERRY DEVAUX (F) - ERIC DIDYM (F) - CORNELIA ENAX (ALL) STÉPHANE GUIDAT (F) - MARKUS KIEFFER (ALL) - CLAUDE PHILIPPOT (F) MANU POYDENOT (F) - CATHERINE DE ROSA (F) PHOTOGRAPHIES, GRAVURES, DESSINS, COLLAGES, SCULPTURES, VIDÉOS, INSTALLATIONS, DISPOSITIFS SONORES.

CHÂTEAU DES LUMIÈRES - LUNÉVILLE 8 JUILLET > 12 OCTOBRE 2014 ouvert tous les jours (sauf mardi) de 10h à 12h et de 14h à 18h

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Surface Sensible est soutenue par la DRAC Lorraine et

Retrouvez toute l’actualité du Centenaire de la Grande Guerre en Meurthe-et-Moselle, sur www.centenaire1418.meurthe-et-moselle.fr


audio

ARTO LINDSAY Encyclopedia Of Arto Northern Spy

TUXEDOMOON At Twilight / Les disques du Crépuscule

Putain, qu’est-ce qu’on a aimé Tuxedomoon ! Et si le groupe continue de tourner de manière tout à fait respectable, cette formation arty de San Francisco qui avait pris le parti de s’installer en Europe a alimenté bien des fantasmes dans les années 80. Chacune de ses productions était guettée comme un secret qu’on ne finissait par transmettre que de manière très initiée. À se replonger aujourd’hui dans cette réédition de maxi 45T ou de K7 publiés entre 1982 et 1983 sur le magnifique label belge Les Disques du Crépuscule, on se retrouve submergé par l’étonnante force subversive d’un des groupes les plus classieux ever ! Le saxo de Steven Brown ou la voix de Winston Tong nous transpercent comme au premier jour, et là on se met à chanter à tue-tête « Oh Ninotchka ! » le morceau hommage à Greta Garbo avec la même ferveur ironique qu’en pleine Guerre Froide ! (E.A.)

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Arto est art. Depuis ses débuts au sein de la formation no wave DNA, il n’a cessé d’inventer une forme qui lui appartient, et même si par la suite sa culture brésilienne nous a renseigné sur cette forme particulière, tout en rupture, il continue de nous fasciner par cette manière de pratiquer l’ellipse sonique. Ici, contrairement à ce que le titre suggère, nulle compilation – celle-ci est attendue, ainsi que quelques rééditions ! –, mais un concentré de son savoir-faire, en compagnie de ses amis de toujours, Amedeo Pace, Brian Eno ou Ryuichi Sakamoto. Il faut cependant s’attarder sur la prestation live solo pour pleinement mesurer les apports de cet artiste exceptionnel ! (E.A.)

ANNA CALVI

Strange weather / Domino Décidément, cette petite britannique n’a pas fini de nous surprendre. Elle pourrait aujourd’hui surfer sur la vague du succès, mais elle poursuit son parcours comme si de rien n’était avec une candeur attendrissante. En témoigne ce EP de reprises qui, contrairement à l’opportunisme des cover albums traditionnels, la positionne de manière très courageuse : ces morceaux signés Suicide, FKA twigs, Connan Mockasin, Keren Ann – Strange Weather interprété en duo avec le “fan” David Byrne –, et surtout David Bowie – le sublimissime Lady Grinning Soul sur Aladdin Sane ! – nous livrent chacun une part d’elle-même, entre ombre et parcelles de lumière. (E.A.)

Z AKA SZAJNER Visions of Dune / Infiné

On ne peut pas dire qu’on soit très amateur de musiques dites planantes, mais les expériences menées en France dans les années 70 restent fascinantes à bien des égards. Et contre toute attente, elles gardent intacte la fraîcheur avant-gardiste de l’époque où elles ont été produites. Bernard Szajner, considéré comme le Brian Eno français, a poussé très loin sa volonté de restituer un univers sci-fi à mi-chemin entre la trilogie culte de Frank Herbert, Dune, sur laquelle il base le concept de cet album intemporel, et les productions BD de Druillet ou Moebius. Très tôt, dès 1979, il fait le lien entre les aspirations mystiques de Magma et les premiers échos postpunk français. Fascinant ! (E.A.)

HAMILTON LEITHAUSER

Black hours / Domino Nous ne sommes pas forcément fans ni des Walkmen ni de leur rock arty parfois ampoulé, et pourtant on est bien obligé d’admettre que cette tentative aventureuse, presque à découvert, de leur leader Hamilton Leithauser nous touche d’emblée. Et Dieu sait si l’exercice est périlleux : une approche orchestrale qui aurait pu tomber à plat et le ridiculiser à jamais. Mais cette mise à nu, au contraire, nous livre quelque chose de lui qu’on n’a pas su comprendre précédemment. D’abord, on tient là un merveilleux songwriter et mieux que ça, un subtil arrangeur qui lui permet de tutoyer l’art d’un Scott Walker par exemple. (E.A.)


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DU 28 JUIN AU 19 OCTOBRE 2014 MAMCS / PLACE HANS-JEAN-ARP WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU

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Patrick Bailly-Maître-Grand Colles et Chimères

Patrick Bailly-Maître-Grand, Les Gouttes de Niépce, 2006, épreuve au chloro-bromure d’argent avec virage © Musées de Strasbourg. Graphisme : Rebeka Aginako

LA RODIA - BESANÇON CATS ON TREES I ÁSGEIR I PARA ONE JAMAICA I SHIT ROBOT I PEGASE I THE ACID I DJ FLY I BOBMO I SAY YES DOG BODY BEAT I KAROL CONKA I VERVEINE PONCTUATION I I ME MINE I COELY I LA FINE ÉQUIPE I ZIG ZAGS I BOMBAY SHOW PIG CARTE BLANCHE AU CONSORTIUM I + ... 21/09 PRÉ DÉTONATION : SOHN + YOGGY ONE

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En partenariat avec le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône

IDENTITÉS PLURIELLES TOŻ SAMOŚĆ

—  bi joux  —

c lt s

— Du mercredi au dimanche de 14h à 18h (tous les après-midi en juillet et en août)

Musée des Beaux-Arts

4, place Guillaume Tell, Mulhouse Exposition du 14 juin au 31 août 2014 Entrée libre tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30

— Infos / 03 88 90 29 39 www.ville-haguenau.fr

— Haguenau Musée Historique Chapelle des Annonciades Espace Saint-Martin

Graphisme . Antoine Caquard

de trésors en créations du  2 1 . 0 6  au  0 9 . 1 1 . 2 0 1 4


lectures

MR GWYN

ALESSANDRO BARICCO / GALLIMARD

DÎNER AVEC LENNY

JONATHAN COTT / CHRISTIAN BOURGOIS On aime les entretiens de Jonathan Cott, le journaliste de Rolling Stone dont on avait déjà publié en français ses interviews avec Bob Dylan, John Lennon ou Glenn Gould. Mais celui-là, on l’aime encore plus que les autres ! Non pas parce qu’il s’agit du dernier entretien accordé par Leonard Bernstein. Non, mais plutôt parce que l’échange entre les deux hommes nous amènent au cœur de l’histoire de l’homme et de cette inconnue majeure : la création. Ce que formule Bernstein, sur la musique bien sûr, ses interprétations historiques ou sur ses compositions, dépasse largement le cadre de l’artiste lui-même. Implicitement, dans un étonnant jeu de miroir, il renvoie la question à l’intervieweur sur ce qu’il est, lui, et par ricochet sur que nous sommes, nous. Le final saisissant laisse cette question ouverte : une question dont on constate qu’elle n’appelle plus de réponse désormais. (E.A.)

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Mr Gwyn est un écrivain qui en a assez d’être romancier et veut se consacrer à l’écriture de portraits, au grand dam de son éditeur. Il s’agit alors de trouver un local qui servira d’atelier, une ambiance sonore à diffuser et la lumière parfaite pour éclairer le modèle. Observer pendant de longues heures celui qu’on souhaite peindre avec les mots, et plus tard, trouver le mot juste. Faut-il être en panne d’inspiration pour envisager d’écrire sur l’écriture ? Que nenni, le prodige Alessandro Baricco se lance et réussit l’exercice sans se mordre la queue. Mr Gwyn est un récit, Mr Gwyn est un personnage, Mr Gwyn est aussi poésie, émotion, musique, lumière. (M.M.)

NEAL CASSADY

UN TRUC TRÈS BEAU QUI CONTIENT TOUT / FINITUDE Et si pour une fois le titre disait tout justement ? Neal Cassady n’est pas le plus connu des auteurs Beat, mais peut-être est-il l’un des plus importants. Lui qui a inspiré à Kerouac le personnage principal de Sur La route était l’une des figures centrales d’une génération de poètes qui ne disait pas encore son nom. On découvre dans ce premier volume de sa Correspondance, non seulement qu’il était un merveilleux auteur mais aussi un personnage hautement cultivé, quoique constamment subversif. En fait, la conscience éclairée, l’ange visionnaire de Kerouac et de son ami intime, Allen Ginsberg. (E.A.)

UNE ENFANCE DE RÊVE

CATHERINE MILLET / FLAMMARION Récit autobiographique, Une Enfance de rêve raconte avec une acuité saisissante les premiers âges, de la petite enfance à l’adolescence, de Catherine Millet. Mais le « rêve » suggéré ici est bel et bien ironique et là où d’autres se laisseraient aller à un regard nostalgique, voire complaisant, sur leur propre passé, l’écrivaine et critique d’art applique, au contraire, l’intelligence d’esprit qui la caractérise. L’évocation des moindres faits s’accompagne ainsi d’une exigence absolue et d’une mise en perspective. Dans ce travail sur la distance la séparant de la jeune fille d’antan, se dessine aussi une tentative de capter ce qui dans ce gouffre a permis à la femme de se construire. Parfois malgré elle. (C.C.)

CE SIÈCLE AURA TA PEAU PATRICK EUDELINE / LE MOT ET LE RESTE

Ce roman percutant flirte avec le sordide et la cruauté, chers à Céline. Dans une langue verte et alerte, le lecteur suit les errances de Vincent et Marie, deux éclopés qui se rencontrent le soir de Noël, à Pigalle… Underground, trash et chaotique, Eudeline restitue avec un véritable sens de la formule et de l’observation le rythme trépidant de la ville lumière : « L’ensemble créait une faune revenue du punk et des rêves d’artistes, moins branchée qu’à Bastille, moins middle-class qu’aux Abbesses. Un lumpenprolétariat du rock, qui se regardait vieillir, en tremblant ». (F.V.)


C r éd i t p h o t o : P i e r r e F i l l i q u e t / C o n c e pt i o n g ra p h i q u e : M e i Ya n g

Avec Pedro Barateiro, Lothar Baumgarten, Mariana Castillo Deball, Henri Chopin, Natalie Czech, Dora García, Jean-Pierre Gorin, Runo Lagomarsino, Quinn Latimer & Megan Rooney, Matt Mullican, Musa paradisiaca, Clemens von Wedemeyer, Katarina Zdjelar ; un ensemble d’œuvres de la collection Marc et Josée Gensollen ; une lecture de Quinn Latimer & Megan Rooney le 17 juillet à 19h ; et A Stuttering Exhibition, une conférence de Vanessa Desclaux le 21 septembre à 16h30. Exposition du 19 juin au 21 septembre 2014. Ouverte du mardi au vendredi de 10h à 18h, le week-end de 14h30 à 19h. Fermée du 11 au 17 août 2014.

F o t o g ra f i s c h e Annäherungen

URBANE LANDSCHAFTSKU LISSEN LES COULISSES DU PAYSAGE URBAIN Approches P h o t o g ra p h i q u e s

Exposition 28 . 0 6 - 0 3 . 0 8 2 014

Sabine Clochey Simone Demandt Pierre Filliquet Christian Knörr Gauthier Sibillat Pierre S oignon F l o r i a n Ti ed j e

H o ra i r e s d ’o u v e r t u r e J e u d i / v e n d r e d i 16 : 0 0 - 19 : 0 0 S a m e d i / d i m a n c h e 11: 0 0 - 17: 0 0 E n t r ée l i b r e

Ku nstha us L 6 ,

L a m e ys t r. 6 7 910 8 F r e i b u r g

18 rue du Château F- 68130 Altkirch +33 (0)3 89 08 82 59 www.cracalsace.com

médiapop + STARHLIGHT

05.06 —24.08 2014 EntréE librE Tél : 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

Transposition 1, 2013 (détail) – Acrylique, papier, feuille de palladium et laque, 100 x 200cm – ©Anna Ostoya


Emmanuel “Pop” Blondeau 1973 — 2014



Bagarre

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Chloé Tercé / Atelier 25



Krištof Kintera I am not You

11 juin –28 septembre 2014 musée tinguely, Bâle

Demon of the Growth, 2014


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