NOVO N°28

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La culture n'a pas de prix

02 —> 03.2014

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BIENNALE INTERNATIONALE CORPS-OBJET-IMAGE LES GIBOULÉES DU 22 AU 30 MARS RENSEIGNEMENTS & RÉSERVATION 03 88 35 70 10 / reservation@tjp-strasbourg.com

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ours Nº28 Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Claire Tourdot Direction artistique et graphisme : starlight

Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Gabrielle Awad, Julie Baier, Cécile Becker, Betty Biedermann, Laurine Biessy, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Anthony Ghilas, Justine Goepfert, Sébastien Grisey, Apolline Hine, Xavier Hug,Virginie Joalland, Claire Kueny, Nicolas Léger,Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Julien Pleis, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Valentine Schroeter, Soraya Safieddine, Jolan Thouvenot, Claire Tourdot, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES ET ILLUSTRATEURS Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Oriane Blandel, Aglaé Bory, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Pierre Chinellato, Caroline Cutaia, Sherley Freudenreich, Sébastien Grisey, Marc Guénard, Stéphane Louis, Marianne Maric, Patrick Messina, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Arno Paul, Yves Petit, Olivier Roller, Dorian Rollin, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly.

CONTRIBUTEURS Bearboz, Catherine Bizern, Christophe Fourvel, Vanessa Schmitz-Grucker, Yves Tenret, Chloé Tercé, Sandrine Wymann.

COUVERTURE Lolita Chammah par Renaud Monfourny www.renaudmonfourny.com IMPRIMEUR Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : février 2014 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2014 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.

Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com — 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire

médiapop 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr — 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr

ABONNEMENT — www.novomag.fr Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros — 40 euros / 12 numéros — 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros — 50 euros / 12 numéros — 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser Novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros — 25 euros 1 carton de 50 numéros — 40 euros

sommaire Édito — 05

CARNET Le monde est un seul / 27, par Christophe Fourvel — 07 Pas d’amour sans cinéma / 18, par Catherine Bizern — 09 Bréviaire des circonstances / 08, par Vanessa Schmitz-Grucker — 11 Palimpseste / 01, par Yves Tenret — 13 Bagarre / 02, par Chloé Tercet/Atelier 25 — 98

FOCUS La sélection des spectacles, festivals,expositions et inaugurations à ne pas manquer — 15 Une balade d’art contemporain par Bearboz et Sandrine Wymann : exposition de François Daireaux et François Génot au Schaufenster à Sélestat — 36

RENCONTRES Emmanuel Mouret et Virginie Ledoyen à Strasbourg — 38 Pierre Deruisseau au festival Tout Mulhouse lit — 40 Lee Ranaldo and The Dust à Metz — 42

MAGAZINE Rencontre avec un touche-à-tout de l’édition, l’inépuisable Massin — 46 À mi-chemin entre l’Algérie et la France, Camus raconté sous la plume de Salim Bachi — 52 Clément Cogitore expose son travail au MAMCS et au CEAAC — 56 Quel statut pour le tableau ? Degottex dégage quelques pistes au Frac Bourgogne — 60 Le ready-made décliné par les artistes contemporains dans Les Choses au Frac Franche-Comté — 61 Métissages et réflexions sociales par Naji Kamouche à l’Espace d’art contemporain André Malraux de Colmar — 62 Flashs, planques et moments d’intimité volés au cœur de l’exposition Paparazzi au Centre Pompidou-Metz — 64 Variations photographiques autour du portrait par Amelie Zadeh à l’espace Stimultania à Strasbourg — 65 La fabuleuse amitié entre Patrick Messina et André S. Labarthe exposée au CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy — 66 Renaud Monfourny revient sur sa carrière de photographe rock et sa rencontre avec Morrissey — 68 Le premier album de New Order revu à la sauce Peter Hook : retour sur des années de légende — 72 Tragédie clôt une trilogie chorégraphique imaginée par Olivier Dubois au Maillon et à La Filature — 74 À la croisée des frontières, Melting Pot est le produit de la rencontre de jeune gens aux origines multiples — 76 Sur la scène de l’opéra, Ivan Cavallari donne vie au héros des enfances italiennes Pinocchio — 78 Renaud Herbin inaugure ses premières Giboulées de la marionnette avec le TJP de Strasbourg — 82 L’heure du bilan pour Benoît Lambert, à la tête du Théâtre Dijon Bourgogne depuis un an — 84 Double dose de Joël Pommerat sur les planches du Centre Dramatique National de Besançon — 86 Alexandra Badea remporte le Grand Prix de littérature dramatique pour Pulvérisés mis en scène au TNS — 88 L’égarement d’une nation sud-africaine déchirée et mise à nu dans Disgrace au Maillon à Strasbourg — 90

SELECTA Disques — 93

Livres — 95

DVD — 97

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S O U S LE H AUT P A T R ONA GE DE S O N A LTE S S E ROY A LE LA GR A N DE- D U C H E S S E

NY–LUX

EDWARD STEICHEN AWARD 2004–2014

E X P O SI TI O N 14/ 0 2 / 2 0 1 4 – 0 6 / 0 6 / 2 0 1 4 VERN I S S A GE 13/ 0 2 / 2 0 1 4 , 1 8 H-2 0 H3 0 ARTISTE S : BE R T ILLE B A K , ÉT IENN E B O U L A N G E R , J E F F D E S OM , S O P HIE J UNG, M A R IA L O B O D A C L AUD I A PA S S ER I, S U-M EI T S E En collaboration avec : En mémoire de Henry J. Leir

Étienne Boulanger, Grafts, 2004–2006. Vue issue d’un ensemble de 81 ektachromes 24 × 36 mm (détail) © Photo : Étienne Boulanger

Mudam Luxembourg Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean

3, Park Dräi Eechelen L-1499 Luxembourg

info@mudam.lu www.mudam.lu

t + 352 45 37 85 1 f + 352 45 37 85 400


édito Par Philippe Schweyer

J’ai un ami cinéaste. Cela fait des années qu’il prépare son premier film. Pour ne pas être obligé de travailler, il est retourné vivre chez ses parents. Comme il n’a pas de grands besoins, il n’a rien d’autre à faire que de réfléchir à son film. Alors que beaucoup de cinéastes en herbe se lancent avant d’avoir pris le temps de penser à ce qu’ils ont à dire, mon ami risque de perdre le fil de son film à force de se poser des questions. Une ou deux fois par semaine, il me téléphone en pleine nuit pour me faire part de ses interrogations : – T u crois que notre vie est enregistrée quelque part ? Tu crois qu’un réalisateur invisible est en train de nous filmer ? – Ça m’étonnerait. Dieu ne se prend pas pour Godard… – Appelle-le comme tu veux, mais essaye d’y penser sérieusement. Imagine que ta vie est filmée et que tu n’as le droit qu’à une seule prise. – J’ai déjà du mal à me regarder dans une glace, alors m’imaginer vivre dans le film de ma vie… – Tu sais, je ne peux m’empêcher d’avoir de la peine pour celui qui me filme peut-être. Hier par exemple, je suis resté allongé sur mon lit toute la journée. Les yeux fermés, je pensais très fort à la caméra invisible qui était sûrement en train de zoomer sur mon visage. – Tu penses trop… – Tu crois que je suis dingue ? – Tu devrais sortir t’aérer les idées au lieu de rester enfermé toute la journée.

– Je me suis rendu compte qu’il n’y a qu’au lit que je parviens à méditer. Si tout le monde restait toute une journée au lit pour réfléchir au sens de la vie, je suis sûr qu’on réussirait à résoudre pas mal de problèmes. – Tu ferais mieux de faire ton film plutôt que de te soucier des problèmes des autres. – Mon problème à moi, c’est que je voudrais faire un film qui ait du sens. – Qu’est-ce qui t’en empêche ? – J’ai peur d’être ennuyeux. – Un vrai cinéaste n’a peur de rien. – Je ne sais même plus ce qui est le plus fort, le cinéma ou la vie ? – Le cinéma est plus fort que la vie. Surtout si tu restes au lit toute la journée. – L es nuits d’ivresse, il m’arrive de croire le contraire… Je m’imagine que ma vie est plus forte que n’importe quel film, même de Cassavetes. – Peut-être, mais la vie ne tient qu’à un fil. Crois-moi, tu ferais mieux de faire ton film avant qu’il ne soit trop tard… – Pourquoi tu dis ça ? – Parce que la mort frappe autour de nous et qu’il n’y a rien de pire que de perdre ses amis. – J e sais. Sauf, peut-être, de partir avant eux ? – Voilà un sujet pour ton film ! – Tu crois ? – Si tu filmes tes amis, il ne pourra plus rien leur arriver. – À moi non plus ? – À toi non plus. L’amitié est plus forte que la mort.


CHAUSSON

LE ROI ARTHUS

Une légende retrouvée

NOUVELLE PRODUCTION

DIRECTION MUSICALE

Jacques Lacombe MISE EN SCÈNE

Keith Warner Chœurs de l’OnR Orchestre symphonique de Mulhouse

14 03 13 04 14, 18, 21, 25 mars 20 h 16 mars 15 h

MULHOUSE LA FILATURE 11 avril 20 h / 13 avril 15 h

www.operanationaldurhin.eu

photo Nis&For – licences 2-1055775 et 3-1055776

STRASBOURG OPÉRA


Le monde est un seul

Christophe Fourvel

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Les hommes qui se refusent aux femmes qu’ils aiment The Lunchbox de Ritesh Batra est un de ces films venus de loin, d’un ailleurs du cinéma où l’artistique et l’humanisme sont des notions assez peu différenciées. Il en arrive quelques-uns sur nos écrans, bâtis humblement autour d’une histoire simple entre des gens simples, saisis parmi la foule de ceux qui, d’habitude, vivent et meurent en silence. Des histoires de gens qui quittent leurs villages, qui attendent un enfant, qui s’aiment sans se l’avouer. Des histoires de pauvreté dans la neige gelée, en bout de pistes poussiéreuses, dans des mégapoles éreintantes. Des films qui viennent d’Arabie Saoudite (Wajda, d’Haifaa Al Mansour), du Chili (ceux de Carlos Sorin), de Norvège (Nord, de Rune Denstad Langlo) du Tadjikistan ou de Sébastopol (Luna Papa ou Le Costume de Bakhtiar Khudojnazarov), d’Arménie (Vodka Lemon, d’Hiner Saleem), de Georgie (L’été de mes 27 baisers de Nana Djordjadze)... Sans doute en ai-je beaucoup raté. Il faut une grande vigilance, dans les filets de la distribution ordinaire, pour attraper ces drôles de poissons. The Lunchbox peut se prévaloir d’une visibilité beaucoup plus grande que certains des autres titres cités. C’est une histoire qui se passe à Bombay, une ville, un pays, où les gens se font livrer sur leur lieu de travail, leur déjeuner dans des boîtes thermostatiques. Ila se donne beaucoup de mal pour cuisiner des mets délicieux à son mari qui la délaisse pour son téléphone portable, son boulot et sans doute, une femme au parfum entêtant qui imprègne ses chemises. Mais son offrande quotidienne, dont la seule vision met l’eau à la bouche du spectateur, arrive sur le bureau d’un autre homme, Fernandez, un veuf ténébreux, peu enclin à la discussion. De cette erreur d’acheminement va naître une relation épistolaire, via des petits mots laissés au fond de la lunchbox. Fernandez et Ila se diront ce qui ne trouvait aucun air libre où s’exhaler, aucune oreille où se comprendre. Lui est à quelques jours de la retraite. Elle, à quelques pas parfois de vouloir mourir. Comme beaucoup de ces films dont il est question plus haut, The Lunchbox est tricoté avec peu de mots. Mais peut-être ont-ils en charge une part plus grande du cœur de ceux qui les prononcent. Car chez les héros de ces films, venus d’un ailleurs du

cinéma que je ne sais pas nommer, les mots s’extirpent du silence, encore alourdis par la masse de solitude qui fait l’essentiel de nos vies. Ils résonnent de savoirs et de sagesse centenaires sans jamais avoir l’ambition d’inventer. Un personnage secondaire de l’histoire dit ceci : « il arrive que le mauvais train vous emmène dans la bonne gare ». La phrase ressemble à un simple bagage embarqué sur un rickshaw de Bombay... Un viatique pour supporter nos égarements inévitables, avec l’espoir, toujours, de ne pas nous perdre définitivement. Sans révéler tout de l’intrigue, Fernandez se refusera d’abord à Ila, au prétexte de son âge. Ils sont rares, au cinéma, les hommes qui se refusent aux femmes qui font battre leur cœur. Je pense à Chauvin et à Moderato cantabile de Peter Brook, à ce noir et blanc d’une époque où les grands patrons habitaient dans les beaux quartiers de la ville ouvrière, tandis que leurs femmes emmenaient les enfants à la leçon de piano. C’était avant que celles-ci ne déménagent pour Davos, « Upper East Side », Nantucket. Elles avaient encore un corps « visible » pour s’ennuyer, languir et désirer et Chauvin, alias Belmondo, désire un tel corps. Mais il finira par dire non à Anne Desbaredes. Il existe mille raisons de ne pas se donner aux femmes que l’on aime : la classe sociale, les castes indiennes, l’âge ; une forme de jouissance mélancolique. Une blessure faite au bonheur. Chauvin n’a pas de prénom dans le film. Comme Fernandez que tout le monde appelle Fernandez. Enfin, tout le monde... Quelques enfants, un patron, un collègue de bureau. Peut-être faut-il parler à peu de gens pour leur parler vraiment ? Peut-être faut-il se tromper de train pour apprécier le simple fait de parvenir à la bonne gare ? Je vous souhaite à tous, pour l’année qui vient, des chemins surprenants vers des destinations espérées.

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André S. Labarthe

Deux nouveaux titres disponibles

André S. Labarthe

André S. Labarthe

Madagascar

recueil de dessins

Belle à faire peur (accords perdus 4)

Photo : Patrick Messina

« On l'aura compris : le lapsus est au cœur de ces recueils dont l'agencement doit tout au hasard. Le lapsus et son cortège de vérités noires jetées sur le papier comme on se jette par la fenêtre au terme d'une vie encombrée de méprises ou d'approximations également inexcusables, de faux souvenirs, de contrevérités, de déchets divers, de tout ce que je reproche aux écrivains que j'admire de traquer avec soin puis d'éliminer. Oui, c'est cela : je souhaite qu'on circule parmi ces notes comme dans un inconscient. »

Autres livres d'André S. Labarthe parus chez LimeLight Éditions, disponibles au siège de l’association :

Le Traité du verre, en effet (Accords Perdus 3), 2011, 15 € Happy end (Accords Perdus 2), 2008, 15 € Bataille, Sollers, Artaud, 2002, 20 € Bataille à Perte de Vue (Le Carnet), 1997, 14 € À Corps Perdu, Évidemment, 1997, 15 € Tempo, 1993, 10 €

Chic Médias - LimeLight Éditions

Chic Médias - LimeLight Éditions

82 pages - 24 €

72 pages - 19 €

LimeLight Éditions 11, rue du Milieu - 67202 Wolfisheim / bruno@limelight-editions.fr


Pas d'amour sans cinéma

Catherine Bizern

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Ne plus croire Hawks C’est en lisant Alain Badiou et son Éloge de l’amour que j’ai enfin compris : j’avais été dupée par Hawks, mystifiée par ses histoires, illusionnée même. Chez Hawks, cela se passe à peu près comme cela : un homme attirant et décidé, fort et sûr de lui, leader d’une bande de professionnels réunis dans une situation de risque absolu, s’acquitte de sa tâche avec bravoure et succès... Et pendant ce temps, il conquiert une femme, elle-même aventurière dont le comportement hors de toute convention, l’insolence et l’intelligence, fascinent autant que la beauté naturelle ou sauvage. D’ailleurs, c’est elle qui l’a conquis, lui, malgré sa maladresse, malgré sa goujaterie, sa méfiance vis-à-vis d’elle et de la gente féminine… Chez Hawks, l’homme est cynique, la femme est fière et n’a rien à envier aux hommes en terme de passé chargé, de vie professionnelle, ou d’aventures amoureuses. Quant au sexe, on devine qu’elle en a joué et que cela l’a moins traumatisée que la vieille histoire d’amour qui a mal tourné de son partenaire. Chez Hawks, l’homme et la femme ont l’élégance d’être prêts à poursuivre leur mission autant qu’à se poursuivre l’un l’autre. Ils pourraient vivre l’un sans l’autre, n’ont même aucun besoin l’un de l’autre, et pourtant ils sont faits l’un pour l’autre, seront meilleurs l’un avec l’autre, en dépit de leur farouche indépendance, de leur désir de se réaliser seul, voire de leur monstruosité respective… Et c’est ainsi que Hawks m’a fait croire à l’amour, un amour qui ne me priverait pas de moi-même. Mais chez Hawks, en matière amoureuse, seul compte le triomphe de la séduction, le miracle de la rencontre. La vie à deux n’existe pas. Et si on voulait bien s’y attarder un peu plus, on se demanderait sans doute comment les Slim et Steve de To Have and Have Not, les Vivian et Marlowe de The Big Sleep, les Bonnie et Jeff de Only Angels Have Wings ou même les Susan et David de Bringing Up Baby vont pouvoir passer à l’étape suivante. L’engagement au-delà de se sauver la vie, le quotidien au-delà de l’aventure, l’enjeu du couple au-delà de celui de la conquête… Et s’ils peuvent vivre l’un sans l’autre, s’ils n’ont aucun besoin l’un de l’autre, sont-ils alors faits l’un pour l’autre ? Seront-ils meilleurs l’un avec l’autre ? Leur farouche indépendance, leur désir de se

réaliser seul, voire leur monstruosité respective ne seront-ils pas autant d’obstacles infranchissables, de coups d’arrêt pour le couple en devenir ? Alors Hawks s’en tient à la rencontre, en restitue toute la dimension sensible, son intrigue, sa puissance, son intensité, son miracle, et nous fait croire à l’amour... Mais dans la vraie vie, ce miracle de la rencontre n’est pas grand chose s’il ne se transforme pas en histoire d’amour ! Désir inévitable dans la vraie vie. Parce qu’il y a le temps et cette irrépressible plongée vertigineuse dans la relation que l’on voudrait (naïvement) absolue… Le cinéma s’en tient à l’événement comme si l’instant était l’éternité. Mais l’instant de la rencontre miraculeuse n’est en rien promesse d’amour éternel. Après le mot « fin », et le noir revenu sur l’écran, reste l’épreuve de la durée…

The big Sleep (Le Grand Sommeil)

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METZ MÉTROPOLE PRÉSENTE LES EXPOSITIONS

SUR L’ÉCOLE DE PARIS AU MUSÉE DE LA COUR D’OR

PHARES CHEFS-D’ŒUVRE DU CENTRE POMPIDOU AU CENTRE POMPIDOU-METZ

À PARTIR DU 14.02.14 musee.metzmetropole.fr

MUSÉE DE LA COUR D’OR METZ MÉTROPOLE 2 rue du Haut Poirier - 57000 METZ Renseignements : + 33 (0)3 87 20 13 20 musee.metzmetropole.fr

centrepompidou-metz.fr

Conception : Metz Métropole - Pôle Communication, janvier 2014. Maurice Estève, Pouirac (détail), 1970, huile sur toile, 100 x 81 cm.

REGARDS


Bréviaire des circonstances

Vanessa Schmitz-Grucker

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Le Marégraphe (2) D’ici à ce que nous arrivions, je n’ai que deux possibilités. Me plonger dans un coma artificiel qui fera dire aux autres que je suis froide, distante, égoïste ou bien continuer cette lutte, toujours cette même lutte avec moi-même qui entraîne les autres dans un malheur d’autant plus grand qu’il leur est étranger. L’impatience ou le désir. Tout est dans la façon dont on s’arrange avec soimême et qui vaut pour conversion, repentance ou clémence. La clémence, cet entre-deux qui évite de prendre des décisions définitives et d’imposer à l’autre ses désirs quand son objet même vous échappe. Telle une peur souterraine, il se perd dans les dédales d’un labyrinthe dont la porte semblait pourtant fermée. Alors, je rêve à une troisième voie. J’imagine un monde en pelote de laine rouge qui laisserait un fil s’échapper pardelà le pare-brise. Je saisis le fil et m’y agrippe désespérément mais très vite la pression de mes mains se relâche. Le monde n’a plus rien d’un labyrinthe ni d’un souterrain. Il s’est fissuré suite à un glissement de terrain et sa pâle indulgence s’est frayée un chemin. Plus rien ne se perd, plus rien ne se dissout, plus rien ne s’oublie. Un marégraphe, au sommet d’une colline, envoie les signaux dont j’avais besoin. Il n’y a plus rien à penser, plus rien à prévoir, plus rien à décider. Je me laisse porter par des fluides qui m’apaisent sans m’effleurer. Des gémissements à l’arrière me ramènent pourtant à la réalité. J’ai encore loupé le coche. J’aurais dû me plonger dans mon paisible coma sans me préoccuper du monde qui m’avait laissée là où j’étais, un peu plus en arrière même. Complètement larguée, en fait.

Il est des gens qu’on aimerait voir privés de mots. On les regarde, on les tolère, on s’accommode de leur présence mais rarement de leur voix. Parfois, on les entend tant qu’on ne les voit plus. Ou on les voit tant qu’on ne les entend plus. Quand l’une de mes sœurs se réveille, l’autre s’endort. Sans même s’en rendre compte, elles se sont entendues pour ne jamais me laisser de répit. Leurs plaintes m’empêchent de voir s’il y a toujours les mêmes petites tâches noires sur le soleil, aujourd’hui. Pourtant la plus jeune semble à peine touchée par ce qui se passe. Raison de plus pour qu’elle se taise, d’ailleurs. Mais non, elle est comme le monde, elle ne s’arrête jamais, elle comble toujours les instants d’attente par d’affligeantes banalités au grand dam de mes grandes idées toutes aussi fourbues les unes que les autres. Elle souffle gentiment. Elle commence toujours ses phrases par « Je sais ». Elle sait. Elle dit qu’elle sait. Elle sait peut-être mais le temps qu’elle croit savoir moi je préfère regarder ma chute sans fin et son impact sur le bitume.

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Palimpseste

Yves Tenret

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La fois où Ingold allait bien « Yo, comme souvent, essaie en vain de relativiser. (Que je réchauffe mon corps au trottoir sans possibilité de trêve gargouillant des mots sans sens me pissant dessus misérable méchanceté suant abjectitude rancœur haine). Il ne veut pas de ce juste milieu tiède de tout le monde. Il rumine donc de sombres pensées en regardant l’eau sombre du canal au travers de la vitre embuée. » K. I. Vous ne le savez sans doute pas mais quand on est vieux, on ne s’emmerde pas tant que ça, on a plein d’occasions de distractions pas mal divertissantes, les morts par exemple qui se suivent, ne se ressemblent pas et donnent enfin l’occasion de pondre un texte allègre. Né à Thann le 12 juillet 1964, Kristian Ingold est mort, début décembre 2012, à l’âge de 49 ans. Je lui répétais : « Pars et ne te retourne pas. Quitte Mulhouse ! Va te confronter au monde. Tu n’es pas obligé d’aller dans une grande ville, si tu n’en as pas envie. Tu peux aller à Marseille ou à Lyon. » Eh non, sans doute à cause de fortes attaches familiales, il est resté là à se mordre la queue… Et de ce côté là, il faut reconnaître que cette ville n’a pas été ingrate avec lui. Elle l’a exposé deux fois à l’École des Beaux-Arts, une fois à la Villa Steinbach et lui a accordé un grand prix de la sculpture, deux aides à la création, deux bourses, un atelier et la commande d’une sculpture publique. Sa première exposition a eu lieu en 1988 chez Finnegan’s, la fameuse ex galerie de Thomas Soriano, sise à Strasbourg. Ensuite, pendant les 25 ans suivants, il a fait une dizaine d’expos, quasi toutes dans l’Est. Grand travailleur à de petites besognes, il était de ces artistes qui font les choses pour elles-mêmes et non pas pour soi ou pour autrui. Il ne désirait pas séduire. Ce qui explique sans doute pourquoi il n’y a jamais ni maniérisme, ni régression dans ses pièces. Tout y est net, carré, sans bavure, sans graisse inutile, sec et kleen ainsi qu’il l’était lui-même. Comme matériaux, il utilisait des choses extrêmement diverses, des tôles galvanisées, des souffleries industrielles, du papier, des vernis, des idées, des questionnaires, des friches industrielles, du son, de la vidéo, des chaises, son corps – ô oui, beaucoup son corps, comme il l’aimait celuilà ! – et, chaude ou froide selon les moments, d’une rage inépuisable. Nombreux sont les gens qui se souviennent que lors de l’un de ses vernissages,

dans une bouffée délirante, il a jeté un ordinateur par la fenêtre du deuxième étage du Musée des Beaux-Arts. Écorché vif, être de transition, de passage, plutôt que tisseur de lien, se dissolvant par à-coups, il avait fini par trouver tout ce qui était stable, haïssable. Le connu lui pesait et l’inconnu le fuyait. Macho à la Cassavetes, ses désirs, ses amours, son besoin de reconnaissance, il les transformait inéluctablement en agressivité. Pour le reste, ce mec était capable de se sevrer d’à peu prêt tout et à l’arrache. Mais quand cette merde de terreur se jette sur toi et te bouffe tout cru, y a sans doute pas grand chose à faire. « La taupe, aveuglée par la lumière brutale, maladroitement recule, bat en retraite dans son trou. Le corps enfin apaisé est abandonné à son propre abandon. Repu pour un court moment, il se mettra bientôt à gémir plus fort encore qu’avant », écrivaitil dans Plan Z, un périodique auquel nous avions collaboré tous les deux. « Ils sont pourvus, d’une cuirasse caractérielle qui les enferme étroitement, d’où la rudesse de leur contact. Cette cuirasse, qui est faite de renoncements, substance très résistante sécrétée par les déceptions, est articulée, ce qui explique leur goût aux grandes envolées sentimentales » (1), avais-je écrit moimême dans ce fanzine. Bien vu ! Shade! Je sais, il y aurait encore bien des anecdotes à raconter, mais je ne peux rien faire, on est rendu, je n’ai droit qu’à 3 000 signes. Ah oui, vite, une dernière chose : la fois où il allait bien. Ben… écoutez… je vous en parlerai un autre jour, ok ? 1 – www.derives.tv/Quand-j-etais-une-fille-Quand-j

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focus

Love lasts forever

Que la fête commence ! C’est sans doute l’événement de ce début d’année à l’Opéra de Dijon. S’attaquer à La Pellegrina c’est un comme vouloir économiser pour les soldes après la période de Noël : un peu difficile. Les Traversées Baroques et le metteur en scène Andreas Linos nous proposent de pénétrer au cœur de huit mois de préparation du spectacle le plus ambitieux du XVIe siècle : celui préparé à l’occasion des festivités nuptiales de Ferdinand 1er de Médicis et Christine de Lorraine au printemps 1589. L’Opéra de Dijon a spécialement commandé à Rémi Cassaigne un nouveau livret, nous plongeant dans les intrigues, les débats intellectuels, les préparatifs de ce spectacle. Il oublie presque le mariage et nous fait vivre l’histoire à travers les yeux des compositeurs et organisateurs de la fête. En 1589, personne n’avait encore jamais osé mélanger différentes disciplines artistiques, mais l’audace a élevé La Pellegrina au rang de premier opéra de l’Histoire, bien avant l’Orfeo de Monteverdi. Sept compositeurs ont été nécessaires à l’écriture de ce spectacle qui marie théâtre, musique, danse ou encore poésie. À cette époque, on engage une foule d’artistes de scène, confectionne 286 costumes, engage 82 machinistes. à Dijon, quatre hommes seulement seront aux manettes des machines. Impossible de toute façon de recréer les festivités nuptiales d’origine à l’identique, et ce n’est d’ailleurs pas la volonté d’Andreas Linos. Le metteur en scène conserve l’esprit « intermède » de la musique en l’intercalant sous forme de répétitions, casting, et même un « flash mob » joué au foyer durant l’entracte. L’Opéra de Dijon vise haut : faire du plus vieil opéra un show digne de ce nom. Par Gabrielle Awad — Photo : Gilles Abegg

LA PELLEGRINA, opéra du 1er au 5 février à l’Opéra de Dijon. www.opera-dijon.fr

Il le sait, Connan Mockasin, que rien jamais ne lui sera reproché, ni même ses égarements comme ce Caramel bien trop mou pour qu’on y croie vraiment. Il a suffi d’un disque – Forever Dolphin Love, chef d’œuvre absolu sorti en 2011 –pour qu’il rejoigne le panthéon de ces artistes pop qu’on adorera à jamais. Et même si ce NéoZélandais, trublion de la pop, le nie bien volontiers, tout en explorant des structures R’n’B d’aujourd’hui, il s’inscrit tout de même dans la tradition d’une pop psychédélique anglaise qui remonte à la fin des années 60 : sans jouer pour autant la carte du mimétisme à outrance, il en a le look, il en a l’esprit, il en le son. Il suffirait de juxtaposer quelques images ou même de passer quelques titres pour lui trouver quelque ressemblance avec le magnifique Kevin Ayers, entre autres figures majeures de l’époque, tout aussi délurées que lui. La chose apparaît encore plus évidente sur scène, où accompagné d’étranges créatures postmédiévales étrangement échevelées – parmi lesquelles le sublime clavier de Late of the Pier, Samuel Eastgate –, il nous plonge dans un univers totalement onirique, à la fois feutré et coloré, d’où les sons de sa guitare s’échappent avec parcimonie, de manière presque impressionniste. Pour ceux qui n’ont pas vécu l’expérience, il est grand temps ! Par Emmanuel Abela — Photo : Eric Antoine

CONNAN MOCKASIN, concert le 4 février à La Vapeur à Dijon et le 18 février à La Poudrière à Belfort. www.lavapeur.com www.poudriere.com

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Déshumanisation

Moutarde et pesto Pareil à un explorateur des lieux et des artistes du monde, Italiart ne cesse d’agrémenter sa feuille de route au fil des années. Pour sa 8e édition, le festival d’art contemporain va tenter de séduire, à l’italienne, certaines régions de France, Italie, Norvège, Chili et Corée du Sud, en plaçant ses artistes, leurs arts et les spectateurs au sein même de la création. Le départ du voyage est fixé du 7 au 31 mars à Dijon, où 24 jours durant, une énergie va être puisée à l’intérieur d’une puissance alternative : création et action alimenteront les artistes parmi la foule. L’art est pluriel, le programme y est donc éclectique, voguant entre représentations théâtrales et cinéma, lectures et concerts, d’une conférence à la chorale, de l’exposition photo aux bandesdessinées… Chaque représentation se réalisera dans un cadre propre, et toujours à proximité de l’auditoire, pour mieux se faire entendre et encore plus émouvoir. L’illustrateur Virginio Vona, pour sa part, arrive de Rome à la librairie Granger pour une séance de dédicaces de sa BD Fenice et une performance. Fenice est un personnage fantastique issu à la fois du comics et du manga, aux allures punk et à l’esprit underground. Il vit et se bat au sein d’un monde hypnotique, tourmenté entre rêve et réalité dont les traits abrupts des planches esquissent le songe d’une société aux violences glaciales, totalement contrôlée mais où les vices humains ont pris le pas sur la morale et sont poussés jusqu’à leur paroxysme… Un univers qui nous situe aux antipodes de celui dans lequel nous plonge généralement Italiart. La preuve d’une grande ouverture d’esprit. Par Jolan Thouvenot

ITALIART, festival du 7 au 31 mars à Dijon. www.malastranafestival.it

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La compagnie Longtemps je me suis couché de bonne heure présente Love and money, pièce représentative du mouvement inyer-face (« en pleine gueule ») des années 90. Joué dans un ordre antéchronologique, l’histoire de David et Jess est celle de deux individus qui s’aiment, une histoire d’amour comme on en voit souvent. Malheureusement. On découvre le récit d’une vie dans laquelle l’argent vient jouer le rôle de poison. L’histoire se déroule dans le contexte socio-économique du libéralisme triomphant qui a préparé la crise majeure que nous traversons. Incroyablement prémonitoire puisque la pièce écrite par Dennis Kelly fait dans l’une des scènes, une description virtuose de la crise des subprimes aux États-Unis, 3 ans avant que tout cela n’arrive. La consommation impulsive et banalisée de biens matériels, la recherche effrénée d’argent et de pouvoir ravage l’amour qui unissait David et Jess. On est loin du théâtre didactique, Love and Money, c’est simplement du théâtre d’acteurs qui part et parle de la vie, la nôtre, la vôtre. Avec une composition en sept tableaux, le texte de Dennis Kelly laisse une grande place à l’imaginaire, sans sombrer dans le jugement moral. Mais voilà, on finit par se poser de grandes questions philosophiques, sociales et politiques. Certains d’entre nous seront prêts à faire la révolution, d’autres voudront résilier leur abonnement à Internet, les plus dépensiers regretteront d’avoir fait les soldes, et les plus réalistes tenteront simplement de sauver l’amour qui leur reste. Par Gabrielle Awad — Photo : Franck Beloncle

LOVE AND MONEY, pièce de théâtre du 4 au 7 février au CDN de Besançon. www.cdn-besancon.fr


Time’ll save their souls

Back in USSR Pour le troisième ciné-concert de la saison à La Scène Nationale de Besançon, un film des débuts du cinéma soviétique, rarement montré à l’écran : Les aventures extraordinaires de Monsieur West au pays des bolcheviks, film muet de Lev Kouchelov de 1924, est une satire de la presse américaine et des films d’Hollywood. Mr West, conditionné par l’endoctrinement anticommuniste qui règne en Amérique, se rend en Union Soviétique la tête pleine de préjugés. Là, profitant de sa crédulité, des voyous lui soutirent de l’argent. Pour mieux l’escroquer, ils évoquent les méchants et sanguinaires bolcheviks. Mais grâce à une compatriote, Ellen, Mr West échappe à leurs griffes et les vrais bolcheviks présentent un visage radieux du pays à leur hôte. Dans la scène finale, Mr West, découvre la beauté du régime soviétique et finit par succomber devant ses charmes. Outre la (re)découverte de grands films qui font l’Histoire, les ciné-concerts sont parfois l’occasion d’offrir au public une approche de la musique orchestrale sous un autre angle, notamment quand elle joue, comme c’est le cas ici, un rôle d’accompagnement ou d’illustration appréciable – la musique de Benedict Mason, composée en 1984, rend cette comédie satirique particulièrement vivante. La dizaine de musiciens de l’orchestre Victor Hugo Franche-Comté, dirigés dans la fosse baroque du théâtre par Robert Tuohy, nouveau directeur musical de l’Opéra de Limoges, nous mène ainsi sur les pas d’un étrange compatriote, globe-trotter américain comme lui. C’est comme ça qu’en Franche-Comté, les films muets retrouvent leur voix tout en multipliant les clins d’œil. Par Gabrielle Awad

LES AVENTURES EXTRAORDINAIRES DE MONSIEUR WEST AU PAYS DES BOLCHEVIKS, ciné-concert le 28 mars à la Scène Nationale de Besançon. www.scenenationaledebesancon.fr

Annoncé aux côtés des Strokes comme l’un des groupes du renouveau du rock au début des années 2000, Black Rebel Motorcycle Club s’est vu rétrogradé au point de figurer parmi les pâles copies de The Jesus and Mary Chains. Face à la ferveur du public, certains ont revu leur position, notamment à l’occasion du psychédélique, net et fluide hit indie Beat The Devil’s Tattoo, leur accordant alors du bout des lèvres des performances scéniques intéressantes. Imperturbable, le trio livre des prestations au son brut portées par la voix à la fois mélodieuse et écorchée de Robert Turner. À l’occasion des dernières Eurockéennes de Belfort, le trio a fédéré autour d’un set onirique, emmené par des guitares graves et un son bien crasseux comme on les aime. Nul besoin d’artifices, leur prestance naturelle a fait le job. Et ça marche, à chaque fois. De l’hystérique Whatever happened to my rock’n’roll au planant Fire Walker, on se réjouit même de la reprise de Let the day begin dont le son s’appesantit sous la main experte d’un groupe qui mêle punk, blues et mélodies entêtantes. Quant à leur dernier opus, Specter at the Feast, on lui accordera volontiers l’étiquette du repentir pour l’inexcusable Howl en 2005. Malgré une fausse note – le gentillet Lose Yourself qui nous rappelle la détestable influence des frères Gallagher –, l’album a déjà ramené le groupe sur le devant de la scène rock, avec en bonus, Returning, un son digne de My Bloody Valentine, rien que ça ! Par Vanessa Schmitz-Grucker

BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB, concert le 15 février à la Laiterie à Strasbourg et le 17 février à la Rodia à Besançon. www.artefact.org www.larodia.com

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Omar de Hany Abu-Assad

Un cinéma débridé Déjà deux décennies que l’Asie élit domicile à Vesoul pour un rendez-vous cinématographique garantissant la découverte de nouveaux talents venus d’Orient. Pour cette nouvelle édition, 80 films inédits ou rares se profileront en sept sections à travers le prisme d’une sélection soignée, avec comme toile de fond, la mémoire et sa dimension artistique. Repoussant le cadre d’une Asie caricaturée, le festival part à la rencontre du Proche et de l’ExtrêmeOrient. Réalisé par Hany Abu-Assad – brillant cinéaste palestinien –, Omar mêle le thriller à la romance avec en filigrane la chronique d’un pays meurtri. Subtilement, il dévoile sa plaie béante qui est celle du mal être de la Palestine, sans pour autant alourdir l’intrigue de problématiques bien souvent vidées de leur sens, tant elles ont fait l’objet de réappropriations. Le film est un condensé de spontanéité, jouxtant l’intime et l’extime. Cette promiscuité émerge d’une anecdote personnelle contée au cinéaste par un ami homosexuel menacé d’être dénoncé auprès de sa famille par les services israélien s’il ne collabore pas. Ainsi à travers ce tissu riche, il met en scène des sujets simples, comme la manipulation et la résistance. Un film à valeur d’exemple, à l’image d’un festival pointu et engagé. À l’issue des projections, un jury international constitué notamment de Taraneh Alidoosti, Wang Chao, Philip Cheah et présidé par Brillante Mendoza s’employera à dénicher la perle d’Asie... Par Soraya Safieddine

FESTIVAL INTERNATIONAL DES CINÉMAS D’ASIE, du 11 au 18 février à Vesoul. www.cinemas-asie.com

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La ténébreuse Avec une voix aux sons éthérés qui l’inscrit parmi les grandes voix du jazz, la chanteuse belge Mélanie de Biasio nous offre une douce réminiscence jazz. Dans un style plus sombre que certains de ses modèles, Nina Simone, Peggy Lee ou Karin Krog, elle s’aventure au-delà des frontières du genre. No deals, à la fois platonique et profond, entretient sa promiscuité avec l’art. Elle joue sur les cordes du minimalisme et parfois du silence, avec des échos à la Mark Hollis l’ex-Talk Talk, ou même Robert Wyatt. Nul besoin de mille ornements, « la véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer le silence » disait Miles Davis. Si pour elle, l’art n’a pas de fin en soi, la beauté est érigée comme valeur suprême. Pareil à l’artiste qui se dévoile sur sa toile, elle lève le voile sur son univers propre, pas à pas, avec la discrétion de celle qui avance en toute humilité. Sa voix mystérieuse, s’envole, se pose puis frôle l’incandescence : des volutes se forment au gré d’une orchestration oscillant entre piano et batterie. La flûte, instrument enchanteur qui nous pénètre corps et âme, vient apaiser les cœurs les plus sensibles qui se seraient perdus dans ce trop séduisant dédale. Par Soraya Safieddine — Photo : Frank Loriou

MÉLANIE DE BIASIO, concert dans le cadre du festival Europe en Scènes le 12 avril à la MALS à Sochaux. www.mascenenationale.com


www.centredart-dudelange.lu

Gerson Bettencourt Ferreira ASSORTIMENT AQUATIQUE

Rico Sequeira QUAND JE ME REGARDE, LA GLACE ME RECONNAÎT

18.01.2014 – 22.02.2014

18.01.2014 – 22.02.2014

Flora Mar

Sophie Jung

MAPPING THE DARK CARTOGRAPHIES DE L’INCONSCIENT

THREE CHORDS AND THE TRUTH

08.03.2014 – 19.04.2014

08.03.2014 – 19.04.2014

Filip Markiewicz

Patrick Galbats

LE RETOUR DU PLOMBIER POLONAIS

DE CADENCE

03.05.2014 – 21.06.2014

03.05.2014 – 21.06.2014


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Family story

Forces de la nature Quand Eugène O’Neill écrit Désir sous les ormes en 1924, il fait le portrait d’une société américaine naissante et pourtant déjà déclinante. Considérée comme la première tragédie américaine jamais écrite, ce drame aux allures faussement rurales relate les déboires d’une famille paysanne recomposée à la Nouvelle Angleterre en 1850. Il y a Ephraïm Cabot, le vieux paternel remarié à une fraîche citadine prénommée Abbie, et puis Eben, dernier fils de la famille désireux de reprendre les rênes de la ferme familiale. Transposant la puissance des tragédies grecques dans un cadre américain, O’Neill construit un triangle amoureux incestueux entre des figures grossières aux désirs soudainement réveillés. Mais derrière ce tableau réaliste, émerge une portée métaphysique : Ephraïm aime parler à Dieu dans la solitude de son champ de pierre et cette parole intérieure mise à nue devient langage poétique. C’est cette sublimation du quotidien et cette ouverture sur le divin qu’a souhaité souligner Guy Pierre Couleau dans sa mise en scène d’une pièce trop peu connue du grand public francophone. À la manière d’un long récitatif, Désir sous les ormes fait de la condition humaine des petites gens un point de départ pour une réflexion sur l’état du Nouveau Monde. Un état d’alerte sur la faillite d’une civilisation en construction et l’échec de la cohabitation avec l’environnement. Et tout comme les peintres de l’Hudson River School peignaient au début du siècle une Amérique à la nature arcadienne, O’Neill esquisse les traits d’une possible rédemption. Par Claire Tourdot

DÉSIR SOUS LES ORMES, pièce de théâtre du 18 au 29 mars à la Comédie de l’Est à Colmar. www.comedie-est.com

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Quand il est question de réécrire un classique du théâtre russe, Myriam Saduis ne fait pas les choses à moitié. La Nostalgie de l’avenir commence littéralement là où La Mouette d’Anton Tchekhov s’achève, sur le suicide poignant du jeune Kostia. Remontant à contre-courant la trame du drame familial, la metteure en scène invoque les souvenirs et la mémoire de la lignée pour reconstruire à rebours une histoire immaculée de noirceur. Des treize personnages imaginés par le dramaturge Myriam Saduis n’en conserve que six, de manière à concentrer le propos sur cette famille résolument en avance sur son temps : père absent, fratrie recomposée, important écart d’âge entre les couples... un ancrage dans la modernité si marqué que La Nostalgie de l’avenir se déroule au cours du 3e millénaire. Et c’est sur l’ordinateur encore allumé de l’artiste amoureux que ses proches espèrent trouver une réponse à son geste fatal. Vidéos, projections et musiques se mêlent alors au texte original déclamé par de brillants acteurs pour un résultat détonnant. La poésie tchekhovienne gagne en intensité, en humanité, en pessimisme aussi, mais c’est pour mieux laisser place à un message lumineux. Car si la pièce s’ouvre sur la mort, elle se termine bel et bien sur une criante rage de vivre. Par Claire Tourdot — Photo : Serge Gutwirth

LA NOSTALGIE DE L’AVENIR, d’après La Mouette d’Anton Tchekhov, le 1er février au Théâtre la Coupole à Saint-Louis. www.lacoupole.fr


Mata !

Rêverie polonaise Comme tout bon titre, The Night of the Great Season est polysémique et intrigant. S’agit-il de la nuit propice à l’onirisme ? À quoi renvoie cette saison grandiose ? Est-ce la nuit ou une métaphore indiquant un déclin ? C’est par ce jeu langagier que Martha Kirszenbaum a décidé d’intituler la première exposition de la saison 2014 pour laquelle elle est commissaire associée : serait-ce elle la nuit ? Française de résidence, Étatsunienne de cœur, c’est toutefois pour la Pologne, son pays natal et ses représentants du surréalisme, que nous embarque cette jeune femme. Un pays qui pourrait tout aussi bien s’accommoder du titre : une grande nation souvent perçue comme lointaine et engoncée dans des stéréotypes rassurants. Pourtant, la vie artistique et littéraire polonaise connût, à l’image de sa destinée politique, une histoire tourmentée mais fertile. Le surréalisme ne pouvait trouver meilleur terreau qu’ici pour se confronter aux expérimentations postmodernes d’une contemporanéité sans cesse mise à mal. Perte de valeurs ? Dérèglements sociaux-économiques ? Faillite du politique ? Qu’à cela ne tienne, le refuge dans les arcanes magiques, l’inquiétante et imperturbable vérité des grands falsificateurs que sont les surréalistes, sont autant de remèdes salvateurs à la morosité ambiante. Toute une nouvelle génération d’artistes, se réappropriant les illustres techniques de l’écriture automatique au cadavre exquis, sera présente aux côtés des géants historiques que sont Bruno Schulz – clé du titre – et Tadeusz Kantor, trop rares et méconnus en France. Par Xavier Hug

The Night of the Great Season, exposition du 19 février au 11 mai à la Kunsthalle de Mulhouse. www.kunsthallemulhouse.com

Le mythe de l’artiste maudit, qui doit souffrir pour être digne de son génie, a été décortiqué avec une férocité caustique dans Torturez l’artiste ! de Joey Goebel. Et ce n’est que très récemment que la case métier « artiste », plus exactement « plasticien », a intégré les formulaires administratifs. Pour s’éviter ces deux humiliations, Mata a choisi la voie intimiste d’une pratique cultivée comme un jardin secret. Pour sûr, ses activités professionnelles comme directeur artistique d’une grande maison d’édition et de marchand d’art auront affuté son geste et son œil, mais il ressort de l’ensemble de ses tableaux, peints en autodidacte donc, une grande spontanéité et fraicheur qui font parfois cruellement défaut aux grandes œuvres contemporaines, surexposées et incessamment recyclées. Faisant la part belle aux couleurs profondes et aux textures soignées, agissant comme autant de données troublantes, ses toiles invitent à la découverte sensorielle de son for intérieur le plus enfoui. Pour un artiste qui assène sèchement « l’artiste n’est pas important, seules comptent ses œuvres et la rencontre du public avec elles », l’exercice d’une rencontre publique (le 16 février à 15h) où sa parole et sa présence seront tout autant examinées que ses tableaux, font de l’événement un temps fort qui ponctue judicieusement une exposition où le sensible prime sur le factuel. Par Xavier Hug

M. MATA, exposition jusqu’au 16 mars au musée des Beaux-Arts de Mulhouse. www.musees-mulhouse.fr

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focus Estelle Lagarde, Le Cinéma, série Maison d’arrêt, 2010

La fin du voyage

On dirait Plossu Avec l’exposition On dirait le Sud, la Filature propose de découvrir une série de photographies de Bernard Plossu ayant pour thème commun le train… et le Sud (Espagne, Italie, Portugal et France). S’il n’arrête pas les trains, ni la course du soleil, Bernard Plossu aime la confrontation entre la rapidité du train et la rapidité de la prise de vue pour composer des images qui sont autant d’invitations à la contemplation. Une femme aperçue derrière la vitre de son compartiment, une autre marchant le long d’une voie les bras chargées de bagages ou une troisième que l’on devine à peine en train de lire… Autant de débuts d’histoires, de visions comme tirées d’un songe, d’images fascinantes sans êtres spectaculaires. Bernard Plossu a le don de capter à la volée les petites scènes fugaces auxquelles nous assistons en permanence sans y prêter suffisamment attention pour qu’elles s’inscrivent dans nos mémoires. À cela s’ajoute son sens du cadre, cette manière bien à lui de sublimer les paysages qui défilent à plus ou moins vive allure et que le voyageur plongé dans son magazine ou son ordinateur regarde à peine. Les quelques miniatures exposées, en obligeant à s’approcher au plus près, rappellent que la taille des tirages n’est pas toujours proportionnelle au talent (Small is beautiful !) tandis qu’une série de tirages Fresson apporte une touche colorée un brin nostalgique à cette exposition qui, sans se soucier de géographie ni de chronologie, propose des alignements d’images qui sont comme les wagons chargés de souvenirs d’un train qui nous échappe. Par Philippe Schweyer — Photo : Bernard Plossu (Porto, 1999)

La saison de la galerie Radial s’ouvre sur une petite parenthèse : en lieu et place des habituelles sculptures et peintures d’essence abstraite, un ensemble de photographies est accroché sur le thème de l’enfermement. Estelle Lagarde expose pour la deuxième fois une série de photographies qui s’attache à un sujet de société. Après le milieu hospitalier, c’est le milieu carcéral qui se trouve au cœur de la problématique. Si elle ne revendique aucune intention politique, son travail qui touche à l’humain ainsi qu’à son environnement est souvent sensible, douloureusement sensible. Après un long travail de recherche et de repérage, l’artiste est restée trois jours durant dans une prison désaffectée d’Avignon. Ce qui frappe alors la jeune femme, c’est la vive impression de solitude qui s’échappe de ces lieux où les hommes perdent leurs identités. Estelle Lagarde travaille à la chambre, ce qui permet à la fois un rendu lisse, sans grain et l’expression d’un réalisme cru. Dans Le Cinéma, la couleur fait une brève incursion mais les visages des personnages sont flous. Ce travail sur le temps de pose permet un double questionnement : celui du temps et de la perte d’identité. Les acteurs, rigoureusement mis en scènes, deviennent des figures fantomatiques, un motif récurrent dans l’œuvre de l’artiste que l’on retrouve également dans la série des Contes sauvages. Par Vanessa Schmitz-Grucker

ON DIRAIT LE SUD, exposition jusqu’au 2 mars à La Filature à Mulhouse. www.lafilature.org

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ESTELLE LAGARDE – MAISON D’ARRÊT, exposition jusqu’au 22 février à la galerie Radial à Strasbourg. www.radial-gallery.eu


Mélanie de Biasio SAM 12 AVR À 20H

AU THÉÂTRE DE MONTBÉLIARD

Un moment de grâce éperdue, de beauté sans entraves. Francis Dordor, Les Inrockuptibles Un blues à nu, filtré par la lenteur calculée du trip-hop. François Gorin, Télérama

© OLIVIER DONNET

Une voix sinueuse et profonde comme un gospel. Paola Genone, L’Express

Dans le cadre d’Europe en scènes, festival partagé par MA scène nationale et le Granit à Montbéliard et Belfort du 4 au 15 avril


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Élément/aire

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Money money money

Le label Herzfeld semble en mutation permanente : avec un nouveau site et un concept, ELEMENTS, qui permet à l’Internaute de télécharger gratuitement des formats musicaux totalement libres, tout cela méritait bien une soirée. Justement, la première soirée Herzfeld ELEMENTS sera l’occasion de prendre connaissance de toutes ces nouveautés avec notamment l’apparition scénique de Miss Corée, le projet d’Eric Bentz (Electric Electric) et de Laure Nantois (Ventre). Le duo sera suivi par Marxer, la formation qui réunit Franck Marxer (Original Folks), Pierre Walter (Loyola) et Olivier Stula (A Second of June), dans le cadre d’une délicate aventure pop, pleine de retenue ; alors que le groupe s’apprête à publier son premier EP officiel, il s’accorde l’intervention de l’électronique dans de subtils entrelacs mélodiques. En ce qui concerne Thomas Walter, cela fait déjà quelques années qu’on le suit sur le terrain de la pop mélancolique, en solo, sous le nom de T., mais aussi de Loyola, et enfin sous le nom de Thomas Joseph. À chaque identité, une approche singulière d’un background folk avec toujours cette tentation intime de l’électronique. Aujourd’hui, avec une touche plus groovy dans la voix, Thomas dépasse les sommets – il les a atteints depuis bien longtemps ! –, et à l’égal d’un Neil Young première époque, il ancre ses compositions pastorales dans un univers d’une grande chaleur, aux couleurs automnales chatoyantes ; ses chansons, il les expose parfois en pleine lumière, tout en préservant leur part d’ombre pour une émotion sans cesse grandissante.

Depuis 2012, l’ensemble franco-allemand Epik Hotel mené par Catherine Umbenstock s’attèle à la complexe tâche de créer un langage artistique commun, par-delà les frontières. Il s’attaque aujourd’hui à une sommité du théâtre français en empruntant le chemin de traverse tracé par l’auteur et musicien originaire de Cologne PeterLicht. L’Avare : un portrait de famille en ce début de 3e millénaire prend à contrepied la comédie de Molière pour atteindre la contemporanéité à outrance : Harpagon, vieil avare aigri, résiste à un système économique bâti sur la consommation tandis que ses enfants Cléante et Elise sont l’incarnation d’une jeunesse sans avenir et imbue d’elle-même. Les enfants ne valent pas mieux que le père, chacun étant pris au piège de ses chimères pécuniaires. Dans cette interprétation outre-Rhin de l’Avare, PeterLicht associe le burlesque de la Commedia dell’arte au cynisme du théâtre de l’absurde : dialogues de sourds et monologues élégiaques se succèdent dans un brouhaha stérile signifiant l’état d’alerte d’une société où « exister » rime avec « acheter ». Catherine Umbenstock met en scène la langue particulièrement musicale du dramaturge allemand, à la frontière du slam, pour signifier toute la modernité d’un classique à jamais déclinable.

Par Emmanuel Abela

Par Claire Tourdot — Illustration : Kathleen Rousset

HERZFELD ELEMENTS n°1, festival le 8 février à Stimultania à Strasbourg. THOMAS JOSEPH, concert le 4 février à la Laiterie à Strasbourg. www.hrzfld.com

L’AVARE : UN PORTRAIT DE FAMILLE EN CE DÉBUT DE 3e MILLÉNAIRE, pièce de théâtre du 11 au 16 mars au TAPS Scala à Strasbourg. www.taps.strasbourg.eu


Afreakanisme

New Thing ! Depuis Albert Ayler, le jazz se vit sur un mode effréné et avec un haut sens de la spiritualité. Il n’est pas évident que les membres de Big Four se reconnaissent dans la moindre intention spirituelle. Par contre, ils empruntent à leur génial devancier cette manière d’imbriquer et de déstructurer dans le plus pur esprit d’une fanfare en plein déchainement sonore ; ils le font tout en s’inscrivant dans la tradition du Sidney Bechet quartet de 1940. Avec Steven Bernstein à la trompette – par ailleurs directeur artistique d’Antony & The Johnsons et de Marianne Faithfull –, le français Noël Akchoté à la guitare, aussi à l’aise dans des expérimentations à la Derek Bailey que dans le blues 50’s, le tonitruant saxophoniste autrichien Max Nagl, Brad Jones à la contrebasse et le virevoltant Joey Baron en tant que cinquième membre occasionnel à la batterie, le cocktail ne peut être que détonnant : blues hurlant, gospel débridé et improvisation. Big Four a le sens de la démesure : sous les coups de boutoir soniques de cette formation francoautrichienne, le jazz s’élève et atteint des sommets. De la Nouvelle-Orléans à New York, le groupe chemine, pas à pas, touche après touche, avec un vrai sentiment d’allégresse. Quand on sait que le quartet partage l’affiche d’un soir avec Part of Art, autrement dit une formation constituée de membres issus du Vienna Art Orchestra, avec notamment l’incroyable Wolfgang Puschnig, flûtiste, clarinettiste et saxophoniste de génie, nul doute que la soirée s’annonce décapante ! Par Emmanuel Abela

BIG FOUR (+ PART OF ART), concert le 14 février à Pôle Sud à Strasbourg. www.jazzdor.com

La Chaufferie – galerie de la HEAR (Haute École des Arts de Rhin) – accueille The House of Secrets, une exposition nimbée de vibrations occultes et de mystère(s)... L’artiste camerounais Barthélémy Toguo nous entraîne en terre inconnue, dans les méandres des croyances vaudous et animistes. Brouillant les pistes tant sur le plan plastique que philosophique, il joue avec les codes et opère des métissages audacieux. Aussi, une partie de l’exposition a été réalisée en collaboration directe avec les étudiants de la HEAR, permettant une interprétation plus riche de la thématique. De même, l’artiste ne se restreint pas à un seul moyen d’expression. Toguo entremêle les médiums et fait se côtoyer l’aquarelle, la photo, l’installation avec en point de mire, la volonté de confronter l’homme au surnaturel, au divin et au diabolique. Dans ce nexus tiraillé des réalités, le beau fait face à l’indécent dans une sorte de ballet curieux, de même que le sacré et la superstition. Au centre se dresse un village faussement idyllique, aux sévères cases de fer, surplombé par des totems hybrides, qui rassemblent épouvantails et dieux crucifiés. Çà et là, la bestialité – qu’elle soit humaine ou animale – est représentée sans pudeur, par le prisme de la sexualité. Et plus loin, patientent les figures nébuleuses de démons cornus, forces maléfiques qui œuvrent dans l’ombre mais qui reflètent également nos propres vices et notre noirceur intérieure. Par Julien Pleis

THE HOUSE OF SECRETS, exposition jusqu’au 23 février à la Chaufferie à Strasbourg. www.hear.fr

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Malaxe, me disais-je

Nouvelle aube On l’a découverte en 2010 avec des reprises feutrées de Nina Simone, mais depuis Kellylee Evans, une chanteuse originaire d’Ottawa, explore un répertoire soul-jazz – que certains n’hésitent pas à qualifier de “smooth” ou de “urban jazz” –, avec quelques incursions hip ou trip hop comme ça a été le cas récemment avec son quintet. La séduisante jeune femme reprend sur scène des standards signés A Tribe Called Quest, Eminem, Kanye West ou Stromae – un And So We Dance (Alors On Danse) plutôt enlevé entendu sur Radio Nova. Poussant plus loin son hommage acoustique au rap éternel et renouant ainsi avec la vraie tradition du rhythm’n’blues originel, elle a opéré un mouvement de rewind temporel supplémentaire jusqu’à ses origines africaines : à la différence de ses consœurs soul, les sémillantes Sharon Jones ou Nicole Willis, elle se plonge dans un background plus roots encore, puisant à la source afrobeat, rumba, zouk ou merengue de quoi construire un propos beaucoup plus personnel, loin de tout mimétisme désormais. Récemment nominée dans son pays pour le Black Canadian Award [sic!], elle ne devrait plus tarder à élargir son auditoire pour accéder à une véritable notoriété en France : les chansons sont là – y compris en français, comme Désolé sur son dernier album, le nostalgique et délicat I Remember when –, le charisme aussi ; il ne manque plus que la petite étincelle pour que notre pays accueille à bras ouverts cette merveilleuse artiste. Par Emmanuel Abela — Photo : Matt Howe

KELLYLEE EVANS, concert le 12 février à l’espace culturel de Vendenheim. www.vendenheim.fr

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On le sait, au répertoire de Christophe Feltz, le directeur artistique de la compagnie Théâtre-Lumière, ont toujours figurés les Surréalistes tout comme les auteurs dits de l’absurde, mais pas seulement : « je me suis toujours montré intéressé par l’idée d’un travail d’adresse publique, nous précise-t-il, voire d’un travail de “seul en scène” sur des thématiques bien sûr humoristiques, mais qui s’appuie sur de vraies plumes ». Loin de chercher à approcher la pratique du standup, il affirme plus que jamais son « amour des mots », qu’il décline en « amour du verbe, du double sens et des dessous de textes ». Et de préciser le fonds de sa pensée, en souriant : « Le mot est un être étrange, n’est-ce pas ? » Ces mots, il les observe, il aime les voire triturés, malaxés ; ces mots, il les retrouve dans l’œuvre de Devos, dont il propose une relecture – « il évoque une “revisitation” » – dans la continuité de celle qu’il avait proposée autour de Pierre Desproges en 2010. « La vraie différence c’est que cette fois-ci, je ne suis pas seul ». Admettant une certaine solitude à l’époque – « seul, en voiture, seul en loge, seul sur scène » –, cette fois-ci, sa scène il la partage avec le pianiste Grégory Ott, une manière pour lui de retrouver la complicité qui liait Devos à ses musiciens. Une manière également de placer les mots au cœur de l’échange. « Ça nous permet, Grégory et moi, de donner plus de rondeur aux récits de Devos, de leur restituer toute leur humanité, tout en maintenant leur touche surréaliste ». Par Emmanuel Abela

MATIÈRE À RIRE, pièce de théâtre du 30 janvier au 1er février au Moulin 9 à Niederbronn, du 6 au 8 février à l’Espace Culturel de Vendenheim, le 15 février à la salle Braun à Metz, le 20 mars au Caveau Littéraire de Saint-Louis et le 23 mars à l’Auditorium du Musée Würth à Erstein. www.theatre-lumiere.com


18.3 — 29.3 Désir sous les Ormes C D E 13/14

Nous sommes en Nouvelle Angleterre, en 1850. Sur cette terre pierreuse, ingrate, une ferme, un fermier et ses trois fils. Une femme va bouleverser l’ordre établi. Chacun se retrouvera pris dans la tourmente de l’amour et de la cupidité. Ce fait divers, loin du drame paysan, s’enfle d’un contenu mythique. Un monde féminin va s’opposer au monde masculin. O’Neill invente pour ses personnages une langue grandiose, une musique plutôt, violente et savoureuse, dans laquelle se mêlent les couleurs de l’Amérique et de l’Irlande.

D’Eugene O’Neill Mise en scène : Guy Pierre Couleau

Avec : Philippe Cousin Virginia Heinen Benjamin Kraatz Philippe Mercier Nils Öhlund Stéphanie Pasquet

Comédie De l’Est Centre dramatique national d’Alsace Direction : Guy Pierre Couleau Réservation : 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com 6 route d’Ingersheim 68027 Colmar

KELLYLEE EVANS «I remember when»

JEUDI 13 FEVRIER À 20H30

VENDENHEIM > 14, rue Jean Holweg 03 88 59 45 50 espace.culturel@vendenheim.fr www.vendenheim.fr


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L’opéra-bouffe se mange bleu

L’astre de l’Orient Un physique atypique, des boucles rousses, sous ses airs d’écossais, Sharif Andoura est fier de son berceau culturel à la fois syrien et belge. Enfant, il fait la découverte de la voix d’Oum Kalthoum à travers Al Atlal (“les ruines”), sa plus belle réussite musicale. À la recherche de bribes mémorielles, il fait d’Al Atlal sa madeleine de Proust. Oum Kelthoum, figure de proue du monde arabe, est l’un de ces oiseaux rares dont la prosodie n’a nul égal. Son chant, telle une mélopée nous enveloppe d’un voile enivrant. Al Atlal est une complainte des ruines d’un amour perdu. Surnommée « l’astre de l’orient », sa mélodie exacerbe le sens de toute chose. Un hymne de douceur, humecte la scène dont elle est le poète dans sa tour d’ivoire. Sharif Andoura mêle santal, musc d’Orient et sonorités d’Oud pour poser le décor, puis il s’empare de cette langue magnifique, sans chercher la moindre dramaturgie, avant de la délaisser et de poursuivre dans sa langue maternelle, le français. Alors que la tendance est à la scission des groupes, le jeu théâtral se veut fédérateur et souhaite « créer du lien ». Dans une démarche presque thérapeutique, il invite à l’introspection. Usant de la prosopopée, il invoque Mahmoud Darwich, un mythe poétique, pour parler des ruines du monde arabe. Il récuse une approche mortifère en vertu d’un optimisme vivifiant : les ruines « c’est à la fois ce qui est détruit et ce qui demeure » ; c’est ce qui place les hommes dans un « état de pulsion de vie ». Par Soraya Safieddine — Photo : Stéphane Triolet

D’abord un conte de Charles Perrault, Barbe Bleue devient rapidement un objet de convoitise. Avec sa formation philosophique et ses collaborations auprès des plus grands, tels que Rinaldo Alessandrini, David McVicar ou encore Christof Lo, le metteur en scène flamand Waut Koeken s’attèle à réactualiser l’œuvre : quand la mise en scène aurait pu confirmer une ambiance macabre et satirique, Waut Koeken oriente la focale sur un registre burlesque et décalé. L’ogre troque sa hache de bête sanguinaire et revêt sa cape pour devenir l’anti-héros d’une comédie délirante... Un ensemble de stimuli visuels et quasi olfactifs vient mettre en exergue une réflexion plus profonde sur le bonheur des plus grands. Finement ciselée, l’œuvre se pare d’un voile musical qui rythme l’intrigue. Un silence, un interlude, résonnent comme un tout parfait enveloppant l’œuvre d’une aura mystique… Les acteurs semblent happés dans un décor écrasant, réduisant leur existence à ce qu’elle est. Ainsi, sont exprimées les vicissitudes que l’homme s’inflige par goût pour l’ascension sociale et par vanité. Presque thérapeutique, un réel travail d’introspection émerge. Comme pour contrebalancer le prosaïsme dans une ambiance intimiste, l’opéra devient une navette qui nous transporte. Nul besoin de fermer les yeux, on s’y croirait… Par Soraya Safieddine

AL ATLAL, pièce de théâtre les 26 et 30 mai à la Nef à Saint-Dié-des-Vosges. www.saint-die.eu

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BARBE BLEUE, opéra-bouffe du 20 au 27 février à l’opéra national de Lorraine à Nancy. www.opera-national-lorraine.fr


Poésie ambulante

Le ballet qui n’est pas un ballet « Apportez des lunettes noires et de quoi vous boucher les oreilles », annonçait l’encart de publicité du ballet Relâche. Reçu par la majorité telle une bombe à retardement, d’autres y voient le moyen de démanteler ce qui jusque là était politiquement correct. Francis Picabia côtoie dès 1919 le cercle dada et prépare la même année un cocktail de nouveautés. Le ballet Relâche s’inscrira dans l’histoire de l’art comme une transgression des formes déjà acquises. C’est donc le début d’une guerre contre ce qui se fait et ne se fait pas, ce qui est beau et laid. Autant d’enjeux de forme et de fond qui ont fait l’objet d’une réappropriation par le duo Petter Jacobsson et Thomas Caley faisant le choix du résolument contemporain. Soucieux de perpétuer ce qui était à l’œuvre, ils renouvèlent l’espace scénique en intégrant le modèle cinématographique sans perdre de vue que les barrières doivent s’effacer au profit d’une dyade salle-audience. Le décor de Picabia est conservé, des projecteurs braqués sur les spectateurs viennent contrarier une conception traditionnaliste, le public devient dès lors un sujet aussi important que la scène. Le premier acte, pareil à une mise en bouche, vient annoncer l’armature de la pièce avec une succession d’événements. Le ballet devient cinéma, se met en phase avec le film de René Clair Entr’acte et brouille les pistes du champ artistique. Après cette projection, le rideau s’ouvre et laisse place aux danseurs qui en se débarrassant de leurs costumes viennent faire un pied de nez à cette obsession qui est celle de l’art comme ostentation du beau. Par Soraya Safieddine

RELÂCHE, ballet du 15 au 19 mars à l’opéra Nationale de Lorraine à Nancy. www.opera-national-lorraine.fr

Projet régional mettant en relation plusieurs structures lorraines ainsi que la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette au Luxembourg, POEMA se propose de vous faire vivre les écritures poétiques sous les formes les plus diverses : rencontres, expositions, projections, lectures... l’objectif étant d’amener la poésie sur tous les territoires, au propre comme au figuré. Plus de 35 lieux seront visités par une quarantaine d’auteurs, universitaires, musiciens, comédiens, danseurs qui feront entendre les voix de la poésie actuelle. Le temps fort de la manifestation sera le festival POEMA, qui se tiendra du 27 au 31 mars autour de trois lieux : la librairie l’Autre Rive à Nancy, avec une lecture de Dominique Maurizi et Marie Huot, puis la faculté des Lettres de Nancy avec une table-ronde autour de la poésie et de sa mise en scène dans le champ du théâtre contemporain. Le CCAM de Vandœuvre accueillera quant à lui la troisième partie du festival avec une dizaine d’intervenants autour de lectures et de tablesrondes. Le festival se clôturera le 31 mars avec deux concerts proposés par le festival Musique Action. Metz, le Val de Fensch, le Jarnisy, Épinal, ainsi qu’un vaste réseau de bibliothèques et de médiathèques en Meurthe-et-Moselle et en Meuse viennent compléter la carte de ce rendez-vous poétique à grande échelle qu’est POEMA. Par Benjamin Bottemer — Photo : Maëlle Chastanet

POEMA, parcours autour des écritures poétiques contemporaines jusqu’au 18 juin dans plus de 35 lieux à travers la Lorraine. http://cie-lescalier.com

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Mort du rêve

Approcher l’inquiétude À mi-chemin entre prosaïsme et lyrisme, Jon Fosse nous projette dans un univers sans début ni fin. Partageant son obsession pour la mort, il sème un malaise où tout est son contraire : le clair et l’obscur, le songe et la réalité, l’extériorité et l’intériorité. Il entend « approcher l’inquiétude » dans une relation complexe avec le lecteur tout en lui laissant la possibilité de se saisir des structures pour en décrypter les enjeux. Dans cette possible médiation, il nous berce au gré des allitérations et assonances qui apportent une existence là où tout semblait dématérialisé. Un travail de fond sur la sémantique et la mise en bouche des mots permettent de se sortir d’un no man’s land. Un travail qui part de la promesse que Christine Koetzel et Anne Dupagne, metteures en scène, se sont faite : beaucoup de choix, mais aussi de renoncements. La double identité de chacune d’entre elles, metteure en scène et actrice, « suggère l’effacement du metteur en scène au profit de l’acteur », nous explique Christine Koetzel. L’adaptation est un véritable challenge, quand on sait que l’écriture romanesque de Jon Fosse se caractérise par l’absence de ponctuation. C’est par le choix d’un « travail rythmique particulier avec une musicalité » que la mise en scène trouve la conciliation entre la complexité latente de l’œuvre originale et sa version théâtrale, même si l’inquiétude demeure. D’où le sentiment d’un flou existentiel maintenu et désiré : « la vie c’est de l’inquiétude permanente, la mort on est tranquille et tout s’arrête ». Par Soraya Safieddine — Photo : Clara Thomine

MATIN ET SOIR, pièce de théâtre du 28 janvier au 8 février au Théâtre de la Manufacture à Nancy. www.theatre-manufacture.fr

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Des Souris et des hommes débute là où s’achève le périple de la famille Toad dans Les Raisins de la colère : en Californie, terre de toutes les promesses et de toutes les désillusions. La Grande Dépression, sujet majeur chez John Steinbeck, est ici vue par le regard de deux travailleurs saisonniers voyageant de ferme en ferme : le vif George Milton protégeant Lennie Small, géant attardé à la force incontrôlable, de l’hostilité et de la méfiance de ses pairs. Des Souris et des hommes évoque l’intolérance, la colère, la profonde misère morale et sociale qui frappe les États-Unis, colosse aux pieds d’argile à l’image du personnage de Lennie, qui aime « tout ce qui est doux », et dont l’innocence et la maladresse vont anéantir le rêve des deux amis, celui de s’acheter une petite propriété « pour pouvoir vivre comme des rentiers ». Bien plus, c’est de son amitié et de son humanité que George devra faire le deuil. Les metteurs en scène Jean-Philippe Evariste et Philippe Ivancic ont-ils vraiment le choix face à un tel monument ? Ils préservent le texte de Steinbeck pour « créer l’œuvre au plus près de l’auteur », les deux complices étant également les interprètes de George et de Lennie. Entourés de caisses de bois qui laissent parfois passer la lumière, les comédiens rendent dans ce décor idéalement sobre toute la force brute d’un récit mythique. Par Benjamin Bottemer — Photo : ATA

DES SOURIS ET DES HOMMES, pièce de théâtre le 26 février à l’Ensemble Poirel à Nancy. www.poirel.nancy.fr


SAISON 2013 / 2014

RE

THÉÂT

JEUDI 20 MARS 2014 . 20:30

JANVIER > MAI 2014 janvier ENSA Nancy + Cie O’Navio + Hubertus Biermann, Kurt Schwitters + Les Anges au plafond + Cie Tout va bien�! / fÉVRIER Regards sans limites #02 + Cie Karine Ponties + Cie du Jarnisy + Tof Théâtre + Olivia Grandville + Thomas Lehn, Erikm + Isabelle Duthoit + Les patries imaginaires + Clara Cornil / mARS André S. Labarthe + Pascal Delhay, Christine Wodrascka + Cie Sans Sommeil + Le Théâtre 27, Jean Dubuffet + POEMA + Charles Pennequin / AVRIL Le Théâtre de cuisine + Loris Binot + Martin Tétreault, Franz Hautzinger, Dieb 13, Isabelle Duthoit + La Cie s’appelle reviens + La S.O.U.P.E. Cie / MAI Musique

Action #30 : Frédéric Le Junter, Marc Pichelin, Michel Chion, Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger, Daunik Lazro, Hunting Maelström, Albert Marcoeur, Sophie Agnel, Catherine Jauniaux, Yuko Oshima, Jean-Marc Montera, Anne-James Chaton, G.W. Sok, Filiamotsa, Franz Hautzinger, John Tillbury, Phil Minton, Kim Gordon, Kristoff K. Roll, et bien d’autres…

Mises en scène originales de "l'historique" Théâtre de la Huchette. SÉE IE DAN COMÉD ANS DÈS 8

DIMANCHE 23 MARS 2014 . 16:00

?

Mise en scène et chorégraphie par la Compagnie Pietragalla-Derouault.

RÉSERVATIONS : ENSEMBLE POIREL

CCAM / SCÈNE NATIONALE DE VANDŒUVRE RUE DE PARME / 54 500 VANDŒUVRE-LÈS-NANCY TEL : 03 83 56 15 00 / SITE : WWW.CENTREMALRAUX.COM

LICENCES : 540-249/250/251 DESIGN GRAPHIQUE : STUDIO PUNKAT PHOTO : GUILLAUME FROMENTIN

03 83 32 31 25 . www.poirel.nancy.fr et points de vente habituels : magasins Fnac www.fnac.com www.ticketnet.fr


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L’illusionniste

Self-made girls Déjà 10 ans que la formation new-yorkaise Au Revoir Simone nous berce de douces mélodies électro-pop aériennes. Outre ce fâcheux constat d’un temps s’écoulant à une vitesse folle, cet anniversaire signait à l’automne dernier la parution d’un quatrième opus produit par Jorge Elbrecht, leader du groupe Violens. Move in Spectrums s’appuie sur la recette du succès des précédents albums – claviers mélodiques, boîtes à rythme, voix vaporeuses superposées – mais ne manque pas d’inspirations pour autant. Troquant les comptines enfantines et l’univers spleen pour une énergie pop affirmée, Erika Forster, Annie Hart et Heather D’Angelo sonnent l’heure de la maturité et semblent avoir trouvé la voie d’une création plus lumineuse. Le premier titre de l’album More Than annonce la couleur sans détour : rythmique marquée et synthés psychés sont l’essentiel d’un morceau aux consonances new wave. N’oublions pas que depuis ses débuts, Au Revoir Simone ne cache pas être un enfant des eighties. Nourri par Sonic Youth, New Order et plus récemment Stereolab, le trio féminin nous a fait une belle surprise l’an passé en collaborant au dernier album d’Etienne Daho Les Chansons de l’innocence. Sur scène, les filles entourées de leurs claviers dévoilent toute la fraîcheur de leurs compositions façon Do It Yourself. Et c’est peut-être lors de ces instants fugitifs qu’elles sont les plus magnétiques. Par Claire Tourdot — Photo : Christophe Urbain

AU REVOIR SIMONE, concert le 13 février aux Trinitaires à Metz. www.lestrinitaires.com

Vision, ce n’est pas du théâtre, ni même du cinéma, mais une boîte à souvenirs dans laquelle se profile la nostalgie des balbutiements du cinéma. Modeste en apparence, l’intrigue pousse à la réflexion, invitant le spectateur à une pensée hautement sartrienne. Elle mêle mythologie classique et futuriste, insérant même la caverne de Platon. Pierre Megos, artiste belge, possède un double regard plastique et photographique : deux dimensions qu’il ne dissocie pas. Revisitant les codes du théâtre, il rejette tout rigorisme face au théâtre classique. Explorant l’espace des possibles, il bat en brèche la règle des trois unités en transposant l’espace de jeu sur un écran, avec la conviction que le théâtre peut vriller vers des formes complémentaires. Ce drôle d’illusionniste décloisonne l’espace de jeu pour lui insuffler des allures de cinéma hollywoodien. D’une grande technicité, le décor résulte du « Blue Key », un travail minutieux réalisé par la vidéaste Caroline de Decker, dans lequel le comédien joue à l’aveugle, pantin de la seule bande son. Nous le voyons sauter, ramper dans le vide, tandis qu’à l’écran cela donne une mise en scène construite, une transposition d’images qui offre aux spectateurs le plaisir de l’instantané. Le spectacle met en scène, Mister John, interprété par Pierre Megos, croisant vie ordinaire et dessein exceptionnel. « Le voyage que je parcours c’est un peu comme Alice au Pays des Merveilles, elle rencontre des êtres fantasmagoriques. Avec cette technique là, je me permets de faire exister ça ». Par Soraya Safieddine

VISION, pièce de théâtre le 25 mars au Théâtre du Saulcy à Metz. 32


Un archet d’or

L’envers du décor C’est un Thomas Bernard fidèle à lui-même que l’on peut retrouver dans Le Faiseur de Théâtre. Féroce toujours, indulgent jamais, l’auteur autrichien y donne naissance à son double fictif sous les traits d’un certain Bruscon, caricature du littérateur philosophique arrogant. Venu jouer son spectacle La Roue de l’Histoire au fin fond d’un petit bourg de l’Autriche d’après-guerre, l’homme de théâtre épingle sans concession les acteurs de l’Histoire européenne tout autant que son peuple : Hitler, Marie Curie, les dirigeants, les ouvriers,... chacun en prend pour son grade, dans la mesure du possible. Difficile, effectivement, d’atteindre le sérieux nécessaire pour brosser cette épopée politique dans la trivialité d’une auberge où l’on cuisine du boudin. Comme souvent chez Thomas Bernard, la parole est donnée à un seul homme, s’embourbant dans des motifs répétés jusqu’à l’obsession. Un monologue circulaire s’établie entre le faire et le défaire, le passé et l’avenir sans échappatoire manifeste. Julia Vidit réussit cependant à déjouer le piège de la surintellectualisation de la pièce : elle fait le choix de souligner le caractère burlesque des situations dans une mise en scène ingénieuse. Le fossé entre Bruscon et son public se creuse au fil de la représentation mal menée, introduisant la question de la nécessité du théâtre. Quelle est la place de l’art dans une Europe en reconstruction ? Le Faiseur de Théâtre dévoile au spectateur les coulisses de la scène, ses multiples difficultés, et on s’étonnerait presque de prendre en affection un misanthrope tyrannique. Par Claire Tourdot

La carrière de Jean-Guihen Queyras a débuté par ce que l’on pourrait appeler un « coup de foudre », et ce pour un instrument qui lui était alors parfaitement inconnu : « À neuf ans, j’ai vu un garçon jouer du violoncelle lors d’un stage d’été. Ce grand instrument, qu’on peut prendre dans ses bras et qui vous entoure, représentait peut-être un compagnon dont j’avais besoin ». Depuis, « la petite crevette », comme l’appelait son professeur, a fait du chemin : de la Philharmonie de Londres à l’Orchestre Symphonique de Tokyo en passant par la Philharmonie de Prague, le prodige se hisse parmi les meilleurs de sa catégorie jusqu’en 2008, année de consécration, où il décroche le prix du « meilleur soliste instrumental » aux Victoires de la Musique Classique. Pour sa carte blanche à l’Arsenal de Metz, Queyras a choisi de présenter un monument du violoncelle solo : les Suites pour violoncelle de Bach. Celles-ci suivent le musicien depuis ses débuts : « elles m’accompagnent depuis qu’on m’a mis un archet entre les mains ». Mais Queyras ne semble aucunement lassé par ces compositions si familières : « Pas une mesure qui ne recèle une invention, un trait fulgurant d’inventivité ». Il faut dire que cette pièce magistrale impressionne par sa simplicité et ses notes intimistes, mais représente surtout un grand mystère : les partitions originales n’ont jamais été retrouvées. C’est avec beaucoup de grâce et d’humilité que Jean-Guihen Queyras réinterprète ce classique énigmatique en l’enrichissant des subtiles nuances d’un archet virtuose. Par Valentine Schroeter

LE FAISEUR DE THÉÂTRE, pièce de théâtre du 5 au 9 février au NEST-CDN de Thionville-Lorraine. www.nest-theatre.fr

SUITES DE BACH POUR VIOLONCELLE SEUL, concert le 4 février à l’Arsenal de Metz. www.arsenal-metz.fr

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La dispersion des faisceaux

Corps du texte Quand la littérature se déploie dans la danse pour signifier un drame social, le spectacle ne peut être qu’éblouissant de vérité. C’est après la lecture du texte de Laurent Mauvignier publié aux Éditions de Minuit, que Angelin Preljocaj décide d’adapter sur scène le lynchage d’un jeune homme par quatre vigiles à Lyon en 2009. Le chorégraphe n’est en effet pas à son premier essai quand il s’agit d’allier écriture et danse : en 1995 il s’appuyait déjà sur la nouvelle La Voix perdue de Pascal Quignard pour L’Anoure, tandis qu’en 2009 il reprenait Le Funambule de Jean Genet. Créé en 2012, Ce que j’appelle oubli est la simple histoire d’un étranger, d’un marginal, mis au banc des accusés pour le vol d’une cannette de bière. Mais que subsiste-t-il après cette mort injustifiée ? Dans l’écriture à bout de souffle de Laurent Mauvignier, Preljocaj a retrouvé la présence d’un corps multiple, impulsant la création d’un théâtre dansé en huisclos. Par leurs mots et leurs mouvements, un comédien et six danseurs expriment l’exclusion, le jugement et le consumérisme d’une société en déroute. Dépassant le cadre politique, le chorégraphe décline le corps violenté, mutilé, violé mais aussi séducteur, tendre et sensuel jusqu’à provoquer une certaine confusion pour le spectateur. Preljocaj ne cherche pas à occulter le plaisir pris à humilier l’autre mais bien au contraire, la chorégraphie pleine de dignité qu’il imagine tend à dessiner la figure christique du martyr, ouvrant le fait divers à une dimension salvatrice. Par Claire Tourdot — Photo : J.C. Carbonne

CE QUE J’APPELLE OUBLI, spectacle de danse le 21 février au Carreau de Forbach. www.carreau-forbach.com

Le jazz ne cesse pas d’évoluer, de s’adapter et au final de se libérer ; puis, de nous libérer. Que ce soit dans ses variations bop ou be-bop, cool ou plus free, ou dans ses métissages ethno, afro, funk ou hip-hop, il ne cesse pas non plus, en tant que matière incroyablement vivante, de se régénérer et d’interroger sa forme première, séminale, pour en épouser d’autres sur la base d’un patrimoine commun. Prism, le dernier projet de Dave Holland raconte cette mutation permanente. Ce bassiste et contrebassiste émérite qui a fait ses armes au côté de Miles Davis dans les années 70 avant de se retrouver sideman attitré des plus grands, Chick Corea, Anthony Braxton, mais aussi Stan Getz, Roy Haynes ou Steve Coleman parmi tant d’autres, semble bien placé pour livrer sa propre version de l’histoire. Au sein d’un quartet virtuose – Craig Taborn au clavier électrique, Kevin Eubanks à la guitare et Eric Harland à la batterie –, non seulement il montre qu’il a gardé un sens inné du groove, mais encore il incarne fondamentalement le jazz dans ce qu’il a de plus vibrant. Holland explore le champ possible de son instrument dans sa version la plus électrifiée, synthétise les courants et surtout multiplie des structures ouvertes dans lesquelles ses musiciens peuvent s’exprimer en toute liberté. Alors qu’il a célébré en 2013 les 40 ans de son premier album, Conferences of the Birds, il s’affirme plus que jamais, et avec toute l’humilité qui le caractérise comme l’une des figures de son temps, s’appuyant sur un background rayonnant pour dessiner les lignes du futur. Par Emmanuel Abela

DAVE HOLLAND, concert le 7 février au Centre Culturel Opderschmelz à Luxembourg www.opderschmelz.lu

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Strasbourg – Mulhouse

Diplômes Bac +3 & Master Dossier de candidature sur www.hear.fr

Trait d’union Le nom d’Edward Steichen est invariablement associé au monde de l’art contemporain. Ce luxembourgeois d’origine grandit dans l’Amérique de la fin du XIXe siècle avant de revenir s’installer à Paris. Ses allers-retours entre le Vieux et le Nouveau Continent ont fait de cet homme, très tôt formé aux arts visuels, le trait d’union entre les deux mondes et leurs univers artistiques. En 2004, son pays d’origine lui rend hommage en créant le Edward Steichen Award Luxembourg qui récompense les artistes dont l’œuvre continue ce dialogue entre les deux continents. Ce prix est décerné tous les deux ans avec à la clef une résidence de 6 mois à New York. Dans cette exposition, le commissaire Enrico Lunghi réunit les sept lauréats : Bertille Bak, Étienne Boulanger, Jeff Desom, Sophie Jung, Maria Loboda, Claudia Passeri et Su-Mei Tse. Ce sont donc sept présentations monographiques qui mettent en lumière l’individualité de chacun et les points de rencontre de leurs questionnements : l’espace public, la mondialisation, le déplacement, la connaissance ou la circulation des images. L’installation Shots (2004-2006) d’Étienne Boulanger, décédé accidentellement lors de sa résidence à New York en 2008, constitue quant à elle une œuvre emblématique de son travail sur les zones de transition dans l’environnement urbain.

Art, art-objet, design, design graphique, design textile, communication graphique, didactique visuelle, illustration, scénographie, musique.

Par Vanessa Schmitz-Grucker

NY-LUX – EDWARD STEICHEN AWARD LUXEMBOURG 2004-2014, exposition du 14 février au 9 juin au Mudam de Luxembourg. www.mudam.lu Etienne Boulanger, Shots, Vue de l’exposition “Shots” Etienne Boulanger Galerie NaMiMa - ENSA Nancy - 2013 © Photo: ENSA Nancy

Portes ouvertes à Mulhouse (Art, Design) 5 février 2014 Journées des universités à Strasbourg 6 et 7 février 2014

Établissement public sous la tutelle pédagogique du ministère de la Culture

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Une balade d’art contemporain par Sandrine Wymann et Bearboz

DEDANS ? DEHORS ? Un lieu d’art dans lequel il est impossible de pénétrer, qui a fenêtres sur rue et qui déploie sa programmation dans deux vitrines, est-il un espace d’exposition comme un autre? Ou transgresse-t-il le huis clos et ses codes pour appartenir à l’espace public et raccrocher ses valeurs ? Le Schaufenster, à Sélestat, semble avoir trouvé un bel équilibre entre ces deux possibles, et peut s’enorgueillir de déployer une programmation qui répond aux exigences du dedans et du dehors. Vu de l’intérieur, c’est un lieu d’art qui invite régulièrement des artistes contemporains à présenter leurs œuvres. Un espace qui a ses exigences spatiales mais qui offre de vraies qualités de visibilité. Vu de l’extérieur, c’est un lieu qui place les œuvres dans la rue et leur donne un caractère public. Les expositions interfèrent avec la ville et interpellent le passant. Les commissaires du Schaufenster s’emparent habilement de cette situation intermédiaire, ils invitent les artistes en duo et généralement à montrer des œuvres inédites. Leur dernière exposition est celle de François Génot et François Daireaux, qui s’intéressent tous deux au voyage, au déplacement, selon des modes très différents. Chacun s’est installé dans son espace, de part et d’autre de la porte close. Ils partagent une même approche du lieu : ils n’occupent pas l’espace intérieur mais investissent frontalement les fenêtres, jouent avec leurs propriétés de transparence, de surface réfléchissante, d’entre-deux. Les œuvres sont placées à l’intérieur mais dialoguent fortement avec l’extérieur, ce qui l’occupe, ce qui l’anime. Dans les deux cas, l’image de la rue, en miroir sur la vitre, est rattrapée par le dispositif et par conséquent, constitutive de l’œuvre. Cela donne deux propositions très réussies, et parfaitement en phase avec le lieu qui les accueille. Dedans ? Dehors ?

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François Génot se définit comme un artiste marcheur. On lui associe des images de natures revisitées, réappropriées, un univers végétal, sauvage qu’il dompte par la sculpture ou le dessin. Au Schaufenster, il obstrue la vitrine par une peinture sur papier au format de la fenêtre. Sur la feuille, une pluie de flocons blancs, plus ou moins denses, plus ou moins gros, danse dans la profondeur retrouvée de la nuit noire peinte à l’encre de chine. Il casse la profondeur initiale du lieu pour en installer une nouvelle. L’impression est plutôt sombre mais sur l’image grandement poétique, se reflète la rue que le spectateur occupe. Ce reflet habite la nuit du dessin, lui donne du corps et du mouvement. François Génot a recréé un espace animé qui échappe au réel et n’appartient qu’à la conjoncture de l’œuvre, de l’emplacement et du moment présent. François Daireaux nous emmène loin. Artiste voyageur, il explore les continents et les cultures sans jamais nier le fossé qui le sépare de ce qu’il découvre ou rencontre. Au Schaufenster, il présente une vidéo réalisée au Palais d’été de Pékin. Entrer dans sa pièce, c’est parcourir de longues distances qu’il s’amuse à brouiller, à étirer par des mises en abîme ou des images insaisissables. Au bout d’une construction conique blanche et adaptée à la vitrine, est installé l’écran de diffusion du film. La vidéo montre les visiteurs du site touristique pékinois. Ils s’approchent les uns après les autres d’une fenêtre et cherchent, par tous les moyens, à se mettre à l’abri des reflets sur la vitre, pour voir ce qui est présenté à l’intérieur. Par un jeu de caméra très libre, l’artiste nous associe aux touristes et manipule notre curiosité qui se révèle aussi grande que celle des visiteurs sur place. Du film à l’installation, les images chez François Daireaux sont imbriquées les unes dans les autres sans jamais s’imposer comme sujet principal. Ce qui anime l’artiste est probablement ailleurs, sans doute là où la compréhension n’est pas de mise. Ni tout à fait dedans, ni tout à fait dehors. 0° C, exposition de François Daireaux et François Génot au Schaufenster jusqu’au 22 février à Sélestat. www.schaufenster.fr

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Rencontres

Emmanuel Mouret et Virginie Ledoyen 09.01

Star St-Exupéry, à Strasbourg

Par Emmanuel Abela et Laurine Biessy — Photo : Pascal Bastien

Dans Une autre vie, vous associez la notion de désir à la culpabilité. Ce couple vous semble-t-il indissociable ? Emmanuel Mouret : Oui, je pense que c’est indissociable, car quand il y a du désir – et dès qu’il y a une troisième personne –, on sait qu’il y a une frontière, en tout cas dans l’usage moral. Nous sommes à la fois des êtres de désir ainsi que des êtres qui vivons ensemble socialement ; c’est pour cela qu’il y a des règles visant à nous protéger les uns des autres. Cependant, il y a toujours un conflit puisque le désir existe. Nous ne sommes pas là seulement pour respecter les usages, sinon il n’y a plus de vie.

Dans ce rapport de force, on ne distingue pas de vainqueur. E.M : Oui c’est vrai, il n’y a pas de vainqueur – est-il possible de parler de vainqueur dans les histoires d’amour ? – ; il y a cependant un rapport de force déséquilibré en faveur de Dolorès.

C’est intriguant car nous décelons à la fin une petite pointe de perversité chez Dolorès [Virginie Ledoyen, ndlr] alors que ce n’est pas forcément le cas au début. E.M : Je ne le savais pas, mais j’ai entendu l’autre jour un psychanalyste dire que l’absence de conscience morale, de sentiment de culpabilité, c’était ça la véritable perversité. C’est vrai que Dolorès ose un comportement dénué de sentiment de culpabilité et c’est ce qui dans le film renverse complètement le rapport coupable/victime.

Ce projet, vous le portiez depuis longtemps. Le fait que JoeyStarr ait accepté le rôle a-t-il été un moment déclencheur déterminant ? E.M : Je ne trouvais pas le comédien, il n’y avait aucune évidence. Le personnage qu’interprète JoeyStarr est extrêmement sensible, délicat, gentleman, et en même temps il fallait qu’il possède aussi cette force terrienne. V.L : Je me permets de t’interrompre, mais c’est aussi une des premières fois où tu as de suite décidé de ne pas jouer.

Virginie, vos premières apparitions frappent le spectateur, notamment par la force de l’amour que vous portez à Jean [JoeyStarr, ndlr]… Virginie Ledoyen : Dolorès est très troublante, elle fait partie de ces gens qui n’expriment absolument aucune culpabilité – ils sont peu nombreux –, et c’est là que ça devient presque pathologique. L’affirmation de ce qu’elle ressent prime sur tout le reste. Elle n’a pas les mêmes codes ni les mêmes usages. Tout est transgressé, et en même temps, le but de cette transgression n’est pas de se montrer cruelle, mais c’est de sauver cet amour qu’elle place au-dessus de tout.

Comme pour Jean, notre cœur balance entre ces deux beautés totalement opposées. E.M : J’aime bien cette idée qui fait que chaque visage porte la promesse d’une vie. On en croise chaque jour de nouveaux. Mais bon, le propre de la vie c’est qu’on ne peut pas vivre toutes les promesses.

Vous citez de nombreux auteurs américains, Douglas Sirk notamment, mais le jeu des acteurs et la dimension plastique de vos cadrages renvoient à Truffaut et à Antonioni. E.M : Je citais des américains à propos de la structure narrative du mélodrame classique. À ce titre, Truffaut est le bel exemple, il s’est toujours situé comme un cinéaste qui aime les cinéastes, et qui trouve ses idées dans les films. C’est en cela que, comme tout art, le cinéma se nourrit de ce qui a été ; il est traversé par d’autres sensibilités dont le mixage tout à fait personnel révèle la véritable personnalité du réalisateur. Ce que vous préférez le plus est-ce “être en scène” ou “mettre en scène” ? E.M : C’est très simple, je me suis toujours considéré comme un réalisateur, donc c’est définitivement mettre en scène. Je me considère comme un réalisateur qui joue dans ses propres films. Je l’ai fait une première fois dans un moyen métrage, de manière peut-être naïve et candide. Je pensais ne plus jamais jouer, c’était une expérience. Le hasard a fait que les

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producteurs avec qui j’ai travaillé m’ont incité à rejouer dans mes films et que cela m’amuse. Par ailleurs, on observe une grande fidélité à vos actrices, à Virginie justement. E.M : Oui, après il faut aussi que ces actrices correspondent aux personnages que nous imaginons, mais c’est vrai que c’est toujours un plaisir de retravailler avec quelqu’un. Vous-même, Virginie, comment vivez-vous cette fidélité de la part d’un réalisateur ? V.L : Je trouve ça formidable de retravailler avec quelqu’un, c’est presque plus intimidant la seconde fois que la première. Les années nourrissent une autre intelligence de l’autre, une autre connaissance et un désir. Et justement, on parle de désir entre un metteur en scène et un acteur ou une actrice. Au-delà de toute sexualité, il y a du désir : être réenvisagée à travers un autre personnage, c’est très porteur, et je trouve que ça affine le travail. E.M : C’est vrai qu’une de mes envies en travaillant avec Virginie, c’était de la montrer aussi de façon différente ; j’aime beaucoup sa voix et son regard. Concernant le personnage, Virginie m’a amené beaucoup de choses par ce qu’elle est. C’est d’ailleurs une des plus grandes satisfactions que je tire du film. Je ne me lasse pas de la voir dans ce personnage-là.

— Nous sommes à la fois des êtres de désir ainsi que des êtres qui vivons ensemble socialement. —

Une dernière question peut-être surprenante : dans le film, deux personnages se prénomment Jean et Paul [Stéphane Freiss, ndlr] puis nous nous rendons à l’hospice Saint-Luc. Peut-on attribuer un sens à ces allusions néotestamentaires ? E.M [regardant fixement Virginie, ndlr] : Figurez-vous que je ne m’en étais pas aperçu. Peut-être que la seule chose qui nous soulage de la culpabilité c’est le pardon, disons que donc c’est peut-être cela qui est apparu inconsciemment.

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Pierre Deruisseau 16.11 Festival Tout Mulhouse lit

Par Sylvain Freyburger — Photo : Marc Guénard

C’est une histoire qui remonte à bien avant l’invention du disque, à l’époque où les esclaves chantaient pour se donner du courage dans les champs de coton du Sud des États-Unis. L’imagerie et le message véhiculés par ces chants d’espoir et de lutte camouflée derrière une thématique religieuse irriguent toute l’histoire de la musique

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noire américaine, des negro-spirituals à la techno des origines. « L’homme a besoin de se raconter des histoires mystérieuses qui se transmettent de génération en génération, souligne le Belge Pierre Deruisseau, un psychologue de formation dont le cycle de conférences intitulé « Astro Black Mythology » explore toute l’étendue du sujet en


dix longs volets. « Ce n’est pas une histoire des styles musicaux, je m’intéresse aux récits métaphoriques qui font le lien entre les traditions africaines et bibliques et qui posent de questions existentielles : qui suis-je, moi, l’homme noir ? Il s’agit de s’adresser à la communauté et à l’inconscient collectif, d’exprimer les peurs, les espoirs, de poser les grandes questions humaines, politiques et spirituelles, de se placer dans la filiation des ancêtres. La musique afro-américaine porte quelque chose d’effectif qui va plus loin que le divertissement : elle a un effet sur les corps et les âmes ». À l’origine étaient les negro-spirituals, truffés d’allusions bibliques qui sont autant de métaphores de la condition des Noirs en Amérique. « Comme ça s’est toujours passé en Afrique, la religion du conquérant a été adoptée, tout en étant enrichie d’un héritage propre : on frappe des mains, on danse… La musique a permis d’unifier des ethnies complètement différentes qui ont été mélangées exprès à leur arrivée en Amérique. Ils y étaient tous devenus des “niggers” ». Une culture commune est ainsi née, avec ses archétypes comme le chariot que l’on retrouve dans de nombreux spirituals : le chariot te ramène « chez toi », dans ton pays, dans ton cœur, tandis que dans le ciel nocturne le grand chariot indique aussi le Nord et ses États abolitionnistes… Bien plus tard, George Clinton le refait surgir sur scène avec son groupe Parliament, en lien avec la culture psychédélique et l’actualité spatiale des années 70 ! « Chaque génération va réactualiser les métaphores : la puissance de la métaphore, c’est qu’on peut lui donner plusieurs sens, sexuel, politique, psychologique, religieux, festif… ». Cette figure transversale du chariot, du train ou de l’OVNI guidé par les anges fait ainsi l’objet d’une conférence à part entière, avec extraits musicaux et projection de documents à l’appui, qui sera présentée à la Fonderie le 20 février(1). En bon « griot » passeur de mythes, Pierre Deruisseau ne s’arrête plus une fois lancé et captive son public des heures durant… Autres volets de l’« Astro Black Mythology » : Sun Ra, le magicien bouffon et le lien avec l’Égypte ancienne ; les anges musiciens et la célébration des corps dans le funk ; le rapport entre le corps et la machine, dans le hip-hop et la techno ; les références des coiffures afro et des dreadlocks ; les musiques jamaïcaines et le mythe de Babylone et de Zion ; la quête de la pulsation parfaite ; les racines du chant afro-américain ; le spiritual jazz. Ce dernier sujet a été présenté à la bibliothèque centrale de Mulhouse à l’occasion du festival Tout Mulhouse lit, à l’invitation de l’association No Steak House. Un sacré voyage. « La soul fait vibrer ton âme. Le blues exprime la mélancolie et la regarde avec humour. Le funk fait transpirer le corps. Le gospel, c’est le divinverbe qui a des effets. Le negro spiritual et le spiritual jazz nourrissent l’esprit, c’est une transe hypnotique, il s’agit de s’adresser au divin pour se libérer de la peine ».

Albert Ayler interprète Swing Low, Sweet Chariot, le lien entre negro spiritual et free-jazz est posé. Quand on est pris dans la transe, comme certains musiciens d’église, le son provient du ciel, il n’est plus sous contrôle : « Quand ça arrive, on a l’impression de voler, l’esprit joue à travers nous et il se communique à la salle », décrit l’un d’eux. On passe par l’Afrique, où l’une des fonctions de la musique est de rentrer en contact avec les ancêtres. On se rappelle que dans l’épopée de Gilgamesh, un des premiers mythes transmis par l’histoire de l’humanité, les esprits sont dérangés par la « pollution sonore » des humains : Sun Ra entend justement les protéger de « l’influence néfaste des musiques commerciales… Le chaos est dû aux musiciens qui jouent pour l’argent alors que c’est un langage spirituel ». Et on ne plaisante pas avec ça : pour Aristote, la musique des cieux est ce qui fait tourner la Terre, ce qui la maintient dans l’espace. La pochette d’un album de Don Cherry illustre à merveille le lien entre le cosmos et l’espace mental, celle d’un live de Herbie Hancock montre l’esprit de feu descendre sur les danseurs. Les instruments utilisés renvoient à l’Orient et à l’Afrique, tandis que Frederick Russell Jones et William Emanuel Huddleston découvrent l’Islam et se renomment respectivement Ahmad Jamal et Yusef Lateef. Le Sweet Pea de Wayne Shorter est aussi apaisant qu’un ciel étoilé, mais les astres révèlent leur nature de boules en fusion dans les envolées de John Coltrane, sanctifié par ses admirateurs. Et quand Malachi Flavors, vieux et malade, reforme l’Art Ensemble of Chicago, c’est qu’il sent qu’il est bientôt temps pour lui de rejoindre Sirius et qu’il veut jouer la musique qui le transportera jusque là-bas. Ces conférences sont des mines sans fond, chaque évocation ouvrant d’autres pistes pour la cartographie complète d’une mythologie des temps modernes. Cet « afro-futurisme », comme ont pu le nommer certains critiques, n’est pas éteint : « On peut le retrouver chez Kanye West ou Janelle Monae, mais de manière plus superficielle, comme s’il n’y avait plus vraiment d’enjeu après la lutte pour les droits civiques ». Il en reste avant tout une histoire humaine et un patrimoine passionnant, qui, pour Pierre Deruisseau, ne se transmet jamais mieux qu’à l’oral : il commence à penser à un livre, « on m’y invite », mais l’alliance entre la parole, le son et l’image est idéale pour partager un flux d’information aussi torrentiel que fascinant.

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1 – Prochains rendez-vous avec Pierre Deruisseau à Mulhouse : Conférence « People get ready » dans le cadre du cycle « Cours publics 2014 / Le Surréalisme contemporain » le 20 février à 18h30 à la Fonderie. www.kunsthallemulhouse.fr Performance et conférence « En quête du perfect Beat » en partenariat avec Afro Spicy le 21 février à 19h à la Vitrine. http://blog.danslavitrine.com www.astrophonie.net facebook.com/nosteakhouse

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Rencontres

Lee Ranaldo and The Dust 14.11 Musée de la Cour d’Or à Metz 15.11 Les Trinitaires à Metz Par & Photos : Sébastien Grisey

Fait rare, Lee Ranaldo, guitariste de Sonic Youth depuis 1981, nous a fait l’honneur de deux concerts consécutifs en terre messine : un concert électrique dans la tradition noise pop de ses projets solos aux Trinitaires et, la veille, une session acoustique exceptionnelle dans un lieu qui ne l’est pas moins, les anciens greniers à blé médiévaux de la ville, aujourd’hui partie intégrante du musée de la Cour d’Or qui y expose une partie de sa collection d’art religieux. C’est donc dans un silence d’église que les quatre new-yorkais ont revisité plus d’une heure durant la discographie solo du bientôt sexagénaire qui ne cachait pas son plaisir. Six guitares acoustiques identiques toutes accordées différemment pour Lee Ranaldo, une seule pour Alan Licht, une contrebasse pour Tim Luntzel et un Cajón accompagné de divers accessoires pour Steve Shelley, autre membre historique de Sonic Youth qui fera preuve d’une maîtrise totale de ces instruments rudimentaires et inhabituels pour le batteur punk que nous connaissons. Les intonations de la voix triste de Lee Ranaldo rappellent instantanément des classiques de Sonic Youth comme Wish Fulfilment ou Karen Revisited. Ses nouveaux morceaux solo semblent parfaitement adaptés au format débranché et pour cause, tous ont été composés sur une six cordes acoustique. Retour aux sources donc. Nous sommes bluffés par la richesse des arrangements et l’impeccable qualité du set. À la question « faitesvous souvent ce genre de concert ? », il répondra qu’il a dû en faire en tout et pour tout trois ou quatre et que pour cet album c’est la toute première fois. L’interview ci-dessous a été réalisée autour de deux verres de vin et une assiette de choucroute dans la décontraction la plus totale. Ce soir là j’ai rencontré une légende, pas une star.

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Ma première question concerne la façon dont vous composez votre musique. Quelle différence voyezvous entre la composition dans le cadre d’un projet solo comme celui-ci et la composition au sein de Sonic Youth ? Sonic Youth a toujours été à son meilleur niveau quand nous composions en commun. La plupart des morceaux ont été composés par nous quatre dans la même pièce. Chacun venait avec des idées, un début de morceau, un enchainement d’accords et on construisait le morceau ensemble. Dans ce projet solo ce sont plutôt des morceaux que j’apporte moi, que j’ai composés à la guitare acoustique et que j’apporte au groupe pour les finaliser. C’est un peu plus dictatorial [rires]. Le groupe a néanmoins une grande influence sur la façon dont les morceaux sonnent mais je peux rejouer tous les morceaux à la guitare acoustique parce que c’est de là qu’ils viennent. Avec Sonic Youth, personne n’est jamais arrivé en disant « voilà j’ai un morceau, il commence comme ça, puis fait ça et se termine comme ça ». C’était systématiquement un travail de construction collective. Justement, qui sont les membres du groupe qui vous accompagnent aujourd’hui ? Bon j’imagine que vous en savez déjà pas mal à propos de Steve [Steve Shelley, batteur de Sonic Youth depuis 1985]. Alan Licht est un guitariste avec qui je joue depuis très longtemps. Nous n’avons jamais évolué dans un vrai groupe auparavant, mais plutôt dans un contexte d’improvisation. Nous avons cette autre formation qui s’appelle Text of Lights créée en 1999 avec laquelle nous jouons live sur des films américains d’avant-garde des années 50-60. Alan avait joué dans pas mal d’autres groupes de New-York. Je savais d’expérience que c’était un bon guitariste et quand j’ai travaillé sur mon premier album solo [Between The Times and Tides chez Matador Records en 2012, ndlr], je lui ai demandé de participer. Tim Luntzel notre bassiste vît à Brooklyn, il joue avec toutes sortes de groupes, des connus, des obscurs, avec des gens très différents et il a aussi joué sur quelques albums que j’ai produit, par exemple sur des morceaux pour la B.O du film sur Bob Dylan I’m not there. On se connaissait donc un petit peu, Steve le connaissait un peu plus que moi et quand on s’est mis à chercher un nouveau bassiste nous


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Rencontres

avons tout de suite pensé à lui. Je tourne en solo depuis la sortie de Behind the Times and Tides en décembre 2011 mais à l’époque, je ne pensais pas vraiment à constituer mon propre groupe, Sonic Youth était encore une réalité. Je ne pensais à rien d’autre que de faire un nouveau disque. Et puis on a découvert ce que vous savez au sein de Sonic Youth [Thurston Moore et Kim Gordon, couple rock’n’roll mythique dans la vie se sont séparés marquant la fin, espérons temporaire, de Sonic Youth, ndlr] et j’ai dû me mettre à sérieusement penser à réunir des musiciens et à tourner. Sonic Youth était mon groupe principal, j’y ai passé tant d’années… Ça prend du temps de réellement se sentir prêt à créer un autre groupe, trouver les bonnes personnes, qui jouent bien, avec qui on s’entend bien. Ça a pris presque un an et quand le temps est venu d’écrire ces nouvelles chansons j’étais convaincu que le groupe tenait vraiment la route. Vous mentionnez le fait d’avoir passé de nombreuses années au sein de Sonic Youth et lorsqu’on regarde votre biographie plus en détail on y trouve une foule d’albums, de collaborations, de projets annexes. Après toutes ces années, qu’est-ce qui continue à vous motiver dans tout ça ? C’est difficile à dire. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été intéressé par les arts visuels, la musique et l’écriture et j’ai le sentiment d’avoir continué à travailler dans ces trois domaines. Quand tu es jeune, tu rêves de devenir un artiste ou tout du moins de devenir quelque chose. C’est difficile de s’imaginer vraiment réussir en tant qu’artiste ou musicien. Avec Sonic Youth quand les choses ont commencé à bien se passer c’était comme un cadeau, à chaque étape, le fait qu’on nous donne la possibilité de faire uniquement ce qu’on aime. Alors oui, c’est quelque chose que j’aime d’une part mais je me sens aussi comme un étudiant, ce sont des domaines dans lesquels je fais des recherches, constamment. Si tu n’es plus intéressé tu arrêtes, ça

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arrive à beaucoup de gens mais pour ma part je reste très intéressé, je continue d’exposer des dessins, de sortir des petits livres de poésie et de jouer de la musique.

— Ça prend du temps de trouver les bonnes personnes qui jouent bien et avec qui on s’entend. —


— Au sein de Sonic Youth il y a encore beaucoup de choses que l’on souhaite faire. — Justement, vous êtes principalement connu en tant que musicien, mais votre activité artistique va bien au-delà, vous êtes pluridisciplinaire. Cela vous affecte-t-il d’une certaine manière que vos autres pratiques artistiques soient moins connues ou reconnues ? Ou au contraire, est-ce un atout qui offre plus de liberté parce que moins exposé ? Quoi qu’il arrive je me sens libre ! Mais les gens qui vous connaissent pour une chose ont du mal à accepter que vous en fassiez une autre. C’est particulièrement vrai quand vous êtes musicien. Les musiciens qui essaient d’être acteur, écrivain, réalisateur sont regardés avec suspicion et pour moi la guitare a été un choix depuis mon tout jeune âge. J’entretiens une relation intime avec elle, j’y mets beaucoup d’énergie, je veux que les gens écoutent ma musique, j’ai créé un label pour cela, etc. Mais pour mes autres activités c’est l’inverse, je les fais, un point c’est tout, sans en attendre quoi que ce soit. Que des gens me proposent de publier des textes ou d’exposer mes dessins c’est très bien, mais je ne fais rien de spécial pour que cela se produise. Quand au terme « pluridisciplinaire » je crois que c’est plus courant qu’on ne l’imagine, quasiment personne ne fait qu’une seule chose, en particulier quand vous êtes artiste. Dans tous les cas, l’idée c’est de partager tes expériences, tes ressentis, que ce soit par une ou plusieurs disciplines peu importe. C’est assez naturel pour un artiste mais c’est plutôt le public qui a du mal avec ça. Depuis de nombreuses années vous collaborez sur à nombreux projets avec votre épouse Leah Singer, photographe et artiste multimédia. Au vu des récents évènements au sein du couple Moore/Gordon quel est votre point de vue sur ce qu’implique une connexion artistique au sein d’un couple, chose qui semble au départ presque magique ? Oui en effet entre Thurston et Kim cela semblait vraiment magique. D’une certaine manière ils étaient parfaits, ils avaient une carrière à succès, un mariage qui fonctionnait mais ça peut sembler très difficile de travailler avec ton ou ta partenaire ; c’est dur et très plaisant à la fois. Quand j’ai rencontré

Leah nous étions deux jeunes artistes qui avaient chacun l’habitude de collaborer avec d’autres artistes. C’était donc naturel pour nous deux de monter des projets ensemble et globalement c’est plutôt bien parce que nous partageons beaucoup de choses sur notre travail qui, lui-même, est souvent lié au fait que nous formions un couple. Mais parfois des strates liées à notre relation viennent se superposer à celles du travail, ce qui ne rend pas toujours les choses aisées. C’est d’ailleurs quelque chose que Kim et Thurston ont toujours bien géré au sein du groupe, ils ne donnaient jamais le sentiment d’être en couple quand on travaillait sur quelque chose pour Sonic Youth, ils situaient ça à un autre niveau. Depuis la fin de Sonic Youth, le site web du groupe et la page Facebook sont restés actifs. La communication autour du groupe est la même : nous recevons toujours des informations sur les projets solos des quatre membres comme si rien n’avait changé. Avez-vous décidé ensemble que les choses devaient se passer comme ça ? Non, ça n’est pas réellement une décision qui a été véritablement discutée. Sonic Youth a maintenant 30 ans d’histoire et nous pensons avoir une sorte de dette envers les fans du groupe. Je ne sais pas si nous retravaillerons un jour ensemble mais nous avons une archive gigantesque. Il y a des tas de choses dans ces réserves que nous avons prévu de sortir de longue date et ces projets continuent, comme le live Smart Bar qui date de 1985 mais que nous avons sorti il y a seulement quelques mois. C’est principalement Steve qui gère le site Internet. Pour ma part, je parle toujours à tout le monde dans le groupe, Thurston va ouvrir pour un de nos concerts le mois prochain. Le site est vraiment notre mémoire et il n’a jamais été question de l’arrêter. De la même manière, notre studio (Sonic Youth Recording Studio) est toujours actif, même s’il n’est pas très utilisé en ce moment, j’y ai quand même fait mon album… Bref, toute cette histoire est encore très fraîche pour nous et on ne sait pas ce qui va se passer. Mais c’est quelque chose qui s’est passé hors du groupe au final et au sein du groupe il y a encore beaucoup de choses que l’on souhaite faire…

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architecte des

mots

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Par Benjamin Bottemer — Photo : Stéphane Louis

Il a contribué à sortir le graphisme éditorial du traitement austère et négligé qui était encore de rigueur dans la France d’après-guerre : Massin, graphiste, typographe, éditeur, écrivain, directeur artistique de Gallimard pendant 20 ans, est un autodidacte toujours en mouvement, dont la vision plurielle et instinctive du graphisme, à la croisée des arts et des cultures, a façonné le livre d’aujourd’hui. L’œuvre est dynamique et inusable, l’homme l’est aussi : à 88 ans, Massin est venu visiter les étudiants de l’École nationale supérieure d’art de Nancy. À trois heures de conférence et de table-ronde s’ajoutent la cérémonie de pose de la première pierre des nouvelles Archives Départementales, dont il a dessiné le logotype, puis une heure et demie d’interview, véritable voyage dans la mémoire de l’édition française d’après-guerre. L’un des pères du graphisme moderne travaille encore dix heures par jour, se déplace à travers le monde, intarissable lorsqu’il s’agit de parler d’une profession, d’un art pour lequel il nourrit une passion dévorante et une curiosité toujours affûtée. « Mon médecin me dit : n’arrêtez pas ! » confie-t-il. Lors de son intervention, il projette à son public une multitude d’abécédaires, faits d’animaux, de figures humaines, de feuilles, de nuages, de plans de palais... une façon de montrer, à l’instar du titre de son ouvrage de référence La Lettre et l’image, que pour lui les lettres ont avant tout été des formes avant de constituer un langage.

— Je continue à travailler en affirmant, comme une boutade, que le graphisme n’existe pas. —

Intégrer les influences, façonner les tendances Robert Massin, qui adoptera plus tard son patronyme comme signature, a vraisemblablement acquis cette vision dès sa plus petite enfance, pendant laquelle il observait et reproduisait le travail de son père, graveur. Avant même de savoir lire et écrire, il trace, au marteau et au ciseau, des lettres sur le marbre. Lorsqu’il crée de petits livres, comme le font souvent les enfants, il invente naturellement une typographie. À 19 ans, il travaille à Paris pour l’homme de théâtre et écrivain Tristan Bernard en tant que secrétaire ; la culture visuelle de Massin s’y enrichira à la découverte des revues américaines auxquelles Tristan Bernard était abonné. « Je me suis rendu compte que les américains avaient dix ans d’avance sur nous ! Bon, aujourd’hui, quand je vais à New-York, je découvre des couvertures à chier, des best-sellers immondes avec de gros caractères dorés et en relief ». Un exemple parmi d’autres d’influences multiples qu’il serait bien difficile d’évoquer de manière exhaustive au sujet d’un « style Massin » qui d’ailleurs « n’existe pas » de l’avis même de l’intéressé. « Parce que je cherche toujours à me renouveler » explique-t-il. Le travail d’affichistes (et notamment Paul Colin),

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Recherches pour la silhouette du personnage destiné à illustrer la couverture de L'Étranger de Camus

— Lorsque l’on tourne la page, il faut toujours qu’il se passe quelque chose ; c’est la cinétique propre au livre. — de publicitaires (la lessive Génie, le logo Shell, ou les étiquettes de liqueur qui lui rappellent l’épicerie de sa grand-mère), celui de calligraphes arabes et japonais, la « recherche visuelle » des livres de l’époque romantique, toutes les formes suscitent son intérêt, constituant à vrai dire « un mélange de profane et de sacré », expression qu’il utilise pour décrire les caractères français du XIVe siècle... il salue également « le renouvellement des formes » initié par le Bauhaus, ou l’importance du dadaïsme « qui a forcément influencé tous les graphistes ». Après avoir produit quelques articles en tant que journaliste pigiste, dont la première interview de Céline au sortir de la guerre, Massin fera ses premières armes en tant que conseiller artistique dès 1948 au sein des clubs du livre, qui participeront au renouveau de l’édition française comme la Nouvelle Vague a pu l’être pour le cinéma, réunissant passionnés et professionnels autour d’une vision nouvelle et moderne. Au Club français du livre puis au Club du meilleur livre, Massin prend en charge la mise en page, lui qui n’est jamais passé par une école d’art ou de typographie. « C’était un endroit où les cultures s’associaient, raconte-t-il. Autour du typographe Pierre Faucheux, qui était un véritable maître à penser, il y avait de bons artisans ; nous étions tous animés par le désir d’adapter la forme du livre à son contenu, à son auteur, en travaillant les matériaux ». À la fin des années 40, le livre était considéré comme « une brique à peine à décorer » ; c’est ce qu’un relieur affirmera à Massin. Le travail de mise en page était effectué directement par l’imprimeur, soucieux avant tout d’utiliser le moins de feuillets possible du fait de la pénurie de papier, avec pour résultat des livres étouffants,

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« illisibles ». Dans les ouvrages édités par les clubs, Faucheux et Massin joueront d’une abondante iconographie, ni l’un ni l’autre n’étant illustrateurs. Ils utilisent le bois, la soie, le verre, la toile de sac, investissent les couvertures (parfois perforées), la jaquette, les pages de garde et de titre : une vraie révolution. Pour Croc-blanc de Jack London, Massin fait apparaître des pas de loup blanc sur la couverture en couleur. Pour Les Copains de Jules Romains, il utilise les cartes routières des sous-préfectures d’Ambert et Issoire, lieux du récit. L’une de ses réalisations les plus notables de l’époque, et qui reste sa « préférée » est une édition de L’Or de Blaise Cendrars. Il y reproduit les caractères d’une affiche de 1848, avec des vignettes anciennes et des couleurs vives, le tout s’étalant sur toute la surface de la première et de la quatrième de couverture. « En dehors des couvertures, le plus gros de mon travail dans ma carrière a été non-spectaculaire et concernait la maquette. Dans les années 40, c’était un peu n’importe quoi. Des maisons d’édition comme Calmann-Lévy ou Gallimard continuaient à travailler comme avant-guerre, sans originalité ; ils faisaient des livres morts. Je pense que notre travail au sein des clubs a porté ses fruits auprès des lecteurs et des libraires, qui s’y sont dès lors fortement attachés ».

Dans la grande maison Conformément à la bonne vieille règle selon laquelle le courant dominant s’inspire, voire récupère l’alternative pour se renouveler, Massin est débauché par Gallimard qui s’était fait actionnaire à 50% du Club du meilleur livre. « Les clubs ont tellement donné en dix ans que les idées s’épuisaient, explique Massin. Et puis nous ne pouvions pas éditer d’auteurs comme Camus, Gide ou Malraux dont les droits appartenaient aux grandes maisons d’édition ». Le poste de directeur artistique

Albert Camus, L'Étranger, Gallimard, collection "Folio”, Paris, 1971-1972. Première de couverture illustrée, imprimée en quadrichromie (mise en couleur d'Alexis Oussenko), 17,8 x 10,8 cm


sera créé spécialement pour lui. À son arrivée, il rencontre le fondateur, Gaston Gallimard, qui l’interroge : « Qu’allez-vous faire chez nous ? ». Le jeune Massin lui répond « Tout ! », ce qui n’a pas été sans émouvoir l’auguste éditeur. À l’évocation de ce qui semble apparaître comme un trait d’audace, Massin assure qu’il se posait véritablement la question. Son premier travail pour Gallimard fut la création de la collection Soleil, une collection sobre, « anti-club » même : reliures de couleur, en tissu, couvertures identiques pour tous les titres. « Je me châtrais moi-même ! Après cela, je ne voyais pas ce que j’allais faire chez Gallimard. Il y avait bien des collections de luxe, mais ce n’est pas ma tasse de thé, c’est même tout le contraire, explique celui qui a toujours milité pour la diffusion d’ouvrages à la fois originaux, soignés et accessibles. Ma mission tenait en trois mots : maintenir, restaurer, rénover. Je voulais avant tout créer une identité visuelle pour Gallimard ; il y avait si peu de différences en la matière entre telle ou telle maison... En 1925, Maximilien Vochs était connu pour ses couvertures « coup de poing » et Roger Allard réalisait des couvertures de style romantique très réussies, mais ils ont tous été dépassés. C’est ce qui me serait arrivé si je n’avais pas continué à travailler ». La plus populaire des créations de Massin chez Gallimard, celle dont chacun détient au moins une pièce dans sa bibliothèque, est sans doute la collection Folio. L’idée est à la

fois simple et innovante : un caractère unique pour le titre et l’auteur, et un fond blanc sur lequel se détache une illustration. Ce fond blanc était plutôt inhabituel avant que les couvertures ne soient pelliculées, car les livres étaient rapidement sales et défraîchis. « De plus le fond blanc était synonyme d’ouvrages austères et emmerdants, note Massin. Alors que la couleur sur fond blanc, c’est quand même quelque chose ! J’avais pour principe de solliciter des illustrateurs figuratifs et contemporains et de faire le contraire du Livre de Poche, qui empruntait l’esthétique de ses couvertures aux poches américains. J’avais été frappé à cette époque par le retour de la figuration dans la publicité ». Il évoque Tibor Charnus, peintre hongrois qui a réalisé plus de 130 couvertures pour Folio, et qui bénéficiera comme tous les autres illustrateurs d’une initiative prise par Massin pour améliorer leurs conditions de travail chez Gallimard : « J’ai fait établir un contrat entre éditeur et illustrateurs qui stipulait que ceux-ci recevraient un tiers de la somme prévue en à-valoir, et que les originaux leurs seraient rendus. Cela leur permettait de les revendre en galerie par exemple. Je me suis élevé contre le fait que l’œuvre appartienne à l’éditeur ». Autre collection emblématique, fruit de la collaboration entre Massin et Gallimard : la collection l’Imaginaire, destinée à accueillir des auteurs marginaux ou expérimentaux. Toujours sur fond blanc, celle-ci se distingue par l’absence d’illustration, remplacée par le titre du livre en caractères fantaisistes et toujours différents, que Massin réalisait à la main. « En travaillant au copie-calque sur chaque lettre, j’ai fait 19 couvertures que j’ai déposé sur le bureau d’André Gallimard en son absence. Il a pensé qu’il s’agissait de propositions... je lui ai alors expliqué que les couvertures de l’Imaginaire se démarqueront par leur hétérogénéité. J’en ai même trouvé le nom, même si André Gallimard était persuadé que l’idée venait de lui. Enfin, les patrons font ce qu’ils veulent ! En tout cas, cela reste ma collection favorite, je pense qu’il restera toujours cette image de l’Imaginaire, intemporelle ».

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Livre de la collection “Blanche”, Gallimard, p.42, avec les indications manuscrites de Massin, 11,8 X 18,6

— Des maisons d’édition comme Calmann-Lévy ou Gallimard continuaient à travailler comme avantguerre, sans originalité ; ils faisaient des livres morts. —

Grandes plumes et caractères Au sein de la prestigieuse maison, Massin côtoiera les plus grands auteurs et artistes français de la seconde moitié du XXe siècle. En 1961, pour Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, il réalise un découpage des vers en bandelettes qui permettent des combinaisons de lecture quasiment infinies, et pour Exercices de styles, du même auteur, qui raconte une histoire de 99 manières différentes, il réalise 99 « exercices de styles typographiques », enrichis dans une seconde édition de 45 « variations illustratives ». « Je pars du principe que lorsque l’on tourne la page, il faut toujours qu’il se passe quelque chose ; c’est la cinétique propre au livre ». La variation est une technique, mieux, un état d’esprit, au centre de la vision graphique de Massin, issue de son amour pour la musique baroque. Il y consacrera un petit ouvrage intitulé De la variation. Il faudra à Massin plus de 30

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ans pour achever Les Mariés de la Tour Eiffel de Jean Cocteau, si complexe en façonnage que l’ouvrage sera trop cher à réaliser dans un premier temps... puis, dans les années 80, le papier utilisé à l’origine n’existe plus. Tout le livre sera réalisé en sérigraphies à sa parution en 1994 chez Hoëbeke. « Cocteau n’a malheureusement pas pu voir le résultat final. Lorsque l’on a redécouvert la musique du Groupe des six, perdue depuis la création de la pièce en 1921, j’ai pensé à un format inédit proche des disques. L’intégration de musique dans l’ouvrage a participé au surcoût de fabrication et de diffusion qui a refroidi Gallimard ». On pense à l’édition américaine de La Foule d’Édith Piaf, que Massin agrémente de caractères dont l’inflexion suit celle de la voix de la Môme. Après avoir essayé divers matériaux, le graphiste commandera de grandes quantités de préservatifs sur lesquels les caractères s’étirent de manière satisfaisante.Ce rapport charnel à la lettre constituera la base de l’étape suivante de son travail : la typographie expressive, soit « l’alliance du son, de la couleur et de la lettre ». Il la mettra remarquablement en pratique pour La Cantatrice Chauve de Ionesco, pour lequel il se fait véritablement le metteur en scène du livre. En travaillant avec le photographe Henri Cohen, Massin représente les personnages, les silences par des blancs, les intonations via des effets de zoom, et même l’obscurité, utilisant un fond noir lorsque la lumière s’éteint. « J’ai voulu renouveler la lecture des pièces de théâtre, souvent ennuyeuse, explique-t-il. J’ai emprunté au cinéma, à la bandedessinée, avec pour seule réserve que le texte reste lisible, la seule chose qui préoccupait Ionesco ». La raison du divorce entre Gallimard et Massin tient peutêtre dans la relative frustration que le graphiste entretient par rapport à sa carrière parallèle d’écrivain. En dehors de ses ouvrages sur le graphisme qui font aujourd’hui référence (La Lettre et l’image, L’ABC du métier…), Massin se passionne pour l’Histoire. Il écrit plusieurs romans historiques, semi-


autobiographiques et des ouvrages sur la culture populaire qui connaîtront quelque succès. Comme à l’époque des clubs du livre où il prenait des pseudonymes pour cacher son intense activité, il écrit dans un premier temps sous le nom de Claude Menuet. « Je suis allé jusqu’à mentir à André Gallimard sur mon identité pour ne pas être publié parce que j’étais directeur artistique de la maison, précise Massin. Après le succès des Cris de la ville, je lui ai proposé la création d’une collection dédiée, mais il éludait toujours la question... il ne voulait pas que je quitte mes chaussons de directeur artistique. Alors, j’ai fini par lui annoncer que je le quittais pour rejoindre Hachette, qui m’offrait une liberté éditoriale totale. Il était fou furieux ! Mais il m’a quand même repris pour travailler chez Denoël quelques années plus tard ». Calmann-Lévy, Albin Michel, Robert Laffont... Massin collaborera par la suite pour une grande partie du monde de l’édition hexagonale.

Connexions Passé en 1960 « un peu tardivement » du croquis-calque à l’ordinateur, Massin, homme connecté et hyper-réactif, reconnaît à l’informatique « une qualité extraordinaire : la rapidité d’exécution. L’arrivée des logiciels a effacé le rôle intermédiaire des labos et des imprimeurs. Et cela donne envie d’explorer des choses ». Cependant, il regrette l’uniformisation mondialisée qui guette les graphistes branchés en permanence sur les réseaux et les derniers logiciels. « À force de vouloir aller au bout des possibilités, les graphistes finissent par tous faire la même chose. Et l’informatique a toujours une limite ». Alors que l’esprit n’a que celle de l’imagination, Massin s’est attaché à stimuler et à diffuser la sienne en créant en 2007 sa propre maison d’édition associative, Typographies expressives, dédiée à « la mise en valeur des rapports multiples entre image et son ». Celle-ci éditera des ouvrages à petits tirages dont il réalisera la typographie, la mise en page et la couverture. S’il a récemment stoppé cette activité bénévole qu’il ne parvenait plus à pérenniser, cette expérience est loin de lui avoir fait rejoindre les rangs des pessimistes qui évoquent « la mort du livre » : « Il suffit qu’il continue à se passer quelque chose

quand on tourne la page : le livre a ce genre de qualité physique. Par contre, dans certains livres de luxe, je trouve que l’on est souvent face à des pages fermées. De plus, la tendance actuelle à réduire les tirages va à l’encontre de ma vision personnelle d’une large diffusion des ouvrages. À part cela, je pense que tout se passe bien ». Constamment au travail, notamment sur un projet personnel autour des Pieds Nickelés, lecture secrète de son enfance, Massin déplore que ces derniers temps, on fasse trop peu appel à lui à son goût (« Ces six dernières années, je crois que l’on pensait que j’étais mort ou sénile ! »). Résolument « amateur en toutes choses » selon la formule qu’il affectionne, pensant la mise en page d’un livre comme l’écriture d’une partition, utilisant la forme et le langage musical ou cinématographique lorsqu’il évoque « de nécessaires ruptures d’échelles », Massin est une mémoire de l’édition et du graphisme tout en maintenant un regard éveillé et composite sur son environnement. « Je continue à travailler en affirmant, comme une boutade, que le graphisme n’existe pas. De la même façon que quelqu’un comme John Cage s’est autant intéressé à la musique qu’à la peinture ou l’architecture, et que l’architecte bavarois qui concevait une église à la fin du XVIIIe siècle était l’artisan de tout, dessinant la chaire et l’autel, le graphiste n’a pour rôle que celui d’avoir une vision particulière de l’interaction entre les arts, de faire communiquer toutes les disciplines : c’est un travail global ». MASSIN, propos recueillis le 29 novembre à l’École nationale supérieure d’art de Nancy. Roxane Jubert, Margo Rouard-Snowman, Massin, Massin et le livre : la typographie en jeu, Éditions Archibooks, 2007 Remerciements à Roxane Jubert et Thomas Huot-Marchand de l’Atelier National de Recherche Typographique de Nancy.

LET’S TYPE ! Le séminaire Let’s Type se consacrera à la transmission et à l’enseignement du type design : le design de caractères typographiques. Les invités, tous créateurs de caractères et enseignants, présenteront divers contextes d’une pratique qui semble trouver sa place dans l’enseignement supérieur. Venus d’horizons aussi différents que l’Amérique Latine, la Turquie, ou l’Allemagne, ils témoigneront de leur expérience en tant qu’enseignants – et comment celle-ci s’articule avec leur pratique personnelle. Seront également présentées les recherches d’un atelier intensif mené dans le cadre du séminaire avec les étudiants de l’ÉSAL. Enfin, une table ronde avec des intervenants de l’Atelier National de Recherche Typographique, Nancy et de l’ÉSAL Metz, viendra clôturer la journée. LET’S TYPE, séminaire international de typographie le 20 février à l’École Supérieure d’Art de Lorraine (ÉSAL), Metz 03 87 39 61 30

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Par Vanessa Schmitz-Grucker Illustrations : Sherley Freudenreich

« On se résigne trop facilement à la fatalité ». Tel Sisyphe, Camus aura inlassablement roulé sa pierre du fond des abîmes aux plus hauts sommets, entraînant d’une seule sentence la naïveté de mes 15 ans dans ses tourments existentiels : « Aujourd’hui, maman est morte ».

camus

un drame algérien Les vérités du soleil Les Amandiers, 1940. Albert Camus, tout juste exilé vers la France d’une Algérie où il s’est vu presque banni, réfléchit à la guerre qui sévit en Europe. Ses mots ne sont pourtant pas ceux d’un Européen déchiré par la tragédie des siens mais ceux d’un déraciné nostalgique de son pays et amoureux de l’Afrique : « Quand j’habitais Alger, je patientais toujours dans l’hiver parce que je savais qu’en une nuit, une seule nuit pure et froide de février, les amandiers de la Vallée des Consuls se couvriraient de fleurs blanches. (...) Quand le poids de la vie devient trop lourd dans cette Europe encore toute pleine de son malheur, je me retourne vers ces pays éclatants où tant de forces sont encore intactes. Je les connais trop pour ne pas savoir qu’ils sont la terre d’élection où la contemplation et le courage peuvent s’équilibrer ». L’Équilibre, cette terre promise qu’Albert Camus ne connaîtra jamais, trahi pas ses origines

— L’affaire d’Algérie est la plus grave de ma vie d’homme. —

sociales, trahi par le Parti Communiste et l’Étoile Nord-Africaine (ENA), trahi par la métropole, trahi par ses pairs, trahi par la maladie. Le bonheur, le courage, la contemplation ne sont pas des mots vains sous la plume de Camus. En 1949, c’est un homme malade dans sa chair et de sa condition qui voyage vers le Brésil pour une série de conférences en tant qu’ambassadeur de la nouvelle littérature française. Il vient d’être consacré par ses pairs et le public après la publication de La Peste mais il vit cette reconnaissance comme une condamnation (il refuse en vain les « stupides prix ») ou du moins comme une entrave à sa liberté qui le poussera, malgré lui, à la rupture, largement romancée, avec Sartre. « J’ai honte de voyager en première. J’imagine les vies misérables. (...) Je les imagine si bien

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parce que j’ai vécu ainsi, à Alger, pendant toute mon enfance ». Ces mots, Salim Bachi les prête à cet homme, colonisateur sur le papier, colonisé par sa condition sociale, dans son roman Le dernier été d’un jeune homme(1). Ce voyage vers le Brésil, « métaphore d’une traversée existentielle », est le point de départ pour l’auteur de ce portrait. Il n’est pas anodin d’y lire que Camus a emmené avec lui le manuscrit des Justes dans lequel il dénoncera un dilemme moral, héritage de Dostoïevski encore trop ignoré par ses exégètes : doit-on combattre le mal par le mal ? Peut-on tuer un homme et des innocents pour sauver d’autres vies, plus nombreuses ? Camus, bientôt controversé, ne craint plus rien. Il sait qu’il va publier L’Homme révolté et s’aliéner toute la gauche bien-pensante, tel Gide à son retour de l’URSS. L’Histoire n’a pas encore contraint Sartre à se replier, les Russes n’ont pas encore marché sur Budapest. Mais Camus a déjà compris ce qui se jouait. Il le sait depuis les années 30, depuis que le PC a lâché l’ENA de peur de se couper des Européens en soutenant la cause des Indigènes, au moment même où l’on célèbre, avec un triomphalisme étranger aux Français d’Algérie, le centenaire de la colonisation. Au moment où Messali Hadj, aussi, s’éloigne de ceux qui, comme Camus, comme les communistes ne voudront jamais entendre parler d’indépendance.

— Pour un intellectuel, il n’y a qu’une façon de trahir qui est d’applaudir et de se soumettre à la force. —

Aujourd’hui, Meursault est mort ? On criera bientôt que L’Étranger est le fruit de la pensée d’un écrivain colonialiste qu’on se réjouit d’avoir poussé à regagner la métropole, cette terre inconnue où il n’aura pas l’occasion de vivre plus longtemps qu’en Algérie. Chef d’œuvre de la pensée absurde, plus aucun intellectuel digne, Français ou Algérien, ne saurait dorénavant avancer qu’il n’y a qu’un seul Arabe dans l’œuvre littéraire de Camus et qu’on l’assassine de façon abjecte, sans mobile. Que l’Algérie est la grande absente de ses textes quand Camus écrit Le Vent à Djémila ou Noces à Tipasa. La pensée de Camus transcende ces clivages qui ne l’intéressent que lorsqu’il s’agit de défendre l’égalité entre les Français d’Algérie et les Arabes d’Algérie. Son œuvre se veut universelle. C’est l’œuvre d’un humaniste et non pas d’un existentialiste bien qu’il ne se sente pas concerné par les rapports qu’on lui prête avec Sartre. Camus ne se revendique pas philosophe. C’est un écrivain engagé, un antimarxiste contre l’embourgeoisement, profondément ascétique, bercé par une indolence toute méditerranéenne. Abonné au Libertaire, presse anarchiste, il échange ses idées avec son facteur entre deux propos sur le football. Visant Sartre, il écrit à BaptisteMarrey : « Pour un intellectuel, il n’y a qu’une façon de trahir qui est d’applaudir et de se soumettre à la force ». Cette force, c’est celle de la pensée allemande incarnée par Hegel, Marx et Nietzsche dont découlent les grandes idéologies européennes qui ont jeté l’Europe dans le chaos. Camus s’oppose rigou-

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reusement à la pensée nihiliste. Il est un impénitent optimiste. Il refuse surtout de se soumettre au messianisme révolutionnaire. L’Homme révolté ne se soumet pas aux lois de la Révolution, il ne se soumet qu’aux seules lois de la vie. Camus s’attaque alors à ce que la gauche a de plus précieux : la pensée surréaliste, la pensée marxiste, la pensée hégélienne. Récupéré par la droite, qui voit là des relents de bons sentiments chrétiens, méprisé par la gauche, Camus est attaqué, dans Le Temps, sur ses origines : on lui reproche de n’avoir fréquenté que des colons, d’être resté à l’écart de tous les conflits, préférant la douceur des plages méditerranéennes à l’âpreté de la Résistance. Toute l’histoire de Camus est réécrite sous la plume de Jeanson, commanditée par Sartre, et Camus mourra neuf ans plus tard, avec certes un prix Nobel mais sans aucune autre forme de réhabilitation.

Une Algérie réconciliée Et pourtant. Le 17 mars 1956, Camus écrivait à Baptiste-Marrey : « L’affaire d’Algérie est la plus grave de ma vie d’homme. J’essaye de m’arranger avec elle mais elle m’enlève le goût de vivre. (....) J’ai travaillé à un livre. Un court récit sortira au printemps [La chute, ndlr], un volume de nouvelles en septembre [L’exil, ndlr] mais je suis en train de perdre ma patrie ». Sa douleur est d’autant plus vive qu’il avait tout pressenti, de la chute des grandes idéologies européennes à ce qui attendait l’Algérie si elle est venait à gagner son indépendance. Avant de quitter son pays, où il n’avait plus de quoi subsister, Camus était rédacteur en chef d’Alger Républicain dont il disait : « Alger Républicain ne sait pas tout mais dit tout ce qu’il sait ». La liberté semble être son seul combat mais elle s’accompagne toujours de vérité : « On ne peut pas non plus marcher contre sa vérité ou celle qu’on croit telle » écritil à Baptiste-Marrey alors qu’il se dit seul, dénigré, moqué, incompris peutêtre. Camus croit encore au dialogue. Il écrit dans L’Express, le 9 juillet 1955 : « Si l’Algérie doit mourir, elle mourra de résignation généralisée. La métropole indifférente comme la colonie exaspérée semblent admettre que la communauté franco-arabe est impossible et que l’épreuve de force est désormais


inévitable. (...) Tous semblent accepter d’avance le pire : la séparation définitive du Français et de l’Arabe sur une terre de sang et de prisons. Je suis de ceux qui ne peuvent justement se résigner à voir ce grand pays se casser en deux pour toujours ». Camus s’opposera de toutes ses forces à l’indépendance de l’Algérie tant il ne peut concevoir de présenter un passeport à l’entrée du pays où il est né. Lui qui s’est toujours battu pour le droit des Arabes se sent soudain trahi de se voir retirer les siens. Derrière la nuance, derrière ce qui en apparence sonne comme un propos hésitant parce que teinté d’espoir – ce qui fera dire à Sartre et ses amis qu’il est « un petit penseur poli », il y a de réelles convictions, de vrais idéaux. Envers et contre tout, il se rend à Alger en 1956 où il est hué. Il discourt devant une foule immense : « dans les vieilles guerres classiques, il existait toujours un ennemi, personnage invisible. (...) Mais dans cette Guerre d’Algérie, si affreusement intime, l’ennemi est un ancien compagnon de classe et de jeu avec lequel, après les parties de billes et de ballon, on allait sur la plage, discuter éperdument de poésie et de métaphysique ». Camus dénonce l’attitude de la métropole aveugle qui ne voit pas qu’elle ne défend les intérêts

d’aucune communauté. Et encore, le destin, tuant Camus dans un accident de voiture en 1960, lui épargne de voir ce qu’il redoutait le plus : après la première guerre fratricide entre le FLN et le MNA, l’hystérie générale entre métropolitains, Français d’Algérie, Arabes d’Algérie, Arabes indépendantistes, Harkis. Il est mort avant les accords d’Evian, le massacre des Harkis, l’exode des Pieds Noirs et l’Algérie indépendante dominée par le terrorisme. Camus aura tout prédit mais il n’aurait sûrement pas imaginé qu’un siècle après sa naissance, sa terre tant chérie, tant louée pour son calme et sa force connaîtra des heures plus dures encore que le FLN et son bras armé, l’ALN. Ce pacifiste dans l’âme n’aurait sûrement pas supporté de voir son pays jeté dans la misère la plus noire, terrorisé par des groupuscules islamistes. Alors, mon innocence définitivement perdue, je l’imagine répéter sans fin, avec l’honnêteté d’un Meursault à jamais disparu, ce qu’il avait lancé à Sartre dans Les Justes : « On commence par vouloir la justice et on finit par construire une police ». 1 – Salim Bachi, Le dernier été d’un jeune homme, Flammarion

Albert Camus, Œuvres, Quarto Gallimard Albert Camus, Carnets I, II, III, Folio Baptiste-Marrey, Camus, un portrait, Fayard

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Par Emmanuel Abela & Soraya Safieddine

du sens

du signe De retour de Rome après sa résidence à la Villa Médicis, Clément Cogitore nous livre la cohérence d’une œuvre qui s’attache au rituel pour dépasser le réel.

Pour ton exposition au MAMCS, tu as fait le choix d’un nombre réduit d’images. Oui, je souhaitais qu’elles soient toutes connectées et qu’elles créent une narration d’une image à l’autre : j’ai opté pour des photographies grand format que je colle directement au mur, mais aussi pour des dispositifs vidéo, comme pour Élégies ou Assange Dancing, où je suspends des écrans en plexiglas à hauteur du spectateur et où l’image apparaît comme un vitrail en lévitation. De manière générale, j’essaie de créer de fortes correspondances ou confrontations entre mes images, comme c’est le cas avec Le Chevalier Noir – photographie représentant un CRS monté sur un cheval noir –, que j’accroche face aux Anonymous de We are Legion. Cette représentation quasi médiévale du pouvoir s’appuie sur l’iconographie d’un récit chevaleresque qui se renouvelle dans l’Histoire, à mi-chemin entre Chrétien de Troyes et Robocop. L’autre grand format, Déposition nous montre des personnes enveloppées dans des couvertures de

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survie et rassemblées dans une sorte de veillée funèbre. Elles entourent un corps allongé et éclairé par des phares de voitures sur un bord de route. La lumière monte à travers les arbres dans la nuit, créant une correspondance colorée entre le drapé des couvertures de survie et le fond doré de la peinture byzantine. Les images de l’expo sont souvent construites ainsi, dans une confrontation entre une mise en scène théâtrale et des éléments d’ordre documentaire. Par ailleurs, j’aborde également la question de la communauté, comme dans la vidéo Élégies où j’ai filmé des spectateurs en train de regarder une scène et de la photographier avec des smartphones : la masse du public est tournée vers un point lumineux sans que l’on n’ait la moindre idée de ce qui s’y passe. Dans une autre vidéo intitulée Assange Dancing, Julian Assange danse sur une scène, dans une solitude totale, mais il représente par son activisme une foule à lui tout seul. Quelle cohérence as-tu cherché à construire ? J’avais envie de construire l’exposition comme un jeu de piste avec des signes qui passent d’une image fixe à une image en mouvement et dialoguent entre eux, comme si je dessinais à travers eux une carte ou un territoire. Pour certaines pièces, il s’agit de narrations qui se manifestent de manière claire ; parfois, c’est moins le cas. Avec la vidéo Sans titre, on se situe dans une logique narrative de l’ordre du rêve, on sent que les choses sont connectées entre elles, mais elles résistent


La Grotte, 2013 C-print, 120x100 cm Courtesy Galerie White Project

plus à l’interprétation. J’aime l’idée d’une alternance entre des récits dans lesquels on peut se projeter très librement – et aussi se perdre parfois –, et d’autres plus tenus où le sens apparaît de manière très affirmée. Pour moi, construire une exposition, c’est un petit peu ça : attraper le spectateur pour lui raconter des histoires au creux de l’oreille et à d’autres moments pour lui proposer des expériences à vivre dans un pointillé de sens. Ce que tu présentes ici connaît un prolongement au CEAAC. Comment s’opère la distinction entre les pièces exposées ici, au MAMCS, et celles que tu proposes là-bas ? Ici les pièces présentent pour moi quelque chose de plus affirmé, elles ont une forme plus définitive, alors qu’au CEAAC je présente des pièces dont je cherche encore un peu la forme. Il y a des pièces en gestation que je situe parfois comme des travaux de recherche, comme cette vitrine longue de 3 m, dans laquelle je place des petites images avec du texte : elles correspondent à des petits récits issus d’Internet, qui oscillent entre paranoïa, superstition et phénomène paranormal. J’injecte moi-même des récits de fiction, mais ce ne sont pas forcément les récits les plus incroyables qui apparaissent au final comme les plus fictifs. Je laisse le

spectateur se promener dans ces micro-épopées, comme dans le flux d’un imaginaire collectif. Les titres des expositions, Visions au MAMCS, Fictions au CEAAC, suggèrent une autre distinction. L’ensemble des pièces porte sur cette double thématique Fictions/Visions. Derrière l’idée de fiction se dégage l’idée d’un récit qui rassemble les hommes, que ce soit de la mythologie collective ou personnelle. Je m’interroge sur la manière dont s’écrit ce récit commun : qu’est-ce qui fait que des hommes se rassemblent, commencent à se raconter des histoires et cherchent ensuite à les transmettre ? Pour moi, il existe une frontière perméable entre la vision et les fictions : les fictions naissent de la vision ou les prolongent, et inversement. Ce récit que tu évoques revêt souvent une dimension sacrale... Le point de départ de l’exposition au MAMCS c’est la grotte en tant que trou noir de la pensée, ce lieu préservé où tout a commencé. Par extension, je me suis intéressé à la question des images souterraines. Cette exposition fait suite à ma résidence à Rome [à la Villa Médicis pendant un an, ndlr], où j’ai eu l’occasion de visiter des sites et de tourner, no-

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Sans titre, 2013 Vidéo, 25 min Courtesy Galerie White Project

tamment dans les catacombes qui apparaissent dans Sans titre. La grotte et les images souterraines ne renvoient pas seulement au paléolithique ni aux premiers chrétiens, mais également à Platon : se pose la question des ombres et de la projection, mais aussi d’une certaine façon celle de la liturgie. La vidéo Élégies, la pièce la plus récente, est celle qui cristallise d’une manière assez simple des idées qui me tiennent à cœur : avec tous ces gens tournés vers le même objet, qui cherchent avec leurs portables à en saisir des fragments, je vois une forme de liturgie de l’ère numérique qui se caractérise par un élan commun, une humanité plongée dans l’obscurité à la recherche de la lumière. Avec Sans titre, on ne peut s’empêcher de penser à Fellini Roma, et cette scène de la découverte de fresques antiques souterraines qui disparaissent avec l’entrée de l’air et de la lumière. De manière plus générale, l’art à Rome, notamment le baroque, a toujours hanté tes images. Oui, c’est vrai. Avant ma résidence, j’étais déjà marqué par la peinture italienne. Là, ça a confirmé la manière

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— Comme l’écrit Borges, à qui j’emprunte le titre de l’exposition : « Expliquer un fait c’est l’unir à un autre »... — dont cette peinture m’a nourri, notamment dans sa façon de mettre en scène, inspirée du théâtre. Chez Le Caravage, on se trouve quasiment sur une scène, d’où l’absence de décor. Rome c’est aussi de la pierre, c’est même essentiellement cela : une accumulation de pierres par strates. Tout se construit audessus de ce qui précède, et tout est objet à transformation : par le principe d’absorption, tu prends un temple romain ou un lieu antique de réunion civile, tu places une croix dessus et tu obtiens une église. La fresque que je filme dans Sans titre, c’est tout à fait cela : le Christ Berger, dans les catacombes de Priscilla. Cette représentation correspond à la première apparition dans l’iconographie chrétienne d’un Christ sous les traits d’un berger. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il s’agit à l’origine d’une image païenne, celle de Pâris le bon berger. Les premiers chrétiens ont utilisé cette image parce qu’ils y voyaient un faisceau de sens qui renvoyaient à leur propre spiritualité. C’était une manière également pour eux de se camoufler : utiliser une iconographie existante, et lui raccrocher un sens chrétien. Cette image permet de raconter la perméabilité des croyances. Dans ce cas-là, la symbolique est


universelle, elle dépasse la question de l’Empire et du culte officiel. Ce qui m’intéresse c’est la manière dont les choses sont réemployées par l’humanité et passent d’une croyance à une autre. Le sens initial reste, mais la connexion spirituelle entre les oracles grecs et la liturgie chrétienne se fait par des points de croisement. De la même manière, dans Élégies je crée des connexions entre Rilke et un concert mainstream. Et tu crées ainsi des formes nouvelles... Je n’ai pas le sentiment d’être un inventeur de formes, je me sens plutôt comme un metteur en scène d’images. Mon travail, c’est de raconter des histoires, c’est un métier qui remonte à la nuit des temps. Pour cela, j’utilise un médium vieux de près de 200 ans, la photographie. Et pour la vidéo, même si j’utilise des technologies ultra récentes, je n’ai pas le sentiment que ces nouvelles technologies me conduisent vers de nouvelles formes. Par contre, ce qui m’intéresse c’est de créer des constellations de sens, des liens entre des éléments qui n’ont pas de proximité apparente. Comme l’écrit Borges, à qui j’emprunte le titre de l’exposition : « Expliquer un fait c’est l’unir à un autre »... C’est le propre de la poésie que de créer ainsi du sens par strates successives... Oui, ou d’organiser le chaos... Malgré tout, tu interroges implicitement le sens de l’image et sa portée aujourd’hui. Oui bien sûr, que ce soit via l’image numérique ou l’image en réseau, je travaille sur des images de mon temps. Mais j’en arrive à la sensation que ce qui nous semble très contemporain – qui donne le sentiment de surgir ainsi de rien – est en fait connecté à des formes beaucoup plus anciennes de lecture de l’image. Laquelle a parfois pris un chemin souterrain pour réapparaître sous d’autres formes. Dans l’Histoire de l’art, des figures de l’Antiquité sont réapparues à la Renaissance, mais ce sont toujours les mêmes figures qui trouvent à une époque donnée une manière de surgir à nouveau. Finalement, les éléments qu’on a en main restent les mêmes depuis la nuit des temps. C’est comme si nous avions des cartes en main, toujours les mêmes et selon la manière dont elles s’abattent sur la table, elles racontent une nouvelle partie, toujours recommencée mais toujours différente. Quand je fais une Annonciation ou même Le Chevalier Noir, c’est comme si je cherchais à redistribuer d’une autre manière des signes qui existent depuis bien plus longtemps que moi. Ces éléments s’articulent à mon sens autour de trois récits fondamentaux : celui du conflit, celui de la rencontre, et celui de la frontière. Par récit de la frontière, j’entends celui de la « perméabilité des mondes » c’est-à-dire le passage d’un monde à un autre, au sens politique bien sûr mais aussi au sens spirituel, c’est à dire le monde des Dieux et des humains, des vivants et des morts, etc. Toute « histoire » ou toute narration consiste quelque part en un tissage de ces trois récits, qui contiennent en germes les principaux enjeux affectifs, politiques et spirituels de l’expérience humaine. C’est à dire que derrière l’Odyssée ou la Bible, en passant par Shakespeare jusqu’à certaines séries télé d’aujourd’hui comme The Wire ou House of Cards, on peut deviner ces trois récits

en filigrane. Et dans ce que j’essaie de faire — tant dans le domaine du film que celui de l’exposition – je n’échappe bien sûr pas à cela. Aujourd’hui, on évoque beaucoup la question de l’icône avec ses vertus propres. Chez toi, l’image est fixe, elle peut être animée, donc au sens premier dotée d’une âme. Quelle est la fonction que tu attribues à tes propres images ? Ce qui me fascine dans l’icône c’est qu’il ne s’agit pas d’une représentation, mais d’une signification. Comme spectateurs nous ne sommes pas face à une image, mais face à un ensemble de signes qui témoignent, qui constituent un intermédiaire avec une réalité invisible. Du coup, il n’y a pas de tentative de mimétisme ; l’image est codifiée, stylisée à l’extrême, elle nous donne le moyen de percevoir une autre réalité. Elle n’est même plus une image – d’ailleurs en russe, l’icône ne se peint pas, elle s’écrit. J’y vois aussi un lien avec le cinéma. Dans un film de Bresson par exemple, j’ai l’impression de ne pas être face à une représentation, mais à une architecture de signes. Il en va de même à mon sens pour le principe d’une exposition, qui sous la forme d’un « documentaire » sur le monde intérieur d’un artiste, doit livrer à la fois les signes et les moyens de s’en saisir. FICTIONS, exposition du 15 mars au 21 septembre au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg ; programmation film&vidéo en lien avec l’exposition à l’Auditorium du MAMCS : F for Fake d’Orson Welles le 13 mai ; programme de vidéo d’artistes et de films expérimentaux le 20 mai ; courts-métrages et documentaires de Clément Cogitore le 27 mai (rencontre animée par le critique Dominique Païni). www.musees.strasbourg.eu VISIONS, exposition du 14 mars au 13 avril au CEAAC / Espaces internationaux à Strasbourg. www.ceaac.org FOCUS CLÉMENT COGITORE, invité spécial du week-end de l’art contemporain les 15 et 16 mars. Performances, projections, installations dans 8 lieux en Alsace : Frac Alsace, Schaufenster (Sélestat), La Kunsthalle, La Filature (Mulhouse), Musée Würth (Erstein), La Chambre, Simultania, Syndicat Potentiel (Strasbourg). Clément Cogitore : Atelier, publication monographique (textes de Dominique Païni, Jean-Michel Frodon, Anael Pigeat ; Édition Presses du Réel, coédition Frac Alsace/CEAAC/Galerie White Project) ; lancement au CEAAC le 15 mars à 11h.

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Par Caroline Châtelet — Photo : © Adagp, Paris

Les chemins de l’abstraction

Second temps de « Futur simple », cycle inaugural d’expositions célébrant l’installation du Frac Bourgogne aux Bains du Nord, « La question du tableau » consacre une exposition monographique à l’artiste français Jean Degottex.

En mars 1978, à l’occasion de l’exposition Degottex aux musées de peinture et de sculpture de Grenoble et d’art et d’industrie de Saint-Étienne, la conservatrice Marie-Claude Beaud a d r e s s a i t u n e l e t t r e à l’a r t i s t e . Dans celle-ci, elle lui confiait son impossibilité à « écrire un texte suivi et cohérent sur [son] travail », tout en réaffirmant ses convictions : « Nous sentions confusément et immodestement que votre travail de peintre rejoignait beaucoup de nos préoccupations, nous étions persuadés qu’en présentant d’une part une dizaine de tableaux « itinéraire » et les séries « papiers pleins » et « médias » nous satisferions à la fois notre volonté pédagogique et nos exigences de travail de réflexion sur l’acte de peindre en 1978 ». Si 36 ans plus tard ces « réflexions sur l’acte de peindre » n’ont eu de cesse d’être arpentées, tant par les artistes que par les producteurs de discours sur l’art – des commissaires d’expositions aux critiques et universitaires –, cela n’oblitère en rien l’intérêt de l’œuvre

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de Jean Degottex. Et le choix du Frac d’emprunter son titre La question du tableau à un texte de Bernard LamarcheVadel écrit également pour l’exposition de 1978 rappelle la persistance de ces questionnements face au travail de l’artiste mort en 1988 à l’âge de 70 ans. Car de ses tableaux des années 50, colorés et enlevés, à ceux des années 70, marqués par un recentrement sur la toile elle-même, Degottex va progressivement s’affranchir de la peinture. Se méfiant du geste, de la tentation du style – le style n’est jamais loin du maniérisme... –, soit de tout ce qui pourrait évoquer une signature de l’artiste, Degottex a creusé son sillon. Comme le souligne la directrice du Frac Astrid Handa-Gagnard, « de façon générale on fait encore de son travail une lecture trop attachée à ce qu’on a appelé l’abstraction lyrique, l’abstraction gestuelle et colorée. Degottex est intéressant par la façon dont il a réussi à s’échapper de cette expression picturale des années 50, pour aller vers les questions qui ont traversé la peinture dans les années 60-70, que ce soit le statut du tableau, la recherche du vide, l’expression monochrome. Dans sa recherche, Degottex abandonne le pinceau, outil traditionnel de la peinture, au profit d’autres outils ». Une recherche et un travail sur les matériaux qui s’exprime notamment dans les « papiers pleins », série où l’artiste lacère, arrache, travaillant la matière même du tableau. À travers la vingtaine d’œuvres qui embrassent trente années de production, La question du tableau révèle le parcours d’un artiste passionnant. Passionnant par sa capacité à traverser divers courants de l’abstraction sans revendication idéologique ou théorique ; par son souci d’émancipation de tout style ; et par la permanente pureté du geste, qui en cherchant à s’effacer trace un chemin entre sensibilité et rigueur. LA QUESTION DU TABLEAU, exposition monographique jusqu’au 11 mai au Frac Bourgogne à Dijon. www.frac-bourgogne.org


Par Laurine Biessy

Des mots sur les choses

Entre abstraction et réalité, le FRAC Franche-Comté a conçu l’exposition Les Choses qui réunit différents travaux d’artistes reconnus aussi bien à l’échelle nationale que mondiale en s’inspirant d’un phénomène incontournable propre à l’art contemporain : le ready-made.

« Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art ? » s’interrogeait l’artiste Marcel Duchamp. Cette question faussement innocente a situé la place de l’objet dans l’art, lui conférant un statut qui s’appuie sur un héritage, voire un nouvel ancrage. La réflexion résultant de ce mouvement appelé ready-made a traversé tout le XXe siècle, généré bon nombre d’œuvres et donné l’impulsion à grand nombre d’artistes, sous la forme d’installations, qui ont ainsi remis en cause la notion de l’art au sens classique du terme. Les travaux de Gérard Collin-Thiébaut, John Giorno et David Mach, entre autres, s’inscrivent dans une démarche qui prolonge la réflexion menée pendant près d’un siècle. L’exposition Les Choses est une vraie exploration plastique qui laisse libre court à l’imagination du spectateur en lui permettant, de

fil en aiguille, de considérer non plus seulement l’art de manière impersonnelle, mais sous sa forme plurielle et hautement personnalisée. En parcourant l’exposition, le public se voit “relié” à l’œuvre de Gérard Collin-Thiébaut, Des Oisivetés, qui fait appel aux différents sens de l’individu à travers la vue, le toucher ou bien encore l’ouïe. En l’occurrence, l’œuvre agit comme une sorte de mémoire vivante en contenant dans ses multiples recoins des « preuves intemporelles sur la vie ». Au gré de ses envies, le spectateur est invité à soumettre des objets de nature personnelle – toujours en lien avec les notions de voyage, de legs et d’histoire – apportant une plus-value artistique tout en faisant grandir l’œuvre de manière collective. L’intention est judicieuse puisqu’elle permet d’ouvrir l’art à un public de masse, avec l’idée de transmission d’un héritage historique. Une œuvre partagée et partageable est née, une création à plusieurs mains, miroir d’une société qui se veut plus solidaire et cosmopolite. Sousjacent à cette exposition, c’est une vraie culture de l’absurde qui subsiste de par le choix des objets, de leur mise en abyme ainsi que par leurs intitulés. Plonger le spectateur dans un univers décalé, qui le pousse à visualiser les objets sous un angle différent de ce qu’il connait déjà est la promesse tenue par l’exposition « Les Choses ». Des choses aux mots il n’y a qu’un pas. LES CHOSES, exposition vol.1 jusqu’au 2 mars et vol.2 jusqu’au 13 avril au FRAC Franche-Comté à Besançon. www.frac-franche-comte.fr

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Texte : Mickaël Roy — Photo : Dorian Rollin

Je de mains, Je de vilains Invité à l’Espace d’art contemporain André Malraux de Colmar, Naji Kamouche présente un ensemble d’œuvres récentes qui décrivent d’un point de vue aiguisé la crise aiguë d’un monde en proie à la violence, à travers des jeux de formes, d’images et de mots aussi incisifs et percutants que des armes.

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Pour Naji Kamouche, l’art est le langage d’une nécessité personnelle et ses œuvres se livrent comme les éléments d’un vocabulaire inscrit dans l’espace de l’intime et du collectif. Ainsi, lorsqu’il utilise dans ses sculptures et ses installations des objets et des matériaux aussi courants que des tapis, des chaussures, des gants de boxe, des cartouches d’armes à feu, des t-shirts, du fil et des motifs de maison, de livre ou de fusil, l’on touche du doigt un univers certes familier et cependant soumis à une lecture symbolique, parfois ambivalente, souvent double et néanmoins jamais manichéenne. Car la pensée qui se noue à travers les œuvres que l’artiste tricote de ses mains et de son esprit, est celle d’un homme qui, pétri d’un double héritage algérien et français, réfléchit à la traduction de situations interculturelles, nécessairement ouvertes à la compréhension d’une altérité, parfois contrariée. À ce sujet, l’une des premières œuvres de cette exposition éponyme, Le Je est une arme, réalisée en néon comme pour afficher une persistance qui se fera rétinienne et mentale, n’est-elle pas à lire dans les deux langues de l’artiste, l’une de ses origines et l’autre de son pays de naissance ? En somme, du français et de l’arabe, l’une pourrait bien être la traduction de l’autre et vice versa, semble indiquer l’artiste, qui en filigrane, se pose d’emblée ici comme la pierre angulaire d’une démarche personnelle qui touche à l’universel. Là où il y a supposition d’un conflit ou tout du moins d’un rapport de force – économique, politique, religieux, culturel, social – l’artiste y voit l’occasion de révéler la porosité des oppositions et des proximités, des antagonismes, des distances et des relations qui se nouent et se dénouent. En cela, l’on comprend l’emploi récurrent du tapis comme moyen d’évoquer l’importance des notions aussi polyphoniques que polysémiques de tissage et de métissage qui sont amenées à se rencontrer là, au cœur d’un lieu construit sur la cohabitation de motifs parfois contradictoires. Car c’est de l’incommunicabilité entre les hommes que Naji Kamouche puise l’essentiel de sa matière à penser, traduite dans des objets et matériaux propres à véhiculer les débats, si ce ne sont les combats, qui sourdent notre écoumène. À ce titre, À bas les cieux (2008) installe le théâtre d’une action, d’un évènement passé ou à venir, sensible et brûlant au demeurant : recouverts d’un motif de tapis oriental, des gants de boxes suspendus entourant un punching ball, traduisent dans leur danse d’une légère gravité, la dualité d’un espace de confrontation et de risque : à trop inscrire de gestes belliqueux en société sur l’autel de certaines idéologies, le ciel pourrait bien tomber sur la tête de ceux qui sont appelés à déposer les armes et à rendre les gants d’une vaine bataille. « L’être humain a besoin d’une introduction à sa propre vie » confie ici Naji Kamouche au sujet d’une œuvre qui sonde la force du spirituel dans les attitudes humaines et les directions qu’empruntent aveuglement ou en toute conscience certains individus, tels que nous le rappellent les boussoles présentes sur des tapis de prière coranique dans les œuvres Duel (2008) et Toucher sans frapper (2012), ainsi que la sculpture de marbre Tirage éternel (2013) où les livres des Saintes Écritures dominent – mais pour combien de temps encore ? – au milieu d’une bibliothèque abandonnée. Douces ou violentes, ces associations frappent, parce que l’artiste part de lui-même pour parler des autres. Dans

cette quête de lieux de frottements relationnels, l’artiste explore d’autres contextes problématiques. L’odeur des mots (2012), installation produite dans le cadre d’une résidence réalisée à Sainte-Marie-aux-Mines évoquant les conséquences humaines d’une époque de désolation économique, reconvoque visuellement l’unité formelle d’un parterre fait de cartouches multicolores de fusil de chasse, support aux flottements incertains de maisonnettes immaculées dont les fondations ne semblent pouvoir prendre prise dans un territoire si fragile et blessant. « Nous sommes tous construits d’histoires et de filiations » précise Naji Kamouche qui s’emploie à révéler l’inextricable nœud de liens qui parfois nous empêchent. Dans ces dispositifs, un acteur toutefois apparaît en creux : l’homme, présent par absence, affleure d’autant plus significativement qu’il est l’acteur désigné, auteur ou victime des petits et des grands drames dont nous sommes les témoins (in)volontaires. La série de dessins réalisés au bruleur à gaz, Transpercer l’impensable (2012) rappelle avec force et intensité la vulnérabilité qu’il y a à exister et paradoxalement toute la responsabilité qui incombe à l’homme. Ici, ces images pleurent des larmes alors que les enfants-soldats qui en sont les sujets n’ont plus les visages de leur triste identité. De même, la dernière œuvre produite par l’artiste, Mes pas à faire (2014), une sculpture en bronze, questionne toute la difficulté qu’il y a à agir et à se livrer : seul face à soi-même et aux autres, sur le fil. À coup sûr et à bâtons rompus. LE JE EST UNE ARME, exposition jusqu’au 23 mars à l’Espace d’art contemporain André Malraux à Colmar. www.najikamouche.com

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Par Cécile Becker

Crazy in Love

Les paparazzi se faufilent, s’immiscent et glissent leurs objectifs dans le trou du cul du (beau) monde. Là, hasard des circonstances, ils reviennent sur le devant de la scène au moment où le Centre Pompidou-Metz leur consacre une exposition forcément polémique. À cette occasion, récit vécu d’une traque à la Nouvelle-Orléans…

Sébastien Valiela, Paris Hilton sur une tondeuse à gazon, 21 mars 2006

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Assis sur le rebord de la devanture du restaurant néo-orléanais où Beyoncé et sa sœur Solange ont décidé de célébrer le soixantième anniversaire de leur mère, ils soignent leurs outils. De leurs sacs, les paparazzi sortent flashs, objectifs, trépieds ou monopodes, analysent leur matériel et assemblent leur attirail. Ils sont trois, ne s’adressent pas la parole et encore moins à la horde de fans qui les entoure. Sur les badauds et autres adorateurs, ils lancent des regards amusés, souvent moqueurs. L’un d’eux est arrivé avant les autres et filme tout et n’importe quoi. Lorsque le gâteau d’anniversaire arrive par la grande porte, il trépigne et se jette sur son déclencheur sans réfléchir. Il n’aura pas fallu longtemps pour qu’il passe du mode film à rafale. Tel un animal, il scrute le meilleur point d’observation. Dans ses déplacements, il y a de l’instinct mais aussi une poignée d’événements mondains où il a déjà pu exercer ses talents de chasseur. Lorsque les vigiles commencent à déplacer les grilles pour

protéger l’entrée du restaurant, il est déjà aux premières loges. Il avait tout anticipé, sauf peut-être la gentillesse de certains membres de la sécurité. Certains fans effacés ont pu avoir de leur part des informations cruciales : Beyoncé arrivera par St Peter Street, elle sera dans une voiture noire précédée et suivie de carrosses où seront installés les invités. Le cortège sera conduit par une parade de musiciens. Alors qu’une poignée de chanceux va discrètement à la rencontre de l’attendue de la soirée, eux restent, hagards et immortalisent l’arrivée d’illustres inconnus. Le son de la parade pénètre la rue. Les esprits s’échauffent, les cris se font plus denses. Les paparazzi, eux, foncent faisant fi des musiciens extraordinaires qui ouvrent le défilé de célébrités, les pauvres se font bousculer sans vergogne. À chaque arrêt d’un carrosse, à la recherche d’un visage vaguement connu – qu’ils ne verront qu’à travers leur appareil –, ils courent, s’énervent, poussent, manquent à plusieurs reprises de pousser un fan sous les carrosses conduits par des chevaux effrayés par la foule. Ils éliminent d’un coup de coude tout ce qui se place en travers de leur chemin vers quelques centaines ou milliers de dollars. Mais ils n’auront pas Beyoncé. Elle connaît aussi bien qu’eux leur stratégie et entrera par une porte dérobée, sa petite fille sous le bras. Combien vaut une photo volée de l’intimité d’un artiste ? C’est le frisson people. La recherche éternelle du détail croustillant : un pli de robe froissée, mal placé, un œil rempli d’alcool, une main discrète dans une autre, un instant de faiblesse, un bout de peau nue. Ces « ragazzi » de mauvaise vie satisfont nos envies voyeuristes les plus condamnables car inacceptables si elles étaient transposées à nos vies d’anonymes. Ils inventent le terme de photo volée qui assimile un peu plus ces intouchables à la normalité. Mick Jagger, Jack Nicholson, Kate Moss, Paris Hilton, peu importe, pourvu que leur mise à prix soit élevée et leurs secrets, révélés. PAPARAZZI ! PHOTOGRAPHES, STARS ET ARTISTES, exposition du 26 février au 9 juin au Centre Pompidou-Metz. www.centrepompidou-metz.fr


Par Apolline Hinz & Julie Baier

Reflet de soi

La photographe autrichienne Amelie Zadeh emprunte les codes de la peinture pour nous livrer une vision narrative plurielle du médium photographique : au final, ses images nous plongent dans une atmosphère mêlant instantanéité, intimité et intensité.

Amelie Zadeh, photographie extraite de la série What it is/tableau, scan/projection, 2013

Le baroque marque-t-il son retour à travers l’exposition Around you, around me ? À la découverte des images de Amelie Zadeh, on est en droit de se poser la question, tant celles-ci nous offrent une vision moderne du mouvement. Le baroque ne se caractérise-t-il pas par une approche de l’instant, magnifiant un fait sans passé ni futur, pour un présent qui vaut pour lui-même ? Avec ses portraits, la jeune photographe autrichienne – diplômée des Beaux-Arts de Vienne et passionnée de cinéma – développe une narration dans cet éternel présent tout en se plaçant au

plus profond de l’intimité de l’image : une intimité révélée dans sa nudité, qui remet en question la manière dont elle s’exprime généralement. Tout cela concerne, selon elle, la question de la mise en relation de l’autre par le biais de l’appareil photographique. La vibration furtive qui passe d’elle à son modèle, et naturellement de son modèle vers elle, dans le cadre de l’instant fragile, définit le sens de l’image : image complexe, image plurielle, image en valeur absolue. En confrontant dans le cadre de photocollages ses propres photographies à des détails figuratifs, qui puisent un background pictural élargi, du Reflet de Narcisse du Caravage au sublime Patrocle de David, en passant par son Serment des Horaces, elle ouvre la voie à une forme de médium photographique nouveau, vibrant et sensuel, mais aussi conceptuel qui s’appuie sur la composition des tableaux pour créer de belles confrontations entre les motifs. Une approche qu’elle prolonge dans l’exploration de compositions plus abstraites, sous la forme d’un bel hommage graphique aux avant-gardes du début du XXe siècle. Tout comme la lumière particulière du baroque, avec ses effets de gradation et surtout de hiérarchie quant à la zone à illuminer, la lumière occupe un rôle essentiel dans sa série ; elle crée un subtil jeu d’ombres qui installe de la proximité entre les modèles photographiés et leur public ; en effet, dans toute leur expressivité – ou parfois même, dans leur manque d’expressivité apparente –, ces derniers nous captivent par leur étonnante plasticité en créant visuellement un moment aussi intense qu’éphémère. L’émotion naît de cette forme de réalisme-là. AMELIE ZADEH, AROUND YOU, AROUND ME, exposition jusqu’au 30 mars au Pôle de photographie Stimultania à Strasbourg. www.stimultania.org

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Par Cécile Becker — Photos: Patrick Messina

à corps

perdus

Il travaille pour Les Inrockuptibles, Libération, Télérama, Le Monde. Beaucoup de portraits, avant de travailler les paysages. Un jour, Patrick Messina rencontre André S. Labarthe, cinéaste et écrivain aux identités multiples masquées par un chapeau. Ce jour dure depuis 20 ans. Un jour parsemé de photographies, de mises à nue d’un personnage complexe.

Vous rencontrez André au cours d’une série de nues pour illustrer Tempo, une parution de la revue LimeLight consacrée à ses diverses trajectoires, en quoi ce moment est-il particulier pour vous ? Les Inrockuptibles me demandent de réaliser un portrait de Bruno Chibane [fondateur de LimeLight, ndlr]. Lors de cette séance photo, Bruno me parle d’André S. Labarthe et du projet Tempo. Il me propose de faire des portraits d’André. Je ne connaissais ni André, ni son œuvre ! J’avais, depuis quelques temps, l’envie de faire une série de photographies de nues dans un appartement vide. Je propose alors l’idée à André : le photographier avec une fille nue dans un appart vide. Sans connaître l’univers d’André, ce scénario lui correspond totalement. C’est le point de départ d’une longue histoire... Que s’est-il passé durant ce shooting qui a dessiné les contours de cette relation si particulière et si longue ? Nous nous sommes totalement entendus. Sans trop nous parler, nous étions d’accord sur chaque mise en scène, chaque photo ! C’était jubilatoire. C’était simple, évident.

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Un photographe voit souvent ce que les autres ne voient pas, ou en tout cas, il est capable de capter un détail sur lequel on ne s’arrêterait pas forcément. Qu’est-ce qui vous a plu en André ? Quelques années plus tard, j’ai suivi toutes les étapes du tournage du film qu’il réalisait autour de Philippe Sollers. Paris, New York, Venise et l’île de Ré. Pour des questions de budget, je partageais la chambre d’André à New York et à Venise. J’observais André au travail. À Venise, André avait prévu de faire un long travelling ; une demi-journée de préparatifs techniques, et au moment de tourner il pleut à torrent ! Très simplement, André décide de tourner à l’intérieur d’une église qui se trouvait là. Ce plan est l’un des plus beaux du film ! J’ai compris ce jour là qu’il est important de transformer les contraintes en avantages. Il faut toujours s’adapter. C’est ce que fait André constamment. Une relation photographique de 20 ans instaure forcément un rapport particulier, André est-il devenu un objet photographique ? Non, André n’est pas un « objet photographique ». Depuis notre rencontre, nous avons fait un nombre considérable de séances photos (où André est modèle ou pas). Nous faisons simplement des photos ensemble. André n’est pas un modèle. Parfois il le devient : c’est l’homme au chapeau ! Nous habitons dans le même quartier. Parfois nous restons longtemps sans nous voir. Mais à chaque fois c’est comme si nous nous étions quittés la veille... et nous parlons alors d’un nouveau projet. Traitez-vous visuellement André, comme n’importe quelle autre personne que vous devez photographier ? Oui. Lorsque nous réalisons une séance photo, j’instaure, ou plutôt nous instaurons ensemble, un dispositif, et nous faisons les photos de façon très simple.


À partir de quel instant particulier peuton situer le début de votre amitié ? Dès notre première rencontre. J’ai pu l’identifier le jour où le magazine 20 ans me demande de réaliser une série de portraits sur le thème de l’amitié, en 1992 je crois. Je devais photographier des amis ensemble. Chaque groupe d’amis était identifié par une amitié singulière. Il y avait l’amitié depuis l’enfance, l’amitié entre frères et sœurs ; et j’avais proposé un autoportrait avec André pour illustrer l’amitié dans le travail. Il y a probablement des instants marquants, autant pour vous en tant que photographe, que dans votre relation à tous les deux, quels sont-ils ? Les instants marquants sont bien sûr cette première séance photo avec Nathalie [modèle nue, ndlr] pour Tempo. Lorsque André m’a présenté à Janine Bazin [directrice du festival du film de

Belfort EntreVues de 1986 à 2000, co-créatrice, avec André S. Labarthe, de la série de documentaires Cinéastes, de notre temps, ndlr], grâce à cette rencontre, je suis allé plusieurs années de suite faire des portraits au festival. C’était extraordinaire ! Lorsque André a écrit deux magnifiques textes : pour 24 Images et pour Wayfaring. Et puis tous ces gens que j’ai rencontrés par le biais d’André... Quelle serait la photo qui résumerait le mieux la profondeur de votre relation ? Bien sûr, l’autoportrait avec André pour le magazine 20 ans, et toutes les photos que nous avons réalisées ensemble, chez lui, à Massais. La dernière fois c’était en décembre 2013... ANDRÉ S. LABARTHE / PATRICK MESSINA, exposition du 17 mars au 26 avril au Centre Culturel André Malraux à Vandœuvre-lès-Nancy. www.centremalraux.com WAYFARING, Patrick Messina, textes d’André S. Labarthe, GwinZegal. ANDRÉ S. LABARTHE / PATRICK MESSINA, 20 ANS DE PHOTOGRAPHIES, LimeLight éditions / GwinZegal. À paraître au printemps 2014. BELLE À FAIRE PEUR (ACCORDS PERDUS 4), André S. Labarthe, LimeLight éditions. MADAGASCAR, RECUEIL DE DESSINS, André S. Labarthe, textes d’Emmanuel Abela, LimeLight éditions.

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Par / Photo : Sébastien Grisey

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serial

photographer Morrissey publie un nouveau single avec une reprise de Lou Reed. Pour la pochette, le choix s’est porté sur une photo de Renaud Monfourny. L’occasion de revenir sur la carrière du photographe, et indirectement de célébrer les 30 ans de la sortie du premier LP des Smiths en février 1984.

Renaud Monfourny est photographe et co-fondateur du magazine Les Inrockuptibles. Il y a publié pendant de longues années des portraits d’artistes, inconnus ou stars interplanétaires, principalement en noir et blanc argentique, d’une beauté inégalée. Ses images ont captivé toute une génération de passionnés de rock, de littérature et de cinéma, pourtant son nom reste injustement inconnu du grand public. Le prétexte de cette rencontre est la sortie d’un disque, la reprise live du Satellite of Love de Lou Reed par Morrissey le 27 janvier chez Parlophone. La photo qui a été choisie pour être la pochette de ce disque est une photo de Morrissey faite par Renaud en 1991 et la promo du disque en fait même mention en indiquant « avec une photo rare de Renaud Monfourny ».

On avait déjà vu quelques images de cette session au début des années 90 dans Les Inrockuptibles. Peux-tu nous raconter l’histoire de cette photo ? Je pense qu’ils ont retrouvé cette photo parce qu’à l’époque je l’avais envoyée directement à la manageuse d e Mo r r i s s e y, c e q u e j e f a i s a i s rarement. C’est la deuxième fois qu’ils me contactent comme ça pour une pochette. La première fois c’était il y a deux ans pour le single et picturedisc Glamorous Glue et cette photo sur laquelle Morrissey porte son fameux T-shirt England avec la croix de Saint George rouge. Celle avec le mannequin qui vient d’être utilisée provient d’une série quasi-inédite. Une des photos de cette série avait déjà servi à la pochette

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de son single Pregnant for the last time sorti en 91, une autre pour un CD promo (The Loop) offert aux abonnés des Inrocks ; une ou deux de ces photos avaient été publiées avec son interview dans le magazine. Parle-nous du lieu où tu as fait ces photos. La session s’est déroulée à Londres. C’était pour la sortie de l’album Kill Uncle, donc trois ans après la séparation des Smiths. Au départ j’avais rendez-vous dans un tout petit studio photo un peu minable que le label Rough Trade avait dû réserver pour l’occasion. J’ai fait la photo couleur qui devait servir à la couverture. Dans ce studio, Morrissey portait une chemise un peu orangée sur un fond vert puis je l’ai emmené dans un entrepôt que j’avais repéré auparavant. J’avais demandé l’autorisation d’y faire des photos ; le type sur place m’avait répondu “oui” et quand je suis revenu avec Morrissey il n’y avait plus personne, juste tous ces mannequins. On a donc passé un quart d’heure là au milieu de ce grand espace et il a tout de suite joué le jeu avec le côté très acteur qu’on lui connaît. C’était la première fois que tu photographiais Morrissey ? Oui, en fait les Smiths se sont séparés au tout début des Inrocks – pour la petite histoire, Morrissey avait annoncé la séparation du groupe dans une longue interview donnée aux Inrocks en 1987. Je n’étais pas plus impressionné que ça parce que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer des gens que j’idolâtrais plus que lui. J’aimais bien le côté plus rock des Smiths, des morceaux qui dépotaient bien comme The Queen is dead et le côté plus pop de Morrissey en solo m’agaçait un peu. J’ai eu l’occasion de le photographier à nouveau deux fois, dont une fois en particulier avec la générosité qu’il savait accorder dans ces momentslà. C’était en 1993 pour la sortie de son live enregistré à Paris Beethoven was deaf. On avait à nouveau rendez-vous à Londres devant un club de quartier qui s’appelait Integrity House, qui n’avait pas été choisi par hasard… J’ai fait quelques images là et puis Morrissey a demandé à son attaché de presse si on pouvait l’emmener ailleurs pour faire une autre photo. Moi, bien sûr je réponds « oui oui oui pas de problème ! » et nous voilà partis dans un taxi pour un trajet interminable jusqu’au rond point Elephant & Castle au cœur de Londres. Pourquoi ce choix ? Parce qu’au milieu de ce rond point il y avait un énorme billboard à l’Américaine avec l’affiche promo de son disque live et une immense photo de lui allongé sur scène. C’est quelqu’un de très conscient de son image, il a été photographié par les plus “grands” photographes rock et surtout il donnait réellement de lui pendant les séances parce qu’il savait l’importance que ces images avaient pour son personnage. Il a un sens inné de la mise en scène et du

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look, moi j’appelle ça de la grâce, qu’on retrouve encore aujourd’hui dans les images de lui qui ont été publiées ces dernières années. C’est comme Patti Smith quand elle était jeune, avant de devenir une vieille chieuse et de ne plus vouloir se faire prendre en photo ; avant d’être vraiment une star, elle était déjà consciente de l’importance de son image et chaque photo d’elle qui était publiée était vraiment choisie. Et ça se voit dans les images, la mise en scène est présente mais jamais forcée.

— C’est comme Patti Smith quand elle était jeune, avant de devenir une vieille chieuse et de ne plus vouloir se faire prendre en photo. —


Justement en parlant de « client pas facile », Morrissey reprend Lou Reed sur ce nouveau single. Tu as eu l’occasion de photographier Lou Reed à plusieurs reprises, on dit de lui que c’est le prototype du type à qui le succès était monté à la tête et qu’en gros c’était un vrai emmerdeur. Partages-tu cette opinion ? Je pense que beaucoup de gens ont eu une mauvaise expérience avec lui. Je ne pense pas que ça soit le succès qui lui soit monté à la tête, je crois plutôt que sa personnalité était comme ça, c’était un vrai caractériel. À l’époque où j’ai pu le rencontrer il faisait clairement de la promo à contre cœur. Il avait certainement une très haute idée de lui et de son art mais il ne faut pas oublier que c’est quelqu’un qui est passé par des maltraitances quand il était enfant, la drogue, la descente aux enfers, le tout additionné à ce côté naturellement acariâtre. Je l’ai rencontré plusieurs fois mais j’ai vécu une expérience vraiment extraordinaire en 1992. J’ai assisté pendant deux jours aux répétitions de la reformation du Velvet Underground. Je ne dirai pas que j’étais avec eux parce que je suis resté à distance, ils l’imposaient, mais j’étais à New York dans une petite salle de concert louée pour l’occasion, je faisais les photos et l’article et là j’ai pu observer que Lou Reed était vraiment un affreux tyran. Quand il voulait dire quelque chose à John Cale il levait le bras, claquait des doigts, sa femme qui était sa manageuse à l’époque accourait, il lui disait ce qu’il avait à dire dans l’oreille et elle allait le dire à Cale qui était à environ deux mètres. D’ailleurs, je viens de lire la biographie de John Cale qui est sortie il y a environ deux ans et ça confirme bien ce que j’ai vu. Ils se sont reformés officiellement pour des raisons artistiques mais clairement ils ne pouvaient pas se saquer. Tout ça pour dire qu’au final il y a autant de cons chez les artistes que chez les garçons coiffeurs, il faut savoir faire la différence entre l’artiste que tu admires et la personne humaine. La dernière fois que je l’ai vu c’était en juin 2012 à Clermont Ferrand. C’était la tournée From Vu to Lulu, pour son dernier album Lulu que j’ai beaucoup aimé d’ailleurs, contrairement à toute l’intelligentsia du Rock. Pour moi, c’est un papy qui s’est encore remis en danger avec un groupe

a priori infréquentable pour les puristes du rock [Metallica, ndlr] et il te sort un truc avec des morceaux exceptionnels. Il est arrivé à la salle avec des Crocs aux pieds, on m’avait dit qu’il accepterait que je le prenne en photo mais finalement ça ne s’est pas fait ; personne n’a osé aller mettre un peu la pression, je crois que tout le monde chiait un peu dans son froc, mais bon au final le concert était dément. Il avait un petit violoniste qui l’accompagnait sur ces deux ou trois dernières tournées, un fou furieux, son archet n’avait quasiment plus de crin à la fin du concert. On a le plaisir de retrouver maintenant chaque semaine dans Les Inrockuptibles un portrait noir et blanc tout droit sorti de ton Mamiya, et tu postes régulièrement des portraits couleur sur ton blog. Quels sont tes autres projets actuels ? Avant tout continuer à faire des photos et rencontrer des gens. Je fais pas mal de nu, toujours avec une approche portrait. Je fais aussi des photos en dehors du portrait, je suis un « serial photographer », je ne peux pas partir en vacances plus de quatre jours et rester sans rien faire donc je construis des séries de photos de graffitis, de textures et de matières. Je suis marié à une Argentine, on a donc l’occasion d’aller de temps en temps à Buenos Aires et là-bas j’ai commencé une série numérique sur les voitures garées dans la rue, j’appelle cette série Les profils automobiles et l’objectif est de produire des “neuf-tiques”, donc neuf photos accrochées côte à côte mais dans des cadres séparés et j’ai comme ça une série sur la Renault 5, sur les voitures brûlées... J’en ai des tonnes comme ça, parfois même des “vingt-tiques”. Je développe aussi un travail sur le fétichisme. Le rock, c’est vraiment un truc de fétichiste, ce sont très souvent des vieux garçons et des messieurs qui collectionnent les disques, les photos etc. ; les femmes, elles, s’intéressent à la musique mais n’ont pas cette approche fétichiste. J’ai donc une série qui s’appelle Fetich-rock, c’est un “neuf-tique” sur les Dum-Dum-Girls, au milieu il y a un portrait des filles et les huit images autour sont des détails de leur guitare, leurs habits. J’ai aussi le micro d’Al Green avec lequel il a enregistré tous ses morceaux aux studios Royal de Memphis. Ce travail sur le détail je le retrouve chez Hedi Slimane, quelqu’un que j’apprécie beaucoup. On me dit parfois « ah, tu fais comme Hedi Slimane ! », mais en fait non, je le fais depuis bien plus longtemps sauf que je suis beaucoup moins connu que lui [rires]. Tu avais auto-édité deux petits livres qui faisaient partie d’une série de trois. Où en est le troisième ? As-tu un projet de monographie ? Le troisième volet est déjà prêt il n’attend plus qu’un budget pour l’imprimer ! Quant à la monographie j’ai eu plusieurs projets qui n’ont malheureusement pas abouti, c’est très cher de produire un livre, rien que le coût des scans de négatifs est énorme, il faut trouver un éditeur courageux ou monter une co-édition. MORRISSEY, Satellite of Love, Capitol. FIGURES ET FORMES, exposition jusqu’au 16 mars à L’institut Français de Berlin. www.institutfrancais.de www.renaudmonfourny.com

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Par Emmanuel Abela — Photo : Renaud Monfourny

l'âge de

raison

Après avoir joué les morceaux de Joy Division sur scène, le bassiste Peter Hook revisite les premiers albums de New Order. L’occasion de l’interroger sur ces années cruciales, du postpunk vers l’électronique, entre 1980 et 1983.

Vous êtes un bassiste dont on reconnaît immédiatement le son. Au moment de débuter, quels étaient les bassistes qui vous influençaient ? Paul Simonon du Clash et Jean-Jacques Burnel des Stranglers étaient deux très grosses influences pour moi. Dans un premier temps parce qu’ils avaient l’air “really fucking” cool, là sur scène, avec cette manière de porter leur instrument très bas en bandoulière, mais aussi parce que leurs riffs sonnaient comme quelque chose que je n’avais jamais entendu auparavant. Indépendamment des morceaux, vos lignes de basse donnent le sentiment de raconter leurs propres histoires. Ce qui est amusant c’est que ma manière de jouer de la basse, je la dois à Ian Curtis [chanteur charismatique de Joy Division disparu le 18 mai 1980, ndlr]. Quand nous avons commencé à jouer, mon ampli était si mauvais que je n’entendais rien quand je jouais trop bas, si bien qu’il m’était nécessaire de jouer haut. Ian adorait cela, et l’effet que cela provoquait sur notre musique m’incitait à poursuivre dans cette voie. Ian a toujours eu de très belles idées et il m’a vraiment encouragé à jouer ainsi tout le temps. C’est ainsi que j’ai trouvé ce gimmick qui définit ma musique et que beaucoup de gens ont cherché à imiter.

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Justement, on a le sentiment que votre jeu a été fondateur pour toute une génération de musiciens post-punk. C’est très gentil de votre part, et c’est naturellement très agréable de s’entendre dire qu’on figure parmi les bassistes les plus influents, mais je reste l’homme humble de Salford qui n’a pas pour habitude de crier sa propre légende. Ce que je peux préciser cependant c’est que mon jeu, s’il s’est montré influent, ne l’a pas été seulement pour le post-punk, mais aussi pour la dance music. Vous allez rejouer sur scène les albums de New Order, Movement et Power, Corruption & Lies. Quand vous rejouez ces morceaux, que visualisez-vous ? C’est très difficile à dire, généralement je me concentre sur le public, le jeu et les paroles. Après, je suppose que dans l’intervalle, notamment quand le son prend de l’ampleur et qu’il m’engage dans une forme de rêverie, je repense au moment où nous écrivions les chansons. Il y a tellement de souvenirs derrière ces morceaux, comme la lecture par exemple de Tendre est la nuit de Francis Scott Fitzgerald, mon livre préféré, au moment de l’écriture de Leave me alone. Beaucoup de rock-critics affirment que votre évolution musicale n’aurait pas été la même avec la présence de Ian Curtis. Et pourtant, quand on écoute le flexi Komakino, les boucles électroniques sont déjà là. La tentation était-elle déjà forte à l’époque de Joy Division ? Je ne peux pas être d’accord avec ces rock-critics. Avec Ian, nous aurions évolué de la même manière qu’avec New Order. J’aimerais me montrer aussi catégorique pour vous l’affirmer, et surtout je préférerais l’être aujourd’hui en présence de Ian – je donnerais tout pour le savoir. Ian se montrait très intéressé à la fois par Kraftwerk et la techno émergente. Quand il vivait encore, nous constations une progression naturelle, qui nous a conduit de Warsaw [le premier nom du groupe, dans sa version la plus punk, ndlr], à l’album Closer, puis à l’enregistrement du EP Komakino : nous devenions de bien meilleurs compositeurs tout en nous montrant particulièrement ouverts à la musique électronique. Aujourd’hui, je continue de croire que Ian aurait chanté


Une photo parue dans Les Inrockuptibles en 1987 : Peter Hook à droite en plein âge d’or de New Order, avec Bernard Sumner et Gillian Gilbert

tous ces titres Blue Monday, Bizarre Love Triangle, True Faith, même si les titres tout autant que les paroles auraient été différents. Comment qualifieriez-vous cette période de New Order qui va de 1980 à 1983 ? Nous cherchions où placer nos pas. L’âge d’or de New Order je ne le situe que plus tard, avec Low Life et Brotherhood, et par la suite avec la publication de la compilation Substance et de l’album Technique. Je me souviens que les sessions pour Movement étaient compliquées : de manière évidente, nous étions encore sous le choc après la mort de Ian, nous devions venir à bout de cette disparition avant de devenir New Order. Nous n’étions pas très confiants, ça s’entend dans les parties chantées du disque. En fait, nous ne savions vraiment pas quoi faire ni qui serait le chanteur au final, ce qui fait que je me retrouve au chant sur deux morceaux, Dreams never end et Doubts Even Here. De plus, Movement est notre dernier album à avoir été produit par Martin Hannett, qui avait pourtant produit tous les albums de Joy Division. Je me

souviens que c’était particulièrement difficile parce qu’il vivait très mal la disparition de Ian et surtout parce qu’il ne nous voyait ni chanter ni surtout poursuivre l’aventure. Nous avons décidé de réaliser Power, Corruption & Lies sans lui, ce qui nous permettait de nous exprimer davantage – ça s’entend également à l’écoute du disque. Quoi qu’il en soit, nous avons enregistré quelques singles fantastiques, Temptation et Blue Monday [à ce jour, le maxi 45T le plus vendu au monde, ndlr], et poursuivi ainsi notre développement. De toutes les manières, je situe Power, Corruption & Lies, comme le premier des trois grands disques de New Order avec Low Life et Brotherhood. Après la disparition de Ian, le lundi suivant, vous vous êtes retrouvés en studio et vous avez commencé à composer Dreams never end. Au moment de reprendre certains de ses titres, j’imagine que ça n’a pas été si aisé… Oui, ça a été difficile, notamment au début, mais là ça me procure une joie immense. Avec New Order, nous avions tendance malheureusement à ignorer l’existence de ce matériel, mais là en reprenant ces titres en main, je me dis que c’est absolument fantastique de pouvoir les revisiter ainsi. PETER HOOK, concert le 21 février à la Laiterie à Strasbourg. www.laiterie.artefact.org

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Par Sylvia Dubost — Photo : Christophe Raynaud

C’est le chorégraphe dont tout le monde parle. Danseur et auteur singulier, Olivier Dubois est en tournée avec Tragédie, qui créa l’événement au Festival d’Avignon en 2012. Un spectacle emblématique de sa recherche d’une danse archaïque et politique.

le grand débordement Olivier Dubois est un artiste hors norme, à plus d’un titre. La presse, qui en a fait son chouchou depuis deux ans, a relaté maintes fois son parcours. Né en 1972, il débute la danse à 23 ans, obtient son premier contrat six mois plus tard, danse chez Preljocaj et Jan Fabre, chorégraphie sa première pièce en 2007, présente Tragédie dans la Cour d’honneur en 2012 et est nommé l’année suivante à la tête du Centre Chorégraphique National de Roubaix. Son corps, tout en rondeurs et en endurance, fait de lui un interprète puis un auteur (qualificatif qu’il préfère à celui de chorégraphe) à part. La danse d’Olivier Dubois est sauvage et puissante, lancinante jusqu’à l’explosion, tout en piétinement, en énergie, en révolte. Une danse généreuse, une danse de « l’être là ». Avec Tragédie, il clôt la trilogie qui doit « faire voir l’acte révolutionnaire », débutée avec Révolution (2009) et Rouge (2011). Le corps y est le vecteur d’un acte politique. Dix-huit individus, nus tels qu’en eux-mêmes, déploient une saisissante mécanique à base de répétition, de martèlement, d’endurance et d’épuisement, où des êtres obstinés prennent possession du plateau. Un choc, qui place Olivier Dubois comme l’un des chorégraphes les plus passionnants du moment.

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Qu’est-ce qui a déclenché votre envie (soudaine) de danse ? C’est toujours assez inconnu… Ce n’était pas de l’ordre du projet, c’était une envie et une évidence. Je faisais beaucoup de sport mais j’allais plutôt au tennis ! J’ai pris quelques cours, et cela me semblait facile. Mais je n’ai rien « rencontré ». Et depuis, je cherche pourquoi on danse. C’est une des questions qui traversent mon travail. Est-ce cela que vous évoquez quand vous parlez de l’aspect archaïque de votre danse ? Le fait de danser est tout aussi archaïque que le fait de vouloir danser. Qu’est-ce que cela convoque ? Pourquoi cette ivresse, quel est ce tremblement, d’où vient cette transcendance ? C’est très mystique, de l’ordre du sensible et du cosmique. Et cela redéfinit l’usage de son corps. C’est passionnant de partir dans cette grande recherche en sachant qu’on n’aura jamais la réponse. Votre parcours a-t-il toujours été « facile » ? Oui ! Mon corps n’entre pas dans les stéréotypes, mais il était prêt musculairement. Ce n’est pas un métier difficile pour moi à cet endroit-là. Mais être danseur, ce n’est pas bouger, c’est beaucoup plus que cela. C’est définir une ligne artistique, savoir ce qu’on montre sur un plateau, jeter son corps dans la bataille à tous les niveaux. En cela, Jan Fabre est d’une exigence physique et mentale hors norme. Travailler avec Jan Fabre était une étape cruciale pour vous ? Oui, c’était LE rendez-vous. Avec les premiers chorégraphes avec qui j’ai travaillé, j’ai appris que monter sur un plateau est un acte politique. J’ai recherché cela pendant longtemps et l’ai trouvé chez Jan, avec toute la démesure qui le caractérise. On peut dire qu’il a été un maître, mais il m’a surtout


beaucoup appris car il m’a laissé libre de penser, m’a donné une autorité sur ma pensée. Quoique je propose, il me disait « Pourquoi pas », tant que cela fait sens avec la proposition. Cela demande un énorme engagement dans l’apport, c’est rare, voire unique. Que cherchez-vous aujourd’hui chez vos danseurs ? Je cherche toujours la même chose : des hommes et des femmes qui dansent et dont la danse est l’outil. Ils doivent être virtuoses à beaucoup d’endroits, mais je cherche d’abord des corps qui pleurent, des humeurs, une générosité, une engagement fort sur le plateau. Ce n’est pas une question de mise à nu mais de débordement, c’est de l’ordre du corps métamorphosé, qui passe par la transpiration, le cri, le regard, le corps secoué. Il faut une assise pour ne pas être débordé. Et surtout une grande humanité. Il y a toujours dans vos spectacles un aspect hypnotique : pensez-vous au spectateur ? Quel effet l’action doit-elle produire sur lui ? Je ne me pose pas cette question. Mais c’est vrai, c’est un état que j’aime, qui agit sur moi, c’est un charme, qui vous fait déposer les armes. Chacune de mes pièces appuie à un seul et unique endroit. On prend, on accumule, on tape, avec obstination, répétition, mais ce n’est jamais simple, c’est toujours altéré. Cela crée l’élan, l’inconfort, l’usure, et le spectateur est acteur car il doit décider de se laisser aller, pour que l’hypnose fonctionne.

À quel endroit appuie Tragédie ? Sur une chose simple, la marche, à partir de laquelle on construit lentement. Il y a d’abord un corps, une personne, et encore une autre, et encore, et ça ne va pas s’arrêter. On bâtit, par cette obstination, pierre par pierre, et on commence à voir la cathédrale. En quoi ce spectacle est-il politique ? C’est éminemment politique car ce n’est pas une foule anonyme, c’est 18 fois une personne. Tragédie pose la question du « faire ensemble », du « être ensemble », et d’un corps présenté parce qu’il est nu, redressé, qu’il est en marche. La marche c’est la pensée. Ces corps ne suivent pas la musique mais l’ordonnent, ordonnent l’espace. C’est une organisation intelligente, pensée. La seule force qu’on a c’est faire ensemble. C’est ça qui est politique. Le corps est politique car il est ce vecteur premier, cette adresse intime à chacun et au monde. TRAGÉDIE, danse du 6 au 8 février au Maillon à Strasbourg et le 19 mars à la Filature de Mulhouse. www.maillon.eu www.lafilature.org

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Par Valentine Schroeter — Photo : Dorian Rollin

par delà les

frontières Plus qu’un point de passage européen, la région transfrontalière du Rhin supérieur abrite un grand nombre d’immigrés. Un phénomène de microsociété illustré à travers le regard de jeunes migrants par le projet Melting Pot. Melting Pot est une rencontre avec de jeunes gens aux parcours variés et aux personnalités riches, une confrontation de cultures et de points de vue. Quelle était la vie de ces jeunes dans leur pays d’origine, et à quoi ressemble-t-elle désormais en France ? Quels sont les liens entre leur socialisation et l’identité d’une région ? Et quels sont les enjeux de leur adaptation au contexte régional ? Né de la spontanéité d’une rencontre entre la chorégraphe Joanne Leighton et le metteur en scène Christoph Frick, ce spectacle tente de répondre à ces inhérentes problématiques : « les frontières nationales sont très présentes physiquement, explique Christoph Frick, mais finalement, on ne sait pas réellement qui est né en Suisse, ou s’il s’agit d’immigrants. Ces derniers sont parfois même plus suisses que les natifs dans leur façon de vivre ! Il en va de même pour la France et l’Allemagne. Nous avons donc voulu mettre en lumière ce mélange ». Après de longues démarches, huit jeunes adolescents ont été sélectionnés pour mener à bien ce projet. Qu’ils soient originaires de Tunisie, du Pakistan ou encore de la Réunion, tous ont été invités à se confronter à leurs souvenirs et à leur quotidien, tout en découvrant la culture de l’autre. Malgré la barrière concrète de la langue, ces jeunes gens ont appris à communiquer et à collaborer pour donner naissance à un spectacle inédit. L’occasion est belle pour redécouvrir l’essence même du langage corporel et théâtral : ici, pas de paroles, mais des gestes, des postures et des expressions. Lors d’une petite démonstration, l’équipe a choisi de nous présenter un workshop tout particulier : « Nous avons demandé à chacun d’apporter une photo représentant au mieux leur quotidien, ainsi qu’une autre image de leur vie d’avant, dans leur pays d’origine. C’est à partir de ces photos que nous

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avons travaillé » explique Joanne Leighton. Les huit jeunes reproduisent ensemble les photos par le mime, parodient en quelque sorte les images choisies par chacun. La chorégraphe justifie la démarche : « On ne perçoit pas exactement ce que les acteurs miment, mais il y a quelque chose dans le vécu de l’action qui fait naître une émotion, perceptible non seulement par la personne concernée par la photo, mais également par ceux qui l’accompagnent dans la représentation, car ils savent qu’il y a une histoire derrière tout cela ». Parisa Bayat a dû quitter l’Iran et laisser sa famille derrière elle. Pour illustrer sa vie d’avant, elle a choisi une photo d’elle entourée de ses sœurs. Lorsque les adolescents reproduisent cette photo, tous semblent guidés par la même émotion, comme s’ils se projetaient dans le ressenti de Parisa. Ces jeunes sont en fait liés par l’immigration, mais conservent un parcours propre que Joanne Leighton et Christoph Frick ont tenu à cultiver. Aussi, ils mettent un point d’honneur à montrer le

cheminement de chacun sur le plan émotionnel et artistique. « Certains reviennent de loin, avoue Joanne. Lorsque nous avons commencé, un grand nombre de jeunes n’osaient même pas se présenter à leurs camarades. Désormais, nous n’arrivons plus à les faire descendre de scène ! ». Du cheminement artistique au développement personnel, la chorégraphe et le metteur en scène ont voulu tout montrer. « En fait, pour moi, Melting Pot devrait plutôt s’appeler « Salad Bowl ». C’est comme une grande salade composée, constituée d’une multitude de bons ingrédients », plaisante Christoph Frick. La métaphore est effectivement représentative du projet : huit personnalités, huit cultures, huit évolutions… Melting Pot reproduit en fait à petite échelle la microsociété d’immigrants dans la région située entre la France, la Suisse et l’Allemagne. Un projet ambitieux fondé sur la générosité et le partage, qui offre, en plus d’un focus sur la société d’aujourd’hui, une grande ouverture d’esprit aux spectateurs comme aux acteurs. Aussi, elle procure à ses huit protagonistes une foule d’opportunités, en proposant notamment à quelques uns d’effectuer six mois de service civique au sein du Centre Chorégraphique National de Belfort. L’occasion pour eux d’évoluer vers un projet qui leur est propre. Melting Pot est une belle métaphore de l’immigration qui va plus loin que la simple énonciation théorique du phénomène en se projetant dans le ressenti des migrants. Un projet haut en couleurs, synonyme d’espoir et de fraternité. Une belle manière de dépasser à travers l’art les barrières de la culture. MELTING POT, pièce chorégraphique et théâtrale du 22 février au 9 mars au Théâtre de Fribourg, du 12 au 15 mars au Centre Chorégraphique National de Franche-Comté à Belfort et du 7 au 14 mai au Junges Theater à Bâle. www.theater.freiburg.de www.ccnfc-belfort.org www.jungestheaterbasel.ch → Melting Pot fait partie de la programmation de Triptic – Échange culturel dans le Rhin Supérieur www.triptic-culture.net

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Par Valentine Schroeter — Photos Pascal Bastien

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une histoire

de cœur Ivan Cavallari, directeur de la danse à l’Opéra National du Rhin, se lance dans un projet cher à son cœur. Avec Pinocchio, le chorégraphe italien pioche dans ses souvenirs pour retranscrire le conte qui a bercé son enfance.

Salle de répétition du Ballet du Rhin. Les danseurs foulent un parquet marqué par les années de labeur. Au piano, Enrico Melozzi nous plonge dans l’ambiance juvénile et enjouée de Pinocchio. Mais l’accent chantant d’Ivan Cavallari interrompt les danseurs : il se précipite tout sourire vers l’établi où son Pinocchio est assis. Le chorégraphe se glisse instantanément dans la peau de Gepetto et reprend énergiquement les mouvements précis du menuisier. Avec une exubérance naturelle, Ivan Cavallari tente de transmettre l’émotion de l’instant au danseur : « Tu crois le voir bouger, mais tu te dis ‘Je deviens fou !’, et lui te regarde du coin de l’œil : il est vicieux ce Pinocchio ! Regarde il te tape même sur l’épaule ! ». Le chorégraphe semble totalement investi, comme habité par une énergie secrète. Ce n’est qu’au cours de notre entretien que je comprends : l’enfance d’Ivan Cavallari, italien pure souche, a été bercée par les aventures du pantin de bois. Ce projet devient donc, plus qu’un simple spectacle, une véritable mission : celle de retranscrire au mieux le plus célèbre des contes de son pays. Une tâche que ce chorégraphe de talent aborde avec naturel, se laissant porter par ses souvenirs d’enfance pour un résultat d’une grande fraicheur, promesse d’un spectacle réussi au doux parfum d’Italie. La version originale de Pinocchio imaginée par Collodi était bien plus sombre que celle de Walt Disney qui s’est réapproprié l’histoire d’une manière très édulcorée. De quelle version se rapproche votre Pinocchio ? Walt Disney a créé un dessin animé destiné aux enfants, ce qui a beaucoup déçu les italiens car Collodi avait créé ce personnage pour les adolescents. Il s’agissait d’une série dont il écrivait un épisode par mois. Il s’avère que Collodi a terminé cette série d’une manière assez particulière puisqu’il a pendu Pinocchio. Puis au bout d’un an, les adolescents ont commencé à s’impatienter, à se demander si l’histoire

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allait continuer, donc Collodi a créé une deuxième partie, il a en quelque sorte ressuscité Pinocchio. Ma version se rapproche sans conteste du Pinocchio de Collodi. Nous, les italiens, sommes très attachés à ce personnage, puisque nous avons grandi avec Pinocchio. Donc vous êtes sentimentalement très attaché à cette histoire ? Heureusement que je ne l’étais pas trop en commençant cette aventure. C’est un personnage que j’ai dû découvrir et redécouvrir. Pinocchio est un personnage très intéressant : avec le temps je me suis de plus en plus attaché à cette petite marionnette en bois qui essaye de devenir quelqu’un de bien. Les souvenirs que je garde du Pinocchio de mon adolescence sont assez contradictoires, puisque c’était un personnage qui avait tendance à faire beaucoup de mauvaises choses. J’avais donc de l’affection, mais aussi une certaine animosité envers Pinocchio. Il n’a aucune morale. Il doit tout apprendre. Pinocchio est un personnage à double facette : mi-pantin mi-enfant. Comment illustrez-vous cette dualité dans la chorégraphie ? J’ai surtout voulu illustrer ce sentiment intérieur qui peut naître quand on a la chance de recevoir un coeur. Parce que c’est une chance unique, que nous avons tous. Mais nous devons tous combattre pour apprendre à aimer, un processus qui commence dès la naissance et qui se prolonge jusqu’à la fin de notre vie. Pinocchio a été créé pour les enfants, les adolescents, mais finalement c’est une histoire qui peut être destinée à chacun de nous. La scène où la fée donne un cœur à Pinocchio est je pense très implicite dans la chorégraphie. Puis ensuite, on voit au fil des aventures du personnage que quand il est dans le mal, il redevient pantin en adoptant des postures droites et robotiques, alors que dans le bien, il est plus aérien, il arrive à équilibrer son côté marionnette et humain, jusqu’à la fin où il devient un vrai petit garçon. C’est une dualité qui va et vient dans la pièce, d’une manière assez fluide.

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Que faites-vous du personnage de Gepetto ? Déjà, ce n’est pas le vieux Gepetto aux cheveux gris. C’est un homme ancré dans la solitude qui a appris à aimer grâce à ce pantin qu’il a créé de ses mains. C’est un amour inconditionnel, universel que rien ne peut toucher. Il brave vents et marées pour sauver sa petite créature. Le destin fait que ces deux personnages se rencontrent, avec une odyssée incroyable. Parlez-moi de la musique de la pièce, composée par Enrico Melozzi. C’était la première fois que je travaillais avec un compositeur, et je dois dire que j’adore cette idée, parce qu’on commence vraiment à zéro. On s’appuie sur la dramaturgie, sur l’atmosphère qu’on veut créer. Ça commence par 3 notes de piano, on détermine si cela va dans le bon sens. On suit une dramaturgie mentale, juste au piano, jusqu’au jour de la répétition générale où l’on peut entendre la musique dans son ensemble, avec l’orchestre. Enrico Melozzi a utilisé beaucoup d’instruments italiens pour créer des atmosphères différentes. C’est vraiment un mélange des genres : on a de la valse, du tango, du music hall...


Comment avez-vous fait pour sélectionner les passages que vous alliez mettre en scène parmi les nombreux épisodes des Aventures de Pinocchio de Collodi ? J’ai simplement fermé les yeux et ai laissé remonter les premiers souvenirs du Pinocchio de mon enfance. Il y avait la fée, le docteur, la baleine, le chat et le renard... J’ai donc créé le ballet autour de ces personnages qui m’ont marqué. PINOCCHIO, ballet les 31 janvier, 1er et 2 février à La Filature de Mulhouse ; les 8 et 9 février au Théâtre Municipal de Colmar ; les 16, 18, 19, 20 et 21 février à l'ONR de Strasbourg www.lafilature.org www.theatre.colmar.fr www.operanationaldurhin.eu

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Par Claire Tourdot — Photo : Nick Harrison

terrain de

jeu

protéiforme Repensé par Renaud Herbin – directeur du TJP depuis 2012 – le festival des Giboulées est de retour ! Le rendez-vous des professionnels et amateurs des arts de la marionnette, désormais décliné sous la forme d’une biennale, rassemble la crème de la création contemporaine autour de la problématique Corps-Objet-Image.

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Alors que le festival des Giboulées de la marionnette fête au mois de mars ses 37 ans d’existence, la couleur de cette 24e édition a un léger goût de première fois. Désireux d’élargir le champ des possibilités d’une pratique artistique en devenir, Renaud Herbin prend cette année les rênes d’un projet initialement mis en place par ses pères : celui de rassembler dans un temps resserré les acteurs de la marionnette ainsi que son public, tout en déroulant une programmation pointue à échelle internationale. Depuis les années 2000, passionnés et professionnels s’investissent – à l’instar de l’association THEMAA (Association Nationale des théâtres de Marionnettes et des Arts Associés) – pour dépoussiérer l’image archaïque d’un théâtre à la Guignol, de façon à pleinement intégrer la marionnette dans un paysage créatif contemporain. Aussi au TJP, Renaud Herbin, désireux de développer une réflexion à long terme, a fait le choix de réorganiser la fréquence des Giboulées sous la forme d’une biennale : « Ce format permet de laisser le temps aux artistes de créer, au public de respirer et à l’équipe du TJP de se mobiliser sur d’autres événements comme les week-ends de rencontres internationales qui déclinent des projets de recherche sur les processus de création. Ces temps sont tout autant essentiels pour faire avancer les arts de la marionnette que la mise en pratique sur scène ». Avec pour thématique transversale la posture de l’« en deçà », les Giboulées 2014 prétendent interroger les relations qui unissent le Corps, l’Objet et l’Image, problématique triangulaire déterminante pour les projets du TJP depuis la nomination de son nouveau directeur. Comment l’artiste se place-t-il par rapport à la matière ? Quelle est la nature de la relation à l’objet ? De quelle manière le corps interagit-il ? Autant de questions que les 25 propositions retenues par la biennale se


— La pratique de la marionnette est déjà en soi un acte de transformation : on a affaire à des objets qui peuvent passer d’un état à un autre. —

proposent de mettre en lumière. L’éclectisme de la programmation et son ouverture sur la pluralité des arts définit ainsi un véritable territoire de jeu et d’observation : « Tout cela est assez expérimental mais n’exclut pas que quelqu’un qui n’y connaisse rien apprécie le spectacle. D’ailleurs, les propositions qui retiennent mon attention sont celles qui parlent aux enfants tout autant qu’aux parents, il n’y a pas de clivage ». Par cette posture, les Giboulées confirment leur vocation de réunion et de diffusion de la création : aux six lieux familiers de l’événement (la Petite et la Grande Scène du TJP, le Hall des Chars, la Résidence Mathis, le Maillon, le PréO à Oberhausbergen) s’ajoutent deux nouveaux partenariats avec le Fossé des Treize et la Maison des Arts à Lingolsheim. Mais regarder vers l’avenir ne signifie pas pour autant renier son passé. Et souvent, les créations les plus innovantes sont aussi celles qui réinventent avec justesse des récits mythiques, fondateurs de notre société. Ainsi Uta Gebert imagine une pythie en proie à ses visions dans Manto, spectacle créé à l’occasion des Giboulées. L’artiste berlinoise y fait un travail

précis sur les masques dans un univers sans parole à la portée universelle. Un spectacle intimiste qu’il sera possible de revoir la saison prochaine, puisqu’il sera inscrit au répertoire du TJP. Tout comme Antje Töpfer imagine une boîte de Pandore sensuelle dans Pandora Fréquenz, François Small réécrit le mythe d’Orphée dans Fichu Serpent ou David Sechaud brosse un archétype faustien dans Monsieur Microcosmos, Renaud Herbin propose lui aussi son adaptation personnelle du mythe dans Actéon Miniature. Le marionnettiste met en scène la rencontre entre Diane et le jeune chasseur, poursuivant une recherche sur les Métamorphoses d’Ovide entamée en 2011 avec Pygmalion Miniature : « La métamorphose m’intéresse à plus d’un titre car la pratique de la marionnette est déjà en soi un acte de transformation : on a affaire à des objets qui peuvent passer d’un état à un autre. Toutes ces pratiques de l’objet ont pour ressort de pouvoir faire des fondus enchainés entre des images, des sons, des sensations ». Tandis que le fond s’attache à des propos ancestraux, la forme est quant à elle le lieu d’expérimentations technologiques : les projections vidéos, effets sonores et visuels sont les jouets préférés d’une nouvelle génération d’artistes-explorateurs en quête de nouveaux horizons. Au programme de la biennale, Tim Spooner est l’exemple même de ces bidouilleurs de la scène et déploie toute l’inventivité de son travail dans 24 manipulations grotesques et Télescope. Ces Giboulées 2014 nous confirment que les arts de la marionnette gardent toujours la porte grande ouverte à tous les possibles : chaque artiste vient préciser des formes en réinvention constante, dégageant sa propre définition de ce qu’est la marionnette. « Bien que ces pratiques soient millénaires, nous ne sommes qu’à l’aube de toute une aventure ». Une histoire à suivre à travers le prisme des propositions du TJP. LES GIBOULÉES, biennale internationale Corps-Objet-Image du 22 au 30 mars au TJP Centre Dramatique National d’Alsace à Strasbourg. www.tjp-strasbourg.com

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Caroline Châtelet — Photo : Vincent Arbelet

directeur

d'acteurs Âgé de quarante-deux ans, Benoît Lambert a succédé en janvier 2013 à François Chattot à la tête du Théâtre Dijon Bourgogne. Portrait d’un metteur en scène passionné par les acteurs.

Le 25 septembre 2012, au TDB, la répétition de Folie Courteline – spectacle mis en scène par le secrétaire général du TDB Ivan Grinberg et dans lequel jouait, entre autres, le directeur François Chattot –, s’arrêta un instant et l’équipe laissa éclater sa joie : on venait d’apprendre la nomination de Benoît Lambert à la tête du centre dramatique national. Une anecdote qui en dit long sur la position de favori occupée par le metteur en scène, ainsi que sur le soulagement lié à la fin d’une période de doutes. Car il y en a eu des rumeurs, des soupçons de tractations et autres pronostics sur l’avenir du TDB. Pour autant, le choix final était attendu, tant la compagnie de Benoît Lambert fait partie depuis 15 ans du paysage théâtral régional. Créé en 1993, le Théâtre de la Tentative débarque dès 1998 en Bourgogne pour une résidence à la Scène nationale de Mâcon. Accueilli ensuite au Blanc-Mesnil, La Tentative s’installe au Granit à Belfort de 2005 à 2010, avant de se rapprocher du TDB à partir de 2010 – y créant Que faire ? (le retour) et Bienvenue dans l’espèce humaine. À Dijon, la compagnie a joué quasiment tous ses spectacles. Comme le précise Benoît Lambert, « ce qui s’est inscrit en Bourgogne, c’est ma vie de théâtre, le développement de ma vie artistique ». Rappelant « ne pas avoir postulé à n’importe quel CDN », le metteur en scène se dit animé du désir de « travailler sur un territoire dont [il

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comprend] la dynamique ». D’ailleurs, fait amusant, Lambert est l’un des rares artistes à avoir été accueilli par ses trois prédécesseurs au TDB (Dominique Pitoiset, Robert Cantarella, François Chattot). Preuve du consensus que suscite La Tentative, cette particularité résonne aujourd’hui comme l’un des axes revendiqués par le nouveau directeur : « ne pas avoir de préalables esthétiques ». « Je crois à l’hétérogène, au métissage, et au fait qu’un imaginaire se développe en juxtaposant des choses différentes. Le théâtre recouvre des pratiques et des formes variées et ce qui m’angoisse, ce serait d’appartenir à une école. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de style, on en a fatalement un, mais je ne veux pas défendre “une” ligne. Comme tout le monde, j’ai des fréquentations plus ou moins clandestines et diversifiées. Ne pas avoir de préalables, c’est fabriquer de l’hétérogène ». Façon de dire qu’un spectateur découvrira au TDB des œuvres variées, manière de signaler la fin de l’ère Chattot – le précédent directeur ayant, comme il le disait volontiers, « travaillé le TDB en marge », soit en accueillant assez peu les spectacles d’autres centres dramatiques de France. Pour autant, si Elle brûle, création à la joliesse revendiquée de Caroline Guiela Nguyen n’a, par exemple, pas grand chose à voir avec Chapitres de la chute, où la mise en scène d’Arnaud Meunier exalte dans une fascination suspecte l’histoire des Lehman Brothers, hormis War Sweet War de Jean Lambert-wild, tous les spectacles reposent sur l’art de l’acteur. Bon, certes, le théâtre repose sur l’acteur. Mais celui-ci n’en est pas toujours le pivot, certains metteurs en scène explorant d’autres voies, qu’elles soient technologiques, plastiques, ou musicales. Cette place essentielle laissée à l’interprète, fondée sur la conviction que « le théâtre demeure l’art de l’acteur », doublée d’un plaisir assumé devant « des acteurs qui s’engagent », Benoît Lambert ne s’en cache pas. Cela traverse tout son travail, du théâtre qu’il fabrique à son projet pour le TDB. Car qu’il monte des pièces classiques, contemporaines, ou des montages de textes, ses spectacles sont tout entiers dévolus aux comédiens. Quant aux artistes associés au TDB, quatre d’entre eux – Emmanuel Vérité et les membres d’Idem Collec-


tif Élisabeth Hölzle, Laure Mathis et Aline Reviriaud – sont acteurs. On a alors envie de l’interroger sur les premiers comédiens l’ayant marqué. En vrac, le metteur en scène cite Laurent Terzieff – « j’étais un peu tombé de ma chaise » –, François Chattot, – « je ne le connaissais pas et ça a été une grosse claque » –, ou encore Marc Berman, tous vus lorsqu’il était étudiant. Avant d’ajouter un quatrième, découvert enfant : « Tout gamin nous avions des disques de Serge Reggiani à la maison, dont un où il lisait un poème de Prévert, Tentative de description d’un dîner de têtes, j’étais fasciné par ce disque ». Et tandis que ce texte sera le premier qu’il montera, Marc Berman et François Chattot font partie des comédiens qu’il dirigera plus tard... Pour autant, Lambert précise n’avoir « jamais imaginé travailler un jour avec eux », pas plus qu’il n’a

prévu vivre un jour du théâtre. Car s’il le pratique en amateur, « dans une MJC en classe de quatrième, puis au conservatoire municipal » de Saint-Germainen-Laye, le théâtre ne s’impose pas comme une évidence professionnelle. « Ça m’a toujours intéressé, comme ça... Après, ce sont des trucs distinctifs, pour te construire une identité avec un truc qui n’intéresse pas grand monde. Ça marche pour la musique, ça marche aussi pour le théâtre. Mais je n’ai jamais voulu être acteur, je me suis toujours senti plus spectateur ». Le passage à la mise en scène se fera par l’entremise d’Emmanuel Vérité, ami de longue date. Tandis que Lambert est élève à l’École normale supérieure, Vérité suit les cours de l’École supérieure d’art dramatique de Pierre Debauche. « Emmanuel avait un projet de spectacle, mais on lui a fait faux bond. Il m’en parle, nous embarquons des anciens élèves de chez Debauche et montons Tentative de description d’un dîner de têtes ». Suivront Les Fourberies de Scapin en 1995, puis, de projets en projets, Lambert lâche thèse de doctorat et cours à l’université pour se consacrer à La Tentative. De sa formation théâtrale qu’il qualifie « d’un peu sauvage », il retient une figure centrale, en la personne de Pierre Debauche. À Paris puis à Agen, où le pédagogue a déménagé son école, Lambert côtoie le maître et ses élèves, rencontrant là « une parole extrêmement forte sur le théâtre, l’art et la place de l’acteur. J’ai profité de son enseignement en assistant à ses cours et en discutant avec les comédiens ». Outre un rejet radical du style, contenu dans une phrase sanglante – « ceux qui ont une manière deviennent les anciens combattants de leurs trouvailles » –, Lambert évoque un homme « à la double exigence esthétique et politique », refusant « la lamentation et le mélodrame ». Méfiance vis-à-vis du style, défiance vis-à-vis de la plainte et croyance en l’acteur, autant de convictions que Benoît Lambert revendique aujourd’hui dans son théâtre et pour le théâtre. Chapitres de la chute – Saga des Lehman Brothers, pièce de théâtre du 5 au 8 février au Parvis Saint-Jean à Dijon. WAR SWEET WAR, pièce de théâtre du 9 au 12 avril au Parvis Saint-Jean à Dijon. www.tdb-cdn.com

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Caroline Châtelet — Photo : Elizabeth Carecchio

l'art

et la manière Programmant conjointement cinq spectacles cette saison, la Scène Nationale et le Centre Dramatique National de Besançon en proposent trois de Joël Pommerat, auteur et metteur en scène au succès singulier.

Trois spectacles... Preuve s’il en est du consensus existant autour du travail de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat, ce chiffre est plus qu’inhabituel. Car au vu de la typologie dominante dans le système théâtral français, l’existence d’un répertoire est très difficile pour une équipe. Et entre le rythme des calendriers de création – calqué sur la cadence saisonnière des lieux de diffusion – et le fait que peu de compagnies ont les reins assez solides pour mener de concert plusieurs spectacles, la fin de tournée de l’un marque souvent le début de la création du suivant. C’est dire si avec leurs cinq spectacles et 192 représentations dans 33 villes pour la seule saison 2013-2014, Joël Pommerat et sa compagnie Louis Brouillard ont valeur d’exception... Une omniprésence qui n’a, pour autant, rien d’inattendu en regard de la trajectoire de la compagnie, et qui constitue plutôt l’actuelle étape d’un développement. Mais reprenons. Né en 1963 à Roanne dans une famille n’ayant aucun lien avec le théâtre, Pommerat arrête l’école à 16 ans sans passer son baccalauréat. À 19 il vient à Paris avec pour projet d’être acteur, joue un peu, tente les concours d’entrée à l’École Supérieure d’Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg et au Conservatoire de Paris, échoue, fait autre chose, puis « décide » à 23 ans de se consacrer à l’écriture. En 1990, il crée la compagnie Louis Brouillard, clins d’œil mêlés à son grand-père pour le prénom, aux Frères Lumière et au Théâtre du Soleil pour le nom. C’est là qu’il commence à mettre en scène ses textes, liant dès lors travail d’écriture et de plateau. Si la reconnaissance est progressive, des paliers symboliques jalonnent celle-ci : à partir de 2002, édition de ses pièces ; 2004, début des tournées à l’international ; 2006, programmation au festival d’Avignon ; 2010, premier Molière et association

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de l’artiste au Théâtre National de l’Odéon ; 2011, mise en scène au festival lyrique d’Aix-en-Provence de Grâce à mes yeux, version opératique d’une pièce de 2002 ; 2011 toujours, troisième Molière et Grand Prix du Syndicat de la critique… On pourrait égrener ainsi longtemps les prix, nombreux, les résidences et associations à des théâtres, conséquentes, les tournées, impressionnantes, comme autant de preuves de l’appétence générale pour Pommerat. Pour autant, il faut attendre 2009 pour que d’autres metteurs en scène se coltinent à ses pièces. Un paradoxe dû, peut-être au fait que le texte ne prédomine pas sur la musique, les lumières, ou le jeu des acteurs, et qu’il s’écrit au fil des répétitions dans un cousu main soigné et patient. Plutôt que de « style Pommerat », il existerait un « style Louis Brouillard », les collaborateurs artistiques et comédiens – membres de la compagnie pour certains depuis des années – participant intimement de la constitution des spectacles. Et tandis que le jeu est caractérisé par un minimalisme, une retenue, un sentiment de réel – sensation amplifiée par le travail de sonorisation

permettant aux moindres chuchotements de parvenir au public – la scénographie et la lumière viennent elles susciter mystère et ambiguïté. Ainsi du travail du scénographe Eric Soyer, qui en faisant surgir et disparaître les comédiens de l’obscurité fait de la scène le lieu d’une prestidigitation toujours recommencée. Chez Louis Brouillard le spectacle balance sans cesse entre deux axes (développés par la critique Joëlle Gayot et la dramaturge de Pommerat Marion Boudier) : celui du trouble et du réel. Articulation maîtrisée de récits simples, à la langue prosaïque, où le montage minutieux ménage zones d’ombres et d’inquiétudes. Et qu’on nomme ceci « style », « lexique », « vocabulaire » ou « esthétique », c’est cela qui confère aux spectacles leur caractère singulier. Mais le style a un revers, et comme ironise le journaliste de Rue 89 (et ancien de Libération) Jean-Pierre Thibaudat, « on achète désormais du Pommerat comme on achète une bouteille de Pommard : quelle que soit l’année de la récolte, le vin est garanti de grande qualité, le goût en est particulier, reconnaissable entre tous ». Ce risque d’aller vers une reproduction mécanique, où la cohérence s’effacerait derrière le seul maniérisme, Joël Pommerat en est conscient. Quoique la compagnie n’échappe pas à certains écueils du succès – la reprise ou la recréation de spectacles antérieurs mineurs – Une Année sans été, sa nouvelle création d’après un texte de Catherine Anne, dit bien cette vigilance quant à tout enfermement ou ressassement : pour la première fois, Pommerat met en scène une pièce dont il n’est pas l’auteur et fait travailler des jeunes comédiens. Le metteur en scène ayant jusqu’alors toujours refusé d’intervenir dans des écoles de théâtre, ce projet apparaît comme la possibilité d’interroger autant le travail de la compagnie, ses pratiques, que les problématiques liées à la transmission. Et à travers Cendrillon – présentée en janvier –, où s’énonce tout l’art du conte de Louis Brouillard, La grande et fabuleuse histoire du commerce, pièce sur le monde du travail, et Une année sans été, se révèle tout l’univers d’une équipe qui n’hésite pas à bousculer ses habitudes. Le seul moyen pour que naisse l’art plutôt que la manière... LA GRANDE ET FABULEUSE HISTOIRE DU COMMERCE, pièce de théâtre du 18 au 21 février au Centre Dramatique National de Besançon. UNE ANNÉE SANS ÉTÉ, pièce de théâtre du 11 au 14 mars au Centre Dramatique National à Besançon. www.cdn-besancon.fr scenenationaledebesancon.fr La Filature, Scène nationale de Mulhouse, est partenaire jusqu’en 2015 des créations de la Compagnie Louis Brouillard de Joël Pommerat.

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Par Claire Tourdot — Photo : Franck Beloncle

le meilleur des mondes Lauréate du Grand Prix de littérature dramatique 2013, Alexandra Badea nous fait vivre dans Pulvérisés le quotidien de quatre acteurs anonymes de la mondialisation. Mis en scène pour la première fois au Théâtre National de Strasbourg, ce poème narratif signale l’état d’alerte d’une humanité à préserver. Vous avez reçu à l’automne dernier le Grand Prix de littérature dramatique pour Pulvérisés, que représente cette distinction ? Ce prix a une valeur symbolique parce que j’apprécie beaucoup les auteurs qui l’ont eu avant moi, notamment Christophe Pellet et Pascal Rambert. Le jury étant composé de personnalités très différentes du monde du théâtre, c’est une reconnaissance qui vient du milieu. Cela a longtemps été difficile pour mes projets d’exister : on a eu des réserves par rapport à la forme de mes textes en disant qu’ils n’avaient pas une forme théâtrale évidente, on avait aussi peur de leur côté politique. J’espère que ce prix va rassurer les gens et qu’il y aura une prise de risque plus évidente désormais.

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Il est vrai que Pulvérisés ne répond pas aux codes de l’écriture dramaturgique traditionnelle. Il y a une réelle autonomie du texte. Dans chacun de mes textes, la forme vient du thème. Dans Pulvérisés, je parle du milieu du travail, des gens qui sont complètement dépossédés de leur vie à cause de la pression qu’ils se donnent à eux-mêmes. Le mot « pulvérisés » est celui de la globalisation, de l’annulation des corps, de la proximité, de tous les attributs dont l’être humain a besoin. Je ne voyais pas du tout les personnages parler à la première personne ou même beaucoup parler, mais en même temps, j’avais besoin d’entrer dans leur intériorité. Ce « tu » permanent, ce regard extérieur qui est à la fois la voix d’un narrateur et celle d’une voix intérieure, tout cela est réfléchi et s’est développé de manière très fluide. Pourquoi avoir fait le choix de mettre en scène des anonymes ? J’ai eu l’idée du texte en visitant les usines de Renault à Saint-Priest. Pulvérisés parle d’une toute autre entreprise mais au moment de cette visite, un ouvrier m’a montré un moteur et m’a dit que plusieurs personnes de pays différents avaient travaillé dessus. Elles ne connaissaient pas la finalité de leur ouvrage et ne s’étaient jamais ren-


contrées. Tout comme le système de la sous-traitance annule la proximité, les personnages de Pulvérisés ne pouvaient avoir une identité très prononcée. Vos précédents écrits comprenaient déjà cet aspect politique. Je ne peux pas faire du théâtre sans être connectée au monde d’aujourd’hui, aux sujets brûlants de l’actualité et aux choses qui rendent la vie intime difficile. Je ne donne pas un verdict sur le théâtre en général, mais pour moi, le théâtre est l’espace de l’urgence. Ces quatre personnages sont conscients de leur condition. Est-ce là tout le drame de la situation ou au contraire l’espoir d’un possible changement ? Au début du texte, les personnages sont seulement pris dans l’engrenage terrible du monde du travail, puis au bout d’un moment, la crise éclate et ils deviennent conscients. J’ai choisi de mettre en scène le développement de cette crise sans en donner la résolution. Parfois, les gens me disent que c’est un texte très sombre mais pour moi ce n’est pas du tout ça, car dès le moment où la prise de conscience arrive tout peut être résolu. Chacun peut encore

envisager de détourner le système pour rendre la vie plus belle et les relations humaines meilleures. Pourtant dans Pulvérisés, la capacité à « oublier » semble la seule issue. Oui, en effet, oublier la souffrance, oublier ce qu’on a vu, oublier la gravité des faits est la seule échappatoire pour continuer à vivre dans cette société. Mais c’est bien sûr ironique, car j’espère qu’un jour, les gens comprendront qu’il est au contraire temps d’apprendre à ne pas oublier. On peut changer le monde puisque c’est nous qui l’avons fait ! Il suffirait d’avoir la lucidité de se confronter aux problèmes même s’il est plus facile de fermer les yeux. Jacques Nichet et Aurélia Guillet signent la première mise en scène de votre texte. Avez-vous pu échanger avec eux à ce propos ? Je n’aime pas intervenir sur la mise en scène de mes pièces, c’est pour ça que la forme de mes textes est assez libre. Ce qui est intéressant c’est quand le texte est mis en scène de façon différente à chaque fois et j’ai envie de laisser la liberté aux metteurs en scène de créer leur propre histoire. J’ai tout de même

discuté avec Aurélia Guillet et Jacques Nichet et suis très confiante : ils ont fait un vrai travail de recherche et sont au juste endroit. Les compositions musicales de Nihil Bordures accompagneront les performances de Stéphane Facco et Agathe Molière. Que peut apporter la musique à cette langue déjà puissante ? C’est un choix très juste car mon écriture est déjà une écriture musicale ! La musique permet de soutenir l’acteur vers cette recherche rythmique en dépassant l’immédiateté du propos. Ce texte ne peut pas être joué dans une optique psychologisante en gonflant les mots, il faut avoir à l’esprit cette idée de partition musicale. J’aime penser que les mots résonnent dans le corps de l’acteur tout autant que dans celui du spectateur et quand on arrive à cela, c’est un pari gagné. PULVÉRISÉS, pièce de théâtre du 4 au 21 février au Théâtre National de Strasbourg. www.tns.fr Pulvérisés d’Alexandra Badea est publié aux éditions L’Arche.

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Par Claire Tourdot

L’homme est un loup pour l’homme Politiquement incorrecte sur les écrans de cinéma autant que sur les planches, le metteur en scène hongrois Kornél Mundruczó exhibe dans l’adaptation théâtrale de Disgrace, œuvre maîtresse de l’écrivain sud-africain J.M. Coetzee, un dérangeant tableau social à la dimension universelle.

Le chemin de Kornél Mundruczó avait déjà croisé celui du Maillon de Strasbourg en 2008. Jeune metteur en scène en devenir, il présentait au Festival Premières sa pièce The Frankenstein Project. La réécriture du roman de Mary Shelley s’était ensuite envolée la même année jusqu’au Festival de Cannes, secouant le public par la violence de son univers scabreux. C’est que le cinéaste de formation affectionne les sujets qui dérangent et Disgrace poursuit sans surprise cette recherche de marginalité. Progammée en 2012 au Festival d’Avignon, la pièce reprend fidèlement la trame du roman éponyme de J.M. Coetzee – prix Nobel de littérature en 2003 – forçant le trait sur la férocité des situations. À la manière d’un reality-show théâtral et musical, Disgrace nous fait entrer in media res dans une Afrique du Sud postapartheid : Lucy, jeune fille lesbienne, est violée par un groupe d’Africains en

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mal de revanche. Situé à l’origine au milieu de l’ouvrage de Coetzee, la scène fait ici office d’ouverture et prend à bras-le-corps toute la question de la division sociale d’un pays au passé colonialiste. De façon parallèle se recoupe l’histoire de David Lurie, père de Lucy et professeur de littérature à l’université du Cap. Le pauvre homme vit enfermée dans le rêve illusoire d’une société fondée sur les privilèges et la domination alors que celle-ci a pris fin il y a des années. Kornél Mundruczó fait de ces figures les symboles d’un état à la reconstruction difficile où l’antagonisme de chaque être est exacerbé à son maximum par la haine de l’autre mais aussi par la nécessité de croire en un avenir meilleur. Élargissant le cadre intime mis en place par Coetzee, le metteur en scène interroge l’Histoire de l’humanité toute entière, par-delà les frontières de l’Afrique du Sud et ses traumatismes. Comment définir notre identité ? Pourquoi l’homme devrait-il être différent de l’animal ? Autant de pistes dont il est question tout au long de la pièce à travers les nombreuses références – figuratives ou non – aux canidés. Mais c’est surtout vers l’Histoire de l’Europe qu’il faut se tourner, et notamment celle de la Hongrie, pour comprendre toute la portée politique de Disgrace. Citoyen d’un ex-état soviétique, Kornél Mundruczó expose ici un point de vue personnel sur les conséquences du colonialisme : la posture statique des protagonistes – intensément interprétés par des acteurs fidèles aux réalisations de l’artiste – révèle l’impossibilité d’élever le regard au dessus du passé. Pourtant, tout n’est pas perdu face à ce constat fataliste et la mise en scène échevelée de Kornél Mundruczó confirme l’amorce d’un possible basculement vers la révolte. DISGRACE, pièce de théâtre du 20 au 23 février au Maillon à Strasbourg. www.maillon.eu


Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

25 > 28 février 2014

TAPS GARE LAITERIE

CONCEPTION FATOU BA MISE EN SCÈNE BABETTE MASSON COMPAGNIE ET POURTANT ELLE TOURNE STRASBOURG – CRÉATION 2014

Perverted Infant Gathering Society Texte, scénographie, mise en scène Didier Manuel Avec Coralie Leblan, Maud Le Grévellec, Émeline Touron Scénographie Olivier Irthum & Didier Manuel / Musique Tess Wassila / Lumière Olivier Irthum / Son Chloé Costet / Vidéo William « xulfni » Nurdin / Costumes Éléonore Daniaud / Masques, Prothèses Elise Kobisch-Miana / Bande originale ODM Production Materia Prima art factory Coproduction Théâtre de la Manufacture Centre dramatique national Nancy-Lorraine CCAM, Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy Avec le soutien de la Ville de Maxéville, la Ville de Nancy, le Conseil Général de Meurthe-et-Moselle, la Région Lorraine, la DRAC Lorraine Coréalisation Théâtre de la Manufacture CDN Nancy - Lorraine / CCAM, Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy

P.I.G.S. déroule la fable douce-amère de cette génération X, la génération des lendemains qui déchantent. Des âmes perdues et des crises stridentes, des crimes et des mythes urbains. Pourtant, toujours, la musique est bonne.

03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu

Peer Gynt Grieg

Orchestre Dijon Bourgogne Chœur de l’Opéra de Dijon

direction musicale Gergely Madaras mise en scène Emmanuelle Cordoliani

ma, mer, ve à 20h30 je à 19h Plein tarif 21 €, réduit 16 €, jeunes 9 €

Locations Théâtre de la Manufacture 10 rue Baron Louis, Nancy du lundi au vendredi de 12h à 19h mercredi de 10h à 19h et le samedi en période de spectacle 15h à 19h

www.theatre-manufacture.fr

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M���

Sam. 15.03.14 –

Jazz

20h00

opéra

Version semi-scénique

Auditorium

10/03 11/03 12/03 20h00 20h00 20h00 03 80 48 82 82

© Jean-Baptiste Millot

opera-dijon.fr

ÉRIC LEGNINI —

Sing Twice ! A������ 3 avenue Ney, 57000 Metz t. bill. : + 33 (0)3 87 74 16 16 www.arsenal-metz.fr

Licences d’entrepreneur du spectacle : 1-1024928 / 2-1024929 / 3-1024930

ICI

DU JEU. 6 AU SAM. 8 FÉV. À 20H30 DIM. 9 À 17H

P.I.G.S.

CRÉATION


audio

NICK WATERHOUSE

KG

En dandy hors temps, Nick Waterhouse nous avait doublement subjugué, une première fois avec un album qui retournait à la source rhythm’n’blues et la seconde en produisant le meilleur album de 2012, celui des Allah-La’s. Là, avec la contribution prestigieuse de Ty Segall, Young Holt Trio et Mose Allison, il signe un second opus qui confirme la sécheresse de son propos. Aidé en cela par le producteur des Black Keys, il refuse toute évolution dans le temps et nous replonge avec bonheur au cœur des 50’s célestes. (E.A.)

Avec lui, on aura sans doute tout vu, et même tout écouté : post-punk, expérimental bruitiste, voire post-industriel à l’occasion d’une première partie mythique de Chris Knox à Paris, shoegazing ou électronique endiablée, KG nous aura tout fait ! Après 12 ans de silence, l’ami revient comme si de rien n’était, mais avec un propos toujours aussi décapant, entre electronica contemplative et franc coup de poing rythmique dans la face, le tout avec une maîtrise déconcertante. Et surtout une désinvolture apparente, comme si la vie n’avait pas de prise. (E.A.)

HOLLY / INNOVATIVE LEISURE

STEPHEN MALKMUS & The JICKS WIG OUT AR JAGBAGS / DOMINO

Réparons d’emblée une injustice : avec Pavement, Stephen Malkmus a sans doute constitué la meilleure formation des années 90 – et même de loin ! La reconnaissance a-t-elle été à la hauteur de la qualité de ce groupe-là ? Rien n’est sûr, mais il n’est jamais trop tard pour se réapproprier une œuvre majeure. Depuis, Stephen Malkmus a vécu en solo des fortunes diverses, mais avec les Jicks, il réexplore quelques uns des territoires qu’il avait déjà investis avec Pavement : le jazz, Frank Zappa, un certain rock progressif, etc. On se souvient qu’au courant de l’année dernière, il avait repris intégralement le chef d’œuvre Ege Bamyasi de Can – exercice hautement périlleux –, avec un respect qui pouvait surprendre. Là, Wig Out At Jagbags enfonce le clou : le disque fait la jonction entre la pop indie et des structures d’inspiration free-jazz. On peut le constater, l’ami Stephen Malkmus continue de brouiller les pistes de manière toujours aussi jubilatoire… (E.A.)

92

YOUNG FATHERS

PASSAGE SECRET / HERZFELD

TAPE ONE & TAPE TWO / ANTICON-BIG DADA

SINGE CHROMÉS

Rarement un groupe ne suscite une telle attente ! Il faut dire que ce trio d’Edimbourg construit, même malgré lui, sa propre légende. On se croit revenir aux premières heures de Massive Attack, tant la fusion des genres dub, afro, hip hop et même folk naît sous les doigts experts de ces jeunes surdoués. Il en résulte un propos éclaté, constamment renouvelé, mais sans cesse lumineux d’un point de vue aussi bien mélodique que rythmique. Le grand David Byrne des Talking Heads et même Diplo ne s’y sont pas trompés : ils ont d’emblée rejoint la cohorte des fans. (E.A.)

Pour tous ceux qui ont encore des doutes sur le sens de la vie, et surtout qui se complaisent dans ce questionnement, une seule écoute du titre Gone les ramènera à la réalité – ou pas ! Depuis combien de temps, n’a-t-on écouté quelque chose qui possède cette fraicheur de ton-là ? Denis Scheubel, architecte des mots par ailleurs, sait mettre toute sa culture au service d’une musique destinée à l’élite mutante : une boîte à rythme, une guitare et c’est toute la culture post-punk qui remonte, Alan Vega bien sûr, mais aussi Devo ou les B-52’s – bien vu la citation de Dance This Mess Around sur Astéroïde ! –, et plus proche de nous, Alain Bashung forcément, ou Rachid Taha. (E.A.)

LP / MÉDIAPOP records


BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB - YUCK - GRAND CORPS MALADE - ROBBEN FORD - AND SO I WATCH YOU FROM AFAR - NÄO - HOLLYSIZ - AGORIA DISCODEINE - JACK AND THE BEARDED FISHERMEN PARABELLUM - GUTS - CHANNEL ONE - GROOVE INSPEKTORZ - THE W.A.N. - TOM ET JERRY CINÉ CONCERT - SUNLESS - THE POPES - CATFISH GIRLS IN HAWAII - PATRICE - SECOND RATE PROJET SIDE BY SIDE > AVANT L’AUBE - ... La Rodia . 4 avenue de Chardonnet . Besançon 03 81 87 86 00 . www.larodia.com

Les Trinitaires www.lestrinitaires.com

FÉVRIER

MARS

me. 5 & jeu. 6 ≈ 20:00 Le Mythe de Léla Frite Kâli

samedi 1er ≈ 19:00 Les Vacances Numériques «winter edition»

vendredi 7 ≈ 20:00 Grand Blanc Carte blanche jeudi 13 ≈ 20:00 Au Revoir Simone Lidwine

jeudi 13 ≈ 20:00 Manuel Étienne Eddy la Gooyatsh vendredi 14 ≈ 20:00 La Géométrie Variable : An 1

samedi 15 ≈ 21:00 Wall of Death rendu de résidence Feeling of Love DJ set & Charles Denner DJ set

samedi 15 ≈ 21:00 Dalida RELEASE PARTY France + Massicot

mercredi 19 ≈ 20:00 Festival Freeeeze #3

mercredi 19 ≈ 20:00 Cabaret Dancefloor

jeudi 20 ≈ 20:00 Mademoiselle K

mercredi 19 ≈ 15:00 Orchestre Philharmonique de MS-20 jeune public

samedi 22 ≈ 20:00 Broussai Greg Drums jeudi 27 ≈ 20:00 Caratini vendredi 28 Free Yourself in Tucson, 57! French Cowboy & The One Thee Verduns Howe Gelb

vendredi 21 ≈ 20:00 Bertrand Betsch Jean Elliot Senior mardi 25 ≈ 20:00 Larmes de Clown Spect. cinéma. vendredi 28 ≈ 21:00 Félix Kubin « La nuit des morts vivants » Ciné-concert

samedi 29 ≈ 20:00 Festival Les Femmes s’en Mêlent 17


lectures

LE MAL QUE L’ON SE FAIT

LES DESSOUS DE LA VIERGE À L’ENFANT

Un homme débarque dans une ville d’Amérique latine. On ne sait rien de lui, mais on le suit à tâtons pendant trois mois. On l’accompagne trois mois de plus dans une autre ville, à un autre bout du monde. Par petites touches, on apprend à le connaître en découvrant ses habitudes, ses rituels, tout en cherchant vainement un sens à son existence, une cause à sa solitude. C’est presque à regret que l’on comprend enfin, dans la troisième partie du livre, l’origine de sa tristesse, car c’est justement en restant dans la retenue et le mystère que Christophe Fourvel parvient le mieux à nous envoûter avec ce livre délicatement profond. (P.S.)

Serge Basso de March et Enrico Lunghi sont directeurs du Centre culturel Kulturfabrik et du Mudam, deux institutions culturelles luxembourgeoises parfaitement sérieuses. Écrit à quatre mains et arrosé d’une forte dose d’humour, leur “roman noir polychrome” a pour héros un inspecteur de police amoureux d’une historienne de l’art. Le vol d’un tableau du XVe siècle au musée national va déclencher une enquête qui le mettra aux prises avec de dangereux nostalgiques du Troisième Reich. Une fois n’est pas coutume, on recommande la lecture des notes de bas de page qui nous apprennent entre autres joyeusetés que le “Luxembourg est le pays des huiles et des portes parfaitement huilées”. (P.S.)

DEVENIR CARVER

SPIROU

Rodolphe Barry nous raconte la vie de Carver depuis son enfance heureuse jusqu’à son dernier combat perdu contre le cancer à 50 ans en 1988. Marié et père très jeune, obligé d’enchaîner les boulots alimentaires et de déménager à de multiples reprises, Carver finira par devenir celui qu’il était vraiment, c’est à dire un des plus grands écrivains américains. Pour cela, il lui faudra d’abord vaincre son alcoolisme et s’affranchir de tout ce qui l’empêche de se consacrer pleinement à l’écriture. Autant de victoires admirablement racontées dans ce livre qui montre à quel point chez Carver la littérature et la vie sont liées. (P.S.)

La rencontre entre Yves Chaland et Spirou apparaît comme une évidence, tant l’auteur s’est inspiré de l’approche graphique du célèbre groom pour construire son univers propre. Ses héros, Freddy Lombard et Adolphus Claar s’en sont fortement inspirés. Le livre retrace le projet d’édition d’un récit de Spirou dessiné par Chaland ; il relate en détails les étapes de ce projet, fait figurer les dessins préparatoires et les strips réalisés avant la disparition tragique de l’auteur, révélant les coulisses de ce qui demeure l’un des inédits les plus célèbres. (E.A.)

DE CHRISTOPHE FOURVEL / LA FOSSE AUX OURS

LUNE L’ENVERS DE BLUTCH / DARGAUD

Avec Blutch, il est préférable de procéder par élimination. L’auteur alsacien se définit généralement plus par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est – qu’est-il au juste ? Il en va de même pour sa dernière publication, Lune L’Envers, qui ne tient ni de l’absurde, ni du surréel, ni même du réel, forcément ; l’œuvre en question ne s’inspire surtout pas du cinéma, ni encore moins de la peinture. Tout au plus est-elle littérature, une forme de littérature sans passé ni présent, qui se traduit par une forme onirique – avec ses accès cauchemardesques – : une jeune femme, Liebling, a pour amant Lantz, un auteur surdoué à qui l’on confie la réalisation « à l’ancienne » du Nouveau Nouveau Testament ; elle se voit remettre une capsule de cyanure par sa mère et se rend dans le grand bain de la vie. Derrière ce pitch presque innocent, se construit une narration à tiroirs qui, au final, ne se résume qu’à une chose : une angoisse latente, comme trait commun à un récit sombre très sombre, traversé de temps en temps par des faisceaux de lumière. (E.A.)

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DE RODOLPHE BARRY / FINITUDE

DE BASSO-LUNGHI / EDITIONS PHI

PAR YVES CHALAND / DUPUIS


THE NIGHT OF THE GREAT SEASON médiapop + TUBS★MJHIU

19.02 —11.05 2014 ENTRÉE LIBRE Tél : 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935 - 936 - 937 ~ Conception : tubs★mjhiu ~ Photo : © Simon Bouisson

Jakub Julian ZIÓŁKOWSKI, Planet, 2012 – Oil on canvas, 144 x 111 x 2.5 cm Courtesy of the artist, Foksal Gallery Foundation and Hauser & Wirth – Photo : Stefan Altenburger Photography Zürich

QUINTETTE AVEC PIANO SAM. 22.03

20:30

Le Quatuor Ardeo : quatuor à cordes Natacha Kudritskaya : piano

lacoupole.fr

03 89 70 03 13

M.MATA. Abstraction géométrique

Equilibre des formes et des couleurs qui incite à la réflexion

Musée des Beaux-Arts du 24 janvier au 16 mars 2014 Tous les jours de 13h à 18h30 (sauf mardis et jours fériés) - Entrée libre


dvd

HA HA HA / LES AMOURS D’OKI

DARK STAR

DE JOHN CARPENTER / CARLOTTA Décidément l’histoire du cinéma est pleine de ressources : pour qui cherchait le chainon manquant entre Le Sacré Graal des Monty Pythons et Alien de Ridley Scott, Carlotta nous déniche Dark Star, où l’odyssée improbable d’un équipage à la recherche de planètes instables. Le but ? Les détruire ! Le moyen ? Des bombes surpuissantes, mais dont la particularité, outre d’être programmées, c’est d’être dotées de la parole. D’où un échange improbable entre le commandant de bord et une bombe sur la question même de l’existence. On rit bien sûr, mais on grince des dents également, face à cet ersatz magnifique de film de science-fiction réalisé par John Carpenter à l’âge de 25 ans. On se prend à rêver de toute une génération de jeunes cinéphiles qui aurait préféré Dark Star à Star Wars. Le monde ne serait pas celui d’aujourd’hui, n’est-ce pas ? (E.A.)

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DE HONG SANG-SOO / WHY NOT Le fils caché de Rohmer est coréen et en plus il est drôle ! Hong SangSoo ne s’intéresse qu’à l’indécision amoureuse, mais chacun de ses films est une trouvaille euphorisante. Dans Ha Ha Ha, deux amis s’enivrent en se racontant le séjour qu’ils ont effectué, par hasard, chacun de son côté, dans la même petite ville en bord de mer, Tongyeong. À peine moins burlesque Les Amours d’Oki raconte en quatre petites histoires l’évolution de deux relations liées à la même femme. Une fois encore il est question d’indécision amoureuse et de cinéma, mais aussi de la difficulté de communiquer avec sincérité. (P.S.)

EN QUATRIÈME VITESSE DE ROBERT ALDRICH / CARLOTTA

Certains films vous glacent le sang d’emblée : dès les premières scènes de En Quatrième Vitesse – Kiss Me Deadly dans sa version originale –, on se situe dans le film noir, très noir : les codes sont renversés cependant, les bons ne sont jamais vraiment bons, et les mauvais le sont vraiment. On sait que la quête du détective Mike Hammer le conduit vers quelque chose d’ultime : il y va de la survie de l’humanité toute entière. La tension n’en est que renforcée, dans un contexte qui dit l’angoisse de la Guerre Froide et surtout la crainte de la destruction totale. À le découvrir aujourd’hui, on ne perçoit nul gimmick lié à l’époque, mais bien plutôt une troublante actualité. (E.A.)

MON ONCLE

DE JACQUES TATI / CARLOTTA La figure de Jacques Tati continue de nous hanter, avec toute la bienveillance qui le caractérise. Là, en l’occurrence c’est Mon Oncle qui fait l’objet d’une nouvelle version restaurée. Ce chef d’œuvre, le premier en couleur, marque la transition entre les premières tentatives du réalisateur et la deuxième partie de sa production plus abstraite. Le contraste saisissant entre les deux mondes, l’attachement qu’on peut porter à la campagne et les bouleversements de la ville, est montré sans manichéisme, et surtout avec une profonde tendresse pour tous les personnages. Monsieur Hulot fait la jonction entre ces mondes, et plus que cela opère la bascule véritable entre tradition et modernité. (E.A.)

LES PARAPLUIES DE CHERBOURG

DE JACQUES DEMY / STUDIO CANAL On le sait, derrière l’unanimité apparente, Jacques Demy continue de diviser : entre ses ardents défenseurs, sensibles à son propos singulier, et ceux qui ne voient chez lui que mièvrerie, le débat, 50 ans après, reste entier. Après, pour rassembler tout ce joli monde, rien de tel qu’une nouvelle projection en Blu-ray. La candeur du propos, généralement décriée dans les chansons, est compensée par un arrière-fond d’une grande complexité et surtout des effets de mises en scène qui n’ont rien à envier à Godard par exemple. La distance aidant, les films de Demy ont fini par s’inscrire pour l’éternité. (E.A.)


CONCOURS D’ENTRÉE EN PREMIÈRE ANNÉE

Retrait et dépôt des dossiers : du 10 février au 21 mars Dates des épreuves : 14, 15 et 16 avril

Séminaire international

Onur Yazıcıgil

de typographie

Alejandro Lo Celso

20 février 2014

Johannes Bergerhausen Jérôme Knebusch Alice Savoie Thomas Huot-Marchand Elamine Maecha

Entrée libre

www.letstype.fr

VERSANT EST RÉSEAU ART CONTEMPORAIN WWW.VERSANTEST.ORG

15 ——— 16 MÄRZ 2014 ——— ELSASS

15 ——— 16 MARS 2014 ——— ALSACE

de Lorraine, Metz

WOCHENENDE DER ZEITGENÖSSISCHEN KUNST

Retrait et dépôt des dossiers : du 1er au 16 mai Commission : 12 juin

WEEK-END DE L’ART CONTEMPORAIN

ÉQUIVALENCE ET ADMISSION EN COURS DE CURSUS

École Supérieure d’Art


Bagarre

98

02

Chloé Tercé / Atelier 25



REWIND théâtre - musique CIE LES FRUITS DU HASARD France Vendredi 14 février à 20h30

THE END théâtre - musique BABILONIA TEATRI Italie Vendredi 28 février à 20h30

LE SIGNAL DU PROMENEUR théâtre RAOUL COLLECTIF Belgique Samedi 19 avril à 20h30 Espace Georges-Sadoul

lanef@ville-saintdie.fr - 03 29 56 14 09


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