NOVO N°18

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nUMÉRO 18

02.2012

la culture n'a pas de prix


É


ours

sommaire NUMÉRO 18 02.2012

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight

Édito

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Le monde est un seul / 17, par Christophe Fourvel Pas d’amour sans cinéma / 8, par Catherine Bizern

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Ont participé à ce numéro : REDACTEURS

Claire Audhuy, Gabrielle Awad, Cécile Becker, Anne Berger, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Lisa Cartus, Caroline Châtelet, Baptiste Cogitore, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Hélène Grandemange, Anne Guldner, Xavier Hug, Marion Hulot, Kim, Margaux Krehl, Claire Kueny, Louise Laclautre, Nicolas Léger, Guillaume Limatola, Stéphanie Linsingh, Cécilia Meola, Julie Noël, Adeline Pasteur, Nadège Peter, Marcel Ramirez, Perrine Schalck, Christophe Sedierta, Fabien Texier. PHOTOGRAPHES

Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Cécile Becker, Stephen Dock, Stéphane Louis, Marianne Maric, Olivier Roller, Dorian Rollin, Renaud Ruhlmann, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly. CONTRIBUTEURS

Bearboz, Catherine Bizern, Ludmilla Cerveny, Christophe Fourvel, Sherley Freudenreich, Sophie Kaplan, Julien Rubiloni, Vincent Vanoli, Sandrine Wymann. COUVERTURE

Pierre Bourdieu, Blida, N 24/465. (Couverture du livre : Algérie 60, Paris 1977). Dans : Pierre Bourdieu : Images d’Algérie. Une affinité élective. © Pierre Bourdieu / Fondation Pierre Bourdieu, Saint-Gall. Courtesy : Camera Austria, Graz. Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop

Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR

Estimprim ~ PubliVal Conseils Dépôt légal : février 2012 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2012 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT www.novomag.fr

novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France

6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France

6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros

Focus L’actu culturelle du Grand Est à vive allure 10 La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer

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Vive l’Europe / 1, Faire le tour de l’Europe dans un rayon de 200 km par Sophie Kaplan 33 Une balade d’art contemporain par Bearboz et Sandrine Wymann : Exposition Phenomena of Resonance au Musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard

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Rencontres Présent au festival EntreVues à Belfort, Serge Kaganski revient sur l’histoire des Inrocks Le festival TGV Génériq dans l’objectif du Très Grand Vincent Arbelet 40 Selah Sue se confie backstage à la Rodia à Besançon 42

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Magazine Coup d’œil sur ceux qui filment la musique dans le Grand Est 44 Horace Andy 49 François & The Atlas Mountain 50 Jonathan Wilson 51 Dossier spécial : Les photographies de Pierre Bourdieu en Algérie chez Stimultania 52 Guillaume Chauvin et Rémi Hubert (GCRH) publient Aucun détour ne ment chez Allia 56 Discussion sans tabou avec Gérard Béréby, fondateur et directeur des éditions Allia 58 L’avènement de la contre-culture à la fin des années 60 et au cours années 70, réalité ou fantasme ? 60 Le festival TRANS(E) à la Filature, Scène nationale de Mulhouse 62 Schieppe et Meyer, partenaires très particuliers au Crac Alsace 64 Boris Charmatz réinterprète l’œuvre de Merce Cunningham et se passionne pour l’histoire de la danse 66 Spiro Scimone et Francesco Sframeli pratiquent un théâtre réduit à l’essentiel 68 Avec La Loi du marcheur, le comédien Nicolas Bouchaud transmet la parole de Serge Daney 69 Benoit Lambert et Guillaume Malvoisin, deux auteurs et metteurs en scène au TDB 70 Incursion dans les répétitions de Let’s Dance au Ballet du Rhin à Mulhouse 72

Selecta Disques et livres

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Les carnets de novo Movies to learn and sing / 2, par Vincent Vanoli et Fabien Texier Bicéphale / 8, par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny 82 Le Veilleur de Belfort n°137, par Catherine Bizern 82

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DIFFUSION

Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est. 3


THÉÂTRE / FRANCE

LA LOI DU MARCHEUR MAR 27 + MER 28 + JEU 29 + VEN 30 + SAM 31 MARS / 20H30 THÉÂTRE DE HAUTEPIERRE

WWW.LE-MAILLON.COM

03 88 27 61 81

Photo © Giovanni Cittadini Cesi

DE NICOLAS BOUCHAUD MISE EN SCÈNE ÉRIC DIDRY


édito pAR philippe schweyer

La faute à Rousseau

J’adore les bibliothèques publiques. Ce sont les seuls endroits où l’on peut s’asseoir au chaud et bouquiner pendant des heures sans rien payer. Ces derniers temps, ça me fait chaud au cœur de constater que la montée du chômage favorise la lecture. S’user les yeux sur un bon bouquin pendant que les autres angoissent au bureau et s’esquintent la santé à l’usine, ça ouvre l’esprit. Il y a quelques semaines, j’ai repéré un homme qui lisait Les Misérables de Victor Hugo dans un volume de la Pléiade. Tandis que je feuilletais un magazine people à vive allure, l’homme avançait laborieusement dans sa saine lecture. - Vous en êtes où ? - Page 352. C’est la catastrophe. Waterloo ! Une semaine plus tard, l’homme était toujours à la même place. - Alors, comment ça se passe à Waterloo ? - Waterloo morne plaine. Maintenant je suis sur les barricades avec Gavroche. - Ah ouais un chic gosse… Je me souviens : Joie est mon caractère, c’est la faute à Voltaire, misère est mon trousseau, c’est la faute à Rousseau… - Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute… - Pourquoi vous ne l’empruntez pas pour le finir tranquillement chez vous ? Le meilleur endroit pour lire Les Misérables, c’est un bon lit douillet. L’homme s’est contenté de sourire à moitié sans me répondre. Quelques jours plus tard, il était toujours assis à la même place. Fidèle au poste. - Alors, comment va Jean Valjean ? - Il vient de laisser filer son pire ennemi, l’inspecteur de police Javert. Pourquoi sauver la peau de son pire ennemi ? Comme je n’avais pas la réponse, je me suis plongé dans un de ces magazines sur papier glacé qui me procurent un plaisir aussi éphémère que coupable. La fois suivante, l’homme n’était plus là. Contrarié, je suis parti à la recherche de Victor Hugo. Le grand homme était à sa place, à la lettre H, coincé entre Michel Houellebecq et Nicolas Hulot. Un signet était glissé à une centaine de pages de la fin des Misérables. - Vous cherchez quelque chose ? Une bibliothécaire me souriait tout en remettant un peu d’ordre du côté de la lettre G. - Je cherche quelqu’un… L’homme qui lisait Les Misérables dans la Pléiade. - Il ne viendra plus. Il a dû se faire pincer… - Pincer ? - Il n’avait pas de papiers, c’est pour ça qu’il n’empruntait jamais rien. Pour avoir une carte, il faut des papiers… Et sans carte, pas de livres. L’humanisme a des limites. - Vous connaissiez son nom ? - Il n’avait pas de carte, donc pas de nom. On se disait bonjour et c’est tout. Je ne sais même pas d’où il venait. Le soir même, bien au chaud dans mon lit douillet, j’ai lu que 32.922 étrangers avaient été expulsés de France en 2011 et que le ministre espérait arriver à 35.000 en 2012. Il était temps de relire Victor Hugo.

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Le monde est un seul n°- 17 Par Christophe Fourvel

Les Neiges du Kilimandjaro

Que peut-on espérer ? Pour Marcel Rodriguez et Jacques Séchaud, cinéastes.

Il est tentant de mettre en parallèle les trajectoires de deux cinéastes français actuels. Leurs films mettent en scène des vies percluses dans des territoires situés aux deux extrêmités de notre pays. Souvent générationnelles, ces oeuvres sont des radiographies douloureuses et éminemment politiques de notre époque. Le premier vient du nord, il est né à Bailleul en 1958. Il, c’est Bruno Dumont. Auteur, entre autres, de La Vie de Jésus, de L’Humanité, de Flandres. D’une pâte grise que zèbrent parfois des épiphanies ou que froissent des vents au-dessus d’infinis sillons. Hormis dans Hors Satan, son dernier film que je n’ai pas vu, peu de mer nappe ses images, fût-elle du nord et rebelle. Dumont parle d’une “humanité” qui n’a plus de langue ; qui ne sait plus nommer ce qui lui travaille le ventre. Les personnages de Flandres, par exemple, possèdent au mieux cinquante mots de vocabulaire. Au cours d’une promenade muette, les chairs s’enchâssent ; elles ahanent brièvement avant de se rembrailler. Elles baisent comme des bêtes. Elles partent faire la guerre car la guerre n’est qu’une peur et une transpiration ; un halètement de course qui est mal fait pour les phrases. Les films de Dumont sont le paysage déserté et détruit du langage. La brutalité du vivre, sa porosité blessante, interdisent toute prise de distance. La vie émane d’un “no past” plus rude encore que le “no future” des années punk. L’écrasement des données mémorielles s’opère comme dans les ordinateurs. On ne lit plus les anciens fichiers. Dans ce nord décroché de son histoire collective, industrielle, politique, il n’est pas sûr que les mots, les caresses, la compassion, puissent encore atteindre quelque chose de ces individus dont le silence semble avoir renoncé à parler de désir.

Le second vient du sud, il est né en 1953 à Marseille. À deux exceptions près, dans chacun de ses films, le bleu métallique du ciel et de la mer réendosse son costume d’imposture. Mais l’imposture, à Marseille, a une vertu : celle de faire partie du rêve. Les films de Robert Guédiguian sont bourrés de langue. Une langue qui n’a pas renoncé le moins du monde au corps qui la fabrique. Une langue habitée, érotique. Du coup, les personnages ne sont pas seuls, capables au plus gris de leur désespérance, d’inventer du présent. Peu importe, le sentiment esthétique que nous inspire cette oeuvre, il faut lui reconnaître son mouvement. Les acteurs vieillissent véritablement, de film en film. Cela veut dire qu’ils changent dans un monde qui change. Il y a comme un jeu de forces motrices entre le mouvement du monde et celui des personnages. L’objet du film est toujours l’espoir. L’essieu qui relie les deux. L’objet du film est toujours de savoir s’il ne pas va rompre à cause de l’écartement. Cette question de l’espoir hante d’ailleurs notre monde depuis ces cinq dernières années. Elle brille dans le regard des gens que la réalité ballotte comme un vol inconfortable, soumis au train train des turbulences économiques. Nous ne connaissons ni le pilote, ni la trajectoire. Nous doutons de la destination. Il est bien alors, pendant ce voyage, de regarder des films. Ceux de Dumont et ceux de Guédiguian, par exemple, avec en tête la deuxième question kantienne : que pouvons-nous espérer ? Le sud, peut-être parce qu’il est esbrouffe nous laisse encore un petit sourire au coin des lèvres. On se souvient au moins d’y avoir aimé. On parle. On sait dire je t’aime même si on est devenu vieux mais on n’a pas forcément transmis les élans, les soifs, le souci des autres qui nous avaient sauvé des déchirures. Alors, quand L’Estaque sera aussi désolé que la campagne de Dumont, un vieux Daroussin ou un vieux Meylan pourra improviser une variation autour de ce conte, auquel Godard et Ackerman ont déjà adossé un de leurs films: Je ne sais pas allumer un feu. Je ne connais plus les paroles de la prière qui permet à mes voeux de se réaliser et je ne sais plus non plus dans quel endroit de la forêt, il me faut me rendre. Je ne possède plus aucun des savoirs que possédaient mes ancêtres. Mais il me reste les mots pour raconter cette histoire. Outre les films cités dans l’article, Bruno Dumont a réalisé Twentynine Palms et Hadewijch. Robert Guédiguian est l’auteur de dix-sept films parmi lesquels nous citerons : À la vie à la mort, La Ville est tranquille, A l’attaque, Marie-Jo et ses deux amours. Son dernier film s’intitule Les Neiges du Kilimandjaro.

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— CARNETS DE NOVO —



Pas d’amour sans cinéma n°- 8 Par Catherine Bizern

Profession Reporter

Sur la route Lorsqu’il me demande si j’ai déjà été curieuse de localiser précisément sur une carte les paysages où ont été tournées certaines scènes de certains films, je pense immédiatement à cette route. Une route du sud, les platanes qui la bordent la protègent du soleil brûlant de l’été, une route toute droite, pleine de promesses, une route à décapotable ; et justement ils filent en décapotable, une longue américaine blanche, lui Jack Nicholson, elle Maria Schneider. Nous sommes dans Profession Reporter, Antonioni, 1975. C’est la fin de l’été, je suis là avec lui, voilà des semaines que nous ne nous sommes pas vus et je pense que je suis prête à tout, prête même à me laisser aller au gré de lui, avec aplomb. Cette route dont je me souviens soudain, c’est celle de l’aventure et de la désinvolture, de la disponibilité totale et de la rencontre joyeuse au sortir de l’enfance. Se laisser conduire sur une route baignée de lumière et se mettre debout sur le siège les bras en croix, donner prise au vent comme on a pris le risque de l’autre auparavant… avec une belle assurance ! L’image parfaite de tous les possibles… Une image de mon seul esprit. Maria Schneider est allongée sur la banquette arrière de la voiture. Elle semble se réveiller. Comme s’ils roulaient depuis longtemps. Ils ont quitté Barcelone en trombe et vont vers l’Andalousie. Il conduit vite. Pour la première fois, elle pose une question indiscrète : « Qu’est-ce que tu fuis ? ». Ils se regardent en souriant. Il dit alors « Retourne-toi ! ». Le rapport érotique est immédiat, la relation charnelle entendue, comme si même elle avait toujours été – le film fera ainsi l’ellipse de toutes les scènes de séduction, d’étreinte ou de baisers – ; elle se retourne et à genoux sur le siège, elle regarde le point d’horizon qui s’éloigne. C’est

— CARNETS DE NOVO —

ici que nous verrons les platanes qui défilent, qu’elle mettra ses bras en croix, et la caméra dans un plan rapproché montrera son visage lumineux, son regard plein de tendresse, son sourire amusé. Elle est juste là, satisfaite de l’accompagner et de jouer à être madame Robertson comme il joue à être Robertson. Il lui a fait confiance d’emblée, il avait besoin d’elle, il ne sait rien de qui elle est… En fait, il l’a choisi pour femme dès l’instant où il lui a demandé d’aller récupérer ses bagages à l’hôtel. Depuis qu’elle lui a fait sa valise, elle sait tout de lui, même de son usurpation d’identité, et aussi de sa femme Rachel Locke – qui le poursuit moins pour le retrouver que pour lui dire combien il est en danger. Bientôt, elle aimera être la maîtresse de David Locke qui joue à être la femme de Robertson. Ils seront donc amants, ils seront donc complices, ils se disputeront aussi de manière fortuite, ils seront peut-être tombés amoureux et tout cela sans aucune gravité. Lorsqu’ils arrivent à Almeria, il la prend par la taille pour marcher jusqu’à l’hôtel de luxe où ils pensent séjourner. Ce geste dans un élan totalement naturel pour lui, elle l’accepte de même. C’est le geste d’un homme amoureux de sa compagne. Comme un geste documentaire qui n’aurait pas été demandé à Nicholson par le cinéaste. Un effet de réel dans la fiction juste là pour que je le reconnaisse : se laisser aller au gré de l’autre. Le plaisir qu’il procure est parfois à couper le souffle. Pourtant, je vois aussi dans ce plan un homme qui a tout quitté, pris l’identité d’un autre sur un coup de tête – le temps d’un mouvement de caméra – et s’est empressé de trouver une nouvelle compagne. Il la prend par la taille simplement, de la même façon qu’il pouvait le faire avec sa femme, sous l’impulsion de l’habitude, malgré sa fuite. Dans Profession Reporter, Jack Nicholson n’est aussi qu’un rêveur en cavale. Immature, parfois cynique, l’homme ne fuit pas comme il le croit, il se précipite toujours plus vite vers la catastrophe… Et lorsque Robertson, alias David Locke, sera assassiné, la jeune fille, comme après un trip trop profond et trop intense, se retrouvera à arpenter une place écrasée de soleil au fin fond de l’Andalousie, complètement désorientée. Combien de temps alors pour retrouver sa route ?

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focus

1 ~ CIRCULEZ ! L’École supérieure d’art de Lorraine propose d’évaluer la notion de circulation dans le champ des pratiques artistiques au cours des 4e journées pro de L’ÉSAL en collaboration avec l’OGACA, avec le soutien de la Drac Lorraine et la participation du Frac Lorraine, du centre d’art contemporain la synagogue de Delme, d’Octave Cowbell et du collectif Module Ranch (visuel). Les 8 et 9/2 à Metz. http://esamm.metzmetropole.fr 2 ~ MIRCEA CANTOR Le musée des Beaux-Arts de Mulhouse propose une expo autour du prix Marcel Duchamp 2011. www.musees-mulhouse.fr 3 ~ LA VIE COURANTE Yveline Loiseur expose à la Conserverie à Metz jusqu’au 21/3. www.cetaitoucetaitquand.fr 4 ~ ROUTE 66 Camille Roux expose son travail photographique sur la route départementale 66. Jusqu’au 18/3 au Forum de l’Hôtel de Ville de Saint-Louis (68) 5 ~ RODéO D’ÂME Le collectif se penche sur l’histoire contemporaine à travers deux cycles de rencontres artistiques. www.rodeodame.fr

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6 ~ RAYMOND CARVER Résidence de l’écrivain Stéphane Michaka autour de Raymond Carver du 8 au 17/3 à l’atheneum à Dijon. http://atheneum.u-bourgogne.fr 7 ~ MACEO PARKER Le Moloco invite le saxophoniste Maceo Parker le 8/3 au Palot à Montbéliard. Get up, get on up ! www.lemoloco.com 8 ~ DOUR 2010 Ludovic Holbein expose à la Maison de l’étudiant à Mulhouse du 13/2 au 23/3. Concert de D. et Wireless Flowers le 15/2. 9 ~ THRILL Expo à l’Ancienne Douane à Strasbourg (Novo n°17) jusqu’au 26/2. www.thrill-art.com 10 ~ BUKOWSKI Riding Buk, “récital bukowskien” par le Lavoro Nero Teatro avec Christiano Nocera le 7/3 au café littéraire à Saint-Louis (68). 11 ~ DOM JUAN Le Dom Juan de Molière mis en scène par Julie Brochen du 13 au 16/3 au Nouveau Théâtre à Besançon. Rencontre le 15. www.nouveautheatre.fr 12 ~ BENJAMIN HOCHART Exposition du 3 au 26/2 chez Toshiba House à Besançon.

13 ~ CINéMAS D’ASIE Le festival des cinémas d’Asie rend hommage au réalisateur japonais Kore-eda Hirokazu (Visuel : Air Doll). Du 14 au 21/2 à Vesoul. www.cinemas-asie.com 14 ~ LA VALISE Scènes d’hiver sur un coin de table du 24 au 26/2, à Vic sur Seille (57). www.lavalise.org 15 ~ CONTROLS Le monde selon Luis Dourado du 20/1 au 2/3 chez My Monkey à Nancy. www.mymonkey.fr 16 ~ ART DéCO Le verre Art déco de Charles Schneider au Musée de la faïence à Sarreguemines du 2/3 au 28/5. 17 ~ DADA Chassé-croisé Dada-Surréaliste (1916-1969) jusqu’au 1/7 chez Fernet-Branca à Saint-Louis (68). 18 ~ WOMEN Expo du graveur sauvage Henri Walliser à la Cour des Chaînes à Mulhouse du 14/2 au 2/3. 19 ~ PARTIS PRIS Le 19 expose un ensemble d’artistes choisis par Valérie Perrin, Otto Teichert, Eric Suchère, Fabrice Lauterjung et Philippe Cyroulnik jusqu’au 22/4 à Montbéliard. www.le-dix-neuf.asso.fr

20 ~ DRESS(ING) UP Mathilde Lloret et Francesco Giusti (visuel) chez Hors-Champs à Mulhouse jusqu’au 24/2. 21 ~ OBJETS ROSES Faux Mouvement à Metz lance une collecte d’objets roses pour l’expo Epidemik past présent and futur de Joël Hubaut. www.faux-mouvement.com 22 ~ AKI LUMI La Galerie du Granit à Belfort accueille Paradise Diagram, une exposition de photographies et dessins d’Aki Lumi jusqu’au 25/2. www.legranit.org 23 ~ BERNARD PLOSSU Les Voyages mexicains de Bernard Plossu, une exposition somptueuse au Musée des beaux-arts et d'archélologie de Besançon jusqu'au 2 avril (voir Novo N°17). 24 ~ à PAS CONTés Festival international jeune et tout public à Dijon du 20/2 au 2/3. www.apascontes.fr 25 ~ DIGITAL ART WORKS L’Espace multimédia gantner s’intéresse à la durée de vie d’une œuvre d’art numérique. Expo du 25/2 au 28/4. www.espacemultimediagantner. cg90.net


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26 ~ DUEL Ciné concert d’Olivier Mellano le 4/2 au Granit à Belfort. www.pmabelfort.com+ www.legranit.org 27 ~ ATLAS CRITIQUE En écho à la campagne présidentielle, le Parc Saint Léger donne carte blanche au duo de commissaires Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós, fondateurs de la plate-forme le peuple qui manque. Du 17/3 au 27/5. www.parcsaintleger.fr 28 ~ DU BRUIT Cécile Meynier et Hugo SchüwerBoss au Pavé dans la Mare à Besançon du 9/2 au 23/3. www.pavedanslamare.org 29 ~ MICHEL CLOUP Hiéro Strasbourg invite le chanteur, guitariste, machiniste (Diabologum, Experience…) le 15/2 chez Stimultania. http://hiero.eu 30 ~ PUNK 77 Bourse aux disques + film + dj set + conférence « Punk 77, une courte histoire provinciale française » par Eric Tandy (Les Olivensteins) le 10/3 au Grillen à Colmar. www.hiero.fr 31 ~ ILS éTAIENT 29000 Adaptation à la scène du texte poignant de Juliette Speranza à l’Espace Mendès France de Quetigny (21) www.quetigny.fr

32 ~ LOTTIE DAVIES La Chambre présente Memories and Nightmares, une série de Lottie Davies autour des souvenirs et des cauchemars liés à la petite enfance. Jusqu’au 11/3 à Strasbourg. www.la-chambre.org 33 ~ NOMADE IN METZ Soirée de soutien à l’association qui défend les gens du voyage et leur culture le 17/2 à l’OpéraThéâtre de Metz. 34 ~ SPEEDY ADRIEN Une histoire de la musique occidentale en un éclair ! Conférence d’Adrien Chiquet au Quai le 13/2. www.lequai.fr 35 ~ 24H DE PERCUS 200 percussionnistes à Ribeauvillé pour un marathon de 24h les 24 et 25/3. www.bambam.fr 36 ~ DéPLACEMENTS Les étudiants de l’école d’art de Dijon Mathieu Arbez, Romain Moretto, Carine Munoz, Axel Roy et Sung Soo Hee exposent jusqu’au 4/2 chez Interface. www.interface-art.com 37 ~ LES MISéRABLES Se souvenant que Victor Hugo est né à Besançon, le Kursaal programme trois adaptations des Misérables (de Jean-Paul Le Chanois, Claude Lelouch et Bille August) du 20 au 22/2. www.theatre-espace.fr

38 ~ I’VE DREAMT ABOUT Le Mudam expose des artistes qui conçoivent des “utopies réalistes” : Tomás Saraceno, Michel Paysant, Vyacheslav Akhunov (visuel)… jusqu’au 4/3. www.mudam.lu 39 ~ JUDITH DESCHAMPS Diptyque vidéo du 8/2 au 25/2 chez Octave Cowbell à Metz. www.octavecowbell.fr 40 ~ (C)RêVe Pierre Fraenkel, Vincent Schueller et Nicolas Zimny ont carte blanche au Syndicat Potentiel à Strasbourg du 9 au 25/2. 41 ~ SOL LEWITT Le Centre Pompidou-Metz présente une rétrospective de l’artiste conceptuel américain Sol LeWitt (1928-2007). www.centrepompidou-metz.fr

44 ~ LIVE CINEMA L’Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé par Carl Davis accompagne en “direct live” deux films de Chaplin (How to make movies et City Lights) le 3/3. www.philharmonie.lu 45 ~ PIERRE BONNARD Expo Pierre Bonnard (18671947) jusqu’au 13/5 chez Beyeler à Bâle. www.fondationbeyeler.ch 46 ~ AOÛT La galerie TH3 à Berne présente une installation photographique de Cécile Hesse et Gaël Romier jusqu’au 14/4. 47 ~ DISCOVERY ZONE Films et ateliers au menu de la 2ème édition du festival luxembourgeois du 1er au 9/3. www.cna.lu

42 ~ JOSEPH PROBST Le Musée national d'histoire et d'art (MNHA) présente les principales découvertes archéologiques faites au Luxembourg de 1995 à 2010 jusqu'au 2/9 et rend hommage à l'artiste luxembourgeois Joseph Probst (1911-1997) jusqu'au 25/3. www.mnha.public.lu

48 ~ LIVEINYOURHEAD Musée de l’art extraterrestre jusqu’au 25/2 à Genève. www.hesge.ch/head

43 ~ THE DREER Une exposition d’Eric Troncy au Consortium à Dijon jusqu’au 10/3. http://leconsortium.fr

50 ~ L’IMPOSSIBLE Rendez-vous le 7/3 pour les nostalgiques de L’Autre Journal. www.limpossible.fr

49 ~ PORTES OUVERTES Les écoles d’art ouvrent leurs portes à Besançon (11/2), Mulhouse (15/2), Dijon (17 et 18/2), Epinal (10/3), Nancy (21/3) et Metz (28/3).

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par Caroline Châtelet

focus ART POPULAIRE SINGULIER, 2ème biennale d’art singulier, du 14 mars au 8 avril à Dijon www.itinerairessinguliers.com

La popularité de l’art Pour la deuxième édition de sa biennale, l’association Itinéraires Singuliers se consacre à la collection d’« art populaire contemporain » réunie par Luis Marcel. Visites, spectacles et rencontres font découvrir des œuvres de créateurs à la marge, se situant dans le sillage de l’art brut. L’occasion d’interroger ici les paradoxes de cet intitulé et de ses dérivés.

Bon, il ne s’agit pas de se substituer à la journée d’études co-organisée le 27 mars par Itinéraires singuliers, le Centre hospitalier La Chartreuse de Dijon, L’art en marche et le Collectif de réflexion autour de l’Art Brut (CrAB).

Intitulée « Brut, populaire, contemporain : faites vos jeux ! » / Penser l’art hors catégories, celle-ci promet, entre autres, d’examiner comment toutes ces notions dialoguent. Intéressons-nous plutôt ici aux paradoxes que croisent l’art brut et les termes inscrits dans sa lignée. Forgée par l’artiste Jean Dubuffet en 1945, la notion d’art brut ne définit ni un groupe, ni un mouvement, mais des productions jusqu’alors souvent désignées comme « art des fous » ou « art médiumnique » et réalisées hors des circuits habituels. Tout en arrachant ces œuvres à la folie, le terme s’oppose, comme l’explique Barbara Safarova, à « une démarche artistique esthétisante, prisonnière de sa filiation culturelle, menacée du soupçon d’artifice, de manipulation et de mystification, plus soucieuse de parades sociales propres aux défilés de la mode du jour que de ses recherches. » Art des exclus, l’art brut nous offre selon Dubuffet « l’opération artistique toute pure, brute, réinventée par son auteur à partir de ses propres impulsions. » La démarche travaille le mythe de l’artiste en bon sauvage, ignorant des poncifs, créant par nécessité et sans signification et glorifie du même coup le dialogue immédiat avec le spectateur. Il y a là-dedans un fantasme d’un certain lien à l’art, entendu comme si vous ne comprenez pas, ce n’est pas grave, ressentez. Un appel au lâcher-prise paradoxal, puisqu’il s’exerce sous la bannière d’une étiquette/mode d’emploi (=« art brut », ou autre). Fantasme d’un art directement lisible par tous, quels que soient l’origine sociale ou le niveau d’éducation, à la condition de nous être donné comme tel... Deuxième paradoxe : si l’art brut naît loin du monde de l’art, son mode de reconnaissance passe par les canaux habituels. Collectionneurs, galeries, critiques, sont des organes de sa validation au rôle d’autant plus fort que les créateurs sont, eux, hors du circuit de l’art. L’utilisation du qualificatif « art brut » ayant été précisément encadrée par Dubuffet, chaque collectionneur dote son « œuvre » de collecte d’un nom propre. D’où le fait que ne cessent de fleurir d’autres termes – hors-lesnormes, singulier, outsider, populaire contemporain... – au gré des collections. Et, personnellement, que toutes ces œuvres se retrouvent ainsi phagocytées par leur intitulé et dépendantes du régime de la collection est une chose qui ne laisse pas de m’étonner... D © L’art en marche - Pascal François

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par Xavier Hug

focus Les graveurs de Gustave Courbet, exposition jusqu’au 12 mars à Ornans (25) www.musee-courbet.fr

Courbet entre raillerie et admiration Une rétrospective sur la vie et l’œuvre du maître d’Ornans vu à travers les représentations et interprétations de ses contemporains. Le nouveau musée Courbet confirme son rôle de tout premier plan pour la diffusion et la documentation d’un peintre injustemment méconnu.

Si à l’origine les diverses techniques d’estampe ont des épisodes anarchistes et de la Commune de Paris, fait l’objet d’un second visées strictement pratiques, elles seront rapidement volet de l’exposition. Courbet subit les railleries souvent moqueuses appréciées par les artistes pour leurs potentiels esthétiques. et caricaturales des illustrateurs d'une presse qui était alors toujours Certains, de Schongauer à Goya, en passant par Jacques réglementée par la censure et une fidélité au pouvoir bourgeois en place. Callot, s’en seront même fait une spécialité. D’autres, à l’instar On reprochait à celui qui écrivit un jour « être non seulement un peintre, de Courbet, l’ignoreront, préférant passer des esquisses à la mais encore un homme, en un mot faire de l’art vivant, tel est mon but », son peinture en faisant l’impasse sur cette technique alors bien humanisme, son art réaliste et ses origines comtoises et rurales. Enfin, souvent reléguée à une étape facultative. Ce n’est donc pas une dernière partie fait la part belle à la pratique contemporaine puisque un hasard si la gravure d’interprétation connaît au XIXe trois artistes vivants rendent hommage au peintre en prouvant que l’art siècle un important développement avant de s’effacer au de l’estampe est bien vivant. D profit de la photographie. La variété des thèmes auxquels a eu recours Courbet tout au long de sa carrière – paysage, portrait, scène religieuse, faune, nu – ont fait de lui un peintre séduisant pour les nombreux g rave u rs d ’i nte r pré t at i o n d e l’époque. Courbet lui-même préférait déjà la photographie pour diffuser son œuvre, mais il connaissait aussi intimement certains de ces graveurs à qui il laissait volontiers le soin de reproduire certaines de ses œuvres. Parmi celles-ci, le musée a choisi de jeter une lumière nouvelle sur deux d’entre elles : La Source de la Loue, réplique de celle que possède le Metropolitan Museum de New York récemment acquise, et Les casseurs de pierre. Peinte en 1849, cette peinture était considérée par Pierre-Joseph Proudhon, de qui Courbet était proche, comme la « première peinture socialiste ». Cette connivence, supposée, fantasmée et parfois bien réelle, du peintre avec les convictions de la gauche radicale, au ARM – La Femme au perroquet, 1866, 23 x 30, pointe sèche – Ornans, Institut Gustave Courbet cours d’une période troublée par les

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par Caroline Châtelet photo : Pascal Victor / ArtComArt

focus THE SECOND WOMAN, spectacle, le 19 mars au Théâtre musical, à Besançon www.letheatre-besancon.fr

Musiques en abyme Spectacle opératique dont la partition inventive se substitue à la légèreté du propos, The Second woman offre un génial et vertigineux grand écart entre de multiples influences musicales.

Décidément, le cinéma et le théâtre aiment à initier des dialogues fructueux, que ce soit côté critique ou côté œuvre elle-même... Pour The Second woman, création mise en musique par Frédéric Verrières sur un livret de Bastien Gallet et mise en scène par Guillaume Vincent, l’équipe dit s’être inspirée d’Opening night. Film de John Cassavetes réalisé en 1978, Opening night raconte à travers les répétitions et la création d’une pièce – intitulée The Second Woman – les nombreuses angoisses et interrogations du rôle-titre. Confrontée à son propre vieillissement, Myrtle Gordon (Gena Rowlands) bute et lutte contre son personnage, et la mort accidentelle d’une de ses jeunes fans achève de la troubler. Jusqu’au soir de la première la comédienne sème le trouble, refusant d’endosser un discours d’acceptation de la vieillesse. Œuvre « pirandellienne » par excellence, Opening night est un film rare par sa capacité à investir avec

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une telle franchise le théâtre. Brouillant les frontières entre illusion et réalité, il joue du théâtre dans le théâtre et interroge avec finesse l’impossibilité pour le personnage principal d’exister sans la scène, ainsi que son incapacité à jouer sur scène... On saisit bien, à l’énumération de ces différentes problématiques, l’inspiration qu’a pu y puiser l’équipe de The Second Woman. Pour autant – et sans que cela ne nuise au final à la richesse de la forme –, la référence se retrouve plus dans l’intitulé du projet, et dans les discours l’accompagnant, que dans sa réalité... Car là où chez Cassavetes l’histoire ne cesse de se dédoubler et d’offrir un complexe et passionnant jeu de mise en abyme, chez Gallet/Verrières/Vincent elle se révèle rapidement secondaire. Et pour peu qu’on attende à tout prix une histoire, on risque de passer à côté de la fabuleuse proposition musicale. Certes, on saisit bien qu’une pièce, ici opératique, se prépare et on devine l’esquisse des différents caractères : soliste lyrique, metteur en scène, musiciens, chanteurs, éclairagiste. Mais plutôt qu’une dramaturgie apportée par le texte, c’est la musique qui « raconte » et se suffit rapidement à elle-même. Ainsi, autre qu’un opéra, il s’agirait d’un inventif et génial concert, dont la partition débridée et touffue ainsi que l’interprétation virtuose suffiraient à transmettre une multiplicité d’atmosphères. Et sans le préméditer, ce grand égard entre les belles heures de la musique atonale et un répertoire mêlant airs lyriques du XVIIIe siècle, les influences folkloriques des Balkans et la variété française, nous rappellerait l’importance du lâcher-prise lors de la découverte d’une œuvre... D


par Adeline Pasteur

par Adeline Pasteur

Melvil Poupaud, projection le 8 février au petit Kursaal de Besançon (organisées par le FRAC et l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Besançon /Franche-Comté) Dédicace du livre Quel est Mon noM ? le 8 février à la librairie Les Sandales d’Empédocle

Entre Cadavre et Bagatelle, exposition photo du 7 février au 16 mars, à l'ISBA de Besançon/Franche-Comté Table ronde : « censure », le 6 février à l’Auditorium de l’ISBA. www.erba-actu.com

focus

Melvil, réalisateur

Anti-censure

Réputé pour sa carrière d’acteur – précocement débutée – Melvil Poupaud est en réalité un artiste au pluriel, aussi à l’aise devant que derrière la caméra. Il vient à Besançon pour présenter quelques-uns de ses courts métrages au public.

Sans aucun tabou, ni sans présumer de l’accueil que le public réservera aux œuvres, l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Besançon/Franche-Comté se lance dans une exposition photographique nommée Entre cadavre et bagatelle. Un intitulé prometteur, qui place la question de la censure au cœur des préoccupations.

Melvil Poupaud a grandi et évolué au rythme du cinéma français. Il a expérimenté la vie d’acteur à l’âge de dix ans, sous la direction de Raul Ruiz, et a ensuite garni son CV de noms de réalisateurs plus que prestigieux : Rohmer, Doillon, Jacquot, Dubroux, Ivory, Ozon, Desplechin ou encore Zoé Cassavetes. La caméra est un objet qui lui est familier depuis son plus jeune âge, tant et si bien qu’il s’est rapidement essayé à la réalisation de courts métrages, dans lesquels il joue et qu’il scénarise, dirige et monte. Des fictions qu’il invente au gré de ses expériences, entre cinéma d’épouvante, road movie existentiel, contes fantastiques et comédies immorales. Une facette peu connue de ce personnage public, qui a fait l’objet de présentations intimistes en musées ou galeries d’art. En 2006, Melvil Poupaud a fait entrer ces travaux alternatifs dans la lumière, avec la présentation de son premier long-métrage Melvil (67’), au festival de Cannes. Le réalisateur présentera à Besançon ce long-métrage, justement, ainsi que deux autres créations : Ces jours où les remords vous font vraiment mal au cœur (1985 / 7’) et Rémi (2001 / 24’). Il dédicacera également son premier roman, Quel est Mon noM ?, paru en 2011. Une enquête sur lui-même dans laquelle il aborde notamment ses souvenirs de cinéma, sa famille, ses rencontres et ses amours. D

Ces dix dernières années ont été riches en attaques et velléités de censure, envers des œuvres jugées « politiquement incorrectes », tout spécialement photographiques. De plus en plus, des individus institutionnels ou non s’arrogent à nouveau un droit de censure : un commissaire d’exposition peut-il présumer de l’effet d’une œuvre sur le public, en choisissant arbitrairement de l’écarter d’une présentation ? C’est une atteinte à la liberté artistique, mais aussi au libre-arbitre du public, qui se voit ainsi guidé et bridé dans sa démarche de découverte… L’Institut Supérieur des Beaux Arts de Besançon/Franche-Comté, qui forme les jeunes créateurs, a été interpellé par cette question et a souhaité l’aborder en deux temps forts. Une exposition de la collection photographique de Madeleine Millot-Durrenberger, sera ainsi précédée d’une table ronde autour de la censure. La collectionneuse a constitué un patrimoine artistique éclectique et libre, au gré de ses coups de foudre ; l’exposition manifeste une volonté claire de laisser le visiteur seul juge des œuvres auxquelles il « se frotte », lui rendant ainsi la pleine mesure de ses choix et de ses envies. Parmi les artistes exposés, on retrouve Dieter Appelt, Donigan Cumming, Sophie Calle, Pierre Molinier, Christophe Seyve ou encore Jean-Baptiste Carhaix. D

Pierre Molinier, Grande Mêlée

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Par Adeline Pasteur

Par Adeline Pasteur

Grandville : un autre monde, un autre temps, exposition jusqu’au 4 mars au musée du Temps de Besançon

Gérard Vulliamy, les dessins surréalistes 1930-1947, exposition jusqu'au 2 avril au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.

focus

Fantasmagories

Trait surréaliste

Le musée du Temps de Besançon accueille des dessins inédits du caricaturiste Grandville, qui défrayait la chronique avec ses croquis au XIXe siècle. Les œuvres d’artistes contemporains, influencés par ce maître, sont également mises en lumière.

Le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon rassemble un aspect particulier des œuvres du peintre Gérard Vulliamy : ses dessins, gravures et illustrations réalisés durant sa période surréaliste. Une exposition qui s’inscrit dans le cadre d’une vaste monographie organisée par la Réunion des Musées Nationaux.

De Grandville, on retient un univers loufoque et fantasque, mais aussi impertinent et vif. Entre 1825 et 1847, ce dessinateur de renom a croqué toutes sortes de modèles : il s’est d’abord intéressé aux personnages publics de son époque, ainsi qu’aux figures de la monarchie de Juillet, ce qui lui a valu de subir les affres de la censure. En 1835, des lois ont privé les critiques de toute liberté d’expression et Grandville s’est donc tourné vers l’illustration de fables, contes et autres romans. C’est dans le prolongement de ce travail qu’il a publié l’ouvrage graphique considéré comme son chef-d’œuvre : Un autre monde. Ce sont justement les dessins inédits de cet ouvrage qui font l’objet de l’exposition bisontine : croquis préparatoires, dessins non publiés, gravures originales… Le visiteur peut se replonger dans l’atmosphère du livre, inventive et fantasmagorique, qui évoque la fantaisie loufoque du théâtre de l’époque, des fêtes foraines, des jeux d’optique… Grandville faisait preuve d’une imagination insolite, et la couchait librement sur le papier. C’est poétique, drôle, et extravagant. Sa créativité a fait des émules au fil des années, et l’exposition ne manque pas de présenter aussi ses dignes successeurs, tels Jan Fabre, Marcel Broodthaers ou César. Son univers a été aussi largement exploité dans les films de Méliès, des Frères Lumière ou de Charlie Chaplin. Tout un pan d’histoire à revivre en images… D

J.J. Grandville, Le royaume des marionnettes, aquarelle, mine de plomb, plume, et encre brune, 172 x 161 mm, Un autre monde. Collection Ronny et Jessy Van de Velde.

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Si Gérard Vulliamy s’est rendu célèbre pour ses œuvres surréalistes, il n’en reste pas moins un peintre très attaché à l’abstraction. Toute sa vie, il aura oscillé entre les deux styles, laissant une empreinte durable dans l’histoire artistique française. L’exposition bisontine réalise un focus sur une période bien définie de la carrière du peintre : 1930-1947. L’époque précise où Vulliamy a choisi de rejoindre le mouvement surréaliste. Il se lie alors d’amitié avec André Breton, Paul Eluard, Francis Ponge, Jean Tardieu, et s’intéresse à « l’automatisme des formes et des mouvements ». Ses dessins de l’époque mêlent le fusain, la mine de plomb, le pastel, l’encre, l’huile, dans un geste à la fois très précis et très libre. Au cours de la visite, on découvre des œuvres très abouties comme Le sphinx (1938), L’inaccessible et glaciale Joconde (1938) ou encore Le dégel des frontières (1941), travaillés au pastel et fusain. L’exposition présente aussi les croquis qui lui ont permis de réaliser certaines toiles, comme ceux de L’Hommage à de La Tour ou La Mort de Saint Sébastien, son tout premier tableau peint sur bois en utilisant la technique des glacis. Notez cependant qu’une toile, et non des moindres, est présentée à Besançon en lien avec ses dessins préparatoires : Le Cheval de Troie (peint en 19371938), considéré comme l’un de ses grands chefs-d’œuvre. D


Par Cécile Becker

Par Cécile Becker

Sallie Ford & The Sound Outside, concert le 22 février à La Vapeur, à Dijon et le 3 mars à La Rodia, à Besançon www.sallieford.com + www.lavapeur.com + www.larodia.com

Mirel Wagner, concert le 28 mars à la Poudrière, à Belfort www.pmabelfort.com + www.lfsm.net

focus

Be Bop a Lula

Jeu de contrastes

Sensation rock’n’roll à tendance sacrément twist, la jeune américaine Sallie Ford a fait couler beaucoup d’encre l’année dernière en sortant son album Dirty Radio. Entourée de musiciens qui lui vouent un culte sans limites, la petite bouclée à lunettes, myope comme une taupe, trouve une énergie rockab’.

D’un accord, d’un regard, cette fille là peut vous laisser transit de froid en atteignant les parties sombres de votre conscience. Venue du froid de la Finlande, Mirel Wagner d’origine éthiopienne, souffle le chaud de son folk lapidaire mais puissant. « Less is more » disait Mies van der Rohe : avec peu on peut parfois mieux faire.

Elle a l’air sérieuse, timide même, cachée derrière ses vingtaines de paires de lunettes et ses robes rétro. Donnez-lui un micro et la petite intello se transforme en über peste qui (em)peste le rock’n’roll. Une voix comme on en entend rarement qui entre en résonance avec le swing d’une contrebasse et le blues d’une guitare : Sallie Ford perpétue le rêve de la fille rock. Enfant, alors acoquinée avec un violon classique qu’elle rechigne à dompter, on l’imagine au fond de la classe vautrée dans sa chaise à s’imaginer leader d’un groupe. C’est un peu notre histoire à nous, les filles, sauf qu’elle est allée au bout. Elle abandonne famille, amis (et violon) et se retrouve serveuse à Portland où elle participe à des open mic et finit par séduire ceux qui deviendront ses musiciens. Auteure-compositrice, elle écrit des chansons tragiques qu’elle relève de notes joyeuses, d’une spontanéité vocale sans pareille et parfois de chants religieux à la manière d’icônes rock’n’roll d’antan. Mais pas question pour autant de la rattacher à une ère musicale, elle prône des égos multiples 40’s, 50’s et 60’s et change de délires aussi souvent que de culottes. Sans complexe aucun, elle mélange autant de styles musicaux qu’elle le souhaite et offre en live des prestations énergiques et inspirées. Vous reprendrez bien un peu de fantaisie juvénile ? D

On pourrait dire qu’un « peuple muet d’infâmes araignées vient tendre ses filets au fond de [son] cerveau », car Mirel Wagner chante le spleen, le noir, mais le rend beau, le forge de son joli jeu de guitare. À l’image de son morceau To The Bone [Jusqu’à l’os ndlr], elle enlève la chair de ses chansons pour y trouver l’os brut, l’or brut. Un aspect totalement dépouillé, une leçon d’économie. Pourtant, l’écoute n’amène pas sur les chemins de la dépression, sa voix et son regard posé illuminent. Elle joue de ses cheveux pour laisser transparaître ses yeux perçants, joue sur l’ombre et la lumière pour nous hypnotiser, joue sur le blanc, surtout le noir pour nous terroriser, et donc nous fasciner. Regarder son clip No Death, c’est comprendre l’univers de l’artiste, presque inspiré de films d’horreurs mais ne pas pouvoir décrocher le regard de l’écran tant la présence de l’artiste est forte. Elle parle de rêve, de mort, de danger, de détresse, un vrai mélodrame chanté avec une telle implication qu’on pourrait penser qu’elle a traversé l’enfer pour errer dans le paradis blanc. Son histoire, son pays, ne serait peut-être pas étranger à autant d’introspection : Mirel Wagner l’ascète folk ? Peut-être. Mais elle sait aussi partager, écouter, proposer. En live, elle vous plonge dans son ombre, dans sa lumière, se balade, vous balade. Une fleur en hiver. Un flocon en été. D

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par Xavier Hug

focus L’entre-deux : des savoirs bouleversés exposition, du 16 février au 29 avril, à la Kunsthalle de Mulhouse www.kunsthallemulhouse.fr

On n’y voit rien En plus d’interroger le musée comme lieu de fabrication – falsification ? – mémorielle, le second volet conçu par Vincent Honoré jette une lumière nouvelle sur les questions suivantes : comment s’articule le geste à la pensée ? Comment rendre cette articulation par un parti-pris esthétique ? Et enfin, comment cette esthétique pervertit le propos originel du savoir ?

En dépit du scientisme profondément installé depuis le XIXe siècle dans l’esprit des Occidentaux, nous aurions tort de penser que son triomphe ne soit pas tâché d’ombres. De Chesterton à Ellul, en passant par Spengler, de nombreux sceptiques traversent l’histoire des sciences en questionnant

la perspective du progrès et du savoir. L’épistémologie même compte parmi ses plus dignes représentants des figures iconoclastes. Koyré, Kuhn, ou encore Feyerabend, ont tous insistés sur l’aspect foncièrement relatif de la connaissance scientifique. Depuis quelques années maintenant, tout un courant de l’art contemporain se rattache à cette attitude. Les artistes se penchent sur des figures mises à l’écart par l’orthodoxie académique pour mieux questionner nos a priori et dessiller nos paupières. Une proposition qui doit beaucoup à la fameuse ironie socratique : « je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ». Faisant suite à l’exposition de Benoît Maire, L’entre-deux s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Vincent Honoré sous-titre à propos ce second volet Quatre études avant le nom des artistes qu’il a conviés à Mulhouse. La pratique d’Aurélien Froment se développe sur le modèle d’un réseau de références hétérogènes, notamment empruntées aux domaines du cinéma, de l’architecture ou de la littérature. En tirant les images qu’il utilise vers une pratique documentaire, Aurélien Froment souhaite réinterpréter des éléments représentatifs d’une époque. À la vision des sculptures de Marie Lund, plus d’un spectateur pourrait penser que le travail est inachevé. Mais c’est faire l’impasse sur la nécessaire ouverture qu’incarne tout processus en devenir. Melvin Moti produit quant à lui un effet diamétralement opposé. En donnant à voir l’invisible avec une grande économie de moyen, cet artiste invite les spectateurs, exposés aux aléas de leurs sens visuels, à y voir plus clair dans un environnement quotidien saturé de signes. Les installations et performances de Benjamin Seror, à la croisée de la musique, de la chansonnette et des conférences, lui permettent de jouer sur différents niveaux de narration et, donc, d’interprétation. D

Aurélien Froment, Pulmo Marina, 2010 Capture d’écran Courtesy de l’artiste, Motive Gallery, Amsterdam et Marcelle Alix, Paris

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par Margaux Krehl

par Xavier Hug

CHRISTOPHE HOHLER, exposition du 3 février au 25 mars au Musée des beaux-arts de Mulhouse

Tranches de Quai #17 le jeudi 9 février à 19h30, Mulhouse www.lequai.fr

focus

L’homme avec un grand H

Libre fréquence

Bien décidé à mettre en avant les artistes contemporains locaux, le Musée des beaux-arts de Mulhouse invite le peintre expressionniste Christophe Hohler.

Le Quai, école supérieure d’art de Mulhouse, persiste et signe dans deux directions : l’ouverture au plus grand nombre et la promotion de l’art sonore.

Faire réagir, voilà ce que cherche Christian Hohler à travers son travail. Peintre de formation, il ne se cantonne pourtant pas à cette seule pratique et touche à la gravure, la sculpture ou encore la céramique. À travers une palette sombre que relèvent quelques touches lumineuses, l’artiste dresse ainsi un portrait de l’être humain – de l’Homme – dénué de tout artifice. Un univers affirmé et revendiqué donc, mais qui loin de créer une redondance laisse plutôt place à un ensemble cohérent, chaque pièce se répondant. Souvent qualifié de sombre et de dramatique, le travail de Christophe Hohler fait en tout cas réfléchir et provoque systématiquement des réactions variées. Et si ce dernier admet que l’on peut voir de la douleur dans ses toiles, il préfère parler d’une peinture dynamique destinée à atteindre son public. Cependant, loin d’imposer son interprétation, Christophe Hohler laisse à chacun la possibilité de se projeter dans son travail. Pour mettre en avant cette réflexion et toujours dans le but de faire réagir le public, l’exposition opposera dans un face-à-face les peintures et sculptures de l’artiste, de manière à créer un dialogue entre deuxième et troisième dimension. Ce lien entre ces deux médiums, Christophe Hohler le définit d’ailleurs simplement en parlant de la sculpture comme « une projection de la peinture ». D

À la suite d’une semaine de workshops, l’école propose une soirée festive pour permettre à tout un chacun de venir découvrir les processus à l’œuvre dans la création contemporaine. Dinah Bird, habituée de l’exercice, n’en est pas moins un cas typique de ce que développe le Quai. Cette jeune femme anglaise travaille le son, essentiellement à partir de radios. Quoique l’art radiophonique ait déjà une longue et passionnante histoire derrière lui, il reste un des parents pauvres des pratiques actuelles. Et si ce « vieux » média semblait condamner par les nouvelles technologies, Internet lui a, au contraire, redonné un nouveau souffle. Pourtant, Dinah Bird reste attachée aux ondes hertziennes et à l’analogique. Les curieux sont invités à s’en rendre compte par euxmêmes lors de la soirée du 9, dès 17h dans les locaux de la Boutique Old School, rue Kennedy, dans le cadre du programme hebdomadaire qu’a mis en place Yves Tenret, enseignant au Quai. En présence d’étudiants et d’une dizaine de radios, il sera possible de faire l’expérience d’une sensibilité qui ne demande qu’à être émise et réceptionnée, à l’instar du module pédagogique Sonic, qui forme les étudiants aux pratiques sonores, un des premiers du genre en France. Pour cette 17ème Tranches, seront également présents les artistes suivants : Frank Girard (design graphique), Richard Glover (art sonore), Christian Kempf (photographie), Schirin Kretschmann, Perrine Lacroix, Claire Morel et Christian Savioz (sérigraphie), Daniel Tiziani (gravure), Mark Tompkins et Nuno Rebeto (musique et danse). D Dinah Bird

L’Observateur, peinture sur toile

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par Margaux Krehl

par Cécile Becker

LE GROS, LA VACHE ET LE MAINATE, théâtre, le 17 mars à La Coupole à Saint-Louis

Le poète comme boxeur, théatre les 15 et 16 mars à la Comédie de l’Est, à Colmar www.comedie-est.com

focus

Le gros, la vache et le Menez La troupe déchaînée de la pièce Le gros, la vache et le mainate fait une halte au théâtre de La coupole à Saint-Louis. L’occasion de se pencher un peu plus sur ce spectacle déjanté. « Déjantée », « réjouissante », « jubilatoire », autant d’adjectifs lus et entendus au sujet de la dernière pièce de Pierre Guillois, Le gros, la vache et le mainate, mise en scène par le singulier Bernard Menez. Véritable divertissement, cette opérette « barge » qui a remporté un franc succès dès sa première représentation au Théâtre du Peuple à Bussang en août 2010, donne un bon coup de neuf à la comédie musicale. À mi-chemin entre un numéro de cabaret et une pièce burlesque, la pièce est menée tambour battant par une flopée de comédiens tous plus truculents les uns que les autres. On pourrait presque les croire échappés d’une scène de La Cage aux Folles, tant chaque personnage se montre farfelu. Parmi les protagonistes loufoques qui se croisent et se recroisent au fil de la pièce : deux hommes en couple qui attendent un enfant, des tantes hystériques et un postier/électricien/plombier souvent à demi nu. Metteur en scène pour l’occasion, Bernard Menez met toute son habileté au service de la pièce et gère avec brio sa petite troupe d’hurluberlus. Celui que l’on connaît plus comme acteur et comédien montre ici une autre facette de son talent. Sans langue de bois ni tabous, la pièce de Pierre Guillois prend ainsi le parti de rire de tout. Cet humour caustique ne plaira pas à tout le monde, mais ce parti pris vaut au moins la peine d’être salué. D

Écrire pour cogner Journaliste, poète, écrivain et révolutionnaire, Kateb Yacine est de ceux qui ont mené une vie intense contre les injustices. Connu pour son beau roman Nedjma, il l’est aussi pour les liens qu’il a tissés entre la France et l’Algérie. Un point commun avec le metteur en scène de la pièce Le poète comme boxeur : Kheireddine Lardjam qui s’est efforcé de rendre à l’homme sa superbe. Il y a des rencontres qui ne laissent pas indifférent. Pour Kheireddine Lardjam, ce sera celle avec le fils de Kateb Yacine, Amazigh Kateb, musicien fortement marqué par l’engagement de son père. Suite à de nombreuses discussions, les deux hommes décident de porter le recueil d’entretiens Le poète comme boxeur de Kateb Yacine sur les planches. Il s’agit principalement de rendre compte des mille et une vie de celui qui a vécu pour l’art et la rébellion. Ainsi, on croise dans cette pièce Kateb Yacine le journaliste, le dramaturge et le poète ; un montage de textes savamment orchestré par Samuel Gallet. Sur scène, deux hommes portent la parole du poète : le comédien Samir El Hakim et Amazigh Kateb auteur d’une partition musicale originale qui devient le fil rouge de la représentation. Un théâtre-concert intense qui interroge les conditions et les formes de la mobilisation active et met en lumière les relations de l’artiste entre le pouvoir et le peuple. Quelles seraient les réactions de Kateb Yacine face au monde d’aujourd’hui ? Que dirait-il de l’Histoire de deux pays qui ne se digère toujours pas ? Quelles seraient ses colères ? Une œuvre qui cogne par sa beauté et sa poésie. D

Kateb Yacine par Mustapha Boutadjine.

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par Cécile Becker

focus Giboulées de la marionnette, théâtre du 23 au 31 mars à Strasbourg. tjp-strasbourg.com

Il pleut des marionnettes Cette année, dans les coulisses du TJP, beaucoup de changements, mais en douceur. Renaud Herbin, metteur en scène et interprète, reprend la direction du théâtre préféré des têtes blondes, accompagné par Grégoire Calliès, docteur ès marionnettes. Ensemble, ils scellent une édition des Giboulées qui s'annonce prometteuse.

Et il me mangea – Cie Vélo Théâtre

Passer un relais, c’est savoir dire au revoir, mais aussi savoir accueillir. Ainsi, pour cette édition très spéciale, les Giboulées présentent les créations de la compagnie Làoù, co-fondée par Renaud Herbin, mais aussi sa première mise en scène solo intitulée Un Rêve, dans le cadre du parcours Kafka. Une pièce poétique sur les angoisses et les espoirs d’un homme. Outre le plaisir de retrouver tout un tas de marionnettes colériques, gentilles, drôles ou tristes, le public pourra apprécier des créations de compagnies européennes. Un choix qui annonce d’ores et déjà une nouveauté en gestation : un pôle européen de création artistique pour les arts de la marionnette. Car les Giboulées et Strasbourg, grâce à l’implication de passionnés, ont fait leurs preuves en matière de créativité. Dans le programme, toujours des productions qui peuvent tout autant intéresser les petits et les tout-petits, que les parents qui aiment se souvenir d’un temps insouciant. Et si on s’adresse aux plus jeunes, pas question de ne pas parler des nouvelles technologies. Plug, par exemple, est un spectacle de marionnettes contemporain où le virtuel se mêle au réel : le personnage principal erre dans une machine et se retrouve capturé par une toile arachnéenne. Place aux accidents et aux surprises. Mais même dans un monde moderne, les questions de pouvoir sont toujours aussi brûlantes. La pièce Modeste Proposition d’après Jonathan Swift, parle d’un homme qui présente des propositions et des solutions, alors que de petites marionnettes parlent de leur souffrance, de travail et de guerre. Pour le réel, d’accord, et côté contes ? Le curieux Et il me mangea met en scène un loup amoureux et sanguinaire qui rôde, mais aussi une grand-mère, qui dans sa maison, se souvient. Les apparences sont trompeuses, peut-être que vous ne connaissez pas cette histoire... À voir. Ce sera aussi l’occasion d’évoquer les différences avec Flix, une

pièce adaptée du livre de Tomi Ungerer : quand deux chats donnent naissance à un chien, ça fait forcément des étincelles. Il ne manquerait plus qu’un défie les lois de la gravité ! C’est chose faite avec Batailles la création d’Alice Laloy et de la compagnie S’appelle Reviens, où musiciens et acteurs expérimentent la chute. Un programme somme toute : renversant, agrémenté de partenariats divers et variés notamment avec la librairie Quai des Brumes qui propose des ouvrages en lien avec la sélection. Ouf ! D

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par Cécile Becker

focus Üres Terek (Espaces vides) / Anahita Hekmat jusqu’au 12 février, au CEAAC, à Strasbourg île-wald / Anahita Hekmat, jusqu’au 29 février, au Schaufenster, à Sélestat www.ceaac.org www.schaufenster.fr

Entre les murs Sur les murs, il y a souvent des traces. Des traces concrètes que l’on peut toucher, où des mémoires, propres à chacun. Quand les lieux sont vides, libres à nous de les occuper par nos pensées, nos histoires. Anahita Hekmat travaille justement sur ces mémoires qui occupent les espaces. Pour mieux comprendre nous partons à sa rencontre au CEAAC, le lendemain de son vernissage.

Un couloir, deux panneaux d’affichages relayant des dépêches d’actualités. L’un correspondant au temps où Anahita Hekmat, artiste vidéaste, effectuait sa résidence à Budapest, l’autre à aujourd’hui. « J’étais très préoccupée par les questions d’actualités. Il y avait des conflits entre l’Iran et les États-Unis. Cette actualité m’a permis d’être en contact avec le monde extérieur. Ça donne une sorte de background, on ne peut pas voir le reste de l’exposition sans se référer à ça. » Son background à elle, elle s’y réfère dans son travail. Installée en France depuis neuf ans, elle garde avec l’Iran, son pays d’origine, une relation particulière : des traces artistiques, politiques et culturelles. C’est donc le point de départ de son travail : les relations qu’entretiennent les individus au lieu, lui-même lié à un temps, à l’Histoire, à des histoires.

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De Budapest, elle ramène une vidéo où les espaces désaffectés portent la trace d’histoires personnelles et où les murs portent encore la trace de conflits : « Les gens de ma génération n’ont pas vécu la guerre, moi je l’ai vécue. La menace d’une guerre, ça me fait peur, c’est quelque chose de très concret. » En matérialisant les choses qui disparaissent, elle filme les réminiscences d’un espace, le tout englobé dans une ambiance sonore. Des casques sont à disposition et diffusent une mélodie de piano ou la voix d’une petite fille qui compte. On retrouve cette petite fille sur un téléviseur dans une pièce un peu cachée. Gros plan sur son visage innocent, elle compte en hongrois, avec comme écho, la voix d’un petit garçon français. Le plan passe sur le petit garçon : « Quand les enfants comptent, ils apprennent un langage, même si on ne comprend pas la langue, on sait que quelqu’un compte, les chiffres sont une référence. Moi par exemple, je ne compte qu’en persan. Compter, c’est le temps qui passe. » Des notions de voyage, de mémoire et de perception de l’espace, un ensemble indissociable qui participe à un rapport au monde. Et si les artistes nous élèvent c’est bien parce qu’ils mettent en relation ce rapport au monde avec l’intimité de chacun. Un rapport lourd de sens. D


par Sylvia Dubost

par Cécile Becker

Juan Aizpitarte, exposition, jusqu’au 25 février à La Chaufferie à Strasbourg www.esad-stg.org

Reprise du palmarès du FID, cinéma du 16 au 18 février aux cinémas Star, à Strasbourg www.videolesbeauxjours.org

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Archéologies du futur

Marseille à Strasbourg

Avec des étudiants en art comme complices, Juan Aipitarte reconstruit le monde et son histoire.

L'association Vidéo Les Beaux Jours nous apporte un petit bout de Marseille, en reprenant le palmarès de l’excellent Festival international de cinéma FID. Un cinéma qui va à la rencontre du monde.

Au fond de la salle d’exposition trône un immense assemblage de pierres façon Stonehenge. Autour, les traces d’un chantier que les archéologues semblent tout juste avoir quitté après avoir découvert ce triplex de l’âge de pierre. Au mur, une vidéo anticipant la fin du monde programmée ce 21 décembre 2012 : les cathédrales du monde entier sont en réalité des fusées qui se rejoindront ce jour-là au centre de notre galaxie. Sur les parois de la mezzanine, des savants se perdent en conjectures sur la symbolique des vitraux et de l’emplacement de celle de Strasbourg. Les architectes avaient-ils connaissance de sa véritable substance ? Avaient-ils prévu son décollage ? Dans le jardin, encore des traces d’excavation. On ne saura pas ce qui y a été découvert… L’artiste basque Juan Aizpitarte réinvente ici avec humour notre passé et notre futur et propose à notre civilisation un nouveau récit. Plus important, il lui donne de nouveaux mythes. Mais la part essentielle du projet Cosmic Ray est peut-être celle que le spectateur ne voit jamais : le processus qui a conduit à sa réalisation. Par le biais d’un workshop, Juan Aizpitarte a fait participer les étudiants de l’École supérieure des Arts décoratifs à l’élaboration de ces nouveaux mythes. C’est devenu la spécialité de l’artiste : ménager, dans un monde en pleine mutation, des espaces propices à la création d’un récit commun. D

Parmi le riche palmarès du FID, l’équipe nous propose de visionner six films primés ou sélectionnés lors de l’édition de juillet 2011, en partenariat avec les cinémas Star. On pourra se transporter aux ÉtatsUnis avec Poussières d’Amérique, d’Arnaud des Pallières qui décrit son film comme « le journal intime de chacun ». Sans dialogue et sans commentaire, ce long métrage raconte des histoires en transposant des images d’autres films, des phrases, des musiques et des sons. Christophe Bisson, avec Road Movie, ne s’est, contrairement aux apparences, pas penché sur le road movie tel que nous le connaissons. Alors qu’on imagine des virées interminables sur les routes, il s’attarde sur les relations qu’entretiennent des hommes et des femmes internés, avec le paysage. Le même jour, on retrouve une fable sur la peur de la mort : La vie est ailleurs, d’Elsa Quinette. Le 18 février, Marie Voignier nous emmène sur les traces d’un animal inconnu de la zoologie : le Mokélé M’Bembé (L’hypothèse du Mokélé M’Bembé), alors que Daniel Eisenberg transpose trois industries de Dresde, New York et Istanbul dans son film The Unstable Object. Pour finir en beauté, la mention spéciale du festival : Spectres de Sven Augustijnen, un Belge qui s’est penché sur le retour fantomatique du premier ministre du nouveau Congo indépendant. Une plongée dans les années sombres de la décolonisation du Congo Belge. De la beauté, des leçons de vie et d’humilité commentés par les réalisateurs et Jean-Pierre Rehm, délégué général du FID. D

The Unstable Object de Daniel Eisenberg

Projet pour l’installation Triplex

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par Sylvia Dubost

par Cécile Becker photo : Bellamy

Affinités, déchirures & attractions, exposition, du 8 février au 13 mai au Frac Alsace à Sélestat www.culture-alsace.org

Bienvenue au conseil d’administration, théâtre du 22 au 24 février au TAPS Scala, à Strasbourg www.taps.strasbourg.eu

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Les images en question

Naufrage d’une société

Donner à voir, poser question et établir le dialogue avec le spectateur : dans un monde submergé d’images, les artistes peuvent-ils réussir là où les médias ont échoué ?

Le naufrage du Costa Concordia et son capitaine laissant là un navire et ses occupants affronter la catastrophe : une triste allégorie de la crise actuelle où le peuple, livré à lui-même, se laisse guider par la terreur dans sa lutte pour la survie. Un thème actuel qui répond au texte de Peter Handke, un Autrichien visionnaire ayant écrit Bienvenue au conseil d’administration, un texte subversif.

Que celui qui n’a jamais retenu une larme devant un reportage du JT ou d’Envoyé spécial lève le doigt ! Difficile de ne pas être touchés par des enfants affamés, des tours ébranlées ou des poings syriens levés, surtout lorsqu’ils tournent en boucle. Mais est-on toujours aussi ému après la 40e fois ? Et après 25 années de télévision ? L’émotion est-elle l’amorce d’une réflexion ou s’y substitue-t-elle ? La multiplication des images peut-elle faire jaillir une colère salutaire et partagée ? Ne s’habitue-t-on pas plutôt à la misère, à force de la côtoyer ? Les médias le savent bien, qui sombrent dès lors dans la surenchère. Quels rapports entretiennentelles, dès lors, avec la réalité ? Qu’en est-il de l’image comme outil de savoir ? La submersion de l’individu par les images médiatiques n’a pas fini de poser question aux intellectuels et aux artistes, encore plus au XXIe quand un habitant du monde occidental possède en moyenne trois écrans différents. En rassemblant des artistes qui se réapproprient ces images et leurs modes de construction, la prochaine exposition du Frac Alsace se lance à corps perdu et tous azimuts dans le débat et tente d’aborder « la question du document et de la force politique de l’art, comme une alternative au consensus médiatique et au contrôle de l’environnement visuel par l’économie. » Que celui qui n’en a jamais rêvé lève le doigt ! D

Marcel Dinahet, Passages, 2011, photographie

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Étienne Pommeret, grand admirateur du langage poétique et contemporain de Peter Handke met en scène Bienvenue au conseil d’administration. La scénographie et l’ambiance musicale viennent troubler le spectateur, partie intégrante d’une pièce à la finalité catastrophique. Guidés par le chef d’orchestre d’un conseil d’administration loufoque – l’intense Marc Ernotte –, les spectateurs deviennent les actionnaires de cette entreprise très particulière, venus toucher leurs dividendes. Mais troublés par les bruits d’une tempête, de charpentes qui craquent, et par des événements annexes, la mort d’un enfant ou l’arrivée d’une limousine, ils perdent tout repère et s’inquiètent. L’auditoire fait alors corps avec l’acteur, avec la scène, et se laisse manipuler par ses sensations et perceptions encouragées par une ambiance musicale étrange. Cruelle et humoristique à la fois, cette pièce ne dénonce pas frontalement le capitalisme mais l’interroge. La disparition de l’administrateur sur scène clôt le dispositif et laisse une page blanche faisant alors écho à l’attente d’un dénouement de cette crise qui glace. Quand le théâtre s’amalgame à la réalité, quand le théâtre devient palpable, quand il s’immisce dans notre conscience, une aventure presque initiatique. D


par Gabrielle Awad

focus EX NUGIS SERIA exposition, du 13 janvier au 11 février à la galerie Lillebonne, à Nancy, et du 13 janvier au 25 février à la Galerie Robert Doisneau du CCAM, à Vandœuvre-Lès-Nancy www.centremalraux.com

Saga Africa À la galerie Lillebonne, à Nancy, l’exposition Ex Nugis Seria place le continent africain sous les projecteurs : ses carnets de voyages, ses photographes prometteurs, ses artistes éclectiques et ses images les plus belles.

William Ropp est photographe, il est nancéien, et endosse en ce moment le rôle de commissaire de l’exposition Ex Nugis Seria. Une mise en situation photographique autour de la collection privée de Freddy Denaës, grand voyageur et directeur des éditions de l’Œil. L’événement repose sur le livre éponyme paru aux éditions de l’Œil. Si cela fait déjà plus de 30 ans que Freddy Denaës collectionne plus de deux milliers de tirages, c’est aujourd’hui qu’il fait le choix d’en exposer quelques uns. Une sélection qu’il hiérarchise et exhibe, où inéluctablement il révèle son rapport intime avec le continent africain. En découle une belle collection qui nous amène à la rencontre de l’art utilisé selon lui comme politique du monde. Freddy Denaës présente à travers cette exposition, le travail de trois décennies de déambulation à travers le monde : rencontres, travail sur le cinéma et autres images encore. Une exposition qu’il définit comme « l’idée d’un tout constitué de petits riens » mais derrière la modestie de ce propos se cache une vérité plus profonde, celle que toute collection peut dévoiler la trame de toute une vie. Entre les images de l’Afrique se glissent des grands noms de l’histoire de la photographie (Antoine d’Agata, Willy Ronis, Larry Clark, Bernard Faucon et bien d’autres), mais aussi et surtout de grandes figures de la photographie africaine. On pense à David Goldbatt, dont la carrière a été rythmée par l’histoire tourmentée de son pays natal, l’Afrique du Sud. Seront aussi présentes les images de Malick Sidibé qui a

récemment surfé sur la vague de Paris Photo et qui transmet à travers ses clichés sa foi dans l’avenir de la photographie africaine. Car exposer c’est accepter de dévoiler un regard et proposer un usage du monde à travers le classement d’images et les correspondances qui s’établissent entre elles. À travers Ex Nugis Seria, Freddy Denaës nous emmène faire un tour du monde et goûter aux plus belles images de notre temps, de ci, de là. D

Bernard Faucon, La Chambre des images Collection Freddy Denaës

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par Benjamin Bottemer photo : Pascal Victor / ArtcomArt

focus Le Système de Ponzi, théâtre du 13 au 17 mars au Théâtre de la Manufacture à Nancy www.theatre-manufacture.fr

La petite musique du capitalisme À travers Le système de Ponzi, c’est le XXe siècle qui se raconte. David Lescot se réapproprie cet escroc italien des années 20 qui a inspiré Bernard Madoff, interrogeant ainsi notre système et l’inconscient collectif.

« La chaîne de Ponzi », c’est cette célèbre arnaque qui consiste à assurer des intérêts phénoménaux à de pauvres quidams, qui ont cru en vous et vous ont confié la responsabilité de leurs placements financiers. Versez aux premiers des intérêts prélevés sur les investissements des seconds, et ainsi de suite... gardez le reste pour vous. Vous voilà milliardaire, à moins que vous ne récoltiez 150 années de prison. Partant de cette anecdote, David Lescot a voulu mettre en scène ce siècle de l’argent et tout son schéma de fonctionnement. « Ce système, c’est aussi celui des banques : si tout le monde venait à réclamer la totalité de son argent en même temps, il s’effondre. » explique-t-il. La pièce nous emmène à différentes périodes du siècle dernier, de l’époque de Charles Ponzi jusqu’à nos jours.

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« C’est un récit épique qui fait le pont entre la mise en place de ce far-west financier et aujourd’hui, le moment de son agonie. Je fais aussi un retour en arrière sur la publicité, la société du spectacle... » David Lescot se plaît à explorer l’aspect anthropologique de l’arnaque : « Je pose des questions : concernant la culpabilité, le charisme des escrocs, ce désir peut-être que nous avons de nous faire avoir, de tout perdre. L’escroc est un personnage très séduisant, c’est un faux héros, mais on l’aime car il exploite les failles du système. Il y a là quelque chose de cathartique. » Autour de la figure centrale et récurrente Charles Ponzi, incarné par Scali Delpeyrat, un véritable chœur d’acteurs, au sens propre. Ceux-ci constituent une machine chorale, un élément du décor, d’où ils jaillissent puis s’y replient. « C’est une pièce musicale. La musique guide mon travail, les acteurs sont pour moi comme un orchestre, jouant ensemble, et au niveau des émotions qu’ils transmettent, je trouve que c’est très proche de la musique. » Après le communisme, exploré avec La Commission Centrale de l’Enfance, il semble que le metteur en scène aborde le capitalisme. Doit-on voir un lien entre les deux pièces ? « Le XXe siècle est celui des idéologies appliquées. Je ne démontre rien, je souhaite juste parler de bienfaits, d’erreurs, et des ressorts de l’esprit humain. La politique exprimée au théâtre a un côté revendicatif bien sûr, mais ce n’est pas une finalité. J’ai plutôt cherché parmi les symboles, les émotions, la part fantasmatique des choses. » D


par Sylvia Dubost photo : Thomas Faverjon

focus Vaterland, le pays du père, théâtre, le 28 février au Carreau à Forbach www.carreau-forbach.com

Next generations Un jeune homme part, au début des années 80, sur les traces de son père soldat dans la Wehrmacht. Cécile Backès, artiste associée au Carreau, met en scène Vaterland, récit de Jean-Paul Wenzel sur la quête des origines et de l’identité, le rock et l’Histoire.

Quel est pour vous le sujet de ce texte ? Le sujet principal, c’est la quête du père, dans lequel tout le monde se retrouve. Ce qui est très intéressant aussi, c’est que ce fils français est musicien de rock au début des années 80. Le texte raconte ce qu’est le rock dans ces années-là, qui porte les traces de la guerre. Keith Richards parle d’ailleurs beaucoup de ce rapport-là. Cette guerre, que nous n’avons pas vécue, dont nous n’avions pas le droit de parler, nous en sommes empreints. Comment en parler ? Le rock est une possibilité de réponse via le son des guitares. La guerre est une catastrophe trop énorme pour être portée par une seule génération. Pour l’instant, on n’a pas encore envie d’entendre ce que les quarantenaires ont à dire là dessus… Vaterland raconte la quête des origines, et par conséquent celle de l’identité : quel rôle joue la musique dans cette quête-là ? Comme dans tout road movie, le fils part à la recherche de l’inconnu. Nous avons beaucoup travaillé sur les influences musicales et construit un parcours musical. On commence en France avec The Cure, Joy Division, et plus le jeune homme s’enfonce vers l’Allemagne de l’Est, plus la musique change de nature, de couleur. Elle devient plus punk, plus sombre, jusqu’à Einstürzende Neubauten et cette impression de sauvagerie et de brutalité qui s’en dégage. Avec des musiques enregistrées et en live, le spectacle construit un dialogue musical entre le fils et le père, d’une génération « plus piano ». Un dialogue sans rencontre…

Vous êtes artiste associée au Carreau. Quelle problématique avez-vous placée au cœur de votre mission ? La jeunesse, madame [rires]. La création suivante s’intitulera J’ai 20 ans, qu’est-ce qui m’attend ? Nous avons rencontré des jeunes dans différents endroits et à Forbach. Des auteurs écriront des pièces courtes à partir de ces récits. Nous rencontrons aussi des jeunes et des gens qui ont eu 20 ans et qui ont vécu, à cet âge-là, l’évacuation de la Lorraine. J’aimerais que les jeunes s’emparent de ces témoignages et les jouent… Ce sont les mêmes thématiques que dans Vaterland… Absolument ! La Lorraine porte des couches d’histoires parallèles, qui ne se croisent pas. Le théâtre est le lieu qui peut permettre leur rencontre. D

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par Cécile Becker

par Cécile Becker

Cycle de ciné-concerts du 29 février au 4 mars à l’Arsenal, à Metz www.arsenal-metz.fr

Les femmes s’en mêlent#15, le 21 mars à la Laiterie, à Strasbourg le 22 mars au Consortium, à Dijon et le 23 mars aux Trinitaires, à Metz www.lfsm.net

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Relire l’image

Girl Power

En matière de ciné-concert, des choses nouvelles se font. Plus qu’une simple musique apposée à l’image, l’Arsenal propose un cycle qui exploite au maximum les possibilités de l’image et de la musique. Des vidéos chorégraphiques, au cinéma de Méliès en passant par les images punk de Nan Goldin, l’image passe sous le rouleur compresseur de la créativité.

Qu’ont en commun les Trinitaires à Metz, le Consortium à Dijon et la Laiterie à Strasbourg ? Ce sont tous les trois les lieux de passage du festival girly Les Femmes s’en mêlent qui accueillent le trio Giana Factory. Filles dans le vent, elles ont largement fait leurs preuves sur scène.

Dès l’ouverture de son cycle, l’Arsenal sort l’artillerie lourde avec un ciné-concert décalé travaillé par Gilles Sornette et David Verlet. Ils déforment les images du film The Cat and The Canary de Paul Leni, considéré comme un film d’épouvante dans les années 30, pour en faire une perle d’humour noir. Les écrans sont multiples, se masquent et se complètent pour un nouveau regard sur le film, accompagné de bruitages en direct venant renforcer la chronologie de l’œuvre. Un peu plus loin, les musiciens François Guell et Nicolas Arnoult prennent au pied de la lettre le film Nerven de Robert Reinert, en créant une musique originale venant titiller les nerfs du spectateur. Toujours sur un registre déjanté, le trio musical The Tiger Lillies se met à l’heure punk en rendant hommage au journal intime de Nan Goldin, La ballade de la dépendance sexuelle, une chronique couvrant 10 années de la vie de la photographe entre New York, Berlin Londres et Boston. Des émotions brutes, mais aussi de la pureté, de la beauté et du bonheur devant Equi Voci, les images de Thierry de Mey filmant les chorégraphies de Thomas Hauert et Anne Teresa de Keersmaeker sur les partitions impressionnistes de Debussy et de Ravel. Où le corps accompagne la musique sur des paysages apaisants. Une belle alchimie entre la vidéo, le son et la scénographie. D

Beyoncé le dit avec panache « Who run the world ? GIRLS ! », comprenez : les filles dirigent le monde. Facile quand on est millionnaire et qu’on a les plus belles fesses du monde, moins lorsqu’on intègre un groupe indépendant. Le festival Les femmes s’en mêlent tient depuis 15 ans une programmation hors des sentiers battus pour permettre aux groupes de filles de partager leurs productions en tournée. Cette année, outre les fantastiques Dum Dum Girls qui parcourent la programmation, les Danoises Giana Factory débarquent avec pour bagages de nombreuses premières parties écumées avec des groupes comme Glasvegas, et leur album Save the Youth sorti au Danemark, à paraître sous une forme rafraîchie en Europe et aux États-Unis en mars. Musiciennes averties, elles ont tourné avec des gros noms de l’industrie : Louise, la chanteuse, a remplacé sa sœur, voix des Raveonettes, lors d’une tournée, et Lisbet, la guitariste, n’est autre que la Fender morriconienne de Trentemøller. La scène, elles la connaissent, c’est là qu’elles sont nées. Leur album qui a déjà laissé quelques traces, dont une belle session captée par le site danois xsessions, promet de belles perles technoïdes. Les voix vaporeuses, les guitares noisy et les couches musicales minimalistes emmènent n’importe quel terrien sur des chemins inconnus marqués de magie. Car quand les femmes s’en mêlent, il est toujours question d’ailleurs. D

Equi Voci - ©Julien Lambert

©Emile Carlsen

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par Benjamin Bottemer

par Benjamin Bottemer photo : Audrey Pereira

DSL, exposition du 7 février au 25 mars à la galerie de l’Arsenal, à Metz www.arsenal-metz.fr

Le projet Pilot, exposition jusqu’au 3 mars chez Modulab, à Metz http://modulab.fr

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Archives corrompues Éric Rondepierre, photographe et chasseur d’images, expose comme une rétrospective plus d’une cinquantaine de ses pièces réalisées durant les 20 dernières années. Un parcours à la rencontre d’instantanés cinématographiques émaillé de nombreux accidents. L’exposition rassemble 55 pièces, choisies parmi dix séries étalées sur vingt ans de pratique. « Je n’ai choisi que des pièces portant sur le cinéma, en privilégiant les récentes, précise Éric Rondepierre. C’est un choix qui a une logique rétrospective, mais je vais aussi présenter une série inédite, intitulée, comme l’exposition, DSL. » Des documents issus d’archives cinématographiques, présentant des scènes qui sont légendées, aux côtés de l’œuvre même ou dans les ouvrages de l’artiste. Depuis ses Noirs, fragments de métrages visibles uniquement en les visionnant image par image, jusqu’aux morceaux de pellicules dégradées par le temps de Précis de décomposition ou des Trente Étreintes, la notion d’accident est omniprésente. « J’ai visionné énormément de films, explique Éric Rondepierre. Je sonde, j’expose des dysfonctionnements que je ne maîtrise pas. Ce qui m’intéresse c’est de prendre le cinéma à rebrousse-poil, de montrer ce qu’on en voit jamais dans les films : des images qui ont mal tourné, des images délinquantes ! » Plongeant dans le cinéma d’antan, notre chercheur d’images met en perspective ces extraits dénichés, effectuant dans Seuils des montages avec ses propres photographies. La série inédite DSL s’intéresse aux ratés des images numériques, créant d’informes amas de pixels. Un travail qui dégage une étrangeté source de fascination. D

Créatures et roulements à bille La galerie associative Modulab à Metz entame sa seconde saison avec le projet Pilot et sa fresque stakhanoviste, mené par Elsa Quintin et Antoine Martinet. Modulab réunit depuis un an les projets de l’atelier Etching d’Aurélie Amiot et du studio de graphisme d’Hervé Botticelli, faisant la part belle à l’image imprimée, à la gravure et à la sérigraphie. Modulab s’ouvre aux initiatives locales, nationales et internationales, accueillant des artistes dans son espace d’exposition ainsi que dans son atelier mis à la disposition des publics et de tous ceux qui recherchent un lieu de création. « Nous avons eu de bons retours durant l’année écoulée, explique Aurélie Amiot. Nous recevons des propositions, des soutiens. Grâce aux rencontres et à notre côté convivial, nous avons pu concrétiser des projets qui nous tenaient à cœur. » Place au projet Pilot créé par Elsa Quintin, agrégée en Arts Plastiques et Antoine Martinet, issu du street-art. Des artistes différents mais avec une pratique commune du dessin. Ils présentent ici une fresque de 8 m² entièrement réalisée grâce à des stylos de la marque Pilot, une cinquantaine au total. Une œuvre fourmillant de détails qui a demandé un an et demi de travail. « Ce qui nous intéressait, déclare Aurélie Amiot, c’était leur pratique, qui se rapproche au niveau du traitement de la gravure des XIVe et XVe siècle. Leur style me fait penser à Jérôme Bosch ou Albrecht Dürer. » Le besoin irrépressible de se pencher sur chaque détail confère à cette œuvre une dimension quasi physique. Un travail impressionnant qui nous plonge dans un univers fantastique et poétique. D

Amazone, 2010, série Seuils 80 x 106 cm Photo : Éric Rondepierre © adagp

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par Xavier Hug

focus L.A. Raeven, Ideal Individuals, exposition du 28 janvier au 22 avril 2012, au Casino Luxembourg www.casinoLuxembourg.lu

Question d’identité L.A. Raeven. Derrière ce pseudonyme polyphonique se cachent deux artistes hollandaises, deux soeurs jumelles qui ont troqué leurs prénoms respectifs pour ce patronyme commun afin de mieux questionner la construction de l’identité tout comme sa perte.

L’Histoire de l’art occidental est traversée par les notions d’Idéal, de Beauté, de Canon esthétique appliqués à l’être humain. Ferments de l’art grec dans ce qu’il a de plus pur et abouti, ces caractéristiques ont également mené à l’épuisement des formes et à empêcher tout renouveau

L.A. Raeven, Wild Zone, 2001 Digital photo 40 x 60 cm Witte de With invitation card

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stylistique. La profusion sans fin des images qui singularise notre époque semble aller dans le même sens. Partout, des corps sans aspérités, des formes pures, des visions libidinales répondant au plus près aux désirs analysés par des experts en marketing. L’injonction à la perfection est quotidienne et se fait menaçante : quiconque n’y trouve pas sa place est relégué au rang des perdants. C’est pour une part ce que pointent les travaux de L.A. Raeven : fascination, jusqu’au morbide, pour la perfection au point d’en arriver à des extrêmes qui mettent en danger l’intégrité physique et/ou psychologique des sujets. Anorexie, opérations de chirurgie plastique, casting pour mannequins, eugénisme sont quelques-uns des traits disséqués méthodiquement et sans détours tout au long des œuvres qui émaillent le parcours de cette monographie. Si cette poursuite idyllique remonte aux sources de notre civilisation, il existe toutefois une différence de taille entre les Anciens et nos contemporains. Pour les premiers, la beauté physique devait être le reflet d’une éthique propre à une personnalité distincte. Aujourd’hui, les codes de la Beauté s’aplanissent jusqu’au nivellement, au point de dissoudre l’individualité vers la recherche d’une abstraction chimérique. C’est là que le travail de L.A. Raeven gagne en force. En plus d’approcher l’image de manière critique, le duo n’a pas oublié de se pencher sur les corollaires moraux qu’entraînent une telle attitude servile, au premier rang desquels la perte d’identité. Sans doute faut-il y voir la trace indélébile que leur fait endosser leur gémellité. Elles n’hésitent pas à se mettre en scène pour évoquer la relation conflictuelle et paradoxalement charnelle qu’elles se vouent l’une à l’autre. Ainsi, le corpus présenté à Luxembourg se focalise-t-il sur une question centrale : qu’est-ce qui fait de nous ce que nous sommes ? D


par Philippe Schweyer

focus INTIMATE STRANGER, exposition jusqu’au 15 avril au Museum für Gegenwartskunst à Bâle www.kunstmuseumbasel.ch

Switzerland rebels Déjà montrée à New York, les photographies de Karlheinz Weinberger rassemblées pour l’exposition Intimate Stranger nous font découvrir une jeunesse suisse sexy et rebelle contaminée par le rock’n’roll.

Des plans serrés sur des braguettes customisées, des jeans rapiécés prêts à exploser, des boucles de ceinture démesurées, des têtes de morts, des bijoux bricolés avec des boulons et du fil de fer, des blousons marqués du nom des gangs… Grâce à Karlheinz Weinberger (19212006) qui a photographié sous toutes ses coutures la panoplie décrite ci-dessus, on découvre une jeunesse suisse crânement rebelle dont on ne soupçonnait pas l’existence. C’est en 1958 que le photographe amateur a commencé à photographier cette jeunesse coincée entre la fin de la guerre et les années hippies, fréquentant au plus près les bandes qui scandalisent alors à Zurich et à Bâle. Au pays de l’Ovolmatine et du secret bancaire, les loulous qui vénèrent le King et leurs poulettes aux coiffures démesurées font désordre. La plupart de ces “Halbstarke” (nommés ainsi pour signifier qu’ils n’étaient qu’à moitié adultes) finiront par rentrer dans le rang, les autres rejoindront les Hells Angels. Bien qu’étranger à leur monde, Weinberger continuera à les côtoyer, passant à la couleur à la fin des années 60 pour photographier bikers et rockers sans rien cacher de leur fascination imbécile pour les croix gammées. L’exposition s’intéresse également à une autre facette du travail de Karlheinz Weinberger en présentant une partie des clichés qu’il a publiés dès les années 40 sous le pseudo de Jim dans Der Kreis (Le Cercle), un journal homosexuel édité par le club gay zurichois du même nom et dont le rayonnement dépassait largement la Suisse. Certaines de ces images sont reprises dans Jeans, une publication

éditée pour l’occasion et qui reproduit fidèlement un portfolio réalisé par le photographe à la fin des années 50. Au final, au-delà des images iconiques, on retient la persévérance avec laquelle Karlheinz Weinberger s’est attaché à capter les “différences” qu’il ne fallait surtout pas montrer. Intime étranger parmi les sujets qu’il photographia tout au long de sa vie, Weinberger est mort avant que son travail ne rencontre la reconnaissance qu’il mérite. C’est dommage car il restera pour nous aussi un « intime étranger ». D

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Expositions & performances TRANCHES DE QUAI #17 Jeudi 9 février 2012 A partir de 17h, Free Radio avec Dinah Bird à la Vitrine 53, av. Kennedy - Mulhouse A partir de 19h30 - Au Quai - Mulhouse Entrée libre

AFFINITÉS, DÉCHIRURES & ATTRACTIONS EXPOSITION 08:02 C 13:05:2012 ÉRIC BAUDELAIRE CLÉMENT COGITORE MARCEL DINAHET OMER FAST STÉPHANE GARIN & SYLVESTRE GOBART BERTRAND GONDOUIN JAN KOPP LA RIBOT ÉMERIC LHUISSET ADRIEN MISSIKA FRÉDÉRIC MOSER & PHILIPPE SCHWINGER JEAN-LUC MOULÈNE DEIMANTAS NARKEVICIUS TILL ROESKENS ROY SAMAHA

Agence culturelle d’Alsace 1 espace Gilbert Estève Route de Marckolsheim BP 90025 F-67601 Sélestat Cedex tél. : + 33 (0)3 88 58 87 55 http://frac.culture-alsace.org

La Ribot, Laughing Hole, 2006. Performance, avec Naton Goetz. Photo : Nicolas Dautier

FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN

Expositions - La Chaufferie, galerie de l’école des arts décoratifs de Strasbourg François Daireaux / Suite, du 15 au 25 mars Juan Aizpitarte / Cosmic Ray, jusqu’au 25 février Entrée libre

Expositions - Avant-première Week-end de l’art contemporain Une vue d’ensemble sur les productions des étudiants du Pôle (musique & arts visuels) Les 17 et 18 mars, de 11h à 19h - Entrée libre Pôle Alsace d’enseignement supérieur des arts

École supérieure des arts décoratifs 1, rue de l’ Académie – Strasbourg www.esad-stg.org / facebook.com/esads-stg École supérieure d’art Le Quai 3, quai des Pêcheurs - Mulhouse www.lequai.fr Conservatoire - Enseignement supérieur de la musique 1, place Dauphine - Strasbourg www.conservatoire.strasbourg.fr


Vive l’Europe ! n°- 1 Par Sophie Kaplan

Faire le tour de l’Europe en 365 jours dans un rayon de 200 km autour de chez soi En 2012, j’ai décidé de quitter l’Europe avant qu’elle ne me quitte (1). Je compte partir m’installer à Doha, à Pékin ou à Brasilia. Je ne suis pas encore tout à fait décidée, cela dépendra de ce que me proposent les agences de notation. C’est dommage, parce que si j’étais restée à Altkirch, j’aurais pu visiter (presque) toute l’Europe sans m’éloigner de plus de 200 km de chez moi (2). C’est dommage, parce que vue des Kunsthalle et autres centres d’art, l’Europe est une zone ouverte, plus que jamais vivante, étonnante et bien réelle. Démonstration en 12 mois : En janvier, j’aurais commencé par agrandir l’Europe à la Turquie. J’aurais visité l’exposition de Cevdet Erek à Bâle, qui transforme l’espace du premier étage de la Kunsthalle en un club où s’expérimentent nouvelles mesures du temps et de l’espace via un dispositif sonore en plusieurs séquences (3). En février, j’aurais tenté de percer le mystère délicat des peintures du Belge Walter Swennen à Freiburg. Celles-ci mêlent l’abstrait au figuratif et les références populaires à une interrogation profonde sur la peinture (4). En mars, je serais retournée à Bâle pour découvrir le travail de l’Autrichien Ralo Mayer, qui propose une “science-fiction plastique” interrogeant les rapports entre l’homme, la nature, la science et la société (5). En avril, je n’aurais sûrement pas résisté à pousser jusqu’à Aargau pour y découvrir la série de photographies du Suisse Roman Signer, Images de rue, glanées dans les Carpates, en Roumanie et en Ukraine (6). En mai, je serais allée à Berne pour voir l’exposition de l’Italien Luigi Ontani, qui n’a de cesse depuis plus de 30 ans de se mettre en scène dans un voyage singulier à travers les mythes, les symboles et les représentations phares de l’humanité (7). En juin, j’aurais couru à Mulhouse

— CARNETS DE NOVO —

découvrir la nouvelle proposition de l’Anglais Simon Starling, imaginée en fonction du lieu où elle prend place – une ancienne fonderie – et de son histoire (8). En juillet, je serais une fois encore retournée à Bâle pour y découvrir l’univers de la Danoise Sofie Thorsen, dont le travail, à travers films, installations et dessins, interroge le postmodernisme et l’architecture (9). En août, je me serais plongée avec délices dans l’exposition du Croate Ivan Faktor et du Polonais Jozef Robakowski
 à Karlsruhe (10). J’y serais restée en septembre et j’aurais continué mon plongeon : cette fois-ci dans “la librairie infinie” de l’allemand Daniel Gustav Cramer
 et du chypriote Haris Epaminonda. Ce projet, qui explore l’idée d’un savoir universel et sans borne, se développe depuis plusieurs années sous la forme de livres et par un site Internet (11). En octobre, je serais allée à Zurich pour y découvrir les œuvres récentes de l’Islandais Ragnar Kjartansson, artiste post-romantique qui décline son univers fantasque au travers de vidéos, de dessins et de musiques pop (12). En novembre, j’aurais été impressionnée par l’installation monumentale et in situ de l’Allemand Felix Schramm, à la limite de l’architecture et de la sculpture, à Sélestat (13). Enfin, en décembre, j’aurais admiré la justesse des nouvelles propositions de la Franco-marocaine Latifa Echakhch à Zurich (14). VIVE L’EUROPE ! 1 : du moins, si j’en crois ce que disent les journaux télévisés 2 : donnée qui, il faut bien l’avouer, au prix du litre de l’essence et du billet de train, a son importance. 3 : Cevdet Erek, Week, 12.01-04.03.2012, Kunsthalle, Basel 4 : Walter Swennen,
Garibaldi slept here, 20.01-11.03.2012, Kunstverein, Freiburg 5 : Ralo Mayer, Obviously a major malfunction…, 28.01-18.03.2012, Kunsthaus Baselland, Bâle 6 : Roman Signer, Images de rues et films super-8, 28.01-22.4.2012, Aargauer Kunsthaus, Aargau 7 : Luigi Ontani, RivoltArteAltrove, 06.04-27.05.2012, Kunsthalle, Bern 8 : Simon Starling, 24.05-26.08.2012, Kunshtalle, Mulhouse 9 : Sofie Thorsen, 19.05-15.07.2012, Kunsthaus Baselland, Basel 10 : Ivan Faktor + Jozef Robakowski, mai-août 2012, ZKM | Media Museum, Karlsruhe 11 : The Infinite Library
 (Daniel Gustav Cramer
& Haris Epaminonda), 29.06-09.09.2012, Badischer Kunstverein, Karlsruhe 12 : Ragnar Kjartansson, 01.09-28.10.2012, Migros museum, Zurich 13 : Felix Schramm, 14.11.2012-24.03.12, FRAC Alsace, Sélestat 14 : Latifa Echakhch , 16.11.2012-10.02.2013, Kunsthaus, Zurich Visuel : Roman Signer, Strassenbilder, Karpaten, Ukraine, Rumänien, 2005, photographie couleur, 31 x 49 cm, Aargauer Kunsthaus Aarau

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Deux, duo, duel Par Sandrine Wymann et Bearboz

La visite d’une exposition terminée, il reste souvent des images, des impressions, des questions qui nous portent un temps et ressurgissent au fil des conversations qui suivent. Le travail d’Ariel Schlesinger et l’exposition Phenomena of Resonance inséminent subtilement la question de la dualité, de la perturbation, du désaccord. Il y a d’abord deux odeurs, les évaporations d’essence et le fumet de l’encens. Etonnante première impression et étrange combinaison qui aiguise la curiosité. L’une et l’autre ne s’accordent pas mais nourrissent instantanément un imaginaire. Ensuite s’impose le mouvement, le rythme de l’exposition. Une œuvre s’enflamme, une autre se consume, une troisième danse… L’action est omniprésente mais délicate et silencieuse et c’est malgré tout une atmosphère paisible qui s’impose. L’harmonie semble avoir trouvé refuge dans les trois salles du Musée de Montbéliard mais voilà, cela n’est qu’une impression et à bien y regarder, le travail d’Ariel Schlesinger est bien plus que ludique et formel. A l’échelle de chacune des sculptures il se passe quelque chose, une perturbation, un événement, une confrontation.

« Nous n’avons aucun talent pour l’harmonie. Tel est notre pêché héréditaire. » écrit Gal Katz dans le catalogue de l’exposition. Il y a chez Ariel Schlesinger sous-jacente à chacune de ses pièces, une tension qui avoue son engagement et son implication dans un monde qu’il observe avec intérêt. L’artiste présente des œuvres qui sont souvent faites de petits riens, d’objets du quotidien plutôt banals. Une feuille, un crayon, une allumette, un vélo, une perceuse. Il assemble les objets selon un protocole très scrupuleux dans lequel les sens visibles et cachés sont importants et déterminants.

Sur une petite tablette d’aggloméré, une feuille de papier A4, actionnée par un mécanisme, composé entre autre d’un crayon et d’un aimant, se dresse et se plie. En face, L’angoisse de la page blanche : une autre planche d’aggloméré, rehaussée sur des pots de peinture vides, se présente comme une deuxième petite scène sur laquelle deux A4 se frottent, dansent dans un corps à corps sans fin et d’une grande sensualité. Elles soulignent dans leur jeu à quel point les espace sont proches mais individuels et indépendants. Dans une autre installation encore, Bubble Machine, le tesson de porcelaine soutient la grille sur laquelle s’écrase un goutte-à-goutte de liquide vaisselle qui s’enflamme.

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Ariel Schlesinger, Phenomena of Resonance, exposition jusqu’au 1er avril au Musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard

Les objets hétéroclites et inattendus ne sont pas placés au hasard, ils sont partie, non seulement d’un mécanisme, mais d’une idée, d’une pensée… d’une réflexion qui ramène l’artiste à sa situation d’artiste israélien, chroniqueur d’un conflit sans fin, partie prenante d’une situation absurde et inextricable.

Ariel Schlesinger met en évidence le caractère quotidien et quasi « installé » d’une histoire qui ne cesse de se répéter. Dans la vidéo Burnt Matches, Matches il rallume six allumettes déjà calcinées. Elles prennent feu comme si elles étaient frottées pour la première fois. On ne comprend pas, la scène est truquée et pourtant, la flamme est là. Le film passe en boucle, il n’y a pas de début, ni de fin, les allumettes se consument indéfiniment.

Dans I believe in a two states solution, c’est un bâton d’encens, camouflé dans un crayon de papier et disséminé sur une table au milieu d’autres petits matériels de bureau, qui se consume de la même manière. A priori, il y a là de quoi griffonner des compromis si ce n’est qu’Ariel Schlesinger a remplacé le graphite du crayon par l’encens qui se décompose en cendres. Légère la petite exposition Phenomena of Resonance ? Assurément non. Dès l’entrée la bicyclette déposée sur la gauche, Low Potential Disturbance, annonce avec humour le travail d’un artiste qui met à jour les limites des objets et des situations, qui se déplace talentueusement entre le jeu et l’insoutenable. Brillamment tenu, cet équilibre fait qu’il reste de l’exposition, bien après la visite, une incroyable étincelle et un optimisme que l’échec et l’impasse ne semblent pas avoir ébranlé.

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Rencontres Par Philippe Schweyer Photo : Renaud Ruhlmann

Serge Kaganski : l’inrockuptible Les Inrockuptibles fêtent “25 ans d’insoumission” en publiant un album souvenir monumental compilant chroniques, interviews au long cours et portraits photographiques. Rencontre avec Serge K.

Fanzine trimestriel imaginé par une poignée d’amis en 1986 (Chris Isaak est en couverture du premier numéro), bimestriel indé super chic (1987-1991) puis mensuel éclectique élégant (1992-1994) avant de virer hebdo culturel généraliste nettement moins chic, les Inrocks ont été rachetés en 2009 par le banquier papivore Matthieu Pigasse. Celui-ci, également actionnaire du Monde a confié à Bernard Zekri le lancement d’une nouvelle formule plus politique et sociétale en 2010. Acteur essentiel de la saga des Inrocks, Serge Kaganski signa longtemps « Serge K. » des papiers éclairés sur le rock et le cinéma américains envoyés depuis Los Angeles. De retour en France, c’est lui qui pilota l’ouverture du mensuel au cinéma et à la littérature au début des années 1990. Depuis que Christian Fevret et Arnaud Deverre sont partis en 2010, Kaganski et Beauvallet sont désormais les derniers gardiens de l’ADN d’un titre qui n’a cessé d’évoluer (ce que les puristes et les lecteurs nostalgiques des premiers numéros n’ont pas fini de regretter). Présent à Belfort pour couvrir le festival EntreVues et repéré au bar du Cinéma des Quais

« Raoul Ruiz disait que Ford était un cinéaste génial, mais qu’il était complètement con. » 36

par Cécile Becker, collaboratrice précieuse de Novo passée par la matrice Inrocks, Serge Kaganski nous raconte une aventure de presse hors du commun qui commença, non pas dans un garage, mais dans une chambre de bonne, sans argent ni étude de marché. Peut-on parler des débuts des Inrockuptibles ? Tout a démarré par une émission de rock animée par Christian Fevret sur une radio libre à Versailles. JeanMarie Durand, qui écrit toujours aux Inrocks, a trouvé le titre de l’émission « Les Inrockuptibles », un jeu de mot sur incorruptible et rock. L’émission a dû durer deux ans. Je faisais de temps en temps des interviews et des reportages. On a interviewé Johnny Thunders. J’ai aussi fait un stage au festival de Cannes en 1984, l’année de Paris, Texas. J’en ai profité pour couvrir le festival en direct dans l’émission. Vous étiez encore étudiant ? Oui, j’étais étudiant en sociologie, sciences politiques et droit public… Les trois matières principales de ma formation. Avant que les Inrocks existent en tant que journal, il y avait surtout une amitié entre Christian, Jean-Marie et moi. Vous parliez déjà de faire un magazine ? Pas encore. On lisait la presse rock, les Cahiers du Cinéma, Libération. On était très intéressés par la presse culturelle, alternative, jeune, qui changeait du Monde et du Figaro.


Vous lisiez aussi la presse anglaise ? Pas tellement la presse anglaise, par contre je connaissais un peu la presse américaine notamment Rolling Stone et Cream. Les journaux de rock américains avaient une très forte influence sur Rock & Folk. J’étais un grand lecteur de Rock & Folk dans lequel écrivaient tous les grands rock-critics : Philippe Garnier, Yves Adrien, Philippe Manœuvre, Laurent Chalumeau… C’était déjà la fin de cette époque… Oui, Michka Assayas et François Gorin qui étaient plus tournés vers la pop incarnaient la nouvelle génération. Nous trouvions que les journaux rock mettaient trop Genesis en couverture et pas assez les Smiths, les Pale Fountains et tous les nouveaux groupes qu’on découvrait et qu’on aimait. Grâce à l’émission, Christian s’était construit un petit réseau de contacts avec les maisons de disques. C’était un atout pour créer un journal, donc on s’est lancés. Christian Fevret est vraiment le maître d’œuvre du projet. C’est lui qui a eu l’idée de faire une maquette épurée, de faire des grandes interviews pour donner la parole aux artistes et aller voir ce qu’ils avaient sous le capot afin de sonder leurs âmes et leurs personnalités. C’est aussi lui qui a emprunté des sous à sa grand-mère pour créer l’association, trouver des locaux, acheter des machines à écrire et un peu de matériel.

Le premier numéro qui sort en mars 1986 est bien mieux qu’un petit fanzine. Ah non, c’était un petit fanzine. On était trois ou quatre. Les locaux, c’était chez Christian et ensuite dans une chambre de bonne à Paris. Mais dès le départ, il y avait l’ambition de faire un bon fanzine. Un fanzine, mais pas un magazine ? Ça s’appelait Les Inrockuptibles, interviews et chroniques. Peut-être que dans l’esprit de Christian il y avait déjà l’ambition de faire un journal durable, mais au moment où ça s’est créé je n’avais pas l’ambition de devenir rock-critic professionnel. Il s’agissait pour moi de créer un journal pour m’amuser, assouvir mon envie d’écrire et avoir accès aux concerts et aux disques gratuitement… C’était un truc assez enfantin finalement, mais avec l’ambition de faire un fanzine d’une certaine qualité en soignant l’écriture. Pour la première fois, le cinéma, la littérature et le rock se retrouvaient dans un seul magazine. Il y avait dès le début l’idée de parler aussi de cinéma, de photo, d’expositions, de livres. On adorait le rock, mais on lisait aussi des livres, on allait voir des films et il y avait un lien entre tout ça. Sans être en kiosque, on a tout de suite rencontré notre public. Au début, c’était 2000

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Rencontres

ou 3000 personnes. Les premiers numéros étaient vendus à la Fnac et chez des disquaires et des libraires branchés. On a pu à chaque numéro augmenter un peu le tirage et les ventes ont suivi. Christian Fevret ne s’est jamais contenté du succès. Il a toujours réinvesti l’énergie et les bénéfices qu’on tirait d’un numéro. Est-ce qu’il y avait un comité de rédaction ? Il y avait un tout petit comité de rédaction et on était d’accord sur 90% des choix. Il y avait Christian et Bruno Gaston qui est parti très vite pour faire carrière à la télé [puis à Europe1 où il est directeur des programmes depuis janvier, ndlr]. Jean-Daniel Beauvallet et les deux photographes, Renaud Monfourny et Eric Mulet, sont arrivés au bout de quatre numéros. Avec leurs beaux portraits en noir et blanc, ils ont construit les fondations de l’identité des Inrocks. L’arrivée de Beauvallet a également été très importante. Arnaud Deverre était l’homme de l’ombre qui s’occupait de toute l’intendance. Quant à moi, je suis parti travailler à Los Angeles où j’ai monté une boîte de sous-titrage de films en lien avec l’entreprise familiale [Titra, ndlr]. Pendant quelques années vous avez été le correspondant américain des Inrocks. Oui, à titre bénévole puisque j’avais un boulot et que je gagnais bien ma vie. J’ai fait des interviews et des papiers sur ce qui se passait là-bas. Je suis allé chez REM en Géorgie, j’ai rencontré Chris Isaak chez lui à San Francisco, j’ai été chez John Lee Hooker, j’ai fait des trucs mythiques, par exemple les Doors, j’ai interviewé le chanteur de Love, Arthur Lee. J’ai aussi interviewé des vieilles légendes oubliées comme Sky Saxon, le leader des Seeds, un vieux hippie qui n’est jamais redescendu de son nuage d’acide. Vous croisiez Philippe Garnier à Los Angeles ? Je l’ai appelé pour l’interviewer, mais il m’a à moitié envoyé bouler. C’est après être rentré à Paris que j’ai réussi à le faire écrire aux Inrocks. Et c’est après l’avoir payé pour écrire que j’ai fini par me lier d’amitié avec lui. Au début, on guettait la sortie des Inrockuptibles. C’était vraiment une drogue dure. Vous avez guéri de cette drogue dure ? Je suis toujours abonné mais je ne suis plus accro. Moi non plus ! Tous les anciens savent que la période la plus magique c’était les cinq à dix premières années. Un journal doit évoluer, sinon il meurt. On peut préférer qu’un journal meure sans avoir changé, ce qui a pu arriver à d’autres… Par contre, si on veut durer on est obligé d’évoluer. Tout le truc, c’est d’évoluer sans trahir son ADN d’origine. Pourquoi êtes-vous revenu en France ? Vous en aviez marre des Etats-Unis ? J’en avais un peu marre de diriger une boîte. C’était bien payé, mais je m’emmerdais. Pendant mon absence, les Inrocks ont grandi, l’association est devenue une Sàrl de presse et un jour Fevret m’a proposé de rentrer à Paris pour bosser à temps plein. J’ai bien étudié sa proposition et au bout d’un an j’ai laissé tomber la boîte familiale pour revenir.

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C’était en quelle année ? C’était en 1990. Christian Fevret dirigeait la rédaction. Beauvallet était son adjoint et le grand manitou du rock. Il y avait beaucoup plus de pigistes qu’avant et d’autres photographes commençaient à graviter autour de nous : Philippe Garcia, Patrick Messina… Christian Fevret m’a proposé de développer tout ce qui n’était pas rock. C’était exactement ce que j’avais envie de faire. À trente-et-un ans, j’avais moins envie d’être à l’affût des nouveautés. J’avais besoin de parler à des écrivains, des cinéastes… J’ai développé les pages cinéma et livres dans le mensuel de 1990 à 1995. Je n’avais qu’un quart ou un tiers de la pagination, mais j’étais très libre. C’est dans ces années-là que j’ai interviewé Cimino, De Palma… J’ai fait raconter l’histoire de Clash à Mick Jones au moment où il était avec Big Audio Dynamite. C’était à Paris et il n’avait pas de quoi payer sa piaule. C’est moi qui lui ai payé sa note d’hôtel ! Il y a aussi eu la très belle interview de Pialat… On a passé deux après-midi chez lui avec Christian Fevret. Le premier jour, on a fait quatre ou cinq heures d’interview. Quand on est arrivé le lendemain, il nous a dit qu’il avait repensé à ce qu’on avait fait la veille, que c’était nul à chier, de la merde, qu’il attendait de nous qu’on lui rentre dans le lard, qu’on soient pugnaces, qu’on ne soient pas deux fans bêlant d’admiration. Finalement, on a refait quatre heures d’interview. Il y a des moments où on se retenait de pisser de rire. Depardieu, la Nouvelle Vague, Godard, Dutronc, Huppert… il balançait vraiment sur tout le monde ! En sortant de chez lui avec Christian, on est restés une heure sur le trottoir à débriefer tout ça et à se marrer. On savait qu’on tenait une interview géniale. Là-dessus, Pialat nous envoie une lettre pour nous dire qu’il avait réfléchi, que tout ça était nul et qu’il nous interdisait de publier sans quoi il nous enverrait ses avocats… Il a fallu le travailler au corps, lui écrire et passer par sa femme pour qu’il finisse par nous donner l’autorisation. Et à l’arrivée, c’est une des interviews les plus fortes qu’on ait publiée. En 1995, les Inrocks deviennent un hebdo… Quand Christian a eu cette idée, je me suis dit qu’il était fou et qu’on n’y arriverait jamais. En passant en hebdo, il était clair qu’on deviendrait totalement pluriculturel. C’était super risqué, casse-cou économiquement et professionnellement. Mais il fallait le faire parce que la formule allait s’épuiser. On n’allait pas interviewer dix fois Morrissey ou Björk. Un hebdo c’est plus vivant, il n’y a pas que des interviews. Il y a des enquêtes, des dossiers, des portraits et on peut toucher à la politique. Le format hebdo fait qu’on colle davantage à l’actualité, à la société. J’étais persuadé qu’il fallait le faire, que c’était ça l’avenir, tout en étant angoissé à l’idée de ne pas être à la hauteur. On a eu trois mois pour préparer le projet, on a engagé du monde et petit à petit on s’est mis dans le rythme. Vous intéressiez-vous à l’aspect économique ? Longtemps je ne m’y suis pas intéressé. Même Christian ne s’intéressait pas beaucoup aux questions économiques et puis avec l’hebdo et en tant que directeur de la publication, il a fallu qu’il s’y intéresse de plus en plus. Notre économie a toujours été très fragile et on a souvent été à l’équilibre ou déficitaire. Jusqu’à la vente à Matthieu Pigasse [en 2009, ndlr], j’ai été actionnaire des Inrocks pendant vingtdeux ans sans jamais toucher un centime de dividende. Je ne dis pas ça pour me plaindre, mais parce que c’est la réalité. Il y a eu des périodes où on était en difficulté, où on perdait de l’argent et il y a aussi eu plusieurs augmentations de capital. Ce n’est pas facile de faire un


« Tout le truc, c’est d’évoluer sans trahir son ADN d’origine. » journal indépendant avec des choix plutôt minoritaires. On ne parlait pas beaucoup des films ou des disques grand public, même si parfois on parlait de gens connus qu’on avait d’ailleurs souvent découverts. Björk est un bon exemple : on a commencé à parler d’elle au moment du premier single des Sugarcubes, longtemps avant qu’elle devienne une superstar. On a fait des couvertures avec des gens connus, mais toujours parce qu’on les aimait et les respectait. En mai 1995, Michel Rocard est le premier homme politique en couverture (avec le titre « Rocard ne sera jamais Président »). Alors ça, c’est l’irruption de la politique jusque sur la couv du journal. Il y a même eu un vote de la rédaction. Ceux qui étaient pour l’évolution ont gagné contre ceux qui pensaient qu’on allait perdre notre identité… Y avait-il l’idée de mordre sur le lectorat du Nouvel Obs ? Pas vraiment parce qu’on ne faisait tout de même pas un hebdo politique ou sociétal. L’essentiel de nos papiers était plutôt “culture”. On voulait faire le journal qui corresponde à nos envies et ne pas se refuser de faire une interview de Rocard alors que l’on s’intéressait aussi à la politique et qu’on avait envie que la gauche gagne. Après Rocard, les couv “société” ou “politique” sont devenues une habitude. Le numéro “spécial sexe” est lui aussi devenu récurrent. Je n’en suis pas fou. J’y participe rarement et je les lis très peu. Ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus, mais je reconnais que c’est bien fait et je ne peux pas lutter contre les chiffres (deux fois plus de ventes qu’un numéro normal). Pourquoi n’y a-t-il plus de numéros des lecteurs ? Je ne sais pas, peut-être que ça ne marchait plus. J’aimais beaucoup les numéros des lecteurs. On voyait bien que parmi nos lecteurs, il y avait des gens qui auraient très bien pu intégrer l’équipe rédactionnelle. C’était original, ça n’avait jamais été fait. Peut-être qu’on recevait moins de propositions de lecteurs et que l’idée s’est un peu épuisée. [Il regarde notre enregistreur] C’est toujours allumé ? L’idée, c’est d’avoir la plus longue interview de Serge Kaganski jamais réalisée… Je n’en ai pas fait beaucoup, donc ce ne sera pas dur. C’est bizarre d’interviewer un spécialiste de l’interview. Y a-t-il des gens que vous n’avez pas pu rencontrer ? J’aurais bien aimé interviewer Lennon et Elvis Presley. Quelle aurait été la première question à poser à Elvis ? Je ne sais pas… Pourquoi êtes-vous mort si jeune ? Est-ce qu’un bon artiste est forcément quelqu’un d’intelligent qui a des choses à dire ? Pas forcément. Raoul Ruiz disait que Ford était un cinéaste génial, mais qu’il était complètement con. Il y a des gens qui sont bons en interviews et d’autres pas.

Comment ça se passe avec Bernard Zekri (directeur de la rédaction depuis le départ de Christian Fevret en 2010)? C’est quelqu’un de sympathique avec qui on s’entend à peu près bien. Désormais, il y a trois journaux en un. Il y a le journal des journalistes historiques des Inrocks qui regroupe tout ce qui concerne la culture. Il y a la partie politique vraiment politicienne, la vie des partis, les candidats à la présidentielle, l’UMP, le PS… C’est la partie qui m’intéresse le moins, en tout cas comme matériau de lecture. Et puis il y a les grands reportages, un peu façon Actuel, et là c’est vraiment l’apport de Bernard Zekri qui fait travailler tout un réseau de pigistes extérieurs à la rédaction. Il leur commande des reportages qu’on ne ferait pas, comme celui sur le palais de Saddam Hussein occupé par les révolutionnaires… Vous lisiez Actuel ? [Bernard Zekri a notamment été grand reporter à Actuel, ndlr] Je le lisais un peu. C’était un journal attrayant parce qu’il bouillonnait de partout, mais aussi très agaçant parce qu’il était très mode, très branchouille. Le gonzo journalisme, avec des sujets comme « j’ai passé un mois dans une tribu au fin fond de l’Himalaya » ou « j’ai pris de la coke avec les colonels de la junte au Chili », peut donner des trucs intéressants à lire mais on a toujours l’impression que c’est à moitié bidonné. Alors que le slogan des Inrocks a longtemps été « trop de couleur distrait le spectateur »… Actuel, c’était un peu trop de couleur. Il y avait tout de même quelque chose de sympathique chez eux. Ils ont fait découvrir le rap, la musique africaine… J’ai du respect pour Bizot qui a fait beaucoup pour la contre-culture et pour ouvrir les mentalités en France. La prochaine étape, c’est de faire un journal ? Je ne crois pas. La nouvelle direction veut solidifier économiquement l’hebdo et développer “la marque Inrocks” dans d’autres domaines, à la radio, à la télé… Mais je ne connais pas tous les projets, puisque je ne fais plus partie de l’équipe. Vous n’êtes plus informé ? Si, mais quand les projets sont à l’état de discussion, je pense que ça se discute entre Matthieu Pigasse, David Kessler [directeur général des Inrocks depuis 2011, ndlr] et Bernard Zekri. Ce n’est pas frustrant ? Ça l’est un petit peu, mais on a vendu. Le bébé n’est plus entre nos mains. J’écris toujours, mais je ne suis plus que salarié. Je suis au comité éditorial pour signifier que je suis quand même un des anciens et que j’ai mon mot à dire sur certains trucs, mais je ne fais plus partie du noyau décideur. ❤

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Rencontres Par Vincent Arbelet

TGV GéNéRiQ 2011 Dijon, Belfort, Montbéliard, Dole, Baume-les-Dames, Besançon, Épinal, Mulhouse, Kingersheim, Bâle et Porrentruy, décidément le festival TGV GéNéRiQ poursuit son ancrage en région, avec la même volonté d’investir les lieux insolites et de révéler les artistes de demain. Portfolio.

Cascadeur Orchestra

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Murkage

1995

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Rencontres par Adeline Pasteur photo : Nicolas Waltefaugle

Crazy Vibes Elle était là, devant nous, sa légendaire coiffure mousseuse haut perchée sur la tête. Une fraîcheur singulière enveloppait toute la pièce. Rencontre aérienne à la Rodia à Besançon avec Selah Sue, icône soul du moment.

Selah n’est pas du genre à se prendre la tête. Oui, depuis qu’on l’a rencontrée, on a juste envie de l’appeler « Selah ». En toute simplicité, tout comme elle. Elle a dérogé à sa sacro-sainte règle de limiter les promotions lors des concerts pour nous accorder tout de même quelques minutes. Selah Sue, 21 ans, petit bout de femme aux ventes d’album vertigineuses et aux rencontres spectaculaires, offre une modestie à la mesure de son succès : « Je me doute que le second album marchera moins bien que le premier, toute cette célébrité peut s’évanouir d’un coup. Je reste très terre-à-terre sur ce sujet ». Elle qui voulait étudier la psychologie semble en effet cultiver beaucoup de sagesse quant à sa notoriété grandissante. « Ce qui m’importe surtout, c’est de pouvoir faire de la musique tous les jours. C’est juste la meilleure vie que je pouvais avoir ! » Ado en rébellion contre elle-même – « j’ai eu une puberté terrible » –, Selah Sue s’est investie dans la musique et l’écriture pour soigner son âme. Elle investissait les clubs le week-end, enregistrait gentiment dans des home-studios et publiait sur myspace. Jusqu’à ce que Farhot et Patrice la repèrent, puis la produisent. « Le travail avec eux a été assez libre, et au final très simple et

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naturel. Patrice est déjà musicien, il sait à quel point on a besoin de faire ce qu’on veut ! Farhot, lui, a apporté beaucoup de beats, de parties instrumentales. » Ensemble, ils ont concocté un premier opus éponyme, que Selah Sue diffuse partout dans le monde. Un album aux ondes éclectiques, mêlant soul, hiphop et ragga. Sur scène, la jeune femme est centrée sur ses énergies. Backstage, elle envisage déjà la suite : « Ce qui est sûr, c’est que je ne peux pas attendre de travailler sur le prochain album ! Il sera plus underground, plus électronique, avec pas mal de dubstep. Je suis très impatiente, c’est un travail intense auquel j’ai déjà envie de m’atteler.» Elle qui a eu la chance de faire la première partie de Prince à Anvers, nourrit encore d’autres rêves : « J’aimerais collaborer avec des artistes comme Flying Lotus, James Blake et le label Warp... Vu mes projets et mes envies, ce serait formidable de pouvoir travailler avec eux. » En attendant, Selah reste « droit dans ses bottes », comme elle aime le dire. Ancrée dans le sol, avec un charisme aérien : peut-être la recette du succès… ❤


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© Photo : Mark Holthusen

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28 Février > 2 Mars 2012 CRÉATION

Hamlet ou La fête pendant la peste

d’après William Shakespeare Écriture et mise en scène Bertrand Sinapi Dramaturgie Emmanuel Breton et Amandine Truffy Avec Jean-Baptiste Anoumon, Marco Lorenzini, Isabelle Mazin, Christophe Odent, Valéry Plancke, Bryan Polach, Amandine Truffy Composition musicale et interprétation André Mergenthaler / Scénographie Goury / Costumes Émilie Carpentier / Lumière Clément Bonnin / Régie plateau François Paniel / Administration de production Flavia Amarrurtu / Diffusion Julie Garelli Coproduction Compagnie Pardès rimonim, Théâtre de la Manufacture, CDN de Nancy Lorraine, CCAM– scène nationale de Vandœuvrelès-Nancy Résidences de création au TGP - scène Conventionnée pour les arts de la marionnette et les formes animées à Frouard, et du TIL / théâtre ici & là de Mancieulles. Avec le soutien de l’espace BMK / théâtre du Saulcy service commun d’action culturelle de l’Université Paul Verlaine de Metz, de l’abbaye de Neumünster et de la Kulturfabrick au Luxembourg. Avec le soutien finacier de la DRAC Lorraine, de la région Lorraine, du département de la Moselle et de la ville de Metz. En partenariat avec le ministère de la culture luxembourgeois

On y entend bien la poésie de Shakespeare mais aussi celle d’Heiner Muller et une voix contemporaine... Un Hamlet moderne cherche sa place dans le monde de maintenant, un monde fini qui n’a pas besoin de lui. Comment dire l’inquiétude de la jeunesse�? ma, me, ve à 20h30, je à 19h Plein tarif 21 €, réduit 16 €, jeunes 9 €

www.theatre-manufacture.fr

Locations : Théâtre de la Manufacture - 10 rue Baron Louis, Nancy du lundi au vendredi de 12h à 19h mercredi de 10h à 19h et le samedi en période de spectacle 15h à 19h

t. bill. + 33 (0)3 87 74 16 16 www.arsenal-metz.fr

Licences d’entrepreneur du spectacle : 1-1024928 / 2-1024929 / 3-1024930

N° de licence d’entrepreneur du spectacle : 136138-139-140 ~ Conception : star★light / CHIC MEDIAS ~ Photo : ©Kim Savage

SALLE DE L’ESPLANADE - 2OHOO


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A l’ère de l’Internet, elles défilent sous nos yeux vitesse grand V et nous rapprochent toujours un peu plus de l’univers des musiciens que l’on adore. Ces vidéos sous forme de clips, de sessions ou encore de live servent les artistes et exaltent comme jamais leur musique. Coup d’œil sur la production audiovisuelle en matière de musique dans le Grand Est, excellent vivier de musiciens et de vidéastes.

Sound & Vision pAR cécile becker

Quand la musique est filmée, deux arts s’entrechoquent. Ce qui rend ce tour de maître souvent complexe. Qui n’a jamais vu un film où la musique est mal choisie ? Ou au contraire un film qui sait utiliser de manière décalée et sensible la musique ? Disons-le : c’est rare. Peu de réalisateurs ont réellement compris son usage et savent aujourd’hui la sublimer. On reparlait récemment de Godard qui, avec son One+One, construisait un triangle amoureux entre les Black Panthers, le nazisme, la pornographie et le rock incarné par les Rolling Stones. Étonnant. Le processus est tout aussi compliqué lorsqu’on parle de vidéo clips, il faut servir le propos de l’artiste et accompagner la musique pour la renforcer. Qu’est-ce que ça veut dire filmer la musique ? Tout simplement, la regarder autrement, entrer dans son intimité : son univers, sa construction, sa puissance scénique. Olivier Forest, directeur du festival Filmer la musique à Paris nous éclaire : « Il faut espérer qu’à cette question il y ait autant de réponses que de réalisateurs. Ce qui nous intéresse, ce sont toutes ces nouvelles formes qui surgissent sur Internet, avec des gens comme Vincent Moon et la Blogothèque qui se sont mis à filmer des concerts. Ce genre de formes est né grâce aux nouveaux moyens digitaux. Mais je crois que ce qui est le plus important c’est d’être animé par la passion de la musique. »

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Antevision vs Round Robin Chapet Hill // Dijon Si les réalisations de vidéos musicales sont souvent le chef de vidéastes presque autonomes, ou de collectifs, d’autres ont des profils bien différents. L’agence audiovisuelle Chapet Hill par exemple a, comme nous le confirme Mathieu Benatier, une démarche pub, mais n’échappe pas à la musique : « On conçoit le produit visuel comme un court métrage, et dans nos productions, on est bien obligé de mettre de la musique sur nos images. » Mais lorsque Round Robin (des étudiants des Beaux-Arts de Dijon) leur demandent de filmer une installation visuelle au Consortium où la musique de feu Antevision est mêlée, ils acceptent à titre gracieux. Le résultat est très léché et assez atypique : entre la captation live et le clip. Les plans du groupe qui joue sont scindés en deux, et parfois entrecoupés de curiosités visuelles. Il n’y a pas ici de propos véritable, juste un délire tout de même présenté au festival Filmer la musique l’année dernière. Si la vidéo musicale n’est pas leur spécialisation, Mathieu et ses deux collègues pourraient bien remettre le couvert avec l’artiste Christelle pour un nouveau coup d’éclat... À suivre. www.chapethill.com

Lilea Narrative, 7 ème souffle Small Studio Collectif Sofarida Studio Flying Pou7 Besançon En matière de clips, on trouve tout et n’importe quoi. Des clips construits grâce à des applications iPhone (A Place to Bury Strangers, So Far Away) ou des clips ultra simples mais efficaces (The Black Keys, Lonely Boy). Différents médiums pour des résultats tout aussi créatifs. Le groupe Lilea Narrative a choisi, lui, de réaliser un clip très visuel correspondant à son projet musical qui implique déjà deux graphistes et vidéastes en live. Pour cela, il a fait appel à trois personnes, toutes éparpillées dans différents studios. Aurélien, en charge du shooting pour Flying Pou7 explique : « Tout est parti du travail illustratif de Vincent (Small Studio) qui a imaginé avec Thomas le monteur (Sofa King) des dessins posés sur les murs d’un hangar désaffecté. Le tournage en lui-même a duré 15 jours : comme le clip est réalisé en stop motion, il nous fallait parfois une journée de travail pour une séquence de 10 secondes. » Un clip quasiment entièrement construit grâce à des photographies des peintures réalisées en direct, pour un résultat très graphique et très rythmé. baxrecords.com/lileanarrative smallstudio.fr / sofarida.com flyingpou7.com

Mouse DTC, Ouin Ouin Marianne Maric // Mulhouse Impossible de parler du nouveau clip de Mouse DTC sans parler du talent d’Audrey et Arnaud, batteur repéré aux côté d’Alain Bashung ou Daniel Darc et de leur univers fantaisiste mais sensible. Dans ce sens, le choix de Marianne Maric pour réalisatrice de Ouin Ouin est complètement justifié. Elle qui se définit comme une « petite dictatrice », à tout vouloir contrôler, baigne dans un univers très inspiré, tant par ses photographies que ses créations hallucinantes, comme ses robes réfléchissantes ou en forme d’abat-jour. Elle explique : « Dans ce clip, j’ai vraiment voulu que les images ressemblent à Mouse DTC, qu’il reflète leur intelligence et leur talent d’écriture. Je me suis référé à l’esthétique de L’Enfer de Clouzot et au film de Guy Bourdin : il y a beaucoup de couleurs, des paillettes, un petit train, un éventail fourchette, de très beaux bonnets brodés et beaucoup de vêtements à moi. » Comme souvent, le clip a été réalisé avec un budget 0 : grâce à l’implication d’amis qui ont fourni objets et bonne humeur. On y voit par exemple apparaître des Mousettes, amies de Marianne, qui préfère se tourner vers ses connaissances autant pour ses photographies que pour ses vidéos. Le résultat détonne. On y aperçoit

Mouse DTC, Ouin Ouin - ©Marianne Maric

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Colt Silvers, Hide & Seek - ©Cécile Becker

Audrey en prêtresse délirante, la langue d’Arnaud léchant goulûment des patins à glace, le tout apparaissant comme des flashs subliminaux : « Il y a des plans que j’aime beaucoup, comme celui du petit train. Je suis assez contente des lumières... Le collectif Pleix m’a filé un coup de main sur des petites retouches, et les conseils de Renaud Ruhlmann m’ont été très précieux. » Après trois bonnes journées de tournage à l’espace Tival à Kingersheim, 5 jours de montage ont été nécessaires afin d’être précis dans les coupes puisqu’aucun effet de transition n’a été ajouté. Un perfectionnisme oui, mais un perfectionnisme illuminé pour un clip très singulier. Super ! mariannemaric.tumblr.com mousedtc.com Sessions et Clips Loïc Robine // Strasbourg Loïc Robine a un parcours assez atypique : d’étudiant en sciences, il passe au cinéma pour faire un tour par l’atelier des Arts Déco et finir par filmer des opérations chirurgicales... Mais la musique le taraude depuis longtemps. Alors après avoir participé à l’élaboration de programmes culturels, il s’acoquine en 2004 avec le label Herzfeld et sort des captations live (dont Saisons, filmé dans l’ex espace de la galerie Stimultania) et ses fameuses Downtown sessions où il

filme les enregistrements des groupes. C’est d’ailleurs pendant l’enregistrement du prochain album du Herzfeld Orchestra que nous le rencontrons, il explique : « Si je préfère le processus de montage au tournage, ces moments en studio sont idéals pour filmer des regards, une certaine complicité. Je trouve ça intéressant de filmer un instant auquel le public n’a pas accès. L’idée c’est de ne jamais écouter le morceau en entier, mais de le distinguer par bribes. » Lorsqu’il réalise des clips, il laisse parler les envies des artistes. Ses deux derniers clips Going Digital et Milky Way ont été réalisés en collaboration avec Luneville : « C’est souvent Renaud, la tête pensante de Luneville, qui donne l’impulsion, j’essaye d’adapter tout ça avec mes moyens : Going Digital a été filmé à l’aide d’une Game Boy pour un effet très vintage, c’est ce qu’il voulait. Quant à Milky Way, on a vraiment voulu ce côté télé des années 80 ». Le clip a été tourné au Hall des Chars, métamorphosé pour l’occasion, à l’aide de trois vieilles caméras de plateaux. Un bijou rétro. Si les clips de Loïc Robine reposent souvent sur des playbacks, où l’on voit le groupe jouer, il aimerait tenter des expériences plus expérimentales. Quelques idées de futurs partenariats traînent dans ses tiroirs, il faudra là, chercher du côté du label Herzfeld... vimeo.com/channels/videographique vimeo.com/hrzfld/videos

Colt Sivers, Hide & Seek La Cité de la Prod // Strasbourg Après le tournage de Find My Place des Plus Guest, le label Deaf Rock et le collectif La Cité de la Prod renouvellent leur collaboration sur la chanson Hide & Seek (cache-cache en français) des Colt Silvers qui laisse entrevoir un retour du groupe avec un album plus brut. À l’approche de l’hiver, ils tournaient le clip dans le paysage haut-rhinois entre forêt et ancienne mine de potasse, dans lequel je m’improvisais figurante. Tous attifés d’une bande noire sur les yeux et habillés de la même couleur, nous avions débuté le tournage dans une usine désaffectée où étaient rangés de vieux bus. Sans connaître la finalité du clip, nous, les figurants, restions immobiles à fixer le groupe interprétant sa chanson, pour certains durant des heures. Stylisme, maquillage, catering, le clip financé avec très peu de moyens était réglé comme du papier à musique. Le lendemain, même rengaine, avec cette fois, une bande blanche et un lieu différent : une forêt. Nous n’avions à l’époque, aucun indice sur ce que pourrait être le clip, mais attendions, disciplinés notre tour pour ouvrir et fermer les yeux sur une musique ralentie, un processus pour embellir les images. À quelques jours de la mise en ligne, j’ai donc retrouvé Robin Pfrimmer s’improvisant porte-parole de ce jeune collectif audiovisuel qu’est la Cité de la Prod où huit jeunes talents officient. Là, tout s’est éclairci : « On a décidé de laisser le choix aux gens de se cacher dans la forêt ou dans l’entrepôt. Pendant le visionnage, s’ils passent la souris sur l’écran, l’ambiance peut changer. Il

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Manuel Etienne, Vague à l’Âme - ©Olivier Ramberti

y a un gros travail de montage pour que les images forêt/ entrepôt correspondent à l’image près, mais aussi de programmation. » Un scénario compliqué élaboré avec le groupe, qui a engendré une belle émulation humaine et de réelles prouesses techniques. Robin explique : « On n’a pas l’impression de faire des trucs fous, on essaye juste de faire des clips qui parlent aux gens en revendiquant un côté très créatif. » Sur Hide & Seek, l’univers est assez onirique et l’ambiance, très étrange, participe à la photographie très léchée du clip. Un tour de force qui confirme la professionnalisation du collectif mais aussi l’évolution de l’univers des Colt Silvers. hide-and-seek.fr lacitedelaprod.com deafrockrecords.com/artists/colt-silvers

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Projets multiples Olivier Ramberti // Strasbourg Instituteur et vidéaste passionné, Olivier Ramberti est fin cinéphile et amoureux de musique punk et new wave. Figure discrète de la famille Herzfeld, il réalise des vidéos musicales depuis près de 20 ans. « J’ai fait un documentaire à l’époque : l’univers étrange d’un vigneron en hiver, avec une bande son expérimentale, un clip d’un groupe à Nancy, The Words, et au culot avec un copain, on s’est glissé dans la loge de Joe Strummer pour le filmer. » De vieux souvenirs participant à la fascination adolescente d’un univers rock’n’roll : « Ce qui me plaît, c’est cette attitude rebelle, le côté puissant un peu phénoménal qui s’en dégage, ce sont des lumières qui clignotent, quelque chose qu’on ne peut pas attraper. » C’est cette essence qu’il essaye de capter. Quand il filme, il n’y a pas forcément de logique, il « creuse » un univers fantastique assez intuitivement et le nourrit de fragments de réel. Il écrit peu et préfère se reposer sur la spontanéité d’un plateau. Son moteur ? Ses rencontres. Une réelle amitié pour les musiciens qu’il met en image : « Ils me laissent tous carte blanche, les Crocodiles m’ont accordé une confiance totale,

ça a été une chance. Manuel Étienne, quant à lui, se sent touché par mes images. Il m’a dit que mes films agrandissaient son univers. Un beau compliment. Mais je me sens amateur, je ne fais pas des clips pour prouver aux gens que je peux faire un long métrage. » De WWTMCT des Crocodiles, à leur Dark Passenger, en passant par le live épileptique des Hermetic Delight, au dernier Alimentation Fantôme de Manuel Etienne, Olivier Ramberti dit se placer en contemplateur, à la manière d’un Fellini, ou d’un Antonioni, premiers noms d’une longue liste de réalisateurs qu’il admire : « C’est souvent le morceau qui m’emporte, j’ai l’impression d’être un petit illustrateur. Ces musiques sont à la base un formidable compost d’idées, il faut les laisser parler.» Un côté très poétique, mais aussi léger, d’où son attachement à travailler presque en toute intimité. Les prochains sur sa liste privilégiée : Second of June pour qui deux clips se terminent déjà. Une passion sans bornes pour la musique. vimeo.com/user862344


HORACE ANDY & THE HOMEGROWN BAND, en concert le 24 mars au Noumatrouff, à Mulhouse noumatrouff.fr

Mek dem shine ! pAR Emmanuel Abela

Pour beaucoup, il reste l’un des featurings de Massive Attack, et pourtant Horace Andy est bien plus : il est l’une des plus belles voix de la musique jamaïcaine. En cela, chacune de ses apparitions constitue un événement en soi.

Ses capacités vocales ont sidéré jusqu’au grand Clement Seymour Dodd, alias Sir Coxsone, le célèbre producteur et fondateur du célèbre Studio One à Kingston, en Jamaïque. Dès qu’il entend le jeune Horace Hinds à l’occasion d’une audition dominicale, il rebaptise ce dernier “Andy” en hommage à Bob Andy, songwriter pionnier et auteur avec The Paragons de quelques standards reggae dans les années 60. Horace Andy, surnommé Sleepy pour sa capacité à s’endormir à peu près n’importe où et n’importe quand, fait ses grands débuts en 1972 avec un classique du genre, le magnifique Skylarking. Dès lors, l’influence du sublime falsetto, qu’il façonne aux côtés de chanteurs tels que Alton Ellis, Leroy Sibbles ou Cedric Brooks, s’avère essentielle sur cette branche du reggae qui fait la jonction avec la soul américaine. Ses reprises de certains hits, le fameux Ain’t No Sunshine de Bill Withers par exemple, situent clairement cette filiation suprême. Mais ce qui surprend chez lui plus que chez tout autre, c’est cette manière unique de combiner la mélodie à des effets dub qui renforcent l’émotion presque féminine qu’on rencontre chez Susan Cadogan, parmi ses disciples les plus ferventes. Il suffit d’écouter le traitement qu’il réserve à certains de ses hits, Lonely Woman ou Money Money, avec l’apport d’illustres laborantins en studio, King Tubby notamment, pour mesurer cette dimensioxn pionnière qui contribue largement à la reconnaissance woldwide du dub vocal comme un genre à part entière. Après son déménagement

à Londres en 1985 et sa signature chez Rough Trade, la voie est ouverte à d’autres contributions. Dès 1990, les Bristoliens de Massive Attack le sollicitent pour une première contribution qui en appelle d’autres : Horace Andy apparaît sur pas moins de quatre albums de la célèbre formation trip hop. La version qu’ils interprètent ensemble sur Mezzanine de Man Next Door des Paragons, réduite à

sa plus simple expression ambient-dub, reste aujourd’hui encore un modèle du genre et boucle d’une certaine manière la boucle, dans la mesure où elle retourne à la source mais aussi et surtout permet à des générations entières de redécouvrir un background légendaire. Aujourd’hui, s’il surfe sur la vague du succès de Massive Attack, ses apparitions scéniques en solo révèlent un univers propre construit sur la base d’une foi indéfectible en l’homme. i

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Fránçois & The Atlas Mountains, en concert le 23 mars à La Vapeur, à Dijon et le 24 mars, à la Laiterie, à Strasbourg. www.francoisandtheatlasmountains.com

Écouter Fránçois & The Atlas Mountains c’est d’abord se retrouver baigné dans l’univers aquatique rassurant de Plaine inondable puis dans un rêve impalpable teinté de pop sensuelle et d’exotisme délicat avec E Volo Love, toujours en apnée.

Dans les profondeurs pAR Cécile Becker

pHOTO L. Pertsowsky

jamais quitté Paris mais il écrivait sur les bateaux qui voyageaient en Afrique, sur l’amour indigène. De quels artistes vous sentez-vous le plus proche ? Julien Gracq par exemple, j’ai vraiment l’impression d’être très proche du locuteur. Et en musique, je me retrouve beaucoup dans les chansons de Christophe.

François Marry s’aventure autant en son propre intérieur, que vers ces contrées qui l’inspirent faites de rencontres et de lectures. Installé en Angleterre il y a quelques années, il a tapé dans l’œil du label Domino et n’en finit plus d’évoluer au gré de ses sensibilités. Sur les routes, il attaque ces jours-ci « le côté clair de la force », entendez une série de concerts à travers l’Europe et trouve le temps de répondre à nos questions par téléphone, en fond sonore : des voix, des percussions... Quelque part dans l’ailleurs.

L’artiste doit-il être voyageur pour se construire ? Je pense qu’il y a plein d’artistes qui s’enrichissent de ce qu’ils ont sous la main. Moi-même, je me contente très souvent de ce que j’ai autour de moi. Si je dois attendre à la gare, qu’il y a un coucher de soleil qui traverse la gare, ça me suffit. En revanche, ce que j’aime dans le voyage c’est le fait de disparaître en tant qu’individu, d’être plus réceptif. Ce sont des expériences qui me permettent d’être moins obnubilé par mes soucis et mes inquiétudes. Qu’est-ce qui vous touche dans l’exotisme ? La notion de rêve. Je parle souvent des orientalistes du XIXe siècle, des peintres comme Delacroix ou des musiciens comme Satie. Le rêve en fait, c’est de vouloir trouver mieux. Baudelaire écrivait beaucoup sur ce rêve d’exotisme, il n’a

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Vous avez développé une sensibilité pop, pas nécessairement présente à vos débuts... Depuis cinq ans j’écoute beaucoup plus de pop. Récemment, j’ai trouvé que Prince ou Kate Bush ont un réel fond artistique de recherche et d’expérimentation qui m’inspire beaucoup. On peut faire des chansons très populaires, à la fois très novatrices. Je trouve ça dans le R’n’B, comme chez The Weekend ou The Dream, ils apportent vraiment quelque chose de nouveau. Lors de l’enregistrement d’E Volo Love, il vous restait des morceaux, qu’allez-vous en faire ? Il y a certaines choses qui vont être un bon pied à l’étrier pour ce que je vais vouloir faire sur le prochain album, qui va être plus expérimental au niveau des rythmes et au niveau des sonorités. Je vais essayer de trouver une balance entre les sonorités synthétiques et un truc très brut et très vivant, voilà c’est la manière dont je peux le décrire pour l’instant. i


Jonathan Wilson, en concert le 10 février à la Laiterie, à Strasbourg www.laiterie.artefact.org

Gentleman lover pAR Emmanuel Abela

Il est parfois désigné comme l’artiste le plus accompli de sa génération : sa maturité lui permet de faire la synthèse entre le folk-rock californien et des inspirations jazz plus personnelles. Échange par mail à l’occasion de sa tournée européenne.

Par le passé, Allen Ginsberg utilisait le mot français “candeur” pour expliquer une attitude qui conduit à conserver une forme d’innocence. Est-ce cette attitude à laquelle vous nous invitez avec le titre de votre album, Gentle Spirit ? O ui, l’inno cence , m ais au s s i l a patience, l’amour, un esprit positif et tous ces éléments dont le monde a besoin aujourd’hui plus que jamais ! Vos chansons sont très mélancoliques, mais n’expriment aucune forme de désespoir… Je ne désespère pas, bien au contraire. Je suis quelqu’un de jovial. Aussi bien dans ma carrière musicale qu’au quotidien, je croise les gens les plus incroyables. C’est comme un cadeau que me réserve la vie. Après, les chansons que j’aime contiennent toujours cette cadence empreinte de tristesse, cette beauté mélancolique. Je dois bien admettre que j’aime ce son. Vous vivez à Laurel Canyon, ce quartier de Los Angeles célèbre pour son histoire musicale. Vous sentez-vous redevable des artistes d’exception qui ont habité là, David Crosby, Arthur Lee, Jim Morrison ou Frank Zappa ? Je ne me sens pas plus redevable que je ne me sens un devoir de continuer à jouer la musique de l’humanité, avec des guitares, une basse, une batterie, un piano, un orgue Hammond et une voix. Je veux jouer la

musique qui ferait que tous les artistes que vous avez mentionnés auraient du plaisir à l’écouter, autant que moi-même j’ai aimé écouter leur musique. Vous vous inscrivez dans la tradition folk-rock, mais de manière très évidente votre approche de la pop semble influencée par un modèle, celui du regretté Elliott Smith. Je confirme que j’aime la musique d’Elliott Smith ; ses harmonies vocales étaient parmi les plus belles jamais construites. J’étais à Pasadena, et je parlais à Roy Harper de la chanson Rose Parade. Il me répondait qu’il avait lui-même suivi la carrière d’Elliott et qu’il restait sidéré par les sommets qu’elle pouvait atteindre. Alors qu’on puisse régulièrement me poser la question ne me gêne en aucune façon. Aujourd’hui encore, je reste inconsolable de sa disparition.

Sur Gentle Spirit, on peut entendre un Mellotron. Il paraît que vous possédez vous-même des exemplaires de cet instrument très rare. Oui, j’en possède deux, un original M400 de 1970 et le nouveau Mellotron M4000. Cet instrument est la première forme du sampler, avec lequel on peut jouer des échantillons de sons préenregistrés, des cordes, des flutes, des chœurs. C’est un instrument très expressif, qui permet de composer des choses magnifiques. Sur les photos du garage dans lequel vous jouez, on peut distinguer une Chevy Camaro. Il se dit que l’acteur Charlie Sheen vous a offert cette voiture… Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de mon ami Cameron Shayne. Charlie était un fan de Muscadine, mon premier groupe, donc d’emblée nous nous sommes entendus à la perfection. Les derniers temps, j’ai passé beaucoup de bons moments avec lui : c’est un gars très amusant et excessivement généreux. Pour moi, c’est très excitant de le côtoyer… i

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IMAGES D’ALGÉRIE DE PIERRE BOURDIEU, exposition jusqu’au 12 février à la galerie Stimultania, à Strasbourg www.stimultania.org

PIERRE BOURDIEU, UN REGARD AU PRÉSENT L’exposition Images d’Algérie rassemble cent cinquante photographies du pays en temps de guerre prises par Pierre Bourdieu entre 1958 et 1961. Le regard du sociologue a davantage figé la vie courante, les habitants, que des images d’une guerre qui ne constitue ici qu’une toile de fond. Pour novo, un groupe d’étudiants en master critique a constitué un dossier complet. DOSSIER CONSTITUÉ PAR le groupe Master Critique 1 & 2 de l’Université de Strasbourg

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Blida, N 24/465 © Pierre Bourdieu / Fondation Pierre Bourdieu, Saint-Gall. Courtesy : Camera Austria, Graz


Alain Kaiser : Nous l’avons reçue très positivement et de manière assez enthousiaste. Bourdieu a écrit sur la photographie, mais il n’était pas photographe. Cela devenait alors pour Stimultania un pari très intéressant. Quel est votre avis sur ce type d’exposition « clés en main », dont la scénographie a été codifiée au millimètre près par les commissaires de la galerie Camera Austria et de la Fondation Pierre Bourdieu ? C .D. : Nous n’étions pas tous convaincus au départ. Il est rare que le commissariat soit fait par des gens extérieurs. Pierre Bourdieu et Norbert Ghisoland [l’exposition qui débute le 16 mars, ndlr] sont les deux exceptions qui confirment la règle. Même s’il s’agit d’une exposition documentaire, la condition sine qua non pour nous est que notre travail de mise en espace en facilite l’approche. En repensant l’accrochage, la déambulation dans les pièces, en ajoutant la frise historique et le son, le GPP s’est engagé à apporter la patte de Stimultania. A .K . : C ’est un gros risque pour Stimultania, mais on est extrêmement content de pouvoir proposer cette exposition parce qu’on sait qu’on livre un produit fini au public, qui va le juger, sans que nous l’ayons conduit dans telle ou telle direction de lecture. Cette exposition est une curiosité intellectuelle et visuelle évidente, ce qui, je crois, participe à l’idée que Stimultania se fait de son rôle : amener les gens à voir les choses autrement en les laissant libres d’aimer ou non. Stimultania n’a de cesse d’étonner ! L’exposition Images d’Algérie de Pierre B ourdieu constitue un choix bien singulier pour l’association qui présente habituellement de la photographie plasticienne et non documentaire. Un échange avec Céline Duval, présidente de Stimultania et Alain Kaiser, membre d u Gro u p e P ro p o s i t i o n P h o to e n charge d’organiser la programmation photographique, nous permet de mieux comprendre cette décision.

Qu’avez-vous pensé en recevant la proposition qui vous a été faite par l’Université ? Céline Duval : Nous avons été un peu sur pris par cette proposition. Généralement, on ne montre pas de photographie documentaire mais les travaux de photographes qui ont une démarche d’auteur. Cette exposition était une sorte d’engagement et même si toutes les images sont celles d’un sociologue avec la distance du sociologue, ça reste un travail qui rencontre un écho très fort aujourd’hui. Le bilan à mi-parcours est positif : un nouveau public découvre Stimultania et les partenariats font grandir la structure.

Bourdieu ne se considérait pas comme un photographe. Alain Kaiser, en tant que photo-reporter, comment vous positionnez-vous vis-à-vis de cette démarche ? A.K. : Bourdieu était un sociologue qui faisait de la photographie. Il prenait de la distance par rapport à tout, c’est là qu’on voit la différence entre un reporter et lui : il est toujours resté au seuil de ses images. Moi-même, j’ai voyagé en Algérie. Je ne me sens pas proche de sa démarche, mais plutôt en empathie avec cette culture. Ce sont des images qui deviennent exotiques par leur sujet et non leur approche.

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Les autres structures qui accueillent cette exposition sont-elles plus en lien avec l’histoire qu’avec l’art ? C.D. : La première était à l’Institut du Monde Arabe, une structure en lien avec l’art et l’histoire. Beaucoup de galeries ont accueilli l’exposition avant Stimultania. Néanmoins, je pense que l’on se situe dans une démarche qui reste innovatrice par la mise en son des textes de Bourdieu. Si nous arrivons à convaincre le Musée du Jeu de Paume de présenter en juin prochain les enregistrements, l’exposition va continuer sa vie un petit peu différemment. C’est important pour nous d’apporter notre propre expertise car cette exposition tourne dans le monde entier depuis bientôt dix ans. Est-ce que l’exposition marque le début d’un élargissement du programme de Stimultania à des thématiques plus historiques ? C.D. : Non, depuis le début, le fait d’être à cinq dans le GPP implique une programmation éclectique malgré une sensibilité similaire. On cherche avant tout à surprendre le spectateur à chaque entrée dans la galerie ! i PROPOS RECUEILLIS PAR Anne Guldner, Lisa Cartus, Nadège Peter & Marion Hulot

« À la lumière un point rose dans le ciel. Une porte m’est ouverte, je rentre. Je ne suis pas seule, des gens m’accompagnent à l’intérieur des images. Je me retourne et je m’aperçois que j’ai commencé la visite à l’envers. Je m’avance, c’est maintenant la couleur rouge qui m’interpelle. Des mots. Je m’approche. 150 clichés présentent le travail et les recherches du sociologue Pierre Bourdieu. On avait l’habitude de le lire et parfois de l’entendre, la galerie Stimultania nous le montre. Ces photographies représentent l’existence d’un temps absent. Eteinte, la vision des curieux s’éclaire. Pierre Bourdieu ne cherchait pas à illustrer, mais bien à prolonger son expérience sociologique. Il partage ce savoir aujourd’hui. L’opportunité d’en apprendre un peu plus sur lui et ses recherches est là, juste derrière une porte et deux sourires. » Julie Noël

Sans titre, N 39/188 © Pierre Bourdieu / Fondation Pierre Bourdieu, Saint-Gall. Courtesy : Camera Austria, Graz Cheraïa. Centre de regroupement en construction, N 85/766. (Couverture du livre : Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris 1964) © Pierre Bourdieu / Fondation Pierre Bourdieu, Saint-Gall. Courtesy : Camera Austria, Graz.

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Qu’éprouve le public algérien devant les images de Pierre Bourdieu ? Quelle mémoire de cette Algérie reste-t-il auprès des jeunes générations ? Hamdi Bachtli, 24 ans, titulaire d’un master en droit des marchés publics et assistant de justice au tribunal administratif de Strasbourg, suit la visite et nous livre un nouveau regard sur l’exposition. « Cela me rappelle l’Algérie… » affirme Hamdi Bachtli au premier regard. Issu d’une famille originaire des Aurès, ses parents ont longtemps été partagés entre l’Algérie et la France. Son père, après plusieurs allerretours entre les deux pays, s’installa en France avec son épouse dans les années 1970. Le reste de sa famille vivant encore en Algérie, Hamdi Bachtli y a passé de nombreux moments depuis son plus jeune âge, il y retourne encore régulièrement – son prochain voyage est prévu pour le mois d’avril – et entretient une relation très forte avec son pays d’origine. Alors qu’« une partie des jeunes issus de l’immigration, ne portent pas de réelle attention à leur histoire », Hamdi Bachtli témoigne, quant à lui, d’un intérêt tout particulier pour ses racines. Mais cette démarche lui est personnelle et ses recherches et questionnements, n’ont pas trouvé de véritables réponses auprès de ses proches qui, jamais, ne s’expriment

en profondeur. « Mes parents ont beaucoup de mal à en parler. Mes deux grands-pères sont morts pendant la guerre d’Algérie. C’est un sujet meurtri, à peine digéré. On parle de ce qui se passe en Algérie mais il y a une retenue et une certaine tension. En Algérie, on a pris l’habitude de peu parler, de peu s’engager. » Comme le précise l’écrivain algérien Mustapha Benfodil, « les récits des personnes que j’interroge laissent toujours des blancs, des incompréhensions, qu’il s’agisse de récits personnels ou de récits collectifs ». Autant dire que la guerre d’Algérie reste, encore aujourd’hui, un sujet délicat, particulièrement difficile à aborder. La guerre coloniale n’est représentée qu’en creux dans les photographies de Pierre Bourdieu, elle est symbolisée par des regards, des visages, des attitudes, des personnes à la charnière entre Orient et Occident, entre tradition et modernié. Hamdi Bachtli perçoit ces images comme

des scènes de la vie courante, des instants de vie qui auraient pu être captés il y a dix ans encore. « Ces images, je les ais vues », dit-il ; elles sont comme des souvenirs de l’Algérie de son enfance, d’une Algérie qui n’existe plus aujourd’hui, en pleine urbanisation. « On ne retrouve plus ces petites scènes de la vie quotidienne, le calme de la ville a fait place à un mouvement urbain constant, proche de celui de la vie parisienne. Le photographe aurait eu plus de mal à capter ces moments aujourd’hui, car l’Algérie est un pays qui bouge beaucoup, une ville qui change et se transforme au quotidien ». Les photographies de Pierre Bourdieu remémorent un passé maintenant révolu, mais elles constituent des images de mémoire : mémoire d’un mode de vie, mémoire d’une époque, mémoire « de toutes ces petits riens qui font ce qu’elle était », et qui vont bien au-delà du contexte de la guerre. « Ce sont ces images de l’Algérie que l’on a envie de garder », nous dit-il. Des images que l’on a envie de transmettre. i

Si les photographies de Pierre Bourdieu peuvent être perçues comme des témoignages couvrant les années de la guerre en Algérie, le cinéma fictionnel français a également un rôle à jouer. Souvent censuré, il n’en rend que plus vivant une période encore passée sous silence.

Certains restèrent à l’état de scénario. Comme Pierre Bourdieu qui photographiait à hauteur de poitrine, sans regarder dans l’objectif, les cinéastes furent obligés de ruser. La guerre est ainsi évoquée de manière indirecte dans plusieurs films français dont Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda. L’État français commanda ensuite des courts métrages fictionnels en arabe, pour favoriser les relations entre Algériens et Pieds Noirs, mais achevés après la déclaration d’indépendance, ils n’eurent aucun effet. Puis, portés par le vent de Mai 68, de nombreux films se concrétisèrent dès le début des années 70. On y trouve de longs métrages essentiels et accusateurs, tels qu’Avoir 20 ans dans les Aurès (René Vautier, 1971), R.A.S. (Yves Boisset, 1973) et La question (Laurent Heynemann, 1977). Ces projets eurent également du mal à se monter. Le Ministre de la Défense fit pression sur les loueurs de matériels militaires afin qu’Yves Boisset ne puisse y accéder, le contraignant à les chercher en Belgique. Plusieurs films s’emparent du sujet avec ce qu’il contient de violence et

semblent donc se placer à l’opposé de la photographie de Pierre Bourdieu. Il existe néanmoins des similitudes. Si R.A.S. et Avoir 20 ans… se situent dans la continuité du film de soldat, ils revêtent un aspect humaniste. En s’intéressant plus à la vie et aux motivations des personnages principaux qu’aux combats, ils livrent un réquisitoire d’autant plus fort qu’ils se basent sur des faits réels. Ils pourraient ainsi constituer une prolongation engagée du travail sociologique du photographe. Dès 2000, le sujet fut traité plus ouvertement, avec des motivations historiques. Des films comme La trahison (Philippe Faucon, 2005) permirent de montrer la cohabitation entre les soldats en garnison et les habitants de villages, mettant également à jour les délocalisations forcées. Ces films constituent un complément non négligeable sur la période 54-62 dont on ne parle que très peu, et l’on ne peut que déplorer la difficulté à les trouver tous. i

L’Algérie a souvent été mêlée au cinéma français. Premièrement, les films de propagande, vantant son appartenance à la France se changèrent peu à peu en fictions, afin de toucher une plus large audience. Lors de la guerre, plusieurs réalisateurs français ont tenté de monter des films en relation avec cette actualité brûlante. Ils se heurtèrent à la censure française qui en a interdit la sortie, comme Le petit soldat de Godard, ou empêcha leur production.

PROPOS RECUEILLIS PAR Claire Kueny, Hélène Grandemange et Perrine Schalck

PAR Cécilia Meola ET Guillaume Limatola

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Aucun détour ne ment de Guillaume Chauvin et Rémi Hubert éditions Allia.

L’art du détour pAR Claire Audhuy & Baptiste Cogitore ILLUSTRATIONs : Sherley Freudenreich

Lauréats du Grand prix de photojournalisme organisé par Paris Match en 2009, Guillaume Chauvin et Rémi Hubert (GCRH) avaient dévoilé la supercherie devant leur jury : « Mention rien », leur travail photographique sur la précarité étudiante était une mise en scène volontairement racoleuse. Avec Aucun détour ne ment, ils dépassent la facétie. Particularité de l’ouvrage : il est écrit avec les mots des autres.

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Ouf ! Pas facile à lire, votre bouquin… On y trouve à boire et à manger, tout et n’importe qui. Ce melting-pot de références « culturelles » et de citations fait tout d’abord penser davantage à un jeu qu’à un réel essai. Comment est née l’idée du détournement ? « Le mal du siècle prochain, disait Henry Ford, sera d’avoir séparé loisir et travail ». On oppose aujourd’hui le jeu à l’essai, les vacances au travail et l’humour au politique. Le détournement permettait tout cela à la fois. Mais ce livre n’est malheureusement pas le fruit d’un jeu. Il se fonde sur un malaise contemporain assez occidental : l’hypocrisie. Si c’est donc un jeu, c’est au sens cruel et insouciant, comme des enfants avec un chien qui boite. Les seuls jeux dans ce livre sont de mots. Le projet initial était celui de notre éditeur, Gérard Berréby. Il nous a proposé, connaissant notre ancienne action artistique Paris Match, de faire avec les mots ce que nous avions fait avec les images. L’objet a ensuite dérivé et évolué de lui-même vers sa forme littéraire actuelle : un essai tendant vers le manifeste – ou inversement.


« Allons-y enfants plutôt en / révélateurs et fixateurs / d’une langue dont la / syntaxe est l’ensemble des détours nécessaires /, un / fruit défendu / par la plume d’une souris sans fil, genre / balle dans le combat / d’un / grand détournement / d’Adolf à Zebda. / » Aucun détour ne ment, p. 18 (Louis Daguerre, Gilles Deleuze, Moïse, Michel Hazanavicius & Dominique Mézerette)

Ou un pamphlet poétique dirigé contre tout un système : celui de la production d’images dans le seul objectif de leur consommation ? Oui, entre autres. À la fin de l’ouvrage, nous pointons du doigt les consommateurs. Car comme dans le livre, on évolue dans un système fermé, un cycle du producteur au consommateur. Chacun a sa traduction des informations qu’il interprète. C’est d’ailleurs amusant de voir comme les lecteurs s’approprient ce texte ! Une tante bien pensante y a vu un pamphlet contre les « dirigeants », une amie des Droits de l’Homme contre les consommateurs mêmes, et vous contre la production d’images. L’image produite par les mots serait donc aussi sujette à la subjectivité du lecteur qu’une photographie d’information... En fait, il n’y a pas d’ennemi précis : l’ennemi, c’est tous et c’est chacun. Convoquer tant d’auteurs différents, c’est une manière de disparaître derrière leurs propos ou une manière de signifier : « tout a déjà été dit/ écrit » sur le sujet qui vous occupe ? Tout n’a pas été dit, car avant sa publication, notre livre n’avait encore été écrit par personne, jamais, ce qui est aussi une des

raisons de son écriture. Ou alors, il existait seulement dans La Bibliothèque de Babel de Borges, à la cote TEENS.18+. Si nous avions voulu disparaître, nous n’aurions fait que citer, de même si tout avait été dit. Ce livre s’est écrit sur un vocabulaire contemporain, une langue disgracieuse et imagée, construite sur un humus intellectuel commun à tous. L’association de ces « auteurs » et de leurs formules est jubilatoire, mais n’est-il pas oiseux de citer pêle-mêle Chomsky et Pétain, ou Albert Camus et Oncle Ben’s ? Il n’y a aucun intérêt littéraire à ce que l’un soit prix Nobel et l’autre icône du riz qui ne colle pas. On les a tous rabotés au même niveau. D’autant que notre priorité n’a pas été de trier les auteurs cités, mais leurs citations. Leur association est donc fortuite. L’important est la digestion progressive de notre livre ; ne pas s’arrêter à tout ce qui est « lol », mais plutôt exiger plus, et le mériter. « Vérité et mensonge ne s’opposent pas plus que luxure et chasteté », disait Nietzsche (Par delà bien et mal). Dans le détour, Chomsky rejoint Pétain pour une même cause : la nôtre. Libre aux lecteurs d’y voir symboles ou futilités.

Passer par ce collage textuel, ce nivellement systématique, c’est une manière de renforcer votre critique contre les médias et s’inscrire en faux contre l’ « objectivité » dont parle Godard : « Cinq minutes pour les Juifs, cinq minutes pour Hitler » ? Oui, il y a de ça. Mais je vais plutôt dans le sens de cette phrase résignée de Godard. Je confirme sa justesse fataliste. On a tenté de la mettre en œuvre littérairement, pour l’occasion. Malheureusement, l’intérêt littéraire de cet ouvrage est souvent relégué au second plan, derrière notre action artistique chez Match, car moins spectaculaire. C’est ainsi. Nous découvrons d’autres réalités. Je n’ai pas réussi à compter le nombre d’ « auteurs » que vous avez convoqués : 350-400 ? Cent mille. C’est peut-être le nombre le plus proche. Tous les nôtres ont été influencés par tous les autres. Les autres se sont trouvé avoir dit les mêmes choses que nous. Avant nous. i

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Libertaire en liberté Portrait de Gérard Béréby, fondateur et directeur des Éditions Allia

Originaire de Tunisie, Gérard Béréby débarque à quinze ans en France avec ses cinq frères et sœurs. Enfant, il fait les quatre cents coups et refuse de poursuivre des études. Son premier livre, il ne l’a lu qu’à 19 ans. Amateur de boxe, éditeur à plein temps, auteur à ses heures, il a notamment écrit Stations des Profondeurs, un recueil de poèmes (publié chez Allia). Il est aussi photographe et réalise des collages plastiques. En 1982 (il a 32 ans), il fonde les Éditions Allia, mais ne s’y « met sérieusement » que dix ans plus tard. Depuis 1995, il se consacre entièrement à cette aventure. Ayant appris sur le tas, il multiplie les titres et les tirages. Sa petite entreprise emploie à ce jour quatre salariés. Tout y est fait en interne, avec « des bouts de ficelle » dit-il, mais une grande rigueur et une passion partagée. Avec leurs livres à petits prix, les Éditions Allia ont su convaincre, au fil du temps, les lecteurs. Et de s’installer désormais confortablement dans le paysage éditorial français. Audacieux, sûr de ses choix, le « Grand Chef » d’Allia n’est pas du genre a faire des concessions. Discussion sans tabou, avec celui qui aurait aimé être gangster s’il n’avait pas choisi le monde du livre.

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Une maison d’éditions est-elle un moyen de défendre le patrimoine ? Je dirais d’abord que cela n’a rien à voir avec le patrimoine. Or, le patrimoine est aujourd’hui dans un état de réelle déliquescence : il y a une réelle démission. On est alors obligés de devenir conservateur à la place des conservateurs, pour protéger la langue, le sens, les mots, assurer une certaine transmission. Nous avons des rôles presque contre-nature. J’ai été boxeur plus jeune. J’accepte le combat que tout cela représente maintenant d’être éditeur. Il faut sortir de sa propre intériorité, s’ouvrir aux autres. Pour autant, ma vie ne se passe pas dans un ghetto, si littéraire soit-il. Êtes-vous adepte d’une culture de la subversion ? Cela n’est pas inscrit dans mes gênes, mais il s’avère que les choses qui m’excitent, comme par exemple GCRH [Guillaume Chauvin et Rémi Hubert, les auteurs d’Aucun détour ne ment, ndlr], sont subversives, révolutionnaires, mènent des combats, et me donnent envie de me fatiguer. La subversion permet pour moi de remettre en question un ordre établi dans un domaine, quel qu’il soit. Quitte à se fatiguer, autant mettre les bouchées

doubles, et taper un bon coup. Il faut trouver des opportunités qui donnent un sens de lecture différent, qui nous font changer de paradigme. Il s’agit de lire à travers les lignes des discours qu’on nous envoie chaque jour. Le Roi est nu et c’est un certain plaisir de dénuder le Roi. Je fais des livres qui surprennent, et j’en suis fier. Quand vous avez rencontré GCRH, ils cherchaient à « tourner la page » de l’affaire Paris Match… En effet. Jamais je ne les aurai publiés si j’avais senti qu’ils cherchaient à prolonger l’éclat des feux de la rampe ! Il ne s’agissait pas de faire un livre pour brandir le trophée d’un haut fait médiatique. Dans leur essai, ils voulaient au contraire rester le plus en retrait possible. Aucun détour ne ment va donc au-delà de la facétie ? Bien au-delà ! À partir de leur expérience et de leur compréhension de la photo chez Paris Match, GCRH ont élaboré une authentique réflexion sur l’image et ses pouvoirs. Une réflexion qui s’inscrit dans l’histoire de ce médium.


« Le Roi est nu et c’est un certain plaisir de dénuder le Roi. » Parlez-nous du « détournement » : estce vraiment de la modestie ? Le détournement est un mode d’écriture très peu courant. Contrairement à leurs aînés, GCRH citent toujours leurs sources. Leur apport réel en tant qu’auteurs est dérisoire. C’est en fait leur manière d’agencer les expressions ou les propos de personnalités publiques qui les rend auteurs. Ainsi que leur capacité à analyser et à comprendre profondément ce qu’ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. D’ailleurs il n’y a aucune image dans le livre : GCRH construisent leur pensée grâce aux mots des autres. Seulement aux mots. Ils reconnaissent que rien ne s’écrit jamais ex nihilo. Et que tout a déjà été dit… Naturellement, il y a une part de provocation indéniable dans leur démarche. Mais c’est souvent en provoquant qu’on parvient à faire bouger les lignes. Jamais dans le consensus ou le politiquement correct. Comment choisissez-vous les manuscrits que vous recevez ? Je ne marche qu’aux coups de cœur, dans mes choix éditoriaux. J’assume tout ce que j’ai fait, je n’ai pas de regrets, je ne me suis pas trompé. Je défends mes choix bec et ongles : j’aime, je revendique, j’assume. Si je me trompais, ce serait une faute de goût personnelle. Je n’ai pas le sentiment d’en avoir commise à ce jour. Je ne fais que proposer aux autres, si ça ne plait pas, tant pis. Pour le moment, les Éditions Allia fonctionnent bien. Réaliser des livres sur un coup de tête, c’est donc possible ? Combien par mi nous aiment-ils vraiment ce qu’ils font ? Ce que je fais est à la portée de pas mal de personnes : se prendre en main, changer. Je me fiche du statut d’éditeur, mais je ne me fiche en rien de la rigueur des choix éditoriaux et de la réalisation des ouvrages. La représentation sociale nous noie. Des livres à 6 euros : rêve ou réalité ? Comme nous vivons dans un monde de pauvres, je pense que l’argent est devenu une denrée rare. Si on ne tient pas compte

de la réalité sociale de nos contemporains, ça n’est pas la peine d’entreprendre quoi que ce soit. Je ne fais pas de politique, mais reste conscient de ce qui se passe. Avant de publier un livre, je ne fais pas d’étude marketing. Je pense que je dois publier tel ou tel livre, et je le fais. Pour l’instant, ça marche. Nos contenus vont à l’encontre d’un certain nombre de clichés de l’idéologie moderne, et ce, à petit prix.

Quel regard portez-vous sur le marché du livre aujourd’hui ? Je constate un abaissement du niveau général. De façon mégalomane, je dois vous confier que si le niveau n’était pas si lamentable, j’aurais arrêté depuis longtemps ce métier. Cela relève de la responsabilité morale de s’engager à faire des choses de qualité. Je me lève le matin pour mettre un peu de couleurs et d’ambiance dans ce paysage morne. i

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Charnière : la contre-culture à la loupe, séminaire, “1964-65” par Matthieu Rémy le 9 février, “1967-68” par Claude Chastagner le 8 mars, “1972-73” par Dominique Grimaud le 5 avril, au CCAM, à Vandœuvre-lès-Nancy www.centremalraux.com

Claude Chastagner, De la culture rock, PUF Dominique Grimaud et Eric Deshayes, L’underground musical en France, Le Mot et le Reste

L’avènement de la contre-culture à la fin des années 60 et au cours des années 70, réalité ou fantasme ? Un cycle de conférences confronte les points de vue.

le prix du confort pAR emmanuel Abela

CLAUDE CHASTAGNER, Professeur de civilisation américaine

« Premièrement, il faut limiter l’impact numérique de la contre-culture. Aux EtatsUnis, de façon assez spécifique, elle ne concerne que les Blancs issus des classes moyennes éduquées. Ne sont pas concernés les Afro-Américains, ni les Latinos, ni les Asiatiques ; ne sont pas concernés non plus les milieux ouvriers, si ce n’est les jeunes ouvriers qui pouvaient se montrer séduits, alors que leurs parents manifestaient des mouvements de rejet très marqués. Le mouvement hippie remettait en question des valeurs auxquels ils s’accrochaient. Ensuite, il faut se souvenir que ça a été spectaculaire pendant quelques années, de 1966 à 1970. Les médias se sont emparés du phénomène parce qu’il y avait des sons, des vêtements et des comportements nouveaux.

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Dès 1966, on assiste à un changement de générations : ceux qui sont arrivés à l’université en 1960, des gens politisés qui étaient allés rejoindre les sympathisants de la Beat Generation en créant ainsi un terreau proto-hippie, cèdent la place à une nouvelle génération, celle de leurs petits frères et petites sœurs. Ces jeunes se comportent de façon très différente, ils refusent les réformes progressives, graduelles, et se montrent pressés. Ils veulent aller vite, sont prêts à basculer dans la violence et ont des raisons particulières pour cela : on constate une intensification des combats au Viêt-Nam et des risques de plus en plus importants de les voir se faire appeler, d’où une radicalisation et un risque d’implosion, du fait des dissensions, au moment de la Convention du SDS [Students for a Democratic Society, ndlr]. Après le concert d’Altamont [un concert des Rolling Stones au cours duquel un spectateur noir est tué au couteau par des Hells Angels devant la scène, ndlr] en décembre 1969, l’intérêt des médias pour le mouvement hippie retombe et entre-temps, certains programmes du FBI ont cherché à faire taire les membres du mouvement les

plus politisés et ont renforcé l’application des lois contre la possession de marijuana et de LSD ; on a assisté à une infiltration du mouvement par des milliers d’agents du FBI, et on constate dans les années 1969-70 un désenchantement des hippies qui fait que beaucoup soit quittent le mouvement, soit partent vivre des expériences communautaires rurales, en dehors des villes. Le côté visible de la contre-culture a donc été bref, partiel, plutôt monté en épingle par les médias. Ceci dit, je crois qu’il y a eu un impact beaucoup plus souterrain, mais durable, dont on vit aujourd’hui encore les retombées et qui a changé la vie de beaucoup d’Américains et d’Européens dans les années 70 et 80 ; ces derniers n’ont pas pris la route, ils n’ont pas forcément changé leur tenue vestimentaire de façon si radicale, mais petit à petit des graines ont été semées qui ont provoqué des changements dans la vie quotidienne de ces adolescents qui ont adopté un rapport différent à l'autorité, à la tradition, et au modèle familial dominant. Le rapport entre les âges, et même à l’intérieur d’une même cohorte générationnelle, s’est modifié en raison de la contre-culture.


reconnaissance ; ils étaient jugés moins intéressants. Un groupe comme Etron Fou Leloublan par exemple n’a connu de la notoriété qu’à partir du moment où il s’est associé à Fred Frith : l’intérêt que leur portaient les Anglais les révélait auprès des médias français. Le problème venait du fait qu’en France, une majorité des formations était une pâle copie des modèles anglosaxons. Ceux qui s’en sortaient le mieux étaient ceux qui étaient identifiés “chanson” : Catherine Ribeiro, Brigitte Fontaine et même Albert Marcœur. Il est fascinant de constater à quel point les jeunes générations se revendiquent de cette période, mais peut-être plus que les idoles elles-mêmes, ce qu’il en reste c’est un principe de fonctionnement : on se retrouve autour de la musique, de nouveaux styles de vie et de slogans politiques. L’activisme politique intense qu’on rencontrait au début du XXe et qu’on a retrouvé dans les années 30 en raison de la Dépression et qui a donné naissance à la tradition folk de Woody Guthrie change de nature dans les années 60. Si je veux avoir un regard critique, et ne pas sombrer dans l’idolâtrie de cette période, je dois reconnaître qu’il s’est passé des choses très importantes, mais surtout que certaines se sont passées pour la première fois. Par la suite, on ne va pas nier qu’il s’est passé des choses aussi importantes, mais ça n’était plus la première fois. Cette idée de première fois continue de marquer l’imaginaire de manière spectaculaire. »

DOMINIQUE GRIMAUD, musicien (Camizole, Video Aventures), archiviste et journaliste

Votre ouvrage L’Underground musical en France devait dans un premier temps s’intituler « maquis sonores », ce qui sous-entend une notion de résistance. Eric [Deshayes, co-auteur du livre, ndlr] a trouvé ce titre, mais comme la maison d’édition venait de publier Défrichages sonores, ça posait un problème. Ma génération, celle de 68, s’était montrée injuste avec la génération précédente et du coup c’eut été une manière de rendre hommage à ces jeunes gens résistants. Justement, la France a servi de base arrière aux avant-gardes pop, avec la présence sur son sol de Gong et le succès de Soft Machine ou Henry Cow. C’était également le cas avec un groupe populaire comme Pink Floyd… Nous étions amis avec Robert Wyatt ou les membres d’Henry Cow, et en même temps, les groupes français n’obtenaient pas la

Lors votre conférence, vous allez évoquer les années 1972-73, ça n’est pas la période la plus évidente. Que raconte-t-on de ces années ? Oh oui, vous avez raison, ça n’est pas évident. De ces années-là, il reste peu de disques intéressants en France, contrairement à la période suivante, à partir de 1976 : les gens enregistraient dans les studios de grosses maisons de disque avec des gens qui ne comprenaient rien à leur musique. Mais la période 1972-73 est marquée par un mouvement qui vise à se fédérer au sein d’associations pour organiser des concerts ; les fruits n’ont été récoltés qu’un peu plus tard. Et puis, c’est l’arrivée du rock allemand et là, ça va très vite : les premiers articles sont publiés dans Rock&Folk et Actuel. Le fait que certains de ces musiciens, Jaki Liebezeit et Mani Neumeier, les batteurs de Can et de Guru Guru, venaient du free et établissaient une connexion entre rock et jazz, a été essentiel. Par la suite, le punk a favorisé un certain nombre de démarches, Gilbert Artman de Urban Sax ou Richard Pinhas d’Heldon adoraient le punk ; même Etron Fou, considéré comme des campagnards en France parce qu’ils vivaient en communauté en Ardèche, étaient perçus comme des punks par les Anglais. Mais tous ces artistes cherchaient, avec leurs particularités françaises – la pataphysique par exemple –, à casser les étiquettes. C’est ce qui a fait la richesse des années qui ont suivi. i

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TRANS(E), festival, du 16 au 24 mars à La Filature, scène nationale de Mulhouse OBSESSIONS, exposition, du 16 mars au 29 avril, à La Filature www.lafilature.org

Scène en TRA PAR caroline châtelet

Bildbau N° 02a, 2007 © Philipp Schaerer

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– Alors, t’es dans le TGV pour Mulhouse ? – Euh, non, le nouveau dirlo est normalement nommé en février... – Mais le précédent a quitté son poste fin 2011 !!! – Ben oui, mais les tutelles n’ont pas l’air pressées de voir arriver son successeur... – Zut ! Mais il faut absolument parler de TRANS(E), c’est un festival essentiel : TRANS(E)versal, TRANS(E)disciplinaire, TRANS(E)frontalier... – Et si je contactais Nathalie Herschdorfer ? – La commissaire de l’exposition Obsessions ? Pas mal, pour une scène nationale obsédée par sa TRANSition...

NSition Voilà où nous en sommes. Au 23 janvier 2012, la succession de Joël Gunzburger à la tête de la Filature, scène nationale de Mulhouse, n’est pas encore annoncée. Certes, la short-list et sa poignée de candidats circule depuis quelques temps déjà. Certes, le reste de l’équipe demeure et continue son travail. Mais la banalisation des retards dans les nominations n’en est pas moins inquiétante. Quelles marques de soutien véritable révèlent ces délais contre-nature ? Il y a là-dedans une façon de faire fi du travail des équipes, des projets artistiques développés et de tous les publics auxquels ces derniers s’adressent. Et outre la fragilisation des structures, elles révèlent en creux le peu de cas que font les tutelles des établissements culturels et des enjeux qui s’y nouent... Si, en tant que pur rejeton de Joël Gunzburger, TRANS(E) n’est pas assuré d’être pérennisé, l’édition 2012 du festival ne déroge pas aux règles qui l’ont fondées. Ainsi, des artistes de Suisse, de France et d’Allemagne présentent une dizaine de propositions, qu’il s’agisse de théâtre, de danse, de musique, de performance ou de photographie... Et au-delà de l’exigence de diversité, il est assez plaisant de voir à quel point les univers convoqués échappent souvent à leur intitulé. Composée par la commissaire d’exposition Nathalie Herschdorfer – qui signait déjà l’exposition 2011 –, l’exposition photographique Obsessions rend compte à sa façon de cette liberté dans la programmation. Rencontre.

Comment avez-vous construit l’exposition ? Nathalie Herschdorfer : J’interviens habituellement dans des musées « classiques », où les spectateurs se déplacent pour une exposition. Sachant que pour TRANS(E) celle-ci n’est pas le but principal de leur visite et que les spectacles sont de l’ordre de l’expérimental, j’ai envie de leur proposer différentes pistes. Tout comme en 2011, je mélange ce que sous-entend TRANS(E) et ce que j’observe dans la photographie contemporaine. Le thème qui sous-tend l’exposition est l’étrange. On ne sait pas tellement si on se trouve dans de la photographie documentaire, de fiction, si les prises de vues sont classiques, numériques, retravaillées. Aujourd’hui, tout se brouille et cela résonne avec le festival, où les travaux réunis nous font passer dans des mondes parallèles, dont on ne sait plus s’ils existent véritablement ou uniquement dans l’imaginaire de l’artiste. N’y a-t-il pas une part de séduction dans le montage de l’exposition ? La photographie fonctionne là-dessus, elle a cet aspect attirant. Après, il est possible de présenter des travaux qui ne travaillent pas ainsi. Je n’attends pas que les spectateurs voient tous la même chose. Je fais des propositions et cela m’intéresse que chacun amène son vécu, sa mémoire visuelle, son expérience pour regarder les œuvres réunies. Par ailleurs, beaucoup d’artistes d’Obsessions proposent une installation nouvelle, créée spécifiquement pour le lieu. L’espace d’exposition est assez généreux et ils cherchent donc à attirer le spectateur, à le séduire. Il y a un aspect laboratoire et je les encourage à expérimenter, faire des essais.

Cette tendance au brouillage est-elle récente ? Elle s’accentue depuis quelques années, notamment avec la jeune génération. Mais Obsessions n’est pas une exposition collective où les artistes seraient mis au profit d’un thème, et j’ai l’habitude de partir des œuvres puis de voir ce qui se passe. Lorsque j’ai monté ce projet, seuls quelques artistes sans liens entre eux m’intéressaient. Petit à petit, d’autres sont arrivés et j’ai observé que tous, à leur façon, nous emmenaient dans un monde où les choses ne sont plus très claires, difficiles à cataloguer. J’ai monté l’exposition de manière assez intuitive, sur des rencontres d’artistes. Quel artiste se trouvait présent dès le début du projet ? Il y a, par exemple, Raphaël Dallaporta, dont je suis le travail depuis plusieurs années. Certains artistes ont une méthode, une thématique, qu’ils développent au fil des ans. Raphaël Dallaporta se remet tout le temps en question et si une logique sous-tend son œuvre, il produit des séries très différentes. Sa dernière réalisée en Afghanistan est fascinante, elle ne ressemble à rien de ce que j’ai vu dans la photographie de paysage ou de guerre. Leur légende nous apprend qu’il s’agit de sites archéologiques, mais le spectateur peut penser à de la peinture abstraite. C’est de la photographie aérienne abstraite, et en même temps documentaire, puisque ces images servent à des missions archéologiques. Je trouve fascinant qu’une œuvre ait plusieurs niveaux de lecture, qu’elle puisse avoir un chemin dans le monde artistique, évoquer des mondes différents et en même temps demeurer documentaire. Dans un entretien récent, vous disiez qu’il est difficile de parler de pratiques photographiques nationales spécifiques : « je vois surtout des courants internationaux ». Quels sont-ils aujourd’hui ? Dans la photographie contemporaine de ces quinze dernières années, le paysage urbain est, par exemple, devenu un genre majeur, peut-être plus que le portrait. Dans le cadre de l’exposition, Leo Fabrizio travaille sur les notions de territoires et de territoires urbains. Sa série exposée s’inscrit dans cette mouvance contemporaine de l’observation de l’architecture de grandes métropoles, dont les paysages sont assez semblables, où que l’on soit dans le monde. C’est une question autour de laquelle tournent beaucoup d’artistes. i

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Partenaires Particuliers, exposition au Crac à Altkirch jusqu’au 29 avril. www.cracalsace.com

Commissaires associées de l’exposition Partenaires particuliers au Crac à Altkirch, Sophie Kaplan et Virginie Yassef ont confié le “project-room” à Schieppe & Meyer, deux jeunes artistes, l’un anglais, l’autre suisse, qui n’ont pas fini de se renvoyer la balle.

THE XANAGLOO PROJECT pAR Philippe Schweyer

pHOTO Marianne Maric

Comment vous êtes-vous rencontrés ? Matthew Schieppe : Nous étions étudiants dans la même école d’art à Londres. J’ai tout de suite été attiré par la subtile touche d’exotisme helvétique qui rend Willy si attachant. Willy Meyer : C’est d’abord l’amour du cinéma qui nous a réunis. Je lui ai fait découvrir le cinéma suisse et en particulier les films de Tanner, Soutter, Goretta et Reusser. Plus tard, j’ai découvert que Matthew n’avait jamais vu Citizen Kane alors que j’avais très envie de discuter avec lui des plans en plongée et en contreplongée ou des flashbacks qui ont fait sa réputation… Je voulais démonter avec lui le mécanisme de ce film que je ne considère pas du tout comme un chef-d’œuvre absolu ! Par ailleurs, je me suis toujours demandé quel mot je prononcerai avant de mourir. Il y a peu de chance pour que ce soit “Rosebud”…

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« Un roman déceptif de Michel Houellebecq est mille fois plus intéressant que toutes les merdes colorées de Jeff Koons ou Murakami ! » M.S. : Pour faire durer le plaisir, j’ai eu l’idée de visionner Citizen Kane plan par plan pendant un an. Et le 1er janvier 2010, au lieu d’arrêter de fumer et de boire, j’ai décidé de réaliser chaque soir, juste avant de me coucher, une petite sculpture après avoir visionné vingt secondes de Citizen Kane. C’était la meilleure façon de m’astreindre à un travail quotidien, mais il me fallait absolument quelqu’un pour veiller à ce que j’aille jusqu’au bout. J’ai choisi Willy parce qu’il est Suisse, donc fiable. Pendant un an, il m’a écouté parler de mes sculptures sans ouvrir les cartons que je lui offrais chaque matin. C’était très frustrant, mais ça m’a

laissé une grande liberté. Le fait de parler de mon travail avec Willy quasiment chaque jour m’a également beaucoup aidé. Orson Welles disait qu’un film n’est pas un de ces tableaux où l’on peint, une à une, les feuilles d’un arbre. Moi, j’ai sculpté une à une les occupantes invisibles de Xanagloo ! W.M. : Je trouvais bizarre que Matthew veuille s’inspirer d’un film et encore plus de Citizen Kane pour réaliser des sculptures. J’étais très curieux de voir s’il tiendrait le rythme. J’aimais aussi l’idée de laisser planer un doute en refusant d’ouvrir les cartons. Rien ne prouve que les 365 sculptures qu’il prétend avoir réalisées existent vraiment !


Comment vous est venue l’idée de faire une installation avec les 365 cartons ? W.M. : C’est grâce à ma petite amie qui voulait absolument que je me débarrasse de tout ce bazar… Plus sérieusement, j’ai toujours été fasciné par les artistes qui réussissent à collaborer de manière égalitaire, sans prise de pouvoir, sans rapport de force malsain. Travailler à deux est stimulant, mais c’est aussi deux fois plus risqué. Avec Matthew, j’ai compris qu’on pouvait se partager les rôles et collaborer sans rien renier de nos personnalités respectives. J’ai rapporté tous les cartons à l’école pour faire plaisir à ma petite amie et je lui ai proposé de les utiliser pour notre diplôme. “Xanagloo” est la contraction des mots “Xanadu” (le palais que se fait construire Charles Foster Kane) et “igloo”. M.S. : Quand Willy m’a parlé de Xanagloo pour la première fois, je me suis dit que je n’avais pas fait toutes ces sculptures pour rien. Sans en être vraiment conscient, j’attendais dès le début qu’il me renvoie la balle. Nous sommes tous les deux sensibles à l’Arte Povera qui s’inspirait du modèle de la guérilla et nous chérissons particulièrement Mario Merz qui a beaucoup utilisé la forme de l’igloo. Le fait que notre igloo s’affaisse légèrement et ne ressemble pas tout à fait à ce qui était prévu au départ me

convient parfaitement. Un roman déceptif de Michel Houellebecq est mille fois plus intéressant que toutes les merdes colorées de Jeff Koons ou Murakami ! W.M. : Notre installation me fait penser à un film dont les meilleures scènes auraient été coupées au montage. Les sculptures de Matthew ne se voient pas et pourtant elles sont là. Ou peut-être pas. J’aime l’incertitude approximative sur laquelle repose notre “partenariat”. Par ailleurs, la forme de l’igloo évoque forcément la neige qui me manque tant depuis que j’ai quitté la Suisse. Peut-être que je finirai par prononcer le mot “neige” sur mon lit de mort… Qui a eu l’idée de reproduire la luge d’Orson Welles ? W.M. : Ce n’est pas une reproduction ! La luge qui est jetée au feu dans le film est une reproduction, mais la luge exposée au Crac est la vraie luge du petit Orson aka Charlie [Charles Foster Kane, ndlr]. En revoyant Citizen Kane récemment, je me suis demandé comment cela se faisait que moi qui ai grandi dans les montagnes suisses, je n’ai gardé aucun souvenir de ma première luge… Mon père qui habite à Zurich est venu voir l’exposition au Crac, mais il a tourné autour de la fameuse luge sur laquelle est écrit “Rosebud” sans la voir. Elle est pourtant au cœur de Xanagloo !

C’est très troublant… Quand il m’a dit ça, j’ai été très déçu car j’espérais secrètement qu’elle lui rappelle l’époque où il m’emmenait luger. M.S. : Une installation doit permettre différents niveaux de lecture. J’adore lire une critique de film ou d’expo et me rendre compte que je suis passé à côté de l’essentiel. Ça me rappelle qu’il y a des tas de choses qui m’échappent et ça me pousse à être plus attentif, donc plus conscient, donc plus critique. Que faites-vous en résidence en Chine tous les deux ? M.S. : Le projet Xanagloo n’est pas terminé. Récemment, nous avons projeté Citizen Kane dans une usine à 300 km de Pékin. Les 365 ouvriers auxquels nous avons montré le film ont été payés l’équivalent de trois heures de salaire (environ un euro), pour le regarder puis faire un dessin en rapport avec le film. Les 365 dessins “made in China” que nous avons fait “fabriquer” seront exposés dans une galerie à Pékin puis à Bâle pendant la prochaine édition de Art Basel. Le Crac a mis en vente quelques cartons… M.S. : Je ne préfère pas en parler. W.M. : Les cartons m’appartiennent et il était clair dès le début que je serais libre d’en faire ce que je veux. J’aimerais que les acheteurs ne les ouvrent pas avant qu’ils soient tous vendus. M.S. : Ça risque de prendre un certain temps… W.M. : On pourra les ouvrir après ta mort ? M.S. : Oui, mais pas avant 2080 ! i

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Flip Book, danse les 16 et 17 février au Maillon-Wacken à Strasbourg (co-réalisation Pôle Sud) www.le-maillon.com – www.pole-sud.fr Boris Charmatz et Médéric Collignon, danse et jazz, le 14 février à Pôle Sud à Strasbourg

Directeur du Centre Chorégraphique National de Bretagne, qu’il a rebaptisé Musée de la danse, Boris Charmatz réinterprète avec Flip Book l’œuvre de Merce Cunningham et donne ici une nouvelle fois corps aux questions qui le passionnent depuis longtemps : l’histoire de la danse, ses archives, sa transmission.

Conserver la danse ? pAR Sylvia Dubost

pHOTO Caroline Ablain

Tout est parti d’un livre, que vous avez utilisé comme un storyboard… Oui, comme une partition. Ce livre, Un demi-siècle de danse, reprend plus de 300 photographies de David Vaughan, archiviste de la compagnie depuis ses débuts. On y trouve des images de presque tous les spectacles de Cunningham. En le feuilletant, j’avais l’impression de retrouver le format chorégraphique de Cunningham, qui travaillait beaucoup sur le hasard, les combinaisons de mouvements, le copier-coller. Je travaillais alors avec des étudiants, et l’on réfléchissait à une manière d’aborder l’histoire de la danse de manière créative. Nous avons travaillé six jours sur une performance, en apprenant par cœur toutes les photographies. Nous avons transformé un livre en spectacle, c’est une recette un peu étrange. Ce qui m’intéressait aussi, c’était la danse américaine des années 50, avec ces grands mouvements, qui correspondaient à une physicalité particulière. Ce spectacle donne à lire cette danse avec des corps différents.

Vandekeybus nous disait récemment que le corps des danseurs a beaucoup évolué. Cela vous a-t-il également frappé ? Le corps se modifie en permanence, la manière de le penser aussi. Cette évolution ne concerne pas seulement la danse. Aujourd’hui, nous sommes en permanence devant des ordinateurs : cela le modifiera encore. Cunnigham a expérimenté, il a annoncé la révolution des années 6070, même si ses danseurs restaient en collants. Tout était plus large : quand ses danseurs entraient sur le plateau, c’est comme s’ils entraient dans le désert. Le rapport au micro mouvement n’existait pas, aujourd’hui le corps est plus effondré. Même la façon d’interpréter les ballets classiques a évolué. Flip Book pose aussi la question de la transmission des pièces une fois que les chorégraphes ont disparu. Quelle est votre position ? Chacun doit inventer ses réponses. Cela dépend aussi de ce que veulent les chorégraphes. Odile Duboc, avec qui j’ai

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dansé dix ans, a interdit qu’on reprenne certaines de ses pièces. Etre habité par sa danse suffit, est-ce qu’il faut les redanser ? Certains disent qu’il faut une transmission corps à corps, c’est en partie vrai. Mais certains chorégraphes ont beaucoup écrit : la transmission de la danse ne passe pas seulement par l’empathie et le mimétisme. Il existe aussi des systèmes de notation. Nijinski a passé deux ans à transcrire L’Après-midi d’un faune. Il faut donc regarder ses partitions et les danser si on a quelque chose à faire avec cela. Mais quand on voit La Belle au bois dormant, est-ce à chaque fois la même pièce ? En littérature, Marcel Proust reste Marcel Proust. La notion d’œuvre est différente… Au théâtre, on peut pourtant voir différentes interprétations d’un même texte… Quand j’étais petit, je me souviens avoir vu Sur la grand route de Tchekhov dans la mise en scène de Klaus Michael Grüber. J’ai aimé la mise en scène plus que le texte. Pourquoi ne remonte-t-on pas la mise en scène de Grüber ? Est-ce


plus impossible que de reprendre un texte qui a lui aussi été écrit dans un contexte particulier ? La tradition veut que le texte domine. Mais il y en a d’autres ! L’art contemporain s’interroge beaucoup, depuis quelques années, sur la réactivation des performances. En danse, il y a différentes manières de faire de l’histoire. Au Musée de la danse, on fait du patrimoine de manière sauvage, à l’arrachée. La vidéo permet de résoudre la question de la transcription de la chorégraphie. Elle en pose aussi bien d’autres… Longtemps, on a pensé que la vidéo et la notation s’opposait, que l’une transmettait l’interprétation du geste et l’autre son

essence. Beaucoup de gens travaillent à partir de la vidéo : les gamins de Singapour imitent les danses de Michael Jackson qu’ils ont vu en vidéo et c’est super ! On n’aurait pas imaginé que Youtube deviendrait le plus grand média pour la danse. Il faudrait aussi réfléchir à ce qu’on pourrait faire de toutes ces vidéos de répétitions que personne ne regarde jamais ? J’aime travailler à partir de vidéos, je me sens libre par rapport à ça. Nous vivons une époque excitante où l’histoire fait partie de notre présent. Il y a moins d’opposition entre les pères et les enfants. Les profs pourront bientôt faire cours sur notre iPhone. Il s’agit de réintégrer le passé, le présent et le futur dans une nouvelle configuration.

Qui y a-t-il dans votre panthéon personnel de l’histoire de la danse ? L’histoire de la danse ne peut pas se faire avec seulement cinq noms, mais avec 1000 noms. Il est plus simple de citer Merce Cunningham que de parler de John Cage ou des danseurs et des plasticiens avec qui il a travaillé. C’est plus simple de parler d’un spectacle que de la complexité des ballets russes. Je crois à la complexité, à l’énergie collective. i

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Nunzio et Pali, théâtre, du 13 au 18 et du 20 au 25 mars au Théâtre National de Strasbourg www.tns.fr

L’art de l’échange pAR Sylvia Dubost

Des comédiens, un texte et quelques éléments de décors : Spiro Scimone et Francesco Sframeli pratiquent un théâtre d’autant plus drôle et touchant qu’il est réduit à l’essentiel.

« L’acteur - l’humain - est l’essence du théâtre. » L’auteur et comédien Spiro Scimone semble enfoncer les portes ouvertes. En réalité, lui et son complice Francesco Sframeli, comédien et metteur en scène, ne cherchent rien moins que l’irréductible, la substantifique moelle de leur art : l’auteur, l’acteur, le spectateur. Loin des gesticulations formelles ou textuelles, ils pratiquent un théâtre frugal et simple, un théâtre naturaliste du dialogue et du silence, souvent immobile, en équilibre entre le drame et la comédie. Avec un nombre très réduit de personnages

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et une scénographie sommaire, ils cisèlent, en orfèvres de la nature humaine, des relations tout en finesse et en nuances. Acteurs, ils fuient la performance et traquent la fioriture. Chez Scimone et Sframeli, on cultive le goût de la justesse et l’on renoue avec une activité aujourd’hui tombée en désuétude : la conversation. La vraie : celle qui dure, qui n’a pas toujours de sens ni de direction, se pratique assise, de préférence dans un bistrot ou une cuisine, se noue avec les mots du quotidien, privilégie l’immédiateté et révèle des vérités profondes sous des couches de banalité.

Tous deux natifs de Messine, Scimone et Sframeli se rencontrent à l’école de théâtre à Milan, avant de retourner ensemble en Sicile pour travailler sous la direction de Carlo Cecchi, alors directeur du théâtre Garibaldi de Palerme. À Strasbourg, on les a vus à plusieurs reprises au Maillon : dans la trilogie Shakespeare de Cecchi en 1999, puis avec trois de leur propres spectacles : Festa, Bar et Il Cortile. Nunzio, écrit en 1994 dans le dialecte de Messine, est le premier texte de Francesco Sframeli. Deux Siciliens émigrés dans le nord de l’Italie partagent un appartement. Nunzio a les poumons rongés par des années d’usine, Pino est impliqué dans des affaires obscures et louches. Dans la cuisine, se rencontrent leurs solitudes et s’échangent angoisses et démonstrations maladroites d’affection. Pali, leur dernier spectacle, est plus métaphorique et social. Quatre marginaux fuient une société égoïste et intolérante et se réfugient sur des poteaux, d’où ils se racontent, sur le mode de la comédie, les maux de leur monde. Il y est évidemment question du nôtre mais aussi et surtout de la rencontre et de l’échange, de ce que transmet réellement une conversation, de ce que produit une rencontre et, sur le mode de la mise en abyme, de tout ce qui fait l’étoffe du théâtre de Scimone et Sframeli. i


LA LOI DU MARCHEUR, spectacle, les 1er et 2 mars à l’ACB-Scène nationale de Bar-le-Duc, et du 27 au 31 mars au Maillon Théâtre de Hautepierre, à Strasbourg, www.acbscene.com + www.le-maillon.com

Avec La Loi du marcheur, le comédien Nicolas Bouchaud transmet la parole de Serge Daney dans une forme stimulante, qui invite à un dialogue avec le cinéma et ses œuvres.

Histoires de trajectoires pAR Caroline Châtelet

Dans son ouvrage Éloge de la marche, l’anthropologue et sociologue David Le Breton raconte à travers des expériences et des exemples littéraires la richesse que procure ce mode de déplacement. « Propice au développement d’une philosophie élémentaire de l’existence », la marche instaure un rapport spécifique au temps et au monde. Difficile de savoir si Serge Daney, mort en 1992 du sida, connaissait les écrits de David Le Breton... Toujours estil que c’est pour définir le lien que l’homme entretenait à son métier de critique et au cinéma que l’historien Jean Douchet parla de « loi du marcheur ». Une expression à son tour reprise par Nicolas Bouchaud pour porter au théâtre la parole de Daney. Ainsi, dans La Loi du marcheur, Bouchaud – instigateur et interprète du projet – et Eric Didry – metteur en scène – partent d’Itinéraire d’un ciné-fils, entretien filmé entre Daney et Régis Debray. Pour autant, il ne s’agit pas d’une lecture et Bouchaud et Didry réalisent un véritable geste de théâtre en s’emparant de ce dialogue. D’abord par le dispositif scénographique, écran accueillant des extraits du film Rio Bravo, et dont le désaxement fait déborder la toile sur le sol. Ou comment cette intrusion du cinéma sur la scène raconte avec justesse la porosité existant chez Daney entre le cinéma, la pensée critique et la vie. Tout en soulignant par ce franchissement symbolique de « la rampe », espace défini par Daney comme « la ligne de fracture » séparant l’écran de la salle, l’incursion du cinéma au théâtre, voire, du théâtre au

cinéma... Ensuite, il y a l’interprétation de Nicolas Bouchaud. Comédien à l’amplitude de jeu indubitable – parfois un brin cabot –, Bouchaud fait corps avec la parole du critique et la transmet dans une adresse directe. Cette conservation du caractère d’oralité ainsi que l’évacuation de la parole de Debray transforment les spectateurs en interlocuteurs de ce dialogue. Là où un théâtre illustratif ou mimétique figerait dans un hommage rigide la pensée du critique, la mise en scène révèle sa force, sa vivacité, et son élaboration. Comme le raconte Nicolas Bouchaud, « Serge Daney disait que ce que voir des films lui avait donné,

pHOTO Samuel Gratacap

c’était l’invention du temps. Inventer un temps à lui dans lequel il puisse vivre. » Cette découverte d’un temps à soi – qu’offre aussi la marche –, nous est communiquée par la double trajectoire du discours et de la mise en scène. Le temps commun de la représentation devient espace de partage et de dialogue avec le cinéma, avec ses œuvres, et avec ce qu’elles nous font. Mais ce que nous dit, aussi, en creux ce spectacle c’est la différence de temporalité – et donc nécessairement de rapport aux œuvres – séparant le théâtre du cinéma. Car là où au cinéma, il est possible d’évaluer ou réévaluer indéfiniment l’œuvre d’un réalisateur – de dialoguer avec les films dans le temps – au théâtre, hormis de très rares reprises, ce qui n’a pas été vu ne le sera jamais ou alors en vidéo, mais ce n’est déjà plus du théâtre... i

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Le Nerf, théâtre, du 21 au 24 février au Théâtre Dijon Bourgogne Bienvenue dans l’espèce humaine, du 13 au 25 février et du 26 au 31 mars au Théâtre Dijon Bourgogne, du 20 au 24 mars hors les murs www.tdb-cdn.com + www.whynote.com

Vive les jeunes ! pAR Sylvia Dubost

pHOTOs vincent arbelet

Le théâtre de Benoît Lambert est conceptuel et politique ; celui de Guillaume Malvoisin, collaborateur de novo, organique et littéraire. Deux auteurs et metteurs en scène de la même génération, qui présentent leur dernière création au TDB au même moment et posent sur leur art des regards pas toujours si éloignés…

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Benoît Lambert Comment vous êtes-vous formé et qu’en reste-t-il aujourd’hui ? J ’ai fait Normal sup en sciences économiques et sociales. En parallèle, j’ai commencé à suivre les cours de Pierre Debauche, grande figure de la décentralisation, qui a notamment fondé le théâtre de Nanterre-Amandiers. J’ai conservé de cet ange déchu, chassé de partout, l’idée que le théâtre est un acte d’amour, poétique et politique, et qu’il est un lieu de réjouissances, comme disait Brecht, qui divertit en élevant l’âme humaine. Il nous a aussi appris qu’on pouvait faire les choses avec rien et que nous étions tous artistes. Sa pédagogie était libératrice, il faisait du Rancière sans le savoir. Tout cela est encore opératoire pour moi aujourd’hui. Quel rapport votre théâtre entretient-il avec la littérature et/ou avec le texte ? C’est un sujet de thèse ! Pour mon cas, je ne parlerais pas de texte, mais de parole. J’ai monté des textes de théâtre mais aussi fait des collages-montages. J’aime bien le terme de bricolage, à la fois modeste


quand j’étais môme, je trouvais ça un peu verbeux. Jusqu’à ce que je découvre celui de François Tanguy, qui revient à une tradition plus populaire, où le théâtre apparaît comme nécessaire. Que reste-t-il de ces influences ? Une sorte de bordel organisé. D’abord, le récit, qui fait le moteur du spectacle. Puis, le concept, qui donne le besoin de raconter. Le récit est un point d’accroche pour un départ commun, à partir duquel spectateur et artistes naviguent ensemble. Puis l’émerveillement est progressif. La forme, impure, intègre tout ce que j’aime. Dans Le Nerf : le cinéma américain, le cabaret allemand, la poésie française, le jazz et la musique contemporaine. Meyerhold disait que le théâtre ne doit pas rendre intelligent, ne doit pas convaincre, mais donner la force d’affronter les questions. et présomptueux, qui renvoie au concept de Levi-Strauss et à la construction des mythes dans les sociétés primitives. À partir de cette matière qui n’est pas littéraire, on fabrique une oralité. Nous travaillons sur le récit, les idées, pas forcément sur le langage. J’aime bien aussi monter Molière ou Musset : ce sont des moments de poésie pure mais ce n’est pas mon problème principal. Où et comment s’écrit un spectacle ? Dans la douleur [rires, ndlr]. Le plus difficile, c’est le montage du scénario. J’ai l’impression d’écrire un essai plutôt qu’une pièce. Il n’y a pas de cohérence d’histoire mais de pensée, de rhétorique. On essaye de poser des thèses et de les défendre. Ceci dit, on ne fait pas des spectacles érudits, on s’adresse moins au cerveau des spectateurs qu’à leurs sens. Comment peut-on encore faire du théâtre aujourd’hui ? C’est une bonne question… Il m’arrive de me la poser et j’aurais des arguments péremptoires. On ne mourra jamais, il y aura toujours des gens pour voir d’autres gens raconter des histoires, il y aura toujours l’occasion de réjouissances et

aucune innovation ne changera ça. Et puis les chiffres montrent que le théâtre se porte bien. C’est une technologie d’imaginaire tellement rudimentaire… Pensez-vous que dans 20 ans, vous poursuivrez toujours votre feuilleton théâtral, Pour ou contre un monde meilleur ? Aucune idée ! Je ne crois pas à la révolution. La politique sera toujours là. Il n’y aura pas de problèmes réglés dans 20 ans, on continuera à faire du théâtre et de la politique, j’espère ! Guillaume Malvoisin Comment vous êtes-vous formé au théâtre ? Je suis autodidacte, avec la volonté de prendre ce qu’il me fallait sur le moment plutôt que de suivre un enseignement généraliste. J’ai monté une troupe avec des copains à la sortie du lycée. C’était une période pleine d’influences et de livres : Kantor, Boltanski et, pour le théâtre, Brecht, Shakespeare et Meyerhold. Puis, plus tard, Robert Lepage et Josse de Pauw. Le théâtre français ne m’a jamais fait rêver

Quel rapport votre théâtre entretient-il avec la littérature ? Un rapport charnel. Je suis un putain de littéraire, je ne pourrais pas faire un théâtre d’image, même si elle est importante. J’ai besoin de cette parole. Je reste attaché à cette partie de la littérature américaine avec du souffle et qui pose des questions sous couvert d’une histoire : Melville, Conrad puis, un peu plus loin, Kerouac. Le théâtre crée des percées dans la réalité, comme la poésie. Comment le monde s’infiltre-t-il sur le plateau ? Par le corps des comédiens, les tessitures de voix, par la lumière, le son, qui renvoient à une sorte de réalité. Le théâtre doit être un vecteur vers le monde, dans lequel les spectateurs font entrer leur vision. On ne sera pas forcément d’accord mais on aura été ensemble. Il y a très peu d’aspects d’actualité ou du quotidien. Le théâtre est un moment de décélération, comme dit Jean-Pierre Vincent, où l’on peut se questionner, rêver, avant de retourner au monde. En cela, mon théâtre est tout contre l’épaule du monde. Quel organe ou quel réflexe actionne ce Nerf qui donne le titre à votre spectacle ? Le foie, pour faire sortir la peur et faire face au monde. Mais je l’entendais plutôt dans le sens du courage. C’est l’idée que le pouvoir est repris par celui qui parle. Il n’y a aucune raison de se passer de ce pouvoir-là. i

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Let’s dance !, danse, les 22 et 24 janvier à La Filature de Mulhouse, les 4 et 5 février au Théâtre municipal de Colmar et du 15 au 19 février à l’Opéra de Strasbourg www.operanationaldurhin.eu

Pieds plats et pieds pointus pAR Sylvia Dubost

pHOTOs Marianne Maric

Pour faire partie d’un corps de ballet, il faut faire preuve de souplesse, et pas seulement physique, pour savoir passer d’un style à l’autre dans la même journée et comprendre toutes les manières de travailler des chorégraphes. Incursion dans les répétitions du prochain programme 100% british du Ballet du Rhin.

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11h45 : Le Jardin aux lilas d’Antony Tudor « Let’s do it again from the plié ! » Dans le grand studio du premier étage, les danseurs répètent inlassablement les mêmes courts extraits d’un ballet sur pointes. Le vénérable Donald Mahler, danseur d’Antony Tudor aujourd’hui retiré des plateaux et répétiteur assermenté pour toutes les reprises de ses pièces, veille à la précision des gestes et des expressions. « Le regard doit être plus plat, vous êtes trop pointus et on vous perd », traduit Didier Merle, le maître de ballet qui devra transmettre ces indications après le départ de Mahler. Dans un coin, une élève du Conservatoire de danse, chignonnée et tututée, observe attentivement un travail qui nécessite des qualités d’acteur autant que de danseur. Le Jardin des lilas, créé en 1936 sur une musique d’Ernest Chausson, fut le premier succès d’Antony Tudor. « Une petite histoire de gens normaux », explique Mahler, très différente de ce dont le public avait alors l’habitude : ce drame amoureux, simple et presque banal, raconte le passage de l’adolescence à l’âge adulte. « C’est comme travailler une pièce de théâtre : une fois qu’on


connaît les mots, il y a tant de choses à faire. Le Jardin est peu monté, car les ballets n’ont pas le temps pour cela. Ils préfèrent la danse. » Donald Mahler est d’autant plus ravi du travail des danseurs. « Je fais ça depuis 20 ans, je n’ai jamais travaillé avec des gens qui le font aussi bien, aussi vite, qui écoutent la musique », leur dira-t-il à la fin de la répétition. Pourquoi ? « Peut-être parce qu’ils travaillent aussi la danse contemporaine, où il faut voir le mouvement, le comprendre et le répéter. » 15h : Many de Thomas Noone « It’s the first time we run it, so don’t be scared. » Les danseurs ont en partie changé et ont troqué jupe et justaucorps contre survêtements. La partition du chorégraphe anglais Thomas Noone est autrement plus physique : beaucoup de sauts, de portés, de roulés, dans cette pièce de 25 minutes qui aborde la question de l’individu face au groupe. « La danse est l’expression physique d’une émotion, d’un sentiment », précise le chorégraphe. Et tout l’enjeu du travail avec les danseurs, c’est de trouver à les transmettre. Après en avoir répété des extraits lors des jours précédents, Noone

veut voir Many dans son intégralité. Il la laisse se dérouler sans intervenir, pendant que Jérôme Duvauchelle, le directeur technique du Ballet, note précisément toutes les entrées et sorties pour établir la conduite du spectacle. « Il reste beaucoup de travail », conclut Noone, avant de donner individuellement aux danseurs des indications techniques sur les mouvements, qui demandent un réel engagement corporel. « Ils doivent savoir exactement ce qu’ils font. Le mouvement doit devenir un réflexe, il doit être animal, naturel. Les danseurs ne doivent plus y penser. Ils doivent être beaux sur scène, c’est l’objectif, et pour cela, ils doivent avoir confiance en eux. » Et d’ajouter : « Les danseurs ici sont très physiques, et c’est très bien. Ma mission, c’est de convaincre que la danse physique est une bonne chose ! » 16h30 : Tea for six (or ten) « Même si ce n’est pas juste, ils doivent se jeter dans le bain et sentir la chose de manière brutale. » Pour Mathieu Guilhaumon aussi, c’est le premier déroulé de la pièce qu’il a chorégraphiée, à laquelle il manque encore la fin. « Jusque là, on a travaillé la structure choré-

graphique. Maintenant, on rentre dans le fond. J’attends d’eux qu’en parallèle de mon scénario, ils racontent une histoire individuellement, du début à la fin. » Tout comme Donald Mahler, Mathieu Guilhaumon interrompt beaucoup les danseurs, mais les indications qu’il donne sont tout autres. « En danse contemporaine, l’intention du mouvement est plus importante que la perfection : il faut savoir d’où il part. Ensuite, il ira où il doit aller car tous les corps sont différents. Et puis, l’investissement est beaucoup plus personnel que pour une pièce classique. » Danseur du Ballet, il a chorégraphié, à la demande du directeur Bertrand d’At, une pièce sur la musique de Purcell. Guilhaumon a imposé à chaque danseur un objet représentant, dans l’imaginaire collectif, l’Angleterre, avec lequel il entrera en dialogue pour dynamiter les clichés solidement vissés à la perfide Albion. Le chorégraphe définit le cadre, mais la pièce s’écrit sur le plateau, avec des danseurs qu’il connaît bien et qui connaissent son langage chorégraphique. Des danseurs aux parcours différents, formés à tous les styles mais avec chacun leurs préférences : chaque saynète de Tea for six dessine comme un mini-portrait de son interprète, mettant en relief la diversité des individualités composant ce corps de ballet si bien réglé et qui peut, dès lors, tout danser. i

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C R A C A l s a c e

L’ENTRE-DEUX : DES SAVOIRS BOULEVERSÉS

Partenaires Particuliers sition Expo / 1 1 4/12 du0 /12 9/04 au2

16.02 J 29.04.2012

n & Flavie ascal titpierre, -P n a e Je th & Clédat & P r, Peter Bismu , lle Julien rlo Vulcano eremy De p avec J a op Gianc & Dupuy, iss, Jan K lgi Lee e r eu W S to c , e id & n v D e & Da Auréli arie Losier e, li h & c is e F s M ay s J , ly y U in d v a , d Anton imon Bou rridge & L Philippe S -O s, avec yer P Meka an Rouch re B s a is h s Gene , Adolp Studio, Je ny um Maho Vivari outang / e n dré B Ques rre-An par Pie oom: Meyer ject R + Pro pe & Willy p hie ew Sc Matth

Entrée libre Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com

Vernissage Brunch dimanche 4 décembre de 11h à 17h

Le CRAC Alsace bénéficie du soutien de : la Ville d’Altkirch / le Conseil Général du Haut-Rhin / le Conseil Régional d’Alsace / la DRAC Alsace - Ministère de la Culture et de la Communication ainsi que du partenariat du club d’entreprises partenaires du CRAC Alsace – CRAC 40

N° de licence d’entrepreneur du spectacle : 136138-139-140 ~ Conception : star★light / CHIC MEDIAS ~ Photo : ©David Siebert

Visuel : Aurélien FROMENT ~ Pulmo Marina, 2010 – Courtesy de l’artiste, Motive Gallery, Amsterdam et Marcelle Alix, Paris Graphisme : médiapop + star★light

LE GR�S, LA VA�HE ET LE MAINATE "�PÉRETTE BAR�E"

CRAC Alsace 18 rue du château F-68130 Altkirch : + 33 (0)3 89 08 82 59 / www.cracalsace.com

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THÉÂTRE

17.03.2012 t 20:30 WWW.LACOUPOLE.FR xxx/jujofsbjsfttjohvmjfst/dpn!0!14!91!52!48!95


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Audioselecta

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WHITE DENIM

DJANGO DJANGO

HERZFELD

DJANGO DJANGO – BECAUSE

THE SACK – LES DISQUES PERSÉVÉRANCE

Brouilleurs de pistes hors pairs, les White Denim continuent d’exceller entre punk, blues progressif, dub, country, et bien plus encore. Last Day of Summer en est le dernier témoin venant compléter la discographie versatile des Texans. Assemblage bienheureux de chutes de studios, le disque oscille entre excitation viscérale et calme absolu. Si leur premier album Workout Holiday élevait la guitare en prêtresse absolue pour caresser la folie garage, Last Day of Summer exalte la batterie inventive de Josh Block. Des rythmiques singulières amenant des morceaux de facture pop-nostalgiquefolk à frôler l’électronique. Un collage surréaliste aux mélodies toujours soignées sous forme de ballade pop (Some Wild Going Outward, Champ) allant de l’inutilité des interludes Incavaglial, Light Light Light, au rock de Tony Fatti. Comme si à la fin d’une rave party acide sur les plages d’Ibiza, l’aube venait nous apaiser. (C.B.) i

Voilà un album envisagé à l’ancienne, c’est-à-dire comme la somme des idées du moment, que ce quartette d’Édimbourg empile à partir de petits riens : une touche électronique, quelques solides références psychédéliques et une approche globalement foutraque à la Devo. Derrière l’incohérence affichée, il y a une belle signature pop, qui situe cette tentative à l’égale de celles de Hot Chip ou de Metronomy, avec une maestria dans la diversité qui renvoie à d’autres modèles britanniques, Clinic, mais aussi le Beta Band à ses débuts. Rien d’étonnant à cela : David McLean, batteur, producteur et leader de fait de Django Django n’est autre que le jeune frère de John, le clavier du groupe culte. (E.A.) i

Herzfeld est le nom d’un groupe anglais des années 90 mais d’abord le vrai nom de famille de l’artiste allemand John Heartfield, et enfin celui de notre label à nous. Herzfeld, c’est une tête pensante : Malcolm Eden, un marxiste formé sur les bancs de McCarthy où il a croisé la moitié de Stereolab, Tim Gane. Avec The Sack, un vinyle 8 titres sorti en 1994 et réédité par Alex, le big boss du label Persévérance, il pratique le « ventriloquisme musical » faisant parler ceux dont la politique l'exècre. Entre bijoux binaires, arabesque presque symphonique, It’s Your Company Too, ou l’excellent The Stock Exchange Speaks, des accents psyché rencontrent la légèreté d’un piano et la délicatesse d’une voix. Herzfeld, un groupe tout en simplicité auquel notre label strasbourgeois rend hommage en reprenant son nom. (C.B.) i

LAST DAY OF SUMMER – DOWNTOWN / COOPERATIVE

EWERT & THE TWO DRAGONS GOOD MAN DOWN – TALITRES

Quand l’Estonie s’ouvre à l’indie-pop, elle ne le fait pas à moitié : elle consacre d’emblée un groupe de Tallinn et le place en tête des charts du pays avec un morceau interprété en anglais. Il faut dire qu’il y a de la fraîcheur chez ces quatre-là, que ça va vite et surtout que c’est rythmé. Leurs ritournelles peuvent sembler évidentes dans un premier temps, mais elles contiennent leur part d’addiction spontanée, qui fait qu’on y retourne encore et encore. Alors seulement, on découvre leur vraie plénitude continentale, ce petit quelque chose qu’on aimait tant chez les Feelies et qui s’inscrit dans la terre, pour l’éternité. (E.A.) i

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LEE FIELDS & THE EXPRESSIONS FAITHFUL MAN – TRUTH & SOUL / DIFFER-ANT

Le digne héritier du grand James Brown, c’est lui. Ça n’est pas pour rien qu’on l’appelait little JB par le passé. Rien de mimétique dans sa démarche cependant, Lee Fields crée d’album en album un univers qui lui est propre, éminemment soul, avec un son vintage certes, mais qui regarde vers l’avenir. On succombe immanquablement à cette manière tout à fait singulière, intègre et noble, de signifier la force du désir et la détresse des espoirs sentimentaux déçus par des blues chaleureux. (E.A.) i


ven 3 sam 4 ven 10 sam 18 jeu 23 ven 24 ven 2 sam 3 jeu 15 ven 16 sam 17 jeu 22 ven 23 jeu 29 ven 30 dim 1 ven 6 ven 13 dim 15 sam 21

Scène de Musiques actuelles Besançon FÉVRIER

Fulgeance + Zerolex + ... electro / hip hop Awek + Livin'in a TreeHouse blues DJ Pone + Stuck in the sound + ... electro / rock Bush Chemist + Kanka dub Les Nuits de l'Alligator : Kitty Daisy and Lewis + Lindi Ortega + ... blues / garage Izia rock

MARS

Blackwater irish connection Sallie Ford + The Washing Machine Cie rock King Salami + Mexibones + ... garage Boubacar Traoré au Théâtre Musical blues Slide On Venus + Birdy Hunt rock Miossec + Lamarca chanson / rock Danakil + Natty Jean + Leah Rosier reggae Melissmell + Archael chansons réalistes * Tinariwen blues saharien

AVRIL

Clara Yucatan release - chanson française 9 ème Anniversaire Mighty Worm rock Black Box Revelation rock Contes & Soul spectacle tout public The Elderberries + Dirty York heavy rock

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FESTIVAL LES NUITS DE L’ALLIGATOR 07 : KITTY, DAISY & LEWIS + LINDI ORTEGA + POSSESSED BY PAUL JAMES / LOUIS VILLE + GRAND BLANC / MY ONLY SCENERY + THE PERFECT CRIME / ROVA SAXOPHONE QTET + DONEDA/KOCHER/WOLFARTH / LES MONTREURS D’OMBRE / LYDIA LUNCH & BIG SEXY NOISE + AMOUR / MARS / SKIP THE USE / KLUB DES LOOSERS / THE EX + LE SINGE BLANC + THE SWAMP / CASCADEUR À L’ARSENAL / FESTIVAL LES FEMMES S’EN MÊLENT 15 : GIANA FACTORY + LE VOLUME COURBE / CRANE ANGELS + RAMONA CORDOVA / BOULEVARD DES AIRS + LA PLACE DU KIF / LA NUIT ZEBRÉE / BRIGITTE / ET AUSSI / LES CAFÉS BAROQUES / JAM SESSIONS JAZZ

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Les Trinitaires

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Lecturaselecta

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SUR LA TÉLÉVISION DE LOUIS SKORECKI – CAPRICCI

« La télévision est le dernier endroit où quelque chose de la lucidité hallucinée de la cinéphilie d’hier est encore possible ». Voilà ce qu’écrit Louis Skorecki en 1978 dans Contre la nouvelle cinéphilie, article publié dans Les Cahiers du cinéma. À l’époque, cette phrase et tout ce que l’article emporte avec lui – le glissement du public populaire du cinéma vers la télévision, la disparition de la création au cinéma et sa résurgence à la télévision – suscitent incompréhension, voire défiance. Aujourd’hui, si le critique de cinéma demeure un éternel iconoclaste, certaines de ses positions – notamment sur la vivacité des séries télés –, ne sont plus mises en doute. C’est un voyage dans trois décennies de ses chroniques qu’offre Sur la télévision. Un recueil stimulant, dans lequel Skorecki, à travers sa vision radicale, nous invite nous aussi à partir à l’aventure du petit écran. (C.C.) i

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BRIC À BRAC

QUAI D’ORSAY T.2

DE RUSSELL H. GREENAN – L’ŒIL D’OR

DE LANZAC ET BLAIN – DARGAUD

Arnold Hopkins doit faire face à une situation délicate : sa petite affaire de vente d’antiquités périclite, les ennuis financiers s’accumulent et l’horizon ne semble pas vouloir s’éclaircir. Et c’est peu dire que ses petites combines habituelles ne sont pas prêtes de le tirer de ce bourbier. Alors, comment refuser quand on lui propose un cambriolage certes risqué, mais ô combien rémunérateur ? Des antiquaires louches, un homme d’affaire mexicain (à moins que ce ne soit le diable en personne) qui dilapide sa fortune en achetant des âmes, trois sœurs bien étranges, un cousin qui a un sens assez particulier de la famille… Un roman loufoque et à rebondissements sur les dangers qui guettent celui qui met son doigt dans l’engrenage. (C.S.) i

L’anonyme Abel Lanzac (ancien responsable de cabinet de Dominique de Villepin) et Christophe Blain confirment les étincelles de leur premier tome, épousant (quasi sans se cacher) les lignes de la crise irakienne de 2002. Arthur Vlaminck, normalien engagé dans le « cabinet des langages » court toujours à perdre haleine derrière Alexandre Taillard de Vorms, sorte de Villepin frappé de mégalomanie galopante dans la surchauffe des milieux politiques. Le regard au scalpel des auteurs décomplexés donne un écho stupéfiant aux coulisses du pouvoir, où la grandeur de la mission entraîne l’esclavagisme, où l’intelligence côtoie les bassesses les plus triviales. Au delà du dessin talentueux et drôle de Blain, les confessions de Lanzac font souvent froid dans le dos. (O.B.) i

L’ENFANT DES COLONELS DE FERNANDO MARIAS – CÉNOMADE

Luis Ferrer, célèbre journaliste espagnol, se voit confier par sa rédaction une enquête sur la révolte d’une peuplade indienne qui secoue le Léonito, petit Etat d’Amérique Centrale venant à peine de se libérer du joug d’une sanglante dictature militaire. Mais en prenant place dans l’avion, il est loin de se douter des terrifiantes découvertes qu’il est sur le point de faire. Coups de théâtre savamment orchestrés, révélations, fausses pistes, retournements de situation se succèdent sans laisser le moindre répit au lecteur, qui ressort sonné de cette plongée en apnée au cœur des ténèbres. (C.S.) i

AÂMA T.1 L’ODEUR DE LA POUSSIÈRE CHAUDE DE FREDERIK PEETERS – GALLIMARD

L’auteur de Lupus, des Pilules bleues ou de Koma renoue avec la science-fiction pour une nouvelle saga : Aâma. Son héros amnésique Verloc Nim plonge dans son journal afin d’y retrouver son passé : son frère Conrad et Churchill, singe-robot hybride, l’ont emmené sur une planète reculée afin d’y récupérer une substance étrange du nom d’aâma... L’auteur suisse trouble profondément le lecteur via le monde d’anticipation ténébreux qu’il décrit. (O.B.) i


LES

MAÎTRES DU VERRE

Du 2 mars au 28 mai 2012 Musée de la Faïence - Sarreguemines

Media Création / D. Schoenig

15 rue Poincaré - Sarreguemines (57) Tljs sauf lundi, 10h-12h et 14h -18h www.sarreguemines-museum.com

Christophe HOHLER Musée des Beaux-Arts de Mulhouse 4 février - 25 mars 2012 tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30

Entrée libre


Movies to learn and sing n°- 2 Par Vincent Vanoli & Fabien Texier

— CARNETS DE NOVO —

Débat radio 2011 : Stanley Kubrick, idole ou maître ? Un provocateur dénonce une œuvre intellochiante ; un spécialiste décrète le pénible Eyes Wide Shut sommet artistique. On dédaigne le vieil adolescent : Orange Mécanique. Comme le « petit Alex », sous des airs pop-pub, il est irréductible, irrécupérable : il nous emmerde tous autant que nous sommes. Chez Kubrick, 1971, du moins. Dans l’original d’Anthony Burgess, Alex finit par ramollir ; par préférer les lieds de Schubert à l’artillerie lourde. Dans le final orgiaque du film c’est la Neuvième qui éclate : pas de réhabilitation possible. Singin’ in the Rain, proposée par Malcolm McDowell sur le tournage, arrive juste après 2x4 coups de Ludwig Van à la porte d’entrée. C’est le passage clef du film (et du roman qui y prend son titre), le début de la nausée pour le spectateur-voyeur. Certains y verraient aujourd’hui une scène d’un optimisme insensé : un sauvageon accro à la musique symphonique marave un écrivain de gauche en imitant Gene Kelly ! Sur la B.O.F., largement squattée par les transfigurations électroniques de Walter/Wendy Carlos, c’est le générique de fin, la chanson originale du classique de Stanley Donen que l’on entend. Je la garderai longtemps comme message d’accueil de mon répondeur. En 1991 quand il ressort enfin dans les salles, après des années d’(auto)-censure, Orange Mécanique n’est pas encore considéré comme un classique douteux, à l’esthétique surannée : c’est toujours un coup de botte. Pour le lycéen que j’étais, un éveil en sursaut au cinéma.

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LES GRAVEURS DE

COURBET

Exposition 20 novembre 2011 12 mars 2012

www.musee-courbet.fr


— CARNETS DE NOVO —

Bicéphale n°- 8

Le Veilleur n°- 137

Par Julien Rubiloni & Ludmilla Cerveny

Par Catherine Bizern

TERRE EN VUE

SOLDAT DE GARDE

Barbelé autour Et crève et meurs Déchiré dedans

Vendredi 25 novembre, milieu d’après-midi. La 26e édition du festival EntreVues commence demain.

Barbelé vautour Ecorché par la peur Accroché au pansement Barbelé dedans S’arracher à lui Se réfugier ailleurs Fuir, le refusant Barbelé au sol Récupérer sa terre Réapprendre son cœur Retrouver son sang Dans la lumière.

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Depuis longtemps j’ai prévu de m’éclipser, de m’extirper de la ruche, de l’urgence du « show must go on » pour participer à cette performance collective, immatérielle, invisible. Une œuvre qui en somme n’existe que dans l’idée que chacun peut s’en faire. J’allais donc monter la garde… Car c’est bien ainsi que je me le représentais : l’image du soldat, celui de Louis XIV, mais plus encore celui qui en cotte de maille arpente les fortifications et regarde vers où l’ennemi est censé arriver dans les films de châteaux forts. Soldat à un jour du festival je le suis plus que jamais, car cela fait déjà plusieurs semaines, plusieurs mois - s’il m’arrive de ne plus l’être - que je suis comme une guerrière armée prête à parer à tous les coups sinon à porter l’assaut, pour que le festival ait lieu, à la hauteur de ce qu’il doit être, tel que tous ensemble dans l’équipe nous l’avons rêvé, imaginé, conçu, tel qu’il répondra à nos espérances, à nos exigences. Une heure de vacance, une heure ailleurs, une heure peut-être comme au cinéma… Mais je suis un piètre soldat de garde… Isolée dans ce qui d’emblée fut pour moi comme une cellule de décompression, j’ai posé à terre la lance et le heaume. J’ai tout d’abord rêvassé sur les fenêtres et la cour de la maison d’arrêt, là juste à côté de la mairie. Bien vite je me suis assise et je me suis assoupie, recroquevillée sur moi-même, telle le soldat épuisé que j’étais… Comme pour entrer plus encore dans un film d’aventure, de ceux où le héros peut aller sauver sa belle sans risque parce que le soldat de garde s’est endormi au lieu de veiller, quand ce ne sont pas les ennemis qui à la faveur de ce sommeil ont envahi le château et se comportent comme des barbares. Pas de réveil en sursaut, la ville était toujours paisible, mon sommeil n’avait déclenché aucune catastrophe, mon absence au bureau non plus : aucun déboire, aucune mauvaise nouvelle encore, les ennemis s’étaient tenus à distance. Pas de nouvelle non plus de la princesse qui, je l’espère, en avait profité pour se faire la belle !


visuel: Bethan Huws, The Plant, 2003

Dans le cadre de Traduire l’Europe

Simultan exposition du

17 mars au 20 mai vernissage

le vendredi 16 mars à 18h30 au CEAAC Pour le Week-end de l’Art Contemporain, soirée projection des vidéos « Songs » de Céline Trouillet samedi 17 mars à 19h

Erik Bünger Gary Hill Bethan Huws Christoph Keller Anri Sala Albrecht Schäfer Lidia Sigle Mladen Stilinovi´c Céline Trouillet Katarina Zdjelar Commissaire : Bettina Klein CEAAC, 7 rue de l’Abreuvoir, Strasbourg, www.ceaac.org/curator le CEAAC est ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h - Entrée gratuite

Le CEAAC est membre de TRANS RHEIN ART réseau art contemporain Alsace www.artenalsace.org

Médiathèque André Malraux, 1 Presqu’île André Malraux, Strasbourg www.mediatheques-cus.fr

Actuelles XIV Photo Raoul Gilibert, graphisme Polo

L’écriture de théâtre aujourd’hui Soirées présentées par Blanche Giraud-Beauregardt et Cyril Pointurier, artistes associés aux Taps Taps Gare (Laiterie) du jeu. 22 au sam. 24 mars à 20h30 Lectures en présence des auteurs :

Les Fils de l’absent de Dominique Zins Mamie rôtie d’Yvan Corbineau Combat de Gilles Granouillet

Les Taps info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu


Saison 2011-2012 - Casting réalisé auprès des spectateurs de l’Opéra national du Rhin – Graphisme hugo marthon – licence 2-1040374 et 3-1040375


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