NOVO N°15

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numĂŠro 15

07.2011

gratuit


SUMMER OF GIRLS

DE TINA TURNER À LADY GAGA FILMS ET CONCERTS 100�% FEMMES PRÉSENTÉS PAR MARIANNE JAMES

20.40

TOUS LES MARDIS DU 5 JUILLET AU 30 AOÛT WWW.ARTE.TV/SUMMER

en partenariat avec

© Philippe Quaisse/Pasco –

UN ÉTÉ, TRÈS FEMME, TRÈS MARIANNE SUR ARTE.


ours

sommaire numéro 15

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight

Édito

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Cinérama 9 par Olivier Bombarda 07

Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Gabrielle Awad, Cécile Becker, Sébastien Belguise, Anne Berger, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Caroline Châtelet, Baptiste Cogitore, Marie Drouet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Pauline Hofmann, Virginie Joalland, Louise Laclautre, Kim, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Marcel Ramirez, Amandine Sacquin,Christophe Sedierta, Fabien Texier, Fabien Velasquez, Gilles Weinzaepflen. PHOTOGRAPHES Philip Anstett, Gabrielle Awad, Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Stephen Dock, Stéphanie Linsingh, Stéphane Louis, Olivier Roller, Christophe Urbain, Sophie Yerly. CONTRIBUTEURS Bearboz, Ludmilla Cerveny, EM/M, Christophe Fourvel, Sophie Kaplan, Julien Rubiloni, Florian Sabatier, Denis Scheubel, Vincent Vanoli, Henri Walliser, Sandrine Wymann. COUVERTURE Ayline Olukman (Sans titre) www.aylineolukman.fr + www.bertrandgillig.fr Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR Estimprim ~ PubliVal Conseils Dépôt légal : juillet 2011 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2011 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT www.novomag.fr novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.

FoCUS L’actu culturelle du Grand Est à vive allure 08 La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 10 Une balade d’art contemporain : Une exposition de sculptures du Frac Franche-Comté à Belfort 28

doSSier SpÉCial FeStival premierS aCteS

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le Carnet de novo Kangoorouge n°4 : Les grandes montagnes, les grands voyages et les grandes illusions des grandes vacances, par Sophie Kaplan 40 Le monde est un seul / 14 : 10 mois de poésie, par Christophe Fourvel 41 Plastic Soul / 4 : Le port du non-retour, par Emmanuel Abela 42 Eau Lourde, par Claire Morel et Amandine Sacquin 44 Bicéphale / 6 : Trouvé, par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny 45 Sur la crête, par Henri Walliser et Denis Scheubel 45 Songs To Learn and Sing : My perfect cousin de The Undertones, par Vincent Vanoli 46

renContreS Métronomy à la Laiterie à Strasbourg 48 John Spencer à la Vapeur à Dijon 50 Jessie Evans aux Copains d'Abord à Mulhouse 51 Rainbow Arabia à la Laiterie à Strasbourg 52

maGaZine Seb Patane expose à la Kunsthalle de Mulhouse 54 La Ville de Metz prépare sa quatrième nuit blanche 56 EM/M (www.emslashm.com) 58 Incomparable, Neo Rauch expose ses peintures étranges au Musée Burda de Baden-Baden 60 La strasbourgeoise Gaëlle Lucas et la coréenne Kim Bom exposent ensemble au CEAAC 62 La conservatrice Martine Sadion raconte avec passion l'exposition Connivence 2 à Epinal 64 Pour Adrien Chiquet, le festival Météo n'est pas une usine à divertissement 66 Arcade Fire : retour sur sept ans d'ascension en forme d'histoire intime 68 Deep End de Jerzy Skolimowski ressort en salles. Attention chef-d'œuvre ! 70 Rafi Pitts, un réalisateur-monteur-producteur-acteur iranien très cassavétien 72 Caroline Châtelet sur les traces de Tchekhov en Russie 74 Le label Sub Rosa sillonne les chemins de l'expérimentation musicale 76

SeleCta Disques, livres et DVD 79

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2011octobre - décembre

�����������������������������������������,�������������������������. | Le Théâtre musical de Besançon 49, rue Mégevand 25000 Besançon Location : �� �� �� �� �� | www.letheatre-besancon.fr LICENCES �-������� / �-������� / �-������� | DESIGN THOMAS HUOT-MARCHAND | LE THÉÂTRE MUSICAL DE BESANÇON EST SUBVENTIONNÉ PAR LA VILLE DE BESANÇON, LE MINISTÈRE DE LA CULTURE - DIRECTION RÉGIONALE DES AFFAIRES CULTURELLES FRANCHE-COMTÉ, LE CONSEIL RÉGIONAL DE FRANCHE-COMTÉ, LE CONSEIL GÉNÉRAL DU DOUBS


édito par philippe schweyer

entre leS liGneS

J’aime revenir à Truffaut. À ses films et aussi à sa correspondance. Truffaut raconte que faire un film ou écrire une lettre ce n’est pas très différent : « Il m’arrive de tourner un film en pensant exclusivement à une personne qui n’ira peut-être pas le voir et je me dis que je suis en train de dépenser cinq millions alors que si j’écrivais une lettre ça coûterait un franc trente. » En écrivant ces lignes je comprends que faire un magazine, c’est comme balancer un gros paquet de lettres depuis un avion à réaction. Reste à savoir qui les lira. Celui à qui on a piqué une phrase surréaliste bégayée à la fin d’une soirée alcoolisée ? Celle qu’on voudrait aider à passer le ravin ? Écrire est plus dangereux qu’on ne l’imagine. Pour une méchante phrase, on peut se retrouver avec un pneu crevé ou un œil au beurre noir. Un mot de travers peut provoquer un terrible malentendu. Un pseudo mal orthographié une brouille de dix ans. Lire la correspondance de Truffaut me rend nostalgique d’un temps que je n’ai pas connu. Un temps où les gens prenaient le temps de s’écrire. Mes amis qui écrivent dans Novo écrivent-ils des lettres ? Des mails ça oui, mais des lettres ? Comme Truffaut quand il faisait un film, certains pensent sans doute parfois à une personne en particulier lorsqu’ils écrivent. Une personne qui ne les lira peut-être pas. J’aime cette incertitude. Envoyer une lettre coûte désormais 60 cents. En lisant ça, mon banquier va penser que ça coûte moins cher que d’éditer un magazine. Ce ne sont pas toujours ceux auxquels on pense qui nous lisent le plus attentivement. Faut-il parler du printemps arabe ? De la place de la culture réduite à néant dans les programmes électoraux ? Du film iranien qui me trotte dans la tête ? Il y a tant de choses profondes à écrire et si peu de place sur cette page. Mieux vaut écrire entre les lignes. Comme un film de Truffaut, Novo voudrait s’adresser à tout le monde. Comme un film, fut-il de Truffaut, Novo est une œuvre collective (il suffit de jeter un coup d’œil en page 3 pour s’en rendre compte). Une pensée pour tous ceux qui écrivent à des personnes qui ne les liront pas. Une pensée pour tous ceux à qui personne n’adresse jamais de lettre. Une pensée pour tous ceux à qui personne ne pense.

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Grand Magasin / Guilherme Botelho / Valéry Warnotte et Charlie Windelschmidt / Stephanie Thiersch / Nurkan Erpulat / Thomas Lebrun / Chloé Moglia / Valeria Apicella / Toméo Vergès / Ambra Senatore / Kornél Mundruczó / Bernard Bloch / Luc-Antoine Diquéro / Arne Sierens / Vincent Macaigne / Thomas Jolly / Joachim Latarjet / Ève Ledig / Guy Alloucherie / le Trap Door Theater Chicago / Jean Bellorini / Peeping Tom / Anne Teresa De Keersmaeker / James Thiérrée / Cirkus Cirkör / Zimmermann & de Perrot / Albin de la Simone / Wladyslaw Znorko /

LES ABONNEMENTS SONT OUVERTS dès 3 spectacles, pensez à vous abonner ! OUVERTURE DE LA BILLETTERIE HORS ABONNEMENT mardi 30 août dès 11 h La Filature, Scène nationale – Mulhouse

June & Lula / Susheela Raman / Ron Carter / Youn Sun Nah Quartet / Chick Corea et Gary Burton / La Cordonnerie / Zita Swoon Group avec Rosas / et bien d’autres encore…


cinérama 9 par olivier bombarda

Fonçant tête baissée dans le buzz qui entourait la pré-sortie du film La Conquête de Xavier Durringer, l’enquête Cinéma et Politique de Télérama concluait avec un soulagement non feint sur une nouvelle tendance : « Entré en politique sur le tard, le cinéma français n’est pas près d’en sortir ». Ce « retard à l’allumage » serait dû selon Manuel Alduy, directeur Cinéma du groupe Canal+, serait dû à « une tradition française ». « Le cinéma français est traditionnellement plus psychologique, déconnecté de la réalité ». La Conquête, Conquête, seulement « inspiré » de faits réels (et visé par des avocats chargés d’éliminer les risques mama jeurs du scénario tels l’atteinte à la présomption d’ind’in nocence, la diffamation, le non-respect de la vie privée), « brisait ainsi la tradition » pouvait-on lire, grâce à ses répliques... Formidable ! Tandis que Sarkozy-Podalydès se désolait de l’abanl’aban don de sa femme Cécilia sur les toiles de France (et sur l’écran Lumière du festival de Cannes), dans Sexus Politicus de Deloire et Dubois, le lecteur découvre qu’au moment des faits le Président de la République vivait une autre réalité, bienheureux dans les bras d’une… journaliste. À l’heure mouvementée du « festival de Kahn » dans les médias, s’il n’a pas échappé à certains que La Conquête faisait vaguement allusion aux « bêtes de sexe politiques » et ricochait indirectement (et par hasard ?) sur l’actualité, gageons que ce film « pionnier de l’actu » aura bel et bien revêtu sagement les chaussons de la « tradition française », gueule et langue de bois comprises.

À l’opposé des débats contemporains, la presse cherchait à exprimer son verdict sur The Tree of Life de Terrence Malick : « Élégie des origines », « poème empreint de mysticisme », « oxymore magnifique », « tambouille philosophique phosphorescente », « superbe requiem parfois déroutant » lit-on ici et là… Les petites phrases formulées de manière très « com », en dehors de tout contexte, s’agglutinent pour aboutir à un gaspacho tiédasse. Difficile de se toquer d’aphorismes pour aborder l’œuvre d’un cinéaste qui tente ici l’exl’exploration d’un nouveau langage cinématographique. D’autant plus quand il s’inspire d’une doctrine philosophique selon laquelle les connaissances sont provoquées par les sensations... Comme tout bon misanthrope, Terrence MaMa lick s’intéresse à son amour paradoxal de l’homme, jonglant en permanence avec des doutes irrépressibles : me faut-il aimer l’homme ? Celui-là (Brad Pitt) ? Aussi violent qu’intransigeant et lâche ? Malick a beau s’extasier sur les origines de la vie, rien ne semble le détourner du constat de la dominadomination maladive de ses congénères sur les plus faibles et de cette attitude qui consiste à garder toujours pour lui une distanciation désabusée.

« Le misanthrope est celui qui reproche aux hommes d’être ce qu’il est. » Louis Scutenaire

« Tout homme qui à quarante ans n’est pas misanthrope n’a jamais aimé les hommes. » Honoré de Balzac

« Fais attention à ne jamais avoir à l’égard des misanthropes les sentiments qu’ont les misanthropes à l’égard des hommes. » Marc-Aurèle

« ll y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements. » Honoré de Balzac

« Etre possédé par l’actualité, c’est être possédé par l’oubli. » Milan Kundera

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focus

1 ~ RéPUBLIQUE DES RêVES Expo coup de cœur au Crac à Altkirch avec des œuvres choisies par Gilles A. Tiberghien dans les collections des Frac du Grand Est jusqu’au 30/10 (Novo N°14). www.cracalsace.com Visuel : Thomas Flechtner.

6 ~ HUMANOFOLIE Expo du sculpteur céramiste Jean Fontaine jusqu’au 19/9 au Musée de la Faïence et au Moulin de la Blies à Sarreguemines. www.sarregueminesmuseum.com

2 ~ PLEIN AIR AU BEL AIR Cinéma sous les étoiles du 23 au 30/7 dans les jardins du ciné Bel Air à Mulhouse avec des films récents (Le Gamin au vélo…) et des classiques (L’Ultime razzia…). www.cinebelair.org

7 ~ FESTIVAL DE BESANçON 64ème Festival international de musique de Besançon FrancheComté du 16/9 au 1/10 + 52ème Concours international de jeunes chefs d’orchestre du 18 au 23/9. www.festival-besancon.com

3 ~ SOUFFLES Le Pavé dans la Mare s’invite à la Rochère (70), la plus ancienne verrerie d’art en activité en France. www.pavedanslamare.org

8 ~ YVES RAVEY Entre le compositeur Michael Jarrell et l’écrivain Yves Ravey, l’admiration mutuelle a suscité la conception d’un programme où le texte rencontre la musique... Le 17/9 au Musée du Temps dans le cadre du Festival international de Besançon.

4 ~ FESTIVAL # 6 Le festival Dièse poursuit ses expérimentations du 4 au 10/7 à Dijon. www.festivaldiese.com 5 ~ LA FêTE RADIEUSE Expo sur Le Corbusier, cinéma (La Ville de Chandigarh d'Alain Tanner…), concerts, parcours sonore réalisé par Renaud Ruhlmann… Impossible de détailler le programme de la Fête radieuse à Ronchamp du 2 au 11/7. www.montagnefroide.org

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9 ~ PATRIMOINE[S] éCRIT[S] EN BOURgOgNE Visites, expos et animations jusqu’au 18/9. www.crl-bourgogne.org 10 ~ LE LION LIBERTY Grande fête du Lion pour son 130ème anniversaire à Belfort les 17 et 18/9. www.mairie-belfort.fr

11 ~ JE SUIS UN PIéTON, RIEN DE PLUS Eric Guglielmi a suivi la route empruntée par Arthur Rimbaud. Expo photo au Musée Rimbaud à Charleville-Mézières jusqu’au 23/10. 12 ~ NEBENAN Expo de Katrin Ströbel en partenariat avec Interface à la galerie Barnoud à Dijon jusqu’au 23/7. 13 ~ ART OF FAILURE Nicolas Maigret et Nicolas Montgermont proposent une expérience sensible d’Internet en donnant à entendre les flux audio qu’ils font voyager à travers le web. Du 9/7 au 18/9 à Bourogne (90). Fermé du 1er au 20/8. www.espacemultimediagantner. cg90.net 14 ~ LIgNE BLEUE L’expo “Juste une ligne bleue…” au Temple protestant d’Epinal revient sur l’arrivée des Alsaciens dans les Vosges après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne. Jusqu’au 17/7. 15 ~ gABRIEL VEYRE Virtuose de l’autochrome, Gabriel Veyre a dressé un portrait unique du Maroc du début du XXe siècle. Jusqu’au 31/7 et du 15 au 28/8 à la Chambre à Strasbourg. www.la-chambre.org

16 ~ FRAgMENTS D’USINE Pierre Chinellato expose ses photos du bâtiment 75 de l’ancienne usine DMC à la Cour des Chaînes à Mulhouse du 26/9 au 13/10. 17 ~ LA VALISE La Valise est à Chalon dans la rue du 21 au 24/7. www.lavalise.org 18 ~ FAIRE IMPRESSION De l’analyse critique à la fiction, du témoignage à la contribution scientifique, l’histoire de l’école d’art de Mulhouse éditée aux Presses du Réel par David Cascaro avec la collaboration de Yves Tenret est l’occasion de mêler les genres, les textes et les images pour dresser un portrait des écoles d’art de province. Interview en ligne de David Cascaro par Yves Tenret sur : www.radiomne.com (audio) + www.derives.tv (texte) 19 ~ 2 ARTISTES AU 19 Raphaëlle Paupert-Borne et Camille Saint-Jacques exposent au 19 à Montbéliard jusqu’au 25/9. www.le-dix-neuf.asso.fr 20 ~ gIANNI COLOSIMO Exposition de Gianni Colosimo “L’art contemporain raconté aux enfants” au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 4/9. www.centrepompidou-metz.fr


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21 ~ PETER KNAPP Le musée Niépce de Chalon consacre tout un week-end à Peter Knapp à l’occasion de sa donation, les 16 et 17/9. www.museeniepce.com 22 ~ UNTITLED En juillet, showroom des éditions Untitled au salon de thé Mon Loup, 10 rue Pasteur à Besançon. www.editions-untitled.fr 23 ~ MON POSSIBLE Le nouveau disque de Dominique Petitgand regroupe des pièces sonores et musicales réalisées entre 2001 et 2010. www.icidailleurs.com 24 ~ CHAIR(E) FICTION Expo jusqu’au 4/9 à la Nef à Noirmont (Jura suisse). Le 4/9 : lecture performance sonore improvisée de Anne Zimmermann et Alexandre Kittel “Peau et truie” (à prononcer avec l’accent anglais). 25 ~ LE VENT DES FôRETS Au cœur de la Meuse, les six villages du Vent des Forêts invitent des artistes en résidence de création. De ces séjours naissent des œuvres à découvrir absolument ! www.leventdesforets.com

26 ~ REBELLES Le musée Niépce à Chalon propose trois superbes expositions jusqu’au 18/9 dont Rebelles, une série d’images du photographe zurichois Karlheinz Weinberger (1921-2006) découvert récemment par le milieu du cinéma et de la mode www.museeniepce.com 27 ~ CRéPUSCULE Expo de photos de Vincent Munier éclairées par un texte de Pierre Pelot au MuséumAquarium de Nancy jusqu’au 30/4/2012. 28 ~ PIERRE FEUILLE CISEAUX 3ème édition de «Pierre Feuille Ciseaux» autour d’une certaine forme de BD à La Saline royale d’Arc et Senans du 3 au 9/10. www.pierrefeuilleciseaux.com 29 ~ DIONYSOS 9ème édition du festival littéraire (et gourmand !) “Les Petites Fêtes de Dionysos” du 7 au 10/7 à Arbois et dans le Pays de Revermont. www.crl-franche-comte.fr 30 ~ AYE AYE V.O 17ème édition du sympathique festival de cinéma à Nancy du 3 au 10/9 (ndlr : Le aye aye est un petit lémurien qui possède de grands yeux, de grandes oreilles et des mœurs nocturnes). www.ayeaye-vo.com

31 ~ ALIBI#2 Véronique Hubert, qui expose à Belfort jusqu’au 25/9 suite à sa résidence au Centre chorégraphique (Voir Novo n°14), propose une performance le 23/9 à l’espace gantner à Bourogne. Visuel © Samuel Carnovali. http://veroniquehubert.free.fr 32 ~ SYLVIE AUVRAY Expo du 8/7 au 14/8 à la chapelle de l’Ancien Collège des Jésuites, Frac Champagne-Ardenne à Reims. Discussion avec l’artiste et Xavier Douroux le 7/7. www.frac-champagneardenne.org 33 ~ CLOTILDE LATAILLE L’espace Toshiba House à Besançon accueille Clotilde Lataille jusqu’au 25/7. Rens : 03 81 51 28 21 / toshiba.house@yahoo.fr 34 ~ JEAN BERTHOLLE Exposition “Jean Bertholle, la matière et l’esprit” à Dijon jusqu’au 19/9. http://mba.dijon.fr 35 ~ ART DE HAUTE ALSACE Le Musée des Beaux-arts de Mulhouse présente un panorama de la création artistique régionale après-guerre. Jusqu’au 18/9. www.mulhouse.fr

36 ~ TINgUELY Une expo (Voiture fétiche. Je conduis, donc je suis) et des séances de ciné en plein air placées sous le signe de la bagnole (Night on Earth, Bullitt, Thelma et Louise, Lost Highway, Traffic, Weekend etc.) au Musée Tinguely à Bâle cet été. www.tinguely.ch Arnold Odermatt, Wolfenschiessen, 1964 © Urs Odermatt, Windisch

37 ~ HENRIK OLESEN Expo jusqu’au 11/9 au Museum für Gegenwartskunst à Bâle. www.kunstmuseumbasel.com 38 ~ SECOND LIVES Expo “Second Lives : Jeux masqués et autres Je” jusqu’au 11/9. www.casino-luxembourg.lu 39 ~ DENIS ROBERT “Un type avec un regard d’artiste sera toujours plus fort qu’une multinationale”. Une expo de Denis Robert à deux pas de Clearstream à la Galerie Michel Miltgen au Luxembourg. Jusqu’au 30/7. www.galeriew.com 40 ~ LES VEILLEURS DE BELFORT L’envoyé spécial de Novo sera un des premiers veilleurs de Belfort le 19/9 à 7h15 ! Compte-rendu dans Novo N°16. Vous aussi, réservez votre tour pour être un des 731 participants de ce beau projet imaginé par Joanne Leighton. http://lesveilleursdebelfort.ccnfcbelfort.org

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LE CORBUSIER EXPOSE

IMAgES INéDITES

MAC ADAMS

LET’S DISCOVER

Comment concevoir un lieu d’exposition ? Comment bâtir un musée ? Tout au long de sa vie, Le Corbusier a développé une série de propositions singulières pour la présentation de son œuvre architecturale et plastique. L’expo présente les étapes les plus significatives de la recherche et de la création d’un nouvel espace muséal. En 1963, le projet de réaménagement intérieur du musée des Beauxarts de Besançon fut proposé à Le Corbusier, réputé en Franche-Comté pour la chapelle de Ronchamp. Finalement, c’est Louis Miquel, un de ses disciples, qui conçu pour le musée une architecture intérieure révolutionnaire, s’articulant autour d’une spirale carrée en béton brut profondément inspirée des théories corbuséennes. (P.S.)

Lors de cette nouvelle édition de Photographes en Alsace proposée par Paul Kanitzer à la Filature, on pourra découvrir le reportage photo de Pascal Bastien publié en partie le 4 juin dernier dans Le Monde magazine. Pascal Bastien est parti parcourir le Japon à vélo quelques semaines après le tsunami. Ses images nous plongent au cœur de l’immense chantier de déblaiement auquel les Japonais vont devoir s’attaquer avant d’envisager la reconstruction. Autre invité, Stéphane Louis, superbe photographe inspiré notamment par Richard Brautigan dont on apprécie tout particulièrement les paysages américains désertés. Outre Paul Kanitzer lui-même, les autres photographes réunis sont Christophe Chabot, Nikola Curavic, Philippe Lutz, Vincent Munier et Éric Vazzoler dont on est très curieux de découvrir les derniers reportages. (P.S.)

Les photographies et installations de Mac Adams abordent la question de la narration et explorent le potentiel fictionnel pouvant émerger de la juxtaposition de quelques images ou objets. Ses œuvres, souvent organisées en séquence de deux ou trois images, donnent à voir des bribes narratives desquelles l’action principale est toujours absente, reléguée dans l’espace entre les images, dans l’ellipse temporelle, ou le horschamp. Mac Adams définit cette approche sous le terme de « vide narratif ». Mac Adams réalise également des installations. Trois de ces installations sont présentées au Mudam en parallèle à une sélection de prises de vues des années 1970 à nos jours, dont une imaginée spécialement pour le pavillon du musée. (P.S.)

Après la réussite de l’édition 2010, ce festival d’images et de musiques, a su par sa singularité et sa convivialité s’inscrire dans le paysage culturel colmarien. Ici point de « têtes d’affiche » : cette édition est marquée par une forte présence d’artistes régionaux. En effet, Natala est un festival tremplin qui se positionne entre le monde du cinéma, avec la projection de films tels que The Big Lebowski, et le monde de la musique, ce qui le rend attractif et atypique. Natala doit son succès à ses ateliers, ses siestes musicales, ses projections de films en plein air et pour la première fois des ciné-concerts. Le groupe colmarien Colt Silvers, déjà programmé pour un DJ set explosif, présentera en exclusivité une relecture musicale du film culte Blade Runner. L’ambiance conviviale du Parc du Natala saura donner aux festivaliers un environnement propice à la fête et à la découverte. (S.B.)

Du 9/07 au 10/10 au Musée des Beaux-arts et d’Archélogie de Besançon www.besancon.fr — Photo : J. Camponogara, Exposition Le Corbusier. Musée des Beaux-Arts - Lyon, 1956. « Le Corbusier expose » © FLC / ADAGP 2011

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Du 9/09 au 23/10 à la Filature de Mulhouse www.lafilature.org

Jusqu’au 11/09 au Mudam au Luxembourg www.mudam.lu

Festival du 13/07 au 18/07 au Parc du Natala à Colmar www.natala.hiero.fr


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PEAU NEUVE

NATURE ET DéCOUVERTES

BUSSANg SUR LES PLANCHES

MU(L)TI-DIRECTIONS

Né à Dijon en 1977, le centre d’art le Consortium a un nouveau site. Virtuel (http://leconsortium.fr), mais surtout bien réel : fruit d’un vaste projet de réaménagement et d’agrandissement de l’Usine, le lieu, impressionnant par la diversité de ses espaces, a ouvert début juin. Outre la programmation débutante d’autres structures, l’Usine accueille une exposition d’ouverture. Une proposition en deux parcours, l’un étant initié en collaboration avec l’artiste américain Dan Graham. Dans ce qui ressemble parfois à un voyage dans l’histoire du centre, l’installation des pièces – de Yayoi Kusama à Cindy Sherman, de François Pompom à Daan van Golden – révèle une fois de plus la liberté et l’intelligence de regard de cette équipe. (C.C.)

Fin août, alors que les festivals estivaux deviennent aussi rares que les primevères, Entre cour et jardins explore les nouvelles formes des arts de la scène. Pour sa douzième édition, la manifestation réunit entre Dijon et les jardins de Barbireysur-Ouche une multitude d’artistes. On y croise musiciens, performeurs, danseurs ou encore comédiens, chaque équipe recomposant à sa façon le paysage investi. Ainsi de L’IRMAR, qui propose L’IRMAR se la coule douce, sa nouvelle création. Dans cette forme emmenée par la jeune bande à l’humour aussi vaseux que génial, les déséquilibres deviennent langage et chaque anacoluthe permet, par l’infime erreur de construction qu’il suggère, de décaler notre regard. (C.C.)

Exposition d’ouverture, jusqu’au 10/11, Le Consortium à Dijon http://leconsortium.fr

Festival du 26/09 au 3/10 à Barbirey-sur-Ouche et Dijon www.ecej.fr

Le théâtre du Peuple à Bussang dans les Vosges, reprend du service cet été pour la 116ème année. Deux représentations théâtrales sont proposées : l’une aborde le thème des relations sociales pendant l’âge d’or industriel des Vosges au XIXe siècle, l’autre présente un spectacle décalé et étourdissant. Le Brame des Biches, spécialement créé pour le festival, favorise de belles interactions entre 40 acteurs professionnels et amateurs, interprétant des personnages de l’époque en quête d’amour, de reconnaissance. On nous raconte le besoin de liberté des femmes en 1890, qui s’émancipent et s’affirment dans cette société. Grand fracas issu de rien, cabaret spectral mêlant théâtre, chant et acrobaties (vocales et physiques !) apportent une touche de music-hall à ce festival réjouissant et touchant. (A.B. et L.L.)

C’est la première tournée de Ricardo Muti depuis que le célèbre chef d’orchestre italien a pris la direction du Chicago Symphony Orchestra, succédant ainsi à Bernard Haitink. Au programme de la petite dizaine de dates (Salzbourg, Lucerne, Paris, Dresde, Vienne), dont deux dates consécutives au Philharmonie, à Luxembourg, la suite de Romeo et Juliette de Prokofiev, la Symphonie en mi bémol d’Hindemith le premier soir, Strauss, Chostakovitch et Rands le second. De Bernard Rands, compositeur angloaméricain, il interprète la Danza Petrificada, inspirée des mélodies et rythmes traditionnels mexicains. Une manière de rappeler qu’on peut être une star de la musique classique, mais qu’on ne néglige pas de révéler les subtilités, voire les raretés, du répertoire au plus grand nombre. (E.A.)

Du 14/07 au 27/08 au Théâtre du Peuple Maurice Pottecher à Bussang www.theatredupeuple.com

Les 30/08 et 31/08 au Philharmonie, à Luxembourg www.philharmonie.lu

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Licence n°3-1020057 ∑ Illustration : Lili & Beko ∑ Conception : médiapop

rue a l de s t r s a 11 e d l va llet 20 i t s e F jui 7 1 14 -


par emmanuel abela photo : nina hagen par jim rakete

focus SUMMER OF gIRLS, programmes consacrés aux filles sur Arte en juillet et en août www.arte.tv/fr

girls girls girls Sur Arte, les girls sont à l’honneur. Artistes, muses ou groupies, elles revendiquent leur place dans l’histoire de la pop ou de la soul music. Un cycle complet permet de contrecarrer l’omniprésence des hommes et de rétablir quelques vérités.

On se souvient à la fin des années 70 de ces articles dans la presse rock qui semblaient s’étonner, et même de temps en temps se réjouir, de la présence renforcée des artistes femmes à la tête de certaines formations. Comme si cela n’avait pas été une évidence très tôt pour certains de nos critiques du haut de leur position crypto-phallocrate. Pourtant, elles étaient déjà nombreuses à avoir su imposer leur voix, aux côtés de leurs collègues masculins : les monuments Joan Baez, Janis Joplin ou Aretha Franklin n’avaient rien à envier à Bob Dylan, Jim Morrison ou Marvin Gaye. Même conscience, même ferveur, personne n’osait contester leur

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importance. Sans doute à l’arrivée de nouveaux monstres sacrés au milieu des années 70 s’eston reposé la question : mais Patti Smith, Nina Hagen, Kate Bush, et les divas de la soul, Tina Turner et Diana Ross, qui connaissaient un regain de popularité, finissent par apporter de nouvelles réponses, parfois avec plus de conviction, ouvrant ainsi la voie, la décennie suivante, à Madonna, la seule en capacité de rivaliser avec la déferlante Mickael Jackson ou Prince. Les Girls ne sont pas là pour faire de la figuration ni pour jouer les pin-ups, elles méritent qu’on s’intéresse à elles, et même à elles seules. Après, les Summers of des années précédentes, consacrés aux années 60 et 70, la chaîne Arte a eu la très bonne idée d’égayer notre été avec un cycle consacré à toutes ces artistes féminines qui ont su s’imposer dans un milieu artistique prétendument d’hommes. Toutes les grandes figures y sont représentées, en concert, dans des biopics ou des documentaires parfois amusants comme Girls in Popsongs, qui parcourt toutes ces muses d’une vie ou d’une nuit, dont on connaît le nom grâce au titre d’une chanson : Peggy Sue de Buddy Holly, My Sharona de The Knack ou Suzanne de Leonard Cohen. Artistes du passé, artistes du moment, l’incontournable PJ Harvey – sans égale dans sa manière d’en imposer aux petits gars ! – ou Anna Calvi, révélée tout récemment, et artistes de demain, elles sont toutes là, affirmant à terme, qu’elles sont même en capacité de prendre le pouvoir. D


par philippe schweyer photo : surveillant entre deux sculptures de Brancusi par philip anstett

focus BRANCUSI / SERRA, exposition jusqu’au 21 août à la fondation Beyeler à Riehen / Bâle. +41 (0)61 645 97 00 – www.fondationbeyeler.ch

Rencontre du troisième type La fondation Beyeler consacre son exposition d’été à Constantin Brancusi (1876-1957) et Richard Serra (né en 1939). Si le dialogue entre les deux artistes peine à s’installer, leur confrontation raconte l’évolution de la sculpture depuis un siècle.

Alors que les visiteurs n’ont généralement pas plus d’une heure à consacrer à une exposition, les surveillants y passent tant de temps que parfois un petit miracle se produit. La preuve avec cette conversation secrète saisie au vol entre un surveillant (photo), Brancusi et Serra : Surveillant : J’aimerais savoir si pour vous la simplicité est une finalité. Brancusi : La simplicité n’est pas un but dans l’art, mais on arrive à la simplicité malgré soi en s’approchant du sens réel des choses. Surveillant (se penchant entre deux plaques d’acier de 3 mètres de haut et 10 mètres de long courbées par Serra) : Je dois être un peu idiot, mais à part le fait que vous soyez tous les deux des précurseurs, Brancusi comme fondateur de la sculpture abstraite et Serra avec ses œuvres minimalistes en acier, je ne comprends pas ce que vous faites ensemble ici. D’un côté je vois des formes arrondies et sensuelles, de l’autre d’immenses pièces austères tout en angles. Serra : À l’époque où je vivais à Paris, je n’avais encore fait aucune sculpture, mais pendant un mois, je suis allé presque tous les jours à l’atelier de Brancusi pour y dessiner. Je considère son œuvre comme un catalogue de possibilités artistiques. Surveillant (se figeant entre un bronze poli et un marbre blanc) : J’aimerais être aussi beau que vos sculptures… J’adore votre Princesse X. C’était culotté ce buste en forme de symbole phallique pour l’époque ! Brancusi : Il y a un but dans toutes les choses, pour y arriver, il faut se dégager de soi-même. Surveillant : C’est facile à dire. Je voudrais vous y voir si vous deviez, comme moi, veiller sur les tonnes d’acier de Serra… Vu le mal qu’on a eu à les faire entrer-là, je ne vois pas qui va chercher à les voler !

Brancusi : Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile, c’est de se mettre en état de les faire. Surveillant (Tournant autour d’une lourde brame d’acier posée sur sa tranche) : Je me demande où est la poésie ? Qu’avez-vous voulu dire en baptisant cette œuvre Fernando Pessoa ? Serra : Dans le fond, je voudrais faire des sculptures qui incarnent un nouveau mode d’expérience, qui ouvrent des possibilités de sculpture encore inédites. Surveillant : Je comprends… Vos mots pèsent des tonnes, mais comme Pessoa vous réussissez à les tordre pour leur donner un sens nouveau. D

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par caroline châtelet

focus SCENES DE RUE, festival du 14 au 17 juillet à Mulhouse Les 15 et 16 juillet, le collectif Les Ustensibles transforme la Cour de Lorraine en Zooki bar jusqu’à 2h du matin (avec Dj Hamid Vincent aux platines)

L’envol de la ville Au départ simple animation estivale, Scènes de rue continue son développement et compose une quinzième édition profondément éclectique. Une programmation transgenre qui confronte différentes générations d’artistes et de multiples esthétiques, à l’image du développement tous azimuts que connaissent les arts de la rue ces dernières années.

à Scènes de rue, le jeu des kyrielles à la « trois petits chats » pourrait correspondre à la prise de conscience du porteur du festival – en l’état le service d’animation culturelle – des enjeux d’un tel rendez-vous. Bon, me direz-vous, tout comme dans la comptine enfantine, il n’existe pas de logiques communes à ces Scènes plurielles – l’une étant municipale là où l’autre relève d’initiatives privées. Soit. Mais toutes deux partagent bien le même territoire d’action. Et nommer une manifestation en ayant conscience de ses « confrères » sous-entend une connaissance des responsabilités que le geste de programmation comporte. Autrement dit, que le festival est pensé au-delà du pur objectif « d’animation estivale » et que ses instigateurs, en s’intéressant aux logiques des spectacles qu’ils invitent, les accompagneront certainement mieux. Ce qui est, à terme, aussi bénéfique pour les artistes, pour le public, que pour le territoire irrigué... Là pour sa quinzième édition, ce sont une bonne vingtaine de compagnies que Scènes de rue réunit. Et tandis que les jeunes pousses croisent les références, la danse – qui a le vent en poupe dans l’espace public –, le cirque, la musique et les arts plastiques démontrent l’obsolescence du terme de « théâtre de rue », auquel on préfère celui d’« arts de la rue »... Côté « référencés », donc, L’Enterrement de Maman par la compagnie Cacahuète propose une déambulation en forme de cortège funèbre. Ou comment une famille de loosers aux tares diverses tente d’atteindre le cimetière pour mettre Maman en terre. Si les Cacahuètes ne font assurément pas dans la dentelle, revendiquant d’ailleurs largement un humour bulldozer, le cortège donne parfois lieu à d’étonnantes confrontations. Pour autant, c’est chez Par le Boudu que se trouve la vraie cruauté. Une cruauté magistrale, qui contient en elle-même son revers, à savoir une forme de bonté sublime. Dans ce solo de clown, Bonaventure Gacon interprète un personnage aussi terrifiant que malheureux, rustaud que maladroit, quoique capable de pirouettes au débotté. Ce Boudu est un ogre, de ceux dont le cœur penche pour les petites filles et pour le « jaja ». Mais derrière sa méchanceté et son cynisme, c’est un clown aussi désenchanté que sensible qui se révèle, un personnage à la richesse de caractère et à la complexité bien humaines D. Place des Anges, les Studios de Cirque

À sa création en 1998 par la ville de Mulhouse, il s’appelle le Festival de théâtre de rue de Mulhouse. Cet intitulé à prendre au pied de la lettre désigne alors clairement la simplicité de son ambition, à savoir l’animation culturelle. Quelques années plus tard, en 2001, il devient Scènes de rue, nom qu’il conserve à ce jour. Et mine de rien, le changement d’appellation en dit long sur l’évolution de la conception de la manifestation par ses organisateurs... Tout d’abord, Scènes de rue n’est pas choisi au hasard et renvoie à un autre festival, consacré, lui, aux musiques actuelles. Et de Bêtes de scène porté par le Noumatrouff [dont la 21ème édition aura lieu du 7 au 10 juillet, ndlr]

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par emmanuel abela

focus BêTES DE SCÈNE, festival du 7 au 10 juillet (avec Saul Williams le 9 juillet) au Noumatrouff, à Mulhouse www.noumatrouff.fr

Combat pop Saul Williams fait se rencontrer les Stooges, Funkadelic et David Bowie, et renoue avec la vocation pop des débuts en tentant d’éveiller les consciences endormies. Pour la vingtième édition de Bêtes de Scène, il enflammera les foules comme il sait le faire : de manière pugnace, en phase avec son temps.

Le concept d’évolution est important pour vous, et vous voulez échapper aux étiquettes qu’on pourrait être tenté de vous coller, comme celle d’un slammeur par exemple... Oui c ’est primordial. Je suis un explorateur. Changer pour changer ne présente aucun intérêt, mais à un certain moment certaines personnes hésitent à évoluer. Et je refuse d’adopter cette attitude. Je veux me développer, j’aime me lancer des défis pour progresser dans tout ce que je fais. Si je fais de la musique, et bien mon défi sera d’écrire de meilleures chansons. Beaucoup de choses découlent pour moi de cet état d’esprit. J’ai l’esprit de compétition, et j’assume mon ambition. Je suis en constante évolution.

Vos chansons ont toujours des paroles très denses. En écoutant celles de Volcanic Sunlight, on vous sent presque apaisé. Je crois aux textes qui passent l’épreuve du temps. J’adore la poésie et je crois en elle. Je me définis plutôt comme un songwriter que comme un musicien d’ailleurs. J’écris des recueils de poésie et je ne conçois pas un titre comme de la poésie orchestrée. Beaucoup de gens pensent que je suis poète. Mais je n’ai jamais eu la prétention de m’autoproclamer comme tel. Je veux avant tout écrire des chansons.

Votre dernier album vous inscrit un peu plus dans l’histoire de la pop, doit-on en déduire que c’est un nouveau tournant musical ? Bien sûr. Je ne cours pas après la reconnaissance du milieu underground. I believe the mainstream is the ocean, you know. J’assume mon ambition d’être grand public. Le mot pop n’est que le raccourci de “populaire”. Je ne suis pas de ceux qui commencent à mépriser quelque chose dès que 10 millions de gens s’y intéressent aussi. C’est ridicule. La pop fait sens pour moi. David Bowie par exemple est un artiste avant toute chose. Il m’inspire par sa maîtrise de la communication avec les médias et par sa capacité à convaincre les masses et à emmener les gens dans son univers. Tout comme U2. U2 a pris à cœur de s’engager politiquement et de mener cet engagement à un très haut niveau. On peut dire ce que l’on veut sur eux, j’aime leur héritage, ils m’émeuvent. D

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par emmanuel abela

par emmanuel abela

LES NUITS DU RAMADAN, festival du 15 au 17 septembre à La Filature, à Mulhouse www.lafilature.org

LA FOIRE AUX VINS DE COLMAR, avec Scorpions le 5 août, la hard rock session le 7 août (Judas Priest, Sepultura…) www.foire-colmar.com

focus

SHUF !

Magnétisme animal

Depuis 5 ans, les Nuits du Ramadan favorisent les échanges culturels, et conduisent à La Filature des publics qui n’en ont pas forcément l’habitude. Cette année, plusieurs spectacles, dont celui de Natacha Atlas, habituée à jeter des passerelles entre les genres.

Scorpions a décidé de faire ses adieux lors d’une tournée qui l’engage jusqu’en 2012. Son passage à Colmar s’annonce comme un moment d’émotion partagée à coups de belles balades acoustiques, mais aussi de riffs hautement électrifiés !

Elle est habituée à vivre les choses avec beaucoup de naturel ; Natacha Atlas a donc vécu son succès français sans se poser de questions. « Ce qui importe c’est de continuer à avancer », affirme-t-elle avec conviction. « Et de retourner à ce qui vous semble naturel, justement. » c’est sans doute pourquoi elle mixe avec aisance, ce qui fait l’essence de ses origines africaines à l’électronique et même aux sonorités sud-américaines. Une manière pour elle de chanter une forme d’universalité, au-delà des préjugés. « On ne le soupçonne pas, mais si vous écoutez Fayrouz par exemple, vous entendez une sensibilité latine. La fusion que j’opère me précède largement, on peut la faire remonter aux années 50, voire bien au-delà ! » Cette vision qui dépasse les frontières et les mentalités explique en partie la présence de cette grande dame de la chanson, dans le cadre d’un festival, Les Nuits du Ramadan, qui cherche à rassembler au-delà des pratiques religieuses et culturelles. Les festivités aux couleurs de l’Orient se prolongent après les spectacles sur le parvis de La Filature. Nombreuses sont les associations locales à venir faire découvrir les saveurs et traditions du monde, pour des instants de partage, animés notamment le dernier soir par Azdine Boufrioua et son ensemble Noujoum el Leïl, qui réunit des artistes d’horizons différents et entremêle les rythmes chaleureux et mélodies entrainantes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. D

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De Scorpions, on ne retient sans doute à tort que ses slows. Mais il ne faut pas occulter la dimension éminemment rock’n’roll du célèbre groupe heavy allemand, dont les débuts, on l’oublie parfois, remontent loin, au cours des années 60 à Hanovre. Trop jeune pour participer à l’explosion du heavy-metal aux côtés de Led Zeppelin et Deep Purple, mais trop âgé pour participer à la vague britannique des Iron Maiden, Saxon et Judas Priest, le groupe allemand ne s’en est pas moins frayé un chemin, enchaînant les productions remarquables au cours des années 70. Certaines pochettes en ont scotché plus d’un, elles sont restées emblématiques d’une époque. La pochette de Virgin Killer en 1976 par exemple, étonnamment subversive ou la photo de Lovedrive, réalisée par Storm Thorgerson de la firme Hipgnosis, primée par Playboy Magazine en 1979. Au-delà de la forte charge érotique, Scorpions montrait qu’il avait su dépasser les modèles, aussi bien visuellement que musicalement. Rudolph Schenker et la petite bande s’imposaient dès lors, et les enregistrements du début des années 80, Animal Magnetism – autre grande réussite visuelle pleine de perversité – ou Blackout, révélaient une force sombre, mais maîtrisée, loin des gimmicks du genre. Après, l’histoire de la FM ne veut retenir que les hits sirupeux, mais de son passé glorieux, il reste une énergie incomparable et cette complicité qui lie Klaus Meine, chanteur à la voix immédiatement reconnaissable, et le guitar-hero toujours aussi vaillant, Rudolf Schenker. D


par sylvia dubost

focus BRICE DELLSPERgER ET JEAN-LUC VERNA, exposition, du 18 juin au 28 août au Frac Alsace à Sélestat http://frac.culture-alsace.org

Cover Brice Dellsperger et Jean-Luc Verna sont passés maîtres dans l’art de la reprise, du travestissement, du décalage. Alors qu’ils collaborent depuis plus de dix ans, cette exposition partagée est une première française.

Body Double 22 de Brice Dellsperger, avec Jean-Luc Verna

Ces deux-là forment un curieux attelage. Brice Dellsperger, vidéaste, paraît bien sage à côté de « l’apparition » Jean-Luc Verna, plasticien, photographe, acteur et danseur, au corps façonné comme une sculpture polychrome. Leurs travaux respectifs entretiennent pourtant bien des points communs : la volonté de mêler « haute et basse culture », la mise en scène du corps, un sens certain du travestissement et des images ambiguës. Fasciné par la mythologie du cinéma, Dellsperger poursuit depuis 1995 sa série Body Double, où il fait rejouer des scènes de ses films cultes en gardant la bande-son originale et en introduisant une multitude de décalages, au premier rang desquels l’inversion des sexes. Jean-Luc Verna organise dans des dessins fortement autobiographiques des rencontres entre icônes : celles de l’histoire du rock (Siouxsie Sioux est sa « muse n°1 »)

et celles de l’histoire de l’art (crucifixions, vanités, etc.). « Toutes ces images resucées de l’histoire de l’art dont on croit qu’elles ont tout dit, je leur fais redire quelque chose », explique-t-il. Leur premier carton, Dellsperger et Verna le connaissent ensemble avec Body Double X, réalisé quelques années après leur rencontre sur les bancs de la Villa Arson à Nice. Après avoir longuement exploré les films de Brian de Palma, Dellsperger se lance ici dans un long métrage, en reprenant intégralement L’important c’est d’aimer d’Andrzej Zulawski, avec Jean-Luc Verna dans tous les rôles. Le décalage est permanent : dans l’apparence des personnages, évidemment, dans les décors, dans les trucages apparents et la superposition des images. « C’est un hit », montré partout dans le monde, et Verna devient l’interprète fétiche et souvent unique de Dellsperger. Dans Body Double 22, remontage d’Eyes Wide Shut autour de la scène des masques, il est aussi bien Nicole Kidman et Tom Cruise que tous les figurants du château. Une déconstruction et reconstruction jouissive, à l’image de celles qu’ils opèrent, ensemble ou séparément, sur nos mythologies. D

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par sylvia dubost

focus DER SCHLAF DER VERNUNFT, exposition, du 24 juin au 8 octobre à La Chaufferie à Strasbourg (fermé du 2 au 28 août) www.esad-stg.org

Le monde selon Damien Artiste énervé, Damien Deroubaix (né en 1972) n’a de cesse de dénoncer et de combattre la violence du monde. L’exposition Der Schlaf der Vernunft (le sommeil de la raison) réunit peintures et sculptures conçues comme des moyens d’actions.

Damien Deroubaix, Fall from Grace, 2010, aquarelle, encre, acrylique et collage sur papier, 410 x 268 cm

Tous les matins, Damien Deroubaix arrive à son atelier, allume la radio, écoute les infos et se met au travail. Ses œuvres naissent au son de la fureur du monde. Ou de Napalm Death, ce qui revient au même. Des peintures sur papier et des plaques de bois gravé, essentiellement en très grand format (entre 2 et 4 m), des sculptures entre autel, totem et cabinet de curiosité, où Damien Deroubaix expose la violence quotidienne, sociale, économique, sexuelle et militaire. Si les artistes froncent les sourcils dès que l’on parle de « message », lui, entré en art avec Guernica de Picasso, le revendique. Damien Deroubaix semble chercher une confrontation directe avec le spectateur. Les titres de ses œuvres, Babylon, World downfall, sont limpides et sonnent comme des titres rock. L’absence presque totale

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de perspective place tout au premier plan, en accès direct et frontal. La simplicité des matériaux semble indiquer un refus de sophistication superflue. La matière même de la peinture, liquide et donc dégoulinante, dit la rapidité d ’exécution, ou plutôt l’urgence. Et surtout, le vocabulaire visuel ne laisse pas de doute : chez Damien Deroubaix, la brutalité de la réalité et du cauchemar se confondent. Si les peintures (et les sculptures) permettent une lecture immédiate, elles n’en restent pas moins complexes, dans leurs références et leur agencement. Sur un fond systématiquement noir (encore un signe clair), se déploie un alphabet personnel de figures symboliques des violences contemporaines et souvent récurrentes : Ben Laden, Bush, faucheuse, drapeaux, crânes, barbelés et miradors, reptiles et fauves, êtres hybrides, femmes aux seins multiples… Un alphabet qu’il combine et re-combine comme pour tenter de décrypter le monde, et qui emprunte tant à l’actualité et aux cultures populaires qu’à l’histoire de l’art et de la peinture dans laquelle Deroubaix est conscient de s’inscrire. Un alphabet qui ne cessera de s’enrichir, tant que l’homme ne s’éveillera pas de son long Schlaf der Vernunft. D


par cécile becker photo : michel birot

par cécile becker

CHRONIQUES D’UNE HAINE ORDINAIRE de Pierre Desproges, mise en scène Michel Didym, du 14 au 22 septembre au Théâtre de la Manufacture, à Nancy 03 83 37 42 42

ANABASE et 27 ANNéES SANS IMAgES, exposition jusqu’au 25 septembre au Centre d’art contemporain, la Synagogue de Delme, à Delme 03 87 01 43 42 – www.cac-synagogue.org

focus

Le grand rapporteur

Quitter, revenir, grandir

Une civilisation sans son Pierre Desproges, c’est aussi absurde qu’un poisson sans bicyclette. Alors une ville sans son théâtre, ça n’a pas de sens. Souriez, vous êtes sauvés. En plus de revenir entre ses murs tout nouveaux, tout beaux, la Manu s’offre l’humour cinglant de Pierre Desproges.

L’anabase. Celle d’éric Baudelaire. Mais surtout celle de May Shigenobu, la fille de Fusako Shigenobu, fondatrice de l’Armée rouge japonaise. Celle de Masao Adachi réalisateur avant-gardiste. L’anabase : ils ont quitté leur pays, le Japon, puis l’ont retrouvé.

Michel Didym, directeur du théâtre de la Manufacture de Nancy, aura deux bonnes raisons de se montrer heureux en septembre. La première c’est la réouverture de son théâtre, qui, pendant plus d’un an s’est payé un beau ravalement de façades, et bien plus encore : meilleure acoustique, accessibilité améliorée et espaces plus conviviaux. La deuxième, c’est l’ouverture de la saison avec un hommage à Pierre Desproges, que Michel Didym a lui-même mis en scène avec Chroniques d’une haine ordinaire. Après avoir livré Les Animaux ne savent pas qu’ils vont mourir du même auteur de génie, le directeur de la Manu a voulu se pencher sur une autre facette du clown grave. Parce que celui qui a fait ses armes aux côtés de Jacques Martin au Petit Rapporteur est plus que l’interprète truculent que l’on connaissait sur le petit écran. Le metteur en scène s’est intéressé à l’auteur : celui qui écrivait de sa langue fracassante et jubilatoire, celui qui a fait de ses mots l’argument le plus délicieux contre ceux qui ne bougent pas : les puissants, les bien-pensants, les riches, les moins riches. Avec deux actrices de talent : Christine Murillo, créatrice des jeux de langage Xu et Oxu et Dominique Valadié, les chroniques distillées par notre Pierre Desproges national deviennent le terrain de jeu de Michel Didym. Dans cette mise en scène, la face la plus complexe et peut-être aussi la plus sombre de Desproges sera mise en lumière. Étonnant, non ? D

Fusako Shigenobu fonde l’Armée rouge japonaise à Beyrouth, peu après avoir quitté Tokyo. Considérée comme terroriste, elle est obligée de cacher sa fille, May, restée clandestine pendant plus de 27 ans. Après l’arrestation de sa mère, May se construit une vie publique moins politique, moins idéologique. Fille d’un emblème de la révolution japonaise, elle raconte sa vie de recluse, sa vision de la révolution. À côté d’elle, Masao Adachi, réalisateur de l’avant-garde japonaise, friand de fûkeiron, ces films où l’on voit des paysages révélant l’emprise d’un pouvoir. Lui, a rejoint l’Armée rouge et a vécu en exil pendant 28 ans au Liban. C’est leurs anabases : ils quittent un pays dans les années 60, le Japon, pour le rejoindre 30 ans après, changé. Une errance, une quête de soi, des questions mais aussi des réponses. Outre l’intérêt esthétique de telles histoires sans images où il est en permanence question d’images, on suit les aventures personnelles de membres proches de la frange radicale de la gauche révolutionnaire. Éric Baudelaire brouille avec son exposition les frontières entre la fiction et le réel, parle d’engagement politique et de violence : un langage chargé de sens. Pour mettre en lumière ces récits croisés : une installation documentaire expérimentale, des sérigraphies quasi monochromes, un livret, et des vidéos où l’on croise les deux protagonistes sur des images fûkeiron. Un travail fascinant. D

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par amandine sacquin photo : stéphanie linsingh

focus DANIEL BUREN éCHOS, TRAVAUX IN SITU, exposition jusqu’au 9 septembre au Centre-Pompidou Metz, galerie 3 www.centrepompidou-metz.fr

Réflexion(s) Daniel Buren vient souffler la 1ère bougie du Centre Pompidou-Metz. Pour l’occasion, il nous offre deux installations qui viennent repenser l’espace muséal et l’expérience du spectateur. Les rayures se font plus discrètes pour une architecture, bien présente…

Il existe parfois des liens uniques qui unissent un artiste à un centre d’art. Pour son premier anniversaire, le Centre PompidouMetz renouvelle son attachement à Daniel Buren en l’invitant pour un nouveau projet dans la spectaculaire Galerie 3. Connaissant le lieu depuis sa construction, l’artiste qui « vit et travaille in situ » s’appuie sur la volonté paradoxale des architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines de construire un musée qui dirige le regard du spectateur sur l’extérieur. « Il me semblait claire qu’il y avait quelque chose à faire et je dirais que l’idée est de réintroduire dans le musée quelque chose qui lui est extérieur et qui est extrêmement fort. » Dans la première installation La Ville empruntée, multipliée et fragmentée : travail in situ, Daniel Buren renvoie dans le musée une vision panoramique de la ville de Metz. Cette vue se démultiplie grâce à un jeu de miroirs dans un dialogue permanent entre intérieur et extérieur. Le plafond de la galerie 3 offre aussi une incroyable ressource pour l’installation puisque son éclairage est divisé en 60 zones que Daniel Buren a choisi de dégrader pour jouer sur un subtil rapport de lumière naturelle / lumière artificielle.

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La seconde partie est consacrée aux cabanes éclatées imbriquées, travail plus architectural de déconstruction amorcé dès 1975. L’installation consiste en une série de cabanes aux surfaces intérieures colorées, constituant vues du dessus une suite de formes géométriques s’interpénétrant. Daniel Buren nous a confié utiliser comme à son habitude un protocole pour se dégager de tout choix personnel des couleurs. Ces dernières se succèdent dans l’ordre alphabétique du nom des trois couleurs primaires plus le magenta, suivant la langue du pays dans lequel il expose. Ce procédé lui permet de sortir d’un possible choix esthétique et signifie que la même installation présentée dans un autre pays, serait tout à fait différente. Ces indications de couleurs sont ici la seule façon pour le spectateur de distinguer dans sa progression l’intérieur des cabanes de leurs surfaces extérieures noires. Les parois laquées forment aussi un jeu de réflexion avec le spectateur, donnant son titre à l’ensemble de l’exposition : Échos. En ce qui concerne les rayures, Daniel Buren a choisi d’en faire l’économie et elles n’apparaissent que dans l’encadrement des portes des cabanes et sur le mur du fond de la première installation. Il privilégie dans cette nouvelle exposition l’expérience physique du spectateur et sa relation avec le lieu. Il pense lui-même que ces deux travaux sont parmi les plus difficilement filmables et photographiables et que rien ne vaut une appréhension in situ. La meilleure solution est donc de se rendre compte de visu. D


par amandine sacquin

focus BERNI SEARLE, UN êTRE AU MONDE, exposition jusqu’au 18 septembre au Frac Lorraine, à Metz www.fraclorraine.org

Volutes noires Profondément enraciné dans l’histoire de l’Afrique du Sud, le travail de Bernie Searle sait tirer force et beauté d’un pays traumatisé par l’apartheid.

Snow White, 2001 - Double vidéo projection. Production Forum for African Arts, pour l’exposition Authentic, Ex-centric, 49ème Biennale de Venise (2001) © L’artiste

Berni Searle est une femme, sud-africaine et métis de surcroit ; ses œuvres sont résolument politiques et il pourrait difficilement en être autrement. Cette artiste originaire du Cap porte en elle toutes les contradictions de son pays, des origines mêlées, une éducation catholique dans une famille de tradition musulmane, une généalogie incertaine… Les cinq installations vidéo qu’elle présente au Frac Lorraine creusent cette question de l’identité, celle du corps mais aussi de la mémoire familiale et collective. La peau reste une préoccupation centrale de son travail photographique dans lequel elle se met en scène, le visage recouvert de poudre de couleur. On retrouve ce procédé dans l’installation vidéo Snow White où l’artiste, agenouillée et nue, se fait recouvrir de farine. Le corps immobile et statufié prend soudain vie en re-dévoilant la couleur de la peau et le corps de la femme. Celle-ci se met alors en action pour pétrir le pain dans un geste répétitif et hautement symbolique. Cette vidéo, première performance filmée de l’artiste, pose les bases de son questionnement de façon direct, presque frontale. Sans délaisser ses engagements, elle nous emporte dans la vidéo Moonlight [Clair de lune] un peu plus loin dans la représentation des réalités sociales. Des hommes trainent derrière eux des pneus enflammés sur le sol calciné d’un terrain vague, une chaine de montagnes en arrière plan. Le piano de la Sonate au clair de lune de Beethoven vient accompagner leur action. On oscille entre une mise en scène et la réalité absurde d’une population extrêmement pauvre qui brûle des pneus pour récupérer des bouts de métal. La fumée épaisse qui couvre l’écran se juxtapose avec le paysage montagneux et les volutes noires font peu à peu progresser l’image vers une abstraction poétique et mélancolique. La violence contenue des flammes laisse place à une vision spectrale et éthérée des plus saisissante. L’étage du Frac Lorraine est consacré à la dernière installation, About to Forget. Ici, la triple vidéo projection s’étale, imposante sur le mur, en baignant la pièce immaculée de lumière rouge. Trois groupes de personnages (trois générations de la famille de l’artiste) découpés dans du papier crépon écarlate se dissolvent dans une solution aqueuse. Derrière l’extrême simplicité des moyens mis en œuvre, Berni Searle

délivre un message complexe et douloureux sur le devoir de mémoire lié à ses origines. L’ensemble de l’installation sait malgré tout nous mettre à distance de tout pathos et clôt le parcours avec une grande sensibilité. L’exposition est augmentée d’une sélection de livres et d’une vidéo en relation avec l’apartheid et le travail de l’artiste ainsi que de planches de bandes dessinées du XIXe siècle révélatrice de la vision de l’homme blanc sur la population africaine. D

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par cécile becker

focus épinal tricolore, l’imagerie Raoul Dufy (1914-1918), jusqu’au 19 septembre Musée départemental d’art ancien et contemporain, à épinal 03 29 82 20 33

L’art de la guerre Il y aurait un art de la guerre autre que celui du stratège Sun Tzu, un art esthétique. Durant les conflits, la création ne s’arrête pas, elle dépasse les armes et le mauvais sort. Raoul Dufy, artiste patriote et engagé, mobilisé au début de la Première guerre mondiale, se passionne pour l’imagerie populaire et dessine sous tous ses attraits : la France.

Raoul DUFY, La Fin de la Grande Guerre © collection Centre Pompidou, Dist. RMN / Georges Meguerditchian © ADAGP, Paris, 2011

« J’ai vu Braque qui doit partir bientôt sur la ligne de feu. Quel mot extraordinaire à écrire. Pouvait-on supposer que les nôtres iraient se battre. La peinture moderne, l’art, la littérature, la Pologne, tous soldats ! » : en une phrase adressée à Fernand Fleuret, écrivain avec qui il a correspondu tout au long de sa vie, Raoul Dufy met en lumière son amour de l’art et sa passion pour la France. Patriote jusqu’au bout des ongles, il passe la majeure partie de sa vie d’artiste à peindre, dessiner, esquisser, interpréter le champ lexical rattaché à la France : ses emblèmes, ses soldats, ses couleurs. Sous la forme d’estampes qu’il collectionne dès les premiers temps de la guerre, de peintures, de livres illustrés ou même d’une série de carrés de soie, il donne trait à une période difficile à l’esthétique riche. Passionné par l’imagerie populaire, il reprend en peinture dès les débuts de sa carrière une image d’Épinal réalisée par François Georgin. Les couleurs de ces images, la puissance de leurs

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lignes fascinent Raoul Dufy. Au s ent iment patr io t ique populaire, renforcé par le conf lit, il veut donner une force plastique, comme si cette bataille l’accrochait avec encore plus d’acharnement à la pratique artistique. Au cours de sa carrière, R aoul Dufy a été attifé de nombreuses étiquettes et rattaché à différents courants : d’abord attiré par l’impressionnisme il s’influence grandement du fauvisme, adule Matisse et travaille avec Friesz, Lecourt et Marquet. Il peint côte à côte avec Georges Braque et au cours d’un voyage en Espagne se passionne pour le cubisme cézannien. Ces amis disent de lui que ses diverses influences le façonnent en artiste du futur. Jean Cocteau publie même en 1948 un livre sur l’artiste dans la collection Les Maîtres du dessin. Designer de mode, décorateur de théâtre, peintre, collectionneur toujours sous le prisme de la France et avec sa vision unique d’engagé, inspiré par la tradition imagière des Vosges, c’est entre toutes ses cartes postales, estampes, études au crayon, livres que l’on pourra se balader au musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal. Un témoignage esthétique rare d’un homme qui, en uniforme bleu militaire était serein et heureux. D


par cécile becker

focus PIERRE DIDIER, UN TEMPS DéVOILé DANS LE PARCOURS D’UNE œUVRE, exposition du 9 juillet au 18 septembre au Musée Pierre Noël et dans la ville de Saint-Dié-des-Vosges 03 29 51 60 35

C’est son réel L’hyperréalisme a toujours fasciné – « Oh, on dirait une photo ! » –, c’est peut-être pour ça qu’il a attiré Pierre Didier qui y a mêlé la peinture classique et des éléments surréalistes. Le tout se fond dans une figuration toutefois abstraite : l’artiste peint la matière, creuse le mystère d’une orange, déstructure le réel pour mieux le retrouver.

New York à l’indien, 1976-1977

Pierre Didier est originaire de Saint-Dié. Derrière une simple rime se cache un attachement à une région qui n’a jamais quitté ses pensées, qu’il a abandonnée et retrouvée. L’artiste n’a jamais perdu de vue cette ligne bleue, omniprésente dans sa quête de retranscription des choses simples et humbles. Jeune, il veut devenir prêtre, puis cuisinier, mais la guerre arrive, et sa maison brûle : un traumatisme. Toujours animé par un désir de création, les choses s’accélèrent pour lui à la suite d’un déménagement à Paris. Il rencontre Bernard Buffet qui l’entraîne sur les traces des grands maîtres de l’hyperréalisme (Vermeer, Van der Goes), il se nourrit alors de leurs techniques en y transposant une vision Léger, celle de Fernand : paysan de la couleur et du cubisme. Pierre Didier veut transfigurer le réel et il mettra longtemps à percer le mystère : il part du figuratif pour aller vers l’abstraction, une démarche personnelle, paradoxale, toujours guidée par un hippocampe. Oui un hippocampe. Derrière ses formes étranges, ses couleurs incroyables, ses textures difficiles, se cache sa muse. Toujours dans son atelier, l’animal sans vie le guide et l’amène vers La Grève, son œuvre clé où la nature morte prend vie. Raymond Charmet, écrivain d’art, dira : « Pierre Didier mêle la finesse technique des peintres de la Renaissance, l’esprit surréaliste et la modernité hyperréaliste dans les toiles issues de ces trois tendances qui pourraient s’intégrer dans la “nouvelle figuration” ». Parce que la modernité est le point commun d’un travail de plus de 60 ans : dans les années 50 il dessine des tapis, des tapisseries,

avant-gardistes pour l’époque, mais aussi des sculptures en métal : des personnages stylisés de formes géométriques aux couleurs primaires. En peinture, Pierre Didier part de la figuration et dépouille l’objet pour le placer dans une composition d’où est issue une puissance énergétique : la couleur circule, vibre. D’une cer taine sobriété est issue une modernité née de ces efforts d’abstraction. C’est cette quête de modernité, de justesse toute en représentation personnelle, qui sera mise en avant au musée Pierre Noël, comme une rétrospective du nouveau. Pierre Didier invente son propre réel, compréhensible par tous. D

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par philippe schweyer

focus COURBET CONTEMPORAIN, exposition au Musée des Beaux-arts de Dole jusqu’au 18 septembre et au Musée de l’Abbaye à Saint-Claude jusqu’au 2 octobre (dans le cadre de la saison Courbet organisée à l’occasion de la réouverture duMusée gustave Courbet à Ornans). www.musees-franchecomte.com

Courbet revisited Six petites questions à Anne Dary, conservatrice en chef des musées du Jura et commissaire, avec Valérie Pugin, d’une exposition qui réaffirme la vitalité, l’inventivité, l’indépendance d’esprit et le goût pour la liberté d’artistes contemporains qui n’ont jamais cesser de s’intéresser à Courbet.

Vague, 1995 - Photographie noir et blanc sur papier baryté, 242 x 248 cm FRAC Franche-Comté, © Balthasar Burkhard

3/ De Francis Harburger, né en 1905, à Louise Bossut, née en 1979, l’exposition rassemble trois générations d’artistes. Etait-ce une volonté de votre part ? Oui, comme je ne pouvais pas (pour des raisons de coût) montrer des œuvres de Picasso et Duchamp, j’ai commencé l’exposition avec la génération suivante pour montrer la continuité de l’intérêt des artistes pour Courbet. 4/ Le musée de Dole est réputé pour accorder une place de choix à la Figuration Narrative dans ses collections. Quelle connivence voyez-vous entre la peinture de Courbet et les œuvres de Erro, Fromanger et Schlosser ? Chez les artistes de la Figuration Narrative, il y avait la même volonté de s’inscrire dans la tradition d’une peinture figurative et d’une nouvelle peinture d’histoire qui parlait de leur temps.

1/ Qu’est-ce qui intéresse le plus les artistes contemporains chez Courbet ? Ce qui intéresse en premier lieu de nombreux artistes contemporains chez Courbet c’est la transgression ; par exemple quand Nina Childress réinterprète à sa manière L’enterrement à Ornans. Courbet tournait le dos aux conventions de son temps en peignant ce tableau, en haussant la peinture de genre au rang de peinture d’histoire. En féminisant et érotisant la scène, Childress transgresse à son tour une peinture devenue une « icône » de l’Histoire de l’art. L’engagement politique de Courbet intéresse également les artistes, ainsi Fromanger avec sa peinture rend hommage au Printemps arabe et Ming peint la colonne Vendôme par exemple ; leurs œuvres témoignent d’une vérité de la peinture d’être au monde. 2/ Existe-t-il une continuité entre l’œuvre de Courbet et l’art contemporain ? Oui, pour moi il est avec Manet, le premier artiste « moderne ».

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5/ Si Courbet revenait pour visiter votre exposition, quelle serait sa réaction ? Content, il me semble. Pour un artiste constater que son œuvre est comprise, qu’elle suscite une réflexion, qu’elle continue à être regardée par les autres artistes, qu’elle engendre de nouvelles productions, quoi de plus gratifiant ? C’est que l’histoire n’est pas terminée, que cette peinture est toujours vivante. 6/ Un mot sur la Vague de Balthasar Burkhard qui illustre cette page ? J’aimais beaucoup cet artiste, l’homme et l’œuvre. Il est décédé l’an passé. Ce choix de la Vague comme visuel de l’exposition constitue l’hommage que je souhaitais lui rendre ; par ailleurs c’est une très belle œuvre qui s’inspire de la série des vagues de Courbet, série magistrale et qui a révolutionné l’histoire du paysage. D


par philippe schweyer

focus NOTRE VALLéE, UN REgARD SUR LES COLLECTIONS CONTEMPORAINES, exposition jusqu’au 16 octobre au Musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard. www.montbeliard.com

Un regard contemporain Six petites questions à Aurélie Voltz, nouvelle directrice des musées de Montbéliard et commissaire d’une exposition mêlant figuration, abstraction, archéologie, sciences naturelles, beaux-arts et traditions populaires.

Jean-Michel Sanejouand, Sans titre, 1981, Acrylique sur toile, 100 x 81 cm, Collection musées de Montbéliard, Photo : Jacques Monnin

Le regard étranger et neuf sur ce patrimoine naturel d’une part, et culturel d’autre part des musées de Montbéliard, est le mien. Intituler l’exposition Notre Vallée était pour moi une tentative d’appropriation des collections. 3 / Vous avez disposé dans l’exposition des objets ou des œuvres provenant des autres collections comme, par exemple, un petit athlète datant de l’âge du fer qui fait face à l’hommage de Jean Messagier au boxeur Carlos Monzon. Que retenez-vous de ces rapprochements ? Essentiellement des rapports de forme qui sont parfois si forts qu’ils sont capables de faire fi de l’histoire et de l’espace. 4 / En quoi cette première exposition préfigure-t-elle votre action à la tête des musées de Montbéliard ? Dans la volonté de décloisonner les différents départements des musées : rapprocher des domaines comme l’archéologie, les sciences naturelles, les objets d’art et le contemporain est un défi que je me suis lancé pour les années à venir. 5 / Quels sont les artistes contemporains que vous rêvez de faire entrer dans les collections du musée ? Ceux qui, dans leur démarche, attitude ou mise en forme approchent de près ou de loin les problématiques, préoccupations, caractéristiques (formelles, thématiques, identitaires, etc.) développées par les œuvres des collections des musées ou plus généralement attenantes à l’histoire du pays de Montbéliard. 1 / Qu’est-ce qui vous a le plus étonné en découvrant les collections contemporaines des musées de Montbéliard ? Toutes ces incroyables estampes des années 70, aux couleurs éclatantes, cachées depuis quelques décennies dans les meubles à plan. 2 / Pourquoi avoir intitulé l’exposition Notre Vallée, un regard sur les collections contemporaines ? De quelle vallée et de quel regard s’agit-il ? Le titre est issu d’un dessin de Jean Messagier, grande figure locale, engagé écologiquement. Cette vallée « qui ne doit pas mourir » comme le dénonce si bien graphiquement l’artiste en 1988 est celle du Doubs.

6 / Un mot sur le tableau de Jean-Michel Sanejouand, qui illustre cette page ? Une pièce majeure de la collection, acquise en 1982. Entre figuration et abstraction, cet « espace-peinture » caractéristique de l’artiste donne le ton d’un paysage imaginaire. Placée en tout début de parcours, cette œuvre porte en elle une sérénité à laquelle j’invite chaque visiteur : se laisser porter les yeux fermés dans l’exposition, en laissant de côté pour un temps histoire et théorie. D

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L’ABCdaire de la sculpture Par Sandrine Wymann et Bearboz

La sculpture aujourd’hui, portée aux nues sur le marché de l’art et dans les grandes expositions dédiées à la création contemporaine, est loin d’avoir révélé ses derniers états et de s’être cantonnée à des formes constantes. Elle se décline, surprend, se divise, se conceptualise. Elle est repensée, construite, déconstruite, voire dématérialisée. Elle est la forme par excellence, l’objet plastique, le genre que l’on croit avoir cerné mais qui continue à obséder les artistes et qui ne se lasse pas de se réinventer. « Hic sunt Leones – Terra incognita », l’exposition du Frac Franche-Comté souscrit à ce même constat et en donne la preuve en mettant à l’honneur quelques unes de ses plus belles pièces. Les collections des Frac ont cet atout idéal de rassembler des œuvres d’artistes de grande renommée et d’être autant que possible représentatives d’une époque. Dès lors, qui donc en France est mieux placé pour prouver cette multiplicité du genre sculptural ? Ce sont dix-huit sculptures qui sont présentées et qui ont été choisies pour leurs qualités emblématiques. Elles résument sinon la totalité des possibles, au moins la diversité de la discipline. L’exposition se regarde comme un lexique. On la traverse un peu comme on tournerait les pages d’un dictionnaire en se rappelant de certaines définitions et peut-être en en découvrant d’autres. La sculpture d’assemblage de Guggisberg et Lutz, la conceptuelle de Gianni Motti, la ronde-bosse de Richard Fauget ou encore la sculpture comme trace d’une performance de Beverly Semmes. On déambule dans cette étrange forteresse de la Tour 46 que la série des portes métalliques d’Etienne Bossu tente difficilement de transpercer et l’on croise un bas relief de Marie Bourget, d’étranges joyaux d’Hubert Duprat et une installation de David Mach. Et ce n’est pas fini... Restent les œuvres les plus inattendues, celles qui dépassent le genre tout en lui conférant de nouvelles dimensions : la sculpture sonore de Micol Assaël ou la vidéo de Paul Pouvreau visible quelques rues plus loin dans la Tour du Musée des Beaux-Arts.

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« Hic sunt Leones, Terra incognita », Un choix de sculptures de la collection du Frac Franche-Comté à Belfort, Tour 46, Musée des Beaux-arts - Tour 41, Citadelle Jusqu’au 25 septembre 2011

En se déployant de la sorte, sur plusieurs lieux et même en extérieurs, « Hic sunt Leones, Terra incognita » s’inscrit dans un événement estival belfortain qui invite le spectateur à parcourir la ville de sculpture en sculpture. Tout en haut, à quelques enjambées de la plus célèbre d’entre elles, une dernière pièce surplombe la cité et tient compagnie au lion : les monumentales Bottes de sept lieues de Lilian Bourgeat. Drôles et improbables elles amènent une vrai légèreté à cette exposition dont le concept est séduisant mais malheureusement atténué par une accumulation exagérée des œuvres.

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4 Actes Photos : Jef Bonifacino

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Depuis quatre ans, premiers actes installe la jeune création théâtrale Dans les vallées De saint-amarin, munster, orbey. Des compagnies De toute l’europe investissent Des lieux singuliers avec Des formes volontiers à la marge, volontiers en chantier. ce festival encore jeune, piloté par thibaut Wenger, Directeur artistique, est en passe De trouver son rythme De croisière.


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Le festival en est-il toujours à ses premiers actes ? J’ai l’impression que les deux premières éditions étaient construites uniquement avec de l’énergie. Or, on ne pouvait plus fonctionner sur la même réserve, les choses avaient besoin de se structurer. Et on commence doucement à trouver un rythme. Comment le projet a-t-il évolué ? Les choses ont bougé dans la mesure où je programme seul depuis l’année dernière. Et le contenu suit maintenant mon parcours. À mon âge [26 ans, ndlr], mes goûts changent vite. Certaines choses qui m’intéressaient il y a encore deux ans ne m’intéressent plus du tout aujourd’hui. Je me suis rapproché de formes moins spectaculaires, plus déconstruites. Quel bilan dressez-vous après trois éditions ? Je me suis rendu compte que des équipes artistiques s’étaient imbriquées, qu’une constellation s’était construite. Des projets se sont montés entre des gens qui se sont rencontrés ici, alors qu’ils habitent dans des villes et des pays différents. Comment définiriez-vous votre ligne artistique ? Elle tourne autour du verbe, des aventures du langage. Je sais qu’il existe aujourd’hui un théâtre plastique, mais je ne sais pas comment prendre ces spectacles. J’ai été formé par un réalisateur soviétique qui voyait la dramaturgie comme un noyau de sens. C’est le rapport au mot, au langage, qui conditionne tout ce que je regarde, même si cette langue n’est pas toujours riche et baroque, même s’il n’y a plus de langue. Et je veux être face à l’acteur, que la vibration soit liée à sa présence et non à un dispositif dans lequel il serait pris au même titre qu’un vidéoprojecteur… La ligne repose aussi sur la question du monument, du répertoire : l’espace de création en tension avec un monument fondateur. Il y a là un endroit d’excitation et d’éveil, quand on fait vibrer des langues d’une autre époque, parfois étranges, et qu’elles permettent des allers-retours avec ce que l’on vit aujourd’hui. Et je vais davantage vers des formes « pas finies », qui reposent sur un échec, sur la déconstruction. La forme finie naît de la présence d’un regard sur ce chantier. Quel a été l’élément déclencheur de la programmation cette année, et quelle couleur lui a-t-il donné ? La première pièce a été celle de Jean-Baptiste [L’Écolier Kevin de Jean-Baptiste Calame, ndlr], et tout le reste s’est construit autour. Dans ce projet, les individus n’arrivent pas à entrer dans le monde car ils n’ont pas beaucoup de repères. J’ai entendu un sociologue parler d’une toute nouvelle classe sociale, les 15-35 ans, qui attend de rentrer dans la vie, et pas seulement d’un point de vie professionnel. Beaucoup de choses sont venues de cette idée que tout se dérobe. Je suis arrivé à

Woyzeck [lire ci-contre, ndlr] en partant de l’histoire de cet adolescent qui a ouvert le feu sur ses camarades de classe, en me posant la question de la responsabilité du geste meurtrier. C’est aussi lié aux ados perdus de Jean-Baptiste, à ces personnages qui ne sont plus en prise avec rien, parce que leur volonté ne s’appuie plus sur rien. En faisant des demandes de financements européens, je me suis penché sur la marche des fonds, et j’ai été choqué. Certaines procédures se mettent en place hors cadre législatif national et échappent totalement au choix citoyen… Bref, cette édition s’est construite autour de l’absence de prise. Le plus difficile a été de trouver un public sur un territoire culturellement peu irrigué. Qu’en est-il aujourd’hui ? On a démarré avec des projets très confidentiels, et chaque année, on double la fréquentation. L’année dernière, le taux de remplissage a été de 88%. On commence même à avoir des salles pleines et à refuser du monde. On a maintenant un cercle de public qui répond bien. Mais Wesserling nous pose toujours des soucis. Certains ont même fait circuler des tracts populistes parce qu’ils trouvaient que "ce n’était pas normal de dépenser l’argent public pour que des bobos fassent des conneries pareilles…" i

LABORATOIRE WOYZECK

UN PROJET DE THIBAUT WENgER Après Lenz l’année dernière, Thibaut Wenger poursuit son exploration du répertoire büchnérien avec sa dernière pièce, Woyzeck, restée inachevée. Trois fragments, trois manuscrits raturés, trois variations de l’histoire d’un soldat qui tue la femme qu’il aime. Etaient-ils destinés ou non à se fondre en une seule pièce ? Les théories sont aussi nombreuses que les adaptations pour la scène. Thibaut Wenger a choisi de les monter dans leur intégralité et dans l’ordre dans lequel ils ont été retrouvés. « J’ai considéré la matière et ai essayé de lui trouver du sens dans son inachèvement, dans ses lacunes. Plus on avance dans les manuscrits, plus la focale s’élargit. On considère les personnages autour, le meurtre n’est plus un geste individuel, on prend la mesure de la mécanique. Le geste de mort est une réponse mal placée à la violence sociale. » Thibaut Wenger proposera ici un travail en cours, aussi inachevé que le texte. Le spectacle sera créé au printemps prochain au théâtre Océan Nord de Bruxelles.

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LA BÊTE DANS LA JUNGLE, 24 + 25 AOûT À 19:00, LE SOLEIL, SONDERNACH

À TRAVERS UN VERGER, 30 + 31 AOûT À 21:00, FERME EDZARD, LAPOUTROIE

RESPECTIVEMENT NOUVELLE ET TEXTE POÉTIQUE EN PROSE, LA BêTE DANS LA JUNGLE DE HENRY JAMES ET À TRAVERS UN VERGER DE PHILIPPE JACCOTTET DEVIENNENT, PAR L’ENTREMISE DE LÉO LIOTARD ET ONDINE TRAGER, DES PROPOSITIONS SCÉNIQUES. DEUX CRÉATIONS AUX UNIVERS SPÉCIFIQUES, RÉUNIES PAR LA DÉLICATESSE DE LEUR DÉMARCHE.

Les chAMps LittérAires Né à la campagne, se construisant et s’affirmant dans les différentes vallées qu’il irrigue, Premiers Actes évolue. Ainsi, et comme le souligne son directeur artistique Thibaut Wenger, le festival énonce pour cette édition un voyage, « débutant à Wesserling vers la vallée de Munster, pour se terminer en ville. » Preuve de la structuration à l’œuvre, ce mouvement campagne / ville correspond également aux projets de développement espérés par l’équipe. Soit la prolongation d’une programmation « ponctuelle, liée à l’été, dans les différents villages déjà investis » à laquelle s’ajouteraient des rendezvous « en ville le reste de la saison. » Une façon, aussi, de multiplier les modes d’adresse au public tout en creusant le même sillon de la mise en jeu « des aventures du langage ». Dans les multiples propositions réunies cette année, deux spectacles – La Bête dans la jungle de Henry James et À travers un verger du poète contemporain Philippe Jaccottet – travaillent notamment « côté campagne » les liens entre la littérature et le théâtre. Et leurs metteurs en scène respectifs Léo Liotard et Ondine Trager partent chacun d’un intérêt initial envers un texte non destiné au plateau, décidant d’en offrir le versant scénique. Touché

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caroline châtelet

par La Bête dans la jungle, histoire d’amour irréalisée à laquelle se substitue un dialogue d’une vie, Léo Liotard choisit l’adaptation théâtrale de Marguerite Duras de ce récit. Afin « d’expérimenter un théâtre qui reste dans une temporalité de la littérature », Liotard explore la position de « mise en scène le livre à la main. Comme l’histoire d’amour n’a pas lieu, la pièce non plus n’aura pas lieu... » Mais si le théâtre se fait ici modeste, c’est pour se concentrer sur l’une de ses forces : la possibilité d’un dialogue avec le public. Œuvre « en chantier » et annonciatrice d’un théâtre à venir, La Bête dans la jungle pose la rencontre avec les spectateurs comme une étape constitutive du processus de création. Un rapport au plateau partagé par Ondine Trager, À travers un verger ayant lui aussi été présenté initialement en cours de travail. Dans ce projet désormais abouti, la metteur en scène s’intéresse à l’utilisation « d’un texte poétique pour en faire surgir les mots, la réflexion du poète autour des mots. Il s’agit de créer visuellement ce verger, mais qu’il soit juste une suggestion, un espace imaginaire que le spectateur investisse ». Propositions à la pudeur toute particulière, les deux formes partagent également l’enjeu essentiel de faire « naître des images ». Car comme le relève Léo Liotard, « La force de la littérature consiste à susciter l’imagination et là, de la même façon, rien n’existe, tout doit être suggéré... » i


DES NOCES HYPERACTIVES ENTRE MUSIQUE ET THÉâTRE, ON A BEAUCOUP DIT ET ÉCRIT. DE LA JACASSERIE THÉORIQUE AU PLUS SENSITIF DES JUGEMENTS ASSÉNÉS PAR D’ÉPIQUES SCRIBOUILLEURS. POUR LA BANDE EN CRÉATION À PREMIERS ACTES, L’AFFAIRE EST ENTENDUE. PAS DE CAUSERIE MAIS UNE ÉVIDENCE QUI SONNE AUSSI CLAIR QU’UN SOLO SAXOPHONÉ PAR SERGE CHALOFF.

soNgs pour queLques humAiNs

guillaume malvoisin

« Ce qu’on découvre, on le découvre d’abord dans sa tête, c’est avec cet état d’esprit que se forgent les grandes découvertes. » Samuel Fuller aux commandes. L’écrivain des champs de batailles pourrait être un des parrains du festival tant l’instinct rode ici comme il hante les faubourgs, en douce, prêt à mordre. Wesserling. Fond de vallée faussement lacustre, réellement industrielle. Délabrement économique pour le renouveau poétique tracé par l’équipe de Premiers Actes. Le rapport est simple et résonne longtemps après la dernière image de chaque spectacle. Au-delà de l’œuvre représentée. Les spectacles de Premiers actes ne tentent pas de raviver un patrimoine ou une mémoire mais rénovent le regard qu’on leur porte. La ruine approuve le projet et le spectacle a, alors seulement, lieu. Normal que la musique y trouve une place idoine. Ce qui se pratique à Premiers Actes, c’est un théâtre qui danse sur les ombres et les ruines. Espoir ou lucidité, faites vos jeux. Rien ne va plus. « Peut-être nous sommes-nous égarés » s’interroge Marie Lançon dans les notes de son spectacle Ashes to Ashes, joué cette année

à Wesserling (20 et 21 août). Foin de béquille, la musique, ici, sert de guide, de pare-feu voire de garde-fous. Pour la Péridurale, elle agit contre la menace Pinter. Il faut voir le reste de la programmation pour constater les effets, on pourrait écrire ravage (swing Barjavel, swing), et l’ombre portée de la musique dans un tel festival. Autre exemple, ascensionnel et quasi proverbial : le ciné-concert. On retrouve là Grégoire Letouvet, démasqué l’an passé pour son forfait au sujet des Soldats de Zimmerman. Il s’attaque cette année au monument de Murnau, truffé de compliments par Truffaut, L’Aurore (7 septembre à Munster). 1929, le monde est loin d’avoir fini de basculer de ses promontoires boursicotteurs. Murnau trace un poème de lumière et le sous-titre : Song for two humans (Chanson, principe qu’on retrouvera chez Wenger, le boss du festival, acoquiné avec Woyzeck). Song, voilà une forme populaire oubliée des villes françaises. Ici, dans le tunnel des vallées vosgiennes, elles pourraient bien reprendre du service et tracer une rampe de lancement aux expérimentations accortes offertes par Premiers Actes en 2011. i

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Pour la Première fois cette année, Premiers actes Programme un cycle intitulé « Performances ». thibaut Wenger, directeur du festival, aurait d’ailleurs Préféré « P Paroles d’acteurs », tant le terme évoque encore une certaine Période des arts visuels. en restant dans le chamP du théâtre, il s’agit d’ouvrir sur des formes Plus « aventureuses » et de Permettre aux comédiens de faire entendre leur voix intime, sans l’intermédiaire d’un metteur en scène. et les artistes invités, où se situent-ils ?

Actes Libérés sylvia dubost

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L’IRMAR

VIDAL BINI

MALI ARUN

Comment définiriez-vous votre démarche ? L’IRMAR a élu, bon gré mal gré, le plateau de théâtre comme lieu et sujet de présentation de ses recherches. Remué par une ignorance presque totale de ce que peut bien être le théâtre, l’IRMAR s’attache donc à en fouiller les enjeux, préférant aux gratte-ciel de la pensée scénique un creusement par le bas. Les spectacles de l’IRMAR sont donc le résultat de la rencontre entre des outils qui cherchent des choses et des choses qui cherchent leurs outils, le tout régi par la volonté banale de sauver le monde et les animaux.

Décrivez-nous en quelques mots votre dispositif scénique… Le dispositif est assez simple, un danseur, un musicien (avec platines) et un certain nombre de membres du public, tous volontaires. L’idée est de créer trois dimensions : un public dans une position classique frontale, un public qui participe en direct à la construction du spectacle, et les acteurs de ce spectacle. Du coup, la relation entre acteurs et public devient triangulaire, plutôt que binaire.

Décrivez-nous votre dispositif scénique… Ce projet est un regard, une rencontre dans les camps Roms de Saint-Denis. Je projette un film sur un mur et je lis un texte, un journal, simultanément. Le rapport scène/spectateur est frontal.

Vous sentez-vous appartenir davantage au monde du théâtre ou à celui des arts plastiques ? Après cinq années de recherches caractérisées par la racine théâtrale commune à tous ses membres, l’IRMAR s’est à mesure orienté vers un dispositif d’action scénique capable d’inclure des procédés de composition empruntant à la musique dite « expérimentale », au genre performatif issu du Happening et de l’Event, ainsi qu’à l’installation […] Nous appartenons au monde du théâtre dans le sens où nous utilisons les structures et les lieux qui l’accueillent depuis des siècles. Nous faisons des spectacles en tout cas. Classique ! Nos travaux empruntent et charrient évidemment les bagages laissés par les artistes qui se sont appliqués a briser les catégories artistiques. Ainsi John Cage nous a-t-il accompagné dans nos recherches. Il ne s’agit pas pour nous de ne pas faire de théâtre, mais plutôt d’accepter ses contraintes, son histoire socio-culturelle afin d’y creuser un terrain de jeux. L’IRMAR se la coule douce, le 4 septembre à la Friche DMC à Mulhouse

Le cycle « performances » aurait pu s’intituler paroles d’acteur. Dans quel terme vous reconnaissez-vous ? Venant de la danse, le terme de performance me paraîtrait a priori plus juste… Mais le contenu du spectacle et le rapport du performer à ce qu’il produit et du spectateur à ce qu’il regarde fait finalement de cette pièce une parole d’acteur, partagée en direct avec le public. Vous sentez-vous appartenir au monde du théâtre ou plus proche de certaines propositions d’artistes contemporains ? Appartenir au monde du théâtre semble vide de sens, appartenir au monde tout court est une recherche constante. La position de l’artiste à l’intérieur du monde (et non à sa marge) ou créant un espace particulier que lui seul peut appréhender m’intrigue. Pour ce qui est de proximités avec d’autres artistes contemporains, elles sont inévitables et participent du développement du travail. Mais c’est finalement la conscience d’une filiation, qui l’emporte, plus que la volonté de s’inclure dans un courant. Jérôme Bel par exemple, les conceptuels et la non-danse en général nous permettent aujourd’hui de retourner vers le mouvement pur, supporté par une dimension conceptuelle.

Le cycle « performances » aurait pu s’intituler paroles d’acteur. Dans quel terme vous reconnaissez-vous ? Le projet relate quasiment tout le temps au discours direct mon parcours dans les camps. C’est effectivement à travers ma parole que le regard dans les campements circule et se construit. Vous sentez-vous appartenir au monde du théâtre ou plus proche de certaines propositions d’artistes contemporains ? J’étudie aux Beaux-Arts de Paris sans pour autant me sentir appartenir au monde de l’art contemporain. Je me sens peutêtre appartenir davantage au monde du cinéma, tout en étant très influencée par certaines écritures de théâtre, comme celle de Bernard Marie Koltès. Je pense que la distinction entre les différents milieux a de moins en moins de sens et que de plus en plus d’artistes circulent entre ces espaces de visibilité et de diffusion. La distinction se situe davantage au niveau de la production des projets que de leur identités formelles. i Où es-tu ?, les 2 et 3 septembre à 17:00 à la friche DMC à Mulhouse

What is…, les 2 et 3 septembre à 19:30 et le 4 à 16h à la friche DMC à Mulhouse Le 7 à 18:00 à l’IME Les Allagouttes à Orbey

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MACHINE ET LA MONTAGNE, LES 20, 21, 26, 27 + 28 AOûT, LIEUX ET HORAIRES VARIABLES

L’ECOLIER KEVIN, PERFORMANCE, 2, 3 + 4 SEPTEMBRE, FRICHE DMC, MULHOUSE

ACCUEILLI POUR LA TROISIèME FOIS AU FESTIVAL, JEAN-BAPTISTE CALAME EN EST CETTE ANNÉE L’ARTISTE ASSOCIÉ. UNE OCCASION POUR CE JEUNE AUTEUR ET METTEUR EN SCèNE SUISSE DE PROPOSER DEUX SPECTACLES, ÉLOIGNÉS DANS LEUR CONCEPTION ET LEUR PROPOS, MAIS SOUS-TENDUS PAR LA MÊME PHILOSOPHIE DE L’ACTION.

Les LANgAges eN ActioN caroline châtelet

Interrogé sur le sens de son statut d’artiste associé, Jean-Baptiste Calame répond simplement : « C’est une combine pour la communication, pour donner un visage et un nom au festival, afin que tout ne soit pas au même niveau. Enfin, j’ai l’impression... » Façon de rappeler qu’intéressé par les différents vocabulaires et jargons en usage dans nos sociétés, l’auteur refuse la langue de bois. Pour autant, et pour le cas où la valorisation du sujet Calame répondrait à un souhait de lisibilité, sa présence a un sens. Celui de rappeler que Premiers Actes construit des fidélités et accompagne des artistes dont le travail résonne avec les préoccupations du festival. Là, les deux créations réunies, « très différentes dans leur forme et leur histoire », abordent des langues, les réinvestissant pour mieux les retourner. Tandis que L’écolier Kevin porte sur « un jeune qui voudrait assumer une identité européenne et ce à quoi elle correspond », l’origine de Machine et la montagne est toute autre : « J’ai écrit auparavant des textes où je compare l’industrie textile et le tourisme. L’industrie textile utilise la topologie des territoires, les affluents des rivières, pour produire des vêtements et des objets. De la même façon, le tourisme se sert de dispositifs pour créer de la sensation, du rêve. Machine et la montagne commence dans la vallée de Wesserling, un lieu très particulier où les anciens employés des industries textiles

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se sont vus reconvertir dans une activité touristique de valorisation du patrimoine. Il y a une sorte de narcissisme subi, ils deviennent les vendeurs de leur histoire. » Proposition nomade en plusieurs étapes, ce théâtre 4X4 qui reprend les codes et les langages du tourisme est conçu pour l’espace investi : « cherchant l’effet de manière excessive, je crée toujours les projets par rapport aux lieux ». Ce rapport à la création instaure naturellement des contraintes fortes, mais Jean-Baptiste Calame avoue aisément avoir « besoin d’inconfort pour travailler. Des conditions limites en termes de temps imposent une efficacité qui va avec le monde dans lequel on vit. » Efficace, soucieux d’être « pragmatique », cet artiste serait, alors, plus qu’un auteur ou un metteur en scène, un concepteur, animé du désir « d’être une sorte de philosophe de l’action. C’est l’écriture qui compte pour moi au départ et je crois que ce que je fais relève également de la philosophie. En tous les cas, c’est là que se situe mon image du théâtre et du rôle que j’ai envie de jouer. » i


DER FALL DER MARQUISE VON Ô, DU 8 AU 10 SEPTEMBRE À 19:30, COMÉDIE DE L’EST, COLMAR

teNir LA bArre caroline châtelet

CRÉATION POSANT L’URGENCE COMME PRINCIPE DE TRAVAIL ET L’ALLEMAND COMME LANGUE DE TRANSMISSION, DER FALL DER MARQUISE VON Ô S’INSTALLE À LA COMÉDIE DE L’EST. UN JOLI GRAND ÉCART ENTRE LA JEUNESSE DU PROJET ET L’INSTITUTION THÉâTRALE INVESTIE, À L’IMAGE, PEUT-ÊTRE, DE LA POSITION D’ÉQUILIBRISTE TENUE PAR PREMIERS ACTES.

Les nouveaux venus le devineront peut-être, les habitués le ressentiront certainement, mais Premiers Actes s’ancre, « se structure ». Pour reprendre les mots de Thibaut Wenger : « On voit qu’en souterrain ça avance, il y a du désir. De nouvelles collaborations et façons de travailler naissent. » À tel point, d’ailleurs, qu’on ajouterait une autre arrivée au voyage énoncé par l’équipe. Et au-delà du cheminement festivalier se déployant de la campagne vers la ville, Premiers Actes n’est-il pas en route vers l’institution ? Volontaires ou inconscients, relevant de la survie ou du compromis, nombreux sont les signes pointant cette impulsion : collaborations avec le festival Météo et avec la Filature Scène nationale de Mulhouse, prolongation de celle initiée avec la Comédie de l’Est, projet à la friche DMC, choix d’un artiste associé... Ces développements, souhaitables par la pérennisation du festival qu’ils promettent, comportent un risque. Car si les différentes collectivités et les institutions culturelles sont des partenaires de choix, leur aide instaure une pression, à laquelle certains projets artistiques ne résistent pas toujours... Pour Premiers Actes, actuellement, les choses semblent « tenir » et il est intéressant d’observer le double mouvement à l’œuvre, celui de l’intégration à un système et de résistance à ses impératifs. La programmation en est la

preuve criante et le souci d’accompagnement des créations, ainsi que les liens entre équipes – visibles par la circulation des artistes – attestent de la prolongation de la dynamique à l’œuvre. Der Fall der Marquise von Ô, nouvelle de l’écrivain Heinrich von Kleist, énonce également cette tension entre obligation de structuration et possibilité du pas de côté. Mis en scène par Catherine Umbdenstock, jeune diplômée de la prestigieuse école Ernst Busch de Berlin, Der Fall... raconte l’histoire d’une femme qui part à la recherche du père de son enfant. Parlant du travail d’adaptation, Catherine Umbdenstock explique que « Kleist n’écrit pas un allemand parlé, mais scandé. Il bégayait beaucoup et ses personnages ont du mal à parler. Ça ne vient pas. Cela a à voir avec le français aux petits détails plein de faussetés parlé par les alsaciens. Étant moimême alsacienne, c’est important de proposer un projet en langue allemande. Car à part faire le plein et acheter ses clopes, on ne va pas “de l’autre côté”. » Constituant l’une des rares propositions en allemand accueillies à la Comédie de l’Est, Der Fall der Marquise von O est également une œuvre en chantier. Une position assumée et choisie, la metteuse en scène soulignant l’importance « au théâtre de garder l’intensité du moment. De s’immerger dans un projet. Il en sort quelque chose de peut-être maladroit ou brouillon, mais de plus frais. De vivant... » i

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ILLUSTR ATION : VANITAS, PRESENTIMIENTO © F ERNANDO VICENTE

FESTIVAL MÉTÉO

MULHOUSE MUSIC FESTIVAL 11-27.08.2011


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Voyage à travers la Suisse avec mon Kangoorouge / N°4 Par Sophie Kaplan

Les grandes montagnes, les grands voyages et les grandes illusions des grandes vacances Hans Op deBeeck, Sea of Tranquillity (model), 2010

immergé, présente une maquette d’un paquebot imaginaire, différentes sculptures très réalistes de personnages et d’éléments de décor, de grands dessins noir et blanc, ainsi qu’un film où se mêlent personnages en 3D et vrais acteurs. L’ensemble nous plonge dans l’univers de ce paquebot imaginaire : un voyage onirique, en suspension, qui nous interroge avec ironie, sur le luxe et ses loisirs. On déciderait ensuite de quitter cette mer imaginaire. On serait alors poussé par les vents d’ouest, on passerait l’Autriche et on se retrouverait dans les pays de l’ex bloc de l’Est. Et pourtant on serait toujours au bord d’un lac suisse. Celui de Neuchâtel. Bordé de petits villages paisibles et moucheté de voiles à cette saison.

Voilà, l’été est arrivé. Et avec lui, les congés payés et les longs week-ends (plus ou moins) ensoleillés : l’occasion pour mon Kangoorouge et moi de repartir à l’aventure. Mais où aller? Déplions la carte et regardons… On pourrait commencer par aller faire un tour du côté de Thune. En partant du centre historique, dont les plus vieilles pierres ont plus de 800 ans, on flânerait sur les bords des bras de l’Aar, jusqu’au lac. Là, on se baignerait en regardant les neiges éternelles des sommets des alpes bernoises. Ensuite, on visiterait l’exposition de Hans Op de Beeck au Kunstmuseum (1), les cheveux encore mouillés. Mais tout le monde trouverait ça normal. Les œuvres de l’artiste belge, qui s’exprime dans une pluralité de media et de styles, sont fictives, construites et mises en scène. On pourrait dire de lui qu’il crée des ‘intermondes’, suspendus entre passé et présent, réalité et fiction (2). Son projet Sea of Tranquility (la mer de la tranquillité) exposé ici a pour point de départ une résidence à Saint-Nazaire et la découverte de ses chantiers navals, où sont construits de gigantesques et luxueux paquebots (3). L’exposition, dans laquelle on se trouve réellement

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Le CAN – centre d’art de Neuchâtel - présente l’exposition Les cadeaux du présent (4), avec des œuvres vidéos de Mircea Cantor (né en Roumanie), Aleksandra Domanovic (née en Serbie), Anri Sala (né en Albanie), David Maljkovic (né en Croatie) et Deimantas Narkevicius (né en Lituanie). Ces cinq artistes ont pour point commun d’être nés dans des pays du ‘former east’. Bien que le bloc soviétique se soit effondré il y a plus de 20 ans, il est encore une dénomination et donc une réalité – même tronquée – et il constitue pour les artistes ayant grandi dans ces pays ou y vivant encore une interrogation et une source d’inspiration profondes, et, pour les européens du "former ouest" (5) une manière de fantasme, voire d’exotisme. L’exposition interroge ces notions politiques autant qu’intimes avec beaucoup de justesse. Ainsi, en revisitant certains monuments abstraits néo-modernistes d’exYougoslavie, « David Maljkovic tente une réarticulation des notions d’amnésie collective et de vision d’avenir contenue dans ces œuvres. Sa trilogie vidéo Scenes for a New Heritage met en scène des personnages du futur en prise avec un monument futuriste du passé. Par là, Maljkovic établit un constat sur notre rapport actuel à ces monuments comme des objets vides au milieu de nulle part, et pose la question de ce que peut devenir l’héritage utopiste quand il ne semble plus d’actualité » (6). Après ça, on rentrerait chez soi, et, dans sa bonne ville d’Altkirch, encore un peu à l’Est, on retrouverait sur les murs du CRAC et de la république des rêves (7), toute la suisse, cartographiée par l’anglais Neal Beggs (The Helvetic System), mais de façon très mystérieuse. Et l’on découvrirait alors que, décidément, nos aventures suisses nous aurons emmené vers de tels sommets qu’on pourrait à présent garder les pieds sur terre tout en ayant la tête dans les étoiles… Bel été à tous ! 1 - Du 10 juin au 4 septembre 2011 / 2 - Eva Poutreau, texte de l’exposition / 3 - L’exposition a déjà été présentée au Grand Café de Saint-Nazaire, à Argos à Bruxelles et sera remontée au CAB de Burgos à l’automne / 4 - Du 25 juin au 24 juillet 2011. 5 - Parallèlement à cette notion, celle de “former west” (ex-pays de l’Ouest) est développée dans un projet de recherche passionnant mené par le BAK (basis voor actuele kunst, Utrecht). Cf www.formerwest.org / 6 - Arthur de Pury, Marie Villemin et Marie Léa Zwahlen, texte de l’exposition / 7 - L’exposition Pour une république des rêves est ouverte tout l’été et jusqu’au 11 septembre (commissariat : Gilles A. Tiberghien).


Le monde est un seul / 14 Par Christophe Fourvel

10 mois de poésie En avril dernier, la revue mexicaine Proceso a publié une longue lettre du poète Javier Sicilia, reprise en partie dans le journal Libération (1) quelques jours plus tard. Javier Sicilia l’a écrite après que son fils a été retrouvé mort, pieds et poings liés, dans le coffre d’une voiture, au milieu de six autres corps. Il fut l’une des innombrables victimes innocentes de cette guerre cruelle que se livrent les narcotrafiquants et l’état mexicain depuis que le gouvernement Calderón a décidé de répondre par la force au règne des patrons de la drogue. La lettre de Sicilia s’adresse d’abord au gouvernement qu’elle accuse de ses échecs meurtriers du fait de sa médiocrité, de ses rivalités internes, de sa cruauté et de sa corruption. Parmi les phrases qui composent cette longue adresse, une, plus incandescente encore que les autres, dit ceci : il n’existe pas de mots pour décrire cette douleur et seule, peut-être, la poésie pourrait l’évoquer mais vous ne connaissez rien à la poésie. Alors ce que je veux vous dire tout simplement, aujourd’hui, (…) c’est que nous n’en pouvons plus. Je n’ai jamais aimé le mot “poésie”. Il s’épuise pour moi en un grand écart inélégant entre une signification simple (ce qui est authentique, humain) et son grand contraire, l’expérimentation formelle, l’artificialité laborantine. Je n’ai jamais aimé le mot “poésie” car la majorité l’a roulé admirativement dans une farine niaise, une utopie de pacotille, tandis que d’autres le moquait. Pourtant, dans la lettre de Javier Sicilia, le mot allume un prodigieux incendie. Oui, les gouvernants ne comprennent rien à la poésie et cela nous apparaît soudain, dans le contexte de ce cri désespéré, comme la source de tous nos drames. Plus loin, le poète cite le révolutionnaire cubain José Marti et cette adresse aux gouvernants, d’une limpidité tranchante : “si vous n’y arrivez pas, démissionnez”.

Si le monde entier et particulièrement l’Europe ne vit pas aujourd’hui le drame d’un Mexique en apnée dans sa violence crasse, aveugle et bêtement cupide, ces deux phrases qui parlent de poésie et d’incompétence responsable ont le pouvoir de résonner sur les places de toutes les grandes villes du monde. “si vous n’y arrivez pas, démissionnez”… Face aux gouvernants, aux décideurs, nous sommes malades et déprimés d’éprouver si fort le sentiment d’avoir raison et celui de ne pas être entendus. Dans une chanson, Jacques Brel dit que quand on lui demande d’où il est, plutôt que de dire de Belgique, il préfère répondre “fatigué”. Cela pourrait bien devenir notre nationalité à tous : fatigués. Un terme qui dira notre lassitude d’être de cette minorité humaniste qui ne comprend pas pourquoi l’humanisme est devenu à ce point minoritaire. Cela m’évoque un roman “parfois” très beau de l’écrivain finlandais, Roy Jacobsen et intitulé Les Bûcherons (2). Un homme décide pendant la guerre de ne pas fuir l’avancée de l’armée rouge sur son territoire. Il est humble, simple, bûcheron. Il sera bûcheron pour l’ennemi, en compagnie d’autres bannis, russes ou juifs, ceux-là, tous contraints d’affronter la forêt et un froid abyssal pour réchauffer les soldats épuisés. Tombés ensemble dans les mains de l’armée finlandaise, ils se diront ni russes, ni finlandais mais “bûcherons”. Là est leur identité commune. Leur histoire. Leur force de vie. Encore une belle histoire de minorité. De gens “fatigués”. La parole profonde est toujours minoritaire. Pendant les dix mois qui nous séparent, en France, de l’élection présidentielle, ceux qui ambitionnent de nous gouverner vont commencer à dire n’importe quoi ; tenter misérablement d’exister en disant volontairement n’importe quoi. Il faudrait que nous fassions notre choix maintenant. Décider maintenant pour qui nous voterons et ainsi s’économiser un an de mensonges. Restons vigilants mais sourds aux discours écrits par les communicants. Et consacrons-nous à la poésie. (1) Édition datée du 12 avril 2011. La lettre s’intitule : Mexique : vous régnerez sur un tas d’ossements. (2) Gallimard, collection du monde entier.

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Plastic Soul /4 Par Emmanuel Abela (pour Gabriel)

Le port du non-retour Marseille, 21 mai, 13h. De retour de Cannes, je passe par Marseille. À chaque halte dans cette ville, je ne peux m’empêcher de me souvenir de cette fois-là où mon père avait insisté, sur le trajet en voiture Strasbourg-Montpellier, pour faire un « crochet » pour voir le port de Marseille. Pendant très longtemps, je ne savais pourquoi j’associais une forme d’angoisse à ce micro événement survenu dans la longue liste des péripéties que nous connaissions lors de nos départs en vacance, mais les choses se sont éclaircies tout récemment. Mon père avait l’habitude de voyager de nuit, ce qui avait pour avantage de me permettre de dormir à l’arrière de la voiture pendant une bonne partie du trajet. Mais ce matin-là, après une nuit de route, il a tenu à me réveiller pour me faire partager son émotion à la découverte du port. Moi, hagard, je l’ai interrogé sur la distance parcourue depuis le départ, et surtout je lui ai demandé de me montrer sur la carte IGN d’où on venait et où on était. À le voir me désigner du doigt les autoroutes entre Strasbourg et Marseille, une angoisse m’a envahi, une angoisse que j’ai attribuée longtemps à la prise de conscience de l’étendue de l’espace qui me séparait de chez moi. Cette angoisse ne m’a plus jamais quitté, et à chaque départ, la crainte de ne pouvoir revenir l’emporte largement sur le plaisir du départ. À ma connaissance, il n’y a pas d’exception à la règle. Mais aujourd’hui, les choses semblent bien plus compliquées : je ne mesurais pas ce que mon père attachait lui-même à la vision du port de Marseille, et surtout au bal des bateaux en partance vers l’Afrique – « Vois-tu, me disait-il, celui-là, il y va ! » Je ne m’étais jamais interrogé sur la destination de ces bateaux ; j’y voyais

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une part de rêve liée à l’enfance, la taille des bateaux, leur beauté, quelque chose qu’il voulait partager avec le gamin que j’étais. Mais près de 40 ans plus tard, en discutant avec une amie, j’ai pu me rendre compte précisément de ce qu’il cherchait à me dire alors : Marseille, il y avait combattu ; la ville, il l’avait libérée ; mais cette ville était aussi le lieu d’arrivée de sa famille en 1962 et enfin ce port était le lieu de départ vers chez lui, vers son Algérie. Ce qu’il me disait indirectement ce jour-là, c’était le mal d’un pays dans lequel il ne pouvait plus retourner. Le mal de son pays. Contrairement à beaucoup de pieds noirs, je n’ai jamais surpris aucune forme de nostalgie, ni de souffrance véritable, dans sa manière de me raconter l’Algérie. Contrairement à ses parents, il s’était installé après la Campagne d’Allemagne, à Strasbourg, et y vivait dans les meilleures conditions. Il m’a expliqué qu’il avait pressenti les événements d’Algérie bien avant qu’ils ne commencent, et supposait un départ anticipé de sa famille, et du coup je n’associais à ses récits aucun regret particulier. C’était pourtant faire fi de la souffrance intérieure de cet homme qui n’a découvert le Continent qu’en venant y faire la guerre, au moment du débarquement du 15 août 1944 à Toulon, avec ses frères d’armes, Algériens,


à laquelle je n’avais songée. Je me sentais d’autant plus fragilisé que je découvrais le niveau de maladresse dont j’avais pu faire preuve.

Marocains, Sénégalais – combien de fois, il me contait la bravoure, l’amitié et même l’amour qu’il portait à ces hommes-là. Mais au-delà du souvenir et des récits semi légendaires, il restait l’attachement de l’homme à sa terre, celle de Guelma, sa ville de naissance, celle de Batna, celle de Constantine. L’angoisse que je percevais ce jour-là n’était pas la mienne, c’était le sanglot discret mais manifeste d’un homme éloigné d’une terre qu’il ne foulerait plus jamais. Cette angoisse, du haut de mes 6 ans, je l’ai reçue fortement, très fortement, toute comme une profonde mélancolie que mon père m’a léguée en héritage, mais je n’avais guère su l’analyser. * Et pourtant des signes auraient dû m’alerter. C’est ce très cher Rachid Taha qui lors d’un entretien en 2002 m’a renvoyé ce que je n’avais jamais su voir de cette douleur. Au cours de l’interview, je lui évoquais cette forme de mélancolie qu’on rencontre dans certaines de ses chansons ; la thématique sentimentale cache, lui disais-je alors, une autre forme de douleur, plus insidieuse. Et lui de me répondre avec gravité qu’il portait la douleur de ses parents – « Comme beaucoup de parents immigrés, ils ont quelque part dans leur appartement, une télévision neuve encore emballée qu’ils destinent à là-bas, au moment du retour. Mais comme pour beaucoup de parents immigrés, cette télé ne sera jamais déballée. » Et subitement, il me regarda et me pointa. « Mais cette douleur-là, vous la connaissez vous aussi, en tant que fils de pied noir. Votre père, lui non plus, ne peut [ou n’a pas pu] retourner chez lui. » Ce jour-là, Rachid m’avait mouché, sans aucune malice de sa part. Il révélait une chose

* Autre signe : je conserve une K7 vidéo d’une série extraordinaire sur la Guerre d’Algérie ; elle a été initiée par des journalistes de la BBC, qui ont mené un travail de recherche documentaire sur le conflit. Je peux l’affirmer : dans la dernière image du documentaire qui montre des passagers en train de traverser la passerelle donnant accès au bateau, on distingue très nettement un couple : mes grands parents en 1962. Mon grand père s’apprête à parcourir la maigre distance qui le sépare du ponton, il s’arrête et fixe au loin la caméra qui est en train de figer cet événement pour l’éternité. C’est mon grand père – ça c’est la coïncidence heureuse –, mais c’est aussi le grand père de tous les enfants, petits enfants et arrière petits-enfants des rapatriés. Le commentaire de la vidéo insistait sur la douleur profonde de la population pied noire, coupable de ses errances politiques au cours de la période, de ses excès, mais plongée dans une souffrance extrême, profondément injuste, comme seules les populations privées de leur terre pouvaient la vivre. Ce grand père, comme tous les grands pères de leur génération avaient rendez-vous avec sa propre destinée. Mais c’est précisément ce grand-père-là que nous allions visiter lors de notre crochet en voiture à Marseille. Dernier signe : je ne m’étais jamais interrogé sur le sens d’un certain nombre d’images qui figuraient dans la boîte à photos familiales – chez moi, pas d’albums, pas de mémoire, une boîte ! Mêlées à des instantanés tout à fait insignifiants, ils figuraient des personnes que je ne connaissais pas, réunis apeurés, sur un bateau. Ces photographies expriment une solennité étrange, celle de l’urgence, comme si on avait voulu marquer l’instant pour l’oublier aussitôt. Il y a quelques années, alors que je rendais visite à des cousins et petits cousins de mon père, on m’a ouvert les albums de famille : j’y retrouvais les photos en question ; mes hôtes m’identifiaient toutes ces personnes qui n’étaient autres que les parents et grands parents de ces cousins, le jour de la traversée vers le Continent. Je me sentais épargné ce jour-là par la douleur qu’ils associaient à leur départ précipité ; j’étais loin de me douter que tout ce que j’avais pu ressentir enfant, et que je continuais de ressentir plus fortement depuis la mort de mon père était cette même douleur, celle d’un impossible retour.

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EAU LOURDE Claire Morel & Amandine Sacquin

Projet en collaboration avec la Kunsthalle de Mulhouse et l’office du tourisme et des congrès de Mulhouse. Bouteille plastique éditée en série limitée à 7000 exemplaires disponible à l’office du tourisme et des congrès de Mulhouse. Photo : Florian Sabatier & Amandine Sacquin www.kunsthallemulhouse.com

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Bicéphale / 6

Sur la crête

Par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny

Henri Walliser + Denis Scheubel

Trouvé

Qui n’a jamais cherché à savoir pourquoi trouver ce qu’elle a tout perdu et perdre c’est avant tout chercher de quoi trouver ce que de perdu il en restait tout donné tout repris tout volé rien trouvé si ce n’est la force de s’oublier en perdant le peu qu’elle avait à chercher en cherchant bien elle a trouvé qu’inutile était de chercher ce qu’elle aurait pu perdre donc donner à ceux qui cherchent mais qui ne trouvent pas le temps qu’ils perdent à trouver une voie sans chercher sans donner sans combat la génération s’est trouvée bonne à quoi qui a perdu a tout trouvé mais qui ne cherche pas chercher à perdre c’est trouver perdre à chercher c’est trouver mais trouver sans chercher c’est perdre chercher sans trouver c’est trouver perdre sans chercher c’est perdre chercher c’est trouver mais perdre perdre en cherchant c’est trouver trouver c’est perdre.

Que tombe la nuit Elle ne dort pas dans ma couche mais jour et nuit elle la touche. Elle me prend la moitié du monde et me parle quand je tombe. Avec elle ni saveur ni éternité. Sans elle ni saveur ni éternité. Mes cris au ciel me retombent à la face. À quoi bon chanter pour le héron qui passe. Sisyphe tombant juste avant son mariage fera et refera le voyage. La femme de ma vie ne dort pas dans mon lit, mais j'aime le poison qu'elle y sème. Que tombe la nuit.

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Songs to learn and sing Par Vincent Vanoli

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BRICE DELLSPERGER & JEAN-LUC VERNA EXPOSITION 18:06 C 21:08:2011 FRAC ALSACE / SÉLESTAT EN SAVOIR + : HTTP://FRAC.CULTURE-ALSACE.ORG

Steven Pippin A Non Event (Horizon) Commissaire : Bettina Klein

18 juin - 2 octobre 2011

Ouverture du mercredi au dimanche de 14h à 18h, fermeture les jours fériés et du 1er au 31 août - entrée libre CEAAC, Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines 7 rue de l’Abreuvoir, Strasbourg www.ceaac.org/curator

photo : Steven Pippin, Point Blank, 2010


rencontres par cécile Becker

photos : GaBrielle awad

Le grOOVe du méTrOnOme

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LE SUCCèS AIDANT, METRONOMY A DONNÉ DEUX CONCERTS MÉMORABLES À STRASBOURG : LE PREMIER, ACOUSTIQUE À LA FNAC, LE SECOND TRèS ÉLECTRIFIÉ À LA LAITERIE. LA TOURNÉE SE POURSUIT AUX EUROCKÉENNES DE BELFORT, AVANT UN NOUVEAU PASSAGE DANS LE GRAND EST À L’AUTOMNE. À CETTE OCCASION, UNE INTERVIEW CHORALE… Je vais vous faire un aveu : le tintamarre autour de The English Rivieira, a gâché tout mon plaisir. La critique saluait un album révolutionnaire, gesticulait dans tous les sens pour annoncer avec primeur la meilleure sortie de l’année 2011. Trop tôt. Ou trop tard. Ce n’est pas nouveau : les anglais de Metronomy envoient le bois. Une sensibilité au contemporain inégalable, des compositions d’orfèvres, le groupe a toujours opéré en dehors des sentiers battus. L’écoute du dernier album m’a d’abord fait penser que le groupe avait plié sous la pression populaire, celle-là même qui trouvait leur musique agaçante, criarde, sans réelle substance. Mais rien n’a changé, le génie Joseph Mount est toujours inspiré, sous les traits de The English Riviera, album plus accessible, se cachent la maîtrise d’Oscar Cash et le talent des deux petits nouveaux : Anna Prior et Gbenga Adelekan. L’évolution se constate particulièrement en live : Metronomy nous offre des prestations plus spontanées, plus groovy, plus aguicheuses. Un album calibré pour l’été. Anna, gbenga, vous connaissiez Metronomy ? Anna : Je ne les connaissais pas [rires]. J’ai toujours entendu parler de Metronomy mais je n’ai jamais eu aucun album… Désolée… [rires] Gbenga : J’avais vu Joseph, Oscar et Gabriel en concert au Cargo à Londres, c’était trois ans avant qu’on me demande de jouer avec eux. Je savais qu’ils existaient, j’allais régulièrement sur MySpace pour suivre leur progression et maintenant je suis là. Que s’est-il passé entre nights Out et The english riviera ? Joseph : Après Nights Out, je voulais quelque chose de plus chaud, de plus accueillant. J’ai décidé de tout enregistrer en studio, c’était la première fois que j’enregistrais de cette façon. Sur cet album, le processus d’écriture a donc été très différent : je me suis forcé à ne pas finir les chansons, à faire des démos. Quand les autres ont commencé à jouer avec nous, on a attaqué une très grosse tournée, et peut-être qu’une partie de moi a voulu écrire une musique plus douce, pour qu’on n’ait pas à trop bouger sur scène. [rires]. Mais cet album a été plus difficile à construire, je l’ai considéré comme un défi en essayant de faire quelque chose que j’aimais et c’est peut-être pour ça qu’il plaît plus aux gens. Comment avez-vous réagi à l’enthousiasme général des critiques autour de The english riviera ? Oscar : C’est super. Après, c’est peut-être juste moi mais je protège un peu les anciens albums. Les réactions à English Rivieira ont été tellement positives ! Pour moi, tous nos albums sont aussi

bien que celui-là. J’espère que le fait que les gens aiment cet album les incitera à écouter nos anciennes chansons. Les critiques parlent d’un album révolutionnaire, pour moi, Pip Paine et nights Out, l’étaient justement beaucoup plus… Joseph : C’est étrange la manière dont le monde fonctionne. Nights Out était censé être très pop, très instantané. Il n’a pas du tout été reçu comme tel. Mais après, c’est génial d’avoir trois albums très différents, ils sont tous révolutionnaires… [rires] Est-ce que l’ambiance des concerts a changé ? Gbenga : On a remarqué que devant la scène, les gens sont un peu plus jeunes, il y a beaucoup d’énergie, les gens se sautent dessus, se battent. [rires] Les gens à l’arrière, eux, sont typiquement ceux qui nous ont découvert avec She Wants et The Look, ils viennent voir ce qu’il se passe. C’est amusant pour eux parce qu’on joue des chansons de Pip Paine et de Nights Out, ils découvrent un univers large. Joseph, tu as une relation particulière avec tes instruments, notamment tes ordinateurs ? Joseph : Oui, je les remplis à ras bord et quand ils sont pleins, j’en achète un nouveau. Du coup, je commence à construire une pile d’ordinateur. C’est marrant parce que chaque ordinateur est un témoin d’une époque de ma vie : photo, chansons, idées. Quand les gens me demandent quelle est la chose la plus précieuse que je possède, je dis que je n’ai rien, à part mes ordinateurs : toute ma vie, ma personnalité est là-dedans. On voit d’ailleurs toujours vos instruments dans vos clips, notamment le clavier incroyable dans The Look qui participe à un univers visuel fort… Joseph : On construit vraiment un visuel autour du nom Metronomy, le but c’est que les gens aient envie de voir et de revoir nos clips. Dans The Look, j’ai ce synthé Yamaha EX2, un truc que j’ai toujours voulu avoir. Un soir je l’ai trouvé par hasard sur eBay. Alors je l’ai acheté, il venait de l’état de New-York, j’ai dû le faire venir en bateau en Angleterre… C’est un peu ridicule. Oscar a dû m’aider avec un ami pour le mettre dans notre studio, on a démonté des portes. Mais c’est génial d’avoir pu l’utiliser pour The Look, du coup ça justifie l’achat compulsif. La Laiterie est votre dernière date avant les festivals, tristes ? Oscar : Toutes les dates en France ont été complètes, on a vraiment vécu quelque chose de fort. Je suis triste de quitter le Tour Bus, mais heureux parce que c’était une belle tournée, les gens étaient fous. Messy France ! (France bordélique) ❤

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rencontres par e.p Blondeau

photo : Vincent arBelet

Figure Libre IL EST L’ICÔNE INDÉPENDANTE D’UNE GÉNÉRATION, POURTANT JON SPENCER SEMBLE AVOIR GARDÉ LA FRAîCHEUR ROCKABILLY DE SES DÉBUTS. LAISSANT À D’AUTRES LES POSES ET LES CALCULS. IL GARDE UN AMOUR IMMODÉRÉ DE LA MUSIQUE ET UNE CURIOSITÉ À FLEUR DE PEAU. MORCEAUX CHOISIS.

QUI ES-TU JOHNNY BOY ? « Je crois qu’en y regardant bien il y a autant de similarités que de différences entre heavy trash et le Blues Explosion. Ce sont avant tout des combinaisons très différentes, à la fois entre des musiciens et des personnalités. Bien évidemment, j’emmène des choses avec moi, des choses qui m’appartiennent de groupes en groupes. Je pense que mon rapport à la musique n’a pas changé depuis Pussy Galore, j’ai grandi avec les vinyles et je préfère toujours ce son-là. Mais j’essaye de découvrir le plus de nouveautés possibles en mp3. Les supports importent peu… Lorsque j’ai commencé avec Pussy Galore j’avais tout juste 20 ans, aujourd’hui j’en ai 46… La seule chose que je peux dire c’est que le pouvoir de la musique marche sur moi comme au premier jour. C’est comme un médicament, un remède pour mon âme. » AUX SOURCES éLECTRIQUES « C’est un retour à la scène pour le Blues Explosion. Nous n’avions pas vraiment joué ensemble depuis de longues années. En 2010, nous avons réédité tous nos anciens albums. C’était d’ailleurs une expérience très étrange qui m’a un peu troublé. J’aime ces albums, je trouve qu’ils restent tous très pertinents, mais tant de temps a passé… C’était comme si je retravaillais des morceaux pour le live qui n’étaient pas les miens. C’était étrange et agréable. Nous prenons toujours autant de plaisir à jouer ces morceaux sur scène, et désormais pour le Blues Explosion tant que ce sera le cas, nous continuerons. »

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HEY HO LET’S gO « Que ce soit lors d’un sound-check ou lorsque l’on jamme ensemble en studio, je reste à l’affût. Une chanson peut surgir à n’importe quel moment, il faut savoir la saisir. C’est comme pour la scène, on n’utilise pas de set-list. On ne l’a jamais fait. Là, je vais vous laisser, car je joue dans une demi-heure, mais pour les morceaux… Je vais y réfléchir et on va bien voir. Il faut laisser de la place à l’imprévu. Si je monte sur scène avec un ordre de morceau préétabli, je me ferme à ce qui va se passer dans la salle. Pour moi le meilleur concert, c’est vraiment lorsque l’ensemble est pleinement libre. » ❤


par emmanuel aBela

photo : marianne maric

Oh iSn’T iT WiLd ? COMMENT ÉGAYER UN JEUDI DE L’ASCENSION À MULHOUSE, SI CE N’EST EN SE RENDANT À UN CONCERT DE JESSIE EVANS ET DE SON COMPAGNON BATTEUR, L’ILLUSTRE TOBY DAMMIT. INTERVIEW GUET-APENS ET DISCUSSION IMPROMPTUE AUTOUR DE L’HÉRITAGE POST-PUNK.

Jessie Evans au bar Les Copains d’Abord à Mulhouse, ça peut sembler à la fois improbable et en même temps très excitant. Avec l’intention de rendre visite à mes amis mulhousiens, je ne sentais pas le guetapens qu’organisait très gentiment Marianne Maric à mes dépens : une interview improvisée avec l’amie Jessie. À peine le temps d’entrer dans le bar, et me voilà en tête à tête avec cette très belle femme sans âge, fardée et apprêtée dès 16h – elle avait cru à un concert programmé dans l’après-midi –, et qui guette derrière ses longs cils la première question. J’y vais franco : Siouxsie and the Banshees, dont un grand portrait est accroché au mur juste derrière la console, The Slits – petit hommage à Ari Up récemment décédée –, X-Ray Spex – heu, petit hommage à Poly Styrène, elle aussi récemment décédée. Mais au-delà du fait qu’il ne fait

pas bon être une icône du punk par les temps qui courent, Jessie balaie tout cela de « yes yes » mi amusés mi agacés, avant de me déballer à la vitesse du son tous les genres musicaux et artistes majeurs qui alimentent ses chansons mutantes. En vrac, « la new wave, la no wave, la scène new yorkaise, James White, le jazz, le ska, The Selecter et une figure comme Lydia Lunch… » Dans la salle, on diffuse Devo. Cela me suggère une question sur l’attention particulière qu’on porte aujourd’hui à l’angulosité post-punk. « Vous savez, le temps n’existe pas nécessairement. Toutes ces structures musicales restent d’actualité, mais je ne comprends pas pourquoi les gens mettent tant de temps à comprendre. Pour la peinture il en va de même, la reconnaissance est parfois tardive. Il a fallu trente ans pour apprécier le travail de Lydia Lunch par exemple, et pourtant elle n’a jamais cessé de composer. » Avec cette artiste, Jessie partage un sens unique du beat dans des compositions tribales au service desquelles Toby Dammit, ex-batteur d’Iggy Pop et des Swans, associe volontiers fermeté et raffinement. « Les percussions touchent directement l’âme des gens, nous explique-t-elle avec la ferveur de Sainte Thérèse dans la Transverbération du Bernin. Cette manière d’associer voix et percussions concerne une grande partie de la pratique musicale. J’ai participé à bon nombre de groupes depuis dix ans, mais j’avais le sentiment que je me devais de trouver mon propre rythme. Après avoir composé dans ma chambre sur une simple drum-machine, j’ai posé la question à Toby, qui a accepté de me rejoindre sur scène sans hésiter. Au final, le but est assez simple : conduire les gens à la danse ! » ❤

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rencontres par cécile Becker

photo : stéphanie linsinGh

COuSC’hOuSe Des loups-garous jetant des bananes sur le responsable d’un supermarché sur le morceau Omar K, une bande de malfrats équipés de mitraillettes et obus colorés dans le désert sur le rythme de Let Them Dance... Entre pop, électronique, dub et sons arabisants à la manière du label Sublime Frequencies qu’ils vénèrent, il y a tout un monde plus ou moins coloré que Danny et Tiffany, mari et femme, s’efforcent de lier. Deux EP’s vivifiants The Basta et Kabukimono et la surprise de les retrouver sur le label Kompakt avec l’album Boys and Diamonds, plus dark et house. Pendant que Tiffany, qui nous rejoindra plus tard, se lave les cheveux, Danny nous explique l’univers décalé de Rainbow Arabia et aussi, leur changement récent. Danny, vous êtes issu d’un milieu assez dub et Tiffany a étudié les musiques du monde, votre musique est-elle un mélange de tout cela ? Toute ma vie, je n’ai fait que collectionner des disques : dub, musique africaine, enregistrements de sons de la nature, afrobeat. J’aime aussi beaucoup la musique des années 80, parce que j’ai grandi là-dedans : New Order, Joy Division ou Siouxsie and the Banshees. Toutes ces influences sont importantes pour moi, alors notre musique est un mash-up de tout ça. Vous avez réellement commencé à faire de la musique grâce à la découverte d’un clavier Casio ? Un jour, j’ai vu ce clavier dans une vidéo, je l’ai commandé et on a improvisé avec. Tiffany ajoutait sa guitare électrique et criait un peu sur les chansons. Ce clavier nous a vraiment inspiré. Grâce à lui nous avons enregistré notre premier EP The Basta en deux semaines.

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Peut-on dire que l’univers coloré de Rainbow Arabia a disparu ? Avant, notre musique était ethnotronic, mélange d’électronique et de musique ethnique. Depuis, elle a évolué. Notre manière de travailler est différente, je construisais le beat et Tiffany ajoutait ce qu’elle voulait et écrivait les paroles, maintenant tout se mélange et je me mets à l’écriture. À l’époque, c’était la couleur et notre nom allait bien avec, maintenant notre musique a un côté plus sombre mais garde un côté pop. Du coup, je me demande : peut-être devrait-on changer de nom ? [rires, ndlr] Vous vivez à Los Angeles, une ville où l’industrie de la beauté est reine, est-ce que comme d’autres artistes, Ariel Pink ou Dum Dum girls, la musique est un moyen de se rebeller contre ça ? Pas vraiment, on a commencé à faire de la musique parce qu’on a toujours aimé ça. Je connais Ariel Pink depuis ses débuts, on le croisait souvent quand j’étais dans mon premier groupe, il a de toute façon toujours été dans des trucs fous. C’est marrant de savoir que l’industrie de la beauté le déprime alors que sa copine, Geneva Jacuzzi, [elle-même artiste et avec laquelle il se produit sur scène, ndlr], fait partie de ce monde de la mode et de l’art. ❤


carte, fin XVIIe siècle, Coll. Musées de Belfort © Musées de Belfort

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400 Sonnets in Reverse, Together, exposition jusqu’au 28 août à la Kunsthalle, à Mulhouse www.kunsthallemulhouse.com

WALK THE LINE par amandine sacquin

LE TRAVAIL DE SEB PATANE PEUT DONNER LE SENTIMENT D’UN ÉQUILIBRE FRAGILE ENTRE DIFFÉRENTS UNIVERS. À LA FOIS TRÈS INSTINCTIF MAIS CONTRÔLÉ, 400 SONNETS IN REVERSE, TOGETHER NOUS TIENT EN SUSPENS SUR LA CORDE RAIDE.

La chanson de Broadcast qui résonne dans le hall de la Kunsthalle est une alléchante introduction à l’exposition de Seb Patane. La perte de la chanteuse Trish Keenan en janvier dernier est encore douloureuse pour tous les adorateurs du groupe de Birmingham, et l’utilisation du son, qui rend un bien troublant hommage, est loin d’être anecdotique : celui-ci fait vite écho aux autres pièces de l’exposition. Le travail de Seb Patane vient se fragmenter dans l’espace de la Kunsthalle et l’utilisation de différents médias comme la vidéo ou le dessin crée un dialogue entre ces éléments autonomes. Il y a un véritable jeu de renvoi d’une oeuvre à une autre par des matériaux, ou des éléments de géométrie comme le cercle ou la ligne, très présente dans toute l’exposition. Les références qui portent ses œuvres semblent faire basculer le spectateur entre le monde de l’artiste et sa propre mythologie personnelle. Enfin l’utilisation de matériaux pauvres posés ça et là suggère un work in progress que la commissaire de l’exposition Bettina Steinbrugge exprime très justement comme une « sorte de vision formalisée du studio de l’artiste au travail ». Une œuvre ouverte donc, qui n’hésite pas à égarer le spectateur, mais dans le sens le plus positif

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du terme. Notons que la plupart des pièces présentées ont été produites en exclusivité pour la Kunsthalle et qu’un catalogue a été édité pour l’occasion.

exposition, je m’efforce surtout d’atteindre un changement constant d’équilibre entre différents états, et plus particulièrement, un sens du rythme.

La ligne s’impose dans chaque pièce de l’exposition, peut-on en savoir plus sur ce systématisme ? En réalité, concernant mon travail je ne pense jamais en termes de “lignes”. Je pense que ce sont les spectateurs qui ont souligné cet aspect de mon travail, pas moi. Tout ce que je peux dire, c’est que j’utilise des formes géométriques très simples comme de subtiles références au monde du théâtre, et afin d’obtenir un équilibre entre ce qui est parfois très désordonné et chaotique dans mes travaux, et quelque chose de plus structuré, sculptural et austère.

Votre travail possède de nombreuses références politiques, y a-t-il un quelconque risque de prise de position de votre part ? Pas du tout. La façon dont les forces politiques emploient un langage visuel fort et très spécifique m’intéresse, et je suis aussi intrigué par le fait que ce langage peut parfois atteindre ses objectifs et d’autres fois échouer. Mais je ne souhaite pas prendre une position particulière, je ne pense pas que mon rôle soit d’exprimer publiquement mes opinions politiques. D’un autre côté, si les spectateurs parviennent à discerner un angle politique au sein de mon travail, c’est leur choix et ça ne me pose aucun problème.

J’ai eu le sentiment d’être tiraillé entre différents courants artistiques complètement opposés. Ces paradoxes sont une ligne de conduite dans votre travail ? Pareillement, je ne pense jamais à cataloguer ce que je fais, d’une manière ou d’une autre, et je ne m’intéresse pas au fait de me référer à un mouvement artistique en particulier ou à un genre. Lors d’une

Vous travaillez à partir d’images trouvées. Comment effectuez-vous ces recherches ? C’est un processus instinctif. Je trouve des choses autour de moi constamment, je les collectionne, et par la suite, je dois les observer un certain temps avant de


Je m’efforce d’atteindre un changement constant d’équilibre entre différents états. comprendre si elles valent la peine d’être utilisées. Cela peut prendre parfois des années pour me décider à travailler avec une image particulière, une boucle sonore, ou un texte issu d’un livre. Ceci dit, je me suis depuis peu lassé de cette méthode, si bien que je m’intéresse désormais un peu plus au fait de construire une nouvelle image à partir de rien, et c’est pourquoi je collectionne moins de choses qu’auparavant. Le travail du son est très présent dans l’exposition, presque matériel. Quelle nuance entre l’approche du musicien et du plasticien ? Je ne me définirais pas comme un musicien à l’heure actuelle. À l’avenir, peutêtre. Mais tous les sons que j’ai créés jusqu’à maintenant ont fini dans des galeries

d’art, et on s’y est intéressé dans ces circonstances. Je perçois réellement tout ce que je fais en tant que sculpture, tout est question de couches et d’assemblage d’une certaine manière, et je traite la matière sonore pareillement. Il est aussi question de mon attirance pour une performance sans acteurs, et disons, sans performance à proprement parler. Les sons pré-enregistrés sont pour moi une façon d’effectuer une performance en étant débarrassé de la gêne d’une exécution en direct. Vous semblez très proche de la musique industrielle, expérimentale. De quelle façon ces références musicales prennent corps dans votre travail plastique? Je ne suis pas intéressé seulement par ce genre de musique, je dirais que je suis

intéressé par la musique en général. J’aime la notion abstraite et provocatrice de la musique expérimentale car elle me rappelle les idées d’avant-garde, et induit un désir ou un besoin de progression, de défi, de protestation. Mais en réalité, je peux aussi bien être intéressé par la structure des chansons pop. Bien qu’elles soient jouées en boucle, mes dernières pièces sonores durent seulement 3 mn environ, et c’est un moyen pour moi de suggérer une forme qui suit presque les conventions narratives d’une chanson dûment construite. i

Year of The Corn (detail) Installation multimédia vidéo et son, 2011 Courtesy the artist, Maureen Paley, Londres and China Art Objects Galleries, Los Angeles

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NB4, le 30 septembre, NB LAB, du 14 juillet au 31 août à l’Eglise des Trinitaires NB MOBILE, du 7 au 30 septembre, à Metz www.nuitblanchemetz.com

la fête au village par Cécile Becker

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« Les villes sérieuses ne peuvent refouler le sens de la fête aux limites de leurs frontières ». La quatrième Nuit Blanche de Metz explore l’espace public en une visée ludique et festive, mais n’est-ce pas une utopie ? À vous d’en juger. 1, 2, 3 NUIT BLANCHE.

On aime nos villes, on les chérit. Parfois pourtant, on en voudrait plus. On les imagine plus grandes, plus ouvertes et plus joyeuses. Il nous arrive de les rêver, aménagées de manière futuriste, remplies d’êtres curieux et insensibles au bruit, amateurs de cultures, d’arts et de fêtes. Tout est possible dans nos imaginaires, mais seulement dans les nôtres. Et si la ville de Metz se réinventait ? La quatrième Nuit Blanche répond présente et tend à faire rêvasser 130 000 personnes. Le 30 septembre, elle nous donne à voir les utopies urbaines. Mais la Nuit Blanche, ce n’est pas juste une nuit, comme aime à le rappeler Anne-Sophie Ohmer, chargée de la communication : « Le public connaît la Nuit Blanche et la voit comme un événement unique et éphémère. Or, il y a toute une réflexion autour de cet événement, un cheminement que nous avons voulu mettre en avant. Le travail des artistes est long et les projets qu’ils montent ne se font pas d’un claquement de doigt. Nous voulions que le public puisse assister à cette construction. Car la ville leur appartient ». Et comment la voir cette construction ? À travers NB Lab, bien entendu. Entre les murs de l’église des Trinitaires, cadre atypique et entièrement scénographié pour l’occasion, trois projets en résidence feront trembler les concepts de l’urbain et de la création.

Premier projet, mettant en plus l’accent sur la création locale, celui de Priscilla Trabac et Antoine Debacque tout juste sortis de l’école des Beaux-Arts de Metz. « Cité Blanche », c’est la collaboration de ces deux ex-étudiants qui souhaitent interagir avec le public : ils s’interrogent sur l’organisation des espaces en fonction des besoins, des idéologies et des utopies à travers des installations, des photographies et des dessins. Même simples, leurs créations amènent le public à réfléchir sur des petits fragments du quotidien qui construisent notre mode de vie. L’association Ergastule, qui se bat pour réaffirmer la présence des arts visuels dans la ville, organisera un atelier autour de la sculpture construite grâce à l’origami. Enfin, l’association Paradigme constituée en collectif souhaitera, autour de ce projet, fusionner les compétences de vidéoperformeurs, graphistes, scénographes, plasticiens, photographes et musiciens. Alors, ils travailleront tous d’arrache-pied pour que leurs créations soient présentées lors de la Nuit Blanche. Le public lui, pourra déambuler entre crayons, pinceaux, et appareils électroniques du mercredi au dimanche de 14h à 18h. Déambuler ? Pas seulement, de nombreux ateliers sont proposés aux spectateurs de tous âges : la galerie Toutouchic propose d’imprimer des timbres à grande échelle inspirés de la thématique Nuit Blanche, la galerie La Conserverie, elle, invitera les participants à amener des photos de famille avec lesquels ils construiront leur monde idéal, enfin les enfants pourront composer un jeu de domino géant avec la galerie Modulab’. Des performances visuelles et musicales

audio-visuelle déjantée. Ils reviennent sur l’histoire des disques en faisant fonctionner des platines activés par le mécanisme de leurs bicyclettes. Parce que la musique, ça se manipule, comme nous le prouvaient les autres Grandmaster Flash ou Afrika Bambataa. Mais ce n’est pas fini. Du 7 au 30 septembre, la Nuit Blanche sera mobile en s’installant dans chaque quartier de la ville avec sa structure sur roues. Les Messins (ou les autres) pourront s’initier à la création artistique. Avec tout ça, ça y est, le 30 septembre est arrivé. L’organisation reste un peu mystérieuse sur la programmation et nous fait languir, mais nous avons un nom : Samuel François. Au cœur de l’école Saint-Eucaire, l’artiste, qui a mené une véritable observation de l’utilisation du lieu par ses protagonistes, les enfants, propose deux installations réfléchies pour l’espace. La première est temporaire et labellisée Nuit Blanche : des vases dessinés et imaginés par les enfants de l’école seront matérialisés par l’artiste et exposés. Samuel François explique : « L’idée était de créer quelque chose autour de la spontanéité des enfants, je voulais qu’ils y participent, parce ce sont eux qui imprègnent le lieu ». Une autre installation permanente faite de modules en métal, de tableaux, de fenêtres et de supports magnétiques sera complétée par le public qui fera partie intégrante d’une sculpture. D’autres artistes seront présents dans les quartiers Outre-Seille, Ste Croix et St Louis et travailleront sur le patrimoine architectural de manière un peu folle mais résolument moderne. « Car bien avant de faire des villes des terrains de jeux où l’art s’expose dans l’espace public, c’est sur le modèle de villes ludiques, délirantes réservées à la fête et au vertige que nos cités modernes se réfléchissent ». À bon entendeur. i

Le coup d’envoi de NB LAB est prévu le 14 juillet, entre les autres feux d’artifice et sandwich merguez, le trio allemand Tour de Vinyl se lance dans une performance

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NEO RAUCH, exposition jusqu’au 18 septembre au Musée Frieder Burda de Baden-Baden (D) www.museum-frieder-burda.de

On a vu quelques-unes de ses toiles énigmatiques dans une exposition collective au centre Pompidou en 2002. Puis plus rien. Neo Rauch, né à Leipzig en 1960, expose pourtant dans le monde entier et a connu les honneurs d’une exposition monographique au Metropolitan de New York. Peut-être sa peinture étrange nous est-elle trop étrangère. Peut-être n’avons-nous tout simplement plus l’habitude de nous perdre dans une œuvre.

Les fragments d’une vision par sylvia dubost

Au premier coup d’œil, on comprend qu’il se passe ici quelque chose. Que l’on se trouve face à une peinture à nulle autre pareille. Le grand format des toiles, leurs couleurs, la composition, la manière… Tout y semble à la fois étrange et familier. Et quand on y entre, on comprend qu’on ne comprendra pas tout. La collusion de figures et de décors suggère une narration qu’on est bien incapable de reconstituer. On s’y perd sans jamais trouver la clé. Qu’est-ce qui peut lier cet étrange personnage glissant vers le gouffre à ces femmes qui semblent s’envoler ? Que se passe-t-il dans cette maison vers laquelle convergent toutes les lignes du tableau ? Que sont ces artefacts et formes étranges qui émaillent la toile, sous la table ou dans le coin gauche ? Et plus simplement : à quelle époque sommes-nous ? Il manque toujours un lien entre les éléments du tableau, et même une continuité dans le décor et les perspectives, comme si le peintre avait laissé une ellipse dans sa composition. Ces toiles sont pleines de béances. Ce sont les insondables secrets qu’elles semblent y cacher qui les rendent fascinantes. Les questions du regardeur restent sans réponse, et Neo Rauch se refuse d’ailleurs à toute interprétation. Peut-être n’en a-t-il lui-même pas tous les éléments…

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Il semble clair que l’on est ici face à une vision, à une porte ouverte sur l’esprit de l’artiste, où conscient et inconscient se fondent inextricablement. « Peindre est pour moi le prolongement d’un rêve avec d’autres moyens… », déclare Rauch. Les images qu’il reproduit lui apparaissent bien souvent dans un état semi-conscient. « Les éléments dérivent, explique-t-il, récupérés par les écluses de mon esprit. » La référence au surréalisme, évidente au vu de la peinture, est assumée. Il raconte d’ailleurs volontiers qu’il a découvert la peinture en feuilletant chez son oncle Knaurs Lexikon der Modernen Kunst et que la découverte de Dali et Masson à l’âge de 12 ans eût un impact considérable sur son esprit. Cette image de l’artiste se contentant de représenter les errances de son esprit fécond est évidemment une mythologie. En navigant de toile en toile dans l’exposition, apparaissent un langage et un vocabulaire parfaitement cohérents, que R auch construit et étoffe depuis ses débuts. Dans

ses premières toiles, au début des années 90, il cultive déjà l’art de l’ellipse, de la superposition des plans et de la cohabitation entre abstraction et réalisme. L’exécution est cependant bien différente et s’apparente au collage. Les formes sont plus géométriques, les couleurs plus froides, les brisures dans la composition plus clairement marquées. Cet univers alors influencé par la bande dessinée, où se multiplient les éléments d’une technologie obsolète, est habité par des personnages rigides ancrés dans une vie quotidienne qui est clairement celle de l’Est, où Rauch a toujours vécu. Formé aux Beaux-Arts de Leipzig, dans une école où l’on a toujours refusé l’abstraction et les nouveaux médias, réservés à l’Ouest, il a 29 ans à la chute


du mur. Alors que Gerhard Richter rompt définitivement avec l’abstraction au profit de la figuration en 1989, après avoir parallèlement pratiqué les deux, Rauch réunifie dans un même tableau les expressions de l’Est et de l’Ouest. S’il n’y a pas réellement de rupture dans son œuvre, un tournant s’opère néanmoins en 2001. On retrouve des formes et des figures, mais les décors sont plus réalistes, les personnages sont plus nombreux et en mouvement, rappelant parfois l’art pompier. Les formes abstraites sont plus organiques et la référence au surréalisme encore plus évidente. La séparation entre les parties du collage s’efface, la narration

s’intensifie et c’est là, dans ces interstices ressoudés, que naît l’étrangeté. De mélancolique, l’œuvre devient inquiétante. Les couleurs sont plus sombres et Rauch multiplie les symboles d’un danger qui gronde : volcans menaçants, plantes se transformant en objets mystérieux, êtres mi-homme mi-animal. Dans un paysage de campagne romantique à la Caspar David Friedrich, deux hommes, à l’extrême droite du tableau, semblent nourrir de noirs desseins, sans que l’on puisse identifier ce qu’ils préparent. La peinture de Rauch est désormais habitée par de sombres pressentiments. Si l’on sent bien que l’on est ici face à une œuvre qui, malgré ses

référents, ne ressemble à rien de ce que l’on connaît, c’est sans doute parce que, comme le note le critique Philippe Dagen dans le catalogue de l’exposition, on est ici face à une peinture comme on ne la pratique pas en France. Une peinture dont le sujet est la confrontation entre l'Histoire et l’histoire personnelle. Certains artistes français ont bien travaillé cette confrontation, mais ce ne sont pas des peintres. En France, il n’y a tout simplement personne que l’on puisse comparer à Neo Rauch. i Neo Rauch, Die Fuge, 2007 – huile sur toile, 300 x 420 cm Courtesy Galerie EIGEN + ART Leipzig/Berlin et David Zwirner, New York Photo : Uwe Walter

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ORNEMENT / WALKING TO THE ILL, DE GAËLLE LUCAS ET KIM BOM, expositions jusqu’au 24 juillet au CEAAC, à Strasbourg www.ceaac.org

Deux artistes, Gaëlle Lucas et Kim Bom, la première est strasbourgeoise, la seconde coréenne. Toutes deux ont participé à des résidences, respectivement à Budapest et à Strasbourg, et interrogé la pratique du dessin. Entre minutie, précision et féminité, elles exposent ensemble au CEAAC cet été.

Cheminements croisés par Anne Berger & Louise Laclautre

Gaëlle Lucas Gaëlle Lucas, jeune strasbourgeoise de retour de son séjour à Budapest, nous parle de son exposition Ornement : des œuvres féminines chargées de symboles Comment reçois-tu les images de Kim Bom ? Son travail n’est pas vraiment voisin du mien mais j’aime beaucoup ce qu’elle réalise, ce côté très minutieux, telle une brodeuse. Ses œuvres sur le thème de Strasbourg me sont familières, j’apprécie ce côté naïf. C’est la première fois qu’elle utilise le papier pour peindre, ce qui est très intéressant pour moi qui n’utilise jamais cette technique. Personnellement, j’adore l’idée du dessin et je ne pense pas travailler plus tard sur toile. Je me suis déjà confrontée à des grands formats sur papier qui n’ont rien à voir avec de la toile, ils sont plus difficiles physiquement à traiter. Pourquoi te cantonnes-tu à cette technique du dessin, est-ce un refus du passage à la peinture ? Ce n’est pas du refus ! J’aime beaucoup cette technique parce que je pense qu’elle est accessible à tout spectateur : tout le monde a déjà dessiné. Les gens n’ont pas peur face au dessin alors que face à la peinture, ils

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sont beaucoup plus effrayés. En général, ils n’ont pas le bagage culturel qu’il faut. Je travaille sur l’intime, je m’inspire beaucoup de ma vie personnelle, ce qui peut mettre déjà plus ou moins mal à l’aise. Il y a une certaine immédiateté dans le papier, le dessin, quelque chose d’évident qui peut toucher l’intimité des personnes. D’où te vient l’idée du thème de l’ornement ? Je me suis inspirée des ornements très présents à Budapest, sur les façades, sur les intérieurs, les extérieurs. J’y ai également découvert tout ce qui était broderie de Transylvanie. J’ai passé beaucoup de temps dans le musée d’ethnologie pour avoir des informations. J’ai aussi beaucoup repéré et acheté des tissus. Là bas, je savais déjà que je souhaitais utiliser les fleurs, j’ai découvert une artisane d’Avignon, Valérie Fradiss, qui fait des fleurs en soie ellemême qu’elle vend entre autres aux grands

couturiers. Je ne suis pas très respectueuse des techniques du dessin, je mélange tout, rajoute des éléments, selon ce que j’ai envie de raconter. Le crayon de papier est très récurent et présent surtout dans les visages et les parties du corps apparentes. On sent dans tes œuvres des symboles forts de la femme et de la maternité, pourquoi ce choix ? Je dessine ce que je connais. J’ai déjà traité le thème de la maternité par rapport à mes expériences et à celles de mes proches. En général, je dessine mes vêtements, et je laisse toujours apparaître un symbole de maternité, un œuf ou un fœtus. J’avais vraiment envie d’accentuer le coté extrêmement féminin, avec les fleurs et la décoration. Et en même temps, on peut dire des choses inquiétantes avec ces dessins, qui peuvent être étouffants, même morbides avec ce côté floral, qui peut rappeler les tombes.


C’est seulement dans un second temps qu’on se rend compte de l’inquiétude présente dans l’œuvre… J’ai été sous le choc des broderies de Transylvanie, j’ai d’abord vu ce type d’ornement sur les marchés aux puces. De nombreuses femmes vendaient leurs travaux et j’ai retrouvé ce même travail au musée de l’ethnologie. J’ai aussi été fascinée par tous les mannequins qui portaient ces broderies, ils étaient sans visage. C’est à ce moment que j’ai commencé à créer quelque chose de neutre, le vêtement qui raconte le corps, la présence du fœtus noyé dans la décoration. Ce qui m’intéressait dans cette série avec les fleurs, c’était ce travail en volume, le fait de garder la même minutie, y compris pour de très grands formats. Tout comme à Budapest, on ne voit pas forcément chaque détail, mais parfois en cherchant bien, on voit des choses incroyables.

Kim Bom Kim Bom, coréenne de passage en Alsace, nous donne sa vision de Strasbourg avec des dessins de la ville qui constituent autant de cartes mentales troublantes. De prime abord, Kim Bom peut déconcerter par l’extrême fragilité qu’elle semble exprimer. Avec sa petite voix timide et son regard craintif, cette jeune artiste coréenne nous relate dans un anglais hésitant l’expérience qu’elle a vécue durant sa résidence de plusieurs mois à Strasbourg. Ce qu’elle en retient visuellement, elle le figure sur des feuilles de papier, avec des vues de la ville qui écrasent toute forme de perspective, à la manière de certaines représentations médiévales. « J’utilise le crayon et le stylo pour la première fois sur papier », nous avoue-t-elle, comme si elle cherchait à révéler une pratique coupable. Le choix se porte sur les bâtiments emblématiques de la ville, la Cathédrale,

la statue de Kléber, l’église Saint Thomas, comme autant d’éléments identifiants d’une ville dont les contours prennent sous ses traits une nouvelle dimension : distante et presque mythifiée. L’Ill, « the river », insiste-t-elle, assure le lien entre les bâtisses mais aussi entre les figures qui parcourent les rues. Une forme de poésie diffuse s’installe ; on se plaît à vivre dans cette ville qu’on redécouvre sous un nouveau jour. L’instant est initiatique à la fois pour le visiteur mais aussi pour l’artiste qui appliquera cette nouvelle pratique, le crayon, le stylo et la vue en plongée, lors de ses prochaines interventions, de retour au pays, en Corée. i

5 mars 2010, 33 X 37 cm, crayon de papier, crayon de couleur, aquarelle, fleur en soie, fils de coton, 2010 Photo : Fred Hurst

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CONNIVENCE 2, MONDES À L’ENVERS, PATRICK NEU, exposition jusqu’au 2 novembre au Musée de l’Image, à Épinal www.museedelimage.fr

Le Musée de l’Image d’Épinal mêle à merveille art contemporain et imageries, avec la seconde édition de son exposition Connivence. À l’honneur, les œuvres à la fois fragiles, délicates et singulières de Patrick Neu, s’allient au corpus des images exposées. Avec passion, la conservatrice Martine Sadion nous parle d’une aventure en cours…

Le reflet de la société par Anne Berger & Louise Laclautre

« Le concept du Musée de l’Image cherche à mêler le contemporain et le traditionnel. Tant du point de vue formel que de la relation qu’on établit entre les deux, art contemporain et imagerie populaire, tout se situe au niveau de l’attitude à adopter. Au final, nous cherchons une complémentarité, une connivence entre les œuvres. Depuis deux ans, cette Connivence est le sujet de nos expositions : nous identifions une thématique qui nous permet de puiser un certain nombre d’images dans le fond documentaire du musée qu’on complète avec le travail d’un artiste.

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Pour l’exposition Connivence 2, l’imagerie qu’on cherche à développer porte sur le thème du monde à l’envers. On inverse les codes : l’enfant bat sa mère, le cheval est sur le dos du cavalier, le bœuf tue le charcutier… Cela dit, il faut aller plus loin que ces imageries populaires et se rendre compte qu’en fait ces moments d’inversions racontent la société du XIXe siècle : tous les grands mouvements, tous les progrès, toutes les interrogations sur la place de l’animal, la place de la femme, la place de l’enfant dans la société. Ces images sont là pour nous montrer ce qu’est l’ordre et s’il est juste ou injuste. Le travail de Patrick Neu joue aussi sur l’inversion. L’armure de chevalier en cristal en est un parfait exemple : cette armure ne protège rien. J’ai choisi cet artiste parce qu’on a déjà eu l’occasion d’exposer son travail plusieurs fois au musée. Cette exposition permet de montrer l’ensemble de ses œuvres. Ce qui est intéressant, c’est que l’artiste contemporain pose un regard sur les imageries traditionnelles et construit l’exposition en

fonction de celles-ci. De plus, l’artiste commente les choix des œuvres qu’il complète : sous la forme de petits textes rédigés, on peut lire ses réactions face aux imageries, ce qui renforce cette connivence entre l’artiste et les œuvres. Je crois beaucoup aux mots. Pour moi, il est intéressant que l’artiste utilise des mots pour parler des œuvres, des mots qui aident à comprendre. Avec le Musée de l’Image, on cherche à informer, sensibiliser les gens qui ont peu de connaissance par rapport à l’image d’Epinal. Pourtant, ces images historiques sont le reflet de la société qui les a créées. D’autre part, elles sont très riches et font appel à des connaissances tant religieuses qu’historiques que nous n’avons pas forcément. Ainsi, sous le couvert d’une image simple on a une image relativement complète. Pour nous, il est parfois


plus facile de faire comprendre ces images aux spectateurs en introduisant des œuvres plus contemporaines, qui, de manière étonnante parlent davantage au public. Par ailleurs, avec le chemin des images, une idée initiée à la fois par le Musée de l’Image et l’école des Beaux-Arts d’Épinal il y a quatre ans, il s’agit de proposer des œuvres d’art en ville, exposées sur des panneaux métalliques avec des grands cadres qui rappellent ceux des musées. Nous souhaitons proposer du haut de gamme, l’équivalent de ce qui est présenté à l’intérieur d’un musée, mais en extérieur. Il

s’agit d’une exposition d’images qui relie le Musée départemental et le Musée de l’Image de la ville, tout en proposant à un artiste de construire un projet commun, qui soit conçu pour la ville. Depuis deux ans, Épinal passe commande à des artistes, et cette année nous avons sélectionné le travail de Loren Capelli qui a d’ailleurs fait ses études à l’École supérieure d’art d’Épinal. Pour cette édition, elle a réalisé quinze images sur le même sujet : une histoire d’enfants déguisés dans leur recherche d’eux mêmes et de ce qu’ils peuvent devenir. Il s’agit d’un travail en mouvement,

d’enfants en train de se construire. Intitulée Move, cette exposition captive les gens qui passent en ville. Elle permet aux visiteurs d’un jour de rechercher eux-mêmes dans leurs mémoires des moments, des souvenirs qui les ont construits. » i

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MÉTÉO, festival du 11 au 27 août, à Mulhouse et dans les environs www.festival-meteo.fr

Éclectisme, ouverture et couleurs marquées, le festival Météo poursuit son joli travail de programmation autour des musiques expérimentales et improvisées, à Mulhouse, au cœur de la ville, mais aussi à la campagne..

face au par emmanuel abela

photo : Stephen Dock

Il y a deux ans, avec le passage de Jazz à Mulhouse à Météo, le festival entérinait une situation de fait : une ouverture vers d’autres musiques, plus traditionnelles, mais aussi plus contemporaines, comme les musiques électroniques. Il s’agissait d’« éclaircir une manière d’approcher ces musiques-là », comme nous l’indiquait alors Adrien Chiquet, directeur et programmateur, mais aussi de diffuser, voire de transmettre. Le pari de ce qui ne peut être apparenté à une nouvelle orientation, mais bien un repositionnement en termes d’image, est gagné. « Météo attire aujourd’hui un public plus jeune. Il n’y avait plus grand monde qui venait écouter du jazz, mais il y avait surtout beaucoup de gens qui n’y venaient pas du tout et qui se montrent depuis le changement de nom beaucoup plus intéressés par ce qu’on fait. » Ce qui faisait le succès des éditions précédentes est maintenu – météo campagne, notamment, avec des concerts dans les villages à proximité de Mulhouse, et dans des lieux insolites –, et la construction exigeante d’un festival, qui sait entrainer son auditoire dans un voyage tout en mettant en résonance des pratiques artistiques diverses, rencontre un

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succès sans cesse grandissant auprès d’un public renouvelé au niveau local, national et international. Ainsi répondent présents des Suisses et des Allemands, mais aussi des festivaliers du sud, italiens et espagnols, ou alors anglais voire américains qui ont organisé leurs vacances, avec une escale à Mulhouse. « Après, nous avons notre public traditionnel, même si nous constatons la présence de quelques personnes OVNI, dont on ne sait d’où elles viennent, mais qui sont attirées par la programmation. » Quand on s’étonne de découvrir une pleine page d’annonce du festival dans l’illustre magazine Wire, sans doute à ce jour le plus fascinant des magazines musicaux – le plus intransigeant et naturellement de loin, l’un des plus ouverts –, Adrien s’en amuse. « Ça n’est pas une nouveauté, et en même temps, ça nous paraît normal. Il n’est pas question ici d’une communication d’image, mais nous nous adressons à notre public anglais, en sachant que sur la période estivale, il ne se passe grand chose dans le domaine des musiques improvisées et expérimentales en Angleterre – le festival Freedom of the City se déroule en hiver. Nous attendons donc des retombées sur un axe qui va de Bâle à Londres. » Au-

delà de la simple anecdote, cette insertion nous renseigne sur la volonté du festival de creuser un sillon, et naturellement de rayonner fortement à partir de Mulhouse à travers toute l’Europe. Après, le malentendu peut subsister auprès d’un public plus ou moins obtus, prompt à réagir quand il perd ses repères. Jazz ou pas jazz, tradition ou non, le but n’est pas de se complaire, mais bien de bousculer les idées reçues, voire les consciences, avec une écoute qui n’occulte en rien le passé, mais qui reste largement tournée vers le présent et naturellement l’avenir. À Météo, on ne se refuse pas la possibilité de marquer certaines éditions d’une couleur particulière, comme ça a été le cas en 2010, avec des opérations


Adrien Chiquet dans la chapelle St-Jean

u vent telles que “In bus with eRikm”, à cheval sur la campagne et le “in” ou la présence d’un certain nombre d’artistes identifiés “musiques électroniques”, ce qui a pu être très diversement apprécié par une certaine presse, spécialisée ou très localisée, vite encline à tirer à boulets rouges dès que les choses lui échappent. Mais Adrien n’en démord pas. « Je pense qu’il faut bien le comprendre : de notre part, il n’y a pas de rectification à apporter. Si une année, une couleur se dégage – ce qui nous semble nécessaire –, ça n’est pas pour autant que ça engage le festival sur du long terme. Nous continuerons à faire des propositions, nous continuerons à tenter des choses dans un champ, qui nous semble clair, celui des

expérimentations musicales. Cette année, de fait, les gens semblent plus s’y retrouver parce qu’ils connaissent un bon nombre d’artistes, mais cette programmation 2011 ne s’est pas construite avec la volonté de séduire. » Il affirme ainsi une liberté de ton très appréciable, et une pugnacité qui ravit, loin, très loin des propos généralement ampoulés. « On n’est pas une usine à divertissement, on ne sert la soupe à personne ! » Parlons donc de cette édition 2011. Sur le papier des artistes qu’on suit depuis longtemps, mais qui contre toute attente, ne sont pas forcément venus si souvent les dernières années, Joëlle Léandre bien sûr, à l’occasion de son soixantième

anniversaire, The Ex, mais aussi, de manière discrète, une figure incomparable du free jazz, Keith Rowe, membre fondateur d’AMM dans les années 60, et dont le style si particulier à la guitare avait influencé un certain Syd Barrett. « Ça me fait vraiment plaisir ! Quand on y songe, dans le domaine de la guitare contemporaine, il y a Fred Frith, Derek Bailey et Keith Rowe. Il joue en duo avec le pianiste John Tilbury, également ancien membre d’AMM. Là, pour le compte nous avons affaire à deux légendes qui viennent se produire pour la première fois au festival. En 2003, ils ont publié Duo for Doris, l’un des plus beaux disques de ces 10 dernières années, dans une veine post-mortonfeldmanienne [rires], avec une approche qui s’apparente à quelque de chose de faussement statique et pourtant en mouvement constant, de très calme et en même temps d’extrêmement sophistiquée. » i

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ARCADE FIRE, en concert le 3 juillet aux Eurockéennes de Belfort www.eurockeennes.fr

Jeu d’Arcade par E.P Blondeau

photo : Vincent arbelet

En 2011, les louanges et les récompenses pleuvent sur Arcade Fire. Pourtant, les Canadiens ont connu une trajectoire sinueuse qui, au final, ne rend que plus méritoire leur succès actuel. Retour sur sept ans d’ascension en forme d’histoire intime.

Septembre 2004 Sortie du premier album d’Arcade Fire, Funeral. Pas de révisionnisme rock, cet album se place autour de la cinquantième place des classements de fin d’année, on est loin de l’évidence défendue aujourd’hui. Cela s’appelle en français de l’ennui poli. Certains y voient quelques réminiscences de rock héroïque des années 80. Les rocks-critics ont surtout besoin de passer à autre chose. Fermez le ban ! Juillet 2005 Studios radiophoniques de radio Dijon campus / Dijon Interview par téléphone d’un des programmateurs de Rock en Seine. Alors que je salue une programmation plus qu’alléchante (The Pixies, Franz Ferdinand, Jurassic 5 et Robert Plant entre autres), mon interlocuteur m’interrompt très vite : « Écoutez je viens de voir il y a quinze jours à l’Olympia Arcade Fire et c’est tout simplement indescriptible, rien ne saurait leur résister je pense ». Un peu interloqué en raison des grosses écuries précédemment citées, j’essaye pendant le mois qui suit d’en savoir plus.

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25.08.2005 Rock en Seine / Paris 14:00 Rendez vous est pris pour la conférence de presse d’Arcade Fire. Dans un grand festival tel que Rock en Seine, mieux vaut prévoir, le micro a été installé sur la table en fin de matinée, on ne sait jamais. À côté une dizaine de télévisions attendent Franz Ferdinand… Les Canadiens arrivent en rang serrés et en tenue de scène. Ils sont assez impressionnants. Je me rapproche doucement. Nous sommes deux face à eux. Incompréhensible ! Je reste une demi heure avec Régine Chassagne et Win Butler, extrêmement concentrés tout en n’éludant aucune question. Je montre une couverture de Télérama avec Arcade Fire. Le titre ? L’avenir du rock. Win Butler sourit : « On verra bien… » 18:00 Arcade Fire monte sur scène pour une heure cataclysmique. Les Canadiens égrènent déjà les hymnes avec une montée en puissance imparable. Je regarde autour de moi, c’est la stupeur. Cela faisait vraisemblablement très longtemps qu’aucune des personnes présentes ce jour-là n’avait vu une chose pareille. C’est entendu, Arcade Fire est un

très grand groupe de scène, un journaliste en vue me glisse : « Mais tu sais Bono vient de les virer de la première partie de U2. C’est un mec malin, Bono ! Il sait que derrière, il ne peut pas monter plus haut... ». Hypothèse invérifiable mais qui, ce jour-là à Paris, semble hautement probable. Mars 2007 Sortie de Neon Bible, deuxième album du groupe. Plus introspectif, plus atmosphérique. La presse cette fois-ci est unanime, on ne les reprendra pas deux fois. Personnellement, l’album me déçoit, les hymnes qui m’avaient fait frissonner sur scène deux ans plus tôt sont les morceaux qui m’enchantent sur ce nouvel album. Fin de partie ?


01.07.2007 Les Eurockéennes de Belfort / Belfort Dimanche, début de soirée et fin des Eurockéennes. La pluie qui avait jusqu’ici épargné le site se met à se déverser sur la foule. Mais personne ne bougera, Arcade Fire reprend à nouveau le pouvoir sur scène. Les morceaux introspectifs, les intrusions new wave sous la bruine du Malsaucy prennent une dimension dantesque. Prestation poignante et regards embués, la pluie décline toute responsabilité. Août 2008 Montréal J’arpente la rue Saint Viateur et me rend immédiatement compte que Montréal est devenu la capitale où il faut être lorsque

l’on est un groupe en manque de notoriété internationale. La ville québécoise détrône New York dans la hype, pour le meilleur et pour le pire, dans le sillage du succès désormais planétaire d’Arcade Fire. L’attrait soudain du quartier Saint Viateur qui dépasse grandement le groupe ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : c’est bien dans cette rue (et aujourd’hui encore) qu’on déguste les meilleurs Bagels. 09.11.2008 Thee silver Mount Zion Live à La Vapeur / Dijon Alors que dans dix minutes il va donner un concert chamanique, Efrim Menuck, le leader de Thee Silver Mount Zion, peste sous la neige, derrière la salle : « Arcade Fire est venu à Montréal pour avoir un succès

énorme. Si tu regardes bien, les membres ne sont pas vraiment de Montréal, ils exploitent le filon… » Rancœur mal placée ? Lucidité totale ? Efrim Menuck semble ne pas faire de cas de la célébrité planétaire. Dix minutes plus tard, il se transforme en être musical total et subjugue le public. Mais bon sang qu’étais-je censé comprendre dans son message ? 16.11.2010 Halle Tony Garnier / Lyon La neige est déjà là et le feu sacré brûle à l’intérieur de la Halle Tony Garnier. Arcade Fire vient de sortir The Suburbs, un excellent troisième album qui met définitivement tout le monde d’accord. Sur scène, mais on ne s’habituera jamais à des sensations aussi fortes, les montées en puissance tutoient l’émotion la plus pure. Aussi, rien ne peut alors remplacer le plaisir et l’honneur de vivre en l’instant une histoire qui s’écrit en direct. To Be continued. i

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DEEP END de Jerzy Skolimowski, sortie en salle en copies neuves le 13 juillet www.carlottavod.com

But I might die tonight par emmanuel abela

Peu de films ont su magnifier le fantasme adolescent. Quarante ans après sa sortie, Deep End, chef d’œuvre de Jerzy Skolimowski, garde toute sa force de suggestion. Une copie neuve au cinéma, suivie d’une première édition DVD et Blue-ray chez Carlotta prévue d’ici à la fin de l’année, constitue un événement pour les cinéphiles. « Serviette, tapis de bain, peignoir, drap et… chefs d’œuvre. » Deep End fait partie de ces films avec lesquels on passe une vie. Déjà culte dans les années 80, la moindre occasion de le voir au ciné-club était prisée, de même pour les rares diffusions à la télé. Une K7 vidéo enregistrée sur une chaine câblée nous a permis de grandir avec ce film à peu près autant qu’il nous a vu grandir : un détail nous avait échappé, mais un

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semblant de maturité aidant, nous nous y attardons, délaissant le motif central pour la périphérie ou l’arrière-plan. Mais ce qui demeure, c’est le sentiment initial porté ici magistralement par John Moulder-Brown : cette impulsion mélancolique qui conduit à la vie, autant qu’elle annonce la mort. Mike, l’adolescent de 15 ans qu’interprète ce très beau jeune homme au physique déjà bowien, est partagé entre un passé trop récent – « Tout ça paraît si loin maintenant » – et un futur qui se refuse à lui. Tout garçon

de son âge a perçu, à un moment ou à un autre, cette vision de l’abîme. Là en l’occurrence, ce sont les petits jeux pervers, doux amers, de Susan, une jolie rousse plus âgée que lui, interprétée par Jane Asher, l’ex-compagne de Paul McCartney, qui déroutent le jeune homme. Plongé dans un monde qui se dérobe, les codes ne tardent plus à lui échapper. L’environnement – l’établissement de bains publics dans lequel il est recruté pour préparer et nettoyer les cabines de douche – exprime


! plastiquement les instants de passage : les murs dont certains sont repeints dans des couleurs vives, rouge et orange, portent la marque d’hésitations psychologiques, entre la tentation d’une forme de pureté – dans ce que celle-ci présente d’éminemment rétrograde dans cette Angleterre du début des 70’s encore marquée par le puritanisme – et une forme de modernité, voire de franche émancipation. Mike aimerait tant avoir l’aisance de George Best, l’attaquant mythique de Manchester United, dribbler, tacler à l’envi et dribbler à nouveau, comme le lui suggère une cliente venue solliciter sa présence et ses services dans une scène aux forts accents métaphoriques au début du film, mais il ne sait y faire. Comme tous les gars de son âge, il aime le football et le fantasme allégrement, mais occupe dans son équipe le poste de gardien de but, loin parfois, trop loin de l’action véritable. Une manière comme une autre pour lui de se préserver. N’est pas George Best qui veut ! L’instant de plaisir se matérialise enfin lorsqu’il

enfourche sa bicyclette, prend de la hauteur dans la banlieue londonienne et guette Susan, le fruit de toutes ses obsessions. « Tu as vu Georgie Best marquer 6 buts à Northampton ? 6 ! Le deuxième de la tête. À peine effleurée, elle a volé dans les filets. Ou l’autre quand il a dribblé en remontant tout le terrain… Une feinte… Un dribble bien court, dribble et tir ! Non… Il l’a poussée dedans… Elle a atterri doucement… au ras du poteau… Georgie la rentre toujours… Oh boy, Georgie Best ! »

fans du célèbre groupe allemand. On le sait, Can a beaucoup écrit pour le cinéma, mais c’est sans doute ce large extrait, dans lequel le chanteur du groupe Damo Suzuki fait une apparition en vendeur de hot-dog, qui restitue avec le plus de vigueur la force rythmique et la tension contenues dans sa musique. L’instant est crucial, il coïncide avec la prise de conscience de Mike, toujours à l’affût, que la réalité n’est pas celle qu’il imagine et que l’issue se trouve ailleurs, dans une autre réalité dont il ne pressent pas encore l’existence. i

La musique est présente, bien sûr, on souligne régulièrement son importance, mais n’en déplaise à certains, les boucles réalisées par Cat Stevens, à partir des chutes de son album Tea for the Tillerman participent elles aussi à la dimension tout à fait intrigante des relations qu’entretiennent Mike et Susan. Après, il est évident que la présence en quasi intégralité des 15 minutes de Mother Sky de Can, ne peuvent que réjouir rétrospectivement les

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Propos recueillis au cinéma Star Saint-Exupéry le 16 mars à l’occasion de l’avant-première de The Hunter durant la Quinzaine culturelle iranienne.

Easy Rider par fabien texier

photo : Manoochehr Deghati

Rafi Pitts, The Hunter, une voiture au look américain, un film qui évoque Cassavetes. Sherkarchi en V.O. est pourtant bel bien un film iranien. Le réalisateur-monteur-producteuracteur aussi, même si son histoire de cinéma, croisant Doillon et Fuller, est on ne peut plus internationale.

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Une mère costumière et décoratrice avec qui il a 16 ans de différence (elle collabore encore à ses films), un studio de postproduction au-dessus de son appartement, et un jardin encombré de décors de cinéma en production. Dans les années 70 à Téhéran, Rafi Pitts baigne littéralement dans le milieu. « J’ai connu tout ce que compte le cinéma iranien entre 6 et 12 ans, la première fois que j’ai vu Kiarostami, il devait seulement avoir 34 ans ! » De ses « pères » monteurs, il héritera sa passion du montage. En revanche, faire l’acteur dès sept ans dans des films néo-réalistes iraniens à petit budget ne le passionne guère : « C’était un

vrai boulot que je faisais pendant les vacances, je les passais sur les plateaux de tournages, j’étais aussi cascadeur. » Il passe aussi beaucoup de temps dans les salles où John Wayne parle comme « un voyou de Téhéran ». Pendant la Révolution, il fait le mur pour manifester, c’est l’époque où l’on projette La Bataille d’Alger et Z. Le marquent à l’époque : la violence de L’Arnaqueur de Robert Rossen quand Paul Newan se fait casser les doigts et la scène d’amour du Rapport de Kiarostami. Avec les premiers bombardements de la guerre d’Irak, sa mère l’expédie à Londres alors qu’éclatent les émeutes de Brixton (1981). Débarquement dans la foulée à Paris où il est surpris par l’effervescence autour de l’arrivée de la Gauche au pouvoir. Mais ce dont il se souvient surtout, dans cette ville où il y a toujours un film à voir, ce sont des journées entières passées au cinéma : « Je rentrais du cinéma à minuit, c’est comme ça que j’ai dû voir cinq fois Le Professionnel. La Cinémathèque, les films d’art et d’essai, je n’y suis allé que plus tard vers l’âge de 17 ans, les deux premiers que j’ai vus c’étaient Meurtre d’un bookmaker chinois et Alice dans les villes. » Il sabote délibérément son bac pour se retrouver dans la pratique : le montage encore et toujours. Il a d’ailleurs été bluffé par les « coupes un peu faciles » d’un monteur passé à la réalisation, David Lean qui passe d’une allumette au soleil du désert dans Lawrence d’Arabie. Entré dans une école de cinéma à Londres, il passe du montage qu’il envisage avant tout comme une écriture, un langage, à la réalisation pour avoir les mains libres et surtout son propre matériau à exploiter. La réalisation est alors essentiellement pour lui une « chasse au rush ». Sa leçon majeure, il la tient de Samuel Fuller qui, lui montrant un cigare, lui dit

« Ça, c’est un producteur », puis une allumette cassée en deux « ça, c’est toi ». Son premier court, diplôme de fin d’études en 1991 tourné à Paris s’inspire de la vie d’exilée de sa mère. En France, il est régisseur pour Carax, puis s’occupe des castings de Doillon de qui il tient son autre grande leçon : savoir comment choisir ses acteurs professionnels et non professionnels. Le reste, il l’a appris sur le tas. C’est ensuite le conflit en exYougoslavie qui l’entraîne vers Salandar (1994), moyen métrage sur la guerre tourné en russe en Azerbaïdjan. Il sera primé au festival du film de Belfort où il rencontre deux futurs amis : Janine Bazin et André S. Labarthe, découvert à une table de billard. Même s’il parle peu de cinéma avec lui, c’est bien chez lui qu’il écrira The Hunter. De retour en Iran, il retrouve tout le milieu du cinéma, au passage Jafar Panahi (le même dont il réclame aujourd’hui la libération aux mollahs) lui rappelle que tourner en Iran, c’est tout à fait possible, ce sera La Cinquième Saison (1997). Ce premier long, son film le moins personnel, est surtout une étape décisive de son apprentissage. « Pour les techniciens quand tu en arrives là, tu es à zéro kilomètre. Avec cinq longs, en comptant 3 km pour chacun, je n’ai pas encore quitté Téhéran… » Avec son chef opérateur qui l’a connu gamin et ne le prend pas au sérieux, la collaboration est très difficile. Cela ira mieux avec Sanam (2000) où il comprendra comment travailler avec son nouveau chef op’ et ce que voulait lui dire le précédent. « C’est un peu comme faire la cuisine, il faut prendre untel qui aime les plans fixe ou untel qui aime la caméra à l’épaule selon ce qu’on veut : il faut autant gérer ce qui se passe derrière que devant la caméra. » Justement, en suivant l’incontrôlable Ferrara pour son documentaire sur le réalisateur new yorkais Not Guilty (2003) dans la collection de Labarthe, Cinéma, de notre temps, il a du mal à ne pas se trouver dans le cadre : « Je parlais au chef op’ comme un pilote de chasse : à 2h ! à 3h !, une urgence perpétuelle. » Il fera sienne la devise de cet accro aux tournages plus qu’à la drogue : « Once you shoot, it’s for life ! » Quant à la pression, pour lui elle est un peu la même qu’il s’agisse de tourner avec un budget serré à New York ou de négocier avec la bureaucratie iranienne : « C’est en ça que mes films se ressemblent, je ne pourrais pas tourner un film dans la sérénité. » Une tension encore augmentée dans la gestion du devant/derrière la caméra quand il devient acteur forcé pour The Hunter. Il apprécie évidemment qu’on compare la violence tendue des Cassavetes à celle de son dernier film. « Il compte parmi mes influences, un cinéma pas calculé mais dans l’émotion pure et dure. Notre ennemi juré ce sont les Etats-Unis, mais ils nous ont influencés, nourris. The Hunter est une sorte d’hommage à leur cinéma, mais ce n’en est qu’une des lectures possibles. Pour moi, les films doivent proposer au moins dix trames différentes. » i

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www.cosmoskolej.org, Site de la compagnie de Wladislaw Znorko Un voyage à Sakhaline (comprenant L’île de Sakhaline, À travers la Sibérie, Correspondance), Anton Tchekhov Infos sur Voïna : http://fr.free-voina.org/

aUx marGeS dU voyaGe par caroline châtelet

À Saint-PéterSbourg S’eSt tenue en avril la quatorzième remiSe deS Prix euroPe Pour le théâtre. un grand raout théâtral euroPéen, occaSion officielle de multiPleS conférenceS, SPectacleS, atelierS Pour jeuneS critiqueS et alibi officieux Pour regarder verS tchekhov et Sakhaline, leS forêtS de bouleaux et la diSSidence artiStique...

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Admettons que mon voyage ne serve à rien, qu’il soit entêtement et caprice ; réfléchissez un peu et dites-moi ce que je perds en partant. Anton Tchekhov, L’Île de Sakhaline Mardi 12 Impossible de me souvenir depuis quand la Russie revêt un attrait mystérieux pour moi. En revanche, aucune hésitation sur le premier spectacle auquel j’ai assisté, voici bientôt treize ans : mis en scène par Wladislaw Znorko, Alpenstock me laisse une cicatrice indélébile. Tandis que mon avion atterrit, c’est l’image de son décor étrange qui se substitue aux visions d’une campagne russe bien réelle. Surimpression énigmatique de bouleaux aux ombres longilignes, fantomatiques, sur un paysage dévasté par l’hiver et encore parsemé de blocs de neige. Mercredi 13 « Selon vous, pourquoi Tchekhov est-il parti à Sakhaline ? » Question incongrue adressée à Iouri Lioubimov, « monstre » du théâtre russe. Si la rencontre avec le metteur en scène relève de la canonisation live, significative, peut-être, du culte de la Russie contemporaine pour les figures résistantes au régime soviétique, l’homme âgé de quatre-vingt quatorze ans inspire le respect. Lioubimov a vu Saint-Pétersbourg – alors Leningrad – résister au siège des Allemands de 1941 à 44, a été destitué de la nationalité soviétique et continue, encore aujourd’hui, à faire du théâtre... Alors, vénérable Lioubimov, pourquoi Anton Tchekhov entreprend-il en 1891 un voyage vers les confins de la Russie ? : « Tchekhov est allé à Sakhaline car il pensait ne pas avoir payé son dû en tant que docteur. Lorsqu’il a eu la tuberculose, il a réalisé qu’il n’avait pas rendu tout ce qu’il devait rendre et il a pu, là-bas, s’acquitter de cela... »

Jeudi 14 Premier atelier critique. Au-delà des échanges sur les spectacles vus, le système des Prix questionne : événement hors-sol et nomade, Premio Europa couronne, outre les pointures, les nouvelles figures du théâtre européen. À voir l’inégale qualité des six « Nouvelles Réalités théâtrales » venues cette année de Finlande, Grande-Bretagne, Islande, Slovaquie, Portugal et Russie, on s’interroge sur les liens possibles unissant ces différentes propositions. Et pour cause, puisque le jury vote souvent pour des compagnies dont il ne connaît pas le travail, distances géographiques obligent ! D’où le pluriel de l’intitulé du Prix, qui souligne le fait que chaque « nouvelle réalité » est intimement liée à l’histoire théâtrale de sa zone géographique d’influence – voire à l’influence de certains membres du jury... Et tandis que le « membre-du-jury-quiconnaît » propose son poulain, le « membredu-jury-qui-ne-connaît-pas » vote au petit bonheur, pour un résultat final plus proche de la Foir’Fouille que du palmarès exigeant. Primez-les tous, le théâtre reconnaîtra les siens... Après deux spectacles bons à noyer dans la vodka, je croise le metteur en scène finlandais Kristian Smeds déjà à pied d’œuvre. Alors, énigmatique Smeds, pourquoi l’auteur russe part-il dans cette île connue pour son bagne ? : « Je n’en ai aucune idée... » Vendredi 15 À la sortie du théâtre Maly (= petit) de Saint-Pétersbourg se tient son directeur, le metteur en scène Lev Dodin. Alors, mythique Dodin, qu’est donc allé faire le dramaturge que vous affectionnez tant à Sakhaline ? : « Tchekhov cherchait à acquérir des connaissances sur la Russie, les russes, sur l’être humain et plus spécifiquement sur le tempérament provincial russe. La Russie est une immense province et ce tempérament provincial constitue son essence... » Rien à voir avec la réponse, quelques heures et verres plus tard, du jeune metteur en scène islandais du Vesturport Théâtre Gisli Örn Gardarsson : « I have no fucking idea ! » et de son comparse Rúnar Freyr Gíslason : « Peut-être parce qu’il y avait une bonne connexion internet ? »

Dimanche 17 Dernier jour de Premio Europa et premier aprèsmidi sans théâtre. Rencontre avec A.L., français vivant à Saint-Pétersbourg et ami d’Alice, critique française. Au détour d’une discussion, A.L. nous dit connaître Voïna (= guerre), groupe d’artistes activistes russes largement médiatisé pour ses performances radicales et extrêmes. Et si nous tentions d’ici à mon départ une rencontre avec eux ? Après la soirée de remise des Prix, une télévision russe s’apprête à interviewer le metteur en scène allemand Peter Stein. Alors, intransigeant Stein, pourquoi Tchekhov passa-t-il six mois à Sakhaline ? « C’est absolument évident. Il traverse une espèce de crise et pense avoir perdu le contact avec la réalité russe, parce qu’il est devenu un auteur reconnu. Aller à Sakhaline lui permet de réaliser une coupure et de rechercher un état de faiblesse nécessaire... » Mardi 19 Visite de Pavlovsk, petite ville ayant inspiré une performance à Wladislaw Znorko. Perdue dans les ombres « filiformes comme les jeunes filles russes » – dixit Ann Dja, une russe rencontrée hier – d’une forêt de bouleau, je me souviens qu’Alpenstock s’inspirait du roman du polonais Jaroslav Iwaszkiewicz, Le Bois de bouleaux. « On peut donc voyager non pour se fuir, chose impossible, mais pour se trouver », Jean Grenier, les Îles. Jeudi 21 Le rendez-vous fixé avec l’un des fondateurs de Voïna, Oleg, n’aura pas lieu. A.L. et moi l’attendons une partie de la nuit et de la matinée. Un message explicatif de sa part alors que je pars pour l’aéroport : Voïna a reçu la veille une citation à comparaître et les membres du groupe doivent se soumettre à un interrogatoire (d’une durée de cinq à huit heures). Oui, Voïna est en guerre et sa dissidence, bien réelle. Leur temps n’est pas le nôtre, leur lutte non plus – « ce sont de vrais héros russes, des héros ayant perdu d’avance » comme le dit A.L. – mais connaître leur travail, en parler, peut indubitablement les aider. Rendez-vous est pris pour un entretien à distance (à paraître – tout est possible – dans un prochain Novo). i

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www.subrosa.net

De manière incarnée, Sub Rosa sillonne les chemins de l’expérimentation musicale. Cet audacieux et singulier label bruxellois fondé à la fin des années 80 par deux amis, Guy-Marc Hinant et Frédéric Walheer, est devenu une référence incontournable dans l’histoire discographique européenne récente.

Frêle Bruit par Fabien Vélasquez

illustration : Dominique Goblet

Plan K En 1979, l’ancienne raffinerie de sucre Gräffe construite au XIXe siècle se mue en une scène alternative où se côtoient des spectacles de théâtre et de danse, des concerts, des films, des expositions. « C’est là que sur quatre ou cinq étages l’on pouvait voir dans la même soirée John Giorno, This Heat ou Joy Division. C’était assez brutal tout se passait en même temps. On a rencontré beaucoup de gens ici et on a essayé de tisser des liens. », se souvient

Guy-Marc Hinant. La fréquentation passionnée de ce haut lieu de la contre culture belge associée à de nombreux voyages au début des années 80 à Londres fomentent les racines fertiles et polymorphes de Sub Rosa qui construira alors son catalogue sur le principe de l’archivage, au travers de vastes anthologies où figurent les pionniers de la musique concrète, classiques d’avant-garde et les compositeurs contemporains (Satie, Pousseur, Feldman, Ferrari, Oliveros). An anthology of noise and electronic music trace l’histoire des musiques électroniques innovantes selon une logique en zigzags, défiant les conventions chronologiques et insistant sur la dimension organique et la force d’émergence imprévisible de ces musiques. Cut-up Invité du festival Impetus, en 2010 pour son film Fuck You et 2011 pour une conférence intitulée Circonstances du bruit, Guy-Marc est un habitué du jeune festival des musiques divergentes initié par le Moloco et ses nombreux relais dans l’aire urbaine Belfort-MontbéliardHéricourt). À la manière d’un vaste cut-up – en forme de clin d’œil au premier titre

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de Sub Rosa : Burroughs, édité en vinyle en 1987 – voici quelques fragments puisés dans ce film-manifeste qui permettront à l’auditeur curieux de saisir et de pénétrer la galaxie Sub Rosa… Fuck You (Extrait 1) « La noise très puissante est une chose qui peut provoquer chez les gens un état d’anarchie, en quelque sorte. (…) Nous avons pris part à quelque chose de nouveau. La noise, c’est un peu comme le punk. La plupart des gens qui font de la noise n’ont jamais étudié la musique. Ils n’en ont pas besoin. » Fuck You (Extrait 2) « Ce qui nous est aujourd’hui présenté comme avant-garde n’est pas de l’avant-garde ; c’est totalement inoffensif. Et tous les musées, toutes les biennales, tout ce qui est à la frontière de l’art, ne proposent qu’un art sans risque, tandis que la vraie avant-garde y est pfff... Politiquement, elle est très dangereuse car elle pourrait corrompre le système tout entier. Aujourd’hui, l’avant-garde est probablement là, mais elle est en fait ignorée. - “Probablement” parce tu ignores où elle est. - Non, pas “probablement”. Je sens que tout art entrant dans un musée est un art mort. » i Propos de Z. Karkoswki dans le film réalisé pour l’OME (Observatoire des Musiques Électroniques, collection DVD de Sub Rosa)


Nouveau thÊâtre

Nouvelle saison 2011 / 2012

Chroniques d’une haine ordinaire Pierre Desproges / Michel Didym 14 > 22 sept. 2011 CRÉATION - RÉOUVERTURE DU THÉÂTRE

Portraits avec paysage : Le point de Godwin Damien Gabriac

J’habiterai la nuit

CDN de Nancy - Lorraine

Olivia Duchesne / Alexis Fichet 5 > 8 oct. 2011

Micro La musique qui se voit Pierre Rigal 18 > 21 oct. 2011 Le dragon d’or / Une nuit arabe

Diptyque Roland Schimmelpfennig / Claudia Stavisky 3 > 10 nov. 2011

RING

Rencontres internationales des nouvelles gĂŠnĂŠrations 23 nov. > 6 dĂŠc. 2011

Invasion !

Jonas Hassen Khemiri / Michel Didym 12 > 21 janv. 2012

Tljs sauf lundi, 10h-12h et 14h -18h MusÊe des Techniques Faïencières - 125 av. Blies et MusÊe de la Faïence - 15 rue PoincarÊ - 57200 Sarreguemines

www.sarreguemines-museum.com

Les trois sœurs

Anton Tchekhov / Michel Dezoteux 31 janv. > 4 fĂŠv. 2012

Courteline, amour noir

Georges Courteline / Jean-Louis BenoĂŽt 9 > 11 fĂŠv. 2012, Ensemble Poirel

Hamlet ou La fête pendant la peste William Shakespeare / Bertrand Sinapi 28 fÊv. > 9 mars 2012, CRÉATION

Le système de Ponzi

David Lescot 13 > 17 mars 2012, CRÉATION

DU 18 SEPTEMBRE 2011 AU 17 SEPTEMBRE 2012

Le Tribun

Mauricio Kagel / Heidi Brouzeng 20 > 25 mars 2012, Salle des FĂŞtes de VandĹ“uvre-Lès-Nancy, CRÉATION

Neue StĂźcke

Semaine allemande 30 mars > 7 avril 2012

ThÊâtre de la Manufacture 10 rue Baron Louis - 54014 Nancy cedex Administration 03 83 37 12 99 Location 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr

Direction Michel Didym

faRbEn

INSCRIVEZ-VOUS MAINTENANT ET RÉSERVEZ LA DATE DE VOTRE CHOIX ! http://lesveilleursdebelfort.ccnfc-belfort.org

Mathieu Bertholet / VĂŠronique Bellegarde 3 > 7 avril 2012

LES VEILLEURS DE BELFORT Performance pour 731 participants

Confessions Lectures

Une personne diffĂŠrente chaque matin et chaque soir,

Tout un homme

veillera Belfort, la rĂŠgion, une heure,

Jean-Paul Wenzel 24 > 28 avril 2012

au lever et au coucher du soleil,

Dans la nuit la plus claire jamais rĂŞvĂŠe

depuis la terrasse de la citadelle de Belfort.

Dans le cadre du Festival Musique Action 11 mai > 12 mai 2012

du 18 septembre 2011 au 17 septembre 2012

Oncle Vania

Anton Tchekhov / Alain Françon 22 > 26 mai 2012

Nancy Jazz Pulsations Ă la Manufacture du 11 au 15 oct. 2011

Concertextes

Jacques BonnaffĂŠ, 15 oct 2011 Enzo Cormann, 16 dĂŠc 2011 Jacques Rebotier, 9 mars 2012 Michel Didym - Jean Boillot, 15 mai 2012

CENTRE CHORÉGRAPHIQUE NATIONAL DE FRANCHE-COMTÉ Ă€ BELFORT BW EF M &TQšSBODF #FMGPSU t 5 t XXX DDOGD CFMGPSU PSH

subventionnĂŠ par le Ministère de la Culture et de la Communication - DRAC Franche-ComtĂŠ, le Conseil RĂŠgional de FrancheComtĂŠ, le Conseil GĂŠnĂŠral du Territoire de Belfort, la Ville de Belfort, le Conseil GĂŠnĂŠral du Jura, Pays de MontbĂŠliard AgglomĂŠration et soutenu par l’Institut Français. Licences d’entrepreneur de spectacle n° 1 - 1045602 – n° 2 - 1045603 – n°3 - 1045604.


Le CrĂŠdit Mutuel donne le

05>15 aoĂťt 2011 Colmar parc des expositions

11 jours de fĂŞte

Avec une Halle aux Vins flambant neuve ! 350 exposants Et du divertissement pour tous :

dÊgustations des vins d’Alsace, animations enfants, spectacles de music-hall et de danse, parc agricole et viticole, confÊrences, cook show gastronomiques, sosies de stars‌

L’incontournable de l’ÊtÊ !

VEN 05 SCORPIONS SAM 06 YODELICE - BEN HARPER DIM 07 HARD ROCK SESSION : KARELIA - STRATOVARIUS APOCALYPTICA - SEPULTURA

JUDAS PRIEST LUN 08 ETÉ 67 - ZAZ - BEN L’ONCLE SOUL MAR 09 YANNICK NOAH MER 10 CALI - OLIVIA RUIZ NUIT BLANCHE : BOB SINCLAR - MARTIN SOLVEIG JEU 11 SELAH SUE GAËTAN ROUSSEL - MOBY

DIM 14 EDDY MITCHELL LUN 15 SAGA - STATUS QUO JOHN LEES’ BARCLAY JAMES HARVEST

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paUl mC Cartney

david BoWie

MC CARTNEY II – ConCord

DAVID BOWIE DELUXE – deram

On le sait, il est de bon ton de se payer la bobine de l’ami Macca, notamment quand il évolue en solo. Et pourtant, quand il décide de tout faire tout seul, comme c’est le cas sur son premier album post-Beatles ou à la toute fin de la décennie, son approche reste troublante, initiatrice de bien des expériences intimistes, voire lo-fi. Si McCartney publié en 1970 reste anecdotique, McCartney II mérite d’être réévalué. Macca fabrique des sons et vire new wave sans même sans rendre compte. Minimaliste et anguleux, on le croit en train de s’inspirer du groupe XTC. En fait, il n’en est rien. C’est lui qui invente XTC et tous ces groupes de la nouvelle vague britannique, avec candeur et naïveté certes, mais avec son génie visionnaire. (E.A.) i

Quand il n’était encore que David Jones, c’est-à-dire avant de devenir David Bowie, David se cherchait : mod un jour, pop le lendemain, northern soul le surlendemain. Les mauvaises langues diraient qu’il n’a jamais cessé de se chercher depuis, mais nous n’en sommes pas, n’est-ce pas ? Quoi qu’il en soit, quand la maison de disque Deram signe son premier album à la fin de l’année 66, le futur David Bowie papillonne, se rêve en songwriter, et finit par accoucher d’une poignées de pop-songs mi sucrées mi acidulées qui, sans rien augurer de la maestria future, s’écoutent comme de vraies curiosités. Loin du simple document d’archive, une belle édition fouillée, augmentées de sessions inédites, à destination des fans mais pas seulement. (E.A.) i

KeB darGe LEGENDARY WILD ROCKER – BBe

Keb Darge est barge, et ça n’est pas peu de le dire ! Ce DJ écossais déniche les pépites des temps reculés, de cette époque où l’on n’avait pas encore décelé de vie intelligente sur cette Terre, autrement dit dans les années 50. Ce fan de northern soul et rockabilly n’a pas son pareil quand il s’agit de poser sur sa platine experte, surf endiablé, twist mutant et autre proto-funk décalqué. On se déhanche sur Lou Lou de Darrel Rhodes, on se vautre sur Talk About A Party de Boogaloo & His Gallant Crew, on joue les primates sur Jonny Parker & The Zirkons, et on… Bref, une nouvelle sélection hautement percussive, publiée chez BBE. Indispensable à nos vies, Oongawa ! (E.A.) i

JameS CHanCe TWIST YOUR SOUL – HiStory reCordS

On se souvient un jour de Nic Offer, le leader de !!!, qui raillait l’importance historique de James Chance, également connu sous le nom de James White. Sans doute ce parent pauvre de la no wave n’a-t-il pas été d’une influence décisive, mais sa présence était incontournable au mitan des années 70, au moment d’amorcer une vraie bascule esthétique aux côtés des DNA et autre Lydia Lunch. Et ils sont nombreux à avoir rejoint les Contorsions, avec cette approche soul-jazz débridée dont les effets se font ressentir aujourd’hui encore chez Le Tigre ou LCD Soundsystem. Une réécoute s’impose donc… (E.A.) i

13tH Floor elevatorS BULL OF THE WOODS – CHarly

Parmi les groupes sixties, le 13th Floor Elevators tient une place à part. Loin aussi bien de la côte est que de la côte ouest, cette formation basée à Austin ne cherche nullement à rivaliser avec les stars de l’époque, et pourtant, elle initie le son garage très tôt, dès 1966, et publie même un standard, You’re gonna miss me, repris en ouverture de la compilation Nuggets, construite par Lenny Kaye, journaliste et futur guitariste de Patti Smith. Justement, c’est peut-être ce qui distingue cette formation, c’est qu’elle fait, plus qu’aucune autre, le lien avec le post-punk. Plus proche de l’esprit de Devo, des Residents ou même de Pere Ubu que des Doors, elle pousse le processus de déconstruction psychédélique très loin. On connaît malheureusement les résultats : un état mental chancelant pour Roky Erickson et une mort prématurée pour Stacy Sutherland, auteur d’une grande partie des chansons figurant sur cet album, le dernier en studio, admirablement inconfortable. (E.A.) i

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lecturasELECta

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arte Salvado

CHarleS de GaUlle, mÉmoireS d’eSpoir

opÉration maSSaCre

Ce catalogue monumental tant par le format (39 x 29cm) que par la documentation collectée (plus de 120 photographies, cartes, lettres, affiches) se lit comme un polar. Il permet de découvrir un pan méconnu de l’histoire européenne : le sauvetage du patrimoine artistique espagnol pendant la Guerre civile. Dès 1936, le gouvernement républicain menacé institue un « Comité central du trésor artistique » bientôt relayé par un comité international. Débute alors une importante mobilisation qui associe artistes, ouvriers et conservateurs de musée, unis dans un même but : éviter que des chefs d’œuvres de l’art mondial soient détruits par les franquistes. Périple périlleux et clandestin : Madrid, Valence, Barcelone, Figueras, Perpignan, en tout 1868 caisses contenant des œuvres majeures (Le Titien, Goya, Vélasquez) voyagent jusqu’à Genève, où elles arrivent une nuit de février 1939. (F.V.) i

StÉpHane BÉrard QUeStionS tHÉoriQUeS

de rodolFo WalSH CHriStian BoUrGoiS

Artiste, musicien et expérimentateur poétique, Stéphane Bérard nous livre une réécriture des Mémoires de Charles de Gaulle, après avoir produit une nouvelle traduction de Dante qui fit hurler les enlisés de la littérature. Le géant Charles (et non le Guéant) nous révèle un « je » surdimensionné, où figure en bonne place l'Algérie française. Il nous parle « en Y bras aux cieux, grand comme la pénurie énergétique », confessant qu’il verrait bien « des aérodromes et autres porte-avions portant mon nom ». L’avenir de la France est assuré : les Mémoires du libérateur sont désormais au programme des terminales littéraires. (G.W.) i

Le 9 juin 1956, les autorités argentines répriment une tentative de putsch. L’ordre est également donné d’exécuter une douzaine de civils sans liens avec les putschistes. Seuls quelques hommes survivront au massacre, mais à quel prix. Apprenant la nouvelle, Walsh mène l’enquête, minutieux, précis, implacable et démontre l’implication des plus hauts dirigeants, la barbarie des exécutants. A la croisée des genres littéraire et journalistique, Walsh livre un plaidoyer bouleversant, rappelant au péril de sa vie que la vérité, la justice et la liberté impliquent un combat permanent. Une terrible leçon pour ceux, journalistes notamment, qui rient avec les puissants et suivent la direction du vent. (C.S.) i

mUSÉe deS BeaUx artS de GenÈve

5000 KilomÈtreS par SeConde de manUele Fior - atraBile

Manuele Fior raconte l’histoire d’amour non consommée de Lucia et Piero à travers le temps et par delà les frontières. Succédané de vies en quelques pages, l’album compile les attitudes des personnages sous le couvert de cases chatoyantes en lavis jaunes et verts italiens ou plus glacées, en bruns et bleus norvégiens. La vaillance des moments décrits portée par la spontanéité des dialogues, préserve délicieusement la saillie d'un sentiment nostalgique, façon « cocotte minute », au tout dernier moment. Il en ressort que Manuele Fior est un auteur à suivre sans sourciller. (O.B.) i

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leS poilS de GrÉGory mardon - dUpUiS

L’extravagante comédie du quotidien continue d’inspirer Grégory Mardon : Les Poils raconte comment Fabrice, au prétexte de se raser la tête et le torse pour redynamiser son couple, trouble sa compagne Gladys et… lui donne l’envie d’aller voir ailleurs. Grégory Mardon s’amuse des codes entre les sexes et décrypte une génération qui aspire autant au modèle traditionnel du couple qu’elle ne subit un besoin irrépressible d’émancipation. Charmant et judicieux dans sa vision de la fragilité de l’amour. (O.B.) i


ne

Pour u

ue q i l b u p Ré êves des R CRAC ALSACE UNE PROPOSITION DE GILLES A. TIBERGHIEN

Der Schlaf der Vernunft

Damien DEROUBAIX

Du 24 juin au 8 oct. 2011 du mercredi au samedi de 15h à 19h fermé du 2 au 28 août

La Chaufferie

Galerie de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg 5, rue de la Manufacture des Tabacs

www.esad-stg.org/chaufferie

Prochaine exposition : AtopoZ, regard sur la lettre dessinée, du 14/10 au 05/11

8*' 5&9&3*

8433*98 .3 7*;*78* 94,*9-*7 18.06 J 28.08.2011

Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 ¦ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com

Graphisme : médiapop + STAR★LIGHT SEB PATANE, Patrons Paper 11/92, 2011 — Courtesy the artist and Maureen Paley Londres et Galleria Fonti Naples

SILVIA BÄCHLI | GLEN BAXTER | NEAL BEGGS | MARILYN BRIDGES | ELINA BROTHERUS | BALTHASAR BURKHARD | JEAN CLAREBOUDT | EDITH DEKYNDT | MARCEL DINAHET | JIMMIE DURHAM | ROBERT FILLIOU | THOMAS FLECHTNER | GLORIA FRIEDMANN | JOAN FONTCUBERTA | HAMISH FULTON | CYPRIEN GAILLARD | MARIO GIACOMELLI | ISABELLE KRIEG | RICHARD LONG | PHILIPPE MAYAUX | NADIA MYRE | MARYLÈNE NEGRO | WALTER NIEDERMAYR | BERNARD PLOSSU | ANNE & PATRICK POIRIER | ERIC POITEVIN | HUGUES REIP | DAVID RENAUD | ROBIN RHODE | ÉVARISTE RICHER | ULRICH RÜCKRIEM | HANS SCHABUS | ROMAN SIGNER | DAVID TREMLETT | SU-MEI TSE | HOLGER TRÜLZSCH | CATHARINA VAN EETVELDE | XAVIER VEILHAN | RAPHAËL ZARKA

LE CRAC ALSACE BÉNÉFICIE DU SOUTIEN INSTITUTIONNEL DE : LA VILLE D’ALTKIRCH / LE CONSEIL GÉNÉRAL DU HAUT-RHIN / LE CONSEIL RÉGIONAL D’ALSACE / LA DRAC ALSACE - MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, AINSI QUE DU PARTENARIAT DU CLUB D’ENTREPRISES PARTENAIRES DU CRAC ALSACE – CRAC 40

CRAC ALSACE 18 rue du château 68130 Altkirch / + 33 (0)3 89 08 82 59 / www.cracalsace.com

ELINA BROTHERUS, LOW HORIZON 2 (DÉTAIL), 2000, COLLECTION FRAC ALSACE, © DROITS RÉSERVÉS

15.06 – 11.09.11


dVdsELECta

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noStalGie de la lUmiÈre patriCio GUZman – pyramide video

Le désert le plus aride du monde : Atacama au Chili. Il réunit des astronomes et les télescopes les plus puissants à la recherche des origines de l’univers. Lieu archéologique, il a aussi abrité un des plus grands camps de concentration de la dictature de Pinochet. Aujourd’hui des femmes y cherchent encore les restes du corps d’un frère ou d’un mari assassiné… La filmographie déjà exemplaire de Patricio Guzmán s’étend avec Nostalgie de la lumière, documentaire esthétiquement splendide qui philosophe sur le passé et la mémoire invisible. La morale de l’astronome, pour qui seul le temps réel est celui du passé, est savamment combinée ici à la perpétuation de la mémoire, vibration fondamentale qui assure la réalité de l’homme, comme autant d’étoiles au firmament. Brillant ! (O.B.) i

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anotHer year miKe leiGH – diapHana video

Après son dynamique Be Happy !, Mike Leigh poursuit l’évocation de la société britannique au travers de personnages proches de sa génération : jamais dénué d’humour, il examine au gré des saisons un couple d’âge mûr dans son quotidien. Au fil des questions soulevées (la famille, l’âge, la maladie), le cinéaste s’attache peu à peu à Mary (Lesley Manville) : face au couple dont elle est l’amie fidèle, elle subsiste dans son statut de célibataire rêveuse, légèrement alcoolique et profondément malheureuse. Ce contrepoint favorise l’essor d’une compassion déchirante qui irradie le film : la marque singulière de l’humaniste Mike Leigh à voir absolument. (O.B.) i

mean StreetS

CoFFret F.J. oSSanG potemKine, aGnÈS B.

Dans la foulée de la sortie en salles de Dharma Guns, les trois premiers longs métrages de F.J. Ossang L’Affaire des Divisions Morituri (1984), Le Trésor des îles Chiennes (1990) et Docteur Chance (1996), sont rassemblés dans un coffret accompagné d’un livret qui retrace le parcours singulier d’un aventurier des images et des mots. L’occasion de découvrir un cinéaste marqué par l’expressionnisme allemand, le modernisme soviétique et les séries B, fondateur des Messageros Killer Boys, alias MKB, groupe post punk qui signe la musique de ses films tournés au Açores, au Chili ou au Portugal. (P.S.) i

t.a.m.i SHoW

de martin SCorSeSe – Carlotta

SHoUt

Quand John Cassavetes lui dit, après avoir visionné l’un de ses premiers courts métrages, qu’il a consacré un an de sa vie pour aboutir à de la “merde”, Martin Scorsese se dit qu’il va désormais s’inspirer de ses propres expériences, notamment au cœur de Little Italy. De là, naissent des personnages, Charlie (Harvey Keitel), un jeune italo-américain qui aimerait quitter le milieu, mais qui se sent responsable de Johnny Boy (Robert de Niro), petite frappe, joueur à ses heures. Il est assez étonnant de constater comment l’œuvre de Martin Scorsese se met en place dans ce long métrage qui ne peut rivaliser avec les chefs d’œuvre à venir, Taxi Driver ou Raging Bull, mais les anticipe et leur ouvre la voie. (E.A.) i

Et si la meilleure émission musicale de tous les temps était celle-là, le T.A.M.I Show, filmée en Electronovision – un procédé inventé pour l’occasion –, enregistrée et diffusée en 1964 non pas à la télévision, mais bien dans les salles de cinéma américaines ? Le plateau est proprement saisissant, avec entre autres Chuck Berry, Marvin Gaye, The Supremes, les Beach Boys, James Brown et les Stones, autant d’artistes et groupes au faîte de leur gloire, captés en direct pour des prestations de 4 ou 5 morceaux. Les instants qu’on revit alimentent la légende, un sentiment confirmé par des chorégraphies millimétrées mais enjouées. À jamais Diana Ross semble immense, Brian Wilson, James Brown et Mick Jagger s’inscrivent eux aussi pour l’éternité. (E.A.) i




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