Loi de santé publique 2015

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Loi de santé 2015 Plaidoyer pour une lutte effective contre les inégalités de santé


© Benoît Guenot

SOmmaire

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Médecins du Monde


1. Simplifier l’accès aux droits et aux soins................................................................................ 7 • La généralisation du tiers payant : une mesure qui améliore l’accès aux soins........ 7 • Mettre fin à la spécificité du dispositif AME : pour une CMU vraiment universelle........................................................................................................................... 9 • Faciliter l’accès aux droits.............................................................................................................. 11 • Faciliter l’accès à la santé par la reconnaissance de la médiation sanitaire et l’interprétariat............................................................................................................................... 13 • Des structures et dispositifs de soins de premier recours à renforcer et à pérenniser : PMI, PASS, CMS................................................................................................ 15 • Garantir l’accès à la contraception d’urgence pour toutes............................................... 17 • Rendre plus accessible l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse......19 • Lutte contre les refus de soins : un dispositif exemplaire............................................... 21 2. Une politique de réduction des risques novatrice............................................................ 23 • L’accès aux TROD et aux autotests............................................................................................. 23 • Une politique de réduction des risques plus volontariste............................................... 25 • Un nouvel outil dans la politique de réduction des risques, la salle de consommations à moindre risque........................................................................ 27 3. Démocratie sanitaire et transparence................................................................................... 29 • Faire participer les associations de lutte contre les inégalités de santé aux instances de décision.............................................................................................................. 29 • Modalités de fixation des prix des médicaments : un débat public nécessaire......... 31 4. Territoire ultra-périphérique.................................................................................................... 33 Le cas de Mayotte................................................................................................................................ 33 5. Former le corps médical............................................................................................................... 35 la prise en charge des patients en situation de précarité................................................... 35 6. Accès à l’eau et à l’hygiène.......................................................................................................... 37 Promouvoir un environnement favorable à la santé............................................................ 37

Loi de santé 2015 : nos propositions pour améliorer la santé de tous

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© Steven Wassenaar

Loi de santé 2015 : Plaidoyer pour une lutte effective contre les inégalités de santé

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Médecins du Monde


L

a feuille de route de la Stratégie nationale de santé présentée en 2013 affirmait trois priorités :

• prioriser le préventif sur le curatif et agir sur les déterminants de santé ; • mieux organiser les soins pour les patients, garantir l’égalité d’accès, en privilégiant une logique territoriale ; • miser sur la déconcentration et renforcer la démocratie sanitaire. Les avancées contenues dans le projet de loi de santé restent très insuffisantes eu égard aux objectifs fixés. Malgré des progrès comme la généralisation du tiers payant ou l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque, le texte reste très en deçà des enjeux présents d’accès aux soins et aux droits. Il ne sécurise pas assez les structures de soins de premier recours (PMI, centres de santé, PASS) dont beaucoup sont en difficulté voire menacées. Le texte doit absolument garantir la pérennité et le renforcement de ces structures et une meilleure articulation entre elles, ce qu’il ne prévoit pas explicitement pour l’instant. Dans le domaine de la prévention, le texte ne prévoit rien sur les dispositifs dont l’efficacité est pourtant démontrée pour aller à la rencontre des populations les plus déshéritées. De même, qu’il néglige les efforts nécessaires en matière de médiation sanitaire et d’interprétariat. Avec l’arrivée de nouveaux traitements à coûts prohibitifs, un débat public sur la fixation des prix et la garantie de mécanismes de transparence conformes aux principes de démocratie sanitaire, s’avère urgent et nécessaire. Le texte proposé ne l’ouvre pas. Nous appelons donc les parlementaires à faire évoluer ce projet de loi pour le mettre véritablement en phase avec les objectifs de la Stratégie nationale de santé et à saisir l’occasion qui leur est donnée de renforcer effectivement la lutte contre les inégalités de santé.

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1. Simplifier l’accès aux droits et aux soins

La généralisation du tiers payant : une mesure qui améliore l’accès aux soins Article 8 du projet de loi

© Elisabeth Rull

Article 18 du projet de loi


A

lors qu’un repas pour une personne coûte environ 5 euros en France, devoir avancer une vingtaine d’euros chez un généraliste peut être dissuasif pour les personnes qui connaissent des difficultés financières. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’une consultation chez un spécialiste. L’avance de frais constitue donc un facteur majeur de non-recours aux soins et donc de retard de soins, ce qui peut entraîner le développement de pathologies plus graves, plus difficiles à soigner et plus coûteuses pour la collectivité. Nous le constatons tous les jours dans nos CASO (Centres d’accueil, de soins et d’orientation) où près de 97  % des personnes reçues vivent sous le seuil de pauvreté1. 36 % d’entre elles présentent un retard de soins : parmi elles, 10 % évoquent les difficultés financières comme motif2.

La mesure proposée, défendue depuis longtemps par Médecins du Monde, constitue un outil efficace pour l’accès à la médecine de ville, la lutte contre les retards de soins et le renoncement aux soins. Elle signe également une évolution dans la façon d’envisager le rôle du patient : la « responsabilisation » qui consistait à pénaliser financièrement les malades au nom de la lutte contre les dépenses de santé abusives a montré son inefficacité sur le plan financier et son absurdité sur le plan médical. Les personnes rencontrent plus de difficultés dans l’accès aux soins qu’elles « n’abusent » du système de protection sociale. Pour l’amélioration de la santé globale des bénéficiaires, l’importance de la médecine de ville dans la promotion de la santé et de la prévention suppose un suivi plus régulier des patients auquel aucun obstacle ne doit être opposé. Par ailleurs, la généralisation progressive du tiers payant va permettre de lutter contre la stigmatisation des titulaires de la CMU et de l’AME. Il permettra ainsi de mettre fin à un discours qui fait des plus pauvres des « profiteurs » au prétexte qu’ils n’ont pas à effectuer l’avance de frais, alors même qu’ils sont les premières victimes des inégalités de santé et d’accès aux soins.

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Cependant, les modalités techniques de la mise en œuvre de cette réforme doivent être adaptées aux pratiques de la médecine générale, déjà souvent démunie face à un système saturé, en sécurisant et en simplifiant les procédures de paiement.

Recommandations Médecins du Monde soutient la généralisation du tiers payant à l’horizon 2017, mesure emblématique de ce projet de loi qui ne doit pas évacuer les autres enjeux de l’accès effectif aux soins (médiation sanitaire, déserts médicaux, refus de soins, accès aux droits, etc.). Nous souhaitons cependant que cette généralisation ne se fasse pas au détriment de la qualité d’exercice de la médecine générale : tout doit être fait pour sécuriser des procédures de paiement simples, sans surcharge administrative, rapides et sécurisées.

1. Médecins du Monde Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de la mission France, Rapport 2013, octobre 2014 2. Ibid

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© Christina Modolo

Mettre fin à la spécificité du dispositif AME : pour une CMU vraiment universelle

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Médecins du Monde


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’ambition affichée du projet de loi est de « changer le quotidien des patients et des professionnels de santé »3. Malheureusement, la loi, dans sa forme actuelle, ne modifie en rien le sort de centaines de milliers de personnes dans des situations extrêmement fragiles. C’est le cas des personnes vivant en situation de précarité administrative. Les quelques 250 000 titulaires de l’Aide médicale d’État et tous ceux qui n’en font pas la demande sont oubliés de ce texte alors que la protection sociale est un préalable à l’accès à la prévention, axe majeur de la feuille de route de la Stratégie nationale de santé. Notre système de protection sociale reste bien éloigné de ce qui était proposé lors de la création de la Sécurité sociale, où toute personne résidant sur le territoire bénéficiait des mêmes droits à la couverture sociale. Jusqu’en 1993, les personnes sans titre de séjour pouvaient bénéficier de la sécurité sociale4.

La distinction AME/CMU a des conséquences négatives, tant humaines qu’administratives : demandes abusives de justificatifs, difficultés à faire reconnaître ses droits, complexité administratives, inégalités d’accès aux soins, renoncements aux soins, refus de soins, stigmatisation des demandeurs… Dans le débat public, nous déplorons que l’AME demeure un sujet de tension opposant les personnes sans titre de séjour et les assurés sociaux. En isolant les étranger.e.s en situation irrégulière dans un dispositif juridique à part, on les expose à des attaques injustes : un budget propre sans cesse remis en cause, des conditions spécifiques d’attribution, l’absence de carte vitale, l’accusation de tourisme médical… Médecins du Monde a constaté, suite à la mise en place du dispositif de la CMU dans les années 2000, une diminution du nombre de patients français reçus dans les CASO : cela reflétait un meilleur accès aux soins pour les patients bénéficiant de cette couverture médicale. En fusionnant la CMU avec l’AME comme le recommande un rapport de l’IGAS5 ou encore le Défenseur des droits6, nous espérons les mêmes résultats pour les étrangers en situation irrégulière.

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La fusion de l’AME dans la CMU serait une mesure de santé publique majeure qui améliorerait la prévention et la promotion de santé. Ce serait également une réforme pragmatique sur le plan économique, puisqu’elle permettrait un accès aux soins précoces et donc moins coûteux, et la réduction des frais de gestion engendrés par la cohabitation de deux systèmes. Au fond il s’agirait de renouer avec le caractère solidaire de notre système de sécurité sociale tel qu’il a été pensé et conçu à la Libération.

Recommandations • Fusionner les dispositifs AME et CMU. • Rendre la couverture maladie universelle accessible à toutes les personnes installées sur le territoire français et justifiant de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. 3. Ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes Projet de loi de santé, changer le quotidien des patients et des professionnels de santé, Dossier de Presse du 15 Octobre 2014 4. Izambert Caroline, « 30 ans de régression dans l’accès aux soins », Plein Droit, n°86, Octobre 2010 5. Alain Cordier et Frédéric Salas, Analyse de l’évolution de l’aide médicale d’État, Novembre 2010 6. Défenseur des droits, Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME, Mars 2014

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© Coralie Couëtil

faciliter l’accès aux droits

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Médecins du Monde


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ans ses centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO), Médecins du Monde reçoit de nombreux patients ayant des droits théoriques mais non ouverts : 63 % des personnes reçues auraient droit à l’assurance maladie de base, 85 % à la CMU-C et 91 % à l’AME. Les principaux obstacles mentionnés par les patients dans l’accès aux droits sont la méconnaissance des droits et des structures (30 %) et les difficultés administratives, notamment les difficultés de domiciliation administrative (28 %)7. Ces obstacles sont particulièrement criants en Guyane et à Mayotte. Le projet de loi présenté ne prévoit aucune mesure de simplification de l’accès aux droits, alors de nombreux rapports et acteurs institutionnels attestent que la complexité du système est un frein à l’accès aux soins (rapport Archimbaud8, le Défenseur des droits9 ou encore le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale10…). Les démarches d’ouverture de droits sont souvent longues : ainsi un étranger en situation irrégulière doit pouvoir prouver sa présence sur le territoire depuis 3 mois pour être éligible à l’AME, puis attendre 2 à 6 mois environ selon les CPAM pour avoir une réponse à sa demande d’AME – et tout autant s’il doit fournir des justificatifs supplémentaires. Ces demandes de justificatifs, souvent abusives, pénalisent également les bénéficiaires. De manière générale, la file d’attente et la durée écoulées entre deux rendez-vous dans les CPAM retardent l’accès aux droits, et donc aux soins. Celles-ci sont dues à la non-application des règlements et dispositifs législatifs ainsi qu’à leur complexité et leur multiplicité. De plus, le principe déclaratif de l’adresse des demandeurs de l’Aide médicale d’État devrait être consacré par la loi, et la domiciliation des personnes sans domicile stable garantie par un véritable service public de la domiciliation. Enfin le renouvellement d’assurance maladie ou le changement de régime de protection sociale peuvent entraîner des retards ou des non-recours aux droits en raison des délais administratifs.

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Recommandations •L es renouvellements de la CMU et de l’AME doivent être facilités. •M édecins du Monde demande à ce que l’AME et la CMU soient attribuées de façon pluriannuelle. •U n lieu unique d’accueil et d’orientation facilitant l’accès aux droits.

7. Médecins du Monde, Observatoire de l’accès aux droits et aux soins, rapport 2013, octobre 2014 8. Aline Archimbaud, L’accès aux soins des plus démunis 40 propositions pour un choc de solidarité, septembre 2013 9. Défenseur des droits, Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME, mars 2014 10. CNLE, Accès aux soins des plus démunis : CMU, ACS, AME, dix ans après, revaloriser et simplifier les dispositifs pour réduire le non-recours à la couverture maladie et améliorer l’accès aux soins des plus démunis, Avis, juin 2011

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© Constance Decordes

Faciliter l’accès à la santé par la reconnaissance de la médiation sanitaire et l’interprétariat

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Médecins du Monde


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a complexité du système de santé, la multiplicité des dispositifs et des conditions d’accès aux droits découragent bien souvent les bénéficiaires. Cela entraîne des non-recours aux droits et des retards de soins qui s’ajoutent à des conditions de vie dégradées préjudiciables pour la santé. En outre, la méconnaissance des structures de soins et de leur fonctionnement, la méconnaissance également par les professionnels des réalités vécues par les personnes, les représentations des uns envers les autres et les barrières linguistiques rendent la prise en charge médicale de nombreux patients difficile. La loi présentée fait l’impasse sur le développement des dispositifs « d’aller vers », qui constituent pourtant un levier de lutte contre les inégalités d’accès aux droits et aux soins. La présence d’un médiateur, tierce personne qui faciliterait les premiers contacts entre patient et institution de santé, constituerait un moyen d’améliorer l’accès aux services de santé. Ainsi, les patients bénéficieraient d’une meilleure connaissance des parcours de santé. C’est également un outil de lutte contre les discriminations dans l’accès au système de santé. Si cette loi vise vraiment à simplifier l’accès aux soins et aux droits, elle doit ouvrir la voie à la médiation et à l’interprétariat en santé.

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Recommandations • Reconnaissance y compris statutaire du métier de médiateur / médiatrice en santé. • Promotion de l’interprétariat linguistique.

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© DR/MdM

Des structures et dispositifs de soins de premier recours à renforcer et à pérenniser : PMI, PASS, CPF, CDS

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Médecins du Monde


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lors que l’objectif de réduction des inégalités sociales de santé est inscrit dans la Stratégie nationale de santé, rien n’est dit dans la loi sur les dispositifs permettant un accès aux soins et à la prévention pour les plus précaires tels que les PASS, les centres de planning familial et les PMI. Concernant les PMI, Médecins du Monde s’associe à l’avis de la Conférence nationale de santé et au récent avis du Conseil économique social et environnemental (CESE) pour souligner le rôle central de ce service public départemental de prévention en matière de périnatalité et pour la santé de l’enfant et de l’adolescent. Pourtant, les PMI sont extrêmement fragilisées et parviennent de moins en moins à remplir leur rôle. Les PASS constituent une porte d’entrée via l’hôpital dans le système de santé pour les personnes les plus exclues et ayant des difficultés d’accès aux droits et aux soins. Elles devraient être reconnues et citées dans la loi comme des pierres angulaires pour l’accès des plus précaires à l’hôpital. Actuellement, nous constatons que le nombre de PASS est insuffisant et que pour celles qui existent, les permanences assurées couvrent rarement les besoins. Par ailleurs, les PASS spécialisées (pédiatrie, psychiatrie, odontologie…) restent trop rares.

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Les Centres de santé constituent une offre de soins de premier recours essentielle pour les populations précaires et devraient ainsi être soutenus. En effet, ces structures ont des missions d’accueil et d’orientation sociale et bien souvent ne pratiquent pas de ticket modérateur. Pourtant leur mode de rémunération est calqué sur celui de la médecine libérale et ils sont fortement dépendants des situations budgétaires des collectivités locales. Ainsi, comme le souligne un rapport de l’IGAS, « leur modèle économique est structurellement boiteux11 », il convient donc de revoir les règles de financement des centres de santé.

Recommandations • Les missions et le rôle des PMI doivent être reconnus et réaffirmés dans la loi, et leurs moyens renforcés. Celles-ci doivent pouvoir développer des actions hors les murs et aller vers les populations les plus éloignées du système de santé. • Les PASS doivent être renforcées ainsi que le développement des PASS mobiles et spécialisées, notamment en pédiatrie, en psychiatrie et en soins dentaires. Leurs financements doivent être clairement fléchés. • Médecins du Monde appelle également à améliorer l’articulation et la cohérence des schémas de prévention comme cela était prévu par la Stratégie nationale de santé. Les différents acteurs du système de santé doivent mieux se connaître et mieux communiquer entre eux. Une articulation de l’offre de premier recours doit être proposée pour faire sens et garantir cohérence et pérennité à ces structures de soin et de prévention. • Les centres de santé doivent être pérennisés financièrement, y compris en élaborant des nouveaux modes de rémunération prenant en compte le profil économique et social des patients.

11. Philippe Georges et Cécile Wacquet, Les centres de santé : situation économique et place dans l’offre de soin de demain, IGAS, juillet 2013

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Garantir l’accès à la contraception d’urgence pour toutes

© Elisabeth Rull

Article 3 du projet de loi

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Médecins du Monde


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e projet de loi prévoit de faciliter les conditions de délivrance de la contraception d’urgence dans les établissements d’enseignement de second degré.

Il apparaît en effet indispensable de permettre à des jeunes de pouvoir se tourner facilement vers des professionnels de santé en mesure de les aider. Proposer une contraception d’urgence précoce limite le recours aux IVG chirurgicales et leurs complications. C’est également un moyen de nouer une relation de confiance permettant de mener des actions de prévention et d’orientation plus efficaces. Le rôle bien identifié des infirmières scolaires et leur proximité avec les plus jeunes est un levier à renforcer.

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Recommandations Pour que cette mesure trouve une réelle utilité, il est important d’assurer un nombre suffisant d’infirmières dans les établissements, ainsi qu’un taux horaire de présence effective répondant aux besoins des élèves. Il est également nécessaire de leur permettre d’assurer leur rôle de prévention et d’accompagnement de l’ensemble des élèves dans leur besoin en santé. Ceci demande du temps et des moyens. Cependant, le public cible ici est limité aux jeunes scolarisés : quelles réponses sont apportées aux jeunes déscolarisées et/ou en errance ? Plus généralement, l’accès à la contraception d’urgence doit être élargi en la rendant gratuite dans les pharmacies, sans avance de frais. Il est également essentiel d’offrir des possibilités d’orientation vers d’autres structures de prévention et d’accès à la contraception par une meilleure articulation entre les structures et par des moyens garantis.

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Rendre plus accessible l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse

© Bénédicte Salzès

Article 31 du projet de loi

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Médecins du Monde


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lors que les fermetures de centre IVG se multiplient et que les cliniques privées pratiquent de moins en moins d’interruptions volontaires de grossesse, l’accès à l’IVG est menacé. Les délais d’attentes sont trop longs, en région parisienne mais aussi en milieu rural. Dans ce contexte les personnes les plus éloignées du système de soin (sans couverture maladie, peu familières des structures de prise en charge, non francophones, etc.) sont les plus exposées. La généralisation de la pratique de l’IVG médicamenteuse peut certes apparaître comme un facteur facilitant, mais est-elle vraiment adaptée à toutes les populations ? Cette généralisation permet-elle aux femmes d’avoir le choix de la méthode ?

L’absence de contraception est le motif le plus souvent évoqué par les femmes pour expliquer leur recours à l’IVG. Il ne faut donc pas négliger l’importance de l’amélioration de l’accès à la prévention et à la promotion de la santé sexuelle et reproductive – comme le préconisait pourtant la feuille de route de la Stratégie nationale de santé. Or il n’y a dans ce texte de loi aucune proposition en faveur du maintien et de la pérennisation des structures de premier recours que peuvent être les PMI ou les centres de planning familial. La non-application du droit dans l’accès à une couverture médicale et à l’IVG ainsi que le manque de financement des structures contribuent à freiner l’accès à l’avortement. De même, les barrières linguistiques et le délai de réflexion légal pour réaliser une IVG mettent de nombreuses patientes hors délai. On note cependant que les sages-femmes constituent un relais supplémentaire à même d’améliorer l’accès à l’avortement et à la santé sexuelle et reproductive. C’est donc un bon maillon, mais qui seul est insuffisant – surtout s’il n’est pas mis au cœur d’un dispositif et de structures pérennes.

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Recommandations • L’élargissement des possibilités d’accès à l’IVG médicamenteuse via les sagesfemmes doit s’accompagner du développement de l’information et de l’accès à la contraception, afin d’éviter le recours à l’IVG. • Le recours à ces professionnelles de santé doit être favorisé, notamment en systématisant leur présence au sein des PMI et des planning familiaux. Des inégalités d’accès (comme l’accès géographique) demeurent et doivent être traitées, par exemple par des actions d’« aller-vers ». • Il est primordial d’agir sur une meilleure intégration des femmes dans les parcours de soins et de prévention en lien avec les structures indiquées afin qu’elles soient mieux accompagnées. La question de la coordination entre les acteurs et celle des moyens ne peuvent être évitées si l’on souhaite rendre effectives les actions de prévention en matière de santé sexuelle et reproductive. • Enfin, toutes les barrières linguistiques, financières et administratives doivent être levées pour éviter les conséquences liées aux grossesses non désirées ou liées à une IVG – tant sur le plan physique, émotionnel et psychique. Loi de santé 2015 : nos propositions pour améliorer la santé de tous

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Lutte contre les refus de soins : un dispositif exemplaire

© Jérôme Sessini/Magnum Photos/MdM

Article 19 du projet de loi

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Médecins du Monde


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es refus de soins constituent une réalité insuffisamment prise en compte dans notre pays. Pourtant depuis une dizaine d’années, plusieurs enquêtes de Médecins du Monde et d’autres institutions ont montré des refus de soins conséquents pour les personnes titulaires de la CMU-C et plus encore pour les bénéficiaires de l’AME : selon une étude de l’IRDES, en 2009, on déplorait 25 % de refus de soins envers les personnes couvertes par la CMU-C chez les spécialistes parisiens12 ; en 2006, un testing réalisé par Médecins du Monde constatait un taux de refus de soins de 37 % chez les médecins généralistes envers les bénéficiaires de l’AME13. Plus récemment, le Défenseur des droits a remis au Premier ministre un rapport dans lequel il appelle le gouvernement à prendre de réelles mesures pour lutter contre les refus de soins14. Les refus de soins, en plus de constituer une violation du droit et de la déontologie médicale, ont des conséquences sérieuses pour la santé de personnes qui se trouvent souvent dans des situations précaires et qui ont des ressources limitées : renoncement ou retard de soins, aggravation des pathologies, prise en charge en urgence avec complications, engorgement de l’hôpital et des services d’urgence, soins plus coûteux pour la collectivité, perte d’estime de soi, etc.

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Alors que les dispositions du Code de santé publique sont insuffisantes pour faire disparaître ces pratiques, le présent projet de loi donne pour mission au Conseil national de l’Ordre des médecins d’évaluer le respect du principe de non-discrimination dans l’accès à la prévention et aux soins, notamment en réalisant ou en faisant réaliser des testings. Cette proposition demeure aussi ambiguë que fragile : il est délicat de demander à un même acteur d’être à la fois juge et partie… En outre, la loi ne prévoit à aucun moment de définir clairement et strictement la notion de refus de soins, élément pourtant indispensable pour identifier les pratiques discriminatoires. Enfin, on attendait de ce projet de loi des sanctions significatives et dissuasives à l’encontre des professionnels pratiquant des refus de soins.

Recommandations 1/ élargir la notion de refus de soins qui comprend notamment : • une attitude et un comportement discriminatoires du professionnel de santé • l’orientation répétée et abusive vers un autre confrère, un centre de santé ou la consultation externe d’un hôpital, sans raison médicale justifiée • le fait de proposer un rendez-vous dans un délai manifestement excessif • une demande de dépassements d’honoraires à des bénéficiaires de la CMU-C ou de l’AME ou de l’ACS. 2/ Mettre en place un observatoire des refus de soins indépendant et paritaire, ayant la capacité de réaliser ou de faire réaliser des tests en situation. 3/ Les personnes qui estiment être victimes d’une situation de refus de soins doivent pouvoir se faire accompagner et/ou représenter par une association dans les procédures de conciliation ou de recours devant les Ordres. Les associations dont l’objet social est l’aide aux plus démunis ou l’accès aux soins doivent pouvoir exercer les droits reconnus à une personne victime d’un refus de soins. 12. IRDES, Les refus de soins à l’égard des bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire à Paris, 2009 13. Médecins du Monde, Testing sur les refus de soins des médecins généralistes pour les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle ou de l’Aide médicale d’État dans 10 villes de France, octobre 2006 14. Défenseur des droits, Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME, mars 2014

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2. Une politique de réduction des risques novatrice L’accès aux TROD et aux autotests

Article 7 du projet de loi

© DR/MdM

Article 8 du projet de loi

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Médecins du Monde


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ur de nombreuses missions, nous constatons des retards de recours aux soins et de prise en charge globale des personnes, en partie liés au manque d’information et aux difficultés d’accès (physiques, financières, sociales, culturelles…). Les bénéficiaires les plus éloignés des structures de soins sont également les plus éloignés des messages de prévention et des structures de dépistage. Ainsi, nous avons pu constater en 2013 que plus des deux tiers des personnes reçues dans les Centres d’accueil, de soins et d’orientation de Médecins du Monde ne connaissaient pas leur statut sérologique vis-à-vis des hépatites B et C et du VIH.15 Dès lors les tests rapides d’orientation diagnostique (T.R.O.D.) se révèlent un moyen efficace d’atteindre ces bénéficiaires et de les informer tant sur leur état de santé que sur les pratiques de prévention. De même, les autotests des maladies infectieuses transmissibles permettront un accès plus précoce et plus facile au dépistage, mais doivent être associés à un accompagnement performant des usagers (écoute, information, supports, offre d’assistance à distance avec interprétariat professionnel, accompagnement vers le système de soins si nécessaire). Les TROD et les autotests constituent des outils complémentaires aux tests de dépistages existant. Nous saluons donc une mesure qui vise à faciliter l’accès aux autotests de maladies infectieuses transmissibles ainsi qu’aux tests rapides d’orientation diagnostique. De cette manière, les bénéficiaires les plus éloignés du système de soins pourront avoir un meilleur accès au dépistage.

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Recommandations Pour que le prix des autotests ne soit pas un frein à leur accès pour les populations défavorisées, ils doivent pouvoir être gratuits pour les bénéficiaires de l’AME et de la CMU-c, et/ou mis à disposition à titre gratuit par des associations impliquées en matière de prévention sanitaire.

15. Médecins du Monde Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de la mission France, Rapport 2013, septembre 2014

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Une politique de réduction des risques plus volontariste

Article 8 du projet de loi

© Christina Modolo

Article 8 du projet de loi

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Médecins du Monde


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e présent projet de loi redéfinit la politique de réduction des risques en direction des usagers de substances psychoactives. Les notions de supervision et de promotion des gestes et procédures de prévention des risques sont présentes. Cette réforme s’applique également aux personnes détenues en milieu carcéral.

Elle ouvre un nouveau paradigme dans la façon de traiter les usagers de drogues : la pénalisation n’est plus considérée comme la seule solution. Au contraire, le cadre institué offre aux professionnels de santé et aux acteurs associatifs des possibilités nouvelles pour innover en matière de réduction des risques. Il s’agit là d’un changement dans la stratégie de lutte contre les risques liés à l’usage de drogues conforme à ce que nous revendiquons depuis plus de 20 ans : proposer une approche éducative et individuelle plutôt qu’un traitement sécuritaire disproportionné et inadapté. Les initiatives prises par Médecins du Monde sont toujours apparues dans un contexte socio-politique défavorable, mais elles ont servi à nourrir les dispositifs d’action publique en matière de réduction des risques : programme d’échange de seringues, centres méthadone, programmes d’analyse des drogues, programmes d’éducation aux risques liés à l’injection etc.

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Recommandations Si Médecins du Monde salue l’ouverture et les nouvelles possibilités offertes par la loi, il est nécessaire d’assurer le développement effectif de séances d’éducation aux risques liés à l’injection (ERLI) dans l’ensemble des CAARUD afin de toucher un plus large public sur l’ensemble du territoire. On sait déjà qu’il s’agit d’un dispositif peu coûteux et socialement acceptable pour le voisinage. • Le développement de l’analyse de drogues est également un moyen de déterminerle contenu des drogues consommées afin d’adapter le discours et de discuter des pratiques. • Afin de faciliter le travail des professionnels du secteur de la réduction des risques et des associations, la protection judiciaire (prévue par l’article 9 des salles de consommation à moindre risque) devrait être étendue à l’ensemble des dispositifs de la politique de réduction des risques.

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Un nouvel outil dans la politique de réduction des risques, les salles de consommation à moindre risque

© DR/MdM

Article 9 du projet de loi

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Médecins du Monde


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ar la pénalisation de leurs pratiques, les consommateurs de produits psychoactifs sont confrontés à des problèmes d’isolement social et de marginalisation qui ont des conséquences dramatiques pour leur santé physique et mentale. La guerre à la drogue débouche sur une guerre aux usagers de drogues. Cela se traduit pour eux par un éloignement des structures de soins et un regard stigmatisant de la société qui les pousse à adopter des pratiques à risques dans des conditions sanitaires dégradées. Dès lors, le risque de transmission de maladies comme le VIH ou le VHC est très important, comme le risque d’overdose, principale cause de décès liés à l’usage de drogues en Europe. Le projet de loi propose d’autoriser l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque (comme cela se fait dans d’autres pays européens) pour une durée de 6 ans dans des locaux distincts de ceux utilisés dans le cadre des autres missions. Les salles de consommation à moindre risques protègent également usagers de drogues et professionnels de poursuites judiciaires pour usage et détention illicite de stupéfiants et complicité d’usage illicite de stupéfiants. Médecins du Monde salue la mise en place à titre expérimental d’espaces de consommation supervisée ou salle de consommation à moindre risque prévue dans la loi. La présente mesure permettra un usage de produits psychoactifs dans des conditions sanitaires saines et de façon accompagnée, réduisant alors considérablement les risques d’overdose et de transmissions de maladie infectieuses. Il permet de réintégrer dans un parcours médico-social des personnes souvent en grande précarité et de les orienter vers des programmes de substitution. C’est également un moyen de sécuriser l’espace public.

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Recommandations Dans la mesure où les salles de consommations à moindre seront en nombre limité sur le territoire au moins le temps de l’expérimentation, il faut d’emblée compléter la politique de réduction des risques en donnant de nouveaux outils aux CAARUD.

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3. Démocratie sanitaire et transparence

Faire participer les associations de lutte contre les inégalités de santé aux instances de décision

© Benoît Guenot

Article 43 du projet de loi de santé Démocratie sanitaire

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L

a proposition de projet de loi précise, à l’article 43, l’entrée dans les instances dirigeantes de représentants d’associations d’usagers du système de santé dans plusieurs organismes d’administration sanitaire (l’Institut de veille sanitaire, l’Agence de la biomédecine, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’Agence nationale du médicament et des produits de santé…).

Cependant, le Comité économique des produits de santé, le Haut conseil de la santé publique et la Haute autorité de santé, institutions pourtant majeures du point de vue de l’accès aux soins pour tous ne sont pas ouverts aux associations d’usagers du système de santé et de lutte contre les inégalités de santé. Depuis sa création en 1986, les acteurs de la mission France de Médecins du Monde sont attentifs aux difficultés d’accès aux soins et de prise en charge des populations les plus marginales. Nous avons élaboré des formes innovantes d’intervention auprès des publics exclus : démarches d’éducation individuelle, programmes mobiles pour aller vers les plus en difficultés, centre d’accueil, de soins et d’orientation… Nous avons également développé nos outils d’analyses et de témoignage à travers la création d’un observatoire permettant le recueil de données sur les publics rencontrés. Nous avons eu l’occasion de participer à de nombreux groupes de travail, preuve que notre expertise en matière de santé et de précarité est jugée pertinente. De plus, à travers nos actions, nous rencontrons des publics que personne d’autre ne voit.

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Recommandations • Faire participer les associations de lutte contre les inégalités de santé aux instances décisionnelles du Conseil économique des produits de santé, du Haut conseil de santé publique et à la commission de transparence de la Haute autorité de santé.

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© Lahcène Abib

modalités de fixation des prix des médicaments : un débat public nécessaire

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epuis de nombreux mois, Médecins du Monde ainsi que d’autres associations se sont mobilisés autour des enjeux du prix des nouveaux traitements contre l’hépatite C, exemple caricatural d’un système de fixation des prix qui met en danger aussi bien les patients que notre système de soins solidaire. Au terme de négociations opaques avec le laboratoire Gilead qui commercialise le SOVALDI, le comité économique des produits de santé a fixé le prix du médicament à 13 667 euros hors taxe par boîte de 28 comprimés, soit 41 000 euros pour une cure de 3 mois.

En dépit de la volonté affichée de moderniser notre système de santé, la loi présentée actuellement ne prépare pas ce système à l’arrivée d’innovations qu’il ne pourra pas financièrement absorber en raison de leur coût. Le coût pour le système de santé est tel qu’un tri des patients sur des critères nonmédicaux est à craindre : les usagers de substances psychoactives et les détenus risquent d’être les premiers éloignés de ces nouveaux traitements, alors même que les recommandations du rapport d’experts sur les hépatites priorisaient leur accès aux soins, quel que soit le stade de fibrose. De plus, ce prix fixé ne trouve aucune justification tant le caractère novateur du Sovaldi semble contesté ainsi que le brevet assurant son monopole de production à Gilead. à cela s’ajoute un écart entre les coûts de production (101 euros) et le prix de vente, aussi bien inadmissible qu’injustifié. De plus, d’autres traitements à prix important, notamment pour les cancers, vont venir impacter notre système de santé dont le mécanisme de régulation actuel reste insuffisant pour le protéger. Dès lors, le tri des patients est à prévoir et les plus précaires seront probablement les plus exclus. Le système de négociation opaque entre le comité économique des produits de santé et les laboratoires ne permet plus d’assurer ni un prix raisonnable ni un prix justifié. Dès lors, il est fondamental de repenser les critères de fixation des prix.

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Recommandations • Ouvrir un débat public sur la fixation des prix du médicament. • Repenser les critères de fixation des prix des produits de santé en favorisant réellement l’innovation, en tenant compte de l’investissement public dans la recherche et en garantissant un prix abordable pour notre système de sécurité sociale. • Changer la donne en fixant non pas le prix d’un médicament mais le prix d’un traitement.

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4. Territoires ultrapériphériques

© Olivier Borson

le cas de Mayotte

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Médecins du Monde


à

Mayotte, l’exclusion d’une grande partie de la population du système d’assurance maladie et l’absence d’AME constituent les causes centrales des difficultés d’accès aux soins, dans un contexte de pauvreté, d’indicateurs de santé très dégradés – le taux de mortalité maternelle y est six fois plus élevé qu’en métropole, le taux de mortalité infantile quatre fois plus – et de faiblesse des dispositifs et infrastructures sanitaires. En l’absence d’AME, les enfants ne peuvent être affiliés à la sécurité sociale qu’en tant qu’ayant droit, ce qui rejette hors de toute protection maladie 75 % des enfants à Mayotte, selon le Défenseur des droits16. Un récent rapport de la Cour des comptes pointait les risques sanitaires d’épidémies et de maladies, la faiblesse des services de santé et la responsabilité de l’état à « être l’ultime garant [de l’unicité de la République] et à veiller à ce que soit assurée l’égalité de chacun dans le domaine de la santé »17. Une ordonnance du 31 mai 2012 dispose que les frais concernant les mineurs et enfants à naître sont pris en charge en totalité sous condition de ressources, mais cette ordonnance n’est pas appliquée et concerne les seuls soins délivrés par les établissements publics de santé (Centre hospitalier de Mamoudzou et dispensaires). La loi de santé ne prend aucune des mesures attendues et demandées depuis longtemps par de nombreuses associations et institutions. Elle renvoie au gouvernement la tâche de légiférer par voie d’ordonnance, donc sans débat public. Les demandes, faites de longue date par les associations, ont pourtant été recommandées par la Halde18, la Défenseure des enfants et récemment le Défenseur des droits dans son rapport de 201319.

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Recommandations Médecins du Monde demande notamment : • a minima une inscription dans la loi du principe d’affiliation directe des mineurs à l’assurance maladie. • l’harmonisation du droit mahorais sur le droit en vigueur en métropole en matière de protection maladie (CMU, CMU-C, AME) – dans l’attente d’une assurance maladie véritablement universelle fusionnant CMU et AME. • le respect du code de la santé publique et en particulier des dispositions, non appliquées à ce jour, qui doivent permettre l’accès aux soins systématique pour les enfants et les femmes enceintes sous condition de ressources (application de l’ordonnance du 31 mai 2012). 16. Compte-rendu de la mission conduite par Mme Yvette Mathieu, préfète, chargée de mission auprès du Défenseur des droits, sur la protection des droits de l’enfant à Mayotte, mars 2013, p. 50. 17. Cours des comptes, La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République, 2014 18. Halde, délibération n° 2010-87 du 1er mars 2010, in Roulhac C., « La reconnaissance du caractère discriminatoire du dispositif d’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière à Mayotte : une illustration de l’applicabilité et de l’universalité des droits sociaux. Commentaire de la délibération de la Halde n° 2010-87 du 1er mars 2010 », Revue de droit sanitaire et social, 2010 : 4, 704-13. 19. Décision du Défenseur des droits n° MDE/2013-87, « Recommandations générales relatives à la situation très alarmante des mineurs étrangers isolés dans le Département de Mayotte », 2013.

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5. Former le corps médical

© DR/MdM

la prise en charge des patients en situation de précarité

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L’

accès aux soins des populations en situation de grande précarité soulève des problématiques spécifiques : droits et dispositifs d’aide particuliers, cumul de difficultés (ressources, logement, langue, santé…). Parmi les obstacles dans l’accès aux soins des bénéficiaires précaires, la méconnaissance chez les professionnels de santé de ce public, des difficultés qu’il rencontre, des inégalités et des déterminants de santé, ainsi que des dispositifs existants. Alors que ce public est susceptible de cumuler des pathologies lourdes et une situation sociale complexe. La formation initiale et la formation continue des professionnels de santé doit aussi permettre de répondre aux enjeux de précarité en santé. C’est un moyen d’obtenir une meilleure prise en charge globale des patients, en ayant mieux identifié les contraintes et difficultés spécifiques à chacun (sociales, administratives, conditions de vie, logement, environnement…) pour mieux traiter le problème de santé.

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Recommandations • Inclure un enseignement obligatoire sur les questions de santé-précarité dans le cursus initial et la formation continue des études médicales et paramédicales. • Inclure un enseignement sur la santé publique dans la formation des acteurs du secteur sanitaire et social.

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6. Accès à l’eau et à l’hygiène

© Benoît Guenot

promouvoir un environnement favorable à la santé

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C

oncernant l’impact de l’environnement sur la santé, reconnu comme l’un des cinq piliers de la charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, le présent projet de loi se limite à la pollution atmosphérique et aux risques liés à l’amiante – et ce de façon très limitée. Sans négliger ces deux aspects, bien d’autres éléments peuvent être pris en compte.

L’accès à l’eau est un droit fondamental reconnue par la résolution de l’ONU du 28 juillet 2010. Pourtant, des personnes sans domicile fixe ou vivant en habitat insalubre (bidonvilles, cabanes…) sont privées d’accès à l’eau potable et à l’hygiène. Aucune disposition législative ne prévoit de garantir ce droit pour les personnes les plus fragiles, alors que cela constitue l’un des facteurs majeurs de dégradation de la santé et d’exclusion. De plus, la loi sur la transition énergétique ou la loi ALUR n’ont rien modifié pour de nombreux ménages en situation de précarité énergétique ou vivant en logement insalubre. La loi de santé pourrait pourtant jouer un rôle de rattrapage au regard du rôle de l’habitat comme déterminant de la santé des personnes. Des familles sont encore privées de chauffage en raison de l’insuffisance de leurs ressources, alors que certains logements sont de véritables passoires thermiques. L’absence de double-vitrage ou de bouches de ventilation efficaces rendent l’espace humide et propice au développement de moisissures. Ainsi, l’insalubrité des logements entraîne une dégradation de la santé physique (maladies respiratoires) et mentale et du bien-être en général (anxiété, stress dépression, perte d’estime de soi). Améliorer les conditions de logement c’est donc améliorer la santé des plus précaires.

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Enfin, Médecins du Monde souhaite alerter sur l’importance de la prévalence des pathologies mentales chez les personnes sans domicile et insiste sur l’impact des conditions de vie et de logement précaires dans la survenue des pathologies psychiques et de leur prise en charge. Les traitements nécessitent une observance attentive et un suivi sur la durée, mais également l’accès à un environnement stable et sain. Malgré les avancées récentes en matière de dispositifs d’accès aux soins de santé mentale (développement des PASS psychiatriques, EMPP), il est aujourd’hui nécessaire de donner une vraie place à ces dispositifs, de les développer et d’intensifier la coordination entre l’ensemble des structures du social et du sanitaire. Le projet de loi de santé va dans ce sens en prévoyant un décloisonnement entre l’ensemble des acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Cependant il est également important de poursuivre le développement de structures alternatives en nombre suffisant et donner les moyens à des projets innovants qui permettent de donner un toit, un abri, des conditions de vie satisfaisantes aux personnes malades et de leur offrir les conditions nécessaires pour s’occuper de leur santé.

Recommandations • Inclure une évaluation systématique de l’impact en santé de l’ensemble des politiques publiques dans les procédures parlementaires. • La loi de santé doit être l’occasion d’améliorer les conditions de vie des personnes notamment en garantissant un accès universel à l’eau et à l’hygiène. Les bains-douches et les fontaines à eau doivent être en nombre suffisant, en bon état, gratuits, accessibles à tous et visibles. • Garantir l’accès à l’eau à tous en protégeant les ménages des coupures d’eau. • Flécher les dispositifs d’aide à la rénovation thermique vers les logements des plus précaires et y accorder des moyens conséquents ainsi que des objectifs chiffrés. Loi de santé 2015 : nos propositions pour améliorer la santé de tous

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Š Regis Dondain

contacts

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MĂŠdecins du Monde


Contacts presse Aurélie Defretin aurelie.defretin@medecinsdumonde.net 01 44 92 13 81 Lisa Veran lisa.veran@medecinsdumonde.net 01 44 92 14 31

Direction des opérations France de Médecins du Monde Jean-François Corty jean-francois.corty@medecinsdumonde.net 01 44 92 15 96

éditions Médecins du Monde Février 2015 62 rue Marcadet 75018 Paris www.medecinsdumonde.org

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Médecins du Monde

© Jérôme Sessini/Magum Photos/MdM

soigne aussi l’injustice


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