Fields | Terrains | Vol. 3

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Te r r a i n s

Hi v e r 2013 -

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Duval la rend démoniaque car elle incarne la tentation dans “Sed non satiata” et “Le Serpent qui danse”. Similairement, cette relation d’amour et de haine semble être caractéristique des relations interculturelles des empires coloniaux européens avec leurs colonies. Comme le démontre Jan Nederveen Pieterse, “the contradictory western attitudes towards the non-western world seem to culminate in contradictory attitudes towards non-western sexuality, and these in turn reflect ambivalent feelings on the part of westerners about their own sexuality” (1992:172). En contribuant au portrait physique et moral de la femme africaine, Baudelaire s’inscrit dans un mythe de la France du XIXème siècle, soit l’hyperérotisme de la “négresse” (Nnadi 1994). Un second thème de la poésie baudelairienne est la nature idéalisée d’un monde originel souvent associé à l’exotisme de l’Asie et à l’Afrique. Le motif du voyage et d’un ailleurs rêvé est une réponse du poète au malaise qu’il ressent dans sa propre société. En effet, la femme rappelle dans “Parfum exotique” un monde idéal pur tel qu’imaginé par Rousseau, mais son innocence peut être corrompue dans “La Chevelure” lorsque le poète désir la conquérir avec des richesses. Si le colonialisme est un aspect de la modernité, les représentations de la nature et de la société industrielle sont par conséquent étroitement liées. L’œuvre de Baudelaire est marquée par une mélancolie symptomatique du malaise que l’Homme européen éprouve dans cette société nouvellement industrialisée (Ahearn 1977). La femme africaine est donc attirante parce qu’elle rappelle les qualités d’un monde originel. Ceci fait écho une fois de plus à la nature exotique présente dans la description de la femme, notamment dans “Parfum exotique”. En effet, l’héritage du Romantisme est très présent dans l’œuvre littéraire de Baudelaire car la nature est un thème qui transcende sa poésie. Elle est parfois paisible, par exemple dans “Parfum exotique”:

Le personnage de l’amante est cependant ambivalent puisque la métaphore filée du serpent la suit dans tout le poème, et tout particulièrement dans la strophe centrale qui décrit sa démarche et fait écho au titre: “On dirait un serpent qui danse”. La forme du poème, soit l’alternance d’octosyllabes et de pentasyllabes, va aussi en ce sens en évoquant les ondulations du serpent. A te voir marcher en cadence, Belle d’abandon, On dirait un serpent qui danse Au bout d’un bâton.

On peut voir dans cette comparaison un symbolique très claire qui fait référence à la Bible, où le serpent représente la tentation. Jeanne Duval incite aux péchés, le plaisir est donc associé au danger: la maîtresse de Baudelaire est une véritable “fleur du mal”. II. Baudelaire, conformiste malgré son excentricité4 L’analyse littéraire de quatre poèmes des Fleurs du Mal a permis d’identifier quelques thèmes récurrents dans la poésie de Baudelaire. À travers la sexualité de la femme africaine, le rêve d’un retour vers un idéal originel, et les malaises de la modernité, nous explorerons la manière dont l’œuvre poétique de Baudelaire est représentative de la société française du XIXème siècle. Le premier thème est celui de la sensualité de la femme noire qui, parce qu’elle est vénérée pour son érotisme associé à son exotisme, semble s’opposer à la femme européenne. En effet, Baudelaire ne mentionne nulle part des parties du corps à intérêt sexuel de ses maîtresses blanches5, alors qu’il s’étend longuement sur le désir que suscite l’anatomie de la femme noire (Nnadi 1994:153). Ceci n’est pas sans rappeler Edward Said et sa critique de l’orientalisme (1978), où il postule que l’Orient est souvent représenté comme étant l’archétype de l’Altérité de l’Occident. De plus, la sexualité très développée de Jeanne

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