Setra

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Le SETRA de Bagneux à Sourdun

et l’histoire tourmentée des autoroutes Christian Després Le SETRA a été créé administrativement le 1er janvier 1968, en tant que Service d’études des Transports, des Routes et des Autoroutes. Mais sa gestation avait duré plusieurs années et l’on peut faire remonter sa conception au tout début des années 1960. C’est à cette époque, alors que l’on vient d’inaugurer, après bien des vicissitudes, le tronçon Paris-Corbeil – le 12 avril 1960 – que la construction autoroutière entre en France dans sa période de maturité. Le retard avec l’Allemagne est considérable. Mais la dynamique de l’époque le rend plus stimulant qu’affligeant. Et, avant les autoroutes, il y a les routes. Au cours du terrible hiver 1962-1963, le réseau « lâche » dans son ensemble. Le gouvernement est contraint de produire une réaction à la hauteur de l’enjeu. Une politique de renforcement est mise en œuvre, ambitieuse autant au plan technique qu’au plan économique. Sa nécessaire coordination territoriale, sa rationalisation méthodologique, impose de la confier à un organisme central qui harmonise, développe et capitalise la doctrine routière.

C’est à ce moment que la décision de créer un service technique spécialisé en matière routière, que d’aucuns cultivaient depuis des lustres, est arrêtée. Le temps administratif en remettra la naissance au seuil de l’année 1968. Il était temps, car les bouleversements sociaux politiques de cette année fameuse risquaient de remettre au second plan cette étape clef de la structuration du réseau scientifique et technique historique des Ponts et Chaussées.

La grande aventure du ministère de l’équipement battait son plein. Les collectivités publiques, qui déployaient alors d’importants efforts pour le développement et la modernisation des infrastructures collectives, en tiraient le meilleur parti. Au même rythme que les affres du dernier conflit mondial s’éloignaient, une France porteuse de nouvelles promesses se construisait. Le SETRA y jouait son rôle. Mais à la fin des années 2000, ce n’est pas un truisme, on a bel et bien changé de siècle…

Le « Grenelle Environnement » invite à reconsidérer en profondeur la politique routière. Indépendamment de ces principes, l’état, impécunieux, n’est plus en mesure d’investir. Il s’efforce au contraire d’économiser en restructurant ses services et enclenche un vaste mouvement de « délocalisations ». Ces divers phénomènes affectent le SETRA de plein fouet.

Ce livre a pour objet de reconstituer la tranche d’histoire nationale particulière dans laquelle s’est inscrit le SETRA en collant au plus près de l’existence de ceux qui y furent impliqués.

Le SETRA, de Bagneux à Sourdun, et l’histoire tourmentée des autoroutes • Christian Després

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Le SETRA

DE BAGNEUX À SOURDUN

et l’histoire tourmentée des autoroutes

Christian Després

L’AUTEUR

Christian Després, ingénieur des Ponts et Chaussées, a été affecté au SETRA entre 2009 et 2013 pour y mettre en œuvre le processus de délocalisation.

Ce n’est pas un expert des problématiques routières. Mais sa carrière diversifiée, commencée à la Météorologie nationale, effectuée pour partie en Afrique et au Moyen-Orient, exerçant un temps des fonctions techniques, administratives un autre temps, l’a rendu sensible aux problématiques transversales, où le déterminisme des structures se confronte fatalement au libre arbitre des individus.


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Le SETRA DE BAGNEUX À SOURDUN

et l’histoire tourmentée des autoroutes

Christian Després


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Š 2014 - ISBN 978-2-85978-486-7 Presses des Ponts 15, rue de la Fontaine-au-Roi 75127 Paris Cedex 11


Ă€ Jacques Boulloche (1888 - 1945)


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Prologue

L’histoire des autoroutes et celle du SETRA sont intimement liées. Rien de surprenant, en première approche, puisque l’objet premier du SETRA – le Service d’Études Techniques des Routes et Autoroutes – fut justement de construire des autoroutes… Mais le rapprochement va au-delà. L’histoire des autoroutes – on tend aujourd’hui à l’oublier – fut loin d’être celle du déroulé tranquille de longs rubans bitumineux ou bétonnés à la sortie des villes et en rase campagne. Les étapes de la création de ce type nouveau d’infrastructures furent jalonnées par de multiples tourments : politiques, économiques, urbanistiques, techniques et environnementaux, qui marquèrent le XX siècle. e

Parallèlement, l’histoire du SETRA fut l’objet de mises en cause régulières, qui s’exprimèrent sur le plan humain cette fois, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Au niveau individuel d’abord, chacun de ses agents baignant dans un niveau d’expertise qui émaille la sensibilité, s’efforçait d’adapter sa personnalité et son professionnalisme à un monde en rapide évolution. Au niveau collectif, le SETRA se révéla comme un cadre de travail d’une grande instabilité chronique. Des services qui se composaient puis se décomposaient au gré des politiques, l’évolution juridique du cadre de l’ingénierie publique, son cœur de métier, les menaces récurrentes de délocalisation… La célébration en grande pompe de chacune des trois premières décennies du SETRA(1) témoigne bien de cet état de fait. Conclure une décennie autorisait à espérer en la suivante…

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(1) Nous avons tenu à faire revivre ces moments par un florilège de photos d’époque, réunies au chapitre « Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre ».

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Mais l’achèvement de la quatrième décennie n’a pas donné lieu aux agapes rituelles. Une nouvelle délocalisation venait d’être annoncée, à Sourdun. On refusait d’y croire tout en la prenant très au sérieux. Ceux qui vont parcourir cet ouvrage se trouveront peut-être surpris par son hétérogénéité. Ils ne manqueront pas de remarquer que s’y trouvent mêlées la « grande histoire », celle des manuels scolaires et des conférences académiques, et la « petite histoire », celle des photos qu’on conserve dans des boîtes à chaussures. J’ai tenu en prologue à assumer le choix de cette ambivalence rédactionnelle et à tenter de bénéficier simultanément des deux éclairages. J’ai probablement été influencé en cela par le dramatique destin de Jacques Boulloche, à la fois promoteur du système autoroutier français et homme de conviction ; le lecteur pourra en trouver mémoire au cœur du texte. Mise en perspective par cette évocation particulière, la « grande histoire » – par laquelle nous commençons –, c’est, à la Libération, celle d’un État qui sait où il va. Au lendemain d’une guerre qui a mis en œuvre à grande échelle des moyens de destruction puissants, il est soumis à « l’ardente obligation » de relever un pays et de lui forger un nouvel avenir. Les gouvernants mettent alors de l’ordre dans leurs administrations et cherchent à se doter d’instruments de gestion et d’intervention à la hauteur des enjeux. Commence alors la grande aventure du ministère de l’Équipement, avec en son sein la création d’organismes à compétences fortes. Parmi eux, le SETRA. La mission assignée au SETRA était bien claire : après la difficile conversion de la France aux autoroutes et après que la loi de 1955 eut intégré la construction autoroutière dans le paysage juridique et économique de la Ve République, ses dirigeants souhaitaient donner un coup de fouet à la construction de ces infrastructures d’un type nouveau. La méthode devait être bonne, car les résultats furent au rendez-vous. Pour raccourcir l’histoire, rappelons que les linéaires d’autoroutes français et allemands – après avoir été cruellement disparates en faveur de nos voisins jusque dans les années 1960 – ont atteint aujourd’hui le même point de convergence, autour de 12 000 km. Sa mission étant accomplie, la question se pose alors : plus besoin de SETRA ?

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Ce serait vite dit. Ce service effectue une première mutation en 2008(1), pour gagner une compétence environnementale et multimodale. Nous n’avons pas changé de République, mais le quinquennat incite les gouvernants à penser en termes de cycles de temps courts. C’est l’époque du « Grenelle Environnement » qui cristallise les énergies et les imaginations. La construction autoroutière – raison d’être initiale du SETRA – semble devoir être rangée au musée de l’ingénierie publique. Toutefois, comme au milieu des années 1960, l’État a conscience qu’il ne saurait lancer de nouvelles politiques sans s’appuyer sur des compétences pointues et structurées. La spécificité qui a présidé à la création du SETRA demeure, mais est appelée à s’appliquer à d’autres domaines. La « grande histoire » continue, avec d’autres noms, avec d’autres mots(2). La « petite histoire », c’est celle des femmes et des hommes dont la réalisation professionnelle, familiale ou personnelle, a été tributaire des vicissitudes de la marche en avant de la « grande histoire ». Quand je suis arrivé à Bagneux, en août 2009, j’ai eu l’impression, comme au théâtre classique, qu’une sorte d’unité s’était constituée entre les êtres, les lieux et le temps au fil des quarante années de vie du SETRA. L’immeuble de 10 étages du 46 avenue AristideBriand semblait avoir été expressément construit pour les agents du SETRA et leurs activités. Ceux-ci, engagés pour la plupart dans des carrières d’experts – où les besoins d’approfondissement l’emportent sur les vertus de la mobilité – n’envisageaient pas de le quitter avant d’avoir acquis leurs droits à la retraite… et encore !

DRIEA/GUIHO

C’est dans un tel contexte qu’il faut situer la décision du transfert de Bagneux à Sourdun, prise à la fin de l’été 2008. L’unité de lieu étant tout à coup rompue, on se demandait comment la pièce allait continuer à se jouer.

(1) Par décret du 1er juillet 2008, conservant son acronyme, le SETRA est devenu le Service d’Études sur les Transports, les Routes et leurs Aménagements. (2) La loi du 28 mai 2013 portant sur les infrastructures de transport a intégré le SETRA dans un organisme nouveau : le Centre d’Études et d’Expertise sur les Risques, la Mobilité et l’Aménagement (CEREMA).

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Le but de cet ouvrage n’est pas de répondre à cette question, mais de témoigner, et autant que possible de rendre hommage à tous les acteurs de cette époque particulière. Certains sont restés des exécutants de l’ombre, d’autres ont acquis une stature de premier plan dans leur art, reconnue parfois au niveau international. Le temps qui passe nivellera bien vite ces différences séculières pour ne retenir que la participation de tous à un destin commun dont ce livre se revendique, en dépit de ses imperfections, comme un élément de mémoire. Pour cela, nous avons pris le parti d’entrer dans l’intimité professionnelle de ceux qui étaient là, à différentes époques. Montrer des visages, dire des noms, rappeler des situations, enregistrer des multitudes de détails qui ne diront rien aujourd’hui ou à certains, et beaucoup, plus tard à d’autres. Concernant l’épisode particulier de la délocalisation, que nous avons vécu de manière continue, nous avons tenté de reconstituer le cheminement qu’emprunte un acte virtuel – une décision administrative – pour devenir une réalisation concrète impactant des centaines d’individus. Ces cartons qui s’empilent, ces poubelles qui se remplissent, ces hommes qui résistent et ceux qui acceptent, ces locaux qui perdent leur âme et d’autres plus loin qui s’efforcent d’en gagner une… Rien n’est ni dérisoire, ni inutile. À grande échelle comme à petite échelle, pour s’écrire, l’Histoire a besoin que ceux qui y participent y trouvent un sens ou une espérance. Durables, bien sûr !

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Sommaire

L’État moderne comme berceau ................................................................11 Généalogie du SETRA .............................................................................23 La lente conversion de la France aux autoroutes .........................................45 Le SETRA par ses œuvres .........................................................................67 Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre.........................................................83 La délocalisation.....................................................................................95 De Bagneux à Sourdun..........................................................................109 L’époque des Hussards ..........................................................................121 Une page qui se tourne .........................................................................127 Un nouveau départ ...............................................................................133 Voisinages ...........................................................................................139

Archives des Ponts et Chaussées / Photo Viguier

Présent pour l’avenir… ..........................................................................145 Post-scriptum.........................................................................................149

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L’État moderne comme berceau

L’Arche de la Défense – Siège de l’administration centrale du ministère de l’Équipement depuis 1989. (Photo DRIEA/GUIHO, 1995)


L’INVENTION DE L’« ÉQUIPEMENT » METL / MEDDE

Quand le SETRA est créé, le 1er janvier 1968, la France traverse une période particulièrement féconde de son histoire. Visite du général de Gaulle à l’exposition « Demain, Paris », le 17 avril 1961.

Le général de Gaulle est aux commandes. Réélu deux ans plus tôt par la première élection présidentielle au suffrage universel qu’a connue notre pays, il conduit avec imagination et exigence la restructuration de l’État. Mais il n’entrevoit pas les troubles sociaux du printemps prochain qui le feront vaciller et annonceront sa retraite. Bien au contraire, le régime a toute confiance dans les vertus de la planification, jouit d’une croissance forte et croit en l’amélioration des conditions de vie par l’accès à la consommation de masse. Celui qui confesse une « certaine idée de la France » est entouré d’hommes de grande envergure qui vont l’aider dans ce vaste chantier de construction d’un État moderne. Ce sont d’abord ses deux Premiers ministres : • Michel Debré, l’homme de la fidélité, qui assume la réorganisation territoriale du pays à la Libération, puis corédige la constitution de 1958 ; • Georges Pompidou, l’homme de la modernité, qui enclenche une politique active d’aménagement du territoire et de développement des grands équipements. Ce sont ensuite deux grands commis de l’État : • Paul Delouvrier, le père des « villes nouvelles » et de l’IAURP (1) ; • Olivier Guichard, premier responsable de la DATAR(2), de sa fondation en 1963 jusqu’en 1968.

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Vient enfin celui qui mit sur pied le ministère de l’Équipement, Edgar Pisani. Il fallait une sorte de magicien pour unifier les cultures du ministère de la Construction et du ministère des Travaux Publics et des Transports, autant au niveau des administrations centrales que des services « extérieurs ». Rompu aux croisements culturels de par son histoire personnelle, capable de la synthèse en politique (il fut aussi ministre de François Mitterrand), Pisani était l’homme de la situation. De Gaulle, hôte de Colombey, a déjà pu voir Pisani à l’œuvre en Haute-Marne, d’abord en tant que préfet, puis comme sénateur. Dans ce département authentiquement rural, où l’on ne connaît pas les faux-semblants, les deux hommes ont su s’apprécier pour leurs qualités propres et leur sens de l’État, au-delà de leurs différences politiques. C’est le décret du 20 janvier 1966, acte de naissance du ministère éponyme, qui fait naître ce concept administratif novateur d’« Équipement ». Le terme se veut fédérateur des forces vives qui s’activent – tant dans le domaine des transports que de la construction, des infrastructures et de l’urbanisme – à améliorer la vie quotidienne de la nation. Si elle devient rapidement populaire – notamment grâce aux DDE – l’appellation de ce ministère donne du fil à retordre à ceux qui doivent le traduire dans d’autres langues, en particulier en anglais où il est victime du faux ami « Equipment ». (1) Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne. (2) Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale.


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Paul Delouvrier, haut fonctionnaire sous la IVe et la Ve République, est l’un des principaux artisans de la planification qui a remodelé la France pendant les « Trente Glorieuses ». Il terminera sa carrière en tant que président de l’Établissement public de la Villette, où il contribuera à créer la Cité des Sciences et de l’Industrie et la Géode.

En 1968, Olivier Guichard est ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire dans les gouvernements de Georges Pompidou puis de Maurice Couve de Murville. Il prépare le référendum de 1969, sur la régionalisation et la réforme du Sénat, dont le rejet par le peuple provoque le départ du président de la République, Charles de Gaulle. DR

Michel Debré, résistant et gaulliste, garde des Sceaux dans le gouvernement de Gaulle présente le texte de la Constitution de 1958. Premier ministre à partir de janvier 1959, il démissionne en avril 1962, à la suite d’un désaccord avec le président Charles de Gaulle concernant l’Algérie française.

Georges Pompidou et Edgar Pisani en visite à « Village Expo », le 3 septembre 1966.

Visite d’Edgar Pisani dans le nouveau quartier du Mirail, à Toulouse, le 26 novembre 1966.

METL / MEDDE

METL / MEDDE

Georges Pompidou sera chef de cabinet du général de Gaulle, puis son Premier ministre du 14 avril 1962 au 10 juillet 1968 avant de devenir à son tour président de la République. La politique de son gouvernement sera marquée par le développement de l’aménagement du territoire et des grands équipements directement planifiés par l’État, avec la création le 14 février 1963 de la DATAR.

RUE DES ARCHIVES

METL / MEDDE

Le ministre de l’Équipement Edgar Pisani et la ministre britannique des Transports, Barbara Castle, s’entretiennent à propos de la construction du tunnel sous la Manche au ministère de l’Équipement à Paris le 28 octobre 1966. Edgar Pisani démissionne en 1967, en désaccord sur la question des Ordonnances. Il sera à nouveau ministre, en 1985, pendant la présidence de François Mitterrand.

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LA MISE EN PLACE DES DDE DDE

DIRECTIONS DÉPARTEMENTALES DE L’ÉQUIPEMENT Une Renault 4L devenue culte avec sa fameuse couleur « Orange DDE ».

C’est au travers de ces nouvelles structures départementales créées en mars 1967 par le décret n° 67-278 que l’action du nouveau ministère de l’Équipement va démontrer son efficacité.

La population, sauf dans le cas de l’instruction des permis de construire, n’a pas un contact régulier avec les agents de la DDE. Mais elle sait qu’elle pourra compter sur elle, l’hiver venu, pour le salage des routes.

Les DDE ne font pas que succéder aux influents services ordinaires des Ponts et Chaussées et aux services départementaux de la construction : elles introduisent la notion de polyvalence et vont très vite s’imposer, chacune, comme un acteur essentiel de la vie locale.

Cette popularité de la DDE a atteint un tel niveau, que plusieurs années après la disparition de cette entité déconcentrée(1), elle continue de manière persistante à être évoquée dans la presse locale, ou dans les discussions de comptoir, comme le service public de référence et de proximité sur lequel on peut s’appuyer. (1) En application de la loi de décentralisation du 13 août 2004 et des réformes des services déconcentrés de l’État qui suivirent.

Photos Auteur / ASCE

Structurées de manière analogue d’un bout à l’autre du territoire – nonobstant les particularismes locaux et les spécificités de la géographie – elles seront la manifestation tangible de la présence organisatrice et sécurisante de l’État. Le maillage fin des subdivisions apporte aux élus un support technique de qualité, non sujet aux soubresauts que connaît parfois la vie politique locale.

À Vatan (Indre), le musée des Métiers de l’Équipement, géré par la FNASCEE, présente quelques vestiges de la grande époque des DDE.

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LA STRUCTURATION DU RÉSEAU SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

La polyvalence et la dispersion géographique des DDE imposent vite de les adosser à un solide réseau d’expertise. La problématique était de créer le chaînon manquant entre le vaste réseau de DDE, dont la plupart étaient engagées dans d’importants projets de travaux neufs – incluant parfois la construction de grands ouvrages – et d’amélioration de la voirie, et les services centraux. Par défaut, au niveau central, cette fonction a été historiquement tenue par l’École Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC) qui drainait les meilleurs experts du ministère pour l’enseignement et la recherche. L’ENPC créée en 1747 et domiciliée rue des Saints-Pères jusqu’en 1997 fut durablement le siège de l’expertise de haut niveau.

C’est ainsi que le Service Central d’Études Techniques (SCET) – sur lequel nous revenons dans ce qui suit – et le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC) prirent corps en son sein.

La période de l’après-guerre donna ensuite naissance à deux autres services techniques centraux :

À l’étroit rue des Saint-Pères, le LCPC quittera la « maison mère » en 1938 pour s’installer à la périphérie de la capitale, boulevard Lefèbvre. Ce n’est qu’en 1949 qu’il prendra son autonomie administrative pour devenir un service de l’État à part entière. Il poursuivra cette émancipation en 1998 en acquérant le statut d’Établissement Public Scientifique et Technique.

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La situation du réseau scientifique et technique jusqu’à la création de l’« Équipement »

• le Service Spécial des Autoroutes (SSA) en 1948 • le Service d’Études et Recherches sur la Sécurité Routière (SERC) en 1955 (voir chapitre « Généalogie du SETRA »). Au niveau déconcentré, le réseau scientifique était très dense, mais sa structure peu lisible. L’activisme des services ordinaires

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des Ponts et Chaussées avait conduit à la multiplication des laboratoires départementaux dont l’envergure et le niveau d’expertise étaient contrastés.

Pour répondre aux autres problématiques, liées au calcul d’ouvrages banals, aux tracés et aux études de trafic, les structures suivantes furent mises en place, au gré des besoins : • 2 organismes techniques régionaux (OTR), à Lyon et Rouen, • 4 agences de tracé, à Bordeaux, Paris (agence « FranceNord »), Mâcon et Rouen, • 4 agences de circulation, à Bordeaux, Lyon, Metz et Rouen, • 6 bureaux régionaux de circulation à Clermont-Ferrand, Dijon, Lille, Rennes, Toulouse et Tours.

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Salle de dessin du bureau régional de circulation de Lille.

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La réforme de 1952 s’efforcera de mettre de l’ordre dans cette situation en instaurant les Laboratoires Régionaux des Ponts et Chaussées, au nombre de 18(1), répartis d’une manière aussi harmonieuse que possible sur le territoire : • Aix, Nice, Bordeaux, Toulouse, • Autun, Clermont-Ferrand, Lyon, Angers, Blois, • Lille, Saint-Quentin, Nancy, Strasbourg, • Rouen, Saint-Brieuc, • Melun, Le Bourget, Trappes.

Locaux de l’Agence de circulation de Rouen au 2e étage.

Le rôle fédérateur du CGPC

La qualité des rapports publiés sous son timbre à certaines époques ne laisse pas d’impressionner. Citons à ce sujet le rapport de la séance de l’assemblée plénière du 15 mai 1943 consacrée à la « Définition de diverses catégories d’autoroutes et d’un programme d’ensemble d’études d’autoroutes en France » élaboré à partir des résultats de l’enquête que l’inspecteur général Lévêque avait menée auprès de l’ensemble des ingénieurs en chef au début de l’année 1943.

L’ensemble de ces structures, au niveau central comme au niveau déconcentré, était chapeauté par l’autorité technique indiscutée du Conseil Général des Ponts et Chaussées.

Ce document eut une importance décisive à l’époque ; il conserve aujourd’hui une grande valeur historique. On trouvera page suivante un extrait des 278 pages qui le composent.

Le CGPC, collectivement et au travers de ses vénérables membres permanents, occupait une position prestigieuse qui en faisait à la fois le gardien du savoir faire et le vecteur de la prospective. (1) Cf. l’ouvrage collectif « L’aventure des laboratoires régionaux des Ponts et Chaussées ». d’André Guillerme, Denis Glasson, Gérard Brunschwig, Arnaud Berthonnet et François Caron.

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Archives Nationales

Premières pages du compte rendu de l’assemblée plénière du Conseil Général des Ponts et Chaussées du 15 mai 1943. Ce document constitue probablement la genèse du programme autoroutier français.

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LA CRÉATION DES CETE CENTRES D’ÉTUDES TECHNIQUES DE L’ÉQUIPEMENT

Quels que furent son efficacité et son prestige, le réseau scientifique et technique (RST) n’en avait pas moins un caractère hétéroclite qui ne cadrait pas avec les efforts structurants qui accompagnaient la mise en place du tout jeune ministère de l’Équipement.

L’homogénéisation de la couverture territoriale qui avait été acquise par la création des DDE, ainsi que leur polyvalence, imposait de les adosser à un réseau d’expertise homogène lui aussi au plan territorial et au plan technique. Sur le terrain, en cette période de forte croissance économique, la plupart des DDE étaient alors engagées dans d’importants projets de travaux neufs, incluant de nombreux ouvrages, qui requéraient une plus grande proximité et disponibilité de l’expertise technique.

D’un point de vue strictement chronologique, les premières décisions gouvernementales relatives à l’organisation du RST portèrent cependant sur la création de deux services techniques centraux. Deux arrêtés sont simultanément pris, en date du 1er décembre 1967 par le ministre de l’Équipement et du Logement, FrançoisXavier Ortoli (voir texte des arrêtés page 22). Le premier arrêté porte « Organisation et attributions du Service d’Études Techniques des Routes et Autoroutes (SETRA) » à compter du 1er janvier 1968. Le second, pris le même jour, probablement dans un esprit d’équilibre entre les deux composantes du ministère porte « Organisation et attributions du Service Technique Central d’Aménagement et d’Urbanisme (STCAU) ».

(1) Centre d’Études et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement.

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Dans ces conditions, la création des CETE fut une initiative majeure. Moins visible de l’extérieur que celle qui donna le jour aux populaires DDE, mais probablement plus solide puisque les DDE ont progressivement disparu entre 2007 et 2009 pour se diluer dans des structures interministérielles, alors que les CETE ont fusionné en 2014 au sein du CEREMA(1), conservant une même substance technique.

François-Xavier Ortoli (1925-2007). De 1962 à 1966, il est directeur de cabinet du Premier ministre Georges Pompidou. Après un bref passage à la tête du commissariat au Plan, il est nommé, en avril 1967, ministre de l’Équipement et du Logement. Il quitte ce ministère après mai 1968 pour celui de l’Éducation Nationale. De 1973 à 1977, il sera le premier Français à présider la Commission Européenne.


À l’étudier avec attention, ce court texte apparaît rétrospectivement détenteur d’informations éclairantes. D’abord ce paradoxe de décrire un nouveau service – le SETRA – en l’appuyant sur des services – les CETE – qui eux-mêmes n’existent pas encore.

JEAN-CLAUDE SEINE

Dans les faits, nonobstant l’incompressible temps administratif nécessaire à la passation des actes, la création des CETE et celle du SETRA procèdent du même dispositif et peuvent être considérées comme synchrones. Ce souci de cohérence apparaît clairement à la lecture de l’article 5 de l’arrêté instituant le SETRA : « Les échelons décentralisés du SCET, du SSA, du SERC, ainsi que les laboratoires régionaux seront rattachés à des CETE, fonctionnant comme services extérieurs, placés sous l’autorité du directeur du personnel. Ces CETE rempliront une mission générale de conseil technique et des fonctions de prestataires de service auprès des services régionaux, départementaux (DRE et DDE) et spécialisés de l’Équipement ; leur tutelle sera assurée par les différents services centraux intéressés, et en particulier par le STCAU, le SETRA et le LCPC ».

JEAN-CLAUDE SEINE

La création du SETRA est bien notre sujet, mais son ambition serait restée limitée si elle n’avait pas été conçue comme clef de voûte de la nouvelle structure du RST, avec les CETE comme piliers.

Mai 1968 a particulièrement agité le jeune ministère de l’Équipement, où les partis de gauche, et en particulier le parti communiste, restaient influents (l’Équipement, dans les gouvernements postérieurs d’union de la gauche fera partie des ministères que l’on « gardait » pour les communistes). Le mouvement révéla aussi une vive opposition entre le corps des Ponts et Chaussées – ressenti comme conservateur – et les cadres du domaine de l’Urbanisme et du Logement. On raconte que, dans l’exaltation du moment, une assemblée générale de ces derniers réclama la dissolution du corps des Ponts… (D’après Vincent Spenlehauer, « L’évaluation de politique, usages sociaux », L’Harmattan, 1995).

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On peut y voir la marque, pour l’époque, d’une volonté politique déterminée et d’un fonctionnement administratif qui ne doutait pas de sa continuité. Ensuite, par les précisions qu’il apporte sur les missions des CETE et leur nature administrative, il en apparaît comme le véritable texte fondateur. La mise en place effective des CETE aurait probablement dû s’effectuer dans la foulée. Elle attendra encore quelques mois. Car l’année 1968 s’annonce très agitée : au plan social (les grèves et troubles lycéens et estudiantins apparaissent dès janvier), au plan militaire (départ prématuré de la base de Mers el-Kébir, intervention au Tchad), au plan international (Printemps de Prague, assassinat de Martin Luther King), au plan économique (fin de la convertibilité du dollar en or). Ces quelques rappels montrent la diversité des problématiques pour lesquelles le gouvernement pouvait être sollicité, avant même que ne surviennent les événements de mai 1968. Le calme revenu au niveau national, le pouvoir qui vient d’être bousculé n’a de cesse de montrer qu’il a repris les commandes. Et puis, la campagne pour les législatives bat son plein, les annonces qui ont des effets sur l’organisation territoriale de l’État sont bienvenues.

Dans un premier temps, un seul CETE est créé, à Aix-en-Provence (l’arrêté est daté du même jour que la circulaire, le 10 juin 1968). Le CETE de Lille lui emboîte le pas, à l’autre extrémité du territoire national, le 18 décembre 1970. Puis, dans une même botte, sont créés les CETE de Bordeaux, Lyon et Rouen, le 9 mars 1971. Interviennent encore les créations des CETE de Nantes, le 30 août 1972 et de Pont-à-Mousson, le 19 juin 1973. Le huitième CETE, celui de l’Ile-de-France, n’existera sous cette forme administrative qu’à partir de 2008. Mais ses compétences préexistaient sous une autre forme au sein de la direction régionale de l’Équipement de l’Ile-de-France. Les arrêtés (voir page suivante celui créant le CETE de Pont à Mousson) précisent à chaque fois que les CETE fonctionnent comme des « services extérieurs » du ministère de l’Équipement et sont placés sous l’autorité du directeur de ce ministère responsable des services. Les arrêtés précisent également que les CETE se voient rattacher les laboratoires régionaux préexistants ainsi que les agences régionales du SETRA. Cette disposition n’est pas de détail, elle témoigne – en mettant de l’ordre jusque dans les structures infrarégionales – de la recherche d’une cohérence complète dans la nouvelle structuration du RST (voir diagramme page 24).

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À l’Équipement, dirigé cette fois par Robert Galley, la mise en place des CETE est immédiatement relancée, avec la publication de la « circulaire d’orientation » du 10 juin 1968. Celle-ci assigne quatre types de missions à ces nouveaux services extérieurs : • l’émission de conseils et avis, • la prestation de services, • la participation à la diffusion de la doctrine et de la recherche, • la participation à la formation professionnelle.

20 • L’État moderne comme berceau

Robert Galley (1921-2012). C’est un fidèle du général de Gaulle qui est nommé à la tête de l’Équipement le 31 mai 1968. Il n’occupera ce poste que de manière éphémère puisque dès le 12 juillet 1968, il retourne à sa spécialité première comme ministre chargé de la Recherche Scientifique et des Questions Atomiques et Spatiales auprès de Maurice Couve de Murville qui vient de succéder à Georges Pompidou comme Premier ministre.


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Arrêté du 19 juin 1973 portant création du CETE de Pont-à-Mousson. Cette ville avait été choisie pour sa position médiane entre Metz et Nancy. Finalement le CETE s’est installé à Metz.

L’État moderne comme berceau • 21


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L’affichage symétrique des deux arrêtés instituant le SETRA et le STCAU dans le journal officiel du 14 mars 1968 reflète la volonté de l’époque d’équilibrer jusque dans les détails la place réservée aux deux piliers du jeune ministère de l’Équipement : transports et travaux publics d’une part, urbanisme et aménagement d’autre part.

22 • L’État moderne comme berceau


Généalogie du SETRA

Le jardin paysager au 46, avenue Aristide-Briand, avec son kiosque à musique, en 2010. (Photo de l’auteur)


ASCENDANCE ET DESCENDANCE DU SETRA

Comme on vient de le voir, le SETRA est créé en date du 1er janvier 1968 dans la même dynamique qui vient de donner naissance aux DDE et s’apprête à constituer les CETE. Aux côtés du STCAU né le même jour, il vient compléter le pôle d’expertise de niveau central déjà constitué par l’ENPC et le LCPC. Mais, alors que ces deux établissements sont centrés sur la recherche, la vocation du SETRA est de faire progresser les techniques et méthodologies routières.

Ministre / CGPC Administration Centrale Expertise niveau central SETRA-STCAU LCPC-ENPC Expertise déconcentrée : CETE Services opérationnels : DDE / DRE La pyramide harmonieuse du réseau scientifique et technique au sein de « l’Équipement ».

Le SETRA service de référence On attend donc du SETRA qu’il se situe au cœur de l’innovation et fasse bénéficier la communauté routière nationale des avancées et expérimentations conduites en France et à l’international par les organismes homologues et par les organismes de recherche. Cette position d’avant-garde lui permet de disposer du recul nécessaire pour élaborer la doctrine routière, concevoir la réglementation. Elle le légitime également dans son rôle de tête de réseau.

Ascendants et descendants Le SETRA, même s’il est porteur d’un projet spécifique – celui d’envisager la construction routière sous un angle systémique

24 • Généalogie du SETRA

associant les problématiques « statiques » d’infrastructures (ouvrages d’art, chaussées, tracés) à celles, « dynamiques », de l’exploitation et de la circulation – n’est pas né de génération spontanée. Son état civil (l’arrêté du 1er décembre 1967) lui connaît trois ascendants, d’âges et de personnalités différents : • le Service Central d’Études Techniques (SCET), créé en 1918 et spécialisé dans les ouvrages d’art ; • le Service Spécial des Autoroutes (SSA), créé en 1948 et spécialisé dans les tracés, les ouvrages d’art types et la passation des marchés ; lui-même issu du Service d’Études de l’Autoroute du Nord de la France, créé en 1941 ; • le Service d’Études et de Recherches de la Circulation routière (SERC) créé en 1955, spécialisé dans l’étude de la circulation.


du MEDDE Comité d’Histoire

La première apparition du SETRA dans l’annuaire du ministère de l’Équipement, millésime 1969.

Généalogie du SETRA • 25 Le SETRA et l’histoire tourmentée des autoroutes


Sa généalogie ne tardera pas à s’enrichir. C’est en son sein que se développera le Centre Informatique de l’Administration Centrale (CIAC), créé par une décision du 4 août 1969 du ministre de l’Équipement et du Logement. Il donnera également naissance à trois services spécialisés : • le Centre d’Études sur les Transports Urbains (CETUR), qui deviendra ultérieurement le Centre d’Études sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les Constructions publiques (CERTU), • le Centre d’Études des Tunnels (CETU), • le Service de l’Exploitation et de la Sécurité Routière (SERES).

Comité d’Histoire du MEDDE

Dans ce qui suit, nous avons recomposé une carte d’identité pour chacun d’eux, espérant enrayer le processus bien entamé d’effacement de la mémoire des services les plus anciens.

Organigramme du SCET. Annuaire du ministère des Travaux Publics, millésime 1920. Les logos successifs du SETRA.

26 • Généalogie du SETRA


LE SCET SERVICE CENTRAL D’ÉTUDES TECHNIQUES

Le SCET a été créé au cours du mois suivant la fin de la Grande Guerre par l’arrêté du 18 décembre 1918 du ministre des Travaux Publics et des Transports Albert Claveille (1865-1921), un ancien agent secondaire des Ponts et Chaussées qui avait traversé toutes les strates de la hiérarchie.

Campagnes de prévention routière dans la presse de l’époque.

Il avait pour vocation première de « rédiger les projets et programmes de concours d’ouvrages d’arts importants et constituer un recueil des types d’ouvrages courants » (extrait de l’arrêté).

C’est la période du « réveil de l’automobile », qui succède à la suprématie du rail de la seconde moitié du XIXe siècle. Les vitesses augmentent elles aussi, amplifiant la gravité des accidents. La sécurité routière devient une préoccupation publique : d’une centaine de morts en 1903, on avait dépassé le nombre de 400 en 1914(1). (1) Source : Orselli.

Cartes Tarides

L’urgence était bien sûr à la reconstruction du pays. Mais il fallait aussi répondre à la croissance géométrique de la circulation routière : • 2 500 automobiles en 1899, • 25 000 en 1905, • 250 000 en 1920… • le nombre de 2 500 000 sera atteint à la veille de la seconde guerre mondiale.

En même temps, les cartes routières émettaient des recommandations alimentaires inadéquates, (« Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons. ») même si la vitesse moyenne des véhicules de l’époque se situait autour de 30 km/h…

Généalogie du SETRA • 27


Gaston Pigeaud (1864-1950)

En 50 ans d’existence, le SCET ne connut que 4 directeurs : Gaston Pigeaud, de 1918 à 1934, Louis Grelot, de 1934 à 1948, Jacques-Ramsay Robinson, de 1948 à 1961, Guy Grattesat, de 1961 à 1967. Le premier de ces directeurs fut Gaston Pigeaud, nommé simultanément directeur adjoint de l’École des Ponts, ce qui témoigne de l’imbrication très forte des deux services. Le dernier directeur, Guy Grattesat, a vu son mandat écourté par la création du SETRA au sein duquel il fut nommé « Conseiller technique ouvrages d’art » du directeur, Marcel Huet. Pigeaud fut aussi le concepteur des « ponts Pigeaud », ouvrages semi-permanents qui rendirent de grands services tant en 1918 qu’en 1944-1945 (voir encadré sur le pont du mail à Soissons, page suivante).

28 • Généalogie du SETRA

Une des dernières publications du SCET, avant qu’il ne soit intégré dans la division des Ouvrages d’Art du SETRA.

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Ce dramatique bilan sera de l’ordre de 3 000 tués en 1930. Sous réserve de l’homogénéité des méthodes de comptages, il est intéressant de remarquer qu’il est du même ordre que celui enregistré en 2 013 !

Albert Claveille (1865-1921)


Photos DDE Aisne

L’histoire du pont du mail, à Soissons, est caractéristique de l’époque de création du SCET.

1. Construit par le service ordinaire en 1902, il est détruit en 1914 au cours des hostilités.

2. En 1920 un pont provisoire « Pigeaud » est installé pour rétablir la continuité d’itinéraire en même temps qu’est lancé un concours pour sa reconstruction, avec l’appui technique du SCET.

On retiendra aussi que Pigeaud fut sollicité par le gouvernement turc pour la conception en 1936 du pont Gazi, à Istanbul. Cela donne une idée du rayonnement du SCET que résume cette phrase relevée dans le PCM(1) 1950 : « Il n’est point un ouvrage construit ou projeté dans l’entre-deux-guerres auquel le SCET n’ait pas été amené à collaborer ». Cette position de prestige a peut-être eu comme contre effet de maintenir les agents du SCET dans une sorte de « tour d’ivoire » comme tendrait à le faire penser un extrait d’une note d’André Laure, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, promotion 1948, à qui fut confié dans les années cinquante, une étude sur l’évolution du ministère : « Le SCET était marqué par un certain esprit artisanal ; la méfiance de certains ingénieurs à l’égard du calcul électronique était significative ; les contacts avec les services locaux étaient peu confiants ; les ingénieurs du SCET ayant tendance à considérer les camarades des services ordinaires comme des amateurs incompétents et ceux-ci de voir les ingénieurs du SCET comme des sommités inaccessibles et insensibles aux contraintes de l’action journalière, notamment aux délais ». La documentation historique sur le fonctionnement non-technique du SCET reste maigre. Les rares sources proviennent de Jean Orselli et de la thèse de Sébastien Gardon (Université Lyon 2 – 2009) d’où est tiré cet extrait.

3. En 1940, le pont est à nouveau détruit. L’érection d’un nouvel édifice est lancée en 1950. La conception est effectuée avec le soutien du SCET qui lui applique de nouvelles techniques de construction (poutres et dalle en béton armé).

(1) PCM, bulletin de l’association des ingénieurs des Ponts et Chaussées et Mines. Il paraît à partir de 1905. Depuis le retrait des ingénieurs des Mines de l’association, en 1976, le sigle a pris la signification de « Ponts et Chaussées Magazine ».

Généalogie du SETRA • 29


LE SEANF SERVICE SPÉCIAL D’ÉTUDES DE L’AUTOROUTE DU NORD DE LA FRANCE

Au plan administratif, le SEANF (désigné aussi parfois SANF ou encore SSEANF) est le premier service à vocation exclusivement autoroutière à avoir été constitué en France. On peut fixer au 27 août 1941 la date de sa création, « arrachée » par le directeur des routes de l’époque Jacques Boulloche au secrétaire d’État aux Communications du gouvernement de Vichy, Berthelot(1). Au plan technique, des travaux autoroutiers avaient cependant déjà été exécutés avant-guerre par les Ponts et Chaussées, notamment ceux relatifs au tronçon Saint-Cloud– Orgeval, mais leur caractère limité et l’absence de volonté politique de généraliser la construction de ce type d’infrastructures firent qu’on ne jugea pas nécessaire d’en retirer la maîtrise d’œuvre aux services ordinaires.

Dans les toutes premières semaines de la Libération, ce dernier plaida pour la transformation du SEANF en structure de plus grande envergure compétente sur l’ensemble des projets nationaux dont le rapport Lévêque avait lancé la gestation. Les bases du Service Spécial des Autoroutes étaient posées.

30 • Généalogie du SETRA

Archives Nationales

Si son caractère précurseur peut avoir une forte valeur symbolique dans l’histoire autoroutière française, dans les faits, le SEANF fut une structure de taille réduite, réunissant tout juste une poignée de fonctionnaires au sein de la direction des routes sous la direction de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Teissier-du-Cros.

(1) Se reporter au sous-chapitre « La période de l’Occupation » pour le rappel du contexte particulier de cette époque.


Archives Nationales

« M. Boulloche. D’accord dans cette forme réduite. 27 août 1941 ». C’est par cette validation du secrétaire d’État aux Communications que le directeur des Routes a obtenu la création du premier service autoroutier français.

La présentation du SEANF dans l’annuaire du ministère des Travaux Publics, millésime 1948, le premier à reparaître après la guerre. Pierre Moch a succédé à Teissier-du-Cros.

Comité d’Histoire du MEDDE

Généalogie du SETRA • 31


LE SSA SERVICE SPÉCIAL DES AUTOROUTES

Le premier logo du SSA

Le SSA a donc été créé en 1948 sur les fondements du Service Spécial d’Études de l’Autoroute de la France.

Le service est au départ de taille réduite. Les nombreux projets auxquels la paix retrouvée donne naissance – même si dans la plupart des cas il ne s’agit en fait que d’études amont – font bondir la charge de travail et provoquent une rapide augmentation de l’effectif qui, d’une dizaine d’agents au départ atteint le chiffre de 60 en 1955. Les locaux du ministère, rue de l’Université, sont devenus trop étroits et le service part s’installer, au début de l’année 1958, au 38 de la rue Liancourt dans le XIVe arrondissement dans des locaux acquis et aménagés à cet effet par le ministère. Mais le répit immobilier sera de courte durée. Entre-temps est intervenue la loi de 1955 stimulant la construction autoroutière par le recours à la concession et autorisant les mises à péages. L’année d’avant, d’importants travaux avaient déjà été lancés pour l’autoroute de dégagement de Paris par le Sud, jusqu’à Corbeil (1). Ce projet avait en quelques années gagné un haut niveau de priorité du fait de l’accroissement à rythme accéléré du parc automobile parisien et de l’importance des congestions qui en résultaient.

32 • Généalogie du SETRA

Tant et si bien qu’au début de l’année 1964, l’effectif a une nouvelle fois doublé pour se situer autour de 120 agents. Mieux, le chef de service, Thiébault, prenant peut-être ses ambitions pour des réalités annoncées, alerte sa hiérarchie sur le besoin de procéder à un nouveau doublement de sa population laborieuse pour éviter que « ses ingénieurs, faute de trouver le personnel d’exécution indispensable se retrouvent paralysés ». Deux agences régionales, Mâcon et Aix-en-Provence (voir annuaire page 34), confortablement dotées en personnel, ont fait leur apparition en des points stratégiques de l’autoroute du Soleil (A6 et A7) en construction et viennent compléter le déploiement du SSA en province. Bizarrement, dans l’annuaire du ministère millésime 1964 (voir page 34) l’agence régionale Nord (Lille et Arras) n’est plus citée alors qu’elle n’a pas cessé d’exister. Au siège, rue Liancourt, le SSA est alors structuré en 3 divisions : • une division des marchés, dont on devine l’importance des responsabilités économiques ; • une division des tracés ; • une division des ouvrages d’art, la mieux dotée en personnel ; la généralisation des intersections dénivelées a en effet débouché sur la nécessité de produire « en série » des ouvrages standardisés. Les grands ouvrages continuent d’être conçus par le SCET. On peut percevoir qu’une double culture « ouvrages d’art » prend ainsi naissance qui ne manquera pas de donner lieu à quelques rivalités quand elles auront à cohabiter au sein du SETRA.


SETRA / André Déplacé

La construction autoroutière entraîna une demande de ponts types en grand nombre. Le SSA sut y répondre en s’appuyant efficacement sur l’informatique scientifique.

Un des succès du SSA est d’avoir su très tôt se doter de moyens informatiques parmi les plus puissants de l’époque et d’avoir réussi à développer des programmes de tracés ou de calculs d’ouvrages particulièrement performants. Mais au milieu des années soixante, les unités centrales tout comme les unités disques, les dérouleurs de bandes magnétiques, les périphériques de tracés et d’impression sont volumineux et requièrent de surcroît un efficace système de climatisation. Cette contrainte jointe à celle relative à la démographie du service conduit le SSA à reconsidérer son implantation immobilière. Les locaux de bureau adaptés à sa demande sont encore denrées rares. Néanmoins, une occasion intéressante finit par se présenter au sein de l’aéroport d’Orly, dans un bâtiment laissé libre par la compagnie aérienne TAI partie s’implanter au Bourget. Une convention d’occupation est passée avec Aéroports de Paris le 1er août 1964, portant sur un espace de 2 070 m², pour une durée de cinq années. Elle ne sera pas reconduite.

Mais cette affaire ne concernera plus le SSA dont l’existence va prendre fin le 31 décembre 1967. Le linéaire autoroutier français approche alors le chiffre rond de 1 000 km. La suite va s’écrire à Bagneux, au nom du SETRA.

(1) Jusqu’au début des années 1950, les projets ne portaient que sur des autoroutes de dégagement. Voir plus loin « Les balbutiements de l’après-guerre ».

Généalogie du SETRA • 33


34 • Généalogie du SETRA

Comité d’Histoire du MEDDE

Annuaire du ministère des Travaux Publics, millésime 1964.

Comité d’Histoire du MEDDE

Archives Nationales

Organigramme détaillé du SSA en 1964. Documents d’époque déposés aux Archives Nationales.


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André Thiébault Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, chef du Service Spécial des Autoroutes.

Généalogie du SETRA • 35


LE CIAC CENTRE INFORMATIQUE DE L’ADMINISTRATION CENTRALE

Créé en 1969, le Centre Informatique de l’Administration Centrale (CIAC) a bénéficié pour sa mise en place des moyens et du savoir-faire de la Division Informatique du SETRA.

Le SSA, alors installé à proximité des pistes d’Orly s’équipa d’un IBM 7094/2, considéré en 1963 comme le plus puissant ordinateur scientifique produit par la firme d’Armonk(2), ainsi que d’un ordinateur de capacité plus réduite, un IBM 1130.

Dès le milieu des années soixante, les ingénieurs et techniciens du SSA avaient perçu les bénéfices qu’ils allaient pouvoir retirer du calcul électronique, autant pour les tracés que pour les ouvrages d’art. Surtout, ils disposaient d’une sorte de privilège – que pouvaient envier de nombreux autres services pour qui l’investissement dans un ordinateur était une dépense prohibitive – celui de bénéficier des crédits du Fonds Spécial d’Investissement Routier (FSIR). Les anciens rapportent (1) qu’un panneau en bordure de la route menant aux locaux d’Orly faisait la publicité de cet équipement d’avant-garde et de ses conditions d’acquisition.

L’IBM 7094/2 avait une mémoire centrale de 128 Ko et une vitesse d’horloge de processeur de 0,6 MHz ; des performances dérisoires aujourd’hui. Après la création du SETRA, l’IBM 7094/2 fut remplacé par un IBM 360, plus « musclé » .

Photos SSA / SETRA

(1) Cité par Claire Gardet. (2) Ville du comté de Westchester dans l’État de New York où est situé le siège de l’entreprise IBM.

L’IBM 7094/2 dans les locaux du SSA à Orly.

36 • Généalogie du SETRA

Son petit frère, l’IBM 1130.

La salle machine du SETRA dans les années 1980.


Photos METL / MEDDE

Les moyens informatiques du SETRA et du CIAC en 1970 à Bagneux.

Généalogie du SETRA • 37


LE SERC SERVICE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES DE LA CIRCULATION ROUTIÈRE

SETRA

Créé en 1955, le SERC avait pour mission de répondre à l’acuité des problèmes que posait l’accroissement rapide de la circulation automobile et de la sécurité routière. Les locaux du SERC à Arcueil, rue du Général Malleret-Joinville.

Le nombre de véhicules particuliers, environ 1,5 million en 1950(1), venait de doubler en cinq ans, soit de connaître le taux de progression le plus élevé de l’après-guerre à nos jours. Le nombre de tués sur la route se contente d’une progression arithmétique : près de 5 000 en 1950, le seuil des 10 000 est atteint une décennie plus tard, en 1961. La décrue s’engage à partir de 1973, après un dramatique record de 18 000 victimes. Le SERC se consacre au recueil de données, aux études de circulation et d’accidentologie, en adaptant les techniques de « trafic engineering » nées aux États-Unis. Il est d’abord dirigé par Serge Goldberg, puis, à partir de 1964, par Michel Frybourg. Il compte alors une soixantaine d’agents. L’organisation administrative en matière de sécurité routière va faire preuve d’un dynamisme qui reflète les tiraillements dont cette jeune discipline sera durablement l’objet entre ingénieurs, sociologues et représentants du pouvoir judiciaire.

38 • Généalogie du SETRA

Dès 1961, l’Organisme National de Sécurité Routière (ONSER) est créé sous la forme d’une association de la Loi de 1901. Ses effectifs associent du personnel propre avec des agents de l’État mis à disposition par le SERC. C’est d’ailleurs le chef du SERC qui en assurera la direction jusqu’en 1964(2). En 1985, l’ONSER fusionnera avec l’Institut de Recherches sur les Transports (IRT) pour former l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS). En 1976, le SETRA sera amputé d’une partie de ses compétences en matière de sécurité routière avec la création du Service de l’Exploitation Routière et de la Sécurité (SERES, voir page 43). (1) Ce nombre ne peut être rapproché avec les données de la page 27 ; d’une part il ne s’agit ici que des véhicules particuliers, d’autre part le nombre des véhicules a baissé du fait de la guerre. (2) D’après Orselli.


Organigramme du SERC, 1964.

Généalogie du SETRA • 39


LE CETU CENTRE D’ÉTUDES DES TUNNELS

Le CETU n’est pas à proprement parler un « descendant » du SETRA, mais plutôt une pièce rapportée. Il a été créé au 1er janvier 1971 – éphémèrement sous le nom de Centre National d’Études des Tunnels(1) – à partir de la division des tunnels routiers de l’Organe Technique Régional de Lyon (OTRL), lui-même créé en 1962. En fait, on avait regroupé au sein de cette division les ingénieurs du Service Ordinaire des Ponts et Chaussées du Rhône qui avaient acquis une spécialité et une expérience avérées en matière de tunnels. Ce Service Ordinaire avait en effet été concerné par le tunnel sous la Croix-Rousse et le tunnel du Mont-Blanc en tant qu’ingénieur-conseil. La décision ministérielle du 31 décembre 1970 portant création du CETU définit ses missions comme suit : • l’élaboration de directives techniques ; • la réalisation ou coordination des études et recherches en matière de tunnels ; • la fourniture d’avis techniques au ministre sur tout projet ou problème de tunnels ; • le conseil technique auprès des services extérieurs et la réalisation d’études à leur demande. Le CETU, à sa création a été rattaché fonctionnellement au SETRA car ses missions en sont très proches dans le domaine des ouvrages d’art. C’est typiquement le cas en ce qui concerne la réa-

40 • Généalogie du SETRA

En haut : les locaux du CETU à Bron (69).

Ci-contre : le tunnel du Mont-Blanc, année 1970.

lisation des « tranchées couvertes » qui sont des ouvrages partiellement ou totalement enterrés, à la croisée des chemins entre les ponts, les murs et les tunnels. En revanche, le CETU se singularise par ses compétences dans le domaine des équipements propres aux galeries souterraines : ventilation, éclairage, signalisation, télétransmission, résistance au feu… Installé dès l’origine à Bron, au 109, Chemin SaintJean, il est aujourd’hui avenue François-Mitterrand. Son premier directeur fut l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées François Ramel. En 1982 le CETU prit son indépendance du SETRA pour devenir service technique à part entière, à vocation nationale. (1) L’homonymie avec l’acronyme du Centre National d’Études des Télécommunications fut considérée comme un inconvénient.


LE CETUR CENTRE D’ÉTUDES SUR LES TRANSPORTS URBAINS

L’arrêté du 27 février 1976 qui crée le CETUR est ambigu sur son positionnement hiérarchique. Certes, comme le SETRA, il relève directement de l’autorité du directeur des routes, mais son chef « rend compte périodiquement au comité de direction… en présence du directeur du SETRA ». Matériellement, les agents du CETUR se séparent de ceux du SETRA pour s’installer au 8 de l’avenue Aristide-Briand à Bagneux, sous l’autorité de Claude Gressier. Il faut attendre le décret du 9 février 1994 pour que le cordon ombilical soit définitivement rompu. Le CETUR, en fusionnant avec une partie du Service Technique de l’Urbanisme (STU) devient Centre d’Études sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les Constructions Publiques (CERTU) avec le rang de « Service technique à vocation nationale placé sous l’autorité du ministre chargé de l’Équipement ».

Son premier directeur est André Lauer (photo). Par contraste avec le SETRA – impliqué dans les programmes d’infrastructures de l’État central – le CERTU devient le « Service des territoires ». Cette caractéristique, à la fois urbaine et provinciale, déjà prégnante du temps du CETUR, avait amené dès 1992 le comité interministériel pour l’aménagement du territoire (CIAT) à proposer son inscription dans la liste des délocalisations (1). Deux ans plus tard, le CETUR, devenu CERTU, quitte la région capitale pour s’installer dans la capitale des Gaules, au 9 de la rue Juliette-Récamier. L’effectif ciblé est de 170 agents, mais moins de 10 % de Parisiens accompagneront leur service à Lyon. Pour pallier cette difficulté inhérente à tous les processus de délocalisation, le CERTU conservera une antenne à Bagneux pendant plusieurs années.

(1) Cette longue liste prévoyait également la délocalisation de deux autres organismes du ministère de l’Équipement : l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS) et Voies Navigables de France (VNF), respectivement à Lyon et Béthune.

Généalogie du SETRA • 41

Michel Guichard

L’importance prise par la division urbaine du SETRA, créée en 1971, conséquence de la reconnaissance des spécificités des territoires urbains et interurbains – on parlait alors de « rase campagne » – a débouché en 1975 sur la création du Centre d’Études sur les Transports Urbains, le CETUR.


Comité d’Histoire du MEDDE

Le CERTU dans l’annuaire du ministère de l’Équipement, millésime 1995.

42 • Généalogie du SETRA


LE SERES SERVICE DE L’EXPLOITATION ROUTIÈRE ET DE LA SÉCURITÉ

La création du Service de l’Exploitation et de la Sécurité Routière, en 1975, marque une volonté affirmée de structurer la lutte contre l’insécurité routière.

Le premier chef du SERES fut Jean Poulit, bientôt remplacé par Philippe Léger. Parallèlement, un ancien du SERC, Christian Gérondeau, devenait secrétaire général du Comité Interministériel de la Sécurité Routière.

À partir de cette époque, les dégâts humains causés par les accidents de la route cessent d’être considérés sociologiquement comme une contrepartie inévitable aux gains de mobilité, au confort de vie et au sentiment de liberté que confère la jouissance d’une automobile.

Si la sécurité était reconnue comme une priorité nationale, la question de la fluidité du trafic devenait également préoccupante.

La Direction des Routes et de la Circulation Routière est alors réorganisée pour faire plus de place aux missions de sécurité. L’ensemble de ses unités qui s’occupaient d’exploitation et de sécurité, ainsi que le CERC du SETRA sont regroupés au sein du SERES.

Le samedi 2 août 1975, 6 000 km de bouchons cumulés étaient enregistrés sur le territoire national. La RN 10 qui relie Paris à la frontière espagnole près de Bayonne était saturée sur le quart de sa longueur. Cet épisode accélérera la mise en place l’année suivante d’un instrument de prévision et d’accompagnement spécifique comme « Bison Futé ». Ce « bébé » du SERES est resté très populaire. Mais qui se souvient du SERES ?

Ce service constituera la base de la Direction de la Sécurité et de la Circulation Routière (DSCR) qui sera créée en 1982.

Généalogie du SETRA • 43


Dessin de Thierry Dubois Photos METL / MEDDE

« Les Français aiment la bagnole » : cette phrase célèbre de Georges Pompidou s’appliquait d’abord à lui-même. L’automobile était pour lui un art de vivre, et traverser Paris par les voies qui portent aujourd’hui son nom, la quintessence de la poésie.

44 • Généalogie du SETRA

Encombrements sur la légendaire Nationale 7 (en haut à Tourves, dans le Var, vus pas le caricaturiste Thierry Dubois), puis sur l’autoroute du Sud. L’automobile cesse d’être synonyme de rêve et de liberté…


La lente conversion de la France aux autoroutes

La construction de l’Autoroute du Sud, à Gentilly. Remarquer la troisième porte à partir de la gauche… (Archives des Ponts et Chaussées)


NOTRE AVANT-GUERRE…

La lecture de ce qui précède pourrait donner l’impression que la création d’un service autoroutier spécialisé était l’accomplissement logique d’un processus qui allait de soi. L’autoroute pouvait en effet être perçue comme le « nouveau chemin de fer » et devoir s’imposer avec la même évidence pour son efficacité, avec en plus cet enivrement de liberté que produisait la démocratisation de l’usage de l’automobile. La réalité historique fut toute autre. Dotée d’un réseau dense et ancien, la France du début du XXe siècle, jusqu’à l’entre-deuxguerres, ne se sentait pas concernée par la « révolution autoroutière ». Au début des années trente, l’influent Touring Club de France l’affirme : « L’autoroute n’intéresse pas le tourisme ». Le débat traverse toutefois la sphère politique et économique : les autoroutes sont-elles indispensables au développement ou bien inutiles et ruineuses compte tenu de « l’excellent réseau routier » disponible et de la situation financière du pays ? Les déclarations ministérielles, en dépit de l’instabilité gouvernementale, donnent invariablement la priorité à l’amélioration du réseau existant.

46 • La lente conversion de la France aux autoroutes

« Il faudra y arriver un jour, mais pour le moment, grâce à l’amélioration sans cesse poursuivie de notre réseau, ce serait du superflu que nos crédits ne nous permettent pas » [Gaston Gérard, sous-secrétaire d’État aux Travaux Publics et au Tourisme du 27 janvier 1931 au 20 février 1932 dans les deux premiers gouvernements Pierre Laval], et plus nettement encore : « Pas de routes de munificence, pas d’autoroutes : il faut améliorer d’abord ce qui existe : pour le reste, on verra plus tard » [Albert Bedouce, ministre des Travaux Publics dans le gouvernement de Léon Blum du 5 juin 1936 au 21 juin 1937(1)]. Ce sentiment que la construction autoroutière est un luxe que le pays ne peut pas s’offrir persistera au-delà du deuxième conflit mondial. En France, à la fin des années cinquante, l’emblématique apôtre d’une gestion rigoureuse, Antoine Pinay, bloqua tous les nouveaux projets allant jusqu’à exiger que les acquisitions foncières anticipées soient revendues(2). Observateurs avertis du fonctionnement de la république parlementaire de l’époque, les ingénieurs des Ponts et Chaussées savaient qu’ils pouvaient « jouer la montre » et l’ordre fut exécuté aussi lentement que possible pour ne jamais produire ses effets.

(1) Cité par Jean-Luc France-Barbou « La difficile genèse de l’autoroute du Sud », . (2) Cité par Claude Abraham « Les autoroutes concédées en France (1955-2010) », CELSE, 2011.


Documents SETRA

Mais donnons en acte au père du « nouveau franc » : dans un pays qui vibrait encore d’émotion suite à l’appel de l’Abbé Pierre, la construction de chaussées à voies séparées et carrefours dénivelés, n’était certainement pas la priorité.

Couverture d’un ouvrage sur l’histoire des autoroutes allemandes : « Le combat pour les autoroutes ». En 1935, l’expression utilisée « Der Kampf » (le combat) est alors caractéristique de la phraséologie d’outre-Rhin. On notera aussi la valeur symbolique de l’illustration choisie.

Si un pays doit être désigné comme patrie de la construction autoroutière – au même titre qu’on a pu le faire pour la construction ferroviaire avec le Royaume-Uni, secondé par la France – le meilleur candidat nous paraît être l’Allemagne. C’est dans ce pays, en 1909, qu’apparaît le concept autoroutier, avec la construction par la société AVUS(1) d’une chaussée à voies séparées et à péage, sur une longueur de 10 km, à l’ouest de Berlin.

Mais si la France se posait la question de la pertinence des autoroutes sur le strict plan de la mobilité routière, pour l’Allemagne, les enjeux ont deux autres natures : stratégique et sociale.

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D’autres pays lui emboîtent le pas : les États-Unis avec la mise en service dès 1914 d’une voie de type autoroutier à Long Island, et l’Italie qui construit en 1923 entre Milan et Varese (85 km) la première autoroute digne de ce nom.

Premières constructions mécanisées de chaussées autoroutières en béton en Allemagne au début des années 1930.

Septembre 1933 : Hitler, qui hait pourtant les exercices physiques et n’a pas de permis de conduire, donne un premier coup de pelle pour un nouveau projet d’autoroute.

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(1) Automobil-Verkehrs-und-Übungs-Straße.

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Au plan stratégique, d’abord, le pays qui n’a pas accepté sa défaite perçoit que les prochaines hostilités seront déterminées par les conditions de mobilité des armées. Et dès le milieu des années 1920, il soutient le très ambitieux projet HaFraBa (1), destiné à relier Hambourg à Bâle via Francfort-sur-le-Main, avec un prolongement possible jusqu’à Gênes. Les nazis qui prennent le pouvoir en 1933 comprennent tout le profit social qu’ils peuvent retirer d’un plan de construction autoroutière intensif, en sus de ses avantages stratégiques. Les projets existants sont nationalisés et un schéma directeur est établi sur l’ensemble du pays qui prévoit la réalisation de 7 000 km d’autoroutes. Au plus fort de leur intensité, entre 1936 et 1939, les travaux fourniront du travail à plus de 200 000 personnes, contribuant à une réduction du chômage bien perçue parmi les classes populaires. Pendant ce temps, l’Italie de Mussolini poursuit son propre programme national de création d’autoroutes de liaisons. Cette convergence « équipementière » entre les deux pays totalitaires, et les efforts gigantesques qu’elle mobilise, ne sera pas sans inquiéter le monde politique français ainsi que le montrent les débats de janvier 1937 à la Chambre : « L’Allemagne construit un réseau formidable d’autoroutes qui, il faut bien le craindre, n’est pas destiné à la seule satisfaction de son trafic en temps de

paix ». Mais la nécessité de l’imiter ne s’impose pas pour autant : « Le réseau français est suffisamment dense pour rendre superflue la création d’un réseau complet d’autoroutes(2) ». Au plan stratégique comme au plan social, les choix de notre pays diffèrent radicalement de ceux de ses voisins et futurs ennemis. Il fait d’abord le pari que le prochain conflit sera une réédition modernisée de la guerre de position et s’engage dans la construction de la ligne Maginot. Ensuite, il s’efforce autant de contenir le chômage par des grands travaux que par un partage du temps de travail avec les fameux accords de Matignon de juin 1936 sur les 40 heures et les congés payés. La guerre qui pointe à l’horizon ne va pas totalement mettre entre parenthèses la question de la construction autoroutière. Le programme allemand se poursuit à un rythme atténué (436 km en 1940, 90 km en 1941, 35 km en 1942 et 1943) pour atteindre 3 900 km à la fin 1943 (linéaire que la France n’atteindra qu’à la fin des années 1970).

(1) Acronyme formé des premières lettres des trois villes citées et utilisé comme dénomination de la société « Vereins zum Bau einer Straße für den Kraftwagen-Schnellverkehr von Hamburg über Frankfurt a.M. nach Basel ». (2) Revue Générale des Routes, février 1937, p. 30/32, cité par Jean-Luc France-Barbou.

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Au cours de l’été 1936, les Français sont des millions à partir pour la première fois en vacances. Leurs déplacements s’effectuent principalement en train, et en bicyclette. Seule une partie de la société dispose d’un véhicule, et le taux d’équipement automobile est 20 fois inférieur au taux actuel. Dans un tel contexte, la construction autoroutière est loin d’apparaître comme un priorité nationale.

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LA PÉRIODE DE L’OCCUPATION

Dans les « services ordinaires » L’histoire de l’administration et du fonctionnement des services publics français pendant la période d’occupation allemande est encore aujourd’hui l’objet de débats passionnels. La mise en cause de la responsabilité de la SNCF dans la déportation en est peut être l’épisode le plus récent (2007) et donne lieu actuellement à d’attentifs examens historiques et juridiques. On peut regretter que les publications demeurent rares. Nous ne voulons pas parler des ouvrages historiques généraux, qui ont été nombreux à analyser les fondements politiques, sociologiques et mêmes psychologiques des mouvements de Résistance et de collaboration, mais de ceux qui sont porteurs de témoignages concrets.

Paul Morenval

À ce titre, il convient de saluer le livre de Paul Morenval « Le service ordinaire des Ponts et Chaussées du Pas-de-Calais pendant la guerre de 1939-1945 » (Presses des Ponts). Il est l’œuvre d’un ingénieur des travaux publics de l’État dont les fonctions – entre 1947 et 1987 – ont permis de reconstituer de manière inédite, par l’observation directe et

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par la collecte de témoignages, le rôle et les conditions de travail des agents des Ponts et Chaussées au sein d’un département particulièrement éprouvé par la guerre. Morenval nous y dépeint l’ambivalence du fonctionnement d’un « service ordinaire » au sein duquel les moindres travaux de consolidation des infrastructures peuvent autant servir à soulager les difficultés des populations gravement éprouvées par les combats qu’à soutenir, voire amplifier, l’effort de guerre de l’occupant. Le zèle patriotique des agents est à géométrie variable. Mais pour un acte de résistance aux effets visibles, combien d’interventions dans l’ombre et aux effets différés ?

L’application des lois d’exception L’autorité administrative eut à appliquer les lois prises par le gouvernement de Vichy à partir de juillet 1940. Dans les archives du SETRA, nous avons retrouvé une note du directeur du SCET datée de mars 1941 prise en application de la loi du 17 juillet 1940 qui dispose que « nul ne peut être employé dans les administrations de l’État s’il ne possède pas la nationalité française, à titre originaire, comme étant né de père français ». Cette note a pour effet de provoquer le licenciement d’une réfugiée russe, recrutée l’année antérieure et qui, pourtant, « donnait toute satisfaction dans son travail ». (Archives SETRA)


Archives SETRA

Cette note provoque le licenciement d’une réfugiée russe, par application de la loi du 17 juillet 1940 restreignant l’accès aux emplois dans les administrations publiques.

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Archives Nationales, versement SETRA

Note du 26 janvier 1944 destinée aux services ordinaires de la « zone Sud », et dont la teneur n’a pas dû manquer d’interloquer les agents des Ponts et Chaussées destinataires. Le souci du responsable allemand de préciser que « Les frais seront à la charge des autorités allemandes » laisse songeur…

52 • La Le SETRA lente conversion et l’histoiredetourmentée la France des aux autoroutes autoroutes


Archives Nationales

6 septembre 1940

Plus anecdotiquement, l’extrait ci-dessus, d’une note signée par le directeur du SCET, montre l’emprise de la tutelle administrative de l’occupant. Les actes les plus banals doivent être rédigés dans les deux langues.

Les témoignages sur l’application des lois qui suivirent, notamment celle du 3 octobre 1940 excluant les juifs de la fonction publique de l’État, sont lacunaires. C’est une bonne raison de rappeler ici celui de l’ingénieur Pierre Moch, né en 1906, d’origine juive, qui fut un des pères de l’autoroute A6 : « Atteint par les lois raciales dictées par l’occupant, la solidarité professionnelle intervint pour moi : le corps même des Ponts et Chaussées m’étant interdit, je suis reclassé dans le Cadre latéral, où je réussis, sans dommages irrémédiables, à attendre la Libération. » Moch, qui modifia son patronyme en Mothe en 1954, dirigea le SSA de 1947 à 1958.

L’intempestif projet d’autoroute du Nord de la France C’est dans ce contexte particulièrement trouble, et ambivalent, qu’intervient la création en août 1941 d’un service sui generis pour diligenter les études d’une voie nouvelle entre Paris et Lille d’une part, et les « états du Nord de l’Europe » (on est tenté de décoder « nach Berlin ! ») d’autre part : le Service Spécial d’Études de l’Autoroute du Nord de la France (SEANF(1)). Alors que les hostilités n’en sont qu’à leur début, la double vocation du projet est clairement affichée. L’autoroute est conçue autour d’un tronc commun de Saint-Denis jusqu’à l’Ouest de Bapaume, puis avec deux branches, l’une vers Lille, l’autre vers Liège et au-delà. (1) Déjà évoqué page 30..

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Archives Nationales

Une des nombreuses notes que le responsable allemand chargé des routes (le Docteur-Ingénieur Kirsten, Landstrassenbevollmaechtiger) transmettait au directeur des routes qui avait pour devoir de les rediffuser aux ingénieurs en chef des services ordinaires.

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À partir de la Libération, la branche vers Liège cesse d’être systématiquement évoquée et les argumentaires se limitent à souligner l’importance économique nationale du projet : le Nord et le Pas-de-Calais sont des départements très importants au plan démographique et au plan économique avec entre autres les houillères et le débouché maritime. Du coup, le tracé qui ondulait initialement vers l’Est sera revu pour minimiser la distance ParisLille. Mais la question la plus prégnante n’est pas d’ordre technique. Elle est de savoir, alors que les services ordinaires ont fort à faire pour maintenir le réseau à un niveau de service minimal, par quoi fut motivée la volonté d’engager des travaux neufs, qui, même en temps de paix seraient considérés comme lourds et complexes ?

L’hypothèse Todt

Rappelons que l’OT était une impressionnante organisation de génie civil, au service du pouvoir nazi, fondée par l’ingénieur Fritz Todt dans les années trente alors qu’il occupait, en Allemagne, des fonctions équivalentes à celles de directeur des routes. Todt était de surcroît convaincu de l’importance économique et stratégique de la construction autoroutière. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons consulté les documents administratifs et techniques de la période au centre des Archives Nationales de Pierrefitte-sur-Seine(1).

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Tout porte à penser que c’est à l’initiative, ou sous la pression de l’occupant, qu’une telle initiative a été prise. Le SEANF aurait pu avoir vocation à être intégré dans l’organisation Todt (OT) et contribuer à soutenir, par le développement d’infrastructures routières stratégiques, l’effort de guerre allemand.

Mémoire transmis au Maréchal Pétain par MM. Lainé et Pigelet, en date du 2 septembre 1942. M. Lainé, qui était à titre principal « président de l’Union des Fabricants de Tapis de France » et à titre honorifique « président de l’Office International des Autoroutes », poursuivait avec obstination son projet de construction d’autoroute du Nord. Il bénéficiait en cela du renfort de l’ingénieur en chef « honoraire » Pigelet. Leurs initiatives semblaient déconnectées de celles de l’administration des Ponts et Chaussées.

(1) Le SETRA a eu le mérite de verser ses archives avec générosité dans les années 1970-80 .

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Un tragique destin familial

Famille Boulloche

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Timbre-poste de propagande en faveur de l’Organisation Todt émis en 1942.

L’article coté 19 770 633/1 contient en particulier un dossier de compilation des instructions allemandes à la direction des Routes en même temps que l’article coté 19 770 633/16 présente les éléments historiques du projet à partir de l’année 1942. Le dépouillement de ces deux articles lève toute ambiguïté : les Allemands ne se sont en rien intéressés au projet d’autoroute du Nord pendant l’occupation. Ce projet n’a jamais eu qu’une consistance franco-française, sans aucune connexion avec l’OT. Du reste, l’OT n’était en France qu’une entreprise de main-d’œuvre, la prudence allemande ne permettant à l’occupant que de compter sur lui-même pour les questions d’ingénierie ! Ce point est attesté par une note datée du 26 janvier 1944 du président de l’Association Professionnelle des Ingénieurs des Ponts et Chaussées, André Rumpler. Par cette note adressée à son ministre de tutelle, Rumpler conteste le fait que les ingénieurs des Ponts et Chaussées aient à intervenir dans la réquisition directe de 5 000 auxiliaires et cantonniers, destinés à être mis à la disposition de l’OT, et se substituent pour cela aux forces de police ou se conduisent en délateurs.

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Jacques Boulloche, né en 1888, ingénieur général des Ponts et Chaussées, directeur des routes de 1937 à 1944, est décédé en déportation le 19 février 1945 au camp de Buchenwald. Sa femme l’avait précédé dans la mort au camp de Ravensbruck. Leur fils aîné, Robert, n’a pas survécu aux mauvais traitements du camp d’Ellrich. Leur second fils, André, également ingénieur des Ponts et Chaussées, blessé lors de son arrestation en janvier 1944, est parvenu à surmonter les épreuves des camps d’Auschwitz, Buchenwald et Flosemburg. Il sera ministre de l’Éducation en 1958, maire de Montbéliard, député du Doubs. En 1978 il est victime d’un accident d’avion.

Avec le recul, on pèse le courage dont fit preuve – alors que le tournant de la guerre n’était pas encore joué – celui qui allait devenir le premier directeur des routes de la France Libre.

L’hypothèse « résistante » L’idée de créer une autoroute vers le Nord, à des fins purement économiques, était en gestation dès les années trente, promue principalement par un influent industriel du Nord de la France, M. Lucien Lainé. Mais cette initiative – presque comparable à celle des frères Péreire en matière ferroviaire, un siècle plus tôt – avait un caractère personnel et n’avait pas fait l’objet d’une prise en considération par l’administration des Ponts et Chaussées (voir encadré page 55). La guerre venue, on est frappé de constater l’intérêt que le directeur des routes de l’époque, Jacques Boulloche, porte tout à coup à ce projet. Ainsi, après qu’il est intervenu, comme on l’a vu,


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Photo de l’auteur

André Rumpler (1894-1976) succéda à Jacques Boulloche à la direction des Routes, jusqu’en 1960. Dans l’hommage qu’il dressa de lui après sa disparition, Roger Coquand – qui lui succéda à son tour dans cette fonction – rappela que « pendant l’occupation, il eut la difficile et périlleuse mission d’aller exposer à un ministre aveuglé par son parti pris l’opposition des ingénieurs des Ponts et Chaussées à des mesures qui révoltaient leur conscience. » (PCM janvier 1977).

Reconstruit dans l’immédiat après-guerre, le nouveau pont de Bezons fut baptisé « Pont Jacques Boulloche ».

pour la création du SEANF en 1941, il s’efforce de donner un contenu opérationnel à l’activité de ce service en 1943, en se concentrant sur le lancement de la procédure de déclaration d’utilité publique. Le directeur des routes aurait-il été un zélé exécutant du régime de Vichy ? Bien au contraire ! Quand on sait quel fut le destin tragique de Jacques Boulloche, de sa femme Hélène et de leur fils Robert, tous trois arrêtés par la Gestapo le 6 août 1944, on ne doute pas un instant de sa fidélité à l’idéal républicain. Dès lors, l’obstination avec laquelle il s’investissait dans le projet d’autoroute du Nord pouvait être vue comme un gage artificiel de coopération avec l’occupant permettant de l’affranchir des soupçons qu’on aurait pu porter sur son activité de l’ombre. Outre son rôle de leurre, cette posture avait les vertus, d’une part, d’occuper certains de nos ingénieurs à des ouvrages non direc-

tement utiles à l’effort de guerre allemand et, d’autre part, à entrevoir la reconstruction du pays sous des jours prometteurs. Sa grande expérience administrative et des projets routiers, et l’espoir qu’il pouvait avoir dans l’issue des hostilités, lui donnaient l’assurance que l’aboutissement du projet d’autoroute dépasserait le temps de guerre, et donc que c’était bien à la reconstruction qu’il travaillait déjà plutôt qu’à la consolidation de l’occupation. Cette approche nous semble correspondre à l’esprit de l’hommage que lui rendit André Rumpler peu après la Libération(1) : « Dans les discussions où se débattaient les intérêts dont il avait la charge, tous savaient la sincérité et la force de ses convictions et que ses actes étaient uniquement guidés par une haute conception du bien public. Pendant l’occupation, la fermeté et la dignité de son attitude imposa le respect aux fonctionnaires allemands avec lesquels il était contraint de négocier pour limiter leurs revendications. » (1) in le PCM, novembre 1945.

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LES BALBUTIEMENTS DE L’APRÈS-GUERRE

À la Libération, avec la création dès 1948 du Service Spécial des Autoroutes, on peut penser que la construction autoroutière va entrer dans une dynamique nouvelle. C’est aller vite en besogne.

L’ensemble devait être interconnecté par une rocade de grande ceinture « permettant sur une largeur de cent mètres de faire le tour de la capitale et de gagner à partir de la pleine campagne ses principaux accès ». (D’après Claude Dutour, DREIF, 2008)

L’heure est d’abord à la reconstruction des moyens de production, des logements et des infrastructures ferroviaires. Les cheminots sont sortis du conflit, auréolés d’une participation active à la Résistance, tandis que le mode autoroutier pâtit culturellement d’une prégnance germanique rébarbative.

Le réseau autoroutier dont il s’agit reste conçu, même après guerre, comme composé uniquement d’autoroutes de dégagements, restant en cela en rupture avec le réseau allemand fondé sur la réalisation d’axes nouveaux à longue distance. Sitôt la zone urbaine franchie, les autoroutes avaient pour vocation de rabattre la circulation sur le réseau traditionnel des routes nationales. Comme s’il paraissait inimaginable de s’en passer ou de concevoir autre chose dans le paysage national français !

Mais les principes qui ont inspiré le plan Prost (voir illustration page suivante), dans les années trente, se trouvent remis en avant par la reprise de l’activité économique et de la croissance de l’agglomération parisienne : « Le centre doit être décongestionné, l’habitat insalubre résorbé et l’expansion urbaine contenue dans un cercle de 35 km autour de Paris » (Albert Sarraut). Le projet d’aménagement routier issu du plan Prost prévoyait un ambitieux programme d’opérations routières avec la création de cinq grandes infrastructures autoroutières partant de Paris et permettant de desservir l’aéroport du Bourget en service et celui de Trappes en projet, de gagner toutes les plages de la Manche, de Bretagne et de l’Océan sans croisement dans la région parisienne, d’accéder rapidement aux grandes routes nationales sans traverser la banlieue.

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C’est seulement à partir des années 1950 que le prolongement des « barreaux » urbains sera politiquement envisagé (techniquement, les ingénieurs des Ponts et Chaussées y pensaient depuis longtemps !) pour l’établissement de liaisons interurbaines. La première d’entre elles connaît un début de réalisation avec la mise en service en 1954 de la liaison Lille-Carvin (19 km), première étape hors région parisienne du bouclage Paris-Lille. Le projet de dégagement par le Nord de Paris, est le premier à être réactivé à la Libération, probablement parce que bénéficiant des travaux du SEANF durant l’occupation, il est le plus avancé. Le rapport d’avant-projet est remis au ministre dès le 18 août 1945.


L’enquête d’utilité publique de 1947, restée sans suite, avait ellemême déjà été précédée d’une première enquête d’utilité publique, sur un tracé un peu différent, dès 1936. Une troisième enquête aura lieu au printemps 1957 et les travaux commenceront enfin début 1961 !

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L’enquête d’utilité publique s’effectue du 10 au 30 décembre 1947. Puis le projet est enterré pendant une dizaine d’années. Manque de moyens, autres priorités ? Le réseau des autoroutes de dégagement de la région parisienne prévu par le plan Prost à partir des années 1930.

L’ensemble des difficultés que va rencontrer le maître d’ouvrage de l’Autoroute du Sud, et surtout leur diversité de nature, pour la réalisation du tronçon en région parisienne, est illustratif de l’adversité que la construction autoroutière continuera à connaître au cours de la première décennie d’après-guerre.

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L’administration des Ponts et Chaussées concentre ses efforts sur la réouverture de l’autoroute de l’Ouest, la seule qui a connu un début de réalisation avant-guerre. Le tunnel de Saint-Cloud, qui a servi aux Allemands d’entrepôt pour leurs explosifs (notamment ceux qui devaient servir à la destruction de Paris) est remis en service et les études sont lancées pour le prolongement vers Mantes-la-Jolie. Mais en terme d’aménagement du territoire, les grands enjeux portent maintenant sur le dégagement sud de la capitale, point de départ de la liaison structurante Paris-Lyon.

Déclaration de l’enquête d’utilité publique de 1947.

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« La difficile genèse de l’Autoroute du Sud »

Photo de l’auteur

(D’après le titre de l’ouvrage de M. Jean-Luc France-Barbou, Presses des Ponts et avec son aimable contribution personnelle).

La jonction de l’autoroute du Sud avec le boulevard périphérique, porte d’Orléans. La troisième entrée de souterrain à partir de la gauche correspond au projet de « Pénétrante Denfert-Rochereau ». Dessous, le même endroit dans les années 1930.

Le SEANF, devenu le SSA, est chargé des études préparatoires du tronçon Paris-Corbeil. L’avant-projet sommaire reçoit l’avis favorable du Conseil Général des Ponts et Chaussées en novembre 1949 puis celui du Comité d’Aménagement de la Région Parisienne en 1951.

Bull. de la soc. d’histoire de Gentilly, Déc. 1987

Le projet, après avis du Conseil d’État fait finalement l’objet d’un décret du Président du Conseil daté du 19 décembre 1952. Pour le SSA, si les contraintes administratives sont enfin satisfaites, c’est le début d’un parcours d’embûches à la fois inattendues et la marque de l’irruption dans la vie politique et sociale de préoccupations nouvelles. Il faut dire que la mobilisation des emprises de l’autoroute du Sud, au sortir de la capitale, présentait des difficultés que ne connaissaient pas – ou ne connaîtraient pas – les autres autoroutes : à l’Ouest, la sortie s’opérait en tunnel puis en forêt de Saint-Germain ; au Nord la sortie réutilisait l’emprise de la RN1, de même à l’Est avec l’emprise de la RN4. Au Sud, il allait falloir trancher dans le vif ! Nous présentons dans ce qui suit de manière synthétique ce qui, avec l’apaisement qu’autorise le recul de l’analyse historique, constitue un florilège des difficultés rencontrées par le maître d’ouvrage. L’ordre adopté est géographique.

La pénétrante Denfert-Rochereau : schéma routier de Paris et de la petite couronne jusqu’au début des années 1960. Il prévoit que les principales autoroutes franchissent le périphérique et atteignent une rocade intérieure qui relie les gares regroupées en quatre pôles ferroviaires. 60 • La lente conversion de la France aux autoroutes


L’abandon de la pénétrante Denfert-Rochereau Le schéma directeur de la région parisienne, jusque dans les années 1960, prévoyait un ensemble de radiales autoroutières pénétrant la capitale jusqu’à une rocade intérieure. Celle-ci desservait les gares ferroviaires organisées en quatre pôles et était reliée aux aéroports du Bourget (puis Roissy) et Orly par une transversale Nord-Sud. Ce schéma, d’une grande cohérence intermodale eut de nombreuses déclinaisons, dans le prolongement du plan Prost et sous l’impulsion du président du Conseil municipal de Paris, Bernard Lafay. Il correspondait au paradigme pompidolien de « la ville qui doit s’adapter à la voiture ».

Les contraintes financières sont ensuite venues sonner le glas de cette option coûteuse et en fin de compte, seul le raccordement au boulevard périphérique fut retenu. Pour faire bonne figure, une « réserve » fut constituée au point de départ du souterrain envisagé, porte de Gentilly(1) au droit de la cité universitaire.

Archives ville d’Arcueil

Mais dès 1954, le Conseil municipal de Paris, à l’instigation notamment d’Edouard-Frédéric Dupont, s’oppose vigoureusement au projet du SSA de faire pénétrer l’autoroute du Sud jusqu’à la place Denfert-Rochereau, partiellement en tunnel sous le parc Montsouris et partiellement en viaduc le long de l’avenue René-Coty (alors avenue du parc Montsouris).

Archives municipales, Arcueil, cote 25W31.

(1) Voir illustrations de la page 45 et en haut de la page 60.

La lente conversion de la France aux autoroutes • 61


La traversée de la « banlieue rouge » L’emprise de l’autoroute du Sud n’a pas d’autre choix que de traverser des zones habitées relativement denses situées notamment sur les communes de Gentilly et Arcueil tenues par le parti communiste.

Archives ville d’Arcueil

Arcueil est alors considérée comme l’une des communes les plus pauvres de la région parisienne. L’habitat est constitué de « bicoques » ou de bâtisses insalubres. En pleine crise du logement, l’autoroute, gourmande en terrain, se pose comme une source supplémentaire de précarisation.

Panneau d’affichage public érigé par la municipalité d’Arcueil au début des années 1950. Archives municipales, Arcueil, cote 25W31.

L’intérêt national sera-t-il bafoué par la volonté de guerre du gouvernement ? Ouvrage d’intérêt militaire à réaliser d’urgence L’AUTOROUTE – SUD que l’on veut nous imposer • coûtera 15 à 16 milliards • démantèlera notre banlieue Avec son robuste bon sens, la population répond : « Consacrez vos crédits à la CONSTRUCTION de LOGEMENTS, D’ÉCOLES, de CRÈCHES, à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, aux ŒUVRES de PAIX »

62 • La lente conversion de la France aux autoroutes

De surcroît, dans un contexte mâtiné de « lutte des classes », elle suscite un rejet sociologique que le parti communiste parvient sans mal à alimenter. L’autoroute n’est-elle pas construite au bénéfice des « riches Parisiens » qui ont les moyens de s’offrir une automobile, alors que les « banlieusards » n’ont même pas accès à l’essentiel ?

Le procès de l’« autoroute de guerre » Actif sur le plan intérieur, le parti communiste – tout encore auréolé de sa réputation de « parti des fusiliers » – a également conscience de sa capacité à peser sur la scène internationale. Nous sommes alors en pleine guerre froide. Il lui est loisible de suspecter dans la construction autoroutière, à l’instar de ce qu’elle fut sous l’Allemagne nazie, des enjeux stratégiques. Et d’élaborer des slogans susceptibles de frapper les esprits : « L’autoroute, c’est la guerre ». À l’appui de sa démonstration, il peut évoquer le fait que la construction de l’autoroute du Sud est alors stimulée par sa branche la reliant à l’aéroport d’Orly, qui, à l’époque, était une importante base de l’OTAN.


Le franchissement de la forêt de Fontainebleau Avec l’entrée dans une décennie nouvelle – nous sommes à présent au début des années soixante – les problématiques changent de nature, mais les préventions demeurent très fortes vis-àvis de la construction autoroutière. L’opposition sociale et politique fait place aux levées de boucliers environnementalistes. L’autoroute du Sud a terminé sa traversée de la banlieue et entame son prolongement au-delà de Corbeil. Les défenseurs de la nature – en l’occurrence la forêt de Fontainebleau – se montrent tout aussi âpres que ne le furent les défenseurs des « petites gens » du côté d’Arcueil. Certains vont jusqu’à en appeler à l’arbitrage du chef de l’État. En vain. La cause est désormais entendue ; de Gaulle ne réagira pas. La conversion est effectuée. La France est entrée dans l’ère autoroutière.

Le décollage

Ce fut un grand succès populaire. Oubliées les polémiques et les vicissitudes de la construction. Déjà on ne pensait plus qu’à une chose : prolonger l’autoroute au-delà de Corbeil, le plus loin possible, Lyon d’abord, la mer ensuite. La route avait bien droit, elle aussi, à son PLM (1) !

Archives ville d’Arcueil

La date du 12 avril 1960 est un jalon important de la construction autoroutière. Elle est celle de l’inauguration du tronçon de l’autoroute du Sud entre Paris et Corbeil. Ce jour-là, non seulement on mettait en service un axe routier de nouvelle génération, mais surtout – du fait de sa situation dans une des zones les plus circulées de la région parisienne – on permettait à un nombre maximal d’automobilistes d’en tirer profit.

Article paru dans « Paris Jour », journal populaire considéré comme pro-gouvernemental, le 18 janvier 1962.

(1) PLM, célèbre ligne ferroviaire reliant les trois grandes villes Paris, Lyon et Marseille depuis le milieu du XIXe siècle.

La lente conversion de la France aux autoroutes • 63


L’Aurore, 14 avril 1960.

Ainsi, pour certains auteurs, l’année 1960 est considérée comme l’« An I » des autoroutes en France. La sensation qu’on était entré dans une ère nouvelle était vigoureusement soutenue par le Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou, qui ne tarda pas à affirmer, par une directive du 10 juillet 1963, que « l’axe Lille-Paris-Lyon-Marseille constituait une priorité absolue ».

Comparaison historique des linéaires autoroutiers allemand et français.

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Et c’est porteur de la légitimité populaire, par laquelle il est devenu Président de la république en 1969, qu’il put prononcer un discours resté fameux, à l’occasion de l’inauguration de l’axe Lille-Paris-Lyon-Marseille, le 29 octobre 1970 à Beaune : « L’autoroute est l’équivalent de ce qu’est dans l’organisme humain le système circulatoire ; elle apporte la vie et par conséquent, on n’imaginerait pas des artères qui auraient des goulots d’étranglement sous prétexte qu’à cet endroit-là il semble qu’on ait besoin d’un peu moins de sang. (...) L’autoroute doit être ininterrompue, c’est sa première et nécessaire caractéristique. »


Et le Président d’échafauder le rêve de voir la France se doter de liaisons transversales en sus du réseau étoilé construit à partir de Paris, en même temps que le continent se doterait des premiers réseaux trans-européens.

De la conversion à la concession L’autre date clef nous ramène un peu en arrière, mais son actualité se trouve réaffirmée par la fièvre constructrice qui s’emparait alors de l’État : comment allait-on financer les milliers de kilomètres d’autoroute annoncés ? La réponse tenait dans la loi du 18 avril 1955 « Portant statut des autoroutes », que l’on peut qualifier de « loi historique ». Elle comporte en effet deux composantes fondamentales en rupture avec l’usage traditionnel en matière routière : • « Le régime des autoroutes s’applique aux voies routières, sans croisements, accessibles seulement en certains points aménagés à cet effet et essentiellement réservées aux véhicules à propulsion mécanique ». L’article 1 de la loi introduit ainsi une limitation à la liberté d’aller et venir. Pour la première fois, des voies publiques ne sont plus accessibles à tous et en tout endroit. • « L’usage des autoroutes est en principe gratuit. Toutefois la déclaration d’utilité publique, dans des cas exceptionnels, peut décider que la construction et l’exploitation d’une autoroute seront concédées par l’État. (…) Dans ce cas, la convention de concession et le cahier des charges (…) peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages pour assurer l’intérêt et l’amortissement des capitaux investis par lui ainsi que l’entretien et éventuellement l’extension des autoroutes ». Cet article 4 est lourd de portée. L’introduction de la concession – procédé juridique très utilisé au XIXe siècle en France – n’est pas en soi innovante. Celle du péage sur des parties normales d’itinéraire (hors ouvrages de franchissement et hors octrois) l’est

Sous le régime de la loi de 1955, 5 sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (SEMCA) ont été créées(1) : • La société de l’autoroute Esterel-Côte d’Azur (ESCOTA, 1955) ; • la société de l’autoroute de la vallée du Rhône (SAVR, 1957, devenue SASF en 1973) ; • la société de l’Autoroute Paris-Normandie (SAPN, 1963) ; • la société de l’autoroute Paris-Lyon (SAPL, 1963, devenue SAPRR en 1975) ; • la société des autoroutes du Nord de la France (SANF, 1963, devenue SANEF). Ce système, dans lequel l’État assurait la maîtrise d’œuvre de la réalisation et la maintenance des ouvrages, a permis d’atteindre un rythme de construction maximal de l’ordre de 150 km/an et la France est ainsi passée en 15 ans (1955-1970) de 80 km à 1 125 km d’autoroutes(2). Ce rythme, s’il était sans égal dans notre histoire, était ressenti comme trop lent au plus haut niveau de l’État. Alors que les efforts de relèvement de l’Allemagne étaient souvent donnés en exemple, il ne permettait pas d’envisager un rattrapage du pays en matière autoroutière avant au moins un demi-siècle.

Le schéma directeur de 1960. Son ambition était de parvenir à une traversée en continu suivant un axe Nord-Sud. Source : Presses de l’ENPC et direction des Routes(1)

(1) Cité par Claude Abraham « Les autoroutes concédées en France (1955-2010) », CELSE,2011. (2) D’après Jean-François Poupinel, PDG COFIROUTE

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Une seconde réforme, dans les années 1969-1970, a permis de donner un véritable coup de fouet au programme autoroutier en permettant son ouverture au privé (loi du 4 décembre 1969 et décret 70-398 du 12 mai 1970) avec la création des quatre sociétés privées suivantes : • la Compagnie Financière et Industrielle des Autoroutes (COFIROUTE), • la Société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA), • la Société de l’Autoroute Paris Est-Lorraine (APEL) • la Société de l’Autoroute de la Côte Basque (ACOBA). Confrontées à des difficultés financières, les trois dernières de ces sociétés retombent dans le giron de l’État entre 1984 et 1986. Après les élections présidentielles de 1988, stimulé par la croissance de leurs recettes, l’État poursuit ses démarches de reprise de contrôle des SEMCA.

Le schéma directeur de 1992. Il prévoyait de porter le linéaire autoroutier à 12 120 km, permettant un maillage suffisamment fin du territoire. Source : Datar et ministère de l’Équipement, cité par Claude Abraham : « Les Autoroutes concédées en France ». 1955 - 2010

66 • La lente conversion de la France aux autoroutes

davantage. A fortiori quand ce péage rémunère non seulement un service rendu, mais aussi un service qui pourra être rendu dans le futur, avec la prise en compte programmée de « l’extension des autoroutes ». En quelques mots, le législateur avait créé le principe de l’« adossement ». Nonobstant, le péage avait été conçu comme « exceptionnel ». Le décret du 4 juillet 1960, qui élargit le champ des concessions autoroutières, n’a pris qu’un minimum de temps pour abroger cet hypocrite adjectif. À la fin des années 1980, la longueur du réseau autoroutier atteint 6 500 km, avec un rythme de construction qui a parfois dépassé les 300 km/an. Au début des années 2000, le principe de l’adossement est remis en cause, du fait qu’il induirait des distorsions de concurrence dans les nouveaux appels d’offres. Pour compenser les SEMCA qui sont privées de nouvelles sources de financement, l’État prolonge leurs durées de concession, en même temps qu’il leur retire sa garantie de reprise de passif. Cette « normalisation » atteint les confins de sa logique en 2005, avec la privatisation d’ASF, d’APRR et de la SANEF. Vente des « bijoux de famille » pour certains, grande opération en capital pour d’autres débouchant en théorie sur une importante opération de relance budgétaire. Quoi qu’il en soit, au milieu des années 2000, l’enjeu de la construction autoroutière était une affaire passée. Le linéaire dépassait les 10 000 km et le rattrapage avec l’Allemagne était acquis. Les principes de la gestion des sociétés autoroutières ne visaient plus à maximiser le rythme de construction, mais à maximiser la rentabilité d’un capital qui en un demi-siècle s’était banalisé. Cette lente conversion, même si elle n’avait rien de biblique, devait tout de même en passer par sa propre étape du « veau d’or » !


Le SETRA par ses Ĺ“uvres

Au SETRA en 2012. (Photo Alexandre Rossi)


LE SETRA PAR SES ŒUVRES

Le contexte de la création du SETRA étant à présent posé, nous souhaitons dans ce chapitre en présenter le fonctionnement au quotidien, aussi concrètement que possible. Il n’est en effet pas toujours simple de décrire la consistance de la production d’un organisme d’ingénierie, a fortiori quand il appartient au service public. Les entreprises d’ingénierie privée n’ont en général pas de problème de positionnement : elles se situent en aval d’un donneur d’ordre et leur mission est explicitement décrite par un contrat.

Un positionnement ambigu au sein de l’ingénierie publique Service d’un ministère, le SETRA est partie intégrante de la maîtrise d’ouvrage qu’il conseille au quotidien. En même temps, il se voit confier des missions de maîtrise d’œuvre, soit dans le prolongement de cette assistance au maître d’ouvrage, soit dans le cadre de projets spécifiques. Ce mode de fonctionnement est réaliste au sein d’une grande administration technique qui détient à la fois la capacité de décider et celle de faire, et quand ces capacités sont portées par des hommes formés à la même école. Il est typique d’un certain fonctionnement de l’État à la française, et on le cite parfois comme « modèle des Ponts et Chaussées ». Son efficacité a fait ses preuves. Toutefois, il conduit le maître d’œuvre à s’autosaisir des problèmes et imprévus qu’il peut rencontrer en cours de projet, au lieu de les remonter avec rigueur et discipline au maître d’ouvrage, comme l’aurait fait l’ingénieriste privé pour ne pas prendre le risque de fragiliser sa position contractuelle.

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Le maître d’ouvrage y trouve son compte, qui se voit déchargé de la supervision du projet. Les seules sollicitations dont il reste l’objet ne sont plus que de nature budgétaire. Mais alors, sa marge de négociation est des plus limitées… Cette ambiguïté s’est ressentie de manière nette dans le domaine des ouvrages d’arts. Ainsi à la fin des années 1980, les études du pont de Normandie ont été confiées au Centre Technique des Ouvrages d’Arts (CTOA) du SETRA pour être exécutées en régie, comme c’était l’usage jusqu’alors en matière de grands ouvrages routiers. La situation fut toute autre, quelques années après, pour la réalisation du viaduc de Millau. D’abord et de manière pragmatique, l’État n’avait plus les moyens de financer l’ouvrage en propre et devait recourir à l’investissement privé. Ensuite, sur le fond, la publication en 1985 de la loi MOP « relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée » avait considérablement atténué l’ambiguïté évoquée ci-dessus entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Notamment, sans exclure la possibilité pour l’État de conduire des activités de maîtrise d’œuvre, elle l’incitait à les distinguer nettement de son rôle de maître d’ouvrage. Ces deux éléments réunis ont débouché sur l’organisation d’un concours et l’externalisation de la maîtrise d’œuvre du viaduc. Dans les faits, pour la première fois de son existence le SETRA se trouvait mis à l’écart des études d’un grand ouvrage routier (voir le sous-chapitre consacré aux ouvrages d’arts).


Les publications du SETRA

1968

1970

1975

1979

1982

1986

1989

1994

1996

2000

2000

2002

Une clarification progressive des missions Les termes arides de l’arrêté fondateur du SETRA, pris le 1er décembre 1967 (voir page 22) ne donnaient qu’une description condensée de ses missions. Les directeurs qui se sont succédé ainsi que les différents acteurs de la communauté routière n’ont eu de cesse de les décliner ou de les interpréter, révélant une sensation d’inachèvement ou à tout le moins, de positionnement incertain. En ce qui concerne la nature juridique de l’établissement, certains auraient souhaité que le SETRA évolue vers un statut d’agence spécialisée et autonome – très probablement, un établissement public – ; d’autres au contraire tenaient à le conserver dans le strict giron de l’État, estimant qu’il devait rester le « bras armé » de la direction des Routes. Les relations avec la recherche était un autre domaine de débat. Certains la voyaient comme une activité normale du SETRA, d’autres considéraient qu’elle était de la compétence stricte des CETE et du LCPC (devenu IFSTTAR), le rôle du SETRA se limitant à faire passer ses résultats dans la technique courante en promouvant leur utilisation dans les projets et sur les chantiers. On trouve enfin, dans l’édition 2004 de l’annuaire du ministère, un texte de synthèse donnant une vision à la fois complète et

Le Setra par ses œuvres • 69


Le comité de direction du SETRA en 1995

SETRA personnel

De gauche à droite : Gérard Sauzet Albert Bourrel Yves Chargros Jean Pejoan Bernard Basset François Perret Gérard Gros Jean Léveque Jean Malbosc Christian Binet

Le comité de direction du SETRA en 2011

Photo de l’auteur

De gauche à droite : Philippe Redoulez Jean-Pascal Biard Béatrice Bonny Philippe Le-Guillou Xavier Delache Guy Rossignol Bernard Halphen Pascal Rossigny Christian Cremona

70 • Le Setra par ses œuvres


2006

2009

2010

concrète des activités du SETRA : « Le SETRA est un service technique central rattaché à la direction chargée des routes du ministère de l’Équipement [aujourd’hui Écologie]. Son champ de compétence recouvre l’ensemble du domaine routier (infrastructures, sécurité routière, exploitation environnement) et de l’intermodalité, à l’exception cependant du milieu urbain et des tunnels.

Sa mission fondamentale est de soutenir l’expertise routière française, expression consacrée de l’état de l’art, de la gérer et d’en être le garant. Cette expertise doit être prise en compte dans la définition des politiques routières, formulées au travers de documents réglementaires, méthodologiques, techniques, normatifs… Elle doit être soutenue par des outils performants (logiciels, guides d’application…) pour une mise en œuvre plus facile et efficace. Elle doit également être accompagnée par une importante action d’information, de diffusion des connaissances et des outils de formation des utilisateurs. Le SETRA n’assume pas seul l’ensemble de cette activité. Il y fait concourir d’abord le réseau scientifique et technique du ministère (RST), qu’il fédère en sa qualité de tête de réseau. Il y associe toutes les autres parties prenantes à la doctrine (maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre des sociétés d’autoroutes, des collectivités locales, professionnels privés, bureaux d’études…) : leur perception, leur expérience, leur contribution sont précieuses ; il est

2010

2010

2012

profitable en outre que cette doctrine soit unique et partagée par tous ses acteurs, pour des raisons d’économie d’échelle d’une part, mais aussi de qualité de service aux usagers d’autre part. Ainsi le SETRA est-il un pôle d’échanges et de synthèse de la communauté technique routière. Il étend progressivement son champ d’intervention et son domaine de compétences à la problématique des transports en intégrant la planification multimodale et les études intermodales ». Nous n’en doutons pas, ce texte a dû être l’objet d’une rédaction méticuleuse et collégiale, Jean-Claude Pauc étant directeur. Elle reflète par le recours à un langage dialectique, la complexité du positionnement du SETRA : • proximité des plus hauts niveaux de décision et présence sur le terrain ; • émetteur de doctrines et de normes, mais aussi concepteur d’outils de mise en œuvre ; • organisme de référence en matière routière, mais ouvert à l’inter – et multi – modalité ; • garant de l’état de l’art et de l’unicité de la doctrine et collecteur des contributions externes utiles à leur définition pluraliste.

Le Setra par ses œuvres • 71


LES CHAUSSÉES ET LES RENFORCEMENTS COORDONNÉS

Les premières alertes sur la désagrégation structurelle du réseau apparaissent au début de l’année 1945. Dans le prolongement du débarquement de Normandie, les Alliés avaient projeté un maximum de matériel très pondéreux (les blindages s’étaient épaissis…) pour submerger l’occupant dans ce qui allait s’appeler « La Bataille de France ». Au cours de l’hiver, les routes seront suppliciées par le matériel roulant de nos Libérateurs. Difficile de s’en plaindre ! Symétriquement, personne n’aurait osé, à l’issue de l’hiver 1940, protester auprès des utilisateurs de panzers pour les dégradations subies par le réseau.

Après la première guerre mondiale, la charge utile des camions est de l’ordre de 1 000 kg, comme le Citroën B15 sorti en 1926. Peu avant la seconde guerre mondiale, le poids total en charge atteint 3,5 tonnes.

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Le Berliet GLR 8, baptisé « Camion du siècle » est représentatif du fret routier d’après guerre. Il fut produit de 1949 à 1977 à 100 000 exemplaires. Son poids total en charge n’était que de 13,5 tonnes.

DR

Citroën

Fondation Berliet

Au vu de la qualité actuelle du réseau routier français, on a du mal à s’imaginer que les routes de la première moitié du XXe siècle n’étaient pas des routes au sens où on l’entend aujourd’hui, c’està-dire susceptibles d’être sollicitées par des niveaux de trafics élevés et de supporter des véhicules lourds. La structure des routes d’alors se résumait souvent à une couche d’assise recouverte d’un liant bitumineux, dans le but d’éviter la poussière. Dans le meilleur des cas, la couche de roulement était renforcée par du macadam(1), c’est-à-dire un revêtement de sol fait de pierres concassées, liées en les comprimant avec du sable et du goudron.

Le tonnage des camions modernes, depuis le décret du 06/12/2012 peut atteindre 44 tonnes.


Bibliothèque nationale de France

Machine à macadam. Début du XXe siècle.

Pourtant, soucieux de procéder à des remises en état urgentes nécessitées par « l’état critique du réseau », le ministre des Travaux Publics adresse au ministre des Finances un courrier le 30 mai 1945, pour pouvoir imputer le coût des travaux sur un compte spécial d’« Aide aux Forces Alliées ». Les hostilités terminées, le nouveau directeur des routes, André Rumpler, qui a pris la succession de Jacques Boulloche, peut entamer l’immense chantier de remise en état du réseau et de reconstruction des ouvrages d’art, dont 7 500 ont été détruits ou gravement détériorés.

(1) Du nom de son inventeur, l’ingénieur écossais John Loudon McAdam (1756-1836).

Archives Nationales

Il bénéficie pour cela des plans Marshall et Monnet. Mais de manière homéopathique, car les crédits qui s’y rapportent sont prioritairement affectés aux dépenses de relance économique (charbonnages, production d’électricité, logement…).

Courrier du ministre des Finances en réponse à celui du ministre des Travaux Publics daté du 30/05/1945. L’accord de principe qui est donné par ce courrier est assorti d’une condition, dans le dernier paragraphe, qui laisse interrogateur… « Il est bien entendu que seules devront être imputées au compte d’Aide aux Forces Alliées les dépenses extraordinaires dues à l’usage anormal des routes par les forces alliées à l’exclusion de toutes dépenses qui doivent normalement être mises à la charge du budget de votre département. » On remarque à cette occasion combien les relations avec le commandement américain semblaient délicates.

Le Setra par ses œuvres • 73


En France, le réseau a lâché.

La situation s’améliore sensiblement avec la création en 1952 du Fonds Spécial d’Investissement Routier (FSIR), qui bénéficie de l’abondement spécifique de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Mais le monde a changé. L’accroissement du taux d’équipement en automobiles, les exigences nouvelles en matière de mobilité des hommes et des biens conduisent à une remise en cause de la suprématie du transport ferré et à l’explosion du transport routier.

Le point de rupture est atteint au cours de l’hiver 1962-1963 Cet hiver est considéré comme le plus rude du XXe siècle si l’on s’en réfère aux écarts à la température moyenne de référence (écart négatif de 4,7 °C). S’il ne donna pas lieu à des records de froid, avec toutefois des températures inférieures à – 30 °C dans certaines régions, c’est la durée de la période de grand froid qui est exceptionnelle : de la fin novembre au début du mois de mars. La station météorologique du Bourget enregistra 44 jours de gel. Dans le Nord de la France, le sol gèle jusqu’à 60 cm de profondeur. Au cours du mois de février 1963, les trois quarts du réseau routier national sont sinistrés, certaines sections ressemblant plus à un champ labouré qu’à une route(1).

74 • Le Setra par ses œuvres

SSA / SETRA

SSA / SETRA

Météopassion

Hiver 1962-1963. En Angleterre, des véhicules sont bloqués par des hauteurs de neige exceptionnelles.

Fin de l’hiver 1963. Une situation de Moyen-Âge routier !

Le 3 mars 1963, près de 300 véhicules sont bloqués à La Rochepot, dans le Morvan, sur la RN6. Cette situation inédite de « naufragés » de la route crée un véritable électrochoc. Roger Coquand, qui a succédé en 1960 à André Rumpler à la direction des routes, prend la décision historique de saler les routes(2). Coquand a bien saisi l’ampleur des dégâts et en même temps, a compris tous les enseignements qu’il fallait porter au niveau gouvernemental. Avec le soutien du ministre des Travaux Publics, il obtient la mise sur pied d’une brigade de cinq inspecteurs des Finances(3), rattachée à la direction des routes, avec pour mission d’évaluer les moyens nécessaires à la remise en état du réseau routier. Six mois plus tard, les conclusions des inspecteurs sont sans appel : • le réseau est dans un état de sous-entretien chronique ; un doublement des crédits d’entretien serait nécessaire ; • la conception ancienne des chaussées principales n’est plus adaptée au trafic actuel ; des travaux structurels de renforcement doivent être engagés ; • les routes nationales secondaires sont dans un état de semiabandon ; étant essentiellement d’intérêt local, il est proposé de les déclasser et les transférer aux départements.


SSA / SETRA

SSA / SETRA

SSA / SETRA

Interventions d’urgence, avec les moyens du bord.

Devant l’ampleur des dégâts, un appel général à la prudence est lancé.

Une signalisation dont on a presque oublié l’existence.

La mise en œuvre de ces mesures, du fait des délais de gestation, est contemporaine de la création du SETRA. Le programme des « renforcements coordonnés » sera effectivement lancé en 1969, après un travail de fond dans lequel Jean Arhanchiague, chef de la division des chaussées du SETRA, tiendra un rôle éminent.

(1) D’après Jean Berthier, RGRA n° 881, décembre 2009 - janvier 2010. (2) et (3) Entretien de l’auteur avec Bernard Fauveau.

La RN 463 (devenue D663) dans le Doubs à la fin de l’hiver 1963.

ENPC / RGRA

Le SETRA saura mettre à profit toute cette période d’efforts intensifs, à la fois sur le plan technique et sur le plan budgétaire, pour forger la culture routière nationale, développer ses guides méthodologiques (voir illustrations pages 69 et 71) et enclencher une politique rationnelle d’entretien, prenant la forme moderne d’un « programme d’entretien préventif » tout à fait innovant pour l’époque.

SSA / SETRA

Ces « renforcements » vont s’étaler sur 15 ans, avec un pic d’activité en 1975, pour s’achever en 1984 avec un linéaire de 17 200 km de routes nationales définitivement protégées contre le gel et enfin ouvertes à des conditions d’exploitation conformes aux besoins de l’époque.

Roger Coquand (1906-2001), directeur des Routes de 1960 à 1967. Il fut ensuite vice-président du Conseil Général des Ponts et Chaussées.

Le Setra par ses œuvres • 75


DR

LES TRACÉS

Schéma d’une aire de service dans les années 1930 en Allemagne.

Les concepteurs et constructeurs de routes ont eu dès l’origine la préoccupation de leurs tracés, en long comme en travers, souhaitant à chaque fois maximiser l’utilité de la route et son intégration dans le paysage. Au temps de la traction animale, il convenait surtout d’éviter les rampes trop raides, quitte à supporter un allongement de la distance par d’interminables lacets. Avec la substitution des véhicules automobiles aux véhicules hippomobiles, les contraintes sur les tracés s’affirment, mais sans être ressenties comme essentielles. Ainsi, dans les années 1930, le projet d’autoroute du Nord promu par MM. Lainé et Pigelet, aussi visionnaire et aussi ambitieux soit-il, prévoit des raccordements avec des rayons de courbure trop courts pour une mise en circulation sûre. De la même façon, le profil en long des premières « Autobahnen » semble avoir été tracé davantage à l’équerre qu’au compas. Pourtant, elles étaient soi-disant conçues pour accepter des vitesses de 180 km/h.

76 • Le Setra par ses œuvres

Le travail de normalisation En France, la réflexion sur les tracés va véritablement se développer avec la mise en place du Groupe d’Études sur les Caractéristiques Techniques d’Aménagement des Routes (GECTAR). L’objectif de ce groupe d’experts routiers était de procéder à la révision des normes routières françaises, pour une prise en compte profonde et systématique : • de l’augmentation structurelle du trafic ; • de la sécurité de la circulation ; • de l’optimisation des crédits. Le GECTAR, dont les travaux furent présidés par l’ingénieur général Bideau, sous la responsabilité directe du ministre, fut l’occasion pour le SETRA de démontrer son rôle primordial en matière de normalisation, rôle qu’il a rempli avec constance jusqu’alors. Ses publications font aujourd’hui référence au niveau mondial.


DR

La première d’entre elles fut l’ICTARN (Instruction pour la Conception Technique et l’Aménagement des Routes Nationales), publiée au tout début des années 1970. Elle fut suivie de l’ARP (Aménagement des Routes Principales) ; de L’ICTAAL (Instruction sur les Conditions Techniques d’Aménagement des Autoroutes de Liaison) et de L’ICTAVRI (Instruction sur les Conditions Techniques d’Aménagement des Voies Rapides Interurbaines) qui complète l’ICTAVRU (Instruction sur les Conditions Techniques d’Aménagement des Voies Rapides Urbaines) dorénavant éditée par le CERTU.

Échangeur sur une autoroute allemande construite avant la deuxième guerre mondiale. Les tronçons rectilignes et circulaires sont directement raccordés.

La clothoïde : pour des tracés plus sûrs

Le problème qui se pose est celui du raccordement d’une courbe à une droite, ou de deux courbes de rayons différents. D’une manière générale, cette manœuvre – a priori élémentaire – comporte un lieu de discontinuité qui impose à un moment donné d’agir de manière plus marquée sur le volant du véhicule. L’effet ressenti par les passagers est peu agréable, mais la poussée centrifuge est également susceptible d’influer sur la tenue de route.

DR

La « spirale d’Euler » ou encore « spirale de Cornu », dorénavant plus connue dans le milieu des concepteurs routiers sous le nom voluptueux de « clothoïde », semble avoir été inventée pour la sécurité et le confort des conducteurs modernes.

Échangeur autoroutier moderne. Le recours à la clothoïde est systématique. On notera les différences fondamentales entre ce schéma géométrique et celui de la photo ci-dessus.

DR

En permettant un passage progressif entre deux courbures, la « magie » de la clothoïde est d’en rendre l’effet imperceptible. Le conducteur, au lieu d’avoir à redouter l’arrivée du point de discontinuité des courbures, se contente d’exercer une force pratiquement constante sur son volant pendant la traversée du virage. La systématisation de l’usage de la clothoïde dans les tracés a sans nul doute contribué à l’amélioration de la sécurité routière en rendant les infrastructures plus compréhensibles et compatibles avec un comportement naturel des conducteurs. L’équation de la Clothoïde est L. R = A² L = Longueur de l’arc, R = rayon de courbure, A = paramètre de la clothoïde Le Setra par ses œuvres • 77


LES OUVRAGES D’ART

L’activité relative aux ouvrages d’art a l’avantage d’une grande visibilité extérieure et donc d’engendrer une forte reconnaissance professionnelle. Les ingénieurs et techniciens qui s’y sont consacrés ont eu, dans presque tous les cas, une carrière passionnante, la nécessité de conforter leur niveau d’expertise l’ayant constamment emporté sur les contraintes de mobilité qu’imposait la direction du personnel. Au plan collectif, les services chargés des ouvrages d’art donnent ainsi l’impression d’un monde à part, convaincu de l’évidence de sa propre utilité sociale. Au plan individuel, le haut niveau d’expertise et la valorisation qui en découle est de nature à mettre à l’épreuve les egos. Après tout pourquoi les jeunes ingénieurs des Ponts et Chaussées s’interdiraient-ils de rêver d’un destin comparable à celui d’un Paul Séjourné, ou d’un Eugène qu’il soit Belgrand ou Freyssinet ? (Eiffel, dont la renommée s’est gravée dans la postérité donnait autant à rêver, mais il était spécialisé dans la construction métallique et était Centralien !). Le poids de cette affirmation technique dans les métiers du SETRA était tel, qu’à la création de ce service, ce ne furent pas une, mais deux divisions d’ouvrages d’art qui furent créées : les fameuses D/OAa et D/OAb dont nous trouvons une présentation résumée dans l’extrait de l’annuaire du ministère de l’Équipement et du Logement de 1971 (voir page 79).

78 • Le Setra par ses œuvres

La première de ces divisions héritait de la tradition du SCET, le service vers lequel on se tournait historiquement pour la réalisation des ouvrages d’exception. L’autre division avait des origines plus larges. Le SSA, du fait de la généralisation des croisements dénivelés sur les autoroutes, avait engendré des besoins nouveaux, en particulier celui des « ouvrages types ». Les relations entre les divisions A et B furent parfois difficiles. L’amalgame s’opère en 1978. La division résultante s’organise alors sur des bases fonctionnelles avec trois départements : ouvrages bétons, ouvrages métalliques et études. L’activité de la division est alors intense, à la fois au plan conceptuel et sur le terrain, le SETRA étant sollicité de toutes parts du fait de la multiplicité des projets. La coopération avec les entreprises, et les retours d’expériences débouchent sur des avancées techniques spectaculaires : • le développement de la précontrainte (exemple du pont de Choisy-le-Roi, renforcé par précontrainte longitudinale en 1985) ; • la construction par encorbellement, avec des voussoirs coulés sur place ou préfabriqués (exemple du viaduc de Genevilliers, 1976) ; • la technique du poussage (le viaduc de la Boivre, sur l’A10, achevé en 1976, est le premier construit en France suivant cette technique).


Cadres catalans

Comité d’Histoire du MEDDE Comité d’Histoire du MEDDE

Paul Séjourné (1851-1939), ingénieur des Ponts et Chaussées. Constructeur d’ouvrages en maçonnerie, il enseigna cette spécialité à l’École Nationale des Ponts et Chaussées.

Extraits de l’annuaire du ministère de l’Équipement et du Logement, millésime 1971.

Le Setra par ses œuvres • 79


Makina44

Christian Després

Le viaduc de Morez, achevé en 1912, est inscrit au registre des monuments historiques depuis 1984. C’est le plus imposant des ouvrages de la ligne ferroviaire d’altitude qui relie Andelot à la Cluse. Conçu par Paul Séjourné, il est remarquable par ses fameux élégissements.

Le pont de Cheviré, inauguré le 27 avril 1991, est constitué de travées en béton précontraint de 65 m de long sur 25 m de large avec une travée centrale de 240 m, dont 160 m en caisson métallique. Sa longueur totale est de 1653 m avec une largeur de tablier de 36 m. Tirant d’eau : 55 m.

En même temps, la construction métallique, dont le premier directeur du SETRA fut pourtant le héraut à Tancarville, recule. Elle trouve néanmoins un regain d’intérêt pour la conception des « ponts mixtes » définis comme des ouvrages associant de façon structurelle une dalle supérieure en béton et des poutres en acier(1).

Le pont de Normandie est inauguré le 20 janvier 1995. Ce pont à haubans a une portée de 856 m. Sa structure est en béton, sauf la partie centrale de 624 m en métal. Longueur totale : 2 141,25 m. Largeur du tablier : 23,6 m. Hauteur des pylônes : 214,77 m.

Les années 1980 et 1990 sont fastes en matière de grands ouvrages, avec la mise en chantier en France de ponts exceptionnels comme celui de l’Île de Ré, celui de Cheviré et celui de Normandie. Ce dernier, dont les études ont été entièrement réalisées au SETRA, était hautement symbolique pour ce service, car, 40 ans après Tancarville, il s’agissait de rééditer l’exploit, avec des ambitions supérieures puisque se situant plus en aval de la Seine.

DRIEA / Gauthier

Le défi fut largement relevé et après sa mise en service, le Pont de Normandie est venu prendre sa place parmi les fiertés nationales et contribuer au rayonnement du savoir-faire de notre pays. Cette époque représente peut-être l’apogée de la division des ouvrages d’art, devenue entre-temps le centre technique des ouvrages d’art (CTOA).

Le premier viaduc de Genevilliers, achevé en 1976, en béton précontraint avec des voussoirs coulés en place par encorbellements successifs, avait atteint la hauteur record de 49,50 m.

80 • Le Setra par ses œuvres

Fort de ce succès, le SETRA s’engage – entre 1991 et 1993 – dans les études d’un ouvrage de franchissement unique de la dépression de Millau. Cette infrastructure, dont la réalisation était différée de manière récurrente, était le maillon manquant de l’achèvement d’un nouvel axe autoroutier Nord-Sud.


SETRA / GÉRARD FORQUET

SETRA / CTOA

SETRA / CTOA

Le pont de l’Île de Ré est inauguré le 19 mai 1988. C’est le plus long pont de France à l’époque avec 2926,5 m et une largeur de tablier de 15,5 m. Il culmine à 42 m au-dessus de la mer avec 6 viaducs contigus et 29 travées.

Le viaduc de Millau est inauguré le 17 décembre 2004. Pont multi-haubané d’une portée principale de 342 m. Le tablier métallique est large de 32 m. Longueur totale : 2 460 m. Hauteur du plus haut pylône : 343 m.

Mais le ministre, contrairement à un usage qui semblait s’être imposé depuis des décennies, prend la décision d’externaliser les études et de lancer un concours. Cette rupture pouvait s’expliquer par l’importance exceptionnelle de l’ouvrage et la nécessité d’en confier le financement au secteur privé par le biais d’une concession. Elle eut pour conséquence de reléguer le SETRA dans un second rôle, voire d’infliger – au plan moral – à l’ingénierie publique, une véritable automutilation. L’ingénieur Michel Virlogeux, expert reconnu en matière d’ouvrages d’art, et qui s’était particulièrement impliqué dans le projet au sein du SETRA, en tira les conséquences et s’en fut ailleurs valoriser ses talents. Il parvint néanmoins à rester partie prenante des études du viaduc de Millau, puis se vit confier la conception du pont de Térénez par le conseil général du Finistère. Pour le CTOA, l’époque des projets était bel et bien révolue. Le temps était venu d’investir de nouveaux champs, comme ceux que le « Grenelle » allait placer, à partir de 2007, sous l’égide du Développement Durable. (1) Cf. « Ponts mixtes acier-béton, un guide pour des ouvrages innovants », Presses des Ponts, Bruno Chabrolin, Thierry Kretz, Jacques Laravoire.

Les cinq familles de solutions proposées lors de l’appel d’offres. Georges Gillet, Jean-Claude Mutel, « Viaduc de Millau – De l’idée d’un pont à sa mise en service ».

Le Setra par ses œuvres • 81


Dans sa première partie, cet ouvrage a traité du SETRA et des autoroutes avec recul. Nous proposons maintenant, comme par effet de zoom, de venir à la rencontre de ceux qui l’ont fait vivre. L’épisode particulier de la délocalisation à Sourdun, point d’orgue d’autres tentatives pour conduire le SETRA ailleurs, fait l’objet d’une narration particulière.

82 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre


Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre

À l’occasion des 20 ans du SETRA. (Photo SETRA personnel)

Le SETRA et l’histoire tourmentée des autoroutes • 83


LA VIE SOCIALE À BAGNEUX

Le dynamisme professionnel, alors stimulé par un fort sentiment d’utilité socio-économique, a tiré le meilleur profit de l’unité de lieu enfin acquise à la fin 1969 avec le rassemblement des différentes unités du SETRA sur le site de Bagneux. Une culture interne s’est naturellement développée, marquée à tous les étages de la hiérarchie par un sentiment d’appartenance prononcé à une même structure d’intérêt général. Les éléments de cohésion étaient à la fois sous-tendus par des relations humaines de qualité et le sentiment de prendre pleinement part aux grandes œuvres de l’époque. C’est ainsi que les agents et la direction du SETRA ont eu à cœur de célébrer le 10e anniversaire du service le 27 janvier 1978. L’habitude étant prise, le 20e et le 30e anniversaire donnèrent lieu à des agapes qui sont restées dans les mémoires. Nous avons souhaité en conserver le souvenir en reconstituant, dans ce qui suit, l’album de famille de chacune de ces trois décennies. En ce qui concerne la quatrième décennie – celle qui s’est achevée en 2008 – les incertitudes engendrées par l’annonce de la délocalisation ont eu un effet démobilisateur. Les festivités ont été remises à plus tard. En revanche, beaucoup ont ressenti nécessaire de solidifier la mémoire. Souhaitons que le présent ouvrage réponde à leurs attentes.

84 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre


Photo de famille dans le jardin du SETRA, à Bagneux. Décembre 2011. Photo : SETRA personnel.

Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre • 85


Photos SETRA personnel

ACTE I LES 10 ANS

86 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre


Photos SETRA personnel

Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre • 87


Photos SETRA personnel

ACTE II LES 20 ANS

88 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre


Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre • 89 Photos SETRA personnel - Album Yolande Daniel et Sylvie Gilet


François CEPAS, Gérard CROSSAY, Henri DURAND, Bernard SUARD

ACTE III LES 30 ANS

90 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre


Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre • 91 François CEPAS, Gérard CROSSAY, Henri DURAND, Bernard SUARD


Photos SETRA personnel

ACTE IV 2011…

92 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre


Photos SETRA personnel

Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre • 93


SETRA

SETRA

SETRA

SETRA

LES DIRECTEURS DU SETRA

Bernard Fauveau

François Perret

1968-1977

1977-1983

1983-1990

1990-2001

Auréolé du prestige acquis avec la construction du pont de Tancarville dans les années 1950, c’est lui qui porta le SETRA sur les fonts baptismaux. Il est décédé en 1996.

À la fois administrateur et expert reconnu, il imposa rapidement le SETRA comme service de référence au sein de la communauté routière. Il est décédé en 2013.

Il dirigea le SETRA après avoir été animateur de l’ambitieuse politique des « renforcements coordonnés » et contribua au développement de l’expertise dans le domaine des chaussées.

Ses qualités de « manager » ont instauré un solide esprit d’équipe. Il comprit tous les avantages que le service pouvait retirer, autant en matière de calculs d’ouvrages d’art que de tracés, des gains de puissance dans le domaine informatique.

SETRA

SETRA

Jean Berthier

SETRA

Marcel Huet

Jean-Claude Pauc

Philippe Redoulez

Eric Le Guern

2001-2008

2008-2011

2011-2014

La direction lui fut confiée alors que le SETRA était à maturité. Il s’impliqua notamment dans la valorisation de ses produits et influa sur le rayonnement de l’ensemble du service.

Homme des situations difficiles, doté d’une polyvalence de haut niveau, il eut à conduire la mutation du service. Changement de missions, prise en compte du « Grenelle Environnement », délocalisation à Sourdun…

Fin connaisseur du réseau scientifique et technique, il lui fut confié la délicate mission de fondre le SETRA dans le CEREMA, future figure de proue de l’ingénierie publique dans le domaine des transports et de l’aménagement.

94 • Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre

Au 1er janvier 2014, le SETRA a juridiquement cessé d’exister pour constituer une direction technique d’un nouvel établissement public, le Centre d’Études et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement, dont le directeur général est Bernard Larrouturou.


La délocalisation

L’immeuble « historique » du SETRA, 46 avenue Aristide-Briand à Bagneux, en bordure de l’ex-RN20, juin 1970. (Photo METL / MEDDE)


D’ABORD UNE AFFAIRE DE SOLDATS…

C’est au cours de l’été 2008 que le destin est venu frapper à la porte. Ça n’était pas la première fois, comme on va le voir, mais cette fois-ci, on sentait que c’était du sérieux. Désormais, tous les bruits un tant soit peu rythmés, qu’ils viennent de la RN20, des escaliers ou du jardin, raisonnaient dans les têtes comme les fameux « gongs » beethovéniens. Hasard des dates : ceux qui étaient venus s’installer, en 1969 – à l’époque des cheveux longs, minijupes et chemises à fleurs, au son du groupe hollandais (1) qui avait popularisé la fameuse « The 5th » en lui donnant un style rock progressif – retrouvaient tout à coup sa version classique ! La partition venait cette fois d’être écrite par le Premier ministre. Le chef du gouvernement, dans le cadre du Plan de Modernisation de la Défense publié en 2007, mettait en œuvre les mesures d’accompagnement territorial des redéploiements des unités et établissements militaires. Les mesures prises étaient considérables : entre 2009 et 2014, sur près de 120 sites, les unités allaient être fermées ou transférées, soit un mouvement de 47 000 hommes dont 32 000 emplois ne seraient pas renouvelés. Les levées de boucliers – l’expression est adaptée – furent massives et parfois virulentes chez les élus locaux, préoccupés par la déstabilisation économique de leurs territoires.

L’État qui avait anticipé ces réactions, s’est alors engagé à recréer, dans les territoires concernés par les restructurations de la défense, les conditions d’un développement économique durable en suscitant la création d’emplois et d’activités nouvelles. Plusieurs dispositifs ont ainsi été mis en place pour soutenir les projets des collectivités, favoriser l’implantation d’entreprises, valoriser l’immobilier, transférer des emplois publics vers les agglomérations mises à mal par le départ des militaires. C’est dans ce contexte qu’ont été élaborés les Contrats de Redynamisation de Sites de Défense (CRSD). Ils ciblaient les 24 sites touchés par « la disparition de plus de 200 emplois (moins si le caractère exceptionnel de la situation le justifie) et connaissant une situation de grande fragilité ». Dès 2009 et 2010, 9 sites devaient bénéficier de l’accompagnement d’un CRSD suscitant un effort budgétaire total de 51 millions d’euros. Liste des 9 sites et effectifs des unités concernées Bitche (Moselle)

1 138

Metz (Moselle)

1 071

Caen / Bretteville-sur-Odon / Mondeville (Calvados)

953

Provins/Sourdun (Seine-et-Marne)

895

Arras (Pas-de-Calais)

730

Joigny (Yonne)

404

Givet (Ardennes)

130

Briançon (Haute-Alpes)

120

Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence)

96 • La délocalisation

90


Archives Ville de Bagneux

Agents du SETRA en 1970, devant le 46 avenue Aristide-Briand à Bagneux, à l’occasion d’un mouvement social.

Si l’on rappelle que le SETRA comptait encore 350 agents en 2008, on peut considérer que les 5, voire 6, premiers noms des villes de la liste ont pu être envisagés comme des destinations de délocalisation. Bordeaux fut aussi brièvement évoqué, mais pour une raison qui nous échappe. La Moselle, département le plus affecté, reçut rapidement l’annonce de la création d’un pôle statistique à Metz et de l’affectaSourdun, marche de l’Île-de-France, à la rencontre des campagnes bourguignonnes et champenoises sera l’élue.

tion d’un régiment franco-allemand à Bitche. La piste de Bretteville-sur-Odon fut probablement la plus approfondie avant que la décision de délocaliser le SETRA ne s’arrête sur Sourdun. Les enjeux territoriaux étant tous plaidables avec la même conviction, les déterminants du choix de ce village, situé aux confins orientaux de l’Île-de-France ont dû faire appel à des critères de natures diverses. Il n’est même pas à exclure que certains aient pu avoir un caractère technique, comme la volonté de rapprocher ce service spécialiste des réseaux interurbains des territoires de rase campagne ! Que la symphonie Pastorale succède à celle du Destin était également bien dans l’ordre des opus beethovéniens ; mais l’harmonie de cette logique laissait de marbre les agents du SETRA, avant tout taraudés par la lancinante question : pourquoi le SETRA a-t-il été désigné comme étant le service le mieux placé pour contribuer aux compensations que l’État a souhaité donner aux territoires affectés par le redéploiement des armées ? (1) Les Ekseption, qui eurent quelque notoriété dans les années 1970 avec une orchestration modernisée de la “5e symphonie” de Beethoven.

La délocalisation • 97


PUIS, UNE AVENTURE AU CŒUR DES HOMMES

La mémoire des anciens agents cite des horizons variés, parfois chimériques : • Sophia Antipolis, la technopole méridionale dont la création est contemporaine de celle du SETRA ; • Le Vaudreuil ; • Lyon, qui finit d’ailleurs par accueillir le CERTU, un démembrement du SETRA ; • Valence ; • Marne-la-Vallée. Le projet de délocalisation au Vaudreuil, un gros village de 3 600 habitants, situé au bord de l’autoroute A13, à une quinzaine de kilomètres au sud de Rouen, est celui qui connut le niveau d’avancement le plus tangible, avant que l’on ne parle de Sourdun. C’était en 1977. Jean Berthier, le deuxième directeur du SETRA s’en souvient d’autant plus que le jour de sa prise de fonction, en janvier, le SETRA était paralysé par un puissant mouvement de grève. Il rappelle qu’à l’époque le personnel avait dans ses mains une arme redoutable, puisque toute la gestion du ministère (personnels, budget…) s’appuyait sur les ordinateurs installés au SETRA

98 • La délocalisation

et qu’aucun site de secours n’était en mesure de fonctionner. Il semble d’ailleurs que la volonté du gouvernement n’était pas de déplacer l’intégralité du SETRA, mais seulement d’en séparer les activités informatiques. Ce projet fut finalement abandonné mais des dispositions techniques et réglementaires furent prises pour atténuer la dépendance des administrations centrales vis-à-vis des informaticiens du SETRA.

Gérard Homann

Pour François Perret, un des directeurs qui a marqué le SETRA par son esprit imaginatif et volontariste, les projets de délocalisation ont été récurrents dans l’histoire de ce service. « Il ne se passait pas un an ou deux sans qu’on nous parle de nous mettre ailleurs ».

Projets de développement du Vaudreuil en 1977 Le territoire de la commune du Vaudreuil fut choisi pour accueillir l’une des neuf villes nouvelles initiées à partir de 1965 et créées par la loi du 10 juillet 1970. L’objectif était d’accueillir une population d’environ 100 000 habitants à l’horizon 2000 à proximité de Rouen. Les résultats ne furent pas à la hauteur des ambitions. Aujourd’hui, cet ensemble urbain, dénommé Val-de-Reuil, compte tout juste 13 500 habitants. La faute au SETRA ?


La délocalisation • 99

Photos Archives Ville de Bagneux

Avenue Aristide-Briand


Photos Archives Ville de Bagneux

Manifestation devant le 46 avenue Aristide-Briand. En plus de la sono, l’effet sur la circulation de la RN20 servait de caisse de résonance.

Assemblée générale au foyer de Jeunes travailleurs de Bagneux situé derrière le SETRA.

100 • La délocalisation


Projet Pargade

Le vrai départ à Sourdun

Le faux départ à Marne-la-Vallée Au milieu des années 2000, le ministère s’engagea dans un vaste projet, celui de constituer un pôle scientifique et technique à la Cité Descartes, à Marne-la-Vallée, sur des terrains dont il disposait derrière l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Les études pour la construction d’un bâtiment aux caractéristiques pleinement respectueuses du Développement Durable furent lancées, avec pour objectif de regrouper des organismes aux activités connexes comme le LCPC, l’INRETS (qui fusionnèrent en 2010 pour constituer l’IFSTTAR), le CSTB et le SETRA.

C’est au cours du mois d’octobre 2008 que la décision de transférer le SETRA à Sourdun fut finalement officialisée par un courrier du Premier ministre au ministre d’État exerçant la tutelle du SETRA. Les termes de la lettre fixaient le nombre d’agents transférés à 300 et l’échéance de leur installation à Sourdun au 31 décembre 2010 (voir page suivante). La brièveté des délais était inhabituelle pour une opération de ce genre, tenant compte de ses composantes multiples : sociale, technique, immobilière et foncière. L’expérience de la vague de délocalisations des années 1970 a révélé que celles-ci s’étaient effectuées sur des durées sensiblement plus longues, de l’ordre de 10 ans en moyenne (exemples du CNED, du CNDP, du CNASEA, de l’ENA). Dès lors, comme on s’en doute, les actions et réactions se multiplièrent de la part des syndicats et des élus locaux, largement relayées par la presse. Mais si les syndicats étaient unanimes, les élus locaux n’étaient pas au même diapason, leur appartenance territoriale primant sur leur appartenance politique.

La délocalisation • 101

Christian Després

Marne-la-Vallée. Le projet Pargade et les travaux de construction en 2011. Photo prise au sommet du nouveau bâtiment Bienvenue. À droite, le bâtiment de l’ENPC construit en 1996.


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Photos : SETRA personnel

Avec le soutien de quelques élus.

Photos SETRA personnel

Manifestation du 20 janvier 2009. Dans la plaine, de la vigueur, mais peu d’écho…

L’accueil par la maréchaussée.

Le mois de janvier 2009 signe un tournant dans le projet. Si les syndicats du SETRA ont un moment pu espérer qu’ils allaient pouvoir rééditer « l’exploit » de 1977 en instaurant un rapport de force en leur faveur, c’est le contraire qui se produisit. Pour marquer son engagement personnel dans le dispositif, le chef de l’État décida de se rendre en personne à Sourdun pour la signature du Contrat de Redynamisation du Site de Défense (CRSD). Cette visite présidentielle donnait aux organisations syndicales l’occasion de jouer un grand coup pour médiatiser leur

À l’entrée du site, enfin, mais après le départ du Président de la république.

cause. Une manifestation fut donc organisée le même jour au même endroit qui suscita un engouement exceptionnel auprès des agents. Mais ceux-ci furent contenus à bonne distance du site par les forces de l’ordre. La mobilisation, complétée par la présence de quelques élus locaux, se transforma en partie de campagne, dans la plaine où la protestation était devenue inaudible. Elle demeurera dans les mémoires de ceux qui en étaient, mais le sort était jeté. Privés des moyens de pressions opérationnels dont ils avaient su faire usage en 1977, les agents du SETRA avaient perdu la bataille.

La délocalisation • 103


Revue de presse relative à la délocalisation du SETRA, octobre 2008 104 • La délocalisation


La députée-maire de Bagneux, au-delà du préjudice pour sa commune, s’interroge sur la cohérence du projet de transfert à Sourdun avec celui de constituer un pôle scientifique et technique à Marne-la-Vallée.

La délocalisation • 105


SETRA personnel

SETRA personnel

SETRA personnel

En dépit du revers subit, sur les visages, la détermination l’emportait sur la déception.

Journée du 20 janvier 2009. Sur le site, les honneurs militaires étaient rendus au chef de l’État par le 2e Régiment de Hussards qui, lui, préparait sa délocalisation pour Haguenau.

Après cette fameuse journée du 20 janvier 2009, l’opposition à la délocalisation changea de terrain. Au sein du SETRA et du ministère, l’humour – ou la dérision ? – prit le relais. L’imagination des agents redoubla de créativité pour décorer l’espace intérieur ou pavoiser la façade (photo page 110). Les organisations syndicales s’efforcèrent aussi de remonter le débat au niveau national, en créant des convergences avec les autres ministères touchés par la vague de délocalisations et en rattachant – pour mieux la populariser – la problématique de la

106 • La délocalisation

délocalisation à des préoccupations dépassant le strict cadre du SETRA, comme celle de la bonne gestion des deniers publics. En même temps, la participation à des manifestations de masse, comme celles dont les grandes artères de la capitale se font périodiquement l’écho, avait un caractère réconfortant, après la rebuffade essuyée le 20 janvier au pied de Provins. Mais chacun devait en convenir, l’opposition à la délocalisation – aussi déterminée, combative, imaginative qu’elle sut être –, avait atteint ses limites.


Photos SETRA personnel

Provins, 20 janvier 2009

Manifestation du 29 mars 2009 à Paris. La délocalisation • 107


SETRA personnel

Les murs intérieurs du SETRA témoignaient de l’ébullition qui régnait dans les esprits en amont de la délocalisation.

108 • La délocalisation


De Bagneux à Sourdun

Vue aérienne de la partie Nord-Ouest du site de Sourdun, au bord de l’ex-RN19, 2012. (Photo SETRA)


Gérard Homann

Le Setra à Bagneux

LES LIEUX ONT DE L’IMPORTANCE Le choix d’un lieu, pour implanter un organisme d’importance, est a priori guidé par des éléments pragmatiques, comme la disponibilité du foncier et de l’immobilier, les budgets dont on dispose, l’accessibilité par les transports publics… En réalité, il est aussi conditionné par des données sous-jacentes, parfois mêmes inconscientes, liées au contexte ou à des influences de natures variées.

110 • De Bagneux à Sourdun


Archive des Ponts et Chaussées / Photo Robert Durandaud

Christian Després

Le paysage qui s’offrait aux agents du SETRA, face Est du bâtiment, celle qui donnait sur la RN20. Tout au loin, les yeux exercés distinguent l’autoroute A6.

Construction du viaduc d’Arcueil en 1959. Les élus rêvaient probablement qu’il s’insère aussi délicatement dans le paysage que l’aqueduc de la Vanne, construit un siècle plus tôt.

Bagneux… En 1967, le choix de Bagneux pour l’implantation du SETRA semble en parfaite cohérence avec les politiques de l’époque et les missions de ce service. Le département des Hauts-de-Seine vient tout juste d’être créé et l’État dont les services sont à l’étroit dans la ville capitale trouve opportun de délocaliser le SCET de la rue des Saints-Pères et le SSA de la rue Liancourt. L’immeuble d’accueil, haut de dix étages, est situé le long de la RN20. Les agents peuvent y prendre de la hauteur pour observer la dynamique de cette grande artère. Surtout, ils se sentent

proches de l’autoroute du Sud, que les plus anciens ont conçu. On a presque l’impression que sa sortie « Arcueil », une des rares du système autoroutier francilien à être aussi proche de Paris, a été construite pour eux ! Le franchissement d’Arcueil a d’ailleurs donné lieu à d’importants débats d’urbanismes. Les élus refusaient que l’on comble le talweg par d’importants merlons de terre, ce qui pour eux aurait donné l’effet d’une poterne et créé une rupture dans le tissu urbain. À l’inverse ils se sont battus pour la construction d’un viaduc aussi aéré que possible. Les anciens du SETRA s’en souviennent qui à Bagneux se sentaient proches de leurs exploits.

De Bagneux à Sourdun • 111


À droite : aspect des lieux jusqu’au début des années 1960.

Archives ville de Bagneux

Documents de permis de construire déposés par le docteur Serre en 1948 pour l’agrandissement de la clinique sise au 46, avenue Aristide-Briand.

Vie et mort du 46, avenue Aristide-Briand Certains agents du SETRA, parmi les plus anciens, revendiquaient d’être nés sur les lieux mêmes où ils ont effectué leur carrière, au 46 de l’avenue Aristide-Briand à Bagneux. Cela témoigne du haut degré de fusion qui exista dans le service entre les vies personnelles et professionnelles des agents et le « grand dérangement » que fut la délocalisation à Sourdun. À l’origine, le 46 avenue Aristide-Briand était une demeure bourgeoise de taille moyenne (environ 150 m² au sol, deux étages) comportant une petite maison de gardien à chacune des deux extrémités de la parcelle, en bordure de route. Son grand atout était son jardin paysager qui comportait une pièce d’eau, avec un petit pont dans sa partie centrale, resserrée, et une gloriette rehaussée. En 1948, dans le contexte du « baby-boom » le propriétaire des lieux, le docteur Serre, décide de transformer une partie de l’édifice en maternité et lui donne le nom de « Clinique

112 • De Bagneux à Sourdun

Madeleine-Marie ». En 1953, afin de laisser plus d’espace à la clinique et d’améliorer son confort de vie, il fait construire un pavillon moderne dans le jardin. À la même époque, des serres sont installées dans le fond du jardin. En 1957, le docteur Serre fait procéder à la surélévation d’une partie de la clinique. À partir de cette époque, sous la double pression foncière et démographique, plusieurs projets d’agrandissement de la clinique sont engagés, conjointement avec un projet de création de logement à l’extrémité ouest de la parcelle. Mais le ministère de la Santé refuse l’agrandissement de la clinique, arguant que le besoin n’est pas avéré. Après diverses vicissitudes, non seulement les projets d’agrandissement de la clinique sont abandonnés mais son exploitation est définitivement arrêtée le 31 mars 1964.


Archives ville de Bagneux

des deux côtés Est et Ouest, conserveront une vue sur le jardin. Il est ensuite prévu d’y aménager une cantine. En fin de compte, cette partie du rez-de-chaussée accueillera les moyens informatiques du SETRA et de l’administration centrale. La construction de l’immeuble est achevée en novembre 1968. Le ministère de l’Équipement en prend possession presque immédiatement et l’affecte au SETRA. Il est vrai que la direction du tout jeune SETRA lorgnait depuis des mois sur des locaux suffisamment spacieux pour réunir ses morceaux de services disséminés entre l’ENPC, la rue Liancourt et Orly. La première préoccupation du SETRA est de se mettre en mesure de rapatrier son centre de calcul d’Orly. Il doit pour cela installer une climatisation efficace, que les plans de l’immeuble de Bagneux n’avaient pas prévue. Cela impose la construction d’un édicule au sommet de l’immeuble et le renforcement de la structure de la terrasse. Le projet est mis en œuvre dès la fin de l’année 1968 et le permis de construire est accordé en juillet 1969. Le SETRA se sera ainsi installé progressivement au 46 avenue Aristide-Briand tout au long de l’année 1969. Publicité pour la commercialisation immobilière du 46 avenue Aristide Briand, avant l’installation du SETRA, vers 1965.

Entre-temps, les lieux ont été revendus à une SCI dite du « 46 avenue Aristide-Briand » ; leur valorisation est prise en charge par un promoteur, la société Rivaud, qui prévoit la construction d’un immeuble de dix étages de 600 m² chacun, dont les trois derniers seront réservés à des logements, et de trois niveaux de sous-sol. Le permis de construire est accordé le 11 janvier 1965. L’option des trois étages de logement est abandonnée et l’immeuble est totalement affecté à des bureaux. Il est prévu que le rezde-chaussée soit une salle d’exposition, dont les façades en verre,

Les adieux… Le site a été vendu à la commune de Bagneux par France Domaine en septembre 2011 pour une somme d’environ dix millions d’euros. Engagée dans une vaste opération d’urbanisme, la commune a jugé préférable de raser le bâtiment plutôt que de le réhabiliter. Les travaux de démolition ont été effectués au cours du quatrième trimestre 2012. Leur côté spectaculaire n’a pas manqué d’inspirer poètes et photographes, en particulier certains anciens du SETRA, l’esprit empreint de nostalgie. Nous devons à l’un d’eux, Gérard Homann, un reportage photographique complet, dont il nous a permis de publier des extraits.

De Bagneux à Sourdun • 113


Photos Gérard Homann

114 • De Bagneux à Sourdun


De Bagneux à Sourdun • 115 Photos Gérard Homann et C. Després


2e RH

Le village, avec au deuxième plan l’ex-quartier Maréchal de Tassigny destiné à accueillir le SETRA.

Sourdun, le village… Dans ce village situé à l’extrémité Est de l’Ile-de-France, en limite de l’Aube, un des quatre départements de la région ChampagneArdenne, le SETRA est venu poursuivre son parcours sous des auspices bien différents. Pas d’autoroute à l’horizon. La route qui le dessert n’est même plus « nationale », depuis que par l’effet de la loi de décentralisation de 2004, dans ce département de Seine-et-Marne, la RN19 a été transférée au Conseil Général, et rebaptisée RD 619. Demeuré « Service Technique Central », mais d’un ministère passé de l’Équipement à l’Écologie, le SETRA s’est installé dans un cadre dégagé, où la trame verte et bleue force le regard et imprègne l’esprit des experts chargés de la stabilisation de l’état de l’art dans le domaine des transports.

116 • De Bagneux à Sourdun

Le laboratoire d’éco-matériaux du CETE Île-de-France s’inscrit lui aussi dans le même engagement ministériel en faveur du Développement Durable. Tout comme la ferme solaire, créée par la SOVAFIM. À moins de 10 km de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, elle exprime le fait que la transition énergétique n’a rien d’une chimère. Enfin, et pour compléter au plan humain cet inventaire essentiellement technique, l’Internat d’Excellence se pose comme un instrument exceptionnel pour l’égalité des chances en même temps qu’une manifestation républicaine de la foi en la jeunesse. « Présent pour l’avenir » : les promesses du slogan du ministère de l’Écologie auraientelles trouvé leur terre promise ?


Christian Després

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La route traversant Sourdun en 1906, alors pompeusement appelée route de Paris à Bâle, par similitude avec la ligne ferroviaire établissant la même liaison (ligne « 4 »). Après l’ouverture de l’autoroute A5 au début des années 1980, la RN 19 cesse de jouer un rôle structurant en matière d’aménagement du territoire, ce qui justifia son transfert au département dans le cadre de la loi de décentralisation de 2004.

…et son histoire Au travers des âges, Sourdun a joué le rôle de village étape. Situé de part et d’autre d’un axe de communication qui eut son importance, la RD 619, une ex-route nationale à deux chiffres, il demeure une invitation au voyageur à s’offrir une première halte champêtre, échappant ainsi au tumulte de la capitale. Le monumental clocher de l’Église Saint-Martin, brusque saillie lapidaire dans un paysage de plaine dont la monotonie menace, force le regard. Le cas échéant, l’auberge éponyme rassure l’affamé. Au Moyen-Âge, marchands et pérégrins qui se rendaient aux foires de Provins, trouvaient à se loger en sécurité à l’abri des murs du « Vieux Château ». De cet édifice, il ne subsiste que des soubassements, enfouis dans un champ situé au Sud-Ouest du village. L’emplacement aurait été donné aux frères de Tourvoie en 1178 par un certain Guy de Revel, puis agrandi par le Comte de Champagne Henri II avant son départ pour la troisième

La même route, de nos jours.

croisade, en l’an 1189. Ces frères appartiennent à l’ordre érémitique de Grandmont, dont la particularité était d’être organisé par une règle relativement libérale. Au début du XIIIe siècle, les moines abandonnent le lieu qui va se transformer au fil des siècles en logis seigneurial à vocation agricole. Arrive le XVIe siècle, il devient propriété de la famille Montbron qui lui donne le nom qui a subsisté jusqu’à nos jours. Plus tardif, le presbytère-prieuré a été bâti en 1685. C’est une construction gracieuse, caractérisée par une décoration intérieure raffinée et des combles brisés dans un style propre à Mansart. Il est aujourd’hui le siège de la municipalité de Sourdun. L’Ormurion, situé au Nord-Est du village, est à la fois un manoir et une ferme. Mentionné dès la fin du XVIe siècle, il est mis à mal par la période révolutionnaire et l’occupation par les Cosaques. Le domaine est restauré au cours du XIXe siècle par de nouveaux acquéreurs. Il subit des détériorations et un pillage en 1940.

De Bagneux à Sourdun • 117


À la fois souhaitée pour le développement économique mais appréhendée pour la sécurité des habitants, la circulation automobile fut de tout temps une question clef pour Sourdun. Dès 1901, le maire prend un arrêté limitant la vitesse à 8 km par heure. Cet arrêté sera suivi, en 1907, de la délibération suivante : « Le Conseil, vu le grand nombre d’automobiles qui traversent le village et soulèvent une grande quantité de poussière, considérant que ces poussières sont nuisibles à la santé et gênent la circulation, demande que la route N° 19 soit goudronnée. »

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L’église Saint-Martin, fondée au XIIe siècle, a connu plusieurs phases d’extension aux siècles suivants.

Restitution cavalière du Vieux Château, vue du Nord-Est, 1993.

Perspective cavalière du Vieux Château de Sourdun en 1716.

118 • De Bagneux à Sourdun

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Documents Colette et Roger Frichet

Le presbytère-prieuré-mairie.

L’Ormurion, la demeure et la vieille tour.


Les mines de glaise Le sous-sol de Sourdun contient une argile de qualité qui a été exploitée jusqu’au milieu des années 1970. Pendant plus d’un siècle une partie de la population fut employée dans les mines de glaise. De cette époque il n’en reste plus que le nom d’un lieu-dit « Le-pet-en-l’air », qui rappelle le son caractéristique que produisaient les véhicules de remontée au débouché du puits.

« Dans l’air humide, les torses nus ruissellent de sueur. Les glaisiers abattent l’argile, la chargent sur les berlines, boisent les galeries dans le bruit assourdissant des marteaux pneumatiques, répercuté par les boyaux souterrains. » « Les accidents ne sont pas rares : déraillement d’un convoi […], asphyxie par échappement de méthane, coups de grisou, brusques affaissements des boisages. De temps à autre, une poche d’eau crève, déferlant en cataracte dans les galeries. » « De tous les mineurs de France, les glaisiers étaient les seuls à répondre aux tristes descriptions de Germinal. […] Depuis Zola, le travail dans les mines de charbon et de fer est heureusement devenu plus aisé. Mais dans les mines d’argile, le travail n’a guère changé. »

Dans une galerie secondaire de roulage du chantier de « La Travance ».

Alain Peyrefitte, maire de Provins de 1965 à 1997, quatre fois ministre du Général de Gaulle, écrivain et membre de l’Académie française. Mais c’est dans la modeste fonction de conseiller général du canton de Bray-sur-Seine, dès 1958, qu’il prit faits et causes pour les « glaisiers ».

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Dans son ouvrage « Le Mal Français » (1976) la plume de l’académicien s’octroie l’emphase militante d’un Zola :

inFolklore de Champagne n° 115

La condition sociale des glaisiers avait ému Alain Peyrefitte, à la fin des années cinquante. Le député-maire de Provins, devenu ministre du Général de Gaulle, n’eut de cesse de leur obtenir un statut analogue à celui des salariés des charbonnages de France, avec en particulier la retraite à 50 ans au lieu de 65.

De Bagneux à Sourdun • 119


Documents Colette et Roger Frichet

Extrait de la décision du ministre de la Guerre du 29 janvier 1897. Elle date l’installation de l’armée à Sourdun.

Sourdun, ville de garnison La ville voisine, Provins, fut longtemps une ville de garnison. Différents régiments de Dragons, troupes d’infanterie à cheval, s’y succèdent à compter du milieu du XVIIIe siècle, au quartier Delort. C’est le cas du 29e Dragon, arrivé à Provins en 1896. L’année suivante, le ministre de la Guerre décide l’acquisition de terrains à Sourdun pour y établir un « champ de manœuvres ».

La décision est finalement prise, au début des années 1960, de construire une caserne moderne sur le site de Sourdun.

120 • De Bagneux à Sourdun

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Les Dragons quittent Provins en 1939. Après la deuxième guerre mondiale, ils cèdent la place aux Hussards. Mais ceux-ci vont vite se trouver à l’étroit dans l’urbanisme ancien et contraint de Provins.

À Provins, le quartier Delort, au XIXe siècle, et aujourd’hui.


Sourdun à l’époque des Hussards

Défilé du 2e Régiment de Hussards, à Sourdun.


122 • Sourdun à l’époque des Hussards Archives diverses et 2e Régiment de Hussards

Yannick Naissant

Yannick Naissant

La vie au 2e RH entre 1967 et 2008.


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QUARTIER MARÉCHAL DE LATTRE DE TASSIGNY

Le « Quartier Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny » était une adresse bien connue, mentionnée sur les cartes et identifiable sur le terrain – la rive Sud de la RN19 – par la présence d’un blindé léger déclassé, posé là comme un totem. Aujourd’hui, le 2e RH s’est adapté au contexte de la guerre moderne. À son départ de Sourdun, il est intégré dans la Force Action Terrestre stationnée à Haguenau, spécialisée dans la recherche du renseignement. Il est une composante importante des opérations extérieures dans lesquelles la France est engagée ou a été récemment engagée (Liban, Kosovo, Côte-d’Ivoire, Afghanistan…). Néanmoins l’ex-quartier « Maréchal-de-Tassigny » reste marqué par une certaine tradition équestre et les usagers du site peuvent continuer à accéder au manège qui est resté en place.

Le 2e Régiment de Hussards Le régiment est formé sous Louis XV, en 1735, par le comte Esterhazy. Cette ancienneté lui permet de compter parmi les cinq régiments originels qui se désignent parfois encore aujourd’hui par le terme hongrois « Houzard ». Par tradition ces régiments portent le nom de leur fondateur ou de leur propriétaire le plus marquant. D’abord baptisé « Houzards Esterhazy », le 2e RH conserve depuis 1761 le patronyme de son « mestre de camp » le marquis AndréClaude de Chamborant de la Clavière qui s’était distingué par sa bravoure au cours de la guerre de Sept Ans (17561763).

Jacques Dufilho fut assidu au 2e RH. Après son décès en 2005, les militaires auraient donné son nom à l’amphithéâtre du site. DR

Avant que l’Internat d’Excellence, le SETRA et le CETE-IDF ne l’investissent à partir de 2009, le site de Sourdun était occupé par le 2e régiment de Hussards depuis 1967.

Sourdun à l’époque des Hussards • 123


Archives diverses et 2e Régiment de Hussards

Les blindés légers ont remplacé la cavalerie. Spécialisé désormais dans l’infiltration et le camouflage, le 2e Hussard se caractérise à la fois par la maîtrise des technologies de haut niveau et par la mobilité de ses patrouilles qui sont déployables sur court préavis. La devise du régiment « Noblesse oblige, Chamborant autant » figure encore sur l’écusson fixé sur le monument aux morts resté sur le site. Celle de la famille de Chamborant « Oncques ne faillis » est reprise dans les traditions du régiment. 124 • Sourdun à l’époque des Hussards


HISTOIRES PARALLÈLES

1716 Le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées est fondé l’année suivant la mort de Louis XIV, en 1716, par le Régent.

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Les Hussards et les agents du SETRA – du moins leurs ascendants – trouvent leurs origines à la même époque de l’histoire de France. Celle-ci, après le long règne guerrier de Louis XIV, est marquée par la volonté de développer la société en matière civile. Hussard d’Esterhazy en 1735

1735 Création du régiment des « Esterhazy Houzards ». 1747 L’École royale des Ponts et Chaussées est mise en place par Daniel-Charles Trudaine, intendant des Finances qui avait préalablement créé un bureau de dessinateurs chargés de réunir et de rapporter les plans des grandes routes. Son premier directeur fut Jean-Rodolphe Perronet (jusqu’en 1794). Le jeune roi Louis XV avait alors délégué la conduite des affaires du royaume au cardinal de Fleury qui poursuivait une politique de rigueur et de réformes. 1761 Le régiment des « Esterhazy Houzards » est rebaptisé « Chamborant Houzards ». 1775 L’école fondée par Trudaine prend son nom définitif d’École Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC). 1791 Le régiment des « Chamborant Houzards est renommé 2e Régiment de Hussards (2e RH). 1967 Le 2e RH s’installe à Sourdun. 1969 Le SETRA, créé le 1er janvier 1968, s’installe à Bagneux. 2011 Le SETRA quitte Bagneux pour Sourdun.

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2008 Le 2e RH quitte Sourdun pour Haguenau Élève de l’ENPC au milieu du XVIIIe siècle

Sourdun à l’époque des Hussards • 125



Une page qui se tourne

Le site de Sourdun avec à gauche les bâtiments du SETRA et du CETE Île-de-France, puis ceux de l’Internat d’Excellence. À droite, le reflet bleu des panneaux de la ferme solaire. (Photo J.-L. Delorme)


LE RETOUR À LA VIE CIVILE

Dans le prolongement immédiat de l’annonce de leur départ pour Haguenau, au cours de l’été 2008, les Hussards organisent leur déménagement.

Si le SETRA fut le premier organisme à être désigné pour prendre la succession des militaires, c’est l’Internat d’Excellence qui s’installa en premier sur le site. Pour cet établissement scolaire en création, les problèmes sociaux et techniques étaient limités et la première rentrée put s’effectuer – avec un nombre d’élèves restreint, fixé à 120 – dès septembre 2009.

2e Régiment de Hussards

Les militaires sont rompus aux importants déploiements de logistique, mais on imagine que le démontage et le conditionnement d’équipements de toutes natures, installés dans une vingtaine de bâtiments répartis sur un site de 50 hectares fut toutefois un exercice consistant. Jour de commémoration (photo non datée). On peut imaginer que l’adieu au site s’effectua dans une atmosphère comparable au printemps 2009.

2e Régiment de Hussards

Afin de laisser ses propres locaux disponibles pour y effectuer des travaux de réhabilitation, l’Internat d’Excellence s’installa d’abord dans les locaux du SETRA (bâtiments 11 et 12), jusqu’à l’été 2010. Cette période initiale fournit une occasion concrète de jeter les bases d’une coopération entre des organismes publics qui se seraient ignorés dans les situations habituelles. Vue générale du site. Au premier plan les ateliers d’entretien des véhicules, dont une bonne part de blindés légers. Au deuxième plan, les bâtiments d’instruction et de casernement. Au fond, le village de Sourdun.

128 • Une page qui se tourne


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Les travaux relatifs aux bâtiments dévolus au SETRA furent lancés à partir de novembre 2010. Ils portaient sur trois bâtiments administratifs : le premier est numéroté 10 pour l’accueil, les services sociaux et les moyens généraux, et les deux autres numérotés 11 et 12 pour les services administratifs et techniques, ainsi qu’un bâtiment de résidence, numéroté 45.

La zone administrative dévolue au SETRA, bâtiments 10, 11 et 12

ASCE

L’objectif des travaux n’était pas seulement la réhabilitation de locaux qui étaient dans un état relativement défraîchis, quarante cinq années après leur construction. Il visait aussi à une mise aux normes applicables aux bâtiments civils (sécurité incendie, accessibilité aux personnes à mobilité réduite). Les bâtiments devaient également être débarrassés de toute présence d’amiante. Action onéreuse, mais qui fut menée avec rigueur et efficacité.

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La zone résidentielle, avec le bâtiment 45 et ses 44 studios loués aux agents.

Septembre 2009. Le bâtiment de commandement est devenu une administration civile. L’écusson des Hussards a été remplacé par le logo de l’Éducation Nationale.

François Joris, chef de l’arrondissement de Provins de la DDT et Christian Després, responsable du projet de délocalisation, dans le rôle d’émissaires auprès des élèves de l’Internat d’Excellence.

Une page qui se tourne • 129


LA RÉHABILITATION DES LOCAUX

L’administration du SETRA, confrontée à une résistance endémique du personnel à la délocalisation se montre particulièrement préoccupée par le volet qualitatif des travaux. En cela, elle était aiguillonnée par les écrits syndicaux qui raillaient presque quotidiennement le fait de devoir s’installer dans une « caserne ». Ceux-ci misaient – plus par réflexe que par tactique ? – sur l’effet mobilisateur de la possible résurgence d’un sentiment antimilitariste historiquement présent au sein des corps techniques du ministère de l’Équipement. Cela donna lieu à des discussions serrées avec le maître d’ouvrage et l’architecte.

Le maître d’ouvrage pour cette opération concernant un service technique central était naturellement le ministère, représenté en cela par la Délégation à l’Action Foncière et Immobilière (DAFI). L’architecte, Jean Lescot, était déjà connu du SETRA pour avoir procédé à des travaux de réhabilitation de l’immeuble de Bagneux.

130 • Une page qui se tourne

Photos SETRA personnel

Le SETRA obtint notamment l’installation d’ascenseurs dans chacun des bâtiments 11 et 12, la réalisation d’une passerelle pour relier commodément ces deux bâtiments, ainsi que des aménagements intérieurs destinés à casser le sentiment d’austérité qui aurait pu se dégager des locaux.


Photos SETRA personnel

Une page qui se tourne • 131


LA FIBRE OPTIQUE

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Vue son importance pour les activités du SETRA, le ministère prit très tôt la décision de financer la création d’une liaison fibre optique entre le site et le village de Sourdun.

Chantier d’installation de la fibre optique, 2011.

Le problème des télécommunications a préoccupé de manière récurrente la municipalité de Sourdun. À la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle, elle ne ménagea pas ses interventions pour obtenir un meilleur service postal et être reliée au réseau téléphonique. Non sans succès. Sa mise en service, dès la fin de l’année 1909, fut une source de fierté pour la population, comme l’atteste un article paru dans Le Briard : « Tous ceux qui ont à cœur de voir notre commune marcher vers le progrès applaudiront (…). Sourdun n’aura jamais hélas ! ni gare de chemin de fer, ni tramway départemental. Il sera pourtant moins isolé avec le téléphone, grâce à nos édiles. (…) Cela, c’est de la bonne besogne républicaine. » L’inauguration de la poste eu lieu peu de temps après, le 23 novembre 1913 et donna lieu à d’importantes réjouissances populaires.

132 • Une page qui se tourne

À gauche : Téléphone Picard Lebas, millésime 1908. C’est un appareil de ce type qui dut être installé à Sourdun.

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Photos SETRA personnel

En haut : L’inauguration de la poste. La foule était au rendez-vous. La population du village, environ 700 habitants, entamait pourtant un léger mouvement de décrue qui ne s’inversa qu’après la seconde guerre mondiale.


Un nouveau départ

Déplacement d’agents du SETRA à l’occasion d’une visite de reconnaissance à Sourdun. Coïncidence symbolique, l’autocar est homonyme… (Photo SETRA personnel)


Photos SETRA personnel

134 • Un nouveau départ


DERNIERS JOURS À BAGNEUX

Au matin du 15 décembre 2011, le SETRA s’est arrêté de fonctionner à Bagneux, après 43 années de présence.

La documentation technique propre au service faisait l’objet d’un traitement séparé. Cela n’aurait pas eu de sens d’en limiter arbitrairement la quantité, chacun des services pouvant justifier d’une manière ou d’une autre ses propensions papivores. En revanche, le mot d’ordre général était à la réduction des volumes de papier ; cela concernait tout particulièrement la documentation « grise », qui semblait être une spécialité du SETRA : ces documents d’études inachevées, accumulés en prévision de…, ou encore hérités d’un collègue parti depuis de longs mois. Cet hygiénisme documentaire passait par l’adoption en amont d’une discipline rigoureuse pour séparer le rare bon grain de l’encombrante ivraie.

Quelle que soit leur qualification ou leur statut, les agents sont tous devenus, pour la durée de cette journée fatidique, des déménageurs. C’était à eux de décider ce qu’ils souhaitaient conserver des aménagements intimes de leur bureau, où certains pouvaient avoir passé plusieurs dizaines d’années. Au bureau de vente, tout doit disparaître…

Mais, quelle que fut l’énergie déployée, le cœur n’y était pas. Les cartons embarqués, les ordinateurs démontés par l’entreprise de déménagement, les bureaux restaient habités par de nombreux objets qu’on ne se résignait pas à voir disparaître. Souvenirs laissés par les prédécesseurs, trophées recueillis lors d’une mission lointaine, tasses à café, parapluies, sacs, livres d’intérêts divers, objets hétéroclites… il y eut de quoi ouvrir une brocante au 9e étage !

Photos SETRA personnel

Chaque agent avait seulement droit à 10 cartons de documentation personnelle.

Un nouveau départ • 135


Plus de 50 tonnes de papier ont ainsi été envoyées au recyclage.

Le juriste peine à se défaire de ses innombrables versions du code des marchés.

Le secrétariat général, de jour comme de nuit, assure la continuité du service.

Photo de famille pour l’équipe RH.

Des cartons par milliers… le SETRA en mille morceaux…

L’accueil du SETRA, la veille du lancement des opérations de déménagement

On emporte tout ce qu’on peut, et d’abord tout ce qui à Sourdun pourra rappeler Bagneux !

L’archivage, trop souvent négligé…

Photos SETRA personnel

L’appareil photo sur le bureau témoigne d’un besoin de mémoire largement partagé.

136 • Un nouveau départ


PREMIERS JOURS À SOURDUN

Le jour « J », que beaucoup ont cru ne voir jamais arriver, sera le premier jour de l’hiver 2011. Le tumulte provoqué par le transfert étant, avec le recul, apaisé, on pourrait ironiser sur ce débarquement du SETRA à Sourdun qui eut lieu… le jour le moins long de l’année ! Mais le comité d’accueil avait bien fait son travail : café ou limonade ? l’essentiel était de se rassurer. On pouvait admettre que les lieux changent, mais pas les gens, du moins pas en même temps !

Photos SETRA personnel

Des lieux encore bien vides, auxquels il va falloir donner vie.

Un faux air de vacances, mais le sourire ne fait pas défaut.

Une collation, pour marquer la bienvenue et consolider le moral. Un nouveau départ • 137


on

Pour ceux qui vont résider dans une des 24 studettes, le service des moyens généraux a prévu tout le nécessaire. À droite, les documentalistes se déploient.

Premier repas à la cantine de l’Internat d’Excellence, « entre nous », les élèves viennent de partir en vacances de Noël. En bas, on relance l’informatique.

À l’issue de ces moments rituels, collectifs et indispensables, chacun est invité à prendre possession de ses quartiers. Quelques jours plus tard, la cérémonie des vœux – il y a matière – clôt en point d’orgue le tohu-bohu de cette période de déménagement et ouvre une ère nouvelle de la vie du SETRA. Autres lieux, autres temps, autres perspectives. Une pensée commune, retrouver des vies professionnelles et personnelles harmonieuses, où l’utilité publique se conjugue avec les légitimes aspirations de chacun.

Photos SETRA personnel

La cérémonie des vœux de 2012.

138 • Un nouveau départ


Voisinages

Provins : la tour César et la collégiale Saint-Quiriace. (Photo PROVINS – JP. CHASSEAU).


Photos DR

Les Moulins Sassot.

NOGENTSUR-SEINE À 12 km du site du SETRA, cette ville d’environ 6 500 habitants, dont l’origine remonte au Moyen-Âge, est située en plaine, en écho à Provins retranchée sur ses hauteurs. C’est une ville ouverte qui tire parti des moyens de communication qui s’offrent à elle : la route, le rail et le fleuve. Dans les années 1980, la ville connaît un regain de notoriété avec la construction de la centrale nucléaire la plus proche de la capitale (105 km) parmi les 19 en fonction-

140 • Voisinages

L’église Saint-Laurent.

nement en France. Avec une capacité de 2 fois 1 300 MW, elle répond à environ 2,7 % des besoins énergétiques du pays et emploie près de 650 personnes. Ses impressionnantes tours de refroidissement, d’où se détachent des panaches de vapeur d’eau visibles au loin, ont une hauteur de 165 m. Le moulin de Nogent-sur-Seine remonte au XIe siècle. Modernisé au XIXe par la famille Sassot, il est racheté par le groupe Bouygues en 1989 et cesse son activité. Par la suite, le groupe Soufflet transformera l’immeuble en bureaux. Nogent-sur-Seine est également une ville d’art et de culture avec l’église Saint-Laurent, construite à partir du XVe siècle, dont l’architecture ne manque pas de surprendre les visiteurs. Elle abrite une riche collection

La centrale nucléaire.

d’œuvres d’art et de mobilier pour la plupart classés ou inscrits au titre des Monuments Historiques.

Gustave Flaubert

Camille Claudel

De par son père, Gustave Flaubert est originaire de la région de Nogent, où il aimait se rendre en villégiature. Il en a fait le cadre de son troisième roman : « L’Éducation Sentimentale », écrit en 1869. Camille Claudel a vécu à Nogent-sur-Seine et y a reçu ses premiers cours de sculpture d’Alfred Boucher. C’est son lieu de naissance artistique. En 2014, la municipalité de Nogent-surSeine ouvre un nouveau musée Camille Claudel autour de ce lieu de mémoire qu’est la maison Claudel.


Photos DR

Les quartiers Delort et Montereau accueillirent les régiments de Dragons et Hussards du XVIIIe au XXe siècle.

PROVINS Cette ville ne laisse pas indifférent. Son classement par l’UNESCO au Patrimoine Mondial de l’Humanité atteste de la richesse des legs d’une histoire qui remonte probablement au-delà du Ve siècle.

La Tour César, XIIe siècle.

Collégiale Saint-Quiriace.

L’économie de la ville est donc essentiellement fondée sur le tourisme, avec l’accueil chaque année d’environ 250 000 visiteurs. La ville tire aussi profit des activités autour de la rose, dont les boutures particulières auraient été ramenées des croisades par Thibaud de Champagne. Provins fut aussi une ville de garnison, accueillant une caserne de dragons aux quartiers Delort et Montereau, du XVIIIe siècle jusqu’en 1939.

Au début des années soixante, c’est le 2e régiment de Hussards qui s’y installe, avant qu’il ne déménage à Sourdun. La Collégiale dédicacée à Saint-Quiriace, ou Cyriaque de Jérusalem, du XIIe siècle, présente la particularité de ne jamais avoir été achevée, la réalisation de l’église dans les proportions données au départ étant trop coûteuses.

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Sa démographie, qui ne connaît qu’un lent développement aujourd’hui a été particulièrement dynamique au Moyen-Âge où l’on estime qu’elle put atteindre 80 000 habitants. La ville était alors un important carrefour et accueillait les plus importantes foires de Champagne.

Voisinages • 141


Internat d’Excellence

Internat d’Excellence

L’INTERNAT D’EXCELLENCE Le projet pédagogique de ces établissements particuliers traduit une volonté affirmée de renforcer l’égalité des chances en offrant des conditions de réussite favorables à des collégiens, des lycéens et des étudiants volontaires et motivés. Les élèves proviennent en priorité des zones urbaines sensibles. Leur recrutement prend également en compte la mixité sociale, la diversité des origines géographiques et réserve un nombre de places équivalent aux filles et aux garçons.

142 • Voisinages

Le port de l’uniforme, innovation dans le classicisme, est une spécificité de Sourdun.

Le projet pédagogique attribue une place importante à l’expression sportive et artistique

Après l’inauguration de l’internat en septembre 2009, la direction de l’établissement, soutenue en cela par une large majorité de parents pousse la logique égalitariste jusqu’à rétablir le port de l’uniforme. Les contraintes induites par cette discipline de l’apparence ont, semble-t-il, été admises par les élèves qui reconnaissent l’implication exceptionnelle dont ils bénéficient de la part du corps enseignant et de l’administration de leur établissement.

Internat d’Excellence

Inauguré à la rentrée de septembre 2009, l’Internat d’Excellence a été le premier de cette importance à être ouvert.

Un cadre végétal apaisant, propice à des activités saines et studieuses…

Les internats d’excellence qui se répartissent sur tout le territoire national visent, à terme, à être en mesure d’accueillir 20 000 élèves. En 2012, ils furent un peu plus de 500 à effectuer leur rentrée à Sourdun où le voisinage avec des services d’expertise comme le SETRA et le CETE-IDF(1) contribue à leur fournir un cadre structurant.

Clin d’œil de l’histoire : après avoir été marqué par la personnalité des Hussards Chamborant, l’ex-site Maréchal-de-Tassigny, rendu au civil, semble à présent inspirer une nouvelle génération de « Hussards noirs » chers à Péguy. (1) Services intégrés dans le CEREMA depuis le 1er janvier 2014.


Photos SOVAFIM

Internat d’Excellence

Déploiement des panneaux photovoltaïques de la ferme solaire de Sourdun.

LA FERME SOLAIRE

Tirant profit de l’espace disponible sur le site, la SOVAFIM (SOciété de VAlorisation Foncière et IMmobilière) qui a en gestion sa partie Est – l’ex-zone technique du temps des Hussard – a fait procéder à l’installation d’une « ferme solaire ». Constituée de 19 000 panneaux solaires polycristallins, rationnellement répartis sur les 12 hectares disponibles, sa puissance installée est de 4,5 MW. Elle est équivalente à celle d’une des plus grosses éoliennes actuelles. Mais, bien qu’étant à ce jour la plus importante installation photovoltaïque d’Île-deFrance, elle n’atteint que 1/600e de la puissance qui peut être déployée par les réacteurs de la centrale nucléaire de Nogent. C’est toutefois suffisant pour satisfaire les besoins d’un village de 2000 habitants (Sourdun en comptant 1600).

L’énergie produite n’est pas consommée sur place, ce qui poserait d’importants problèmes de régularité, mais injectée dans le réseau EDF. Elle est achetée par l’opérateur public – qui exerce un monopole de droit – au tarif *préférentiel qui s’est appliqué jusqu’en février 2012 à la production d’électricité d’origine solaire ou éolienne (32 cts / KW). Le chiffre d’affaires escompté a pu justifier les 13 millions d’euros investis par la SOVAFIM. L’environnement devrait aussi y trouver son compte puisqu’on estime que la ferme permettra une diminution des émissions de CO2 d’environ 1 400 tonnes par an.

Voisinages • 143


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LABORATOIRE ECOMATÉRIAUX

Ce laboratoire créé en 2010 est issu du Laboratoire Régional de l’Est Parisien (LREP) qui était installé à Vaux-le-Pénil, près de Melun. Transféré à Sourdun au cours de l’été 2012, il rassemble aujourd’hui une cinquantaine d’agents. Pôle de Compétitivité et d’Innovation (PCI) au sein de l’ex-CETE d’Île-de-France (1), il a notamment pour mission de tester les développements et recherches sur les nouveaux matériaux qu’effectuent les donneurs d’ordres qui s’engagent dans les domaines de la « ville durable » et des infrastructures. Il a également vocation, à terme, à mettre en place un volet sur la formation aux essais sur les matériaux.

Ses thèmes d’interventions dans le domaine des éco-matériaux portent à la fois sur la construction de bâtiments, les chaussées routières et les ouvrages d’art. Il participe également à des actions de recherche sur le béton armé et les matériaux cimentaires, l’évaluation environnementale, la gestion des déchets et la préservation des ressources naturelles. L’évolution du secteur de la construction, dopée par la demande BBC(2), engendre des besoins d’expertises croissants et de nature nouvelle. Ce qui confère au laboratoire éco-matériaux un rôle original, bien en phase avec les attentes actuelles en matière de Développement Durable. (1) Service intégré dans le CEREMA depuis le 1er janvier 2014. (2) Bâtiments Basse Consommation.

144 • Voisinages


Présent pour l’avenir

L’hôtel de Roquelaure, siège du ministère de l’Écologie – et de ceux qui l’ont précédé – depuis 1839. (Photo Christian Després)


Ci-contre : la protoroute, plus connue sous le nom de voie romaine, construite au premier siècle avant J.-C. César déjà avait compris que la mobilité était un enjeu stratégique. Restes du tronçon de la voie Langres – Metz, près du village de Faverolles en Haute-Marne.

Ce retour sur les cinq décennies au sein desquelles s’est inscrite l’histoire du SETRA nous a en fait conduits à revisiter l’ensemble du XXe siècle sous l’angle de la construction et de la mobilité routière. Ce siècle, qui a véritablement commencé à l’issue de la Grande guerre, restera celui des autoroutes, tout comme le XIXe siècle restera celui du chemin de fer. Et l’histoire du SETRA – service administrativement né en 1968 et administrativement disparu en 2014 avec la création du CEREMA – restera, elle, intimement liée à l’histoire des autoroutes. Nous nous sommes essayés à démontrer, en évoquant – et chaque fois que ce fut possible, en présentant ceux par qui elle s’est écrite et les contextes contrastés dans lesquels elle a pris place –, qu’elle était loin de se résumer à une succession d’épisodes, projets ou méthodes désincarnés. Globalement, c’est aussi une histoire politique. En créant le SETRA, le gouvernement de l’époque avait à cœur de combler l’important retard en matière routière que notre pays avait accumulé sur plusieurs décennies. L’esprit de la Libération faisait souffler un vent de réalisme heureusement complété par une forte brise d’optimisme.

146 • Présent pour l’avenir

Christian Després

Page de droite : ébauche abstraite de la route de « cinquième génération » : combinaison possible du transport guidé et du véhicule libre. Le foisonnement technologique permet de tout envisager.

Il fallait accepter que l’on se soit leurrés en affirmant de manière péremptoire, avant-guerre voire au-delà, que la France avait le « meilleur réseau du monde ». Il fallait aussi accepter de remettre en cause en profondeur la conception géopolitique du territoire national, civile et militaire. Dans les années 1930, alors que la France épuisait son budget dans les infrastructures pharaoniques de la ligne Maginot – qui pariaient sur une nouvelle guerre de position et fabriquaient le mythe d’un pays sanctuarisable – l’Allemagne mobilisait ses chômeurs pour construire un réseau routier moderne qui assurerait à une armée motorisée une formidable mobilité. Bien sûr, une telle approche stratégique n’est plus de mise. Mais même au plan civil, elle est représentative des erreurs d’analyse qui peuvent être faites en matière de prospective, aux conséquences graves ou durables. Il convient aussi de tenir un propos équilibré. Les archives du Conseil général des Ponts et Chaussées(1) retracent de vives controverses sur la question. Certaines études datant de plus d’un demi-siècle préfiguraient avec précision la situation actuelle.


DR

Cet exercice de remontée dans le temps est aussi riche d’enseignement pour le futur. À la Libération, au vu de la rapide modernisation dont bénéficiait le secteur aéronautique, certains responsables considéraient qu’il n’y avait pas lieu de miser sur la construction autoroutière car l’avenir du transport routier, en termes de vitesse, était le transport aérien. Ce type d’anecdote est de nature à guider nos réflexions sur l’avenir de la mobilité par voie terrestre. Une pensée déterministe comme celle qui hiérarchiserait la mobilité en fonction de l’efficacité de la motorisation : humaine, animale, à vapeur ferroviaire, thermique routière, à réaction aérienne… n’est pas à elle seule probante. D’autres perspectives comme la possibilité de mettre à profit les complémentarités du transport guidé et du transport automobile en tirant profit des nouvelles technologies de l’information et de la communication, sont pleines de promesses. Elles allieraient le facteur sécurité avec le facteur efficience du transport. Certains, comme l’IFSTTAR (2) imaginent de surcroît des échanges énergétiques entre les véhicules et l’infrastructure…

Ce n’est pas l’objet de cet ouvrage que d’en discuter. Nous voulions juste faire apparaître que, dans le prolongement de ce qui fut l’œuvre du SETRA, des champs immenses restent à conquérir. L’État, d’une manière plus générale, la « société » – en prenant en compte les préoccupations les plus larges des secteurs publics et privé –, aura à faire les choix politiques, budgétaires et économiques les plus appropriés. Nos dirigeants pourront se souvenir qu’à la fin des années 1960, alors que notre pays affrontait des défis colossaux d’équipement et de modernisation, l’appareil d’État parvint à mobiliser les ressources nécessaires avec la création d’organismes comme le SETRA. Puisse cet ouvrage servir de mode d’emploi s’il était nécessaire de le réinventer ! (1) Notamment le rapport sur les autoroutes composé par l’ingénieur général Lévêque, à partir des contributions de tous les ingénieurs en chefs en poste dans les départements, publié en 1943. (2) Projet de route de « Cinquième génération » de l’Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux (IFSTTAR).

Présent pour l’avenir • 147


Post-scriptum

Table des illustrations .......................................................................................150

Sources documentaires ....................................................................................155

In mĂŠmoriam ..................................................................................................157

Remerciements ................................................................................................159

Post-scriptum • 149


Table des illustrations

150 • Post-scriptum

Page

Description

Couverture

Chantier de la déviation de la RN 20 vers Étampes

Sources / Droits

DDE Essonne

4

Construction de l’autoroute A6

6 et 7

Arcueil, Autoroute A6

DRIEA/GUIHO

DREIF

8 et 9

Autoroute du Sud (A6)

Archive des Ponts et Chaussées/Photo Viguier

11

La Défense

DRIEA/GUIHO 1995

12

Charles de Gaulle, inauguration Exposition « Demain Paris », le 17/04/1961

METL/MEDDE

13

Michel Debré, Paul Delouvrier, Olivier Guichard

Droits réservés

13

Georges Pompidou, inauguration de « Village Expo », 30/09/1966 (2 photos)

13

Edgar Pisani et Barbara Castle

METL/MEDDE Rue des Archives

13

Edgard Pisani au Mirail

14

Renault 4 DDE

METL/MEDDE

14

Musée Vatan

Auteur /ASCE

15

ENPC

Droits réservés

16

Locaux de l’agence de circulation de Rouen

16

Salle de dessin du bureau de circulation de Lille

DDE

17

Compte rendu de l’assemblée plénière du CGPC du 15/05/1943

18

François-Xavier Ortoli

Archives Nationales Droits réservés Jean-Claude Seine

19

Mai 1968 (2 photos)

20

Robert Galley

21

Arrêté du 19 juin 1973 portant création du CETE de Pont-à-Mousson

23

Jardin du SETRA

Auteur

24

Le pyramidage du RST au sein de « L’Équipement »

Auteur

Droits réservés


Page

Description

Sources / Droits

25

Le SETRA dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1969

Comité d’Histoire du MEDDE

26

Le SCET dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1920

Comité d’Histoire du MEDDE

27

Carte France Routière Kilométrique

Cartes Tarides

28

Gaston Pigeaud – Albert Claveille

Droits réservés

29

Pont du Mail Soissons

DDE Aisne

30

Bordereau SEANF

Archives Nationales

31

Lettre secrétaire d’État aux Communications – 19/08/1941

Archives Nationales

31

Le SEANF dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1948

33

Pont type

34 et 35

Organigramme du SSA en 1964

35

Le SSA dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1964

Comité d’Histoire du MEDDE SETRA / André Déplacé Archives Nationales Comité d’Histoire du MEDDE

36

Centre de calcul

SSA / SETRA

37

Centre de calcul

METL/MEDDE

38

Locaux du CERC à Arcueil

39

Organigramme du SERC

41

André Lauer

42

Le CERTU dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1995

SETRA Michel Guichard Comité d’Histoire du MEDDE

44

Georges Pompidou

METL/MEDDE

44

Embouteillage de Tourves

Thierry Dubois

45

Construction de l’autoroute du Sud (A6a) à Gentilly

47

Geschichte der Autobahnen in Deutschland – 1907-1935

Archives des Ponts et Chaussées Kurt Kaftan

47

Constructions autoroutières allemandes - 1930

Droits réservés

47

Adolf Hitler – 1933

Droits réservés Droits réservés

49

Eté 1936

50

Le service ordinaire des Ponts et Chaussées du Pas-de-Calais

51

Note du 07/03/1941 au SCET

pendant la guerre de 1939-1945

Paul Morenval Archives Nationales

52

Note du Militärvorwaltungsabteilungschef du 26/01/1944

Archives Nationales

53

Certificat pour utilisation de bicyclette du 06/09/1940

Archives Nationales

54

Note du Militärvorwaltungsabteilungschef du 02/03/1942

Archives Nationales

55

Mémoire au maréchal Pétain, MM. Lainé et Pigelet

Archives Nationales

56

Jacques Boulloche

57

Pont de Bezons

Famille Boulloche Auteur

59

Projet d’autoroutes de dégagement de la région parisienne. Années 1930

Archives Nationales

59

Avis d’enquête d’utilité publique – Autoroute du Nord, 1947

Archives Nationales

Post-scriptum • 151


Page

Description

60

Porte d’Orléans, années 1930

Archives ville d’Arcueil

61

Article journal

Archives ville d’Arcueil

61

Plan urbanisme de la région parisienne reconstitué

62

Panneau de contestation de l’autoroute-sud

63

Article « Sauvez Fontainebleau ! », 18/01/1962

Sources / Droits

Auteur Archives ville d’Arcueil Paris-Jour

64

Comparaison linéaires autoroutiers allemands et français

Auteur

64

Article « L’autoroute du Sud à ouvert… », 14/04/1960

L’Aurore

67

Le SETRA par ses œuvres

69

Le SETRA dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1968-69

Alexandre Rossi Comité d’Histoire du MEDDE

70

Comité de direction 1995

SETRA personnel

70

Comité de direction 2011

Auteur

72

Citroën B15

Citroën

72

Berliet GLR 8

Fondation Berliet

73

Courrier du ministre des Finances, 13/07/1945

75

Hiver 1962-1963

75

Fin de l’hiver 1963 et RN 463

75

Roger Coquand

Archives Nationales Météopassion SSA / SETRA ENPC / RGRA

76

Aire de service 1930

Droits réservés

77

Échangeur autoroute allemande

Droits réservés

77

Échangeur moderne

Droits réservés

77

Clothoïde

79

Le SETRA dans l’annuaire du ministère de l’Équipement – 1971

79

Paul Séjourné

80

Pont de Cheviré

80

Viaduc de Morez

80

Pont de Normandie

80

Viaduc de Gennevilliers

81

Pont de l’Île de Ré

81

Viaduc de Millau

81

Comité d’Histoire du MEDDE Cadres catalans Makina44 Auteur SETRA / CTOA DRIEA / Gauthier SETRA / CTOA SETRA / Gérard Forquet

Les cinq familles de solutions du viaduc de Millau, Georges Gillet, Jean-Claude Mutel, « Viaduc de Millau – De l’idée d’un pont à sa mise en service »

152 • Post-scriptum

83

Le SETRA par ceux qui l’ont fait vivre

SETRA personnel

84

Photo de famille

SETRA personnel

86 et 87

Acte 1 – Les 10 ans du SETRA

SETRA personnel

88 et 89

Acte 2 – Les 20 ans du SETRA

SETRA personnel


Page

Description

Sources / Droits

90 et 91

Acte 3 – Les 30 ans du SETRA

92 et 93

Acte 4 – 2011 …

94

Les directeurs du SETRA

François CEPAS, Gérard CROSSAY, Henri DURAND, Bernard SUARD SETRA personnel

95

L’immeuble du SETRA, juin 1970

97

Mouvement social au SETRA, 1970

98

Projet de développement du Vaudreuil en 1977

99 et 100

Mouvement social au SETRA, 1977

SETRA METL/MEDDE Archives ville de Bagneux Gérard Homann Archives ville de Bagneux

101

Construction du bâtiment Bienvenue, Marne-la-Vallée, 2012

101

Projet pour le bâtiment Bienvenue

Auteur

102

Courrier du Premier ministre, 10/10/2008

103

Manifestations SETRA, Sourdun et Provins, 20 janvier 2009

104

Revue de presse relative à la délocalisation du SETRA, octobre 2008

105

Lettre de la députée-maire de Bagneux au Premier ministre, 21/10/2008

Cabinet Pargade SETRA personnel

106 et 107

Manifestations SETRA, Provins, 20 janvier 2009 et Paris, 19 mars 2009

109

Vue aérienne du site de Sourdun, 2012

SETRA personnel SETRA

110

Immeuble du SETRA à Bagneux

111

Vue d’Arcueil

111

Construction du viaduc d’Arcueil, 1959

112

Clinique du Dr Serre, 46 avenue Aristide-Briand, jusque 1960

Archives ville de Bagneux

113

Publicité commercialisation du 46 avenue Aristide-Briand, 1965

Archives ville de Bagneux

114

Projet éco-quartier Victor Hugo

Auteur

114 et 115

Démolition de l’immeuble du SETRA à Bagneux

116

Village de Sourdun

117

Village de Sourdun Sourdun, Vieux Château, ferme de Montbron, Ormurion

119

Les mines de glaise Alain Peyrefitte

Archive des Ponts et Chaussées/Photo Robert Durandaud

Mairie de Bagneux Gérard Homann et auteur 2e Régiment de Hussards

118 119

Gérard Homann

Auteur et DR Colette et Roger Frichet Folklore de Champagne n°115 Droits réservés

120

Établissement du champ de manœuvres de Sourdun, 29/01/1897

121

Défilé du 2e Régiment de Hussards, Sourdun

Colette et Roger Frichet 2e Régiment de Hussards

122

Deux photos carrées en haut à gauche : construction du site en 1967

122

La vie au 2e Régiment de Hussards

124

2e Régiment de Hussards

126 et 127

Vue aérienne du site de Sourdun

128

Commémoration au 2 Régiment de Hussards

2 Régiment de Hussards

128

Vue aérienne du site (avant 2008)

2e Régiment de Hussards

e

Yannick Naissant 2e Régiment de Hussards

Archives diverses et 2e Régiment de Hussards J.L. Delorme e

Post-scriptum • 153


154 • Post-scriptum

Page

Description

Sources / Droits

130 et 131

Réhabilitation des locaux

SETRA personnel

132

Pose de fibre optique

SETRA personnel

133

Un nouveau départ

SETRA personnel

134 à 136

Derniers jours à Bagneux

SETRA personnel

137 et 138

Premiers jours à Sourdun

SETRA personnel

139

Provins, vieille ville

140

Nogent-sur-Seine, Moulins Sassot, Église Saint-Laurent, Centrale nucléaire, Gustave Flaubert, Camille Claudel

Droits réservés

141

Provins, Quartier Delort, Tour César, Collégiale Saint-Quiriace, Remparts

Droits réservés

142

Internat d’Excellence

143

Ferme solaire

144

Construction en éco-matériaux

145

Hôtel de Roquelaure

146

Voie romaine, Faverolles

147

Ébauche de route de 5e génération

Office de tourisme, Provins, P.P. Chasseau

Internat d’Excellence SOVAFIM Droits réservés Auteur Auteur Droits réservés


Sources documentaires « La difficile genèse de l’autoroute du Sud ».

« Le service ordinaire des Ponts et Chaussées

Jean-Luc France-Barbou, 2010,

du Pas-de-Calais pendant la guerre de

Presses des Ponts et Chaussées

1939-1945 », Paul Morenval, 1996, Presses des Ponts et Chaussées

« Trafic automobile et réseau routier, les autoroutes en Italie, en Allemagne et en France ».

« Histoire des grandes routes françaises ».

Philippe Reine, 1944, Éditions A. Pédone

René Héron de Villefosse, 1975, Librairie académique Perrin

« Usages et usagers de la route. Requiem pour un million de morts, 1860 - 2010 ».

« La route française, son histoire, sa fonction ».

Jean Orselli, 2011, L’Harmattan

Henri Cavaillès, 1946, Armand Colin

« Les routes de France du XXe siècle. 1900 -1951 ».

Conseil Général des Ponts et Chaussées.

Georges Reverdy, 2007,

Rapport des séances des 15 mai et 6 octobre

Presses des Ponts et Chaussées

1943, dit « Rapport Lévêque »

« Les routes de France du XXe siècle.

Documentation du SETRA

1952 - 2000 ». Georges Reverdy, 2007,

Documentation du Comité d’Histoire du Ministère

Presses des Ponts et Chaussées

de l’Écologie. Annuaires administratifs de 1919 à 2005

« Mémoires d’un ingénieur ordinaire ». Georges Reverdy

Archives Nationales. Documents relatifs au Service Spécial des

« Les Autoroutes concédées en France

Autoroutes, cote : 1977 0633/5

(1955-2010) ». Claude Abraham, 2011, CELSE

Post-scriptum • 155


In memoriam Marcel Huet († 1996) Joël Laclémence († 2011) Jean-Marie Peyreigne († 2012) Claude Martinand († 2012) Claude Sinolecka († 2012) Jean Berthier († 2013)

Post-scriptum • 157


Remerciements Jean-Luc France-Barbou • Jean Berthier • Philippe Redoulez • Bernard Fauveau • François Perret • Bernard Basset • Christian Binet-Tarbe de Vauxclairs • Liliane Sardais • Roger Devichi • Florence Bouvier • Loïna Louemba • Michel Gérard • Jean-Raymond Fradin • Yolande Daniel • Dominique Burgunder • Béatrice Bonny • Marie-José d’Agostino • Jean-Bernard Marcuzzi • Eric Le Guern • Bernard Laffargue • Jean-Claude Pauc • Henri Mathieu • Alain Ghisoli • Emmanuel Bouchon • Angel-Luis Millan • Lorys Lechevallier • Claudine Muller • Geneviève Moritz • André Deplacé • Françoise Porchet • Françoise Sappin • Marie-Thérèse Rieu • Patricia Valeur • Pascale Asselineau • Isabelle Bisson • Daniel Coutelier • Mélanie Wattre • Dolorès Mengual • Claire Gardet • Gérard Homann • Elsa Fabre • Denis Fourmeau • Colette et Roger Frichet, du village de Sourdun • Yannick Naissant, ancien Hussard • Jean-Pierre Le Bivic et Clément Lorillec, Archives Bagneux • Jean-Claude Seine • Hélène Vicente • Christophe Willmann • Fanny Hassani • Vincent Spenlehauer • Jean-Robert Vaux

Post-scriptum • 159


CrĂŠation graphique : Martine Savina, 01 40 10 98 92


couverture SETRA 669 dos 9 mm_Mise en page 1 24/06/14 14:22 Page1


Le SETRA de Bagneux à Sourdun

et l’histoire tourmentée des autoroutes Christian Després Le SETRA a été créé administrativement le 1er janvier 1968, en tant que Service d’études des Transports, des Routes et des Autoroutes. Mais sa gestation avait duré plusieurs années et l’on peut faire remonter sa conception au tout début des années 1960. C’est à cette époque, alors que l’on vient d’inaugurer, après bien des vicissitudes, le tronçon Paris-Corbeil – le 12 avril 1960 – que la construction autoroutière entre en France dans sa période de maturité. Le retard avec l’Allemagne est considérable. Mais la dynamique de l’époque le rend plus stimulant qu’affligeant. Et, avant les autoroutes, il y a les routes. Au cours du terrible hiver 1962-1963, le réseau « lâche » dans son ensemble. Le gouvernement est contraint de produire une réaction à la hauteur de l’enjeu. Une politique de renforcement est mise en œuvre, ambitieuse autant au plan technique qu’au plan économique. Sa nécessaire coordination territoriale, sa rationalisation méthodologique, impose de la confier à un organisme central qui harmonise, développe et capitalise la doctrine routière.

C’est à ce moment que la décision de créer un service technique spécialisé en matière routière, que d’aucuns cultivaient depuis des lustres, est arrêtée. Le temps administratif en remettra la naissance au seuil de l’année 1968. Il était temps, car les bouleversements sociaux politiques de cette année fameuse risquaient de remettre au second plan cette étape clef de la structuration du réseau scientifique et technique historique des Ponts et Chaussées.

La grande aventure du ministère de l’équipement battait son plein. Les collectivités publiques, qui déployaient alors d’importants efforts pour le développement et la modernisation des infrastructures collectives, en tiraient le meilleur parti. Au même rythme que les affres du dernier conflit mondial s’éloignaient, une France porteuse de nouvelles promesses se construisait. Le SETRA y jouait son rôle. Mais à la fin des années 2000, ce n’est pas un truisme, on a bel et bien changé de siècle…

Le « Grenelle Environnement » invite à reconsidérer en profondeur la politique routière. Indépendamment de ces principes, l’état, impécunieux, n’est plus en mesure d’investir. Il s’efforce au contraire d’économiser en restructurant ses services et enclenche un vaste mouvement de « délocalisations ». Ces divers phénomènes affectent le SETRA de plein fouet.

Ce livre a pour objet de reconstituer la tranche d’histoire nationale particulière dans laquelle s’est inscrit le SETRA en collant au plus près de l’existence de ceux qui y furent impliqués.

Le SETRA, de Bagneux à Sourdun, et l’histoire tourmentée des autoroutes • Christian Després

couverture SETRA 669 dos 9 mm_Mise en page 1 24/06/14 14:23 Page2

Le SETRA

DE BAGNEUX À SOURDUN

et l’histoire tourmentée des autoroutes

Christian Després

L’AUTEUR

Christian Després, ingénieur des Ponts et Chaussées, a été affecté au SETRA entre 2009 et 2013 pour y mettre en œuvre le processus de délocalisation.

Ce n’est pas un expert des problématiques routières. Mais sa carrière diversifiée, commencée à la Météorologie nationale, effectuée pour partie en Afrique et au Moyen-Orient, exerçant un temps des fonctions techniques, administratives un autre temps, l’a rendu sensible aux problématiques transversales, où le déterminisme des structures se confronte fatalement au libre arbitre des individus.


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