Les Plantagenêts : un empire au Moyen Age

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ier - mars 2010 DOM/S 7.60 € - TOM/S 980 XPF - BEL 7.60 € - LUX 7.60 € - ALL 7.90 € - ESP 7.60 € - GR 7.60 € - ITA 7.60 € - PORT.CONT 7.60 € - CAN 9.95 $CAN - CH 13.50 FS - MAR 65 DH - TUN 7.5 TND - MAY 9 € ISSN 01822411

Les Collections de L’Histoire - trimestriel janvier 2010 - Les grandes migrations - N°

Les c o ll e c t i o n s

titre de la Les plantagenÊts

couverture Un empire au Moyen Age

sous-titre de laCœur couverture Aliénor, Richard de Lion, Jean sans Terre


Sommaire

Les Collections de l’Histoire n°59 - avril-juin 2013

L’Empire plantagenêt 4 Repères cartographiques

Chapitre 3

6 Chronologie

Naissance de l’Angleterre

Chapitre 1

66 Jean sans Terre, le mal aimé Par Georges Minois 69 Bouvines : la défaite finale

La fabrique d’un empire 10 La prise du pouvoir par Henri II Entretien avec David Bates 18 Les sept vies d’Aliénor Par Martin Aurell 22 Les règles de l’amour courtois Par Jean Flori 26 On a retrouvé la tombe du roi Arthur ! Par Amaury Chauou 30 Thomas Becket : meurtre dans la cathédrale Par Véronique Gazeau

Chapitre 2

Une puissance européenne 36 L’Empire plantagenêt, c’est un homme Par Martin Aurell

70 Robin des Bois a-t-il existé ? Par Jean-Philippe Genet 72 Le repli sur l’Angleterre 73 Des moines et du poison 74 Les barons jouent et gagnent Par Nicholas Vincent 76 Ils ont inventé la monarchie anglaise Entretien avec Jean-Philippe Genet 80 Richard III le dernier des Plantagenêts 84 Fontevraud, l’écrin de pierre des Plantagenêts Par François Dufay 86 Une nécropole royale 90 Débat : l’Empire plantagenêt a-t-il existé ? Avec Mathieu Arnoux, David Bates et Jean-Philippe Genet 94 Lexique 96 A lire, voir et écouter

46 Le pouvoir et la pierre Par Jean-Louis Biget 52 Richard Cœur de Lion, le roi chevalier Par Martin Aurell 54 Philippe Auguste : le grand rival 59 Trois tombeaux pour un corps 60 Guillaume le Maréchal, rebelle et fidèle Par David Crouch 62 Rouen, capitale commerciale Par Christopher Fletcher

Abonnez-vous page 83 - Toute l’actualité de l’histoire sur histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse) 8 Les Collections de L’Histoire N°59


1. d’un empire

La fabrique

Le roi, l’évêque et les soldats

josse/leemage

Henri II affirme son pouvoir face à l’Église et à la noblesse (manuscrit du xve siècle).

C’est par la volonté d’un homme, Henri II, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine, que le royaume d’Angleterre se construit des îles Britanniques aux Pyrénées. Un vaste espace que le Plantagenêt tient fermement.


Les sept vies d’ Aliénor Reine de France puis d’Angleterre, mère de dix enfants, femme de pouvoir et d’intrigues… Aliénor d’Aquitaine a tout pour fasciner. Mais qui était vraiment cette reine dont l’existence semble résumer l’Empire plantagenêt ?

de Poitiers et membre du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, Martin Aurell est notamment l’auteur de L’Empire des Plantagenêt, 1154-1224 (Perrin, 2003) et Le Chevalier lettré : savoir et conduite de l’aristocratie aux xiie et xiiie siècles (Fayard, 2011).

Par Martin Aurell

N

ée en 1124 de l’union du duc* d’Aquitaine Guillaume X de Poitiers et d’Aliénor de Châtellerault, Aliénor devient dès 1137, à l’âge de 13 ans, héritière de l’Aquitaine lorsque son père meurt sans héritier mâle lors de son pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce qu’on appelle alors l’Aquitaine comprend la Gascogne, le Poitou et le Limousin (cf. p. 20) : un très beau parti… que la couronne de France emporte. L’entourage du roi Louis VI, moribond, fait en effet immédiatement jouer la tutelle féodale sur l’orpheline : Aliénor épouse en juillet 1137 celui qui devient roi dès le mois de décembre suivant sous le nom de Louis VII.

Le plus beau parti d’Europe Dans un premier temps, les deux époux sont alliés à la tête du royaume. En 1141, le roi de France mène une campagne contre Toulouse, lieu d’expansion traditionnel du duché d’Aquitaine. Et, en 1147, lorsqu’il part pour la croisade*, Aliénor l’accompagne. Mais, au retour de l’expédition, Louis VII prétend se séparer d’elle. Il avance le prétexte d’une consanguinité entre les époux (ils ont pour ancêtre commun le roi de France Robert le Pieux, mort en 1031). Le motif réel est qu’Aliénor ne lui a donné que deux filles en une quinzaine d’années : la succession dynastique se trouve en péril. Faut-il rechercher la raison de cette faible fécondité dans le respect rigoureux par le roi des périodes 18 Les Collections de L’Histoire N°59

paris bnf

Professeur à l’université


akg/erich lessing

Puissante de son vivant, célèbre après sa mort

d’abstinence conjugale que l’Église conseille alors ? On rapporte qu’Aliénor se serait plainte un jour d’avoir « épousé, non pas un roi, mais un moine ! » Quoi qu’il soit arrivé, ou pas arrivé, dans la chambre du roi, en 1152 une assemblée d’évêques réunie à Beaugency constate la nullité du mariage. Aliénor reste un beau parti. Mais elle ne peut demeurer sans mari, sous peine de courir le risque de se faire enlever par un baron désirant récupérer son héritage. Le danger est bien réel : sur le trajet entre Paris et Poitiers, le siège de sa cour aquitaine, elle manque de se faire ravir à deux reprises, par le comte* de Blois Thibaud V – qui devait se contenter, l’année suivante, des fiançailles avec Alix, le bébé d’Aliénor – et par Geoffroi, le frère d’Henri II, alors duc de Normandie et promis à la couronne d’Angleterre. Arrivée à Poitiers, Aliénor écrit à Henri qu’elle est libre de se marier : il est à ses yeux le seul prince digne d’elle. Bien conscient des avantages politiques d’un tel mariage, Henri II se presse et leur union est célébrée le 18 mai 1152 à Poitiers. Mais ce mariage n’a rien de

Aliénor, duchesse d’Aquitaine et reine de France à 13 ans, reine d’Angleterre à 28 ans, vécut jusqu’à l’âge de 80 ans. Ci-dessus : son gisant à Fontevraud ; à gauche, son sceau, qu’elle place toujours au bas des documents aquitains.

royal. Il est préparé à la hâte et célébré devant un petit groupe d’intimes : on craignait que certains cherchent à empêcher l’union – à commencer par Louis VII. S’étaient-ils vus avant ce jour de printemps ? Vraisemblablement lors de l’hommage* prêté, l’été 1151, par Henri au roi de France pour la Normandie. Les chroniqueurs, en tout cas, n’hésitent pas à parler de la beauté d’Aliénor, et, aussi, de l’ardeur et de la jeunesse – il a neuf ans de moins qu’elle – d’Henri II, qui auraient séduit la duchesse d’Aquitaine. Reine d’Angleterre En 1154, à la mort d’Étienne de Blois, Henri devient roi d’Angleterre, et Aliénor, reine pour la seconde fois. On ne sait si elle est couronnée en même temps qu’Henri. Le couple royal demeure en Angleterre un an environ, Les Collections de L’Histoire N°59 19


L’Empire pla

c’est un hom

L’Empire plantagenêt est-il une réalité ? Henri II, en tout cas, a cherché à l’imposer, en lui donnant une cohérence idéologique et administrative.

collection dagli orti

Par M artin Aurell

Le couple royal Sur ce détail d’une fresque

de la chapelle Sainte-Radegonde, à Chinon, datant du xiiie siècle, on voit, à l’extrême gauche, Aliénor d’Aquitaine, et, à droite, sans doute Henri II.

36 Les Collections de L’Histoire N°59


ntagenêt,

me

A

ppeler « Empire plantagenêt » le conglomérat de principautés territoriales que les comtes* d’Anjou ont tenté, tant bien que mal, de gouverner en un demi-siècle, entre 1154 et 1204, ne va pas de soi. Le terme a du moins le mérite de rendre compte d’un ensemble politique qui s’étend sur des territoires au statut différent. Certes, le mot latin imperium ne lui est que très exceptionnellement attaché par les contemporains. Et il supporte mal la comparaison avec les grands empires de l’histoire, avec lesquels il ne peut se mesurer ni pour l’étendue ni pour la durée – en particulier l’Empire romain germanique (cf. p. 39). Henri II lui-même ne reprend dans ses chartes que ses différents titres territoriaux : « roi d’Angleterre, duc * de Normandie et d’Aquitaine et comte d’Anjou » – la Bretagne, dont le duc est son fils Geoffroi, échappe à cette titulature. Sans être un empire au sens propre, l’ensemble de ces territoires si disparates et si rapidement concentrés dans les mains d’Henri II avait de quoi surprendre ses contemporains. Comte d’Anjou et du Maine par son père Geoffroi le Bel et duc de Normandie par sa mère Mathilde l’Emperesse, il adjoint, en 1152, avec Aliénor, le duché d’Aquitaine dont elle est l’héritière. Deux ans plus tard, il est couronné roi d’Angleterre. En 1155, il prend la Bretagne. Enfin, au cours des années 1170, des chevaliers* normands, partis du pays de Galles, conquièrent l’est de l’Irlande. Les Collections de L’Histoire N°59 37


Le pouvoir et

la pierre

Dans le Maine, l’Anjou, le Poitou, au cœur de l’empire des Plantagenêts, se définit et se développe, sous l’égide d’Henri II et de ses fils, une variété particulière du gothique.

Professeur émérite

Par Jean-Louis Biget

à l’École normale supérieure de Lyon, Jean-Louis Biget est notamment l’auteur de Hérésie et inquisition dans le midi de la France (Picard, 2007). Il est aussi le codirecteur, pour le Moyen Age, de l’ Histoire de France (Belin, 2009-2012).

L

es châteaux* élevés à l’initiative des princes et des rois du Moyen Age illustrent d’évidence leur pouvoir. Il en va pour les Plantagenêts comme pour les Capétiens, engagés dans une surenchère de démonstrations, en particulier à la frontière de la Normandie et de l’Ile-de-France. L’érection des monastères et des cathédrales présente-elle aussi une portée dynastique ? Longtemps, la question n’a fait aucun problème et l’histoire des monuments religieux était rapportée aux cadres politiques. Ainsi parlait-on d’un « gothique plantagenêt ». Puis certains auteurs ont soutenu l’idée que l’architecture religieuse n’entretenait aucun lien avec les faits politiques, que l’art porterait en lui ses propres dynamiques. L’exemple des Plantagenêts contrevient cependant à de telles assertions, contraires à la réalité médiévale. Dans une époque où la religion est consubstantielle à la société et où l’Église se confond avec la communauté sociale qu’elle unifie, le pouvoir du prince et celui des clercs sont liés de manière intime. Le prince se présente comme investi d’une charge et d’une autorité spirituelles ; ainsi Henri II se veut-il défenseur de la foi, maître et protecteur de l’Église, en même temps qu’il la >>>

46 Les Collections de L’Histoire N°59

Poitiers


schütze/rodemann/age fotostock

Poitiers : la plus grande cathédrale plantagenêt

paul m. r. maeyaert/age fotostock

110 mètres de longueur, 30 de largeur : les dimensions de la cathédrale de Poitiers égalent celles des cathédrales de l’Ile-deFrance. Le monument possède toutefois des caractères originaux. Cette église-halle à trois vaisseaux, au-dehors, fait bloc comme une forteresse. Dans l’architecture religieuse plantagenêt, le souci de l’enveloppe externe demeure très secondaire, au rebours de la recherche esthétique dont témoigne « l’œuvre de France » pour l’environnement extérieur des cathédrales. La diffusion du style « angevin » en Poitou marque l’affirmation du pouvoir plantagenêt dans cette région.

Le roi, serviteur du Christ Un des chefs-d’œuvre du vitrail roman occupe le centre de la baie axiale du chevet de la cathédrale de Poitiers. Il figure, en son centre, un grand Christ en croix, les yeux ouverts. Au sommet : l’Ascension ; le Christ entouré par des anges bénit de la main droite et tient dans sa main gauche le Livre de Vie, sous les yeux des apôtres et de Marie. En bas : la Crucifixion de saint Pierre, patron de la cathédrale et premier chef de l’Église, est mise en relation avec celle de Jésus. Sous la Crucifixion de saint Pierre, apparaît un couple de personnages portant couronne, accompagné de leurs enfants (ci-contre). Ils ont été identifiés à Henri II et Aliénor. Genoux fléchis en signe d’adoration, ils présentent au Christ le vitrail qu’ils ont offert à la cathédrale. Par ses dons et son action, la monarchie est associée dans le plan du salut à l’Église du Christ et à son chef, successeur de Pierre. Les Collections de L’Histoire N°59 47


richard à westminster

Devant le Parlement anglais, une statue de Richard Cœur de Lion à cheval, datant du xixe siècle.

Ils ont inventé la mo Au-delà de leurs ambitions territoriales, les Plantagenêts ont eu une vraie vision de l’État. Avec eux commence à se mettre en place la monarchie anglaise moderne, administrative et représentative. Entretien avec Jean-Philippe Genet Professeur à l’université Paris-I, Jean-Philippe Genet travaille sur la naissance de l’État moderne à la fin du Moyen Age. Il a notamment publié La Genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre (PUF, 2003).

76 Les Collections de L’Histoire N°59

L’Histoire : En 1204, Jean sans Terre est battu par Philippe Auguste : les Plantagenêts perdent toutes leurs possessions continentales sauf la Guyenne*. Est-ce pour autant la fin de leur histoire ? Jean-Philippe Genet : Non, l’histoire de la dynastie plantagenêt continue : ils restent au pouvoir jusqu’à la mort de Richard III, en 1485. Seule l’histoire de l’Empire plantagenêt s’arrête en 1204, et encore : l’idée demeure dans les esprits des rois pendant les règnes de Jean sans Terre, qui se poursuit jusqu’en 1216, et d’Henri III, mort en 1272 ; les Plantagenêts courent encore alors après le rêve continental. Le règne d’Henri III est particulièrement désastreux puisque celui-ci tente par tous les moyens de récupérer


héritages images/leemage

richard t. nowitz/age fotosyock

Élisabeth II à Fontevraud

En 1963, la reine d’Angleterre visite la nécropole des Plantagenêts.

narchie anglaise ses territoires en France, sans jamais y parvenir : les victoires de Saint Louis à Taillebourg et à Saintes en 1242 mettent fin à ses espoirs, d’autant que, faute de moyens, il ne parvient même plus à contrôler la situation en Gascogne. Il s’engage en outre dans une entreprise extravagante concernant le royaume de Naples : c’est l’« affaire de Sicile ». Le pape veut profiter de la mort de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen en 1250 pour briser son encerclement – l’empereur est roi d’Italie et son fils bâtard Manfred roi de Sicile. Il cherche donc un candidat au trône de Sicile, et Henri III propose son fils, Edmond : cela uniquement dans le but de contrer l’influence française. Henri III se lance dans ces différentes aventures sans le consentement de ses propres sujets. Mais il a besoin, pour les financer, de lever un impôt. Or il se heurte à un refus pur et simple de ses barons* : l’Angleterre, selon eux, n’a pas à intervenir dans ces affaires ; leurs ressources ne doivent pas contribuer à autre chose qu’au bien public anglais, qui n’est pas menacé en l’occurrence. Ainsi commence la seconde guerre des barons, qui va durer deux ans, en 1264-1265. Sur le plan militaire, après beaucoup de difficultés, Henri III et son fils, le futur Édouard Ier, qui triomphe des barons à la bataille

d’Evesham (1265), l’emportent. Mais cet affrontement voit surtout les deux partis, Simon de Montfort, le chef des barons coalisés, comme Henri III, en appeler à la mobilisation en leur faveur des différents groupes sociaux (les nobles, les membres de la gentry , le clergé et la bourgeoisie urbaine en premier lieu) ; et pour cela, les consulter sans cesse afin d’obtenir leur accord. C’est bien la naissance alors, en Angleterre, d’une société politique. Or celle-ci n’approuve guère les ambitions impériales, très coûteuses, d’Henri III. L’empire, au xiiie siècle, n’est plus un rêve que pour le roi. L’H. : C’est le repli sur l’Angleterre… J.-P. G. : A dire vrai, ce mouvement de repli, sanctionné par la perte des possessions continentales en 1204, a commencé trente ou quarante ans plus tôt. Depuis la conquête de 1066, les barons possédaient des terres à la fois en Angleterre et sur le continent (en Normandie en premier lieu). Or, au xiiie siècle, le nombre de ces grands nobles proprement anglo-normands a ­beaucoup diminué : le partage des terres entre les fils, selon la coutume normande, a créé de fait, au fil de ­générations, des lignées indépendantes en Angleterre et sur le continent. Les Collections de L’Histoire N°59 77


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