Mémoire (intégralité)

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RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE Pour une rematérialisation sensible

Emma Bourgin DNSEP art 2012



RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE Pour une rematérialisation sensible

Emma Bourgin DNSEP art 2012


24.

ALCHIMIE SUBLIMER

permet de

TEINDRE IMPRÉGNATION p.34 APPROPRIATION

23.

TRANSVERSAL ART TOTAL

monde sensible

métaphore

LAINE ISOLANT EA JUTE p.33

22.

HAPTIQUE

SENSATION SENS CORPS corps-réceptacle/capteur

SYNESTHÉSIE «SENSIBILITÉ PICTURALE»

Constellation/Rhizome «bazar organisé»

MARCHER p.14

«VOYANT» ENFANT

ARTISTE «RESPIRATEUR»

p.13

RÉPERTOIRE SENS L’HOMME-ÉPO partir du concret ! constat dématérialisation André Gorz

MATÉRIALITÉ VALEUR p.9

attitude d’intermédiaire

LABORATOIRE ATELIER CHIMIE MÉTAMORPHOSE ENTROPIE p.18

révélés

PROCESSUS EXPÉRIENCE p.19

REPORTER

p.16

TERRE CO IMMÉDIAT (C MOUSSEéty COLLECTE : «ramasser en marchant» 4


CIRE HUILE

métaphore de l’homme

RHÉOLOGIE MÉSOMORPHE la MOU

TEMPS ACCIDENT VIVANT p.30

21.

IKB AU IBB HUILE

sculpture vivante et évolutive

Bachelard

FORME MATIÈRE

complexe absorbant physique/concret

PEINTURE SCULPTURE

MATIÈRE-COULEUR

RÉSINE

SIBLE DE ONGE

p.26

1.

PASTEL CIRE PIXEL

IKB IBB

É

p.27

3.

2.

9

25.

MATÉRIAU p.20 RÉVÉLATION PESANTEUR TENSION PIERRE ÉQUILIBRE COMPOSITION antagonistes PRÉCAIRE matériaux naturel/artificiel 4.

5. 6. 7.

E

19.

8. 14.

9.

11.

13.

LE (MOINDRE) GESTE LE BRUT

p.17

p.24

17.

10.

OMBAT CON)QUÊTE

20.

18. 16.

12. 15.

5


AVANT-PROPOS FORMEL Ce mémoire est un répertoire. Un répertoire de matières, de couleurs, de « matières-couleurs ». Je ne suis pas une théoricienne. Je ne veux pas figer mes mots à travers un plan fixe et raisonné. Mes mots doivent être matériaux, qui plus est, matériaux vivants et sensibles. Au terme « sensible » j’entends qu’un mot doit être odorant, visible, haptique, sonore et goûteux. C’est la matière qui impose la forme et non l’inverse. C’est pourquoi j’ai opté pour la forme du « rhizome » à celle de l’arborescence voire même du plan scolaire (I.1)2)3)II….), ces deux derniers sous entendant une hiérarchie. « … N’importe quel point du rhizome peut être connecté avec n’importe quel autre, et doit l’être. C’est très différent de l’arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre. »1. Chaque mot ou groupe de mots forme une entité autonome, une matière, un matériau qui vient alors se connecter à d’autres à certains moments. « … un livre n’a pas d’objet ni de sujet, il est fait de matières diversement formées, de dates et de vitesses très différentes. Dès qu’on attribue le livre à un sujet, on néglige ce travail des matières, et l’extériorité de leur relation. On fabrique un bon Dieu pour des mouvements géologiques. Dans un livre comme dans toute chose, il y a des lignes d’articulation ou de segmentation, des strates, des territorialités ; mais aussi des lignes de fuite, des mouvements de 2 déterritorialisation et de destratification. » La lecture de ce texte est spatiale, plurale et dynamique chaque « mot-matière » pouvant conduire à un autre article. J’ai sélectionné des « mots lourds » autour desquels gravitent des mots plus « légers » et récurrents dans ma démarche. Ainsi le semblant d’ordre établi par les pages dans ce mémoire n’est que chaos organisé, constellation, il est purement aléatoire. Ma méthodologie plastique est devenue celle de mon écrit. Dans l’atelier je suis entourée de matériaux différents, de multiples échantillons de matière comme dans ma tête je suis entourée de quelques dizaines de mots de natures différentes : des mots lourds, des mots légers, des mots transparents, des mots colorés … Pas de hiérarchie dans les matériaux comme dans ces mots. Tout cela forme un tout, un tout expérimental qui m’environne et que je choisi de rendre cohérent quand bon me semble. Bien sûr, ce répertoire n’est pas LA solution, il est UNE solution parmi d’autres à la dématérialisation que nous sommes en train de vivre. Repenser, redécouper, remodeler, se réapproprier chacun de ces mots-matières. Les compresser dans des phrases qu’on appelle des « titres » ou « sous-titres » n’était pas mon intention pour la simple et bonne raison que ceux-ci synthétisent excessivement le discours et empêchent la perception du fond. J’ai pensé ce mémoire comme un accrochage, un accrochage de « mots-matières ».

1 2

6

Deleuze Gilles et Guattari Félix, Mille Plateaux, 1980, p.13 Ibid, pp.9-10

1


Chaque «mot-matière» de ce répertoire est complété par une planche iconographique. Ces dernières figurent à partir de la page 41. Toutes les images des pages 4 et 5 sont retrouvables dans les planches iconographiques sauf : 1. Rachel Whiteread, Untitled (One Hundred Spaces), 1995, Résine (100 unités) Dimensions variables, Fondation Pinault, Palazzio Grassi, Venise 2. Rachel Whiteread, Line Up, 2007-2008, plâtre, pigments, résine, bois et métal, (18 unités, une tablette), 17 x 90 x 25 cm, Galerie Nelson-Freeman, Paris 3. Emma Bourgin, Courir, 2010, vidéo couleur sonore, 2:18 min 4. Ulrich Rückriem, Untitled, 1988, syenite, au sculpturepark du KMM, Pays-Bas 6. Oscar Tuazon, Plie-le jusqu’à ce qu’il casse, 2009, métal, bois, béton 12 m x 6 m x 4 m, Courtesy de l’artiste et Galerie Balice Hertling, Paris, vue de l’exposition Plie-le jusqu’à ce qu’il casse dans la nef du Ciap de Vassivière 7. Giovanni Anselmo, Respiro, 1969, fer, éponge de mer, 2 éléments, 5 1/8 x 185 1/16 x 2 3/8 in. chacun, Castello di Rivoli Museum of Contemporary Art, prêt permanent, Fondazione CRT Project for Modern and Contemporary Art, 2003 8. Katinka Bock, Landschaft unter dem Tisch, 2009, bois, terre cuite, 70x70x60cm, vue de l’installation au Kunstverein de Nuremberg - Société Albrecht Durer 9. Richard Serra, Fulcrum, 1987, sculpture en acier de 16,8 m de haut spécifique en site commissionnée pour l’entrée occidentale à la station de rue de Liverpool dans le complexe de Broadgate 10. Giovanni Anselmo, Mentre le pietre e i colori sono un peso vivo, 2010 (Pendant que les pierres et les couleurs sont un poids vif), 3 pierres en granit : balmoral (rose), labrador (bleu) et noir d’Afrique (gris), 200 x 3 x 140 cm chacun 11. Katinka Bock, Stein unter der Tisch, 2009, bois, pierre, vue de l’exposition au musée De Vleeshal, Middelburg, Pays-Bas 12. Emma Bourgin, Sans titre, 2010, huit panneaux de laine de chanvre sur tréteaux, 80 x 80 x 40 cm (tréteau) et 120 x 60 x 4 cm (panneau), ESAM 13. Thea Djordjaze, Trying to balance on one hand, do not forget the center, 2010 acier, peinture, mousse, 139 X 110,5 X 40 cm, Galerie Sprüth Magers, Berlin 14. Rachel Whiteread, Cairn, 2008, plâtre, pigments, résine et acier inoxydable (5 unités), Galerie Nelson-Freeman, Paris 15. Jeff Koons, Tulipes (Tulips), 1995-2004, Acier inoxydable à haute teneur en chrome avec laque de couleur translucide, 203 x 460 x 520 cm, Version 4/5, Guggenheim Bilbao Museoa 16. Oscar Tuazon, Niki Quester, 2009 plaque de marbre, chêne, 90 cm x 2 m x 10 cm (marbre)Courtesy de l’artiste, vue de l’œuvre dans le bois de sculptures du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière 17. Katinka Bock, Plier l’issue, 2008 argile blanche, 79 x 256 x 152 cm, Galerie Fernand Léger, CREDAC, Ivry-sur-Seine, 2008 18. Emma Bourgin, Radicale douceur, 2011, pierre de Caen, 64 x 30 x 28 cm, ESAM 19. Rachel Whiteread, Pink 1, 2007-2008, plâtre, pigments, résine, acier inoxydable, bois et métal (5 unités, une tablette), Galerie Nelson-Freeman, Paris 20. Rachel Whiteread, Sit, 2007-2008, plâtre, pigments and et acier (7 unités et une chaise), Galerie Nelson-Freeman, Paris 21. Jérémy Laffon, Soap Wall (version 2), 2009, réalisation in situ, savons de marseille, fer, bois et masticCité scolaire Bellevue, durant une résidence au centre d’art le LAIT, Albi 22. Ann Veronica Janssens, vue d’installation de LEE 121, 2005, Courtsey Galerie Micheline Szwajcer, Anvers, Copyright Biennales de Lyon 2005 23. Giuseppe Penone, Pommes de terre, 1977, bronze, Museo di Arte Contemporanea, Castello di Rivoli, Torino 24. Rachel Whiteread, Untitled (Amber Bed), 1991, caoutchouc, 129,5 x 91,5 x 101,5 cm, Carré d’Art, Musée d’Art Contemporain, Nimes 25. Giuseppe Penone, Cèdre de Versailles (Cedro di Versailles), bois, 600 x 170 cm, coll. particulière, 2002-2003

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INTRODUCTION « Qu’est-ce-que la sensibilité ? C’est ce qui existe au-delà de notre être et qui pourtant nous appartient toujours. La Vie ellemême ne nous appartient pas, c’est avec la sensibilité qui, elle, nous appartient que nous pouvons l’acheter. La sensibilité est la monnaie de l’univers, de la grande nature qui nous permet d’acheter la VIE à l’état matière première ! L’imagination est le véhicule de la sensibilité ! Transportés par l’imagination, nous atteignons la Vie, la vie elle-même qui est l’art absolu. »1 « C’est cette extraordinaire faculté de l’éponge de s’imprégner de quoique ce soit de fluidique qui m’a séduit. Grâce aux éponges, matière sauvage vivante, j’allais pouvoir faire les portraits des lecteurs de mes monochromes qui, après avoir vu, après avoir voyagé dans le bleu de mes tableaux, en reviennent totalement imprégnés en sensibilité comme des éponges. »2 Il y a maintenant deux ans, je finissais d’écrire L’Immatériel ou l’avènement de l’Homme-Éponge, un texte dans lequel je prônais une réappropriation du monde sensible par l’individu opérant sa métamorphose en Homme-Éponge. J’affirmais alors que l'homme devait utiliser sa sensibilité, c'est-à-dire son corps puis son esprit afin d'imprégner telle une éponge le monde qui l'entoure pour le repenser et se repenser. L’Homme-Éponge c’est cet idéal actif (j’absorbe et je recrache) auquel tout individu doit aspirer. L’art et l’artiste en deviennent alors l’intermédiaire. Ce répertoire sensible et dynamique de « mots-matière » constitue le métabolisme de cet Homme-Éponge. Pas d’ordre exhaustif, juste un point de départ : le constat d’une dématérialisation massive et d’une société de l’image omniprésentes aujourd’hui. Je propose alors un retour à la matérialisation dans l’art qui prend appui sur un certain nombre de « mots-matières » tels que LABORATOIRE, EXPÉRIENCE, « REPORTER », CONQUÊTE, MATÉRIAU, LE (MOINDRE) GESTE …

1 Klein Yves, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, 2003, p.103 2

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Ibid., p.54

2


MATÉRIALITÉ & VALEUR « (…) le prix de sang bleu ne peut en aucun cas être l’argent. Il faut que ce soit de l’or. »1 Au thème large qu’était celui de l'argent imposé lors de l’atelier transversal durant de ma deuxième année au Mans, j'avais choisi de répondre en m'interrogeant d'abord sur sa valeur actuelle, sur ce qu'elle représente aujourd'hui. A quoi s'applique l'argent aujourd'hui ? Alors qu'au départ il est un simple moyen permettant facilement l'échange de marchandises diverses et variées, il est devenu une fin en soi car la notion même de marchandise a changé. Elle qui à l'origine était bien concret, pondéré, matériel, fruit du travail humain elle est, à l'heure d'aujourd'hui et ce depuis une dizaine d'années, abstraite, immatérielle. Notre monde vit actuellement une véritable « crise de la valeur » dénoncée par André Gorz dans L'immatériel, connaissance, valeur et capital (2003) qui a pour responsable l'Immatériel. Crise face à laquelle l'homme doit s'adapter car il en est non seulement coupable mais aussi principale victime puisqu'elle touche aussi bien son économie, sa culture que sa société et son humanité. La mondialisation actuelle nous fait vivre deux crises : « la crise du concept de valeur » 2 et celle du concept de « réalité ». En terme de valeur dans un premier temps, celle-ci ne se mesure plus en terme de production matérielle. En effet, lorsque vous achetez un ordinateur, ce n’est pas le coût de ses composants matériels (écran, circuit imprimé …) qui est cher mais les informations qu’il contient c’est-à-dire ses données numériques. Il en est de même avec les logiciels : « leur élaboration et leur transcription en langage numérique ont un coût souvent élevé, mais les logiciels peuvent être reproduits en un nombre pratiquement illimité à un coût négligeable » 3 . Dans le domaine artistique, Yves Klein et son IKB breveté en 1960 témoignent également de ce changement. Ce n’est pas l’IKB concret qui vaut cher mais sa formule « copyrightée ». La question du prix de ces productions immatérielles est depuis lors remis en question. Économiquement parlant, l’argent n’est plus suffisant pour estimer la valeur de la production immatérielle. Là où l’on pouvait encore facilement estimer la valeur d’une baguette de pain (selon le temps passé à la faire, le prix des ingrédients, des ustensiles …), il en va autrement avec le prix d’un logiciel informatique : tous les CDrom sont mêmes matériellement parlant mais seul leur contenu

1 Klein Yves, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, 2003, p.122 2 3

Gorz André, L’immatériel, connaissance, valeur et capital, 2003, p.33 Ibid., p.44

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diffère. Quelle valeur donner à ce contenu puisqu’il n’est pas « utile » au sens strict du terme c’est-à-dire celui de répondre à un besoin ? Gorz propose « une monnaie de consommation spécifique, différente de l’argent qui actuellement remplit quatre fonctions très différentes, créée et distribuée selon des critère politiques non inflationniste par sa nature (péremption courte, circulation limitée), peut éviter l’implosion d’un système qui produit de plus en plus de marchandises en distribuant de moins en moins de moyens de paiement »1. Par conséquent la valeur économique (donc d’échange) qu’incarne l’argent (il est « unité abstraite » permettant de fonder le rapport d’équivalence entre deux marchandises) montre qu’il n’est pas adapté à ce nouveau « capital immatériel » car c’est une toute autre valeur qui la domine. Comme pour l’art, la valeur de la production immatérielle se veut entièrement symbolique. Ce n’est pas la valeur du produit en lui-même que vous achetez comme c’est le cas de l’IKB de Klein mais sa marque, ce qu’elle symbolise, le monopole qu’elle impose dans le monde (« une valeur symbolique qui l’emporte sur sa valeur utilitaire et d’échange » 2 ). De même que lorsqu’un adolescent achète une paire de baskets Nike, c’est l’image que la marque véhicule qui motive son achat. Les chaussures en elles-mêmes ont été fabriquées en Chine pour l’équivalent de 5€. Il en va de même avec le marché de l’art et notamment celui de l’art contemporain. Prenons l’exemple de Lawrence Weiner et de ses Statements : ces œuvres consistent en de simples phrases. Par conséquent, quand vous achetez un Statement vous achetez une phrase. Où est passée la matérialité du Picasso à 25 000 000$ ? Ainsi nous sommes en train d’assister à une véritable mutation de la notion de valeur opérant la transition de la valeur économique (d’échange) à la valeur symbolique due elle-même à une transformation de la production immatérielle. Une valeur qui ne peut être représentée précisément par l’argent matériel, une valeur elle aussi immatérielle. La crise du concept de « réalité » est aussi une grave conséquence de la dématérialisation. D’abord, l’immatériel métamorphose nos désirs en besoins. Le « capital immatériel » crée en nous de nouveaux désirs qu’il fait apparaître à nos yeux comme des besoins. Gorz parle de la transformation de l’ « acheteur » en « consommateur », nouvelle espèce d’acheteurs qui « n’ont pas besoin de ce qu’ils désirent et ne désirent pas ce dont ils ont besoin » 3 . Afin d’illustrer son propos, il prend l’exemple de la cigarette et son rapport avec l’émancipation de la femme. C’est en mettant en exergue le symbole phallique qu’elle représente qu’on a mis dans la

1 2 3

10

Ibid., p.56 Ibid., p.63 Ibid., p.64

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tête des femmes qu’en fumant elles s’émancipent de la « domination masculine ». Pourtant, a-t-on réellement besoin d’acheter des cigarettes pour montrer son indépendance ? Quelle est cette réalité marchande que l’on cherche à nous imposer ? Et d’abord, est-ce la réalité ? Cette réalité ne nous appartient pas, nous ne la maitrisons pas, comment faire en sorte qu’elle devienne la réalité ? En transformant nos désirs en besoins, l’immatériel nous prescrit sa réalité. La « socialisation antisociale » 1 est l’un des effets les plus pervers de la crise du concept de « réalité ». En faisant mine de s’intéresser à chaque individu dans son « innermost self » (son « moi le plus intime »), les marques et leurs publicités les divisent pour mieux les rassembler par la suite. La marque fait croire qu’elle personnalise ses produit selon les individus alors qu’en fait elle ne cesse de standardiser en créant et produisant des millions de fois le même. Elle ne s’adapte pas aux goûts mais impose les siens. La marque étiquette ses produits et les gens qui les achètent. L’individu n’est pas maître de cette réalité, elle ne lui correspond pas puisqu’il ne l’a pas créée. L’immatériel est créateur de « réalité virtuelle ». L’économie n’a jamais autant fait appel à la capacité de projection dans le futur de l’homme que depuis cette apogée de l’immatériel. Qu’est-ce-que la bourse ? C’est une « institution privée ou publique qui permet de réaliser des échanges de biens ou d’actifs standardisés et ainsi d’en fixer les prix » 2 . Seulement, ces « biens » ne sont pas encore réalisés. Les actionnaires spéculent, prévoient, fixent des prix, des valeurs sur des choses « virtuelles ». Gorz parle d’ « argent fictif » 3 . Le problème de ce dernier est que l’homme est incapable de le contrôler ce qui donne naissance à des scandales tels que l’affaire du trader français Jérôme Kerviel en 2008 qui fait perdre 5 milliards d’euros à la Société Générale. L’immatériel instaure ainsi une véritable « réalité virtuelle » par le biais de ces « capitaux fictifs » mettant, par conséquent, de plus en plus l’individu dans une situation d’impuissance face au pouvoir de l’argent en général et de son propre argent. Cette réalité construite par le capitalisme actuel détache donc l’homme de son argent mais aussi de sa production. L’immatériel devient alors générateur de « réalité impalpable ». D’un point de vue économique comme d’un point de vue artistique, la réalité sensible disparaît derrière l’immatériel. C’était déjà le cas en 1867 quand Marx décrit le phénomène d’aliénation au travail dans Le Capital. De fait, il existe un véritable détachement matériel de la part de l'ouvrier depuis l'essor de l'entreprise. Ce qu'il produit ne lui appartient pas à lui mais au « capital » de l'entreprise qui le dirige. De même qu'à force de produire en série sans cesse des objets identiques son

1 2 3

Ibid., p.67 http://fr.wikipedia.org/wiki/Bourse_(économie) Gorz André, Op.cit., p.55

5 11


cerveau aussi se détache de son action sur le produit. Il n'apporte pas sa patte personnelle à l'objet. Par conséquent, l'homme-ouvrier est aussi aliénable que la marchandise qu'il produit. Son esprit est totalement indépendant de sa main qui façonne. Donc la production industrielle dite « à la chaîne » ne permet pas d'établir le lien entre corps et esprit séparant ainsi ce dernier de la « réalité sensible ». Néanmoins ce détachement peut aussi être « partiel » ou plutôt en deux temps. C'est cela qui m'intéresse chez Yves Klein : « j'avais refusé le pinceau, trop psychologique, pour peindre avec le rouleau, plus anonyme, et ainsi tâcher de créer une distance, tout au moins intellectuelle, constante, entre la toile et moi pendant l'exécution ... » 1 . En fait ce dernier choisit de s'extraire intellectuellement, ôter toute subjectivité qu’induit l’utilisation du pinceau pendant la réalisation de son travail afin de permettre à la « sensibilité picturale » d'entrer en action autrement dit de le dégager de toute activité mentale, subjective, perceptive dans un premier temps dans le but de le faire ressentir à tous ses sens dans un second temps. Par conséquent, l'artiste utilise ce détachement à la fois matériel, mental et formel, cet immatériel, d'abord, afin qu'il permette, par la suite, l'avènement de la sensibilité propre à chaque individu. Klein n'est en fait que l'un des multiples précurseurs de l'art immatériel. L'artiste n'est plus forcément homo faber. L'art tend de plus en plus à se dématérialiser, devient minimal et cela ne veut pas dire pour autant qu'il fait de moins en moins intervenir notre sensibilité au contraire il la capte et, elle, elle l'absorbe. C’est vers cela que nous devrions aller. Après tout l'art est un moyen de repenser le monde et le rapport que nous entretenons avec lui. Les artistes seraient alors les prophètes guidant vers une parfaite symbiose entre l'univers et ses êtres. L’immatériel donne ainsi naissance à une réalité de moins en moins évidente puisqu’impalpable détachant physiquement l’homme de sa production qu’elle soit aussi bien économique qu’artistique même si cette dernière tend de plus en plus à les rassembler. En conséquence, l’immatériel redéfinit la notion de « réalité » sur les plans humain, social, économique et artistique puisqu’il a tendance à leur imposer la sienne c’est-à-dire une réalité faisant oublier à l’homme qu’il a un corps, rendant toute « socialisation antisociale », créant une « économie fictive » ainsi qu’une production impalpable. Donc cet essor de l’immatériel ne cesse de transformer le monde qui nous entoure, sa valeur, sa réalité lui imposant les siennes à savoir une valeur symbolique et une réalité paradoxale séparant l’individu de sa nature, de son environnement sensible. Néanmoins je veux croire en la capacité de l’homme à agir avec ce nouveau phénomène, à l’utiliser dans le but d’une harmonie avec le monde sensible. Je pense que l’immatériel ne doit pas être une barrière au développement de l’homme, il se doit d’y participer. L’art en a ouvert la voie, à chacun de poursuivre sa quête du monde, à chacun de devenir « Homme-Éponge ».

1

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Klein Yves, Le vrai devient réalité, 1960

6


ARTISTE, « VOYANT », ENFANT « De là le rapprochement de l’homme aujourd’hui avec l’artiste. En effet ce dernier est celui qui sublime, qui adapte la réalité à ses désirs grâce à sa création. Il travaille pour sa propre vie, agit sur le monde en interrogeant ses habitants à son propos. Quelque part il œuvre pour l’humanité et c’est en cela que l’on peut dire qu’artiste n’est pas un emploi comme un autre voire un emploi tout court. »1 « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. » 2 . Quand Rimbaud écrit cette phrase en 1871, il parle du poète. Néanmoins je pense que cela s’adresse également à l’artiste. Ce dernier est un « poète plasticien », un « poète matériel ». L’artiste doit (s’) oublier le temps d’écouter le monde sensible. Il doit redevenir enfant, « L’enfant [qui] voit tout en nouveauté ; [qui] est toujours ivre. » 3 . L’enfant voit les choses matériellement, il n’est pas corrompu par le langage. Quoiqu’on y fasse le langage est limité. Certains comme l’écrivain polonais Witold Gombrowicz ont déjà abandonné l’illusion d’un langage spontané « … je ne crois à aucun langage spontané et naturel de l’homme, je crois que l’homme est toujours déformé, que toute forme est limitation et mensonge. Il peut (l’homme) comprendre que ce qu’il dit ne l’exprime pas entièrement et prendre ses distances envers la Forme (et la culture). Mais rien de plus. » 4 . Comme l’a démontré le linguiste Martinet 5 , le langage est « articulation », articulation d’unités abstraites (les lettres) qui, assemblées d’une certaine façon font sens et forment ce que Rousseau appelle les « idées générales » 6 . Ces dernières sont à mon sens beaucoup trop synthétiques et sont une barrière à l’imagination. « … la rêverie chez l’enfant est une rêverie matérialiste. L’enfant est un matérialiste-né »7

1

Bourgin Emma, L’Immatériel ou l’avènement de « l’Homme – Éponge », 2009

2

Lettre dite du « voyant », Arthur Rimbaud, 1871 Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Charles Baudelaire, Calmann Lévy, 1885 (III. L’Art romantique, pp. 58-67) 3

4

Dubuffet Jean et Gombrowicz Witold, Correspondance, Gallimard, 1995, p.25 Martinet André, Eléments de linguistique générale, A.Colin 1970 6 Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755, p. 90 5

7

Bachelard Gaston, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la

7

13


Contrairement à l’adulte, l’enfant pense concret. Pour reprendre l’exemple de l’arbre de Rousseau, quand l’on montre un arbre à un enfant, l’enfant voit l’arbre tel qu’il est, dans sa particularité. Il ne le compare pas à un autre. Il ne connaît pas le mot « arbre », peu importe que cet arbre soit un chêne et qu’il en ait peut-être vu d’autres auparavant. Pour l’enfant cet arbre est incomparable, il va constater que l’une de ses branches est cassée, que la plus haute est couronnée d’un nid … Ce chêne ne ressemble à aucun autre. Et l’artiste doit regarder chaque élément du monde sensible comme ce chêne, avec ce regard matériel sans cesse renouvelé. « Que bien peindre est difficile ! Comment aller sans ambages vers la nature ? Voyez, de cet arbre à nous il y a un espace, une atmosphère, je vous l’accorde ; mais c’est ensuite ce tronc, palpable, résistant, ce corps… Voir comme celui qui vient de naître !... »1.

MARCHER « ambulo ergo sum » (« je marche donc je suis »)2 « On écrit bien qu’avec ses pieds »3 Marcher est l’action humaine la plus complète. « L’homme consiste en un esprit et en un corps » 4 et c’est quand il marche qu’il existe le mieux. La marche met en avant le dialogue corps/esprit qui définit l’homme. « On n’est pas seul parce que dès qu’on marche on est aussitôt deux. Surtout après avoir marché longtemps. Je veux dire qu’il y a toujours, même seul, ce dialogue entre le corps et l’âme. Quand la marche est régulière, j’encourage, je flatte, je félicite : bonnes jambes qui m’emportez … » 5 . Marcher avec ou sans but éveille l’enfant qui est en moi, m’aide à penser. En grimpant le Pic de Cagire dans les Pyrénées, j’ai un but, celui de parvenir au sommet. Le long de cette ascension je sens d’abord mes pieds, mes jambes, mes hanches, mon dos, mon ventre, mes bras, mon souffle puis ma pensée, certes toujours obsédée par mon objectif, mais qui prend le temps de percevoir que telle fleur, telle odeur m’évoque telle ou telle chose. Une fois arrivée en haut,

matière, 1943, p.16

1

Entretien de 1902 in Entretiens avec Cézanne, Paris, Macula, 1978, p.22 Phrase latine écrite à Descartes par Pierre Gassendi reprise par l’artiste Herman De Vries qu’il grave sur un bloc rocheux, le long du sentier d'accès au sanctuaire de la nature de roche-rousse en 2001 3 Nietzsche Friedrich, Le Gai Savoir, 1882, prologue 4 Spinoza Baruch, Éthique, 1677, II, 13, cor. 5 Gros Frédéric, Marcher, une philosophie, 2011, p.82 2

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8


quelle vue ! Je suis au-dessus des nuages et je me dis quel honneur ! Là maintenant cette vue est à moi, il n’y a que moi qui la voit comme ça ! Ce dérèglement total des sens du voyant est d’autant plus accentué quand je vais sans but. Errer dans une forêt quelques heures est une pure expérience sensible. Aller là où l’on ne connaît pas, sans véritables repères comme on peut trouver dans les villes (maisons, rues …), se perdre là où les choses n’ont pas ne nom. L’homme a la fâcheuse habitude de toujours vouloir s’orienter. En forêt vous n’avez pas un chêne qui s’appelle Pierre, l’autre qui s’appelle Paul ou un bouleau qui se prénomme Jacques. Non, c’est à vous de créer vos propres repères, libre à vous de les nommer. De là je reviens à la question du langage dans l’entrée ARTISTE : pas de plan, pas de noms, pas de langage synthétisant et conditionnant dans une forêt. Cette dernière nous invite à regarder les choses comme si on les voyait pour la première fois et fait confiance à notre perception sensible. C’est un moment où l’esprit est sans cesse en alerte face au moindre mouvement, au moindre bruit, à la moindre odeur. Mes Promenades sensibles sont des odes à la sensation. Marcher dans la neige, la sentir craquer, ressentir le froid sur mes pieds, tenter de capturer le soleil, être déséquilibré par le sable, sursauter au bruit des balles en forêt pendant la période chasse … « Marcher permet d’expérimenter le réel » (formule de Stalker)1. C’est aussi une attitude artistique marginale. Marcher est un moyen de résister à ce que Francis Alÿs appelle la « speed culture » (« Walking, in particular dufting, or strolling, is already – within the speed culture of our time – a kind of resistance. Paradoxically it’s also the last private space, safe from the phone or e-mail. But it also happens to be a very immediate method for unfolding stores. It’s an easy, cheap act to perform. The walk is simultaneously the material out of wich to produce art and the modus operandi of the artistic transaction. And the city always offers the perfect setting for accidents to happen. » 2 . Prendre le temps de marcher, de flâner au lieu de courir, piétiner, consommer est une attitude revendicatrice que l’artiste se doit d’avoir. De toute évidence l’Homme-Éponge est un marcheur.

1

Davila Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXème siècle, 2007

2

Basualdo Carlos, Medina Cuauhtémoc, Davila Thierry ; Dirigé par Philippe Grand, Francis Alys : catalogue d'exposition, Antibes, p.31

9 15


« REPORTER » « Ce qu’il faut à un artiste, c’est un tempérament de reporter, de journaliste, mais dans le grand sens de ces mots, peut-être oubliés aujourd’hui. »1 L’artiste est un « reporter » pour reprendre les termes d’ Yves Klein. Pas n’importe quel « reporter », un « reporter » d’immédiat. Selon Klein, ce dernier est chargé de d’obtenir, de témoigner de la trace de l’immédiat. Il choisit alors de recueillir les traces les plus universelles, celles des éléments naturels (air, feu, eau, terre) à travers ce qu’il appela les Naturemétries (« Après tout, mon but est d’extraire et d’obtenir la trace de l’immédiat dans les objets naturels, quelle qu’en soit l’incidence — que les circonstances en soient humaines, animales, végétales ou atmosphériques. » 2 ). Le « reporter » est sans cesse aux aguets, c’est un rôle à l’échelle d’une vie que l’artiste doit prendre à cœur comme l’explique Klein lorsqu’il met à profit l’un de ses nombreux voyages entre Paris, ville où il travaille et Nice, ville dont il est originaire. En effet il décide d’accrocher une toile sur le toit de sa voiture pour enregistrer l’atmosphère du trajet : « Par exemple, un voyage de Paris à Nice aurait été une perte de temps si je ne l’avais pas mis à profit pour faire un enregistrement du vent. Je plaçai une toile, fraîchement enduite de peinture, sur le toit de ma blanche Citroën. Et tandis que j’avalais la nationale à cent kilomètres à l’heure, la chaleur, le froid, la lumière, le vent et la pluie firent en sorte que ma toile se trouva prématurément vieillie. Trente ou quarante ans au moins se trouvaient réduits à une seule journée. » 3 . Plus récemment, en 1992, Gabriel Orozco réalise Piedra que cede (Yielding stone), une sphère de plastiline d’environ 50 cm de diamètre que l’artiste pousse au grès de plusieurs promenades new yorkaises. Or la plastiline est le matériau de l’empreinte immédiate par excellence. Il est transparent et ne durcit pas. En poussant sa piedra le long des rues de New York, Orozco, « empru(ein)te », capte la ville. Au fur et à mesure de ces promenades, la plastiline devient « couleur ville », grise, terne et pleine de rebuts citadins. Ces deux oeuvres permettent de mesurer le monde (Naturemétries), d’en témoigner. D’où mon intérêt pour la vidéo. Il peut sembler absurde que quelqu’un qui prend le monde sensible et sa matérialité pour base n’a rien à trouver dans ce médium. Pourtant, bien plus que l’appareil photo, la caméra est une extension du corps, du corps en mouvement, du corps vivant. Dans la série des Promenades sensibles,

1 2 3

16

Klein Yves, Le vrai devient réalité, 1960 Klein Yves, Manifeste de l’Hôtel Chelsea, 1961 Ibid.

10


ma caméra témoigne non seulement des couleurs chatoyantes du monde mais aussi de l’état de mon corps (souffle, sursauts …). Le film La forêt de Mogari de la japonaise Naomi Kawase sorti en 2007 m’avait particulièrement interpellée tant sa dimension sensible était forte. Une grande partie de ce film montre la perdition des deux personnages principaux dans la forêt de Mogari. On les voit errer, marcher, courir, sentir … Parfois, de simples actions comme à un moment cet homme qui coupe du bois rendent la vidéo haptique. Ma caméra est aussi un moyen de mesurer le monde sensible, d’en rendre compte et m’accompagne partout et à chaque instant, toujours aux aguets dans les Promenades sensibles comme dans 47,5 km/291 min, vidéo durant laquelle je fais part de 25 matins, de 25 trajets appartement-école en même temps. Parallèlement à la Piedra que cede d’Orozco cette mosaïque d’environ 25 min est elle aussi « couleur ville » mais « couleur ville » changeante selon les jours, les lumières, mes chaussures … La mosaïque stimule le regard afin qu’il ne soit jamais fixe, qu’il perçoive que même si à chaque fois c’est le même trajet effectué, chaque jour le rend différent. Le travail du « reporter » n’est jamais monotone. Il actualise sans cesse son regard afin de transmettre au mieux l’immédiat. L’Homme-Éponge est un « reporter ».

(CON)QUÊTE Je suis aussi une « reporter » matériel. Le répertoire de matériaux que j’utilise est, dans la mesure du possible, l’œuvre d’une véritable quête. Acheter, m’en aller quérir des pains de terre en atelier terre un étage en dessous duquel je suis en ce moment en train d’écrire ne m’intéresse pas. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que je n’ai rien choisi, rien éprouvé, rien senti. On l’a fait à ma place. L’Homme-Éponge part toujours du concret, du sensible. L’argent n’est guère une solution dans ce type de choix. Terre est sans aucun doute la pièce la plus représentative de la quête. C’est au cours d’une promenade dans la forêt de Grimbosq que sa terre jaune, sableuse et humide m’a interpellée. Le territoire d’où proviennent les matériaux a de l’importance. On ne trouve pas la même terre si l’on va dans une forêt de feuillus en Normandie ou dans une forêt de conifères dans les Landes. C’est cette quête qu’opère l’artiste herman de vries en collectant (*collecter : ramasser en marchant) différentes terres du monde. De là, tel un archéologue, il crée le Musée des terres à Gassendi : « en 1976, je me suis mis à collecter des terres ici et là, dans le péloponnèse, le sikkim, puis plus tard à gomera. de petits échantillons, une poignée. elles représentent des territoires nous apprennent leurs substances, leurs couleurs, leurs différences et leurs ressemblances. ce sont des terres, ce qui s’est formé au fil du temps à la surface de la terre, en perpétuel changement, en processus, processus qui fait pousser les plantes, qui donne vie à

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tout une multitude inconcevable. jusqu’à maintenant, le musée n’a cessé de grossir. nous avons voyagé et rapporté des terres, quelques-unes, quelques centaines, selon les possibilités. des amis nous ont aidés et ont rapporté des terres, ce qui a considérablement élargi les provenances. »1. Je parle de de vries mais l’on peut aussi évoquer Wolfgang Laib perdu au milieu des champs de fleurs en quête de pollen. L’artiste marche, expérimente le territoire et, seulement à cet instant, trouve le matériau qui lui parle, le fascine. Plus qu’un quête, il s’agit d’une conquête du matériau. Une conquête non seulement au sens d’appropriation, de découverte mais aussi au sens de « lutter pour obtenir »2. Il faut sentir, éprouver son matériau du début à la fin. Terre représentait au début trois seaux à ménage remplis à ras bord qu’il a fallu porter (difficilement) sur un bon kilomètre. Éprouver son matériau permet de savoir de quoi on parle.

LABORATOIRE « … C’est plutôt de chimie qu’il faut parler : c’est le phénomène naturel des substances qui se mêlent pour donner d’autres substances. (…) L’atelier de l’artiste, ce n’est pas celui de l’alchimiste qui cherche la pierre philosophale, quelque chose qui n’existe pas dans notre monde, ce serait peut-être plutôt le laboratoire du chimiste. »3 Au terme défraîchi d’ « atelier », trop conventionnel, je préfère celui de laboratoire. Le laboratoire est le lieu de l’expérience, de la chimie, de l’entropie, du stockage, de la production. Un lieu où l’on monte et on démonte, où l’on construit et l’on déconstruit. Rien de figé à cet endroit, le laboratoire évolue au fur et à mesure des (con)quêtes, de l’artiste-chimiste. Il faut lire, écrire, créer entouré de ces matériaux en devenir. Après les avoir « conquis », il faut s’en imprégner puis leur donner vie. La chimie c’est la « science de la constitution des divers corps, de leurs transformations et de leurs propriétés » 4 . Elle est une sorte d’étude de la composition de chaque chose. C’est en cela que ma démarche est chimiste. J’ai besoin connaître de quoi sont composés les matériaux que j’utilise. Grande admiratrice de Klein lors de mon entrée aux Beaux-Arts, je choisi, comme lui de créer ma propre couleur. Yves Klein avait donné naissance à l’IKB (International Klein Blue), j’ai choisi de fabriquer l’IBB (International Bourgin Blue) cinquante ans plus

1

http://www.musee-gassendi.org/galerie-contemporaine.html Le nouveau petit robert de la langue française 2008 3 Francis Bacon cité par Françoise de Mèredieu, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 2008, p.420 2

4

18

Le nouveau petit robert de la langue française 2008

12


tard. L’IKB était composée du médium idéal « dilué avec de l'alcool à 95% et de l'éthyl-acétate » ainsi que de pigments bleus outremer, l’IBB contient de l’essence de térébenthine, du vernis marin brillant et des pigments bleus outremer. Ainsi j’écrivais un beau jour de mai : Mercredi 11 Mai 2011 L'étouffement n'est plus très loin dans mon atelier. 1000 odeurs, 1000 couleurs, 1000 matières ... Ca sent la cire d'abeille en plein coup de soleil, l'huile de lin molle, l'agressive IBB, la tendre laine de bois, la mousse vieillissante, la pourrissante colle de peau de lapin, le lait de chaux caillée, la toile de jute rongée par les vers ... Parallèlement à la (con)quête (con)quête « chimique » .

des

matériaux,

il

existe

une

EXPÉRIENCE « Un tableau ne s’édifie pas comme une maison, partant de cotes d’architecte, mais : dos tourné au résultat - à tâtons ! à reculons ! Ce n’est pas en regardant l’or, alchimiste, que tu trouveras le moyen d’en faire, mais cours à tes cornues, fais bouillir de l’urine, regarde avidement le plomb, là est ta besogne. Et toi, peintre, des taches de couleur, des taches et des tracés, regarde tes palettes et tes chiffons, les clefs que tu cherches y sont.»1 En l’espace d’un an, ma démarche artistique a radicalement changé. Auparavant j’anticipais mes peintures au coup de pinceau près, je préparais des plans de réalisation et je fonçais tête baissée sur mes sculptures persuadée de la pertinence de mon idée. J’étais architecte. Seulement, l’idée n’est pas suffisante. On ne stoppe pas le travail une fois que l’on est allé au bout de l’idée. La matière a elle aussi ses idées propres. C’est ainsi que la sculpture en grillage Sans titre (réalisée en 2009 à l’occasion d’un atelier sur la question de l’échelle avec Kate Blacker) qui devait être un cœur (l’organe, pas le symbole) géant est devenue une simple structure grillagée. Kate Blacker m’a aidée à prendre conscience que l’expérience avait dépassé l’idée. L’expérience sensible comme processus de travail, c’est de là que doit provenir l’inspiration. On n’attend pas l’idée du siècle les fesses vissées sur son siège, les coudes enfoncés dans la table. Non, on marche, on voit, on sent, on goûte, on touche on entend, on

1

Dubuffet Jean, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Notes pour les fins lettrés », 1973, p.23

13 19


cueille, on ramasse, on manipule ... Comme l’écrit Frédéric Gros, « il faut là se méfier des guides de randonnée qui recodent, détaillent, informent, ponctuent la marche de dénominations et d’explications (les reliefs, la forme des pierres et des pentes, le nom des plantes et leurs vertus), laissant croire qu’il y a un nom pour tout ce qui se voit, une grammaire pour tout ce qui s’éprouve – dans ce silence, on écoute mieux alors, parce qu’on écoute enfin ce qui n’a aucune vocation à être retraduit, recodé, reformaté. » 1 . En tant qu’individu, il est important de se construire sa propre expérience. La société se charge malheureusement bien trop souvent de le faire pour nous (cf MATÉRIALITÉ/VALEUR). De même que théorie ne va pas sans pratique. C’est en cela qu’être élève aux Beaux-Arts est une chance. Lire, absorber, ingurgiter n’est pas suffisant pour devenir Homme-Éponge. Non, ce dernier est actif, il ne s’agit pas de savoir pour savoir de même que « l’art pour l’art » des Parnassiens est une lubie. L’Homme-Éponge absorbe le savoir des livres, de l’école, cette eau incolore, transparente et pourtant essentielle et nutritive dont il s’enivre pour l’essorer et ne garder que le meilleur filtré et agrémenté d’une partie de lui-même. Au liquide théorique s’ajoute le précieux liquide empirique bu continuellement nécessaire à toute création « humano-spongieuse ». Il n’y a pas de hiérarchie, le monde sensible n’est pas cette sombre caverne peuplée d’ombres chimériques et le monde théorique est loin d’être un soleil irradiant.2

MATÉRIAU « Qu’est-ce qu’un matériau ? (…) Un matériau est quelque chose qui dans des conditions déterminées (un système de charges, des conditions extérieures, une période d’observation) se comporte d’une façon déterminée c’est-à-dire fournit certaines performances. »3 Le matériau est une source. C’est après et seulement après la fascination qui engendre sa (con)quête que le processus expérimental a lieu. « Bientôt me vint, comme une révélation, l’amour des matériaux pour eux-mêmes » 4 . Cette phrase de Matisse me semble essentielle dans l’histoire de l’art. Chaque matériau contient en lui un ensemble de qualités intrinsèques qui ont orienté sa (con)quête. On observe le matériau pour ce qu’il est trop rarement. Que ce soit

1

Gros Frédéric, Op.cit., p.89 Platon, La République, « Allégorie de la caverne », Livre VII Manzini Ezio, La matière de l’invention, 1989, p.31 4 Matisse cité par Françoise de Mèredieu in Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 2008, p.46 2 3

20

14


dans le domaine artistique ou dans le domaine industriel nous faisons abstraction du bois de pin découpé et poncé qui compose le tréteau, de la céramique émaillée qui fait l’assiette IKEA, des composants de telle ou telle peinture etc … Tout ça au profit de la fonction du matériau, du consumérisme capitaliste dont il devient la proie. « La question qu’est-ce-que c’est cède alors la place à la question ça fait quoi ? » écrit Manzini1 en 1989. DESIGN [dizajn ; dezajn] n.m. – v. 1965 w mot anglais « dessin, plan, esquisse » ANGLIC. n Esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leur fonction (pour les objets utilitaires, les meubles, l’habitat en général).2 C’est en cela que je distingue l’art du design. Je n’adhère pas au répandu amalgame selon lequel le design est art. L’art révèle le matériau, le design substitue le matériau à l’objet fonctionnel. On ne perçoit plus le matériau tel qu’il est mais une forme, une forme utile et « esthétique ». C’est le cas du fauteuil Pratone (inventé en 1966-68 et commercialisé en 1971) des trois designers italien Giorgio Ceretti, Piero Derossi et Ricardo Rosso (groupe Strum) où de la mousse de polyuréthane à été moulé en forme d’herbes. Néanmoins, il existe des exceptions comme les néerlandais du studio Tjep qui mettent à nu une partie du bois d’une chaise IKEA à travers leur Recession Chair (2011). Art et design sont deux champs différents appartenant à la création.

1 2

Manzini Ezio, Op. cit., p.34 Le nouveau petit robert de la langue française 2008

15 21


COULEUR

TRANSPARENCE

PESANTEUR

ORIGINE

TERRE (DE GRIMBOSQ) MOUSSE VÉGÉTALE

Jaune sable

non

forte

végétale

Camaïeu vert, brun

non

moyenne

végétale

CIRE D’ABEILLE

Jaune d’or, chaude

semi

moyenne

animale

HUILE DE LIN

Jaune vieilli

oui

moyenne

végétale

ESSENCE DE TÉRÉBENTHINE

incolore

oui

faible

végétale

VERNIS MARIN BRILLANT

Incolore, légèrement ambré

oui

moyenne

Presque végétale (résine et essence)

PIGMENTS BLEU OUTREMER

lumineuse, profonde, intense

non

faible

Minérale (lapis-lazuli)

PIERRE DE CAEN

Très blanche

non

forte

minérale

PIERRE DE NOYAN COLLE DE PEAU DE LAPIN LAINE DE BOIS

Blanchejaune ocre

non

forte

minérale

oui

faible

animale

Marron « caramel »

non

moyenne

Végétale (bois)

LAINE DE CHANVRE TOILE DE JUTE

beige

non

moyenne

miel

semi

faible

Végétale (chanvre) Végétale (jute)

FLEUR DE CHAUX

Blanc irradiant

non

faible

EAU DE MER

incolore

oui

faible

22

Minérale (décomposition thermique du calcaire) minérale

M

D


DURETÉ

HAPTIQUE

ODEUR

mésomorphe

forte

moyenne

mou

moyenne

forte

Mésomorphe/mou

forte

forte

Visqueux

moyenne

forte

fluide

faible

Forte, agressive

Moyenne (achat grande surface)

Visqueux, mésomorphe

faible

Forte, agressive

Faible (cher, magasin de bricolage)

poudreux

moyenne

aucune

Dure

Moyenne à forte

aucune

Dure à poreuse

Moyenne à forte faible

aucune

mou

forte

faible

mou

forte

faible

mou

faible

poudreux

faible

Dépend de la provenance moyenne

Faible (cher, ne se trouve pas à l’état naturel) Faible à moyenne (récupération école) Faible à moyenne (stage) Faible (achat magasin Beaux-Arts) Faible (achat magasin matériaux) Faible(achat magasin) Forte (trouvé)

fluide

moyenne

faible

Visqueux, mésomorphe

forte

ACCESSIBILITÉ, PROVENANCE Forte (prélèvement forêt) Forte (prélèvement forêt) Moyenne (achat apiculteur) Moyenne (achat grande surface)

Faible (achat magasin matériaux) Forte (prélèvement)

CARACTÈRE PARTICULIER

vivante rhéologique Insoluble Gras, ne sèche pas liant Insoluble Solvant Toxique diluant Brillant Solvant Liant Diluant adjuvant « matièrecouleur » Friable fragile

liant isolant isolant Textile, plus ou moins perméable nocif

Salée, dense

23


LE (MOINDRE) GESTE « L’art doit naître du matériau. La spiritualité doit emprunter le langage du matériau. Chaque matériau a son langage, est un langage. Il ne s’agit pas de lui adjoindre un langage ou bien de le faire servir un langage.»1 Partir du matériau, l’expérimenter, le révéler, ne pas le trahir, telle doit être l’attitude de l’artiste. Comme je l’expliquais plus haut, le matériau brut est la source, le point de départ de toute œuvre. Révéler le matériau est une façon de révéler le monde. Pour cela l’artiste doit se faire discret, il doit régner un véritable équilibre entre lui (son geste) et la matière. Néanmoins, ce geste ne doit pas être invisible, il s’agit avant tout d’un dialogue entre l’homme et la matière sinon on en reste au simple constat. Le geste peut résider dans un simple assemblage de pierres, de feutre et de sable de Katinka Bock (Landschaft mit Hut, 2008), dans une composition à partir d’un fond bleu, d’une virgule rouge et de huit points noirs de Joan Miro (Bleu II, 1961), dans l’équilibre précaire de quatre monumentales plaques de métal de Richard Serra (Fulcrum, 1987), dans la tension « génitrice » (Bachelard évoque la « rêverie essentielle du mariage des contraires », « sexuellement l’un désire l’autre » 2 ) entre les deux matériaux antagonistes que sont la plaque de verre et le mica pillé de Robert Smithson (Untitled, 1968-69) mais aussi tout simplement dans la trace laissée par la prolongation de la main qu’est l’outil ou, plus radicalement, dans l’exposition directe de ce dernier à travers six rouleaux encore imbibés de peinture d’Yves Klein (Assemblage de rouleaux à peindre usagés, (S 7), 1956-62). En mettant en scène simplement (pas de colle, pas de fixation agressive) ce chapeau de feutre sur ces neuf fines feuilles de pierre légèrement sablées, Katinka Bock nous invite dans l’intimité d’un dialogue entre ces matériaux. La chaleur du feutre du chapeau subtilement posé sur ce paysage de pierres à la fois extrêmement dures et douces créent une relation sensuelle et romantique. La peinture de Miro fait partie de ces œuvres qui m’ont le plus bouleversée. Cette simple virgule de rouge presque vermillon sur ce calme olympien de bleu est d’une présence accablante. Parcourir la Matière du temps (2005) de Richard Serra est une expérience saisissante. L’émotion grimpe au rythme de ma progression à l’intérieur de ces géants de métal. À cet instant je me sens réellement au cœur de la matière, plus rien d’autre n’existe. Le

1

Dubuffet Jean, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Notes pour les fins lettrés », 1973, p.28

2

24

Bachelard Gaston, Op. cit., pp.114-115

21


poids du métal oxydé par le temps écrase toute pensée digressive. C’est ici et maintenant que je vis. Pas de place pour une vision globale. « On ne peut prendre idée des choses que par petits morceaux regardés l’un après l’autre en déplaçant chaque fois le pied de la caméra » 1 . Maintenant, mes yeux, mes oreilles, mon nez et mes mains sont ma caméra. Pas de « fenêtre sur le monde » 2 , pas de socle qui me dit que ce que je vois n’est qu’illusion. Le geste réside dans la simple courbure de plaques de métal (des plaques que l’on retrouve dans l’industrie, l’architecture …) monumentales. Il est suffisant, juste, efficace. Chez Smithson, la simple superposition de plusieurs fines plaques de verre et de morceaux de mica coupants suffisent à faire naître un sentiment d’empathie chez le spectateur. Quant à Klein, pourquoi cacher au spectateur que ses célèbres monochromes ont été peints au moyen de l’archaïque rouleau de peintre en bâtiment ? Ses rouleaux respirent encore l’IKB, le rose et le jaune. « Moindre » n’est pas « imperceptible ». Regardons le marbre. Le marbre est avant tout une roche métamorphique dérivée du calcaire, elle comporte très souvent des veines et provient de carrières généralement situées au sud. Dans ces carrières de pierre brute, l’homme découpe des morceaux lisses et géométriques pour ériger des statues, des cathédrales puis des cuisines. De toutes ces érections, le marbre est esclave. Il passe entre les mains de dizaines de personnes, est découpé, poncé, collé. À l’image d’une sculpture de Brancusi, on ne doit percevoir aucun « rebus naturel ». Cet effacement du geste empêche toute appropriation sensible puisqu’elle masque à la fois le geste humain singulier et le matériau. « L’appareil de production n’entre jamais dans la production. Nous voyons en cette exclusion la preuve d’un mouvement qui méprise les moyens, qui marche à l’immatérialisme et qui sépare le penseur du travailleur réel. »3.

1

Dubuffet Jean, « Mise en garde de l’auteur », « Prospectus et tous écrits suivants », L’homme du commun à l’ouvrage, 1973, p.22 Leon Battista Alberti, De pictura, 1436 3 Dagognet François (préface), Manzini Ezio, La matière de l’invention, 1989, p.8 2

22 25


FORME / MATIÈRE « (…) c’est la matière qui commande la forme : le sein est arrondi parce qu’il est gonflé de lait »1 La matière a longtemps été considérée comme chaos, ce désordre insupportable et inhumain que l’homme doit maîtriser en générant des formes. Malmenée et reléguée à la dernière place bien loin derrière la forme, l’artiste l’a souvent cachée voir niée, le philosophe et le scientifique l’ont étouffée aux profit d’ « idées générales » pleines de rationalisme, le poète l’a calibrée au vers près. Ainsi Léonard de Vinci dessine d’abord puis « matiérise » (avec la couleur) ensuite, René Descartes forme le grand projet de fonder une « mathesis universalis » 2 (une science universelle), Charles Marie René Leconte de Lisle et ses amis parnassiens multiplient les alexandrins. La matière est à la passion ce que la forme est à la raison. « Se livrer à la matière c’est donc s’abandonner au chaos, se livrer au vertige et à l’ivresse de sensations non directement répertoriables » 3 écrit Florence de Mèredieu. Travailler la matière c’est accepter ses sensations, assumer son corps-réceptacle. En négligeant la matière, on néglige son corps et le monde sensible qui l’entoure. L’homme-éponge est à mille lieues de l’homme rationnel. Méprise la matière, elle reviendra au grand galop. Carrière de pierre de Caen, Cintheaux, 1er décembre 2011 : C’est à ce moment précis que je fais mes véritables premiers pas dans la matière. Il pleut, la visibilité est réduite. Soudain, un terrain vague ; du beige et des blocs de pierre pour seul horizon. Le sol boueux et glissant est le résultat de l’accumulation de quelques centaines de kilos de poussière de pierre. Le bruit mécanique que j’entends au fur et à mesure que je m’approche de la « grotte » est celui d’une gigantesque scie hydraulique. C’est après m’être couverte d’un casque que le responsable de la carrière m’invite à pénétrer à l’intérieur (je comprends vite que l’extérieur est seulement un espace de stockage). Il fait très sombre, on croise des tas de poussière de pierre régulièrement, le bruit et les phares de quelques engins. Le patron me guide à la lampe de poche. Nous sommes au cœur même de la matière, à quelques mètres sous terre. Le sous-sol est d’une richesse extrême. Il existe différents types de pierre selon la profondeur à laquelle on se trouve (banc demi-ferme, banc ferme, banc coquillé …). Le responsable m’explique avec le sourire qu’ici on ne plaisante pas avec la « terre-mère ». Les

1 Bachelard Gaston, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, 1943, p.137 d’après Michelet Jules, La mer, 1861 2 Descartes René, Discours de la méthode, 1637 3 Mèredieu (de) Françoise, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 2008, p.299

26

23


« murs » sont en effet marqués par des failles plus ou moins importantes. Ici c’est l’homme qui se plie à la matière, pas question d’extraire à n’importe quel endroit. Une petite erreur peut conduire à l’effondrement. La matière pierre indique à l’homme comment il doit sculpter, former sa carrière. De la même façon, le peintre doit regarder ses matières peintures avant de peindre (« L’art de peindre consiste, pour ma part, à rendre la liberté à l’état primordial de la matière. » 1 ), le sculpteur doit regarder le marbre avant de sculpter et j’observe mes « mots-matières » avant de construire ce mémoire. La nuit est une matière. Je pense matériellement. Il m’a d’abord fallu mettre à plat des dizaines de mots, de citations, d’images que j’ai découpés, étalés, assemblés, écartés afin de donner forme à cette pensée.

MATIÈRE-COULEUR « Il n’y a pas de couleur à proprement parler mais des matières colorées.»2 Enfant je me souviens avoir été fascinée par le pastel, ce bâton de couleur qui disparaît à mesure qu’on l’utilise. Le pastel est ma première expérience de la matière-couleur. « Il me semblait que, dans la matière pastel, chaque grain de pigment restait libre et individuel sans être tué par le medium fixatif. »3 Comme je l’ai déjà évoqué dans l’entrée matériau, nous ne prenons malheureusement pas assez en compte la composition des choses et notamment celle de la peinture. Jean Dubuffet ne cesse de le rappeler dans ses « Notes pour fins lettrés » et déclarant à plusieurs reprises que « noir est une abstraction ; il n’y a pas de noir ; il y a des matières noires », que « ce n’est rien d’être bleu, tout est d’être bleu d’une certaine façon », et qu’ainsi « Il ne faut pas perdre de vue que les couleurs maniées ne sont nullement des chiffres abstraits mais de très concrètes pâtes ou dilutions formées de matières minérales plus ou moins finement écrasées, et liées à de non moins concrètes matières que sont l’huile extraite de la graine de lin, l’essence de térébenthine, qui est de la résine de pin distillée, toutes les autres gommes, colles ou vernis qu’on l’emploie pour fixer les poudres. Ce n’est pas du rouge que je mets sur les pommettes, mais de la poudre de sulfure de mercure (donc ce célèbre sel qu’on nomme cinabre ou vermillon) que j’ai mêlée un

1

Klein Yves, Le 2003, p.49 2 Dubuffet Jean, lettrés », 1973, 3 Klein Yves, Le 2003, p.244

dépassement de la problématique en art et autres écrits, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Notes pour les fins p.25 dépassement de la problématique en art et autres écrits,

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ingrédient. Et à côté, une petite tache, non pas de bleu (que signifie bleu ?) mais d’une poudre tout autre, d’oxyde de cobalt, qui a toutes sortes de propriétés, dont entre autres, celle d’être bleue.»1. Viallat lui aussi défend la couleur en tant que matière : « Travailler la couleur, précise-t-il, en tant que marquant, en prenant la valeur et le ton comme obligatoires, en ne lui conférant aucune symbolique, impose de ne pas particulariser, ni de lui donner la préférence, mais d’accepter dans sa matérialité. Elle n’est plus alors un véhicule d’expression mais celui du travail qui l’utilise et la produit, pâteuse, fluide, ductile, solide ou poudreuse. » 2 À force de trop vouloir formaliser, nommer, la vision macroscopique disparaît au profit de la vision microscopique. La réappropriation sensible devient alors presque impossible. Pourtant la couleur est et demeurera toujours plus sensible que la forme car sa perception est plus immédiate. C’est ce qu’indique l’ethnologue André Leroi-Gourhan quand il écrit que « la couleur peut être considérée comme plus proche de l’objet que la forme, puisque sa perception nécessite une intervention mentale bien moindre » 3 . Il n’y a qu’à regarder un monochrome d’Yves Klein pour comprendre. Ce bleu irradiant, l’IKB est d’une présence extraordinaire. On peut s’y projeter entièrement, mentalement et physiquement tant il est intense. Ce travail de couleur est inégalable et me parle beaucoup plus qu’un tableau de Pablo Picasso. J’ai mal quand je vois le récent hommage rendu à Klein par Takashi Murakami à la galerie Emmanuel Perrotin en novembre dernier. Cet homme n’a décidément rien compris à Klein. Il croit en utilisant abusivement ses motifs d’inspiration manga, ici en l’occurrence des crânes, qu’il réalise finalement une sorte de « monochrome-crânes ». Or cette entreprise a plus à voir avec un vulgaire lé de papier peint qu’avec un monochrome bleu. La dimension mystique et sensible de l’IKB a alors totalement disparu. « La couleur c’est pour moi la sensibilité matérialisée » 4 disait Yves Klein. Elle est cette pause, ce moment de grâce à l’heure où le monde étouffe sous la submersion d’images imposées, bombardées dont il est victime. Il est alors d’autant plus important que cette couleur soit singulière. À défaut des crottes de luxe de couleur ternes et noyée dans l’huile de lin provenant des tubes de peinture académique, Klein décide de créer sa propre couleur, l’IKB. « Je n’aimais pas

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Dubuffet Jean, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Notes pour les fins lettrés », 1973, pp.31-32 Mèredieu (de) Françoise, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 2008, p.103 3 Leroi-Gourhan André, Le Geste et la Parole, Paris : Albin Michel, 1992, Tome II, La mémoire et les rythmes 2

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Klein Yves, Le dépassement de la problématique en art et autres écrits, 2003, p.228

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les couleurs broyées à l’huile. Elles me semblaient mortes ; ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était les pigments purs en poudre (…). Ils avaient un éclat et une vie propre et autonomes extraordinaires. C’était la couleur en soi véritablement. La matière colorée vivante et tangible. » 1 écrit-il. Matérielle, colorée, vivante et tangible, telles doivent être les propriétés d’une couleur. Donner naissance à sa couleur afin qu’aucune autre ne lui ressemble, la rendre la plus singulière et la plus sensible possible. Tel fut mon credo pendant plusieurs années en créant l’IBB. Cette dernière est profonde, presque noire, brillante, sa composition est presque mise à nu par son odeur. Les solvants du vernis marin lui confèrent une sorte d’ « aura toxique » qui envoute le spectateur et l’espace qui la contient. La « sensibilité picturale » est non seulement visuelle et haptique mais aussi embaumante. La couleur devient alors synesthésique, elle capte chaque sens. Yves Bonnefoy parle alors de « bruit de la couleur »2. « Les peintres partisans de la ligne, de la forme et du contour sont inférieurs aux sculpteurs. »3 Avec la notion de « matière-couleur », se pose évidemment la question de l’existence éventuelle d’une « peinture-sculpture » et ce problème de médium, de statut de l’œuvre. Les carrés de pollen au sol de Wolfgang Laib sont-ils des sculptures ou des peintures ? Une peinture est-ce seulement un tableau peint enfermé dans un cadre et, au contraire, la sculpture serait-ce ce grand tout, cette « représentation artistique en trois dimensions » ? Le medium « peinture » est trop restrictif, c’est pourquoi je m’en suis peu à peu détachée, préférant la liberté de la sculpture. D’ailleurs, aujourd’hui il n’existe plus d’artiste se faisant appeler restrictivement « peintre » ou « sculpteur » voire « photographe » mais des « plasticiens ». Laib est un plasticien et peu importe le statut, la case réductrice du médium, son Pollen est total. Il l’est d’autant plus qu’il est, comme la cire et le lait qu’il utilise, « matière-couleur » à part entière. La lumière qui s’en dégage est aveuglante, alchimique. En revanche les White Sand, Red Millet, Many Flowers (1982) d’Anish Kappor sont dans l’illusion de la « matièrecouleur ». Ils ne sont pas « pures » matières-couleurs puisqu’elles consistent en un « collage » de pigments sur des formes en bois. Le travail de Laib est plus fondamental. De la même façon, j’essaye de travailler la vidéo comme « matière-couleur » en mettant en évidence la matérialité des pixels, la picturalité des images. « L’objet – pictural,

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Ibid., p.244 Bonnefoy Yves, Les planches courbes, 2001, p.86 Klein Yves, Le dépassement de la problématique en art et autres écrits, 2003, p.251 2 3

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électronique, informatique – est alors considéré comme pur matériau. Lumineux, coloré, faisant certes parfois figure, mais s’adressant à la représentation sur le mode essentiel du grain, du pixel, de la neige de l’écran vidéo. » 1 écrit Françoise de Mèredieu à propos de l’art vidéo. C’est ainsi que je m’approprie ce médium. Les images lisses et esthétisantes de la publicité ou des clips vidéos voire les incroyables vidéos de Mihai Grecu (Coagulate, 2008) ne m’intéressent pas parce qu’elles restent justement « images ». L’image est à la chimère ce que la peinture classique est à l’illusion.

LE MOU, LE VIVANT « L’artiste fait alliance avec ce monde. Les sculptures réalisées veulent rendre compte que tout est vivace. La force cosmique habite la moindre parcelle de la nature un détail que la chair même du monde régénère inlassablement. Dans ces œuvres, rien ne se décide, rien de définitif, tout grandit sans cesse, tout se transforme. »2 L’art doit être vivant dans le processus de création comme dans sa présentation. C’est une des, voire LA condition nécessaire pour devenir homme-éponge. Le vivant passe avant tout par l’accident. Plus haut je prônais l’expérience, le respect des propriétés intrinsèques du matériau comme éléments essentiels du processus créatif. L’accident en fait partie. L’accident en peinture comme en sculpture est le reflet de l’événement dans la vie. Malheureusement le terme d’ « accident » dans la vie est bien trop souvent connoté négativement. On va dire, par exemple, « il a eu un accident de voiture hier, il s’est cassé le fémur » ou encore on parle d’ « accident de carrière » : « elle a eu un empêchement le jour de sa promotion ». Il n’y a qu’à lire les définitions du mot « accident » dans le dictionnaire pour prendre conscience de la dépréciation de ce mot : ACCIDENT nom masculin (latin accidens, de accidere, survenir) : Événement fortuit qui a des effets plus ou moins dommageables pour les personnes ou pour les choses : Accident de la route. / Événement inattendu, non conforme à ce qu'on pouvait raisonnablement prévoir, mais qui ne le modifie pas fondamentalement : Un échec qui n'est qu'un accident dans une brillante carrière. / Trouble morbide survenant de façon imprévue et n'ayant pas nécessairement, si ce trouble survient au cours d'une maladie, de liaison avec elle.3 Or certains accidents dans la peinture comme dans la sculpture ont été les géniteurs de grands et beaux chamboulements dans l’histoire de l’art. En effet, c’est en observant une de ses toiles à l’envers que Kandinsky devient précurseur de l’abstraction, de

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Mèredieu (de) Florence, Op. cit., p.340 Celant Germano, Penone, 1989, p.8 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/

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même c’est en constatant une cassure sur le Grand verre lors de son transport que Duchamp décide de s’intéresser aux lois du hasard. Les accidents de l’art permettent de relativiser les accidents de la vie. Ainsi Jean Dubuffet traite de la notion de duetto entre l’artiste et le matériau : « Chacun doit parler bien librement et franchement et apparemment son propre langage. Il faut laisser se produire et apparaître tous les hasards qui sont les hasards propres au matériau employé : l’huile qui veut couler, le pinceau insuffisamment chargé de couleur et qui ne laisse qu’une trace imprécise, le trait qui tombe à côté du lieu exact où l’artiste voulait tracer, le trait qui tremble ou bien qui, au lieu d’être vertical, se couche dans le sens de l’écriture, le trait qui commence lourdement et s’affaiblit ensuite parce que le pinceau se décharge de sa couleur, etc ... Empêcher tous ces hasards de se produire ôterait à l’oeuvre toute vitalité.» 1 . L’huile de lin qui ne cesse de couler du panneau de laine de chanvre qu’elle imbibe est la marque même du « bel accident », cet accident qui sort de la « peinture-sculpture » pour laver, nourrir le mur de la salle, l’accident artistique qui devient accident sensible, vital. De là mon intérêt pour le mou, la sculpture molle comme sculpture vivante, évolutive, éphémère. De la Chaise avec coin de graisse (1963) de Joseph Beuys au Soap Wall (2009) de Jérémy Laffon en passant par le Senzo titolo (Struttura che mangia) (1968) de Giovanni Anselmo et les Felt Pieces (pièces en feutre) (1969-1970) de Robert Morris, il existe tout un pan de l’histoire de l’art consacré à cette sculpture molle. Toutes ces œuvres mésomorphes mettent en évidence la vie des matériaux selon l’environnement qui les entoure ainsi « selon la température, les matériaux peuvent passer d’un niveau de structuration à l’autre ; ils conservent leurs propriétés chimiques, mais leurs propriétés physiques en sont profondément modifiées. »2. La graisse de Beuys fond, le mur de savon de Laffon s’amollit, la salade d’Anselmo se flétrit et fait tomber la pierre, le feutre de Morris s’affaisse. La rhéologie c’est-à-dire « la science des lois du comportement des matériaux, liant, à un instant donné, les contraintes aux déformations »3 dont parle Maurice Fréchuret 4 est devenue l’un des leitmotiv de mon travail. Ainsi la cire d’abeille est une sorte de matériau idéal, un matériau presque « mimétique », sensuel et odorant qui réagit au temps, à la chaleur, à sa position. Mes feuilles de cire ne sont jamais les mêmes selon le jour, le temps, la position, la lumière, l’espace où vous les voyez. C’est cette notion de mimétisme qui intéresse Beuys : « Mon intention initiale en utilisant la graisse était de stimuler la discussion. La souplesse du matériau m’a surtout attiré pour ses réactions aux changements de température. Cette souplesse est psychologiquement efficace : instinctivement, les gens s’associent aux processus internes, aux sentiments. Je voulais une discussion sur les potentialités de la sculpture et de la culture, leur

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Dubuffet Jean, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Notes pour les fins lettrés », 1973, p.29 2 Manzini Ezio, La matière de l’invention, 1989, p.93 3 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ 4 Fréchuret Maurice, Le mou et ses formes : essai sur quelques catégories de la sculpture du xxe siècle, éditions Jacqueline Chambon, 2003, p.19

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signification sur la nature du langage et de la créativité humaine. Aussi, ai-je adopté dans mes sculptures une position extrême, choisissant un matériau essentiel à la vie et sans lien avec l’art (…) la graisse représente une sorte d’anatomie humaine, la zone des processus de digestion et d’excrétions, des organes sexuels et de transformation chimique intéressantes, une zone de chaleur, psychologiquement associée à la volonté. » 1 . Ce type de sculpture nous renvoie, nous, hommes-éponges à notre « propre fragilité » 2 . C’est pourquoi il est important que l’institution muséale respecte cette sculpture précaire. La respecter ne veut pas pour autant dire « sacraliser ». Il est sidérant de voir avec quel soin presque religieux le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris a mis en bière les œuvres de Basquiat l’hiver dernier. L’urgence et le besoin de vivre dont témoignent chacune des peintures de l’artiste se sont trouvés enfermés dans des cercueils de plexiglas créant une distance avec le spectateur et empêchant par conséquent toute appropriation sensible. Les œuvres de Robert Morris sont des remèdes à cette sacralisation excessive et n’ont qu’un seul but celui d’ « offrir à l’art cette précarité, cette non-pérennité, cette instabilité qui lui garantissent de rester en éveil et de ne pas sombrer dans la fixité académique » 3 . Ainsi la sculpture vivante réclame un renouvellement permanent dans les musées. « Les productions d'art - et les vues sur elles, qui forment en son entier la matière de ce livre - elles sont comme le vin de Beaujolais : n'ont je crois, leur bouquet que bues dans l'année. Je suis présentiste éphémériste. Hors du champ tous ces tableaux refroidis pendus dans les tristes musées comme les femmes du cabinet de Barbe Bleue ! Ce furent des tableaux : ce n'en sont plus. Quelle est la durée de vie d'une production d'art ? Dix ans. Vingt, trente ? Pas plus en tout cas. À chaque repas balayer les miettes et remettre le couvert. Allez-vous accrocher dans la salle à manger des vieux biftecks et vieux gigots tricentenaires ? Bon appétit !c'est que l'art par essence est nouveauté » écrit Dubuffet en 19634. Aussi je crois que certaines œuvres doivent appeler à être touchées, l’haptique est une valeur essentielle de la sculpture molle. « Le toucher est le sens le plus analytique et aussi le plus éloigné de la vue » 5 écrit Leroi-Gourhan, c’est aussi le plus proche de la matière, de la couleur-matière, la forme ayant plus à voir avec la vue. Le cube de terre fraiche de Guillaume Leblon (National monument, 2006 au CREDAC d’Ivry sur Seine) appelle très fortement le toucher. « L’un des problèmes que pose la sculpture c’est le contact. L’idée ne suffit pas, elle ne peut rien, il faut l’action.

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Mèredieu (de) Françoise, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 2008

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Fréchuret Maurice, Le mou et ses formes : essai sur quelques catégories de la sculpture du xxe siècle, éditions Jacqueline Chambon, 2003, pp.202203 3 Ibid., p.176 4 Dubuffet Jean, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Mise en garde de l’auteur » », 1973, p.19 5 Leroi-Gourhan André, Le Geste et la Parole, Paris : Albin Michel, 1992, Tome II, La mémoire et les rythmes

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L’action se réalise dans le contact. » affirme Penone 1 . Qu’on ne touche pas Le radeau de la méduse (1819) vieux de presque de deux cents ans, cela peut se comprendre par des soucis de conservation d’une œuvre qui n’a pas été faite dans cet optique haptique. En revanche, il est inexplicable qu’effleurer La matière du temps de Serra soit interdit. C’est une sculpture monumentale à l’intérieur de laquelle le spectateur est invité à pénétrer pour la percevoir, toucher devrait faire partie de cette perception physique. La dimension vivante en art est aujourd’hui une condition essentielle pour toute réappropriation humano-spongieuse. Celle-ci passe par l’accident dans le processus créatif, la matérialité molle, la désacralisation et l’actualisation permanente des musées.

COMPLEXE HYDROPHILE « La condition de l'eau est l'horizontalité, la condition de la sculpture est la verticalité. Lever l'eau est un moment poétique. La condition de l'eau est d'être informe, la condition de la sculpture est la forme. Donner une forme à l'eau est un moment poétique. La condition de l'eau est la fluidité, la mutation, la condition de la sculpture est la solidité, la permanence. Donner de la solidité à l'eau est un moment poétique. Lever l'eau pour la boire est une nécessité vitale, visualiser cet évènement c'est construire quelque chose qui nous ressemble. »2 1976 L’eau est l’idole de l’homme-éponge. A priori cet élément peu paraître faible voire insipide. Loin de là, l’eau est forte, l’eau est protéiforme, l’eau est malléable, « l’eau est séminale »3. L’eau est aussi vitale que menaçante. Elle est avant tout une élément nourricier essentiel. L’homme ne peut vivre sans en boire. Nombre de populations souffrent voire meurent de son absence. Néanmoins quand elle est présente, l’eau peut être source de contamination en tout genre (choléra, etc …) et quand elle est trop présente, elle déborde, elle inonde et ravage ainsi tout sur son passage. Mésomorphe, l’eau peut passer facilement de l’état solide, cristallin, à l’état liquide, fluide. Elle est également capable de passer d’un état solide à un état gazeux et, par conséquent, de sublimation. Ces différents costumes dont elle se vêt témoignent de l’organisation cyclique de l’eau. Comme elle, l’homme doit être en

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Celant Germano, Penone, 1989, p.18 Penone Giuseppe, Respirer l’ombre, 2004, p.112 Bachelard Gaston, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, 1943, p.17 2 3

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perpétuel mouvement s’il veut devenir homme-éponge. Il doit passer par différentes phases à travers ce court cycle qu’est la vie. Ces phases sont les multiples expériences, accidents, qu’il a traversés. « L’homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. »1. La grande malléabilité de l’eau est aussi majoritairement due à sa transparence. Incolore, elle est le miroir de Narcisse mais aussi le miroir du monde. Son reflet fascinant révèle un monde à part entière. Marcel Dinahet en a fait son œuvre. En mettant l’objectif de sa caméra juste à la surface de l’eau, il propose un autre regard sur le monde, un regard ambivalent à la fois sous et sur l’eau. C’est de cette double perception que l’homme doit d’inspirer. Enfin l'eau c’est « la colle universelle » 2 dont parle Bachelard. Des premiers lavis chinois (VIème siècle) à la colle à papier peint, l’eau est le liant universel. Elle est cette base indispensable à toute création humaine ou artistique. Son pouvoir d’imprégnation, d’absorption, diluant est séminal et doit être aussi celui de l’homme-éponge 3 . L’eau de mer imprègne la toile de jute, la vit, la forme pleinement avant de s’évaporer. L’eau actualise chaque matériau qu’elle traverse : « À considérer les propriétés simplement humidifiantes de l’eau, on est conduit à lui prêter deux divisions : imprégnation et dissolution. La première s’applique à tous les corps qu’il s’agit d’assouplir, de gonfler, de rendre conductibles ou d’attendrir (…). Les agglutinants sont des substances qui, en dissolution plus ou moins épaisse, sont applicables sur des corps dans le but de les colorer, de les rendre imperméables ou de les coller »4 . Bachelard parle même de la combinaison eau/terre qui forme la pâte réaliste schème fondamental de la matérialité. Cette pâte c’est la pâte molle, la pâte informe et matrice. C’est à partir de ce complexe hydrophile que je conçois l’art de l’homme-éponge. Un art à la fois vital et sulfureux, un art protéiforme, un art malléable, un art séminal en totale fusion avec l’homme lui-même fort, protéiforme, malléable, séminal.

IMPRÉGNATION « Adolescent, je suis allé signer mon nom au dos du ciel dans un fantastique voyage réalistico-imaginaire un jour où j’étais allongé sur une plage à Nice… Je hais les oiseaux depuis ce temps-là d’ailleurs, car ils tentent de faire des trous dans ma plus grande

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Sartre Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, 1945, p.55 Bachelard Gaston, Op. cit., p.124 Voir « métabolisme de l’homme-éponge » dans EXPÉRIENCE Leroi-Gourhan André, L’homme et la matière, 1971, p.75

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et plus belle œuvre ! Les oiseaux doivent disparaître ! »1 Le processus d’imprégnation que je vais évoquer est en fait la métaphore du complexe hydrophile traité précédemment. Il s’agit d’un processus sensible, qui passe par le corps, les sens. Il désigne le mécanisme d’appropriation fondamental de l’homme-éponge. Ce mécanisme, c’est à l’artiste de le mettre en évidence afin de permettre à l’homme de sublimer sa vie. Cette appropriation sensible, Yves Klein en a fait son œuvre. Elle commence avec l’extase enfantine (« … Projeter ma marque hors de moi, je l’ai fait ! 
Quand j’étais enfant…
Mes mains et mes pieds trempés dans la couleur, puis appliqués au support, et voilà, j’étais là, en face de tout ce qui était psychologique en moi. J’avais la preuve d’avoir cinq sens, de savoir me faire fonctionner ! » 2 ) puis le constat adolescent (voir ci-dessus) et enfin la peinture. À travers sa peinture, ses monochromes IKB, Yves Klein a voulu abolir la frontière entre le tableau et l’espace d’exposition (« Oui, je pourrais même dire que, dans mes tableaux, j’ai réussi à supprimer l’espace qui existe devant le tableau, dans le sens où la présence du tableau envahit cet espace et le public lui-même ») 3 . Son œuvre est hors cadre, elle a lieu « ici et maintenant » entre le spectateur et l’espace, puis peu à peu il n’y a plus d’entre deux, elle est « vie ». Klein écrit à propos de ses monochromes qu’« il n’y a, à présent, plus d’intermédiaire : on se trouve littéralement imprégnés par l’état sensible pictural spécialisé et stabilisé au préalable par le peintre dans l’espace donné, et c’est une perception-assimilation directe et immédiate sans plus aucun effet, ni truc, ni supercherie. » 4 . En donnant naissance au concept de « sensibilité picturale », Klein espère transmettre, imbiber chaque individu qui voit son œuvre du « fantastique voyage réalistico-imaginaire » qu’il fit enfant. De même j’aimerais que chaque personne qui voit mes sculptures, les absorbe, les vive et les intègre comme l’une de nombreuses expériences qui construisent sa vie. Pour parvenir à cet état, l’art doit réveiller l’imagination matérielle qui est en chacun de nous. « L’imagination matérielle a besoin de l’idée de combinaison » et « l’eau illustre les thèmes de combinaison des puissances », « elle attire à elle beaucoup d’essences (sucre opposé au sel) » et « imprègne toutes les couleurs, odeurs » écrit Bachelard à son propos 5 . La teinture est la métaphore concrète de cette imagination matérielle. Les éponges imbibées d’IKB de Klein (série des Sculptures éponge bleue sans

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Klein Yves, Le vrai devient réalité, 1960 Ibid. 3 Klein Yves, Le dépassement de la problématique en art et autres écrits, 2003, p.46 4 Ibid., p.84 5 Bachelard Gaston, Op. cit., p.109 2

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titre SE, 1959-60) réalisées à la fin de sa vie (il meurt en 1962) marquent l’apogée de l’artiste, la fameuse « sensibilité picturale » matérialisée. Elles rendent tangible le moment T où l’artiste fait corps avec son œuvre, insémine, s’approprie le matériau, le monde. « L’acte de teindre prend toute sa force première … apparaît bientôt comme une volonté de la main qui presse l’étoffe jusqu’au dernier fil. La main du teinturier et une main de pétrisseur qui veut atteindre le fond de la matière, l’absolu de la finesse. La teinture va ainsi au centre de la matière. » 1 écrit Bachelard cité par Florence de Mèredieu. L’artiste devient alors catalyseur de sensibilité. « L’œuvre d’art et les gestes de l’artiste ont pour seule fonction de nous rendre perméable à l’environnement, d’ouvrir toutes grandes les vannes de notre sensibilité et de nous placer dans un état de fusion et de totale continuité avec la nature. » 2 écrit-elle aussi. Néanmoins, pour sublimer le monde sensible, l’artiste doit y participer et y vivre. L’artiste n’est pas un prêtre enfermé dans la plus haute flèche de son église attendant passivement quelque signe divin. Comme je l’ai déjà écrit plus haut, l’homme-éponge est actif, il est acteur du monde sensible. Le peintre ne doit pas se détacher du peintre en bâtiment ou du chimiste, le sculpteur doit regarder le maçon comme le fait remarquer Jean Dubuffet « (...) N’enfermez pas l’art coupé du monde, dans une Trappe. Je veux la peinture pleine d’odeur de tout cela - donc des décors, des badigeons, des enseignes et des pancartes, et des tracés du talon sur la terre. Ce sont ses terroirs d’origine.» 3 . La non spécificité du médium dans l’art contemporain déjà évoquée plus haut 4 encourage vers un art toujours plus libre, plus vivant comme l’exclame Klein « L’art c’est la liberté totale, c’est la vie ; dès qu’il y a emprisonnement d’une manière quelconque, il y a atteinte à la liberté, et la vie diminue en fonction du degré d’emprisonnement. »5 où l’artiste EST. Il est ce tout rempli d’expériences et d’accidents que doit être chaque hommeéponge. Finalement, en proclamant « Je suis l’acteur, je suis le compositeur, l’architecte, le sculpteur. Je tiens à dire : Je suis. »6, Yves Klein est lui aussi un homme-éponge.

1 Mèredieu (de) Françoise, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 2008, p.102 2 Ibid., p.418 3 Dubuffet Jean, L’Homme du Commun à l’Ouvrage, « Notes pour les fins lettrés », 1973, p.24 4 voir entrée « MATIÈRE-COULEUR » 5 Klein Yves, Le dépassement de la problématique en art et autres écrits, 2003, p.245 6

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Ibid., p.176

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CONCLUSION « L’homme n’est plus artiste, il est devenu œuvre d’art (…). Ici se pétrit l’argile la plus noble, se sculpte le marbre le plus précieux : l’homme lui-même … »1 Aux matériaux bruts, les « mots bruts » ; à l’art brut, l’écriture brute. Immergés dans le monde immatériel de l’image d’où nous ne distinguons plus le vrai du faux, le profond du superficiel, prenons le temps de « voir ». Que l’art ne soit pas le seul moment de réappropriation sensible de notre vie mais que la vie soit réappropriation sensible. L’Homme-éponge que je suis tend de plus en plus à fuir cette intangible société de l’immatériel et à admirer les artistes comme Francis Alÿs et Gabriel Orozco qui ont choisi de la quitter pour l’Amérique du Sud. Je veux marcher, être « reporter » international du monde sensible, conquérir de nouveaux matériaux, de nouvelles matières-couleurs, les révéler à travers d’autres gestes et faire de la vie ma principale valeur.

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Nietzsche Friedrich, La naissance de la tragédie, 1872

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PLANCHES ICONOGRAPHIQUES

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8. 1. Best Global Brands 2010 MATÉRIALITÉ/VALEUR 2. Bourse de Washington 3. Yves Klein, Cession d’une Zone de sensibilité picturale immatérielle à Michael Blankfort, 10.02.1962 4. Yves Klein, Reçu (n°2) de l’une des Cessions de Zone de sensibilité picturale immatérielle 5. Emma Bourgin, Puce, 2009, plâtre, polystyrène, peinture, ESBAM 6. Capture d’écran depuis le site de Christie’s 7. Lawrence Weiner, In relation with to three colors : Red, White, Blue, 2003, Galerie Yvon Lambert 8. Yves Klein, Cession d’une Zone de sensibilité picturale immatérielle à Dino Buzatti, 26.01.1962

-> PLANCHE 1

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2.

ARTISTE, «VOYANT», ENFANT -> PLANCHE 2 1. Yves Klein, Le Saut dans le vide , 5, rue Gentil-Bernard, Fontenay-aux-Roses, octobre 1960 Action artistique d’Yves Klein Titre de l’œuvre d’Yves Klein d’après son journal Dimanche 27 novembre 1960 : « Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! », 1960 © Adagp, Paris 2007 2. Paul Verlaine, Rimbaud à la pipe, 1872, portrait après-coup qui figure en frontispice de l’édition des Poésies complètes chez l’éditeur Vanier

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MARCHER -> PLANCHE 3 1. Emma Bourgin, Pic de Cagire, août 2010, photographie 2. herman de vries, Rivières, ravins, et vallées des traces et points (cartographie réalisée par Jean-Paul Desideri) 3. herman de vries, traces («ambulo ergo sum»), 2005, projet de résidence à Digneles-Bains, Musée Gassendi 4. herman de vries, traces («ars vivens»), 2005, projet de résidence à Digne-les-Bains, Musée Gassendi 5. Francis Alÿs, Paradox of Praxis 1 (Sometimes Making Something Leads to Nothing), Mexico City 1997, vidéo couleur sonore, 4:59 min 6. Emma Bourgin, Promenades Sensibles (Tentative de capture du soleil, Marcher dans la neige, Marcher dans le forêt, Marcher dans la mer, Marcher sur des couteaux, Marcher sur le sable), 20092011, série de six vidéos couleur sonores (4:34 min, 4:48 min, 5:12 min,

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«REPORTER» -> PLANCHE 4

1. Gabriel Orozco, Piedra que cede (Yielding Stone), 1992, plasticine, débris, 36,8 x 39,4 x 40,6 cm, Walker Art Center, Minneapolis 2. Yves Klein, Le Vent du Voyage (COS 27), ca. 1961, 93 x 74 cm, Collection Privée 3. Naomi Kawase, La forêt de Mogari, 2007, 1h37 4. Emma Bourgin, 47,5 km/291 min, 2010, vidéo couleur sonore, 25:6, ESAM

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(CON)QUÊTE -> PLANCHE 5

1. Emma Bourgin, 45 cm3 de mousse, 2010, mousse végétale, 45 x 45 x 45 cm, ESAM 2. herman de vries, le musée des terres, earth museum in Musée Gassendi, Digneles-Bains, © Musée Gassendi, Digne-lesBains 3. Wolgang Laib, Récolte du pollen de pissenlit 4. herman de vries, from earth : el hierro, 2002, frottages de terres sur papier, 50 x 70 cm, © Galerie Aline Vidal 5. Emma Bourgin, Terre, 2010, terre de Grimbosq, 30 x 27 x 26 cm, ESAM

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1. Atelier Peinture, poussière de pierre, mars 2011, ESAM 2. Atelier Peinture, Feuille de cire 2, mars 2011, cire d’abeille, palets de bois, 57 x 53 x 0,1 cm et 35 x 11 x 7 cm, ESAM 3. Atelier Peinture, vue de l’accrochage (frottages de terre, de fleurs, poussière de pierre et colle de peau de lapin sur papier, IBB sur polystyrène), mars 2011, ESAM 4. Atelier Peinture, réalisation d’un frottage de fleur, mars 2011, ESAM 5. Atelier Peinture, vue de l’accrochage (Feuille de cire 1, Feuille de cire 2, boule de plastiline bleu outremer, toile de jute et polystyrène imprégnés d’IBB, Poussière de Pierre), mars 2011, ESAM 6. Poussière de Pierre, mars 2011, poussière de pierre de Caen et colle de peau de lapin sur papier, 56 x 55 cm, ESAM

LABORATOIRE -> PLANCHE 6

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EXPÉRIENCE -> PLANCHE 7

1. Allégorie de la caverne 2. Coulage de cire sur la neige, février 2012, ESAM 3. Emma Bourgin, Sans titre, 2009, grillage, ESBAM 4. Guillaume Leblon, Notes, 2007, vidéo couleur sonore, 7:22 min, Galerie Jocelyn Wolff 5. Emma Bourgin, Feuille de cire 3, 2011, cire d’abeille, 175 x 75 x 0,1 cm, ESAM

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MATÉRIAU -> PLANCHE 8

1. herman de vries, change, 2008, 2 blocs de chêne 55,5 x 15 x21,8 cm et 58 x 17 x 24 cm, Galerie Aline Vidal 2. Laurent le Deunff, Matelas, 2009 Bois de charpente, tiges filtées, boulons 200 x 22,5 x 82 cm, Biennale d’art contemporain du littoral d’Anglet, été 2009 3. Studio Tjep, Recession Chair, 2011, chaise Ikéa en bois poncée 4.Emma Bourgin, Fendre/Révéler, 2010, 2 billes de bois fendues au coin, Saint Cosme en Vairais 5.Gruppo Sturm, Pratone, 1971, polyuréthane peint, 140 x 140 x 95 cm 6.Emma Bourgin, Wood, 2011, panneau de laine de bois, 120 x 76 x 10 cm, ESAM

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8. 1. Katinka Bock, Landschaft mit Hut, 2008 pierre, feutre, sable, 200 x 200 cm, Galerie Jocelyn Wolff 2. Robert Smithson, Untitled (micra and glass), 1968-69, micra and glass, 45 x 45 x 45 cm, Collection Statens Museum for Kunst (Villads Villadsen) 3. Joan Miro, Bleu II, 1961, huile sur toile, 270 x 355 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris 4. Constantin Brancusi, Le nouveau-né I, 1915, marbre blanc, 15 x 21,2 cm, Philadelphia Museum of Arts, Philadelphie 5. Richard Serra, La Matière du Temps, De l’avant vers l’arrière : Torqued Spiral (Closed Open Closed Open Closed), 2003 , Torqued Ellipse, 2003-4 ; Double Torqued Ellipse, 2003-4 ; Snake, 199497 ; Torqued Spiral (Right Left), 20034 ; Torqued Spiral (Open Left Closed Right), 2003-4 ; Between the Torus and the Sphere, 2003-5 ; Blind Spot Reversed, 2003,5 ensemble de sept sculptures monumentales en acier patinable, Musée Guggenheim de Bilbao 6. Sylvie Blocher, 1995, Dessins en transfert, lettrage autocollant, entre 10 et 20 mètres, FRAC Bourgogne 7. Emma Bourgin, Pierre, 2011, pierre de Caen, 38 x 30 x 20 cm, ESAM 8. Richard Serra, Verb list, 1967-1968

LE (MOINDRE) GESTE -> PLANCHE 9

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FORME/MATIÈRE -> PLANCHE 10

1. Photographies prises lors d’une visite de la carrière de pierre de Caen à Cintheaux en décembre 2011 2. Emma Bourgin, Étang, 2009, photographie numérique couleur, 80 x 60 cm

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8. 1. Wolfgang Laib, Pollen from Hazelnut, 1992, pollen de noisetier, 400 x 500 cm, Installation au Musée d’ Art Contemporain de Los Angeles, 1992 2. Anish Kapoor, White sand, Red millet, Many Flowers, 1982, techniques mixtes et pigments, 101 x 241.5 x 217.4 cm, Collection Arts Council, South Bank Centre, London 3. Yves Klein, Monochrome bleu sans titre (IKB 67), 1959, Pigment pur et résine synthétique sur gaze montée sur panneau 93 x 73 cm © Adagp, Paris 2011; Takashi Murakami, MCBST, 1959 -> 2011, acrylique sur toile montée sur bois, 92 x 73 cm, exposition Homage to Yves Klein, Galerie Emmanuel Perrotin, Paris 4. Sergei Paradjanov, Sayat Nova (La couleur de la grenade), 1968, 1h18 5. Emma Bourgin, In ruisseau, 2010, vidéo couleur sonore, 0:26 min 6. Emma Bourgin, Bleu/Rouge, 2009, IBB et IBR sur toile, 33 x 41 cm 7. Emma Bourgin, Monochromes pièges, 2010, pastel gras d’Albi sur papier de soie, 15 x 15 cm (x3) 8. Emma Bourgin, Richochets bleus, 2009, IBB, eau et pigments sur panneau percé en médium, 58 x 60 cm

MATIÈRE-COULEUR -> PLANCHE 11

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7. 1. Robert Morris, Wall Hanging, 19691970, (Tenture), de la série Felt Piece, Feutre découpé, 250 x 372 x 30 cm © Adagp, Paris 2006 2. Guillaume Leblon, National Monument (2006-2010), argile, tissu en coton, atomiseur automatique, au Centre Culturel Français de Milan, 2010 3. Giovanni Anselmo, Senzo titolo (Struttura che mangia), 1968, Granit, fils de cuivre et laitue fraîche, 70 x 23 x 37 cm, Centre Georges Pompidou, Paris Musée National d’Art Moderne 4. Joseph Beuys, Stuhl mit Fett (Chaise avec graisse), 1963, chaise et graisse, Hessisches Landesmuseum Darmstadt 5. Katinka Bock, trostpfuetzen (Consolation puddles), 2010, argile et eau, exposition New Alchemy. Contemporary Art after Beuys, LWL-State Museum of Art and Cultural History, Münster 6. Wolfgang Laib, Milkstone (Pierre de lait), 1977, Marbre blanc recouvert de lait, 143,5 x 139,5 x 2 cm, Centre Georges Pompidou, Paris - Musée National d’Art Moderne 7. Emma Bourgin, Beeswax, 2011, cire d’abeille, 190 x 35 x 1,5 cm, ESAM

LE MOU, LE VIVANT -> PLANCHE 12

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COMPLEXE HYDROPHILE -> PLANCHE 13

1. Ange Leccia, La Mer, 1991, vidéo couleur, 4 min © FRAC Corse 2. Giuseppe Penone, Essere fiume, 1981, Pierre naturelle et pierre taillée, 40 x 40 x 50 cm env. chacune, Collection particulière, Turin, Ph. Salvatore Mazza, 3. Le cycle de l’eau 4. Robert Morris, Steam, 1967-1995, vapeur d’eau, CAPC de Bordeaux, 1995 5. Marcel Dinahet, Fleuve (La Tamise, Westminster), 2008, vidéo couleur sonore, exposition 2 cm mehr - 2 cm de + au L.A.I.T., Albi, 2011 6. Emma Bourgin, Robe Outremer, 2011, vidéo couleur, 1:45 min

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1. Yves Klein, L’Arbre, grande éponge bleue, 1962, Pigment pur et résine synthétique sur éponge et plâtre, 150 x 90 x 42 cm, Centre Georges Pompidou, Paris - Musée National d’Art Moderne 2. Emma Bourgin, Jute, 2011, vidéo couleur sonore, 3:32 min 3. Magdalena Abakanowicz, Abakan Red 1969, 1969, jute sur support en métal, 300 x 300 x 100 cm, Collection of the Museum Bellerive, Zurich 4. Gyan Panchal, sans titre, 2011, Sari traditionnel rigidifié par un liant puis froissé, 800 x 120 cm, Pièce unique, Vue de l’exposition Paris - Dehli - Bombay, Centre Georges Pompidou, Paris, France, 2011 5. Emma Bourgin et Johanna Wetton, Cellule, 2011, sculpture en grillage et torchis réalisée à l’Abbaye d’Ardenne (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine) à Saint-Germain la Blanche Herbe dans le cadre du festival CourtCircuit 6. Wolfgang Laib, Chambre des certitudes, Prieuré de Marcevol, 2000, cellule de 2 m x 4,50 m x 3 m , tapissée de plaques de cire d’abeille; une ampoule en la réchauffant permet à l’odeur de la cire de se développer 7. Emma Bourgin, Sans titre, 2010; laine de mouton imbibée d’IBB sur palette en bois, 400 x 150 x 1,5 cm (laine) et 120 x 80 x 12 cm (palette), ESAM

IMPRÉGNATION -> PLANCHE 14

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BIBLIOGRAPHIE, FILMOGRAPHIE

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BIBLIOGRAPHIE Bachelard Gaston, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, Paris : J. Corti, 1942 Basualdo Carlos, Medina Cuauhtémoc, Davila Thierry ; Dirigé par Philippe Grand, Francis Alys : catalogue d'exposition, Antibes, Musée Picasso, 14 avr.-17 juin 2001, Paris : Réunion des musées nationaux, 2001 Baudelaire Charles, Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Calmann Lévy, 1885 (III. L’Art romantique, pp. 58-67) Beuys Joseph, Joseph Beuys : Musée national d'art moderne, Paris, 1994 / commissaires Harald Szeemann ; Fabrice Hergott ; Paris : Centre Pompidou, 1994 Bonnefoy Yves, Les planches courbes, Editions Gallimard, 2003 Bourgin Emma, L’Immatériel ou l’avènement de « l’Homme – Éponge », 2009, http://l-homme-eponge.blogspot.com/2009/10/limmateriel-oulavenement-de-lhomme.html Celant Germano, Penone, Milan : Electa, 1989 Cézanne Paul, Entretiens avec Cézanne, Paris, Macula, 1978 Davila Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXème siècle, Paris : Le Regard, 2002 Deleuze Gilles, « L’Épuisé », postface à Quad, de Samuel Beckett. Paris, Éd. de Minuit, 1992 Deleuze Gilles et Guattari Félix, Mille plateaux : capitalisme et schizophrénie, Paris : Editions de Minuit, 1980 Dubuffet Jean, L'homme du commun à l'ouvrage ; préface de Jacques Berne, Paris : Gallimard, 1973 Dubuffet Jean, Asphyxiante culture, Paris : J.-J. Pauvert, 1968 Dubuffet Jean et Gombrowicz Witold, Correspondance, Paris : Gallimard, 1995 Dupin Jacques, « Bleu et sans nom », Contumace, P.O.L., 1986) Fréchuret Maurice, Le mou et ses formes : essai sur quelques catégories de la sculpture du XXe siècle, Paris (Ecole nationale supérieure des beaux-arts), 1993 Friedman Yona, L’architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, 1978, Editions de l'Eclat, 2003 Gorz André, L’Immatériel, connaissance, valeur et capital, Editions Galilée, 2003 Gros Frédéric, Marcher, une philosophie, Flammarion, 2011 Klein Yves, Conférence à la Sorbonne (L’évolution de l’art vers l’immatériel), 1959, http://ubumexico.centro.org.mx/sound/klein_yves/KleinYves_Conference-A-La-Sorbonne-1959.mp3 Klein Yves, Le vrai devient réalité, 1960, http://www.yveskleinarchives.org/documents/vrairealite_fr.html Klein Yves, Manifeste de l’Hôtel Chelsea, 1961, http://www.yveskleinarchives.org/documents/chelsea_fr.html Klein Yves, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, ENSBA, 2003 Leroi-Gourhan André, L’homme et la matière, Paris : A. Michel, 1971 Leroi-Gourhan André, Le Geste et la Parole, Paris : Albin Michel, 1992, Tome II, La mémoire et les rythmes Macel Christine, Temkin Ann, Gabriel Orozco : Centre Pompidou, galerie Sud, 15 septembre 2010-3 janvier 2011 ; avec les essais de Christine Macel, Ann Temkin, Briony Fer et al. , New York (N.Y, Etats-Unis d'Amérique) : Museum of modern art, 2010Paris : Ed. du Centre Pompidou, 2010

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Manzini Ezio, La matière de l’invention, Paris : Centre Pompidou, 1989 Martinet André, Eléments de linguistique générale, A.Colin 1970 Mèredieu (de) Florence, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, Paris : Larousse, 2004 Merleau-Ponty Maurice, L’œil et l’esprit, 1964, Gallimard, 2007 Miró Joan, Cantic del Sol, Valladolid : Patio Herreriano, Museo de arte contemporáneo español, cop. 2003 Nietzsche Friedrich, La naissance de la tragédie, 1872, Gallimard, 1989 Nietzsche Friedrich, Le Gai Savoir, 1882, Flammarion; édition revue et augmentée, 2007 Penone Giuseppe, Respirer l'ombre ; préface de Didier Semin ; Paris : Ecole Nationale des Beaux-Arts, 2004 Ponge Francis, Le parti pris des choses, Gallimard, 1967 (parution originale en 1942) Ponge Francis, L’atelier contemporain, Paris : Gallimard, 1977 Rimbaud Arthur, Lettre dite du « voyant », 1871, in Agnès Lévy, Coffret 2 Vol. Rimbaud La vie, l’œuvre, France Loisirs, 2005 Rimbaud Arthur, Poésies : derniers vers, une saison en enfer, illuminations, Paris : le Livre de poche, 1972 Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Flammarion, 2008 (parution originale en 1755) Sartre Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, Nagel, 1946 Sloterdijk Peter, Sphères III. Écumes. Sphérologie plurielle, Hachette Littératures, 2006 Spinoza Baruch, Éthique, Gallimard, 1994 (parution originale en 1677) Tosatto Guy, Wolfgang Laib, Ailleurs, Carré d’art, Musée d’art contemporain de la ville de Nîmes, 1999 Waller Irène, Textile sculptures, Londres : Studio Vista, 1977 Yoshihara Jiro, Le manifeste de l'art Gutaï par Jiro Yoshihara ( Gendai bijutsu sengen ), extrait de Geijutsu shincho, (Nouvelles Tendances artistiques), Tokyo, décembre 1956

FILMOGRAPHIE Antonioni Michelangelo, Zabriskie Point, 1h45, 1970 Kawase Naomi, La forêt de Mogari, 1h37, 2007 Kusturica Emir, Arizona Dream, 2h21, 1992 Paradjanov Sergei, Sayat Nova (La couleur de la Grenade), 1h18, 1968 Penn Sean, Into the Wild, 2h27, 2008 Van Sant Gus, Last Days, 1h37, 2005

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Je souhaite remercier : Gyan Panchal Michèle Martel et les professeurs ayant contribué à l’élaboration de ce répertoire Kate Blacker l’ensemble des techniciens de l’ESAM et plus particulièrement Christian Gabard l’équipe de la bibliothèque de l’ESAM Philippe Giraud (Atelier de la Pierre) ainsi que tout ceux, ami(e)s, famille, rencontres, ayant contribué de près ou de loin à l’évolution de mon projet

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Le Plancher, 2012 cire d’abeille, palettes, bois 315 x 365 x 14 cm


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