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MIGROS MAGAZINE | No 49, 2 DÉCEMBRE 2013 |

SOCIÉTÉ

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PIERRE-ALAIN CAPT | 21

Pour chaque étape, il a également fallu retrouver l’outil adéquat.

Pierre-Alain Capt applique les finitions décoratives avant que les pièces ne soient cuites en accord avec les techniques pratiquées à l’époque.

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ous ne savez pas ce que c’est un archéocéramiste? C’est normal, j’ai inventé le terme.» Entre chats interrogateurs et fourneau qui rougeoie, Pierre-Alain Capt nous reçoit dans le salon-cuisine de cette ancienne maisonatelier de Cuarny sur Yverdon qu’il occupe depuis trente ans. Du bois clair et chaleureux du sol au plafond, en passant donc par la cuisinière: l’artisan aux allures de Gaulois et dont la céramique gallo-romaine constitue la période de prédilection ne prend de la modernité que ce qui lui est indispensable. Comme internet, qui aide à faire connaître ses recherches sur les techniques de poterie dans l’Antiquité auprès des collectionneurs tout comme des musées.

Un artisan comme on n’en trouve plus Pierre-Alain Capt n’est ni archéologue ni potier. «Juste passionné par l’archéologie depuis l’enfance. Une orientatrice scolaire m’avait répondu que ce n’était pas un métier. Cela n’a pas éteint mon intérêt, heureusement.» Mais il faudra attendre le début de la trentaine et un coup de pouce du destin pour concrétiser cette passion. En effet, lors d’une balade, il trouve des tessons gallo-romains au bord d’un chemin. N’ayant jamais arrêté de se documenter, une des revues spécialisées qu’il conserve lui dévoile les plans d’un four de cuisson de la même période. «J’ai décidé de m’en construire un. Et d’ap-

prendre ce mode de cuisson où tout se fait au jugé à l’œil, sans les instruments de mesure actuels. La journée, je continuais à exercer mon activité de vente et d’entretien de matériel pour la psychothérapie. Mais aussitôt rentré, je me plongeais dans la poterie. Et comme je voulais retrouver la méthode antique sans aucune «pollution» de méthodes contemporaines, le chemin a été long et difficile. Ça a duré dix ans.» Une décennie d’études et de tâtonnements pour concevoir lui-même les outils correspondant à ceux des artisans de l’époque. Une lame vibrant dans le sens contraire du tour pour la décoration. Ou une forme à mitaine pour un certain type d’enfoncements à l’extérieur, mais aussi des galets arrondis pour l’intérieur de la lèvre, bien lisses pour le polissage. Il lui a également fallu cuire, et son premier métier de mécanicien constructeur de machines lui fut très utile: «Car à l’époque, on nous avait appris à jauger la température de trempe des outils.» Dans le petit atelier attenant où chaque mètre est compté, et chaque étagère occupée par des œuvres terminées ou en attente de cuisson, PierreAlain Capt tourne au pied, à la façon de nos ancêtres du IIe siècle. «Tout comme eux, je n’utilise pas de glaçure et travaille avec des assemblages d’argile uniquement, ce qui demande des temps de finition beaucoup plus longs.» Dix ans d’études autodidactes suivies de vingt-neuf ans de pratique et d’auto-formation continue: aujourd’hui au sommet de

son art, l’archéocéramiste collabore étroitement avec les milieux universitaires, donne des conférences, écrit dans des revues savantes. «On dispose finalement de peu de données complètes sur les méthodes de travail des céramistes de l’époque. Je me suis en quelque sorte retrouvé face à un immense puzzle qu’il a fallu reconstituer.»

Le feu de la passion continue de brûler au fourneau A l’approche de la soixantaine, le Vaudois préfère toujours aller chercher son bois en forêt plutôt que de se le faire livrer et continue d’allumer dans son poétique coin de jardin le plus grand de ses trois fours, d’environ 1 m 15 de haut, ce qui lui permet d’y placer jusqu’à dix grandes amphores d’un coup, été comme hiver. «C’est assez physique, et je sens mon âge pour certains gestes, mais dans l’ensemble, ça va. La bise hivernale est la seule chose qui m’arrête. C’est vraiment trop désagréable», explique-t-il, tout en trempant rapidement son pot selon la technique de l’engobage. «La grande combine de la céramique antique, c’est ça. Après le tournage, lorsque la pièce est sèche et qu’on a enlevé les impuretés, on la trempe dans une solution d’argile très ferrugineuse, avec un temps de fusion plus bas que le corps de la pièce. Avec la chaleur du four, elle virera au noir ou au rouge.» Texte: Pierre Léderrey Photos: Laurent de Senarclens

Ce ton noir est obtenu grâce à un bain d’argile riche en fer.


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