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ŒUVRES COMPLÈTES

D'ALEXANDRE DUMAS LE COMTE DE MONTE-CRISTO IV


ŒUVRES COMPLETES D'ALEXANDRE DUMAS PUBUKKS DANS LA COLLECTION MlCnSL LBVT Ac!é

La Femme aa

1

Aniaury

1

Ange

3 2

l'iiou

Ascanio

Une A\ciiture mour Aveiiiores

de

...

Une

Fille du réi,'eiil Filles, Loreiies et

d'a-

.

Mém.

3

Gabriel Laniliert. Les Garibaldiens

{

Gaule

LcsM;uicsellfsricus LaBouillicdclacuiu-

3

Geort;es

Un G

3

LeCapiiaiiiel'iinii'liilc

1

Cadet de

LeCapittiine l'aiil. . Le Capitaine Itliino. Le Capitaine Uicliai'd Cailierine Biuui. Caoserit'S Cécile

<

1

1

2

Le

Clievaliei'

....

2

La

3

Comtesse

6

La Comtesse de Sa2

li.->l)ury

Les Confessions

iJe la

njari|uise

Conscience ceni Création et

2 l'Innu-

Rédemp-

— LaFilleduManinis

2

LaD^iiiiedcMon oicaii La Dame de Volupté.

3

LtsLeuxLi.>nu. . . Les Leux lleJucà. . Liiu dis) ose. ... Le Drame de 93 . . Les Drames de la mer

2

LyoDna.

.

Savoie rarisiens ciaux

Provin-

et

Lel'asleurd'Ashbourn Pauline et Pascal

Bruno

Un Pays inconnu.

Le

.Spcronarc.

.

Le Véloce..

.

l.^aac l.a(|nedeni.

.

Princesse de .Monaco. La Princesse Floia.. Propos d'Art et (le Cui.-iiic

Les Quarante-Cinii. La Kei;cnce La Reine Mar«ot .

do

lloodle Proscrit La Route de Varennes. Le Salléadur. . . . Salvalor («uiii il«] lo'ilRoliiii

caiK du Parii)

....

.

Souvenirs d'une Fa-

.

voriie-

Sylvandire 'Icrrciir pnis.sionno. Le 'l'esiMnient de M.

Louis XI V tison tjiixle Louis XV et sa Cour. Louis XVI et la llé-

1

Jeliannc

la

Tucelle.

.

.

VdllItiUM

Les s

tUILt

Louves

de .Ma-

Aliidamcdc Clianililay. COLl.N

.

.

.

.

.Mousnue-

taires

Le Trou do Pciifor . La Tulipe noire. . . Le Vicomte de Uragelonm; La Vie au

Une

cliecoul

.

Les Siuarts Snlianella

2 n

Sonvciiirsdrainaiii|ues

Les Trois

.

.

.

Wullor

iradatliM)

.

Souvenirs d'Anlouy

Jane

(

.

.

.

de Bavière. . Haliens cl Flamamls. Ivanlioe

.

Le Père Gigogne . . Le Père la Uuine. . Le Prince des Volcui:;

3 2

2 .

Russie.

Scott

do Cléves. . Le l'âge du Aiiii do

(ilynipe

LaSan-FtIice.

Kn

vile.

l'Ioreiice.

Cliauvelin Tliéâiie complot. Trois Maîtres. .

La Maniuise d'Esi^uiiua

Paris à Cadix.

Quinze jours au Sinal

il

Jacijues Orli.s. . . . Ja('i{uolsan3 Urcilles.

2

LcsDian]e.«gal:inis.—

com.in

.

la

ls;licl

tion.— LeLocicur

...

— — — —

De

.

de

La Villa Paliuieri. Ingénue

2

DiysKrieux.

Le Gorricolo

Le Midi France

~ —

6

de

Cliarny

i

....

— — —

Le

Coniie de AlonleCrislo

Année

Los Compagnons de Jéliu

Une

3 1

.

.

.

Florence L'Arabie lleuicuse. LcsBordsduIliiin Le Capit. Arena. Le Caucase. . .

li:ilir«

liCilibrils.

.

.

Iniprcssionsdevoyage: En Suisse. . . .

2

son-Ronpe. ... Le Ciillierdclareiiie.

iim

noiseite

Mai-

Cli(V.ilicrdc

LaColomlie.

Ilenii IV, Louis XIII, Uicliclieu. . La Guerre des reinines llisl. de mes l-êtes. Histoire d'un casse-

L'Horoscope L'He de Fen.

2

Les jMorts vont Napoléon

Une Nuil

Cés.ir

1

d'Iiai-

n.ei.lal

Le

Les.Moliicaiisde Paris

L'Homme aux contes. Les Hommes de Ter.

LcClia^scurdeSauvagine LcCliâieaud'Eppsieiii

Ca-

2

t

Charles le Téméraire.

d'une aveugle. .'\Ienioires d'un médecin B.ils.ni'). . Le Meneur de loups. Les Mille et un Fantômes :

.

.

1

.

.

Blas en

il

.

. .

Les Grands Ilonnues en robede chambre:

raniiilc.

Un

. .

France.

Cl

liroiiiio

1

,

Les Frères corses.

Blarli

1

.

.

Mémoires de tiaribaldi

du lor(al

2 2

.

.

.

Fils

.

Havjs Les baleiniers. . . LeBAiaiddcMaulcuii

....

.

.

Le

i

Médicis.

.

Mes Mémoires.

1

.

Olifus

Les

.

Courtisanes.

de Jobn

tesse Uerilie. . La lioiile (le neige Bric-à-llrac

La Maison de çjl.iiis. Le .Maître d'armes.. LesMariai;es du pèra

collier

velours.

Fernande

Désert. Vieil'ariisla .

Vingt Ans après.

lUrUIllEltlE un. LAU.

Y

. .

.


LE COMTE

k

MONTB-GRISTO PAR

ALEXANDRE DUMAS IV

NOUVELLE EDITION

PARIS

CALMANN LÉVY, ÉDITEUa ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÉRBS 3,

RUE AUBER,

3

1800 Droits de /eproduction et de trftductioa r4serv4i



LE COMTE

DE MONTE-CRISTO

ï

M. NOlRTlER DE VILLEFORT.

Voici ce qui s'était passé dans la maison

du

fille,

madame

après le départ de

roi et

pendant

du procureur

Danglars

et

de sa

conversation que nous venons de rap-

la

porter.

M. de

Villefort était entré

dame de

Villefort;

chez son père, suivi

dema^

quant à Valentine, nous savons où

elle était.

Tous deux, après avoir salué

le vieillard, après avoir

songédié Barrois, vieux domestique depuis plus de vingtcinq ans à son service, avaient pris place à ses côtés.

M. Noirtier, assis dans son grand fauteuil à roulettes,

où on

le plaçait le

matin

et

d'où on

le tirait le soir, assis

devant une glace qui réfléchissait tout l'appartement lUi

permettait de voir, sans

devenu impossible, qui TOME

IV.

même

entrait

tenter

et

un mouv^.ment

dans sa chambre, qui en i


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

2

sortait, et ce

qu'on

faisait tout

comme un

immobile

autour de

dont

ntellifrenL; et vifs ses enfants,

férence

lui

lui

;

M. Noirtier,

cadavre, regardait avec des yeuï la

cérémonieuse ré-

annonçait quelque démarche

officielle

inat-

tendue.

La vue

comme deux

,

humaine déjà aux

étincelles,

la vie intérieure

un

ani-

cette matière

quarts façonnée pour

trois

encore, de ces deux sens,

dehors

deux seuls sens qui

et l'ouie étaient les

massent encore

tombe ;

la

seul pouvait-il révéler

qui animait

la statue

gard qui dénonçait cette vie intérieure

était

une de ces lumières lointaines qui, durant prennent au voyageur perdu dans ur désert

au

et le re-

:

semblable à nuit, ap-

la

qu'il

y a en-

core ua être existant qui veille dans ce silence et celte obscurité.

Aussi, dans cet œil noir

du vieux

Noirtier,

surmonté

d'un sourcil noir, tandis que toute la chevelure, qu'il portait

longue

dans cet

œil,

et

pendante sur

comme

blanche;

les épaules, était

cela arrive pour tout organe de

l'homme exercé aux dépens des autres organes, concentrées toute

s'étaient

l'activité, toute l'adresse, toute la forre,

toute l'intelligence répandues autrefois dans ce corps et Certes, le geste du bras le son de la du corps manquaient, mais cet œil puisii commandait avec les yeux; sant suppléait à tout remerciait avec les yeux; c'était un cadavre avec de yeux vivants, et rien n'était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s'allumait une co-

dans cet

esprit.

,

voix, l'attitude

:

lère

ou

luisait

une

joie.

Trois personnes seulement sa-

yaient comprendre ce langage du pauvre paralytique c'étaient Villefort, Valentine et le

nous avons déjà q;ue

parlé. Mais

rarement son père,

et.

comme

pour

:

vieux domestique dont Villefort

ainsi dire,

nt voyait

quand

ii

ne


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. pouvait faire autrement

comme,

;

3

lorsqu'il le voyait,

il

ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout' le bonheur du vieillard reposait en sa petite-tille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d'amour et

de patience, à comprendre du regard toutes /es pensées de Noirtie». A ee langage muet ou inintelligible

pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physic nomie, toute son âme, de sorte qu'il s'établissait des dialogues animés entre cette jeune Glle et cette prétendue argile, à était

peu prés redevenue poussière,

encore

un homme d'un

et

qui cependant

immense, d'une pénétration inouïe et d'une volonté aussi puissante que peut l'être l'àme enfermée dans une matière par laquelle elle à perdu le pouvoir de se faira obéir. savoir

Valentine avait donc résolu cet étrange problème de

comprendre

la

pensée du

prendre sa pensée à elle

vieillard,

pour

lui faire

com-

grâce à celte étude , il était bien rare que, pour les choses ordinaires de la vie, elle ;

et,

ne tombât point avec précision sur le désir de cette âme vivante, ou sur le besoin de ce cada^Te à moitié insensible.

Quant au domestique, comme depuis vingt-cinq ans, que nous l'avons dit, il servait son maitre, il

ainsi

con-

naissait si bien toutes ses habitudes, qu'il était rare Noirtier eût besoin de lui demander quelque

que

chose.

Villefort n'avait

en conséquence besoin du secours ni de l'autre pour entamer avec son père l'étrange conversatiofi qu'il venait Provoquer. Lui-même, nous de l'un

ni

l'avons

dit,

vieillard, et

connaissait partaitemenl le vocabulaire s'il

ne s'en servait point plus souvent,

tait

par enoui

tine

descendre au jardin,

et

par indifférence. il

Il

donc Valen-

laissa

éloigna doncBarrois, et après

avoir pris sa place à la droite de son père, tandis

madame

du c'é-

de Villefort s'asseyait à sa gauche

;

que


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

4

— Monsieur, ne

ne vous étonnez pas que Valentioe

dit-il,

pas montée avec nous

soit

rois, car la

que

et

éloigné Rar-

j'aie

conférence que nous allons avoir ensemble

est de celles qui ne

peuvent avoir

madame

îhe ou un domestique;

nne communication à vous

devant une jeum

lieu

de Villefort et moi avo»?'

faire.

Le visage de Noirtier resta impassible pendant ce préambule, tandis qu'au contraire l'œil de Villeiîrt semblait

du cœur du

vouloir plonger jusqu'au plus profond

vieillard.

— Cette communication, continua avec son ton glacé contestation,

le

prccureur du

roi

semblait ne jamais admettre

et qui

nous sommes sûrs, madame de

la

Villefort et

moi, qu'elle vous agréera. L'œil tait

:

du

demeurer atone

vieillard continua de

;

il

écou-

voilà tout.

— Monsieur,

Villbfori

reprit

nous marions Valen-

,

tine.

Une

figure de cire

ne

nouvelle que ne resta

Le mariage aura

fût pas restée plus froide à cette

la figure

du

vieillard.

lieu avant trois mois, reprit Ville-

fort.

L'œil

du

Madame d'ajouter

vieillard continua d'être inanimé.

de Villefort prit

la

parole à son tour, et se hâta

:

— Nous avons pensé que cette nouvelle aurait de térêt

pour vous. Monsieur

semblé dire

attirer

le

nom du

et

nous

il

jeune

;

il

y a de

reste

homme

un des plus honorables

tine puisse prétendre

la

partis

de celui que nous

donc à vous

qui lui est des-

auxquels Valen-

fortune,

des garanties parfaites de bonheur dans

les goûts

l'in-

d'ailleurs Valentine a toujours

votre affection;

seulement

tiné. C'est

;

un beau nom la

conduite et

lui destinons, et

dont le nom


.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

m

àoit pas

vous

être inconnu.

s a^it

Q

de M. Franz de

baron d'Épinay.

U'fftsnel,

Vlllefort,

pendant

le petit

fhait sur le vieillard

f.orsque

11

madame

discours de sa femme, atta-

un regard plus

attentif

de Villefort prononça

que jamais.

nom

de tranz, œil de Noirlier, que son fils connaissait si bien, frissonna, et les paupières se dilatant comme eussent pu faire des lèvres pour laisser passer des paroles, laissèrent, elles, passer un éclair. le

1

Le procureur du roi , qui savait les anciens rapports d'inimitié publique qui avaient existé entre son père et père de Franz, comprit ce feu

le

cependant nant

la

il

les laissa

parole où sa

Monsieur,

nez bien, près

passer

femme

dit-il,

il

comme

et cette agitation;

comme

mais

inaperçus, et repre-

l'avait laissée

est important,

:

vous

le

elle est d'atteindre sa

compredix-neu-

vième année, que Valentine soit enfin établie. Néanmoins, nous ne vous avons point oublié dans les

conférences,'

et

nous nous sommes assurés d'avance que

le mari de Valentine accepterait, sinon de vivre près de nous, qiu gênerions peut-être un jeune ménage,

du moins'que

vous, que Valentine chérit particulièrement, et qui, de TOtre côté, paraissez lui rendre

cette affection, vivriez

près d'eux, de sorte que vous ne perdrez aucune de vos habitudes, et que vous aurez seulement deux enfants au lieu d'un pour veiller sur vous. L'éclair du regard de Noirtier devint sanglant. Assurément il se passait quelque chose

d'affreux dans

l'âme de ce vieillard

de

;

assurément

le cri

de

la do-ileur eJ

Ja colère

l'etouffait,

montait à sa gorge ; et, ne pouvant éclater, car son visage s'empourpra et ses lèvres de-

vinrent bleues. Villefort ouvrit tranauillcment

une fenêtre en disant


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«

— M.

fait

11

bien chaud

ici

mal à

et celle chaleur fait

,

Noirlier.

Puis

mais sans se rasseoir.

revint,

il

Ce mariage, ajouta madame de

M. d'Épinay

et

à sa famille

pose seulement d'un oncle

morte au moment où

Villefort, plaît

d'ailleurs sa famille se

;

et

à

com-

d'une tanle. Sa mère étant

elle le mettait

au monde

et

,

son

père ayant été assassiné en 1815, c'est-à-dire quand l'en-

deux ans à peine,

fant avait

il

ne relève donc que de sa

propre volonté.

— Assassinat

mystérieux,

dit Villefort,

auteurs sont restés inconnus, quoique

plané sans s'abaltre au-dessus de !a

tèle

dont les

3t

soupçon

le

ail

de beaucoup

de gens. Noirtier

un

fit

comme pour

que ses lèvres se contractèrent

tel effort

sourire.

Or, continua Villefort,

le

sur lesquels peut descendre

des

dant leur vie et seraient bien

une

la justice

la justice

heureux

coupables,

les véritables

ceux-là qui savent qu'ils ont commis

crime

,

ceux-là

hommes pen-

de Dieu après lem mort,

d'être

à notre place,

et d'avoir

à offrir à M. Franz d'Épinay pour éteindre jus-

fille

qu'à l'apparence du soupçon. Noirtier s'était rait

— Oui fort

;

,

je

et ce

profond

l'on n'au-

comprends

,

répondit-il

du regard à

Ville-

regard exprimait tout ensemble le dédain

cl la colère intelligente.

Villefort, il

calmé avec une puissance que

pas dû attendre de cette organisation brisée.

de son coté, répondit à ce regard, dans lequel

avait lu ce qu'il contenait, par

un

léger

mouvemenl

d'épaules.

Puis

il

fit

signe à sa

— Maintenant

,

femme de

Monsieur,

dit

se lever.

madame

de Villetort


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. agréez

mes

toLS

Vous

respects.

f

qu'Edouard

plait-il

vienne vous présenter ses respects?

convenu que

était

11

le vieillard

exprimait son aporo-

bation en fermant les yeux, son refus en les clignaat à

plusieurs reprises, ei avait quelques désirs à exprimer

quand

il

les levait

an

ciel.

demandait Valentine

S'il

il

,

fermait

droit seule-

l'oa'l

ment.

demandait Barrois,

S'il

A

la proposition

ment

de

il

fermait l'œil gauche.

madame de

Villefort,

il

cligna vive-

jeux.

les

Madame

de Villefort, accueillie par un refus évident,

se pinça les lèvres.

— Je vous enverrai donc Valentine, alors? — Oui, vieillard en fermant yeux avec vivacité. dit-elle.

M.

et

les

le

fit

madame

de Villefort saluèrent et sortirent eu

ordonnant qu'on appelât Valentine

,

déjà prévenue

au

reste qu'elle aurait quelque chose à faire dans la journée

près de M, Noirtier. Derrière

eux Valentine ,

entra chez le vieillard. qu'elle comprit

de choses

— Oh On

t'a

1

combien

,

toute rose encore

ne

lui fallut

souffrait

démotion

qu'un regard pour

son aïeul

et

combiea

avait à lui dire.

il

bon papa,

s'écria-t-elle, qu'est-il

donc arrivé

t

fâché, n'est-ce pas, et tu es en colère ?

— Oui, — Contre

fit-il

madame, de

Le

11

en fermant

qui donc Villefort

vieillard

fit

?

les

yeux.

contre

?

non

;

mon

contre

père

?

non

;

contre

moi?

signe que oui.

— Contre moi? reprit Valentine étonnée. Le

vieillard

— Et que lentine.

renouvela

t'ai-jô

donc

le signe.

fait,

cher bon papa? s'écria Va-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Pas de réponse

continua

elle

;

vu de quelque chuse de moi ? J«»

ne

t'ai

pas

:

journée; on

la

l'a

dons rapporté

— Oui, regard du avec — Voyons donc que je cherche. Mon Dieu, je vieillard

dit le

bon

pas

d'ici, n'est-ce

— Oui. — Et ce

madame de

Ahl... M. et

père...

'ivacit*^.

sont eux qui t'ont dit ces choses qui te fâ-

mander pour que

je puisse

leur de-

j'aille le

m'excuser près de

toi?

Non, non,

Ohl mais tu m'elTrayes. Qu'ont-ils pu dire,

Dieu

!

fit

regard.

le

— Ohl peut-être

j'y suis, dit-elle,

en baissant

le

t'en rien dire et

;

que

;

mariage

;

Redevenu

atone

que

me

— Non, —

?

dit

à moi-

j'ai

été si réservée

le

avec

regard sembla répondre

demanda

je t'abandonnerais

la j-eune fille ,

u) 'afflige. »

bon père

,

et

:

tu c-ois

que mon

rendrait oublieuse?

dit le vieillard.

Ils t'oDi dit alors que M. d'Épinay consentait que nous demeuras8."ons ensemble ?

— Oui.

!

Noirtier.

seulement ton silence qui

Qu'est-ce donc

peut-être

,

Oh

en quelque sorte ce secret

voilà pourquoi

fixe et

n'est pas

silence.

recommandé de ne

ne m'en avaient rien

j'avais surpris

Pardonne-moi, bon papa

mariage

mon

m'en veux de mon

c'est qu'ils

par indiscrétion

voix et en se

regard courroucé. tu

vois-tu, c'est qu'ils m'avaient bien

même,

la

ont parlé de

Ils

?

— Oui, répliqua — Je comprends

Ce

mon

Et elle chercha.

rapprochant du vieillard.

toi.

jure,

?

chent? Qu'est-ce donc? Veux-tu que

«

te

Villefort sortenl

à ce


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Alois pourquoi es-tu fâché

9

?

Les yeux du vieillard prirent une expression de don ceur

infinie.

— Oui,

comprends,

je

Valentine; parce que iu

dit

m'aimes?

Le

vieillard

fit

signe que oui.

— Et tu as peur que je ne —

sois

malûeureusef

Oui.

— Tu n'aimes pas M. Franz Les yeux répétèrent

?

ou quatre

trois

fois

:

— Non, non, non. — Alors tu as bien du chagrin, bon père? — Oui. — Eh bien

!

écoute, dit Valentine en se mettant à ge-

noux devant Noirtier et en lui passant ses bras a.Ttour du cou, moi aussi, j'ai bien du chagrin, car moi non plus je

n'aime pas M, Franz d'Épinay.

Un

éclair

Quand

de joie passa dans les yeux de j'ai

me

voulu

rappelles bien, que tu as été

Une larme humecta

— Eh bien

!

si fort

fait

te ?

paupière aride du vieillard.

continua Valentine,

à ce mariage, qui

La

la

l'aïeul.

au couvent, tu fâché contre moi

retirer

mon

c'était

pour échapper

désespoir.

respiration de Noirtier devint haletante.

— Alors, ce mariage mon

Dieu,

si

te fait

bien du chagrin, bon père?

tu pouvais m'aider, si nous pouvions à

nous deux rompre leur projet Mais tu es sans force contre eux, toi dont l'esprit cependant est si vif et la vo!

lonté

si

faible et

pour

fe^me ,'mais quand

même

mu un protecteur

«t de ta santé;

comprendre

il

s'agit

de lutter tu es aussi

plus faible que moi. Hélas si

I

tu eusses été

puissant aux jours de

ta force

mais aujourd'hui tu ne peux plus que

et te réjouir

ou

t'affliser

me

avec moi. C'est un


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ÎO derniei

bcnheur que Dieu a oublié de m'enlever

a¥€fi les

autres. Il

y eut à ces paroles, dans les

yeux de

Noirtier,

telle

expression de malice et de profondeur, que

fille

;rut

— Tu

ces mots

la

y

lire

te

trompes, je puis encore beaucoup pour

— Tu peux

une

jeune

:

toi.

quelque chose pour moi, cher bon papa?

traduisit Valentine.

— Oui. yeux au

Noirtier leva les

ciel. C'était le

signe convenu

entre lui et Valentine lorsqu'il désirait quelque chose.

— Que veux-tu, cher père

?

voyons.

Valentine chercha un instant dans son esprit, exprima tout haut ses pensées à

à

elle

,

et

vieillard répondait

— Allons, si sotte

mesure

qu'elles se présentaient

voyant qu'à tout ce qu'elle pouvait

constamment non

fit-elle, les

dire, le

:

grands moyens, puisque je suis

!

Alors elle récita l'une après l'autre toute les lettres de l'alphabet depuis interrogeait l'œil

que

A

jusqu'à N, tandis que son sourire

du paralytique

;

à N, Noirtier

fit

signe

oui.

— Ah

dit Valentine, la chose que vous désirez commence par la lettre N c'est à l'N que nous avons affaire? Eh bien! voyons, que lui voulons-nous à l'N? Na, ne, I

;

ni, no.

— Oui, oui, oui, — Ahl no? — Oui.

fit

le vieillard.

c'est

Valentine alla chercher

un

dictionnaire qu'elle pos*

sur un pupitre devant Noirtier; elle l'ouvrit, et quand elle eut

vu

l'œil

du

vieillard fixé sur les feuilles, son doigt

courut vivement du haut en bas des colounssc


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. L'exercice,

dans

depuis six ans que Noirtier

fâcheux état où

le

épreuves

les

pensée du dans

Il

tombé

était

se trouvait, lui avait rendu

il

faciles, qu'elle devinait aussi vile

si

vieillard

que

la

lui-même eût pu cherchei

si

le dictionnaire.

Au mot

notaire, Noirtier

— Notaire, Le

dit-elle; tu

vieillard

fit

fit

signe de s'arrêter.

veux un

notaire,

bon papat

signe que c'était effectivement

un

no-

taire qu'il désirait.

faut donc envoyer chercher

Il

un

demanda

notaire ?

Valentine.

— Oui, paralytique. — Mon père savoir — Oui. fit

le

doit-il le

f

— Es-tu pressé d'avoir ton notaire? — Oui. — Alors on va l'envoyer chercher te

cher père. Est-ce tout ce que tu veux

— Oui.

Valentine courut à la sonnette

et

tique pour le priar de faire venir M. lefort

chez

le

— Es-tu bien Et

:

jeune

suita^^

appela un domesou madame de Vil-

grand-père.

content?

hein? ce

la

tout de

?

n'était

fille

dit

Valentine; oui... je

pas facile à trouver, cela

sourit à l'aïeul

comme

le

crois

pu

fairt

?

elle eût

à un enfant.

M. de

Villefort entra

ramené par

Barrois.

— Que voulez-vous, Monsieur ?demanda-t-il au parv lytique.

— Monsieur,

dit

Valentine,

mon

grand-père désire un

aotaire.

A

cette

Villefort

demande étrang3

et surtout inattendue,

échangea un regard avec

le

paralytique.

M. de


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Oui, qu'avec

fit

ce dernier avec

l'aide

de Valentine

une fermeté qui

indiquait

de sou vieux servileur,qui

et

savait maiuieuant ce qu'il désirait,

il

a soutenir

était prêt

la lutte.

— Vous demandez — Oui. — Pour quoi faire?

le

notaire? répéta Villeforl.

Noirtier ne répondit pas.

— Mais

qu'avez- vous besoin d'un notaire? demanSa

Villefort.

Le regard du paralytique demeura immobile conséquent muet, ce qui voulait dire

ma

:

et

par

dam

Je persiste

volonté.

— Pour nous

faire

quelques mauvais tour?

dit Ville-

fort; est-ce la peine?

— Mais enfin,

dit Barrois, prêt

à insister avec

sévérance habituelle aux vieux domestiques,

veut un notaire

,

apparemment

c'est

Ainsi je vais chercher

un

qu'il

si

la

per-

monsieur

en a besoin.

notaire.

Barrois ne reconnaissait d'autre maître que Noirtier et

n'admettait jamais que ses volontés fussent contestées en rien.

— Oui, je veux un notaire, les

yeux d'un

si l'on

osera

air

me

de défi

et

fil

le vieillard

comme

s'il

eût

en fermant

dit

:

Voyons

refuser ce que jo veux.

— On aura un notaire,

puisque vous en voulez abso-

lument un, Monsieur; mais je m'excuserai près de vous excuserai vous-même, car

— N'importe,

la

scène sera

dit Barrois, je vais

toujours

cher.

El

le

vieux serviteur

sortit

triomphant.

lui et

fort ridicule. J'aller

cher-


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ii

II

LE TESTAMENT.

Au moment ou line

La jeune son

Barrois sortit, Noirlier regarda Valen-

av^c cet intérêt malicieux qui annonçait tant de choses. fille

comprit ce regard

car

et Villefort aussi,

front se rembrunit et son sourcil se fronça.

Il

prit

un

siège, s'installa dans la

chambre du paraly-

tique et attendit. Noirtier le regardait faire

rence

;

tine de

mais, du coin de

l'œil,

ne point s'inquiéter

et

avec une parfaite il

indiffé-

avait ordonné à Valen-

de rester aussi.

Trois quarts d'iieure après, le domestique rentra avec le notaire.

— Monsieur,

dit Villefort

après les premières saluta-

vous êtes mandé par M.

Noirtier de Villefort, que une paralysie générale lui a ôlé l'usage des membres et de la voix, et nous seuls à grand'peine parvenons à saisir quelques lambeaux de ses pensées.

tions,

voici;

Noirtier ût de

rieux et

— mon

si

l'oeil

un appel à Valentine, appel

si sé-

impératif, qu'elle répondit sur-le-champ

:

Moi, Monsieur, je comprends tout ce que veut dire grand-père.

— C'est vrai, comme

ajouta Barrois, tout, absolument tout,

je le disais à

Monsieur en venant.

— Permettez, Monsieur, dit le notaire

et

vous aussi. Mademoiselle,

en s'adressant à Villefort

et

à Valentine

un 1e ces cas où l'officier public ne peut mconsidérément procéder sans assumer une re5Doi»3abi"té dan c'est là

gereuse. La première nécessité, pour qu'un acte soil va-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

14 lable, esl

que

le noiaire soit

lement interprète

la

bien convaincu qu'il a fidè-

volonté de celui qui

le dicte.

Or, jo

ne puis pas moi-môme être sûr de l'approbation ou de l'improbal'on d'un client qui ne parle pas jet

de ses désirs

et

et

;

comme l'ob-

vu son mutisme,

de ses répugnances,

De peut m'étre prouvé clairement, mon ministère

est

plus qu'inutile et serait illégalement exercé.

Le

notaire

fit

un pas pour se

retirer.

Un

imperceptible

sourire de triomphe se dessina sur les lèvres

reur du

roi.

De son

une telle expression de douleur, chemin du noiaire.

— Monsieur,

du procu-

côté, Noirtier regarda Valentine avec

dit -elle, la

qu'elle se plaça sur le

langue que je parle avec

grand-père esl une langue qui se peut apprendre

ment,

et

de

même que je

le

comprends je puis en quel-

ques minutes vous amener à faut-il,

mon

facile-

,

le

comprendre. Que vous

voyons, Monsieur, pour arriver à

la parfaite édi-

de votre conscience?

fication

— Ce qui est nécessaire pour que nos actes soient valables. Mademoiselle,

répondit

certitude de l'approbation

la

peut

tester

le

notaire; c'est-à-dire

ou de

malade de corps, mais

l'improbation. il

On

faut tester sais

d'esprit.

— Eh bien! Monsieur, avec deux signes vous acquer rez celle certitude que

mon grand-père

n'a jamais mieux

joui qu'à celte heure de la plénitude de son intelligence.

M.

Noirtier, privé de la voix, privé

yeux quand reprises quand

les

il il

du mouvement, ferme

à plusieurs veut dire non. Vous eo savez assez

veut dire oui,

et les cligne

maintenant pour causer avec M. Noirtier, essayez.

Le regard que lança le vieillard à Valentine était si humide de tendresse et de reconnaissance, qu'il fui oomf/ris

du

Qolaire lui-même.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Vous avez entendu

compris ce que vient de dire

et

TOtre peiile-ûlle, Monsieur?

doucement

Noiriier ferma

un

IK

demanda les

yeux,

le notaire.

et les rouvrit après

instant.

— Et vous approuvez ce qu'elle a dit? c'est-à-dire que bien ceux à l'aide des-

les signes indiqués par elle sont

quels vous faites comprendre votre pensée

?

— Oui, encore vieillard. — C'est vous qui m'avez demander? — Oui. — Pour faire votre testament — Oui. — Et vous ne voulez pas que je me retire sans avoir le

fit

fait

?

fait

ce testament?

Le paralytique cligna vivement

et à plusieurs reprises

ses yeux.

— Eh demanda

bien la

I

Monsieur, comprenez-vous, maintenant,

jeune

fille,

et votre

conscience sera-t-elle en

repos?

Mais avant que le notaire n'eût pu répondre, Yillefort le tira

à part

:

— Monsieur,

dit-il,

croyez-vous qu'un

homme

puisse

supporter impunément un choc physique aussi terrible

que

celui qu'a

que

le

moral

Ce

éprouvé M, Noirtier de

ait

n'est point c«la

sans ?

précisément qui m'inquiète,

iMonsieur, répondit le notaire, mais je

ment nous arriverons à deviner voquer

Villefort,

reçu lui-même une grave atteinte

les

me demande com-

pensées, afin de pro-

les réponses.

— Vous voyez donc que c'est impossible,

dit Villefort.

Valentine et le vieillard entendaient cette conversation. Noirtier arrêta son regard tine,

si fixe et si

ferme sur Valen-

que ce regard appelait évidemment une

riposte.


LE COM'IL DE MONTE-CRISTO.

J6

— Monsieur,

dit-elle,

que cela ne vous inquiète point;

si difficile

qu'il soit,

ou

couvrir

pensée de

mon

rai,

la

plutôt qu'il

vous paraisse de dé-

grand-père, je vous

la

ff.véle-

moi, de façon à lever tous les doutes à cet égard.

Voilà six ans que je suis près de M. Noirtier, dise lui-même,

dans son cœur faute de pouvoir

est resté enseveli faire

comprendre

— Non,

fil

et, qu'il le

depuis six ans, un seul de ses désirs

si,

me

le

?

le vieillard.

— Essayons donc,

dit le notaire

;

vous acceptez Made-

moiselle pour votre interprète?

Le paralytique

— Bien et

;

signe que oui.

fit

voyons. Monsieur, que désirez-vous de moi,

quel est l'acte que vous désirez faire?

Valentine qu'à

nomma

toutes les lettres de l'alphabet jus-

la lettre T.

A celte

lettre, l'éloquent

coup

d'œil de Noirtier l'arrêta.

— C'est la lettre T que Monsieur demande, taire; la

no-

Attendez, dit Valentine; puis, se retournant vers

son grand-père

Le

dit le

chose est visible.

:

Ta... te...

vieillard l'arrêta à la

Alors Valentine

prit

le

seconde de ces syllabes. dicllonnairo,, et

aux yeux du

notaire attentif elle feuilleta les pages.

— Testament,

son doigt arrêté par

dit

le

coup

d'oeil

de

Noirtier.

— Testament Monsieur veut

!

s'écria ie notaire, la

chose est visible

;

tester.

— Oui, Noirtier à plusieurs reprises. — Voilà qui est merveilleux. Monsieur, convenez-en, fit

dit le notaire à Villefort stupéfait.

— En effet,

répliqua-t-il, et plus merveill-^ux encore

serait ce testament

;

car, enfin, je

ne pense pas que

les


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

47

anicles se Tiennent ranger sar ie papier, uiui pai moi,

ma

sans l'intelligente aspiration de sera pent-être

un

être

un peu

Or, Valentine

tille.

trop intéressée à ce testament pour

interprète convenable des obscures volontés de

M. Noirtier de Villefort. '- Non, non! fît le paralytique.

— Comment

dit

I

M. de

Villefort, Valentine n'est point

intéressée à votre testament?

— Non, Noirtier. — Monsieur, fit

dit le

notaire

,

qui, enchanté de cette

épreuve, se promettait de raconter dans détails de cet

me

épisode pittoresque

;

paraît plus facile maintenant que ce

je regardais

ment

comme une

monde

et ce testa-

un testament mystique,

à-dire prévu et autorisé par la loi

pourvu

approuvé par

les

que tout à l'heure

chose impossible,

sera tout simplement

face de sept témoins,

le

monsieur, rien ne

c'est-

qu'il soit lu

le testateur

en

devant

eux, et fermé par le notaire, toujours devant eux. Quant au temps, il durera à peine plus longtemps qu'un testament ordinaire il y a d'abord les formules consacrées et qui sont toujours les mêmes, et quant aux détails, la plupart seront fournis par l'état même des affaires du testa;

teur et par vous qui, les ayant gérées, les connaissez.

Mais

d'ailleurs,

nous allons l'un de

mes

lui

pour que cet acte demeure inattaquable, donner l'authenticité la plus complète;

confrères

me

servira d'aide

et,

contre les

habitudes, assistera à la dictée. Êtes-vous satisfait, sieur

?

continua

— Oui, — Que

le notaire

en s'adressant au

répondit Noirtier, radieux d'être compris. va-t-il

faire? se

demanda

Villefort à qui sa

oaute position commandait tant de réserve,

et qui, d'ail-

ne pouvait deviner vers quel but tendait son père. se retourna donc pour envoyer chercher le deuxième

leurs, il

Mon-

vieillard.


LE COMTE DE MONTE-CIUSTO.

18

notaire désigné par le premier; mais Barrois, qui avail tout entendu et qui avait deviné le désir de son maître, était déjà parti.

Alors

Au dans

le

procureur du roi

fit

dire à sa

bout c'un quart d'heure, tout

la

chambre du paralytique,

le

et le

femme de monter. monde était réuni

second notaire

était

arrivé.

En peu de mots les deux officiers ministériels furem On lut à Noirlier une formule de testament

d'accord.

vague

,

banale; puis pour commencer, pour ainsi dire,

l'investigation de son intelligence, le premier notaire, se

retournant de son côté, lui dit

— Lorsqu'on

:

son testament. Monsieur,

fait

c'est

en

laveur de quelqu'un.

— Oui, Noirtier. — Avez- vous quelque idée du chiffre auquel se monte fit

votre fortune?

— Oui. — Je vais vous nommer plusieurs ront successivement teint celui

;

que vous croirez

monte-

j'aurai at-

être le vôtre.

— Oui. Il

chiffres qui

vous m'arrêterez quand

y avait dans cet interrogatoire une espèce de solen-

nité; d'ailleurs jamais la lutte de l'intelligence contre la

matière

n'a-^ait

peut-être été plus visible; et

un sublime, comme nous un curieux, spectacle.

On

faisait cercle

était assis

si

ce n'était

allions le dire, c'était

au moini

autour de Villefort

taire se tenait

debout devant

— Voti e fortune dopasse ce pas? demanda-t-il. Noirlier

;

le

à une table, tout prêt à écrire

fit

signe que oui.

;

second notaire le

premier no-

lui et interrogeait.

trois cent mille francs, n'es^


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Possédez-vous quatre cent

IS

mille francs?

demanda

le notaire.

Noirtier resta immobile.

— Cinq cent mille? Même

immobilité.

Six cent mille ? sept cent mille? huit cent millet

neuf cent mille? Noirtier

fit

signe que oui.

— Vous possédez neuf cent mille francs? — Oui. — En immeubles? demanda notaire. le

Noirtier

fit

signe que non.

— En inscriptions Noirtier

fit

de rentes?

signe que oui.

Ces inscriptions sont entre vos mains?

Un

coup

d'oeil

adressé à Barrois

viteur, qui revint

un

fît

sortir le

vieux ser-

une

petite cas-

instant après avec

sette.

Permettez-vous qu'on ouvre cette cassette? de-

manda

le notaire.

Noirtier

On

fit

signe que oui.

ouvrit la cassette et l'on trouva pour neuf cent

mille francs d'inscriptions sur le Grand-Livre.

Le premier notaire passa,

les

unes après

chaque inscription à son collègue;

comme

l'avait

les autres,

compte y

le

était,

accusé Noirtier.

— C'est bien cela,

dit-il;

il

est évident

que l'intelligence

est dans toute sa force et dans toute son étendue.

Puis, se retournant vers

— Donc,

lui dit-il,

de capital, qui, à

la

le

paralytique

:

vous possédez neuf cent mille francs façon dont

vous produire quarante mille

ils

sont placés, doivent

livres de rentes

à

peu


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

SO

— Oui,

fit

ISoiriier.

— A qui désirez-vous laisser cette fortune? — Ohl madame de Villefort, cela n'est pDinl doudit

teux; M. Noirlier aime uniquement sa moiselle Valenline de Villefort

depuis six ans

;

elle a

peiite-fillc,

made-

c'est elle qui le soigne

:

su captiver par ses soins assidu»

de son grand-père, et je dirai presque sa re-

l'affection

connaissance

;

il

est

donc juste qu'elle recueille

prix de

le

son dévouement. L'œil de Noirlier lança

un

éclair

comme

s'il

n'était

dupe de ce faux assentiment donné par madame de lefort

aux

pas Vil-

attentions qu'elle lui supposait.

Est-ce donc à mademoiselle Valenline de Villefort

neuf cent mille francs? demanda

que vous

laissez ces

le notaire,

qui croyait n'avoir plus qu'à enregistrer cette

clause, mais qui tenait à s'assurer cependant de l'assen-

timent de Noirlier, et voulait faire constater cet assenti-

ment par tous

les

Valentine avait

yeux

témoins de cette étrange scène. fait

un pas en

arrière et pleurait les

baissés; le vieillard la regarda

un

instant avec

l'expression d'une profonde tendresse; puis se retour-

nant vers

le notaire,

il

cligna des

yeux de

la

façon la plus

significative.

— Non?

dit le notaire;

comment, ce

n'est pas

made-

moiselle Valentine de Villefort que vous instituez pour votre légataire universelle? Noirtier

fit

signe que non.

— Vous ne vous trompez pas? s'écria vous

dites bien

— Non

!

le notaire

étonné;

non?

répéta Noirtier, noni

Valenline releva la tète; elle

était

stupéfaite,

de son exhédération, mais d'avoir provoqué qui dicte d'ordinaire de pareils actes.

non pas

le sentioienl


LE COMlTb DE MONTE-CRISTO. Mais Noirtier la regarda avec une sion de tendresse qu'elle s'écria

mon bon

Olil

— Oh

:

que

père, je le vois bien, ce n'est

votre fortune que vous m'ôtez

fQUJours votre

2!

profonde expres-

si

cœur

me

mais vous

,

laissez

?

yeux du paune expression à laquelle

oui, bien certainement, dirent les

I

ralytique, se fermant avec

Valentine ne pouvait se tromper.

— Merci

1

merci

murmura

!

Cependant ce refus avait

madame

la

jeune

fille.

dans

fait naître

le

cœur de

de Villefort une espérance inattendue;

elle se

rapprocha du vieillard.

— Alors fort

c'est

que vous

tier ?

donc à votre

demanda

la

Ville-

monsieur Noir-

fui terrible

:

il

exprimait pres-

la haine.

— Non, ici

Edouard de

mère.

Le clignement des yeux que

petit-fils

laissez votre fortune, cher

fit

présent

le notaire

;

alors c'est à

monsieur votre

— Non, répliqua

le vieillard.

Les deux notaires se regardèrent stupéfaits et sa

fils

?

femme

;

Villefort

se sentaient rougir, l'un de honte, l'autre de

colère.

^ Mais, que vous avons-nous donc

fait,

père, dit Va-

vous ne nous aimez donc plus ? Le regard du vieillard passa rapidement sur son

lentine

;

fils,

sur sa belle-fille, et s'arrêta sur Valentine avec une

expression de profonde tendresse.

— Eh bien

!

dit-elle, si tu

tâche d'allier cet

meni.

Tu me

la fortune

ma mère

,

:

m'aimes, voyons, bon père,

amour avec

ce que tu

fais

en ce mo-

connais, tu sais que je n'ai jamais songé à

d'ailleurs,

trop riche

on

dit

même

;

que je suis riche du côté de explique-toi donc.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«2

main de Valeû-

Noirtier fixa son regard ardent sur la tine.

— Ma main? — Oui, Noirtier. — Sa maini répétèrent tous les assistants. dit-elle.

fil

- Ahl Messieurs, vous voyez bien que tout lile

,

que mon pauvre père est fou, dit Ohl s'écria tout à coup Valentine,

Mon mariage,

— Oui, çant

un

n'est-ce pas,

comprends!

je

bon père?

oui, oui, répéta trois fois le paralytique, lan-

éclair à

chaque

fois

— Tu nous en veux pour — Oui. — Mais absurde, — Pardon, Monsieur,

que le

se relevait sa paupière.

mariage, n'est-ce pas

?

dit Villefort.

c'est

dit le

traire

est inu*

Villefort.

et

est très-logique et nie

notaire, tout cela l'effet

fait

au con-

de s'enchaîner

parfaitement.

Tu ne veux

pas que j'épouse M. Franz d'Épi-

nay?

Non, je ne veux pas, exprima

— Et vous déshéritez votre taire,

-

parce qu'elle

fait

l'œil

petite-fllle

du ,

vieillard.

s'écria le

no-

un mariage contre votre gré?

— Oui, répondit Noirtier. — De sorte que sans ce mariage

elle serait votre

hé-

ère?

— Il

Oui. se

fil

alors

un

silence profond autour

du

vieillard.

Les deux notaires se consultaient; Valentine, •ointes, regardait

les

mains

son grand-père avec un sourire lecon-

oaissAnt; Villefort mordait ses lèvres minces;

de Villefort ne pouvait réprimer

madame

un sentiment joyeuï

qui, malgré elle, s'épanouissait sur son visage.

~ Mais,

dit enfin Villefi^'^t,

rompant

le

premier ce

si-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lence,

me

il

semble que

je suis seul

23

juge des convenances

qui plaident en faveur de cette union. Seul mdître de la

main de

ma fille,

je

veux

qu'elle épouse M. Franz d'Épi

oay, et elle l'épousera.

Valentine tomba pleurante sur

— Monsieur,

dit le notaire,

que comptez-vous

faire

un

fauteuil.

s'adressant au vieillard,

de votre fortune au cas où

demoiselle Valentine épouserait M. Franz

Le

vieillard resta

ma-

?

immobile.

— Vous comptez en disposer, cependant? — Oui, Noirtier. — En faveur de quelqu'un de votre famille fit

?

Non.

— En faveur des pauvres, alors — Oui. — Mais, notaire, vous savez que ?

dit le

la loi

à ce que vous dépouilliez entièrement votre

— Oui. — Vous ne disposerez donc que de

s'oppose

fils ?

la partie

que

la loi

vous autorise à distraire. Noirtier demeura immobile.

— Vous continuez à vouloir disposer de tout? — Oui. — Mais après votre mort on attaquera testament le

— Non. — Mon père me connaît fort,

leurs

il il

?

Monsieur, dit M. de Villeque sa volonté sera sacrée pour moi d'ailccrnprend que dans ma position je ne puis plai,

sait

;

der contre les pauvres. L'œil de Noirtier

exprima

— Que décidez -vous,

le

triomphe.

Monsieur? demanda

le notaire

à

Villefort.

— Rien

,

Monsieur, c'est une résolution prise dans


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

24

mon

de

l'espril

mon

père, et je sais que

me

pas de résolution. Je

père ne change

résigne donc. Ces neuf cent

mille fiancs sortiront de la famille pour aller eiirichir les

hôpitaux; mais je ne céderai pas à un caprice de vieillard, et je ferai selon

ma

conscience.

Et Villefort se retira avec sa femme, laissant son père libre

Le les

de tester

même

comme

jour

témoins,

fut

il

il

l'entendrait.

testament fut

le

approuvé par

fait

;

on

alla

le vieillard,

chercher

fermé en

leur présence et déposé chez M. Descharaps, le notaire

de

la famille.

m LE TÉLÉGRAPnE.

M.

et

madame

eux, que M.

pour leur

il

le

de Villefort apprirent, en rentrant chex

comte de Monte-Cristo, qui

faire visite, avait été introduit

les attendait

;

madame

était

dans

venu

le salon,

de Villefort, trop émolion-

née pour entrer ainsi tout à coup, passa par sa chambre à coucher, tandis que

le

procureur du

lui-même, s'avança directement vers Mais gût

si

roi,

nuage de son

rire brillait

front

Villefort

que

le

plus sûr de

salon.

maître qu'il fût de ses sensations,

composer son visage, M. de

écarter le

le

si

bien qu'il

ne put

comte, dont

si

le

bien

sou-

radieux, ne remarquât cet air sombre et rô-

veur.

— Oh

I

mon

Dieul

dit

Monte-Cristo après les premiers

compliments, qu avez-vous donc, monsieur de yillefor4f


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

95

au moment où vous dressiez quelque accusation an peu trop capitale ?

et suis-je arrivé

Villefort essaya de sourire.

— ISou, time

monsieur

que moi.

ici

le

C'est

comte,

dit-il,

il

n'y a d'autr3 vic-

moi qui perds mon procès

et

,

c'est le hasard, l'entêtement, la folie qui a lancé le réquisitoire.

— Que voulez-vous dire un

?

intérêt parfaitement joué.

rivé quelque

— Oh

1

demanda Monte-Cristo avec Vous est-il, en réalité, ar-

malheur grave ?

monsieur

le

comte,

dit Villefort

avec un calme

plein d'amertume, cela ne vaut pas la peine d'en parler

;

presque rien, une simple perte d'argent.

— En

effet, répondit Monte-Cristo, une perte d'argent peu de chose avec une fortune comme celle que vous possédez et avec un esprit philosophique et élevé comme

est

l'est le

vôtre

I

— Aussi, répondit d'argent qui

me

Villefort, n'est-ce point la question

préoccupe, quoique, après

cent mille francs vaillent bien

un

regret,

tout,

neuf

ou tout au moins

un mouvement de dépit. Mais je me blesse surtout de cette disposition du sort, du hasard, de la fatalité, je ne sais comment nommer la puissance qui dirige le coup qui me frappe et qui renverse mes espérances de forlune

et détruit peut-être l'avenir

de

ma

fille

par

le

ca-

tombé en enfance. Eh mon Dieu qu'est ce donc ? s'écria le comte. Neuf cent mille francs, avez-vous dit ? Mais, en vérité, comme vous le dites, la somme mérite d'êire regrettée, même par un philosophe. Et qui vous donne ce chaprice d'un vieillard

!

I

grin?

— Mon père, dont je vous parlé. — M. Noirtier vraiment Mais vous ai

1

I

m'aviez

dit,

ce


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

26

me

semble

,

en paralysie comnlète, et gne

était

qu'il

toutes ses facultés étaient anéanties ?

— Oui, ses facultés physiques, maer, dant,

pense,

il

quitte

ne peut point parler,

il

il

cupé à

veut,

il

il

et,

car

il

ne peut pas

avec tout

cela,

comme vous

agit,

y a cinq minutes,

dicter

et

rfr-

cepen-

voyez. Je

dans ce moment,

il

le

est oc-

un testament à deux notaires.

— Mais alors a parlé — a mieux, comprendre. — Comment cela? —A du regard; ses yeux ont continué de vivre, ?

il

fait

Il

il

s'est fait

l'aide

vous voyez,

et

ils

— Mon ami, trer à

dit

madame

de Villcfort qui venait d'en-

son tour, peut-être vous exagérez-vous la situation?

— Madame... •—

tuent.

Madame

dit le

comte en

s'inclinanl.

de Villefort salua avec son plus gracieux

sourire.

— Mais

que

me

dit

donc

M. de Villefort? demanda

Monte-Cri«to, et quelle disgrâce incompréhensible?...

— Incompréhensible, du

en haussant

roi

— Et

il

les

n'y a pas

mol

c'est le

!

reprit le

procureur

épaules, un caprice de vieillard

moyen de

le faire

!

revenir sur cette

décision?

Si

même

de

fait,

mon

dit

madame

de Villefort;

et

il

dépend

mari que ce testament, au lieu d'être

au détriment de Valentine,

soil

fait

fait

au contraire en sa

faveur.

Le comte, voyant que parler par paraboles, prit

les

deux époux commençaient à

l'air distrait, cl

regarda avec

tention la plus profonde et l'approbation la plus

l'at-

marquée

Edouard qui versait de l'encre dans l'abreuvoir des

oi-

ieaux.

— Ma chère

dit Villefort

répondant à sa femme, vous


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. savez que j'aime peu

que je

et

me

poser chez moi en patriarche,

jamais cru que

n'ai

ma

d'un signe de

le sort

Cependant

tête.

27

de l'univers dépendit importe que mes

il

décisions soient respectées dans ma famille, et que la folie

d'un vieillarQ

un

d'un enfant ne renversent pas

et le caprice

mon esprit depuis était mon ami, vous

projet arrêté dans

Le baron d'Épinay alliance avec son

— Vous croyez Une

est d'accord

fils était ,

dit

avec

une

des plus convenables.

madame de Villefort, que Va-snlui?... En effet... elle a toujours ne serais pas étonnée que

été opposée à ce mariage, et je

que nous venons de voir

tout ce

longues années. le savez, et

et d'entendre

ne

soit

que l'exécution d'un plan concerté entre eux. Madame dit Villefort on ne renonce pas ainsi croyez-moi, à une fortune de neuf cent mille francs. Elle renoncerait au monde Monsieur puisqu'il y a un an elle voulait entrer dans un couvent. N'importe, reprit de Villefort, je dis que ce mariage

,

,

,

,

Madame

doit se faire.

— Malgré Villefort

,

I

de votre père

la volonté

attaquant une autre corde

Monte-Cristo

faisait

,

jours respecté

de

reprit Villefort

mon

père

,

,

à deuy

titres,

sacré

;

madame de

c'est bien

grave

I

et

disait.

je puis dire

que

j'ai

tou-

parce qu'au sentiment naturel

descendance se joignait chez moi

la

sa supériorité morale

? dit

semblant de ne point écouter,

oe perdait point un mot de ce qui se

— Madame

:

la

conscience de

parce qu'enfin un père est sacré

comme

notre créateur, sacré

comme

notre maître; mais aujourd'hui je dois renoncer à reconjaîire

une

intelligence dans

simple souvenir de haine pour ûis

;

il

sei ait

le

le

vieillard qui, sur

un

père, poursuit ainsi le

donc ridicule à moi de conformer

duite à ses capricesi Je continuerai d'avoir

le

ma

con-

plus grand


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Î8

respect pour M. Noirtier; je subirai sans

me

punition pécuniaire qu'il m'inflige

je resterai

muable dans ma volonté,

et le

mais

;

monde

plaindre la

im-

appréciera do quel

En conséquence, je marierai au baron Franz d'Épinay, parce que ce mariag*

côté était la saine raison.

ma

lîlle

est, à

mon

sens,

veux marier nu,

Eh quoi

I

qu'en définitive

et bonoraljle, et

à qui

me

comte

dit le

!

constamment

avait

quoi

bon fille

,

je

plaît.

dont

le

procureur du

sollicité l'approbation

du regard

roi ;

eh

M. Noirtier déshérite, dites-vous, mademoiselle

Valentine, parce qu'elle va épouser M. le baron Franz

d'Épinay

?

Eh mon Dieu I

Villefort

— La

1

en haussant

oui

,

Monsieur

;

voilà la raison

,

dit

les épaules.

raison visible

,

du moins

,

ajouta

madame de

Villefort.

— mon

La raison

réelle,

Madame. Croyez-moi,

— Conçoit-on cela? répondit vous

je

je connais

père.

le

la

jeune femme; en quoi,

demande, M. d'Epinay

déplaît-il plus

qu'un

autre à M. Noirtier?

— ney, fait

En le

effet, dit le

fils

comte,

j'ai

connu M. Franz d'Épi-

du général de Quesnel,

baron d'Épinay par

le roi

n'est-ce pas, qui a été

Charles

X?

— Justement, reprit — Eh bien mais c'est un jeune homme charmant, Villefort.

1

me

semble

— Aussi dit

n'est-ce qu'un prétexte, j'en suis certaine,

madame

de Villefort; les vieillards sont tyrans de

leurs affections fille

ce

1

;

M. Noirtier ne veut pas que sa

petite-

se marie.

Mais,

dit

Monte-Cristo, ne ^-onnaisse^- vous pas une

cause à celte haine ?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Eh

mon

!

Dieul qui peut savoir

29

?

— Quelque antipathie politique peut-être — En père de M. d'Épinay mon père et

ont

vu que

les

?

effet

le

,

vécu dans des temps orageux dont je

n'ai

derniers jours, dit Villefort.

Votre père

comme

quelque chose

— Mon

me

?

demanda

rappeler que vous m'avez

dit

cela.

père a été jacobin avant toutes choses

,

reprit

emporté par son émotion hors des bornes de

Villefort,

prudence,

robe de sénateur que Napoléon

et la

jetée sur les épaules ne

homme, mais s.;^irair,

pas bonapartiste

n'était-il

Monte-Cristo. Je crois

faisait

sans l'avoir changé.

la

lui avait

que déguiser

le vieil

Quand mon père con-

ce n'était pas pour l'empereur, c'était contre les

BourLons qu'il n'a

;

mon

car

père avait cela de terrible en

lui,

jamais combattu pour les utopies irréalisables,

mais pour

les

choses possibles, et

qu'il a

appliqué à la

réussite de ces choses possibles ces terribles théories de la

Montagne, qui ne reculaient devant aucun moyen.

— Eh bien! M. Noirtier

Monte-Cristo, voyez-vous, c'est cela

dit

M. d'Épinay se seront rencontrés sur

et

de la politique. M.

le

général d'Épinay, quoique ayant

servi sous Napoléon, n'avait-il pas

au fond du cœur gardé

des sentiments royalistes, et n'est-ce pas assassiné

un

l'avait atdré

.

le sol

même qui

le

fu

soir sortant d'un club napoléonien,

où on

un

frère?

dans l'espérance de trouver en

Villefort regarda le

lui

comte presque avec terreur.

— Est-ce que me trompe? Monte-Cristo. — Non pas. Monsieur, madame de je

dit

Villefort, et

dit

c'est bien cela,

au

contraire

;

et c'est

justement à cause de

ce que vous venez de dire que, pour voir s'éteindre de vieilles haines,

M. de

Villefort avait

eu

l'idée

aimer deux enfants dont les pères s'étaient haïs.

de faire


,

uE COMTE DE MONTE-CRISTO.

80

-— Idée sublime

1

dit

Monle-Crislo, idée pleine de cha-

monde

Eo

rité et

à laquelle

c'était

beau de voir mademoiselle Noirtier de

le

madame Franz

8'appcler

devait applaudir.

d'Épinay.

Villefort tressaillit et regarda Monte-Cristo

eût voulu

au fond de son cœur

lire

effet

Villefort

comme

s'il

l'intention qui avait

dicté les paroles qu'il venait de prononcer.

Mais

le

comte garda

sur ses lèvres

de son regard,

sourire stéréotypé

le bienveillant

encore, malgré la profondeur

et celte fois

;

procureur du roi ne

le

pas au delà do

vit

î'épiderme.

— Aussi,

quoique ce

reprit Villefort

malheur pour Valcnline que de perdre

soit

un grand

la fortune

de son

grand-père, je ne crois pas cependant que pour cela

le

mariage manque; je ne crois pas que M. d'Épinay recule devant cet échec pécuniaire

mieux que

être

de

lui tenir

ma

leurs, est riche

madame

;

verra que je vaux peut-

il

somme moi

qui la sacrifle au désir

,

parole

;

il

calculera que Valcntine

,

d'ail-

du bien de sa mère, administré par M.

de Saint-Méran, ses aïeuls maternels, qui

chérissent tous

la

et la

deux tendrement.

Et qui valent bien qu'on les aime et qu'on les

«oigne

comme

Valentine a

dame de Villefort un mois au plus,

;

fait

d'ailleurs,

et Valentine,

dispensée de s'enterrer

pour M. Noirtier,

ils

dit

ma-

vont venir à Paris dans

après un

comme

elle

tel affront,

l'a

fait

sera

jusqu'ici

auprès de M. Noirtier.

Le comte écoutait avec complaisance

la

voix discor-

lante de ces amours-propres blessés et de ces intérêts meurtris.

— Mais

il

de silence,

que

me

semble,

et je

je vais dire

;

dit

Monte-Cristo après un instant

vous demande pardon d'avance de ce il

me semble aue

si

M.

Noirtier désbé-


,,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO, mademoiselle de

rite

n'a pas le

il

même

— N'est-ce fort

coupable de se vouloir

Villefort,

marier avec un jeune tort

homme

donl

il

a délesté

père

le

à reprocher à ce cher Edouard.

pas, Monsieur? s'écria

madame de

avec une intonation impossible à décrire

:

Ville-

n'est-ce

pas que cest injuste, odieusement injuste? Ce pauvre

Edouard,

il

est aussi bien le petit-fils de

Valentine, et cependant ser M.

Franz

si

M. Noirlier

,

son bien

lui laissait tout

de plus, enfin, Edouard porte qui n'empêche pas que,

M. K^irtier que

Valentine n'avait pas dû épou-

même

nom

le

;

et

de la famille, ce

en supposant que Valen-

effectivement déshéritée par son grand-père

tine soit

encore

elle sera

trois fois

Ce coup porté,

— Tenez,

le

plus riche que

comte écouta

et

lui.

ne parla plus.

monsieur

reprit Villefort, tenez,

le

comte,

cessons, je vous prie, de nous entretenir de ces misères

de famille; oui,

c'est vrai,

ma

fortune va grossir le revenu

des pauvres, qui sont aujourd'hui les véritables riches.

Oui,

mon

père m'aura frustré d'un espoir légitime, et

cela sans raison

de sens, j'avais

;

mais moi

j'aurai agi

comme un homme

promis

revenu de

le

comme un homme

de cœur. M. d'Épinay, à qui cette

somme

,

le

recevra

dussé-je m'imposer les plus cruelles privations.

— Cependant

,

reprit

madame

de Villefort

,

revenant à

murmurât sans cesse au fond de son cœur , peut-être vaudrait-il mieux que l'on confiât cette mésaventure à M. d'Épinay et qu'il rendît lui-môme sa

.a seule idée qui

,

Darole.

— Oh

!

ce serait

un grand malheur

I

s'écria Villefort.

— Un grand malheur? répéta Monte-Cristo. — Sans doute, mariage manqué, de

la

reprit Villefort

même

en se radoucissant

;

un

pour des raisons dargent, jette

défaveur sur ime jeune

fille

;

puis, d aaciens bruits


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

que

je voulais éteindre reprendraient de la consistance.

Mais non

homme,

,

n'en sera rien. M. d'Épinay

il

de Valentine qu'auparavant

— Je

comme

pense

autrement

;

dans un simple but d'avarice

,

esl

s'il

agirait

il

M. de Villcfort,

dit

Monte-Cristo

madame de Villcfort amis pour me permettre de

assez de ses

un

conseil, je l'inviterais

nir, à ce

que

m'a

l'on

dit

enfin

une

M. de

Villcfort.

— Bien

du moins, à nouer

,

dit-il

voilà tout ce

,

en tendant

monde

— Monsieur, ;

visible, tandis

que

je

demandais tel

il

;

n'y a rien de changé à nos projets.

comte,

le

monde,

tout injuste qu'il

vous en réponds, gré de voire réso-

je

vos amis en seront

fiers, et

M. d'Épinay,

prendre mademoiselle de Villcfort sans dot saurait être

,

et je

que vous,

considère ce qui est arrivé aujourd'hui

dit le

vous saura,

lution

pour

main à Monte-Cristo. Ainsi donc, que

la

ici

comme non avenu est,

celte affaire

pàlissaft légèrement.

prévaudrai de l'opinion d'un conseiller

tout le

donner

puisque M. d'Épinay va reve-

Ce dernier se leva, transporté d'une joie

dit-il

lui

partie dont l'issue doit être si honorable

que sa femme

me

et si j'é-

;

ne se put dénouer; j'engagerais

fortement qu'elle

Li

,

donc

non, c'est impossible.

:

en fixant son regard sur lais

honnête

engagé par rexhércdaiion

se verra encors plus

,

dùl-il

ce qui ne

sera charmé d'entrer dans une famille où

l'on sait s'élever à la

hauteur de

tels sacrifices

pour

tenir

sa parole et remplir son devoir.

En il

disant ces mois, le comte s'était levé et s'apprêtait

partir. —

ùc:

-

Vous nous

quittez,

monsieur

le

comte?

dit

madame

Vjljeiort.

— J'y

suis forcé

rapiielei voi'e

,

Madame

,

je venais

promesse pour samedi.

seulement vott»


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

33

— Craignez-vouâ que nons i'ôutîiassions — Vous êtes trop bonne, Madame; mais M. ?

fort

a de

graves

si

et parfois

de

si

de Ville-

urgentes occupA-

lions...

ma-

;Mon mari a donné sa parole, Monsieur, dit

dame de quand

vous venez de voir

Villefcrt,

qu'il la

tient

a tout à perdre, à plus forte raison quand

il

il

a

tout à gagner.

demanda

Et,

Non

maison des

Villefort, est-ce à votre

Champs-Elysées que

réunion a lieu?

la

pas, dit Monte-Cristo, et c'est ce qui lend

encore votre dévouement

plus méritoire

:

à la

c'est

campagne.

— A campagne? — Oui. — Et où cela? près de Paris, n'est-ce pas? — Aux portes, à une demi-lieue de barrière, la

la

à

Au-

teuil.

A

Auteuill s'écria Villefort. Ahl c'est vrai,

dame m'a c'est

ma-

que vous demeuriez à Auteuil, puisque

dit

chez vous qu'elle a été transportée. Et à quel en-

droit d'Auteuil?

— Rue de — Rue de alranglée

;

la

Fontaine

la

I

Fontaine!

et à quel

reprit Villefort d'une voix

numéro?

— Au n' 28. — Mais, s'écria Villefort, c'est donc à vous que l'on a yendu •

la

maison de M. de Saint-Méran?

- Dp m.

de Saint-Méran? demanda Monte-Crista

Cette maison appartenait-elle donc à M. de Saint-Meran

Oui, reprit

madame

une chose, monsieur

— Laquelle?

le

de Villefort

comte?

,

et

croyez-vouf


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

S4

— Vous trouvez celle maison n'esl-ce pasY — Charmante. — Eh bien mon mari n'a jamais voulu l'habiter. — Chl reprit Monte-Cristo, en vérité, Monsieur, jolie,

I

une prévention dont

je

me

ne

— Je n'aime pas Auteuil, Monsieur, reur du

en faisant un

roi,

c'est

rends pas compte.

effort

répondit

procu-

le

sur lui-même.

Mais je ne serai pas assez malheureux, je l'espère, Ht avec inquiétude Monte-Cristo, pour que celle antipathie

me

que

du bonheur de vous recevoir?

prive

— Non,

monsieur

— Oh!

le

que

je ferai tout ce

comte... j'espère bien... croyez je pourrai, balbutia Villefort.

répondit Monte-Cristo, je n'admets pas d'ex-

cuse. Samedi, à six heures, je vous attends, el

ne veniez pas, sur

que

moi?

si

vous

y a maison inhabitée depuis plus de vingt ans

cette

je croirais,

quelque lugubre

tradition,

sais-je,

qu'il

quelque sanglante légende.

vivementVillefort. monsieur — comte, — Merci, Monte-Cristo. Maintenant faut que vous j'irai, dit

le

J'irai,

dit

me

il

permettiez de prendre congé de vous.

— En nous

fort, et

faire,

vous avez

effet,

quitter,

vous

monsieur alliez

même,

quand vous vous

une autre

vous

Bah

que vous dit

je crois,

étiez forcé de

madame de

Ville-

nous dire pourquoi

êtes interrompu

pour passer à

idée.

— Fu vérité, Madame, j'oserai

dit

comte,

le

!

dire

dit

Monte-Cristo, je ne sais

si

je vais.

dites toujours.

— Je vais, en véritable badaud que

je suis, visiter

une

ehose qui m'a bien souvent fait rêver des heures entières. Laquelle?

— Un télégraphe. Ma tant voilà mol lâché. — Un télégraphe répéta madame de Villefort. foi

'

pis,

le


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Eh mon

un télégraphe. J'ai vu parfois 1 bout Q'un chemin, sur un tertre, par un heau soleil, se lever ces bras noirs et pliants pareils aux pattes d'uiî immense coiéoptère, et jamais ce ne fut sans émof ,n, je vous jure, car je pensais que ces signes bizarre^ sp.ndant l'air

Dieu, oui,

avec précision, et portant à

lonlé inconnue

homme

d'un

trois cents lieues la

assis devant

une

rj.

table, à

un autre nomme assis à l'extrémité de la ligne devani une autre table, se dessinaient sur le gris du nuage ou sur l'azur du ciel, par la seule force du vouloir de ce chef tout-puissant je croyais alors aux génies, aux sylphes, aux gnomes, aux pouvoirs occultes enfin, et je :

Or, jamais l'envie ne m'était

riais.

venue de voir de près aux pattes noires et

ces gros insectes au ventre blanc,

maigres, car je craignais de trouver sous leurs ailes de pierre le petit génie

humain, bien gourmé, bien pédant,

bien bourré de science, de cabale ou de sorcellerie. Mais

beau matin

voilà qu'un

chaque télégraphe

était

appris que le moteur de

j'ai

un pauvre

diable d'employé à

douzft cents francs par an, occupé tout le jour à regarder,

non pas

comme

le

le ciel

comme

pécheur, non pas

l'astronome,

le

paysage

non pas

l'eau

comme un

cer-

veau vide, mais bien l'insecte au ventre blanc, aux pattes noires, son correspondant, placé à quelque quatre ou lui. Alors je me suis senti pris d'un désir curieux de voir de près cette chrysalide vivante et d'as-

cinq lieues de

sister

à

la

comédie que du fond de sa coque

à cette autre chrysalide, tres

quelques bouts de

en

tirant les

donne

eîlc

uns après

les

au-

ficelle.

— Et vous allez là? — J'y vais.

A

quel télégraphe?

ricbr ou de

A

l'Observatoire?

celui

du ministère de '^

l'inlé-


t

LE COMTE DE MUISlli-tRlSlO.

se

— Ohl

non pas,

trouverais là des gens qui rou-

je

draient n^e forcer de

comprendre des choses que

icnorer, et qui m'expliqueraient malgré qu'ils

ne connaissent pas. Peste

sions

que

donc

veux

veux garder

les illu-

encore sur les insectes; c'est bien assez

j'ai

d'avoir déjà perdu celles n'irai

je

!

je

moi un vnyslère

que

j'avais sur les

hommes.

au télégraphe du ministère de

ni

Je

l'intérieur,

au télégraphe de l'Observatoire. Ce qu'il me faut, c'est télégraphe en plein champ, pour y trouver le pur bon-

ni le

homme

pétrifié

Vous

êtes

dans sa tour.

un

singulier grand seigneur, dit Ville-

fort.

— Quelle ligne me conseillez-vous d'étudier? — Mais plus occupée à cette heure. — Bon! celle d'Espagne, alors — Justement. Voulez-vous une du ministre pour la

?

lettre

qu'on vous explique...

— Mais non, contraire,

dit

Monte-Cristo, puisque je vous dis, au

que je n'y veux rien comprendre.

comprendrai quelque chose,

j'y

télégraphe,

il

il

Du moment

n'y aura plus de

n'y aura plus qu'un signe de

M. Ducbàtel

ou de M. de Montalivet, transmis au préfet de Hayonne et travesti en doux mots grecs T-nlt, yfxkfziv. C'est :

la

bote

aux

pattes noires et le

mol

conserver dans toute sa pureté

et

cITrayant

que

dans toute

je

ma

veux véné-

ration.

— et

Mlez donc, car dans deux heures

vous ne verrez plus

— Diable vous m'effrayez. Quel est — Sur route de lîayonne — Oui, va pour route de Bayonne. — C'est celui de Châtillon. I

la

il

fera nuit, et

rien.

?

la

*- Et après celui de Cliâlillooî

le

plus proche


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Celui de —

Merci

la tour

de Montlhéry, je

au revoir

,

!

Samedi

je

37

croiii.

vous raconterai mes

impressions.

A

la porte, le

comîe se trouva avec

les

deux notaires

qui venaient de déshériter Valentine, et qui se retiraient

enchantés d'avoir

de leur

faire

fait

un

acte qui ne pouvait

manquer

grand honneur.

IV LE MOYEN DE DÉLIVRER UN JARDINIER DES LOIRS QUI MANGENT SES PÊCHES.

Non pas

même

le

lendemain matin,

le

comme

soir,

il

l'avait dit,

comte de Monte-Cristo

mais

sortit

le

par la

barrière d'Enfer, prit la route d'Orléans, dépassa le vil-

lage de Linas sans s'arrêter au télégraphe qui, juste-

ment au moment où

le

comte passait,

faisait

mouvoir ses

longs bras décharnés, et gagna la tour de Montlhéry, tuée,

comme chacun sait,

plaine de ce

la

Au un

si-

sur l'endroit le plus élevé de

nom.

pied de la colline, le comte mit pied à terre, et par

de

petit sentier circulaire, large

commença de

gravir la

dix-huit pouces,

montagne arrivé au sommet, ;

il

une haie sur laquelle des fruits verts avaient succédé aux fleurs roses et blanches. se trouv» arrêté par

Monte-Cristo chercha

la

porte

tarda point à la trouver. C'était

du

une

petit enclos, et

roulant sur des gonds d'osier et se fermant avec

une ficelle. En un instant le comte mécanisme et la porte s'ouvrit. et

TOME

IV.

ne

petite herse en bois,

fut

un cloo au courant du


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

88

Le comte se trouva alors dans un petit jardin de vingt pieds de long sur douze de large, borné d'un côté par la partie

dfe .a

haie dans laquelle était encadrée l'ingénieuse

machine que nous avons décrite sous de

•t

.^mée de ravenelles

On

et

nom

le

de

l'autre par la vieille tour ceinte

de porte

lierre, toute

par

de giroflées.

n'eût pas dit, à la voir sjnsi ridée et fleurie

comme

UD3 aïeule à qui ses petits-enfants viennent de souhaiter lît fête, qu'elle pourrait raconter liien des drames terribles si elle

une voii aux

joignait

menaçantes qu'un

oreilles

vieax proverbe donne aux murailles.

On

parcourait ce jardin en suivant

une

allée sablée de

sable rouge, sur lequel mordait, avec des tons qui eussent réjoui l'œil de Delacroix, notre

Rubens moderne, une

bordure de gros buis, vieille de plusieurs années. Cette allée avait la

manière à

forme d'un

faire

en s'élançant, de

8, et tournait

dans un jardin de vingt pieds une prome-

nade de soixante. Jamais Flore, déesse des bons jardiniers

riante

la

latins,

d'un culte aussi minutieux et aussi pur que

qu'on

En

lui

l'était

celui

rendait dans ce petit enclos.

effet,

de vingt rosiers qui compo. aient

pas une feuille ne portait la trace de petite

fllei la

et fraîche

n'avait été honorée

la

le parterre,

mouche, pas un

grappe de pucerons verts qui désolent

et

rongent les plantes grandissant sur un terrain humide.

Ce

n'était

lardin

;

cependant point l'humidité oui manquait à ce

la terre

noire

comme

de

la suie

,

l'opaque feuil-

lage des arbres, le disaient assez; d'ailleurs l'humidité taclice eût

promptement suppléé à l'humidité naturelle,

giice au tonneau plein d'eau croupissante qui creusait

on des angles du jardin, et dans lequel stationnaient, sur une nappe verte, une grenouille et un crapaud qui, par (Dcompalibililé d'buxnenr

.

sans doute

,

se tenaient tou-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lours,

3î>

en se tournant le dos, aux deux points opposés du

Tercle.

D'ailleurs, pas

une herbe dans

les allées,

ton parasite dans les plates-bandes;

émcnde avec moins de

polit et

pas un reje-

une petite-maîtresse

soin les géraniums, les

cactus et les rhododendroDS de sa jardinière de porcelaine

que ne

le faisait le

maître jusqu'alors invisible du

petit enclos.

Monte

Cri sto s'arrêta après avoir

agrafant la ficelle à son clou

,

refermé

la porte

en

embrassa d'un regard

et

toute la propriété.

Il

parait

,

dit-il

jardiniers à l'année,

que l'homme du télégraphe a des

,

ou se

passionnément à

livre

l'agri-

culture.

Tout à coup

il

se heurta à quelque chose

,

tapi der-

une brouette chargée de feuillage ce quelque chose se redressa en laissant échapper une exclamation qui

rière

:

peignait son étonnement, et Monte-Cristo se trouva en

bonhomme

face d'un

d'une cinquantaine d'années qui plaçait sur des feuilles

ramassait des fraises qu'il

de

vigne. Il

de

y avait douze feuilles de vigne et presque autant

fraises.

Le bonhomme, en se relevant,

faillit

laisser

choir

fraises, feuilles et assiette.

— Vous Cristo

faites

votre récolte

Monsieur

,

— Pardon, Monsieur, répondi'. tant la vrai,

?

dit

Monte-

en souriant. le

mais je viens d'en descendre à

— Que je ne vous gêne en cueille?:

vos

— J'en

ai

fraises,

si

encore di^

rien,

por-

l'instant

mon ami,

même.

dit le

comte

;

vous en reste encore. l'homme, c»r en voici onze.

toutefois dit

bonhomme en

jo ne suis pas là-haut, c'est

main à sa casquette,

il


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

40

et j'en avais

vingt et une, cinq de plus que l'année der-

nière. Mais ce n'est pas étonnant, le printemps a été

aux

celle année, et ce qu'il faut

chaud

la chaleur.

vouS, Monsieur, c'est

de seize que

eues l'année passée, j'en

j'ai

voyez-

fraise?

Voilà pourquoi, au lieu ai cette

année,

voyez-vous, onze déjà cueillies, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit. Oh!

manque deux elles

y étaient, j'en suis sûr, je les

que ce soit flées

;

je

de

le fils

mon Dieu

y étaient encore

elles

,

la

ai

I

comptées.

mère Simon qui me

il

m'en

Monsieur,

hier,

Il

faut

les ait souf-

vu rôder par ici ce matin. Ahl le petit drôle, un enclos il ne sait donc pas où cela peut le

l'ai

voler dans

!

mener.

— En

Monte-Cristo, c'est grave, mais vous

dit

effet,

ferez la part de la jeunesse

du délinquant

et

de sa gour-

mandise.

— Certainement, moins

est pas

fort

pardon, Monsieur attendre ainsi

Et

il

:

dit le jardinier

;

cependant ce n'en

désagréable. Mais, encore une fois, c'est peut-être

un chef que

je fais

?

interrogeait d'un regard craintif le

comte

et

son

habit bleu.

— Rassurez-vous, mon ami, à sa volonté,

rire qu'il faisait,

lant, et

qui cette

fois

dit le si

comte avec ce sou-

terrible et si bienveil-

n'exprimait que la bienveillance, je

ne suis point un chef qui vient pour vous inspecter, mais

un simple voyageur conduit par nnence

vous

même

qui com-

perdre votre temps.

fait

— Oh

la curiosité et

à se reprocher sa visite en voyant qu'ii

mon temps n'est pas cher, répliqua le homme avec un sourire mélancolique. Cependant le

I

temps du gouvernement,

mais j'avais reçu

le signal

et je

ne devrais pas

le

bonc'es

perdre

qui m'annonçait que je poa-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. vais

me reposer une heure

(il

4t

yeux sur un cadran

jeta les

y avait de tout dans l'enclos de Montlhéry, même un cadran solaire), et, vous solaire, car

j'avais encore dix

mûres,

étalent

voyez,

minutes devant moi, puis mes

frajses

un jour de

et

foi,

non

,

de

le

vous, Monsieur, que les

— Ma

la tour

il

loirs

ne

je

plus... D'ailleurs, croiriei-

me les mangent?

l'aurais pas cru, répondit grave-

ment Monte-Cristo c'est un mauvais voisinage, Monsieur, que celui des loirs, pour nous qui ne les man;

geons pas confits dans du miel mains.

,

— Ahl

Romains

les

mangeaient

ils

les

CMMne

faisaient les

Ro-

Jm^ mangeaient?

fit

le jardinier;

les loirs?

— comte. lu cela dans Pétrone, — Vraiment? Ça ne doit pas être bon, quoiqu'on dise dit le

J'ai

Gras

comme un

sieur,

que

Et ce n'est pas étonnant,

loir.

les loirs soient gras,

:

Mon

attendu qu'ils dorment

toute la sainte journée, et qu'ils ne se réveillent que pour

Tenez, l'an dernier, j'avais quatre

ronger toute

la nuit.

abricots

m'en ont entamé un. J'avais

un

;

seul,

Monsieur,

ils il

est vrai

me

ils

que

l'ont

c'est

un

un brugnon,

rare; eh bien!

fruit

à moitié dévoré du côté de la

mu-

un brugnon superbe et qui était excellent. Je n'en jamais mangé de meilleur. Vous l'avez mangé ? demanda Monte-Cristo. C'est-à-dire 'a moitié qui restail, vous comprenez

raille; ai

— —

bien. C'étai» exqu' là

5,

Monsieur.

Ah dame I

1

ces messieurs-

ne choisissent pas les pires morceaux. C'est

fils

de

la

mère

fraises, allez

I

Si:

non,

il

n'a pas choisi les plus

comme

le

mauvaises

Mais cette année, continua l'horticulteur,

soyez tranquille, cela ne m'arrivera pas, dussé-je, quand les fruits seront prêts (farder.

de mûrir, passer

la nuit

pour les


LE COMTE

E MONTE-CRISTO.

I

homme

Monte-Cristo en avait assez vu. Chaque

aisa

mord au fond du cœur, ccmme chaque son ver; ceUe de l'homme au télégraphe, c'était

passion qui le fruit

l'horticulture.

cœur du

dev'gne qui

se mil à cueillir les feuilles

Il

cachaient les grappes au soleil Jardinier.

,^^se ccuquit par

là le

""^R,*'

— Monsieur venu pour v(^46 télégraphe — Oui, Monsieur, toutefois cela n'est pas défendu ? dit-il.

était

si

par les règlements.

— Oh

!

pas défeiK^^e moins du monde, dit le jardi-

n^^ifcâiéide dangereux, vu que per-

nier, attendu qu'il

sonne ne

ne peut savoir ce que nous disons.

sait ni

On m'a

dit,

en

ijffel,

même,

wf^'— Certainemeii PTwsieur,

dit

comte, que vous ré-

reprit le

vous ne compreniez pas vous-

pétiez des signauijiroe '

et

j'aime bien

mieux

cela,

en riant l'homme du télégraphe.

— Pourquoi aimez-vous mieux cela? — Parce que, de cette façon, je pas n'ai

hilité.

de responsa-

Je suis une machine, moi, et pas autre chose, et

pourvu que

je fonctionne,

on ne m'en demande pas da-

vantage.

Diable

ûl

!

Monte-Cristo en lui-même,

par hasard je serais tombé sur pas d'ambition? Morbleu

Monsieur,

dit le

801 «tadran solaire, <OLjne a

I

mon po^. Vous

--Je vous

que

n'aurait

ce serait jouer de malheur.

jardinier en jetant

les dix

est-ce

un homme qui

un coup d'œil sur

minutes vont expirer, ]a replait-il

de monter avec oaoi

t

suis.

Monle-Crisio entra, en

effet, dans la tour divisée en du bas contenait quelques instruments

trois étages; celui

aratoires, tels

que bêches, râteaux, arrosoirs, dressés c'était tout l'ameublement.

contre la muraille

:


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Le second

était rhabitation ordinaire

turne de l'employé; tensiles

ou plutôt noc-

contenait quelques pauvres us-

il

de ménage, un

43

lit,

une

table, deux, cliaites,

une

fontaine de gré^, plus quelques herbes sèches pendues

au plafoAd,

et

que

le

comte reconnut poar des pois de

senteur et des haricots d'Espagne dont le bonhomme conservait la graine dans. sa

avec

le soin

coque

;

avait étiqueté tout cela

il

d'un maître botaniste du Jardin des Plantes.

— Faut-il passer beaucoup de temps à étudier graphie. Monsieur?

la télé-

demanda Monte-Cristo.

— Ce n'est pas l'étude qui^jMiBfngue,^

c'est le

surnu-

mérariat.

— Et combien reçoit-on d'appointements — Mille francs. Monsieur. — Ce n'est guère. — Non mais on est logé, comme vous voyez. ?

'

;

Monte-Cristo regarda la chambre.

Pourvu qu'il n'aille pas tenir à son logement murmura- t-il. On passa au troisième étage c'était la chambre du i

:

télégraphe. Monte-Cristo regarda tour à tour les

deux

poignées de fer à l'aide desquelles l'employé

faisait

jouer

mais à la longue

c'est

U machine.

— C'est

fort intéressant, dit-il,

un peu insipide? Oui, dans le commencement cela donne le torticolis à force de regarder mais au bout d'un an ou doux on une vie qui

doit

vous

paraître

;

s'y fait; puis

nous avons nos heures ;le récréalion

jours de congé.

— Vos jours de congé? — Oui. — Lesquels? — Ceux où du brouillard. il

fait

et

nos


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

44

— Ah! c'est juste. — Ce sont mes jours de le

fête,

à moi

;

je descends dans

jardin ces jours-là, et je plante, je taille, je rogne,

j'(^clicnille

:

ea somme,

le

temps passe.

Depuis combien de temps êtes-vous

Depuis dix ans, et cinq ans de surnumérariat, qumze.

— — —

Vous

ici ?

avez?...

Cinquante-cinq ans.

Combien de temps de service vous

faut-il

pour

avoir la pension?

— Oh Monsieur, vil|Ncinq ans. — Et de combien est cette pension — De cent écus. — Pauvre humanité murmura Monte-Cristo. — Vous Monsieur?... demanda l'employé. — Je dis que c'est intéressant. — Quoi? — Tout ce que vous me montrez... Et vous ne comI

?

I

dites,

fort

prenez lien absolument à vos signes?

— Rien absolument. — Vous n'avez jamais essayé de comprendre? — Jamais pour quoi faire? — Cependant, y a des signaux qui s'adre.ssent à ;

il

vous directement.

— —

— — —

Sans doute. El ceux-là vous les comprenez? Ce sont toujours les mômes. Et

ils

disent?

Bien de

nouveau.... vous avez une heure.,,,

ou à

demain.

Voilà qui est parfaitement innocent, dit

mais regardez donc, ne dant qui se met en

voilà-t-il

mouvcmfnt?

le

comte

;

pas votre correspon-


Lli

— Ah

COMTE DE MONTE-CRISTO

c'est vrai

!

— Et que vous comprenez?

;

45

merci, Monsieur.

dit-il? est-ce

quelque chose que vous

— Oui me demande je suis prêt. — Et vous répondez?... — Par un signe qui apprend en môme temps il

;

si

lui

mon

à

correspondant de droite que je suis prêt, tandis quM invite mon correspondant de gauche à se préparer à soi tour.

— C'est très-ingénieux, — Vous voir, allez

dans cinq minutes

J'ai

dit le

reprit

il

va

comte.

avec orgueil

le

bonhomme

parler.

cinq minutes alors, dit Monte-Cristo, c'est plus

de temps qu'il ne m'en faut.

Mon

cher Monsieur,

dit-ii,

i>ermettez-moi de vous faire une question.

— — — —

rasse

Faites.

Vous aimez le jardinage? Avec passion. Et vous seriez heureux, au lieu d'avoir une de vingt pieds, d'avoir un enclos de deux

ter-

ar-

pents?

— — — — — —

Monsieur, j'en ferais un paradis terrestre.

Avec vos Assez mal

mille francs vous vivez

mal?

mais enfln je vis. Oui; mais vous n'avez qu'un jardin misérable.

Ah

I

;

c'est vrai, le jardin n'est

Et encore,

tel qu'il est,

il

est

pas grand.

peuplé de

loirs qui

dévorent tout.

— Ça, c'est mon Oéau. — vous aviez T)ites-raoi\ si

tète,

— —

quand Je ne

le

le

malheur de

tourne»- fa

correspondant de droite va marcher?

le verrais pas.

Alors, qu'arriverait-il?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

46

— — —

Que

je

ne pourrais pas répéter ses signaux»

Et après? II

arriverait que,

l^ente, je serais

ne

pas répétés par négll-

les ayant

mis à l'amende.

De combien ? De cent francs.

Le dixième de votre revenu

— Ail l'employé. — Cela vous est arrivé — Une Monsieur, une

;

c'est joUI

fit

!

? dit

fois,

Monte-Cristo.

fois

que

je greffais

un

ro

sier noisette.

Bien. Maintenant,

si

vous vous avisiez de chan-

ger quelque chose au signal, ou d'en transmettre autre

— drais

— —

Alors, c'est différent, je serais renvoyé et je per-

ma

pension.

Trois cents francs?

Cent écus, oui. Monsieur; aussi vous comprenez

que jamais

un

?

je

ne

môme

Pas

ferai rien

de tout cela.

pour iiuinze ans de vos appointements?

Voyons, ceci mérite réflexion, hein

— — — — — — —

Pour quinze mille francs? Oui.

Monsieur, vous m'effrayez. IJah!

Monsieur, vous voulez

me

tenter?

Justement! Quinze mille francs, comprenez vous? Monsieur, laissez-moi regarder

de droite

mou

correspondant

I

— Au contraire, ne regardez pas et regardez ceci. — Qu'est-ce que c'est? le

Comment

plers-Ià?

1

vous ne connaissez pas cei

petits pA-


^ COMTE DE MONTE-CRISTO.

47

— Des de banque — Carrés y en a quinze. — El à qui «ont-ils? — A vous, vous voulez. — Amoil s'écria l'employé suffoqué. — Oh mon Dieu, oui à vous, en toute propriété. — Monsieur, voilà mon correspondant de droite qai billets ;

I

il

si

!

I

marche.

— Laissez-le marcher. — Monsieur, vous m'avez

distrait,

et je vais être

à

J'amende.

— Cela vous coûtera cent francs vous avez tout

intérêt à prendre

;

vous voyez bien que

mes quinze

billets

de

banque.

— Monsieur, il

le

correspondant de droite s'impatiente,

redouble ses signaux.

— Laissez-le

faire et prenez.

Le comte mit

le

— Maintenant, mille francs

paquet dans la main de l'employé.

dit-il,

ce n'est pas tout

:

avec vos quinze

vous ne vivrez pas.

— J'aurai toujours ma place. — Non, vous la perdrez car vous allez faire un autre ;

signe que celui de votre correspondant.

— Oh Monsieur, que me proposez-vous là? — Un enfantillage. — Monsieur, à moins que d'y être — Je compte bien vous y forcer effectivement. 1

forcé...

Et Monte-Cristo

tira

de sa poche un

— Voici dix autres mille francs,

autrf»

dit-il;

paquet.

avec

les

quinze

qui sont dans votre poche, cela fera vingt-cinq mille.

Avec cinq maison autres,

mille francs vous achèterez

une jolie petite deux arpents de terre avec les vingt miUd vous vous ferez mille francs de rente. et

;


LE COMTE DE iMONTE-CUlSTO.

48

— Vn jardin de deux arpents ? ~ Et mille francs de rente. — Mon Dieu mon Dieul — M;iis prenez donci !

Et Monte-Cristo mil de force les dix mille francs dans !a

main de l'employé.

— Que dois-je faire? — Rien de bien — Mais enfin? — Répéter les signes que voici. difficile.

Monte-Cristo

tira

l'ordre dans lequel

— Ce

de sa poche un papier sur lequel

ils

devaient être

ne sera pas long,

il

y

numéros indiquant

tout tracés, des

signes

avait trois

faits.

comme vous

voyez.

— Oui, mais... —

C'est

pour

coup que vous aurez des brugnons,

le

et

de reste.

Le coup porta gouttes, le trois

;

rouge de fièvre

bonhomme exécuta

les

et

suant à grosses

uns après

les autres les

signes donnés par le comte, malgré les effrayantes

dislocations

du correspondant de

droite, qui,

ne compre-

nant rien à ce changement, commençait à croire que

l'homme aux brugnons

devenu

était

fou.

Quant au correspondant de gauche, cieusement

les

mômes

il

répéta conscien-

signaux, qui furent recueillis dé-

finitivement au ministère de l'intérieur.

Maintenant, vous voilà

riclie, dit

Monte-Cristo.

— Oui, répondit l'employé, mais à quel prixl — fîcoutez, mon ami Monte-Cristo, je ne veux pas ,

que vous TOUS

jure,

ayf!Z

dit

des remords

vous n'avez

fait

;

de

croyez-moi donc, car, je tort à

personne,

et

vous

avez servi les projets de Dieu.

L'employé

re^arr^ait les billets

de banque, les palpail


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. les comptait

il

;

cipita ""ers sa il

était pâle,

il

était

rouge

;

enfin,

49 il

se pré-

chambre pour boire un verre d'eau

;

mais

n'eut pas le temps d'arriver jusqu'à la fontaine, et

il

s'évanouit au milieu de ses haricots secs.

Cinq minutes après que

la

arrivée au ministère, Debray

coupé,

et

nouvelle télégraphique fut fit

mettre les chevaux à son

courut chez Danglars.

— Votre

mari a des coupons de l'emprunt espagnci?

à la baronne.

dit-il

— Je crois bien en a pour six millions. — Qu'il les vende à quelque prix que ce — Pourquoi cela? — Parce que don Carlos sauvé de Bourges il

?

soit.

s'est

et est

rentré en Espagne.

— Comment savez-vous cela? — Parbleu, Debray en haussant les épaules, comme dit

je sais les nouvelles.

La baronne ne

se le

fit

pas répéter deux

fois

:

elle

courut chez son mari, lequel courut à son tour chez son agent de change et

Quand on

vit

lui

ordonna de vendre à tout prix.

que M. Danglars vendait,

les fonds

espa-

gnols baissèrent aussitôt. Danglars y perdit cinq cent mille francs, mais

Le

soir

on

lut

il

se débarrassa de tous ses coupons.

dans

le

Messager :

Dépêche télégraphique. m

Le

roi

don Carlos a échappé à

la

surveillance qu'on

exerçait sur lui à Bourges, et est rentré en la frontière

faveur.

Espagne par

de Catalogne. Barcelone s'est soulevée en sa

»

Pendant toute la soiréB il ne fut bruit que de la préToyance de Danglars, qui avait vendu ses coupons, et da


LE COMTE DE MONTE-GRISIT.

«0 bonheur de francs sur

l'agioteur, qui

un

ne perdait que cinq cent mHl«

pareil coup.

Ceux qui avaient conservé leurs coupons ou acheté «eux de Danglars se regardèrent comme ruinés et passèune fort mauvaise nuit. Le lendemain on lut dans le Moniteur : « C'est sans aucun fondement que le Messager a auloncé hier la fuite de don Carlos et la révolte de Bar-

rent

celone. «

Le

roi

don Carlos n'a pas quitté Bourges,

et la

Pé-

ninsule jouit de la plus profonde tranquillité. «

Un

signe télégraphique, mal interprété à cause da

brouillard, a

donné

lieu à cette erreur,

»

Les fonds remontèrent d'un chiffre double de celui où ils étaient descendus. Cela

fit,

en perte

et

en manque à gagner, un million

de différence pour Danglars.

— Bon!

dit

Monte-Cristo à Morrel, qui se trouvait chez

au moment où on annonçait l'étrange revirement de Bourse dont Danglars avait été victime je viens de faire lui

;

pour vingt-cinq mille francs une découverte que j'eusse payée cent mille.

— Que venez-vous donc de découvrir? demanda Maximilien.

— Je viens

de découvrir

le

moyen de

délivrer

iioier des loirs qui lui mangeaient ses pêches

un jar-


LK COMTE DE MONTE-CRISTO.

bi

LES FANTOMES.

A

première vne,

la

et

examinée du

deiiors, Ja maisc%'

d'Auteuil n'avait rien de splendide, rien de ce qu'on pouvait attendre

d'une habitation destinée au magnifique

ie Monte-Cristo

comtfc

:

mais cette simplicité

tenait à la

volonté du maître, qui avait positivement ordonné que rien

ne fût changé à

l'extérieur;

il

n'était

besom pour

convaincre que d^ considérer l'intérieur. porte était-elle ouverte

la

M. Bertuccio

s'était

que

le

s'en

En effet, a peine

spectacle changeait.

surpassé lui-même pour

le

goût

ameublements et la rapidité de l'exécution comme autrefois le duc d'Antin avait fait abattre en une nuit une allée d'arbres qui gênait le regard de Louis XIV, de même âes

en

:

trois

jours M. Bertuccio avait

entièrement nue,

et

venus avec leurs blocs énormes de la façade principale

fait

planter

une cour

de beaux peupliers, des sycomores racines, ombrageaient

delà maison, devant laquelle, au lieu

de pavés à moitié cachés par l'herbe, s'étendait une pelouse de gazon, dont les plaques avaient été posées le

même,

matin

et

qui formait

un vaste

tapis

perlait en-

core l'eau dont on l'avait arrosé.

Au

reste, les ordres venaient

remis à Bertuccio un plan où \Sl

du comte; lui-même avait

était

indiqué

le

nombre

et

place des arbres qui devaient être plantés, la forme et

l'espace

Vue

d«.

'a

pe'ouse qui devait succéder aux pavés.

ainsi, la

maison

était

devenue méconnaissable,

et

Bertuccic lui-même protestait qu'il ne la reconnaissait plus, emboîtée qu'elle était dans son cadre de verdure.


n

LE COMTE DE MUNTE-CKISIU. L'inlendanl n'eût pas été fâché, tandis qu'il y était,

quelques transformations au jardin:

faire subir

df»

m?.' s le

comte avait positivement défendu qu'on y touchât en rien. Bertuccio s'en dédommagea en encombrant de cheminées.

fleurs les antichambres, les escaliers ei ies

Ce qui annonçait l'extrême habileté de l'intendant la

pour se

que cette maison, déserte de. sombre et si triste encore la veille

faire servir, c'zst

puis vingt années,

si

imprégnée qu'elle

tout

de celte fade odeur qu'on

était

un jour, le mai

pourrait appeler l'odeur du temps, avait pris en

avec l'aspect de tre,

la vie, les

parfums que préférait

jusqu'au degré de son jour favori

et

comte, en arrivant, avait ses armes

;

là,

oiseaux dont

les il

chiens dont

aimait

le

c'est

que

le

il

aimait les caresses, les

chant ; c'est que toute cette mai-

son, réveillée de son long sommeil Belle

;

sous sa main, ses livres et

sous ses yeux ses tableaux préférés; dans les

antichambres

la

et

profonde science du maître, l'un pour servir, l'autre

au bois dormant,

pareille à ces

comme

le

palais de

vivait, chantait, s'épanouissait,

maisons que nous avons depuis longtemps

chéries, et dans lesquelles, lorsque par

malheur nous

les

nous laissons involontairement une partie de

quittons,

notre àme.

Des domestiques belle cour

:omme

:

s'ils

les

allaient et venaient

joyeux dans

uns possesseurs des cuisines,

cette

et glissant.

eussent toujours habile celte maison, dans dei

escaliers restaurés de la veille, les autres peuplant les re-

mises,

otx les

équipages, numérotés et casés, semblaieni

installés

depuis cinquante ans

vaux au

râtelier rc-pondaieni

Diers, qui leur parlaient

;

et les écuries,

en hennissant 5ux

les

che

oalofre-

avec infiniment plus de respect

que eaiicoup de domestiques ne parlent à leurs maîtres. l

La bibliothèque

était

dispo><ie sur

deux corps, aux


,

M

LE COMTE DE MOÏn f E-CRISTO.

deux côtés de la muraille, et contenait deux milles volumes à peu près tout un compartiment était destiné aux romans modernes, et celui qui avait paru la veille :

rangé à sa place, se pavanant dans sa reliure

était déjà

rouge

De

et or.

de la maison, faisant pendant à

l'autre côté

la bi-

y avait la serre, garnie de plantes rares et s'épanouissant dans de larges potiches japonaises, et au bliothèque,

milieu de

il

la serre,

un

l'odorat,

billard

merveille à la fois des yeux et de

que

une heure au plus par mourir

Une

l'on eût dit

les billes sur le tapis.

chambre avait été respectée par le magniDevant cette chambre située à l'angle

seule

fique Bertuccio.

,

gauche du premier étage par

le

grand escalier,

calier dérobé et Bertuccio

A

,

les

et

,

à laquelle on pouvait monter

dont on pouvait sortir par

avec terreur. ,

le

comte arriva

maison d'Auteuil. Bertuccio

la

arrivée avec

l'es-

domestiques passaient avec curiosité

cinq heures précises

devant

rait

abandonné depuis

les joueurs, qui avaient laissé

,

suivi d'Ali

attendait cette

une impatience mêlée d'inquiétude

;

il

espé-

quelques compliments, tout en redoutant un fronce-

ment de

sourcils.

Monte-Cristo descendit dans la cour, parcourut toute tour du jardin, silencieux et sans donner

]a

maison

le

moindre signe d'approbation

et

fit

le

ni de

mécontentement.

Seulement, en entrant dans sa chambre à coucher, située

du

côié opposé à la

main vers

le tiroir

chambre fermée

,

il

étendit la

d'un petit meuble en bois de rose,

qm'l avait déjà distingué à son premier voyage.

— Cela ne peut servir qu'à mettre des gants, — En Excellence, répondit Bertuccio ravi, oudit-il.

effet,

vres, et

vous y trouver^a des gants.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ft4

Dans

meubles,

les autres

comte trouva encore c»

le

comptait y trouver, flacons, cigares, bijoux.

qu'il

— Pieu

(lit-ii

!

encore.

El M. Bertucdo se retira l'âme ravie, tant puissante et réelle rinfliience de cet

était

homme

grajde,

sur loui ce

qui l'entourait.

A

six heures précises

devant

porte

la

,

on entendit piétiner un cheval

d'entrée.

C'était

notre capilainii

des

«pahis qui arrivait sur Alédéah.

Monte-Cristo l'attendait sur

le

perron

,

le sourire

aux

lèvres.

— Me

voilà le premier, j'en suis bien sur

Morrel ; je

l'ai fait

seul avant tout

le

,

!

Dites-moi, comte, est-ce que vos gens

ici!

mon cheval? mon cher Maximilien,

auront Lien soin de

et Emmanuel vous disent Ah mais savez-vous que c'est

monde. Julie

des millions de choses. maj^nifuiue

cria

lui

!

exprés pour vous avoir un instant à moi

Soyez tranquille,

ils

s'y con-

naissent.

C'est qu'il a besoin d'être

viez de quel train

— I*este, francs

I

[larler

à

dit

il

a été

bouchonné.

Une

!

Si

vous sa-

véritable trombe

I

un cheval de cinq

je le crois bien,

mille

Monte-Cristo du ton qu'un père mettrait à

.son fils.

Vous

les

egrettez? dit Morrel avec son franc sou.

rire.

— Moi

IDieu

m en

préserve! répondit le comte. Non.

Je regretterais seulement que

11

est

K'»naud,

1

si

bon,

mon

homme

le

iiK.i

les

arabes du ministère, couieul

en ce moment,

comme vous

voyez

,

cheval ne fût pas bon.

plus connaisseur de France, et

M. Debray, qui monte apn-s

le

cher comte, que M. de Chàleau-

el

et

sont

un peu distancés,

encore sont-ils talonnés par

les


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

55

cheTaux de la baronne Danglars qui vont d'un troi faire tout bonnement leur six lieues à l'heure. Alors, ils vous suivent? demanda Monte-Cristo. ,

à

— —

Tenez, les voilà.

En

effet,

au moment même, un coupé à l'attelage tout deux chevaux de selle hors d'haleine arri vèrent devant la grille de la maison qui s'ouvrit devant fumant

et

,

eux. Aussitôt le coupé décrivit son cercle rêter

En un à

,

et vint s'ar-

au perron, suivi de deux cavaliers. instant

la portière.

Debray eut mis pied à

Il offrit

sa

main à

la

trouva

terre, et se

baronne, qui lui

en

fit

descendant un geste imperceptible pour tout autre que

pour Monte-Cristo. Mais reluire

comte ne perdait rien

le

un

,

dans ce geste

et

avec une aisance qui indiquait

geste, et qui passa,

vit

il

que

petit billet blanc aussi imperceptible

le

l'ha-

manœuvre, de la main de madame Dandu secrétaire du ministre.

bitude de cette

glars dans celle

femme

Derrière sa s'il

fût sorti

Madame Danglars et investigateur

dans lequel de

la

descendit

du sépulcre au

elle

maison

;

le

jeta autour d'elle

embrassa

puis

,

son visage de pâlir,

Monsie''.!', si

Morrel ,

rapide

la cour, le péristyle, la façade

réprimant une légère émotion

elle

monta

le

s'il

,

qui

eût été permis à

perron tout en disant à

:

manderais

iii.icf

un regard

que Monte-Cristo seul put comprendre, et

se fût certes traduite sur son visage,

Morrel

comme

banquier, pâle

lieu de sortir de son coupé.

si

fit

et se

vous

étiez

mes amis,

un

je

vous de-

sourire qui ressemblait fort à une gri-

retourna vers Monte-Cristo,

prier de le tirer de l'embarras

Le comte

de

votre cheval est à vendre.

le

comprit.

il

comme

«e trouvai!:

pour

le


LE COMTE DE MONTE-CKISTO.

56

— 1101

Ahl Madame, répondit-il, pourquoi n'est-ce pointa

que

demande

celte

s'adresse ?

Avec vous, Monsieur,

iroit \\e

dit la

baronne, on n'a

le

ne rien désirer, car on est trop sûre d'obtenir.

Aussi était-ce à M. Morrel.

— Malheureusement, reprit

le

comte, je suis témoia

que M. Morrel ne peut céder son cheval étant

engagé à ce

,

son honneur

qu'il le garde.

— Comment cela? — a pané dompter

Médéah dans l'espace de

Il

sl'^

mois. Vous comprenez maintenant, baronne, que s\. s'en défaisait avant le terme fixé par le pari

ment

un à une et

il

le perdrait,

mais encore on

,

dirait qu'il

non-seulea eu peur

;

même pour passer un caprice est, à mon avis, une des choses

capitaine de spahis, jolie

femme, ce qui de ce monde, ne peut

les plus sacrées

laisser courir

un

pareil bruit.

— Vous voyez, Madame... à Monte-Cristo

11

me

un

Morrel tout en adressant

dit

sourire reconnaissant.

semble d'ailleurs,

dit

Danglars avec un ton

bourru mal déguisé par son sourire épais, que vous en avez assez

Ce

comme

n'était

cela de chevaux.

point l'habitude de

madame

Danglars de

de pareilles attaques sans y riposter, et cependant, au grand étonnement des jeunes gens, elle ûl

laisser passer

semblant de ne pas entendre

et

ne répondit

rien.

Monte-Cristo souriait à ce silence, qui dénonçait une humilité inaccoutumée, tout en montrant à

la baio'^'ie

deux immenses pots de porcelaine de Chine, sur lesquels servnlaient des végétations marines d'une grosseur et d'uD travail tels, que la nature seule peut avoir cette richesse, cette sève et cet esprit.

La baronne

était émerveillée.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. j.

Eh, mais, on

des Tuileries faire cuire

— Ah

'

dit-elle

comment donc a-t-on jamais pu

;

de pareilles énormités ?

Madame,

I

57

un marronnier

planterait là-dedans

dit

Monte-Cristo

,

il

ne faut pas nous

«demander cela à nous autres faiseurs de statuettes et de verre mousseline

:

c'est

un

— Comment cela — Je ne sais pas pereur de

la

que dans ce

et

la terre et

Chine avait

fait

on descendit

;

cents brasses au fond de la mer.

que

l'on

demandait

,

une

mer.

emun four exprès ;

les autres

cuire douze pots pareils à ceux-ci.

sous l'ardeur du feu

la

oui dire qu'un

j'ai

construire

uns après

four, les

de

de quel époque cela peut-il être?

seulement

;

d'un autre âge

travail

espèce d'œuvre des génies de

,

on avait

Deux

fait

se brisèrent

les dix autres à trois

La mer, qui

savaiv ce

sur eux ses Hanes, tordit

d'elle, jeta

ses coraux, incrusta ses coquilles; le tout fut cimenté

par deux cents années sous ses profondeurs inouïes, car

une révolution emporta l'empereur qui cet essai et ne laissa la

cuisson des vases

Au

que

le

avait

et leur

allèrent, sous des

faire

descente au fond de la mer.

bout de deux cents ans on retrouva

bal, et l'on songea à

voulu

procès-verbal qui constatait

retirer les

machines

le

procès-ver-

vases. Des plongeurs

faites

exprès, à

la

décou-

où on les avait jetés mais sur les dix on n'en retrouva plus que trois les autres avaient été dispersés et brisés par les flots. J'aime ces vases, au fond desquels je me figure parfois que des monstres informes, verte dans la baie

;

,

effrayants, mystérieux, et pareils à

ceux que voient

les

seul? plongeurs, ont fixé avec étonnemcnt leur regard

terne et froid, et dans lesquels ont dormi des myriades

de poissons qui

pour

s'y réfugiaient

fuir la

poursuite de

leurs ennemis.

Pendant ce temps

,

Danglars

,

peu amateur de

curiosi-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

58

tés, arrachait machinalement, et l'une après l'autre, les Heurs d'un magnifique oranger quand il eut fini avec ;

l'oranger,

il

s'adressa à

un

cactus, mais alors le cactus

d'un caractère moins facile que l'oranger, le piqua o.tra^

geusemeni. Alors tait

tressaillit et se frotta les

il

yeux comme

s'il

sor-

d'un songe,

Monsieur, lui dit Monte-Cristo en souriant, vous qui êtes amateur de tableaux et qui avez de si magnifiques choses, je ne vous recommande pas les miens

Cependant voici deux Ilobbema, un l'aul Polter, un Miedeux Gérard Dow, un Raphaël, un Van-Dyck un Zurbaran et deux ou trois Murillo, qui sont dignes de vous être présentés. ns,

— Tiens

I

dit

Debray, voici un

Hobbema que

je recon-

nais.

— Ah vraiment — Oui, on est venu proposer au Musée. — Qui n'en a pas. je hasarda Monte-Cristo. — Non, qui cependant a refusé de l'acheter. — Pourquoi cela? demanda Château-Renaud. — Vous êtes charmant, vous parce que gouverneI

1

le

crc,,^ ?

et

'

le

;

ment

n'est point assez riche.

-Ah! pardon! dit Château-Renaud. J'entends dire cependant de ces choses-là tous les jours depuis huit ^ns, et je ne puis pas encore m'y habituer.

— Cela viendra;,

dit Debray. ne crois pas, répondit Château-Renaud. M. le major Rartolomeo Cavalcanti M. le viu^rate Andréa Cavalcanti annonça

— Je

!

I

Baptistin.

Un col de satin noir sortant des mains du fabricant ane barbe fraîche, des moustaches grises, l'œil assuré' on habit de major orné de trois plaques et de cinq croix'


59

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

en 'somme une tenue irréprochable de vieux --nBarut le major Bartolomeo Cavalcanti , ce tendre père soldat, tel

que nous connaissons. Près de

lui,

couvert d'habits tout flambants neufs, s'a-

vançait, le sourire sur les lèvres, le vicomte Andréa Caencore. valcanti, ce respectueux fils que nous connaissons

Les

trois

jeunes gens causaient ensemble

;

leurs re-

tout gards se portaient du père au fils, et s'arrêtèrent déqu'ils naturellement plus longtemps sur ce dernier, taillèrent.

— Cavalcanti Debray. — Un beau nom, Morel peste! vrai, ces Italiens se — Oui, Château-Renaud, I

dit

fit

;

c'est

dit

nomment

bien, mais

—Vous

ils

êtes difficile,

s'habillent mal.

Château-Renaud,

reprit

Debray;

ces habits sont d'un excellent faiseur, et tout neufs. —Voilà justement ce que je leur reproche. Ce monsieur

a

de s'habiller aujourd'hui pour la première fois. Qu'est-ce que ces Messieurs? demanda Danglars au

l'air

comte de Monte-Cristo.

— Vous avez entendu, des Cavalcanti. — Cela m'apprend leur nom, voilà — Ah! vrai, vous n'êtes pas au courant de nos notout.

c'est

blesses d'Italie

;

qui dit Cavalcanti, dit race de princes.

— Belle fortune? demanda — Fabuleuse. — Que font-ils — essayent de la manger

le

banquier.

?

Ils

sans pouvoir en venir à

ce qu'ils bout. Ils ont d'ailleurs des crédits sur vous, à venant voir avant-hier. Je les ai même en

m'ont

me

dit

invites a votre intention. Je

— Mais

il

me

semble

français, dit Danglars.

vous

qu'il»

les présenterai.

pax^.eat

très-purement

le


LE COMTE DE MONTE-CRISTO

«0

— Le seille

flls

un

a été élevé dans

ou dans

les

environs

du Vous

collège

je crois.

,

Midi, à Mar-

trouverez

le

dans l'enthousiasme.

— De quoi? demanda baronne. — Deb Françaises, Madame. veut absolument prenla

Il

femme à Taris. Une belle idée

dre

qu'il

a là

I

dit

Danglars en haussant

les épaules.

Madame Danglars

regarda son mari avec une expres-

sion qui, dans tout autre

mais pour — -

la

seconde

moment, eût présagé un orage:

fois elle se tut.

Le baron parait bien sombre aujourd'hui,

Cristo à

madame Danglars

;

dit

Monte-

est-ce qu'on voudrait le faire

ministre, par hasard?

— Non, pas encore, que je sache. Je crois plutôt aura joué à

la

Bourse,

qu'il

aura perdu,

et qu'il

qu'il

ne

sait

à qui s'en prendre.

— M.

et

madame

de Villefort! cria Baptistin.

Lesdeuxpersonnesaunoncéesentrèrent.M.deVillefort, malgré sa puissance sur lui-même, était visiblement ému.

En touchant

sa main, Monte-Cristo sentit qu'elle tremblait.

Décidément

il n'y a que les femmes pour savoir dissimuler, se dit Monte-Cristo à lui-même et en regardant madame Danglars, qui souriait au procureur du roi

et qui

embrassait sa femme.

Apres qui,

un

les premiers compliments, le comte \it Bertuccic occupé jusque-là du côté de l'offlce, se glissait dans

petit salon attenant à celui

Il

dans lequel on se trouvait.

alla à lui.

— Que voulez-vous, M. Bertuccio? — Son Excellence ne m'a pas

lui dit-il.

dit le

convives.

Ah

!

c'est vrai.

nombre de

sea


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Combien de couverts

61

?

•— Comptez vous-même.

— Tout — Oui.

le

monde

est-il arrivé,

Excellence?

Uertuccio glissa son regard à travers la porte entrebâillée.

Monte-Cristo le couvait des yeux.

— Ah mon Dieul — Quoi donc? demanda comte. — Cette femme femme — Laquelle? s'écria-t-il.

I

le

1...

— Celle qui a une la

cette

I...

robe blanche et tant de diamantsi...

blonde!...

— Madame Danglars

— Je ne elle.

pas

sais

Monsieur, c'est

?

comment on elle

la

nomme. Mais

c'est

!

— Qui — La femme du jardm! elle?

celle qui était enceinte qui se promenait en attendant!... en attendant!...

I

celle

Bertuccio demeura la bouche ouverte, pâle et les che-

veux

hérissés.

— En attendant qui

?

Bertuccio, sans répondre, montra Villefort

du doigt, à peu près du même geste dont Macbeth montra Banco. Oh!... oh I... murmura-t-il enfin, vo^ôz-vou'- f

— — Quoi? qui? — Luif — Luiî... M.

dc:«te,

que

le

procureur du

roi

de Villefort? Sans

je vois.

— Alais je ne donc pas tué? — Ah çà, mais je crois que vous l'ai

brave monsieur Bertuccio,

— Mais

il

TOMK

n'est IV.

donc »»*

dit le

devenez fou,

comte.

wt^'-t9

4

mon


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

6i

— Eh non!

il

vous

u'esl pas niori,

voyez bien; aa

le

iieu de le frapper entre la sixième et la sepfièmn cote

gauche, conime

c'est la

coutnine de vos compatriotes,

vous aurez ûappé plus haut ou plus bas

vous a l'âme chevillée dans

justice, ça

plutôt rien de ce c'est

;

ces gens de

et

CDrps

le

que vous m'avez raconté

un rêve de votre imagination, une

;

ou bien

n'est vrai

hallucination de

votre esprit; vous vous serez endormi ayant mal digéré votre vengeance; elle vous aura pesé sur l'estomac; vous

aurez eu

cauchemar, voilà

le

votre calme, et comptez

deux M. ;

et

madame

:

Voyons, rappelez

tout.

M. et

madame

Danglars, quatre

;

Renaud, M. Dehray, M. Morrel, sept; M. lomeo Cavalcanli, huit.

— Huitl répéta Bertuccio. — Attendez donc attendez donc convives.

aller,

que diable

garde

la

!

major Barto-

I

Appuyez un peu à gauche...

dréa Cavalcanti, ce jeune

le

vous êtes bien pressé vous oubliez un de mes

I

de vous en

de Villefort,

M. de Château-

homme

en

tenez... M.

ha^bit noir

An-

qui re-

Vierge de Murillo, qui se retourne.

Cette fois Bertuccio

commença un

cri

que

le

regard de

Monte-Cristo éteignit sur ses lèvres.

Benedetto! murmura-t-il tout bas, fatalité!

— Voilà

six heures et

demie qui sonnent, monsieur

Bertuccio, dit sévèrement le comte

donné

l'ordre

;

c'est l'heure

j'ai

qu'on se mil à table; vous savez que je

n'aime point à attendre. Et Monte-Cristo rentra dans

salon où l'attendaient

le

aes convives, taudis que Hertuccio regagnait la sa?le à

manger en s'appuyant contre Cinq minutes après,

les

rent. Bertuccio parut, et tilly,

UQ dernier

et

les murailles.

deux portes du salon s'ouvrifaisant,

comme

héroïque effort:

Vat'^ à Chan-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. «— Monsieur Monte-Cristo

comte

le

de

madame

la

bras à

offrit le

— Monsieur de

63

est servi, dit-il.

madame de

Villefoit.

Villefort, dit-il, faites-vous le cavalier

baronne Dànglars, je vous

Villefort obéit, et l'on

passa dans

prie.

la salle

à manger.

VI LE DINER.

n

était évident,

qu'en passant dans

un même sentiment animait

mandaient quelle bizarre influence dans cette maison, tout inquiets

et

à manger,

la salle

tous les convives. les avait

Ils se

cependant, tout étonnés

que quelques-uns

de-

amenés tous et

même

étaient de s'y trouver,

ils

n'eussent point voulu ne pas y être.

Et cependant des relations d'une date récente, tion excentrique et isolée, la fortune

inconnue

la posi-

presque

et

hommes

fabuleuse du comte, faisaient un devoir aux d'être circonspects, et

entrer dans cette

pour

les

aux femmes une

maison où

il

loi

de ne point

n'y avait point de

recevoir; et cependant

hommes

et

femmes femmes

avaient passé les uns sur la circonspection, les autres sur la convenance; et la curiosité, les pressant de son irrésistible aiguillon, l'avait Il

emporté sur

le tout.

n'y avait point jusqu'à Cavalcanti père et

fils

qui,

l'un malgré sa roideur, l'autre malgré sa désinvolture,

ne paru*î^!it préoccupés de se trouver réunis, chez cet

homme ù nt ils ne pouvaient comprendre le but, à d'autres hommes qu'ils voyaient pour la première fois. Madame Dànglars avait fait un mouvement en voyant.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

64

sur l'invilation de Monte-Cristo, M. de Villefort s'approcher d'elle pour

sentant

le

bras de

Aucun de comte,

grand

il

baronne se poser sur

la

ces deux

et déjà,

individus, fort

M. de Villefort avait

lui offrir le bras, et

son regard se troubler sons ses lunettes d'or en

senti

mouvements

le sien.

n'avait échappé

au

dans cette simple mise en contact des

y avait pour l'observateur de cette scène un

intérêt.

M. de Villefort avait à sa droite

madame Danglars

et

à

gauche Morrel.

sa

Le comte

était assis entre

madame

de Villefort et Dan-

giars.

Les autres intervalles étaient remplis par Debray, assis entre Cavalcanti père et Cavalcanti

Renaud, assis entre madame de Le repas

fut

et

fils,

par Château-

Villefort et Morrel.

magnifique; Monte-Cristo avait pris à tâche

de renverser complètement

donner plus encore à

la

symétrie parisienne et de

la curiosité

convives l'aliment qu'elle

désirait.

qu'à l'appétit do ses

Ce

fut

un

festin orien-

qui leur fut offert, mais oriental à la manière dont

tal

pouvaient

Tous

l'être les festins

les fruits

que

des fées arabes.

les quatre parties

vent verser intacts et savoureux dans

du monde peu-

la

corne d'abon-

dance de l'Europe, étaient anrioncelés en pyramides dans les

vases de Chine et dans les coupes du Japon. Les oi-

seaux rares avec

la partie brillante et leur

pui&Mjus nionsirueux cieudus sur

plumage,

(ie^ laiiies

les

d argent,

tous les vies de l'Archipel, de l'Asie Mineure el du Cap,

enfermés dans des

vue

fioles

aua formes

.semblait encore ajouter à la

filèrent

comme une

bizarres et dont la

saveur de ces vins, dé-

de ces revues qu'Apicius passait,

avec hcs convives, devant ces Parisiens qui compresaieut bien

que

l'on

pût dépenser mille loui» à un diner


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

65

de dix personnes, mais à la condition que, comme Ck^opàtre, on mangerait des perles, ou que, comme Laurent de Médicis, on boirait de Monte-Cristo vit rire et

l'or

fondu.

rétonnement général,

se mit à

et

à se railler tout haut.

Messieurs,

vous admettez bien

dit-il,

un

pas, c'est qu'arrivé à apliis de nécessaire

que

admettront qu'arrivé à

ceci, n'est-ce

certain degré de fortune, le

un

superflu,

comme

ces

il

n'y

dames

certain degré d'exaltation,

n'y a plus de positif que l'idéal

il

Or, en poursuivant le

?

raisonnement, qu'est-ce que le merveilleux? Ce que nous ne comprenons pas. Qu'est-ce qu'un bien véritablement désirable?

Un bien que nous ne pouvons pas avoir. Or, voir me procurer des

des choses que je ne puis comprendre,

choses impossibles à avoir, vie. J'y arrive

telle est l'étude

avec deux moyens l'argent :

de toute

et la

ma

volomé. Je

mets à poursuivre une fantaisie, par exemple,

la

même

persévérance que vous mettez, vous, monsieur Danglars,

une

à créei

Villefort,

ligne de

chemin de

à faire condamner un

fer;

vous, monsieur de

homme

à mort

;

vous,

un royaume vous, monsieur de Château-Renaud, à plaire à une femme; et vous, Morrel, à dompter un cheval que personne ne^peul monter. Ainsi, par exemple, voyez ces deux poissons, nés, monsieur Debray, à

pacifier

l'un à cinquante lieues

zirq lieues de Naples nir sur la

même

table

:

;

de Saint-Pétersbourg n'est-ce pas

l'autre à

,

amusant de

les réu-

?

— Quels soDt donc ces deux poissons

?

demanda Daa

Jars.

— Voici M. de Château Renaud, qui a habité qui

vous

voici

M.

dira le

dira le le

nom

nom

major Cavalcanti, qui de l'autre.

la

Russie,

de l'un, répondit Monte-Cristo, est Italieu, qui

vous


LE COMTR

66

MONTE-CRISTO.

tJE

—Celui-ci, dit Château-Renaud, est, je crois, un r>ter)et.

— A merveille. — El celui-là,

dit Cavalcanti, est, si je

ne

me

trompe,

ane lamproie.

— C'est cela

môme. Maintenant, monsieur Danglars,

demandez à ces deux messieurs où

se pèchent ces

deux

poissons.

— Mais, dans

le

dit

Château-Renaud,

— Mais,

dit

Cavalcanti, je ne connais

que

saro qui fournisse des lamproies de cette

— Eh du

pèchent

les sterlets se

Volga seulement.

hien, j-ustement, l'un vient

le lac

de Fu-

taille.

du Volga

et l'autre

lac de Fusaro.

— Impossible s'écrièrent ensemble tous convives. — Eh bien voilà justement ce qui m'amuse, Monteles

!

dit

!

comme Néron

Jristo.

Je suis

voilà,

vous aussi, ce qui vous amuse en ce moment;

voilà enfin ce qui fait réalité

ne vaut pas

que

celle

cupitor impasse bilium; et

:

cette chair, qui peut-être

de

la

vous sembler exquise tout à l'heure, esprit,

était

il

pendant

impossible de se

la

en

et

du saumon, va

c'est

que, dans votre

perche

procurer, et que ce-

la voilà.

— Mais comment a-t-on

fait

pour transporter ces deux

poissons à Paris?

— Ohl

mon Uieu!

rien de plus simple

:

on a apporté

deux poissons chacun dans un grand tonneau matelassé, l'un de roseaux st d'herbes du (îeuve, l'autre de joncs et de plantes du lac; Us ont été mis dans un fources

gon et la

fait

exprès;

ils

ont vécu ainsi,

le sterlet

douze jours.

lamproie huit; et tous deux vivaient p<irfaitement

lorsque»

mon

l'un dans

du

cuisinier s'en est lait,

l'autre

pas, monsieur Dan^larsî

emparé pour

faire

dans du vin. Vous ne

le

mourir croyez


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Je doule au

P7

moins, répondit Danglars, en souriant

son sourire épais.

<le

Saptistin

I

dit

Monte-Cristo, faites apporter l'autre

vous savez, ceux qui sont venus dans d'autres tonneaux et qui vivewt encore. l'autre lamproie

sterlet et

;

Danglars ouvrit des yeux effarés; l'assemblée

battit

des mains. Quatre domestiques apportèrent deux tonneaux garnis

de plantes marines, dans chacun desquels

palpitait

un

poisson pareil à ceux qui étaient servis sur la table.

— Mais pourquoi deux

de chaque espèce? demanda

Danglars.

Parce que l'un pouvait mourir, répondit simple-

ment Monte-Cristo. Vous êtes vraiment un homme prodigieux, dit Danglars, et les philosophes ont beau dire, c'est superbe

d'être riche.

— Et surtout d'avoir des idées,

— Oh

!

ne

me faites

elle était fort

dit

madame

pas honneur de celle-ci.

en honneur chez

Romains;

les

conte qu'on envoyait d'Ostie à

Danglars.

Madame

;

et Pline ra-

Rome, avec des

relais

d'esclaves qui les portaient sur leur tète, des poissons

de l'espèce de celui en

le portrait qu'il

qu'il appelle le

fait,

est

mulus,

probablement

et qui, d'apics la

dorade. C'é-

un spectacle fort amusan' de le voir mourir, car en mourant il changeait trois ou quatre fois de couleur, et, comme un arc-en-ciel qui s'évapore, passait par toutes les nuances du prisme, tait

aussi

un luxe de

l'avoir vivant, et

après quoi on l'envoyait aux cuisines. Son agonie partie de son mérite. Si le

on ne

le

faisait

voyait pas vivant, on

méprisait mort.

— Oui,

dit

Debray; mais

lieues d'Ostie a

Rome.

il

n'y a que sept ou

huà


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«8

— Ah!

ça c'est vrai, dit Monte-Cristo

;

mais où

serait

mérite de venir dix-huit cents ans après Lucullus,

(6

ne

l'on

si

pas mieux que lui?

faisait

Les deux Cavalcanti ouvraient des yeux énormes, mais avaient

Ils

le

bon

esprit de

— Tout cela est

ne pas dire un mot.

fort aitiialile, dit

pendant ce que j'admire

rable promptitude avec laquelle

pas vrai, monsieur

il

celle

— —

maison

Ma

foi,

Eh bien

vée

ce-

vous êtes

servi. N'est-

comte, que vous n'avez acheté

le

y a cinq ou six jours? au plus, dit Monte-Cristo.

qu'il

tout !

qu'en huit jours

je suis sûr

transformation complète avait

Château-Renaud;

plus, je l'avoue, c'est l'admi-

le

car,

;

une autre entrée que

si

je

ne

celle-ci, et la

trompe,

cour

qu'aujourd'hui la cour est

et vide, tandis

a subi une

elle

me

elle

était pa-

un magni-

fique gazon bordé d'arbres qui paraissent avoir cent ans.

Que voulez-vous? j'aime

la

verdure

et l'ombre, dit

Monte-Cristo.

— En ma

effet

,

dit

madame

de Villefort, autrefois on en-

par une porte donnant sur la route,

trait

miraculeuse délivrance

rappelle,

que vous m'avez

Oui, Madame,

préforé

dit

c'est

,

fait

ma

jour de

me

entrer dans la maison.

Monte-Cristo; mais depuis

une entrée qui me permît de voir

logne à travers

le

et

par la route, je

le bois

j'ai

de Bou-

grille.

— En quatre jours, Morrel, c'est un prodige — En Château-Renaud, d'une vieille maison dit

I

effet, dit

er

faire

étaU

une neuve,

fort vieille la

c'est

chose miraculeuse; car elle

maison,

et

rappelle avoir été chargé par

quand M. de Saint-Méran

on

l'a

même fort ma mère

triste.

de

mise en vente,

il

Je

me

la visiter,

y a deux

îiois ans.

M

de Saint-Méran?

dit

madame

«le Villefort,

mal»


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. eette

69

maison appartenait donc à M. de Saint-Méran avant

que vous ne l'achetiez?

— parait que oui, répondit Monte-Cristo. — Comment, parait vous ne savez pas à qui vous 11

il

I

avez acheté cette maison?

— Ma

foi

Eon

,

mon

c'est

intendant qui s'occupe de

tous ces détails.

Il

y a au moins dix ans qu'elle n'avai Château -Renaud, et c'était une grand?

est vrai qu'il

été habitée, dit tristesse

que de

la voir

avec ses persiennes fermées, ses

portes closes et ses herbes dans la cour. elle n'eût point

du

roi,

En

vérité,

si

appartenu au beau-père d'un procureur

on eût pu

prendre pour une de ces maisons

la

maudites où quelque grand crime a été commis. Villefort, qui jusque-là n'avait point

touché aux

trois

ou quatre verres de vins extraordinaires placés devant lui, en prit un au hasard et le vida d'un seul trait. Monte-Cristo laissa s'écouler un instant puis, au milieu du silence qui avait suivi les paroles de Château-Renaud ;

:

— C'est bizarre,

pensée m'est venue cette

première

la

le

fois

baron, mais

que

même

j'y entrai

;

et

me parut si lugubre, que jamais je ne l'eusse mon intendant n'eût fait la chose pour moi.

maison

achetée

si

Probablement que

du

monsieur

dit-il,

reçu quelque pourboire

le drôle avait

tabellion.

C'est probable,

sourire; mais croyez

balbutia Villefort en essayant de

que

je

ne suis pour rien ûans cette

corruption. M. de Saint-Méran a voulu

son, qui

fait

due, parce qu'en restant encore,

Ce

elh' fût

trois

cette inai-

ven-

ou quatre ans inhabitée

tombée en ruine.

fut Morrel qui pâlit à 11

que

partie de la dot de sa petite-ûlle. fût

y avait surtout

,

son tour. continua Monle-CrisU)

,

oua


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

70

moQ Dieu bien simple en apparence, nne chambre comme toutes les chambres, tendue de damas rouge, qui m'a paru, je ne sais pourquoi, dramatique au chambre, ah

I

I

possible.

— Pourquoi

cela?

demanda Debray, pourquoi

dramar-

tique ?

— Est-ce que l'on

se rend compte des choses instinc-

tives? dit Monte-Cristo

il

;

est-ce qu'il n'y a pas des endroits

semble qu'on respire naturellement

pourquoi? on n'en

un

souvenirs, par

sait rien;

la tristesse?

par un enchaînement de

caprice de la pensée qui nous reporte

à d'autres temps, à d'autres lieux, qui n'ont peut-être

aucun rapport avec trouvons

;

tant

il

les

temps

et les lieux

y a que cette chambre

où nous nous

me

rappelait ad

chambre de la marquise de Ganges ou celle de Desdomona. Eh ma fc«i, tenez, puisque nous avons uni de diner, il faut que je vous la montre, puis mirablement

la

!

nous redescendrons prendre

le

café

au jardin

;

après

le

diner, le spectacle.

Monte

Cristo

fit

un signe pour

interroger ses convives.

Madame de Villefort se leva, Monte-Cristo en fit autant, tout le monde imita leur exemple. Villefort et madame Danglars demeurèrent un instant comme cloués à leur place ils s'interrogeaient des yeux, ;

.'roidi,

muets

et glacés.

— Avez-vous entendu? madame Danglars. — faut y répondit Villefort en se levant dit

aller,

Il

et

en

loi offrant le bras.

Tout

le

monde

par la curiosité,

était déjà t-dr

épars dacs la maison, poussé

on pensait bien que

bornerait pas à celle chambre, et qu'en

parcourrait avait

fait

un

le

reste de cette

palais.

la visite

même

ne se

temps on

masure dont Moute-Cristo

Chacun s'élança donc

pu

les portes


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. deux

ouvertes. Monte-Cristo attendit les

71

retardataires

;

quand ils furent passés à leur toui, il ferma la marche avec un sourire qui, s'ils eussent pu le comprendre, eût épouvanté les convives bien autrement que

puis,

'^ette

chambre dans laquelle on

On commença en

effet

chambres meublées à

les

des coussins pour tout tous meubles

;

allait entrer.

par parcourir les appartements,

avec des divans

l'orientale

lit,

et

des pipes et des armes pour

salons tapissés des plus beaux ta-

les

bleaux des vieux maîtres

des boudoirs en étoffes de

;

Chine, aux couleurs capricieuses,

aux

dessins fantasti-

ques, aux tissus merveilleux; puis enfin on arriva dans

fameuse chambre.

la

Elle n'avait rien de particulier, si ce n'est que, quoi-

que était

jour tombât, elle n'était point éclairée, et qu'elle

le

dans

la vétusté

quand toutes

,

chambres

les autres

avaient revêtu une parure neuve.

Ces deux causes suffisaient, en

une

— Hou en

pour

effet,

lui

donner

teinte lugubre. I

s'écria

madame

de Villefort

,

c'est effnayant,

effet.

Madame Danglars essaya de

balbutier quelques mots

qu'on n'entendit pas. Plusieurs observations se croisèrent, dont fut qu'en effet la

chambre de damas rouge

le résultat

avait

un

as-

pect sinistre.

— N'est-ce pas ce

lit

est

tenture! et ces

a

fait pâlir,

blêmes

? dit

Monte-Cristo. Voyez donc

bizarrement placé, quelle sombre

deux

portraits

au

ne semblent-ils pas

et leurs

yeux

,

comme

sanglante

que l'humidité

avec leurs lèvre»

J'ai vu madame Danglars tomba

effarés

Villefort devint livide

pastel, dire,

et

:

nue chaise lonsfue placée près de

I

la

cheminée.

sar


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Oh! bien

le

dit

madame

de Villefort en souriant, avez-vous

courage de vous asseoir sur cette chaise où peut-

être le crime a été

commis

Madame Danglars

— Et puis, — Qu'y

Monte-Cristo, ce n'est pas

dit

donc encore

a-t-il

l'émotion de

— Ahl

I

se leva vivement.

?

madame Danglars

le tont.

demanda Debray, à qui n'échappait point.

oui, qu'y a-t-il encore?

demanda Danglars,

car

jusqu'à présent j'avoue que je n'y vois pas grand'chose et

;

vous, monsieur Cavalcanti?

— Ah lin,

dit celui-ci,

I

à Ferrare la prison

de Francesca

— Oui

et

nous avons

du Tasse,

et

Pise la tour d'^^<ço-

à Rimini

mais vous n'avez pas ce

;

la

cha&ibre

de Paolo. petit escalier, dit

Monte-Cristo en ouvrant une porte perdue dans la tenture

;

regardez-le-moi, et dites ce que vous en pensez.

— Quelle Renaud en

Le

cambrure

sinistre

d'escalier!

dit

Château-

riant.

fait est, dit

de Chio qui porte à

Debray, que je ne sais la

mélancolie

,

si c'est le

vin

mais certainement je

vois cette maison tout en noir.

Quant à Morrel, depuis dot de Valenline,

il

était

qu'il

avait été question de la

demeuré

triste et

n'avait pas

prononcé un mol.

— Vous figurez-vous,

dit

Monte-Ciislo, nu Othello ou

un abbé de Ganges quelconque, descendant pas à pas, par une nuit sombre et orageuse, cet escalier avec quel-

que lugubre fardeau qu'il a hâte de dérobera hom.'nes, sinon au regard de Dieu

la

vue des

1

Madame Danglars fort,

s'évanouit à moitié au bras

(^e Ville-

qui fut lui-même obligé de s'adosser à la muraille.

Ah

!

Tous donc

mon Dieu Madame, ? comme vous 1

s'écria

Debray, qu'avez-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Ce simple

;

madame

qu'elle a? dit elle

a que M. de Monte-Cristo nous raconte des

histoires épouvantables

nous

faire

73

de Villofort, c'est bien

dans l'intention sans doute de

,

mourir de peur.

— Mais

oui, dit Villefort,

En

effet,

comte, vous épou-

vantez ces dames.

— Qu'avez-vous donc

dame

répéta tout bas Debray à

?

ma-

Danglars.

— Rien, rien,

dit celle-ci

en faisant un

effort

j'ai

;

be-

soin d'air, voilà tout.

— Voulez-vous descendre au jardin? demanda Debray, offrant son bras

en

à

madame

Danglars

et

en s'avançant

vers l'escalier dérobé.

— Non

dit-elle

,

non

,

j'aime encore

;

mieux

rester

ici.

— En vérité.

Madame,

dit

Monte-Gristo, est-ce que

cette terreur est sérieuse ?

— Non,

Monsieur,

dit

madame

Danglars ; mais vous

avez une façon de supposer les choses qui donne à

l'il-

lusion l'aspect de la réalité.

— Oh

I

mon

et tout cela est

Dieu,

une

oui., dit

Monte-Cristo en souriant,

affaire d'imagination

;

pourquoi ne pas plutôt se représenter

comme une bonne mille ? ce

an

lit

rieux

lit

t;

cette

chambre

honnête chambre de mère de

avec ses tentures couleur de pourpre,

visité par la

comme

le

fa-

comme

déesse Lucine, et cet escalier mysté-

passage par où, doucement

et

pour ne

sommeil réparateur de l'accouchée, pass« médecin ou la nourrice, ou le père lui-même empor-

pas troubler le

et

car aussi bien,

le

Hv l'enfant qui dort?... Cette fois

cette

madame

douce peinture

nouit tout à

TOME

Danglars, au lieu de se rassurer a ,

poussa un gémissement

et s'éva-

fait-

IV.

S


U

LE COMTE DE MONTE-CRÏSTO.

— Madame Danglars se trouve mal, balbutia Villefort; peui-êire faudraii-il la transporter à sa voiture.

— Oh! blié

mon Dieu!

mon

flacon

mien,

J'ai le

dit

Monte-Cristo, et moi qui aioGT

I

dit

madame

£t elle passa à Monte-Cristo

de Villefort.

un

flacon plein d'une li-

comte avait essayé

queur rouge

pareille à celle dont le

sur Edouard

la bienfaisante influence.

— Ah madame

I...

dit F.lonte-Cristo

en

le

prenant des mains de

de Villefort.

— Oui,

murmura

celle-ci,

sur vos indications

j'ai

essayé.

— Et vous avez réussi — Je le crois. On avait

transporté

?

madame

Danglars dans

la

chambre

à côté. Monte-Cristo laissa tomber sur ses lèvres une goutte de

— Oh

I

la

liqueur rouge, elle revint à elle.

dit-elle,

Villefort lui

comprendre

quel rêve affreux

qu'elle n'avait pas rêvé.

On chercha M. Danglars pressions poétiques, sait,

I

serra fortement le poignet pour lui fair^

il

;

était

mais, peu disposé aux im'

descendu au jardin,

et

cau-

avec M. Cavalcanti père, d'un projet de chemin de

irde Livourne à Florence. Monte-Cristo semblait désespéré

madame

Danglars et

la

;

il

prit le

conduisit au jardin,

MM.

frouva M. Danglars prenant le café entre

pèrb

bras de

0(1 l'on re-

Cavalcant;

ei fils,

En

vérité,

Madame,

lui dit-il, est-oe

que je vous

ai

fort effrayée?

— Non, Monsieur,

mais, vous savez, les choses nous

impressionnent selon ia4iiti;M>Mtion d'esprit où nous nous trouvons.


LE'

COMTE DE MONTE-CRISTO.

Villefo-î s'efforça

de

75

rire.

Et alors vous comprenez,

dit-^î., il

suffit

d'une sud-

^osition; d'une chimère...

— Eh bien voulez,

!

j'ai la

dit

Monte-Cristo, vous m'en croirez

si vons commis dans

conviction qu'un crime a été

maison.

cette

— Pnenez garde, procureur du

ici le

— Ma

dit

madame de

Villefort,

nous avons

roi.

répondit Monte-Cristo, puisque cela se ren-

foi,

contre ainsi, j'en profiterai pour faire

— Votre déclaration? — Oui, en face de témoins. — Tout cela est intéressant,

ma déclaration.

dit Villefort.

et

fort

dit

Debray;

et s'il

y

a réellement crime, nous allons faire admirablement la digestion.

Il

y a crime,

dit

Monte-Cristo. Venez par ici, Mes-

sieurs ', venez, monsieur de Villefort

:

pour que la dé-

aux

claration soit valable, elle doit être faite

autorités

compétente3. Monte-Crioto prit le bras de Villefort, et en même temps qu'il

serrait

sous

le sien celui

traîna le procureur

l'ombre

Tous

était le

3

dit

iéjà vieux,

madame le

Danglars, platane,

il

convives suivaient.

du

j'ai fait

travailleurs

,

pied),

ici,

ici,

à cette place même (e

pour rajeunir ces arbres

creuser et mettre du terreau

en creusant

plutôt des ferrures de coffre, le squelette

de

jusque sous

Monte-Cristo,

frappait la terre

mes

roi

plus épaisse.

les autres

— Tenez,

du

,

ont déterré

un

;

eh biec coftre

ou

au milieu desquelles étai

d'un enfant nouveau-né. Ce n'est pas de

la

fantasmagorie cela, j'espire? Monte-Cristo sentit se roidir

U

bras de

glars et frissonner le coignet de Villefort.

madame Dan-


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

76

— Un

nouveau né? répéta Debray diable

enfant

;

devient sérieux

— Eh

me

ce

,

I

ceci

semble.

me

bieni dit Château-Renaud, je ne

trompais

dune pas quand je prétendais tout à l'heure que les mai-

âme

sons avaient une

;

un visage comme

La maison

leurs entrailles.

des remords

et

était triste

hommes,

les

un

sur leur physionomie

et qu'elles portaient

retlet

de

parce qu'elle avait

des remords parce qu'elle cachait

elle avait

un crime.

— Oh tentant

qui

!

dit

que

un dernier

— Comment

I

c'est

un crime?

reprit Villeforl

effort.

enfant enterré vivant dans

un

un

jardin,

ce n'est pas un crime? s'écria Monte-Cristo.

Comment

appelez-vous donc cette action-là, monsieur

reur du roi

procu-

?

— Mais qui dit qu'il a été enterré vivant? — Pourquoi l'enterrer là, était mort? Ce jardin n'a s'il

jamais été

un

cimetière.

Que fait-on aux infanticides dans ce pays-ci? demanda naïvement le major Cavalcanti. Oh mon Dieu on leur coupe tout bonnement le I

I

cou, répondit Danglars.

— Ah — Je

I

on leur ceupe

le

cou,

fit

Cavalcanti.

le crois... N'est-ce pas, monsieur de Villefort?

demanda Monte-Cristo.

— Oui,

monsieur

le

comte, répondit celui-ci avec

un

accent qui n'avait plus rien d'humain.

Monte-Cristo vit que

c'était tout

ce que pouvaient

supporter les deux

personnes pour lesquelles

paré cette scène;

et

loin

ne voulant pas

la

il

avait pré-

pousser trop

:

— nous

Mais i

le caf^.

oublions.

Messieurs,

dit-il, il

me

senble que


LU COMTE DE MONTE-CRISTO. Et lieu

il

ramena

77

ses convives vers la tablp placée

an mi-

de la pelouse.

— En

vérité,

glars, j'ai

monsieur

comte,

le

ma

honte d'avouer

dit

faiblesse,

madame Danmais toutes ces

affreuses histoires m'ont bouleversée; laissez-moi m'as seoir, je

vous

prie.

Et elle tomba sur une chaise.

Monte-Cristo la salua et s'approcha de

madame

de

Villefort.

— Je crois que madame votre flacon,

Mais avant que de son amie,

de

Danglars a encore be soin de

dit-il.

le

madame

de Villefort se fût approchée

procureur du

madame Danglars

roi avait déjà dit

à

l'oreille

:

— faut que je vous parle. — Quand cela? — Demain. — Où? — A mon bureau... au parquet Il

encore

là l'endroit le

si

vous voulez,

J'irai.

En ce moment madame

de Villefort s'approcha.

— Merci,

dit

chère amie,

madame

Danglars en es-

sayant de souwre, ce n'est plus rien, et je «

fait

c'est

plus sur.

me

sens tout

mieux.

VII LE MENDIANT.

La soirée s'avançait

;

madame

de Villefort avait mani

testé le désir de regagner Taris, ce

que

n'avai*. point

o&6


U: COMTE DE MONTE-CRISTO.

18

madame

faire

Danglars, malgré

le

malaise évident qu'elle

éprouvait.

Sur

donc

la

demande de

sa

femme, M. de

premiei le signal du départ.

le

dans son landeau à

madame

donna

Villefort

Tl olTrit

une place

Danglars, afin qu'elle eût les

femme. Quant à M. Danglars, absorbé dans

soins de sa

une conversation M. Cavalcanti,

il

avec

industrielle des plus intéressantes

ne

faisait

aucune

attention. à tout ce qui

se passait.

Monte-Cristo, tout en demandant son flacon à

madame

de Villefort, avait remarqué que M. de Villefort

approché de tion,

l'avait Tl

Danglars

;

et,

si

bas qu'à peine

si

madame

s'était

guidé par sa situa-

avait deviné ce qu'il lui avait

il

parlé

madame

dit,

quoiqu'il eût

Danglars elle-même

entendu.

laissa,

sans s'opposer à aucun arrangement, partir

Morrel, Debray et Château-Renaud à cheval, et monter les

deux dames dans

côté, Danglars,

le

landeau de M. de Villefort

;

de son

de plus en plus enchanté de Cavalcanti

père, l'invita à monter avec lui dans son coupé.

Quant à Andréa Cavalcanti, l'attendait rait les

devant

la porte, et

agréments de

il

gagna son

tilbury, qui

dont un groom, qui exagé-

la fashion anglaise, lui tenait,

en se

hissant sur la pointe de ses bottes, l'énorme cheval gris

de

fer.

Andréa n'avait pas beaucoup parlé durant le dîner, par cela

môme que

c'était

un garçon

fort intelligent, et qu'il

avait tout naturellement éprouvé la crainte de dire quel•^ue sottise

au milieu de ces convives riches

parmi Icpquols son œil

sans (Tainte un procureur Ensuite,

il

et puissants,

dilaté n'apercevait peut-ôtre

du

pas

roi.

avait été accaparé par M. Danglars, qui,

iDVès un rapide coup d'œil sur

le

vieux mî)or au (Xn


LE COMTE DE MONT&CRISTO. roide et sur son

un peu

encore

fils

79

timide, en rapprt»-

Mont^

chant tous ces symptômes de l'hospitalité de

nabal

Cristo, avaif pensé qu'il avait affaire à quelque

venu vie

à Paris

pour perfectionner son

fils

uniqi'e dans

b

mondaine. avait

Il

donc contemplé avec une complaisance indi-

cible l'énorme diamant qui brillait jor, car le

peur

major, en

qu'il n'arrivât

homme

au

prudent

petit doigt et

quelque accident à ses

que, les avait convertis à l'instant

du ma-

expérimenté, de

même

billets

de ban-

en un objet de

valeur. Puis, après le dîner, toujours sous prétexte d'industrie et de voyages,

il

avait questionné le père et le

sur leur manière de vivre

que

c'était

l'un,

;

et le

père

et le fils,

chez Danglars que devait leur être ouvert, à

son crédit de quarante-huit mille francs, une

donnés, à

charmants

et plein d'afabilité i

banquier, aux domestiques duquel, ils

fois

son crédit annuel de cinquante mille

l'autre,

livres, avaient été

retenus,

fils

prévenus

s'ils

our le

ne se tLisenS

eussent serré la main, tant leur reconnais-

sance éprouvait

Une chose

besoin de l'expansion.

le

surtout augmenta la considération, nous

dirons presque la vénération de Danglars pour Caval canti. Celui-ci, fidèle s'était contenté,

au principe d'Horace:

comme on

l'a

nil

admirari,

vu, de faire preuve de

science, en disant de quel lac on tirait les meilleures

lamproies. PHis dire

un

il

avait

mangé

sa part de celle-là sans

seul mot. Danglars en avait conclu

de sor<.f»uosiîés étaient familières à

que ces

l'illustre

sortes

descendant

des Ca' alcanii, lequel «e nourrissait probablement, à

Lucques, de

truites qu'il faisait venir

langoustes qu'on

lui

de Suisse, et de

envoyait de Bretagne, par des pro-

cédés pareils à ceux dont

le

comte

s'était servM

pour

faire

venir des lamproies du lac Fusaro, et des sterlets du


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

SO

fleuve Volga. Aussi, avait-il accueilli avec une bienveil-

lance très-prononcée ces paroles de Cavalcanli

:

— D*^inain, Monsieur, j'aurai l'honneur de vous rendre visite

pour

affaires,

— Ft moi, Monsieur, heureux de vous Sur quoi

il

avait

répondu Danglars, je serai

recevoir.

avait proposé à Cavalcanli, si cependant

cela ne le privait pas trop de se séparer de son

fils,

de

le

reconduire à l'hôtel des Princes. Cavalcanti avait répondu que, depuis longtemps, son fils

avait l'habitude de

qu'en conséquence,

pages à

lui, et

il

mener

la vie

avait ses

de jeune

chevaux

homme

;

et ses équi-

que, n'étant pas venus ensemble,

il

ne

voyait pas de difficulté à ce qu'ils s'en allassent séparé-

ment.

Le major çlars. et le

était

donc monté dans

banquier

s'était assis

plus charmé des idées

homme,

qui,

d'ordre

la

voiture de Dan-

à ses côtés, de plus en et

d'économie de cet

cependant, donnait à son

nille francs par an, ce qui

fils

cinquante

supposait une fortune de cinq

ou six cent millb livres de rentes. Quant à Andréa, il commença, pour se donner bon air,

à gronder son groom de ce qu'au lieu de

prendre au perron

il

l'allendait à la porte

le

venir

de sortie, ce

qui lui avait donné la peine de faire trente pas pour aller

chercher son tilbury.

Le groom reçut

la

semonce avec humilité

retenir le cheval impatient et qui frappait

mors de

la

main gauche,

Andréa, qui sur

le

les prit et

;

prit,

du

pour

pied, le

tendit de la droite les roues à

posa légèrement sa botte vernie

marchepied.

En oc moment, une main s'appuya sur son épaule. Le eune homme se retourna, oeusanl que Danglars ou


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Monte-Cristo avait oublié quelque chose à revenait à la charge au

moment du

81 dire, et

lui

départ.

Mais, au lieu de l'un et de l'autre, il'n'aperçut qu'une

une

étrange, hâlée par le soleil, encadrée dans

figure

barbe de m^Jéle, des yeux brillants boucies et

bouche où

un

comme

des escar-

sourire railleur s'épanouissant sur

brillaient,

rangées à leur place

et

une

sans qu'il en

manquât une seule, trente-deux dents blanches, aiguës et

affamées comme celles d'un loup ou d'un chacal. Un mouchoir ? carreaux rouges coiffait celte tête aux

cheveux

un bourgeron des

grisâtres et terreux;

plus

crasseux et des plus déchirés couvrait ce grand corps eî osseux, dont il semblait que les os, comme ceux d'un squelette, dussent cliqueter en marchant. Enfin, la main qui s'appuya sur l'épaule d'Andréa, et qui

maigre

fut la

première chose que

vit le

jeune homme,

de

nut-il cette figure à la lueur

ou

fut-il

lui

homme

d'une dimension gigantesque. Le jeune la lanterne

parut recon-

de son tilbury,

seulement frappé de l'horrible aspect de cet

terlocuteur?

Nous ne saurions

qu'il tressaillit et se recula

le dire;

mais

in-

le fait est

vivement.

— Que me voulez-vous? — Pardon! notre bourgeois, répondit l'horojie en pordit-il.

main à son mouchoif rouge, je vjus dérange que j'ai à vous parler. On ne mendie pas le soir, dit le groom en faisant

tant la

peut-être, mais c'est

an mouvement pour débarrasser son maître de cet importun.

— Je ne mendie pas, mon

joii garçon, dit l'homme inau domestique avec un sourire ironique, et un sourire si effrayant que celui-ci s'écarta: je désire seule-

^nnu ment

dire

deux mots à votre bourgeois, qui m'a chargé il y a quinze jours à peu près.

d'une commission


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

82

— Voyons, pour

le

""^ue

son tour Andréa avec assez de foroo

dit à

domestique ne s'aperçût point de sou trou-

voulez-vous?

ble, que.

— Je voudrais...

dites vite,

mon

ami.

je voudrais... dit tout bas

lliomme

au mouciioir rouge, que vous voulussiez bien m'épargner

peine de retourner à Paris à pied. Je suis

la

comme je n'ai pas si je puis me tenir. Le jeune homme tressaillit à

fatigué, et, si

bien diné que

toi,

li'ès-

à peine

cette étrange familiarité.

— Mais enfin, voyons, que voulez-vous? — Eh bien je veux que tu me laisses monter dans lui dit-il,

!

belle voilure, et

Andréa

pâlit,

—Oh mon I

mais ne répondit point.

Dieu oui,

dit

l'homme au mouchoir rouge

en enfonçant ses mains dans ses poches,

homme avec que j'ai comme

jeune

dant

le

une

idée

.la

que tu me reconduises.

et

en regar-

des yeux provocateurs, c'est

mon

cela; entends-tu,

petit

Benedetio ?

A

ce

nom,

le

jeune

homme

s'approcha de son groom, et

—Cet homme

a à

il

la barrière

;

là,

me

il

:

a elTeclivement été chargé par

commission dont jusqu'à

rofiéchit sans doute, car

lui dit

moi d'une

rendre compte. Allez à pied

vous prendrez un

cabriolet, afin

de n'être point trop en retard.

Le valet, surpris, s'éloigna.

— Laissez-moi au moins gagner l'ombre, Andréa. — Oh quant à cela, je vais moi-même conduire en dit

le

1

j)elle

Et flans

place; attends, dit il

prit le

un endroit où

que ce

fût

l'homme au mouchoir rouge.

cheval par il

le

était

mors,

et coLduisit le tilbury

effectivement impossible à qui

au monde de voir l'honneur que

lui accord;ut

Andréa.

— Ohl

moi, lui

dit-il,

ce n'est pas pour la gloire de


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. monter dans une

belle voiture;

parce que je suis fatigué,

que j'ai à causer Il

était

fâcheux

spectacle curieux

ment sur

les

avec

d'affaires

— Voyons, montez,

dit le

ne

qu'il

que

non,

et puis,

un

c'est

83

seulement peu, parce

petit

toi.

jeune homme.

fit

pas jour

celui de ce

,

car c'eût été

gueux,

un

ass?s carré-

coussins brochés , près du jeune et élégant

conducteur du tilbury.

Andréa poussa son cheval jusqu'à la dernière maison du village sans dire un seul mot à son compagnon, qui, de son côté, souriait et gardait été ravi de se

Une

fois

le silence,

promener dans une

si

comme s'il

hors d'Auteuil, Andréa regarda autour de

pour s'assurer sans doute que nul ne pouvait ni les entendre

;

c' alors

sant les bras devant

— Ah çà! dans

ma

,

lui

ni les voir

arrêtant son cheval et se croJ

l'homme au mouchoir rouge

lui dit-il,

eût

bonne locomotive.

pourquoi venez-vous

-

:

me troubler

tranquillité ?

— Mais, toi-même, mon garçon, pourquoi te défies-tu de moi

?

— Et en quoi me suis-je défié de vous? — En quoi? tu demandes? nous nous quittons le

pont du Var, tu et

en Toscane,

me

et

dis

au

que tu vas voyager en Piémoni

pas du tout, tu viens à Paris.

— En quoi cela vous gêne-t-il — En rien; au contraire, j'espère ?

soême que cela va

m'aider.

— Ahl

ahl dit Andréa, c'est-à-dire que vous spéculez

sur moi.

— Allons! voilà gros mots qui arrivent. — C'est que vous auriez maître Caderousso, jo les

tort,

vous en préviens.

Eh, mon Dieu! ue

te tâche

oas

,

le petit

;

tu dois


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

84

pourlaût savoir ce que c'est que

malheur et

-

Toscane, obligé de

la

le

malheur; eh bien!

ça rend jaloux. Je te crois courant le faire faccino

od

le

le

Piémont

cicérone; je

du fond de mon cœur, comme je plaindrais mon Tu sais que je t'ai toujours appelé moii enfaut*

e plains

enfant.

Après? après?

— Patience donc, salpêtre! — J'en de patience; voyons, achevez. — Et je te vois tout d'un coup passer à la barrière ùe^ la

ai

Bons-Hommes avec un groom avec un tilbury, avec des Ah çà! mais tu as donc décou,

habits tout flambants neufs.

une mine, ou acheté une charge d'agent de change?

vert

— De sorte que, comme vous l'avouez, vous êtes jaloux — Non, je suis content, content, que voulu mais

comme je

mes

précautions pour

Belles précautions! dit Andréa,

vous m'aborder

mes compliments

faire

le petit

,

pas vêtu régulièrement,

ne pas

?

te

j'ai

si

te

n'étais

compromettre.

mon

devant

;

j'ai pris

domestique.

— Eh! que veux-tu, mon enfant ijet'abordequandjepuii te saisir.

Tu

un cheval

as

très-vif,

naturellement glissant

es

l'avais

manqué ce

un tilbury

comme une

très-léger

anguille;

soir, je courais risque

de ne pas

;

si

tu je

te re-

joindre.

— Vous voyez bien que je ne me cache pas. — Tu es bien heureux, j'en voudrais bien dire auet

moi

tant

;

quo

lu ne

,

je

me

me

cache

:

sans compter que j'avais peur

reconnusses pas

;

mais tu m'as reconnu,

ajouta Caderousse avec son mauvais sourire

;

allons

,

ta

es bien gentil.

— —

Voyons,

dit

Tu ne me

cien camarade

;

Andréa, que vous

faut-il î

tutoies plus, c'est mal, Ijenedeiio, (ireuds j^arde, tu vas

me

on an-

rendre exigeant.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. menace

Cette

vent de

tomber

fit

la contrainte

— C'est

du jeune homme

trot.

mal à toi-même, Caderousse,

dit-il,

comme

prendre ainsi envers un ancien camarade, 8?'j tout à l'heure

— Tu —

je suis

;

menace Est-ce

ma

— Elle

été élevé en Corse

j'ai

jeune

et têtu.

toi, est

tu es vieux et

comme

,

nous,

la

à l'amiable.

qui continue d'être

mau-

bonne pour moi au contraire?

donc bonne,

est

;

Entre gens

et tout doit se faire

,

faute si la chance

vaise pour

t'y

tu di-

tu es Marseillais, je suis...

;

mauvaise

est

de

donc ce que tu es maintenant?

le sais

Non, mais

entêté

le

:

venait de souffler dessus.

remit son cheval au

Il

la colère

85

un groom d'emprunt,

chance? ce n'est donc pas

la

un

ce n'est donc pas

tilbury

d'em-

prunt, ce ne sont donc pas des habits d'emprunt que nous

avons là? Bon, tant mieux

dit

!

Caderousse avec des yeux

brillants de convoitise.

— Oh!

tu le vois bien et tu le sais bien, puisque tu

m'abordes,

dit

Andréa s'animant de plus en plus.

un mouchoir comme

vais

ron crasseux sur les épaules

me

pieds, tu ne

— Tu vois tort

;

bien que tu

vêtu d'elbeuf

connais bon cœur ras bien

un

;

et

ma tête, un

Si j'a-

bourge-

des souliers percés aux

reconnaîtrais pas.

maintenant que je

d'être

sur

le tien

:

me

t'ai

méprises,

comme un si

tu as

le petit, et tu

retrouvé, rien ne autre

deux

je te donnais bien

,

attendu que je te

habits, tu

ma

as

m'empêche

m'en donne-

portion de soupe e^

ûe haricots, moi, quand îu avais trop faim.

— C'est vrai, Andréa. — Quel appétit tu avais Est-ce que tu as toujours bon dit

I

appétit?

— Mais oui, Andréa en ~ Comme tu as dû dîner chez ce prmce d'où ta sors dit

riant.

t


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

86

— Cen'est pas un prince, mais tout bonnement un comic.

— Un comte? un riche, hein? — Oui, mais ne pas et

t'y fie

pas

l'air

— Oh

;

c'est

un monsieur qui

n'a

commode. !

mon Dieu

I

seul. Mais, ajouta

donc tranquille

sois

de projets sur ton comte,

et

on

On

n'a pas

pour

toi tout

I

te le laissera

Caderousse en reprenant ce mauvais

sourire qui avait déjà effleuré ses lèvres,

quelque chose pour

cela, tu

faut donner

il

comprends.

— Voyons, que — Je qu'avec cent francs par mois... — Kh bien? te faut-il ?

crois

— Je vivrais... — Avec cent francs — Mais mal, tu comprends bien mais avec... — Avec? — Cent cinquante francs, je serais fort heureux. — En voilà deux cents, dit Andréa. ?

;

Et

il

mit dans la main de Caderousse dix louis d'or.

— Bon, —

Caderousse.

fit

l'résente-toi chez le concierge tous les premiers

mois

et tu

— Allons! voilà encore que tu m'humilies — Comment cela? — Tu me mets en rapport avec de

I

la valetaille

vois-tu, je ne

— Eh bien!

veux avoir soit,

du mois, du moins loucheras

affaire

qu'à

dernande-moi tant

que

,

;

non,

toi.

et tous les

je toucherai

ma

premiers

repî«, toi, tu

la tienne.

— Allons, lu es

du

en trouveras autant.

allons! je vois

un brave garçon,

bonheur arrive à des gens u}ftonne chance.

que je ne m'étais pas trompé,

et c'est

une béncdiclion quand

comme

toi.

le

Voyons, couto-moi


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

8f

— Qu'as-tu besoin de savoir cela? demanda Cavalcauti. — Boni encore de défiance! — Kon. Eh bien! retrouvé mon père. — 'Jn vrai père? — Dame tant payera... — Tu croûas tu honoreras; juste. Comineni la

j'ai

qu'il

!

c'est

et

l'appelles-tu ton père?

— Le major Cavalcanti. — Et se contents de — Jusqu'à présent paraît que je — Et qui retrouver ce père-là? — Le comte de Monte-Cristo. — Celui de chez qui tu sors — Oui. — Dis donc, tâche donc de me placer chez lui comme toi?

il

lui suffis.

il

t'a fait

?

grand parent, puisqu'il

— Soit,

tient

bureau.

je lui parlerai de toi

vas-tu faire

;

mais en attendant que

"^

— Moi? — Oui, — Tu es bien bon de t'occuper de cela, — me semble, puisque tu prends toi.

Il

éprit

Andréa, que je puis bien à

dit

Caderousse.

intérêt

mon

à moi,

tour prendio

quelques informations.

— C'est juste... maison honnête,

je vais louer

me

une chambre dans une

couvrir d'un habit décent,

raser tous les jours, et aller lire les journaux soir, j'entrerai

claque, j'aurai

— Allons,

au

me

faire

café.

Le

dans quelque spectacle avec un chef de l'air

c'est

d'un boulanger

bon

1

S'I

tu

retiré, c'est

veux mettre ce

mon rérs'c.

projet à exé-

cution et être sage, tout ira à merveille.

— Voyez-vous M. Bossuet air?... pair

de France*

!..,

et toi,

que vas-tu deve^


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

88

— Eh —M

I

le

eh

dit

!

Andréa, qui sait?

major Cavalcanti

reusement l'hérédité

Pas de politique, Caderousse que tu veux

tu as ce

en bas de

ma

maismalheu

peut-être...

l'est

est abolie.

et

Et maintenant que

I...

que nous sommes arrivés, saute

voiture et disparais.

— Non pas, cher ami — Comment, non pas? — Mais songes-y donc, I

ma

napoléons en or dans

et dix

y avait déjà,

qu'il

le petit,

presque pas de souliers,

la tête,

un mouchoir rouge sur pas de papier du tout

poche, sans compter ce

ce qui fait juste deux

cents francs

mais on m'arrêterait immanquablem.ent à Alors je serais forcé, pour

m'a donné ces

qui

toi

enquête

lion,

;

donner congé,

me

justifier,

me

et l'on

quitté

j'ai

et

simplement

le

I

informa-

Toulon sans

reconduit de brigade en brigade

jusqu'au bord de la Méditerranée. Je redeviens

ment

j

de dire que c'est

napoléons: de

dix

on apprend que

barrière

la

pure-

n° 106, et adieu

mon

rêve de res-

Non

pas,

mon

sembler à un boulanger retiré

!

fils j

je

préfère rester honorablement dans la capitale.

.\ndrca fronça

sourcil

le

;

c'était,

comme

il

vanté lui-même, une assez mauvaise tête que tatif

de M.

un coup

le

major Cavalcanti.

«le

s'arrêta

d'œil rapide autour de lui, et

achevait de décrire cendit

Il

innocemment

datis son gousset,

comme où

pu-

un instant, jeta

investigateur, sa

le cercle

s'en était le fils

elle

son regard

main des-

commença

caresser la sous-garde d'un pistolet de poche.

Mais pendant ce temps, Caderousse, qui ne perdait pas de vue son compagnon, passait ses mains derrière

son

dos,

espagnol

et ouvrait qu'il portait

Les deux amis,

tout

doucement un long couteau

sur lui à tout événement.

comme on

ie voit

étaient dignes de se


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. comprendre,

et se

comprirent;

la

89

main d'Andréa

inoffensive de sa poche, et remonta jusqu'à sa

sortit

moustache

rousse, qu'elle caressa quelque temps.

— Bon Caderousse, tu vas donc être heureux — Je tout mon possible, répondit l'aubergiste du dit-il

?

,

ferai

pont du Gard en renfonçant son couteau dans sa manche.

— Allons

voyons

,

comment vas-tu

faire

soupçons?

ler les

Il

,

rentrons donc dans Paris. Mais

pour passer

me

la barrière sans éveil-

semble qu'avec ton costume

ta

risques encore plus en voiture qu'à pied.

— Attends, L

prit le

collet

que

dit

Caderousse, tu vas voir.

chapeau d'Andréa,

groom

le

exilé

du

houppelande à grand

la

tilbury avait laissée à sa

place, et la mit sur son dos, après quoi,

il

prit la

pose

refrognée d'un domestique de bonne maison dont le maître conduit lui-même.

— Et moi, — Penh!

dit

Andréa, je vais donc rester nu-tète Caderousse,

dit

fait

il

?

tant de vent 'Vie la

bise peut bien l'avoir enlevé ton chapeau.

— Allons donc, Andréa, — Qui est-ce qui t'arrête? dit

et finissons-en.

dit

Caderousse, ce n'est pas

moi, je l'espère?

— Chut

fit

1

Cavalcanli.

On traversa la barrière sans accident. A la première rue transversale, Andréa arrêta son val, et

Caderousse sauta à

— Eh bien tique, et

— Ah je

!

dit

Andréa,

che-

terre. et le

manteau de mon domes-

mon chapeau? !

répondit Caderousse, tu ne voudrais pas que

risquasse de m'enrhumer.

— 'lais moi?

— Toi, tu es jeune, tandis que moi faire

vieux

;

au

revoir. Benedetto

I

je

commence

à

me


W

LE COMTE DE MONTE CRISTO.

Et

il

s'enfonça dans la ruelle,

— Hélas

il

disparut.

Andréa en poussant un soupir, on ne peut donc pas être complètement heureuy en ce monde I

dit

I

Ylll SCÈNE CONJUGALE.

A la place Louis XV, parés, c'est-à-dire

les trois

que Château-Renaud avait et

jeunes gens s'étaient sé-

que Morrel avait

que Debray avait suivi

pris les boulevards,

pris le pont de la Révolution,

le

quai.

Morrel et Château-Renaud, selon toute probabilité,

gagnèrent leurs foyers domestiques, à et

la

Chambre dans

tribune de la

au théâtre de

écrites

mais

;

il

la

rue Richelieu, dans

n'en fut pas de

au guichet du Louvre, Carrousel au grand

boucha par

il

trot,

fit

môme

les pièces

un à gauche

enfila la

bien

de Debray. Arrivé ,

traversa le

rue Saint-Roch, dé-

rue de la Michodière et arriva à la porte de

la

M. Dangiars, au fort,

comme on dit encore

les discours bien faits,

raoraen'l

le

landeau de M. de Ville-

après l'avoir déposé, lui et sa femme, au: faubourg

Saint-Honoré s'arrêtait pour mettre la baronne chez ,

Debray, en

premier dans

homme

la cour, jeta la

bride aux mains d'un valet

de pied, puis revint à la porlière recevoir à laquelle

giars,

il

elle.

familier dans la maison, entra le

offrit Ib

madame Dan-

bras pour regagccr ses appar-

tements.

Une la

cour

fois hi :

porte fer:uée et la baronne et Debray dans


.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. •

— Qa'avez-vous don^

,

54

Hermine ? dit Debray,

et

pour-

quoi donc vous êtes-vous trouvée mal à cette histoire

ou

à cette fable qif a racontée

pluiôt.

— Parce mon

que

j'étais

le

comte

?

horriblement disposée ce

soir,

ami, répondit la baronne.

— Mais non, Hermine, reprit Debray, vous ne me

fe-

Vous étiez au contraire dans d'exceldispositions quand vous êtes arrivée chez le comte.

rez pas croire cela. lentes

M. Danglars était bien quelque peuraaussade, c'est vrai, le cas que vous faites de sa mauvaise humeur.

mais je sais

Quelqu'un vous a

quelque chose. Racontez-moi cela;

fait

vous savez bien que pertinence vous soit

je

ne

souffrirai

jamais qu'une im

faite.

— Vous vous trompez, Lucien, je vous assure, madame

Danglars, et les choses sont

ai dites,

plus la mauvaise

comme

je

reprit

vous

humeur dont vous vous

les

êtes

aperçu, et dont je ne jugeais pas qu'il valût la peine de

vous

'^

parler.

Il était

évident que

madame

Danglars

était

sous

fluence d'une de ces irritations nerveuses dont les

l'in-

femmes

souvent ne peuvent se rendre compte à elles-mêmes, ou que, comme l'avait deviné Debray, elle avait éprouvé

quelque commotion cachée qu'elle ne voulait avouer à personne. En homme habitué à reconnaître les vapeurs

comme un

des éléments de. la vie féminine,

donc point dp,vantage soit

,

attendant le

d'une iElerrogalion nouvelle

,

il

n'insista

moment opportun,

soit

d'un avea proprio

motu.

A

la porte

de sa chambre, la baronne rencontra made-

moiselle Cornélie.

Mademoiselle Cornélie. était la camériste de confiance

ée

la

baronne.

' Que

fait

ma

fille ?

demanda madame Dauslars.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

92

Elle a étudi'i toute la soirée, répondit mademoiselle

CornélJe, a' ensuite elle s'est couchée.

— me semble cependant que j'entends son piano? — C'est mademoiselle Louise d'Armilly qui de Il

la

fait

musique pendant que mademoiselle est au lit. Bien, dit madame Danglars venez me désnabiller.

;

On sur

chambre à coucher. Debray

entra dans la

un grand canapé

son cabinet de

,

toilette

— Mon cher

et

madame

avec mademoisellb Cornélie.

monsieur Lucien,

à travers la portière

s'étendit

Danglars passa dans

du

jours qu'Eugénie ne vous

dit

madame

Danglars

vous vous plaignez tou-

cabinet,

pas l'honneur de vous

fait

adresser la parole?

— Madame,

dit

Lucien jouant avec

le petit

chien de la

baronne, qui, reconnaissant sa qualité d'ami de la maison, avait l'habitude de lui faire mille caresses, je ne suis pas le seul à

vous

de pareilles récriminations,

faire

entendu Morcerf se plaindre

et je crois avoir

à vous-même de ne pouvoir

tirer

l'autre jour

une seule parole de sa

fiancée.

— C'est vrai,

dit

madame

Danglars mais je crois qu'un ;

de ces matins tout cela changera, et que vous verrez en trer

Eugénie dans votre cabinet.

— Dans mon cabinet, à moi? — C'est-à-dire dans celui du ministre. — Et pourquoi cela? — Pour vous demander un engagement à l'Opéra! vérité, je n'ai

sique

:

c'est ridicule

Denray

jamais vu un

tel

engouement pour

la

pour une personne du monde

En mu-

I

sourit.

Eh bien dit-il, qu'elle vienne avec le consentemenl du baron cl le vôtre, nous lui ferons cet engagement, el nous lâcherons qu'il soi\ selon son mérite, quoique !


LE COMTE DE MONTE-C^.JSTO.

93

nous soyons bien pauvres pour payer un aussi beau lent

que

ta-

le sien.

— Allez, Cornélie,

madame

dit

Danglars, je n'ai plus

besoin de vous.

un

Cornélie disparut, et,

instant après,

glars sortit de son cabinet dans

madame Dan-

un charmant

négligé, et

vint s'asseoir près de Lucien.

Puis, rêveuse, elle se mit à caresser le petit épagneul.

Lucien

la

regarda un instant en silence.

— Voyons, Hermine, pondez franchement ce pas

dit-il

au bout d'un

instant, ré-

quelque chose vous blssse, n'est-

:

•?

— Rien,

reprit la baronne.

Et cependant

,

saya de respirer

— Je suis à Debray se

comme

elle étouffait, elle

et alla se

peur ce

faire

levait

se leva, es-

regarder dans une glace. soir, dit-elle.

en souriant pour

aller rassurer la

ronne sur ce dernier point, quand tout à coup

ba-

la porte

s'ouvrit.

M. Danglars parut

Au

môme

pas

la

rassit.

madame

,

Danglars se retourna,

avec un étonnement qu'elle ne se

et regarda son mari

donna

Debray se

;

bruit de la porte

peine de dissimuler.

— Bonsoir, Madame,

dit le

banquier

;

bonsoir,

mon-

sieur Debray.

La baronne crut sans doute que signifiait

quelque chose,

mots amers qui

étaient

cette visite

comme un

imprévu

désir de réparer les

échappés au baron dans

la

journée. Elle s'arma d'un air digne, et se retournant vers Lucien, sans répondre à son mari

— Lisez-moi donc loi dit-elle.

:

quel«iue chose, monsieur Debray»


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

94

dV

Debnry, que celle visite avait légèrement inquiété

au calme de la baronne, et allongea la main vers un livre marqué au milieu par un couteau à bord, se reœit

lame de nacre incrustée

— Pardon,

en veillant

fatiguer, baronne, et

d'or.

banquier, mais vous allez bien vous

dit le

M. Debray demeure bien

Debray demeura

saisi

lard;

si

onze heures,

de stupeur, non point que

fût parfaitement

de Danglars ne

est

il

loin.

calme

et poli

au travers de ce calme et de cette politesse, il perune certaine velléité inaccoutumée de faire autre

tin,

çait

chose ce soir-là que

La baronne aussi

de sa femme.

la volonté

fut surprise et

témoigna son étonne-

ment par un regard qui sans doute eût donné à à son mari, si son mari n'avait pas eu les yeux

un

le ton

mais en-

;

journal,

il

réfléchir fixés sur

cherchait la fermeture de la rente.

en résulta que ce regard si fier fui lancé en pure perte, et manqua complètement son effet. 11

— Monsieur que

Lucien,

je n'ai pas la

dit la

baronne

je

,

vous déclare

moindre envie de dormir, que

choses à vous conter ce

soir, et

que vous

mille

j'ai

allez passer la

nuit à m'écouter, dussiez-vous dormir debout.

—A

vos ordres

,

Madame

,

répondit flegmatiquement

Lucien.

— Mon cher monsieur Debray,

dit

à son tour

ban-

le

ne vous tuez pas, je vous prie, à écouter cette nuit folies '!o madame Danglars, car vous les écouterez

quier, /es

Jussi bien «iemain

serve, et je

le

;

mais ce

consacrerai,

soir est si

à moi, je

mettre, à caisor de graves intérêts avec

Cette loii, le

d'aplomb, qu

il

coup

était

ma

le ré-

le

per-

femn>e

tellement direct et tombait

étourdit Lucien et la baronne

«"interrogèrent des

me

vous voulez bien

veux rnmme pour

;

si

tous deux

puis**' J'^^i dan*


LE COMTE DE MOl'^TE-GIUSTO.

95

l'antre

nn

sistible

pouvoir du maître de la maison triomniia- et force

resta

secours contre ceiie agression

mais

;

l'irré-

au mari. N'allez pas croire

au moins que

je voTis chasse,

mon cher Debray, continua Danglars; non, du monde une circonstance imprévue me :

rer d'avoir ce

ronne

soir

même une

pas

le

moins

force à dési-

conversation avec la ba-

cela m'arrive assez rarement pour qu'on ne

:

me

garde pas rancune.

Debray balbutia quelques mots, salua heurtant aux angles,

— C'est

incroyable,

si

quand

dit-il,

et sortit

en se

dans Athalie. la porte fut

fermée

combien ces maris, que nous trouvons ce-

derrière lui,

pendant

comme Nathan

ridicules, prennent facilement l'avantage sur

nous! Lucien

parti,

napé, ferma

Danglars s'installa à sa place sur

le livre resté ouvert, et,

horriblement prétentieuse chien. Mais

comme

,

continua de jouer avec

le chien, qui n'avait pas

même

sympathie que pour Debray,

le prit

par

la

la

peau du cou

le ca-

prenant une pose

le

et l'envoya,

pour

le

lui la

voulait mordre,

il

de l'autre côté de

chambre, sur une chaise longue. L'animal jeta un cri en traversant l'espace ; mais, arrivé

à sa destination,

il

se tapit derrière

péfait de ce traitement auquel il

se tint

-

muet

et

il

un

coussin,

n'était point

et,

stu-

accoutumé,

sans mouvement.

Savez-vous, Monsieur,

dit la

baronne sans sourcil-

que vous faites des progrès? Ordinairement voue n'étiez que grossier ce soir vous êtes brutal. C'est que je suis ce soir de plus mauvaise humeur ler,

;

qu'ordinairement, répondit Danglars.

Hermine regarda

le

banquier avec un suprême dédain.

Ordinairement ces manières de coup d'œil exaspéraient


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

96

l'orgoiilleux Danglars; mais ce soir-là

parut à peine y

il

faire attention.

— Et que me

fait

à moi votre mauvaise humeur

? ré-

pondit la baronne, irritée de l'impassibilité de son mari, est-ce

me

que ces choses-là

regardent? Enfermez vos

mauvaises humeurs chez vous, ou consignez-les dans vos bureaux

;

et

puisque vous avez des commis que vous

payez, passez sur eux vos mauvaises humeurs!

— Non pas, répondit Danglars

;

vous vous fourvoyez

dans vos conseils, Madame, aussi je ne

Mes bureaux sont mon M. Desmouliers, et

en troubler

qui

me

le

gagnent

et je

Pactole,

commis

fortune, et

niment au-dessous de celui

je crois,

pas en eolère contre eux

;

;

ne

je

me

mettrai donc

soyez tranquille, faire

ruinent votre

Monsieur, je

si

je parle par

énigme, je ne

chercher longtemps

Danglars. Les gens qui ruinent

ma

qui en tirent cinq cent mille francs en

la fois

le

mot, re-

caisse sont

ceux

une heure de temps.

— Je ne vous comprends pas. Monsieur, en essuyant de dissimuler à

dit la

baronne

l'émotion de sa voix

rougeur de son visage.

— Vous comprenez, glars; iwais dirai

dî-

prie.

— Ohl

et la

mes

chevaux et qui ruinent ma caisse.

Et quels sont donc ces gens qui

compte pas vous en orii

infi-

ceux contre lesquels je me met-

caisse? Expliquez-vous plus clairement,

TOUS

cours

que je paye un taux

en colère, c'est contre les gens qui mangent

ners, qui éreintentmes

le

sont gens honnêtes,

qu'ils méritent, si je les es-

time selon ce qu'ils rapportent

trai

dit,

ne veux pas en tourmenter

calme. Mes

ma

les suivrai pas.

comme

que

si

au contraire,

fort bien, dit

Dan-

votre mauvaise volonté continue, je vous

je viens de perdre sept cent mille francs sur

l'emprunt espagnol.


^— c'est

LE COMTE DE MOxME-CRISTO. 97 Aûl par exemple, dit la baronne en ricanant; et moi que vous rendez responsable de cette perte?

— Pourquoi pas? — C'est ma faute,

si

vous avez perdu sept ceci mille

francs ?

— En tout cas, ce n'est pas mienne. — Une pour toutes, Monsieur, reprit la

fois

baronne, je vous

la

ai dit

de ne jamais

me

aigrement

s^arlor caisse

une langue que je n'ai apprise ni chez mes parents dans la maison de mon premier mari.

c'est

ni

— Je sou

le

le crois

parbleu bien,

uns

ni les

dit

Danglars,

ils

n'avaient

ni les autres.

Raison de plus pour que je n'aie pas appris chez eux rargot de la banque, qui me déchire ici les oreilles du matin au soir; ce bruit d'écus qu'on compte et qu'on recompte m'est odieux, et je ne sais que le

voix qui

En

me

soit

vérité, dit Danglars,

comme

moi qui avais cru que vous preniez mes opérations!

Moi

I

son de votre

encore plus désagréable.

le

c'est étrange

I

et

plus vif intérêt à

qui a pu vous faire croire une pareille sot-

et

tise?

— Vous-même. — Ahl par exemple — Sans doute, — Je voudrais b^en que I

vous

me

fissiez connaître

en

quelle occasion.

Ohl mon Dieu!

vrier dernier, à"

Haïti: vou;

port

du

c'est

chose

facile.

vous m'avez parlé <

Au

mois de

fé-

première des fonds viez rêvé qu'un bâtiment entrait dans le

liii,re, et

que ce bâtiment

la

apportait la nciivelle

qu'un payement que l'on croyait remis aux taleudes grecques allait s'effectuer. Je connais la lucidité de votre TOME

I?.

g


le comte de MONTE-CRISTO.

IK;

sommeil-

donc

j'ai

acheter en dessous main tous lei trouver de la dette dllaui, et j'ai

fait

coupons 'que j'ai pu dont cent mille vous om gagné quatre cent mille francs, avez fait ce que voui en Vous remis. religieusement été

avez voulu, cela ne

me

regarde pas.

d'une concession de chemm àf garantiei se présentaient, offrant des fer. Trois sociétés et, quoique instinct, votre que égales. Vous m'avez dit

En

mars,

il

s'agissait

aux spéculations, vous vous prétendiez étrangère au

je crois

très-développé sur certaines contraire votre instinct faim'avez dit que votre instinct vous

matières, vous sait croire

que

le privilège serait

donné à

la société dite

même

, ^ pour les deux

du Midi. Je

,

me suis

fait

inscrire à l'instant

Le privilège lui a été, des actions de cette société. prévu, les actions l'aviez vous comme en effet, accordé ; million, sur lej'ai encaissé un ont triplé de valeur, et ont été remis vous mille francs quel deux cent cinquante ces deux employé Comment avez-vous

tiers

à titre d'épingles. cent cinquante mille francs?

s é-

_ Mais où donc voulez-vous en venir, Monsieur?

cria la

de dépit eî d'impabaronne, toute frissonnante

tience.

— Patience, Madame, _ C'est heureux

j'y arrive.

I

vous avez été dîner chez le ministre ; on une conver'^alion causa de l'Espagne, et vous entendîtes don Carlos j'ade l'expulsion A s'agissait de

En

secrète

avril,

;

;

K

j^ L'expulsion eut lieu, chetai dès fonds espagnols. repassa V Charles jour où le francs mille gagnai six cent cent mille francs vous avez tou!a P.ldassoa. Sur ces six

dié cinquante mille écus

;

ils

à vous, vous en avez ne vous en demande pas

étaient

ie disposé à votre fantaisie, et


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. compte ; mais

n'en est pas moins vrai que vous avez

il

reçu cinq cent milles livres cette année.

— Eh bien, après? Monsieur. — Ahi oui, après Eh bien,

c'est justement après cela

I

que

chose se gâte.

la

— Vous avez des façons de en vérité... — Elles rendent mon idée, c'est tout ce me dire...

qu'il

faut...

y a trois jours donc, vous avez causé politique avec M.Debray, et Après,

c'était

il

ya

trois jours cet après-là. Il

vous croyez voir dans ces paroles que don Carlos est rentré en Espagne alors je vends ma rente, la nouvelle se ré;

y a panique, je ne vends plus, je donne; demain, il se trouve que la nouvelle était fausse, pand,

il

? !

puisque je vous donne un quart quand je

gagne, c'est donc

perds

;

le

len-

qu'à

perdu sept cent mille francs.

cette fausse nouvelle j'ai

— Eh bien — Eh bien

le et

un quart que vous me devez quand je

quart de sept cent mil/e francs

,

c'est ceni

soixante-quinze mille francs.

Mais ce que vous me dites là est extravagant, et je ne vois pas, en vérité, comment vous mêlez le nom de

M. Debray à toute

— Parce que

si

cette histoire.

vous n'avez point par hasard

les cent

soixante-quinze mille francs que je réclame, vous les

emprunterez à vos amis,

et

que M. Debray

est

de vos

amis.

— Fi donc s'écria — Oh pas de gestes !

1

la ,

baronne. pas de cris, pas de drame mo-

Madame, sinon vous me

forceriez à vous dire que Debray ricanant près des cinq cent mille livres que vous lui avez comptées cette année, et se disant qu'il a enfin trouvé ce que les plus habile? joueurs

derne.

je vois d'ici M.

n'ont

pu jamais

découvrir, c'est-à-dire ujie roulette où


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

100

l'on gagne sans mettre au jeu, quand on perd. La baronne voulut éc'ater.

— Misérable

saviez pas ce que vous osez —

ne perd pas

l'on

oseriez-vous dire que vous ne

dit-elle,

!

et

me

reprocher aujourd'hui?

Je n_ vous dis pas que je savais, je ne vous dis pas

-

que je ne

savais point, je vous dis

:

et

que

ma conma femme

observez

duite depuis quatre ans que vous n'êtes plus

ne suis plus votre mari, vous verrez

je

toujours

conséquente

été

avec elle-même.

si elle

a

Quelque

temps avant notre rupture, vous avez désiré étudier

la

musique avec ce fameux baryton qui a débuté avec tant de succès au Théâtre-Italien moi j'ai voulu étudier la :

danse avec cette danseuse qui

s'était fait

une

si

grande

réputation à Londres. Cela m'a coûté, tant pour vous que

pour moi, cent mille francs à peu près. Je

n'ai rien dit,

parce qu'il faut de l'harmonie dans les ménages. Cent

que l'homme

mille francs pour

à fond

Bientôt, voilà

et la

femme sachent

bien

musique ce n'est pas trop cher. que vous vous dégoûtez du chant, et que

danse et

la

la

,

vous vient d'étudier la diplomatie avec un secrédu ministre; je vous laisse étudier. Vous comprenez que m'importe à moi, puisque vous payez les leçons

l'idée taire :

que vous prenez sur votre cassette? Mais, aujourd'hui, je m'aperçois que vous tirez sur la mienne, et que votre apprentissage

me

mois. Halte-là

(Ju le diplomate tolérerai,

ou

il

1

car cela ne peut durer ainsi.

donnera des leçons... gratuites,

ne remettra plus

enteodez-vous.

— Oh

peut coûter sept cent mille francs par

Madame,

I

le

pied dans

et je le

ma maison;

Madame?

c'est trop fort.

Monsieur! s'écria Hermine suf-

foquée, et vous dépassez les limites de l'ignoble.

— Mais

,

dit

Danglars

ie

vois avec plaisir

que vous


LE COMTE DE MONTE-CRISTO n'êtes pas restée en deçà, et

ment obéi à son mari.

cet

axiome du code

:

femme doit

« la

suivre

»

— Des injures! — Vous avez

rai

>on

li"ûidement. Je ne

me

affaires

iOl

que vous avez' volontaire-

:

arrêtons nos faits, et raisonnons suis jamais,

que pour votre bien

;

moi, mêlé de vos

de

faites

môme. Ma

caisse

ne vous regarde pas, 'Jites-vous? Soit; opérez sur la vôtre, mais n'emplissez ni ne videz la mienne. D'ailleurs, qui

sait si tout cela n'est

tique

;

pas un coup de Jarnac poli-

ministre, furieux de

si le

me

voir de l'opposition,

des sympathies populaires que je soulève

et jaloux

s'entend pas avec M. Debray pour

me

— Comme c'est probable — Mais sans doute qui a jamais vu

,

ne

ruiner?

!

;

cela...

une fausse

nouvelle télégraphique, c'est-à-dire l'impossible, au à

peu près des signes tout à fait dilTérents donnés par les deux derniers télégraphes!... C'est fait exprès pour moi ;

en vérité.

— Monsieur,

dit

plus humblement la baronne, vous

me semble, que cet employé a été qu'on^ parlé même de lui faire son procès, que

n'ignorez pas, ce

chassé,

l'ordre avait été

été

donné de

mis à exécution

s'il

l'arrêter, et

ne se

que cet ordre eût

fût soustrait

recherches par une fuite qui prouve sa pabilité... C'est

— Oui, qui

une

aux premières

folie

ou sa

cul-

erreur.

fait rire les niais,

vaise nuit au ministre, qui

fait

qui

secrétaires d'État, mais qui à

passer une maudu papier à MM. les

fait

noircir

moi me coûte sept cent

mille francs.

— Mais

,

Monsieur,

dit tout

à coup Hermine, puisque

tout cela, selon vous, vient de M. Debray, pourquoi,

Mda de

au

dire tout cela directement à M. Debray, venei-


„ ,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

im vous et

me

à moi? Pourquoi accusez-vous l'homm»

le dire

vous en prenez-vous à la femme ? Ebvce que je connais Jl. Debray, moi ?

est-ce qu'il

veux

je

le

que

je joue ?

non pas moi

— Mais

Non,

je

veux

vous qui

c'est

Dauglars ;

veux savoir les

suivre?

faites tout cela

i

me

il

dit

connaître ? est-ce que je

donne des conseils? est-ce que

est-ce et

que

semble que puisque vous en

Danglais haussa

profilez.

les épaules.

— Folles créatures, en vérité, que ces femmes qui se croient des génies parce qu'elles ont conduit 'lîtrigues

une ou dix

de façon à n'être pas affichées dans tout Paris

I

Mais songez donc qu'eussiez-vous caché vos dérèglements

même,

à votre mari la

TA B G

ce qui est

de

l'art,

parce (lue

plupart du temps les maris ne veulent pas voir

ne seriez qu'une pâle copie de ce que font

amies les femmes du monde. Mais

pour moi

;

j'ai

vu

et toujours

il

la

,

vous

moitié de vos

n'en est pas ainsi

vu depuis ;

peu

seize ans à

vous m'avez caché une pensée peut-être, mais pas une démarche, pas une action, pas une faute. Tandis que vous, de votre côté, vous vous applaudissiez de votre près,

me tromper qu'en est-il ma prétendue ignorance, de-

adresse et croyiez fermement résulté ? c'est que, grâce à

:

puis M. de Villefort jusqu'à M. Debray,

de vos amis qui

n'ait

un qui ne m'ait

traité

tremblé devant moi.

en

prétention près de vous

maît-'c de la

;

il

vous permets de

vous empêcherai de Jusqu'au

noQcé,

la

me

me rendre

défends positivement

et,

moment où

le

baroDDO avait

11

n'est pas

maison, ica seule

moi-même

nom

ait

au-

rendre odieux, mais je

ridicule, et surtout je

par-dessus tout, de

fait

un

n'en est pas

n'en est pas un, enfin, qui

osé vous dire de moi ce que je vous en dis jourd'hui. Je

il

me

vous

ruraer

de Villefort avait été pro

assez bonne contenance


, ,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

lOCi

mais à ce nom elle avait pâli, et se levant comme mue par un ressort, elle avait étendu les bras comme pour conjurer une apparition, et

comme pour naissait pas

comme il

lui

arracher

fait trois

pas vers son mari

du secret

la lin

qu'il

ne con-

ou que peut-être, par quelque calcul odieux

étaient à

peu près tous

les calculs

de Danglars,

ne voulait pas laisser échapper entièrement.

— M. de Villefort que que voulez-vous — Cela veut dire, Madame, que M. de Nargonne, votre I

signifie ?

dire'?

n,,iri, n'étant ni un philosophe ni un banquier, ou peut-être étant l'un et l'autre, et voyant qu'il n'y avait aucun parti à tirer d'un procureur du roi, est mort de chagrin ou de colère de vous avoir trouvée enceinte de six mois après une absence de neuf. Je suis brutal non-seulement je le sais mais je m'en vante c'est un de mes moyens de succès dans mes opérations commer-

premier

:

,

Pourquoi, au lieu de tuer,

ciales.

s'est-il fait

tuer lui-

même ?

parce qu'il n'avait pas de caisse à sauver. Mais,

moi

me dois à ma caisse. M. Debray , mon associé perdre sept cent mille francs, qu'il supporte sa

me

je

,

fait

part de la perte, et

me

qu'il

nous continuerons nos

affaires

;

sinon,

fasse banqueroute de ces cent soixante-quinze

mille livres, et qu'il fasse ce que font les banqueroutiers, qu'il disparaisse.

Eh,

mon Dieu

c'est

1

un charmant

gar-

çon, je le sais, quand ses nouvelles sont exactes ; mais quand elles ne le sont pas , il y en a cinquante dans le

monde qui valent mieux que lui. Madame Danglars était atterrée effort

Elle

du

suprême pour répondre à

tomba sur un

dîner

,

;

cependant

elle

fit

un

celte dernière attaque.

fauteuil, pensant à Villefort, à la scène

à cette étrange série de malheurs qui depuis

quelques jours s'abattaient un à un sur sa maison ei changeaient en scandaleux débats le calme ouaté de son


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

104

ménage. Danglars ne fil

tout

c.»

regarda

la

môme

qu'elle pût pour s'évanouir.

pas, quoiqa'elle

Il lira la

porte de

chambre à coucher sans ajouter un seul mot et rentra chez lui de soro que madame Danglars, en revenant de la

;

Bon demi-évanov:issemenf

un mauvais

,

put croire qu'elle avait

fait

rêve.

IX DE

J>ROJETS

MARIA-^vlî

Le lenflfcmain de celte scène, s coutume de choisir pour veîil

avait

bureau, une petite visite à

ne parut pas dans

mada as

afcmfe aire,

que Debrav

en allant à sou

Danglars, son coupé

la cour.

A cette heure-là c'est-à-dire vers midi et demi madame Danglars demanda sa voiture et sortit. Danglars, placé derrière un rideau, avait guetté cette ,

,

sortie qu'il attendait.

aussitôt

que madame

elle n'était

A deux

Il

donna

l'ordre

reparaîtrait

;

qu'on

le

prévînt

mais à deux heures

pas rentrée.

il demanda ses chevaux, se rendit à la Chambre et se fit inscrire pour parler contre le budget. De midi à deux heures, Danglars était resté à son

heures

:-abinet, décachetant ses

dépêches, s'assombrissant de

plus en plus, entassant chilîres sur chiffres et recevant *;ntre

autres visites celle du major Cavalcanti, qui, tou-

jours aussi bleu, aussi roide et aussi exact, se présenta

l'heure annoncée

avec

le

la

veille

pour terminer sou

affaire

banquier.

Pn sortant de

la

Chamlirc, Danglars. qui avait dooû'i


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

lOR

de violentes marques d'agitation pendant la séance

et qui

surtout avait été plus acerbe que jamais contre le minis

remonta dans sa voiture

tère, le

et

ordonna au cocher de

conduire avenue des Champs-Elysées, n" 30. Monte-Cristo

quelqu'un, et

chez

était

priait

il

lui

seulement

;

il

était

avec

Danglars d'attendre un instant an

salon.

Pendant que et

il

d'attendre

dans

comme

maison,

la

appartements

Un

banquier attendait,

le

un homme

vit entrer

habillé

la porte s'ouvrît,

en abbé

lui, plus familier

que

,

qui

lui

,

au

lieu

sans doute

salua, entra dans l'intérieur des

le

et disparut.

instant après

la porte

,

par laquelle

le prêtre était

entré se rouvrit, et Monte-Cristo parut.

— Pardon, aiHis, l'abbé

cher baron, mais un de

dit-il,

mes bons

Busoni, que vous avez pu voir passer, vient

d'arriver à Paris

;

y avait

il

fort

longtemps que nous

étions séparés, et je n'ai pas eu le courage de le quitter

tout aussitôt. J'espère

qu'en faveur du motif, vous

m'excuserez de vous avoir

— c'est

Comment moi qui

ai

donc,

dit

mal

pris

fait

attendre.

Danglars, c'est tout simple;

mon moment,

et je vais

me

retirer.

Point

du

Mais, bon Dieu

tout !

asseyez-vous donc, au contraire.

;

qu'avez-vous donc? vous avez

soucieux; en vérité vous m'effrayez. grin est

comme

les

comètes,

il

Un

l'air

tout

capitaliste cha-

présage toujours quelque

grand malheur au monde.

J'ai,

mon cher

dit Danglars, que la maumoi depuis plusieurs jours, et que

Monsieur,

vaise chance est sur je n'apprends

— Ah!

que des

mon Dieu

!

sinistres. dit

Monte-Cristo, est-ce que vous

avez eu une rechute à la Bourse?


LE COMTE DE MONTE-CUISTO.

iOf-

—Non, j'en il

suis guéri, pour quelques jours

du moins;

bonnement pour moi d'une banqueroutes

s'agit tout

Iriesle.

— Vraiment? Est-ce que voire banqueroutier ferait par hasard Jar opo jManfredi

— Justement

?

homme

Figurez-vous un

1

qui

faisait,

de-

puis je ne sais combien de temps, pour huit ou neuf cent mille francs par an d'affaires avec moi. Jamais

un mé-

compte, jamais un retard

comme

;

un

gaillard qui payait

on prince... qui paye. Je me mets en avance d'un million

mon

ivec

lui, et

fredi

qui suspend ses payements

ne

voilà-t-il

— En vérité — C'est une

pas

diable de Jacopo

Man-

I

?

fatalité

mille livres, qui

me

inouïe. Je tire sur lui six cent

reviennent impayées, et de plus je

suis encore porteur de quatre cent mille francs de lettres

de change signées par

payables

lui et

toucher

mon

ah

;

affaire

!

bien oui,

le

courant chez

fin

son correspondant de Paris. Nous sommes

le 30, j'envoie

correspondant a disparu. Avec

d'Espagne, cela

me

fait

une

gentille fin de

mois.

Mais est-ce vraiment une

votre

perte,

affaire

d'Espagne?

— Certainement, caisse, rien

que

— Comment

sept cent mille francs hors de

ma

cela.

diable avez-vous

fait

une

pareille écoïC,

vous un vieux loup-cervier?

— Eh

!

c'est la faute

de

ma femme. Elle a rêvé que don aux

rêves. C'est

elle ri^ve

une chose,

Carlos était rentré en Espagne ; elle croit

du magnétisme,

dit-elle, et

quand

celte chose, à ce qu'elle assure, doit infailliblemeut arri-

ver. Sur sa conviction, je lui permets de jouer: elle cassette et son agent de chance

:

«Ue joue

i:

sa

et elle perd.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

H

que ce

est vrai

n'est pas

mon

argent, mais le sien

Cependant, n'importe, vous comprendrez

qu'elle joue.

que lorsque sept cent mille francs de la femme,

le

— Si

fait, ;

sortent de la poche

mari s'en aperçoit toujours bien un peu.

Commertl vous ne un bruit énorme. détails

10?

saviez pas cela? Mais la chose a

j'en avais

fait

entendu parler, mais j'ignorais les

puis je suis on ne peut plus ignorant de toutes

ces affaires de Bourse.

— Vous ne jouez donc pas — Moi! comment voulez-vous que je joue? Moi qui ?

et

mes revenus,

je serais

intendant, de prendre encore

un com-

déjà tant de peine à régler

ai

mon

forcé, outre

un garçon de

mis

et

me

semble que

l'histoire ils

pas

de

dit

la

la

caisse. Mais, à propos d'Espagne,

baronne n'avait pas tout à

rentrée de don Carlos. Les journaux n'ont-

quelque chose de cela?

— Vous croyez donc aux journaux, vous — Moi, pas moins du monde mais le

que

il

rêvé

fait

f

me

il

;

semble

cet honnête Messager faisait exception à la règle

qu'il n'annonçait

que

et

,

les

nou-

reprit

Dan-

les nouvelles certaines

,

velles télégraphiques.

— Eh bien glars

;

c'est

!

voilà ce qui est inexplicable

que

cette rentrée de

vement une nouvelle télégraphique. En sorte, dit Monte-Cristo, que

mille francs à

,

don Carlos

était effecti-

c'est dix-sept ceiÉ

peu près que vous perdez ce mois-ci ?

— n'y a pas d'à peu près, — Diable pour une fortune

c'est juste

Il

I

1

dit

chiffre. dit

un rude coup. Danglars un peu humilié;

Monte-Cristo avec compassion

— De troisième ordre

mon

de troisième ordre,

,

c'est

que diable entendez-vous par là?

— Sans doute, continua Monte-Cristo, je

fais trois

câ~


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

408

tégories dans les fortunes

fortune de

fortune de premier ordre,

:

deuxième ordre

,

fortune de troisième ordre.

J'appelle fortune de premier ordre celle qui se e

que

trésors

les

la

revenus sur des États

main,

comme

pourvu que ces

l'Angleterre,

et

sous

l'on a

revenus, forment un j'appelle fortune de

total

compose

les terres, les la

mines,

France, rAutriche

trésors, ces mines, ces

d'une centaine de millions;

second ordre les exploitations ma-

Dufacturières, les entreprises par association, les vice-

royautés et les principautés ne dépassant pas quinze cent mille francs de revenu,

tout formant

le

d'une cinquantaine de millions

;

un

capital

j'appelle enfin fortune

de troisième ordre les capitaux fructifiant par intérêts

composés,

les

gains dépendant de la volonté d'autrui ou

des chances du hasard

,

qu'une banqueroute entame,

qu'une nouvelle télégraphique ébranle

;

les spéculations

éventuelles, les opérations soumises enfin

de cette

en

la

comparant à

turelle

:

la force

majeure, qui est la force na-

formant un capital

le tout

fictif

quinzaine de millions. N'est-ce point

^u

aux chances

qu'on pourrait appeler force mineure,

fatalité

1î\

ou

réel d'une

votre position à

prêt, dites?

— Mais dame, oui répondit Danglars. — en résulte qu'avec six de mois comme celleI

fins

Il

,

continua imperturbablement Monte-Cristo

,

une mai-

ion de troisième ordre serait à l'agonie.

— Oh TOUS y

!

Danglars avec un sourire

dit

allez

fort pâle,

comme

I

— Mettons sept mois,

ton. Dites -moi,

répliqua Monte-Cristo

du même

avez-vous pensé à cela quelquefois, que

sept fois dix-sept cent mille francs font douze millions ou

4 peu près?...

Non? Eh bien! vous avez

raison, car

4vec des réflexions pareilles on n'engagerait jamais sôb


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

109

rapitaux, qui sont au financier ce que la peau est à

J'homme

civilisé.

somptueux, il

n'a

Nous avons nos

que sa peau, de

ou moins

habits plus

;

mais quand l'homme meurt

même

qu'en sortant des affaires,

c'est notre crédit

vous n'avez que votre bien réel, cinq ou six millions tout au plus car les fortunes de troisième ordre ne représentent guère que le tiers ou le quart de leur apparence, comme la locomotive d'un chemin de fer n'est toujours, ;

au milieu de

fumée qui l'enveloppe

la

qu'une machine plus ou moins

forte.

et qui la

Eh

bien

cinq millions qui forment votre actif réel,

grossit,

I

sur ces

vous venez

d'en perdre à peu près deux, qui diminuent d'autant votre

ou votre

fortune fictive

crédit; c'est-à-dire,

mon

cher

monsieur Danglars, que votre peau vient

d'être ouverte

par une saignée qui, réitérée quatre

entraînerait la

mort. Eh, eh glars.

faites attention,

!

mon

Avez-vous besoin d'argent

vous en prête

?

fois

,

cher monsieur Dan-

Voulez-vous que je

?

— Que vous êtes un mauvais calculateur!

Dan-

s'écria

glars en appelant à son aide toute la philosophie et toute

de l'apparence

la dissimulation

gent est rentré dans

mes

:

à l'heure

qu'il est, l'ar-

coffres par d'autres spéculations

qui ont réussi. Le sang sorti par la saignée est rentré par la

nmdtion.

battu

à.

perdu une

J'ai

Trieste

pris quelques galions

bataille

mon armée

mais

;

;

mes

en Espagne

,

j'ai

été

navale de l'Inde aura

pionniers

du Mexique auront

découvert quelque mine.

— Fort bien, première perte

fort

bien

I

mais

— Non, car je marche sur Danglars avec

la

trois

à la

des certitudes, poursuivit

faconde banale du charlatan, dont

est de prôner son crédit;

que

la cicatrice reste, et

elle se rouvrira.

il

faudrait,

pour

gouvernements croulasseoi.

me

l'étal

rerverst/r,


«0

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Dame cela vu. — Que terre manquai de — Rappelez-Yous sept vaches s'est

!

récoltes.

la

les

grasses et les sept

vaches maigres.

— Ou que encore

éton;

mer

la

se retirât,

comme du temps

de Pha-

y a plusieurs mers, et les vaisseau)( en

il

seraient quittes pour se faire caravanes.

— Tant mieux, mille

fois tant

Monte-Cristo;

dit

trompé,

que vous rentrez dans

et

mieux, cher monsieur vois que je m'étais

et je

Danglars,

les fortunes

du second

ordre.

— Je crois pouvoir aspirer à cet honneur, avec un de ces sourires stéréotypés qui

dit

Danglars

faisaient à

Monte-

Cristo l'effet d'une de ces lunes pâteuses dont les

vais peintres badigeonnent leurs ruines

;

mau-

mais, puisque

nous en sommes à parler d'affaires, ajouta-t-il, enchanté de trouver ce motif de changer la conversation, dites-

moi donc un peu ce que

— Mnis, vous

et

je puis faire

donner de l'argent,

lui

que ce

— Excellent

crédit !

il

pour M. Cavalcanti. s'il

a un crédit sur

vous paraisse bon.

s'est

présenté ce matin avec un bon

de quarante mille francs, payable à vue sur vous, signé Busoni, et renvoyé par vous à moi avec votre endos.

Vous comprenez que

je lui ai

compté à

l'instant

même

ses quarante billets carrés.

Monte-Cristo

fil

un

signe de tête qui indiquait toute

son adhésion.

— Mais ce n'est pas tout, continua Danglars vert à son ûls

un

— Combien,

;

il

a ou-

crédit chez moi.

sans indiscrétion, donne-t-il au jeune

homme?

— Cinq mille francs par mois. — Soixante mille francs par an. Je m'en doutais bien.


LE COMTE DE MOxME-CRISTO. Monte-Cristo en haussant les épaules

lit

pleutres

nomme

que

Que

les Cavalcanti.

veut-il

m

ce sont des

;

qu'un jeune

fasse avec cinq mille francs par mois ?

— Mais ^ous comprenez que

si le

jeune hommec?, be-

soin de qutriques mille francs de plus...

-ren

faites rien, le

votre compte;

père vous les laisserait pour vous ne connaissez pas tous les million-

naires ullramontains : ce sont de véritables harpagons. Et par qui lui est ouvert ce crédit ?

— Oh!

par la maison Fenzi, une des meilleures de

Florence.

— faut

;

Je ne veux pas dire que vous perdrez, tant s'en mais tenez-vous cependant dans les termes de la

lettre.

— Vous canti

°

n'auriez donc pas confiance dans ce Caval-

Moi je lui donnerais dix millions sur sa signature. Cela rentre dans les fortunes de second ordre, dont je

vous

I

parlais tout à l'heure,

— El avec cela comme

mon il

cher monsieur Danglars.

est simple! Je l'aurais prig

pour un major, rien de plus. Et vous lui eussiez fait honneur; car, vous avez raison, il ne paye pas de mine. Quand je l'ai vu pour la première fois, û m'a fait l'effet d'un vieux lieutenan; moisi sous la contre-épaulette. Mais tous les Italiens son: comme cela, ils ressemblent à de vieux juifs quand Us n'éblouissent nas comme des mages d'Orient. Le jeune homme est mieux, dit Danglars.

,

— — Oui,

un peu timide, peut-être; mais, en somme, a m'a para convenable. J'en étais inquiet. Pourquoi cela?

— — Parce que vous l'avez vu chez moi à peu prèsàsoa

ectrée dans

le

monde, à ce aue

l'on

m'a

dit

du moins. U


2

LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

H

très-sévère et n'était jaa voyagé avec un précepteur mais venu à Paris. — Tous ces Italiens de qualité ont l'habitude de se

négligemment mar.er entre eux, n'est-ce pas? demanda fortunes. leurs associer à aiment Danglars ; ils Cavalcanti D'habitude ils font ainsi, c'est vrai mais

est

;

un

original qui

ne

rien

fait

comme

m'ôtera pas de l'idée qu'il envoie son

les autres.

fils

On ne

en France pour

y trouve une femme.

qu'il

— Vous croyez — J'en suis sur. — Et vous avez entendu parler de sa fortune — n'est question que de cela seulement les ?

?

;

Il

lui

un;

prétendent qu'il ne accordent des millions, les autres

possède» pas

un

paul.

Kt votre o[iinion à vous? vous fonder dessus; elle est toute 11 ne faudra pas

_

personnelle.

Mais, enfin..

_ Mon opinion, à moi

,

est

que tous ces vieux podes-

ces Cavalcanti ont tous ces anciens condottieri, car

tats,

provinces ; des armées, ont gouverné des des millions enterré ont qu'ils est dis-je, opinion,

commandé

mon

seuls connaissent et font dans des coins que leurs aînés en génération; et la connaître à Ipurs aînés de génération et secs comme leurs preuve, c'est qu'ils sont tous jaunes dont ils conservent République, florins du temps de la

un

reflet

-

à force de les regarder.

Parfait,

dit

Danglars; et c'est d'autant plus vrai terre, à tous ces

qu'on ne leur connaît pas un pouce de gens-là.

— Fort

que je ne peu, du moins; moi, je sais bien

nalais de Lucques. oounais à Cavalcanti app- sau


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Ah

a un palais

il

!

en riant Danglars

dit

!

113 ;

c'est déjà

lueique chose.

— Oui,

et

encore

au ministre des îinances,

le loue-t-il

une maisonnette. Oh!

tandis qu'il habite, lui, dans

vous

déjà

l'ai

dit, je

crois le

bonhomme

— Allons, allons, vous ne — Écoutez, je connais à peine

je

serré.

le flattez pas.

le

dans

trois fois

Busoni

et

ma

vie.

Ce que

par lui-même

projets sur son

fils,

et

me

il

;

me

je crois l'avoir

:

matin de ses

parlait ce

laissait entrevoir

que, las de

voir dormir des fonds considérables en Italie, qui est

pays mort, soit

il

voudrait trouver

en Angleterre, de

vu

j'en sais, c'est par l'abbé

un moyen,

faire fructifier ses millions.

remarquez bien toujours que, quoique j'aie

un

en France,

soit

la plus

Mais

grande

confiance dans l'abbé Busoni personnellement, moi, je

ne réponds de

rien.

— N'importe, voyé ; et

c'est

mon

un

merci du client que vous m'avez en-

fort

beau nom à

Cavalcanti, en est tout détail

fier.

mes

inscrire sur

caissier, à qui j'ai expliqué ce

que

A propos, et ceci

registres,

c'était

est

que

les

un simple

de touriste, quand ces gens-là marient leurs

fils,

îeur donnent-ils des dots?

— Eh,

mon

italien, riche

J'ai

connu un prince

d'or,

un des premiers

Dieul c'est selon.

comme une mine

noms de Toscane,

qui, lorsque ses

fils

guise, leur donnait des millions, et, riaient

malgré

de trente

se mariaient à sa

quand

ils

se

ma-

se contentait de leur faire

une rente écus par mois. Admettons qu'Andréa se marie lui,

selon les vues de son père,

il

lui

donnera peut-être un,

jeux, trois millions. Si c'était avec la

fille

par exemple, peut-être prendrait-il

un

maison du beau-père de son de cela que sa bru

fils

lui déplaise

:

;

d'un banquier, intérêt

dans

la

puis, supposez à côté

bonsoir, le père Caval-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

i\A canti

met

la

main sur

double tuur à de vivre

la

def de son

comme un

coffre-fort,

donne un

maître Andréa obligé

la serrure, et voilà

de famille parisien, en bizeautant

fils

des cartes ou en piquant des dés.

— Ce garçon-là péruvienne;

trouvera une princesse bavaroise ou

voudra une couronne fermée, un El-

il

dorado traversé par

— Non,

le

Polose.

tous ces grands seigneurs de l'antre côté de?

monts épousent fréquemment de simples mortelles sont

comme Jupiter, ils aiment à croiser les

races.

Ah

;

ils

çàl

mais.est-cequevousvoulez marier Andréa, mon cher monsieur Danglars, que vous me faites toutes ces questions-là?

— Ma

foi, dit

Ce

me paraîtrait pas une un spéculateur, moi.

Danglars, cela ne

mauvaise spéculation;

et je suis

avec mademoiselle Danglars, je pré-

n'est pas

sume? vous ne voudriez pas

faire

égorger ce pauvre

Andréa par Albert?

— Albert! bien oui,

il

dit

Danglars en haussant les épaules; ahl

se soucie pas

mal de

cela.

— Mais est fiancé avec votre je crois? — C'est-à-dire que M. de Morcerf et moi nous avons fille,

il

quelquefois causé de ce mariage

;

mais

madame

de Mor-

cerf et Albert...

— N'allez-vous

pas

me

dire

que cdui-ci

n'est pas

un

bon parti?

Eh, ehl mademoiselle Danglars vaut bien M. de

Morcerf, ce

— La

me

semble

1

dot de mademoiselle Danglars sera belle, en

eOet, et je n'en doute pas, surtout

si le

tdégraphe ne

fait

plus de nouvelles folies.

— Oh

I

ce n'est pas seulement la dot. Mais; dites-moi

donc, à propos?

— Eh bien)


LE COMTE Uc MONTE-CRISTO.

115

— Pourquoi donc n'avez-vous pas invité Morcerf

et

sa

famille à voire dîner?

— Je l'avais Dieppe avec i'air

de

la

aussi,

fait

madame

mais

il

un

a objeLcé

voyajje à

de Morcerf, à qui on a recomiûandé

mer.

— Oui, oui, Dan^iars en être bon. doit — Pourquoi cela? qu'elle a respiré dans sa jeunesse. — Parce que riant,

dit

lui

il

c'est l'air

Monte-Cristo laissa passer l'épigramme sans paraître

y

faire attention.

— Mais

enfin, dit le

comte,

si

Albert n'est point aussi

que mademoiselle Danglars, vous ne pouvez nier quil porte un beau nom ? riche

— Soit, mais j'aime autant mien, Danglars. — Certainement, votre nom est populaire, et a orné dit

le

il

le titre

dont on a cru l'orner

;

mais vous êtes un

homme

pour n'avoir point compris que, selon certains préjugés trop puissamment enracinés pour qu'on les extirpe, noblesse de cinq siècles vaut mieux que notrop intelligent

blesse de vingt ans.

— Et voilà justement pourquoi,

dit

Danglars avec

un

sourire qu'il essayait de rendre sardonique, voilà pour-

quoi je préférerais M. Andréa Cavalcanti à M. Albert de Morcerf.

— Mais les

cependant,

Morcerf ne

le

dit

Monte-Cristo, je suppose que

cèdent nas aux Cavalcanti?

Les Morcerf

I...

lenei,

Danglars, vous êtes un galant

mon

cher comte, repri

homme,

n'est-ce pasf

— Je crois. — Et de plus, connaisseur en blason? le

— Ln peu. — Eh bien iolide

que

I

la couleur du mien du blason dp Morcerf.

regardez

celle

;

elle est plus


H6

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— —

Pourquoi cela? Parce que, moi,

si

je

ne suis pas baron de nais-

sance, je m'appelle Danglars au moins.

— Après? — Tandis que ne s'appelle pas Morcerf. — Comment, ne s'appelle Morcerf? — Pas moins da monde. — Allons donc — Moi quelqu'un m'a baron, de sorte que je lui

paj.

il

le

I

fait

,

suis; lui s'est l'est

fait

comte tout seul, de sorte

qu'il

le

ne

pas.

— Impossible. — Écoutez, mon cher comte, continua Danglars, M. de Morcerf est

mon

trente ans; moi,

mes

ami, ou plutôt

ma

vous savez que

armoiries, attendu

que

connaissance depuis

je fais

je n'ai

bon marché de

jamais oublié d'où je

suis parti.

— C'est

la

preuve d'une grande humilité ou d'un grand

orgueil, dit Monte-Cristo.

— Eh était

bienl

quand

j'étais petit

commis, moi, Morcerf

simple pécheur.

— Et alors on l'appelait? — Fernand. — Tout court? — Fernand Mondogo. — Vous en êtes sur. — Pardieu m'a vendu assez de poisson pour que je I

le

il

connaisse.

— Alors, pourquoi donniez-vous votre — Parce que Fernand et Danglars étant deux lui

fllle?

parve-

nus, tou' deux anoblis, tous deux enrichis, se valent au fond, sauf certaines choses cependant, qu'on a dites lai et

qu'on n'a jamais dites de moi.

de


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— QaDi donc? — Rien. — Ah oui, comprends

117

ce que vous me dites la me je mémoire à propos du nom de Fernano Monentendu prononcer ce nom-là en Grèce.

!

;

rafraîchit la

dego

:

j'ai

— A propos de — Justement. — Voilà mystère,

l'affaire

reprit Danglars, et j'avoue

le

j'eusse

d'Ali-Pacha?

donné bien des choses pour

— Ce

n'était

pas

difficile, si

le

que

découvrir.

vous en aviez eu grande

envie.

— Comment cela? — Sans doute, vous avez bien quelque correspdhdant en Grèce

?

— Pardicu — A Janina? — J'en partout... — Eh bieni écrivez !

ai

et

à votre correspondant de Janina,

demandez-lui quel

d'Ali-Tebelin

— Vous vivement,

rôle a joué

dans

la catastrophe

un Français nommé Fernand.

avez raison j'écrirai

I

s'écria

aujourd'hui

Danglars en se levant

même

!

— Faites. — Je vais — Et vous avez quelque nouvelle bien scandaleuse... — Je vous communiquerai. — Vous me ferez le faire.

si

la

plaisir.

Danglars s'élança hors de l'appartement, et ne

bond jusqu'à sa

voiture.

fit

qu'un


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

lis

X ZZ CABINET DU PROCUREUR DO ROI.

Laissons le banquier revenir au grand train de ses che-

vaux,

et

madame

suivons

Danglars dans son excursion

matinale.

Nous avons

qu'à midi et demi,

dit,

demandé

avait

chevaux

ses

en voiture.

du côté du faubourg Saint-Germain,

Elle se dirigea prit la

madame Danglars

et était sortie

rue Mazarine

,

et

fit

arrêter

au passage du Pont-

Neuf. Elle descendit et traversa le passage. Elle était vêtue fort

simplement,

qui sort

le

comme

Rue Guénégaud,

comme

le

il

convient à une

femme de goût

matin.

monta en

elle

but de sa course,

A peine

fut-elle

dans

fiacre

en désignant,

rue du Harlay.

la

la voiture,

qu'elle

tira

de sa

poche un voile noir très-épais, qu'elle attacha sur son

chapeau de tête, et vit

paille

avec

;

pais elle remit son chapeau sur sa

plaisir,

en regardant dans un

de poche, qu'on ne pouvait voir blanche

Le

d'elle

petit miroir

que sa peau

prunelle étincelante de son œil.

et la

fiacre prit le

Pont-Neuf, et entra, par la place Dau-

com du

phine, dans

la

portière, et

madame Danglars

Harlay

;

il

fut

payé en ouvrant

la

s'élançant vers l'escalier,

qu'elle franchit légèrement, arriva bientôt à la salle des

Pas-Perdus.

Le matin,

gens

affairés

beaucoup

y a beaucoup d'atTaires et encore plus de au Palais les gens affairés ne regardent pas

il

les

;

femmes

:

madame

Danglars traversa donc


H9

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

remarquée que dix

îa salle des Pas-Perdus sans être plus

autres

femmes qui

guettaient leur avocat.

y avait encombrement dans l'antichambre de M. de Villefort ; mais madame Danglars n'eut pas même besoin Il

nom

de prononcer son

sonne à laquelle M. dez-vous, par

un

et,

;

dès qu'elle parut,

demanda

leva, vint à elle, lui

le

un

si elle n'était

procureur du

roi avait

sur sa réponse afiQrmative,

il

huissier se

point la per-

donné ren-

la conduisit,

au cabinet de M. de

corridor réservé,

Ville-

fort.

Le magistrat

écrivait, assis sur

tourné à la porte

:

il

prononcer ces paroles

:

se refermer, sans faire

un

eut-il senti se perdre les

qu'il se retourna tirer les

rideaux

son fauteuil,

le

dos

entendit la porte s'ouvrir, l'huissier

Madame » et la porte mouvement mais à peine

Entrez,

«

seul

I

;

pas de l'huissier, qui s'éloignait,

vivement,

et visiter

alla

pousser les verrous

chaque coin du cabinet.

Puis lorsqu'il eut acquis la certitude qu'il ne pouvait être ni quillisé

vu

ni entendu, et

— Merci, Madame, Et

il

car le

que par conséquent

il

fut tran-

:

lui offrit

cœur

un

dit-il,

siège

merci de votre exactitude.

que madame Danglars accepta,

lui battait si

fortement qu'elle se sentait

près de suffoquer.

— Voilà,

dit le

procureur du

roi

en s'asseyant à son

un demi-cercle à son fauteuil, afin de 5e trouver en face de madame Danglars, voilà tAen longtemps Madame, qu'il ne m'est arrivé d'avoir tour et en faisant décrire

et, à mon grand nous nous retrouvons pour entamer une conver-

ce bonheur de causer seul avec vous ; regret,

sation Dien pénible,

— Cependant, Monsieur, vous voyez que je suis venue votre premier appel, quoique bien certainement cette


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

120

conversation soit eccore plus pénible pour moi que pour

vous.

amèrement.

Villefort sourit

Il

est

donc vrai,

dit-il,

répondant à sa propre pen-

madame

sée bien plutôt qu'aux paroles de est

unes sombres,

les

passé

I

est

II

il

sillon

!

marche du

la

Hélas

leurs larmes

I

reptile sur le sable et font

pour beaucoup

ce sillon est celui de

,

I

— Monsieur, dit mon

lumineuses, dans notre

les autres

donc vrai que tous nos pas dans cette vie

ressemblent à

un

Danglars,

donc vrai que toutes nos actions laissent leurs traces,

madame

Danglars, vous comprenez

émotion, n'est-ce pas? ménagez-moi donc, je vous

prie. Cette

chambre où

blants et honteux, ce

tant de coupables ont passé trem-

ma

fauteuil

tour honteuse et tremblante

!..

je m'assieds à

Oh! tenez,

j'ai

mon

besoin de

moi une femme un juge menaçant. Villefort secoua la tète et poussa un soupir. Et moi, reprit-il, et moi, je me dis que ma place n'est pas dans le fauteuil du juge, mais bien sur la sel-

toute

raison pour ne pas voir en

bien cocpable et en vous

leitâ

de l'accusé.

— Vous? madame Danglars étonnée. — Oui, moi. — Je crois que de votre pa;t, Monsieur, votre dit

nisme s'exagère l'œil si

la situation, dit

madame

beau s'illumina d'une fugitive lueur. Ces

dont vous parliez à l'instant

même,

toutes les jeunesses ardentes.

Au

delà du plaisir,

il

purita-

Danglars, dont sillons,

ont ^ti iracés par

fond des passions, au

y a toujours un peu de remords

;

c'est

pour cela que l'Évangile, celte ressource éternelle des

malheureux, nous a donné pour soutien, à nous autres pauvres femmes, l'admirable parabole de

la fllle

pèche-


LE COiMTE DE MONTE-CRISTO. resse et de là

me

femme

adultère. Aussi, je

de

reportanH; à ces délires

quelquefois que Dieu l'excuse,

du moins

vée dans

mes

la

me

ma

les

121

vous l'avoue, en

jeunesse, je pense

pardonneia,

sinon

'îar

compensation s'en est bien trou-

souffrances

mais vous, qu'avez-vous à

;

hommes que

craindre de tout cela, vous autres

tou*, le

monde excuse et que le scandale anoblit? Madame, répliqua Villefort, vous me connaissez ; je ne suis pas un hypocrite, ou du moins je ne fais pas

de l'hypocrisie sans raison. c'est

que bien des malheurs

s'est pétrifié, c'est afin qu'il

Si l'ont

mon

front

assombri

ainsi ce

sévère,

est si

mon cœur

de pouvoir supporter les chocs

ma

a reçus. Je n'étais pas ainsi dans

n'étais pas

;

jeunesse, je

où nous étions rue du Cours à Mar-

soir des fiançailles

tous assis autour d'une table de la

Mais, depuis, tout a bien changé en moi et autour

seille.

de moi ciles et

ma

;

vie s'est usée à poursuivre des choses

à briser dans les

difficultés

ceux

rement ou involontairement, par leur hasard, se trouvaient placés sur

par

le

me

susciter ces choses.

ardemment ne

soit

Il

est rare

diffi-

qui, volontai-

libre arbitre

ou

mon chemin pour

que ce qu'on désire

pas défendu ardemment par ceux de

qui on veut l'obtenir ou auxquels on tente de l'arracher. Ainsi, la plupart des mauvaises actions des

hommes

sont venues au-devant d'eux, déguisées sous la forme

spécieuse de la nécessité; puis, la mauvaise action com-

mise dans un moment d'exaltation, de crainte lire,

on voit qu'on aurait pu passer auprès

l'évitant.

Le moyen

qu'il eût été

et

de dé-

d'elle

n'a pas vu, aveugle qu'on était, se présente à vcs facile et

simple; vous vous dites

fait ceci

au

lieu de faire cela?

traire, bien

en

bon d'employer, qu'on

:

comment

yeux

n'ai-je

pas

Vous, Mesdames, au con-

rarement vous êlos tourmentées par des


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

422

remords, car bien rarement la décision vient de vous

som presque

vos malheurs vous

,

toujours imposés, vc

fautes sont presque toujours le crime des autres.

En tout cas, Monsieur, convenez-en, répondit nudame Banglars, si j'ai commis une faute, cette faute fût reçu hier soir

elle personnelle, j'en ai

— Pauvre femme

dit Villefort

en

la

sévère punitio»

lui serrant la

pour votre force, car deux

trop sévère lailliy

I

succomber,

main,

vous avez

fois

et cependant...

— Eh bien? — Eh bien! je dois

vous

rassemblez tout votre

dire...

courage. Madame, car vous n'êtes pas encore au bout.

— Mon Dieu a-l-il

I

s'écria

madame

— Vous ne voyez que est

passé.

le

Madame,

et certes

il

sombre. Eh blenl figurez-vous un avenir plus sombre

encore,

un

peut-êlre

affreux

avenir...

certainement... sanglant

!..

La baronne connaissait si

Danglars effrayée, qu'y

donc encore?

le

calme de Villefort;

épouvantée de son exaltation, qu'elle ouvrit

pour

crier,

mais que

— Comment Villefort

;

le cri

mourut

,

il

<>^Q5 sa gorge.

la

tombe

dormait, est-il sorti

pour

faire pâlir

nos joues

ll(iJas! dit

Hermine, sans doute

•-Le

et rougir

hasard! reprit Villefort

elle fut

bouche

ce passé terrible? s'écria

est-il ressuscité,

comment du fond de

nos cœurs où

la

;

du fond de

et

comme un fantôme

nos fronts

?

hasard!

le

non, non. Madame,

il

a'y a point de hasard!

— Mais

si;

n'est-ce point

mais un hasard qui a hasard que

le

fait

un hasard

futal,

n

est vrai,

tout cela? n'est-ce point par

comte de Monte-Cristo a acheté cette mai-

son? n'est-ce point par hasard

qu'il

a

terre? nesi-ce point par hasard, enfin,

fait

creuser

la

que ce malheu-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

123

reux enfent a été déterré sous les arbres? Pauvre innocente créature sortie de moi, à qui je n'ai jamais

ner un baiser, mais à qui

pu don-

donné bien des larmes. Ah! mon cœur a volé au-devanl du comte lorsqu'il a

tout

j'ai

parlé de cette chère dépouille trouvée sous des fleurs.

— Eh bien terrible

!

Madame

non,

;

et voilà ce

que

de

j'avais

a vous dire, répondit Villefort d'une voix sourde

;

;

non,

il

n'y a pas eu de dépouille trouvée sous les fleurs

non,

il

n'y a pas eu d'enfant déterré

pleurer ; non,

il

ne faut pas gémir

Que voulez-vous

non,

;

faut trembler

il

:

dire? s'écria

ne faut pas

il

!

madame Danglars

toute frémissante.

— Je veux dire que M. Monte-Cristo, en pied de ces arbres, n'a ni ferrures

de coffre

,

pu trouver

creusant au

ni squelette d'enfant,

parce que sous ces arbres

il

n'y

avait ni l'an ni l'autre.

n'y avait ni l'un ni l'autre! redit

Il

en

glars,

fixant sur le procureur

du

madame Dan-

roi des

yeux dont

prunelle, effroyablement dilatée, indiquait la terreur

n'y avait ni l'un ni l'autre

!

une personne qui essaye de et

fixer par le

la il

comme

son des paroles

par le bruit de la voix ses idées prêtes à lui échapper.

— ses

Non!

mains

dit Villefort, en. laissant ;

non

!..

donc point

non, cent

— Mais ce le

répéta-t-elle encore

;

n'est

fois

tomber son front dans

que vous aviez déposé

pauvre enfant. Monsieur? Pourquoi

me tromper?

dans

quel but, voyons, dites?

— C'est là; mais écoutez-moi, écoutez-moi. Madame, et

vous

allez

me

plaindre

,

moi qui

ai porté

gans en rejeter la moindre part sur vous,

douleurs que je vais vous

— Mon iez, je

Dieu

vous

!

vingt ans, fardeau de

dire.

vous m'effrayez

écout-e.

le

!

mais n'importe, par-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

i24

— Vous

comment

savez

s'accomplit cette nuit dou-

loureuse où vous étiez expirante sur votre

dans cette

lit,

chambre de damas rouge, tandis que moi prescjue aussi haletant que vous, j'attendais votre délivrance. L'enfant ,

vint,

me

voix

:

Madame elle eût

remis sans mouvement, sans souffle, sans

fut

nous

le

crûmes mort.

Danglars

fit

un mouvement

rapide,

comme si

voulu s'élancer de sa chaise.

Mais Villefort

l'arrêta

en joignaht

pour implorer son attention. Nous le crûmes mort, répéta-t-il

coffre qui devait

remplacer

jardin, je creusai

une fosse

vais à peine de

le

lus crier,

je le

le cercueil, je

et l'enfouis

mis dans un

descendis au

à la hâte. J'ache-

comme une ombre

frisson glacé

me

se dresser,

une douleur,

éclair reluire. Je sentis

un

;

parcourut tout

tué. Je n'oublierai jamais votre

me

calier, où, expirante

de moi.

Il

fallait

je

vou-

corps et

le

m'élreignità la gorge... Je tombai mourant, et je

revenu à moi, je

comme

mains,

couvrir de terre, que le bras du Corse

s'étendit vers moi. Je vis

comme un

les

me

crus

sublime courage, quand,

traînai expirant

jusqu'au bas de

l'es-

vous-même, vous vîntes au-devant

garder le silence sur la terrible cata-

strophe; vous eûtes le courage de regagner votre maison, soutenue par votre nourrice

ma blessure.

de

;

un duel

fut le prétexte

Contre toute attente, le secret nous fut

gardé à tous deux ; on

me

transporta à Versailles

dant trois mois, je luttai contre la mort; enfin, je

parus

l'air

du

me

rattacher à la vie,

Midi. Quatre

on m'ordonna

hommes me

me

pen-

le soleil et

portèrent de Pans à

Châlons, en faisant six lieues par jour. fort suivait le

;

comme

Madame de Ville-

brancard dans sa voilure.

A

Chàlons, on

mit sur la Saône, puis je passai sur le Rhône,

et,

par la seule vitesse du courant, je descendis jusqu'à


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ma

Arles, puis d'Arles, je repris

chemin pour

Marseille.

Ma

125

conlinuai

litière et

mon

convalescence dura dix mois

je n'entendais plus parler de vous, je n'osai

;

m'informer

de ce que vous étiez devenue. Quand je revins à Paris,

que, veuve de M. de Nargonne, vous aviez

j'appris

épousé M. Danglars.

A tait

quoi avais-je pensé depuis que la connaissance m'é

revenue? Toujours à

même

la

chose, toujours à

cadavre d'enfant qui, chaque nuit, dans volait

en

du

mes

rêves,

a

s'en-

sein de la terre, et planait au-dessus delà fosse

me menaçant du

regard

du

et

retour à Paris, je m'informai; la

geste. Aussi, à peine de

maison

n'avait pas été

habitée depuis que nous en étions sortis, mais elle venait d'être louée

pour neuf ans.

feignis d'avoir

un grand

J'allai

trouver

le locataire, je

désir de ne pas voir passer entre

des mains étrangères cette maison, qui appartenait au et à la mère de ma femme j'offris un dédommagement pour qu'on rompit le bail on me demanda six

père

;

;

donné dix

mille francs, j'en eusse

mille, j'en eusse

vingt mille. Je les avais sur moi, je

fls,

donné

séance tenante,

signer la résiliation; puis, lorsque je tins cette cession

au galop pour Auteuil. Personne,

tant désirée, je partis

depuis que j'en étais Il était

sorti,

n'était entré

dans

la

maison.

cinq heures de l'après-midi, je montai dans la

chambre rouge et j'attendis la nuit. Là, tout ce que je me disais depuis un an dans mon agonie continuelle se représenta, bien plus menaçant que jamais, à

ma

pensée.

Ce Corse qui m'avait déclaré suivi de

Nîmes à

Paris

;

la vendetta,

jardin, qui m'avait frappé, m'avait

m'avait

vu

qui m'avaii

ce Corse, qui était caché dans le

enterrer l'enfant

;

il

vu creuser

la fosse,

i!

pouvait en arriver à vous

connaître; peut-êtr» voik connaissait-il...

Ne vous

fe-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

ff6 rail-iï

pas payer un jour

Ne

faire?...

;;eance, iion

serait-ce pas

quand

le secret

pour

de celte terrible af-

une bien douce ven-

lui

apprendrait que je n'étais pas inort de

il

cnrp de poignard?

Il

était

donc urgent qu'avant toute

chose, et à tout hasard, je fisse disparaître les traces de

que j'en détruisisse tout

ze passé,

aurait toujours C'était

cela

que

que trop de

"vestige matériel

réalité

dans

pour cela que j'avais annulé j'étais

La nuit

venu,

c'était

mon

;

n'y

il

souvenir.

le bail, c'était

pour

pour cela que j'attendais.

arriva, je la laissai bien s'épaissir; j'étais sans

lumière dans cette chambre, où des souffles de vent

fai-

saient trembler les portières derrière lesquelles je croyais

toujours voir quelque espion

temps je ce

lit,

tressaillais,

il

me

embusqué

entendre vos plaintes, et je n'osais

Mon cœur

battait

violemment que

dans

;

de temps en

semblait derrière moi, dans

me

retourner.

le silence, et je le sentais battre si

je croyais

que

ma blessure

allait

se rou-

viir; enfin, j'entendis s'éteindre, l'un après l'autre, tous

ces bruits divers de la campagne. Je compris

que

je n'a-

vais plus rien à craindre, que je ne pouvais être ni ni

entendu,

et je

me

Écoutez, Hermine, je

homme, mais tite clef

de

vu

décidai à descendre.

me

crois aussi brave

lorsque je retirai de

l'escalier,

ma

qu'un autre

poitrine celte pe-

que nous chérissions tous deux, et faire attacher à un anneau d'or,

que vous aviez voulu

lorsque j'ouvris la porte, lorsque, à travers les fenêtres, je vis

une lune pâle

jeter, sur les

degrés en spirale, une

longue bande de lumière blanche pareille à un spectre, je

me

blait

retins

que

au mur

j'allais

et je fûs près

de crier

;

il

me

sem-

devenir fou.

Enfin, je parvins à

me

rendre maître de moi-même. Je

desceudis l'escalier marche à marche; la seule chose que je n'avais

pu vaincre,

c'était

un étrange tremblement


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. dans

me

genoux. Je

les

un

l'eusse lâchée

cramponnai à

me

instant, je

J'arrivai à la porte d'en bas

une

;

au milieu de

pour l'allumer, puis

rêtai

Novembre

;

si je

fusse précipité

en dehors de

;

127

rampe

cette porte,

muni

contre le mur. Je m'élai?

bfrche était posée

d'une lanterne sourde

la

la

je continuai

pelouse, je m'ar-

mon

chemin.

du jardin

unissait, toute la verdure

avait

disparu, les arbres n'étaient plus que des squelettes aux

longs bras décharnés, et les feuilles mortes criaient avec sable sous

(e

mes pas.

L'effroi m'étreignait si

prochant du massif je

fortement

un

tirai

la

cœur, qu'en ap-

pistolet de

ma

poche

et

l'armai. Je croyais toujours voir apparaître à travers les

branches

massif avec

yeux

vide. Je jetai les

seul

;

du Corse.

la figure

J'éclairai le

aucun

ma

ne troublait

bruit

lanterne sourde

;

il

était

tout autour de moi, j'étais bien

de la nuit,

le silence

n'est le chant d'une chouette qui jetait

son

cri

si

ce

aigu et

comme un appel aux fantômes de la nuit. ma lanterne à une branche fourchue que j'a-

lugubre

J'attachai

vais déjà

remarquée un an auparavant, à

je m'arrêtai

pour creuser

L'herbe avait, pendant

l'endroit

même

la fosse.

l'été,

poussé bien épaisse à cet

endroit, et, l'automne venu, personne se s'était trouvé là

pour tira

la faucher.

mon

Cependant, une place moins garnie at-

attention;

il

était

vais retourne la terre. Je

évident que

me

c'était là

que j'a-

mis à l'œuvre.

J'en étais donc arrivé à cette heure que j'attendais de-

uis plus d'un an

Aussi,

comme

je sondais

!

j'espérais,

chaque

résistance au bout de UTi trou

deux

fois

comme je

travaillais,

comme

touffe de gazon, croyant sentir de la

ma

bêche

;

rien

!

et

cependant je

fis

plus grand que n'était le premier. Je


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

!28

cros m'être abusé, m'être trompé de place; je m'oneotai, regardai les arbres, je cherchai à reconnaître les dé-

je

flait

bise froide et aiguè sif-

a travers les branches dépouillées, et cependant la

mon

sueur ruisselait sur

pour recouvrir

la terre

me

front. Je

r^jjpelai

coup de poignard au moment où

vais reçu le

je

Une

oui m'avaieri frappé.

tails

la fosse

en piétinant celte

;

neurs

destiné à servir de banc

ariillciel

ma

car en tombant,

;

me

moi

le colTret

— Le

même,

plaçant de

à élargir

et

le trou

A ma

de cette pierre.

droite était le faux ébénier, derrière

mis à creuser

terre,

était

main, qui venait de quitter

l'ébénier, avait senti la fraîcheur

je tombai en

j'a-

un aux prome-

m'appuyais à un faux ébénier; derrière mo'

rocher

que

je piétinais

:

je

était le

me

rien

!

rocher;

me

relevai et

toujours rien

I

n'y était pas.

cofTret

murmura madame Dan-

n'y était pas?

glars, suffoquée par l'épouvante.

— Ne croyez

pas que je

continua Villefort; non. Je sai

que

l'assassin

,

me

bornai à cette tentative,

fouillai tout le

ayant déterré

massif; je pen-

le coffre et

croyant que

c'était

un

porté

puis, s'apercevant de son erreur, avait

tour

;

un

trésor, avait

trou et

cette idée qu'il l'avait

Dans

purement

cette

l'y

voulu s'en emparer,

avait déposé

et

simplement

mes recherches, attendre chambre et j'attendis.

— Oh mon Dieu — Le jour venu, je mière

visitfc

rien. Puis

il

em-

à son

fait

me

vint

n'avait point pris tant de précaution, et

dernière hypothèse,

!

;

l'avait

le

jeté il

jour.

dans quelque coin.

me

fallait,

pour

faire

Je remontai dans

la

I

fut

pour

descendis de nouveau. le

Ma

pre-

massif; j'espérais y retiouver

des traces qui m'auraient échappé pendant l'obscurité. J'avais retourné la terre sur

une

superficie de plus de


129

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

vingt pieds carrés, et sur une profondeur de plus de deui salarié pied^. Une journée eût à peine suffi à un homme

pour je

que

faire ce

j'avais fait, moi,

en une heure. Rien,

ne vis absolument rien. me mis à la recherche du

Alors, je

supposition que j'avais quelque coin. Ce devait

chemin qui condui-

être sur le

à la petite porte de sortie

sait

;

mais

coffre, selon la

avait été jeté dans

qu'il

faite

cette nouvelle inves-

que la première, et, le cœur au massif, qui lui-même ne me laissait

tigation fut aussi inutile

serré, je revins

plus aucun espoir.

— Oh

!

s'écria

devenir fou

— Je

madame

Danglars,

y avait de quoi

il

!

l'espérai

un

instant, dit Villefort,

pas ce bonheur; cependant, rappelant

conséquent mes idées

Pourquoi cet

mais

ma

je n'eus

force et par

:

homme

me

emporté ce cadavre?

aurait-il

demandai-je.

— Mais vous l'avez

dit, reprit

madame Danglacs,pour

avoir une. preuve.

— Eh

non, Madame, ce ne pouvait plus être cela on pas un cadavre pendant un an, on le montre à ne garde et Ton fait sa déposition. Or, rien de tout magistrat, un ;

I

cela n'était arrivé.

— Eh

bien! alors?...

demanda Hermine

toute palpi-

tante.

— Alors,

y a quelque chose de plus terrible, de plus il y a que l'enfant fatal, de plus effrayant pour nous, l'a sauvé. l'assassin que et peut-être, était vivant il

lûadame Danglars poussa un les

mains de

Villefort

— Mon enfant

mon

était

cri terrible, et saisissant

:

vivant

1

enfant vivant, Monsieiv

dit-elle "

Vous

;

vous avez enterré que

n'étiez pas sur


LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

130

mon enfant était mort, et vous l'avez enterré ahl,.„ Madame Danglars s'était redressée et elle se tenait deI

vant

procureur du

le

roi,

dont elle serrait les poignets

enire ses mains délicates, debout et presque meuaçante.

— Que sais-je? Je vous dis cela comme je vous

autre chose, répondit Villefort avec

homme

qui indiquait que cet

— Ahl

mon

enfant,

dirais

de regard

fixité

puissant était prêt d'at-

si

du désespoir

teindre les limites

une

et

de

mon pauvre

la folie.

enfant! s'écria la ba-

ronne, retombant sur sa chaise et étouffant ses sanglots

dans son mouchoir. Villefort revint à lui, et comprit

que pour détourner

l'orage maternel qui s'amassait sur sa tète,

madame

passer chez

Danglars la terreur

il

fallait faire

qu'il

éprouvait

lui-n;ème.

— Vous comprenez en se levant à son tour

pour

lui parler

perdus

:

que

alors

si

cela est ainsi

en s'approchant de

et

dune voix

la

plus basse, nous

,

dit-il

baronne

sommes

cet enfant vit, et quelqu'un sait qu'il vit, quel-

qu'un a notre secret; et puisque Monte-Cristo parle devant nous d'un enfant déterré où cet enfant n'était plus, «e secret c'est lui qui

l'a.

— Dieu, Dieu juste. Dieu vengeur

I

murmura madame

Danglars.

ne répondit que par une espèce de ragisse-

Villefort

ment.

— Mais

cet enfant, cet enfant.

Monsieur?

reprit

la

•ère obstinée.

^Oh les

!

bras

que ,

je

l'ai

que de

nuits sans sommeil

royale

cherché

fois je

I

reprit Villefort

en se tordant

appelé dans

mes longues

l'ai

que de fois j'ai désiré une richesse pour acheter un million de secrets à un million

d'homme s,

et

I

pour trouver

mou

secret dans les leurs

!


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. un jour que pour

Enfin,

me demandai

bêche, je

que

Corse avait

le

pu

rasse on fugitif;

vivant encore,

— Oh

la

pour

faire

la

131

fois je reprenais la

centième

de l'enfant

:

un

fois aussi ce

enfant embar-

peut-être en s'apercevant qu'il était

dans

l'avait-il jeté

impossible

I

centième

la rivière.

madame

s'écria

I

Danglars

;

on as-

un homme par vengeance, on ne noie pas de sang-froid un enfant

sassine

I

— Peut-être, continua

Villefort, l'avait-il

mis aux En-

fants-Trouvés.

— Oh

oui

oui,

I

s'écria la

!

baronne,

mon

enfant est

là! Monsieur!

Je courus à l'hospice

même,

la nuit

posé dans

en

viette

le

et j'appris que cette nuit du 20 septembre, un enfant avait été dé-

tour

;

était

il

,

enveloppé d'une moitié de ser-

déchirée avec intention. Cette moitié

toile fine,

de serviette poitait une moitié de couronne de baron la lettre

— C'est cela, mon

et

H. c'est cela! s'écria

marqué

linge était

ainsi

;

madame Danglars,

M. de Nargonne

ron, et je m'appelle Hermine. Merci, fant n'était pas

mort

— Non, — Et vous il

n'était

tout

était

ba-

mon Dieul mon

en-

I

pas n»rt

!

me le dites vous me dites cela sans craindre de me faire mourir de joie Monsieur ? Où estU ? où est mon enfant? !

,

Villefort

— Le rais, je

îomme hélas

1

haussa

les épaules.

sais-j>3? dit-il;

vous le

ferais

ferait

non!

je

mois environ,

et

croyez-vous que

si je le

sa-

passer par toutes ces gradations,

un dramaturge ou un romancier? Nod, le sais pas. Une femme, il y avait six

ne

étaii

venue réclamer

moitié de la servieiie. Cette

femme

l'enfant

avec

l'autre

avait fourni toutes


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

13?

que

.es garanties

Mais

lait la

cette

remis.

femme, û

me

de quoi pensez-vous donc que jo

Madame?

Joui ce 'e

le lui avait

vous informer de

ïal-

découvrir.

— El cupé.

on

la loi exige, et

fallait

il

que

J'ai feiut

la police

une instruction

sois oc-

criminelle, et

a de fins limiers, d'adroits agents,

mis à sa recherche. On a retrouvé ses traces

les ai

usqu'à Chàlons; à Châlons, on les a perdues.

— Perdues — Oui, perdues; perdues à jamais. ?

Danglars avait écouté ce récit avec un sou-

Madame pir,

une larme, un

— Et — Ohl

cri

pour chaque circonstance.

c'est tout, dit elle; et

non,

vous vous êtes borné là?

dit Villefort, je n'ai

jamais cessé de cher-

cher, de m'enquérir, de m'informer. Cependant, depuis

deux ou

donné quelque relâche. recommencer avec plus de d'acharnement que jamais et je réus-

trois ans, je m'étais

Mais, aujourd'hui

persévérance

et

je vais

,

;

voyez-vous; car ce n'est plus

sirai,

la

conscience qui

me

pousse, c'est la peur.

— Mais, Cristo

ne

reprit

madame

sait rien;

rechercherait point

Oli

1

Danglars, le comte de Monte-

sans quoi, ce

comme

il

me

méchanceté des hommes

la

dit Villefort,

semble

,

il

ne nous

le fait.

est bien profonde

puisqu'elle est plus profonde

que

la

bouM

de Dieu. Avez-vous remarqué les yeux de cet homme, tandis qu'il

nous

parlait?

— Non. — Mais l'avez-voas examiné profondément parfois? — Sans doute. est bizarre, mais voilà Une tout.

Il

chose qui m'a frappée seulement, c'est que de tout ce repas exquis qu'il nous a donné,

que d'aucun

plat

il

n'^

il

n'a rien touché, c'est

vnnhi nrcndre sa part.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Oui, ouil j'avais

dit Villefort, j'ai

su ce que je

155

remarqué cela ajssi.

Si

maintenant, moi non plus je

sais

n'eusse touché à rien; j'aurais cru qu'il voulait nous

empoisonner.

— Et vous vous seriez trompé, vous voyez bien. — Oui, sans doute mais, croyez-moi, cet homme le

;

roilà

quii

pourquoi j'ai

pourquoi

projets. Voilà

à'autres

j'ai

demandé à vous

a

voulu vous voir,

j'ai

parler, voilà pour-

voulu vous prémunir contpe tout

monde, mais

le

contre lui surtout. Dites-moi, continua Villefort en fixant

plus profondément encore qu'il ne l'avait ses

yeux sur

la

fait

jusque-là

baronne, vous n'avez parlé de notre

liai-

son à personne?

— Jamais, à personne. — Vous me comprenez fort,

quand

,

reprit affectueusement Ville-

je dis à personne,

pardonnez-moi cette

tance, à personne au monde, n'est-ce pas

— Oh

!

oui, oui, je

comprends

en rougissant jamais ;

I

je

vous

très-bien, dit la

passé dans la nw.ùnée? vous

journal

baronne

le jure.

— Vous n'avez point l'habitude d'écrire s'est

insis-

?

ne

le soir ce

qui

pas

de

faites

?

— NonI Hélas

1

ma

vie passe empoilée par la frivohté;

moi-même, je l'oublie. Vous ne rêvez pas haut, que vous sachiez? J'ai un sommeil d'enfant ne vous le rappelez-vous

— —

;

pas?

Le pourpre monta au visage de

la

baronne,

et la

pâleur

envahit celui de Villefort.

— C'est vrai, bas qu'on l'entendit a peine. — Eh bien? demanda baronne. — Eh bien je comprends ce me reste -à dit-il si

la

qu'il

I

reprit Villefort.

TOME

IV.

Avant huit jours

d'ici, je

faire,

saurai ce

8

que


LE COMTE DE MONTE-CRISlU.

134

que M. de Monte-Cristo, d'où il vient, où il va, et pour(juoi il parle devant nous des enfants qu'on déterre

c'est

dans àon jardin. Villefort

prononça ces mots avec un accent qui eût

comte

frissonner le

Puis

il

serra la

s'il

pu

eût

main que

la

fait

les entendre.

baronne répugnait à h

i

donner et la reconduisit avec respect jusqu'à la porte.

Madame Danglars au passage, de

un autre

reprit

duquel

l'autre côté

qui

fiacre,

la

ramenu

retrouva sa voi-

elle

qui, en l'attendant, dormait paisi-

lure et son cocher,

blement sur son siège.

XI CN BAL u'ÉTË.

même

Le sait la

jour, vers l'heure

procureur du la

dans

Au

la

le

la porte

du

n» 27 et s'arrê-

cour.

bout d'un instant

madaire

îa portière s'ouvrait, et

de Morcerf en descendait appuyée au bras de son

A

fai-

cabinet de M. le

une calèche de voyage, entrant dans

roi,

rue du Ilelder, franchissait

tait

où madame Danglars

séance que nous avons dite dans

peine Albert eut- il reconduit sa mère chez

commandant un bain

et ses

chevaux, après

mains de son valet de chambre Champs-Elysées, chez

Le comte

le

le

il

se

fit

s'être

que

mis

au.

conduire aux

comte de Monte-Cristo.

reçut avec son sourire habituel. C'était

une étrange chose

en avant dans

le

,

fils.

elle,

jamais on ne paraissait cœur ou dans Tesnrit de :

faire

cet

un pas

homme.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Ceux qui voulaient,

si

ro-n peut

135 pas-

dire cela, forcer le

sage de son intimité, trouvaient un mur. Morcerf, qui accourait à lui les bras ouverts, laissa, en le

voyant

et

De son

malgré son sourire amical, tomber ses bras,

au plus

et osa tout

lui tendre la

main.

comme

côté, Monte-Cristo la lui toucha,

mais sans

sait toujours,

fai-

il

la lui serrer.

— Eh bien me voilà, cher comte. — Soyez bienvenu. — Je suis arrivé depuis une heure. — De Dieppe? — Du Tréport. dit-il,

!

le

— Ah —

Et

c'est vrai.

!

ma

— C'est

première visite est pour vous.

charmant de votre part,

comme il eût — Eh bien

— Des étranger

dit toute !

vous demandez cela à moi

!

,

à

un

I

quand je demande quelles nouvelles, vous avez fait quelque chose pour moi? M'aviez-vous donc chargé de quelque commission'

demande

dit

Monte-Cristo

voyons, quelles nouvelles?

nouvelles

— Je m'entends je

dit

autre chose.

:

si

Monte-Cristo en jouant l'inquiétude.

— Allons, allons, rence.

On

qui traversent la

mon coup

dit Albert, ne simulez pas l'indifféy a des avertissements sympathiques distance eh bien au Tréport, j'ai reçu

dit qu'il

:

électrique

;

!

vous avez

,

sinon travaillé pour

moi, da moins pensé à moi.

— Cela

est possible

pensé à vous; mais

le

,

dit

Monte-Cristo.

J'ai

courant magnétique dont

en

effet

j'étais le

conducteur agissait, je l'avoue, indépendamment de volonté.

— Vraiment

!

Contez-Ca

cela. Je

vous

prie-

ma


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

136

— C'est — Je saii

facile,

M. D.inglars a diné chez moi.

bien, puisque c'est pour fuir sa préseuo*

le

que nous sommes

ma mère

partis,

et

moi.

— Mais a diné avec M. Andréa Cavalcanli. — Voire prmce italien? — N'exagérons pas. M. Andréa se donne seulement il

titre

le

de vicomte.

— Se donne, dites-vous? — Je dis se donne. — ne donc pas? :

l'est

11

— on

Ehl

le lui

le sais-je,

donne

;

moi

? Il

se le donne, je le lui

comme

n'est-ce pas

s'il

donne

l'avait?

— Homme étrange que vous Eh bien? — Eh bieni quoi? — M. Danglars a donc diné ici? — Oui. — Avec voire vicomte Andréa Cavalcanti? — Avec vicomte Andréa Cavalcanti, marquis son faites, allez!

le

le

père,

madame

Danglars, M.

madame de

cl

Villcfort,

gens charmants, M. Debray, Maximiiien Morrel, attendez donc

qui encore

des

et puis

ahl M. de Château-

Renaud.

— On a parlé de moi

— On n'en a pas — Tant — Pourquoi cela?

?

un mot.

dit

pis.

oublié,

on n'a

fait,

II

me

semble que

en agissant

ainsi,

si l'on vous a que ce que vous dé-

siriez?

— Mon cher comte,

si

l'on n'a point parlé

de moi, c'est

qu'on y pensait beaucoup, et alors je suis désespéré. "Jue vous importe, puisque mademoiselle Danglars

n'était point

au nombre de ceux qui y pensaient

U est vrai qu'elle pouvait y pen^^Hr chez

elle.

ici? Alàl


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Oh! quant

à cela, non, j'en suis sûr; ou

pensait, c'est certainement de la

pense à

137

même

si elle

y

façon que je

elle.

Touchante sympathie!

dit

le

comte. Alors vous

vous détestez?

Écoutez,

dit

Morcerf,

femsie à prendre en

était

souffre pas

pour

si

pitié

mademoiselle Danglars le

martyre que je

ne

à m'en récompenser en dehors

elle et

des conventions matrimoniales arrêtées entre nos deux familles, cela m'irait à merveille. Bref, je crois

que ma-

demoiselle Danglars serait une maîtresse charmante;

comme femme,

mais

— Ainsi,

diable...

Monte-Cristo en riant, voilà votre façon

dit

de penser sur votre future

— Oh

mon Dieu

!

!

oui

? ,

un peu

brutale

c'est vrai,

,

mais exacte du moins. Or, puisqu'on ne peut rêve une réalité

;

comme pour

arriver à

un

que mademoiselle Danglars devienne

faut

c'est-à-dire qu'elle vive avec moi, qu'elle

faire

de ce

certain but

il

ma femme,

pense près de

moi, qu'elle chante près de moi, qu'elle fasse des vers

musique à dix pas de moi,

ft

de

le

temps de

mon

la

et cela

pendant tout

ma vie, alors je m'épouvante. Une maîtresse,

cher comte, cela se quitte; mais une femme, peste

I

c'est autre chose, cela se garde éternellement, de près

ou de

loin c'est-à-dire. Or, c'est effrayant de garder tou-

jours mademoiselle Danglars, fût-ce

— Vous êtes — Oui car souvent

difficile,

,

môme

de

loin.

vicomte. je

pense à une chose impos-

sible. '

— A laquelle? — A trouver pour

moi une femme comme mon père

en a trouv*3 une pour Monte-Cristo

pâlit

lui.

et

regarda Albert en jouant ayeo


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

!38

des pistolets magnifiques dont

il

faisait

rapidement crier

les ressort.<=.

— Ainsi, votre père a été bien heureux? — Vous savez mon opinion sur ma mère, monsieur dit-il.

comte

:

un ange du

voyez-la encore belle, spiri-

flls,

que jamais. J'arrive du Tréehl mon Dieu accompagner

laclle toujours, meilleure

port

pour tout autre

;

mère

sa

moi,

j'ai

satisfait, si

serait

I

une complaisance ou une corvée

passé quatre jours en tôle à têle avec

mais

;

elle,

plus

plus reposé, plus poétique, vous le dirai-je, que

j'eusse

emmené au

Tréport la reine

Mab ou

— C'est une perfection désespérante, <*i

le

;

ciel

et

Titania.

vous donnez

tous ceux qui vous entendent de graves envies de res-

ter célibataires.

— Voilà justement, reprit Morcerf, pourquoi,

sachant

au monde une femme accomplie, je ne me soucie pas d'épouser mademoiselle Danglars. Avez-vous quelquefois remarqué comme notre égoïsme revêt de

qu'il existe

couleurs brillantes tout ce qui nous appartient ? Le dia-

mant qui chatoyait à la vitre de Marié ou de Fossin devient bien plus beau depuis qu'il est notre diamant; mais

si

l'évidence vous force à reconnaître qu'il en est

d'une eau plus pure, ter

et

que vous soyez condamné à por-

éternellement ce diamant inférieur à

prenez-vous

la

Mondain murmura

— Voilà

un

com-

autre,

souffrance ? le

I

pourquoi

comte.

je sauterai

de joie

ie

jour où

ma-

demoiselle Eugénie s'apercevra que je ne suis qu'un chctif atome, et

que

j'ai

à peine autant de cent mille

francs qu'elle a de millions.

Monte-Cristo sourit.

— J'avais bien pensé Franz airo"

les

à autre chose, continua Albert;

choses excentriques,

j'ai

voulu

'd

rendra


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. malgré

lui

iâ'J

amoureux de mademoiselle Danglars mais i ;

quatre lettres que je lui

ai écrites

dans le plus affriandant

des styles, Franz m'a imperturbablement répondu suis excentrique, c'est vrai

,

mon

mais

:

«Je

excentricité

ne

va pas jusqu'à reprendre ma parole quand je l'ai donnée.» Voilà ce que j'appelle le dévouement de TamitiéL donner à un autre la femme dont on ne voudrait soi-

même

qu'à

titre

de maîtresse.

Albert sourit.

— A propos,

continua-t-il,

il

arrive, ce cher

mais peu vous importe, vous ne l'aimez

Franz

;

pas, je crois ?

Moi! dit Monte-Cristo; eh! mon cher vicomte, où donc avez-vous vu que je n'aimais pas M. Franz? J'aime tout le

monde.

— Et je suis compris dans tout — Oh ne confondons pas ,

!

le

dit

monde... merci.

Monte-Cristo

:

j'aime

tout le monde à la manière dont Pieu nous ordonne d'aimer notre prochain, chrétiennement; mais je ne hais

ûien que de certaines personnes. Revenons à M. Franz d'Épinay.

Vous

dites

donc

— Oui, mandé par M.

qu'il

paraît,

de

qu'il arrive ?

de Villefort, aussi enragé, à ce

marier mademoiselle

Valentine que

M. Danglars est enragé de marier mademoiselle Eugénie. Décidément, il paraît que c'est un état des plus fatigants que celui de père de grandes

que cela leur donne

la fièvre,

et

filles;

il

me

semble

que leur pouls

bat

quatre- vingt- dix fois à la minute, jusqu'à ce qu'ils en soient débarrassés.

— Mais

M. d'Épinay ne vous ressemble pas,

prend son mal en patience. Mieux que cela, il le prend au sérieux

cravates blanches et paile déjà de sa famille.

pour

les Villefort

une grande considération.

;

11

il

lui;

il

met des

a au reste


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

140

— Méritée, n'est-ce pas? — Je crois. M. de Viliefort a toujours passé pof.r un le

homme ^évère, mais juste. — A la bonne heure, dit Monte-Cristo, en voilà un au moins que vous ne traitez pas comme ce pauvre M. Danglars.

— Cela

tient peut-être à ce

d'épouser sa

— En

ûlle,

vérité,

Vous ôtes d'une

que je ne suis pas forcé

répondit Albert en riant.

mon

cher Monsieur, dit Monte Cristo,

fatuité révoltante.

— Moi — Oui, vous. Prenez donc un cigare. — Bien volontiers. Et pourquoi suis-je fat? — Mais parce que vous êtes à vous défendre, à vous ?

débattre d'épouser mademoiselle

Dieu! laissez aller les choses,

vous qui

Danglars.

et ce n'est

Eh

f

mon

peut être pas

retirerez votre parole le premier.

— Bah! St Albert avec de grands yeux. — Ehl sans doute, monsieur le vicomte, mettra pas de force

le

cou dans

les

portes,

on ne vous que diable I

Voyons, sérieusement, reprit Monte-Cristo en changeant d'intonation, avez-vous envie de rompre?

— Je donnerais cent mille francs pour cela. — Eh bien soyez heureux M. Danglars est prêt à es !

donner

le

:

double pour atteindre au

— Est-ce bien

vrai, ce

môme

bonheur-là?

dit

but.

Albert, qui ce-

pendant en disant cela ne put empêcher qu'un imper nuage passât sur son front. Mais, mon cher comte, M. Danglars a donc des raisons ? cepiible

— Ah!

U

te

voilà bien, nature orgueilleuse et égoïs'e

bonne heure,

je retrouve

Tamour-iiropre d'autrui à coups de hache,

quand on troue

le

sien aver.

I

à

l'homme qui veut trouer

une

aitjuille.

et

qui

crie


— Non

!

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

t41

me semble que M.

Danglars..,

mais

— Devai* bien

I

c'est qu'il

M. Daiîglars est un

convenu,

et

de vous

être enchanté

homme

est encore plus

il

— De qui donc — Je ne sais pas, moi

n'est-ce pas

,

de mauvais goût,

?

Eh

(^'est

enchanté d'rn autre...

?

;

étudiez, regardez, saisissez les

allusions à leur passage, et faites-en votre profit.

— Bon, je comprends; ma mère, an

je

me

écoutez,

mon père

trompe,

ma

mère... non! pas

a eu l'idée de donner

bal.

— Un bai Cans ce moment-ci de l'année — Les bals d'été sont à mode. — n'y seraient pas, que comtesse n'aurait qu'à ?

la

la

Ils

vouloir, elle les y mettrait.

— Pas

mal; vous comprenez, ce sont des bals pur

sang; ceux qui restent à Paris dans

le

mois de

juillet

sont de vrais Parisiens. Voulez-vous vous charger d'une

pour

invitation

MM.

Cavalcanti?

— Dans combien de jours a lieu votre bal? — Samedi. — M. Cavalcanti père sera parti.

— Mais M.

Cavalcanti

fils

demeure. Voulez-vous vous

charger d'amener M. Cavalcanti

fils ?

— Écoutez, vicomte, je ne connais pas. — Vous ne connaissez pas — Non je vu pour première y a le

?

le

;

la

l'ai

fois

il

trois

ou

quatre jours, et je n'en réponds en rien.

— Mais vous le recevez bien, vous

— Moi,

c'est autre

un brave ahbe

qui peut

il

m'a

vitez-le directement, à merveille, df,

vous

le

présenter;

!

recommandé par lui-même avoir été trompé. In-

chose;

s'il

allait

été

mais ne

me

dites pas

plus tard épouser made-

moiselle Danglars, vous m'ao-îuseriez de

manège,

et


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

14?

vous voudriez vous couper ne sais pas

si j irai

la

gorge avec moi; d'ailleurs,

moi-même.

— vJÙ? — A votre bal. — Pourquoi n'y viendrez-vous point? — D'abord

parce que vous ne m'avez pas encore in-

rité.

— Je viens exprès pour vous

apporter votre invitation

moi-même.

— Oh!

c'est trop

charmant; mais je puis en

em-

être

pêché.

— Quand je vous aurai aimable pour nous —

dit

sacrifier

une chose, vous serez assez tous les empêchements.

Dites.

— Ma mère vous en prie. — Madame comtesse de la

Morcerf?

Monte-

reprit

Crisio en tressaillant.

Ah! comte, dit Albert, je vous préviens que madame de Morcerf cause librement avec moi et si vous n'avez pas senti craquer en vous ces fibres sympathiques dont je vous parlais tout à l'heure, c'est que ces fibros-lÎL vous manquent complètement car pendant ;

,

quatre jours nous n'avons parlé que de vous.

— De moi? En vérité vous me comblez — Écoutez, c'est privilège de votre emploi 1

le

on est -

— Ali!

iière? je

je suis

En

livrer à

quand

donc aussi un problème pour votre

vérité, je l'aurais crue trop raisonnable

pour

de pareils écarts d'imagination!

— Problème, pour

:

un problème vivant.

mon cher comte problème pour tous, ma mère comme pour les autres; problèuie accepté, ,

mai,> non deviné, vous demeurez toujours à l'état d'énigme rassurez-vous. Ma mère seulement demande lou;


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. jriurs

comment il

se

que vous soyez

fait

qu'au fond, tandis que

si

143

jeune. Je crois

comtesse G... vous prend pour

la

Ruthwen, ma mère vous prend pour Cagliostro on comte de Saint-Germain. La premièie fois que vous

lord lo

viendrez voir

madame

cette opinion. Cela

de Morcerf, confirmez-la dans

ne \ous sera pas

difficile,

vous avez

philosophale de l'un et l'esprit de l'autre-

la pi<îrre

— Je vous remercie de m'avoir prévenu, en souriant,

je tâcherai de

me

dit le

comte

mettre en mesure de faire

face à toutes les suppositions.

— Ainsi vous viendrez samedi — Puisque madame de Morcerf m'en — Vous êtes charmant. ?

— EtM. Danglars? — Oh a déjà reçu il

1

s'en est chargé.

prie.

la triple invitation

Nous lâcherons aussi

;

mon

père

d'avoir le grand

d'Aguessau, M. de Villefort; mais on en désespère.

— ne faut jamais désespérer de rien, proverbe. — Dansez-vous, cher comte? — Moi? — Oui, vous. Qu'y aurait-il d'étonnant à ce que vous dit le

Il

dansassiez

— Ah taine...

Et

?

effet, tant qu'on n'a pas franchi la quaranNon, je ne danse pas; mais j'aime à voir danser. 1

en

madame

de Morcerf, danse-t-elle

?

— Jamais, non plus; vous causerez, de causer avec vous

elle

a tant envie

!

— Vraiment — Parole d'honneur ?

le

premier

homme

1

et je

vous déclare que vous êtes

pour lequel

ma mère

ait

manifesté

cette curiosité.

Albert prit son chapeau et se leva duisit jusqu'à la porta.

;

le

comte

le rc-con*


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Je me

fais

ua reproche,

dii-il,

en l'arrêtant

auhau

du perron.

Lequel?

— J'ai

été indiscret, je

ne devais pas voui parler

di

M. Dauglars.

— Au contraire,

parlez-m'en encore, panez-m'en sou-

vent, parlez-m'en toujours; mais de la

— Bien

I

vous

me

rassurez.

A

même

façon.

propos, quand arriv«

M. d'Épinay?

— Mais dans cinq ou six jours au plus — Et quand se marie-t-il — Aussitôt de M. de madame

tard.

?

l'arrivée

et

de Saint-

Méran.

— Amenez-le-moi donc quand vous prétendiez que

que

je serai

je

heureux de

il

sera a Paris. Quoique

ne l'aime pas, je vous déclare le voir.

— Bien, vos ordres seront exécutés, seigneur. — Au revoir — A samedi, en tous cas, bien sûr, n'est-ce pas? — Comment donc c'est parole donnée. I

I

Le comte suivit des yeux Albert en main. Puis, quand

il

fut

le saluant

de

remonté dans son phaéton,

retourna, et Irouvani liertuccio derrière lui

il

la

se

:

— Eh bien? demanda-t-il. — Elle est allée au Palais, répondit l'intendant— Elle y est restée longtemps ?

— Une heure demie. — Et est rentrée chez et

elle

— —

Eh bien mon cher monsieur Bertuccio, maintenant un conseil à vous donner, I

^i j'ai ^Toir

elle ?

Directement.

en Normandie

terre dont je

vous

si

ai

vous ne trouverez pas oarlé.

dit le coini«

c'est d'.illôi

cette p

,,te


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Bertucrio salua,

et,

145

comme

ses désirs étaieni en parfaite harmonie avec l'ordre qu'il avait reçu, U partit 19

même.

soir

XII LES INFORMATIONS

M. de

Villeforl tint parole à

madame

Danglars,

sur-

et

lui-même, en cherchant à savoir de quelle façon comte de Monte-Cristo avait pu apprendre l'his-

tout à

M.

le

toire

n

de la maison d'Auteuil. écrivit le

même jour à un

certain

M. de Boville, qui,

après avoir

'été autrefois

été attaclif

dans un grade supérieur, à

reté,

,

pour avoir

les

inspef'tpur des

prisons la police

,

avait

de sû-

renseignements

qu'il désirait, et cejours pour savoir au juste près de qu; l'on pourrait se renseigner. lui-

d demanda deux

Les deux jours expirés, M. de Villefort reçut suivante

la

note

:

La personne que

l'on appelle M, le comte de Monteconnue particulièrement de lord Wilmore, riche étranger, que l'on voit quelquefois à Paris et qui «

Cristo est

s'y trouve en ce moment; il est connu également de l'abbé Busoni, prêtre sicilien d'une grande réputation en Orient, où il a fait beaucoup àe bonnes œuvres. »

M. de Villefort répondit par un ordre de prendre sur ces deux étrangers les informations les plus promptes et les plus précises le lendemain soir, ses ordres étaient exécutés, et voici les renseignements qu'il recevait ;

:

L'abbé, qui n'était que pour un mois à Paris, babitaii, TOME fV. 9


LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

44b

derrière Saint-Sulpice, seul '^tage

une

petite

maison composée d'un

au-dessus d'un rez-de-chaussée

ces, oeiix pujces en haut bm le logement, dont il

et

l'unique locataire.

était

se composaient d'une salle à

Les deux pièces d'en bas

manger avec table, chaises

quatre piè-

;

deux pièces en bas, formaient

et buffet

en noyer,

et

d'un sa-

tapis et lon boisé peint en blanc, sans ornements, sans pendule. On voyait que, pour lui-même, Tabbé se

sans

bornait Il

aux

objets de stricte nécessité.

que l'abbé

est vrai

du premier. Ce

habitait de préférence le salon

meublé de

salon, tout

livres

de théologie

voyait s'enseet de parchemins, au milieu desquels on le velir, disait son valet de chambre, pendant des mois entiers, était

en

réalité

moins un salon qu'une bibliothèque.

Ce valet regardait de guichet,

et

les visiteurs

au travers d'une

sorte

lorsque leur figure lui était inconnue ou

ne lui plaisait pas, il répondait que M. l'abbé n'était point à Paris, ce dont beaucoup se contentaient, sachant que l'abbé voyageait souvent et restait quelquefois fort long-

temps en voyage. au logis ou qu'il n'y fût pas, qu'il se ou au Caire, l'abbé donnait toujours, et le guichet servait de tour aux aumônes que le valet distribuait incessamment au nom de son maître.

Au

reste, qu'il fût

trouvât à Paris

L'autre chambre, située près de la bibliothèque, était une chambre à coucher. Un lit sans rideaux, quatre fauteuils et

un canapé de velours d'Utrecht jaune, formaient

avec un prie-Dieu tout son ameublement. Quant à lord Wibnore il demeurait rue Fontaine,

Saint-Georges. C'était

mangent toute

un de

leur fortune

ces Anglais touristes qui

en voyages.

Il

i'appartenient qu'il habitait, dans lequel

seulement de deux ou

trois

louait

il

en garni

venait passer

heures oar jour,

et

il

ne


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. couchait que rarement.

Une de

manies

ses

147

de ne

était

vouloir pas absolument parler la langue française, quil écrivait cependant, assurait-on, avec

une assez grande

pureté.

Le lendemain du jour où ces précieux renseignements parvenus à M. le procureur du roi un homme,

étaient

,

qui descendait de voiture au coin de la rue Pérou, vint frapper à une porte peinte en vert olive et

demanda l'abbë

Busoni.

— M. l'abbé est dès matin, répondit valet. — Je pourrais ne pas me contenter de cette réponse, sorti

dit le visiteur, car je

le

viens de

le

la part

d'une personne pour

laquelle on est toujours chez soi. Mais veuillez remettre

à l'abbé Busoni...

— Je vous déjà qu'il n'y pas, répéta valet. — Alors quand sera rentré, remettez-lui cette carie ai

dit

était

le

il

et ce papier cacheté.

— Oh

Ce

soir, à huit

heures, M. l'abbé

chez lui ?

sera-t-il

sans faute. Monsieur, à moins que M. l'abbé ne

I

travaille, et alors c'est

comme

s'il

était sorti.

— Je reviendrai donc ce soir à l'heure convenue, reprit le visiteur.

Et

En dans

il

se retira.

effet,

la

à l'heure indiquée

même voiture,

le

même hommo

au coin de la rue Pérou, s'arrêta devant Il frappa, on lui ouvrit, et il entra.

Aux vers

revint

qui cette fois, au lieu de s'arrêter la

porte verte.

signes de respect dont le valet fut prodigue ea-

lui,

il

comprit que sa

— M. l'abbé est chez lui

— Oui,

il

travaille

lettre avait fait l'effet désiré. ?

demanda-t-il.

dans sa bibliothèque mais ;

il

attend

MoLiieur, répondit le serviteur. L'étranger

monta un

escalier

assez rude,

et,

devant


LE COMTE DE MONTE-CRISfO.

<48

une

table dont la superflcie était inondée de la lumière

que concentrait un vaste de rappari«ment

était

que

abal-jou./, tandis

dans l'ombre,

il

reste

le

aperçut l'abbé, en

habit ecclésiastique, la tête couverte de ces coqueluchons

sous lesquels s'ensevelissait

crâne des savants en us

le

du moyen âge.

— C'est à .donsieur Busonique ler?

demanda

j'ah

l'honneur de par-

le visiteur.

— Oui, Monsieur, répondit l'abbé, et vous êtes

la per-

sonne que M. de 60 ville, ancien intendant des prisons, m'envoie de

la part

de M.

le préfet

de police?

— Justement, Monsieur. — Un des agents préposés à sûreté de Paris? — Oui, Monsieur, répondit l'étranger avec une espèce la

d'hésitation, et surtout

un peu de rougeur.

L'abbé rajusta les grandes lunettes qui

non-seulement rasseyant,

fit

les

couvraient

lui

yeux, mais encore les tempes,

et,

se

signe au visiteur de s'asseoir à son tour.

— Je vous écoute. Monsieur, dit l'abbé avec un accent italien

des plus prononcés.

— La

mission dont je

prit le visiteur

comme

si

me

elles avaient

peine à

de confiance pour celui qui

daquel on

suis chargé, Monsieur, re-

en pesant sur chacune de ses paroles sortir,

une mission

est

remplit et pour celui près

la

la remplit.

L'abbé s'inclina.

— Oui

,

J'abbé, est

reprit si

l'étranger,

connue de M.

savoir de vous,

comme

votre

le préfet

,

monsieur qu'il

veul

magistral, une chose qui inté-

resse cette sûreté publique au suis député.

probité

de police,

nom

de laquelle

Nous espérons donc, monsieur

n'y aura ni liens d'amitié ni considération

je

vous

l'abbé, qu'il

humaine qui

puisse vous engager à déguiser la vérité à la justice.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Poun^u, Monsieur, que

U9

choses qu'il vous im-

les

aux scrupules de ma

porte de savoir ne touchent en rien

conscience. Je suis prêtre, Monsieur, et les secrets de la

confession, par exemple, doivent rester entre

la

justice de Dieu, et

non entre moi

moi

et la justice

et

hu-

maine.

— Oh!

soyez tranquille, monsieur l'abbé,

ger, dans tous les cas

dit l'étran-

nous mettrons votre conscience

à

couvert.

A

ces mots l'abbé, en pesant de son côté sur l'abat-

jour, leva ce

même

du

abat-jour

que, tout en éclairant en plein

le

côté opposé, de sorte

visage de l'étranger,

le

sien restait toujours dans l'ombre.

— Pardon, monsieur l'abbé, fet

la

dit

de pc lice, mais cette lumière

l'envoyé de M. le pré-

me

fatigue horriblement

vue. L'abbé baissa le carton vert.

— Maintenant, Monsieur, je vous écoute, — J'arrive au Vous connaissez M. fait.

parlez. le

comte de

Monte-Cristo?

— Vous voulez parler de M. Zaccone, je présume? — Zaccone Ne s'appelle-t-il donc pas Monte-Cristo? — Monte-Cristo est un nom de terre, ou plutôt un !...

nom

de rocher, et non pas un

Eh

nom

de famille.

bien, soit; ne discutons pas sur les mots,

puisque M. de Monte-Cristo

et

M. Zaccone

c'est le

homme...

— —

Absolument

le

même.

Parlons de M. Zaccone.

Soit.

Je vous demandais

— Beaucoup. — Qu'esl-il?

si

vous

le

connaissiez

el

même


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

150

— C'est — Oui, je

d'un riche armateur de Malte.

le fils

vous

le

quand

monde

tout le

la police

comme

ne peut pas se contenter

dit.

— Cependant, fable,

bien, c'est ce qu'on dit; mais,

comprenez,

le

d'un on

le sais

reprit l'abbé

a'S'Bc

cet on dit est la vérité,

s'en contente

,

que

et

un il

sourire tout af-

faut bien

que tout

la police fasse

comme

monde.

— Mais vous êtes sûr de ce que vous dites? — Comment j'en suis sûr! — Remarquez, Monsieur, que jb ne suspecte en auI

si

cune façon votre bonne

foi.

Je

vous

dis

— Écoutez, connu M. Zaccone — Ah! ah! — Oui, et tout enfant joué dix

le

j'ai

j'ai

dans

les chantiers

:

Êtes-vous sûr?

père.

fois

avec sont

fils

de construction.

— Mais cependant ce

titre

de comte?

— Vous savez, cela s'achète. — En — Partout. — Mais ces richesses qui sont Italie ?

immenses à ce qu'on

dit toujours...

— Ohl le

quant à cela, répondit l'abbé, immense,

c'est

mot.

— Combien

croyez-vous

qu'il

possède, vous qui

le

connaissez.

Oh

!

il

a bien cent cinquante à deux cent mille

livres de rente.

— Ah

!

voilà qui est raisonnable, dit le visiteur, mais

on parle de

trois,

de quatre millions

!

Deuîv cent mille livres de rente, Monsieur, font

juste quatre millions de capital.

—Mais on

parlait de trois

ou auatre millions de ente ;

\


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

iBi

— Ohl cela n'est pas croyable. — Et vous connaissez son de Monte-(Msto? île

Certainement; tout

larme, de Naples ou de

homme qui est venu Rome en France, par

connaît, puisqu'il est passé à côté d'elle et

l'a

de Pa-

mer,

la

vue en

passant.

— C'est un séjour enchanteur, — C'est un rocher.

— Et pourquoi donc comte — Justement pour être comte. le

à ce que l'on assure.

a-t-il

acheté

un rocher?

Itahe,

pour être

En

comte, on a encore besoin d'un comté.

— Vous avez sans doute entendu parler des aventures de jeunesse de M. Zaccone.

— Le père? — Non, — Ahl voici

le fils.

voici

j'ai

où commencent m«s incertitudes, mon jeune camarade de vue.

car

perdu

— a guerre? — Je crois a servi. — Dans quelle arme? — Dans marine. Il

fait la

qu'il

la

— Voyons, vous n'êtes pas son confesseur? — Non, Monsieur; luthérien. je le crois

— Comment, luthérien? — Je dis que je crois; je n'affirme pas. D'ailleurs, Je croyais la liberté des cultes établie en France.

— Sans

doute, aussi n'est-ce point de ses croyances

que nous nous occupons en ce moment, c'est de ses actions au nom de M- le préfet de police, je vous somme de dire ce que vous en savez. Il passe pour un homme fort charititle. Notre saiaîpère le pape l'a fait chevalier du Ch/ist, faveur qu'il ;

n'accorde guère qu'aux irinces, pour les services émi-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

152

nents qu'il a rendus aux chrétiens d'Orient;

il

a cinq ou

grands cordons conquis par des services rendus ainsi

six

aux princes ou aux

Et

il

États.

les porte?

— Ncn, mais

en est

il

fier;

il

dit qu'il

aime mieux

les

récompenses accordées aux bienfaiteurs de l'humanité

que

celles accordées

aux destructeurs des hommes.

— C'est donc un quaker que cet homme-là? — Justement, grand chaun quaker, moins c'est

peau

et l'habit

le

marron, bien entendu.

— Lui connait-on des amis? — Oui, car a pour amis il

tous

ceux qui

le

con-

naissent.

— Mais enfin, — Un seul. — Comment

le

a bien quelque ennemi 1

il

nommez- vous?

Loid Wilraore.

-—

A

est-il?

moment même,

Paris dans ce

— Et peut me donner des renseignements? — Précieux. dans l'Inde en même temps que il

était

11

Zaccone.

— Savez-vous où demeure? — Quelque part dans la Chaussée-d'Antin; il

gnore

rue

la

et le

— Vous êtes mal avec cet — J'aime Zaccone et lui

nous sommes en

à cause de cela.

Monsieur l'abbé, pen.sez-vous que

Monte-Cristo qu'il vient

j'i-

Anglais?

le déteste;

froid

mais

numéro.

/\li

I

soit

le

jamais vena en France avant

comte de le

voyage

de faire à Paris'/

pour cpla, je puis vous repondre pertinemment.

Non, Monsieur,

il

n'y

^M

iamais venu, ouisqu'il c'est


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. adressé à moi,

ments

11

y a six mois, pour avoir

renseigne-

De mon côté, comme j'ignorais a serais moi-même de retour à Paris, je

qu'il désirait.

quelle époque je

hC

les

133

adressé M. Cavalcanti.

*i

Andréa?

«

Non; Barlolcmeo,

'i^

le père.

Très-bien, Monsieur; je n'ai plus à tous demander

qu'une chose,

et je

vous somme, au nom de l'honneur

de l'humanité et de la religion, de

me

répondre sans dé-

tour.

— Dites,

Monsieur.

Savez-vous dans quel but M.

Cristo a acheté

le

comte de Mont»

une maison à Auteuil?

— Certainement,

car

il

me

l'a dit.

— Dans quel but. Monsieur ? — Dans celui d'en faire un hospice genre de celui fondé par

le

d'aliénés dans le

baron de Pisani, à Palerme.

Connaissez-vous cet hospice?

— De réputation, oui. Monsieur. — C'est une institution magnifique. Et là-dessus, l'abbé salua l'étranger en

homme

qui

désire faire comprendre qu'il ne serait pas fâché de se

remettre au travail interrompu.

Le

visiteur, soit qu'il comprît le désir de l'abbé, soit

qu'il fût

L'abbé

au bout de

le reconduisit

— Vous

faites

ses questions, se leva à son tour.

jusqu'à

la porte.

de riches aumônes,

dit le visiteur, et

quoiqu'on vous dise riche, j'oserai vous

offrir

quelque

chose pour vos pauvres; de votre côté, daignerez -vous accepter

mon

— Merci,

offrande?

Monsieur,

je sois jaloux

vienne de moi

il

au monde-

n'y a qu'une seule chose dont c'est

que

le bien

que

je fais


1B4

COMTE

LIT

Dî-

MONTE-CRISTO.

— Mais cependaul... — C'est une résolution invariable. Mais cherchez, Monvous trouverez

«ienr, et

l:omme

riche,

il

:

hélas sur le chemin de chaque I

y a Dien des misères à coudoyei

— L'ahbé salua une dernière

fois

en ouvrant

I

la porte,

l'itranger salua à son tour et sortit.

La voiture le conduisit droit chez M. de Villefort. Une heure après, la voiture sortit de nouveau,

e\

cette fois se dirigea vers la rue Fonlaine-Saint-Georges.

Au n"

que demeurait lord Wil-

5, elle s'arrêta. C'était là

innre.

L'étranger avait écrit à lord

mander un rendez-vous que heures. Aussi,

[lonctualité

Wilmore, qui

lord

n'étitit

était

l'exactitude et la

pas encore rentré, mais

pour sûr à dix heures sonnantes.

visiteur attendit dans le salon.

Le

de-

l'envoyé de M. le préfet de police moins dix minutes, lui fut-il ré-

en personne,

qu'il rentrerait

lui

comme

arriva à dix heures

pondu que

Wilmore pour

celui-ci avait fixé à dix

de remarquable

et était

comme

Ce salon

n'avait rien

tous les salons d'hôtel

garni.

Une cheminée avec deux vases de Sèvres modernes, une pendule avec un Amour tendant son arc, une glace en deux morceaux; de chaque côté de celte Homère

glace une gravure représentant, l'une

portant

son guide, l'autre Bélisaire demandant l'aumône; un pa pier gris sur gris,

noir 11

;

tel était le

ciaii

un meuble en drap rouge imprimé ae

salon de lord Wilmore.

éclairé par des globus du verre dépoli qui

ne

répandaient qu'une faible lumière, laquelle semblait mé-

nagée exprès pour

les

yeux fatigués de l'envoyé de M.

le

piéfet de police.

Au

bout de dix minutes d'attente,

la

pendule sonna


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. dix heures

au cinquième coup,

;

Wiimore parut. Lord Wiimore

un homme

était

avec der favoris rares

et

veux Dlonds grisonnants.

roux, 11

était

plutôt grand que petit,

blanc

le teint

tait

en 181

1

nankin de

et à

un

;

trois

un

étoffe

che-

habit bleu à

comme on

,

les por-

un pantalon de mais que des sous

de casimir blanc

pouces trop court,

même

pieds de

haut collet piqué

gilet

et les

vêtu avec toute l'exceo-

tricité anglaise, c'est-à-dire qu'il portait

boutons d'or

155

la porte, s'ouvrit, et lord

et

empêchaienl de remonter jus-

qu'aux genoux»

Son premier mot en entrant fut Vous savez, Monsieur, que je ne parle pas français. Je sais, du moins, que vous n'aimez pas a parler :

notre langue

,

répondit l'envoyé de M. le préfet de po-

lice.

— Mais vous pouvez more?

car, si je

ne

— Et moi, reprit

la parler,

vous, reprit lord Wii-

la parle pas, je la

le visiteur

comprends.

en changeant d'idiome,

je

parle assez facilement l'anglais pour soutenir la conver-

sation dans cette langue.

Ne vous gênez donc

pas.

Mon

sieur.

— Hao

!

lord

fit

Wiimore avec

cette intonation qui

n'appartient qu'aux naturels les plus purs de la Grande-

Bretagne.

L'envoyé du préfet de police présenta à lord Wiimore sa lettre d'introduction. Celui-ci la lut avec tout anglican

;

un flegme

puis, lorsqu'il eut terminé sa lecture

— Je comprend*, ûii-U en anglais

;

je

comprends

:

Irè»-

bien.

Alors commencèrent les interrogations. Elles furent à

avaieHtété

peu près

adre:i^sées

les

mêmes que celles quJ comme lord

à l'abbé Busoni. Mais


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

156

Wilmore, en sa qualité d'ennemi du comte de Monte-

même

Crisio, n'y metlait pas la

furent

retenue que l'abbé, elles

beaucoup plus étendues;

il

raconta

la

jeunesse de

Monte-Cristo, qui, selon 'ui,

était,

à l'âge de dix ans,

au service d'un de ces

petits

souverains de l'Inde

entré

aux Anglais;

qui font la guerre

Wilmore, rencontré pour

c'est là qu'il l'avait, lui

première fois,

la

et

qu'ils

avaient combattu l'un contre l'autre. Dans cette guerre,

Zaccone avait été

prisonnier, avait été envoyé eu

fait

Angleterre, rais sur les pontons, d'où

commencé

nage. Alors avaient

s'était

il

enfui à

la

ses voyages, ses duels,

ses passions; alors était arrivée l'insurrection do Grèce, et

il

avait servi dans les rangs des Grecs. Tandis qu'il

était

à leur service,

dans

les

avait découvert

il

montagnes de

une mine d'argent

Thessalie, mais

la

il

s'était

bien

gardé de parler de cette découverte à personne. Après Navarin, et lorsque

le

gouvernement grec

demanda au roi Othon un celte mine ce privilège lui lune immense qui pouvait, il

;

à

un ou deux

pouvait

— est

Mais,

fut accordé.

à coup,

demanda

le

De

là celte for-

selon lord Wilmore, monter

millions de revenu

tarir tout

fut consolidé,

privilège d'exploitation pour

si la

,

fortune qui, néanmoins,

mine elle-même

visiteur,

tarissait.

savez-vous pourquoi

il

venu en France?

Il

veut spéculer sur

Wilmore

;

et pois,

comme

les il

cien non moins distingué,

télégraphe dont

il

— Icrd Il

fer,

dit lord

il

a découvert

un nouveau

poursuit l'application.

— Combien dèpense-t-il renvoyé de M.

chemins de

est chimiste habile et physi-

le préfet

à [leu près par

an? demanda

de police.

Ohl cinq ou six cent mille francs, tout au plus,

Wilmore; était

il

dit

est avare.

évident auc

la

haine faisait parler l'Anglais, et


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

157

que, ne sachant quelle chose reprocher au comte,

il

lui

reprochait son avarice.

— Savez-vous quelque chose de sa maison d'Auteuil? — certainement. — Eh bieni qu'en savez-vous? Oui-,

— Vous

demandez dans quel but

— Oui. — Eh bien

I

le

comte

y a à Auteuil, dans

les

achetée?

l'a

un spéculateur qui se

est

nera certainement en essais qu'il

il

et

en utopies

environs de

la

:

il

rui-

prétend

maison

qu'il

un courant d'eau minérale qui peut rivaliser avec les eaux de Bagnères, de Luchon et de Cauterets. Il veut faire de son acquisition un bad-haus, comme disent les Allemands. Il a déjà deux ou trois fois retourné tout son jardin pour retrouver le fameux cours d'eau et comme il n'a pas pu le découvrir, vous allez le voir, d'ici à peu de temps, acheter les maisons vient d'acquérir,

;

qui environnent la sienne. Or, j'espère

comme

que dans son chemin de

je lui en veux,

dans son télégraphe

fer,

ou dans son exploitation de bains,

électrique

il

va se

ruiner; je le suis pour jouir de sa déconfiture, qui ne

peut manquer d'arriver un jour ou l'autre.

Et pourquoi lui en voulez -vous?

demanda

le visi-

teur.

— Je

lui

en veux, répondit lord Wilmore, parce qu'en

passant en Angleterre

il

a séduit

la

femme d'un de mes

amis.

— Mais

si

vous

lui

en voulez, pourquoi ne cherchez-

vous pas à vous venger de lui?

— Je me suis déjà battu l'Anglais

çée

;

la

— Et

:

la

première

fois

trois fois

au

troisième à l'espadon. le résultat

avec

pistolet; la

de ces duels a été?.

le

comte,

seconde à

dit

l'é-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ins

— La première fois,

fois,

m'a traversé

il

L'Anglais rabattit

jusqu'aux

un

oreilles, et la date

geur indiquait

— De sorte que je

bras; la seconde

— Mais,

m'a

il

!

de chemise qui

fit

lui

montait

cicatrice dont la rou-

peu ancienne, en veux beaucoup, répéta l'An-

lui

ma

main.

l'envoyé de la préfecture, vous ne prenez

dit

chemin de

— Uâo

col

montra une

ne mourra, bien sur, que de

glais, et qu'il

le

le

el la troisième,

blessure.

fait cette

pas

m'a cassé

il

pouinou;

le

ce

le tuer,

me

semble.

l'Anglais, tous les jours je vais

au

et

tir,

tous les deux jours Grisier vient chez moi. C'était ce tait

tout ce

que voulait savoir que

le visiteur,

ou plutôt

c'é-

paraissait savoir l'Anglais. L'agent se

Wilmore, qui

leva donc, et, après avoir salué lord

répondit avec la roideur et la politesse anglaises

,

lui

se

il

retira.

De sou

Wilmore, après avoir entendu se

côté, lord

fermer sur lui

la

à coucher, où, en

re-

porte de la rue, rentra dans sa chambre

un

tour de main,

il

perdit ses

cheveux

blonds, ses favoris roux, sa fausse mâchoire et sa cicaet

de son côté, ce fut M. de Villefort,

et

les dents de perles 11

est vrai que,

les

noirs, le teint

du comte de Monte-Cristo.

non l'envoyé de M. M. de

cheveux

mat

pour retrouver

trice,

le préfet

de police, qui rentra chez

Villefort.

Le procureur du

roi était

un peu

double visite, qui, au reste, ne

tranquillisé par cette

lui avait rien appris

de

rassurant, mais qui ne lui avait rien appris non plus

d inquiétant. puis

le

11

en résulta que, poui

dîner d'xVuteuil,

quelque

tranquillité.

il

la

première

fois

de-

dormit la nuit .suivante avec


159

LE COMTE D2 MONTE-CRISTO.

XTFT LE BAL,

On en

était arrivé

aux plus chaudes journées de

juil-

dans l'ordre let, lorsque vint se présenter à son tour, bai de M, de le lieu avoir devait où samedi ce des temps, Morcerf. Il

était

dix heures du soir

din de l'hôtel

:

les grands arbres

du jar-

du comte se détachaient en vigueur sur un

découvrant une tenture d'azur parsemée d'étoiles d'or, les dernières vapeurs d'un orage qui

ciel

glissaient,

menaçant toute

avait grondé

la journée.

du rez-de-chaussée on entendait bruire

la

Dans les salles musique et tourbillonner

la valse

et le galop, tandis

tranque des bandes éclatantes de lumière passaient chantes à travers les ouvertures des persiennes. dizaine de jardin était livré en ce moment à une

Le

rassurée par serviteurs, à qui la maltresse de la maison, venait de plus en plus de , rassérénait se

le

temps qui

donner

l'ordre

de dresser

Jusque-là on

le

avait hésité

souper. si

a manger ou sous une longue la pelouse. Ce beau ciel bleu,

nait de décider le procès

l'on souperaii dans la salle

tente de coutil dressée sur tout

parsemé

en faveur de

d'étoiles, ve-

de

la tente et

la

pelouse.

On

illuminait les allées

de couleur,

comme

du jardin avec des lanternes

c'est l'hahUude en

Italie, et l'on

sur-

table du souper, chargeait de bougies et de fleurs la où l'on comprend pays les tous dans l'usage comme c'est


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

160

M luxe de la table,

on peu

quand on veut

le

plus rare de tous les luxes,

rencontrer complet.

Je

Au moment où

la

comtesse de Morcerf rentrait dans

ses salons, après avoir donné ses derniers orares, les salons commençaient à se remplir d'invités qu'attirait la

charmante hospitalité de sitiou distinguée

comtesse, bien plus que

la

du comte

la po-

car on était sûr d'avance qui

;

celte fête offrirait, grâce au bon goût de Mercedes, quelques détails dignes d'être racontés ou copiés au besoin. xMadame Danglars, à qui les événements que nous avons racontés avaient inspiré une profonde inquiétude, hésitait à aller chez madame de Morcerf, lorsque dans là matinée sa voiture avait croisé celle de Villefort.

Ville-

avait

fort lui

fait

un

signe, les

deux voitures

rapprochées, et à travers les portières

— Vous allez chez madame avait

demandé

le

s'étaient

:

de Morcerf, n'est-ce pas

procureur du

?

roi.

Non, avait répondu madame Danglars, je suis trop

souffrante.

— Vous avez

tort, reprit Villefort

avec un regard que l'on vous y vît. Ahl croyez-vous? demanda la baronne.

gniflcaiif ;

il

st

serait important

— — Je crois. — En ce cas, le

j'irai.

Et les deux voitures avaient repris leur course divergente. Madame Danglars était donc venue, non-seulement belle de sa propre beauté, mais encore éblouissante de luxe; elle entrait par une porte

au moment même où

Mercedes entrait par l'autre. La comtesse détacha Albert Danglars; Albert s'avança, lette,

les

au-devant de

madame

à la baronne, sur sa toicompliments mérités, et lui prit le bra^ fit

pour

la

conduire à

la place qu'il lui plairait

de choisir.


LE COMIE DE MONTE-CRISTO.

161

Albert regarda autour de lui.

— —

Vous cherchez

ma fille ?

Je l'avoue,

Albert

dit

de ne pas nous l'amener

— Rassurez-vous Villefort et a pris

,

dit

en souriant

auriez-vous eu

;

baronne.

la la

cruauté

?

rencontré mademoisehe de

elle a

son bras

;

tenez, les voici qui ncus sui-

vent toutes les deux en robes blanches, l'une avec un

bouquet de camélias,

l'autre

avec un bouquet de myo-

mais di-tes-moi donc?...

sotis;

Que cherchez-vous à

votre tour?

demanda Albert

en souriant.

Est-ce que

Monte-Cristo

vou3 n'aurez pas ce

soir le

comte de

?

— Dix-sept répondit Albert. — Que voulez-vous dire — Je veux dire que cela va bien, reprit I

?

que vous

riant, et

même question; mon compliment...

fait la

fais

le

vicomte en

êtes la dix-septième personne qui

— Et répondez- vous — Ahl c'est vrai, je

il

va bien

à tout

le

ne vous

le comte!... je lui

me en

monde comme à moi? ai

pas répondu; rassu-

rez-vous. Madame, nous aurons l'homme à la mode,

nous sommes des

— Etiez-vous — Non.

—Ey — Ah

I

privilégiés.

hier à l'Opéra ?

était, lui.

vraiment Et l'excentric-man 1

a-t-il fait

quelque

nouvelle originalité?

— le

Peut-il se montrer sans cela? Elssler dansait dans

Diable boiteux; la princesse grecque était dans le ra-

vissement. Après

la

cachucha,

il

a passé une bague

gnifique dans la queue du bouquet, et

mante danseuse, qui au troisième

l'a

ma-

jeté à la chai-

acte a reparu, pour


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

162 lui faire

honneur, avec sa bague au doigt. Et sa princesss

grecque, l'aurez-vous?

— dans

Non la

il

faut

que vous vous en priviez; sa position

maison du comte n'est pas assez

— Tenez,

laissez-moi

baronne

Villefort, dit la

ici

fixée.

et allez saluer

je vois qu'elle

:

madame

de

meurt d'envi©

de vous parler. Albert salua madame Danglars et s'avança vers deVillefort, qui ouvrit la

— Je parie,

Albert en l'interrompant , que je sais

dit

ce que vous allez

madame

bouche à mesure qu'il approchait.

me

dire

?

— Ah par exemple madame de — Si je devine jusle, me l'avouerez-vous — Oui. — D'honneur — D'honneur! — Vous me demander comte !

!

Villefort.

dit

?

?

alliez

si

Cristo était arrivé

— Pas

du

ou

tout.

en ce moment.

allait

Ce

n'est pas de lui

J'allais

de Monte»

le

venir?

que

vous demander

si

je

m'occupe

vous aviez

reçu des nouvelles de M. Franz?

— Oui, hier. — Que vous disait-il? — Qu'il partait en même

— Bien.

temps que sa

Maintenant, le comte

lettre.

?

— Le comte viendra, soyez tranquille. — Vous savez a un autre nom que Monte-Cristo? — Non, je ne savais pas. — Monte-Cristo est un nom a un nom de qu'il

d'ile,

et

il

mille.

Je ne

l'ai

— Kh bien! pelle Zaccone.

jamais entenou prononcer. je suis plus

avancée que vous;

ii

s'ap-


*i»

LE COMTE DE MONTE-CIUSTO. -*- C'est possible.

— est Maltais. — C'esi possible encore. Il

— Fils d'un armateur. —

Oh! mais, en

»e«-là tont haut,

— Ha servi

vérité,

vous

vous auriez

de-\Tiez raconler ces cho-

plus grand succès.

le

dans l'Inde, exploite une mine d'argent à Paris pour faire

en- Thessalie, et vient

ment d'eaux minérales à Auteuil. Eh bien à la bonne heure,

dit

I

nouvelles

!

Me permettez-vous

— Oui, mais petit à

un

Morcerf, voilà des

de les répéter?

une à une, sans

petit,

établisse-

dire qu'elles

viennent de moi.

— Pourquoi cela? — Parce que c'est presque un secret surpris.

— A qui — A police. ?

la

Alors ces nouvelles se débitaient...

— Hier soir chez comprenez bien, à

le préfe

la

.

Paris s'est

vue de ce luxe

ému, vous

inusité, et la

le

poUce

a pris des informations.

— Bien

!

il

ne manquait plus que d'arrêter

le

comte

comme vagabond, sous prétexte qu'il est trop riche. — Ma foi, c'est ce qui aurait bien pu lui arriver si renseignements n'avaient pas été

—Pauvre

comte,

et se doute-t-il

— Je ne crois pas. — Alors, charité quu de ce

vifs,

manquerai

l'en avertir.

pas.

noirs, à la

respectueusement main.

A

moment un beau jeune homme aux yeux

aux cheveux la

du péril qu'il a couru arri-

*3 n'y

En

le

favorables.

son

c'est

vée

si

moustache

madame

luisante, vint saluer

de Villefort. Albert

lui tendit


LE COMTH DE MONTE-CRISTO.

164

— l\ladame, ter

dit Albert, j'ai

l'honneur de vous prcîsen-

M. Maximilien Morrel, capitaine aux spahis, l'un de

nos bons

et surtout

J'ai

eu

déjà

de nos braves le plaisir

Auteuil, chez M. le comte de

madame de

officiers.

de rencontrer Monsieur à Monte-Cristo, réponiiit

en se détournant avec une froideur

Villefort

marquée. Cette réponse, et surtout le ton dont elle était faite,

cœur du pauvre Morrel mais une compenménagée; en se retournant, il vit à l'encoignure de la porte une belle et blanche figure dont les yeux bleus dilatés et sans expression apparente s'attaserrèrent le

;

sation lui était

mon-

chaient sur lui, tandis que le bouquet de myosotis tait

lentement à ses lèvres.

Ce salut

fut si bien

compris que Morrel, avec

la

même

expression de regard, approcha à son tour son mouchoir

de sa bouche

;

et les

deux

statues vivantes, dont

rapidement sous

battait si

le

cœur

le

marbre apparent de leur

visage, séparées l'une de l'autre par toute la largeur de s'oublièrent

la salle,

blièrent tout le

Elles eussent

un

instant,

monde dans pu

ou plutôt un instant ou-

cette

mueile contemplation.

rester plus longtemps ainsi perdues

l'une dans l'autre, sans

oubli de toutes choses

:

que personne remarquât le

leur

comte de Monte-Cristo venait

d'entrer.

Nous soit

l'avons déjà

dit,

le

comte, soit prestige

prestige naturel, attirait l'attention partout

factic*»,

il

se

présentait; ce n'était pas son habit noir, irréprochable il

est vrai

dans sa coupe, mais simple et sans décorations;

ce nétait pas son gilet blanc sans aucune broderie; ce A'était oas la

son pantalon emboîtant un pied de

la

forme

plus délicate, qui attiraient l'attention; c'étaient son

teint

mat, ses cheveux noirs ondes,

c'était

son visage


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. calme

et

16S

pur, c'était son œil profond et mélancolique,

c'était enfin

bouche dessinée avec une

sa

veilleuse, et qui prenait

finesse

mer-

facilement l'expression d'un

si

haut ûédain, qui faisaient que tous les yeux se fixaient sur

lui.

Il

pouvait y avoir des

hommes

en avait certes pas de plus cette expression

chose

et

et

il

n'y

qu'on nous passe

tout dans le comte voulait dire quelque

valeur; car l'habitude de la pensée

et avait sa

donné à ses

traits, à l'expression de son viau plus insignifiant de ses gestes une souplesse

utile avait

sage

:

plus beaux, mais

significatifs,

une fermeté incomparables. Et puis notre

monde

n'eût peut-être point

parisien est

fait

si

étrange, qu'il

attention à tout cela,

s'il

n'y

eût eu sous tout cela une mystérieuse histoire dorée par

une immense fortune. Quoi

en

qu'il

soit

,

il

s'avança , sous le poids des re-

gards et à travers l'échange des petits saluts, jusqu'à

madame

de Morcerf, qui, debout devant la cheminée

garnie de fleurs, l'avait

vu

apparaître dans

une glace

olacée en face la porte, et s'était préparée pour le recevoir. Elle se retourna

posé, au

donc vers

moment même où

Sans doute

elle crut

que

lui

le

avec

u-n sourire

s'inclinait

il

tant

une

;

com-

elle.

comte allait lui parler; sans

doute, de son côté, le comte crut qu'elle ser la parole

devant

mais des deux côtés

ils

allait lui

adres-

restèrent muets,

banalité leur semblait sans doute indigne de

tous deux;

et,

après un échange de saluts, Monte-Cristo

se dirigea vers Albert,

venait à lui la main ou-

qui

verte.

— Vous avez vu ma mère demanda Albert. — Je viens d'avoir l'honneur delà saluer, ?

dit le

mais

je n'ai point ajnftrcu votre oère.

comte,


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

166

— Tenez

!

il

cause polilique là-bas dans ce

petit

groope

de grandes célébrités.

— En

vérité, dit Monte-Cristo, ces messieurs

vois là-bas sont des célébrités

douté! Et de quel genre?

commp \ous

espèce,

— il

Il

je

y a des célébrités de toute

Il

y a d'aboid un savant, ce grand monsieur sec

lézard qui a

revenu

à

l'Institut

au grand monsieur

coup de bruit dans sec n'était

Rome une

une vertèbre de plus que

faire part

le

sec.

les autres, et

:

mais enfin force

La vertèbre avait

monde savant

que chevalier de

la

;

espèce de il

de cette découverte. La

chose a été longtemps contestée restée

que

serais pas

savez.

a découvert dans la campagne de

est

ne m'en

je

?

le

;

fait

-est

beau-

grand monsieur

Légion d'honneur, on

l'a

nommé o£Qcier. — A la bonne heure dit Monte-Cristo, voilà une croix qui me parait sagement donnée; alors, s'il trouve uno 1

seconde vertèbre, on

commandeur?

le fera

— C'est probable, Morcerf. — Et cet autre qui a eu singulière idée de s'affubler dit

la

d'un habit bleu brodé de vert, quel peut-il être?

Ce

n'est pas lui qui a

habit; c'est la République,

eu

l'idée

de s'affubler de cet

laquelle,

comme vous

le

un peu artiste, et qui, voulant donner un uniforme aux académiciens, a prié David de leur dessiner un habit.

savez, était

Ah

I

vraiment,

Monte-Cristo

dit

;

ainsi ce

nonsieur

est académicien ?

— Depuis huit jours

il

fait partie

de la docte asseai

Uée.

— Et quel est son mérite, sa spécialité? — Sa dans

spécialité? Je crois qu'il enfonce des épingles

la tête

des lapins

,

qu'il fait

manger de

la (garance


LE COMTE xm MONTE-CRISTO. aux poules,

et qu'il

167

repousse avec des baleines

la moille

épinière des chiens.

— £t est de Académie des sciences pour cela? — Non oas, de l'Académie française. — Mais qu'a donc à l'Académie française dedans? il

1:'

faire

— Je vais vous — Que des expériences ont dire,

Ja science,

parait... fait faire

doit

en

qu'il écrit dit

,

la tête,

des poules dont

des chiens dont

repousse

il

Albert se mit à

bon

fort

Monte-Cristo

l'amour-propre des lapins à qui

dans

un grand pas à

sans doute ?

— Non, mais

— Cela

il

style.

flatter

énormément

enfonce des épingles

teint les os

il

la

il

,

en rouge,

et

moelle épinière.

rire.

— Et cet autre demanda comte. — Cet autre? — Oui, troisième. — Ah bleu barbeau — Oui. — C'est un collègue du comte, qui vient de s'opposer le

?

le

l'habit

I

le

?

plus chaudement à ce que la chambre des pairs

uniforme pos-là

;

il

;

il

était

mal avec

les gazettes libérales,

noble opposition aux désirs de

moder avec

elles

;

on parle de

— Et quels sont ses —

Il

a

ou cinq

fait

ait

un

a eu un grand succès de tribune à ce pro-

litres

deu7. ou trois

actions

au Siècle,

la le

cour vient de

mais sa raccom-

nommer ambassadeur.

à la pairie?

opér«-comiques,

et

le

pris quatre

voté cinq ou six ans pour

le

ministère.

—Bravo! vicomte, dit Monte-Cristo en riant, vous êtes un charmant cicérone maintenant vous me rendrez un ;

service, n'est-ce pas?

— Lequel?


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

168

— Vous ne me présenterez pas à ces messieurs,

et s'ils

demandent à m'être présentés, vous me préviendrez. F.n ce moment le comte sentit qu'on lui posait la main sur

le

bras;

Ah!

il

c'est

se retourna, c'était Danglars.

vous, baron!

dit-il.

—Pourquoi m'appelcz-vous baron?

dit

savez bien que je ne tiens pas à mon.

eomme

Danglars; vous

Ce

titre.

n'est pas

vous, vicomte; vous y tenez, n'est-ce pas^ vous?

— Certainement, répondit Albert, attendu que tais

si

je n'é-

pas vicomte, je ne serais plus rien, tandis que vous

vous pouvez

sacrifler votre titre

de baron, vous resterez

encore millionnaire.

— de

Ce qui

me

parait le plus

beau

titre

sous

la

Malheureusement

millionnaire à vie

,

dit

comme on

Monte-Cristo, ou n'est pas est baron, pair

de France ou

académicien; témoin les millionnaires Franck

mann, de Francfort, qui viennent de

— Vraiment? — Ma j'en

dit

ai

foi,

rier; j'avais

faire

et

Poul-

banqueroute.

Danglars en pâlissant. reçu

la

nouvelle ce soir par

quelque chose

mais, averti à temps, j'en voici

royauté

Danglars.

Juillet, reprit

comme un ai

exigé

un mois à peu près. Ah! mo« Dieu! reprit Danglars,

un cour-

million chez eux;

le

remboursement

ils

ont

tiré

sur moi

pour deux cent mille francs.

— Eh

bien,

vous voilà prévenu; leur signature vaut

cinq pour ceat.

— Oui, mais je

suis

prévenu trop

tard, dit

Danglars

honneur à leur signature. Bon! dit Monte-Cristo, voilà deux cent mille francs

j'ai fait

qui soni allés rejoindre...

Chut!

dit

Danglars; ne parlez donc pas de ces

cnoses-la... Puis, s'apiirochanl de Monte-Cristo... surtout


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. devant M. Cavalcanti

ajouta

fils,

le

1G9

banquier, qui

,

en

prononçant ces mots, se tourna en souriant du côté du

jeune homme. Moijerf avait quitté

mère. Danglars

comte pour

le

aller parler à sa

peur saluer Cavalcanti

quitta

le

fils.

Monte-Cristo se trouva un instant seul.

Cependant

chaleur commençait à devenir exces-

la

sive.

Les valets circulaient dans les salons avec des pla-

teaux chargés de

fruits et

de glaces.

Monte-Cristo essuya avec son mouchoir son visage mouillé de sueur

passa devant

mais

;

ne

lui, et

il

se recula

prit rien

Madame de Morcerf ne

quand

pour se

perdait pas

du regard Monte-

Cristo. Elle vit passer le plateau sans qu'il elle saisit

môme

mouvement

le

plateau

le

rafraîchir.

par lequel

il

y touchât

;

s'en éloigna.

— Albert, avez-vous remarqué une chose. — Laquelle, ma mère? — C'est que comte n'a jamais voulu accepter de dit-elle,

le

diner chez M. de Morcerf.

Oui, mais

puisque le

c'est

a accepté de déjeuner chez

il

par ce déjeuner qu'il a

fait

moi,

son entrée dans

monde.

— Chez vous n'est pas chez -îédès, et,

depuis qu'il est

ici,

le

— Eh bien? — Eh bien n'a encore rien — Le comle est très-sobre. 1

comte,

murmura Mer

je l'exaiaine.

il

pris.

Mercedes sourit tristement.

— Rapprocbez-vous

de

lui

,

dit-elle, et

,

au premier

plateau qui passera, insistez.

— Pourquoi — Faites-moi ce

cela,

TOME

IV*

ma mère?

plaisir, Albert, dit

Mercedes. 19


La COMTE DE MONTE-CRISTO.

170

Albert baisa la main de sa mère, et alla se placer près

da comte.

Un

autre plateau passa chargé

elle vit

comme

les précédents,

Albert insister près du comte, prendre

glace et la lui présenter, mais Albert revint près de sa

môme

unf

refusa obstinément.

il

mère

;

la

comtesse

était très-

oâle.

— Eh cien, a refusé. vous voyez, — Oui mais en quoi cela peut-il vous préoccuper? dit-elle,

il

;

— Vous J'aurais

femmes

savez, Albert, les

le

vu avec

plaisir le

sont singulières.

comte prendre quelque chose

chez moi, ne fût-ce qu'un grain de grenade. Peut-être au

coutumes françaises,

reste ne s'accommode-t-il pas des

peut-être

a-t-il

des préférences pour quelque chose.

— Mon Dieu, non

!

vu en

je lai

Italie

prendre de tout;

sans doute qu'il est mal disposé ce soir.

— Puis,

dit la

comtesse, ayant toujours habité des

mats brûlants, peut-être

cli-

moins sensible qu'un autre

est-il

a la chaleur?

— Je

ne crois pas, car

il

se plaignait d'étouffer, et

demandai pourquoi, puisqu'on a déjà ouvert

il

les fenêtres,

on n'a pas aussi ouvert les jalousies.

— En surer

si

effet,

Et elle sortit

Un

dit

Mercedes,

cette abstinence est

du

c'est

un

un moyen de m'as-

parti pris.

salon.

instant après, les persiennes s'ouvrirent, et l'on put,

à travers les jasmins et les clématites qui garnissaient les fenêtres, voir tout le jardin ei le

souper servi sous

Danseurs rent

un

cri

et

danseuses, joueurs et causeurs, poussè-

de joie

avec délices

illuminé avec les lanternes

la tente.

l'air

:

tous ces

poumons

qui entrait à

altérés aspiraient

flots.

\u même momaût. Mercedes

reparut, plus pâle qu'ell*


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. n'était sortie,

mais avec

remarquable

cliez elle

alla droit

comte,

pas ces Messieurs

aimeront autant,

dit-elle, ils

/espirer

dans certaines circonstances. Elle

au groupe dont son mari formait

N'enchaînez

au jardin qu'étouffer

— Ah! Madame, avait chanté

:

dit

171

cette fermeté de visage qui était

If

s'ils

centre

;

monsiei^r

ici,

le

ne jouent pas»

ici.

un vieux général

qui

fort galant,

Partons pour la Syrie! en 1809, nous n'irons

pas seuls au jardin.

Soit, dit

Mercedes, je vais donc donner l'exemple.

El se retournant vers Monte-Cristo

— Monsieur

le

comte,

:

dit-elle, faites-moi

l'honneur de

m'offrir votre bras.

Le comte chancela presque à ces simples paroles; puis il

regarda

un moment Mercedes. Ce moment eut

dité de l'éclair, et

durait

un

cependant

il

la rapi-

parut à la comtesse qu'il

siècle, tant Monte-Cristo avait

mis de pensées

dans ce seul regard. Il offrit

son bras à

pour mieux

la

comtesse

deux descendirent un des rhododendrons Derrière eux, le jardin,

;

elle s'y

dire, elle l'effleura de sa petite

et et

escaliers

s'appuya, ou,

main,

tous

et

du perron bordé de

de camélias. par l'autre

l'escalier, s'élancèrent

avec de bruyantes exclamations do

vingtaine de promeneurs.

dans

plaisir,

un»


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

172

XIV LE PAIN ET LE SEL.

Madame

de Morcerf entra sous

avec son compagnon

:

une

leuls qui conduisait à

11

comte?

le

— Oui,

une

allée de

til-

le salon, n'est-ce

pas,

dit-elle.

Madame;

et votre

portes elles persiennes est

En achevant

voûte de feuillage

serre.

chaud dans

trop

faisait

monsieur

la

cette voûte était

ces mots, le

idée do

faire

ouvrir les

une excellente idée. comte s'aperçut que

la

main

de Mercedes tremhlait.

— Mais vous, avec cette robe légère servatifs autour

du cou que

aurez peut-être froid?

— Savez-vous où je répondre à

la

vous

dit-il.

vous mène?

dit la

comtesse, sans

question de Monte-Cristo.

Non, Madame, répondit celui-ci; mais, vous

voyez, je ne

sans autres pré-

et

cette écharpe de gaze,

A

la serre,

le

pas de résistance.

fais

que vous voyez

au bout de

là,

l'allée

que nous suivons. Le comte regarda Mercedes mais

elle

comme

pour l'interroger

continua son chemin sans rien dire,

et

;

de son

fôté Monte-Cristo resta muet.

On

arriva dans le bâtiment, tout garni de fruits magni-

fiques qui, dès le li,ur

commencement de

juillet, atteignaient

maturité sous cette température toujours calculée

pour remplacer chei nous.

la

chaleur du soleil,

si

souvent absente


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. la comtesse cueillir à

quitta le bras de Monte-Cristo,

ud cep une grappe de

— Tenez, monsieur que

^_ îiiste

173

l'on eût

comte, dit-elle avec un sourire

le

pu

et alla

raisin muscat.

voir poindre les larmes

au bord

de ses yeux; tenez, nos raisins de France ne sont point com.parables, je le sais, à vos raisins de Sicile et de Chypre, mais vous serez indulgent pour notre pauvre s

)leil

du Nord. Le comte

s'inc^!na, et

— Vous me refusez

fit

?

un pas en

dit

arrière.

Mercedes d'une voir

t.

em-

blante.

Madame, répondit Monte-Cristo, je vous prie bien humblement de m'excuser, mais je ne mange jamais de muscat.

Mercedes laissa tomber

la

grappe en soupirant. Une

pêche magnifique pendait à un espalier voisin, chauffé,

comme le serre.

cep de vigne, par cette chaleur

Mercedes s'approcha du

— Prenez cette pêche, alors, Mais

le

comte

fit

Oh! encore!

le

même

artificielle

la

dit-elle.

geste de refus,

avec un accent

dit-elle

de

fruit velouté, et le cueillit.

douloureux

si

qu'on sentait que cet accent étouffait un sanglot; en vérité j'ai

Un la

du malheur.

long silence suivit cette scène

grappe de raisin, avait roulé sur

— Monsieur

le

;

la

chante coutume arabe qui qui ont partagé le pain et

fait

le sel

et

sous

du

pain.

y a une tou-

le

même le

non en Arabie,

n'y a pas plus d'amitiés éternelles

sel et

il

amis éternellement ceul

Je la connais, Madame, répondit

nous sommes ec France, il

comme

comte, reprit enfin Mercedes en regar

dant Monte-Crislo d'un œil suppliant,

pêche,

le sable.

toit.

comte; mais et

en France

que de partage du


LE COMTE DE MONTE CRÎSTO.

174

— Mais

enfin, dit la

attachés snr les

comtesse palpitante

yeux de Monte-Cristo, dont

presque convulsivement

le

et l«s

bras avec ses deux mains,

nous sommes amis, n'est-ce pas? Le sang afllua au cœur du comte, qui devint pâle /a

mort, puis, remontant du cœur à

secondes,

quelques

la

yeux nagèrent dans

ses joues, et ses

yeux

elle ressaisit

comme ceux

gorge, le

vague pendant

homme

d'un

comme envahit

il

frappé

d'éblouissement.

— Certainement que nous Ce ton

sommes amis, Madame,

pourquoi ne

pliqua-t-il; d'ailleurs,

de celui que désirait

était si loin

madame

Morcerf, qu'elle se retourna pour laisser échapper

soupir qui ressemblait à

— Merci,

ré-

serions-nous pas?

le

de

ub

un gémissement.

dit-elle.

Et elle se remit à marcher.

Ils

une seule tout à coup

jardin sans prononcer

— Monsieur, reprit

firent ainsi le tour

du

parole. la

minutes de promenade silencieuse,

comtesse après dix

que vous

vrai

est-il

ayez tant vu, tant voyagé, tant souffert?

beaucoup

J'ai

souffert, oui,

Madame,

répondis

Monte-Cristo.

— Mais

vous êtes heureux maintenant? ,

— Sans m'entend

doute

me

,

répondit le

comte

— Et votre bonheur présent vous

— Mon bonheur îe

,

car personne ne

fait

l'âme plus douce?

plaindre.

présent égale

ma

misère passée,

dit

comte.

— N'ôtes-vous point maiié? demanda — Moi, marié, répondit Monte-Cristo rni a

pu vous

la

comtesso.

en

tressaillant,

dire cela?

On ne me

l'a

pas

dit,

mais plusieurs

vu conduire à l'Opéra une jeune

et belle

fois

on vous »

per.dnne.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— C'est une esclave çue Madame, une

fille

j'ai

175

achetée à Constanlinople,

de prince dont

j'ai fait

ma £11 e, n'ayant

pas d'autre affeelion au monde.

— Vous vivez seul ainsi

?

— Je vis seul.

— Vous n'avez pas de sœur... de — Je n'ai personne. — Comment pouvez-vous vivre ainsi,

fils...

cous attache à

de père?...

sans rien qui

la vie ?

Ce n'est pas ma faute, Madame. A Malte, j'a: aimé une jeune fille et j'allais l'épouser, quand la guerre est venue et m'a enlevé loin d'elle comme un tourbillon. J'avais cru qu'elle m'aimait assez pour m'attendre, pour

demeurer revenu,

même

fidèle

elle était

mon

tombeau. Quand

je suis

mariée. C'est l'histoire de tout

homme

à

qui a passé par l'âge de vingt ans. J'avais peut-être

cœur plus

faible

n'eussent

fait

à

La comtesse

que

ma

le

les autres, et j'ai souffert plus qu'ils

place, voilà tout.

s'arrêta

un n:-^ment, comme

si elle

eût eu

besoin de cette halte pour respirer.

Oui, dit-elle, et cet

On n'aime bien qu'une cette temme ?

amour vous

fois...

est resté

au cœur...

Et avez-vous jamais revu

— Jamais. — Jamais — Je ne suis point retourné dans — A Malte? — Oui, à Malte. !

— Elle à Malte, alors? — Je pense. — Et lui avez-vous pardonné

le

pays où

elle était

est

le

souffrir ?

—A

elle, oui.

ce qu'elle vou& a

fait


4

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

76

— Mais à

elle

seulement; vous haïssez toujours ceux

qui vous ont séparé d'elle ? La comtesse se plaça en face de Monte-Cristo; nait encore à la

main un fragment de

— Prenez, — Jamais je

la

elle te-

graope parfumée.

dit-elle

Monte-Cristo,

eux

ne mange de muscat, Madame, répondit

comme

question de rien entre

s'il

n'etit été

la

grappe dans

à ce sujet.

La comtesse lança

le

massif

plus

le

proche avec un geste de désespoir.

— Inflexible!

murmura-t-elle.

Monte-Cristo demeura aussi impassible que

proche ne

lui était

si le

re-

pas adressé.

AJbert accourait en ce moment.

— Oh

!

ma

— Quoi?

comme

-edressant

à

mère,

la réalité

arriver des

un grand malheur! demanda la comtesse en se après le rêve, elle eût été amenée

dit-il,

qu'est-il arrivé?

:

si,

un malheur, avez-vousdil? En

malheurs

effet,

doit

il

'.

— Monsieur de Vilh est — Eh bien — vient chercher sa femme sa — Et pourquoi cela? — Parce que madame marquise de Saint-Méran est fort

ici.

?

et

11

fille.

la

arrivée à Paris, apportant la nouvelle que M. de Saint-

Méran

est

Madame

mort en quittant

de Villefort

,

\

arseiile,

au premier

qui était fort gaie

,

relais.

ne voulait

m

-"omprendre, ni croire ce malheur; mais mademoiselle Valentine,

aux premiers mots,

qu'ail prises son père, a tout

sée

comme

— Et leforl?

et

quelques précaution

deviné

la foudre, et elle est

:

ce coup

l'a terraf

tombée évanuuie.

qu'est M. de Saint-Méran a mademoiselle de

demanda

le

comte.

.

Va


HT

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Son grand père maternel. 11 venait pour mariage 4e Franz et de sa petite-fille.

— Ah

vraiment

!

— Voilà Franz

hâte,

le

I

retardé.

a'est-il pas aussi bien

un

Pourquoi M. de Saint-Mérac aïeul de mademoiselle Dan-

glars?

— Albert

I

Alberti dft

madame

de Morcerf du ton d'un

le doux reproche, que diles-vous là? Ah monsieur considération, comte, vous pour qui il a une si grande I

donc

dites-lui

qu'il a

mal parlé

I

quelques pas en avant. une Monte-Cristo la regarda si étrangement et avec afexpression à la fois si rêveuse et si empreinte d'une Elle

fil

fectueuse admiration qu'elle revint sur ses pas. presAlors elle lui prit la main en même temps qu'elle

de son

sait celle

— — Oh

fils,

et les joignant toutes

Nous sommes amis, n'est-ce pas? !

votre ami.

tion, dit le

comte

Madame,

deux

;

dit elle.

je n'ai point cette préten-

mais, en tous cas, je suis votre bien

;

respectueux serviteur. de La comtesse partit avec un inexprimable serrement

cœur

;

et,

avant qu'elle eût

fait

dix pas, le comte lui vit

mettre son mouchoir à ses yeux. Est-ce que vous n'êtes pas d'accord,

vous? demanda

ma mère

— Au contraire, de

me Et

répondit le comte, puisqu'elle vient amis. dire devant vous que nous sommes quitter Vade venaient regagnèrent le salon que

ils

ientine ei M. et Il

et

Albert avec étonnement.

va sans

madame

dire

de Villefort.

que Morrel

était sortJ derrière

eu^


ns

LE COMTE DE MONTE-CRlSTa

XV MADAME DE

Une scène \uguhve

SAI.NT-MIÎRAN.

venait en eiïet de se passer dans

maison de M. de Villefort. Après le départ des deux dames pour les instances

de

le bal,

la

où toutes

madame

de Villefort n'avaient pu déterminer son mari à l'accompagner, le procureur du roi

s était, selon sa

une

coutume, enfermé dans son cabinet avec

de dossiers qui eussent effrayé tout autre, mais temps ordinaires de sa vie, suffisaient à peine a satisfaire son robuste appétit de travailleur. Mais, cette fois, les dossiers étaient chose de forme Vjl.efort ne s'enfermait point pour pile

qui, dans les

travailler,

réfléchir; et. sa porte fermée, l'ordre

mais pour donné qu'on ne le

dérangeât que pour chose d'importance,

son fauteuil

il

s'assit

dans

et se rait à

repasser encore une fois dans sa mémoire tout ce qui, depuis sept à huit jours, faisait dé^ border la coupe de ses sombres chagrins et de ses amers souvenirs. Alors, lui,

Il

au

lieu d'attaquer les dossiers entassés devant

ouvrit

un

et tira la liasse

tiroir de son bureau, fit jouer un secret de ses notes personnelles, manuscrits pré-

cieux, parmi lesquels chiffres

dans

connus de

il

avait classé et étiqueté avec des

lui seul les

noms de

tous ceux qui

sa carrière politique,

dans ses affaires d'argent dans ses poursuites de barreau ou dans ses mystérieuses amours, étaient devenus ses ennemis. Le nombre en était formidable aujourd'hui

qu'il avait


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. commencé à trembler puissants et

culminant de

comme

sourit le

précipices près desquels

il

voyageur qui, du

si

les

des

et les arêtes

pour arriver,

a,

si

fait

montagne, regarde à ses pieds

la

chemins impraticables

pics aigus, les

et si

cependant, tous ces noms,

formidables qu'ils fussent, l'avaieni

si

bien des fois sourire, faite

et

;

i79

longtemps

péniblement rampé.

Quand

eut bien repassé tous ces

il

moire, quand

commentés sur

— Non,

les eut bien relus,

il

ses listes,

il

secoua

noms dans

sa

mé-

bien étudiés, bien

la tête.

murmura-t-il, aucun de ces ennemis n'aurait

attendu patiemment

et laborieusement jusqu'au jour où nous sommes, pour venir m'écraser maintenant avec ce

secret.

Quelquefois

,

comme

dit

Hamlet

,

bruit des

le

choses les plus profondément enfoncées sort de

comme l'air

;

terre, et,

feux du phosphore, court follement dans

les

mais ce sont des flammes qui éclairent un moment

pour égarer. L'histoire aura été racontée par

le

Corse à

quelque prêtre, qui l'aura racontée à son tour. M. de Monte-Cristo l'aura sue, et pour s'éclaircir...

Mais à quoi bon

an

s'éclaircir,

instant de réflexion

M. Zaccone,

flls

;

reprenait Villefort après

quel intérêt M. de Monte-Cristo,

d'un armateur de Malte, exploiteur d'une

mine d'argent en Thessalie, venant pour en France,

a-t-il

rieux et inutile

de

s'éclaircir

comme

d'un

celui-là?

Au

fait

la

première

fois

sombre, mysté-

milieu des rensei-

gnements incohérents qui m'ont été donnés par cet abbé Busoni et par ce lord Wilmore, par cet ami et par cet ennemi, une seule chose ressort claire, précise, patente dans aucun c'est que dans aucun temps à mes yeux ,

:

dans aucune circonstance il ne peut y avoir eu moindre contact entre moi et lui.

cas,

4lais

,

Villefort

se

disait ces paroles

la

sans croire lui-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«80

même

à ce qu'il disait.

pas encore

répondre

s'inquiétait

il

Le plus

révélation, car

la

pour

terrible

lui .n'6laH

pouvait nier, ou /nôine

il

peu de ce Uanè, Thccd,

i

'harcs,

qui apparaissait tout à coup en lettres de sang sur la raille,

mais ce qui

l'inquiétait,

mu-

de connaître

c'était

le

corps auquel appartenait la main qui les avait tracées.

Au moment où

essayait de se rassurer lui-même, et

il

où, au lieu de cet avenir politique que, dans ses rêves

d'ambition,

avait entrevu quelquefois,

il

il

se composait,

ennemi endormi depuis si restreint aux joies du foyer, im avenir un longtemps, la crainte d'éveiller cet

dans

bruit de voilure retentit dans la cour;

dans son escalier des sanglots

et

puis

il

entendit

marche d'une personne âgée, puis

la

des hélas

comme

I

domestiques en

les

trouvent lorsqu'ils veulent devenir intéressants par

la

douleur de leurs maîtres. se liàta de tirer le verrou de son cabinet, et bientôt,

Il

sans être annoncée sur

le

une

,

vieille

dame

entra,

son chàle

bras et son chapeau à la main. Ses cheveux blan-

chis découvraient

un

front

mat comme

l'ivoire jauni, et

ses yeux, à l'angle desquels l'âge avait creusé des rides

profondes, disparaissaient presque sous le gonflement de" pleurs.

-Ohl Monsieur, heur

I

moi aussi

dit-elle;

mourrai

j'en

ah! Monsieur, quel mal1

oh! oui, bien certaine-

xenl j'en mourrai! Et,

tombant sur

elle éclata

fauteuil le plus proche de la porte

le

en sanglota.

Les domestiques, debout sur

le seuil,

et n'osant aller

vieux serviteur deNoirtier, qui, ayant «^nteùducebruitdela chambre de son niaitre, était

plus loin, regardaient

accouru aussi se leva et

et se

le

tenait derrière les

courut à sa belle-mcre, car

autres. Villeforl

c'était

elle-même.


— Rh,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. mon Dieu! iMadame, demanda-t-il, que

passé? qui vous bouleverse ainsi ne vous accompagne-t-il pas ? M. de Saint-Méran est mort,

isj s'est-il

M. de Saint-Méran

? et

dit la vieille

marquise,

sans préambule, sans expression, et avec une sorte de stupeur. Villefort recula d'un

pas

frappa ses mains l'une

et

"ontre l'autre.

— Mortl... balbutia-t-il mort — Ily ahuitjours, continua madame

ainsi...

;

subitement? de Saint-Méran

nous montâmes ensemble en voiture après

diner. M. de depuis quelques jours cependant l'idée de revoir notre chère Valentine le rendait courageux, et malgré ses douleurs

Saint-Méran

était souffrant

:

avait

il

voulu

partir

lorsque, a six lieues de Marseille, il fut pris, après avoir mangé ses pastilles habituelles, d'un

sommeil

qu'il

ne

me

le réveiller,

sait et

que

semblait pas naturel

quand

il

me

;

cependant

si

profond

j'hésitais à

sembla que son visage rougistempes battaient plus vio-

les veines de ses

lemment que d'habitude. Mais cependant, comme venue et que je ne voyais plus rien, je le

la nuit

était

laissai dor-

mir; bientôt celui d'un

il

poussa un

homme

cri

sourd

brusque mouvement sa

tête

en

de chambre, je

fis

Saint-Méran, je

lui fis respirer

était fini,

comme

et déchirant

qui souffre en rôve

,

arrière.

et

renversa d'un

Jappeki

le valet

arrêter le postillon, j'appelai

mon

M. de

flacon de sels

,

tout

mort, et ce fut côte à côte avec son cadavre que j'arrivai à Ai*.. Villefort

il

était

demeurait stupéfait

et la

bouche béante.

— Et vous appelâtes un médecin, sans doute — A l'instant même mais, comme je vous ;

? l'ai dit,

a

était trop tard.

—- Sans doute: mais TOME IV.

au moins

pouvait -il recoih ..


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

183

naître de quelle maladie le pauvre marquis élait mort,

— que

Mon c'est

Monsieur,

Di<iul oui,

il

me

— Et quo fites-vous alors? — M. de Sainl-Méran avait toujours de Paris,

rait loin

dans

dit

paraU

il

que,

que son corps

désirait

il

caveau de

le

dit;

l'a

d'une apoplexie foudroyante.

Je

la famille.

l'ai fait

s'il

mou

ramené

fût

mettre dans un

cercueil de plomb, et je le précède de quelques jours.

— Oh!

mon

Dieu, pauvre mère

après

reils soins

un

Dieu m'a donné

ce cher marquis, fait

pour

bas, je crois il

que

je suis folle. Je

il

me

pensa

veux

je

il

;

A

;

;

Monsieur?

c'est pou»"

voir Valentine.

de répondre que

seulement à

dit

peiite-Olle était sortie

allait la

n'a plus de larmes

serait affreux

qu'il

Valentine élait au bal

que sa

j'ai

quitté là-

l'ai

ne peux plus pleurer

est Valenline,

que nous revenions,

Villefort

je

semble que tant qu'on souffre on devrait

pouvoir pleurer. elle

pour moi ce que

mon âge on

est vrai qu'on dit qu'à

cependant

fait

que depuis que

vrai

de pa-

;

!

jusqu'au bout; d'ailleurs,

la force

eût certes

il

lui. Il et*,

dil Villefort

!

pareil coup, et à votre cage

marquise

la

avec sa belle-mère

et

qu'on

prévenir. l'instant

vous en supplie,

même.

Monsieur, à l'instant

Villefort mit sous

môme,

je

dame.

dit la vieille

son bras

le

bras de

madame

de

Saint-Méran. et la conduisit à son appartement.

— Prenez du repos, La marquise leva qui

lui

dit-il,

ma

la tête à ce

rappelait cette

fille

mère.

mot,

et

voyant cet

tant regrettée qui

frappée par ce

pour

elle

noii/

de mère, se mit à fondre en larmes,

dans Valentine,

genoux dans un rable.

fauteuil

elle se sentit

homme revivait

et

tomba à

elle ensevelit sa tète

véné-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. recommanda aux

Villefort la

dis

que

maître \a

vieux Barrois remontait tout

le

183

femmes

soins des

effaré

tan-

,

chez son

car rien n'effraye tant les vieiHards que lorsque

;

mort quitte un instant leur côté pour

aller

frapper

un

autre vieillard.

madame

Puis, tandis que

de Saint-Méran, toujours

agenouillée, priait du fond du cœur,

envoya chercher

il

lui-même prendre chez madame de Morcerf sa femme et sa fille pour les ramener à

une voiture de place la

maison.

lon

Il était si

et vint

— Oh

mon

I

père

!

il

lui

en s'écriant

est arrivé

— Votre bonne maman vient M. de

du

pâle lorsqu'il parut à la porte

que Valentine courut à

sa-

:

quelque malheur

I

d'arriver, Valentine

,

dit

Villefort.

— Et

mon

grand-père? demanda

la

jeune

toute

fille,

tremblante.

M. de

Villefort

ne répondit qu'en

son bras à sa

offrant

elle.

D était temps Valentine, saisie d'un vertige, chancela ; madame de Villefort se hâta de la soutenir et aida son :

,

mari à l'entraîner vers

— Voilà

la voiture

qui est étrange

!

en disant

qui aurait

:

pu

se douter de

cela? Oh! oui, voilà qui est étrange!

Et toute cette famille désolée s'enfuit ainsi, jetant sa fristesse,

Au

comme un

bas de

tendait

crêpe noir, sur

l'escalier,

le reste

de

la soirée.

Valentine trouva Barrois, qui

l'at-

:

— M. Noirtier désire

— Dites-lui

que

vous voir ce

j'irai

soir, dit-il tout bas.

en sortant de chaz

ma

bonne

grand'raeie, dit Valentine.

Dans

la

délicatesse de son

âme

,

la

jeune

compris que celle qui avait surtout besoin heure,

c'était

madame de

Saint-Méran.

fille

avait

d'elle à celle


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

184

au lit; muettes caresses, douloureux du cœur, soupirs e iticcoupés,

Valentin'ï trouva son aïeule

gonflemenls

^i

détails rafarmes hrûlanles, voilà quels furent les seuls au bras contables de cette entrevue, à laquelle assistait, respect, de pleine Villefort, de madame de son mari,

pour la pauvre veuve. pencha à l'oreille de son

apparent, du moins,

Au bout mari

d'u;i instant, elle se

:

— Avec votre permission, me

relire, car

ma vue

dit-elle,

mieux vaut que

je

paraît affliger encore votre belle-

mère.

Madame

Oui

s'en aille

,

;

de Saint-Méran l'entendit. oui dit-elle à l'oreille de Valon'ine ,

mais

Madame de près du

lit

Villefort sortit, et ValcntinJ

demeura seule

de son aïeule, car le procureur du roi, con-

sterné de cette mort imprévue, suivit sa

Cependant Barrois

était

remonté

la

femme.

première

fois

du vieux Noirtier; celui-ci avait entendu tout qui se faisait dans la maison et il avait envoyé ,

nous l'avons

A

dit, le

interrogea le messager

arrivé

:

I

près

le bruit ,

comme

vieux serviteur s'informer.

son retour, cet œil

— Hélas

qu'elle

,

reste, toi, reste.

Monsieur,

si

vivant et surtout

si intelligent

:

dit Barrois,

madame de Saint-Méran

un grand malheur

est arrivée, et

est

son mari

est mort.

M. de Saint-Méran

et ÎSoirlier n'avaient

d'une bien profonde amilic fait

toujours sur

un

;

cependant on

jamais été

liés

sait l'effet

que

vieillard l'annonce de la

mort d'un

autre vieillard. Noirtier laissa

tomber sa

tête

sur sa poitrine,

comme

un homm'» accablé ou comme un homme qui pensô, Muis il ferma un seul œil.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Mademoiselle Valenline? fit

— Elle

est

venue

au

bal

Monsieur

,

nouveau

— Oui, vous voulez vieillard

— Eh madame dirai

bien

fit

l'œil

,

puisqu'e^î

toilette.

gauche.

voir?

signe que c'était cela qu'il désirait.

on va

,

la

bien

le sait

adieu en grande

lui dire

Noirtier ferma de

Le

dit Barrois.

signe que oui.

Noirtier

est

185

de Morcerf

chercher sans doute chez

l'aller

je l'attendrai à son retour, et je lui

;

de monter chez vous. Est-ce cela?

— Oui, répondit

le paralytique.

Barrois guetta donc

retour de Valentine,

le

nous l'avons vu, à son retour

il

lui

'jt,

exposa

le

comme désir de

son grand-père. vertu de ce désir, Valentine monta chez Noirtier au

En sortir

de chez

qu'elle était

,

madame avait

de Saint-Méran, qui, tout agitée

fini

par succomber à la fatigue et

dormait d'un sommeil fiévreux.

On

avait approché à la portée de sa

table sur laquelle était

habituelle, et

Puis, le lit

un

l'avons

la

jeune

vieillard insistait

— Oui, Le «on

jeune

fille

avait quitté

un bon grand-père, fit

vieillard sentit

,

qui la regarda

de nouveau

elle croyait la

jailli

source tarie

avec son regard.

oui, dit Valentine

vieillard'

le

fille

de ses yeux des larmes dont

jours

dit, la

de la marquise pour monter chez Noirtier.

tendrement que

Le

petite

sa boisson

verre.

comme nous

Valentine vint embrasser si

main une

une carafe d'orangeade,

,

tu

veux

n'est-ce pas

dire

que

j'ai

tou-

?

signe qu'effectivement c'était cela que

regaii) voulait dire.

fléJis!

heureusement, reprit Vale^itine. Sans cela,

que deviendrais-je, mon Dieu ?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

4^6 11

une heure du matin. Barrois

était

dt se coucher lui-môme,

fit

aussi douloureuse, tout le

Le

monde

vieillard ne voulut pas dire

tait

de voir son enfant.

Il

qui avait envie

,

ohserver qu'après une soirée avait besoin ae repos

que son repos, à

lui, c'é'

con^^édia Valentine,à qui effecti

vemeu/la douleur et la fatigue donnaient un air souffrant Le lendemain, en entrant chez sagrand'mère.Valenline trouva celle-ci au lit la fièvre ne s'était point calmée au contraire, un feu sombre brillait dans les yeux de la vieille marquise, et elle paraissait en proie a une violente :

nerveuse.

irritation

— Oh vantage

tômes

mon Pieu bonne maman I

!

? s'écria

,

souffrez-vous da-

Valentine en apercevant tous ces symp-

d'agitation.

— Non

,

ma

fille

non

,

,

madame

dit

de Saint-Méran

;

mais j'attendais avec impatience que tu fusses arrivée

pour envoyer chercher ton père.

— Mon père demanda Valentine inquiète. — Oui, veux parier. ?

je

lui

Valentine n'osa point s'opposer au désir de son aïeule, dont d'ailleurs elle ignorait la cause

ol

,

un

instant après

Villefort entra.

Monsieur,

dit

madame

de Saint-Méran

ployer aucune circonlocution, craindre

que

vez-vous

— Oui

le

écrit, ,

tempe

lui

et

comme

manquât,

il

,

Madame

,

répondit Villefort

eût paru

est question,

d'un mariage pour cette enfant ;

c'est

em-

sans

si elle

m'a-

?

même

plu»

ju'un projet, c'est une convention.

— Votre

gendre s'appelle M. Franz d'Épinay

?

— Oui, Madame. -

C'e°t le

fils

du général d'Épinay, qu'

était

nôtres, et qui fut assassiné quelques jours avant

surpateur revint de

l'ile

d'Elbe î

que

de» l'u


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— G cela même. — Cette alliance avec

187

est

la petite-fllle d'un jacobin

ne

lui

répugne pas?

— Nos dissensions civiles se sont heureusement éteinma

tes,

mère,

dit Villefort;

M. d'Épinay

un

enfant à la mort de son père;

M.

Noirtier, et le verra, sinon

avec

presque

était

connaît fort peu

il

plaisir,

avec

indiffé-

rence du moins.

— C'est un sortable? — Sous tous rapports. — Le jeune homme? — Jouit de considération générale. parti les

la

— —

II

est

convenable?

C'est

un des hommes

les

plus distingués que je

connaisse.

Pendant toute cette conversation, Valentine

était restée

muette.

— Eh bien réflexion j'ai

I

Monsieur,

peu de temps à

— Vous, M. de

dit

après quelques secondes de

madame de Saint-Méran,

il

faut

vous hâter, car

vivre.

Madame

!

vous, bonne

maman

!

s'écrièrent

Villefort et Valentine.

— Je

sais ce

que

donc vous hâter,

je dis, reprit la

afin

marquise;

que n'ayant plus de mère,

il

faut

elle ait

au moins sa grand'mère pour bénir son mariage. Je suis la seule qui lui reste du côié de ma pauvre Renée, que vous avez si vite oubliée, Monsieur.

— lait

Ahl Madame,

dit Villefort,

vous oubliez

qu'il fal-

donner une mère à cette pauvre enfant qui n'en avait

plus,

— Une belle-mère

n'est jamais

Mais ce n'est pas de cela tïùù

;

une mère. Monsieur.

qu'il s'agit,

laissons les morts tranquilles.

il

s'agit

de Valen*


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

188

Tout cela

avec une

était dit

telle volubilité et

un

tel

accent, qu'il y avait quelque chose dans cette conver-

un commencement de dtî)»re. Madame, di» Villefort, cela d'autant mieux que votre désir est d'accord avec

sation qui ressemblait à

— et

Il

sera

mien;

te

fait

selon votre désir,

de M, d'Épinay à Paris...

et aussitôt l'arrivée

— Ma bonne mère,

Valentine, les convenances, le

dit

deuil tout récent... voudriez-vous donc faire

sous d'aussi

Ma

fille,

interrompit vivement l'aïeule, pas de ces

raisons banales qui

lit

empêchent

les esprits faibles

solidement leur avenir. Moi aussi

tir

de mort de

un mariage

auspices?

tristes

ma

mère,

de bâ-

été mariée

j'ai

et n'ai certes point été

au

malheu-

reuse pour cela.

— Encore cette idée de mort Madame, reprit Villefort. — Encore toujours Je vous dis que je vais mou1

1...

1

rir,

entendez-vous? Eh bien

vu mon gendre;

!

avant de mourir, je veux

veux lui ordonner de rendre ma petite-fille heureuse je veux lire dans r^es yeux s'il compte m'obéir; je veux le connaître enfin, moi! conavoir

je ;

tinua l'aïeule avec une expression effrayante, pour le venir trouver du fond de mon tombeau s'il n'était pas "« qu'il doit être,

Madame,

s'il

n'était

pas ce qu'il faut qu'il

dit Villefort,

idées exaltées, qui touchent

il

faut éloigner de

presque à

la folie.

soit.

vous ces

Les morts,

couchés dans leur tombeau, y dorment sans se

fine fois

relever jamais.

— Oh oui, oui, bonne mère, calme— Et moi. Monsieur, je vous dis !

toi

I

dit

Valentine.

qu'il n'en est point

ainsi

que vous croyez. Cette nuit

meil terrible; car je coiaime

corps

:

si

mon âme

me

j'ai

dormi d'un som-

voyais en quelque sorte dormir

eût déjà plané au-dessus de trioa

mes yeux, que

ic m'efforçais d'ouvrir,

se refa-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. maient malgré moi;

vous

va.

et

paraître impossible, à vous, Monsieur, surtout

eh bienl

mes yeux

fermés,

vu

entrer sans bruit

Valentine jeta

— C'était

un

;

vu, à l'endroit m*ème où

j'ai

vous êtes, venant de cet angle où àonne dans le cabinet de toilette de j'ai

189

cependant je sais bien que cela

y a une porte qui

il

madame

de Villefort,

une forme blanche.

cri.

b. fièvre qui

vous

agitait.

Madame,

dit Vil-

ifefort.

— Doutez je dis

:

craint

sens,

j'ai

que

j'ai

même

— Oh —

si

vous voulez, mais

vu une forme blanche; je récusasse le

entendu remuer qui est

!

ici, là,

bonne mère,

comme

de ce que

Dieu eût témoignage d'un seul de mes

mon

et

si

verre, tenez, tenez, celui-

sur la table.

c'était

un

peu un rêve, que

C'était si

je suis sûre

rêve.

étendu

la

main vers

la sonnette, et qu'à ce geste l'ombre a disparu.

La femme

j'ai

de chambre est entrée alors avec une lumière. Les fantômes ne se montrent qu'à ceux qui doivent les voir c'était l'âme de mon mari. Eh bien! si l'âme :

de

mon mari

Le

lien est encore plus direct, ce

revient pour m'appeler, pourquoi à moi, ne reviendrait-elle pas pour défendre

Oh! Madame,

dit Villefort,

me

mon âme, ma fille?

semble.

remué malgré

lui jus-

qu'au fond des entrailles, ne donnez pas l'essor à ces lugubres idées vous vivrez avec nous, vous vivrez long;

temps heureu'C, aimée, honorée,

et

nous vous ferons

oublier...

— Jamais, jamais, jamais!

dit la

marquise. Quand re-

vient M. d'Kpinay?

— Nous l'attendons d'un moment à — C'est bien; aussitôt sera arrivé,

l'autre.

prévenez moi. Hâtons-nous, hâtons-nous. Puis, je voudrais aussi qu'il


LE COMTE DE MONIE-CRISTO.

^90 voir

notaire pour m'assurer que tout notre bien re-

un

vient à Valentine.

ma

Oh!

mère, murmura Valentine, en appuyant

ses lèvres sur le front brûlant de l'aïeule,

Jonc

Mon

mourir?

faire

\iie

Ce n'est pas un notaire

vous voulez

Dieu! vous avez

la fièvre.

qu'il faut appeler, c'est

un mé-

decin!

Un médecin?

dit-elle

en haussant

les épaules

;

je

souffre pas; j'ai soif, voilà tout.

lie

— Que buvez-vous, bonne maman? — Comme toujours, tu sais bien, mon orangeade. Mon verre est là sur cette table; passe-le-moi, Valentine. Valentine versa l'orangeade de la carafe dans et

le

prit

avec un certain

grand'mère, car elle,

c'était

ce

effroi

même

pour

le

verre

le

donner à sa

verre qui, prétendait-

avait été touché par l'ombre.

La marquise vida Puis

elle se

le

verre d'un seul

trait.

retourna sur son oreiller en répétant

:

— Le notaire, le notaire! M. de

Villefort sortit, Valentine s'assit près

>a grand'mère. ijesoin

du

lit

de

La pauvre enfant semblait avoir grand

elle-même de ce médecin qu'elle avait recom-

Une rougeur pareille à une flamme pommette de ses joues, sa respiration était

înandé à son aïeule. .brûlait la

courte et haletante, et son pouls battait vait

eu

C'est qu'elle songeait, la

de Maximilien quand .Méran.

comme

si

elle

la fièvre.

au

connaître,

il

lieu de lui être

comme

Plus d'une

fois

pauvre enfant, au désespoir

apprendrait que

une

alliée,

si elle lui était

madame de

Saint-

agissait, sans le

ennemie.

Valentine avait scngé à tout dire à sa

;.:rand'mère, et elle n'eût pas hésité

Maximilien Morrel

s'était

un

seul instant

si

appelé Albert de Morcerf ou


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Raoul de Château-Renaud

;

mais Morrel

tioD plébéienne, et Valentine savait le

191

était d'extrac

mépris que

l'or

gueilleuse marquise de Saiot-Méran avait pour tout ce

qui n'était point de race. Sou secret avait donc toujours,

an

moment où

allait se faire jour, été

il

repoussé dans

îon cœur par cette triste certitude qu'elle

qu'une

iîîutilement, et et

fois ce secret

le

livrerait

connu de son père

de sa belle-mère, tout serait perdu.

Deux heures

peu près s'écoulèrent

à

ainsi.

Saint-Méran dormait d'un sommeil ardent

annonça

Madame de On

et agité.

le notaire.

Quoique

annonce eût

cette

été faite très-bas,

de Saint-Méran se souleva sur son

— Le notaire? Le notaire

dit-elle; qu'il

était

à

la porte,

— Va-t'en, Valentine,

dit

il

madame

oreiller.

vienne, qu'il vienne! entra.

madame

de Saint-Méran, et

laisse-moi avec Monsieur.

— Mais, ma mère.., — Va, va. La jeune

A que

baisa son aïeule

fille

mouchoir sur

les

médecin

front et sortit le

trouva le valet de chambre, qui lui

la porte elle le

au

yeux.

Valentine descendit rapidement. Le médecin était

ami delà famille,

et

en

même

plus habiles de l'époque

dit

au salon.

attendait

:

il

temps un des hommes

un les

aimait beaucoup Valentine,

vue venir au monde. Il avait une fille de Tàge de mademoiselle de Villefort à peu près, mais née d'une mère poitrinaire sa vie était une crainte continuelle à

qu'il avait

;

l'égard de son enfant.

Ohl dit Valentine, cher monsieur d'Avrigny, nous vous attendions avec bien de l'impatience Mais avant toute chose,

comment

se Dortent Madeleine et .Antoinette?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

192

était la Glle

Madeleine

de M. d'Avrigny, et Antoinette

sa nièce.

M. d'Avrigny sourit tristement.

— Très-bien Antoinette,

dit-il

;

assez bien Madeleine.

Mais vous m'avez envoyé chercher, chère enfant?

madame

r'est ni votre père, ni

Ce

malade? Quant a nous, quoiqu'il

dit-il

de Villefort qui est

soit visible

que nous

ne pouvons pas nous débarrasser de nos nerfs, je ne présume pas que vous ayez besoin de moi autrement quo pour que je vous recommande de ne pas trop laisser notre imagination battre la

Valentine rouyit la divination

;

campagne?

M. d'Avrigny poussait

presque jusqu'au miracle, car

la science c'était

de

un de

ces médecins qui traitent toujours le physique par

le

moral.

Non,

dit-elle,

Vous savez

le

c'est

pour

ma

malheur qui nous

pauvre grand'mère;

est arrivé, n'est-ce

— Je ne sais rien, dit M. d'Avrigny. — Hélas Valentine en comprimant I

mon

dit

pas?

ses sanglots,

grand-père est mort.

— M. de Sainl-Méran? — Oui. — Subitement? — D'une attaque d'apoplexie foudroyante. — D'une apoplexie? répéta médecin. — Oui. De sorte que ma pauvre grand'mère est frappée le

de

l'idée

que son mari, qu'elle n'avait jamais quitté» va aller le rejoindre. Oh monsieur

l'appelle, et qu'elle

d'Avrigny, je vous

mère

I

recommande bien ma pauvre grand'-

!

— Où est-elle?

— Dans sa chambre avec — El M. Noiriier?

le notaire»


,

.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Toujours

même, une

le

193

lucidité d'esprit parfaite

même immobilité, le même mutisme. Et le même amour pour vous n'est-ce

mais

la

,

ma

m'aime bien,

lai.

pas

,

chère enfant

?

— Oui, Valenline en — Qui ne vous aimerait pas?

sout^irant,

dit

il

Valenline sourit tristement.

— Et qu'éprouve votre grand'mère? — Une excitation nerveuse singulière agité et étrange

son sommeil, son

âme

que

le bruit

du

c'est

:

délire

;

elle

prétend

entrer dans sa chambre, et avoir

vu un fantôme

entendu

un sommeil

planait au-dessus de son corps

qu'elle regardait dormir

avoir

,

ce matin que, pendant

elle prétendait

;

faisait le

prétendu fantôme en tou-

chant à son verre.

— C'est singulier, dame de

— C'est lenline, et folle

;

ma-

docteur, je ne savais pas

dit le

Saint-r>]éran sujette à ces hallucinations. la

première

ce matin

fois

elle

que

m'a

je

l'ai

vue

Va-

ainsi, dit

grand'peur, je

fait

l'ai

crue

mon père, certes, monsieur d'Avrigny, vous mon père pour un esprit sérieux, eh bien

et

connaissez

mon

I

père lui-même a paru

— Nous allons voir, dites-là

Le

me

fort

impressionné.

M. d'Avrigny

dit

;

ce que vous

me

semble étrange.

on vint prévenir Valenline que

notaire descendait;

sa grand'mère était seule.

— Montez, au docteur. — El vous? — Oh moi, je n'ose, m'avait défendu de vous en dit-elle

elle

I

voyer chercher

;

puis,

comme vous

je suis agitée, fiévreuse,

tour au jardin pour

Le docteur serra

me la

le dites,

mal disposée,

moi-même

je vais faire

ua

remettre.

muin à Valenline,

et tandis

qu'A


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

494

montait chez sa grand'mère ,

la

jeune

fille

descendit le

perron.

Nous savons pas besoin de dire quelle portion du jarpromenade favorite de Valentine. Après avoii fait deux ou trois tours dans le parterre qui entourait la din était la

maison, après avoir

cueilli une rose pour mettre à sa ou dans ses cheveux, elle s'enfonçait sous l'alsombre qui conduisait au banc, puis du banc elle

ceinture lée

allait

à la

grille.

Cette fois Valentine

fit, selon son habitude, deux ou au milieu de ses fleurs, mais sans en cueillir deuil de son cœur, qui n'avait pas encore eu le temps

trois tours

:

le

de s'étendre sur sa personne, repoussait ce simple orne-

ment; puis

elle

qu'elle avançait,

s'achemma vers son il

lui

allée.

A

mesure

semblait entendre une voix qu»

prononçait son nom. Elle s'arrêta étonnée. Alors cette voix arriva plus distincte à son oreille, et «' 8 reconnut la voix de Maximilien.


ÏJi

COMTE DE MONTE-CRISTO.

*-9=^

XVÏ LA PROMESSiî.

C'était

plus.

^n

effet

mères,

Morrel, qui depuis la veille ne vivait

cet instinct particulier

Avec

avait deviné qu'il

il

allait,

aux amants

et

aux

à la suite de ce retour

de la mort du marquis, se son passer quelque chose chez Villefort qui intéresserait

de

madame

de Saint-Méran

amour pour

Comme

et

Valentine.

on va

le voir,

ses pressentiments s'étaient

inquiétude qui le réalisés, et ce n'était plus une simple grille des marla à tremblant si et conduisait si effaré ronniers.

pas prévenue de l'attente de ordinairement^ Morrel, ce n'était pas l'heure où il venait une heumieux, pur hasard ou, si l'on aime

Mais Valentine

et ce fut

n'était

un

Quand elle reuse sympathie qui la conduisit au jardin. grille. la courut à elle parut, Morrel l'appela;

— Vous, à heure — Oui, pauvre amie, répondit Morrel. cette

1

dit-elle.

Je viens cher

cher et apporter de mauvaises nouvelles.

Valentine

C'est donc la maison du malheur, la somme de Parlez, Maximilien. Mais, en vérité, dit

dou

leurs est déjà bien suffisante.

— Chère Valentine,

dit

Morrel, essayant de se

re-

convenablement, mettre de sa propre émotion pour parler ce que je vais tout car prie; vous écoutez-moi bien, je vous compte-t-on époque quelle A solennel. vous dire est marier?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

196

— Écoutez,

dit à son tour Valentine, je ne veux rien rous cacher, Maxiniilien. Ce malin on a parié de «non el ma grand'raère, sur laquelle j'avais coiiipié sur un appui qui ne me manquerait nas, non-

mariage,

comme

seulement

s'est déclarée

le désire à tel

que

retarde, et

le

pour ce mariage mais encore

point que le retour seul de M. d'Épinay le

lendemain de son arrivée

le contrai

sera signé.

Un et

il

pénible soupir ouvrit la poitrine du jeune homme, regarda longuement et tristement la jeuns ûlle. Hélas! reprit-il à voix basse, il est

affreux d'en-

'endre

dire

tranquillement par la

femme qu'on aime

:

Le moment de votre supplice est flxé c'est dans quelques heures qu'il aura lieu mais n'importe, il faut que «

:

;

cela soit ainsi, et de

opposition.

»

ma

part je n'y apporterai

Eh bieni puisque,

aucune

dites-vous, on n'attend

plus que M. d'Épinay pour signer le contrat, puisque vous serez à lui le lendemain de son arrivée, c'est demain que vous serez engagée à M. d'Épinay, car

il

est

arrivé à Paris ce matin.

Valentine poussa

J'étais

chez

un

cri.

comte de Monte-Cristo il y a une heure, dit Morrel; nous causions, lui de la douleur de votre maison et moi de votre douleur, quand tout à coup une voiture roule dans la cour. Écoutez. Jusque-là je ne croyais pas aux pressentiments, Valentine mais maintenant il faut bien que j'y croie Au bruit de cette voiture, un frisson m'a pris bientôt j'ai entendu des pas sur l'esle

;

;

Les pas retentissants du commandeur n'ont pas plus épouvanté don Juan que ces pas ne m'ont

calier.

épou

vanté. Enfin la porte s'ouvre

premier,

que

el

j'allais

je m'étais

;

Albert de Morcerf entre le

douter de moi-même,

trompé, quand derrière

lui

j'allais croire

s'avance un


-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. autre jeune

M. et

le

homme

que

et

le

'baron Franz d'Épinayl

de courage dans

»

cœur, je

le

comte

s'est éciié

Tout ce que l'ai

197

j'ai

appelé pour

«

:

Ah!

de furc«

me

con mais

tenir. Peut-être ai-je pâli, peut-être ai-je irrirablé-

à coup sur je suis resté le sourire sur les lèvres. Mais

cinq minutes après, je suis sorti sans avoir entenau un

mot de ce qui

s'est dit

pendant ces cinq minutes

;

j'étais

anéanti.

— Pauvre Maximilien murmura Valentine. — Me voilà, Valentine. Voyons, maintenant répondez I

moi comme à un homme à qui votre réponse va donner la mort ou la vie. Que comptez-vous faire? Valentine baissa

—Écoutez,

dit

vous pensez à

;

elle était accablée.

où nous sommes arrivés elle pesante, suprême. Je ne pense pas que

la situation

est grave, elle est

ce soit le

la tête

Morrel, ce n'est pas la première fois que :

moment de s'abandonner aune douleur

cela est bon pour

ceux qui veulent

leurs larmes à loisir.

Il

y a des gens

sans doute leur tiendra compte au tion sur la terre lutter,

;

stérile

:

souffrir à l'aise et boire

comme ciel

cela, et

Dieu

de leur résigna-

mais quiconque se sent

la volonté

de

rend immédia-

ne perd pas un temps précieux et la fortune le coup qu'il en a reçu. Est-ce votre

tement à

volonté de lutter contre la mauvaise fortune, Valentine? dites, car c'est cela

Valentine

que

tressaillit

je viens

et

vous demander.

regarda Morrel avec de grands

yeux effarés. Cette idée de résister à son père, à sa grand" mère, à toute sa famille enfln ne lui était pas même venue. Que me dites-vous, Maximilien? demanda Valen-

qu'appelez-vous une lutte? Oh! dites un sacrilège. Quoi moi, je lutterais contre l'ordre de mon père,

tine, et

I

contre le vœu de

Morre)

fil

mon aïeule mourante

un mouvement.

I

C'est impossible

I


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

498

— Vous êtes un trop noble cœur pour ne pas me comprendre, iien,

et

que

vous

me comprenez

Dieu m'en préserve pour

silence. Lutter, mo."

troubler les derniers

I

force

pour boire mes larmes,

et

Quant à aûliger mon père

dites.

ma

Non, non; je garde toute

!

moi-môme

lutier contre

comme vous

bien, cher Maximi-

si

vous vois réduit au

je

moments de mon

,

quant à

aïeule, jamais

!

— Vous avez bien raison, flegmatiquement Morrel. — Comme vous me dites cela, mon Dieu! s'écria Vadit

lentine blessée.

— Je vous dis

cela

comme un homme

qui vous ad-

mire, Mademoiselle, reprit Maximilien.

— Mademoiselle! l'égoïste

!

il

me

s'écria Valentine,

voit

au désespoir

Mademoiselle

!

de ne pas

et feint

Oh!

me

comprendre.

Vous vous trompez, et je vous comprends parfaitement au contraire. Vous ne voulez pas contrarier M. de Villefort, vous ne voulez pas désobéir à la marquise, et demain vous signerez le contrat qui doit vous lier à

votre mari.

— Mais, mon Dieu! puis-je donc autrement? — ne faut pas en appeler à moi, Mademoiselle, faire

Il

je suis

un mauvais juge dans

m'aveuglera et les

,

cette cause, et

répondit Morrel

,

dont

la

car

mon égoïsme voix sourde

poings fermés annonçaient l'exaspération crois-

sante.

— Que m'eussiez-vous donc proposé, Morrel,

si

vous

m'aviez trouvée disposée à accepter votre proposition?

Voyons, répondez.

Il

mal,

un

il

faui.

f^onner

ne

s'agit pas

de dire vous

Est-ce sérieusement que vous

lentine, et dois-je le

faites

conseil.

donner ce conseil

— Certainement, cher Maximilien,

me ?

dites cela, Var

dites.

car

s'il

est bon, je


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. ^« sTùvrai

;

vous savez bien que

je suis

199

dévouée à vos

affections.

Valentine, dit Morrel en actievant d'écarter

un9

planche déjà disjointe, donnez-moi votre main en preuve

que vous

me

pardonnez

ma

bouleversée, voyez- vous,

colère

et

que

c'est

;

j'ai la tête

que depuis une heure

les

mon

es-

idées les plus insensées ont tour à tour traversé

Oh dans

prit.

où vous refuseriez mon

le cas

!

conseil I.-

— Eh bien!... ce conseil? — Le voici, Valentine. La jeune

leva les

fille

yeux au

ciel et

poussa un soupir.

— Je suis libre, reprit Maximilien, je suis assez riche pour nous deux;

vous jure que vous serez

je

ma femme

avant que mes lèvres se soient posées sur votre front.

— Vous me trembler — Suivez-moi, continua Morrel faites

ma

I

dit la jeune fille. ;

je

vous conduis chez

sœur, qui est digne d'être votre sœur; nous nous

embarquerons pour Alger, pour l'Angleterre ou pour l'Amérique, si vous n'aimez pas mieux nous retirer ensemble dans quelque province, où nous attendrons, pour revenir à Paris, que nos amis aient vaincu la résistance de votre famille. Valentine secoua la

— Je

m'y

attendais

tête. ,

Maximilien

,

dit-elle

:

c'est

un

conseil d'insensé, et je serais encore plus insensée que

vous

mot

si :

je

ne vous

arrêtais pas à l'instant

— Vous suivrez donc votre vous

avec ce seul

impossible, Morrel, impossible.

la fera, et

sans

même

fortune, telle

que

le sort

essayer de la combattre? dit

Morrel rembruni.

— Oui, dussé-je en mourir! — Eh bien Valentine, reprit Maximilien, je vous réI

péterai encore

que vous avez

raison.

Eu

effet, c'est raoi


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ÎOO

un

qui suis

fou,

et

vous

me

prouvez que

passion

la

avena-le les esprits les plus justes. Merci donc, à

qui raisonnez sans passion. Soit donc,

"eus

une chose

c'^sst

entendue; demain vous serez irrévocablement promise à

M. Franz d'Épinay, non point par

cette formalité

de

théâtre inventée pour dénouer les pièces de comédie, et

qu'on appelle

la

du

signature

mais par votre

contrat,

propre volonté.

— Encore une fois, vous Valentine

dit

dans lait

la plaie

un

;

I

encore une

me

fois,

Que feriez-vous,

conseil

comme

celui

désespérez, Maximilien,

vous retournez le poignard dites, si votre

Mademoiselle, reprit Morrel avec un sourire amer,

je suis

un

égoïste,

vous l'avez

d'égoïste, je ne pense pas à ce

dans

sœur écou-

que vous me donnez?

ma

position,

dit,

et

que

ma

dans

qualité

feraient les autres

mais à ce que je compte

faire,

pense que je vous connais depuis un an, que

j'ai

moi. Je mis, du

ai connue, toutes mes chances de bonheur amour; qu'un jour est venu où vous m'avez que vous m'aimiez que de ce jour j'ai ïAs toutes mes

jour où je vous sur votre lit

;

ihances d'avenir sur votre possession

ne pense plus rien maintenant je ;

les

:

c

était

me dis

ma

chances ont tourné, que j'avaic cru gagner

que je

l'ai

vie. Je

seulement que le ciel et

perdu. Cela arrive tous les jours qu'un joueur

perd non-seulement ce

qu'il a,

mais encore ce qu'il n'a pas.

Morrel prononça ces mots avec un calme parfait; Valentine le regarda

un

instant de ses grands

teurs, essayant do ne pas laisser pénétrer

yeux scruta-

ceux de Morrel

jusqu'au trouble qui tom-billonnait déjà au fond de soa cœur.

— Mais enfin, qu "Jlez-vous faire? demanda Valentine. — Je vais avoir l'honneur de vous dire adieu, Mademoiselle, en attestant Dieu, aui entend

mes

paroles bt


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. qai

au fond de mon cœur, que

lit

heureuse

vie as^ez calme, assez

n'y

^u'il

mon

pas place pour

ait

— Oh murmura Valentine. — Adieu, Valentine, adieu!

je

20

vous souhaite une

assez remplie pour

et

souvenir

f

— Où allez-vous?

cria

dit

Morrel en s'inclinanl

en allongeant sa main à

ira

vers la grille et en saisissant Maximilien par son habit la

jeune

que

fille

qui comprenait, à son agitation intérieure,

calme de son amant ne pouvait être réel

le

;

allez-

vous?

— Je vais m'occuper de ne point apporter un trouble nouveau dans votre

famille, et

pourront suivre tous les qui se trouveront dans

— Avant de me faire,

Maximilien

Le jeune

— Oh!

ma

et

dévoués

que vous

quitter, dites-moi ce

allex

?

homme

sourit tristement.

parlez, parlez

— Elle ne

1

dit

Valentine, je vous en prie!

peut changer, malheureux

s'écria la

I

jeune

Valentine secoua

la grille

crue incapable; et

— Qu'allez-vous t-elle

;

vous

le

save*

I

evec une force dont on

comme

passa ses deux mains à travers în se tordant les bras

I

fille.

— Alors, adieu, Valentine rait

honnêtes

position.

Votre résolution a-t-elle changé, Valentine?

— -

bien

donner un exemple que

hommes

Morrel

s'éloignait,

la grille, et les

1

aueli?

joignan

:

faire? je

veux

le

savoir

I

s'écria-

où allez-vous?

— Oh!

soyez tranquille,

a trois pas de la norte

;

mon

dit

Maximilien en s'arrêlanl

intention n'est pas de rendro

un autre homme responsable des rigueurs que le sort garde pour moi. Un autre vous menacerait d'aller trouver M. Franz, de le provoquer, de se battre avec

lui.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

g02

tout cela serait insensé. Qu'a à faire M. Franz dans tout

V m'a \a

cela?

ce matin pour la première

oublié qu'il m'a

vu;

il

ne savait

môme

fois,

a déjà

il

pas que j'existais

lorsque des conventions faites par vos deux familles ont décidé que vous seriez l'un à l'autre. Je n'ai donc point aflaire

à M. Franz,

et,

je

vous

ne m'en pren-

le jure, je

drai point à lui.

— Mais à qui vous en prendrez-vous? à moi —

A vous, Valcntine Oh

est sacrée; la

?

Dieu m'en garde La femme femme qu'on aime est sainte. !

1

!

— A vous-même alors, malheureux, à vous-môme? — C'est moi coupable, n'est-ce pas? Morrel. — Maximilien, Valentine, Maximilien, venez le

dit

dit

je le

ici,

veux!

Maximilien se rapprocha avec son doux sourire, n'était sa pâleur,

on eût pu

et,

dans son état ordi-

le croire

naire.

— Écoutez-moi, ma chère, mon adorée Valentine, il

de sa voix mélodieuse

et

grave, les gens

comme

dit-

nous»

qui n'ont jamais formé une pensée dont

ils aient eu à monde, devant leurs parents et devant gens comme nous peuvent lire dans le cœur

rougir devant le

Dieu

les

;

l'un de l'autre à livre ouvert. Je n'ai jamais fait de ro-

man,

ne suis pas un héros mélancolique, je ne

je

pose ni en Manfred ni en Anlony sans protestations, sans serments,

vous je

;

vous me manquez

vous

l'ai dit

manquez

et

et je

ma vie

vous

et

j'ai

mis

mon

est

vie en

est perdue.

me Du moment où vous vous

heureuse près de son mari

beau-frère, c'est-à-dire

ainsi,

répète; mais enfm vous

éloigne' de moi, Valentine, je reste seul au

sœur

ma

vous avez raison d'agir

le

me

mais sans paroles,

:

;

un homme que

Uous sociales attachent seules à moi

;

monde.

Ma.

son mari n'est que les

conven-

personne n'a donc


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

mon

besoin sur la terre de Voilà re que je ferai

:

205

existence devenue inutile.

j'attendrai jusqu'à

dernifre se-

:i3

conde que vous soyez mariée, car je ne veux pas perdre i'ombre d'une de ces chances inattendues que nous garde quelquefois le hasard, car enfin d'ici là M. Franz d'Épinay peut mourir; au moment où vous vous en approchetout semble rez, la foudre peut tomber sur l'autel croyable au condamné à mort, et pour lui les miracles :

rentrent dans la classe

du

possible dès qu'il s'agit

du

salut de sa vie. J'attendrai donc,dis-je, jusqu'au dernier

moment,

quand mon malheur sera

et

certain, sans re-

mède, sans espérance, j'écrirai une lettre confidentielle à mon beau-frère, une autre lettre au préfet de police pour leur donner avis de mon dessein et au coin de quelque ,

bois, sur le revers de fiviêre, je

suis le

me

fils

quelque fossé, au bord de quelque

ferai sauter la cervelle, aussi Trai

du plus honnête homme qui

ai

que

je

jamais vécu

en France.

Un tremblement lentine

;

elle

convulsif agita les

membres de Va-

lâcha la grille qu'elle tenait de ses deux

mais, ses bras retombèrent à ses côtés, et deux grosses

larmes roulèrent sur ses joues. Le jeune homme demeura devant

sombre

et ré-

vous vivrez,

n'est-

elle,

solu.

— Ohl par

pitié,

par

pitié, dit-elle,

pas?

— Non, sur mon honneur,

Maximilien; mais que

dit

vous importe à vous? vous aurez votre conscience vous restera. Valenti/^e

fait

votre devoir, et

tomba à genoux en étreignant son cœur, qui

se brisait.

Maximilien,

frère sur la terre,

dit-elle,

mon

Maximilien,

véritable

mon

époux au

ami, mo::

ciel, je t'en


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

20»

comme

prie, fais

moi, vis avec la souffrance

un jour

:

peut-êlre nous serons réunis.

— Adieu,

Valentine, répéta Morrel.

— Mon Dieu au fait

!

Valentine en levant ses deux mains

dit

avec une expression sublime, vous

ciel

pu pour rester

tout cequft j'ai

supplié, imploré;

supplications, ni

fille

mes

n'a écouté ni

il

mes

Eh

pleurs.

voyez,

le

soumise

mes

prières, ni

bien!

j'ai

j'ai prié,

:

continua-t-elle

en essuyant ses larmes et en reprenant sa fermeté, eh bien! je ne veux pas mourir de remords, j'aime mieux mourir de honte. Vous vivrez, Maximilien, à

personne qu'à vous.

A

et

jene

quelle heure? à quel

serai

moment?

est-ce tout de suite? parlez, ordonnez, je suis prête.

nouveau

Morrel, qui avait de s'éloigner, était

quelques pas pour

fait

revenu de nouveau,

cœur épanoui, tendant à

de joie,

et pâle

travers la grille ses

le

deux mains

à Valentine.

— Valentine, qu'il faut

me

chère amie, ce n'est point ainsi

dit-rt,

parler,

ou sinon

il

faut

me

laisser

Pourquoi donc vous devrais-jeàla violence,

mez comme humanil

i,

— Au

murmura

î? lui.

Qui m'a consolée de toutes mes douleurs?

ma vue

égarée, sur qui repose

lui, lui,

toujours lui.

f.anglotant, tout!...

Miais

Eh

mon cœur

s'arrête

saignant

?

sur

bien! tu as raison à ton tour;

te suivrai,

ingrate

uelle, tout.

que

je quitterai la

je suis

même mon

I

maison pater

s'écria Valentine en

bon grand-père que

j'ou-

!

— Noii, tier

mieux mourir.

Valentine, qui est-ce qui m'aime

Sur qui reposent mes espérances, sur qui

Maximilien, je

mourir.

vous m'ai-

vous aime? Me forcez-vous à vivre par

voilà tout? en ce cas j'aime

fait,

au mond lui.

je

si

dit

Maximilien, tu ne

a p^ru éprouver, dis-tu, de

\ô quitteras pas. la

M. Noir-

sympathie pour moi

:


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. eh bien! avant de

égide devant Dieu de son consentement mariés,

viendra avec nous

ii

aura deux.

Tu m'as

au

:

comment

dit

20?;

;

puis, aussitôt

lieu d'un enfant, il

une

tout; tu te feras

fuir tu lui diras

te parlait et

il

ec

comment

tu lui répondais; j'apprendrai bien vite cette langue tou

chante des signes, va, Valentine. Ohl je lieu

du désespoir qui nous

je te

promets

— Oh

I

regarde

!

Maximilien

,

puissance sur moi, tu tu

car

jure, au bonheur que

te le

attend, c'est le

me

,

regarde quelle est ta

presque croire à ce que

fais

me dis, et cependant ce que tu me dis est insensé, mon père me maudira, lui car je le connais, lui, le ;

cœur

inflexible, jamais

tez-moi, Maximilien,

si

il

par

moi?

cident,

que

conque

je puis retarder

n'est-ce pas

— Oui,

sais-je,

ne pardonnera. Aussi, écouartifice,

le

par prière, par ac-

un moyen quel-

enfin par

si

mariage, vous attendrez,

?

je le jure,

cet affreux mariage

comme vous me

jurez, vous,

ne se fera jamais,

et

trainât-on devant le magistrat, devant le prêtre, direz

que

que, vous

vous

non?

— Je

te le jure,

Maximilien, par ce que

sacré au monde, par

ma mère

j'ai

de plus

î

— Attendons Morrel. — Oui, attendons, reprit Valentine, alors, dit

qui respirait à ce

mot il y a tant de choses qui peuvent sauver des malheureux comme nous. Je me fie à vous, Valentine, dit Morrel, tout ce que ;

vous ferez sera bien

à vos

Drières,

si

fait;

seulement,

votre père,

si

si

madame

l'on passe outre

de Saint-Méran

exigent que M. d'Épinay soit appelé demain à signer contrat...

— Alors, vous avez ma parole, TUM£

IV.

Morrel 12.

le


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Î06

— Au lieu designer... — Je viens vous rejoindre et nous là,

ne tentons pas Dieu, Morrel

;

rayons; mais

d'ici

ne nous voyons pas

:

c'est tin miracle, c'est

une providence que nous n'ayons

pas encore été surpris

;

vait

si

nous étions surpris,

comment nous nous voyons, nous

si

l'on sa-

n'aurions plus

aucune ressource.

— Vous avez

;

mais comment sa-

— Par notaire, M. Deschamps. — Je connais. — Et par moi-môme. Je vous

donc

raison, Valenline

voir... le

le

écrirai, croyez-le

bien.

Mon Dieul

odieux qu'à vous

ce mariage, Maximilieu, m'est aussi !

Bien, bien! merci,

Morrel. Alors tout est j'accours

ici,

dit,

ma une

Valentine adorée, reprit fois

que

ais l'heure,

je

vous franchissez ce mur dans mes bras

:

la

une voiture vous attendra à la porte de l'enclos, vous y montez avec moi, je vous conduis chez ma sœur là, inconnus si cela vous convient»

chose vous sera

facile

;

;

faisant éclat

si

de notre force

vous et

le

désirez,

nous aurons

conscience

la

de notre volonté, et nous ne nous

comme

serons pas égorger

lais-

l'agneau qui ne se défend

qu'avec ses soupirs.

Soit,

dit

Valenline; à votre tour je vous dirai

Maximilien, ce que vous ferez sera bien

— Oh! — Eh bien!

êtes-vous content de votre

tristement la jeune

— Ma Valentine

:

fait.

femme'

dit

fllle.

adorée, c'est bien peu dire que dire

oui.

Dith5 toujours.

Yaleuuae

s'était

approchée, ou plutôt avait approcbé^


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. ses lèvres de la

207

grille, et

ses paroles glissaient, avec son parfumé, jusqu'aux lèvres de Morrel, qui collai; sa bouche de l'autre côté de la froide et inoxoraole clôsouffla?

ture.

— Au revoir,

dit Valentine, s'aiTachant à ce

bonheur,

au revoir?

— J'aurai une de vous — Oui. — Merci, chère femme! au revoir. lettre

Le

?

bruit d'un baiser innocent et

perdu

retep'.ic, et

Va-

lentine s'enfuit sous les tilleuls.

Morrel écouta les derniers bruits de sa robe frôlant les charmilles, de ses pieds faisant crier le sable, leva les

yeux au îe ciel

ciel

de ce

avec un ineffable sourire pour remercier qu'il permettait qu'il fût

aimé

ainsi, et dis-

parut à son tour.

Le jeune homme rentra chez lui et attendit pendant tout le reste de la soirée et pendant toute la journée du lendemain sans rien recevoir. Enfln, ce ne fut que le surlendemain, vers dix heures du matin, comme il allai! s'acheminer vers M. Deschamps, notaire, qu'il reçut par la

poste

un

petit billet qu'il

tine, quoiqu'il n'eût Il

«

était

reconnut pour être de Valen-

jamais

vu son

conçu en ces termes

écriture.

:

Larmes, supplications, prières, n'ont rien

pendant deux heures,

j'ai

fait.

Hier.

été à l'église Saint-Philippe

du Roule, et pendant deux heures j'ai prié Dieu du fond de l'âme; Dieu est insensible comme les hommes, et la signature du contrat est fixée à ce soir, neui heures. «

je n""! qu'une parole

comme

je n'ai

Morrel, et cPtte parole vous est engagée

TOU?l

:

qu'un cœur, ce cœur esta


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.^

208 «

Ce

à^euf

soir donc,

heures moins un quart, à

la

grille.

Voire femme,

Valentine de Villefort.

«

P. S.

plus mal

Ma pauvre grand'mère va de

a

plus mal en

son exaltation est devenue du délire

hier,

;

aujourd'hui son délire est presque de la

:

folie.

Vous m'aimerez bien, n'est-ce pas, Morrel, pour me que je l'aurai quittée en cet état? « Je crois que l'on cache à grand- papa Noirlier que la signature du contrat doit avoir lieu ce soir. » «

faire oublier

Morrel ne se borna pas aux renseignements que lui

donnait Valentine;

il

chez

alla

le notaire,

qui lui con-

firma la nouvelle que la signature du contrat était pour

neuf heures du Puis

en sut

soir.

passa chez Monte-Cristo

il

le

plus

Franz

:

lennité; de son côté,

comte pour mais

la

le prier

;

venu

madame

ce fut encore là qu'il

lui

veuve

de l'excuser

tristesse

dont

elle

comte, auquel veille,

jetaient sur

annoncer cette so-

de Villefort avait écrit au si

elle

mort de M. de Saint-Méran

vait sa

La

était

cette

ne

l'invitait point;

et l'état

ne voulait pas assombrir

elle souhaitait toute sorte

Franz avait été présenté à

Méran, qui avait quitté

le

lit

pour

où se trou-

réunion un voile de le front

du

de bonheur.

madame

de Saint-

cette présentation, ci

qui s'y était remise aussitôt. Morrel, la chose est facile à comprendre, était dans état d'agitation qui

perçant que fut-il

pour

l'était l'œil

du comte; aussi Monte-Cristo que jamais; si affectueux,

pius affectueux

(Uk

que deux ou

un

ne pouvait échapper à un œil aussi

trois fois

lou. dire. Mais

il

Maximilien fut sur

se rappela la

)e |;:.jmt

de lu

promesse formelle donnée


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. à Valentine,

relut vingt

à quelle occasion

et

sait cette

lettre,

dans

!

A chaque

courageuse

de

la part

!

lui-même

à

effet,

quelle

qui prend une résolution

quel dévouement ne mérite-t-elle pas de

celui à qui elle a tout

doit être réellement

et l'on n'a point

Comme

sacrifié!

pour son amant

digne objet de son culte! C'est à

femme,

la

qu'elle lui

fois qu'il reli-

serment de rendre Valentine heureuse. En fille

journée

la

fois

Maximilien se renouvelait

autorité n'a pas la jeune si

fois

àe Valentine. C'était la première

écrivait,

201

son secret resta au fond de son cœur.

homme

Le je^ne lettre

le

et

le

premier

la reine et la

la fois

assez d'une

elle

et le plus

âme pour

remer-

la

cier et l'aimer.

Morrel songeait avec une agitation inexprimable à c«

moment où Valentine arriverait en disant Me voici, Maximilien; prenez-moi.

:

organisé

avait

Il

toute

avaient été cachées dans

la

deux

fuite;

cette

que devait conduire Maximilien lui-même,

attendait; pas

de domestique, pas de lumière; au détour de

rue on allumerait des lanternes, car par

un

échelles

luzerne du clos; un cabriolet,

surcroît de précautions,

il

ne

la

première

fallait point,

tomber entre

les

mains

de la police.

De temps en temps des frissonnements tout le corps de Morrel 'aîte

et

de ce mur, il

il

il

pa?iâient par

songeait au ""i^oment où,

du

protégerait la descente de Valentine,

sentirait tremblante et

celle dont quv» le

il

;

abandonnée dans ses bras,

n'avait jamais pressé

que

la

main

et baisé

bout du doigt.

Mais quand vint l'après-midi, quand Morrel l'heure s'approcher,

il

éprouva

le

son sang bouillait, les simples questions,

d'un ami l'eussent

irrité;

il

sentit

besoin d'êtrb seul; la

seule vcix"

se renferma chez lui, es^


LE COMTE DE MONTE-nUISTO.

210

sayaiit de lire

mais son regard

;

y rien comprendre, et

revenir a dessiner, pour la deuxième échelles et sor.

pages sans pour en

glissa sur les

unit par jeter son livre,

il

foi9,

son plan,

se.'

'••los.

Enfin l'heure s'approcha.

Jamais homrat bien amoureux n'a laissé faire

horloges

les

paisiblement leur chemin; Morrel tourmenta

les siennes, qu'elles finirent par

demie à six heures.

Il

se dit alors qu'il était

que neuf heures

partir,

était

si

bicK

marquer huit heures

et

temps de

bien effectivement l'heure

de la signature du contrat, mais que, selon (oute probaValentine n'attendrait pas cette signature inutile

bilité,

en conséquence, Morrel, après être parti de

la

;

rue Meslay

à huit heures et demie à sa pendule, entrait dans le clos

comme huit

heures sonnèrent à Saint-Philippe du Roule.

Le cheval et le cabriolet furent cachés derrière une petite masure en ruines dans laquelle Morrel avait l'habitude de se cacher.

Peu à peu

le

jour tomba, et les feuillages du jardin se

massèrent en grosses touffes d'un noir opaque. Alors Morrel sortit de la cachette et vint regarder,

?œur

palpitant,

au trou de

la grille

:

il

le

n'y avait encore

personne.

Huit

fi.îures et

Une demi

;

demie sonnèrent.

°ure s'écoula à attendre; Morrel se pro-

menait de long en large; puis, à des intervalles toujours plus rapprochés, venait appliquer son œil

aux planches.

Le jardin s'assombrissait de plus en plus; mais dans l'obscurité on cherchait vainement la robe blanche dans le silence on écoutait inutilement le bruit des pas. ;

La maison qu'on apercevait à travers restait

sombre,

et

les

feuillages

ne présentait aucun des caractères

d'une maison qui s'ouvre nour un événement aussi im-


LE COMIE DE MONTE-CRISTO. poilant que

2H

une signature du contrat de mariage.

l'est

Morrel consulta sa montre, qui sonna neuf heures quarts

;

mais presque aussitôt

loge, déjà entendue

de

la

deux ou

cette

même

C'était déjà

une demi-heure

lentine n'avait fixée

heures,

même

et

demie

d'attente de plus

elle-même

:

que Vaneuf

avait dit

elle

plutôt avant qu'après.

Ce fut le moment

homme,

Terreur

trois fois, rectifia

montre en sonnant neuf heures

trois

voix de l'hor-

le

plus terrible pour

le

cœur du jeune

comme un

sur lequel chaque seconde tombait

marteau de plomb.

Le plus

faible bruit

du

vent appelaient son oreille

feuillage

,

son front; alors, tout frissonnant,

il

moindre

le

et faisaient

monter

la

cri

du

sueur à

assujettissait son

«chelle, et pour ne pas perdre de temps, posait le pied

sur le premier échelon.

Au

milieu de ces alternatives de crainte

au miheu de ces dilatations

et

et d'espoir,

de ces serrements de cœur,

dix heures sonnèrent à l'église.

— Oh

I

murmura Maximilien avec

terreur,

il

est ira-

possible que la signature d'un contrat dure aussi long-

temps, à moins d'événements imprévus; les

chances, calculé

malités,

il

Et alors

s'est ,

le fer glacé.

j'ai

pesé toutes

temps que durent toutes

les for-

passé quelque chose.

tantôt

la grilla, tantôt

le

il

il

se promenait avec agitation devant

revenait appuyer son front brûlant sur

Valentine s'était-elle évanouie après

le

con-

ou Valentine avait-elle été arrêtée dans sa fuite? C'étaient là les deux seules hypothèses où le jeune homme pouvait s'arrêter, toutes deux désespérantes. trat,

L'idée à laquelle

môme

il

la lorce avait

s'arrêta fut

manqué

qu'au milieu Je sa

fuite

à Valentine, et qu'elle était

iombée évanouie au milieu de quelque

allée.


LE COMIE DE MONTE-CRISTO.

912

Oh!

en

s'il

est ainsi,

haut de l'échelle, je

Le démon qui plus, et

qui

fait

par

lui avait soufflé cette

bourdonna à son

en s'élançant aa

s'écria-t-il

la perdrais, et

oreille

ma

faute

pensée ne

I

le

quUia

avec cette persistance

que certains doutes, au bout d'un

instant, par la

du raisonnement, devionnent des convictions. Ses

force

yeux, qui cherchaient à percer l'obscurité croissante, croyaient sous la sombre allée apercevoir sant bla

Aforrel se hasarda jusqu'à appeler, et

;

que

vent apportait jusqu'à

le

lui

une

un objet giil lui sem-

plainte inarti-

culée.

Enfin la demie avait sonné à son tour sible de se les

borner plus longtemps, tout

tempes de Maximilien battaient avec

ges passaient devant ses

yeux

;

il

;

force, des

enjamba

il

impos-

était

était siipposable;

le

nua-

mur

et

sauta de l'autre côté. Il il

était

chez Villeforl,

il

venait d'y entrer par escalade

;

songea aux suites que pouvait avoir une pareille ac-

mais

tion,

En un point

il

n'était

instant il

était

il

pas venu jusque-là pour reculer. fut à l'extrémité

de ce massif.

parvenu on découvrait

la

Du

maison.

Alors Morrel s'assura d'une chose qu'il avait déjà soup-

çonnée en essayant de glisser son regard à travers

les

qu'au lieu des lumières qu'il pensait voir

arbres

:

briller

à chaque fenêtre, ainsi qu'il est naturel aux jours

c'est

de cérémonie,

il

ne

vit rien

que

la

masse

grise et voilée

encore par un grand rideau d'ombre que projetait un

Duage immense répandu sur

Une lumière due,

Ces

et passait

la lune.

courait de temps en temps

devant

trois

fenêtres

trois fenêtres étaient celles

comme

du premier

éperétage.

de l'appartement de nu-

dame de Saint-Méran. Une autre lumière restait immobile

derrière des rt*


nz

LE COMTE DE MONTE-CRISTO, deaux rouges. Ces rideaux

madame

à coucher de

étaient

s'était fait

il

Le jeune homme

il

fois,

du

lentine en pensée à toute heure

que, sans l'avoir vue,

la

chambre

de Villefort.

Morr»' devina tout cela. Tant de

disons-nous,

ceux de

pour suivre Va-

jour, tant de fois,

plan de cette maison,

faire le

la connaissait.

fut encore plus

épouvanté de celte

obscurité et de ce silence qu'il ne l'avait été de l'absence

de Valenline.

Éperdu, fou de douleur, décidé à tout braver pour

du malheur

voir Valenline et s'assurer

quel qu'il

Morre! gagna

fût,

la iisicre

re-

qu'il pressentait,

du massif,

et s'ap-

prêtait à traverser le plus rapidement possible le parterre,

complètement découvert

encore assez éloigné, mais que

,

quand un son de voix

le

vent

lui apportait, par-

vint jusqu'à lui.

A du

ce bruit

il

feuillage,

immobile

et

fit

il

par

compagnée, fui était il

et

demeura

si c'était

:

la verrait

au moins si

si

Valenline seule,

il

Valenline était ac-

et s'assurerait qu'il

ne

c'étaient des étrangers,

quelques mots de leur conversation

et arrive-

à comprendre ce mystère incompréhensible jusque-là.

La lune la

il

était prise

un mot au passage;

arrivéaucun malheur;

saisirait

rait

arrière; déjà à moitié sorti

enfonça complètement

muet, enfoui dans son obscurité.

Sa résolution l'avertirait

un pas en

s'y

alors sortit

du nuage qui

la cachait, et,

sur

porte du perron, Morrel vit apparaître Villefort, suivi

d'un

homme

vôtu de noir.

Ils

et s'avancèrent vers le massif.

pas que, dans cet

connu

fe

homme

descendirent les marches

Us n'avaient pas

fait

vôtu de noir, Morrel

quatre

^vait re-

docteur d'Avrigny.

Le jeune homme, en les voyant venir à lui, recula macLmalement devant eux jusqu'à ce qu'il rencontra i9


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

•V5

tionc d'un sycomore qui il

fut forcé

faisait le centre

d'un massif;

ia

de s'arrêter.

Bientôt le sable cessa de crier sous les pas des deux

promeneurs. "- Ah cher docteur, se

me

profonde

consoler

;

quel coup de foudre

!

hélas

!

la plaie est trop

I

Une sueur Villefort

lui-même

était

disait

homme

du jeune

froide glaça le front

mort dans

cette

trCj)

et

fit

maison

maudite?

— Mon cher monsieur de Villefort, répondit un accent qui redoubla homme, je ne vous ai point amené

cin avec

ler,

N'essaye."

vive et

Morte, mortel

I

claquer ses dents. Qui donc

que

roi, Voici le

déclare décidément contre notre maison.

Quelle horrible mort pas de

procureur du

dit le

I

qui

îiel

la terreur ici

le

méde-

du jeune

pour vous conso-

tout au contraire.

Que voulez-vous

demanda

dire ?

procureur du

le

roi, effrayé.

— Je vous

veux

arriver,

dire que, derrière le il

en

est

un

malheur qui vient de

autre plus grand encore peut-

être.

— Ohl

mon

Dieu! murmura Villefort en joignant

mains, qu'allez-vous

me

— Sommes-nous bien —

Oh

!

— vous

seuls,

oui, bien seul. Mais

précautions Elles

mon ami que

?

signifient toutes ces

?

signifient

faire, dit le

Villefort

les

encore?

dire

que

docteur

tomba plutôt

j'ai :

une confidence

terrible à

asseyons-nous.

qu'il

ne

s'assit

sur un banc. Le

une main posée sur son épaule. Morrel, glacé d'effroi, tenait d'une main son front, docteur resta debout devant

lui,

de l'autre comprimait son cœur, dont entendit les battements.

il

craignait qu'on


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Morte,

morte

dans sa pensée avec

répétait-il

I

^15 la

voix de son cœur. Et lui-même se sentait mourir.

— Parlez, docteur, j'écoute,

dit Villefort;

frappez, je

suis préparé à tout.

— Madame de Saint-Méran mais

elle jouissait

était

bien âgée sans doute,

d'une santé excellente.

Morrel respira pour la première

depuis dix mi-

fois

nutes.

— Le chagrin docteur

près du marquis

— Ce

;

oui, le chagrin,

I...

Le chagrin peut

mais

il

mon

Villefort qu'il avait

cher Villefort,

quoique

il

les il

dit le

cas soient

ne tue pas

ne tue pas en dix minutes.

ne répondit rien

;

seulement

tenue baissée jusque-là,

avec des yeux

Vous

tuer,

ne tue pas en un jour, mais

en une heure, mais

dit Villefort

n'est pas le chagrin,

docteur. rares,

tuée,

l'a

Cette habitude de vivre depuis quarante ans

!

et

il

leva la tête

regarda

le

doctem

effarés.

êtes resté

pendant l'agonie? demanda

M. d'Avrigny.

— Sans m'avez

doute

dit tout

,

répondit

— Avez-vous remarqué madame

le

procureur du

roi

vous

;

bas de ne pas m'éloigner. les

symptômes du mal auquel

de Saint-Méran a succombé

Certainement madame ;

?

de Saint-Méran a eu trois

attaques successives à quelques minutes les unes des autres, et à chaque fois plus rapprochées et plus graves.

Lorsque vous êtes arrivé, déjà depuis quelques minutes elle eut alo's une

madame de Sant-Méraa était haletante crise je

m

;

une simple attaque de nerfs mais commençai à m'effrayer réellement que lorsque je

que

je pris po

-jir

la vis se soulever sur

son lit, le; membres

;

et le c<ai tendus.


LE COJITE HE MONTE-CRISTO.

21 fi

Alors, a voire visage, je compris que la chose étaii pltts

grave que

[e

vos yeui

mais je ne

ne

le croyais.

La

crise passée, je c.'ierchai

les rencontrai pas.

Vous

teniez le

pouls, vous en comptiez les battemeuts, et la seconde

que vous ne vous

crise parut,

mon

de

côté. Celle

première

bouche se contracta

duisirent, et la

A

encore retourné

mêmes mouvements nerveux

les

:

étiez pas

seconde crise fut plus terrible que

et

devint violette.

la troisième elle expira.

Déjà, depuis la fin de la première, j'avais reconnu

me

tétanos; vous

-

ma

Oui, devant tout le monde, reprit

sommes

ment par mêmes.

;

mais

me dire, mon Dieu? symptômes du tétanos et de l'empoisonne-

M. de

les

matières végétales sont absolument lea

les

Villeforl se dressa sur ses pieds; puis, après

instant d'immobilité et de silence,

— Oh! mon Dieu me

ce que vous

I

docteur,

dit le

ma déclaration demanda

A

un

retomba sur son banc.

dit-il,

songez-vous bien à

s'il

un rêve ou

faisait

s'il

veillait.

docteur, je connais l'importance de

et le caractère

— Est-ce au

il

dites là?

Morrel ne savait pas

— Écoulez,

docteur

le

seuls.

Qu'allez-vous

— Que

entre

le

confirmâtes dans celte opinion.

ntenant nous

la

se repro-

de l'homme à qui je

la fais.

magistral ou à l'ami que vous parlez

î

Villeforl.

l'ami

les

,

moment

à l'ami seul en ce

symptômes du

tétanos et les

;

les rapports

symptômes de

l'empoisonnement par les substances végétales sont tellement identiques que s'il me fallait signer ce que je ,

dis là, je

vous déclare que

j'hésiterais. Aussi, je

répète, ce n'est point au magistral

i l'ami. Kh bien à I

Vsjaai

ie dis

:

que

vous

le

je m'adres5e, c'est

pendant les

trois

quarts


LE COMTE d'heure qu'elle a duré

,

Ui.

MONTE-CRISTO.

j'ai

étudié l'agonie

madame

sions, la mort de

do Saint-Méran

U7

les

,

convul-

bien

dans non-seulement madame de Saint-Méran est morte empoisonnée, mais encore je dirais, oui, je di-

ma

conviction

;

eli

!

,

rais quel poison

l'a

tuée,

— Monsieur Monsieur — Tout y est, voyez-vous: I

I

somnolence interrompue

par des crises nerveuses, surexcitation du cerveau peur des centres. Madame de Saint-Méran a

,

tor-

succombé

i

une dose violente de bracine ou de strychnine, que par hasard sans doute , que par erreur peut-être on lui .a ,

ad.ministrée. Villefort saisit la

main du docteur.

— Oh! c'est impossible! dil-il,je rêve, mon Dieu! je rêve

C'est effroyable d'entendre dire des

I

à up

reilles

homme comme vous

I

choses pa-

Au nom du

ciel, je

vous en yapplie, cher docteur, dites-moi que vous pouvez vous tromper !

— Sans doute, je — Mais?... —

le

puis, mais...

Mais, je ne le crois pas.

— Docteur,

prenez pitié di moi; depuis quelques m'arrive tant de choses inouïes, que je crois à la possibilité de devenir fou.

jours

il

Un

Méran

auvre que

moi

a-t-il

vu madame de Saint-

?

— Personne. — A-i-on envoyé

chez le pharmacien quelque ordonnance qu'on ne m'ait pas soumise? Aucune.

— — Madame de Saint-Méran avait-elle des ennemis? — Je ne en connais pas. lui

— Quelqu'un TOME

IV.

avaii-il intérêt

à sa morlr

4|


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

94 s

— Mais

non,

pensée aie pouvait venir,

mon cœur

d'avoir

ma

Dieul mais non;

mon

seule héritière, Valentine seule...

pu un

me

je

Oh

est 3^

fille

une

si

I

pareille

poignarderais pour punir

seul instant abriter

une

pareille

pensée.

— Oh!

son tour M. d'Avrij,ny, cher ami, à j'accuse quelqu'un je ne parle que que Dieu ne plaise bien d'une erreur. Mais comprenez-vous accident, d'un s'écria à

,

,

accident

ou

conscience

erreur, le ,

et qui

qui parle tout bas à

fait est là

veut que

ma

ma

conscience vous parle

tout haut. Informez-vous.

— A qui? comment? de quoi — Voyons Barrois, vieux domestique, ne se serait?

le

:

pas trompé,

il

et n'aurait-il

madame

pas donné à

de Saint-

quelque potion préparée pour son maître?

Méran Pour mon père

— — Oui. — Mais comment une potion préparée peut-elle

tier

?

empoisonner madame

— Rien de plus simple

:

pour M. Noir-

de Saint-Méran?

vous savez que dans certaines

la paralysie maladies les poisons deviennent un remède trois mois, depuis près pe,u A maladies-là. ces est une de ;

pour rendre par exemple, après avoir tout employé

le

mouvement et la parole à M. Noirtier, je me suis décidé mois dis-je je à tenter un dernier moyen depuis trois ,

;

le traite

par la brucine

;

ainsi

,

dans

la

,

dernière potion

commandée pour lui il en entrait six centigrammes six centigrammes, sans action sur les organes

que

,

j'ai

;

paralysés de M. Noirtier, et auxquels d'aill'^urs

il

s'est

acco,ulumé par des doses successives, six ceuiigrammes sufliseni

pour tuer toute autre personne que lui. communication il n'y a aucune

— Mon cher docteur

entre l'appartement de

,

M Noirtier «t

celu» de

madame


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

21»

ma

de Saint-Méran, et jamais Barrois n'entrait chez

belle-mère. Enfin, vous le dirai-je, docteur, quoique je

vous sache l'homme

le

plus habile et surtout

le

plus cons-

ciencieux du monde, quoiqu'en toute circonstance votre parole soit pour moi

de

la

lumière du

un flambeau qui me guide à

soleil

,

eh bien

,

l'égal

docteur , eh bien

j'ai

!

besoin, malgré cette conviction, de m'appuyer sur cet

axiome, errare humanum

— Écoutez, Villefort,

est.

dit le

un de

docteur, existe-t-il

mes confrères en qui vous ayez moi?

autant de confiance qu'en

— Pourquoi cela, dites? où voulez-vous en venir? — Appelez-le, je ce que vu, ce que lui dirai

j'ai

j'ai

remarqué, nous ferons l'autopsie.

— Et vous trouverez des traces du poison? — Non, pas du poison je pas cela, mais noua n'ai

,

dit

du système nerveux, nous reconnaîtrons l'asphyxie patente incontestable et nous constaterons l'exaspération

,

vous dirons

:

Cher

Villefort, si c'est

,

par négligence que

chose est arrivée, veillez sur vos serviteurs;

la

si

c'est

par haine, veillez sur vos ennemis.

— Oh!

mon

gny? répondit

un

Dieul que

me

proposez-vous là, d'Avri-

Villefort abattu;

du moment où

y aura

il

autre que vous dans le secret, une enquête deviendra

nécessaire, et tant,

continua

une enquête chez moi impossible le

regardante médecin avec inquiétude, pourtant voulez,

si

Pour-

I

procureur du roi en se reprenant

vous l'exigez absolument,

si

je le ferai.

et eu

vous U

En

effet,

mon caractère me le commande. Mais, docteur, vous me voyez d'avance pénétré de tristesse ^troduire dans ma maison tant de scandale après tant de douleur Ohî ma femme et ma fille en mourront; et moi, moi, docteur, vous le

peut-être dois-je donner suite à cette affaire;

!


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

J80 savez,

un homme n'en

arrive pas

du

n'a pas été procureur

j'en suis,

un homme

vingt-cinq ans sans s'être

roi

amassé Don nombre d'ennemis;

miens sont nom-

les

breux. Cette affaire ébruitée sera pour eux un triomphe qui les fera tressaillir de joie

,

et

moi

me

couvrira de

honte. Docteur, pardonnez -moi ces idées mondaines. Si

TOUS

un

étiez

hommes

prêtre, je n'oserais vous dire cela

homme

vous êtes un

,

docteur, docteur, vous ne

;

;

mais

mais vous connaissez les autres

m'avez rien

dit,

n'est-ce pas?

— Mon

cher monsieur de Villefort

répondit le doc-

,

mon premier devoir est l'humanité. J'eusse sauvé madame de Saint-Méian si la science eût eu le

teur ébranlé,

pouvoir de

le faire

,

mais

morte

elle est

,

je

me

dois

aux

vivants. Ensevelissons au plus profond de nos cœurs ce terrible secret. Je permettrai

,

yeux de quelques-

les

si

uns s'ouvrent là-dessus qu'on impute à mon ignorance ,

que

le silence

j'aurai gardé.

chez toujours

Cependant, Monsieur, cher-

cherchez activement

,

,

car peut-être cela

quand vous aurez trouvé le coupable, si vous le trouvez, c'est moi qui vous dirai Vous êtes magistrat, faites ce que vous voudrez ne

s'arrêtera-t-il point là... Et

;

!

— Oh

merci

!

joie indicible

,

,

merci

,

dit Villefort avec une eu de meilleur ami que

docteur

je n'ai jamais

I

vous. Et

comme

eût craint que le docteur d'Avrigny ne

s'il

revint sur cette concession, teur Ils

du côté de

se leva et entraîna le doc-

s'éloignèrent.

Morrel têit

il

maison.

la

du

eût pu

,

comme

s'il

taillis, et la le

eût eu besoin de respirer, sortit sa

lune éclaira ce visage

si

pâle qu'on

prendre pour un fantôme.

— Dieu me

protège d'une manifeste mais terrible (a-


LE r.OMTE DE MONTE-CRISTO. çon

Mais Valentine, Valentinel pauvre amie!

dit-il.

,

221

résistera t-elle à tant de douleurs ?

En nêtre

disant ces mots

regardait alternativement la fe-

il

,

aux rideaux rouges

aux rideaux

et les trois fenêtres

blancs.

La lumière avait presque complètement disparu de la aux rideaux rouges. Sans doute madame deVil-

fenêtre lefort

venait d'éteindre sa lampe

envoyait son

A

l'extrémité

une des

aux

reflet

trois

placée sur la

et la veilleuse

,

seule

vitres.

du bâtiment, au

contraire,

vit s'ouvrit

il

aux rideaux blancs. Une bougie cheminée jeta au dehors quelques rayons fenêtres

de sa pâle lumière

une ombre

et

,

vint

un

instant s'ac-

couder au balcon. Morrel frissonna

lui

il

;

semblait avoir entendu

us

sanglot. Il n'était

courageuse

et si forte,

deux plus

les

âme

pas étonnant que cette

ordinairement

maintenant troublée

fortes des passions

et exaltée

si

par

humaines, l'amour

et

se fût affaiblie au point de subir des hallucina-

la peur,

tions superstitieuses.

comme

Quoiqu'il fût impossible, caché

Vœil de Valentine par l'ombre de

la

son cœur ardent nait

une

le

distinguât

fenêtre

;

il

il

réalité irrésistible, et, il

l'était,

que

crut se voir appeler

son esprit troublé

le lui répétait. Cette

hensibles élans de jeunesse, et

,

le lui disait,

double erreur deve-

par un de ces incompré*

bondit hors de sa cachette,

en deux enjambées, au risque d'être vu, au risque Valentine, au risque dfc donner révei\ par

d'effrayer

quelque

cri

involontaire échappé à la jeune

que

la

gagnant

la

chit ce parterre

un

lac

,

et,

s'étendait devant la

lune

faisait large et

fille, il

blanc

fran-

comme

rangée de caisses d'orangers qui

maison

il

atteignit les

marches du


LE COrTE DE MONTE

tî2

perron, qu'il monta rapidement

'ÎIRISTO.

poussa

et

,

la porte

qui

,

s'ouvrit sans résistance devant lui.

Valentine ne l'avait pas vaient

un nuage

forme

était celle

vu

yeux levés au

ses

;

ciel sui-

d'argent glissant sur l'azur, et dont

d'une ombre qui monte au

esprit poétique et exalté lui disait

que

ciel

la

son

;

l'àme de sa

c'élait

grand'mère.

Cependant

Morrel avait traversé

,

trouvé la rampe de l'escalier

;

l'antichambre et

des tapis étendus sur les

marches assourdissaient son pas

d'ailleurs Morrel en

:

à ce point d'exaltation que

était arrivé

la

présence de

M. de Villefort lui-même ne l'eût pas effrayé. Si M. de fût présenté à sa

Villefort se

prise

vue, sa résolution

amour qui

priant d'excuser et d'approuver cet

à sa

et sa

fille,

à lui

fille

Par bonheur

Ce

il

ne

il

;

comme,

;

arrivé là,

il

iMorrel était fou.

que

cette connaissance qu'il avait

du plan

il

au haut de

un

s'orientait,

indiqua

lui

se retourna

le

une porte

;

maison

intérieur de la

arriva sans accident

connut l'expression suivre

;

le

l'unissait

personne.

vit

fut alors surtout

prise par Valentine servit

était

s'approchait de lui et lui avouait tout, en

il

:

l'escalier

sanglot dont

chemin

il

lui ,

et

re-

qu'il avait a

entre-bàillée laissait

arriver à lui le reflet d'une lumière et le sou de la voix

gémissante.

Au

11

poussa cette porte

fond d'une alcôve

,

sous

vrait sa tète et dessinait sa

effrayante encore lion

A

du

le

et entra.

drap blanc

forme,

du

lit,

à genou-x

,

fait

la tête

qm

recou-

morte, plus

aux yeux de Morrel depuis

secret dont le hasard l'avait

l'ôté

gisait la

la révéla-

possesseur.

ensevelie dans les

ccissins d'une large bergère, Valentine, frissonnante ei

Rouievée par les sanglots, étendait au-dessus de sa tète qu'on ne voyait pas, ses deux mains jointes et roidies.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

223

Elle avait quitté la fenêtre restée ouverte, et priait tout

haut avec des accents qui eussent touché insensible

la parole s'échappait

-,

incohérente,

cœur

le

plus

le

de «es lèvres, rapide,

inintelligible, tant la

douîcir serrait sa

gorge de ses brûlantes étreintes.

La lune,

glissant à travers l'ouverture des persiennes,

faisait pâlir la

lueur de la bougie,

et azurait

de ses teintes

funèbres, ce tableau de désolation.

Morrel ne put résister à ce spectacle;

d'une piété exemplaire,

il

n'était pas facile

ner, mais Valentine souiïrant, pleurant,

pas

n'était

il

à impressionse tordant les

bras à sa vue, c'était plus qu'il n'en pouvait supporter

en silence. tête

Il

poussa un soupir, murmura un nom,

noyée dans

une

fauteuil,

les pleurs et

et la

velours du

le

de Madeleine du Corrége, se releva

tête

demfodra tournée vers Valentine

marbrée sur

lo vit et

et

lui.

ne témoigna point d'étonnement.

un cœur

n'y a plus d'émotions intermédiaires dans

Il

gonflé

par un désespoir suprême.

main à son amie. Valentine, pour

tout

qu'elle n'avait point été le trouver, lui

mon

Murrel tendit

excuse de ce

la

cadavre gisant sous

Ira le

meuça à

le

drap funèbre

,

recom

et

sangloter.

Ni l'un ni l'autre n'osaient parler dans cette chambre

Chacun mander

rompre ce silence que semblait com

hésitait à la

Mort debout dans quelque coin

et le doigt sur

les lèvres.

Enfin Valentine osa la première.

— Aiui, dirais

:

dit-elle,

soyez

le

vous eût ouvert

comment ètes-vous ici? Hélas

bienvenu là porte

,

si

I

je

voaa

ce n'était pas la Mort qui

de celte maison.

Valentine, dit Morrel d'une voix tremblante et les

mains

jointes, j'étais là depuis huit

heures

et

demie

:

je


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Îi24

ne vous voyais point venir, l'inquiétude m'a pris, eauté par-dessus

le

mur,

j'ai

pénétré dans

des voix qui s'entretenaient du

— Quelles voix?

dit

le

j'ai

jardin; alors

fatal acident...

Valentine.

Morrel frémit, car toute la conversation du docteur et de M. de Villefort lui revint à drap,

il

l'esprit, et,

à travers

le

bras tordus, ce cou roidi, ces

croyait voir ces

lèvres violettes.

— Les

voix de vos domestiques,

m'ont tout

dit-il,

appris.

— Mais venir dit

jusqu'ici, c'est

nous perdre,

mon ami

Valentine, sans effroi et sans colère.

— vais

Pardcniiez-moi

me

,

du même

répondit Morrel

ton, je

retirer.

— Non, dit Valentine, — Mais l'on venait

?

La jeune

la tête.

on vous rencontrerait,

si

fille

— Personne

secoua

ne viendra

,

dit-elle

,

restez.

soyez tranquille,

voilà notre sauvegarde.

du cadavre moulée par le drap.

Et elle montra la forme

— Mais

qu'est-il arrivé

vous en supplie,

à M. d'Épinay? dites-moi, je

reprit Morrel.

M. Frani est arrivé pour signer le contrat au moment où ma bonne grand'mère rendait le dernier soupir. Hélas dit Morrel avec un sentiment de joie égoïste,

car

I

songeait en lui-même que cette mort retardait in-

il

définiment le mariage de Valentine.

— Mais ce qui redouble ma douleur, continua fille,

comme

même

si

ce sentiment eût

sa punition, c'est

que

dû recevoir à

cette

tôt

possible

;

elle

aussi,

jeune

pauvre chère aïoule,

en mourant, a ordonné qu'on terminât plus

la

l'instant

mon Dieu

protéger, elle aussi agissait contre moi.

!

le

mariago

en croyant

le

me


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Ecoulez

!

dit

Morrel.

Les deux jeunes gens

firent silence.

On entendit la porte qui quer

le

2î5

s'ouvrit, et des pas firent cra-

parquet du corridor

— C'est mon père

et les

marches de

qui sort de son cabine

i,

l'escalier. dit

Valen-

tine.

— Et qui reconduit docteur, ajouta Morrel. — Comment savez-vous que le docteur? le

c'est

manda Valentine

— Je

le

présume,

Valentine regarda

Morrel.

dit le

jeune homme.

Cependant, on entendit

M. de celle

la porte

de la rue se fermer.

donner en outre un tour de

Villefort alla

du

jardin, puis

il

remonta

hésitait

de

madame

s'il

clef à

l'escalier.

Arrivé dans l'antichambre, il s'arrêta s'il

de-

étonnée.

devait entrer chez lui

un instant, comme

ou dans

la

chambre

de Saint-Méran. Morrel se jeta derrière une

portière. Valentine

ne

fit

qu'une suprême douleur

pas un la

mouvement; on

eût dit

plaçait au-dessus des craintes

ordinaires.

M. de

Villefort rentra chez lui.

— Maintenant, tir

ni par la porte

dit

Valentine, vous ne pouvez plus sor-

du

jardin, ni par celle de la rue.

Morrel regarda la jeune

— Maintenant, mise

dit-elle,

et sûre, c'est celle

fille il

avec étonnement.

n'y a plus qu'une issue per-

de l'appartement de

père. Elle se leva,

— Venez, — Où cela? demanda Maximilien. — Chez mon grand-père. — Moi, chez M. Noirtierî — Oui. dit-elle.

mon

grand-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

226

Y

songez-vous, Valentine?

J'y soDge, cl depuis longtemps. Je n'ai plus

ami au monde,

et

que

nous avons tous deux besoin de

cet

lui...

Venez.

— Prenez garde, Valentine, ce que lui ordonnait la jeune

deau pli

tombé de mes yeux

est

un

— Oui,

dit

:

prenez garde,

en venant

ici, j'ai

ban-

amie?

Valentine, et je n'ai qu'un scrupule au

de laisser seuls les restes de

c'est

le

accom

Avez-vous bien vous-même

acte de démence.

;oute votre raison, chère

monde,

dit Morrel, hésitant à faire

fille;

grand-mère, que je

— Valentine,

dit

me

ma

pauvre

suis chargée de garder.

Morrel

,

la

mort

est sacrée par elle-

même.

— Oui, répondit la jeune

fille; d'ailleurs

ce sera court,

venez.

Valentine traversa

le corridor et

descendit

un petit

es-

calier qui conduisait chez Noirtier. Morrel la suivait sur la pointe ils

du

pied. Arrivés sur le palier de l'appartement,

trouvèrent

— Barrois,

le

dit

vieux domestique. Valentine, fermez la porte et ne laissez

entrer personne. Elle passa la première. Noirtier, encore bruit, instruit par

dans son fauteuil,

attentif

au moindre

son vieux 'serviteur de tout ce qui se

passait, fixait des regards avides sur l'entrée de la

bre;

il

vit Valentine, et

son œil

cham-

brilla.

11 y avait dans la démarche et dans l'attitude de la jeune fille quelque chose de grave et de solennel qui

frappa

le vieillard.

Aussi, de brillant qu'il

était,

son œil

devint-il interrogateur.

— bien

Cher père, :

tu sais

dit-elle

d'une voix brève, écoute-moi

que bonne nvînan

Saint-

Méran

est

morte


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. il

y

une heure,

a

que maintenant, excepté

et

Une expression de

tendresse iuûnie passa dans les

vieillard,

— C'est donc à 6er

toi, je n'ai

monde ?

plus personne qui m'aime au

yeux du

2Î7

toi seul, n'est-ce pas,

que

je dois

mes chagrins ou mes espérances?

Le paralytique

fit

signe que oui.

Valentine prit Maximilien par la main.

— Alors, Le

lui dit-elle,

regarde bien Monsieur.

vieillard fixa son œil scrutateur et légèrement étonné

sur Morrel.

— C'est M.

Maximilien Morrel

,

dit-e!ie

,

le fils

de cet

honnête négociant de Marseille dont tu as sans doute

entendu parler

?

— Oui, — C'est un nom irréprochable, que Maximilien est en fit

le vieillard.

train de rendre glorieux, car, à trente ans,

taine de spahis, officier de la

Le

vieillard

— Eh bien,

signe qu'il se

fit

bon papa,

deux genoux devant lien d'une

force d'en épouser je

me

le rappelait.

le vieillard et

un

et

autre

est capi-

Valenline en se mettant à

dit

main, je l'aime

il

Légion d'honneur.

ne ,

en montrant Maximi-

serai qu'à lui

je

me

I

laisserai

Si l'on

me

mourir ou

tuerai.

Les yeux du paralytique exprimaient tout un monde de pensées tumultueuses.

— Tu aimes M. Maximilien Morrel,

papa? demanda

Oui,

fit

la

jeune

le vieillard

— Et tu peux Noirtier

bon

immobile.

bien nous proléger, nous qui sommci;

aussi tes enfants, contre la volonté de attacha son

comme pour

n'est-ce pas,

fille.

lui dire

:

mon

pèi o

?

regard inielUKeiU sur Mcr'âl,


LE COMTE DE nrONTE-CRISTO

!28

— C'esl selon. Maximilien comprit.

— Mademoiselle,

vous avez un devoir sacré à

dit-il,

remplir dans la chambre de votre aïeule

;

permettre d'avoir l'honneur de causer

M. Noirtier

me

instant avec

fit l'oeil

du

vieillard.

regarda Valenline avec inquiétude.

il

— Comment bon père

un

?

- Oui, oui, c'est cela,

Puis

voulez-vou,'-

il

fera

pour

te

comprendre, veux-tu dire,

?

— Oui. — de

Ohl

sois tranquille

toi, qu'il sait

bien

nous avons

;

comment je

si

souvent parlé

te parle.

un adorable

Puis, se tournant vers Maximilien avec eourire, tristesse

Il

quoique ce sour:re

fût voilé par

une profonde

:

sait tout ce

que je

sais, dit-elle.

Valenline se releva, approcha

recommanda

un

siège pour Morrel,

à Barrois de ne laisser entrer personne

après avoir embrassa tendrement son grand-père

adieu tristement à Morrel

,

;

et

et dit

elle partit.

Alors Morrel, pour prouver à Noirtier qu'il avait la confiance de Valenline et connaissait tous leurs secrets, prit le dictionnaire, la

sur ime table où

il

— Mais d'abord,

plume

et le papier, et

plaça

le tout

y avait une lampe. dit

Morrel, permettez-moi, Monsieur,

de vous raconter qui je suis, comment j'aime mademoiselle Valentine, et quels sont

— J'écoute,

fit

mes

desseins à son égard.

Noirtier.

un spectacle assez imposant que ce vieillard, en apparence, et qui était devenu le seul protecteur, le seul appui, le seul juge de deux amaata C'était

inutile fardeau

jeunes, beaux, forts, et entrant dans la vie.


f

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Sa

empreinte d'une noblesse

figure,

remarquables récit Il

imposait à Morrel

,

229

d'une austérité

et

qui commeD(ji son

,

en tremblant. raconta alors

comment il avait connu, comment U comment Valentine, dans son

avait aimé Valentine, et

isolement

et

son malheur, avait accueilli

dévouement. U

tion, sa fortune; le

plus d'une

et

fois, lorsqu'il

regard du paralytique, ce regard

— C'est bien, continuez. — Maintenant, Morrel dit

mière partie de son Monsieur,

l'offre

de son

lui dit quelle était sa naissance, sa posi-

récit,

mon amour

et

quand

interrogea

répondit

lui

eut

il

:

fini cette

maintenant que je vous

mes

pre-

ai dit,

espérances, dois-je vous

dire nos projets?

— Oui, — Eh bien fit

Et alors

le vieillard.

voilà ce

1

que nous avions résolu.

comment un cacomment il comptait en-

raconta tout à Noirtier

il

briolet attendait dans l'enclos,

:

lever Valentine, la conduire chez sa sœur, l'épouser, et

dans une respectueuse attonte espérer

le

pardon de M. de

Villefort.

— Non,

dit Noirtier.

— Non? reprit Morrel, ce n'est pas ainsi qu'il faut faire

— Non. — Ainsi ce projet n'a point votre assentiment? — Non. — Eh bien y a un autre moyen, Morrel. !

dit

il

Le regard interrogateur du

J'irai,

demanda lequel?

vieillard

continua Maximilien,

:

j'irai

trouver M. Franz

d'Épinay, je suis heureux de pouvoir vous dire cela en l'absence de mademoiselle de Villefort, et je

avec

lui

de manière à

Le regard de

le forcer d'être

un

me

conduirai

galant honiris.

Noirtier continua d'interroger.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

tSO

— Ce que je ferai? -^ Oui.

^

comme je vous le

e voici. Je Tirai trouver,

Valentme licatesse

délicat,

il

la

si c'est

;

mon

cée, et

un homme

en renonçant de lui-même à amitié et

heure acquis jusqu'à térêt le

pousse,

soit

mon dévouement la

mort;

s'il

disais

;

mademoiselle

je lui raconterai les liens qui m'unissent à

prouvera sa dé-

main de

sa fian-

sont de cette

lui

refuse, soit

qu'un ridicule orgueil

que

l'in-

le fasse per-

après lui avoir prouvé qu'il contraindrait ma femme, que Valentine m'aime et ne peut aimer un autre sister,

que moi,

me

je

avantages,

bâtirai

avec

et je le tuerai

n'épousera pas Valentine

lui,

ou ;

il

s'il

en

que Valentine ne l'épousera pas. Noirtier considérait avec un plaisir

donnant tous si je le

les

tue,

il

serai bien sûr

indicible ce/'»e noble

physionomie sur laquelle se peignaient tous

et sincère les

lui

me tuera; me tue, je

sentiments que sa langue exprimait, en y ajoutant

par l'expression d'un beau visage tout ce que la couleur ajoute à

un dessin

solide et vrai.

Cependant, lorsque iMorrel eut

terma ait,

les

yeux à plusieurs

fini

de parler, Noirtier

reprises, ce qui était,

on

le

sa manière de dire non.

Non?

dit

«K)nd projet,

Morrel. Ainsi vous désapprouvez ce se-

comme vous

avez déjà désapprouvé

le pre*

mierî

Oui, je le désapprouve,

— Mais

que

Lef dernières paroles de été

pour que

attei'dre

:

le

fit

le vieillard.

Monsieur? demanda Morrel

faire alors,

madame

mariage de sa

de Saint-Méran ont

petite-fille

ne se

fit

point

dois-je laisser les choses s'accomplir?

— Noirtier resta immobile. — Oui, je comprends, Morrel, je dois attendre. dit


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

~ Oui. — Mais tout homme.

jeune

contraindra

délai

nous perdra

,

234

Monsieur, reprit

Seule, Valentine est sans force, et

comme un enfant.

pour savoir ce qui

s'y passe,

Entré

lo

'^n la

miraculeusement

ici

admis miraculeusemenl de-

vant vous, je ne puis raisonnablemenl espérer que ces

bonnes chances se renouvellent. Croye2-moi,

ou donnez

l'un

moi

l'autre des

deux

cette vanité à

celui des

partis

que

ma jeunesse,

je

il

n'y a

vous propose,

qw par-

qui soit le bon; dites-

deux que vous préférez

mademoiselle Valentine à se confier à

autorisez-vous

:

mon honneur?

— Non. — Préférez-vous que trouver M. d'Épinay? — Non. — Mais, mon Dieul de qui nous viendra secours j'aille

le

que nous attendons du

Le

ciel

vieillard sourit des

de sourire quand on

?

yeux commî

lui parlait

un peu d'athéisme dans

resté

du

il

avait l'habitude

ciel. Il était

les idées

toujours

du vieux

ja-

cobin.

— Du hasard? reprit Morrel. — Non.

— De vous? — Oui.

— De vous?

— répéta — Vous comprenez

le vieillard.

Oui,

Monsieur? Excusez votre réponse

:

bien oe que je vous demande,

mon

insistance, car

ma

vie est Jans

notre salut nous viendra de vous?

— Oui. — Vous en êtes sûr? ^Oui.

— Vous en répondez

i


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

?3f?

— Oui Et tion ter

il

y avait dans

unt

de

telle

la volonté,

— Oh

!

le

regard qui donnait cette aiDrma-

fermeté, qu'il n'y avait pas Jioyen de dou-

sinon de la puissance.

merci. Monsieur, merci cent fois

!

Mais com-

ment, à moins qu'un miracle du Seigneur ne vous rende la parole, le geste, le

mouvement, comment pourrez-vous,

vous, enchaîné dans ce fauteuil, vous, muet

et

comment pourrez-vous vous opposer à

bile,

immoma-

ce

riage?

Un que

du vieillard, sourire étrange yeux sur un visage immobile.

souriro éclaira le visage

celui des

— Ainsi, je dois attendre? demanda — Oui. — Mais contrat?

jeune homme.

le

le

Le

même

sourire reparut.

— Voulez

— Oui, — Ainsi

vous donc me

ne sera pas signé?

dire qu'il

dit Noirlier.

Morrel.

le contrat

ne sera pas

même

Ohl pardonnez, Monsieur

grand bonheur,

il

est bien

I

signé

I

s'écria

à l'annonce d'un

permis de douter ;

le contrai

ne sera pas signé?

— Non,

dit le paralytique.

Malgré cette assurance, Moîi«î hésitait à croire. Cette

promesse d'un lieu

vieillard

impotent

était si étrange,

d'un affaiblissement des organes

;

qu'au

elle

pouvait émaner

n'est-il

pas naturel que

de venir d'une force de volonté,

l'insensé qui ignore sa folie prétende réaliser des choses

au-dessus de sa puissance? Le qu'il

.soulève, le

pauvre des trésors

faible parle des

timide des géants qu'il

manie,

le

qu'il

fardeaux

affronte,

h

plus humble paysan,

au o^mpte de son orgueil, s'appelle Jupiter. Soit

que

Noirtier eût compris

l'indécisiou

du jeune


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. tiomme

scH

;

qu'il n'ajoutât

docilité qu'il avait

montrée,

— Que voulez- vous, vous renouvelle

je

Le regard de

pas complètement il

la

^

Monsieur? demanda Morrel, que de ne rien faire?

demeura

pour dire qu'une promesse ne la

à

foi

regarda fixement.

le

ma promesse

Noirtier

passa du visage à

233

fixe et ferme,

lui sufQsail

comme

pas; puis

i'.

main.

— Voulez-vous que je jure, Monsiem

?

demanda Maxi-

milien.

Oui,

fit

le

paralytique avec la

même

solennité, je

veux.

le

Morrel comprit que

le vieillard attachait

une grande

importance à ce serment. Il

étendit la main.

— Sur mon bonneur,

dit-il, je

que vous aurez décidé pour

vous jure d'attendre ce

agir contre

M. d'Épinay.

— Bien, des yeux — Maintenant, Monsieur, demanda Morrel, le vieillard.

fit

vous que je

— Oui. — Sans revoir mademoiselle Valentine — Oui. Morrel

fit

que votre

à l'heure votre Il

?

signe qu'il était prêt à obéir.

— Maintenant, sieur,

ordonnez-

me retire?

continua Morrel, permettez-vous, Monfils

vous embrasse comme

l'a fait

tout

fille?

n'y avait pas à se tromper

iw

r'ex pression

des yeux

de Noirtier.

Le jeune homme posa sur le front du vieillard ses lèvi«8 même endroit où la jeune fille avait posé les siennes.

au

Puis

Sur

il

salua une seconde fois

le carré

il

trouva

le

le vieillard et so-iii.

vieux serviteur, prévenu par

Vai.3ntine; celui-ci attendait Morrel, et le guida par les


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

t34

détours d'un corridor sombre qui conduisait à UDe pe\,He porte donnant sur le jardin.

Arrivé fut

là,

Morrel gagna la grille

en UD mslant au haut du mur;

une seconde,

il

fut

;

et

dans l'enclos à

par

la charmille,

il

par son écheûe, en

la luzerne,

où son ca-

briolet l'attendait toujours. Il

y remonta,

plus libre,

son

lit

il

et brisé

dormit

et

par tant d'émotions, mais

le

cœur

rentra vers minuit rue Meslay, se jeta sur

comme

s'il

eût été plongé dans

une pro-

fonde ivresse.

XVII lE CAVEAU DE LA FAMILLE VILLEFORT.

A deux

jours de là,

une

foule considérable se trouvait

rassemblée, vers dix heures du matin, à Villefort,

et l'on avait

vu

la porte

de M. de

s'avancer une longue

file

de

voitures de deuil et de voitures particulières tout le long

du faubourg Saint-IIonoré et de la rue de la Pépinière. Parmi ces voitures, il y en avait une d'une forme sin-

un long voyage. C'éune espèce de fourgon peint en noir, et qui un des

gulière, et qui paraissait avoir fait tait

premiers

s'était

Alors on

trouvé au funèbre rendez-vous.

s'était

informé, et l'on avait appris que, par

une coïncidence étrange, de M.

le

cette voiture renfermait le corps

marquis de Saint-Méran,

et

que ceux qui

étaient

venus pour un seul convoi suivraient deux cadavres.

Le nombre de ceux-là

était

grand; M.

le

marquis de

Saint-Méran, l'un des dignitaires les plus zélés et les plus


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. fidèles

du

roi

Louis XVIII

et

du

roi Charles

23r,

X, aTait con-

servé grand nombre d'amis qui, joints aux personnes que les

convenances sociales mettaient en relation avec Vil-

leforl,

On les

formaient une troupe considérable. fit

prévenir aussitôt les aulorilés, et l'on obtint que

deux convois

en même temps. Une semême pompe mortuaire, fut

se feiaient

conde» voiture, parée avec la

amenée devant la porte de M. de Villefort, et le cercueil dû fourgon de poste sur le carrosse funèbre. Les deux corps devaient être inhumés dans le cimetière du Père-Lachaise, où depuis longtemps M. de Ville-

transporié

fort avait fait élever le

caveau destiné à

la

sépulture de

toute sa famille.

Dans ce caveau pauvre Renée

,

avait déjà été déposé le corps de la

que son père

et sa

mère venaient

re-

joindre après dix années de séparation. Paris, toujours curieux, toujours

néraires, vit avec

un

ému

des pompes fu-

religieux silence passer le cortège

Lsplendide qui

accompagnait à leur dernière demeure deux

noms de

cette vieille aristocratie, les plus célèbres

des

du commerce

et

dévouement obstiné aux principes. Dans la même voiture de deuil, Beauchamp, Albert

et

pour le

l'esprit traditionnel,

pour

la sûreté

v^hâteau-Renaud s'entretenaient de cette mort presque iubite.

— a

J'ai

vu madame de Saint-Méran

Marseille, disait

rie; c'était

l'an dernier

encore

Château-Renaud, je revenais d'Algé-

une femme destinée à vivre cent

ans, grâce à

sa santé parfaite, à son esprit toujours présent et à son aciivité toujours prodigieuse.

Quel âge avait-elle?

— Suixante-six ans, répondit Albert, du moins à ce que Franz m'a assuré. Mais ce n'est point

l'âge qui l'a luée,

c'est le chagrin qu'elle a ressenti de la mart

du

m jrquis;


LE COMTF DK MONTE-CRISTO.

236 il

parait

cette mort, qui l'avait

que depuis

violemment

ébranlée, elle n'a pas repris complètement la raison.

— Mais enfin de

quoi est-elle morte ? demanda 0eaa-

ehamp.

— D'une

congestion cérébrale, à ce qu'il parait, ou

d'une apoplexie foudroyante. N'est-ce pas la même chose?

— Mais à peu près. — D'apoplexie Beauchamp, ? dit

Madame de deux dans

Saint-Méran, que

ma

j'ai

à croire.

c'est difficile

vue aussi une

fois

ou

vie, était petite, grêle de formes, et d'une

constitution bien plus nerveuse

que sanguine;

elles sonî

un corps

rares les apoplexies produites par le chagrin sur

d'une constitution pareille à celui de

madame

de Saint-

Méran.

— En tout cas, ou

le

tôt

médecin qui

dit

Albert, quelle

l'a

que

soit la

tuée, voilà M. de Villefort,

maladie

ou plu-

mademoiselle Valentine, ou plutôt encore notre ami

Franz en possession d'un magnifique héritage

:

quatre-

vingt mille livres de rente, je crois.

— Héritage

qui sera presque doublé à la mort de ce

vieux jacobin de Noirtier.

— En voilà un grand-père tenace, dit Beauchamp. nacem propositi virum.

Il

a parié contre

Te-

Mort, je crois,

la

Il y réussira, ma foi. vieux conventionnel de 93, qui disait à Na-

qu'il enterrerait tous ses héritiers.

C'est bien le

poléon en «

Vous

18U: baissez, parce

que votre empire

tige fatiguée par sa croissance;

prenez

est

la

une jeune

République

poui tuteur, retournons avec une bonne constitution sur

champs de bataille, et je vous promets cinq cent; mille un autre Marengo et un second Austerlitz. Les idées ne meurent pas, sire, elles sommeillent quelqueles

soldats,


COMTE DE MONTE-CRISTO.

Llî fois,

mais

dormir.

elles se réveillent

plus fortes qu'avant de

s'ft»-

»

hommes

sont

seulement une chose m'inquiète,

c'est

que pour

parait, dit Albert,

Il

«37

comme

\

es idées

;

lui les

de savoir comment Franz d'Épinay s'accommodera d'un

grand beau-père qui ne peut se passer de sa femme

mais où

— Mais lefort,

il

est

dans

la

première voiture, avec M. de Vil-

qui le considère déjà

comme

étant de la famille.

Dans chacune des voitures qui suivaient conversation

rapprochées

si

aucune on ne soupçonnait

et si rapides,

le terrible

dans sa promenade nocturne,

Au à

le deuil, la

à peu près pareille; on s'étonnait de

était

ces deux morts

M. de

;

Franz?

est-il,

mais dans

secret qu'avait,

révélé M. d'Avrigny à

Villefort.

bout d'une heure de marche à peu près, on arriva

la porte

sombre,

du cimetière

et

:

il

faisait

un temps calme, mais

par conséquent assez en harmonie avec

la fu-

nèbre cérémonie qu'on y venait accomplir. Parmi les groupes qui se dirigèrent vers le caveau de famille, Châ-

teau-Renaud reconnut Morrel, qui et

en cabriolet;

il

sur le petit chemin b^rdé

— Vous

était

venu

marchait seul, très-pâle

tout seul

et silencieux,

d'ifs.

hm

ici dit Château-Renaud en passant son vous connaissez donc sous celui du jeune capitaine M. de Villefort? Comment se fait-il donc, en ce cas, que I

;

je

ne vous

aie jamais

vu chez

lui ?

— Ce n'est pas M. de Villefort que je connais, répondit de Saint-Méran que je connaissais. ce moment, Albert les rejoignit avec Franz.

Morrel, c'est

En

madame

— L'endroit

est

mal

choisi pour

une présentation, du

Albert; mais n'importe, nous ne sommes pas supersU-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

238

Monsieur Morrel, permettez que

lieux.

je

vous présente

M. Fraûz d'Épinay, un excellent compagnon de voyage avec lequel

tour de

j'ai fait le

l'Italie.

Mon

cher Fianz,

me

M. Maximilien Morrel, un excellent ami que je

„ais

acquis en ton absence, et dont tu entendras revenir le

nom

dans

ma

conversation toutes les fois que j'aurai à

parler de cœur, d'esprit et d'amabilité.

moment

Morrel eut un

d'indécision.

se

Il

demanda

si

ce n'était pas une condamnable hypocrisis que ce salut

presque amical adressé à l'homme

dement mais son serment lui revinrent en mémoire ;

qu'il combattait sour-

et la gravité des circonstances :

il

s'efforça de

ne rien

laisser

paraître sur son visage, et salua Franz en se contenant.

— Mademoiselle pas?

dit

de Villefort est bien

n'est-ce

triste,

Debray à Franz.

— Oh!

Monsieur, répondit Franz, d'une tristesse

exprimable; ce matin

elle était si défaite

que

je

in-

l'ai

à

peine reconnue.

Ces mots

simples en apparence brisèrent

si

de Morrel. Cet

homme

avait donc parlé

?

Ce

fut alors

que

le

avait donc

jeune

vu

le

Valentine,

cœur il

lui

et bouillant oflQcier eut be-

soin de toute sa force pour résister

au

désir de violer

son serment. Il

prit le bras

ment vers

le

de Château-Renaud et l'eriralna rapide-

caveau, devant lequel

les

employés des pom-

pes funcores venaient de déposer les deux cercueils.

— Magnifique habitation, yeux sur

le

mausolée

;

'lit

Beauchaup en

y demeurerez à votre tour,

mon

veux une

tage là-bas

sous

petite

les

Vous

cher d'Épinay, car vous

voilà bientôt de la famille. Moi, en

sophe, je

jetant les

palais d'été, palais d'hiver.

ma

qualité de philo-

maison de campagne, un cot-

arbres, et pas tant de pierres d«


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

mon pauvre

îaîile sur

corps.

En mourant,

239

je dirai

àceni

qui m'entoureront ce que Voltaire écrivait à Piron

morbleu

rus, et tout sera Qni... Allons,

rage- votre

— En

I

:

Eo

Franz, du cou-

femme hérite.

vérité,

Beauchamp,

dit

portable. Les affaires politiques

tude de rire de tout, et les

Franz, vous êtes insup-

vous ont donné

hommes

l'habi-

qui mènent les affaires

ont l'habitude de ne croire à rien. Mais enfin, Beauchamp, quand vous avez l'honneur de vous trouver avec des ommes ordinaires, et le bonheur de quitter un instant a politique, tâchez donc de reprendre votre cœur, que

vous

laissez

au bureau des cannes de

chambre des

la

députés ou de la chambre des pairs.

— Eh,

mon Dieu

1

dit

Beauchamp, qu'est-ce que

la

halte dans l'antichambre de la Mort.

vie? une

— Je prends

Beauchamp en

grippe, dit Albert; et

il

se retira à quatre pas en arrière avec Franz, laissant

Beauchamp continuer

ses

dissertations philosophiques

avec Debray.

Le caveau de

la famille

de Villefort formait un carré

de pierres blanches d'une hauteur de vingt pieds environ; une séparation intérieure divisait en deux compartiments la famille Saint-Méran et la famille Villefort, et

chaque compartiment avait sa porte d'entrée.

On ne

voyait pas,

comme

les autres

dans

tombeaux,

ces ignobles tiroirs superposés dans lesquels une éco-

nome

distribution enferme les morts avec

qui ressemble à une étiquette

;

vait d'abord par la porte de bronze était

sév^e

une

inscriptios

tout ce que l'on aperce-

et sombre, séparée par

une antichambre

un mur du

véritable

tombeau. C'était

au milieu de ce mur que

s

ouvraient les deux

portes d^^nt nous parlions tout à l'heure, et qui

com


.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

f 40

muniquaient aux sépultures

Villefort et Saint-

Méran.

Là, pouvaient s'exhaler en liberté les douleurs- sans

que

promeneurs

/es

qui font d'une visite au

folâtres,

Père-Lachaise partie de campagne ou rendez-vous d'a-

mour, vinssent troubler par leur chant, par leurs par leur course

la

muette contemplation ou

ou

cris

la prière

baignée de larmes de l'habitant du caveau.

Les deux cercueils entrèrent dans celui de

c'était

la

le

caveau de droite ;

famille de Saint-Méran;

ils

furent

placés sur des tréteaux préparés, et qui attendaient d'a-

vance leur dépôt mortel

;

Villefort,

Franz

proches parents pénétrèrent seuls dans

Comme

les

et

quelques

le sanctuaire.

cérémonies religieuses avaient été accom-

plies à la porte, et qu'il n'y avait pas de discours à pro-

noncer, les assistants se séparèrent aussitôt

Renaud, Albert Debray

et

Franz tière

et Morrel se retirèrent

Beauchamp du avec M. de

resta,

vit sortir

deuil, et

Franz il

et

conclut

M. de

Villefort, le

même dit

lefort

la porte

Villefort

et

du cime;

il

dans une voiture de

un mauvais présage de ce lui-môme

tête-à-tête. fût

voiture que Château-Renaud et Albert,

pas

En

à

premier prétexte venu

revint donc à Paris, et, quoique

Il

Château-

leur.

Morrel s'arrêta sous

;

;

de leur côté,

il

dans

la

n'enten-

un mot de ce que dirent les deux jeunes gens. au moment où Franz allait quitter M. de Vil-

effet, :

— Monsieur

le

baron, avait

dit

celui-ci,

quand vous

reverrai -je?

—Quand vous voudrez. Monsieur, avait répondu Franz.

— Le plus possible. — je suis à vos ordres. tôt

nous revenions ensemble

Si cela

Monsieur; vous

plaîl-il

?

ne vous cause aucun dérangement.

que


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

241

Aucun. Ce fut ainsi que

nontèrent dans

la

beau-père

le futur

même

voiture, et

et le futur

gendre

que Morrel, en

les

royant passer, conçut âvec raison de graves inquiétudes. Villefort et

Franz re\ lurent au faubourg Saint-Honoré.

Le procureur du parler ni à sa

homme

sans entrer chez personne, sans

roi,

femme

à sa

ni

dans son cabinet,

— Monsieur d'Épinay, ler, et le

moment

et lai

fille,

fit

passer le jeune

montrant une chaise

lui dit-il, je dois

n'est peut-être pas

si

mal choisi qu'on

pourrait le croire au premier abord, car l'obéissance

morts est

la

première offrande

cercueil; je dois donc

avant-hier

qu'il faut

vous rappeler

madame de Saint-Méran

c'est

que

tard.

Vous savez que

le

le

:

vous rappe-

aux

déposer sur

vœu

le

qu'exprimait

sur son

lit

d'agonie,

mariage de Valentine ne souffre pas de rede la défunte sont par-

les affaires

faitement en règle ; que son testament assure à Valentine toute la fortune des Saint-Méran

;

le notaire

m'a montré

hier les actes qui permettent de rédiger d'une

manière

Vous pouvez voir le de ma part communiquer ces M. Deschamps, place Beauveau,

définitive le contrat de mariage. "îotaire

actes.

et

Le

vous

faire

notaire, c'est

faubourg Saint-Honoré.

— Monsieur,

répondit d'Épinay, ce n'est pas le

mo-

ment peut-être pour mademoiselle Valentine, plongée comme elle est dans la douleur, de songer à un époux eu ;

vérité, je craindrais...

— Valentine, interrompit M. de

Villefort, n'aura pas

de plus vif désir que celui de remplir les dernières intentions de sa grand'mère

;

ainsi les obstacles

ne vien-

dront pas de ce côté, je vous en réponds.

En ce cas, Monsieur, répondit Franz, comme ils ne viendront pas non plus du mien, vous pouvez faire à votre 44 TOME IT.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

942

convenance

ma

;

parole est engagée, et je l'acquitterai,

non-seulement avec

— Alors,

plaisir,

dit Villefort

contrat devait être signé

mais encore avec bonheur.

rien ne

,

nous arrête plus

y a trois jours, nous

il

le

même.

verons tout préparé on peut le signer aujourd'hui :

— Mais deuil? en hésitant Franz. — Soyez tranquille. Monsieur, reprit dit

le

Villefort

ma

point dans

;

le trou-

maison que

les

ce n'est

;

convenances sont négli-

gées. Mademoiselle de Villefort pourra se retirer pen-

dant les trois mois voulus dans sa terre de Saint-Méran; je dis sa terre

huit jours,

si

,

car cette propriété est à

vous

sans faste, le mariage

de

madame

Là, dans

elle.

voulez bien, sans bruit, sans éclat,

le

civil sera

conclu. C'était

de Saint-Méran que sa

un

petite-fille se

désir

mariât

dans cette terre. Le mariage conclu, Monsieur, vous pourrez revenir à Paris, tandis que votre le

femme passera

temps de son deuil avec sa belle-mère.

— Comme vous — Alors, reprit M. de

plaira,

il

tendre lon.

une demi-heure

;

dame de

le contrat

nous irons

— Monsieur,

dit

Franz. la

peine d'at-

M. Deschamps, nous

séance tenante,

et,

Villefort conduira Valentine

huit jours

dit

prenez

Valentine va descendre au sa-

J'enverrai chercher

signerons

Monsieur,

Villefort,

dès ce

lirons et soir,

ma-

à sa terre, où dans

les rejoindre.

Franz,

j'ai

une seule demande à vous

faire.

— Laquelle ? — Je désire qu'Albert !eau-Renaud

^ez qu'ils sont

— Une vous

de Morcerf et Raoul de Cbl-

soient présents à cette signature;

mes

demi-heure

les aller

suffit

chercher

envoyer chercher?

vous sa-

témoins.

pour

les

prévenir ; voulez-

vous-même?

voulez- vous les


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Je préfère y — Je vous

aller,

24S

Monsieur.

attendrai donc dans

une demi-heure, baune demi-heure Valentine sera prête. Franz salua M, de Villefort et sortit.

ron, et dans

A le

peine la porte de la rue se fut-elle refermée derrière jeune homme, que Villefort envoya prévenir Valen-

tine qu'elle eût

à descendre au salon dans une demi-

heure, parce qu'on attendait

témoins de

le notaire et les

M. d'Épinay. Cette nouvelle inattendue produisit sation dans la maison.

Madame de

une grande sen«

Villefort n'y voulut

comme

d'un coup

comme pour

chercher à

pas croire, et Valentine en fut écrasée

de foudre. Elle regarda lout autour d'elle

qui

elle

pouvait demander secours.

Elle voulut descendre chez son grand-père, mais elle

rencontra sur l'escalier M. de Villefort, qui la prit par

le

bras et l'amena dans le salon.

Dans l'antichambre Valentine rencontra jeta

Barrois, et

au vieux serviteur un regard désespéré.

Un

madame

instant après Valentine,

au salon avec

le

petit

Edouard.

Il

de Villefort entra

était visible

que

la

jeune femme avait eu sa part des chagrins de famille elle était pâle et

?

semblait horriblement fatiguée.

Elle s'assit, prit

Edouard sur ses genoux,

et

de temps

en temps pressait, avec des mouvements presque convulsifs, sur sa poitrine, cet enfant sur lequel semblait se

îoncentrer sa vie tout entière. Bientôt on entendit le bruit de traient

dans

Ltine

la

deux voitures qui en

cour.

était celle

du

notaire, l'autre celle de Franz et

de ses amis.

En un

instant tout le

monde

était

réuni au salon.


COIMTE DE MONTE-CRISTO.

LE

244

Valentine était

si

pâle, que l'on voyait les veines

bleues de ses tempes se dessiner autour de ses yeux et courir le long de ses joues.

Franz ne pouvait se défendre d'une émotion assez viva

Château-Renaud menV>

la

pas plus

et

Albert se regardaient avec étonne-

cérémonie qui venait de triste

que

finir

ne leur semblait

commencer.

celle qui allait

Madame de Villefort s'était placée dans l'ombre, derun rideau de velours, et, comme elle était constam-

rière

ment penchée sur son

fils,

était difficile

il

de

sur

lire

«on visage ce qui se passait dans son cœur.

M. de

Le

comme

Villefort était,

notaire, après avoir,

gens de

loi,

toujours, impassible.

avec

la

méthode ordinaire aux

rangé les papiers sur la table, avoir pris

place dans son fauteuil et avoir relevé ses lunettes

,

se

retourna vers Franz

— C'est vous,

dit-il,

qui êtes M. Franz de Quesnel, ba-

ron d'Éplnay? deraanda-t-il, quoiqu'il

le sût

parfaitement.

— Oui, Monsieur, répondit Franz. Le notaire

— Je

s'inclina.

dois donc

vous prévenir. Monsieur,

dit-il,

e^,

cela de la part de M. de Villefort, que votre mariage projeté

avec mademoiselle de Villefort a changé

sitions de

M. Noirtier envers sa

entièrement la fortune qu'il devait

tons-nous d'ajouter, continua n'ayant

le droit d'aliéner

ayant aliéné ie tout, l'attaque,

— Oui,

le

les dispo-

petite-fille, et qu'il aliène

lui transmettre.

le notaire,

que

Hâ-

le testateur

qu'une partie de sa fortune,

et

testament ne résistera point è

mais sera déclaré nul

et

non avenu.

seulement je préviens d'avance M. d'Èpinay que, de mon vivant, jamais le testament de mon père ne sera attaqué, ma position me défendant dit Villefort;

jusqu'à l'ombre d'un scandale.

i


LF COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Monsieur,

dit

24?

Franz, je suis fâché qu'on

ail

devant

mademoiselle Valentine soulevé une pareille question. me suis jamais informé du chiffre de sa fortune,

Je ne qui,

si

que

la

réduite qu'elle soit, sera plus considérable encore

mienne. Ce que

iiance de M.

de

ma famille

a recherché dans

l'al-

Villefort, c'est la considération; ce

que

je recherche, c'est le bonheur. fit un signe imperceptible de remerciement, que deux larmes silencieuses roulai' int le long de

Valentine tandis

ses joues.

D'ailleuif/,

Monsieur,

dit Villefort s'adressant

à son

futur gendre, ^ part cette perte d'une portion de vos es-

pérances, ce testament inattendu n'a rien qui doive per*

sonnellement vous blesser;

elle

s'explique par la

blesse d'esprit Cj M. Noirtier. Ce qui déplaît à

mon

fai-

père,

ce n'est point qse mademoiselle de Villefort vous épouse, c'est

que Valentine

eût inspiré le

lui

se marie

:

une union avec

Monsieur, et mademoiselle de Villefort tier

une

madame

fidèle

la

tout autre

même chagrin. La vieillesse est faisait

égoïste.

à M. Noir-

compagnie que ne pourra plus

lui faire

baronne d'Épinay. L'état malheureux dans

lequel se trouve

mon

d'affaires sérieuses,

père

que

fait

qu'on lui parle rarement

la faiblesse

de son esprit ne

lui

permettrait pas de suivre, et je suis parfaitement con-

vaincu qu'A cette heure, tout en conservant

que

sapetil

nom Â

e-fille

le

souvenir

se marie, M. Noirtier a oublié jusqu'au

de celui qui va devenir son

fictit-fils.

peine M. de Villefort achevait-il ces paroles, aux-

quelles Franz répondait pat

un

salut,

que

la porte

du

salon s'ouvrit et que Barrois parut.

— Messieurs, un

dit-il

d'une voix étrangement ferme pour

serviteur qui parle à ses maîtres dans

tance

si

une circons-

solennelle, Messieurs, M. Noirtier de Villefori


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

846

désire parler sur-le-champ à M. Franz de Quesnel, baron

d'Épinay.

Lui aussi,

comme le notaire, et afin

ne pût y

qu'il

9\«

a"^

erreur de personnes, donnait tous ses titres au fiancé.

madame

Villefort tressaillit,

son

fils

muette

de Villefort laissa glisser

de dessus ses genoux, Valentine se leva pâle

comme une

et

statue.

Albert et Château-Renaud échangèrent

gard plus étonné encore que

Le notaire regarda

le

un second

re-

premier.

Villefort.

— C'est impossible,

dit le

M. d'Épinay ne peut quitter

procureur du roi; d'ailleurs le

salon en ce

moment.

— C'est justement en ce moment, reprit Barrois avec la

même

fermeté, que M. Noirtier,

mon

maître, désire

parler d'affaires importantes à M. Franz d'Épinay.

parle donc à présent, bon papa Noirtier? deavec son impertinence habituelle. Edouard manda Mais cette saillie ne fit pas même sourire madame de Il

Villefort, tant les esprits étaient

préoccupés, tant la

si-

tuation paraissait solennelle.

— Dites

à M. Noirtier, reprit Villefort

demande ne

,

que ce

qu'il

se peut pas.

— Alors

M. Noirtier prévient ces Messieurs reprit Barrois, qu'il va se faire apporter lui-même au salon. L'étonnement fut à son comble. ,

Une espèce de sourire se dessina sur le visage de madame de Villefort. Valentine, comme malgré elle, leva ^s yeux au plafond pour remercier le ciel. — Valentine, dit M. de Villefort, allez un peu savoir. Je vous prie, ce

que

c'est

que

cette nouvelle fantaisie

de

votre grand-père.

Valentine

fit

vivement quelques pas pour

M. de Villefort se ravisa.

sortir,

mais


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Attendez, vous accompagne. — Pardon Monsieur Franz à son

247

dit-il, je

,

,

semble

/\ue,

mander,

puisque

c'est surtout à

d'ailleurs je serai

dit

c'est

moi que M.

moi de

heureux de

me

tour

;

me

il

Noirtier fait de-

rendre à ses désirs

lui présenter

mes

;

respects,

n'ayant point encore eu l'occasion de solliciter cet honneur.

— Oh visible,

I

mon Dieu

I

dit Villefort

avec une inquiétude

ne vous dérangez donc pas.

— Excusez-moi homme qui

,

Monsieur

,

dit

Franz du ton d'un

a pris sa résolution. Je désire ne point

man-

quer cette occasion de prouver à M. Noirtier combien aurait tort de concevoir contre je suis décidé

il

moi des répugnances que

à vaincre, quelles qu'elles soient, par

mon

nrofond dévouement.

Et sans se laisser retenir plus longtemps par Franz se leva à son tour

Villefort,

et suivit Valentine, qu? déjà

descendait l'escalier avec la joie d'un naufragé qui met la

main sur une roche. M. de

Villefort les suivit tous deux.

Château-Renaud

et

Morcerf échangèrent un troisième

regard plus étonné encore gue les deux premiers.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

SU&

XVIIÏ LE PROCÈS-VERBAL.

Noirtier attendait, vêtu de noir et installé dans son fanteuil.

Lorsque

chambre ferma

— Faites

personnes

les trois

furent entrées,

regarda

il

qu'il

comptait voir venir

que son valet de

la porte,

aussitôt.

attention, dit Villefort bas à Valentine qui

joie, que si M. Noirtier veut vous communiquer des choses qui empêchent votre mariage,

ne pouvait celer sa

je

vous défends de

comprendre.

le

Valentine rougit, mais ne répondit pas. Villefort s'approcha de Noirtier.

— Voici

M. Franz d'Épinay,

mandé. Monsieur, nous souhaitons serai

tion

charmé

et

il

cette

qu'elle

lui dit-il

;

vous l'avez

se rend à vos désirs. Sans doute

entrevue depuis longtemps,

au mariage de Valentine était peu fondée. ne répondit que par un regard qui

Noirtier le frisson Il fit

de

fît

courir

veines de Villefort.

dans

les

l'œil

signe à Valentine de s'approcher.

En un moment,

et je

vous prouve combien votre opposi-

grâce aux

moyens dont

elle avait l'ha-

bitude de se servir dans les conversations avec sou père, elle

eut trouvé le

mot

clef.

Alors elle consulta le regard fixa sur le tiroir

du

paralytique, qui se

d'un petit meuble placé entre les aeuz

fenêtres.

Elle ouvrit le lu-oir et trouva effectivement

une

clef.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Quand

eut cette clef et que

elle

249

le vieillard lui

eutfai

signe que c'était bien celle-là qu'il demandait, les \eux

du paralytique

se dirigèrent vers

blié

depuis bien des années,

tin,

que des paperasses

et

un vieux

secrétaire ou-

qui ne renfermait, croyait-

inutiles.

— Faut-il que j'ouvre

le secrétaire ?

demanda Valen-

tine.

— Oui, — Faut-il que j'ouvre les — Oui. — Ceux des côtés? le vieillard.

fit

tiroirs ?

Non.

— Celui du milieu? — Oui. Valentine l'ouvrit et en

— Est-ce — Non.

tira

une

liasse.

là ce que vous désirez

,

bon père?

dit-ello.

Elle tira successivement tous les autres papiers, jus-

qu'à ce

qu'il

ne restât plus rien absolument dans

le

tiroir.

— Mais

le tiroir est

Les yeux de

vide maintenant,

dit-elle.

Noirtier étaient fixés sur le dictionnaire.

Oui, bon père,

je

vous comprends,

dit la

jeune

fille.

Et

elle

répéta

l'alphabet; à

l'S,

l'une après l'autre

,

,

chaque

lettre

de

Noirtier l'arrêta.

Elle ouvrit le dictionnaire, et chercha jusqu'au

mol

secret.

•—

Ah

1

il

y a un

secret? dit Valentine.

— Oui, — Et qui connaît ce secret? fit

Noirtier.

Noirtier regarda la porte par laauelle était sorti le do-

mestique.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

250

— Barrois? —

Oui,

fit

dit-elle.

Noirtier.

— Faut-il que — Oui.

je l'appelle?

Valentine alla à la porte et appela Barrois

Pendant ce temps,

sueur de l'impatience ruisselai.

la

nir le front de Villefort

,

Franz demeurait stupéfait

et

d'étonnement.

Le vieux serviteur parut.

— Barrois,

dit

mon

Valentine,

mandé de prendre

la clef

grand- père m'a com-

dans cette console, d'ouvrir ce

secrétaire et de tirer ce tiroir ; maintenant

à ce

tiroir,

paraît

il

Barrois regarda

— Obéissez,

que vous

il

y a un secret

le connaissez, ouvrez-le.

le vieillard.

dit l'œil intelligent

de Noirtier.

un double fond s'ouvrit et présenta une liasse de papiers nouée avec un ruban noir. Est-ce cela que vous désirez. Monsieur ? demanda Barrois obéit

;

Barrois.

— Oui, Noirtier. — A qui remettre ces papiers — Non. — A mademoiselle Valentine? — Non. — A M. Franz d'Épinay? fit

faut-il

?

à M. de Villefort?

— Oui. Franz, étonné,

fit

un pas en

— A moi, Monsieur? — Oui. Franz reçut

yeux sur

les

«

Pour

les papiers des

la

être

avant.

dit-il.

couverture,

il

déposé, acres

mains de Barrois, lut

ma

et, jetant

:

mort, chez

mon ami

la


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

?5I

général Durand, qui lui-même en mourant léguera ce paquet à son fils, avec injonction de le conserver comme

renfermant un papier de

— Eh

je fasse de ce papier?

vous

le

conserviez cacheté

doute, dit le procureur du

comme

il

est,

sans

roi.

— Non, non, répondit vivement Noirtier. — Vous désirez peut-être que Monsieur manda

»

bien! Monsieur, demanda Franz, que voulez-

vous qup

— Qpe

plus grande importance.

la

le lise î

de-

Valentine.

— Oui, répondit — Vous entendez,

le vieillard.

monsieur

le

baron,

mon

père vous

prie de lire ce papier, dit Valentine.

— Alors

asseyons-nous,

fit

Villefort

avec impatience

car cela durera auelque temps.

— Asseyez -vous, Villefort s'assit,

fit

l'œil

du

vieillard.

mais Valentine resta debout à côté de

son père, appuyée à côté de son fauteuil, bout devant Il

mystérieux papier à

tenait le

— Lisez, dirent Franz la

'

défit

chambre.

et

Franz de-

lui. la

main.

yeux du vieillard. l'enveloppe, et un grand silence

Au

les

milieu de ce silence

il

lut

se

fit

dans

:

Extrail des procès-verbaux d'une séance du club bonapartiste de la

Franz

rue Saint- Jacques, tenue

le

5 février 1815.

s arrêta.

— Le 5 février <845l C'est

assassiné

le

jour où

mon

père a en»

I

Valentine et Villefort restèrent muets vieillard dit clairement

:

Continuez.

;

l'œil

seul

au


,

LE COMTH DE MONTE-CRISTO.

— Mais

en sortant de ce club, continua Franz

c'est

qu" nioa père a disparu

I

Le regard de Noirtier continua de dire Il

reprit

Les

Lisez.

:

:

soussignés Louis-Jacques Beaurepaire,

tenanl-colonel d'artillerie

,

Duchampy

Etienne

,

iieu-

générai

de brigade, et Claude Lecharpal, directeur des eaux

et

Jorôls «

Déclarent que,

le 4 février

une

<815,

nie d'Elbe, qui recommandait à

lettre arriva

la bienveillance et

conûance des membres du club bonapartiste

le

de

à

la

général

Flavien de Quesnel, qui, ayant servi l'empereur depuis i

804 jusqu'en 1815, devait être tout dévoué à

napoléonienne, malgré

le titre

dynastie

la

de baron que Louis XVIII

venait d'attacher à sa terre d'Épinay. «

En conséquence, un

de Quesnel, qui

demain la

5,

Le

le

billet n'indiquait ni la

maison où devait se

cune signature, mais se tenir prêt,

lait

du

billet fut

adressé au général

priait d'assister à la

on

tenir là

séance du len-

rue ni le numéro de

réunion;

il

ne portait au-

annonçait au général que,

il

le viendrait

s'il

vou-

piendre à neuf heures

soir. «

Les séances avaient lieu de neuf heures du soir

'

minuit.

A neuf

«

le

général

heures, :

le

le

président

du club

général était prêt

;

le

se présenta chez

président lui dit

qu'une des conditions de son introduction

était

qu'il

ignorerait éternellement le lieu de la réunion, et qu'il se laisserait

bander

à soulever •

le

les

yeux en jurant de ne point chercher

bandeau.

Le général de Quesnel accepta

la condition, et

mit sur l'honneur de ne oas chercher à voir conduirait.

pro-

où on

W


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. «

Le général

avait fait préparer sa voiture

;

253

mais

le pré-

sident lai dit qu'il était impossible que Ton s'en servît,

attendu que ce n'était pas la peine qu'on banc'àt les yeux

du maître

cocher demeurait les yeux ouverts

si le

et re-

connaissait les rues par lesquelles on passerait. «

— Comment

— J'ai

— Êtes-vous donc

lui confier

ma un

faire alors?

demanda

le

général.

voiture, dit le président. si sûr de votre cocher, que vous que vous jugez imprudent de dire

secret

au mien? «

— Notre cocher est un membre du club,

sident; «

nous serons conduits par un

— Alors,

dit

en riant

le

général

pré-

dit le

conseiller d'État. ,

nous courons un

autre risque, celui de verser. «

ie

Nous consignons

cette plaisanterie

général n'a pas été le moins du

à la séance, et qu'il y est

comme preuve que

monde

venu de son

forcé d'assister

plein gré.

« Une fois monté dans la voiture, le président rappela au général la promesse faite par lui de se laisser bander les yeux. Le général ne mit aucune opposition à cette

formalité fit

:

un

foulard, préparé à cet effet dans la voiture,

l'affaire. a

Pendant

la route, le président crut s'apercevoir

à regarder sous son bandeau

le général cherchait

:

que

il

lui

rappela son serment. «

— Ah

«

La voiture

I

c'est vrai, dit le général.

s'arrêta

devant une allée de

la

rue Saini-

Jacques. Le général descendit en s'appuyant au bras du président, dont

il

ignorait la dignité, et qu'il prenait pour

un simple membre du club; on monta un étage, et l'on entra dans

traversa la

l'allée,

chambre des

ea

déli-

bérations. «

La séance TOME

IT.

était

commencée. Les membres du club, *^


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

254

prévepus de l'espèce de présentation qui devait avoir lieu ce soir-là se trouvaient au grand complet. Arrivé ,

au milieu de bandeau,

se rendit aussitôt à l'invitation,

il

oter sou

la salle, le général fut invité à

un si grand nombre de

étonné de trouver

naissance dans une société dont

ù parut fort

figures de con-

même

n'avait pas

il

soupçonné l'existence jusqu'alors.

On

«

l'interrogea sur ses sentiments,

tenta de répondre

que

de

les lettres

les faire connaître...

i'ile

mais

il

se con-

d'Elbe avaient

»

Franz s'interrompit.

— Mon père

était royaliste, dit-il

on n'avait pas besoin

;

de l'interroger sur ses sentiments,

— Et de père,

mon

là, dit Villefort,

quand on partage

mêmes

continua de dire

Lisriz,

Franz continua «

les

Le président

ma

venait

cher monsieur Franz

étaient connus.

ils

;

liaison

on se

lie

avec votre facilement

opinions.

du

l'œil

vieillard.

:

prit alors la parole

pour engagei

nérai à s'expliquer plus explicitement

;

nel répondit qu'il désirait avant tout savoir ce désirait

de

gé-

que

l'on

lui.

« 11 fut alors

même

le

mais M. de Ques-

lettre

de

donné communication au général de l'île

d'Elbe qui

le

cette

recommandait au club

comme un homme sur le concours compter. Un paragraphe tout entier

duquel on pouvait ex[>osait le retour

probable de Tile d'Elbe, et promettait une nouvelle lettre

de plus amples détails à l'arrivée du Pharaon, bâtiment appartenant à l'armateur Morrel, de Marseille, et

et

dont

Ib

capitaine était à l'entière dévotion de l'empereur

Pendant toute cette lecture, avait cru pouvoir compter

le

comme

général, sur lequel on

sur

un frère, donna au


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. des signes de mécontentement

contraire

gnance

visibles.

«Lalecture terminée, cil

255 de répu-

et

il

demeura silencieux

et le

sour-

dites

vous

froncé. «

— Eh bien

de cette a

lettre,

— Je dis

demanda

I

monsieur

le président,

le

que

général?

y a bien peu de temps,

qu'il

qu'on a prêté serment au

répondit-il

Louis XVIII, pour le violer déjà au bénéfice de l'ex-empereur. «

roi

Cette fois la réponse était trop claire pour

que

l'on

pût se tromper à ses sentiments. «

— Général,

nous de

roi

dit le président,

Louis

XVUI qu'il n'y

a que Sa Majesté l'empereur

mois de

la

il

n'y a pas plus pour

a d'ex-empereur.

et roi, éloigné

Il

n'y

depuis dix

France, son État, par la violence

et la tra-

hison. «

— Pardon, Messieurs,

n'y ait pas pour

un pour moi de camp,

et

:

vous de

dit le

roi

attendu qu'il m'a

que

«

— Monsieur,

fait

dit le

se peut qu'il

il

baron

je n'oublierai jamais

heureux retour en France que et

général;

Louis XVIII, mais

que

je dois ces

il

y en a

maréchal

et

c'est à

deux

son

titres.

président du ton le plus sérieux

en se levant, prenez garde à ce que vous

dites

;

vos

paroles nous démontrent clairement que l'on s'est trompé

sur votre compte à

l'ile

d'Elbe et qu'on nous a trompés.

La communication qui vous a qu'on avait en vous,

et

été faite tient à la confiance

par conséquent à

un sentiment

qui vous honore. Maintenant nous étions dans l'erreur

:

nouveau gouverrenverser. INouî. ne vous contraindrons pas à nous prêter votre concours nous n'en-

un titre et un grade vous nement que nous voulons

ont rallié au

;

rôlerons personne contre sa conscience et sa volonté; ûiais

nous vous contraindrons à

agir

comme un

galant


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

?56

homme, même au cas où vous n'y seriez point disposé. « Vous appelez être un galant homme connaître

votre conspiration et ne oas la révéler être votre complice,

J'appelle cela

!

moi.\>us voyez que je

suis encore

plus franc que vous...

— Ah

mon

!

père, dit Franz

prends maintenant pourquoi

,

ils

t'ont assassiné.

Valentine ne put s'empêcher de jeter

Franz;

homme

jeune

le

enthousiasme Villefort se

était

com-

s'inlerrompant, je

un regard sur

vraiment beau dans son

filial.

promenait de long en large derrière

Noirtier suivait des

lui.

yeux l'expression de chacun,

et

conservait son attitude digne et sévère.

Franz revint au manuscrit «

— Monsieur,

dit le

et

continua

président,

:

on vous a

prié de

vous

rendre au sein de l'assemblée, on ne vous y a point traîné

de force; on vous a proposé de vous bander les yeux, vous avez accepté. Quand vous avez accédé à cette double demande, vous saviez parfaitement que nous no

nous occupions pas d'assuier

le trône

de Louis XVlll,

sans quoi nous n'eussions pas pris tant de soin de nous

Maintenant, vous

cacher à

la police.

rait trop

commode de

on surprend

mettre

le secret

le

comprenez,

un masque à

l'aide

il

se-

duquel

des gens, et de n'avoir ensuite

qu'à ôter ce masque pour perdre ceux qui se sont

fiés

vous. Non, non, vous allez d'abord dire franchement

vous

êtes

ou pour «

pour

S.

— Je

le roi

de hasard qui régne en ce moment,

M. l'empereur. suis

royaliste

,

répondit le général

serment à Louis XVIIl, je tiendrai «

à si

mon

;

j'ai fait

serment.

Ces mots furent suivis d'un murmure général, eK î'on

put voir, par les regards d'un graod nombre des

membres


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. du

club,

257

qu'ils agitaient la question de faire

repentir

M. fl'Épinay de ces imprudentes paroles. «

Le président se leva de nouveau

«

grave

Monsieur,

et trop

quences de

vous

lui dit-il,

;\nposa silence.

et

êtes

un homme

trop

sensé pour ne pas comprendre les consé-

où nous nous trouvons

la situation

en face des autres,

et

les conditions qu'il

nous reste à vous

votre franchise

les

uns

même

nous

dicte

faire

vous

allez

:

donc jurer sur l'honneur de ne rien révéler de ce que

vous avez entendu.

main à son épée

"

Le général porta

«

— Si vous parlez d'honneur, commencez par ne pas

anéconnaitre ses «

— Et

vous

un calme plus ral,

la

lois, et ,

et s'écria

:

n'imposez rien par la violence.

Monsieur, continua le président avec

terrible peut-être

que

la colère

ne touchez pas à votre épée, c'est

un

du géné-

conseil

que

je

vous donne. «

Le général tourna autour de

celaient fléchit «

«

un commencement

lui

des regards qui dé-

d'inquiétude. Cependant

il

ne

pas encore; au contraire, rappelant toute sa force-

— Je ne jurerai pas, — Alors, Monsieur, vous

dit-il.

mourrez, répondit tran-

quillement le président. «

M. d'Épinay devint

fort pâle

:

il

regarda une seconde

autour de lui; plusieurs membres du club chuchotaient et cherchaient des armes sous leurs mantout

fois

teaux. «

— Général,

dit le

président, soyez tranquille

;

vous

tous les ïies parmi des gens d'honneur qui essayeront do contre porter se avant de convaincre moyens de vous

mais aussi, vous l'avez dit, vous tenez notre seconspirateurs, des parmi vous êtes

vous à cret,

il

la dernière extrémité;

faut

nous

le rendre.


LE COMTE DE MONTE-CMSTO.

258

Un silence plein de comme le général ne

«

et

signification suivit ces paroles

répondait rien

«

— Fermez les portes,

«

Le

«

Abr»» îe général s'avança,

même

J'ai

aux huissiers

président

silence de mort succéda à ses paroles.

sur lui-même «

dit le

;

:

un

et faisant

un

violent effort

:

fils

dit-il,

,

et je dois

me

scnger à lui en

trouvant parmi des assassins. «

— Général,

avec noblesse

dit

chef de rassemblée,

le

un seul homme a toujours

le

quante

la faiblesse.

c'est le privilège

:

tort d'user

de

droit d'en insulter cin-

Seulement

de ce droit. Croyez-moi, général jurez

il

et

,

a

ne

nous insultez pas. «

Le général, encore une

dompté par

fois

du chef de l'assemblée,

riorité

hésita

un

bureau du président

enfin, s'avançant jusqu'au

supé-

cette

instant; mais :

«

— Quelle

«

La

«

Je jure sur l'honneur de ne jamais révéler à qui que

voici

est la

formule? demanda-t-il.

:

monde

vu

«

ce soit au

«

vrier 1815, entre neuf et dix heures clare mériter la «

ce que

mort

si

j'ai

je viole

et

mon

entendu

du

le 5 fé-

,

dé-

soir, et je

serment.

»

Le général parut éprouver un frémissement nerveux

qui l'empêcha de répondre pendant quelques secondes

surmontant une répugnance manifeste,

enfin,

nonça

le

serment exigé, mais d'une voix

peine on l'entendit ils qu'il le

qui fut •

:

aussi plusieurs

si

membres

il

;

pro-

basse qu'à exigèrent-

répétât à voix plus haute et plus distincte, ce

fait.

— Maintenant, je désire

me

iJîtirer, dit le

général

;

suis-je enfin libre? «

Le

prt^-sident se leva,

désigna trois membres de

semblée pour l'accompagner,

et

l'as-

monta en voiture avec


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. le général, après lui avoir

de ces

trois

membres

bandé

était le

les

yeux.

259

Au nombre

cocher qui les avait amenés

«

Les autres membres du club se séparèrent en silence

«

— Où voulez-vous

demanda

que nous vous reconduisions*

le président.

— Partout où

je pourrai être délivré

de votre pré«

sence, répondit M. d'Épinay. "

— Monsieur, reprit alors

vous n'êtes plus qu'à des

affaire

ici

le président,

prenez garde,

dans l'assemblée, vous n'avez plus

hommes

isolés

;

ne

les insultez

pas

si

vous ne voulez pas être rendu responsable de l'insulte. « Mais au lieu de comprendre ce langage, M. d'Épinay répondit «

:

— Vous êtes toujours aussi brave dans votre voilure

que dans votre

hommes

club, par la raison. Monsieur,

«

Le président

«

On

fi*

était juste

arrêter la voiture.

à l'endroit

du quai des Ormes où

trouve l'escalier qui descend à «

que quatre

sont toujours plus forts qu'un seul.

se

la rivière.

— Pourquoi faites- vous arrêter ici? demanda M. d'É-

pinay. «

— Parce que, Monsieur,

insulté

un h<imme,

et

que

dit le

cet

président, vous aver

homme

ne veut pas

fair»;

un pas de plus sans vous demander loyalement réparation. « Encore une manière d'assassiner, dit le général

en haussant les épaules. a Pas de bruit, Monsieur, répondit le président, si vous ne voulez pas que je vous regarde vous-même

_

comme un

hommes que vous à-dire comme un lâche

de ces

l'heure, c'est

désigniez tout à

qui prend sa

fai-

blesse pour bouclier. Vous êtes seul, un seul vous répondra; vous avez une épée au côté, j'en ai une aans cette canne vous n'avez ras de témoin, un de ces Messieurs ;


LE COMTE DE MOjSTE-CRISTO.

260

sera le vôtre. Maintenant,

si

vous convient, vous

cela

pouvez ôter votre bandeau. «

Le général arracha à

«

— Enfin,

«

On

môme

l'instant

mouchoir

le

yeux.

qu'il avait sur les

dit-il,

je vais

ouvrit la voiture

:

donc savoir à qui

j'ai affaira

hommes

quatre

les

descen-

dirent... »

Franz s'interrompit eiîsore une

fois.

sueur froide qui coulait sur son front

que chose

d'effrayant à voir le

;

Tl il

essuya une

y

avait quel-

tremblant

fils

et pâle, li-

sant tout haut les détails, ignorés jusqu'alors, de la mort

de son père.

comme

Valentine joignait les mains

si

elle

eût été en

prières.

une expression pres-

Noirtier regardait Villefort avec

que sublime de mépris Franz continua «

On

était,

il

tout roide

grand,

le

:

comme nous

puis trois jours était

et d'orgueil.

l'avons dit

gelait à cinq

ds glaçons;

président lui

offrit

ou le

,

au 5

De-

février.

six degrés

;

l'escalier

général était gros

le côté

et

de la rampe pour

descendre. «

Les deux témoins suivaient par derrière.

« 11 faisait

une nuit sombre la humide de neige .

la rivière était

l'eau s'écouler,

noire,

terrain de l'escalier et

à

de givre, on voyait

profonde et charriant quelques

glaçons. «

Un

des témoins alla chercher une lanterne dans

un

bateau de charbon, et à la lueur de cette lanterne on

examina « il

les

armes.

L'épée du président, qui

l'avait dit,

une épée

était

qu'il portail

simplement,

comme

dans une canne,

était


LE COiMTE DE MONTE-CRISTO.

261

plus courte de cinq pouces que celle de son adversaire, et n'avait

pas de garde.

Le général d'Épinay proposa de tirer au sort épées mais le président répondit que c'était «

les

avait provoqué, et qu'en provoquant

deux

lui

:

qui

avait prétendu

il

que chacun se servit de ses armes. «

Les témoins essayèrent

imposa «

d'insister; le président leur

silence.

On posa

la

lanterne à terre

mirent de chaque côté

le

;

:

les

deux adversaires se

combat commença.

« La lumière faisait des deux épées deux éclairs. Quant aux hommes, à peine si on les apercevait, tant

l'ombre «

M.

était épaisse.

le

général passait pour une des meilleures lames

de l'armée. Mais

fut pressé si

il

vivement dès

mières bottes, qu'il rompit; en rompant, «

Les témoins

le

il

crurent tué; mais son adversaire, qui

savait ne l'avoir point touché, lui

offrit la

main pour

der à se relever. Cette circonstance, au lieu de irrita le «

le

l'ai-

calmer,

général, qui fondit à son tour sur son adversaire.

Mais son adversaire ne rompit pas d'une semelle. Le

recevant sur son épée,

trouvant trop engagé, «

les pre-

tomba.

A

la troisième fois,

On

trois fois le général recula, se

et revint à la charge. il

crut qu'il glissait

tomba encore.

comme

pendant les témoins, voyant

la

première

fois;

ce-

ne se relevait pas,

qu'il

s'approchèrent de lui et tentèrent de le remettre sur ses pieds; mais celui qui l'avait pris à bras-le-corps seniil

sous sa main une chaleur humide. «

Le général, qui

était

C'était

du sang.

à peu près évanoui, reprit ses

sens. «

— Ah

I

dit-il,

on m'a dépêché quelque spadassin,

quelque maître d'arme de révjmeni.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

262 «

Le président, sans répondre, s'approcha de celui de«

deux témoins qui tenait la lanterne, et relevant sa manche il montra son bras percé de deux coups d'épée ,

;

puis, ouvrant son habit et déboutonnant son gilet,

il fit

voir son flanc entamé par une troisième blessure.

même

poussé un soupir.

«

Cependant

«

Le général d'Épinay entra en agonie

il

minutes après...

Franz

n'avait pas

lut ces derniers

mots d'une voix

qu'à peine on put les entendre s'arrêta,

et

expira cinq

»

;

et

si

étranglée,

après les avoir lus

passant sa main sur ses yeux

il

comme pour en

chasser un nuage. Mais, après «

un

instant de silence,

Le président remonta

son épée dans sa canne

chemin sur

;

l'escalier,

une

la neige. Il n'était

il

continua

:

après avoir repoussé

trace de sang marquait son

pas encore en haut de

l'es-

un clapotement sourd dans l'eau corps du général que les témoins venaient de

calier, qu'il entendit c'était le

:

précipiter dans la rivière après avoir constaté la mort. «

Le général a donc succombé dans un duel

non dans un guet-apens, o

En foi de

blir la vérité

comme on

quoi nous avens signé des

faits,

le

de peur qu'un

où quelqu'un des acteurs de

loyal, et

pourrait le dire.

présent pour éta-

moment

n'arrive

cette scène terrible

ne se

trouve accusé de meurtre avec préméditation ou de forfaiture

aux

lois

de l'honneur. «

Signé et

:

Beauregard, Duchampt

Lecharpal.

»

Quand Frantz eut terminé cette lecture si terrible poiBP an fils, quand Valentine, pâle d'émotion, eut essuyé une larme, quand Villefort, tremblant et blotti dans un coin»


1

^

COMTE DE MONTE-CRISTO.

263

«Ut essayé de conju-rer l'orage par des regards suppliants adressés au vieillard implacable.

— Mon^'eur,

d'Épicay à Noirtier, puisque vous

dit

connaisse/î cette terrible histoire dans tous ses détails,

puisque vous î'avez râbles,

fait attester

par des signatures hono

puisque enfin vous semblez vous intéresser à moi,

quoique votre

ne se

intérêt

soit

encore révélé que par la

me refusez pas une dernière satisfaction, dites-moi le nom du président du club, que je connaisse enfin celui qui a tué mon pauvre père. Villefort chercha, comme égaré, le bouton de la porte. douleur, ne

Valentine, qui avait compris avant tout le

ponse du

son avant-bras

la trace

monde

la ré-

souvent avait remarqué

et qui

vieillard,

sui-

de deux coups d'épée, recula

d'un pas en arrière.

— Au nom du

ciel

Mademoiselle,

1

dit

Franz, s'adres-

nom

sant à sa fiancée, joignez-vous à moi, que je sache le

homme

de cet

qui m'a

orphelin à deux ans

fait

I

Valentine resta immobile et muette.

— Tenez, Monsieur,

dit Villefort,

longez pas cette horrible scène été cachés à dessein.

ce président,

Mon

et, s'il le

noms propres ne

;

les

croyez-moi, ne pro-

noms

d'ailleurs ont

père lui-même ne connaît pas

connaît,

il

ne saurait

le dire

:

les

se trouvent pas dans le dictionnaire.

Oh! malheur! s'écria Franz, le seul espoir qui m'a soutenu pendant toute cette lecture et qui m'a donné la force d aller jusqu'au bout, c'était de connaître au moins

nom

le

sieur

!

de celui qui a tué s'é<;ria-t-il

père! Monsieur,

que vous pourrez... arrivez,

du

ciel!

en

supp\ife, à m'indiquer,

faites ce

mon

Mon-

en se retournant vers Noirtier, au à

me

faire

nom

je ''ous

comprendre...

— Oui, répondit Noirtier.

Mademoiselle, Mademoiselle! s'écria Franz, votr«


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

264 père a

signe qu'il pouvait m'indiquer... cet homme...

fait

Aidez-moi... vous !e comprenez... prêtez-moi votre concours. Noirtier regarda le dictionnaire.

Franz

le prit

avec un tremblement nerveux,

et pro-

nonça successivement les lettres de l'alphabet jusqu'à l'M.

A

cette lettre, le vieillard

flt

signe que oui.

— M? répéta Franz. Le doigt du jeune

homme

glissa sur les

un

tous les mots, Noirtier répondait par

mots; mais, à

signe négatif.

Valentine cachait sa tête entre ses mains. Enfin Franz arriva au

— Oui, — ^<jas

P.'.îe

sur sa tête tué

mon

MOL cheveux se dressèrent

!

s'écria Franz, dont les

;

vous, monsieur Noirtier

père

— Oui,

mot

vieillard.

I

c'est

vous qui avez

?

répondit Noirtier, en fixant

sur

le

jeune

homme uu majestueux regard. Franz tomba sans force sur un fauteuil. Villefort ouvrit la porte et s'enfuit, car l'idée lui venait

d'étouffer ce

cœur

terrible

peu d'existence qui du vieillard.

restait

encore dans

le

XIX LE PROGRÈS DE CAVALCANTl

Cependant M. Cavalcanti père

FILS.

était parti

pour

aller re-

prendre son service, non pas dans l'armée de S. M. l'em-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

265

pereur d'Autriche, mais à la roulette des bains de Lucques, dont il était un des plus assidus courtisans. Il

va sans

dire qu'il avait

emporté avec

la plus scru-

puleuse exactitude jusqu'au dernier paul de

la

somme

qui lui avait été allouée pour son voyage, et pour la ré-

compense de quelle

il

la

façon majestueuse et solennelle avec

la-

avait joué son lôle de père.

M. Andréa

avait hérité à ce départ de tous les papiers

qni constataient qu'il avait bien l'honneur d'être

du marquis Bartolomeo

et

le fils

de ia marquise Leonora Cor-

sinari. lî é^dit

sienne,

donc à peu près ancré dans cette société pari-

si facile

à recevoir les étrangers, et à les traiter,

non pas d'après ce

qu'ils sont,

mais d'après ce

qu'ils

veulent être. D'ailleurs, ris?

De

que demande-t-on à un jeune

parler à

peu près sa langue,

venablement, d'être beau joueur Il

va sans

dire qu'on

est

et

moins

homme

à Pa-

d'être habillé con-

de payer en or. difficile

encore pour

un étranger que pour un Parisien. Andréa avait donc pris en une quinzaine de jours une assez belle position; on l'appelait monsieur le comte, on disait qu'il avait

parlait

cinquante mille livres de rentes,

des trésors immenses de monsieur son

et

on

père,

enfouis, disait-on, dans les carrières de Saravezza.

Un savant,

devant qui on mentionnait cette dernière

circonstance

comme un

rières dont

était question, ce

il

fait,

qui donna

à des assertions jusqu'alors flottantes à et

qui dès lors prirent la consistance de

On en

était là

vu les carun grand poidâ

déclara avoir

dans ce cercle de

l'état

de doute,

la réalite.

la société

parisienne

où nous avons introduit nos lecteurs, lorsque MouieCristo vint un soir faire visite à M. Danglars. AI. Dan


LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

2«b

glars était sorti, mais

on proposa au comte de

l'introduire

près de la baronne, qui était visible, ce qu'il accepta. Ce n'était Jamais sans une espèce de tressaillement nerveux que, depuis le dîner d'Auteuil et les événements qui en avaient été la suite,

madame Danglars en de Monte-Cristo. Si la présence du comte ne suivait pas le bruit de son nom la sensation douloureuse devenait plus intense; si au îendait prononcer le

nom

contraire

comte paraissait, sa figure ouverte, ses yeux brillants son amabilité, sa galanterie même pour madame Dan-' le

glars chassaient bientôt jusqu'à la dernière impression il paraissait à la baronne

de crainte;

impossible qu'un charmant à la surface pût nourrir contre elle de mauvais desseins; d'ailleurs, les cœurs les plus corrompus ne peuvent croire au mal qu'en le faisant reposer sur un intérêt quelconque le mal inutile eê sans cause répugne comme une anomalie. Lorsque Monte-Cristo entra dans le boudoir où nous avons déjà une fois introduit nos lecteurs, et où la baronne suivait d'un œil assez inquiet des dessins que lui passait sa fille après les avoir regardés avec M. Caval-

homme

si

:

^

canti

fils, sa présence produisit son effet ordinaire, et ce en souriant qu'après avoir été quelque peu bouleversée par son nom la baronne reçut le comte. Celui-ci, de son côté, embrassa toute la scène d'un coup d'œil.

fut

Près de la baronne, à peu près couchée sur une causeuse, Eugénie se tenait assise, et Cavalcanti debout Cavalcanti, habillé de noir comme un héros de Goethe en souliers vernis et en bas de soie blancs à jour, pas-

sait une main assez blanche et assez soignée dans ses cheveux blonds, au milieu desquels sciniillait un diamant que. malgré les conseiis

de Monte-Cristo,

le

vani-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. teux jeune ser au

homme

n'avait

pu

résister

au désir de

se pas-

petit doigt.

Ce mouvement

était

accompagné de regards assassins

lancés sur mademoiselle Danglars,

à la

267

même

et

de soupirs envoyés

adresse que les regards.

Mademoiselle Danglars

toujours la

était

même,

c'est-

à-dire belle, froide et railleuse. Pas un de ces regards, ou pas un de ces soupirs d'Andréa ne lui échappaient;

sur la cuirasse de Minerve, cuiprétendent recouvrir philosophes quelques rasse que Sapho. de poitrine la parfois

eût

dit qu'ils glissaient

Eugénie salua froidement

comte,

le

et profita

des pre-

mières préoccupations de la conversation pour s'exhadans son salon d'études, d'où bientôt deux voix accords premiers aux lant rieuses et bruyantes, mêlées se retirer

d'un piano,

firent savoir

à Monte-Cristo que mademoi-

sienne et à celle de selle Danglars venait de préférer, à la Louise d'Armademoiselle de société M. Cavalcanti, la milly, sa maîtresse de chant.

Ce

en causant avec madame de la en paraissant absorbé par le charme AnM. de sollicitude comte remarqua la

fut alors surtout que, tout

Danglars

et

conversation, le

dréa Cavalcanti, sa manière

d'aller

écouter

la

musique

de manifester son à la porte qu'il n'osait franchir, et admiration. Bientôt le banquier rentra.

pour Monte-Cristo,

c'est vrai,

Son premier regard fut mais le second fut pour

Andréa.

Quant à sa femme,

il

la salua à la façon

dont certams

et dont les célibataires

ne

idée que lorsqu'on aura publié

un

maris saluent leur femme,

pourront se faire une code très-étendu de la conjugalité.

— Est-ce que ces demoiselles ne

vous ont pas

invité


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

J68 à

faire

de la musique avec elles

demanda Danglars à

î

Andréa.

Hélas non, Monsieur, répondit Andréa avec soupir plus remarquable encore que les autres. I

Danglars s'avança aussitôt vers

la porte

un

de communi-

cation et rouvrit.

On

vit alors les

siège, devant le

deux jeunes

même piano.

cune d'une main

filles

assises sur le

même

Elles accompagnaient cha-

exercice auquel elles s'étaient habi-

,

tuées par fantaisie

,

et

elles étaient

devenues d'une

force remarquable.

Mademoiselle d'Armilly, qu'en apercevait alors,

mant avec Eugénie, grâce au cadre de ces tableaux vivants

magne,

comme on

en

fait

la porte,

for.

un de

souvent en Alle-

d'une beauté assez remarquable, ou plutôt d'une gentillesse exquise. C'était une petite femme mince était

comme une fée, avec de grands cheveux boutombant sur son cou un peu .rop long, comme Pérugin en donne parfois à ses vierges, et des et

blonde

clés

yeux

par la fatigue. et

que,

rait

et

On

comme

voilés

disait qu'elle avait la poitrine faible,

Antonia du Violon de Crémone,

mour-

elle

un jour en chantant.

Monte-Cristo plongea dans ce gynécée un regard rapide curieux; c'était la première fois qu'il voyait

made-

moiselle parler

d'Armilly, dont

dMs

— Eh

la

si

souvent

il

avait entendu

maison.

demanda le banquier à sommes donc exclus, nous autres? Alors il mena le jeune homme dans le bien!

sa

fille,

nous

petit salon, et, adresse, derrière Andréa la porte fut repoussée de manière à ce que de l'endroit oft ils é'^ifcdi soit hasard, soit

assis, Monte-Cristo et la

voir; mais,

comme

le

baronne ne pussent plus rien banquier avait suiv\ Andréa, ma-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

269

dame Danglars ne parut pas même remarquer

cette cir-

constance. Bientôt après, le comte entendit la voix d'Andréa ré-

sonner aux accords du piano, accompagnant une chanson corse.

Pendant que son qui lui

madame

detto,

comte écoutait en souriant

le

le

milanaise, perdu trois ou quatre cent mille francs.

su par

la

de tout savoir,

eût pas dit

un mot.

— Boni pensa Monte perd

il

:

bien

la

comte ne

du baron ne

la figure

Cristo,

y a un mois

Puis tout haut

— Oh!

si le

baronne ou peut-être par un des moyens

qu'il avait

qu'il

la force

matin encore, avait, dans une

Et, en effet, l'éloge était mérité; car, l'eût

cette chan-

rappeler Bena-

lui

Danglars vantait à Monte-Cristo

d'âme de son mari, qui, faillite

Andréa pour

faisait oublier

il

il

en

est déjà à cacher ce

s'en vantait.

:

Madame,

dit le

comte, M. Danglars connaît

qu'il rattrapera toujours là

Bourse,

en

lui

si

ce qu'il pourra

nerdre ailleurs.

— Je vois que madame

— Et quelle — il

vous partagez

l'erreur

commune

,

dit

Danglars.

C'est

est cette

eneur?

dit

Monte-Cristo.

que M. Danglars joue, tandis qu'au contraire

ne joue jamais.

— Ahl oui,

c'est vrai,

M. Debray m'a M. Debray?

11

dit...

y a

A

trois

Madame,

je

me

rappelle

que

propos, mais que devient donc

ou quatre jours que

je ne

l'ai

aperçu.

— St moi aussi,

dit

madame

Danglars avec un aplomb

miraculeux. Mais vous avez commencé est restée inachevée.

— Laquelle

?

uj>e

çhias^qui


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Î70

— M. Debray vous a — Ah c'est vrai M. ;

qui sacrifiiez au

— dit

J'ai

Debray m'a

démon du

que

dit

vous

c'éta.t

jeu.

eu ce goût pendant quelque temps, je l'avoue, Danglars, mais je ne l'ai plus.

madame

— Et vous avez chauces de et

prétendiez- vous...

dit,

I

que

le

la

Madame. Ehl mon Dieu! les si j'étais femme,

tort,

fortune sont pi.écaires, et

hasard eût

de celte

fait

que

quier, quelque confiance

mon

femme

celle d'un

dans

j'aie

ban-

bonheur de

le

mari, car en spéculation, vous le savez, tout est

malheur; eh bien!

bonheur

et

que

dans

j'aie

le

quelque confiance

dis-je,

bonheur de mon mari,

je

commencerais

toujours par m'assurer une fortune indépendante, dussé-je acquérir cette fortune

en mettant mes

dans

intérêts

des mains qui lui seraient inconnues.

Madame Danglars

— Tenez,

dit

rougit malgré elle.

Monte-Cristo,

comme

on parle d'un beau coup qui a été

s'il

fait

n'avait rien vu,

hier sur les bons

de Naples.

— Je n'en même

ai

pas, dit

jamais eu

Hourse

comme

;

vivement la baronne,

mais

cela,

en

,

vérité

monsieur

le

,

et je

n'en ai

c'est assez

parler

comte, nous avons

l'air

de deux agents de change parlons un peu de ces pauvres ;

Villefort, si

— Que

tourmentés en ce moment par

leur arrive-t-il donc ?

la fatalité.

demanda Monte-Cristo

avec une parfaite naïveté.

— Mais, vous

le savez; après avoir perdu M. de Saintou quatre jours après son départ, ils viennent de perdre la marquise trois ou quatre jours après

Méran

trois

son arrivée.

— Ahl mais,

nature

c'est vrai, dit Monte-Cristo, j'ai appris cela;

comme :

dit

Clodius à Hamlet, c'est une

loi

leurs pères étaient morts avant eux, et

de la ils

les


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. avaient pleures fils

;

ils

mourront avant leurs

271

fils

,

et leurs

les pleureront.

— Mais ce n'est pas — Comment ce pas tout — Non vous saviez — A M, Franz d'Épinay... Est-ce le tout.

n'est

le

I

ma/igr leur

qu'ils allaient

;

que

le

fi'le...

mariage

est

manqué?

Hier matin, à ce

qu'il paraît,

Franz leur a rendu

leur parole.

— Ahl

vraiment... Et connaît-on les causes de cette

rupture ?

— Non.

— Que m'annoncez-vous monsieur de

Villefort,

là,

bon Dieul Madame...

comment

et

accepte-t-il tous ces

malheurs ?

— Comme toujours, en philosophe. En

ce

moment, Dangiars

— Eh bien! avec votre

dit la

fille?

— Et mademoiselle qui la

rentra seul.

baronne, vous laissez M. Cavalcanti

d'Armilly, dit le banquier, poui

prenez-vous donc ?

Puis se retournant vers Monte-Cristo

— Charmant jeune homme, comte, que

le

;

n'est-ce pas,

monsieur

prince Cavalcanti?... Seulement,

le

est-il

bien prince?

— Je n'en réponds pas, senté son i^ère crois

comme

dit

Monte-Cristo.

marquis,

il

serait

On m'a

pré-

comte; mais

que lui-même n'a pas grande prétention à ce

je

titre.

Pourquoi? dit le banquier. S'il est prince, il a tort de ne pas se vanter. Chacun son droit. Je n'aime pas qu'on renie son origine, moi. Oh vous êtes un démocrate pur,

I

en souriant.

dit

Monte-Cristo


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. —' Mais, voyez, dit la baronne, à quoi vous vous

J7-2

sez;

M. de Morcerf venait par hasard,

si

M. Câvalcanti dans une chambre où n'a jamais

eu

— Vous que

faites

— cée,

fille,

Lui? oh

bert ne il

nous

dirait, tant

on

il

mon

I

fait

le

ban-

rarement,

le voit

hasard qui nous l'amène.

homme

pourrait être mécontent.

Dieu! vous vous trompez; M. Al-

pas l'honneur d'être jaloux de sa fian-

ne l'aime point assez pour

m'importe

d'Eugénie,

venait, et qu'il trouvât ce jeune

s'il

près de votre

lui, fiancé

bien de dire par hasard, reprit

c'est effectivement le

— Enfin,

trouverait

permission d'entrer.

la

en vérité, on

quier, car,

expo-

il

qu'il soit

cela. D'ailleurs,

que

mécontent ou non!

— Cependant, au point où nous en sommes... — Oui, au point où nous en sommes voulez-vous :

où nous en sommes? c'est qu'au bal a dansé une seule fois avec ma fille, que

le savoir, le point

de sa mère,

il

M, Câvalcanti a dansé

même

trois fois

avec

elle, et qu'il

ne

l'a

pas remarqué.

— M.

le

vicomte Albert de Morcerf! annonça

le valet

de chambre.

La baronne se leva vivement. Elle lon d'étude pour avertir sa

fille,

passer au sa-

allait

quand Danglars

l'arrêta

par le bras.

— Laissez,

dit-il.

Elle le regarda étonnée

Monte-Cristo feignit de ne pas avoir

vu ce jeu de

*C(-ne.

Albert entra,

il

était fort

beau

et fort gai. Il salua la

baronne avec aisance, Danglars avec familiarité, MonteCristo avec affection; puis se retournant vers la

— Voulez-vous me

permettre,

Madame,

baronne

lui dit-il,

vous demander comment se porte mademoiselle

:

de

Danglar.i ?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— /ort ello fait

"273

bien, Monsieur, répondit vivement Danglirs

en ce moment de

la

musique dans son

;

petit sa-

lon avec M. '^avalcanti.

Alberl conserva son air calme et indifférent éprouvait-il quelque dépit intérieur

regard de Monte-Cristo fixé sur

— M. Cavalcanti a une et

;

mais

il

:

peut-être sentait le

lui.

très-belle voix de ténor, dii-K

mademoiselle Eugénie un magnifique soprano, sans

compter qu'elle joue du piano comme Thalberg. Ce être

un charmant

Le

doit

concert.

fait est, dit

Danglars, qu'ils s'accordent à mer-

veille.

— Albert parut n'avoir pas remarqué si

grossière, cependant,

cette équivoque,

que madame Danglars en

rougit

homme, je suis musi cien, à ce que disent mes maîtres, du moins; eh bieni chose étrange, je n'ai jamais pu encore accorder ma voix Moi

aussi, continua le Jeune

avec aucune voix,

et

avec les voix de soprano surtout

encore moins qu'avec les autres.

Danglars Ot un

— Mais

petit sourire qui signifiait

:

fàche-toi donc! Aussi, dit-il, espérant sans

doute arriver au but

qu'il désirait, le

prince et

ma

fille

ont-ils fait hier radmiration générale. N'étiez-vous pas là hier,

monsieur de Morcerf?

— Quel prince? demanda Albert. — Le prince Cavalcanti, reprit Danglars, qui nait toujours à

— Ahl

donner ce

pardon,

titre

s'obsti-

au jeune homme.

dit Albert, j'ignorais qu'il fût prince.

Ahl

le prince Cavalcanti a chanté hier avec

selle

Eugénie? En

mademoi-

vérité, ce devait être ravissant, et je

regrette bien vivement de ne pas avoir entendu cela. Mais

pu me rendre à votre invitation, j'étais forcé d'ac compagner madame de Morcerf chez la baronne de Clà'

je n'ai


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

274

teau-Renaud tion de rien

Me

la

mère

un

silence, et

,

Puis, après

,

où chantaient

comme

s'il

Âllemandâ.

les

u'eûl été ques-

:

Morcerf, de présenter

sera-t-il permis, répéta

mes hommages à mademoiselle Danglars?

Ohl attendez, attendez,

banquier, en arrêtant la

délicieuse cavatine,

vissant, cela

va être

le

vous eu supplie,

je

jeune

ta, ta, ta,

ti,

ta,

ti,

ta, ta; c'est ra-

une seule seconde

fini...

dit le

homme; entendez-vous :

parfait

1

bravo! bravi! bravai El

banquier se mit à applaudir avec frénésie.

le

En

sible de

ne

le

elTet,

dit Albert,

c'est exquis, et

mieux comprendre

fait le

prince

la

Cavalcanti.

n'est-ce pas? D'ailleurs,

s'il

il

est

impos-

musique de son pays que

Vous avez

n'est pas prince,

dit prince,

on

le fera

prince, c'est facile en lialie. .Mais, pour en revenir à nos

adorables chanteurs, vous devriez nous faire un plaisir,

monsieur Danglars

:

sans la prévenir qu'il y a là un

étranger, vous devriez prier mademoiselle Danglars et

commencer un autre morceau. C'est que de jouir de la musique d'un peu lom, dans une pénombre, sans être vu, sans voir, .M.

(Cavalcanti de

une

cliose si délicieuse

par conséquent, sans gêner le musicien, qui peut

et,

ainsi se livrer à tout l'instinct l'élan

démonté par

Celte /ois, Danglars fat

jeune Il

de son génie ou à tout

de son cœnr. le

flegme du

homme.

prit

— Eh

Monte-Cristo à pari. bien! lui

dit-il,

que dites-rous de notre amou-

reux?

— Dame

!

il

me

que voulez-vous

?

Sans doule,

parait froid, c'est incontestable

vous êtes engagé je suis

;

mais

!

engagé, mais de donner

ca»


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. fille

homme

à un

l'aime pas. Voyez celui-ci, froid

comme

gueilleux

son père

s'il

;

avait la fortune des Cavalcanti,

sus.

Ma

avait

bon

— Oh tié

pour

était riche

encore,

s'il

on passerait par là-des-

je n'ai pas consulté

foi,

275

un homme qui ne comme un ma\bre, or-

qui l'aime et non à

ma

fille;

mais

si

elle

goût...

I

dit

Monte-Cristo, je ne sais

si c'est

mon

ami-

qui m'aveugle, mais je vous assure, moi, que

lui

M. de Morcerf rendra votre

un jeune homme charmant, là, qui et qui arrivera tôt ou tard à

est

fille

heureuse

quelque chose; car enfin

la position

de son père est

excellente.

— Hum —

fit

1

Danglars.

Pourquoi ce doute?

— y a toujours passé... ce passé obscur. — Mais passé du père ne regarde pas — — Voyons, ne vous montez pas y a un mois, le

Il

le fils.

le

Si fait, si fait

!

la tête;

il

vous trouviez excellent de faire ce mariage... Vous comprenez, moi je suis désespéré c'est chez moi que vous avez vu ce jeune Cavalcanti, que je ne connais pas, je :

vous

le répèle.

— Je connais, moi, Danglars, cela — Vous connaissez? Avez-vous donc dit

ie

le

suffit.

pris des ren-

seignements sur lui? demanda Monte-Cristo.

— Est-il besoin de cela, oc pas à qui on a

affaire?

et

11

à la première vue ue

est riche d'anord.

— Je ne l'assure pas. — Vous répondez pour cependant — De cinquante mille livres, d'une misère. — a une éducation distinguée. — Hum à son tour Monie-Cristo. — U est musicien. lui,

Il

!

fit

?

soitr


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

J76

— Tous —

les Italiens le sont.

Tenez, comte, vous n'êtes pas juste pour ce jeune

homme. Eh

ainsi se jeter

en travers

Danglars se mit à

— Oh!

me,

bien! oui, je l'avoue, je vois avec peine

connaissant vos engagements avec les Morcerf, et

il

vienae

abuser de sa fortune.

rire.

que vous êtes puritain

I

mais cela se

dit-il,

fait

tous les jours dans le monde.

— Vous ne

pouvez cependant rompre

monsieur Danglars

:

ainsi,

mon

cher

Morcerf comptent sur ce ma-

les

riage.

— Y comptent — Positivement. — Alors s'expliquent. Vous devriez glisser deux ils?

qu'ils

mots de cela au père,

mon

cher comte, vous qui êtes

si

bien dans la maison.

— Moi! où diable avez-vous vu cela? — Mais à leur bal, ce me semble. Comment! et

tesse, la

la

com-

Gère iMercédès, la dédaigneuse Catalane, qui

daigne à peine ouvrir

la

bouche à ses plus

vieilles

con-

naissances, vous a pris par le bras, est sortie avec vous

dans

le jardin, a

pris leg petites allées,

et n'a

reparu

qu'une demi-heure après.

Ah! baron, baron,

d'entendre barie

:

dit Albert,

pour un mélomane

vous nous empêchez

comme

vous, quelle bar-

I

C'est bien,

'•'est

bien,

monsieur

le railleur,

drt

Danglars.

Puis se retournant vers Monte-Cristo

:

— Vous chargez-vous de lui dire cela, au pèref — Volontiers, vous désirez. — Mais que pour cette cela se fasse d'une manier* si

le

fois


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

fille,

une époque,

qu'il fixe

d'argent, enfin

que

me demande ma

surtout qu'il

et définitive;

explicite

277

condiUons

qu'il déclare ses

l'on s'entende

ou qu'on se

brouille

;

mais, vous comprenez, plus de délais.

— Eh bien la démarche sera — Je ne vous pas que je l'attends faite.

1

dvec

dirai

mais enfin

je l'attends

:

un banquier, vous

plaisir

savez, doil

le

être esclave de sa parole.

Et Danglars poussa un de ces soupirs que poussait Cavalcanti

fils

Bravi

banquier

et

1

une demi-heure auparavant.

bravo

I

brava

!

applaudissant la

cria fin

Morcerf

parodiant le

,

du morceau.

Danglars commençait à regarder Albert de travers, lorsqu'on vint lui dire deux mots tout bas.

— Je

reviens, dit le banquier à Monte-Cristo, atten-

dez-moi, j'aurai peut-être qpelque chose à vous dire tout

à

l'heure.

Et

sortit.

il

La baronne

profita

de l'absence de son mari pour re-

pousser la porte du salon d'étude de sa

devant

le

comme un

fille,

et l'on vit

M. Andréa, qui piano avec mademoiselle Eugénie.

se dresser,

ressort,

était assis

Albert salua en souriant mademoiselle Danglars, qui,

sans naraître aucunement troublée, lui rendit

un

salut

il

salua

anssi froid que d'habitude.

Cavalcanti parut évidemment embarrassé Morcerf, qui lui rendit son salut de tinent

;

plus imper-

du monde.

Alors Albert la

l'air le

commença de

se confondre

voix de mademoiselle Danglars,

et

sur

en éloges sur le

ngret

gii'il

éprouvait, d'après ce qu'il venait d'entendre, de n'avoir

pas assisté à la soirée de

la veille...

Cavalcanti, laissé à lui-même, prit à part Monte-Cristo.

TOHK

IV.

16


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

278

— Voyons, et

madame comme

dit

Danglars, assez de musiqae

de compliments

— Viens

Louise

,

dit

,

cela,

venez prendie

le thé.

mademoiselle Danglars à son

amie.

On était

passa dans

salon voisin,

le

où effectivement

le thé

préparé.

Au moment où l'on commençait

à laisser, à la manière

anglaise, les cuillers dans les lasses, la porte se rouvrit, el Danglars reparut visiblement fort agité.

Monte-Cristo surtout remarqua cette agitation et interrogea

le

banquier du regard.

Eh bien

!

Danglars, je viens de recevoir

dit

mon

courrier de Grèce.

— Ah!

ah!

fit

le

comte, c'est pour cela qu'on vous

avait appelé ?

— Oui. —

Comment

du ton

se porte le roi Othon?

demanda Albert

plus enjoué.

le

Danglars

le

regarda de travers sans lui répondre, el

Monte-Cristo se détourna pour cacher l'expression de pitié

qui venait de paraître sur son visage et qui s'effaça

presque aussitôt.

— Nous

nous

q irons

ensemble, n'est-ce pas

?

dit

Albert ne pouvais, rien comprendre à ce regard

du

e

Albert au comte.

— Oui,

si

vous voulez, répondit

celui-ci.

banquier; aussi, se retournant vers Monte-Cristo, qui avait parfaitement compris

— Avez-vous vu, — Oui, répondit

dit-il,

le

:

comme

il

m'a regardé?

comte; mais trouvez-vous quelque

chose de particulier dans son regard?

— Je

le

crois bien

nouvelles de Grèce?

;

mais que veut-il dire avec ses


,

LE COMTE DE MONTE-cuiSiu.

279

— Comment voulez-vous que je sache cela? — Parce qu'à ce que je présume, vous avez des

intel-

ligences dans le pays.

Monte-Cristo sourit

comme on

sourit toujours

quand

on veut se dispenser de répondre.

— Tenez,

dit Albert, le

voilà qui s'approche de

voas

compliment à mademoiselle Danglars sur pendant ce temps, le père aura le temps de

je vais faire

son camée

vous

;

parler.

vous

Si

ment sur

compliment,

lui faites

sa voix,

au moins,

— Non pas, ce que — Mon cher vicomte, c'est

dit

fatuité

dit

compli-

faites-lui

Monte-Cristo.

ferait tout le

monde.

Monte-Cristo, vous avez la

de l'impertinence. s'avança

Albert

vers Eugénie le

sourire

sur les

lèvres.

Pendant ce temps, Danglars se pencha à

l'oreille

du

comte.

— Vous m'avez donné un excellent il

y a toute

Fernand

une

!

avec

:

deux mots

'

et Janina.

— Ah bah — Oui, je vous homme

conseil, dit-il, et

histoire horrible sur ces

!

fit

Monte-Cristo. conterai cela

;

mais emmenez

le

jeune

je serais trop embarrassé de rester maintenant

lui.

— C'est ce que je faut-il

fais,

il

m'accompagne; mainlenzat,

toujours que je vous envoie le père?

— Plus que jamais. — Bien. Le comte fit un signe à Albert. Tous deux saluèren* les dames et sortirent Albert avec un air parfaitement indifférent pour les mépris de :

mademoiselle Danglars

;

Monte-Cristo

,

en réitérant à


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

580

Danglars ses conseils sur la prudence que

madame

dof'.

avoir une femme de banquier d'assurer son avenir. M. Cavalcanti demeura maître du champ de batail)^

XX DAYDÉE.

A peine

chevaux du comte

le?

avaient-ils tourné l'angle

du boulevard, qu'Albert se retourna vers éclatant d'un rire trop bruyant pour ne pas

comte en

le

être

un peu

forcé.

— Eh bien

lui dit-il, je vous demanderai, comme le IX demandait à Catherine de Médicis après la Saint-Barthélémy Comment trouvez-vous que j'ai joué I

roi Charles

:

mou

petit rôle"'

— A quel propos? demanda Monte-Cristo. — Mais à propos de de mon l'installation

rival

chez

M. Danglars...

— Quel rival — Pardieu quel ?

I

Cavalcanti

— Ohl

rival ?

votre protégé

,

M. Andréa

I

pas de mauvaises plaisanteries, vicomte; je

ne protège nullement M. Andréa, du moins près de

M. Danglars.

Et c'est

homme

reproche que je vous ferais

le

avait besoin de protection. Mais,

pour moi,

il

si

peut s'en passer.

— Comment

1

vous crovez

nu'il fait sa

le

jeune

heureusement cour?


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Te vous en réponds et

:

il

roule des

module des sons d'amoureux

la rière

:

il

Eugénie. Tiens, je viens de

d'honnec/r, ce n'est pas de

pète

;

Il

aspire à la

— Qu'importe, — Ne dites

main de

si l'on

cela,

pa^-

ma

yeux de soupirant main de

aspire à la

un vers Parole

faire

I

faute. N'importe je le ré-

la fière

Eugénie.

ne pense qu'à vous

mon

281

cher comte

;

?

on

me

rudoie

des deux côtés.

— Comment, des deux côtés? — Sans doute mademoiselle Eugénie m'a répondu à :

peine, et mademoiselle d'Armilly, sa confidente, ne m'a

pas répondu du tout.

— Oui, mais — Lui mais ?

gnards dans il

le

le

père vous adore, dit Monte-Cristo.

au contraire,

il

cœur poignards ;

m'a enfoncé mille

rentrant dans le

est vrai, poignards de tragédie,

mais

poi-

manche,

qu'il croyait be'

et bien réels.

— La jalousie indique — Oui, mais je ne suis pas jaloux. — — De qui de Debray — Non, de vous. — De moi? je gage qu'avant huit jours l'affection.

Il l'est, lui.

?

la porte

?

il

m'a

fermtf

au nez.

— Vous vous trompez, mon cher vicomte. — Une preuve ?

— La voulez-vous? — Oui. — Je suis chargé de prier M. faire

une démarche

le

déflnitive près

— Par qui? — Par baron lui-même. — Ohl Albert avec toute la

comte de Morcerf

du baron.

le

dit

câlinerie dont

il

étal


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«82

mon

capable, vous ne ferez pas cela, n'est-ce pas,

comte

che,

?

— Vous vos

trompez, Albert, je

s

le ferai,

puisque j'ai

promis.

Allons, dit Albert avec un soupir, il parait que vous tenez absolument à me marier. Je liens à être bien avec tout le monde; mais, à pro-

pos de Debray, je ne

plus chez la baronne

le vois

— y a de la brouille. — Avec madame — Non, avec monsieur. — s'est donc aperçu de quelque chose? Il

?

11

— Ah bonne plaisanterie — Vous croyez s'endoutait? !

la

!

qu'il

fit

Monte-Cristo avec

une naïveté charmante.

— Ah çà mais, d'où venez-vous donc, mon cher comte? — Du Congo, vous voulez. — Ce n'est pas d'assez loin encore. — Est-ce que je connais vos maris parisiens — Eh mon cher comte, maris sont les mêmes !

si

?

les

!

du moment où vous avez étudié l'individu dans un pays quelconque, vous connaissez la race. Mais alors quelle cause a pu brouiller Dangiars et partout

;

Debray

?

Ils

— Ah! et je

paraissent

vous

initié.

lui

dit

demanderez dit

les

mystères d1sis, fils

sera de

cela.

Monte-Cristo

dii heures et demie, montez donc.

— Bien volontiers. — Ma voiture vous conduira.

Monte-

naïveté.

Quand M. Cavalcanti

La voiture s'arrêta. Nous voilà arrivés,

bien s'entendre,

nous rentrons dans

voilà!

ne suis pas

la famille,

si

un renouvellement de

Cristo avec

;

il

n'est

qu»


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

283

— Non, merci, mon coupé a dû nous suivre. — En voilà Monte-Cristo en sautant à effet

,

le

dit

,

terre.

Tous deux entrèrent dans

la

y entrèrent. Vous allez nous faire du

éclairé,

maison;

le salon était

ils

thé, Baptistin, dit

Monte-

Cristo.

Baptistin sortit sans souffler le mot.

après,

il

comme sortir

les

de

Deux secondes

un

plateau tout servi, et qui,

collations des

pièces féeriques, semblait

reparut avec

terre.

— En vérité,

dit

Morcerf, ce que j'admire en vous,

mon

cher comte, ce n'est pas votre richesse, peut-être y a-t-il des gens plus riches que vous ; ce n'est pas votre esprit,

Beaumarchais n'en avait pas plus, mais

il

en avait

autant; c'est votre manière d'être servi, sans qu'on vous

réponde un mot, à l'on devinait, à la

désirez avoir, et

la

comme

minute, à la seconde,

si

manière dont vous sonnez, ce que vous

comme

si

ce que vous désirez avoir était

toujours tout prêt.

— Ce que vous dites est un peu vrai. On pas

faire

sait

mes

ha-

vous allez voir ne désirez-vous quelque chose en buvant votre thé?

bitudes. Par exemple,

:

— Pardieu, je désire fumer. Monte-Cristo s'approcha du timbre

Au

et

frappa

un coup.

bout d'une seconde, une porte particulière s'ou-

vrit, et Ali

parut avec deux chibouques toutes bourrées

d'excellent latakié.

— C'est merveilleux, —

dit

Morcerf.

Mais, non, c'est tout simple, reprit Monte-Cristo;

Ali sait qu'en prenant le thé

rement

:

il

sait

que

suis rentré avec vous,

ou

il

fume

le café je

demandé

j'ai

le thé

,

il

ordinai-

sait

que

entend que je l'appelle,

il

je

se


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

J84

doute de la cause,

et

s'exerce avec

talité

bouque,

mais

;

vous...

pays où l'hospi-

est d'un

il

pipe surtout, au lieu d'une chi-

en apporte deux.

il

— Certainement, autre

comme

la

une explication comme une

c'est

n'en est pas moins vrai qu'il n'y a que

il

Ohl mais, qu'est-ce que j'entends?

Et Morcerf s'inclina vers la porte

par laquelle en-

correspondants à ceux

des sons

traient effectivement

d'une guitare.

— Ma

mon

foi,

cher vicomte, vous êtes voué à la

sique ce soir; vous n'échappez au piano de selle

Danglars que pour tomber dans la guzla d'Haydée.

— Haydée

quel adorable

!

nom

qui s'appellent véritablement les

mu-

mademoi-

poèmes de

lord

!

Il

y a donc des

Haydée autre

France, mais assez

comme

si

deur, innocence

tous

commun

fort et

rare

en

en Épire

;

exemple, chasteté, pu-

une espèce de nom de baptême,

comme disent vos Parisiens. Oh que c'est charmant

nom

en Albanie

disiez, par

c'est

;

femmes

que dans

Byron?

Certainement; Haydée est un

c'est

part

I

I

dit

Albert

,

comme

je

voudrais voir nos Françaises s'appeler mademoiselle

Bonté

,

mademoiselle

chrétienne lieu

1

Silence

Dites donc,

si

,

mademoiselle Charité

mademoiselle Danglars, au

comme on la mademoiselle Chasteté-Pudeur-Inno-

de s'appeler Claire-Marie-Eugénie,

nomme,

s'appelait

cence Danglars, peste, quel blication de

— Fou! pourrait

bans

dit le

efTet cela ferait

dans une pu

I

comte, ne plaisantez pas

si

haut,

vous entendre.

— Et se fâcherait — Non pas, comte avec son hautain. — Elle est bonne personne? demanda Albert elle

?

dit le

air

Haydéb


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Ce n'est pas bonté,

c'est devoir

285

une esclave ne se

:

fâche pas contre son maître.

— Allons donc qu'il

ne plaisantez pas vous-même. Est-ce

1

y a encore des esclaves? Sans doute, puisque Haydée

— — En

comme un Cristo

I

vous ne

effet,

autre, vous. Esclave de

c'est

une

vous remuez

vous n'avez rien

M.

le

position en France.

l'or,

mienne.

est la

faites rien et

une place qui

c'est

comte de Monte-

A

la

façon dont

doit valoir cent

mille écus par an.

— Cent mille écus sors

!

pauvre enfant a possédé plus

la

venue au monde couchée sur des tréprès desquels ceux des Mille et une Nuits sont bien

que cela

:

elle est

peu de chose.

— C'est donc vraiment une princesse — Vous l'avez et même une des plus grandes ?

dit,

de

son pays.

Je m'en

[étais

douté. Mais

comment une grande

princesse est-elle devenue esclave?

— Comment Denys

Tyran

le

cole? Le hasard de la guerre,

est-il

mon

devenu maître

cher vicomte,

le

d'é-

ca-

price de la fortune.

— Et son nom est un sooret?

— Pour tout

le

monde oui mais pas pour vous, cher mes amis, et qui vous tairez, n'est;

vicomte, qui êtes de ce pas,

si

vous me promettez de vous

taire?

— Ohl parole d'honneur — Vous connai ssez du pacha de Janina? — D'Ali-Tebelin? sans doute, puisque à son ser!

l'histoire

c'est

vice que

mon

père a

fait

fortune.

— C'est vrai, je l'avais oublié. — Eh bieni qu'est Haydée à Ali-Tebelin^ — Sa tout simplement. fille,


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«f.

— Comment d'Ali-Pacha? — El de belle Vasiliki. — Et est votre esclave? la fille

I

la

elle

— Oh mon '

Dieu, oui.

— Comment cela? — Damel un jour que Constantinople, je

— C'est splendide vit

I

je passais sur le

marché de

achetée.

l'ai

Avec vous, moucher comte, on ne

pas, on rêve. Maintenant, écoutez, c'est bien indis-

cret ce

que

vous demander

je vais

— Dites toujours. — Mais puisque vous

là.

sortez avec elle, puisque

vous

conduisez à l'Opéra...

— Après? — Je puis bien me risquer à vous demander cela?

— Vous pouvez vous risquer à tout me demander. — Eh

bien!

mon

cher comte, présentez-moi à votre

princesse.

— Volontiers mais à deux conditions. — Je accepte d'avance. — La première, que vous ne confierez jamais à ;

les

c'est

personne cette présentation.

— Très-bien (Morcerf étendit — La seconde, c'est que vous

la

votre père a servi

main). Je le jure.

ne

lui direz

pas que

le sien.

— Je jure encore. — A merveillo, vicomte, le

vous vous rappellerez ces

deux serments, n'est-ce pas"

— Oh

I

fit

Albert.

— Très bien. Je vous sais homme d'honneur — Le comte frappa de nouveau sur le timbre;

Ali

eparut.

— Préviens Haydée,

lui dit-il,

que je vais aller prendre


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. le café la

chez

comprendre que

elle, et fais-lui

permission de

présenter

lui

287

je

demande

un de mes amis.

Ali s'inclina et sortit.

— Ainsi,

convenu, pas de questions directes

c'est

cher vicomte. Si vous désirez savoir quelque chose,

mandez-le à moi,

demanderai à

et je le

de-"

elle.

— C'est convenu. Ali reparut pour la troisième fois et tint la portière

soulevée, pour indiquer à son maître et à Albert qu'ils

pouvaient passer.

— Entrons,

Monte-Cristo.

dit

main dans

Albert passa une

moustache, et

le

comte

ses

cheveux

et frisa sa

son chapeau, mit ses gants,

reprit

précéda Albert dans l'appartement que gardait,

une

un

sentinelle avancée, Ali, et

poste, les trois

comme

que défendaieni, comme

femmes de chambre

com-

françaises

mandées par Myrtho.

Haydée

attendait dans la première pièce, qui était le

salon, avec de grands c'était

première

la

yeux

fois

dilatés par la surprise

qu'un autre

Cristo pénétrait jusqu'à elle

;

elle était assise

dans un angle, les jambes croisées sous

pour

fait,

ainsi dire,

un

;

car

homme que Monte-

nid, dans les

sur

un

sofa,

elle, et s'était

étoffes

de soie

rayées et brodées, les plus riches de l'Orient. Près d'elle

dont les sons l'avaient dénoncée

était rinstruraent

était

En ;

elle

ape'-cevant Monte-Cristo, elle se souleva avec ce

double sourire de elle

;

charmante amsi.

fille

et

d'amante qui n'appar«£uait qu'à

Monte-Cristo alla à elle et lui tendit sa main, sur

laquelle,

comme

d'habitude, elle

appuya ses

lèvres.

Ail)eri était resté près de la porte, sous l'empire de

cette

beauté étrange qu'il voyait pour

la

première

fois, Qt

dont on ne pouvait se faire aucune idée eu France.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

288

— Qui fille

m'amènes-tu? demanda en romaique

à Monte-Cristo

;

un

frère,

ieune

la

un ami, une simple con-

ou un ennemi?

naissance,

— Un ami, Monte-Cristo dans la même langue. — Son nom? — Le comte Albert; c'est même que dit

le

j'ai tiré

des

mains des bandits, à Rome.

— Dans quelle langue veux-tu que je lui parle? Monte-Crisio se retourna vers Albert

— Savez-vous

le

:

grec moderne? demanda-t-il au jeune

homme.

— Hélas pauvre, ^

et j'oserai

— Alors,

Taisait

pas

dit Albert,

I

cher comte; jamais

dit

Homère

même

le

grec ancien,

et Platon n'ont

mon

eu de plus

même dire de plus dédaigneux écolier.

Haydée, prouvant par

demande

la

elle-même qu'elle venait d'entendre

la

qu'elle

question de

Monte-Cristo et la réponse d'Albert, je parlerai en français

ou en

italien, si toutefois

mon

seigneur veut que je

parle.

Monte-Cristo réûcchit un instant

— Tu parleras en

;

italien, dit-il.

Puis se tournant vers Albert

:

— C'est fâcheux que vous n'entendiez derne ou

le

pas

le

grec mo-

grec ancien, qu'Haydée parle tous deux ad

mirablement

;

la

pauvre enfant va être forcée de vous

parler italien, ce qui

vous donnera peut-être une fausse

idée d'elle. 11 fit

un

signe à Haydée.

— Sois gneur

le

bienvenu

et maître, dit la

,

ami

,

jeune

qui viens avec fille

avec ce doux accent romain qui

fait la

\

sel

langue du Dante

aussi sonore que la langue d'Homère; Ali!

des pipes

mon

en excellent toscan

du café

el


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Et

Haydée

de

fit

la

289

main signe à Albert de s'approcher,

tandis qu'Ali se retirait

pour exécuter

les ordres

de sa

jeune maîtresse. Monte-Cristo montra à Albert deux pliants , et chacun chercher le sien pour l'approcher d'une espèce de guéridon, dont un narguIUet faisait le centre, et que charalla

geaient des fleurs naturelles, des dessins, des albums de

musique. Ali rentra, apportant le café et les

chibouques

;

quant

à M. Baptistin, cette partie de l'appartement lui était interdite.

Albert repoussa la pipe que lui présentait le Nubien.

— Oh

prenez prenez dit Monte-Cristo Haydée est presque aussi civilisée qu'une Parisienne le havane lui !

,

,

;

:

est désagréable

odeurs

;

mais

,

le

parce qu'elle n'aime pas les mauvaises tabac d'Orient est un parfum, vous le

savez.

Ah

sortit.

Les tasses de café étaient préparées seulement on avait, pour Albert, ajouté un sucrier. Monte-Cristo et ;

Haydée prenaient

la

liqueur arabe à la manière de^

Arabes, e'est-à-dire sans sucre.

Haydée allongea

la

main

et prit

du bout de

doigts roses ei effilés la tasse de porcelaine qu'elle porta à ses lèvres

avec

le naïf plaisir

mange une chose qu'il aime. En même temps deux femmes entrèrent,

ses petits

du Japon d'un enfani

qui boit ou

portant deul

autres plateaux chargés de glaces et de sorbets, qu'elles

déposèrent sur deux petites tables destinées à cet usage. Mon cher hôte, et vous, signora, dit Albert en ita-

lien,

excusez

ma

c'est assez naturel

rient véritable,

TOME

stupéfaction. Je suis tout étoui-di, et ;

voici

que

je retrouve l'Orient, l'O-

non point malheureusement

IV.

tel

que 17

je

l'ai


LE COMTE DE MOiNTE-CRiSTO.

Î90 VU, mais

tel

que je

rêvé aa sein de Pans

l'ai

l'heure j'entendais rouler les

omnibus

senora

marchands de limonade.

nettes des

;

loui

et tinter les

sais-je parler le grec, votre conversation, jointe

soa

que c à cet e»

1

m*

tourage féerique, rae composerait une soirée dont je souviendrais «oujours.

— Je parle assez bien Monsieur,

mieux, viez

si

dit

l'ilalieû

poar parler avec vou?

tranquillement llaydée

vous aimez

l'Orienî,

;

et je ferai

pour que vous

le

mon

de

retrou-

ici.

— De quoi puis-je parler? demanda tout bas Albert à Monte-Cristo.

— Mais de tout ce que vous voudrez

:

de son pays, de

sa jeunesse, de ses souvenirs; puis, si

vous l'aimez

mieux, de Rome, de Naples ou de Florence.

— Oh!

dit Albert,

Grecque devant parlerait à

soi

cène

serait pas la

pour

lui parier

peine d'avjirune

de tout ce dont on

une Parisienne; laissez-moi

lui parler

de

cher Albert, c'est la conversation

qm

rOrieni.

— Faites, mon

lui est la plus agréable.

Albert se retourna vers Haydée.

— A quel âge

la signera a-t-elle quitté la

Grèce

?

de-

uanda-t-il.

— A cinq ans, répondit Haydée. — Et vous vous rappelez votre

patrie?

deman

Albert.

— Quand je fercie les yeux, je revois vu.

11

y a deux regards

:

le

regard

tout ce

du corps

que

j'ai

et le regard

de l'âme. Le regard du corps peut oublier parfois, mais celui de l'âme se souvient toujours.

— Et quel est V

ous souvenir

?

le

temps

le

plus lom dont vous puissiez


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Je

marchais

peine

à

;

ma mère

Vasiliki (Vasiliki veut dire royale

,

,

que

29|

l'on appelle

ajouta la jeune

fille

en relevac* la tête), ma mère me prenait par la raain, et, toutes deux couvertes d'un voile, après avoir mis au fond de la bourse tout l'or que nous possédions, nous allions

demander l'aumône pour les prisonniers, en disant Celui qui donne aux pauvres prête à l'Éternel :

tt

'.

»

Puis, quand notre bourse était pleine, nous rentrions au

mon

palais, et, sans rien dire à

père,

tout cet argent qu'on nous avait donné

nous envoyions ,

nous prenant

pour de pauvres femmes, à l'égoumenos du couvent, qui le répartissait entre les prisonniers.

— Et à

époque quel âge aviez-vous î

cette

— Trois ans, — Alors vous

dit

Haydée.

vous souvenez de tout ce qui passé autour de vous depuis Tàge de trois ans ? ,

— De — Comte

s'est

tout. dit tout

,

bas Morcerf à Monte-Cristo

,

vous

devriez permettre à la signera de nous raconter quelque

chose de son histoire. Vous m'avez défendu de

mon

de

lui parler

père, mais peut-être m'en parlera-t-elle, et vous

n'avez pas idée combien je serais heureux d'entendre sortir

son

nom

d'une

si jolie

bouche.

Monte-Cristo se tourna vers Haydée, et par

de sourcil qui lui indiquait d'accorder attention à la dit

en grec

recommandation

un

signe

plus grande

qu'il allait lui faire,

ïi

lui

:

UxTpoç pdv axnVj tink

la

[lit

3s avorta, irpoSôrou xat itpoSoffia'j.,

tîfitv

* ProYerbe

m.

** Mot à mot

:

a

De ton père

le sort,

tredtre, ni la trahison^ racoate-nou*.

»

mais pas

uom du


LE COMTE DE MONTE-CRISTO

ii\>

Haydée poussa un long soupir, passa sur son front

— Que — Je

dites-vous? demanda tout bas Morcerf.

lui

que vous

répète

lui

un nuage sombre

et

pur.

si

êtes

un ami

,

et qu'elle n'a

point à se caclier vis-à-vis de vous.

— Ainsi,

dit Albert,

ce vieux pèlerinage pour les pri-

sonniers est votre premier souvenir

me

L'autre? je

près d'un lac dont j'aperçois encore lage, le miroir tremblant touffu,

mon

père

quel est l'autre?

;

vois sous l'ombre des sycomores,

;

était assis

que

faible enfant, tandis

à travers

,

le feuil-

contre le plus vieux et le plus

sur des coussins, et moi,

ma mère

était

couchée à ses

pieds, je jouais avec sa barbe blanche qui descendait sur

sa poitrine

et

,

avec

passé à sa ceinture

un Albanais qui faisais

— C'est

.

et

Tuezl ou

choses de

fiction. Et,

temps venait à

lui

quelques mots auxquels je ne auxquels il répondait du même

:

Faites grâce

!

;

étrange, dit Albert, d'entendre sortir de pa-

que sur un

si

:

cangiar à la poignée de diamant

le

puis, de temps en

lui disait

pas attention

son de voix

reilles

;

la

bouche d'une jeune

théâtre, et

en se disant

demanda Albert

,

:

fille,

autre part

Ceci n'est point une

comment avec ,

cet horizon

poétique, comment, avec ce lointain merveilleux,

trouvez- vous la France?

— Je

crois

je vois la

que

France

c'est

un beau pays,

telle qu'elle est,

dit

Haydée, mais

car je la vois avec des

yeux de femme, tandis qu'il me semble, au contraire, que mon pays que je n'ai vu qu'avec des yeux d'en,

faut, est toujours

enveloppé d'un brouillard lumineux ou

sombr^, selon que mes yeux

un heu d'amères

— Si jeune

,

le font

une douce

patrie

ou

souffrances,

signera, dit Albert cédant malgré lui à la

puissance de la banalité,

comment avez-vous pu

souffrir;


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

293

îlaydée tourna les yeux vers Monte-Cristo, qui, avec nn signe imperceptible, murmura

'

— Rien ne

compose

le fond de l'âme comme les preà part les deux que je viens de vous dire, tous les souvenirs de ma jeunesse sont tristes.

miers souvenirs,

et,

— Parlez, parlez, signora,

dit Albert, je vous jure que vous écoute avec un inexprimable bonheur. Haydée sourit tristement,

je

— Vous voulez donc que je passe à mes autres souvenirs ? dit-elle.

— Je vous en supplie, Albert. — Eh bien! j'avais quatre ans quand, un dit

réveillée par elle

me

ma

prit sur les coussins

mes yeux,

vrant

soir, je fus

mère. Nous étions au palais de Janina

je reposais, et,

je vis les siens remplis

;

en ou-

de grosses

larmes. Elle

En

m'emporta sans rien dire. voyant pleurer, j'allais pleurer aussi.

la

— Silence! Souvent

,

enfant, dit-elle.

malgré

nuais de pleurer

;

comme

mais, cette

ma pauvre mère une telle me tus à l'instant même.

de je

ou

les consolations

ternelles, capricieuse

les

menaces ma-

tous les enfants fois,

il

,

je conti-

y avait dans la voix

intonation de terreur,

que

Elle m'emportait rapidement.

Je vis alors que nous descendions

devant nous, toutes les femmes de

un

ma

large escalier;

mère, fortant des

coffres, des sachets, des objets de parure, Ids bijoux,

des bourses d'or, descendaient tôt

se précipitaient.

• Raconte

le

même

escalier

ou plu-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Î94

Pcrnère

les

femmes venait une garde de vingt hommes,

de longs fusils et de pistolets, et revêtus de ce

arnié-'i

costume que vous connaissez en France depuis que

la

Grèce est redevenue une nation.

quelque chose de sinistre, croyez-moi,

avait

y

11

Haydée en secouant

ajouta

mémoire

seule

,

la tête et

dans cette longue

femmes à demi alourdies par je

me

le

en pâlissant à cette file

d'esclaves et de

sommeil, ou du moins

le

figurais ainsi, moi, qui peut-être croyais les

autres endormis parce que j'étais mal réveillée.

Dans

l'escalier couraient

les torches

des ombres gigantesques que

de sapin faisaient trembler aux voûtes.

Qu'on se hâtel

une voix au fond de

dit

la

ga-

lerie.

Cette voix

passant sur

fit

la

me

Moi, elle

courber tout

plaine fit

fait

le

marchait

le dernier,

tenant à la main avait

donnée

;

le

vent en

tressaillir.

mon

Cette voix, c'était celle de Il

monde, comme

courber un champ d'épis.

que votre empereur

sa carabine

et, 'appuyé sur

poussait devant lui

père.

revêtu de ses splendides habits,

comme un

son favori Sélim, pasteur

fait

il

lui

nous

d'un troupeau

éperdu.

Mon père, dit Haydée en relevant la tête, était un homme illustre que l'Europe a connu sous le nom d'Ali Tebelin, pacha de Janina

,

et

devant lequel

la

Turquie a

tremblé. Albert, sans savoir pourquoi, frissonna en entendant ces paroles prononcées avec

un

hauteur

sembla que quelque chose

et

de dignité

;

il

î-ai

indéfinissable accent de

de sombre et d'effrayant rayonnait dans les yeux de

jeune

fille,

lorsque, pareille à

un spectre,

elle réveilla le

ia

une pythonisse qui évoque

souvenir de cette sanglante


LE COMTE DE MONTE-CRISTO. que sa mort

ligure

terrible

fit

295

apparaître gigantesque

aux

yeux de l'Europe contemporaine.

— Bientôt, étions

me

l'escalier et

au bord d'un

lac.

pressait contre sa poitrine bondissante

deux pas tés

continua Haydée, la marche s'arrêta ; nous

au bas de

derrière

nous mon père, qui

Ma mèrt

,

et je vis à

jetait

de tous cô-

des regards inquiets.

Devant nous s'étendaient quatre degrés de marbre,

et

au bas du dernier degré ondulait une barque.

D'où nous étions on voyait se dresser au milieu d'un une masse noire c'était le kiosque où nous nous ren-

lac

;

dions.

Ce kiosque

me

une distance

paraissait à

peut-être à cause de

considérable,

l'obscurité.

Nous descendîmes dans la barque. Je,me souviens que rames ne faisaient aucun bruit en touchant l'eau; je

les

me

penchai pour les regarder

avec Il

les ceintures

:

elles étaient

enveloppées

de nos Palicares.

n'y avait, outre les rameurs, dans la barque, que

des femmes,

mon

ma

père,

mère, Sélim

et

moi.

Les Palicares étaient restés au bord du lac, agenouillés sur le dernier degré, et se faisant, dans le cas où ils eussent été poursuivis,

Kolre barque

— Pourquoi ma

allait

un rempart des

comme

trois autres.

le vent.

la "barque va-t-elle si vite?

demandai-je à

mère.

— Chut! mon enfant,

dit-elle, c'est

Je ne compris pas. Pourquoi tout-puissant, lui

Ea

me

pour devise

haïssent, donc

effet, c'était

que nous fuyons.

père fuyait-il, lui

devant qui d'ordinaire fuyaient

autrss, lui qui avait pris Ils

mon

une

fuite

ils

le

les

:

me craigmiC.

que mon père opérait sur

le


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

296 lac.

m'a

Il

depuis que

dit

garnison du château de Ja-

la

nina, fatiguée d'un long service...

iïaydce arrêta son regard expressif sur Monte-

Ici

dont

Cristo,

ne quitta plus ses yeux. La jeune

l'œil

commo quelqu'un

continua donc lentement,

(ille

qui invente

ou qui supprime.

— Vous disiez,

signera, reprit Albert, qui accordait la

plus grande attention à ce récit,

que

la

garnison de Ja-

nina, fatiguée d'un long service...

- Avait le sultan

mon

traité

avec

le

séraskier Kourchid, envoyé par

mon

pour s'emparer de

père;

c'était alors

père avait pris la résolution de se retirer

avoir envoyé

au sultan un

officier franc,

toute confiance, dans l'asile

auquel

que lui-même

s'était

,

il

que

après avait

préparé

depuis longtemps, et qu'il appelait kataphygion, c'est-àdire son refuge.

— Et cet

ofiicier,

demanda

Albert,

vous rappelez-vous

son nom, signera?

Monte-Cristo échangea avec la jeune

comme un éclair,

rapide

et qui resta

— Non, dit-elle, je ne me me

être plus tard

Albert

lence

;

le

le rappelle

pas

;

mais peut-

le

nom

de son père

,

lorsque

leva doucement le doigt en signe de si-

jeune

homme

C'était vers ce

Un

un regard

le rappellerai-je, et je le dirai.

prononcer

allait

i<Ionte-Cristo

fille

inaperçu de Morcerf.

se rappela son

serment

rez-de-chaussée orné d'arabesques

terrasses dans l'eau, et le lac, voici tout

et se tut.

kiosque que nous voguions.

ce que

,

baignant ses

un premier étage donnant le palais offrait

de visible

sur a.\xx

yeux.

Mais au-dessous du rez-de-chaussée dans

l'ile,

conduisit,

était

ma

,

se prolongeant

un souterrain, vaste caverne où l'on nous mère, moi et nos femmes, et où gisaient,


m

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

formant un seul monceau, soixante mille bourses ueux cents tonneaux il y avait dans ces bourses

et

vingt-

;

cinq millions en or, et dans les barils trente mille

livr°es

de poudre. Près de ces barils se tenait Sélim, ce favori de père dont je vous

ai parlé

;

veilbn jour

il

lance au bout de laquelle brûlaii une ia

main

;

il

avait Tordre de

gardes, pacha

,

femmes

et or,

mon

une mèche allumée à et nuit,

faire tout t-auter,

kiosque,

au Dremier signe de

mon

père.

Je me rappelle que nos esclaves , connaissant ce redoutable voisinage, passaient les jours et les cuits à prier, à pleurer,

à gémir.

Quant à moi, je vois toujours

le

jeune soldat au

teint

pâle et à l'œil noir; et quand l'ange de la mort descendu! vers moi, je suis sikr que je reconnaîtrai Sélim.

Je ne pourrais dire combien de temps nous restâmes ainsi

à cette époque j'ignorais encore ce que c'était que temps; quelquefois, mais rarement, mon père nous faisait appeler, ma mère et moi, sur la terrasse du pa:

le

lais; c'étaient

mes heures de

dans

le souterrain

lance

enQammée

plaisir à moi qui ne voyais que des ombres gémissantes et la

de Sélim.

g:rande ouverture, attachait

Mon

père, assis devant

un regard sombre sur

une

les pro-

fondeurs de l'horizon, interrogeant chaque point noir qui apparaissait sur le lac, tandis que w.a. mère, à demi

couchée près de

que moi je

me

lui,

appuyait sa tète sur son épaule,

et

jouais à ses pieds, admirant, avec ces

éionnements de l'enfance qui grandissent encore les obescarpem ônts du Pinde, qui se dressait à l'hori-

jets, les

zon, les châteaux de Janina, sortant blancs et anguleux

aes eaux bleues du noires, attachées IV.

lac, les touffes

comme

immenses de verdure

des lichens aux rocs de la moa17.


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

298

de loin semblaient des mousses, et qui de

lague, qui

près sont des sapins gigantesques et des myrtes im-

menses.

Un

mon

malin,

h

père nous envoya chercher; nous

trouvâmes assez calme, mais plus pâle que d'habitude.

— fini

;

Prends pavience, Vasiliki aujourd'hui arrive

le

,

aujourd'hui tout sera

tirman du maître, et

sera décidé. Si la grâce est entière

triomphants à Janina;

si la

,

mon

sort

nous retournerons

nouvelle est mauvaise, nous

fuirons cette nuit.

— Mais — Ohl sois

ne nous laissent pas fuir?

s'ils

et sa

tranquille, répondit Ali

me

lance allumée

répondent d'eux.

que je fusse mort, mais pas à

dit

ma

mère.

en souriant; Sélim Ils

la condition de

voudraient

mourir avec

moi.

Ma mère ne

répondit que par des soupirs à ces conso-

ne partaient pas du cœur de

lations, qui

mon

Elle lui prépara l'eau glacée qu'il buvait à

stant, car, depuis sa retraite

dans

le

père.

chaque

kiosque,

in-

était

il

parfuma sa barbe

brûlé par

une

blanche et

aHuma la chibou(]ue dont quelquefois, pendant

flèvre ardente; elle

des heures entières,

fumée se

il

volatilisant

Tout à coup

il fil

suivait distraitement des

dans

yeux

la

l'air.

un mouvement si brusque que je

fus

aisie de peur.

yeux du point qui demanda sa longue-vue.

Puis, sans détourner les illeniion,

il

Ma mère

la lui passa,

fixait

son

plus blanche que le stuc contre

lequel elle s'appuyait. Je vis la rnain de

— Une

mon

barque!...

père trembler

deux!...

trois!...

murmura mon

père; quatre!... Et

il

se leva saisissant ses armes

,

et versant, je

m'en


LE COMTE DE MONTE-CRISTO, souviens, de la poudre dans

bassinet de ses pistolets.

le

ma mère

Vasiliki, dit-il à

visible, voici l'instant qui

299

avec un tressaillement

va décider de nous; dans une

demi-he'Tre nous saurons la réponse du sublime empereur, retire-toi dans le souterrain avec Haydée.

— Je ne veux pas vous quitter,

dit Vasiliki

si

;

voas

mourez, D<on maître, je veux mourir avec vous.

— Aller près de Sélim, —

Adi(,u, seigneur

!

cria

mon

père.

murmura ma mère,

en deux comme par l'approche de

pliée

obéissante et

la mort.

— Emmenez Vasiliki, dit mon père à ses Palicares. Mais

Dioi,

qu'on oubliait, je courus à

mes mains de son moi,

il

Oh

mon

I

pressa

côté;

mon

me

lui et j'étendis

se penchant vers

vit, et,

front de ses lèvres.

ce baiser, ce fut le dernier, et

il

est là encore sur

front.

En descendant nous de

il

la terrasse les

distinguions à travers les treilles

barques qui grandissaient sur

le lac, et

qui, pareilles naguère à des points noirs, semblaient déjà

des oiseaux rasant la surface des ondes.

Pendant ce temps, dans

le

aux pieds de mon père

assis

épiaient d'un œil

kiosque, vingt Palicares, et

cachés par la boiserie,

sanglant l'arrivée de ces bateaux, et

tenaient prêts leurs longs fusils incrustés de nacre et d'ar-

gent

:

des cartouches en grand nombre étaient semées

sur le parquet

;

mon

père regardait à sa monti e

et se

promenait avec angoisse. Voilà ce qui le

me

mon

père après

le

souterrain,

frappa quand je quittai

dernier baiser que j'eus reçu de lui.

Nous traversâmes Sélim

était

,

ma mère

et

toujours à son poste;

moi il

,

nous

sourit triste-

ment. Nous allâmes chercher des coussins de

l'autre

e6té de la caverne, et nous vimies nous asseoir près de


LE COMTB DE MONTE-CRISTO.

3*10

Sélim

dans les giaads périls, les cœurs dévoués se

:

que

clierriient, et, tout enfant

j'étais, je sentais instincti-

vement qu'un grand malheur planait sur nos têtes Albert avait souvent entendu raconter, non point par qui n'en parlait jamais, mais par des étrangers,

sop. père,

moments du

les derniers

vizir

de Janina

;

il

avait lu dif-

féreuts récits de sa mort; mais cette histoire,

devenue

vivante dans la personne et par la voix de la jdune

accent vivant et cette lamentable élégie

i«t

traient tout à la fois d'un

charme

,

le

fille,

péné-

d'une horreur in-

et

exprimables.

Quant à [faydée, toute à ces avait cessé

un

terribles souvenirs, elle

instant de parler; son front,

comme une

penche un jour d'orage, i'éîait incliné sur sa ses yeux, perdus vaguement, semblaient voir

fleur qui se

main,

et

encore à l'horizon

du

le

Pinde verdoyant

de Janina, miroir magique qui

lac

et les

eaux bleues

reflétait le

sombre

tableau qu'elle esquissait.

Monte-Cristo

— Continue

,

avec une indéfinissable

regardait

la

expression d'intérêt et de

ma

fille

pitié. ,

dit

comte en langue ro-

le

maïque.

Haydée releva

le front,

venait de prononcer

rêve, et elle reprit

— fût

Il

pur

était

comme

mots sonores que

:

quatre heures du soir

et brillant

si les

Monte-Cristo l'eussent tirée d'un

;

mais L'en que

le

jour

au dehors, nous étions, nous, plongés,

ans l'ombre du souterrain.

Une étoile

de

seule lueur brillait dans la caverne, pareille à un;i

tremblant au fond d'un

Séli.'n.

iMa

mère

ciel

noir

:

c'était la

mèche

était chrétienne, et elle priait.

Sélim répétait de temps en temps ces paroles consacrées

:


T

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Dieu est

grandi

Cependant

ma mère

En descendant,

avait encore quelque espérance.

cru reconnaître

elle avait

envoyé à Constantinople,

avait été

père avait toute confiance, car

du

301

savait

il

Franc qui

le

mon

dans lequel

et

que

les soldats

sultan français sont d'ordinaire nobles et généreux.

Elle s'avança de quelques pas vers l'escalier et écoula.

approchent, dit-elle

Ils

pourvu

;

qu'ils apportent la

paix et la vie,

si

—Que

crains-tu, Vasiliki? répondit Sélim avec sa voix

suave

et si

Gère à

la fois; s'ils

nous leur donnerons Et

il

ravivait la

le faisait

la

n'apportent pas la paix,

mort.

flamme de sa lance avec un geste qui

ressembler au Dionysos de l'antique Crèle.

Mais moi, qui

m'effrayais de cette la

peur

étais si enfant et si naïve, j'avais

de ce courage que je trouvais féroce et insensé

mort épouvantable dans

et je

,

l'air et

dans

flamme.

Ma mère

éprouvait les

mômes

impressions

,

car je la

sentais frissonner.

— Mon Dieu que nous Et à

mon

!

maman

Dieu,

!

m'écriai-je

,

est-ce

allons moarit ?

ma

voix les pleurs

et les prières

des esclaves re

doublèrent.

—Enfant, à désirer

me

celte

dit Vasiliki,

Dieu

te

préserve d'en veni'

mort que tu crains aujourd'hui

Puis tout bas

!

:

— Sélim, quel est Tordre du maître — que sultan envoie son poignard, dit-elle,

c'est

S'il ffi

le

fuse de le rscevoir en grâce, et je mets le feu; Foie son anneau, c'est

que

le

s'il

re-

m'en-

sultan lui pardonne, et je

livre la poudrière.

— Ami,

reprit

ma

mère, lorsque l'ordre du maître ar-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

SOÎ rivera,

si c'est le

tendrons

te

— Oui,

poignard

deux de

luer tou'js

nous tueras avec ce poipuard.

comme

Sélim

de grands cris ^noug

c'étaient des cris de joie

:

de nous

et tu

Vasiliki, répondit tranquillement

Soudain nous entendîmes écoutâmes

lieu

mort qui nous épouvante, nous

gorge

la

au

qu'il envoie,

cette

le

;

nom du Franc

qui cVait été envoyé à Constantinople retentissait répété par nos Palicares;

était

il

évident qu'il rapportait la ré-

ponse du sublime empereur,

et

que

réponse

la

était fa-

vorable.

— Et vous ne vous rappelez pas ce nom? mémoire de

tout prêt à aider la

Monte-Cristo lui

— Je ne me

un

fit

dit

Morcerf^

la narratrice.

signe.

le rappelle pas,

répondit Ilaydée.

Le bruit redoublait; des pas plus rapprochés rent

on descendait

:

les

retenti-

marches du souterrain.

Sélim apprêta sa lance.

ombre apparut dans

Bientôt une

crépuscule bleuâtre

le

que formaient les rayons du jour pénétrant jusqu'à trée du souterrain.

— Qui es-tu? cria Sélim. Mais, qui que tu

sois,

l'en-

ne

fais

pas un pas de plus.

— Gloire

au sultan!

cordée au vizir Ali

;

et

dit

l'ombre. Toute grâce est ac

non-seulement

a la vie sauve,

il

mais on lui rend sa fortune et ses biens.

Ma mère poussa un

cri

de joie et

me

serra contre son

rœur.

— Arrête! pour

— C'est en

lui dit Sélim,

sortir; tu sais qu'il

me

juste, dit

le ciel,

Dieu pour moi,

lever vers lui.

faut l'anneau.

ma mère

soulevant vers

qu'elle priait

voyant qu'elle s'élançait déjà

me

;

et elle

comme

tomba à genoux

si,

elle voulait

en

même temps me sou-

encore


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

303

Et, pour la seconde fois,.Haydée s'arrêta vaincue par mie émotion telle que la sueur coulait de son front paii, et que sa voix étranglée semblait ne pouvoir franchir son

gosier aride.

Monte-Cristo versa un peu d'eau glacée dans

un

verre,

présenta en disant avec une douceur où perçait

et le kii

une nuance de commandement

— Du courage, ma Haydée essuya

ses

fille

:

I

yeux

son

et

front, et continua:

— Pendant ce temps, nos yeux, habitués à l'obscurité, du pacha

avaient reconnu l'envoyé

Sélim

l'avait

reconnu

savait qu'une chose

:

mais

;

le

:

c'était

un ami.

brave jeune

homme

ne

obéir!

— En quel nom viens-tu? — Je viens au nom de notre. maître, Ali-Tebelin. — tu viens au aoa) i'AM, tu sais ce que tu dois me dit-il.

Si

remettre?

Oui,

dit

l'envoyé, et je t'apporte son anneau.

En même temps mais

il

éleva sa main au-dessus de sa

était trop loin et

il

ne

il

que Sélim pût, d'où nous

faisait

tête;

pas assez clair pour

étions, distinguer et recon-

naître l'objet qu'il lui présentait.

— Je ne vois pas — Approche

ce que tu tiens, dit Sélim.

dit le

,

messager, ou je m'approcherai,

moi.

— Ni pose à i'objet l'aie

l'un ni l'autre, répondit ie jeune la place

que tu

me

et

,

montres,

soldat; dé-

sous ce rayon de lumière,

et retire-toi

jusqu'à ce que je

vu.

— Soit, Et

où tu es

il

dit le

messager.

se retira après avoir déposé le signe de recon-

aaissance à l'endroit indiqué.

Et notre cœur palpitait

;

car l'objet

nous paraissait cww


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

3(M

efîeclivement

mon

de

un

Seulement, était-ce l'anneau

.iniieau.

père

St'Iim. tenant toujours à la

main

mèche enflammée,

sa

l'ouverture, s'inclina radieux

vint à

ramassa

lumière et

— L'anneau du maître,

dit-il

mèche

Et renversant la

sous

le

rayoE de

le signe.

en

le

baisant, c'est bien

contre terre,

I

marcha dessus

il

et l'éleignit.

Le messager poussa un mains.

A

cri

de joie et frappa dans ses

du séraskier Kourchid

ce signal, quatre soldats

accoururent, et Sélim tomba percé de cinq coups de poignard.

Chacun

avait

Et cependant pales de peur,

chant partout

ils

s'il

donné

le sien.

ivres de leur crime

,

,

quoique encore

se ruèrent dans le souterrain

y avait du feu,

et se roulant

,

cher-

sur les

sacs d'or.

Pendant ce temps et, agile,

ma mère me

saisit entre ses

bras

bondissant par des sinuosités connues de nous

un

seules, elle arriva jusqu'à

escalier dérobé

du kiosque

dans lequel régnait un tumulte effrayant.

Les salles basses étaient entièrement peuplées par les Ichodoars de Kourchid, c'est-à-dire par nos ennemis.

Au moment où ma mère nous entendîmes

allait

pousser

retentir, terrible et

la petite porte,

menaçante,

la

voix

du pacha.

Ma mère

colla son œil

aux

fentes des planches

ouverture se trouva par hasard devant

la

œien,

;

une et je

regardai.

— Que voulez-vous? disait — le

mon

père à des gens qui

un papier avec des caractères d'or à la main. Ce qup nous voulons, répondit l'un d'eux, c'est commuiyquer la volonté de Sa Ilautesse. Vois-tu ce

tenaient

firmaji


,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Je vois, — Eh bien le

dit

mon

305

père.

demande ta tête. iMon père poussa un éclat de rire plus effrayant que n'eût été une menace il n'avait pas encore cessé, que deux coups de pistolet étaient partis de ses mains et avaient tué deux hommes. !

lis

;

il

;

Les Palicares, qui étaient couchés tout autour de père la face contre feu

chambre se remplit de

la

;

mon

parquet, se levèrent alors et firent

le

bruit

,

de flamme et de

fumée.

A

l'instant

même

feu

le

commença de

et les balles vinrent trouer les

l'autre côté

planches tout autour de

nous.

Oh

beau,

qu'il était

!

mon

belin,

grand, le vizir Ali-Te-

qu'il était

au milieu des

père,

poing, le visage noir de poudre

fuyaient

Comme

ses

ennemis

criait-il,

gardien du feu,

ton

fais

!

— Sélim sortir

!

!

Séliml Sélim!

devoir

au

balles, le cimeterre

mort

est

1

répondit une voix qui semblait

dès profondeurs du kiosque, et

Ali, tu es

perdu

toi,

mon

seigneur

I

En même temps une

détonation sourde

se

en-

fit

tendre, et le plancher vo^a en éclats tout autour de

mon

père.

Les Tchodoars tiraient à travers

le parquet. Trois

ou

quatre Palicares tombèrent frappés de bas en haut par des blessures qui leur labouraient tout le corps.

Mon

père rugit, enfonça ses doigts par les trous des

balles et arracha

Mais en

même

une planche tout

entière.

temps, par cette ouverture, vingt coups

de feu éclatèrent, tère d'un volcan,

et la

gagna

flamme, sortant

comme du

les tentures, qu'elle dévora.

cra-


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

S06

milieu de tout cet affreux tumulte, au milieu do

Au

ces cris terribles, deux coups plus distincts entre tous, deux cris plus déchirants par-dessus tous les cris, me glacèrent de terreur. Ces

mon

mortellement ces deux

cris.

Cependant

lui

;

il

Ma mère

nêtre.

deux explosions avaient frappé

père, et c'était lui qui avait poussé

mais

était resté

debout, cramponné à une

fe-

secouait la porte pour aller mourir avec

la porte était

fermée en dedans. dans

lui, les Palicares se tordaient

Tout autour de

convulsions de l'agonie

;

deux ou

les

qui étaient sans

trois,

blessures ou blessés légèrement, s'élancèrent par les fenêtres.

En même temps, le plancher tout entier craqua brisé Mon père tomba sur un genou en même

en dessons.

;

temps vingt bras s'allongèrent, armés de sabres, de pistolets,

seul

de poignards, vingt coups frappèrent à la fois un

homme,

et

mon

feu, attisé par ces fût

père disparut dans un tourbillon de démons rugissants comme si l'enfer se

ouvert sous ses pieds.

Je

me

sentis rouler à terre

c'était

:

ma mère

qui

s'a-

bîmait évanouie.

Haydée

tomber ses deux bras en poussant un

laissa

le comte comme pour lui demander s'il était satisfait de «on obéissance. Le comte se leva, vint à elle, lui prit la main et lui dit

gémissement

en romaïque

et

en regardant

:

Repose-toi

,

chère enfant

,

et

reprends courage en

songeant qu'il y a un Dieu qui punit les

— Voil? tout

une épouvantable

histoire,

traîtres.

comte,

effrayé de la pâleur d'Haydée, et je

maintenant d'avoir été

si

la tète

Albert

reproche

cruellement indiscret.

— Ce n'est rien, répondit Monte-Cristo. main sur

dit

me

de la jeune

fille

:

Puis

^sànt

sa


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Haydée,

est une femme courageuse, du soulagement dans le récit

continua-t-ii

quelquefois trouvé

elle a

307

,

de ses douleurs.

— Parce

que,

mon

seigneur, dit vivement la jeune

mes douleurs me

parce que

fille,

rappellent tes bien-

faits.

Albert la regarda avec curiosité, car elle n'avait point

encore raconté ce qu'il désirait

le

plus savoir, c'est-à-dire

comment elle était devenue l'esclave du comte. Haydée vit à la fois dans les regards du comte ceux d'Albert

même

le

Elle continua

dit-elle,

nous étions

le séraskier.

— Tuez-moi, veuve

dans

:

— Quand ma mère reprit ses sens, devant

et

désir exprimé.

dii-elle,

mais épargnez l'honneur de

la

d'Ali.

Ce

n'est point à

moi

qu'il faut t'adresser, dit

Kour-

chid,

— A qui donc? — C'est à ton nouveau maître. — Quel est-il? — Le voici. Et Kourchid nous montra

fille

un de ceux qui

mon

plus contribué à la mort de

avaient le

père, continua la jeune

avec une colère sombre.

— Alors, de cet

demanda

Albert,

vous devîntes

la propriété

homme ?

— Non,

répondit ïlaydée

;

il

n'osa nous garder,

il

nous

vendit à des marchands d'esclaves qui allaient à Constantiuople. Nous traversâmes la Grèce, et nous arrivâmes mourantes à la porte impériale, encombrée de curieux qui s'ouvraient pour nous laisser passer, quand tout à coup ma mère sui* des yeux la direction de leurs


LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

308

regards, jette

un

tombe en

cri et

me

montrant une

tels

au-dessus de cette porte,

Au-dbssous de celte «

J'essayai,

morte

lit

en pleurant, de relever

menée au bazar

instruire,

treize ans

me

— Auquel, vous

mots

:

je

ma mère

:

elle était

I

Je fus '••

tète étaient écrits ces

Celle-ci est la tête d'Ali-Tebelin, paclia de Janina. »

l'ai dit,

I

un

riche

Arménien m'acheta,

des maîtres, et quand j'eus

vendit au sultan dit

Mahmoud.

Monte-Cristo, je la rachetai,

Albert, pour cette

mets mes

Oh

;

me donna

pastilles

émeraude

la

je

de hatchis.

tu es bon, tu es grand,

Haydée en baisant

comme

pareille à celle

mon

seigneur, dit

main de Monte-Cristo,

et je suis

bien heureuse de t'apparteniri Albert était resté tout étourdi de ce qu'il venait d'entendre.

— Achevez donc votre tasse de café,

lui dit le

l'histoire est finio.

FIN

Ob'

QOATRIEME VOLUME

comte

i


TABLE DU QUATRIÈME VOLUME

Pageft ï.

n.

— M. Noirtier de — Le testament.

Villefort

<

13

m.

Le télégraphe

IV.

Le moyen de délivrer un jardinier des qui

mangent

24

ses

loirs

37

pèches

— Les fantômes VI. — Le diner VII. — Le mendiant VIII. — Scène conjugale IX. — Projets de mariage X. — Le cabinet du procureur du H. — Un bal d'été XII. — Les informations XIII. — Le bal XIV. — Le pain XV. — Madame de Sainl-Méran XVI. — La promesse famille Villefort .... XVII. — Le caveau de XVIII. — Le procès-verbal XIX. — Les progrès de Cavalcanti XX. — Haydée V.

,

,

roi

.

et le sel

la

flls

ÉMlLIi COI.IN.

IWPEIMEKIE DE LàQNÏ.

51

63 77 90

10* <18 134

145 159 172 178

195

234 248 264 280









A

V

PQ 2226 Al 1889

Dumas, Alexandre Le comte de Monte-Cristo

t.

PLEASE

CARDS OR

DO NOT REMOVE

SLIPS

UNIVERSITY

FROM

THIS

OF TORONTO

1

POCKET

LIBRARY

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