Longueur d'ondes N°93

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N°93  Automne 2020

gratuit

TAGADA JONES, BBCC, MIOSSEC, TOYBLOÏD, JEAN-LOUIS MURAT, THOMAS POURQUERY, VIKTOR AND THE HATERS, BABYLON CIRCUS, RODOLPHE BURGER, LE CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE…


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Au sein du public, tout d’abord, à en croire un sondage du Figaro qui annonçait, début septembre, 58 % (des 130 000 sondés) défavorables à une aide de l’État pour les producteurs de spectacles vivants… Leur lectorat est moins intéressé par la culture ? La vérité est plus crue : il n’est pas assez su que le secteur pèse davantage dans le PIB que celui de l’industrie automobile. Au sein de la profession, ensuite. Si certes, les réponses à la crise ont tardé à être concertées/appliquées, la panique a aussi rappelé la dimension parfois individualiste d’une industrie, dont l’activité est pourtant fédératrice... Pour preuves : les difficultés à se conseiller, à définir une stratégie commune, coordonnée et représentative de tous les corps de métier. Tout n’est pas sombre pour autant ! Beaucoup ont prouvé que télétravail ne rimait pas avec baisse de productivité et que la décentralisation (à contrario du mythe « tout se fait à Paris ») était possible... Enfin, les neuroscientifiques sont formels : la musique a joué un rôle essentiel durant ce confinement. L’écoute et la pratique sont même arrivées premières devant les films, les exercices physiques ou... le sexe. Il est plus qu’urgent de réaliser un bilan de cette période et d’accélérer la pédagogie autour de nos métiers/leurs bénéfices, pour que le domaine dépasse (enfin) le simple débat corporatiste.

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En visit Rodolphe e chez En visitBurger

Rodolphe e chez Burger

sommaire

L’épidémie n’a pas seulement mis un sérieux coup frein à l’organisation de concerts, la production de musique enregistrée ou la distribution de magazines spécialisés (et ses revenus inhérents) : elle aura permis, hélas, de révéler une crise d’opinion plus profonde que présumée…

Photo : Da vid Poulai

Bande d’arrêt d’urgence

édito

Belgique

Québec

France

Numéro 93

Découvertes Figurz 5 Alex Henry Foster 6 Tomas Dancer 6 Miët 7 DWEAMZ 7

Entrevues Jean-Louis Murat 9 Lane 12 Toybloïd 13 Niandra Lades 14 BBCC 15 Thomas Pourquery 16 Babylon Circus 18 Rodolphe Burger 20 Viktor And The Haters 22 Miossec 24

En couv LES INDÉS

Apocalypse ou renaissance ? Chinese Man Centre National de la Musique Niko Jones Tagada Jones Le Bal des Enragés Rage Tour

26 29 32 36 38 40 41

Chroniques Musique 43 Livres 49

Le magazine est soutenu par

La rédaction NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE

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DecouvErtes

Figurz

pour l’amour du gros son

D

ans la scène musicale montpelliéraine qui grandit de jour en jour, Figurz fait un peu office de nouveau venu puisque le groupe n’a vu le jour que l’an dernier. Depuis, le combo héraultais a vite grandi, multipliant les concerts (freiné dans son élan par la crise sanitaire...), sorti deux vidéos flamboyantes entre John Carpenter et Tarantino, participé à la sélection des Inouïs du Printemps de Bourges et publié un premier album qui risque de les imposer durablement dans le créneau des groupes à gros son. Avec Another Kid Comedy, concept-album autour de l’histoire d’un

PIERRE-ARNAUD JONARD    Henzo Lefevre enfant séquestré, ils peuvent aisément postuler au titre de Royal Blood français. Mais le son surpuissant qui les caractérise ne les empêche cependant pas d’apprécier les mélodies. S’il y a clairement un versant rock et un grand amour des guitares chez ces garçons, il y a aussi un côté plus pop qui les voit lorgner vers les Arctic Monkeys : « Nous avons une base très rock à la White Stripes, Royal Blood, mais aimons mettre des mélodies pop dessus, avec des refrains accrocheurs. Nous mélangeons les effets vintage, comme les réverbes à ressort à la modernité. » Un équilibre délicat que le combo maîtrise avec une

aisance déconcertante pour un groupe aussi jeune. Figurz a su dès ses débuts trouver un son qui lui est propre, peut-être du fait d’avoir conçu ce premier opus dans des lieux insolites pour l’enregistrement d’un disque : une grange, ancien domaine viticole dans lequel les cuves qui autrefois stockaient le vin ont fait office de caisse de résonance, une abbatiale et un mas cévenol. En ressort un résultat détonnant qui montre un groupe déjà sûr de son fait. Nul doute que Figurz est là pour durer et nous étonner encore. dfigurz.fr

Another Kid Comedy / No need name LONGUEUR D’ONDES N°93 5


decouvertes

Alex Henry Foster ombres & lumières

A

PIERRE-ARNAUD JONARD

vec son précédent groupe Your Favorite Enemies, Alex Henry Foster avait connu un très grand succès mais la pression médiatique liée à celui-ci avait fini par le laisser exsangue. Il était temps de partir pour d’autres aventures, en l’occurrence une carrière solo. Rompant avec ses habitudes montréalaises, scène dans laquelle il avait pourtant baigné depuis son adolescence, il s’était envolé pour Tanger, ville où il ne devait au départ rester que quelques mois. Il y passera au final deux ans. Tanger, célébrée par les poètes de la beat generation, semblait l’écrin idéal pour un artiste à la sensibilité exacerbée comme lui : « Je n’ai aucune racine là-bas ni même de fantasmagorie liée à cette ville. Le décès de mon père m’a beaucoup affecté. Quatre jours après celui-ci, j’avais joué avec YFE dans un festival à Taïwan devant 90000 personnes. Je me sentais loin de tout. J’ai ressenti le besoin d’aller me perdre quelque part, loin de chez

Tomas Dancer

Stéphanie Bujold

moi. Je suis donc allé à Tanger, dans cette ville faite de paradoxes ; pas tout à fait européenne, pas tout à fait africaine et j’y ai enregistré mon album, Windows in the sky dans une liberté totale, en m’affranchissant de nombreuses choses et en retrouvant l’essence de la création. En plus là-bas, j’avais la possibilité de me reconnecter avec les artistes de la beat. » Pas étonnant dès lors d’entendre la voix de Ginsberg déclamant ce superbe poème qui reflète l’innocence qu’est The weight of the world is love sur “Shadows of our evening tides”, l’une des pièces majeures du disque. Alex fait assurément partie de ces artistes qui, à l’instar des poètes ou des musiciens qu’il affectionne particulièrement comme Sonic Youth, Glenn Branca ou Swans, décloisonnent les genres et les styles : « L’art est vecteur d’émotions. Je ressens le besoin de m’immerger à 100 % dedans. » dalexhenryfoster.com

Windows in the sky / Hopeful Tragedy Records

murmures de l’âme

P

Xavier-Antoine Martin

our ses débuts solo, Laurent Tomas (Dancer est le nom de jeune fille de sa mère) n’a pas fait les choses à moitié, sortant quasisimultanément un EP, Brain murmurs, et un LP, Heart murmurs, également regroupés sur un seul album, Murmurs, et ce en complément de Gravity Fails, son groupe shoegaze du Puy-en-Velay : « Je mûris le projet depuis 2017. J’avais des envies de liberté de sons et de structures. J’ai écrit les morceaux à la guitare acoustique principalement. J’ai tenté le coup de faire passer les démos à Erik Arnaud. Il a aimé et m’a soutenu jusqu’à la finalisation de l’album. J’ai aussi travaillé avec Martial Semonsut du Studio La Vallée qui m’a aidé pour l’enregistrement et la batterie notamment. » Avec ce projet, Laurent propose quelque chose de plus personnel, voire de plus intime : « Plus que des groupes, ce sont des ambiances dont je voulais m’inspirer : essentiellement folk, ambiant, et électro... Mélanger

acoustique, machines, boucles. S’il faut citer quelques noms : Brian Eno, A Winged Victory for the Sullen, Cocteau Twins, Bon Iver, Pale Saints, Red House Painters. Rien n’a été vraiment planifié, je me suis plutôt laissé porté par les sons comme ça venait, sans trop réfléchir. » Si la majorité des titres est encore en anglais, la tentation de la langue de Molière est malgré tout présente : « J’écris surtout en anglais, peut-être par pudeur, et parce qu’en français on doit se juger à l’aune des grands : Murat, Bashung, Erik Arnaud, Manset, Miossec, Michel Cloup... Il faut trouver sa voie entre le littéraire, le cryptique, le rentre-dedans... c’est difficile. C’est Erik Arnaud qui m’a incité à le tenter. J’ai plusieurs titres en français en réserve et vais persévérer dans cette voie. Mais pourquoi choisir entre français et anglais ? Je n’aime pas les frontières ! » dtomasdancer.bandcamp.com

Murmurs / Monopsone

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Maud Berger


Decouvertes

Miët

for intérieur

I

Julien Naït-Bouda

l est de ces êtres dont l’intériorité en ébullition ne peut conduire qu’à un geste : l’expulsion. Un terme que revêt assez bien la musique de Suzy LeVoid, jeune femme trentenaire au calme apparent, en surface seulement. Car son premier LP, Stumbling, climbing, nesting, est une déferlante de noise entremêlée de no wave qui s’éjecte de ce corps tourmenté. D’ailleurs quand on lui demande de qualifier le style musical qu’elle épouse, sa réponse est cinglante : « Je ne m’attache ni ne réfléchis à un style musical particulier, je joue simplement ce qui sort de mon être. » On n’insistera pas, mais les ressemblances, similitudes, avec d’autres grandes figures féminines de ce rock désenchanté, Kim Gordon, PJ Harvey, apparaissent évidentes après quelques déflagrations sonores prises dans les tympans. Et il y a cette présence sur scène, corps frêle et solitaire dans l’espace, éraflant l’amplitude du vide sur des lignes de basse directement éjectées des limbes, mais pas que.

Dweamz

Guendalina Flamini

Rythmiques hypnotiques bouclées par des boîtes à rythmes, multiples pédales d’effets, Suzy est une artiste dite “one woman band”, un qualificatif qui prend tout son sens quand cette dernière s’affuble d’un archer pour encore un peu plus électriser et intensifier sa matière sonore. « Sur scène j’utilise beaucoup de boucles sonores, j’ai l’impression d’être sur le fil tel un funambule. La notion de cycle, j’en parle d’ailleurs dans mes textes. Je ne crois pas à une fin absolue quand j’observe la vie, l’univers… ». DIY jusqu’au bout des ongles, voilà une artiste avec qui il faudra composer, que cela plaise ou non à ces messieurs, mansplaining à l’appui : « Il est plus dur d’être pris au sérieux quand tu es une femme... Sur les concerts, j’ai vécu pas mal de préjugés des équipes techniques aux staffs, notamment sur le réglage de mon son. S’adresser aux hommes reste un réflexe. » dmietmusic.com

Stumbling, climbing, nesting / Ici d’ailleurs - Kshantu

inspiration cosmique et cosmopolite

B

Laurent Thore

ien plus que son esthétique marquée par un son post-soul / nu R’n’B, ce groupe, basé à Montreuil, est avant tout la réunion heureuse de sensibilités musicales aussi complémentaires que différentes, et encore plus depuis l’arrivée récente d’Anne à la guitare. Reconnaissant une attirance pour des artistes afro-américains aussi importants qu’Erykah Badu et Stevie Wonder, sans pour autant résumer leurs influences à cette seule filiation, les 5 complices se nourrissent de leurs visions cosmiques et afro‑futuristes, à l’image de l’univers visuel mais aussi des sonorités spatiales et planantes de leur dernier EP Come Two. « Chacun apporte à l’évidence son propre background, ses propres expériences musicales précédentes. » Se mêlent ainsi dans une cohérence sonore bluffante, la ferveur du jazz be-bop, l’intensité électrique du rock, le groove du hiphop, la soif mélodique de la pop, la profondeur humaniste de la soul, les

Arnaud Dandelot

extrapolations aventureuses actuelles de l’électro. Pour Charlène, chanteuse élégante et expressive : « Ce sont avant tout les émotions ressenties et véhiculées qui doivent être le moteur de l’inspiration, tant la musique se suffit et parle d’elle-même, au-delà des mots, des textes. » Si les événements récents autour des violences policières, du mouvement Black Lives Matter les ont particulièrement touchés, ils ne revendiquent pas nécessairement une intention militante ou politique dans leur musique, dans leurs titres : « Nous représentons tout simplement et naturellement la vision partagée, cosmopolite de notre collectif. » Ainsi ils n’hésitent pas à pointer sans complexe le côté conservateur et normé de l’industrie musicale « qui laisse peu de place aux artistes émergents et indépendants, mais aussi à la diversité ». À bon entendeur... dfacebook.com/DWEAMZ

Come Two / Grandma’s Records-Wiseband

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entrE Evues vues Jean-Louis Murat vestige de l’amour JEAN THOORIS

MARYLENE EYTIER

À l’heure de Baby Love, nouvel album beau comme un premier-né, nous avons discuté avec Jean-Louis Murat de l’enfance éternelle. L’occasion pour cet ange déçu d’analyser la naissance et le déclin de l’amour... dd LONGUEUR D’ONDES N°93 9


entrevues

Je voulais aborder avec toi un thème spécifique : l’enfance éternelle. Je peux déjà te donner un indice : “Le môme éternel”, techniquement, professionnellement, en tant qu’artisan, est l’un de mes meilleurs ouvrages. Pour les rééditions, je l’ai réécouté et j’ai pensé « Ah, enfin une bonne chanson ! ». Il y en a trois ou quatre comme ça. J’y utilise tous les mots que j’aime, je balance tout.

“Le garçon qui maudit les filles”, tu en penses quoi aujourd’hui ? Si je me souviens bien, j’étais un peu gêné car elle aborde une arrogance féminine qui pousserait presque les garçons à l’impuissance. Les filles pensent toujours, ou pensent maintenant, qu’on est des guerriers avec un sabre qui cherchent à tailler dans le lard. Ce qui est archi-faux : les mecs ne sont pas du tout ce que les filles pensent.

Depuis Le Moujik et sa femme, tu sors à peu près un album par an, comme s’il s’agissait à chaque fois d’une nouvelle histoire. Moi-même ça me surprend car à chaque album, j’ai l’impression de rentrer en studio pour la première fois. Je ne sens aucune usure. Je suis toujours débutant, et à vrai dire je n’apprends rien. Je corresponds à une génération ou à une classe d’hommes pour qui la fin file les jetons. C’est pourquoi je suis toujours fasciné par les débuts de l’amour : on ne sait pas d’où cela provient. Si je tombe amoureux, je bascule dans des questionnements philosophiques : qu’est-ce que l’être ? Qu’est-ce que le devenir ?... Les filles sont beaucoup plus consommatrices de sentiments que les garçons. Elles manient des couteaux mais ne se blessent jamais. Comme si les femmes nous prenaient pour ce que nous ne sommes pas du tout. Il y a méprise, malentendu : elles font souffrir les garçons d’une manière inédite, jusqu’à parfois les renvoyer au stade de l’enfant. C’est hallucinant tant le fossé se creuse. J’en suis à une phase de ma vie où elles n’existent plus. Leur simplicité est cruelle. Elles ont une faculté d’autoguérison beaucoup plus rapide que nous, elles switchent très rapidement et s’imaginent que c’est la modernité. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un signe de vieillesse, d’un Alzheimer des sentiments. 10 Longueur d’ondes N°93

Les filles auraient-elles perdu leur innocence ? Elles se pensent petites filles outragées. J’ai un copain très cavaleur qui me disait que depuis trois ou quatre ans, absolument toutes les filles qu’il rencontrait commençaient leurs narrations par un traumatisme de viol. Et nous, les garçons, on est là : « Ma poulette, que veux-tu que je te dise ? Il te faut un suivi psychologique, je ne suis pas l’homme de la situation ». Elles osent de prime abord un traumatisme – vrai ou faux, la question n’est pas là. Comme si toutes les filles étaient amochées par la saloperie des hommes. Et toi, en tant que mec, tu te dis que tu ne fais pas partie de cette saloperie… Je trouve que la séparation lente qui se fait entre les femmes et les hommes est encore plus grave que le réchauffement climatique et que la fonte des sentiments amoureux est encore pire que la fonte de la calotte glaciaire. Pour un mâle blanc tel que moi, qui exprime sa virilité d’une certaine façon, je n’ai qu’une envie : me mettre en retrait de la communauté des Hommes. Des Hommes au sens large. J’exprime un peu ce sentiment dans l’album…

C’est ton thème principal, les femmes. Et la nature… Je mélange un peu tout ça, oui. Je vois le cœur comme naturel et vivant. Il y a beaucoup d’analogies à faire entre les états d’esprit et l’état de la nature. Sachant qu’à la fin, ce qu’on cherche c’est l’apaisement. Et cet apaisement paraît de plus en plus impossible. Y’a quelque chose qui cloche làdedans… j’y retourne immédiatement ! (Rires)

Un de tes disques se rapprocherait-il de cet apaisement recherché ? Non… Je viens de vivre ma neuvième séparation. La dixième sera la mort, donc impossible de prolonger. Je vais basculer dans la vie d’ermite. Ces neuf séparations ont alimenté toute ma discographie, avec ce questionnement continu qui dépasse le cadre des garçons et des filles : la rencontre et la séparation. C’est très romantique, très XIXe, très religieux également via cet aspect cantique. Il y a quelque chose d’une plainte fondamentale : la difficulté de se fabriquer une foi ou d’avoir foi. C’est le désir d’aspiration à une position stable, et la foi se dissipe toujours à la façon d’une brume matinale. Dans Baby Love, c’est le religieux sans la foi. Mais si on a foi en rien, on est largué.

Mort de l’amour ? Les filles n’ont plus envie d’être amoureuses car elles vivent ce sentiment telle une défaite. Comme si hommes et femmes étaient devenus rivaux et qu’elles mettaient un genou à terre devant les mecs. Ce qui est la bêtise ultralibérale de ce monde consumériste qui profite des couples qui se séparent et des gens qui ne s’aiment plus : ils ont deux apparts, deux machines à laver… La fin de l’empire de l’Amour.

Depuis quand fais-tu ce constat ? Depuis toujours. On a l’impression que les mecs se tapent tous les problèmes : si la carriole n’avance pas, c’est à nous de réparer, pas aux femmes. Les filles, vous déconnez, voilà ce que je pense, aujourd’hui, présentement.

Y a-t-il quand même un espoir ? Non, aucun. Nous sommes les derniers à souffrir de la sexualité. Cette dernière sera prise en charge comme le vieil âge. Eros perdra définitivement l’affaire. On voudrait nous faire croire que tout ce qui nous a fait est bidon (la vie de famille, la façon de vivre les sentiments). Comme si nous étions des vivants qui ne savent pas qu’ils sont morts, des gens humiliés. Notamment par un certain type de gonzesses. Et sachant que le corps des femmes, hélas pour moi, est mon point de jonction avec le monde, d’un seul coup tu es Magellan pris dans les glaces, tu es expulsé du Paradis. C’est la plus belle partie de nous-mêmes qui est assassinée.

Être père ne change rien ? Cela me sauve la vie. Je passe mon temps à expliquer aux enfants qu’il faut sauvegarder des choses et réparer le reste. Mais je joue mon rôle de père en étant à la fois papa et maman. Et comme j’ai une fille aînée et des petites-filles, je fais un peu de sociologie ou de psychologie : je vois d’où elles partent (l’enfance, la puberté), et tel un sismographe je surveille ce moment où elles vont devenir dingues. i djlmurat.com


entrevues

« Il s’agit d’un signe de vieillesse, d’un Alzheimer des sentiments. »

Baby Love [Pias] le Label « Je veux danser sur ma peau / tu vois sur ma peau je n’ai que peine », prévient Murat sur “Montboudif”. Ainsi se présentent les complaintes d’un album aussi groovy à l’extérieur que bagarreur dans son propos. Car si Jean-Louis en bave, jusqu’à ne plus savoir « qui je suis, où je vis », pas question pour lui de s’écraser. Les vipères ont déjà propagé leur venin (extraordinaire “Ça c’est fait”), alors autant “Réparer la maison” sur un mode dansant (saxo, chorus soul, électro) ou langoureux (“Le reason why”, nouveau classique instantané). Avec pour idée de toujours “Rester dans le monde” (vouloir encore aimer ?). Pudique, blessé, teigneux, romantique : du grand Murat.

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entrevues

« Il va falloir s’assoir sur beaucoup de choses et accepter cet état de fait. » LANE, fer de lance d’une scène angevine dont la visibilité tient beaucoup au rayonnement du festival Levitation, déboule avec un magnifique deuxième album qui devrait définitivement poser la ville à la douceur légendaire sur la carte du rock hexagonal.

«

Un des groupes dont on jouait les morceaux avec Daria c’était les Thugs parce que l’on avait lu une interview de Nirvana dans laquelle ils disaient qu’ils aimaient un groupe français qui s’appelait les Thugs. Mais on ne savait même pas qu’ils étaient d’Angers.... »... L’anecdote, racontée par Étienne Belin, guitariste du groupe, est d’autant plus savoureuse lorsque l’on sait que, plus de vingt ans plus tard, LANE (Love And Noise Experiment) sera créé par des musiciens des Thugs et de Daria. Bien qu’originaires de la même ville, les deux groupes ne se croisent pas tout de suite. Ce n’est qu’en 2008 à l’occasion du No-reform tour des Thugs qu’ils partagent quelques dates, puis « chemin faisant, on se rencontre à d’autres occasions,

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LANE de l’amour et du bruit   XAVIER-ANTOINE MARTIN

jusqu’au moment où l’idée de refaire un groupe est lancée par Pierre-Yves [Sourice]. Il y avait des bouts de chansons, mais il fallait un chanteur ; secrètement, nous espérions que Pierre-Yves demande à Eric [Sourice] de venir », explique Étienne. Eric accepte. Le groupe commence alors à répéter et à enregistrer un EP, Teaching not to pray, suivi du premier album, Shiny day en 2019. « Pour Shiny day on avait beaucoup tourné, donc étant ensemble, on en avait profité pour composer une vingtaine de chansons. On en a gardé 13 pour Pictures of a century. Sur recommandation de Michel Toledo, on a enregistré au studio Vega du coté de Carpentras, dans les conditions du live. » Prévue fin mai, la sortie de l’album a dû être repoussée de 3 semaines à cause de la crise sanitaire, mais l’inquiétude porte surtout sur la suite, notamment sur les concerts qui ont tous été reprogrammés en 2021 : « Ça fait bizarre de sortir un disque en juin et de monter sur scène pour le défendre seulement en février ou mars, si tout va bien... » Étienne préfère néanmoins regarder les choses positivement, les reports des concerts prévus à l’automne donnant plus de temps au groupe pour se retrouver et composer de nouveaux titres, tout en posant un regard lucide sur ce goût d’inachevé qu’a imposé la crise : « D’un côté, il y aura peut-être une barrière psychologique que l’on va se mettre, tu te dis toujours que tant que tu ne l’as pas joué sur scène tu ne peux pas passer à la suite, il y a un cap à franchir. Mais là, ce

FFranpou

cap psychologique est inhérent à un problème mondial auquel on ne peut rien, qui a modifié pour on ne sait pas combien de temps et avec quelle profondeur les calendriers, les secteurs d’activité... Il va falloir s’asseoir sur beaucoup de choses et accepter cet état de fait pour se lâcher et penser à autre chose. » Tout ceci a de bon que LANE aura encore plus d’amour et de bruit à distribuer à qui les croisera sur les routes l’année prochaine. i facebook.com/loveandnoiseexperiment

Pictures of a century Vicious Circle Sans autre forme d’introduction ni circonvolutions grammaticales alambiquées, disons-le sans détour, cet album est une superbe réussite. Et lorsque PierreYves Sourice a pris cette photo d’une rame de métro vide à New-York, qui sera choisie pour pochette, il ne se doutait certainement pas de la signification qu’elle prendrait au moment de la sortie du disque alors que la distanciation sociale est entre-temps devenue la norme. Mais le plus important est à l’intérieur avec 13 titres d’excellente facture, faits d’un rock qui touche aux tripes comme savaient le faire ceux qui avaient ouvert la voie d’une scène alternative qui ne calculait rien : The Auteurs, Pixies, Suede, Placebo et les Dandy Warhols. Avec Pictures of a century, les Angevins démontrent qu’ils font désormais jeu égal avec leurs illustres aînés.


entrevues

« Si à travers nos textes des jeunes peuvent assumer leur identité, nous aurons gagné. »

Toybloïd pour un féminisme pop-punk   Pierre-Arnaud Jonard

Dans cette période de renouveau du mouvement féministe, un groupe comme Toybloïd apparaît comme indispensable. La jeune génération a compris qu’il était nécessaire de renverser le patriarcat. Et que ce groupe suscite un tel engouement démontre que le monde est en train de changer.

A

vec la pochette de leur nouvel album où deux lesbiennes d’un certain âge s’embrassent, le trio annonce d’emblée la couleur pour le combat LGBT+ : « Dans les médias, on ne voit que de jeunes lesbiennes, souvent jolies. Cela n’est pas représentatif. Avec cette pochette, on a voulu montrer une image souvent cachée. » Pour le trio, le combat pour l’égalité femmes / hommes, contre les discriminations, pour l’affirmation de son identité sexuelle sont des enjeux majeurs et leur disque ne parle que de cela. « Nous sommes clairement un groupe militant. Nous pensons qu’un artiste peut changer des choses et si à travers nos textes des jeunes peuvent assumer leur identité, leur homosexualité, sortir de l’isolement, nous aurons gagné. »

Dans un univers rock qui a été trop longtemps machiste, des groupes comme Toybloïd sont une bouffée d’air frais : « Ceci dit, nous n’avons jamais trop ressenti le côté macho du rock et aujourd’hui, il y a de plus en plus de groupes de filles (même si chez nous il y a aussi un garçon). Au début, lorsque nous avons commencé, on se sentait un peu seules, c’est vrai. Il y a des genres musicaux dans lesquels tu en trouves plus que d’autres comme le punk et le hardcore. Mais même si les choses bougent, les gros festivals continuent de programmer peu de groupes de filles. » C’est sans doute à cause de cette dualité femmes / hommes que le groupe a souvent été considéré plus dur musicalement qu’il ne l’est en réalité, car si Toybloïd a effectivement un côté punk, c’est un combo qui ne néglige pas la pop et les mélodies : « C’est tout à fait vrai que notre musique est pour partie pop. Peut-être que les médias ne s’en rendent pas tellement compte parce que nous sommes des filles avec des guitares. Du coup, ils zappent un peu notre aspect mélodique qui reste important. Mais nous avons un côté punk aussi, c’est sûr. L’esprit du punk en tout cas. » Cet aspect pop ne se trouve pas que dans la musique du groupe, mais également dans les textes qui revendiquent clairement une pop culture, à l’instar du titre “Donna”, hommage à la reine du disco des années 80 : « Nous sommes un groupe rock, mais nous écoutons de tout, de Donna Summer à Justin Timberlake en passant par du metal. » C’est sans doute cet éclectisme qui leur a permis de jouer avec des artistes

Guendalina Flamini

aussi différents que Camélia Jordana, Dagoba ou Ultra Vomit. Un grand écart qui ne choque pas leur audience et permet ainsi au groupe de conquérir, année après année, un public de plus en plus large. Et puisque l’Hexagone est déjà à leurs pieds, le trio partira dès que les conditions sanitaires le permettront à la conquête du vieux continent. La vague Toybloïd va bientôt nous submerger. i dfacebook.com/toybloid

Modern Love Kms Disques - Sony Music France Quatre ans après son premier album, le trio revient avec un disque qui change quelque peu son orientation musicale. Si le premier opus sonnait rock garage, celui-ci est bien davantage orienté pop-punk. Le groupe respecte à la lettre les standards du genre avec des morceaux qui dépassent rarement les deux minutes trente, digne héritage des Ramones. La musique proposée fait parfois penser aux grands groupes pop féminins californiens des 80’s, Go-Go’s et Bangles en tête, mais peut aussi s’aventurer vers des territoires quasi metal. Un second album de grande qualité, intelligent, frais et efficace qui permettra certainement à Toybloïd de confirmer son statut de groupe majeur de la scène française.

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entrevues

Niandra Lades Le choix du titre de leur nouvel album, You drive my mind, prend une résonance particulière en forme de leurre lorsque l’on sait combien les Clermontois sont attachés à leur indépendance. Les barbelés sont posés, aussi n’est pas né celui ou celle qui arrivera à les aliéner...

A

vec 3 disques en 8 ans — seulement, serait-on tentés de dire —, le groupe a toujours avancé à son rythme : « On aurait pu prendre encore plus de temps ! Ça s’explique par le fait que l’on ait eu des problèmes de line-up, on a perdu notre guitariste après chaque album et là on a mis du temps à le remplacer. Finalement on a trouvé Martin qui habite Nantes et qui joue aussi dans Samba de la Muerte. De toutes façons, entre l’enregistrement et le reste, trois ans pour un album, ça paraît long mais ça ne l’est pas tant que ça... » explique Alexandre Costa, frontman du groupe. Le nouveau guitariste a eu une réelle influence dès son arrivée : « Martin a notamment accéléré le tempo et a rendu plus pop You Drive My Mind », bien que « cet album soit plus personnel que Night Funeral sorti en 2017, nous nous retrouvons davantage dans les chansons. » L’enregistrement s’est

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la passe de trois   Xavier-Antoine MARTIN

Nicolas CARLETTA

fait dans un studio près de Clermont dans lequel le groupe s’est enfermé, « puis on a fait les voix pendant l’été autour de barbecues, que du plaisir ! »

booking, on a toujours été en D.I.Y. Avec quelques contacts et un peu de bonne volonté, on arrive à faire des trucs sympas. » i

Très attaché à sa ville et à sa région, Alexandre pose néanmoins un regard lucide sur le fait d’être loin de la capitale : « À Clermont, il y a des super groupes, mais on n’a pas la visibilité de Nantes ou même Caen où il y a des grosses connexions avec Paris. Comme ce n’est pas le cas ici, alors on fait ce que l’on a envie de faire, et on le fait à fond. Mais en matière de promo et de médiatisation, on est largués. » La scène locale s’est ainsi organisée, solidaire, autour des salles comme La Coopérative de Mai, le Baraka Club et le Bombshell où s’arrêtent régulièrement les groupes en tournée. En plus de cela, il y a les radios locales. Le leader du groupe est d’ailleurs programmateur dans l’une d’entre elles : « J’ai une playlist Spotify dans laquelle je mets les choses que je programme, et pas forcément du rock indie des années 90 ! Il y a un peu de tout, ça va de Cure à du hip-hop en passant par Penelope Isles ou Mogwai... »

dfacebook.com/Niandraladescf

Avec des fourmis dans les jambes, le groupe a désormais hâte de renouer le contact avec la scène et le public : « On a repris avec 2 concerts en Auvergne, histoire de se refaire la main parce que s’arrêter un an et demi de faire des concerts, ce n’est pas simple. Le plan c’est de ré-attaquer dès novembre, puis en 2021. En ce qui concerne le

You drive my mind Autoproduit Il y a trois ans, les Clermontois dont le nom est inspiré du titre d’un album de John Frusciante — guitariste des Red Hot Chili Peppers —, avaient déjà frappé fort avec Night Funeral. Au-delà de l’hommage qu’il rendait au rock indie des 90’s, cet album les plaçait déjà comme l’un des groupes les plus prometteurs de la scène française. Avec son successeur, les promesses sont largement tenues ! Le groupe a gagné en maturité, les compositions sont encore plus abouties et font mieux que supporter la comparaison avec celles de leurs aînés, Pixies et consorts. À ce titre, malheur à ceux qui n’écoutent plus les disques jusqu’à la fin ! La dernière piste, “It’s time”, est l’archétype de la ballade qui colle au mur, sommet d’une galette enchantée dont la recette et surtout l’écoute devraient faire des heureux. Avec des titres de haute volée comme “Wrong way men”, “You drive my mind” et “Don’t throw your rights”, Niandra Lades délivre une partition de 32 minutes presque parfaite.

« S’arrêter un an et demi de faire des concerts, ce n’est pas simple. »


« La fierté et la virilité ça peut rendre les gens complètement cons. »

entrevues

BBCC cas de consciences   Xavier-Antoine MARTIN

BangBangCockCock est devenu BBCC à l’occasion de sa signature chez October Tone. Suffisant pour se refaire une virginité et rentrer dans les clous ? Leur dernier LP, Altered states of consciousness, montre que l’on est heureusement encore bien loin du compte.

T

out avait pourtant commencé normalement avec Crocodiles Inc, premier groupe du leader de BBCC, formation au nom aussi improbable que ses clips, cirque ambulant fonçant à tombeau ouvert vers les abysses de l’humanité, faisant résonner son krautrock à tue-tête pour que, comme à Jéricho, les murs de notre monde finissent par se fissurer pour y laisser entrer sa folie. Entretien hors-sol avec Adrien Moerlen, Monsieur Loyal de ce sextet pas ordinaire. Un des titres de l’album s’appelle “How the fuck did she survive the nuclear holocaust”. On est tous des survivants en puissance ?

« C’est un conte très naïf et absurde sur la peur et la folie. La catastrophe nucléaire est un cadre, un

contexte narratif qui impose le huis-clos. On parle d’une femme qui débarque dans une mine occupée par des survivants qui finissent par lui vouer un culte. C’est juste un très mauvais film d’horreur. Un peu comme si l’humanité repartait sur de très mauvaises bases. Ça pourrait résonner avec le post-Covid mais toute ressemblance est purement fortuite. » Et toi, « how the fuck did you survive the Covid lock-down » ? « On était plein de bonnes intentions, il était question d’échanges pour créer des morceaux à distance mais aucun n’a vu le jour. J’ai beaucoup regardé la télé et il m’est venu l’idée des BBCC News, un moyen de faire la promo du disque sans concerts ni release party. C’était un espace de liberté un peu hors du temps. On ne se sentait pas de faire un live vidéo ou un DJ set sur un balcon. » Deux titres sont consacrés à la médiocratie, art majeur de notre temps, vous en souffrez ? « Oui comme tout le monde, on ne s’en rend pas forcément compte. Ça parle de comportements et de travers assez banals qui peuvent être perçus comme des atouts : la fierté et la virilité par exemple, ça peut rendre les gens complètement cons. Les sujets sont traités de manière assez absurde, ce sont des histoires à la fois drôles et dramatiques, entre Bigard et BHL. »

Christophe Urbain

Le premier morceau s’appelle “Human capital”, vous croyez plus à l’Homme ou à l’apocalypse ? « Le morceau parle de ressources humaines et d’un pétage de plomb dans des bureaux. C’est sûr que c’est pas une pub pour l’humanité ! L’apocalypse ou la peur de l’apocalypse c’est assez fascinant, ça rejoint notre fascination pour les sectes, les prédicateurs et les prophéties, sujet récurrent dans nos créations. Toute réflexion faite, pour répondre à la question : ni l’un ni l’autre. » i dfacebook.com/bangbangcockcock

Altered states of consciousness October Tone Le titre de l’album « est venu en travaillant sur la pochette du disque. La photo de Christophe Urbain et le graphisme nous ont inspirés une sorte de voyage spirituel, une expérience chamanique à base d’ayahuasca. » Sans surprise, les Alsaciens revendiquent une nouvelle fois leur singularité à travers 10 titres directement sortis d’un univers fantasmagorique inspiré par la musique de Can, Talking Heads et Beak entre autres, dans lequel on croise toutes sortes de créatures en sursis. En faisant cohabiter ambiances kraut, psyché et pop comme sur “Conundrum”, “Heathen Waltz” ou bien encore “Happiness”, le groupe montre, même s’il aime feindre le contraire, qu’il a bien la tête sur les épaules.

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entrevues

Von Pourquery   Samuel Degasne

Deux Victoires de la Musique plus tard, une Jeanne Added, Oxmo Puccino ou autres Metronomy, un jazz rhabillé pour l’été via son projet Supersonic… Le saxophoniste est de retour. Et, en amoureux des destinations ensoleillées, s’ouvre à une pop bigarrée.

I

l est amusant d’observer certains artistes. De prendre le recul (journalistique) nécessaire pour redevenir spectateur d’un corps qui se raconte parfois plus qu’en mots. Cette poignée de main appuyée, cette pression enthousiaste sur votre bras, ces yeux bienveillants qui surnagent dans une pilosité doudou... Et constater à quel point ceux-ci pétillent quand un parallèle est effectué entre sa musique et la cuisine : la mécanique se met en marche, fait rugir les veines couleur cuivre avec les tempes jouant soudainement les métronomes.

Et c’est avec un débit feutré, moins par souci de contrôle qu’une douceur non simulée, que l’hôte raconte Catherine et Hervé... Le couple Bourdon possède sur la presqu’île de Quiberon un de ces lieux où la gastronomie se fait durable et la cuisine vertueuse. Lui aussi espère comme eux pouvoir nourrir ses hôtes, retransmettre de quoi réchauffer les cœurs et ouvrir de nouveaux horizons, être sans cesse à la recherche d’harmonies en variant saveurs et textures pour créer l’émotion. 16 Longueur d’ondes N°93

Guendalina Flamini

S’interrogeant à voix basse sur la définition du génie d’un cuisinier : n’est-ce pas ne rien mettre d’autre que le produit brut pour mieux le révéler ? Se répondant à lui-même en citant un autre insatiable à particule, Léonard de Vinci (« La simplicité est la sophistication suprême. ») ou encore Oscar Wilde (« Soyez vous-mêmes. Les autres sont déjà pris. ») À évoquer l’identité, et étant donné le jeu des chaises musicales pratiqué par l’invité, on s’imaginait d’ailleurs une assise moins stable… Un jazz ouvert pour hier ; puis de la pop song Pourquery ? Lui n’y voit pas de dichotomie, mais bien la complexité de la vie : « Depuis l’adolescence, j’ai toujours écrit des chansons. En sachant qu’un jour elles sortiraient. » Voyez comme le verbe est précis et sa dynamique exigeante, sans jamais éluder son contenu. Ni forcer l’égo ou la redondance... Mieux : l’artiste tend à démontrer que ses multiples expériences s’inscrivent dans la cohérence. Des rôles, il en a déjà joué au sein du projet opéra-fantasque Rigolus. « J’essaie aujourd’hui de tendre des fils. Faire cohabiter l’inspir et l’expir, l’improvisation et l’écriture… Une science des contraires qui prouve que les opposés sont complémentaires... » Du velours. Mais plus qu’un exercice rhétorique, Von Pourquery assume en pratique l’expérience de ses accidents ou quêtes. « J’essaie surtout d’aller dans des endroits qui me surprennent. De me laisser porter par l’ambiance de chaque morceau pour enregistrer un album de chansons polyformes... À l’heure du streaming, celui-ci doit être considéré comme une playlist. » Seule homogénéité : son producteur Benjamin Lebeau (The Shoes).

Logique d’y retrouver un même appétit pour les concerts, cette envie de communion et de callosité éphémère : « Même si j’ai un grand respect pour les DJs, j’aime fabriquer le son en direct. Cette sensation que la rencontre n’aura lieu qu’une seule fois... Malgré de mêmes ingrédients : calquer un processus identique, ce serait ne plus être dans le vivant. » Ce recours systématique à l’organique n’est pas sans nier une dimension charnelle. Réadaptant sans cesse l’exercice du studio en procédant à ses propres découpes, selon l’humeur de la saison. En essayant, surtout, ce « juste équilibre entre instrumental et chant des possibles ». Mais son 1er clip, version rappeur en coin de piscine, n’est-ce pas endosser un rôle… et donc fuir cette spontanéité empirique pourtant recherchée ? Lui prétend – au contraire – continuer à s’effeuiller, assumant ses influences les plus dorées (de NTM, en passant par Prince ou James Brown). Citant aussi Jean de La Fontaine (« Ce n’est tromper personne que de se nourrir des autres »). Nourrir, encore… Décidément. « J’écoute beaucoup de musiques “formatées” dans le sens noble du terme, pour mieux exploser ensuite ces codes en power trio… Pourquoi ne pas revendiquer l’envie d’être léger ? C’est ce que j’ai essayé de faire avec VKNG [son projet précédent, partagé avec le guitariste Maxime Delpierre]. Des artistes comme Philippe Katerine arrivent à me bouleverser en parlant de la reine d’Angleterre… Nous ne sommes pas tous à vouloir faire la guerre dans nos clips ! On peut faire le choix de s’amuser, d’être 1er degré… Tout en choisissant de le faire sérieusement, sans tomber dans la parodie… » Et sans doute d’être enfin soi, tout simplement. i dfacebook.com/thomasdepourquerypage


« J’essaie surtout d’aller dans des endroits qui me surprennent. »

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entrevues

Pour fêter leurs 25 années de concerts et de tournées en France et partout dans le monde, Babylon Circus ne souhaitait pas faire un retour aux sources. À l’inverse, ils en ont fait une renaissance pour faire encore évoluer et moderniser leur son.

C

e retour avec un nouvel album et une nouvelle tournée, c’est un réveil après un demi-sommeil pour les neuf membres du petit orchestre. S’ils ne s’étaient pas totalement arrêtés de tourner, ils avaient largement réduit la voilure et se laissaient plus de temps. Il leur fallait se débrancher pour vivre des moments plus calmes et apaisés que celui du musicien sans cesse en vadrouille pour jouer. Chacun a pu pendant cette période vaquer à ses occupations entre projets musicaux avec des jeunes ou encore reprise d’études  : «  Personnellement, j’ai fait des enfants et j’ai passé un bac L, ensuite une licence de géographie urbanisme et un diplôme d’anglais, raconte David Baruchel, un des chanteurs de la troupe. Je pense que prendre de la distance après des années, ça nous a tous nourris ».

Babylon Circus un retour compliqué   YANN LE NY

C’était finalement reculer pour mieux sauter, ils le savaient, mais le réel déclic a été un nouvel arrivant dans leur histoire… Colin, le frère de Manuel Nectoux, l’un des leaders du collectif. Lui aussi travaille dans la musique et il a notamment fait du beatmaking à Londres sur des projets plus pop et électro. Il avait donc de quoi rafraîchir leur son. Et c’est lors d’une de ses nombreuses visites au studio du groupe, dans le nord de Paris, que la proposition de faire un nouvel album est lâchée. « Il y a deux ans, il est venu proposer quelques morceaux qui n’étaient que des maquettes et ça nous a donné envie » explique Manuel. « C’était frais, c’était vraiment nous. » Avec l’élan de Colin, l’équipe repart au travail pour créer un nouveau bébé.

Une synthèse Mais même si le son est clairement actuel, l’objectif n’était pas de dénaturer l’essence de Babylon Circus. Les basses sont puissantes et très dub, les cuivres apportent toujours leur puissance de feu aux bons moments. Le tout flirte entre pop-rock, reggae et

ugiés sur f é r t s ’e s « On restait : la s u o n i u q ce création ! »

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Lucie Rimey Meille

chanson française et fait la synthèse de leur ADN. C’est l’avantage de travailler en famille, Colin connaît le groupe depuis qu’il est tout petit et l’a vu évoluer au fil du temps. Un regard assez extérieur pour pouvoir donner des conseils avisés et assez proche pour ne pas aller dans la mauvaise direction. Pour les autres membres, le travail entre les frérots paraît presque mystique : « Vu de l’extérieur, c’est super drôle ! Il y a une espèce de truc magique de communication sans besoin de parler entre eux, décrit David. Et il y avait d’autres fois où ils chouinaient tous les deux dans leur coin... comme deux frères ! » Et pour le nouveau disque, ils ont aussi décidé d’agrandir leur cirque avec des invités. Ce qui a rajouté une difficulté sur le plan de l’organisation pour enregistrer, mais qui valait le coup pour eux : « C’était quelque chose dont on avait vraiment envie, ça met une autre gueule à ton album, juge Manuel. En plus, à chaque fois ça se faisait tellement naturellement. » À l’instar du titre


“The partisan” rendu si émouvant par le chant d’Adil Smaali : « On cherchait quelqu’un qui puisse amener la chanson ailleurs et ça a marché complètement avec lui », ajoute Manuel.

Et le Covid-19 a tout chamboulé Après deux années de travail, ils accouchent donc d’un album qui a la volonté d’aller de l’avant. L’année 2020 s’annonçait chargée notamment en concerts, mais la crise sanitaire en a décidé autrement. La tournée et la sortie du disque sont d’abord repoussées à l’automne. La conséquence : « Une grosse frustration et un état de manque de ne pas pouvoir être sur scène », racontent les deux artistes. Si la tournée est de nouveau annulée, le disque sort bel et bien en septembre. Mais durant cette pause forcée, ils ne se sont pas arrêtés de créer pour autant, même si c’était plus par catharsis : « pour survivre on s’est pas mal réfugiés sur ce qui nous restait : la création » ajoutent-ils. Ils sortiront une websérie (voir l’encadré), rééditeront leurs premiers disques en vinyle grâce un financement participatif réussi. La fête n’est donc pas totalement gâchée ! i dbabyloncircus.net

Rock the casseroles « Il y a quelque temps, on s’est lancé un petit défi, celui de mélanger nos deux passions : bouffe & musique. Ça a donné Rock the casseroles, une websérie culinaire ! ». C’est ainsi que débute le teasing sur les réseaux sociaux, de cet autre projet arrivant pour leur 25 ans. Ils sortiront au compte-goutte des épisodes où ils vont inviter leurs amis musiciens à faire à manger, à discuter et à jouer bien sûr. Parmi les participants, il y a notamment Sylvain Duthu de Boulevard des Airs, Barry Moore ou encore Carmen Maria Vega (et même un certain Sam Degasne que l’on connaît très bien à Longueur d’Ondes)...

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entrevues

Rodolphe Burger la carte et le territoire   Xavier-Antoine MARTIN

La carte sur la pochette d’Environs, sorti en juin, est le point de départ d’un voyage à travers un territoire que Rodolphe Burger façonne sans relâche depuis les années Kat Onoma, où se croisent musique, poésie, et surtout beaucoup d’amis, de Bashung à Higelin...

P

as forcément programmé, Environs est né d’une suite d’heureuses rencontres qui, petit à petit, lui ont donné forme. « Beaucoup de choses sont arrivées pendant la tournée Good, mon précédent album. J’ai pris l’habitude de faire plusieurs choses en parallèle, ainsi lors d’un cinéconcert sur les indiens Navajo, le titre “Le Chant des Pistes” a surgi tout d’un coup. De même, quand on m’a prêté la maison de Jean-Jacques Rousseau à Chambéry, ce qui est incroyable, j’ai embarqué dans un projet autour du livre de Buchner, Lenz. Puis est venue l’idée de chanter Schubert, chose qu’on s’interdit plutôt d’habitude. À la fin de la tournée Good avec Sarah et Christophe, des musiciens extraordinaires, je me suis dit que l’on ne pouvait pas s’arrêter là et nous nous sommes retrouvés rapidement en studio avec 8 ou 9 titres. J’ai suivi le fil de mon désir, sans me demander si ça allait faire un album. C’est le grand luxe de mon indépendance... que j’ai chèrement acquise. »

DAVID POULAIN

perdu... « Un jour Fred Poulet trouve cette carte aux Puces et me l’offre : c’est exactement la vallée où j’ai mon studio ! La première fois que l’on s’est vus, Higelin [NDLR : Alsacien par son père] avait flashé dessus. En attendant, je ramais sur le titre et le visuel, remplissais des cahiers, rien ne s’imposait et j’avais la pression de la sortie. J’étais d’abord parti sur “Le rêve de la femme du pêcheur” d’Hokusai qui vend un truc érotique, ce qui aurait pu être décevant. Des tentacules du tableau j’étais arrivé à “Tentation”. J’en étais là quand j’en ai parlé à Simon, mon fils, qui m’a dit : “C’est nul”. Il s’est baladé dans l’appartement, a cadré la toile : “Voilà et au verso tu mets les noms des morceaux.” Le problème du titre et de la pochette étaient résolus. »

Environs, Verlaine & Co Envirer : tourner sur soi-même jusqu’à l’ivresse... « Je ne sais plus comment je suis tombé sur ce verbe : envirer. Ça a été une découverte, si tu l’entends comme un impératif “Environs !” c’est encore mieux. Cet après-coup, cette heureuse coïncidence, ça se produit souvent. » Comme souvent, le musicien a convoqué la fine fleur de la poésie et de la musique : Schubert, Buchner, Shakespeare, Verlaine. Rock intello ? « John Greaves qui faisait un disque sur Verlaine m’avait demandé de venir en studio — j’y avais d’ailleurs rencontré Jeanne Added — pour le coacher sur son accent, ce qui m’a remis en mémoire ce texte. Spontanément je n’irais pas mettre en musique ni Verlaine, ni Rimbaud, ni Baudelaire, je trouve que ça se suffit. Le fait que je le fasse est assez étrange. Si je pouvais virer le nom Verlaine pour que ça ne crée pas cet effet intello ou rock cultivé qui est un malentendu... je ne fais absolument pas ça pour mettre des garanties culturelles ! »

La carte

Les amis Christophe et Bertrand

Si « la carte n’est pas le territoire » pour le philosophe Korzybski, elle n’en reste pas moins un repère indispensable lorsqu’on est un peu

Rodolphe aime s’entourer d’amis artistes, ce qu’il a évidemment fait sur Environs. « Christophe est venu sur la tournée Good

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chanter “La chambre” au Trianon et on a eu envie de l’enregistrer. Quand tu penses que ça clôt l’album, c’est dingue quand même, ça prend un sens incroyable. “La Man” c’est la dernière chose que l’on ait faite. Je lui ai envoyé l’enregistrement le jour où il est parti à l’hôpital... Quant à Bertrand Belin, on l’a invité plusieurs fois sur la tournée, c’est quelqu’un d’extraordinaire, un très beau musicien, devenu écrivain signé chez P.O.L. ! Avec lui, il y a un truc qui se passe, un peu comme avec Bashung : il n’y a pas de discussion, tout se met en place immédiatement dans une limpidité totale. »

Le Couscous Clan Le mixage des genres est une seconde nature chez Rodolphe Burger. En mélangeant raï et rock, le Couscous Clan, groupe créé avec Rachid Taha, sort une fois de plus des sentiers battus. « On s’est dit avec les musiciens qu’on allait poursuivre l’aventure en continuant à monter sur scène et que Rachid en aurait été content. L’idée de départ n’était pas de tourner mais de jouer dans des endroits, comme au bar Chez Ali à Nanterre ou dans un foyer de femmes algériennes, c’était génial. Quand on a joué à SainteMarie-aux-Mines où avait vécu Rachid, ça a été une sorte d’insurrection, il y avait du monde partout, les gens ne pouvaient plus rentrer ! »

Le festival C’est dans la Vallée Environs a été enregistré à Sainte-Marie-auxMines où a été créé le festival C’est dans la Vallée. « Je n’ai pas dit “Je veux faire un festival”. Ça a commencé par des concerts de Kat Onoma dans une chapelle. Comme ce fut un succès, on a continué sous forme de festival. Hortense Archambaud, co-directrice du Festival d’Avignon pendant 10 ans jusqu’en 2013, m’a dit “Ça devait être un peu comme ça Avignon au début...”, avec une vraie mixité dans le public. Ainsi, naturellement, c’est làbas que j’ai décidé de faire les premiers concerts d’Environs fin septembre. »


Kat Onoma

entrevues

Comment rencontrer Rodolphe Burger et ne pas parler de Kat Onoma, groupe majeur de la scène underground des 90’s dont la flamme n’est pas éteinte, au contraire. « Ce n’est pas complètement du passé puisque je reprends régulièrement les morceaux de Kat Onoma, notamment avec Philippe Poirier. On a cette chance d’être fiers de nos disques. C’est l’unique groupe, il n’y en aura pas d’autres. Tu ne peux pas avoir deux groupes dans la vie, ça sera d’autres histoires. » Après les 3 dates à Sainte-Marie-aux-Mines, la tournée Environs commencera réellement à Strasbourg le 5 décembre pour se terminer en apothéose à l’Olympia un an plus tard. i drodolpheburger.com

Dernière bande Soucieux de garder son indépendance artistique, Rodolphe Burger crée dès 2002 son propre label au nom à double sens, Dernière Bande, inspiré par son amour pour l’œuvre de Samuel Beckett. Outre les disques signés sous son nom et ceux de Kat Onoma, le catalogue propose nombre de créations issues de collaborations comme Blood and Burger avec James Blood Ulmer, Psychopharmaka avec Olivier Cadiot ou bien encore La ballade de Calimity Jane avec Alain Bashung et Chloé Mons, complétées par les albums de Fred Poulet, Beau Parleur, Valère Novarina et Jeanne Balibar, des affiches de Charles Berberian, sans oublier quelques DVD dont le film Good, sorti fin 2018, qui permet de plonger dans l’envers du décor.

« Cet effet intello ou rock cultivé est un malentendu... » LONGUEUR D’ONDES N°93 21


entrevues

« Même la consommation de sexe est devenue néo‑libérale. »

Viktor and the Haters la rage au ventre   PIERRE-ARNAUD JONARD

Dynamitant les codes rap, rock, punk, électro, ce groupe apparaît comme le reflet idéal d’une société toujours plus complexe et morcelée. Sensuel et politique, il est de ceux pour qui la rage n’est pas un vain mot et prouve que l’on peut à la fois être féministe et parler cul...

A

vec son rap-punk incendiaire, Viktor and The Haters est le reflet idéal d’une société complexe, d’un monde qui change. Ce groupe sent l’asphalte, le bitume et pourrait bien devenir les Bérurier Noir ou les NTM du 21e siècle... Rien d’étonnant à cela lorsque l’on connaît le parcours du leader avec son précédent groupe Kalash, combo 22 Longueur d’ondes N°93

Guendalina Flamini

auteur de trois albums : « Kalash a duré quatorze ans. On avait été au bout du projet. J’ai connu à travers cette aventure le parcours initiatique du hip-hop. Notre dernier disque La valse des invisibles était orienté chanson-rap. Je voulais aller vers quelque chose de plus énervé. Après la fin du groupe, j’ai débuté une résidence à Mains d’Œuvres avec l’idée de découvrir des groupes rock ou punk, tout en gardant en tête le projet de bosser avec certains d’entre eux. J’ai été accueilli sans projet précis ce qui est extrêmement rare dans le monde de la musique. Cela m’a permis de rencontrer Cyril, l’ancien guitariste des Hush Puppies (qui a composé avec moi une partie du disque), ainsi qu’Etienne de Cheveu, Mathieu de Vox-Low et Yan Péchin... » Avec son nouveau groupe, l’artiste dynamite les chapelles musicales : « Aux États-Unis, il y a eu des ponts très tôt entre rap et rock ou le post-punk avec Blondie notamment. Je n’ai jamais baigné dans le

purisme rap parce que j’étais intéressé par plein de styles musicaux différents. Le rap n’a d’ailleurs pas toujours été intégriste. Tu trouves un gros sample rock sur “Contrat de conscience” d’IAM par exemple. Imhotep a une culture musicale très éclectique. On ne doit pas oublier que le rap vient du blues et du rock’n’roll. » Viktor veut intégrer une agressivité punk dans sa musique, réussir la rencontre entre l’énergie du rap et celle du rock : « J’adore les Beastie Boys et Run DMC. Je voulais aussi créer un mix, mais d’une manière différente d’eux. » C’est comme cela que l’on trouve chez ce combo une certaine radicalité, y compris dans l’écriture que l’on croirait maniée à la Kalashnikov. Preuve avec le texte de “Trasher l’époque”, d’une acuité impressionnante par rapport à la période que nous vivons : « C’est un morceau sur la décadence de l’époque. Je viens du rap politique. Kalash faisait du rap conscient ; nous sommes par exemple partis en


Palestine avec le groupe. Récemment, les Gilets Jaunes de la Place des Fêtes m’ont appelé pour jouer. J’y suis allé. Je me situe bien sûr plus à gauche de l’échiquier politique qu’à droite, mais même si le militantisme est important, je ne veux pas faire uniquement des textes sur l’actualité. Je veux aussi parler de sexe, de l’humain. » De sexe il en est pas mal question dans ce premier album, et à l’heure où le mouvement féministe retrouve des couleurs, on se demande s’il n’y a pas danger que ses textes puissent être mal interprétés : « Je suis féministe à 100000 % mais là encore je ne donne pas de leçon. Il y a des rimes sexuelles dans mon disque. C’est arrivé qu’un programmateur me dise qu’elles avaient choqué une partie de l’audience féminine. Je parle d’amour, de sexe, de fantasme. Je n’écris pas en pensant à ce que l’auditeur va ressentir, mais en m’écoutant. Je ne sais pas si en France, nous sommes entrés dans une époque puritaine. Ce qui est sûr c’est que nous ne sommes pas dans une période de fantasme. L’époque est très Tinder, sexe cash. Les gens se retrouvent dans une consommation de sexe qui est une consommation néo-libérale. » Politiquement libre, musicalement explosif, Viktor and the Haters est définitivement la bande son idéale de cette année 2020 chaotique. i dfacebook.com/ViktorAndTheHaters

Blackout 1 Vlad - L’autre distribution Avec ce premier opus, il est peu de dire que le groupe frappe fort. Viktor et sa bande dynamitent ici rock, rap, électro. Le disque est sombre, moite, reflet parfait d’une ville la nuit. On sent une rage, un sentiment d’urgence qui fait mouche à tous les coups. Politique et sociétal, cet album fait l’effet d’une vraie bombe. Marier punk et rap est un pari audacieux et risqué. Viktor y parvient avec une audace qui fait plaisir à entendre. Un album coup de poing sans concession aucune.

LONGUEUR D’ONDES N°93 23


entrevues

Miossec « Les chansons n’ont pas vocation à être lues »   Samuel Degasne

David Poulain

Précurseur de la nouvelle scène française, l’album Boire est réédité en version augmentée à l’occasion de ses 25 ans. L’occasion, pour le chanteur breton, d’en livrer quelques secrets.

O

ui, il est ironique d’évoquer un premier album dont le nom rappelle d’anciens démons... Surtout quand sa réédition marque un autre anniversaire : celui de la sobriété de son auteur, dont la découverte d’une maladie neuromusculaire (altérant équilibre et coordination des membres) l’a sauvé de la noyade éthylique il y a 10 ans... “Rescapé”, Christophe Miossec ? C’est précisément le nom de son dernier disque, en 2018, et l’aveu d’incarner malgré lui sa ville d’origine (Brest), elle-même partagée entre eau et alcool. Des vagues à l’âme, il y en avait d’ailleurs déjà dès ce premier album Boire, en avril 95. Et sa publication ne va pas seulement être une bouteille à la mer pour son chanteur (en pleine crise existentielle lors de son écriture) : son succès surprise (plus de 100 000 exemplaires vendus) et ses tournures bancales (les rimes tanguent maladroitement au gré du rythme) vont décomplexer toute une scène... Jane Birkin, Alain Bashung ou encore Stephan Eicher l’inviteront même à mouiller l’encre pour leurs propres albums. Un succès qui étonne encore Miossec : « J’ai longtemps été dans l’incompréhension de l’impact de Boire. Je trouvais qu’il y avait des disques tellement mieux, comme celui de dEUS qui sortait en même temps ! » Car même face à l’épreuve du temps, le chanteur affirme n’avoir jamais cherché à rationaliser, comprendre. S’il s’exécute, c’est chaque fois à son corps défendant. Et pourtant, il y a de quoi raconter... À commencer par son écriture, entamée très en amont : « Les chansons “Non non non non (je ne suis plus saoul)” et “Évoluer en 3e division” — qui sont sans doute les plus “brestoises“ de l’album — ont été écrites 2-3 ans avant, lorsque j’étais journaliste à La Réunion ». Ou bien encore les rimes, pas toujours sur les temps : « Le fantôme de Lou Reed m’a toujours accompagné. Et on ne peut pas dire que sa 24 Longueur d’ondes N°93


« Je préférais traîner dans les rades que dans les raves. » rythmique était… académique ». Nouvelle pause. « Je savais que ça ferait hurler les ayatollahs de la chanson. » Ce fut le cas ? « On a raté… beaucoup d’opportunités (rires) » Si la rage et l’absence de perspectives prédominent sur ces premières pistes, il n’était pourtant pas question de courir après un rock dur : « À l’époque, les amplis étaient partout… Utiliser une guitare acoustique m’a donc paru être le geste le plus subversif ! » Et cette absence de batterie, que l’on dit héritée de son amour pour Robert Wyatt ? « J’avais une boîte à rythmes, mais j’ai très vite enlevé la caisse claire. Le reste s’est décidé avec Guillaume Jouan : il m’a aidé à ne pas avoir peur du vide… » Un processus étonnant pour un premier album, quand cette volonté d’épuration arrive souvent en fin de carrière (l’artiste n’a alors plus besoin d’être aussi démonstratif). « Je pensais d’ailleurs que ce serait facile, parce que j’avais déjà gagné ma croûte avec l’écriture. Mais j’ai vite découvert que les chansons n’ont pas vocation à être lues… »

« Utiliser une guitare acoustique m’a donc paru être le geste le plus subversif ! » Une gageure qui ne l’a pas empêché d’écrire ensuite pour des interprètes aussi éclectiques qu’Axel Bauer, Dani, Mass Hysteria, Nolwenn Leroy, Maurane ou Matt Pokora… « Sans doute parce que j’ai une écriture très primitive, sans être cryptique », avance-t-il modestement. Puis, vient le sacre : 11 chansons pour Johnny Halliday (99, 2012, 2014, 2015 et 2018). Artiste, dont il reprenait le morceau “La fille à qui je pense” sur Boire. Et les autres morceaux ? « “Recouvrance” fut la première chanson écrite, avec Pascal Pottier au piano. S’il n’avait pas fui, parce qu’il me trouvait fou, le reste de l’album aurait ressemblé à ça… “Non non non non (…)” est ma chanson la plus celtique. J’ai voulu reproduire un motif. La preuve que je ne suis pas un virtuose : ça ne se s’entend pas (rires) “Évoluer en 3e division“ : je fus vraiment arrière droit dans un club de foot de La Réunion, avec des types super techniques. L’idée des claps en guise de rythmique vient de la démo (le producteur Gilles Martin voulait absolument conserver l’ambiance de celle-ci). Et puis, j’adore Camarón ! Quand le flamenco joue bien, c’est fou… Sur “La veille“, ce n’est pas mon style de guitare. C’est vraiment la patte de Guillaume ! Sur “Que devient ton poing (…)”, c’est parce que ça ne se faisait pas d’avoir un titre aussi long… que je l’ai fait ! (rires) Un premier disque, ça vous marque forcément… Malgré les excès de l’époque, je m’en souviens très bien », conclut ainsi celui-ci qui, des excès, ne s’autorise désormais que ceux de la modestie… Merci. i dEntretien intégral sur LongueurdOndes.com LONGUEUR D’ONDES N°93 25


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Telle la calamité frappant notre sort commun, cette satanée Covid-19 apparaît comme un marqueur temporel qui semble déjà définir un avant et un après. Entre désarroi et espoir, le monde de la musique doit désormais prendre son mal en patience et croire à des lendemains qui chanteront sa renaissance. Ou pas.   Julien Naït-Bouda

I

l y a des crises et des cataclysmes. Clairement, à l’heure d’écrire ces lignes, la situation ne semble pas pouvoir s’extirper de cette mélasse virale et infectieuse qui a figé la vie d’une multitude d’acteurs du monde musical. Alors que les salles de concerts et autres sont désormais fermées depuis six mois, la date envisagée pour leurs réouvertures est actée à 2021. Espérons qu’il ne s’agisse pas ici de calendes grecques, sans quoi ce sera le chant du cygne pour beaucoup, notamment dans le milieu indé de la musique. Se repenser, « enfourcher le tigre », voilà les conseils avisés que reçut le monde de la culture lors d’une table ronde hors-sol où son éminence de la République marqua une nouvelle fois les esprits par un imaginaire qui brasse plus l’air qu’il ne retourne la terre.

Joran Le Corre qui devait prendre en main la nouvelle salle dédiée aux musiques actuelles de Morlaix, le Sew, reste amer face à cette communication politique. « La situation est terrible. Riester, notre (ex) meilleur ministre de la Culture de l’Histoire de France, était aux abonnés absents, il a eu des prises de paroles catastrophiques pendant tout le confinement. Il n’avait aucune vision, rien ! C’était un vrai cauchemar. Il change de ministère et se trouve secrétaire d’État pour le commerce extérieur et là il pense bon de dire que les salons et les foires pourraient ouvrir sans limite de jauge dès septembre. Mais quelle inconscience de dire un truc pareil ! Ça peut donner des faux espoirs aux gens... ». Sa remplaçante, Roselyne Bachelot, est donc attendue au tournant, à elle maintenant de

Upton Park - Photo : Gérard Magic Lapeyre

défendre et d’inclure ces métiers dits indépendants dans un schéma industriel qui ne les a jamais intégrés, manager d’artiste en tête. Bien que des aides aient été déployées par l’État pour soutenir un secteur qui a l’habitude des crises, la dernière en date, celle du disque étant à peine digérée, bon nombre craignent un nouvel épisode de confinement qui serait certainement fatal pour les petits acteurs du milieu. Julien Banes du label Upton Park témoigne en ce sens. « Notre activité publishing a été impactée mais on va le ressentir à retardement. Les droits générés en 2020 seront répartis à partir de janvier 2021. Bruno Lion, le Président du Conseil d’Administration de la Sacem, a annoncé qu’au moins un quart des droits qui devait être collecté, ne le sera pas. Et pour les plus petites structures qui font beaucoup de développement, cette baisse sera plutôt de l’ordre de 50 à 80 %. Notamment pour les artistes dont les œuvres ne sont pas e

Le Sew - Photo : Benpi

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diffusées sur les gros médias, et dont e les droits d’auteurs proviennent majoritairement du live. Nos répartitions Sacem entre janvier et octobre 2021, soit toutes les répartitions de l’année prochaine, seront obligatoirement très amoindries, et cela risque de représenter une énorme menace concernant la survie d’un certain nombre d’éditeurs/producteurs indépendants, dont nous faisons partie ». De la réouverture des salles de concerts dépend donc en partie cette indépendance dont la respiration est le garde-fou de la création face à l’écueil de l’uniformisation que l’industrie culturo-économique tend à réaliser. Du réel au virtuel, du physique au digital Quid du digital dans ce paysage scénique bouleversé ? Il fut dès le début de la crise un palliatif permettant aux artistes de se diffuser et ainsi d’exister. Alors que les concerts ont pris une place de plus en plus en grande dans le modèle

économique de la musique, nombreux sont les musiciens qui ont participé au grand manège des lives sur Facebook, Instagram, Youtube, pour tenter de garder le contact avec leur public. De même, certaines plate-formes de partage de vidéos moins connues du grand public auront réussi à se faire diffuseurs de concerts, profitant d’une communauté d’utilisateurs d’un âge plus jeune et rompue à la vision de contenus vidéo sur Twitch et TikTok. Certaines initiatives autrement plus virtuelles sont même nées, comme les concerts organisés dans les jeux vidéo Minecraft et Fortnite avec des artistes modélisés pour l’occasion. Twitch normalement axé sur le gaming, fut même choisi avec le concours des pouvoirs publics pour diffuser le Catalpa Festival à Auxerre. Certains ont même trouvé le moyen de se rapprocher de leur public par cette voie en jouant sur le côté intimiste de ce type de média, comme ce fut le cas pour l’indé(crottable) Kim Giani : « J’ai fait mes concerts en webcam privé, soit en direct soit en différé envoyé par mail. J’en ai fait une trentaine, ce qui m’a Kim Giani - Photo : Annabelle Fadat

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Alex, Requiem pour un twister- Photo : Label Méduse

permis de rééquilibrer les annulations de concerts en physique. » Il semble pourtant que les alternatives numériques aux concerts physiques ne soient pas suffisantes. Même si la Sacem a commencé à rétribuer les lives digitaux, les montants, au même titre que le play d’un titre en streaming, sont encore trop faméliques pour constituer une rente satisfaisante aux artistes, bien qu’un prix ait été aussi fixé en relation avec la durée de l’enregistrement. On appréciera également les considérations du DG de Spotify post-déconfinement, celui-ci appelant les artistes à plus créer pour se fondre dans un modèle économique qui a changé et dans lequel on ne peut plus sortir un disque tous les deux ans... Et puis, il y a tout simplement la dimension physique d’un live qui au travers d’un écran perd de sa superbe. Pour Alex du label Requiem pour un Twister, la perte de cette proximité physique touche selon lui à l’essence même de certaines musiques, dont le rock. « Le rock s’exprime énormément dans le cadre du concert. Sans scène, tout cela perd du sens. La puissance sonore du rock, avoir le groupe face à soi, ça doit rester quelque chose de physique. » Des propos qui ne semblent pas faire sens pour tout le monde, notamment dans de hautes sphères de l’industrie musicale, Live Nation pour ne pas les citer (oui encore eux). Interrogé sur la formidable chaîne télé créée pour et destinée à ceux qui ont de l’audace, B Smart, e


Chinese man made in chez moi   Samuel Degasne & Julien Naït-Bouda

Donne-t-on uniquement le pouvoir à ceux qui le veulent, faute de mieux ? Pas sûr, si l’on observe la trajectoire du collectif marseillais qui, depuis 2004, a toujours privilégié l’audace empirique au pire du milieu.

L

es adeptes de la start-up nation grinceront sans doute des dents. Un peu. Car Chinese Man Records est avant tout l’histoire d’un collectif, amical avant d’être juridique. Surtout. De ces structures gouvernées par les envies collégiales. Un grand tout, dont les décisions à l’unanimité ont été prises sur la foi du bon sens (de circulation) : du bas vers le haut… Ici, pas de stratégie pyramidale du tout, ni d’étude du marché. Pas d’envies de rentabilité ou de rêves de gloire à vouloir révolutionner les grands soirs… Et pourtant ce sera, bien malgré eux, le cas. L’histoire commence il y a une quinzaine d’années avec ce besoin pratique : comment, en tant que DJ, enchaîner titres hip-hop, dub et/ou drum and bass ? Comment faire le pont entre ces différents rythmes syncopés ? 2005 : le futur groupe (encore duo) crée 4 transitions pour les potos, gravées sur vinyle et vendues à 500 exemplaires sous le sweat à capuchon. Puis met en ligne gratuitement les morceaux de cet EP Pandi Groove sur eMule [logiciel de partage de fichiers], preuve du manque

Guendalina Flamini

de volonté marketing, à défaut de celle artistique. L’initiative aurait pu s’arrêter là... Basta ! Mais à l’intuition s’est mêlée la chance : celle de l’ère du temps. Des planètes alignées... L’époque est dominée par le hip-hop commercial (déjà) et ces morceaux sont avant tout réalisés pour être mixés. Or, la rareté du vinyle met alors en valeur les rares acteurs du secteur, en particulier les DJ’s qui utilisent encore le support. DJ Shadow, le premier... Photo. Publication sur MySpace. Bingo ! L’équipe apprend pas à pas. L’année suivante, le nouveau vinyle The Bunni Groove (toujours un EP) assure la suite des hostilités. Avec, cristallisé dans ses sillons, le tube “I’ve got that tune”, choisi par Mercedes-Benz pour illustrer une de ses publicités. Et un clip, preuve encore d’une logique de non-rentabilité, lui aussi réalisé à base de samples (vidéo) qui prendra 6 mois de réalisation. 2006 : début de l’intermittence. Le groupe, à la géométrie élargie, est marqué par le retour des sound systems ; mêle l’influence des rappeurs américains aux sonorités drum and bass UK ; tout en refusant d’assurer des soirées monothématiques. Toute la black music électro y passe : funk, dub, dubstep, sonorités issues du répertoire traditionnel... À force de patchwork, certains morceaux prendront jusqu’à un an d’élaboration. Même le premier live avec toute la troupe ne fut pas prémédité. C’est le Printemps de Bourges qui a appelé en premier. On est en 2009. « Vous êtes vraiment sûrs ? », se sont-ils étonnés... Ne souhaitant pas seulement « passer des disques », c’est donc toute une mise en scène qui sera réfléchie et travaillée... « Ce n’est pas mauvais d’avoir le

sentiment de n’être jamais arrivé. De continuer à bricoler, de rester indépendant... », disent-ils en haussant les épaules. Amusés. 2020 : 6 personnes sur scène, 8 albums studios, 2 lives, une dizaine de remixes et quelques escapades en solo plus tard, l’équipe — restée associative pendant 14 ans — s’est désormais déclarée en coopérative. Ou comment, sans cynisme, accorder autant d’attention à la forme qu’au fond… Une épidémie plus tard, la situation a rebattu les cartes autant qu’il est difficile de lire dans le jeu du gouvernement. Fred Maigne, directeur du label, résume : « Cette crise est dure à encaisser, vu que les tournées sont le cœur de la promo de nos disques... Nous avons toujours fait le choix d’aller recruter directement notre public, les yeux dans les yeux. Un modèle volontairement old school, contrairement à la majorité du secteur des musiques urbaines, capable de se contenter d’une sortie d’album en digital. Même avec des demi-jauges en concert, nous ne rentrons pas dans nos frais ! Or, s’il n’y a pas de bénéfices, difficile de réaliser du développement d’artistes... » Ce qui agace le directeur, surtout, c’est l’absence de perspectives autant que le manque de discours tranchés : « On est en train de réinvestir pour être prêts — donc on remet de l’argent — mais si les dates sont de nouveau annulées, ça risque de devenir très compliqué... Nous, on a rarement fonctionné avec des subventions publiques, même si la petite aide du Centre national de la musique en janvier a fait du bien. Le plus tragique c’est que, comme nous, ils attendent les vrais budgets de relance pour — enfin — y aller. » i dchinesemanrecords.com LONGUEUR D’ONDES N°93 29


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Une crise cathartique ? Si l’on se souvient de ces mots du philosophe Gilles Deleuze « La majorité c’est personne, la minorité c’est tout le monde », il apparaît évident que le tissu créatif musical passe infiniment plus par les petites structures que par les gros média. Pour le musicien indépendant Kim qui traverse les âges dans une industrie qu’il a depuis longtemps reniée, cette crise sanitaire est une façon de secouer le monde de la musique qui lui paraît trop attentiste : « Dans l’ensemble, cette crise m’a fait prendre conscience que nous n’étions pas assez radicaux dans nos propositions musicales. Le milieu de la musique en France est sage, à attendre l’autorisation des producteurs pour pouvoir s’amuser, innover, bouger les lignes. Il a fallu un virus pour s’obliger à le faire. » Pour d’autres, il n’y a rien à craindre quant à une perte de la vitalité artistique de la scène francophone mais l’industrie musicale devra

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faire des choix, c’est la prédiction de Benjamin Cachera de La Souterraine : « De plus en plus d’artistes amateur.e.s perdent leurs complexes et produisent des musiques intéressantes et chantées en français, dans des genres qui n’existent pas vraiment, en dehors des cases habituelles. On a appelé

musical Kim confirme : « Je trouve qu’un label indépendant et une major sont interdépendants les uns des autres. Remplace indépendance par autonomie, c’est un terme qui convient mieux. Les musiciens de blues en savent quelque chose : savoir s’adapter au matériel, au budget, au public, à un écosystème. C’est le propre du bon musicien, et c’est le gage de la sérendipité. On a vu que depuis le confinement, les musiciens autonomes s’en sortaient mieux que ceux qui sont entourés d’équipes et qui perdent du temps actuellement à se demander quand planifier le disque, la tournée. Les vedettes, quant à elles, sont à l’arrêt total. » Du fond dépendra-t-il la forme ?

ça les “musiques rurbaines”. Il y a maintenant deux tendances possibles : soit la crise ne change rien et les grosses maisons de disque conservent leur politique de signature habituelle, soit au contraire elles vont prendre plus de risques en signant des artistes prometteurs mais inconnus et qui n’ont pas 50 ou 100K abonnés sur Instagram ». Il est donc peu dire que de la convergence entre le monde indé et industriel résonneront les nouvelles esthétiques musicales de demain, que des labels, souvent associatifs, tentent de diffuser et les disquaires de vendre. Mais au-delà, il serait usurpé de nier que ces deux sphères ne s’interpénètrent pas, comme le redit Benjamin. « À l’usage, on se rend compte qu’il n’y a pas plus dépendant qu’un indépendant : dépendant des dispositifs d’aides, d’un distributeur et plus généralement de tous les autres acteurs du métier. L’autonomie est probablement plus précaire, mais permet aussi d’être plus libre : on continue notre travail en gardant comme maxime « temps longs et circuits courts » ». Le fantasque artiste

Les éléments évoqués jusqu’ici semblent l’approuver, en demi-mesure certainement, la puissance physique du live ne peut être remplacée par des pixels et une captation sonore. Quand certains ont enfourché le tigre depuis belle lurette, citons à ce titre les initiatives de Leopard Da Vinci jouant dans des Ehpad ou ornant de sa musique une randonnée

Leopard Da Vinci - Photo : Mehdi, Studio Afterlife.

Angelo Goppe, directeur général de Live e Nation France, affirma qu’une remise à plat du secteur des musiques actuelles devait être envisagée. Quant à la lettre ouverte et signée par de nombreux acteurs du secteur musical pour un retour des concerts debout et sans abaissement de la jauge, il ne l’a tout simplement pas signée. Ce dernier préférant porter le costume d’un pragmatique visionnaire en indiquant que le casque de réalité virtuelle peut être un médium pour vivre un concert de manière réaliste. Fin de la transmission, qui vivra entendra. Quant à ce plafond de verre qu’est l’interdiction d’une jauge à 5 000 personnes, Mathieu Drouot, dirigeant de Gérard Drouot, la plus grosse société de production de concerts en France, parlait même sur la chaîne CNews d’une mesure incompréhensible pour les organisateurs alors que les touristes sont autorisés à voyager en train ou en avion, ce dernier rappelant au passage que la SNCF a accueilli 20 millions de voyageurs cet été alors que l’affluence des sept plus gros festivals de France qui ont été annulés atteint 7 millions et demi de personnes, en plein air de plus.


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Nicolas Paugam - Photo : Alexandre Morin

champêtre. Les services qu’un artiste musical rend à la société sont d’une appétence autre que celle visant à lubrifier le capital, lui qui conduit l’individu comme le rappelait le philosophe Bernard Stiegler à un désir asphyxié. L’artiste folk et jazz manouche, Nicolas Paugam, résume la situation ainsi : « Il serait bien que certaines mairies et communes qui dépensaient tout leur budget sur un festival repensent cette dépense. Un gars comme -M- qui prend 80 000 euros pour un concert, c’est assez honteux. Tout l’argent est injecté pour sa présence dans un festival et le reste de l’année il n’y en a plus pour d’autres évènements. Avec les économies faites en 2020, il faut relancer l’offre de culture et aider les artistes indépendants qui prennent des cachets autrement moins astronomiques. Les gros artistes (comme Orelsan) font des appels d’offres pour être programmés en province, il faut changer cette logique un peu lamentable. » Un des premiers effets que l’arrêt des tournées a entraîné est celui lié au report des dates de concerts tous azimuts ; ainsi la crainte d’un éventuel embouteillage à l’horizon 2021 en terme de programmation commence à se faire sentir. Quelle place sera accordée dès lors aux nouveaux talents, qu’en sera-t-il de leur représentation ? Un retard

à l’allumage qui sent le soufre et qui impacte directement l’agenda des salles de spectacles et des festivals. Le programmateur du Panoramas Festival précise : « Les salles vont faire attention à ne pas prendre trop de risques. Elles ne vont pas vouloir parier sur des projets sans savoir si ça va remplir ou pas. Ce qui se passe est super préjudiciable pour les nouveaux groupes. Et puis le fait que les clubs soient fermés, ça pèse aussi. Parce que

tout ces DJ’s et producteurs qui font leurs armes dans les clubs du coin ne le peuvent plus. C’est toute une génération d’artistes qui ne peut pas s’exprimer et donc être repérée. Cela va avoir des conséquences sur le renouvellement des talents. On n’est qu’au début de la crise et on ne mesure pas encore toutes ses conséquences. Sur certains points, on est partis pour des galères qui vont durer plusieurs années ». Pour La Souterraine, qui s’était vue confiée au Printemps de Bourges une scène dédiée aux nouveaux talents hip-hop, l’impact est aussi significatif. « On comptait beaucoup là-dessus pour montrer notre travail de recherche dans le rap féminin underground, genre largement minoritaire dans le paysage, et ainsi accélérer la professionnalisation du projet notamment en vendant des dates à plusieurs programmateurs de salles de concert et de festivals. Sans cette date, tout le travail de développement et de prospection commence à zéro, au lieu de pouvoir présenter directement le spectacle à des pros. C’est l’effet direct de la crise sanitaire ; et ces dates nous auraient permis d’être éligibles à des dossiers de financement (il faut 5 ou parfois 10 concerts confirmés pour accéder aux dispositifs d’aides) ». e

Panoramas - Photo : Wart

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Centre National de la Musique définir une vision   Julien Naït-Bouda

Flo Sortelle

Tête dirigeante d’une structure dont la naissance était attendue depuis belle lurette, Jean-Philippe Thiellay, directeur général du CNM et ancien directeur adjoint de l’Opéra national de Paris, porte en lui l’espoir de tout un secteur en proie à la sinistrose. C’est dire la pression pesant sur les épaules de ce dernier dans cette mission qui s’annonce telle une odyssée...

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« Le streaming gratuit ça ne peut pas fonctionner. » Longueur d’Ondes : Le CNM est une institution relativement récente, succédant au CNV, de quelle volonté est partie sa création ? Jean-Philippe Thiellay  : L’histoire du CNM a commencé il y a 40 ans, on attendait sa fondation depuis les années 70. Marcel Landowski, grand compositeur français et directeur du département musique au ministère de la Culture à cette époque, se disait sûr de pouvoir créer le CNM en 1977. 42 ans après, ce n’était toujours pas le cas et c’est la loi du 30 octobre 2019 qui a enfin permis son avènement. La création de cet établissement public montre l’engagement de l’Etat. Cela reste rare dans le milieu de la culture. C’est une institution dite de filières qui réunit en son sein l’ensemble des composantes de la filière musicale, spectacles, musique enregistrée et tous les autres métiers tels que les auteurs, les compositeurs, les éditeurs, jusqu’à la musique en ligne. La Sacem évoquait l’organisation d’un « Valois » de la musique à l’image du « Ségur » pour la santé, qu’en est-il en substance ? J’avais proposé dès le 8 janvier 2020 des États généraux de la musique pour 2021. La feuille de route du CNM s’est créée autour des études et de l’observation faites sur la remise à plat des aides, de l’internationalisation, etc. Mais avec la crise, d’autres problématiques apparaissent d’autant plus importantes comme c’est le cas pour l’éducation artistique jusqu’aux nouveaux modes de diffusions en passant par l’innovation. La ministre de la Culture a proposé des États généraux des festivals, ce qui est une très bonne idée. Il faut penser, avec l’État et les collectivités territoriales, à ce que l’on veut pour la musique en France dans la prochaine décennie. Définir cette vision, c’est la priorité du CNM. Quand on pense au futur et au présent, la place des musiques électroniques dans les politiques publiques interroge, beaucoup ont fait valoir son importance dans le maillage musical francophone. Quelles perspectives entend le CNM pour ce champ musical ? Tout dépend de quoi on parle car la musique électronique est vaste. Si on pense French touch cela ne fait aucun doute que ce secteur est un atout pour la France, en terme de rayonnement mondial notamment. Le CNM doit aider les nouveaux talents à rayonner en ce sens. Si on évoque la musique électronique en club et les DJ’s notamment, il y a un vrai angle mort. Est-on là dans la création ou la diffusion ? Le CNM débat actuellement sur ce sujet.

Depuis le début de la crise, les DJ’s sont dans une situation particulièrement difficile et il va falloir pour ces indépendants qui ne sont ni salariés ni intermittents, imaginer des solutions pour demain. Il en va de même pour les managers, les agents et les attaché.e.s de presse. Mains d’Œuvres nous signalait qu’il manquait à l’heure actuelle une étude sérieuse sur la consommation de la musique, ce qui aiderait bon nombre de protagonistes du monde musical à identifier les attentes des consommateurs. Vous partagez ce constat ? Il y a eu tout de même un chapitre sur la musique dans la dernière étude du ministère de la Culture parue en mai dernier. Il y est fait état que la musique est la pratique culturelle la plus répandue en France. L’idée de l’Observatoire de la musique du CNM consiste à faire des coups de zoom et pas qu’économiques, mais à la fois sociologiques, ethnologiques et historiques, afin que la musique dispose d’un socle solide qui n’existe pas encore. La musique a beaucoup de retard de ce côté-là par rapport à d’autres industries culturelles comme le cinéma. Le CNC a 70 ans d’avance sur nous à ce titre. Nous sommes en construction en ce sens. Quelle importance accorde le CNM aux musiques actuelles ? Je ne réfléchis pas en terme de répartition en fonction des esthétiques musicales. Le fonctionnement actuel du CNM est encore similaire à celui du CNV. Nous commençons à soutenir d’autres esthétiques que celles qui payent la taxe sur les spectacles. Il faut mieux réfléchir en fonction de la diversité que de couloirs budgétaires. C’est la qualité des projets qui doit commander notre action. Deux temps structureront notre action à l’horizon 2021. Le premier sera de faire éviter les faillites au plus grand nombre, salles de concert, tourneurs, etc, puis il s’agira d’appliquer une relance pour ces derniers. Quel sera le travail du CNM auprès de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, dans les mois à venir ? On connaît son goût pour la musique classique et la part du budget alloué aux musiques traditionnelles. Tenterez-vous de faire valoir un peu plus les musiques actuelles dans son porte-feuille ? Une âme qui aime la musique aime tous les styles. Mon objectif est de lutter contre le cloisonnement des musiques. La création du CNM et l’effort budgétaire qui a été entrepris démontrent que l’État a pris

conscience qu’il fallait accélérer les choses. En 2020, le budget a été augmenté de 60 millions d’euros par rapport à ce qui était prévu. Pour 2021-2022, il y aura une enveloppe de 200 millions plus une partie de la garantie sur les jauges de l’ordre de 10 millions. Ce soutien est inédit. Je peux vous assurer que la filière des musiques actuelles, dont l’électronique fait partie, va bénéficier de cette manne financière. 20 millions ont été versés depuis le printemps au titre de sauvegarde de l’activité du secteur musical, toutes esthétiques confondues. Donc, le CNM affiche sa volonté de faire progresser la création musicale en France. La création, c’est essentiel à la vitalité d’une société selon vous ? Absolument. D’autant plus que les musiques actuelles présentent cette particularité d’être générées par une intention créative constante car ne reposant pas sur un répertoire comme c’est le cas pour les musiques traditionnelles. Le CNM va bientôt fusionner avec le Fond pour la création musicale, c’est dire l’importance que nous octroyons à cet aspect de la musique. Le digital, c’est une piste d’avenir ? Le digital et le spectacle vivant, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’il y a un an car le confinement a démontré que de nouveaux outils étaient prêts en terme de diffusion, de billetterie, etc., et que le public avait répondu en écoutant plus de musique à son domicile qu’avant. Donc le CNM se donne pour mission d’accompagner l’innovation, de veiller à ce que cela puisse s’appuyer sur de vrais modèles économiques, le streaming gratuit ça ne peut pas fonctionner. Enfin il ne faut pas oublier que le digital, même en temps qu’expérience augmentée, ne remplacera jamais la dimension du live et la présence physique d’un artiste sur scène. Le digital ne sauvera pas le spectacle vivant. Un message à ceux qui voudraient se lancer dans le milieu artistique et surtout musical ? Beaucoup à l’heure actuelle pensent à changer de job, je veux leur dire “tenez bon”. Certes, c’est facile à dire, mais je suis convaincu qu’avec le soutien des pouvoirs publics et la prise de conscience de l’État, cela est possible. L’année blanche pour ceux qui ont le statut d’intermittent est quand même un filet de sécurité qui a beaucoup aidé. La société a besoin d’eux ! i dcnm.fr LONGUEUR D’ONDES N°93 33


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Contenus, contenants, producteurs, artistes, tourneurs, il semble que la donne ne puisse changer dans les mois à venir si la situation reste délimitée par les membranes de la Covid-19. Reste l’espoir d’une solidarité entre tous ces acteurs, qui à défaut d’alliance pourraient bien disparaître les uns après les autres. Cette entraide, certains l’ont vue comme une lucarne sur le futur, tel que le relate le gérant du label Yotanka : « Nous n’avons jamais autant discuté, échangé (beaucoup sur des questions

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Rockin Bones - Photo : Sébastien Blanchais

Des affres qui ne sont pas non plus sans toue cher les labels dont le calendrier de sorties est aussi remis en cause de la sorte. Tom de Howlin Banana Records tire le constat suivant de cette trouble période : « C’est évidemment très frustrant de sortir un disque sans pouvoir tourner. Un album c’est énormément de travail, et passés les deux-trois mois de promo, il vit surtout via la scène. Donc en ce moment c’est compliqué de faire exister un disque correctement et c’est forcément décourageant. C’est pour ça que j’ai essayé de reporter un maximum de sorties. Il n’y a pas de solution magique à part attendre que ça s’arrange. Pas mal de groupes en profitent pour écrire, composer, enregistrer, tourner des clips, etc. C’est probablement ce qu’il y a de mieux à faire pour l’instant. Il est aussi certain que les disquaires ont été impactés par le confinement, à des échelles diverses selon leurs modèles économiques. Ils demeurent un maillon essentiel du secteur indé et pour moi ils ont aujourd’hui encore toute leur place dans cet écosystème, comme prescripteurs, lieux de vie, et points de vente privilégiés pour les labels et groupes ».

administratives), réfléchi avec nos partenaires, syndicats, sociétés civiles, médias. Ce confinement a permis aussi de se questionner sur notre filière. Certains penseront que ce n’est pas suffisant mais nous avons été aidés et il faut aussi saluer le travail des syndicats, des sociétés civiles qui ont défendu les intérêts de la filière et continuent à ce jour car le plus dur est peut-être devant nous. » Un futur d’autant plus précaire pour moult artisans qui font vivre et résonner la musique dans les oreilles des mélomanes comme des curieux, les disquaires eux ne sont pas pour autant fatalistes. Sébastien de Rockin Bones à Rennes relativise en constatant le retour d’activité depuis la fin

du confinement : « Ce n’est pas forcément les mêmes clients qu’avant, mais notre activité connaît un retour à la normale. En plus, le tourisme, plus fort cet été à Rennes, a un peu compensé les pertes. » Pour Thomas de Balades Sonores à Paris, il a fallu trouver pendant le confinement une manière de continuer l’activité : « On a créé un rendez-vous régulier sur les réseaux sociaux pour montrer les coups de cœur qu’on avait en stock. On est passé de 5 à 10 % de ventes via notre site Internet à 25 voire 30 % actuellement. Et finalement une conséquence positive de tout ça, c’est que le confinement nous a rapprochés de nos clients. Ils nous ont encouragés à continuer ».


Balades Sonores - Photo : Yann Le Ny

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Vers un avenir meilleur ? Alors que les tables rondes et réunions n’en finissent plus, que chacun tente d’apporter sa lumière (voir entrevue du directeur du CNM) pour sauver un radeau qui devient exigu face au nombre de ses passagers, certains protagonistes de ce milieu indé avancent des réflexions qui bon gré mal gré se doivent d’être entendues par certaines têtes pensantes. Rémi Bachelet, régisseur au centre de création et diffusion artistique, Mains d’Œuvres, avance quelques pistes à la résonance pragmatique certaine et incite à plus de systémique dans les politiques culturelles. « Le ministère de la Culture alloue encore trop de subventions à la musique classique, l’État ne décidera pas du jour au lendemain de plus aider d’autres courants. Le ministère ne devrait pas avoir pour vocation de mettre en valeur tel secteur mais faire une étude sur ce que consomment les gens culturellement, la manière dont ils se cultivent, etc. Il faut une étude rigoureuse à la manière de l’Insee sur ce sujet et ainsi mettre en valeur des outils qui permettront aux structures de mieux connaître les publics, d’avoir ainsi plus de ressources et d’attirer davantage de personnes. Les manières de consommer de la culture changent

rapidement, il faut engager des études sérieuses sur le sujet, la dernière ne date pas d’hier. Si Roselyne Bachelot est une personne ouverte comme le disait Jack Lang, elle doit réinterroger le rôle du ministère de la Culture, qui n’est pas un simple portefeuille. » Si cette optique semble être en partie entendue par les officiels, elle ne doit pas non plus faire basculer la logique d’aide dans un écueil qui serait celui de la sectorisation des genres musicaux. À la lumière des aides allouées dans le plan de relance, certains craignent de voir une sélection s’opérer. Pire, c’est sur le manque de reconnaissance des statuts que le bât blesse. Ainsi le présage Guillaume Heuguet, le boss du label de musiques expérimentales par excellence, In Paridisium : « L’épidémie a clarifié

quelque peu les rapports à l’emploi et au travail, les musiciens intermittents qui n’avaient le droit ni à l’intermittence ni au chômage ont été complètement lâchés par le gouvernement. La coordination des précaires et intermittents d’Île de France qui s’est réactivée récemment a mis en avant le sujet, mais les acteurs de la musique à ma connaissance ne s’en sont pas inquiétés. Il y a par ailleurs eu une tribune pour demander le soutien du gouvernement aux musiques électroniques, comme s’il y avait une exception culturelle au sein de l’exception culturelle, celle d’une scène musicale « vitrine touristique et festive »... Au fond, ça veut dire qu’en vertu de sa force symbolique, de son poids économique et de son rapport à l’économie du tourisme, les gens de la musique électronique mériteraient plus que d’autres une aide supplémentaire de l’État, et au demeurant ils la demandent sans expliciter la question des inégalités internes de cette scène. Ainsi Bob Sinclar et un jeune producteur qui commence à tourner se retrouvent côte à côte co-signataires, sans que l’on sache si l’un le fait pour soutenir l’autre ou s’ils veulent chacun leur part des aides potentielles. Je trouve ça assez dommage cette vision très sectorielle d’une possible précarité dans un moment historique qui révèle l’ampleur d’un problème présent depuis longtemps pour une partie beaucoup plus large de la population — c’est ce qu’ont montré les différents mouvements ces dernières années, loi Travail, Gilets Jaunes, retraites, et à mon sens on peut aussi y connecter les récentes manifestations anti-racistes ». De l’écoute et du bon sens devront donc conduire les décisions à prendre dans un futur de plus en plus incertain. 2021 sera-t-elle l’année de l’apocalypse pour le secteur musical indépendant ? Si tout permet de l’envisager, rien au contraire ne permet encore de l’affirmer. Gageons que tous les acteurs du secteur sauront contre mauvaise fortune faire bon cœur et chasser ce dragon mortifère descendu des cieux. i

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NIKO JONES chef d’œuvres   Samuel Degasne

Artiste, producteur, tourneur, programmateur de festivals… De par ses multiples casquettes, le leader des Tagada Jones et co-dirigeant de Rage Tour (organisateur des tournées d’Ultra Vomit, No One Is Innocent, Gérard Baste…) est sans doute l’un des mieux placés pour évoquer la situation du secteur musical indé : son parcours, entre engagement, sincérité et liberté, est un de ces exemples du « Do it yourself » (réussi) à la française... Ça tombe bien ! 25 ans après leur premier EP et après la clôture du Bal des Enragés (supergroupe composé des meilleurs du rock alternatif), son combo punk et rennais sort son dixième album studio en fin d’année. Des chiffres ronds pour un groupe qui a su ne jamais tourner le dos à ses convictions.

TAGADA JONES 1 800 concerts, 24 pays traversés, 5 disques live… Une crête de conduite dans la lignée de groupes à la The Exploited, Bad Religion, Suicidal Tendencies ou leurs amis les Bérurier Noir. Et une actualité.

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ifficile d’imaginer des chiffres de carrière aussi obscènes devant la douceur de l’hôte... Le crâne a beau être rasé et les tatouages s’échapper de la manche, ses yeux bleus et son sourire franc contrastent. Son phrasé, à rebours de ses interjections scéniques, aussi... Niko Jones n’est pas un homme en colère : il est de ceux qui choisissent leurs combats. Et prouve que même le cuir tanné n’a pas besoin de s’affranchir d’humilité.

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Des débuts, en 93 à Rennes, il est d’ailleurs le seul survivant de la première mouture du groupe... Lui, vient pourtant de Saint-Brieuc. La capitale bretonne n’était qu’une étape des études après le lycée. Près de 30 ans plus tard : Tagada Jones est une des rares réussites locales boudées par les Trans Musicales ; sa société de concerts affiche les meilleures productions du rock indé français ; son gang band Le Bal des Enragés est réclamé ; et son

festival annuel en Vendée (On n’a plus 20 ans), est chaque fois complet. Une réussite qui attise parfois les procès d’intention, fustigeant une ascension supposément contraire à l’esprit punk revendiqué. Habitué, la remarque amuse encore le leader des TG : « Je ne vois pas où est la contradiction… Il nous arrive, bien sûr, de faire des concessions, mais ce n’est pas parce que nous sommes dans le système que


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nous sommes LE système... On reste tout de même 100 % indépendants et, je le crois, assez intègres. » Ou comment, si le monde ne vous convient pas, le façonner à son image — et créer ainsi son propre écosystème en choisissant ses acteurs. C’est d’ailleurs sans doute ce qui rend le plus fier Niko Jones : « avoir commencé dans les squats et faire vivre aujourd’hui une centaine de familles ». Le débat de ce qui est punk (ou non) a toujours chahuté le mouvement, et ce, depuis ses premières années. Et qui mieux, donc, que l’une de ses têtes de gondole pour en réinterroger les principes ? « Que l’on dérange ne nous ne pose aucun problème ! », reprend Niko qui, beau joueur, rappelle que la critique est utile, mais qu’elle ne peut pas se « substituer à une majorité silencieuse ». Lui préfère parler de sincérité, d’éthique, de cohérence dans le discours et les actes. Et à ce titre, leurs textes (en français) critiquant mondialisation, capitalisme « sauvage » (la nuance a ici son importance), fanatisme ou intolérance, ne semblent effectivement — et jusqu’à présent — pas en contradiction avec leurs engagements. Ni le désir de vouloir porter ces thèmes.

Si les Tagada ne craignent effectivement pas d’être déprogrammés pour leurs discours (« justes et utiles »), ils notent cependant un sursaut croissant dans la réception et la reprise de certains de leurs messages : « Il y a un renouvellement du public manifeste... Et cette nouvelle génération s’intéresse de plus en plus aux groupes engagés, voire même à ceux qui chantent en français. » En cause, selon eux : un espace public « saturé par les divisions » ; une frustration liée à la « récupération politique des mouvements citoyens » (gilets jaunes, bonnets rouges, Nuit debout…) ; voire un « besoin d‘essentiel et d’assumer ses idées » accéléré par l’épidémie actuelle… « Nous en parlions déjà en 2008 dans notre titre “À force de courir” ! La situation (imposée) a permis de nous recentrer sur nous-mêmes,

de voir la vie autrement et, finalement, de s’interroger sur nos possibilités d’action et notre capacité à reprendre le contrôle... Si, pour l’instant, les conséquences se sont traduites par un appétit pour le fond (la vague verte des municipales, la musique engagée…), espérons que l’élan se poursuivra dans un sens tout aussi positif. » Mais l’actualité ne va pas seulement alimenter les prises de conscience (et les textes de ce dixième album)… En connaisseurs des cycles musicaux, les Tagada savent qu’un retour des protest songs montre la queue de sa comète tous les 25-30 ans (soit une génération). Nous y sommes. Et ce coup-ci, ils ne s’y sont pas que préparés : ils l’ont — aussi — déjà vécu. i dtagadajones.com

L’engagement  ? Une valeur devenue rare et désertée par une majorité de la sphère musicale actuelle. Au point que l’on associe presque la caractéristique aux seuls folk des 60’s ou rock alternatif des 90’s. Soit deux courants (et communautés) qui se souciaient moins du politiquement correct, érigeant leur geste en art de vivre plutôt qu’en unique divertissement...

Niko Jones - Photo : Gwenael Painvin LONGUEUR D’ONDES N°93 37


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TAGADA JONES, nouveau manifeste Tout pourrait ici sembler anachronique : publier un album physique à l’heure des plateformes numériques ; tout autant que perdurer dans un style (le punk-rock) désormais boudé par les médias. Et pourtant…

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ingardisé, oublié, relégué à une simple pulsion adolescente et nostalgique… Le rock est annoncé sous respirateur artificiel depuis une quinzaine d’années. Pour preuve : on l’a exilé des festivals généralistes pour gagner la périphérie spécialisée. Parqué. Mis à part. Bon pour les reportages où l’on filme les gens bourrés ou autres tapes sur les culs défroqués. Merci la crédibilité…

Est-ce parce que la dernière décennie fut une ère de déni ou de passivité ? Si certains y verront un écho à l’insouciance des années 80 (triomphalisme, néo-libéralisme, entertainment…), les Tagada Jones y trouvent, eux, une logique : « Le rock n’est pas censé être grand public… Et pour cause : c’est une contre-culture ! De la même manière que nous ne sommes pas un groupe à la mode et n’avons pas à l’être… Cependant, ces dernières années, les citoyens se sont sentis de plus en plus dépossédés

de leurs voix et absents des décisions qui les concernaient. Ça a entraîné une réelle méfiance envers un État, pourtant censé nous représenter... Il subsiste donc une colère dormante qui ne demande qu’à s’assumer. Or, quel style a toujours porté comme valeurs la révolte contre le conformisme, la morale dominante et la société de consommation ? » Le chanteur des Tagada Jones marque une pause... avant de reprendre : « Ne reste que cette question : est-ce qu’il faut en venir à la violence pour obtenir satisfaction ? La question est pour le moment sans réponse ». Nouveau silence convenu. Ces thèmes, ils ont nécessairement influencé l’humeur de ce nouvel album, dont le confinement aurait pu rendre complexe l’enregistrement prévu sur la période. À commencer par le clip “Nous avons la rage”, premier extrait de celui-ci et transformé malgré eux en exercice participatif.

Tagada Jones - Photo : Cedric Uriprod

« Est-ce qu’il faut en venir à la violence pour obtenir satisfaction ? »

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Un bienfait, finalement : « En demandant à chacun d’envoyer sa vidéo, la méthode nous a paru la plus cohérente dans un contexte post Gilets Jaunes... C’était l’occasion idéale pour illustrer la diversité de la rue. Sauf que, si on s’attendait à en recevoir entre 400 et 500, ce sont près de 3 500 vidéos qui ont été réceptionnées ! » Une consolation comme une autre à l’annulation du festival du groupe (la 6e édition d’On n’a plus 20 ans à Fontenay-le-Comte) et de la tournée mondiale qui devait suivre. Ce confinement est d’ailleurs évoqué sur l’album, mais pas aussi directement (préférant les métaphores sur la Corée du Nord et la prison). « Ce qui n’empêche pas le second degré… [comme lorsqu’en 2004, le groupe sort une compilation de ses pires titres] La première chanson que j’ai apprise à la guitare était une des Wampas ! », lâche-t-il dans un sourire. Les placements de voix et les textes ayant déjà été écrits en amont, c’est donc seul que Niko a enregistré sa partie guitare et le chant, depuis le studio installé chez lui. « Alors que nous assurions habituellement toutes les étapes de production, nous avons aussi — exceptionnellement — demandé de l’aide à l’ingé son de No One Is Innocent. Comme le sel, il a apporté des éléments qui font toute la différence

dans un plat. Résultat : le son fait “grosse prod”, tout en conservant l’énergie habituelle. » Sur la vingtaine de titres écrits, 14 ont été conservés. L’étape la plus longue fut la recherche de sons de guitare sur des amplis des années 70. De quoi réviser ses basiques (et sans distorsion). « C’est pour ça que l’on peut reprendre nos titres en acoustique : ce sont des chansons avant d’être des morceaux de rock »... Et si la période n’a pas permis de réaliser tous les featurings souhaités, on retrouve malgré tout Didier Super, les machines de VX ou encore Damny Baluteau (La Phaze, qui sort aussi un nouvel album et dont le duo avec les Tagada devait initialement se retrouver sur leur disque). Côté mix, le groupe a opté pour celui qui a réalisé ceux de Rise Against et NOFX, Bill Stevenson. Excusez du peu ! La voix, moins criée, est ainsi plus en avant (« On n’a jamais peaufiné autant de détails ! »). Quant au titre général, s’il fut autrefois envisagé Hors normes, voire De rires et de larmes (du nom du deuxième single, censé rappeler la dualité de la vie et un groupe partagé entre concerts festifs et textes

engagés), ce sera finalement À feu et à sang, dont la construction grammaticale rappelle le précédent La Peste et le Choléra en 2017. Mais au fait : pourquoi un album ? « À part “Je suis démocratie” qui fut un titre spontané, il est important de se mettre régulièrement dans un processus de création. Comme dans un couple, que chacun propose permet de ne pas perdre la flamme… Une alliance entre musiciens ne peut pas fonctionner si l’on est le Poulidor d’un autre membre. Et puis c’est hyper motivant de changer les lights, l’univers… Le rock n’a pas le droit de tomber dans la routine ! C’est de l’énergie. » Et quelle énergie, quand on pense que la dernière tournée comprenait 260 dates en moins de deux ans… « C’est l’avantage de l’expérience : en connaissant ses limites, on n’est plus à la recherche de soi ! » Ou comment faire du neuf avec des vieux. i

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AU BAL DES ENRAGÉS (Ohé ohé) Formé tous les trois ans depuis 2010, le supergroupe — entre All-Star Game et fête potache du lycée — réunit la crème du rock et punk indé français. De quoi offrir une dimension historique à un set pourtant basé… sur des reprises.

Tagada Jones, Parabellum, AqME, Black Bomb A, Lofofora, Loudblast, Punish Yourself, No One Is Innocent, La Phaze… Tous (ou certains de leurs membres, en tout cas) ont fait partie de la troupe. Réunion d’anciens combattants ? La photo de famille a pourtant de la gueule ! Et l’expérience plus que suffisante. Ou comment un coup d’un soir se transforme en joyeuse colonie de vacances du rock… Niko raconte : « En 2008, le festival Au Pont du Rock essuie une annulation, à la suite d’intempéries... Les organisateurs sont contraints de se séparer d’un salarié. L’année suivante, on nous propose donc une carte blanche… Le festival a certes une fondation alternative, mais est aussi orienté familles. On a proposé ce que nous avions essayé en 2007 pour notre 1 000e concert : 1h de Tagada Jones, suivi d’une heure de reprises sur l’histoire de ce

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festival. On a lancé des invitations à tous les potes (et pas forcément de Rage Tour !) et il se trouve que, cet été-là, tout le monde était disponible… » L’idée, pourtant bénigne, fait mouche ! Au-delà de prendre plaisir à jouer ensemble, le set (composé de standards des Ramones, The Stooges, The Clash, Rage Against The Machine, Sick Of It All…) fait office de madeleine de Proust pour les uns et de cours accéléré pour les autres. « Nous n’avions répété que la veille », se souvient hilare le chef de bande. « C’était un peu chaotique, mais il y a eu — je pense — une sincérité communicative. D’autant que le Bal des Enragés n’est pas un simple cover band : on change de musiciens à chaque morceau ! » L’histoire, sans réel calcul, prendra forme progressivement... « C’est surtout l’énergie qui a

fait que le truc a pris son envol. Ce devait être un one shot et c’est tout ! » Dès 2010, la troupe décide une tournée tous les 3 ans, avec près de 3 heures de répertoire en poche et « un nombre incroyable d’extinctions de voix ». Mais c’est surtout sur la longueur que la troupe a mesuré les bénéfices de cette réunion de familles : « Ça nous a beaucoup soudé et permis de passer du temps ensemble quand, parfois, on ne faisait que se croiser sur la route... Et puis, il n’y a pas de compétition entre nous ! On joue chacun avec nos atouts. C’est comme un ultra-trail avec différentes disciplines… Mais surtout, au-delà de réhabiliter tout un patrimoine rock, on s’est rapidement rendu compte que jouer les morceaux des autres nous donnait de nouvelles idées pour les compositions. » Qui a dit que l’union ne faisait pas la force ? i


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RAGE TOUR (de force) En 2019, c’était une centaine de groupes français, près de 300 formations étrangères et environ 500 intermittents que la société de booking (cogérée par Niko Jones) envoyait sur les routes. De quoi peser sur l’écosystème des concerts. nomades — c’est l’un des avantages de l’outil), la découverte est difficile... » Pourquoi ? « Parce que les algorithmes vous flattent en proposant des sensations de déjà-vu pour ne pas brusquer. Difficile, dans ces conditions, de changer violemment de braquet en s’ouvrant à de nouveaux horizons. Or, il faut laisser du temps aux groupes. Le temps d’apprendre, d’avoir une expérience (sur scène), de corriger… Mais aussi d’avoir le droit à des périodes créatives hétérogènes. »

« Mon métier, c’est les autres. » Ce travail à long terme, Niko l’a nécessairement expérimenté avec Séverine, avec qui il a monté Rage Tour en 93. « Au début, c’était seulement sous forme associative. Avec les Tagada, nous faisions déjà du 360° avant l’heure ! [contrat comprenant la production, l’édition, les concerts, merchandising…] Il nous a fallu beaucoup de temps pour créer un réseau. Une fois mis en place, qu’en faire ? On l’a proposé à d’autres groupes comme Black Bomb A, sur lesquels nous avons autant travaillé que les Tagada… » Il faudra cependant attendre 2000 pour adopter le nom définitif. Et 2 ans de plus pour recevoir un coup de fil du banquier, les exhortant — face aux montants des revenus — à prendre désormais la forme d’une entreprise. Une construction progressive qui a de quoi forger le caractère : « J’ai surtout souvenir de ne recevoir ni aides, ni conseils. Philosophiquement, l’entrepreunariat culturel en France reste tout de même

compliqué : il y a une méfiance naturelle des interlocuteurs... Alors, imagine quand ils découvraient que c’était du punk-rock ! Ça ne nous a pas découragés pour autant… En s’associant à des structures étrangères, on a pu coproduire des tournées communes et s’échanger des groupes. » L’entreprise est aujourd’hui toujours basée à Rennes, non loin des concurrents et amis de Radical Production [s’occupant des concerts français de feu Nirvana et The White Stripes, Placebo, L7…], monté en 89 à Angers. Soit leur miroir UK/US rock… « Nous ne sommes pas sur le même registre, mais nous le faisons avec la même passion ! Big René [le cofondateur] est un modèle pour nous ! Mais oui, le triangle Angers-Nantes-Rennes a toujours été une terre propice aux musiques saturées, consciente malgré tout (comme à nos débuts) de n’être qu’une niche… Rajoute par-dessus que nous ne sommes qu’à une heure de Paris... Pourquoi déménager ? » Si l’avenir est incertain, Niko Jones est pourtant sûr d’une chose : « J’arrêterai Tagada Jones quand je n’aurai plus la flamme. Pour autant, je ne veux pas que ce groupe — dans lequel je suis depuis presque 30 ans — soit mon métier ! Mon métier, c’est les autres. C’est d’être tourneur et producteur. C’est l’essentiel de mon temps et c’est un gain énorme intellectuellement. La confiance du public, ça se gagne selon moi uniquement avec l’énergie et la sincérité. » Et ça fait 30 ans que ça dure. i dragetour.com

Tagada Jones - Photo : Mathieu Ezan

Niko préfère prévenir d’entrée  : «  Aujourd’hui, tu ne te fais plus connaître par les tournées, mais sur Internet. C’est pour cette raison que nous ne sommes pas seulement des organisateurs de concerts : nous avons aussi un volet production… » L’actuelle sous-médiatisation du rock serait-elle en cause ? Il esquive, tout en admettant un retour en arrière : « Il n’existe quasiment plus de café-concerts et le réseau des squats a disparu... Aujourd’hui, nous avons donc plus que besoin des plateformes vidéos et d’écoute en ligne, des radios associatives et des médias indépendants. » Débat de vieux ? Il modère : « Ce n’est pas l’instrument qui est en cause, mais l’usage que nous en faisons… Internet, c’est parfois la liberté. C’est aussi la mondialisation… C’est un plus grand choix, mais également une concurrence plus accrue, un 100 mètres dans lequel le plus performant gagne... Dans cette optique, le single — pourtant déshabillé de son contexte — va parfois primer sur l’expérience ou l’énergie scénique. » Le confinement ayant effectivement accéléré la mainmise des Gafa (Google, Facebook, Amazon…) et des services déshumanisés (Deliveroo, Uber Eats…), difficile de contredire cette mise à distance physique et sociale de la société. Mais, comme à chaque ouverture d’un service public à la concurrence, ne dit-on pas que plus il y a de choix, plus il y a de qualité ? Niko sourit… « La question n’est pas là ! (bien que…) Internet a fait disparaître une majorité des labels indés ou les conseils personnalisés du disquaire. Aujourd’hui, si on peut se satisfaire d’une plus grande accessibilité de la musique (et ses supports de plus en plus

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chroNiques Des centaines de chroniques sur longueurdondes.com

BÄRLIN The Dust of our Dreams

CAMILLE BENATRE Après le soir

BRAZZIER Lignes Futures

CATHÉDRALE Houses are build the same

Lilian Prod Cinq ans séparent ce troisième album d’Emerald Sky, le dernier LP du trio paru en 2015, un temps relativement long qui peut aisément s’expliquer par la teneur de ces nouveaux titres. Lesquels prennent - justement - le temps de se construire, de se développer et de se mouvoir avec délicatesse et puissance pendant prés de quarante minutes, défilant comme les paysages d’un voyage incandescent. Si la clarinette s’affiche comme élément essentiel de ce disque (le 1er d’un diptyque à venir) et ensorcelle dès le début de “Pagan rituals” ou sur “The feast”, les basses assombrissent régulièrement les paysages dessinés (“Emerald sky”), tandis que la batterie joue régulièrement aux montagnes russes. Le chant, lui, reste singulier en tous points : grave, lyrique, passionné (“The Dust of our dreams”), toujours incarné, habillant avec volupté un rock vibrant et incantatoire, aux courbures froides, aux inspirations jazz, aux accents folk-rock et aux fulgurances post-rock, parfois proche de 16 Horsepower ou Nick Cave. Intéressant.

Hidden Bay Record / Idol Réalisé en totale autonomie, le troisième album du Toulousain (officiant avec sa sœur au sein du duo folk Alone With Everybody) s’inscrit dans une veine pop-folk qui lui va à ravir. Lorgnant vers des arrangements élégants dont Elliot Smith s’est fait le spécialiste en son temps, le musicien a doté ses nouvelles chansons d’attributs séduisants qui ne tardent pas à satisfaire nos désirs de beauté. Beaucoup de douceur dans ce disque qui explore pourtant des thématiques douloureuses (regrets, jalousie...) sans jamais plomber l’atmosphère. De “Laisse filer” à “Le message”, en passant par le très accrocheur “Vieux loup” et l’instrumental d’obédience orientale “Ticket pour Téhéran”, Camille Bénâtre démontre si besoin en était qu’il est un artisan très précieux de la chanson sur qui il faut désormais compter. Au passage, il rend un déférent hommage à William Sheller avec la reprise en mode americana du très beau “Les miroirs dans la boue”, titre qu’il s’approprie avec beaucoup de délicatesse.

Binaire Ordinaire Pur produit d’une scène rennaise qui n’en finit pas d’étonner, Max Balquier, que l’on avait déjà croisé dans Frigo (signé alors sur Première Bande, le label de Rodolphe Burger) et plus récemment avec You, Vicious !, prend la poudre d’escampette le temps d’un projet solo au nom incandescent. De ce feu intérieur qui l’anime jaillissent 8 titres oscillant entre nostalgie et espoir, portés par un beat electronica puissant à la Kompromat, contrastant avec la beauté noire de textes au réalisme saisissant où l’on parle d’amour essentiellement. On se surprend à marcher sur des braises en écoutant “Lune de sang” avant de s’abandonner dans un saut en apesanteur avec l’abyssal et énigmatique “Parachute”. Tout au long du disque, tiraillés entre science-fiction et monde bien réel, on reste en apesanteur comme pour échapper à ce brasier incandescent qui finira bien par nous consumer (« On s’est tant aimés, on a fini par brûler … / ... on est partis en fumée » — “Équation”). Obsédant et fascinant à la fois.

Howlin’ Banana Personne n’attendait les Toulousains à un tel niveau d’expressivité post-punk, malgré une discographie prometteuse déjà porteuse de deux albums attachants et énergiques. Ce nouvel opus se signale en premier lieu par son enchaînement de tubes en puissance, en digne rejeton de XTC, Wire, Devo et bien sûr des Clash de Joe Strummer. Ne cédant pas à la tentation du moment, de plonger dans les méandres élégiaques et sombres tendance “death rock”, le quatuor développe une musique fédératrice, haletante et surtout lumineuse, marquée par une envie et une motivation palpables. La rage inhérente au punk est bien sûr très présente, mais elle se manifeste dans une énergie extrêmement positive, à la fraîcheur détonante, appuyée par le tempo dansant de son tandem basse-batterie imparable. Quand le rythme redescend d’un cran comme sur le presque grunge “Right time”, le groupe, à travers ses deux chanteurs, Jules et Félix, joue sur le terrain mélancolique avec une justesse confondante.

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ÉMELINE MARCEAU

ALAIN BIRMANN

Xavier-Antoine MARTIN

LAURENT THORE

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chroNiques musique

CHAPELIER FOU Méridiens

CHASSEUR Crimson King

CLAUSTINTO On est là

CLAVICULE Garage is dead

Ici d’ailleurs… Le nombre important de concerts donnés par Louis Warynski aux quatre coins de la planète depuis ses débuts en dit déjà long sur le caractère peu sédentaire de sa musique. Cette fois, cette dernière nous invite à suivre plusieurs méridiens à la fois, avant un deuxième volet à venir, qui parcourra le(s) monde(s) au gré des Parallèles. À la manière d’un lent périple à l’ancienne, tels ces longs trajets en train qui laissent à l’esprit le temps de se perdre dans ses propres méandres, ce sixième album transporte l’auditeur de “Constantinople” au lac berlinois de Schlachtensee, en passant par “Le triangle des Bermudes”, lui faisant traverser des contrées multidimensionnelles où la géographie mentale se superpose à la réalité. La fusion miraculeuse qu’opère Chapelier Fou depuis plus de dix ans entre musiques classique et électronique génère ici d’innombrables autres fertiles rencontres : lieux fictifs ou existants se succèdent en un passionnant jeu de dédoublements qui sème le trouble dans nos repères.

Reptile Music Derrière ce projet on retrouve Gaël Desbois, musicien aguerri (Miossec, Dominic Sonic...) et par ailleurs moitié de Tchewsky et Wood. Premier long format en guise de voyage introspectif autour de cet érable rouge qui donne son nom à l’album et point de départ pour plonger dans les souvenirs (“Je me souviens de tout”), réfléchir sur la vie qui passe pour mieux profiter du moment présent avant qu’il ne file entre nos doigts (“Les ruisseaux”, “Comme il vient”). Ècrits en français à quatre mains avec Nathalie Burel, les textes révèlent une sensibilité rare portée par un chant souvent minimaliste, soutenu par des boucles électro pop qui donnent une couleur chatoyante à l’album, la même que celle des feuilles du colosse végétal, symbole d’une lutte contre le temps (« Je vivrai 1000 ans quand rien ne sera plus » — “Crimson King”) dont l’issue est connue, à moins que tout ne soit qu’un éternel recommencement... et ça seul l’arbre le sait. On appréciait le musicien, ce disque révèle un véritable poète.

Foudrage / L’autre distribution Le rap en France a atteint l’âge adulte. Comme le rock’n’roll l’a été avec les punks, il est chahuté de toutes parts par la jeune génération, de l’intérieur comme de l’extérieur. Les frontières stylistiques tombent, les tabous se brisent, notamment avec ce musicien français émergeant, intrépide et prolifique, qui pervertit avec audace les marqueurs habituels du rap, en le trempant dans le bain chaotique de la pop culture actuelle, mélangeant allègrement instinct punk, univers geek, poésie surréaliste, envolées gabber et symptômes autotune. Si l’ensemble sonne sur ce premier LP comme un imposant happening, à la limite de l’indigeste, à l’inverse une telle liberté fascine par son côté foisonnant et joueur, cette soif permanente de bouleverser la norme. Dans le détail, il permet à son créateur d’exprimer avec force son egotrip décalé, où la musique devient avant tout le média d’une affirmation de soi, profondément inscrite dans l’instant présent, à défaut de viser une réelle postérité.

Beast Records / Open Up & Bleed Records Il y a quelque chose de foncièrement viscéral et d’insolent chez ce groupe breton, ce que devrait d’ailleurs toujours être le rock’n’roll. Avec eux, cette bête blessée et vieillissante redevient cet animal agité, sauvage, prêt à bondir pour dévorer vos tripes, lécher votre sueur, et plus si affinités, le tout à grands renforts de riffs incisifs et rageurs, de chants hargneux et joueurs. Nommer un premier album Garage is dead pour un groupe de garage rock tiendrait justement de la surenchère et de la prétention. Pourtant, avec un aplomb déconcertant, les Rennais ravivent brillamment la flamme de la mythique compilation Nuggets, en lui insufflant par intraveineuse et de manière totalement décomplexée punk, blues et surf music. Loin d’être révolutionnaire et originale, leur musique captive avant tout par sa fraîcheur communicative et son absence de calcul, sentiment renforcé par la volonté décisive d’un enregistrement en condition live et par instants, par une délicieuse appétence psyché.

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JESSICA BOUCHER-RÉTIF

Xavier-Antoine MARTIN

LAURENT THORE

LAURENT THORE

COCAHNA Puput

COCOROSIE Put The Shine On

DEAD SEXY Dead sexy

DESPENTES / ZËRO Requiem des innocents de Louis Calaferte

Pagans Au cœur de l’Occitanie, le label Pagans bouleverse depuis quelques années avec beaucoup d’esprit les frontières habituelles entre musiques traditionnelles et actuelles. Logiquement, cet album vivifiant, centré autour de la voix comme instrument à part entière, ne pouvait que s’inscrire dans le bouillonnement créatif de son foisonnant catalogue. A travers son troisième disque, ce trio va encore plus loin dans sa quête, autant esthétique que patrimoniale, en réinterprétant en toute liberté le précieux répertoire occitan avec une technique vocale proche de la chanteuse Camille, et une vitalité digne de leurs aînées les Femmouzes T, le tout avec l’intensité mystique de Lisa Gerrard et la profondeur de Rosemary Standley. Loin du passéisme, ces chanteuses musiciennes déploient ainsi avec grande force d’intenses scansions polyphoniques sur de fines frappes acoustiques et percussives dans une œuvre profonde, chargée d’histoires et de légendes, et envoûtante au sens purement musical du terme.

Marathon Artists Construit sur les fondations instables laissées par une enfance décousue, le monde pop et folk lo-fi de CocoRosie ressemble toujours à un mécano bancal. Comme dans un corps tiraillé par des élans contraires, le chant lyrique de Sierra et les tirades hip-hop de Bianca s’entrechoquent, l’innocence des sons du quotidien — chant du coq, objets — se heurte à l’âpreté électronique. Ainsi, la confrontation entre voix sucrée et violence presque indus font de “Smash My head” un concentré de schizophrénie sonore. Pourtant, à travers l’apparente hétérogénéité de ce paysage musical et mental se dessinent des lignes fortes qui peu à peu l’érigent en une construction solide dans laquelle prédomine, peut-être plus encore qu’hier, une mélancolie prégnante. La disparition de leur mère (dont les mots ont été enregistrés onze jours avant sa mort sur le morceau “Ruby red”) vécue de façon intime et organique, par son décès à la maison puis une veillée à l’ancienne, a transformé les sœurs Casady et laissé une trace indéniable dans leur musique.

33 Degrees Ce groupe improbable rassemble Stéphane Hervé, ancien journaliste extrême aux tatouages exubérants et Emmanuel Hubaut, le chanteur de Tétines Noires (LTNO). Ce dernier prend le micro dès le premier titre “Selfie gluten free”, chanson en français au refrain entêtant. Ni vraiment électro, plus vraiment rock, la musique de Dead Sexy, avec ses voix torturées, emmène l’auditeur dans les endroits les plus interlopes de la planète. On voyage de New York à Tokyo, dans des ambiances vraiment surprenantes et on imagine sans peine le combo à son aise dans un bar du film Blade runner. En face B, la galette s’ouvre avec l’excellent “A new popular life”. Les guitares électriques, notamment celle de François Shanka Maigret, le musicien de No One Is Innocent, résonnent dans toutes leurs splendeurs, sur des textes cette fois en anglais et chantés par Stéphane Hervé. Inclassable dans sa diversité, ce vinyle, qui existe aussi en CD, est une réussite. Il ne demande désormais qu’une mise en images en live, voire en clip.

Ici d’Ailleurs / L’autre distribution Le Disquaire Day est l’occasion d’offrir une immortalité discographique à des œuvres qui seraient sinon restées dans des tiroirs... Cette année, la lecture donnée en public à partir de 2015 par Virginie Despentes, accompagnée musicalement par le groupe Zëro, du Requiem des innocents de Louis Calaferte, se voit enregistrée en studio et gravée sur vinyle en édition limitée (suivie d’une sortie numérique). La filiation entre les œuvres de Louis Calaferte et de Virginie Despentes transpire de l’interprétation de cette dernière tandis que le rock sinueux, ici discret, là impétueux, de Zëro épouse le rythme et l’intensité des mots. Plus qu’une simple lecture musicale, c’est une communion artistique en même temps qu’un hommage d’un écrivain à un autre. Le récit entre autobiographie et fiction que fait Louis Calaferte de son enfance chaotique résonne comme un écho à celle de Virginie Despentes et d’une époque à l’autre se répondent deux univers littéraires nés d’un même terreau fait de violence, de sexe et de rage de vivre.

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44 Longueur d’ondes N°93

LAURENT THORE

JESSICA BOUCHER-RÉTIF

PATRICK AUFFRET

JESSICA BOUCHER-RÉTIF


chroNiques musique

DEWAERE Slot logic

FACTEURS CHEVAUX Chante-Nuit

FAUX DÉPART Vie Ordinaire

JUNIORE Un deux trois

Phantom Records / Bigoûts Records Le groupe breton démarre fort avec ce premier disque noise-punk aux accents 90’s, savamment hors de contrôle. La guitare dissone, la basse explose, le tout servi par une postproduction d’une grande clarté, et au chant de l’Australien Maxwell Farrington, délicieusement maniéré, qui oscille entre hystérie et mélodies pour sculpter, nuancer ce roc sonore. Les morceaux atteignent rarement les 3 minutes et c’est parfait ainsi tant on en ressort essoufflé. Pas le temps de s’essuyer le nez entre deux claques, c’est direct, tendu, ça urge. Exception qui sublime la règle, « October » tranche avec ses 6 minutes passées et sa rage contenue, révélant un groupe capable de subvertir jusqu’à ses propres recettes. Et jusqu’au délicat « Everybody got to learn sometimes » des Korgis, lacéré au point qu’il prenne un autre relief, plus désespéré ou bien un brin moqueur, c’est selon. Un premier album défouloir donc, qui, sans être éclectique, n’hésite pas à sortir de son territoire pour promener son impertinence.

La Grange aux Belles — distribution Modulor Quatre années se sont écoulées depuis la sortie de La maison sous les eaux, premier opus du duo Fabien Gidollet - Sammy Decoster, période durant laquelle ils ont arpenté les chemins de traverse à la rencontre des habitants de cette France rurale séduits par leur folk pastorale. Temps employé également à créer de nouvelles chansons, dont ce nouvel album est l’écrin. Enregistré dans les conditions du live, dans un atelier en pierre d’une manufacture désaffectée, après une résidence inspirante au sein du Palais idéal de Joseph Ferdinand Cheval, ce nouvel effort guitares/voix est touchant de bout en bout. Les chants s’entremêlent idéalement sur des cordes soyeuses pour une acoustique de fort belle facture. Dame Nature y est ainsi sublimée, pour un voyage sensoriel et poétique hors temporalité qu’il serait indécent de bouder par ces temps troublés. Dans les mois à venir, nos ménestrels nous convient à des concerts intimistes en forêt. L’occasion de savourer leur répertoire dans des conditions idéales !

Echo Canyon Records Le rock est mort c’est vrai, mais en surface seulement. Car pour retrouver ce qui a fait l’essence de ce courant musical, s’aventurer dans les bas-fonds devient fondamental. Comme son nom l’indique, cette formation de Lyon s’inscrit dans la précipitation tel un sprinteur sorti trop tôt des starting-blocks et éliminé de fait d’une compétition aux règles intangibles. Le prix d’une liberté à payer, d’une défiance assumée à la différence de ceux qui sont restés en piste... Quelle joie donc de retrouver une équipe de losers chantant la merditude du monde dans une zone d’action considérée comme hors-jeu. En ces lieux s’active une énergie tonitruante, peut-être celle du désespoir, gargarisée de la sorte par des riffs électriques et acérés qui partent comme des balles dans les oreilles. D’une moyenne de deux minutes, les titres fusent et emmerdent bien profond le système, esprit punk obligeant. C’est là le seul bon service qu’ils rendront à la société...

Outré disque Mais pourquoi sommes-nous autant à regarder dans le rétro ? Parce que c’était mieux avant ? Parce que demain s’annonce sans plus de perspectives ? Bien des questions qui resteront insolubles mais qui interrogent le concept de création et la composante musicale actuelle... Dans le cas présent, direction les 60’s dans une Gaule où résonnait la libération des corps. Esprit yéyé es-tu là ? Il semblerait bien, tant les onze titres de ce disque brassent le passé dans une effervescence contagieuse qui a fait des émules, la preuve. Entre mélopée désenchantée et groove poussant le pas de danse instantanément, twist glissant sur le dance floor, c’est tout un background culturel qui est alors réactivé. Quelques bonbons sonores aux sucres lents, essentiellement énergétiques, « Grave », « Ah bah d’accord », des humeurs slow noirâtres dignes de Timber Timbre, « En Solitaire », et les confidences avouées à voix basse par Anna Jean auront raison de bien des cortex. Encore perplexe sur notre époque ? Remontez le temps, sans complexe...

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BENJAMIN PASCAL

ALAIN BIRMANN

JULIEN NAÏT-BOUDA

JULIEN NAÏT-BOUDA

KITCH Calame

LANE Pictures of a century

LAURENCE-ANNE Première apparition

LOMBRE La lumière du noir

Autoproduit C’est un album comme on en voit de moins en moins dans lequel on s’amuse et on prend le temps. Plus que seulement enchaîner des chansons bien construites, ces quatre Lyonnais créent tout un univers dans lequel se mélangent puissance rock et folie progressive. Avec ce troisième album, ils laissent une grande place aux expérimentations sur des titres courts comme des interludes (“Oiseau”, “Londres”) entre prises de sons dans les rues ou tout simplement morceau court. Elles participent à créer une ambiance et du calme entre les bourrasques de guitares. Parce que s’ils savent faire preuve de délicatesse, ils démontrent leur véritable puissance dès le premier titre : “Raggedman”. Le rock y est nerveux et agressif avec des moments d’inspiration blues-rock tout comme dans “Hell leafan”. Ils démontrent tout leur talent sur un rock progressif puissant qui ne se donne pas de limites. Seul bémol, un essai final au rap sur “Betty Boop” qui ne prend pas, sans doute parce qu’un peu trop éloigné du reste de l’album.

Vicious Circle Sans autre forme d’introduction ni circonvolutions grammaticales alambiquées, disons-le sans détour, cet album est une putain de belle réussite et il arrive à un moment où le besoin de bonnes galettes n’a jamais été aussi fort. Peu importe si celle-ci n’est pas de Pont-Aven mais d’Angers, elle fera largement l’affaire tant son goût est exquis. Avec ce deuxième album, Lane, ex-Les Thugs et Daria, envoie un rock non formaté qui touche directement aux tripes comme savaient faire ceux qui, avant eux, avaient ouvert la voie d’une scène alternative qui ne calculait rien : The Auteurs, Pixies, Suede, Placebo et les Dandy Warhols en tête. Il y a un peu de tout ça dans ce disque, mais surtout une énergie et un talent qui ne doivent rien à personne. Derrière les deux premiers titres sortis en single, “Voices” et “Pictures of a century”, les 11 autres morceaux sont de la même veine, autant dire très très bons, avec une mention particulière pour les sublimes “Last generation” et “Sing to the last”.

Duprince Il faut s’arrêter un instant sur ce nom d’album d’apparence anodine. Car c’est bien d’une apparition, au sens surnaturel du terme qu’il s’agit. L’apparition, quelque part entre les mondes de Klô Pelgag et de Fred Fortin, d’un écosystème fantomatique où se jouent drames et idylles amoureux, où flottent les bulles colorées du morceau « Virus » et les satellites en perdition de « Chaque nuit ». Enregistrées live, les neuf pièces sondent la frontière entre pop électronique et indie rock, avec un souci du détail appliqué au moindre son de caisse claire, au moindre bruit inopiné et bizarre. La Montréalaise joue avec notre sentiment de sécurité, brouillant ici une cadence harmonique, déformant là-bas une structure pour épaissir un mystère. Il faut alors quelques écoutes pour voir clair dans ce trou de lapin musical et en apprivoiser les habitants, mais cela en vaut la peine. Et tant pis si les textes semblent parfois opaques, portés qu’ils sont par une voix et des arrangements envoûtants.

Sony Music France Digne héritier de Fauve, c’est habité par le collectif à fleur de peau que le rappeur débute. Il lui emprunte ses textes introspectifs, sa mélancolie incisive et son flow accessible. Loin d’être un “copier-coller”, le musicien ajoute sa touche de rage et ses riffs urbains pour parfaire ses 6 titres embrumés. “Quand la ville dort” donne au terme urbain son sens propre. Le morceau parlé évoque la solitude sur fond de mélodies posées aux harmonies soignées. Le tourbillon de ses sentiments et son besoin de se démarquer en société s’intensifient à coup d’électro entêtant. “Espoir noir” est un cri du cœur qui évoque la bile noire avec bienveillance. “La colombe” aux refrains chantés pourrait être le rejeton de Bigflo & Oli et Sniper. En entrecoupant son dernier titre “La lumière noire” d’un discours enregistré, il dévoile son urgence à rejoindre la lumière à coup d’énumérations rythmées et puissantes. Avec sa capacité à parler à l’âme, sortir de l’obscurité ne tient qu’à une note.

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dlombre.fr d

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Yann LE NY

dfacebook.com/loveandnoiseexperiment d XAVIER-ANTOINE MARTIN

BENJAMIN PASCAL

Julia Escudero

LONGUEUR D’ONDES N°93 45


chroNiques musique

YVAN MARC L’Ancien Soleil

MOONLIGHT BENJAMIN Simido

P’TIT BELLIVEAU Greatest Hit vol 1

PEROKE Tropism animalism

Label Diff 43 Huitième album déjà pour le natif d’Écotay-l’Olme qui fêtera bientôt ses vingt ans de carrière. Si Yvan Marc a connu les projecteurs médiatiques, il a toujours préféré aux sunlights l’authenticité de sa Haute-Loire natale. La beauté de ce département, où plus qu’ailleurs on peut ressentir la solitude des grands espaces, transparaît à chaque instant dans ce superbe disque. Il y a une douceur dans cet album qui magnifie les bonheurs simples de la vie comme le fait d’arroser son jardin ou de longer une ferme, une inventivité permanente qui donne envie de prendre immédiatement les chemins de traverse. Yvan Marc chante sur les onze plages qui composent ce disque, l’amour, les migrants, la terre avec une élégance rare et un talent infini. Les arrangements sont d’une grande subtilité et les invités apportent un vrai plus à l’opus (à l’image de Cécile Hercule). Il est de bon ton aujourd’hui de dénoncer la technologie, les grandes villes, la pollution mais cela est rarement fait avec autant de sincérité et de talent qu’ici.

Ma case / Absilone La musique vibrante de cette musicienne emblématique de la Sono Mondiale véhicule une puissance percutante et imposante, puisant son énergie dans la culture de résistance et d’insoumission du peuple haïtien. A travers sa tessiture si remarquable et si unique, elle transporte très naturellement son intense magnétisme vocale empreint de jazz et de blues, parfois proche, d’ailleurs, de figures emblématiques du panafricanisme comme Rokia Traoré ou Tracy Chapman, sur le terrain électrique et lyrique des rockeuses troublantes et émancipées que sont Anna Calvi et PJ Harvey. A l’instar de Mélissa Laveaux, elle démontre avec conviction et créativité toute la modernité, la vivacité, la musicalité de la langue haïtienne, en sortant ainsi tout simplement un des disques de rock les plus intenses de l’année, à rendre jaloux les Black Keys et Jack White réunis. Plus largement, elle écrit un nouveau chapitre inspirant et généreux de la créolitude, propice à réveiller les consciences et les cœurs.

Bonsound Records Il y a des disques qui résonnent plus loin que la simple expérience sonore et qui s’affichent tels des artefacts culturels illustrant tout un espace mental en vigueur. De l’Acadie il est ainsi question dans ce premier volume tiré de l’expérience de vie d’un gars qui respire la bonhomie. Charpentier de formation, Jonah Guimont y décrit son sentiment relatif au sens de l’existence, appelant à lâcher prise face à une société qui a bien du mal à faire sens. Sorte de manifeste naturaliste où il préfère les animaux à l’humain, ce LP s’articule en dix pistes d’une richesse sonore folklorique et vivifiante, sorte de croisement entre Mac DeMarco et Les Louanges. Misant sur une country-folk aux senteurs blues, lo-fi et même psyché, cet esprit dissonant renverse bien des esthétiques, songwriting à l’appui de mélodies diablement accrocheuses. D’un métalangage au lexique unique, le phrasé déployé possède cette onde magique capable d’envoûter les esprits instantanément. Renversant !

Ovastand Musique de l’espoir et de la mélancolie, de l’ombre et de la lumière, la musique des Tourangeaux l’est assurément, mais elle est surtout, sur ce premier LP, hybride et cosmopolite. Si son tempérament est foncièrement électronique, elle est aussi par essence organique, marquée par les sonorités du funk, du jazz, de l’afrobeat, de Bollywood, du chaâbi, du krautrock, du disco. La maîtrise de la matière instrumentale est telle que les éléments fusionnent entre eux plutôt qu’ils ne s’additionnent, quelle que soit l’influence culturelle de chaque morceau. Comme un groupe aussi percutant et passionnant qu’Acid Arab, qu’un producteur aussi inventif que Debruit, le duo formé par Fred Guillon et Sylvain Rouselle active un espace dancefloor différent qui s’adresse aussi bien au corps qu’à l’esprit, dans une relation au groove bien plus proche de la sensation d’oubli et de transe de certaines musiques traditionnelles que de l’hystérie frénétique et collective de la techno et de la house.

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PIERRE-ARNAUD JONARD

LAURENT THORE

dbonsound.com/fr/artiste/ptit-belliveau d JULIEN NAÏT-BOUDA

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LAURENT THORE

PRINCESS THAILAND And We Shine

R.WAN La gouache

RASKOLNIKOV Lazy People Will Destroy You

ROPOPOROSE Dark star

A tant rêver du roi Le combo toulousain est assurément taillé pour la scène, où ses concerts bouillants et électriques provoquent sidération, jubilation, fascination. Toute sa difficulté est de pouvoir transposer cette énergie sur disque. Sur le précédent, c’est vers un psychédélisme bruitiste que le groupe s’était dirigé, pour un résultat prometteur. Aujourd’hui, le sextet affirme sans se renier un propos musical plus frontal, et atteint par moments un véritable état de grâce. Servis par des compositions redoutables, la chanteuse Aniela Bastide active avec autorité une mécanique post-punk absolument démente. Particulièrement inspirés, ses musiciens insufflent à l’envi lacérations shoegaze, pesanteur coldwave, digressions post-rock et soubresauts noise, avec une précision chirurgicale. Cette intention permet à leur musique intransigeante, foncièrement attirée par l’expérimentation et le hors-format, de se laisser au bon moment déborder par ses émotions, entre plages d’accalmie et déferlements tempétueux.

Poupaprod Un chevalet sous le bras et la sacoche de peinture sur l’épaule, R.wan réajuste sa casquette-béret (forme gavroche) et s’en va distiller sa peinture faite de mots, du moins a-t-on le droit de l’imaginer. D’abord parce que La gouache est un mélange de chanson, de rap et de musette, bref du folklore à la française auquel l’artiste nous a habitués depuis plus de vingt ans à travers ses différents projets (Java, Soviet Suprem, le tout parsemé d’albums solos sur la route). Cette authenticité du son est en réalité celle du chanteur lui-même, un coup de pinceau personnel qui donne aux treize titres de l’opus une qualité exceptionnelle. Aussi, parce que l’album est une claque de savoirfaire musical. Sa diversité, la rigueur apportée à chaque morceau, l’humour, le sérieux, la satire et l’espoir ne font qu’un tout au long de ces 45 minutes. De la verve, une attitude un poil déjantée, le cocktail fait mouche. Un must pour cette fin d’année.

Manic Dépression / Icy Cold Records Imprégnée des sons qui ont rythmé les années 1980, de la new wave à la cold wave, la musique habitée de ce trio, né en 2015, est le terrain d’une confrontation entre deux humeurs : une où domine l’énergie, où l’amertume se fait rage et les idéaux passions, et une autre où la désillusion prend le dessus, laissant les sentiments les plus négatifs, regret, peur et aliénation, plonger l’être dans une douleur ankylosante. On suit tous les tiraillements de l’âme humaine en passant des flamboyantes guitares gothiques de “Faut pas faire chier Albert Roche” aux frimas synthétiques de “Fall colours”, à la révolte postpunk de “Don’t wanna see the doctor today” et aux brumes shoegaze de “Stockholm 3”. Les considérations existentialistes et les inspirations philosophiques et littéraires (à commencer par le nom du groupe, emprunté au célèbre personnage de Dostoïevski dans Crime et châtiment) transmettent leur profondeur à un propos musical de bout en bout intense et captivant.

Figures Libres Records / Thoré Single Club Après avoir monté il y a quelques temps le très bon groupe Namdose avec les Belges de BRNS, Pauline et Romain Benard, la fratrie vendômoise qui compose Ropoporose, s’essaie aujourd’hui à un nouvel exercice sur Dark star. Composés entre juillet et octobre 2019, ces neuf titres forment un album instrumental de 25 minutes tiré de la création de leur ciné-concert sur le film éponyme de John Carpenter, paru en 1974. De quoi entrevoir une nouvelle facette de leur écriture, à travers des plages plus sombres que les chansons pop-noise auxquelles ils nous avaient habitués, et des titres contemplatifs ou fougueux qui s’étirent à la perfection en déployant leurs ambiances cold-wave, synthétiques (“Pinbacks diary”) et post-rock. Aussi à l’aise et inspirés dans l’ambient (“Fiat lux”) que dans la frénésie du free-jazz et du rock expérimental (“Talby fixes the laser”), le duo familial signe là une super bande-son au long-métrage du réalisateur américain, dressant par la même occasion un bel hommage sonore à la SF.

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draskolnikov-band.com d

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46 Longueur d’ondes N°93

GABRIEL VERHAEGHE

JESSICA BOUCHER-RÉTIF

ÉMELINE MARCEAU


chroNiques musique

SAMUEL ROZENBAUM La bande song

THE ETERNAL YOUTH Nothing Is Ever Over

THOM B Ballade imaginée

TOUKI Rights of passage

Autoproduction Voilà un touche-à-tout iconoclaste comme on les aime ! Ce voyageur dans l’âme est arrangeur-réalisateur musical (pour Vincent Baguian, Gauttier Duparc, Bastien Lucas et bien d’autres), régisseur, monteur vidéo, graphiste (affiches, dessins animés, pochettes de disques et clips...), photographe et il est en train de terminer un roman... Entre temps (sic), il a écrit des chants-songs ! Qu’il lie à des images qu’il réalise à travers ses voyages. Ce premier sept titres fait office de thérapie à son auteur, mais ses confessions sont tellement les nôtres qu’elles deviennent miroir de nos âmes solitaires. L’enfance refait surface, nos lâchetés aussi, on essaie de panser nos plaies, du moins les voir en face... Musicalement, on se balade dans des univers doux et world à la fois, ponctués de petites trouvailles originales bienvenues. Mais comme sortir un disque, juste comme ça, c’est pas son genre, Samuel propose une “expérience visuelle, musicale et participative” avec expo photo, concert perso dans les oreilles du visiteur et... interaction surprise !

Kicking Records — TFT Label — Opposite Prod-Omnivox Leur premier album, Me and you against the world, ancré qu’il était dans le punk 77 et le hardcore mélodique américain, avait été une bien belle réussite. On les attendait au tournant avec ce second opus... Celui-ci lorgne davantage vers la cold wave et le post-punk. À son écoute, on pense notamment aux mythiques Chameleons mais également aux Mancuniens des Buzzcocks et des Smiths. Les guitares sont bien évidemment toujours au rendezvous et l’énergie bien présente mais ce deuxième album apparaît comme plus mature et maîtrisé que son prédécesseur. Aux guitares cinglantes qui ont toujours fait leur force, les Caennais ajoutent aujourd’hui des harmonies vocales pop qui font mouche à tous les coups. On sent un groupe qui a passé un palier et se montre désormais sûr de son fait. D’autant que ce disque, extrêmement bien produit est d’une efficacité incontestable. En huit morceaux et trente minutes chrono, tout est dit. Une bien belle confirmation ; dans le style poppunk, un must.

Mare Nostrum Sorti sur l’excellent label ambient Mare Nostrum, gage de qualité s’il en est, ce disque du producteur electronica Thom B est une petite merveille. Ce musicien connu pour ses expérimentations modulaires à la croisée du drone et de l’ambient nous offre ici, n’ayons pas peur des mots, un petit chef-d’œuvre. À travers les huit plages qui composent l’album et sont autant de rêveries : “Quitter la civilisation”, “Variation”, “La route étrange”,“Pluie et vibrations”... Le musicien compose une symphonie magistrale d’une grande maîtrise et d’une rigueur exemplaire. On pense bien sûr parfois à Brian Eno qui a inventé le genre (notamment sur l’intro de “Quitter la civilisation” ou sur “Retour au réel”...) mais Thom B, s’il a certes quelques influences, crée ici une œuvre forte et personnelle. Il produit sur cet album une musique d’une grande intelligence, un peu “savante” mais qui prend l’auditeur par la main pour l’entraîner dans une promenade féerique ou le “télétransporter” dans l’au-delà.

Autoproduit Cory Seznec et Amadou Diagne se sont rencontrés dans un bar à Bath en Angleterre, en 2007. Une improvisation plus tard et la connexion est puissante. Pourtant, l’album aura pris du temps à se faire. Enregistré dans le studio de Peter Gabriel à Londres, les chansons du Franco-Américain et du Sénégalais naviguent entre l’héritage griot et la tradition folk blues américaine. Les instruments se mélangent : le banjo et la kora, le djembé et la guitare. Les 13 titres qui résultent de ce travail en commun étonnent par le nombre de sonorités évoquées. Tantôt celtique (“Rumba on the canal”), tantôt ouest-africain (“Yaye Bouye”), le disque ne se fige pas dans un simple hommage, mais cherche sa propre voie. Ils s’amusent même à aller vers la musique éthiopienne, Cory Seznec y ayant travaillé son jeu pendant trois années. Avec une production fournie et précise, leur album présente une musique traditionnelle plus que jamais moderne.

dlabandesong.fr d

dtheeternalyouth.com d

dfacebook.com/thomb.musique d PIERRE-ARNAUD JONARD

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SERGE BEYER

PIERRE-ARNAUD JONARD

Yann LE NY

EMMANUEL TUGNY Délie

UCS Haters Gonna HATE the New UCS

VERTIGE Populaire

ZOË Back into the light

Boom Records / Inouïe Distribution Musique et littérature se partagent la vie créatrice d’Emmanuel Tugny, au point qu’il les réunit dans plusieurs de ses œuvres. Ce fut notamment le cas dans Ralbum rouge, projet mené avec Olivier Mellano, puis dans son album EmilyandIwe où sa musique accueillait les poèmes d’Emily Dickinson et, depuis 2017, dans un triptyque où il met ses compositions au service de textes littéraires pour mieux les transmettre. Après un premier volet consacré au corps et puisant dans les poèmes de Tristan Corbière, Délie se tourne vers l’âme et l’œuvre éponyme de Maurice Scève. Introduits dans le champ du rock expérimental, les vers du poète de la Renaissance révèlent toute leur modernité. Scève délivre en effet un message essentiel en notre période hantée par la finitude : que l’art est justement le moyen de la dépasser. Mots et notes s’entrelacent, ricochent les uns contre les autres, se répondent en un dialogue inépuisable.

Offensive Records L’anticonformisme et la provocation ont toujours été chez O, tête pensante et principalement agissante d’Undercover Slut, bien plus que des postures : une véritable manière d’être. Assimilant ironiquement son art à fortes convictions à de la « propagande » et revendiquant son aura de souffre, marque de sa réussite, il crache depuis 1995 son venin plus sain qu’il n’y paraît sur toute fausse bien-pensance, sur la grégarité de chapelles et les agissements immoraux qui gangrènent une société plus viciée que lui. Après avoir frappé à distance rapprochée dans les années 2000, UCS a pris son temps pour livrer son troisième assaut, sans avoir rien perdu de sa hargne corrosive. Mieux : tout en conservant son socle stylistique fait de metal industriel et de shock rock teinté de glam, il parvient à en repousser les limites avec l’intégration d’éléments électroniques et hip-hop. S’il remet enfin le couvert, c’est pour mieux mettre les pieds dans le plat : excitant, dérangeant et radical, UCS se fiche pas mal d’être aimé mais revient avec un album qu’il est difficile de détester…

at(h)ome En vieux routiers du rock français, Jérôme Coudanne (Deportivo) et Robin Feix (Louise Attaque) ont décidé de repartir à zéro avec cette nouvelle formation en suivant un cahier des charges bien précis : aucune guitare, une orchestration articulée autour de la basse et de quelques claviers et boîtes à rythmes rudimentaires, et des titres courts (deux minutes voire moins) écrits de manière peu académique, parfois sans refrain, suivant le précepte de la pop radicale inventé par leurs soins, faisant résonner la langue de manière assez étonnante. Et, tout au long de treize plages, le groupe fait honneur à son patronyme en donnant bel et bien le vertige à ses auditeurs. De l’art de marier les contraires, le groupe pose à la fois un pied dans la cold wave et l’autre dans les musiques latines, créant ainsi un choc musical trahissant la volonté de sortir des chemins balisés. Car c’est, au final, bien de cela qu’il s’agit : proposer une expérience d’écoute inédite et obsédante.

LX / Brennus Music Après six longues années d’absence, le combo nordiste aux 14 années d’existence revient avec un quatrième album dont le titre en dit long sur leur envie de faire résonner leurs instruments urbi et orbi. Comme annoncé avec le premier titre proposé en single, “Voices”, le groupe reste fidèle à ses racines hard stoner rock, dans la lignée des groupes de Josh Homme, Kyuss et Queens of the Stone Age. Les guitares sont toujours aussi incisives et si la voix est devenue un peu plus grave avec le temps, cela ne fait que donner plus de relief à un son parfaitement apprivoisé par Olivier T’Servrancx, sorcier patenté du groupe. Alors que “Go like a bomb” et “Down in a hole” se rapprochent plus d’une scène des 70’s à la croisée des genres (MC5, Black Sabbath), “Band of brothers” est un hommage à Lemmy de Motörhead qui aurait trouvé en les Calaisiens les bons camarades de jeu qu’il cherchait dans “Ace of spades” : « If you like to gamble, I tell you I’m your man ». Un disque totalement réussi du début à la fin.

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JESSICA BOUCHER-RÉTIF

RÉGIS GAUDIN

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48 Longueur d’ondes N°93


chroNiques Biographie

Récit

Roman

livres

FLORENT MARCHET Le monde du vivant

LA PIÉTÀ La moyenne… à peine

DAVID DESVÉRITÉ CharlÉlie, poète rock

OverDoseYourLife, 330 pages, 20 €

Ed. L’Archipel, 400 pages, 24 €

On appréciait déjà les albums délicatement ciselés de l’auteur-compositeurinterprète. On le découvre ici en primo-romancier doué, livrant un texte raisonnant avec force avec l’actualité. En particulier en cet automne où, alors que la pandémie ébranle nos certitudes, nombre de citadins esseulés par le confinement songent à tout plaquer pour changer de vie. C’est ce qu’a fait Jérôme, ancien ingénieur qui a emmené sa femme et ses deux enfants à la campagne pour réaliser son rêve : posséder une ferme bio. Mais rien ne se passe aussi simplement qu’il ne l’imaginait. En particulier avec sa fille, Solène, 13 ans. La jeune fille aspire à vivre sa vie de lycéenne : les grands discours de son père devenu paysan l’exaspèrent. Lorsque Marion, l’épouse de Jérôme, se blesse, le couple fait appel à Théo, un “woofeur” (un aide agricole). Sa présence va bousculer le fragile équilibre de la ferme… En alternant les points de vue de la fille et du père, Florent Marchet livre un récit intime et engagé, dénonçant les folies d’un monde bien trop aveugle, encore, à ses propres dérives.

Sa vie, ses amours, ses ambitions, ses échecs, ses colères, Louise se livre sans retenue. Fan de Kurt Cobain, elle a tout tenté pour être comme ses idoles avant de tomber dans l’enfer des échecs et des trahisons. Soutenue dans son récit par une confidente épistolaire, Polly, la jeune fille trace sa route jusqu’à n’en plus pouvoir. Le point de rupture l’amènera jusqu’à la mer, pour se reconstruire et finalement recommencer. Une spirale infernale l’emporte en permanence, mais une forte colère intérieure lui permet de surmonter tous les obstacles. Un livre qui sent bon le vécu, jusque dans ses maladresses, et qui accompagne avec intérêt le premier album de La Piètà, un disque qui s’affirme écoute après écoute comme la meilleure sortie de l’année. Son alter ego littéraire, une plongée dans son intimité, permet d’en savoir plus. On souhaite à cette Piètà désormais apaisée le courage de continuer car sa quête n’est pas veine, loin s’en faut.

Documentaliste de métier, l’auteur a déjà signé des biographies dans les domaines de la musique ou du cinéma. Cet opus est le premier dédié à CharlElie Couture, artiste pluridisciplinaire et prolifique, tour à tour peintre, plasticien, musicien, chanteur, photographe, qui fut aussi également thésard diplômé des Beaux Arts de Nancy. C’est un plaisir de découvrir ce qui a marqué son existence rock et poétique. Sa carrière recense vingt-quatre albums (le dernier, Trésors cachés et perles rares, sort à l’automne, en même temps que cette biographie), dont plusieurs disques d’or. Il s’est installé avec sa famille un temps aux États-Unis pour ouvrir une galerie et se consacrer à l’art. Revenu en France au moment de l’élection de Donald Trump, il s’est confié à l’auteur sur son métier, ses ambitions, ses échecs, mais aussi son rôle de père et mari. De nombreux amis et proches témoignent également. On parcourt avec délice ces lignes dévoilant un artiste d’hyper créatif, inclassable et indémodable.

PATRICK AUFFRET

Vanessa Maury-Dubois

PATRICE LECONTE JÉRÔME TONNERRE AL COUTELIS

Deux passantes dans la nuit, tome 1 : Arlette

Roman

BD

Essai

Aena Léo

Bio-romancée

Ed. Stock, 288 pages, 19 € 50

YVES DELMAS ET CHARLES GANCEL Beatlestones, un duel, un vainqueur

WILLIAM MELVIN KELLEY Jazz à l’âme

OLIVIA RUIZ La commode aux tiroirs de couleurs

Ed. Grand Angle, 72 pages, 16 € 90

Ed. Le Mot et le Reste, 256 pages, 20 €

Ed. Delcourt, 224 pages, 20 € 50

JC Lattès, 208 pages, 19 € 50

On le connaît pour ses films cultes, tels que Ridicule, Les bronzés ou Voir la mer. Le cinéaste Patrice Leconte est aussi dessinateur : entre 1970 et 1975, il a publié ses croquis dans la revue de bande dessinée Pilote. À l’époque, il croise Al Coutelis, lui aussi auteur de BD. Près de cinquante ans après, les deux compères se sont retrouvés, avec le scénariste Jérôme Tonnerre, pour signer cet album au léché impeccable. Paris, hiver 1943. Libérée de prison, Arlette se retrouve seule dans la capitale occupée, vêtue de sa robe d’été, errant de cabarets en caboulots clandestins. Elle y rencontre une série de personnages hauts en couleurs : racoleurs, policiers au soupçon facile, commerçants à la petite semaine et surtout, la mystérieuse Anna… Si le poids de l’Occupation n’est jamais loin, le dessin classique et superbe est prétexte à une plongée dans le Paris interlope ; celui où, en dépit de la guerre, du couvre-feu et des restrictions, les musiciens continuent de jouer du jazz (musique honnie des nazis), enflamment les cœurs, hommage à la vie vibrant malgré tout.

Les Beatles et les Rolling Stones sont, avec d’autres groupes comme les Who, les Kinks et les Animals, les précurseurs de la vague rock britannique du début des années 1960. Les deux co-auteurs de cet ouvrage sont chefs d’entreprise. L’un passe beaucoup de temps dans les aéroports entre Paris et Madrid à écouter Bob Dylan ou du rock anglais des années 60 et 70. Le second est un musicien, collectionneur de guitares, auteur d’un roman et de nouvelles. Tous deux ont déjà co-écrit l’essai Protest song, la chanson contestataire dans l’Amérique des sixties (2012). Alors que les Beatles étaient vus comme sages et pop, les Rolling Stones étaient rebelles, turbulents et rock. Ce livre montre comment les deux groupes ont marqué leur génération par des controverses, rapprochements ou des oppositions souvent davantage médiatiques que réelles. On suit ce palpitant entre-deux qui a façonné la culture et la musique de la seconde moitié du XXème siècle jusqu’à nos jours, alors que les Stones, à l’incroyable longévité, se produisent encore.

Pour la rentrée littéraire, les éditions Delcourt ont eu la belle idée d’offrir une deuxième vie à ce roman de l’écrivain américain William Melvin Kelley (1937-2017), paru en 1965. Aveugle, noir, abandonné à la naissance, Ludlow Washington débarque dans le monde sous de mauvaises étoiles. Il grandit dans une institution où il subit des mauvais traitements mais où, par chance, il apprend la musique, pour laquelle il se révèle doué. Il parvient à se tirer de ce lieu infernal, mais devient la propriété de Bud Rodney, chef d’orchestre se produisant dans un café au sud des Etats-Unis. Ambitieux, talentueux, Ludlow se lasse vite. Il suit les pionniers du jazz à NewYork, invente une nouvelle façon de jouer et improviser, loin des standards du genre, jusqu’à devenir une étoile montante de l’avant-garde jazzy. Il refuse la condition à laquelle son handicap et sa couleur de peau l’astreignent, mais il est rattrapé, malgré tout, par les démons de son enfance brisée…

Olivia Ruiz vient de livrer un premier roman très réussi. Sur fond d’exil et de romantisme, elle s’invente par le prisme d’une vieille commode remplie de souvenirs et transmise de génération en génération, une histoire familiale aussi dramatique qu’attachante. On suit sans ennui la vie intrépide de Rita, son abuela, sa grand-mère fantasmée, dans des aventures extraordinaires. Elles vont lui faire passer la frontière jusqu’à Marseillette, terre d’asile de son clan. Dans ce roman, Olivia mêle fiction et réalité. On y retrouve le bar familial de sa chanson “J’traîne des pieds” et les références à sa véritable histoire sont nombreuses. Elle va aussi plus loin en mixant à sa biographie personnelle de nombreuses petites guerres intimes et féminines. Celles-ci se confrontent à la grande Histoire, avec, en fil rouge, la guerre d’Espagne, et la lutte sans merci ni pardon menée contre le général Franco et l’extrême-droite. Pas de doute, Olivia Ruiz fait une entrée fracassante dans le monde du livre.

Aena Léo

Vanessa Maury-Dubois

Aena Léo

PATRICK AUFFRET

LONGUEUR D’ONDES N°93 49


ca gavE

humeur et vitriol

par Jean Luc Eluard

Généralement, avant de commencer la rédaction de cette tonitruante rubrique, je fais une demi-heure de méditation transcendantale en pleine conscience de moi-même et de cette légère douleur à l’épaule droite qui m’étonne puisqu’habituellement, je me pignole plutôt de la main gauche. Puis je bois une demi-théière de thé au jasmin du Sichuan. Enfin, je respire profondément en récitant des mantras bouddhistes afin de me recentrer. Non... je déconne ! Je lis les commentaires des lecteurs dans la presse régionale pour bien m’énerver, trois verres de rouge pour tout mélanger, je vais pisser un coup et je me lance. Parce qu’en fait, toutes ces conneries sur le bien-être, la détox et le lâcher-prise, ça me fait autant d’effet qu’un collyre sur l’œil de verre de Jean-Marie. Jusqu’à une période récente, c’était une sorte de cale-page qui servait à finir de boucher les derniers espaces laissés libres par la publicité dans les magazines féminins les moins regardants. On parlait bienêtre après les vergetures et les possibilités laissées par la vie contemporaine de ressembler à une anorexique souffreteuse sur la plage. C’était chiant, mais comme je ne lis pas ce genre de magazine (je n’aime pas la plage), je n’étais pas au courant qu’il fallait se recentrer sur soi et ses désirs, penser à soi en premier

Moi d’abord, les autres s’il en reste

lieu pour être heureux et épanoui comme un lecteur d’Anna Gavalda. Alors, comme un con, je tenais encore la porte à la personne qui me suivait. Maintenant, comme ça m’emmerde d’attendre qu’elle ait suffisamment déplacé ses trois-quarts de quintal de chair putride et nauséeuse afin de la tenir à son tour, je ne tiens plus les portes : je ne risque plus d’attraper n’importe quelle maladie douteuse et exotique et celui qui me suit se la prend dans la gueule. Mais comme la méditation me permet de penser avant tout à mon nombril, puis à mon plexus solaire, avant de me recentrer sur ma respiration et mon trou du cul, je m’en fous royalement. Le bien-être est devenu une sorte d’excuse mysticoscientifique (il y a toujours des bouts de science dedans, c’est un peu comme un discours de Castaner, il y a toujours des bouts d’yeux ou de mains dedans) pour ne penser qu’à sa gueule et laisser crever les autres. L’égoïsme contemporain a ceci de délicieusement faux-cul qu’il ne s’expose jamais sous son vrai nom. Personne ne vous dira « Moi, je m’en tape complet des autres, il n’y a que ma gueule qui m’intéresse. » Non bien sûr. Ce sera plutôt : « J’ai pris conscience que j’étais entouré de pervers narcissiques [toujours placer un pervers narcissique, même si on ne sait pas ce que c’est]

[c’est un peu comme placer « transsubstantiation » quand on parle avec un curé, ça fait joli] alors j’ai décidé de me recentrer sur moi-même. Je tiens à me protéger. » Ce faisant, on se protège en pensant d’abord à soi, en faisant des choses pour soi, en ignorant royalement les autres puisqu’on vous le serine à longueur de pubs et de pages : « Vous êtes la personne la plus importante du monde. » Que ce soit la publicité, les bien-êtrologues ou les coachs en développement personnel, tout le monde vous le suggère ; mais forcément, comme tout le monde finit par le penser, soit il y a trop de personnes dans le monde soit chacun se crée son petit monde à soi, peuplé de trous du cul, c’est à dire de soi-même. Parallèlement, il faut savoir travailler en équipe. Sans oublier d’être bienveillant. Ce qui nous donne la formule suivante : des egos surdimensionnés tentent de s’accorder sur une manière d’avoir l’air de faire des choses ensemble sans oublier de tirer un maximum la couverture à soi en répandant des propos mielleux sur ses collègues visant essentiellement à les engluer. Bref, un monde d’ordures bienveillantes buvant du thé rooibos du Sichuan oriental pour se recentrer sur euxmêmes en pleurant sur les enfants manchots, orphelins et phtisiques qui cueillent le thé dans le Sichuan. Ces cons de gamins, ils savent même pas se recentrer sur eux-mêmes... Bien fait pour leur gueule.

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Numéro 93

Directeur - rédacteur en chef > Serge Beyer Publicité > Émilie Delaval – marketing@longueurdondes.com, Pierre Sokol – pierre@longueurdondes.com, Julia Escudero – julia@longueurdondes.com Couverture > Création Vanessa Ganzitti Maquette - illustrations > Longueur d’Ondes / Éphémère Webmasters > Gabriel Verhaeghe, Kévin Gomby, Marylène Eytier

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Ont participé à ce numéro > Patrick Auffret, Valérie Billard, Alain Birmann, Jessica Boucher-Rétif, Antoine Couder, France De Griessen, Samuel Degasne, Julia Escudero, Régis Gaudin, Marie-Anaïs Guerrier, Fanny Jacob, Pierre-Arnaud Jonard, Kamikal, Yann Le Ny, Xavier Lelièvre, Enguerrand Lavaud, Aena Léo, Vanessa Maury-Dubois, Émeline Marceau, Xavier-Antoine Martin, Clémence Mesnier, Julien Naït-Bouda, Benjamin Pascal, Amélie Pérardot, Jean Thooris, Laurent Thore, Gabriel Verhaeghe Photographes > Patrick Auffret, Sébastien Bance, Carolyn C., Christophe Crénel, Marylène Eytier, Guendalina Flamini, David Poulain, Florence Sortelle Impression > MCCgraphics | Dépôt légal > octobre 2020 | www.jaimelepapier.fr

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