nelly

Page 1

Récit illustré de prévention contre l’inceste

Nelly



Papa était tendre avec moi, il était gentil, il était toujours là, toujours présent pour moi. […] [ Il ] était impressionnant, mais pas effrayant. Au contraire, il était rassurant pour la petite fille que j’étais. […] J’étais extrêmement fière de lui.

Je voyais la vie – notre vie – uniquement avec ses yeux à lui. J’aimais mon père. Ça, j’en étais sûre. Je l’aimais comme une petite fille aime son père, avec un petit plus, mais pas comme une personne pourrait aimer une autre personne.

Pour mon père, j’étais différente. J’étais unique … une merveille qu’il a aimée dès le premier jour, qu’il a aimée plus que tout le reste, plus que tous les autres.

Papa me disait toujours que, tous les deux, nous serions bien plus heureux, parce que personne ne nous aimait, et surtout pas maman qui lui faisait tant de mal. Alors, j’ai fini par y croire.

Je me sentais valorisée. J’étais la préférée. J’étais très proche de mon père, et c’est tout ce qui comptait. On n’a jamais trop d’amour. Cet amour, seul mon père était capable de me le donner à ce point. Alors je l’adorais. Il était tout pour moi. C’était mon Dieu.


Papa m’a dit en riant que j’étais devenue « une petite femme ». Moi aussi j’ai ri, mais je n’y ai pas vraiment cru. J’étais et je voulais rester une enfant, toute ma vie, car c’était le bonheur. Il disait que je ressemblais à maman et que je deviendrais une belle jeune fille plus tard. J’étais une vraie petite femme … La formule rentrait dans ma tête, même si je ne savais pas trop ce que cela signifiait dans l’esprit de papa. Mais c’est vrai, je crois qu’au bout d’un certain temps j’ai fini par me prendre vraiment pour la maman.

Quand papa n’allait pas bien, quand il était malade, eh bien, c’est moi qui m’occupais de lui. […] J’étais la petite infirmière de mon père. C’était un peu un jeu. Il me disait que nous étions comme « un papa et une maman », que je « remplaçais maman ».



[ Maman a eu un accident. Elle est partie ]. Il fallait que je prenne les choses en main, que je tienne le coup. Étrange situation. La petite fille de douze ans qui n’aimait plus sa mère devait la remplacer, comme ça, brutalement et complètement. […] Placée au pied du mur, je décidai d’être une vraie maman. […] Pour moi, remplacer maman voulait dire beaucoup de travail et de tendresse à distribuer à tous. Je ne savais pas que – dans le langage des grands – « être une maman » signifiait autre chose … en plus. […] Une chose qu’une petite fille ne peut pas savoir, ne peut pas comprendre. Une chose que papa allait me demander … en plus.

Je crois qu’il y pensait depuis longtemps, puisqu’il me disait : « Un jour, toi et moi, on se mariera. » Il me disait que c’était possible, que ça se faisait dans d’autres pays.



Au début, je n’ai rien compris. Ça ne me paraissait pas grave, mais plutôt gentil. Mon père m’embrassait souvent. C’était des « smacks », juste un léger bisou comme ça, sur la bouche. Je ne disais rien. Je ne cherchais pas à comprendre. […] Pour moi, ce n’était pas dramatique. Mais bientôt, il m’a embrassée bizarrement. Ce n’était plus un bisou simplement sur la bouche, c’était presque embrasser comme on embrasserait un garçon. […] Il me mettait la main aux fesses quand je passais devant lui, quand j’étais à la cuisine ou que je faisais le ménage.



Au début, j’ai cru que c’était impossible, une histoire d’amour entre un père et une fille, puisque c’était juste des bisous. Mais lui a continué, il ne s’est pas arrêté. Ça devenait plus pressant, moins pur. J’ai commencé à me sentir coincée. J’ai pressenti que cela finirait mal. Mais que faire ?

Dans ma tête, je n’étais plus petite. Et, dans la sienne, je n’étais plus sa fille. Sur le coup je ne l’ai pas compris, car ce n’était pas possible d’imaginer une chose pareille : un père qui remplace sa femme par sa fille, qui les confond toutes les deux ! Un père normal, mais qui pourtant mélange tout.

Faire plaisir à mon père, c’était quelque chose d’important.

Je ne savais plus où j’en étais ni qui j’étais. Une enfant ou une adulte ?


[ Mon père ] a mis ma mère dans ma peau à moi. […] J’étais vraiment sa petite femme, et peut-être même sa femme tout court, puisqu’il continuait à me parler de mariage. […] Moi je n’en avais pas tellement envie. […] J’avais un papa que j’aimais, je n’avais pas besoin de mari !


Mon père m’a … embrassée, mais pas comme avant. Embrassée vraiment, comme un garçon embrasse une petite amie, pas comme un papa embrasse sa fille. Il n’y avait plus d’ambiguïté. […] Moi, je devinais vaguement que l’attitude de mon père n’étais pas normale, mais sans en être certaine. […] Je n’avais personne à qui me confier … Alors faute de mieux, j’ai culpabilisé. Je me suis dit que j’en avais peut-être trop fait. Je ne savais plus. Je m’étais tellement mise dans mon rôle de petite femme. J’avais laissé passer le fait qu’il m’embrasse sur la bouche ou qu’il me tape sur les fesses. Je n’avais pas remis les choses en place, moi, Nelly, douze ans.

Pour moi, il n’y a pas eu d’adolescence, pas de transition. J’étais Nelly - petite fille, et un matin, je me suis réveillée Nelly - femme. Tout est allé trop vite.



Je comprenais d’autant moins ce qui m’arrivait que j’avais toujours de l’admiration pour mon père, j’éprouvais beaucoup d’amour pour lui. Mais comment lui dire que ce n’était pas de l’amour comme pour un garçon de mon âge ? J’étais innocente. […] Mon père m’a tendu un piège. Et moi, parce que c’était mon père, je n’ai rien vu.




J’étais sa fille, toute petite, toute menue, et je l’aimais comme un père. Je n’avais personne d’autre. Personne pour m’écouter, pour me croire, pour me défendre ou plus simplement pour deviner.

J’avais peur de le perdre si je le dénonçais. […] J’avais peur qu’en disant non, mon père soit complètement différent envers moi, comme il l’était envers mon frère et ma sœur. […] Je ne voulais surtout pas perdre son amour. Si j’avais perdu l’amour de mon père, j’aurais dégringolé. Ça a été ma grosse erreur … J’aurais dû dire « stop ! », je ne l’ai pas fait.


Je ne disais rien, de peur de briser la famille tout entière. […] Je n’avais pas le droit de tout casser. […] Aussi je n’ai rien dit. J’avais raconté cela à un copain, qui a rigolé. Il ne m’a pas crue. […] Alors, je n’ai plus jamais rien dit à personne. Au début, je ne pensais pas que cela irait aussi loin avec mon père. Je pensais que […] je m’en sortirais. J’étais folle de croire cela ! J’étais trop innocente ! J’étais neuve … […] Avec les copains de mon âge, c’était pur. Avec mon père, il n’y avait pas cette innocence.



Quand on regardait la télé, que tout le monde dormait, mon père me touchait. Moi, je ne disais rien. Au fur et à mesure des jours, c’est devenu plus intime, plus indiscret. […] Il a fini par mettre la main dans mon slip, et me caresser. Il a voulu me forcer avec ses doigts. Ça m’a choquée, ça m’a fait mal. C’était horrible. Ça m’a vraiment fait tilter … J’avais envie de pleurer, envie de crier, d’appeler. Mais j’avais peur. Alors, lui, il a continué. Et je suis restée muette. C’est humiliant. Dans ces moments-là, je me sentais plus objet que petite fille. Je n’avais pas mon mot à dire.



La première fois […] j’étais dans ma chambre, et mon père est venu me voir. […] Il a commencé à m’embrasser, à me prendre dans ses bras. Il m’a mise sur le lit, sur mon petit lit d’enfant […] Et puis il a commencé à se mettre sur moi … […] Je ne disais rien … et j’ai laissé faire les choses, je ne savais pas ce qu’il allait faire, ni rien. Il a commencé à me déshabiller, puis à me caresser, à m’embrasser partout … […] Je n’ai rien dit. J’avais les larmes aux yeux. Ca me faisait mal, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait … Il me touchait, se touchait […] Je me taisais … Je ne pouvais rien dire, je ne pouvais pas bouger. […] Il est entré en moi, dans la petite fille, dans le petit corps … […]

Mal, j’avais trop mal. […] Il n’y avait pas de coups, mais de la brutalité quand même.



Je pleurais, je pleurais. C’était ma seule défense : pleurer. Parler, je n’en étais pas capable. Je n’avais plus de voix, plus de mots. Lui, il continuait, il s’enfonçait … Je n’existais plus … Il ne s’est pas arrêté. Et moi, je n’avais droit qu’au silence. […] Une fois que ça a été fini, il est parti … sans rien dire, sans me regarder. Disparu, me laissant seule, avec du sang entre les jambes. […] Je ne comprenais toujours pas. Ou plutôt je refusais de comprendre, tellement c’était moche, impensable, tellement papa avait détruit de rêves, de beauté et d’innocence.




Mon père ne m’avait pas battue, il n’avait pas eu besoin de me battre. Alors était-ce un viol ? Ce n’était pas de mon âge. Je ne voulais pas. […] Je ne connaissais rien à ces choses-là. Je n’ai rien dit. Je n’ai pas pu. Rester sans voix, ça existe vraiment. C’était comme si j’avais été, moi, la coupable. […] Je n’ai pu le dire à personne.

Violée par mon père. Ma virginité envolée. Ma blessure entre les cuisses. Une douleur terrible qui ne me lâchait pas. La saleté, la honte. Je n’étais plus une petite fille. À tout jamais j’étais souillée. Il y avait tant à dire, tant à crier. Tellement de questions à poser. […] Mais je n’ai rien dit.


Mon père avait tout foutu en l’air, tout cassé, brisé sa petite fille, sa petite princesse … Je n’avais pas mérité cela. Pourtant je n’ai rien dit. C’était un crime, mais tellement tordu qu’il avait réussi à faire de moi sa complice. Il faudrait que je vive avec ça.

J’étais son jouet, son otage.




Il m’a tout pris … Tout. Je n’ai rien pu faire, rien pu dire. Je ne pouvais pas le dénoncer, et il pouvait revenir à tout moment. Il avait le droit. Il était le plus fort et, surtout, c’était mon père. Il avait tous les droits. Ça s’est passé comme ça, avec, en plus, le sentiment d’être coupable. Dès que j’étais seule, j’éclatais en sanglots et j’avais envie de mourir. En permanence j’avais une boule au ventre. Je gardais tout pour moi et ça me faisait encore plus mal.

J’avais changé. […] De petite fille gaie, équilibrée et heureuse, j’étais devenue triste, renfermée et désorientée. Ma mère […] n’a rien vu, rien soupçonné.





Édition réalisée à l’école des beaux-arts de Toulouse en 2009. Textes extraits de : « J’étais sa petite princesse … », de Nelly, éditions Pocket 1996. Illustrations et choix des extraits : Olivia Campaignolle.



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.