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FLORILEGE 145 Décembre 2011

Illustrations photographiques d‟Emilie DORBANNE (www.laphotdemy.fr/)

Revue trimestrielle de création littéraire et artistique réalisée avec le soutien de la caisse de retraite AG2R-ISICA

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EDITORIAL

FLORILEGE est éditée par l‟Association Les Poètes de l‟Amitié. ABONNEMENT (1 an- 4 n°) : FRANCE : 28 Euros AUTRES PAYS : 40 Euros ASSOCIATION LES POETES DE L'AMITIE Président d‟honneur : Maurice CAREME † Jean FERRAT † Comité d‟honneur : Lucien GRIVEL † M.-L. BETTOSINI † Cécile POIGNANT † Paulette-Jean SERRY † Conseil d‟Administration : Président : Stephen BLANCHARD Membres : Christian AMSTATT Yolaine BLANCHARD Agnès FRANÇOIS Annick GEORGETTE K.J.DJII Marie-Claude LEFEVRE Jean-Michel LEVENARD Marie-Pierre VERJAT-DROIT Cotisation à L‟Association : Actifs 21 Euros Bienfaiteurs : 210 Euros

D. L.4° TRIMESTRE 2011 IMPRIMERIE ABRAX 21800 QUETIGNY

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Nous sommes très heureux de vous présenter les travaux d‟une j eune photographe dij onnaise, Emil ie DORBANNE, et nous vous invitons à vous rendre sur son site www.laphotdemy.fr/ où vous découvrirez l‟ensemble des domai nes que couvre son activité : photographies d‟art, événementielles, portraits, reportages industriels… Pour ce qui concerne le Prix de la nouvelle sur le thème « ouvert -fer mé », c‟est également un auteur « local », Emmanuelle BUGEAU qui s‟illustre en remportant le concours avec « Le dernier jour d‟Emile Z. ». Le thème actuellement en chantier « benêt blanc et blanc benêt » court j usqu‟au 31 décembre. Enfin, nous vous convions à un concours de mots croisés en écho aux « 10 mots de la langue française », ani mation annuelle or ganisée dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la Francophonie (du 14 au 25 mars 2012) . Voir page 39. Merci à ceux dont l‟abonnement vient à terme (voir l‟étiquette adresse de cet envoi) de nous r enouveler leur confiance et à tous, Bonne lecture et j oyeuse s fêtes.

Pour l 'Equipe de FLORILEGE Jean -Michel Lévenard.

Directeur de la publication : Stephen Blanchard Comité de lecture-Rédaction : Annie Raynal, Marie-Pierre Verjat-Droit, Jean Chevalot, Jean-Michel Lévenard, K.J.DJII, Marie-Claude Lefèvre. Pour toute correspondance concernant la Revue : J-M. LEVENARD - 25 rue Rimbaud - 21000 DIJON ou : e-mail : jean-michel.levenard@laposte.net Les manuscrits, insérés ou non, ne seront pas rendus Concernant l’Association : S. BLANCHARD – 19 allée du Mâconnais – 21000 DIJON - Joindre une enveloppe timbrée à tout courrier nécessitant réponse Exonérée de TVA - Prix : 8 Euros C.P.P.A.P. : 0611 G 88402 - I.S.S.N. : 01840444


N° 145 – Décembre 2011

SOMMAIRE

CREATIONS P. 3 Emmanuelle BUGEAU : Le dernier jour d‟Emile Z, prix de la nouvelle P. 7 Jules MASSON-MOUREY : 4 poèmes P. 8 Erich Von NEFF : 2 poèmes extraits de son recueil, L‟Œil du corbeau P. 9 Geneviève CONVERT : 2 poèmes P. 10 Yvan AVENA 2 courtes proses extraites de « Les bombardements humanitaires » P. 11 Dominique BAUER : 2 poèmes P. 11 Aicha LEMDJADI : 3 poèmes P. 12 Sabine AUSSENAC : 2 poèmes, extraits de Le vent se lève, il va falloir tenter de vivre P. 14 Claude GROSJEAN : 2 poèmes et 2 dessins P. 16 Yann LE PUITS : Le chef d‟œuvre, nouvelle P. 17 Sophie FAUVEL : 2 poèmes P. 18 Martine BARIOD-REYCHARD : 3 poèmes CHRONIQUES P. 19 La Chronique huronnique de Louis LEFEBVRE P. 21 A ses enfants hors-la-loi, la littérature reconnaissante, par Jean CLAVAL : Donatien Alphonse François de Sade (1740 - 1814), écrivain français P. 23 NOTES DE LECTURE par Marie-Pierre VERJAT-DROIT, Claude LUEZIOR, Louis DELORME, Christian AMSTATT, Stephen BLANCHARD P. 30 Poésie et œuvre d‟art, par Michel LAGRANGE P. 32 DO BRASIL, par Yvan AVENA : En prose et en vers P. 34 Céline : le roman scié, par Jean-Michel LEVENARD P. 38 D‟un Louis à l‟autre, par Stephen BLANCHARD P. 40 Les dix mots de la langue française : un concours de mots croisés P. 41 Un poème du poète chevalier: „Antara Bnu Chaddâd, par Djaouida ABBAS P. 45 Revues en revue, par K.J.Djii P. 46 Les lectures de Florent LHUISSIER P. 47 La page des adhérents / l‟Agenda des Poètes de l‟Amitié P. 48 La nouvelle affaire Céline : un truc tordu, par Guy THOMAS

Prix du concours de la nouvelle sur le thème « ouvert-fermé » :

Le dernier jour d’Emile Z. d’Emmanuelle BUGEAU

Cela avait commencé tôt le matin avec la poudre dentifrice. Alexandrine soupira. « Il faut qu‟un tube dentifrice soit ouvert ou fermé » songea-t-elle. Elle rendit son sourire au chanteur lyrique à l‟émail diamant. Ajusté dans son costume de Barbier de Séville André Arbeau avait fière allure ! Son dernier récital à Paris connaissait un succès inattendu depuis que le bellâtre vantait son haleine fraîche sur les tubes hygiéniques de son père. Alexandrine et son mari s‟y étaient pressés, à l‟instar du Tout-Paris, et

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avaient passé au printemps dernier une agréable soirée à l‟opéra Garnier. Une douce odeur mentholée flottait dans le cabinet de toilette. Alexandrine quitta à regret sa rêverie, reboucha le tube métallique dont le liquide blanchâtre et pâteux avait déjà durci sur le bord et sorti de la pièce. Elle avait beaucoup à faire. Il fallait se préparer, remettre la maison en ordre et organiser le départ pour Paris où de multiples affaires attendaient son mari. Aidée de Mathilde dont le dévouement ne faiblissait pas année après année, elle s‟affaira. La journée promettait d‟être belle encore même si l‟air fraichissait déjà. L‟été, très chaud, venait de céder sa place à l‟automne et cette fin septembre annonçait déjà les longues soirées d‟hiver au coin du feu. Mais le bonheur était là. Emile le savait. Comme à chaque fois qu‟il séjournait à Médan, il s‟était levé à sept heures et après une collation rapide et une toilette vite expédiée, il était parti se promener sur les bords de la Seine avec son fidèle Pimpin, un loulou de Poméranie. Qu‟un des plus grands écrivains du siècle ait affublé son chien d‟un nom aussi parfaitement ridicule était un mystère pour son entourage ! Ce détail, consternant pour les uns, était surtout révélateur, pour les autres, de la personnalité ouverte, passionnée et surprenante du personnage, toujours à l‟avant-garde des idées et des combats. Et cette maison de Médan ! Quelle allure, franchement ! Cette « cabane à lapins » comme Emile l‟avait décrite à Flaubert, avait été flanquée de deux tours aussi étonnantes qu‟inesthétiques. Lui défendait son choix en affirmant que seule comptait l‟âme de la maison, et quelle âme ! C‟était une maison d‟écrivain. Il y avait conçu ses plus grands romans et créé les fameuses soirées de Médan avec ses amis naturalistes, Alexis, Céard, Hennique, Maupassant et Huysmans. Huysmans… Emile y repensait toujours avec douleur et tendresse. En prenant la défense de l‟Assommoir dans un article tonitruant, CarlJoris était devenu un ami cher. C‟était avant sa rupture avec le Naturalisme, avant qu‟il ne quitte le groupe, avant l‟adoption de cette esthétique fin-de-siècle décadente, avant sa conversion au catholicisme, avant son cancer de la mâchoire qui le faisait atrocement souffrir disait-on. Emile était sincèrement affecté par la douleur qui terrassait son ancien protégé mais il ne cherchait pas à le joindre. La pudeur masculine a des vertus qui n‟en sont pas. Trop de temps avait passé.

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Huysmans creusait d‟autant plus son absence dans le cœur du-grand-écrivain que les deux lettrés partageaient un secret étrange. Quelques années auparavant, tous deux avaient fait l‟objet, avec Baudelaire, d‟une enquête médico-psychologique sur les rapports de la supériorité intellectuelle avec la névropathie menée par le docteur Edouard Toulouse. Cette enquête, réservée au monde scientifique et de ce fait inconnue du grand public, faisait apparaître chez Huysmans une parosmie, et chez Emile, une hyposmie caractérisée. En d‟autres termes, legrand-écrivain, fondateur de l‟école naturaliste, passé maître dans l‟art de décrire la misère crasse des mineurs du Nord, les effluves alcoolisées de l‟absinthe de Gervaise, la puanteur du quartier de la Goutte d‟or, les parfums et moiteurs de Nana, cet écrivain-là, dont la littérature était traitée de putride par ses nombreux détracteurs, cet homme-là qui donnait à sentir ses mots à tel point qu‟il sût même faire humer à ses lecteurs l‟odeur de sainteté du héros de La faute de l‟abbé Mouret, ce génie de l‟écriture l‟était d‟autant plus… qu‟il ne sentait pas les odeurs ! Ce monde sensible qui s‟était fermé très tôt dans sa vie avait ouvert un espace de création et d‟imagination tel qu‟il surpassait la simple réalité. Carl-Joris quant à lui respirait des odeurs qui n‟existaient que dans son imagination. Emile ne s‟étonna pas que des Essaintes, le héros d‟A rebours, soit obsédé par une odeur fantôme de frangipane… comme l‟était Huysmans luimême. Ce livre devait marquer la rupture avec Carl-Joris, passé à l‟école symboliste et Emile préféra chasser cette pensée. Il se souvint alors que Baudelaire, dont l‟odorat n‟était pas défaillant, était mort pour avoir trop respiré, asphyxié par du monoxyde de carbone. « Quelle abomination, pensa Emile, que cette mort sournoise, qui ne s‟annonce pas et vient cueillir sa victime dans son sommeil. Non ! Quitte à mourir, je préfère une mort de guerrier, une mort que l‟on voit venir, une mort en face. Je veux mourir debout ! Je mourrai debout ! » Cette décision prise, le-grand-écrivain siffla son chien et prit le chemin du retour. Il pensa alors qu‟il avait soixante-deux ans, beaucoup d‟ennemis et que cette mort pourrait lui être imposée par un opposant plus décidé que les autres. L‟affaire Dreyfus était loin d‟être terminée ! Depuis que la vérité avait enfin éclaté, depuis son « J‟accuse ! » retentissant il y a quatre ans, Emile se savait la cible de multiples haines. Un nombreux courrier antisémite lui


arrivait couvert d‟excréments, les pots de chambre avaient été rebaptisés de son propre nom, la presse antidreyfusarde se déchaînait chaque jour et son entourage direct avait reçu de sérieuses menaces. Il y avait eu cette tentative d‟incendie en 1899 et cette bombe artisanale découverte juste à temps au pied de son immeuble l‟année dernière. Il était devenu l‟homme à abattre. Pourtant il n‟avait pas peur. Servir de paratonnerre au capitaine Dreyfus était plus qu‟un honneur, c‟était un devoir, le devoir d‟un homme qui croyait en la justice et en l‟égalité des races. Et ni le procès en diffamation ni l‟exil à Londres n‟avaient eu raison de son inoxydable confiance en son jugement. « La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera » avaitil proclamé alors. « Ce serait une jolie phrase à faire graver sur ma tombe » pensa t‟il. De retour à Paris, il en aviserait son notaire. Il fallait qu‟il mette ses affaires en ordre. Sa femme Alexandrine hériterait de ses biens et de ses droits d‟auteurs, contrat avait été passé chez le notaire le jour du mariage, mais que deviendraient Jeanne et les enfants ? Oh bien sûr, Alexandrine savait que son mari avait un double foyer. Emile était passé aux aveux alors que son fils Jacques venait de naître. Denise, quant à elle, avait deux ans. Il avait tout raconté : le coup de foudre pour Jeanne Rozerot, - employée à l‟époque comme lingère par Alexandrine- le régime auquel il s‟était astreint pour séduire la jeune femme de vingt-sept ans sa cadette, comment il s‟était musclé en pédalant à travers la campagne pour rajeunir son corps, comment elle était devenue sa maîtresse à l‟automne 1888, et la venue de ses deux uniques héritiers. Alexandrine avait réagi extrêmement violemment à cette annonce. Elle avait alors sommé son époux de cesser tout commerce avec Jeanne qu‟elle appréciait beaucoup par ailleurs ! - et d‟abandonner sa double vie. Il faut dire que Jeanne Rozerot était tout ce que n‟était pas Alexandrine : douce, fine, jolie, jeune, féconde. Cette dernière particularité avait cruellement ramené l‟épouse-du-grand-écrivain à sa condition de femme stérile. Elle allait tout perdre : son homme, son rang, sa réputation, sa vie aisée. Emu par la détresse de cette femme qui l‟avait soutenu dès le début, confus du mal qu‟il lui faisait, Emile s‟engagea à ne pas l‟abandonner mais ne voulut pas renoncer à sa seconde famille et continua de la visiter sans en avertir sa légitime. Comme tous les jours, dès le déjeuner fini, il enfourcherait sa bicyclette direction

Verneuil-sur-Seine, suivi de Pimpin que les enfants avaient baptisé ainsi pour faire le pendant avec le chat Pompon. Denise venait d‟avoir treize ans, Jacques onze ans et Emile les aimait profondément. Il espérait pouvoir leur donner son nom un jour. « Je ne suis pas heureux. Ce partage, cette vie double que je suis forcé de vivre finissent par me désespérer. J‟avais fait le rêve de rendre tout le monde heureux autour de moi, mais je vois bien que cela est impossible. » songea-t-il. Il avait voulu ouvrir les bras à la vie, toute la vie et n‟avait pas su les refermer à temps. Qui embrasse trop mal étreint dit le proverbe. Lorsqu‟Emile, journaux sous le bras, passa le petit portillon de son jardin, il s‟aperçut qu‟il avait oublié de le fermer en partant. Pour une fois, Alexandrine semblait ne pas s‟en être formalisée. Elle aurait alors proclamée sa phrase fétiche : « il faut qu‟une porte soit ouverte ou fermée ! » non contente de placer du Musset dans une remontrance domestique à l‟attention de son étourdi de mari. Emile, au contraire, aimait les portes ouvertes, aux amis de Médan, aux idées, à l‟amour, à tous les vents, à la vie. Pimpin était déjà rentré pour jouer avec Fanfan, le griffon de sa maitresse. Le-grand-écrivain s‟installa sur une des chaises de jardin, et se plongea dans la lecture des quotidiens. Dix heures sonnèrent à l‟église lorsqu‟il leva les yeux de ses journaux. Son regard se promena le long des massifs. Il aimait ce jardin fleuri et reposant. Tout ici lui rappelait sa Provence natale et les couleurs des toiles de Cézanne. « Encore un ami cher de perdu » songea Emile. Leur longue et profonde amitié s‟était éteinte le jour où Paul avait cru se reconnaître dans le portrait de Claude Lantier, le peintre raté de L‟Oeuvre. La nostalgie envahit le cœur d‟Emile. Doucement la vie se refermait sur ce cœur vieillissant. Il était temps de rejoindre sa table de travail. Arrivé devant son bureau, il griffonna quelques mots. Ces six semaines de solitude à Médan l‟enchantaient : « Je passe de délicieuses après-midi dans mon jardin, à regarder tout vivre autour de moi. Avec l‟âge, je sens tout s‟en aller et j‟aime tout plus passionnément ». Emile entendait Alexandrine aller et venir dans la maison. Ce soir, ils seraient de retour au 21bis de la rue de Bruxelles. L‟appartement serait sombre et froid. Mais non ! Jules, son valet de chambre, était sans doute déjà arrivé à Paris. Il avait dû ouvrir les cheminées et commencer à chauffer les pièces de vie.

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Son regard se fixa justement sur sa cheminée. « Nulla dies sine linea ». Cette devise, il l‟avait fait inscrire dès l‟achat de la maison. Combien elle lui avait redonné courage alors qu‟il rédigeait les vingt volumes des RougonMacquart ! Ne rien lâcher, écrire toujours, quoi qu‟il arrive, avec ou sans inspiration, malade ou bien-portant, de jour comme de nuit, écrire, pour donner plus de vie à la vie, à sa vie. Comment l‟Académie Française avait-elle pu le recaler dixneuf fois ? Après l‟affaire Dreyfus, Emile ne se faisait plus aucune illusion sur cette « serre d'hivernage pour les médiocrités qui craignent la gelée». Dans un large sourire, le-grand-écrivain ré-adopta définitivement cette formule trouvée au début de sa carrière. Immortel, il l‟était déjà. Mathilde lui apporta sa tasse de café de onze heures. Il la gratifia d‟un hochement de tête. Elle se retira sans bruit, laissant le maître à sa réflexion. Elle le savait en pleine correction de Vérité, qui devait paraître dès le mois prochain en feuilleton dans l‟Aurore. Après Fécondité et Travail, les deux premiers romans de la tétralogie des Quatre Evangiles, ce nouveau récit requérait toute la concentration du grand-écrivain et s‟annonçait, une fois de plus, comme un succès. Emile avait même reçu une lettre élogieuse de Sigmund Freud lui indiquant que Fécondité était l‟un des dix ouvrages les plus intéressants qu‟il ait lus ! Dès son retour à Paris, le-grand-auteur s‟attaquerait à la rédaction de Justice qui viendrait clore la série. Emile revenait à peine de son escapade à Verneuil-sur-Seine qu‟Alexandrine sonna l‟heure du départ. Le voyage se fit sans encombre mais dans une étrange tristesse. Emile sentait que quelque chose était en train de se terminer mais quoi ? Le couple retrouva l‟appartement abandonné depuis quelques mois. Le-grand-écrivain avait suivi d‟assez loin les problèmes engendrés par les travaux de l‟immeuble voisin. Il laissait à sa femme tout ce qui pouvait le distraire de sa production littéraire et journalistique, surtout les soucis domestiques ! Aussi n‟écouta-t-il que d‟une oreille distraite les explications touffues de Jules concernant les cheminées qu‟il avait fallu fermer, ouvrir, fermer de nouveau, puis rouvrir pour les fermer encore au rythme des jets de poussières reçus chaque jour. Que lui importait ! Qu‟on lui parle de l‟exploitation des petits ramoneurs savoyards, qu‟on lui tienne discours sur le travail harassant des employés du bâtiment, qu‟on l‟intéresse au sort des cantonniers qui refont la chaussée de la rue de

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Bruxelles ! Mais que sa cheminée soit ouverte, fermée, ramonée ou non ne l‟intéressait certes pas ! Il demandait juste qu‟on alimente le feu dans sa chambre, ce que Jules s‟empressa de faire en rajoutant des boulets de charbon. Plus tard dans la soirée, informant sa patronne des difficultés de tirage de la cheminée, celle-ci, en maîtresse de maison avisée, préféra faire éteindre le feu. « Pourtant le ramonage a été fait avant notre départ ! C‟est étrange… On verra ça demain. Faites venir les fumistes aussitôt que possible et n‟allumez aucun nouveau feu avant la réfection de la cheminée. » Le valet de chambre rabattit le tablier de la cheminée, considérant que cela suffirait à éteindre le feu. Emile se mit au lit le premier. Il avait encore quelques papiers à lire pendant qu‟Alexandrine finissait de se préparer pour la nuit. Lorsqu‟elle se glissa enfin sous les draps de lin un peu rêches, le grand-écrivain dormait d‟un souffle paisible et régulier. Toujours très amoureuse de son mari malgré sa forfaiture, elle n‟avait pu se résoudre à faire chambre à part. Cela faillit lui coûter la vie. Lorsque Jules Delahalle força la porte de la chambre le 30 septembre 1902 au matin, surpris que ses maîtres soient encore au lit alors que huit heures avaient sonné, il trouva monsieur gisant sur le tapis et madame respirant difficilement sur le lit. Il ouvrit la fenêtre, laissant s‟échapper sans le savoir le monoxyde de carbone inodore et fatal qui avait envahi la pièce pendant la nuit. Sa présence d‟esprit sauva sa maitresse mais il était trop tard pour le-grandécrivain qui voulait mourir debout. Il faut qu‟une cheminée soit ouverte ou fermée.

Prochains thèmes du Prix de la nouvelle : «Benêt blanc et blanc benêt », jusqu‟au 30 décembre 2011 pour une parution en juin 2012 La nouvelle doit commencer par : »De son sixième étage, accoudé au balcon, il contemplait la foule qui déambulait dans la rue ; il souriait en pensant à… » et se terminer par : « A présent il était convaincu d‟avoir eu raison », jusqu‟au 30 mai 2012 pour une parution en décembre 2012 « Je voudrais que tu m‟éclaires sur un point … », jusqu‟au 30 décembre 2012 pour une parution en juin 2013. Voir conditions de participation sur le site DES PASSANTES


Jules MASSON-MOUREY Envol

Il faut partir

Le reflet est moqueur, la matière est cruelle Car l‟homme veut être fort et la femme être belle L‟amour même s‟y trompa en trouvant fort plaisant Cet amas composé de chairs tièdes et d‟os blancs.

Neige salée du grand ciel qui somnole Dans un bleu de paresse Et son blanc qui s‟envole ; Hallucinantes messes.

Une chrysalide occupe cette vivante pyramide Ces vastes ailes de vent, cette peau qui sera rides Un jour se sépareront, sans fracas ni tonnerre Le papillon quittera sa grande prison de chair.

Les squelettes noircis – l‟hiver fond Ont perdu leurs cheveux Et la plaque de fer à l‟abîme charbon S‟est figée dans tes yeux.

Ce jour, il sera libre, vivant, virevoltant ; Il respirera le monde jusqu‟à la nuit des temps. De larmes ne tracez pas, sur vos joues des sillons Mais accablez plutôt l‟envol du papillon.

Il faut partir, le train grogne Il faut partir cher ivrogne Là-bas, une cheminée crache ; S‟il faut mourir ne soit pas lâche.

Songes Ô étrange escalier de pierres grises et de lierres Ô angoissant fracas de cristal, de silence Ô cyclones absurdes aux yeux blancs de lumière Ô farandoles sauvages, Ô fascinantes danses. Mon cerveau vous abrite dans des caves obscures Où s‟allument une lueur quand la coupole est noire Lorsque surgissent en moi d‟anciennes enluminures Horlogeries lunaires, absinthe de ma mémoire

Volutes C‟est une longue fumée blanche aux allures de bois bleu Qui crépite et qui danse, qui languit et se fond Dans la gaze immobile du grand ciel silencieux ; Ce vieux marbre des anges, ce fascinant plafond. Ce sont des vignes rousses, pleines d‟herbes et de terre. Le temps les a salies, Octobre les embrase De son haleine humide, inaudible prière Que crache une cheminée, au loin, dans de la vase. C‟est une petite maison de pierre sèche et de bois Vermoulue et verdie par un lierre sournois ; Une marmite de bronze y fume depuis cent ans. Il y nage sûrement des vapeurs antiques, Comme les fagots d‟antan dans les vieilles boutiques, L‟air y flotte et y brûle comme des cheveux d‟enfant.

En la grande Babylone ou bien même sur la Lune Mon esprit vous cueillit, il y a mille ans peut-être ; Et depuis vous hantez la fraîcheur de la dune, Invoquant le pays où votre ombre a pu naître.

Jules Masson Mourey est né à Fort de France (Martinique) en 1992. De sa prime enfance créole, il garde de nombreuses impressions tropicales qui marquent son inspiration. Après des « années-lycée » surtout consacrées à l‟écriture de poèmes et de nouvelles, il obtient un bac scientifique. Il peut désormais se consacrer à sa deuxième passion, la paléoanthropologie, qu‟il étudie à l‟université d‟Aix-en-Provence. Il vit dans le Lubéron. A publié dans Libelle, Les Amis de Thalie, Le Moulin de Poésie.

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Erich Von NEFF

Deux textes extraits de l’Œil du Corbeau, traduction Jean HAUTEPIERRE.

LE BALLET DE LA RECESSION ECONOMIQUE (2009)°

Elle éblouissait les gens dans Clement Street Pendant qu‟ils passaient à côté d‟elle en faisant leurs courses Chez Green Apple Books, Wing Lee Bakery, Five Star Discount Store, Vinh Khang Herbs, Pu Li Jewelery, et dans d‟autres magasins Certains terminaient leur journée au Max‟s Bar Elle s‟était mise en faction devant la Pu Li Jewelery Elle portait une veste verte en daim Qui, je suppose, Venait d‟une boutique de mode de Maiden Lane Ses cheveux blonds et raides S‟allongeaient derrière sa veste Avec une coupe qui les arrondissait Une étroite robe de laine noire Qui allait jusqu‟au milieu des cuisses Faisait ressortir ses fesses, donnant une forte impression Elle portait des bottes vertes en daim avec des talons aiguille Assorties à sa veste, Un sac à main rouge Art déco Assorti à la nuance de son rouge à lèvres rouge Pendait à une longue bandoulière sur son épaule Qu‟elle faisait bouger En tirant sur elle de temps en temps Elle faisait de lents mouvements de tout son corps accompagnés de pas presque imperceptibles d‟un ballet intérieur en harmonie avec la musique d‟un ballet intérieur La prostitution de haut vol était arrivée à Clement street Sa solution à elle à la récession économique Bientôt une Mercedes s‟arrêta au bord du trottoir Le conducteur, un chinois bien habillé, demanda : « Vous venez faire un tour, Mademoiselle , »

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Elle monta dans la Mercedes Son sac à main rouge Art Déco se balançant En harmonie avec la musique de son ballet intérieur Elle ferma tranquillement la porte Et la Mercedes accéléra dans Clement Street J‟avais assisté au prologue Du Ballet de la Récessions économique Quelqu‟un avait acheté un billet pour une des meilleures places Le prologue était maintenant terminé Et le reste du ballet allait bientôt commencer


ON VERSE DU CIMENT (1965)

Cela faisait six étages Ou peut-être sept. D‟ailleurs cela fait-il une différence ? Si vous tombez la mort vous attend En-dessous de moi il y avait un camion à bétonnière En train de verser du ciment dans un grand seau Un technicien appuyait sur un bouton Le seau de ciment montait jusqu‟au septième étage un chef d‟équipe actionnait un levier Et le ciment se déversait dans mon chariot Je poussais le chariot le long d‟une rampe en bois Soutenue par un échafaudage Le long de la rampe, à l‟extérieur, il y avait une balustrade en bois Je suis prudent Mon équipier Charlie Crane qui pousse son chariot derrière moi Est prudent Les Mexicains qui poussent leurs chariots Sont prudents. A la fin j‟atteins les moules à ciment Où théoriquement je suis censé incliner le chariot Et le verser moi-même Mais heureusement plusieurs Noirs, des costauds, Attrapent le chariot et le versent dans les moules Nous faisions voyage après voyage Chacun de nous attendant avec impatience Le moment où de solides mains noires s‟allongeaient vers le chariot Le technicien versait les livraisons de ciment l‟une après l‟autre Nous faisions voyage après voyage Avec l‟espoir de rentrer chez nous sains et saufs Nous étions heureux quand de solides mains noires S‟allongeaient vers nos chariots Cela faisait six étages Ou peut-être sept.

Erich von Neff est docker sur les quais de San Francisco ; Diplômé de l‟Université de San Francisco (Maîtrise de philosophie), il est publié régulièrement en France : poèmes, nouvelles et romans. « Prostituées au bord de la route » a été publié par les éditions Cahiers de Nuit avec l‟aide du Centre régional de Basse-Normandie.

Geneviève CONVERT

PARFUM DE LUNE

L‟astre d‟argent dégrafa ses dentelles Et s‟en fut dormir, Fatigué d‟avoir roulé sa bosse sans carrosse. Traçant la route des étoiles, Des pétales de lune glissaient en silence Tout au long d‟espaces immenses, Tapissant les jardins. Un parfum inconnu, soudain grisa les fleurs. Elles ouvrirent grand leurs corolles, Impatientes, ainsi s‟offrant, Et les papillons de nuit Se délectèrent Du suc odorant – pour le moins insolite – Qu‟imprégnaient les dentelles sidérales De l‟astre nocturne. Ce fut une nuit sans lune.

ELLE

Elle n‟est qu‟une hirondelle Brisant ses ailes entre ses quatre murs. Chaque jour, elle ouvre tout grand sa fenêtre, Le cœur à l‟agonie, sans cesse elle regarde Le bleu du ciel… encore… encore… Elle rêve de blancs nuages, d‟oiseaux joyeux, De marches silencieuses et tranquilles Jusqu‟à l‟infini. Ses pas légers s‟envolent Vers de lointains rivages. Elle n‟est qu‟une hirondelle Prisonnière en sa cage dorée. Lui… il l‟a enfin comprise… Il a ouvert la fenêtre, il a ouvert sa main… Pour la laisser… partir.

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Yvan AVENA

Les bombardements humanitaires ( 2 extraits)

Bombardements humanitaires Certains pays sont gouvernés par des dictateurs féroces qui ne respectent pas les Droits Humains et qui pillent les richesses de leur pays. Fort heureusement les Nations Unies sont là pour mettre de l‟ordre. Les dictateurs sont, dans un premier temps, menacés de sanctions. Ils savent alors que leurs décennies au pouvoir sont comptées et leur renommée ternie. Il existe néanmoins deux sortes de dictateurs : ceux qui ont des puits de pétrole et ceux qui n‟en ont pas. Les premiers sont généralement plus civilisés. Ils ont d‟ailleurs des fortes sommes d‟argent déposées dans les banques des pays démocratiques. Cette confiance aux institutions modernes les honore et permet de croire que les armes sophistiquées qu‟ils achètent sont effectivement destinées à combattre les terroristes qui menacent notre civilisation libérale et chrétienne. Les dictateurs des pays pauvres en matières premières sont nécessairement ignobles et sanguinaires. C‟est un devoir humanitaire des pays civilisés de les blâmer, de bloquer leurs comptes, de leur refuser l‟accueil et y compris de les bombarder quand ils s‟accrochent au pouvoir. Les bombardements humanitaires se différencient des bombardements classiques par leur précision. Ils ne tuent que les terroristes ou leurs complices. Bien entendu, il y a des exceptions. On peut aussi bombarder un dictateur d‟un pays producteur de pétrole s‟il nationalise les puits. Il y a des règles à respecter dans les bonnes relations entre pays amis.

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Le commerce équitable Le commerce est presque aussi vieux que la prostitution. Tous les peuples le pratiquèrent. Les Chinois et les Phéniciens furent parmi les premiers qui créèrent des réseaux de commerce international. Les marchandises rares et précieuses parcouraient parfois des milliers de kilomètres. On dit même que les Phéniciens, plusieurs siècles avant l‟invention du christianisme faisaient du commerce avec le sud de l‟Afrique. L‟apartheid et le racisme n‟existaient pas encore, mais certains rois nègres, en avance sur leur temps, faisaient travailler des esclaves dans les mines. Des siècles plus tard des entrepreneurs hollandais (dont tout le monde connaît la grande générosité !...) modernisèrent, à leur profit, le système d‟exploitation des mines d‟or et de diamants. Avant eux, les Espagnols avaient donné l‟exemple, en pillant l‟or et l‟argent d‟Amérique. Nous n‟avons jamais su si le fouet des « conquistadores » était, pour les indigènes, plus rude ou plus tendre que celui de leurs propres dirigeants et prêtres, mais ce furent des tonnes de métaux précieux que les caravelles embarquèrent. Tout n‟arriva pas en Espagne. Une partie du fret était détourné, en cours de route, par les pirates et les corsaires anglais. Puis, pour conclure, bien plus tard, ce furent les barbares du Nord qui s‟emparèrent du commerce mondial. Ils créèrent, dans ce but, l‟Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui permet aux entreprises transnationales de contrôler tous les échanges internationaux de marchandises. On n‟arrête pas le progrès !...


Dominique BAUER

Aicha LEMDJADI

MAILLES

DOULEUR

De fil en aguille Les mailles mûrissent ; Gestes de lointaines maîtrises, Proches rencontres d‟un autre lieu. Perdurent les belles côtes Et les chaudes laines Les doigts reliant les ans en fines farandoles. S‟invente la continuité. Le sceau de l‟art Mandate la patience.

entre six et sept ans, la douleur est atroce, les mots vous défoncent, visage destructeur, dans un néant approbateur l‟adulte serre l‟étau, mais ne voit pas, léthargie qui vous envahit. Plus présente que la présence Qui vous submerge.

IRONIE DU SORT

C‟est sur ces fils Que la tradition féconde La famille.

Ironie du sort Donner un accord à sa vie Se distinguer d‟autrui, Redonner à chacun son armure Pour protéger son rang. Obéir aux exigences de la vie.

UN JOUR Un beau jour je me suis Souvenu du temps qui passe Des parents que j‟ai eus De l‟enfance que j‟ai vécue Le passé laisse des traces Etant prête comme le petit Poucet, j‟aimerais revenir En arrière marquer de mes larmes Chaque case me retourner Oublier à jamais les instants De décalage entre le monde Réel et la fiction.

COMBATS Les combats Les combats de vue Les combattants de la liberté Les combattants de la dictature Les combats d‟idées Les combats de cécité Les combats d‟imprégnation Les combats perdus d‟avance Les combats d‟arrière garde Les combats de salon Les combattants battus à mort Tous ceux qui se lient Tous ceux qui se lient

au destin à la chaîne

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Sabine AUSSENAC Deux poèmes extraits de son recueil Le vent se lève, il va falloir tenter de vivre www.sabineaussenac.com

Il va falloir tenter de vivre. Il va falloir tenter de vivre Suivre les vents nouveaux Réapprendre à marcher A compter les envies A égrener les nuits Comme un nouveau-né se sentir de peau douce Accepter regards caresses et maladresses Des jeunes parents si fiers d‟avoir couvé Réentendre les fleuves gronder devant nos portes Apprivoiser les neiges Cueillir les herbes sages Ou les baies si sauvages Que leur jus nous enivre De doucereux désirs et de plaisirs torrides Ouvrir tous les volets Laisser entrer soleils Se poster sur le sable en attendant marées Ne plus fuir les embruns les goûter vie ouverte Se faire fouetter de feu et de glace être offerte Redécouvrir les calmes Les sentiers apaisés Parcourir un sous-bois sans craindre bêtes sauvages Devenir clairière Héberger les lumières S‟adonner au torrent En aimer berges folles Et parcourir les vents Marcher dans chaque ville Parler aux inconnus Sourire tête haute Claquer tous les talons Porter des jupes courtes Et du rouge souvent Ne plus baisser la tête Ne jamais s‟abaisser Ne plus craindre les foudres En aimer chaque éclair Attraper des fous rires Et crier de plaisir Murmurer des fantasmes Caresser des folies Retrouver les jeunesses Sentir sève nouvelle Etre printemps Voler à tire d‟aile jusqu‟au soleil levant Se faire hirondelle

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Aimer aussi l‟automne En humer chaque fruit Flamboyer de beauté se fondre en mousses tendres Et puis l‟hiver venu En faire une flambée Se réchauffer les cœurs aux amis emmitouflés Illuminer les noëls de mille rouge et or Piquer de houx bonheur les astres des nuits noires Mélanger les saisons En faire des étés Ne plus jamais mourir en solitude froide Ecouter ces cigales pour toujours déchaînées Cette mer qui murmure un éternel retour Croire enfin en l‟amour Oser dire toujours Serrer la main tenue Dérider les tristesses Dire oui aux promesses Construire l‟arc-en-ciel malgré les noirs et blancs Conquérir continents mais apporter les paix Métisser les chemins d‟odorantes saveurs Nous prouver que la vie aura toujours raison Le vent oui s‟est levé Tu l‟as guidé vers moi Donne-moi la main pour y plonger en joie Il va falloir tenter de vivre Et je t‟en remercie Même si tu es loin Je te sais là pour moi.


Il y a toujours une suite…

Il y a toujours une suite Le compteur n'est jamais bloqué Même si tout va trop vite La porte n'est jamais fermée Il y a toujours une suite Même aux chansons les plus tristes On se relève on prend sur soi Et puis un jour ça reviendra L'envie de vivre de jouir d'aimer De regarder bonheurs voler D'écouter des variétés Et pas toujours La Traviata D'ouvrir en grand toutes fenêtres De peindre en bleu les murs grisés D'acheter des fleurs juste comme ça Parce qu'on mérite de s'occuper de soi De se faire une toile en pleine journée De boire un bon arabica De courir nue sur sable fin De nager loin jusqu'aux bouées D'enfin répondre au téléphone Même si le cœur Est sur répondeur De se promener seule dans Paris Et de sourire à tous les italiens D'oser le prendre ce billet de train Pour Prague Londres ou bien Berlin De l'envoyer aux éditeurs Ce livre qui dort sur une armoire Grimoire tendre de rêves anciens Qui sauront peut-être bien Ce qu'ils ont vraiment dans le ventre Même si l‟on n‟a rien à attendre Il y a toujours une suite Même si les barbelés ont griffé Nos visages tant et si bien Qu'on a la rage Même si la forêt profonde A avalé tous nos soleils Même si non jamais plus On pense que l'on ne fera confiance Qu'on osera regarder loin Au-delà des méfiances Même si celui qu'on aime Ne s'en doute pas encore Ou bien a peur de lui De vivre aussi en suite de Bach De nous aimer en fa mineur Et d'oublier ses propres peurs Même si sa vie à lui Est réglée comme papier à musique

Et s‟il ne croit pas A la joie même avoir le droit Il y a toujours une suite Une espérance un arc-en-ciel Je ne crois pas aux fins du monde Et je t'attends viens dans ma ronde Je hais les apocalypses les pessimistes et les noirceurs Chez moi on allume les réverbères Il y a toujours de la lumière Et ma bouilloire prête à chanter Si tu venais prendre le thé.

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Claude GROSJEAN

L’AGE MORT I. Les araignées de vin aigre allument enfin l‟orgie, dans une salle tendue de drap fin bien caché sous la peau, le granit s‟émeut… Aucun symptôme de vétusté ne lézarde le front sourd de la muraille. La suie colore nos axiomes de rhubarbe, des femmes y tissent de la fumée, des coqs aussi avec leur chant… Une danseuse s‟ébranche dans un geste las d‟incendie, mieux que jamais les scorpions cachés du sourire s‟émerveillent. Au lointain marchent à pas lents les ponts courbés sous la trique… II. Dans la chapelle exsangue, la soie des orgues multicolores se déploie, l‟herbe surgit des chevelures fracassées, se courbe sous la tempête du chant sidéral, en des ventres inexplorés dorment les vitraux de coquillages. Voici longtemps que l‟acier des eaux disjoint les regards, devant les prie-Dieu des cheminées fument, exhalent la prière d‟un vieux sommeil plié, depuis la nuit de sucre immémoriale… Dans sa candeur cérébrale, le porc-épic étoilé scintille indéfiniment… III. J‟entre dans la maison salée parmi les rires sonores du cristal. Les invités pourrissent délibérément dans la joie. On sert à table des troncs d‟arbres tuméfiés de boxeur groggy, des glaciers de sueur (toujours les mêmes), des vins de drapeau entrevus dans le flamboiement d‟une vaisselle riche. Les conversations deviennent de la pluie pour peu qu‟on écoute ; le luxe des rivières jamais atteint. Personne n‟entend rouler l‟œil grand ouvert de l‟avalanche… IV. La clef de miel ouvre toutes les portes. Un seul mot blanchit notre carnassier vertige. La danse hésite puis tourne sur les parois verticales du Maelstrom. Le paysage s‟y recompose, ses cheveux étincellent, lavés, neufs. Rayonne son visage de diamant liquide… Il y a des marches de soleil qu‟il nous faut gravir ; devant nous, le taureau recule, toute sa musculaire architecture ployant faute de fondations autres que sonores… Dans ce palais de dénuement, toutes les langues se côtoient bientôt fondues dans le même sang. Les rousseurs de l‟amour tremblent, le vent fait se courber l‟échine soyeuse de la mer. De ce palais à la bouche mauve plus sensible que nos harpes, la salive doucement s‟étire, draguant les soleils des mines, les nuits d‟humus et de plomb, les parfums aux ingénieux miroirs, les chants à la peau nue, les silences enfin, vastes et lents comme le vol diapré de l‟angoisse… Paris, juin 1950

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L’IRREVERENCE

Qu‟il est long le chemin qui mène à la sagesse, Sur nos inimitiés les siècles passeront… Le singe le plus fort aime à montrer ses fesses Affublées d‟un risible et vaste pantalon ! Si l‟homme est fait de chairs et non sculpté de marbre, Que lui sert de bâtir tant d‟immenses cités ? Il lui fallut longtemps pour descendre de l‟arbre, Peut-être beaucoup moins s‟il faut y remonter ? Ce singe lumineux où l‟esprit fit escale Juste le temps qu‟il faut pour amuser les Dieux. L‟homme n‟était-il pas – qu‟il soit femelle ou mâleAfin de les distraire, ce qu‟ils ont fait de mieux ?... L‟homme, singe raté, sur lui, que n‟a-t-on dit ? Venu d‟on ne sait où – Simple curiosité, En des temps très anciens, tombé un jour de pluie Ou d‟un vert paradis à tout jamais chassé… … Mélange d‟arc-en-ciel, avec un peu de boue Nés un jour de printemps entre Vénus et Mars En nous créant mauvais, bêtes jusqu‟au dégoût Etourdiment les Dieux n‟ont conçu qu‟une farce !.. S‟en repentiront-ils quand un soir de novembre La mer déferlera soudain en notre chambre ? A la montée des eaux, avec ou sans courage, C‟est à ce moment-là que nous ferons naufrage !...

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Yann LE PUITS Le chef-d’œuvre

Sur le carrelage, dont les cases et les couleurs copient fidèlement l‟échiquier, des brodequins couverts de boue séchée pendouillent les lacets grisâtres. L‟épaisseur de la semelle a doublé. La présence des chaussures évoque les randonnées forestières, les collations champêtres, la lassitude musculaire qui fait ployer le corps vers la couche, plonge et rafraîchit l‟esprit dans les eaux du noir sommeil, illuminé des visions du rêve. Située un peu en arrière des croquenots, la table de formica blanc réclame le passage purificateur de l‟éponge ; les taches de formes et couleurs diverses révèlent les goûts contrastés des commensaux : coquelicots de sauce tomate, jaune d‟œuf éclos en boutons d‟or, pâquerettes de la crème Chantilly, vin qui s‟épanouit en bleuets. Les serviettes de table, qui furent immaculées comme la virginité perdue de la maîtresse du logis, sont constellées de fleurs semblables à celles de la table. Instruments du plaisir gastronomique, les verres, bols, tasses, assiettes et couverts s‟amoncellent sur la table. S‟ils pouvaient s‟exprimer, comme le font les objets dans les livres des écrivains animistes, peut-être diraientils le regret de n‟avoir pas été invités à se baigner dans le ruisseau, près du lieu de pique-nique. Néanmoins, à défaut de la baignade bucolique, ils se contenteraient du récurage dans l‟évier, au moyen du liquide pour vaisselle, du tampon abrasif et de l‟éponge les plus vantés par la Déesse Publicité. Cuillères, fourchettes et couteaux s‟engoncent dans la graisse et la sauce refroidies, dont les relents aigres agressent les trop délicates narines. Des os bien sucés, s‟ils étaient de nouveau assemblés, reformeraient le squelette d‟un de ces poulets, qui s‟enfuient à l‟approche des marcheurs. Des croûtons de pain rassis renvoient de façon nostalgique aux champs de blé sous le zéphyr de juin, aux cieux si bleus, sous lesquels s‟épanouissent les fleurs susnommées. Le gras provient de roses pourceaux, que le coutelas de l‟abattoir condamna au terrible destin de côtelettes. Les stridentes protestations des porcins donnèrent-elles des remords aux amateurs

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de charcuterie ? La chose est peu probable. Des épluchures conservent les couleurs des légumes et fruits qu‟ils protégèrent. Certainement, les randonneurs écologistes s‟extasièrent à propos de la beauté de ces productions végétales. Le pot de confiture, qui n‟a pas été fermé, tient trois mouches et deux guêpes engluées. Leur immobilité suggère que ces insectes ont cessé de vivre. Paix à leur âme ! La bouteille de vin, aux trois quart bue, n‟a pas été rebouchée. Devenu vinaigre, le nectar n‟invitera plus les connaisseurs à la dégustation de son bouquet. Sur le dossier d‟une chaise à l‟assise de paille crevée, des torchons crasseux et troués ne seraient que de piètres auxiliaires, dans l‟éventuelle entreprise de restauration de la propreté. Le balai sans manche se morfond sur la pelle métallique, si rouillée qu‟elle en est percée, telle pomme d‟arrosoir. De la poubelle ont débordé les ordures. L‟épanchement de la pourriture parachève le tableau de déconfiture. Derrière la chaîne qui forme une barrière plus morale que matérielle, dans la salle aux murs d‟une blancheur hospitalière, sous des lampes aux puissantes ampoules, à l‟ébahissement et l‟admiration des novices et des initiés, s‟expose la composition. Sur un panneau, on peut lire des articles dithyrambiques, dans lesquels d‟excellents critiques d‟art célèbrent le génie de l‟homme qui conçut l‟œuvre. Son audace et sa capacité d‟innovation époustouflent tout un chacun, toute une chacune. La géniale production porte le titre de « Lendemain de fête ». Sur la porte de l‟édifice, l‟affiche annonce :

« Exposition de sculptures modernes ». Né en 1951, Yann Le Puits a écrit une vingtaine d‟ouvrages, dans les genres les plus divers. Il est le secrétaire de Signature Touraine (Auteurs et Editeurs en Touraine). Vous trouverez plus d‟information sur http://signature-touraine.fr Pour tous contacts : jlefouler@laposte.net


Sophie FAUVEL Née à Casablanca en 1967. Publiée aux Editions Flammes Vives.

LA PIERRE J‟avais posé naguère Sur cette sombre pierre Un souvenir présent, Un brin de coquelicot, Un parfum de sanglot, Pour que jamais le vent N‟efface nos mystères. J‟avais posé naguère Sur cette sombre pierre Fleurie de nos amours Des secrets interdits, Des verbes alanguis, Des nuits comme des jours, Une lune coquine, Des soupirs d‟amour. J‟avais posé naguère Sur cette sombre pierre Une douce caresse, Nos plus belles promesses Epargnées par le temps. J‟avais posé naguère Sur cette sombre pierre Mon corps à moitié nu Drapé de la lumière De tes soleils perdus Et pour te réchauffer Embrassé la terre brune. Elle vogue ta galère Toutes voiles dehors Gonflées de nos instants En Toi coule mon sang. J‟avais posé naguère Sur cette sombre pierre Le rire de nos 20 ans.

L’ANGE Sous la stèle éternelle des lendemains déçus, Mes mains en vain espèrent Un rayon éphémère Qui réchauffe mes ailes. Je suis l‟ange déchu. En plein cœur plantés Vos doutes assassins, En larmes rougeoyantes Me hantent vos chagrins. Vos verbes me tourmentent Et vos désirs me rongent. Je suis l‟ange sacrifié. J‟avais, en d‟autres temps, Espéré Q‟une brise légère Envole vos tourments Et vous souffle mes rêves. Je suis l‟ange oublié. Sous la stèle éternelle Doucement, m‟allonger. Redevenir poussière, Rejoindre vos charniers. Aux sombres désespoirs De vous amours déçus Ne reste que le noir De vos incertitudes. Je suis la solitude.

Je suis l‟amour perdu.

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Martine BARIOD-REYCHARD

LA BARQUE SOLAIRE

GUERRE DE MAI Les promesses de mai, de ses chaleurs subtiles, Ouvraient dans l‟indécence, fenêtres, fleurs et filles. L‟avarice de l‟hiver les avait privées d‟or Et des frissons anciens les parcouraient encore. La saison s‟agrippait à leurs dents acérées Dénudant leurs corps durs, pénétrant leurs forêts. Les amours tumultueuses des ténébreuses jeunesses Jouissaient avec violence et piétinaient la gesse. Pendant que les garçons s‟amusaient à la guerre, Le rouge coquelicot et ses boutons pubères Regardaient s‟épanouir l‟hélianthe et l‟arnica. La sueur purpurine gouttait sous le blouson De Pedro ou d‟Hector, peu importe le nom. Le cuir et les pavots saignaient dans Guernica. Les genoux écorchés et la bouche empourprée, Plagiant Lysistrata en toute impunité, Les amantes entrouvraient leurs sexes flamboyants Pour apaiser leur haine, leur violence et pourtant, Depuis la nuit des temps, de l‟été au printemps, Hélios et ses chevaux apparaissent à l‟orient, Provoquant ou hâlant les cuisses nues des femmes, Pour que les hommes se pâment, oubliant sang et lames.

Un vélo sans bouche tirant un dromadaire Regardait l‟étoile verte de ma chaussure orange De son phare dévissé par une lune trop claire Toi et moi sur la selle la tête dans l‟étrange Aimer t‟aimer Sur un vélo rouillé Dans une barque de neige où les poissons volants Dansent avec des nez rouges pour cacher leur émoi Les deux rames vissées aux yeux étincelants Avancent comme des palmes enrubannées de soie Aimer t‟aimer Dans la barque effondrée Les dentiers sans langue remontés sur ressort Avalent tes chagrins et moi je te regarde Rire de mes folies flottant sur des plumes d‟or Légères comme un printemps saupoudré de moutarde Aimer t‟aimer Sur un ressort poivré Les cheveux des guitares tendus de haut en bas Entortillent mes bas dans un tango-compote Les photos des sirènes se gonflent de soda Tandis que les pinceaux forniquent avec les notes Aimer t‟aimer Sur des notes écrasées

Acrostiche J‟aimerais ne plus vous entendre, ne plus sentir votre mauvais parfum. Chaque heure passée en votre compagnie m‟est insupportable. Abandonner ma peau sous vos doigts éteindrait à coup sur toute envie de voyage. Sachez mon cher, que si je prenais la mer, ce serait pour vous fuir. Imaginer votre main dans la mienne resterait un cauchemar. Je ne vous aimerai jamais et ne serai pas à vous, même le temps d‟un tango. L‟idée de me blottir dans vos bras me fait déjà vomir. laisser un homme tel que vous me désirer, pire, vous laisser caresser l‟espoir de me troubler serait une facétie. Sachez que jusqu‟à la fin de ma vie je vous mépriserai. Jamais je ne vous rejoindrai dans l‟ivresse.

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La Chronique Huronnique de Louis LEFEBVRE (Les Brenots - 58430 Arleuf) agrémentée de dessins de Marie-Laine.

Souvenir du 21 avril 2002 (il faut dire « navril ») LE 21 NAVRIL, UN 21 NAVRANT

Au deuxième tour des Présidentielles, l‟Extrême Droite pavoisait. J‟avais écrit une chanson. Et, nom de Dieu ! la voici à nouveau d‟actualité, cette chanson ! « Pleurez ! pleurez en rond ! fleur de démocratie ! Chialaient les braves gens, le moral à zéro. Ah ! si on avait su ! Seigneur ! quelle infamie ! » Ils étaient effondrés, ils en devenaient beaux. Souvenez-vous du 21 avril, an II. Jamais on n‟avait tant crié de « nom de Dieu ! » Comme des cons baisant sans protection aucune, Sous prétexte qu‟ils sont en parfaite santé, Nous, nous avons failli choper la peste brune, Sous prétexte que nous nous croyions vaccinés. Souvenez-vous du 21 avril, an II. Jamais on n‟avait tant crié de « nom de Dieu ! » Le vaccin pétainiste était bien loin du reste : Inconscients, le rappel nous l‟avions oublié. Certains même beuglaient qu‟elle était là, la peste, Sûrs d‟avoir vu déjà les premiers rats crevés. Souvenez-vous du 21 avril, an II. Jamais on n‟avait tant crié de « nom de Dieu ! » Marianne avait le choix comme au temps de Molière, Entre un cul de couvent et un mariage odieux. Battue, tondue, violée, le cul dans la poussière, Elle se morfondait, des larmes plein les yeux. Souvenez-vous du 21 avril, an II. Jamais on n‟avait tant crié de « nom de Dieu ! » Aujourd‟hui voici que l‟on parle d‟un nouveau 21 navril.

Oui, un deuxième 21 navril ! L„histoire bégaie. L‟Histoire est une vieille débile qui radote. L‟Histoire rebelote. Un autre 21 navril ! Un autre 21 navrant ! Vous vous rendez compte ? Ça nous pendrait au nez ! A droite, on l‟espère : c‟est la seule chance pour Zikossar d‟être réélu. A gauche, on s‟en réjouirait ! vive le Front républicain ! A droite comme à gauche, on ne veut pas voir que le fascisme sur la 2ième marche du podium, c‟est une déconfiture pour la démocratie. Une déculottée. Une foirade. Un bide honteux. En un mot, quand triomphent les fachos c‟est toujours un fiasco. Et on se préparerait à une telle échéance ! A une telle déchéance. Non. Je ne vais pas encore vous sortir un chapelet de « nom de Dieu ! ». Pleurez ! pleurez en rond ! fleur de démocratie ! « Pleurez, pleurez, fleur de chevalerie ! » écrivait vers la fin du XIV° Eustache Deschamps dans un chant funèbre en l‟honneur de Du Guesclin. Non, je n‟écrirai pas non plus un chant funèbre en l‟honneur du déclin. La connerie est nôtre. La bêtise, quand elle se répète, n‟est pas multipliée par 2. Mais élevée à la puissance 2. Aussi est-il temps d‟ouvrir une souscription. SOUSCRIPTION On pourra librement verser la somme de son choix à Triple Buse – Huronnie – 3° tepee à gauche en entrant dans la réserve. Cette souscription a pour objet l‟érection d‟une pyramide, à Paris, sur le Champ de Mars, entre la Tour Eiffel et l‟Ecole militaire. Cette pyramide sera élevée à la mémoire et à la gloire du pharaon Askon Nèkon. La base de la pyramide sera un carré de 360 m. de côté. – hauteur : 250 m. La Tour Eiffel, à côté, se sentira moins seule. Pour comparer, la pyramide de Khéops à Gizeh a pour base un carré de 230 m. de côté et une hauteur de 146 m.

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Notre pyramide sera à peu près le double de celle de Khéops. Son volume ( Aire de la base x hauteur /3) : (360 x 360 x 250) / 3 = 10 800 000 m3. Ce monument sera le témoignage, en 10 800 000 m3 de béton, de l‟énorme et prodigieuse connerie qui, à certains moments, gangrène un état.

Ils jouent au jeu de Pharaon Askon Nèkon. Askon Nèkon. Chez nous, on y a joué un 21 avril. Un 21 navrant ne tenait qu‟à un fil La vie de Marianne aux joues rondes. Obligée de jouer à son corps défendant, A ce jeu du dompteur qui met sa tête dans La gueule de la bête immonde. Ce fut le jeu de Pharaon Askon Nèkon. Askon Nèkon. Ma pauvre Marianne, ton bonnet phrygien Ils te l‟ont balancé, en riant, ces sagouins, Dedans la tinette des gogues. Les braves gens, pour jouer au jeu du Pharaon, N‟ont pas à se forcer, car pour jouer au con Pas besoin d‟être égyptologue. Simple est le jeu du Pharaon Askon Nèkon. Askon Nèkon

Souscrivez ! Faites souscrire ! Que nous ayons sous les yeux le 21 navril matérialisé et que nous puissions contempler un second 21 navril, en béton, érigé grâce à M‟sieur Bouygge (pas besoin d‟appel d‟offres). Souscrivez ! Souscrivez ! Et gloire à l‟illustre pharaon ASKON NEKON ! Une chanson pour finir… Car même quand tout est foutu, quand on a perdu le moral, quand la pyramide d‟Askon Nèkon obscurcit l‟horizon, il reste la chanson. La petite chanson têtue et pleine de vie, la petite chanson de Gavroche, qui fait la nique à la connerie. Les braves gens, parfois, se paient des fantaisies : Ils crachent dans la soupe à la démocratie. Ils jouent à bizuter Marianne. Ils la mettent à poil, lui peignent sur le front, Des slogans ou des croix, et partout ils la font Aller coiffée d‟un bonnet d‟âne.

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Mais cracher dans la soupe à la démocratie Est assez dangereux, car la soupe finit Par n‟être qu‟un bouillon d‟onze heures. Alors les braves gens vont à l‟enterrement De Marianne en disant : « Adieu ma pauvre enfant » Et tous, comme des cons, ils pleurent. C‟était le jeu du Pharaon Askon Nèkon. Askon Nèkon.


A SES ENFANTS HORS-LA-LOI, LA LITTÉRATURE RECONNAISSANTE par Jean CLAVAL Donatien Alphonse François de Sade (1740 - 1814) écrivain français (ci-contre, portrait fantaisiste° XIX° siècle - Il n‟existe aucun portrait connu de Donatien-Alphonse-François de Sade.)

1740 Naissance à Paris en l‟hôtel de Condé le 2 juin de D-A-F de Sade baptisé le lendemain en l‟église paroissiale de Saint-Sulpice. Compagnon de jeu du prince Louis-Joseph de Bourbon, son aîné de quatre ans, il demeure avec sa mère à l‟hôtel de Condé jusqu‟en 1744 où il est envoyé dans le Comtat-Venaissin aux soins de sa grand-mère paternelle dans le vieil hôtel de Sade à Avignon, et vraisemblablement de ses cinq tantes paternelles. 1746 L‟éducation de Sade est confiée à son oncle l‟abbé de Sade d‟Ebreuil dans ses résidences de Saint-Léger d‟Ebreuil et de Saumane. 1750 Sade revient à Paris où il poursuit ses études au collège Louis-le-Grand dirigé par les Pères Jésuites avec, en outre, un précepteur particulier, l‟abbé JacquesFrançois Amblet. 1754 – 1763 Sade entre à l‟Ecole des Chevau-légers en garnison à Versailles. Nommé sous-lieutenant le 14 décembre 1755, il obtient le 14 janvier 1757 une commission de cornette (officier porte-drapeau) au régiment des Carabiniers du comte de Provence et prend part à la guerre contre la Prusse. Reçu comme capitaine au régiment de Bourgogne cavalerie le 21 avril 1759, il rejoint l‟armée d‟Allemagne après une permission de longue durée. Le 10 février 1763, la signature du traité de Paris met fin à la guerre de Sept ans. Sade est réformé comme capitaine de cavalerie. 1763. A la situation financière déplorable du père de Sade et ses problèmes de santé s‟ajoutent les préoccupations engendrées par la conduite de DonatienAlphonse-François qui mène une vie dissipée, avec une réputation de joueur, prodigue et débauché, perverti par de mauvaises fréquentations et capable des pires extravagances. Pour se débarrasser de ce fils à sa charge et dans l‟espoir de l‟assagir, il faut lui trouver une épouse. Malgré son amour pour Laure-Victoire-Adeline de Lauris née en 1741, sa maîtresse, Sade se marie le 17 mai en l‟église Saint-Roch avec Renée-Pélagie de Montreuil, née le 3 décembre 1741. Le 29 octobre il est incarcéré au donjon de Vincennes pour actes de débauche outrée commis en

petites maisons. Détenu durant quinze jours, il manifeste un repentir suppliant. 1764 – 1768 Louant plusieurs appartements à Paris, Versailles et Arcueil, Sade noue des intrigues simultanées le plus souvent peu avouables avec prostituées, danseuses, demicourtisanes, actrice, femme noble. Le 27 août 1767 naît à Paris Louis-Marie, premier fils du marquis. 1768 En proie au plus complet déchaînement des sens, Sade manifeste son algolagnie. Le 3 avril, place des Victoires, il aborde une mendiante de trente-six ans, Rose Keller, et lui promet un écu si elle consent à le suivre pour faire sa chambre. Il l‟emmène à Arcueil, l‟enferme et la contraint sous menace de mort à se déshabiller, l‟attache sur un canapé et la flagelle avec une verge et un martinet de cordes à nœuds. Enfermée à nouveau, Rose Keller réussit à s‟enfuir par la fenêtre. Le lendemain, le juge d‟Arcueil qui reçoit sa déposition procédera à l‟audition de six témoins. Fin avril, Sade « resserré » au château de Saumur sur l‟intention du Roi est conduit à la forteresse de PierreEncise puis le 8 juin écroué de nuit à la conciergerie du Palais. Reconduit à Pierre-Encise, il est libéré le 16 novembre, un ordre du Roi lui enjoignant de se retirer à sa terre de La Coste 1769 – 1770 Sade est autorisé à revenir à Paris où il arrive en mai 1769. Le 27 juin, naît Donatien-Claude-Armand, son deuxième fils. A l‟automne, il se rend à Bruxelles, Anvers, Rotterdam, La Haye et Amsterdam. Début août 1770, il arrive à Fontenay-le-Comte pour reprendre du service en qualité de capitaine au régiment de Bourgogne cavalerie. Son lieutenant-colonel aurait refusé de lui laisser remplir les devoirs de sa charge, lui ordonnant de prendre les arrêts. Les suites de cette affaire restent inconnues et l‟on perd la trace de Sade jusqu‟en 1771 où il sollicite le 13 mars du ministre de la Guerre une commission de mestre de camp de cavalerie sans appointements, supplique qui reçoit une réponse favorable; il cédera cette charge pour une somme de 10 000 livres. Le 17 avril, naît sa fille Madeleine-Laure. Le 1er septembre, il sort de la prison pour dettes de Fort-l‟Evêque et se rend à La Coste. 1772 Le matin du 27 juin à Marseille, Sade et son domestique Latour se réunissent avec quatre filles, Mariette, Marianne, Mariannette et Rose. S‟ensuivent

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flagellation, infligée ou reçue, copulation, masturbation, anilinctus, sodomie, fellation ; Sade a réussi à faire manger des bonbons cantharidés à Marianne. Le même soir, Latour conduit son maître chez une prostituée, Marguerite, à qui Sade fait absorber un grand nombre de bonbons cantharidés avant de la posséder. Le lendemain, il part pour La Coste. Marguerite souffrant de douleurs internes et de vomissements porte plainte. Marianne se plaignant de troubles digestifs dépose comme témoin, ainsi que ses trois compagnes. Après examen de rapports médicaux, le procureur du roi décrète de prise de corps Sade et son domestique qui, officieusement avertis, s‟enfuient. Le 12 septembre, ils sont exécutés et brûlés en effigie à Aix. 8 - 9 décembre : réfugié à Chambéry, Sade découvert est gardé à vue puis conduit au fort de Miolans, bientôt rejoint par Latour. 1773 -1777 Sade et Latour parviennent à s‟évader le 30 avril. Sade arrive à Grenoble, se rend à Bordeaux et se trouve en juillet à Cadix ; à l‟automne, il rejoint La Coste où il se cache, change plusieurs fois de refuge, trouvant asile chez des amis. A l‟automne 1774, les époux Sade se rencontrent à Lyon où ils engagent une jeune servante, Ninon, cinq filles d‟une quinzaine d‟années et un jeune secrétaire, avant de se retirer à La Coste. Jusqu‟en janvier 1775, Sade s‟y livre à des orgies avec ses nouveaux domestiques, son épouse soumise y prenant sans doute part. Plainte déposée par les parents des jeunes victimes des sévices, une procédure criminelle est ouverte à Lyon. En juillet 1775, Sade prend la fuite vers l‟Italie. Voyageant incognito sous le nom de comte de Mazan, il séjourne à Florence puis à Rome et, début 1776, à Naples qu‟il quitte en mai pour rejoindre la France, il arrive fin juin à Grenoble. Il réside à Montpellier jusqu‟à la Toussaint. Entre-temps, ayant retrouvé Rosette, une ancienne domestique, celle-ci le met en relation avec une certaine Adélaïde qui accepte de travailler à La Coste ; est également engagée comme cuisinière la jolie Catherine Trillet, âgée de vingt-deux ans. Rentré à La Coste, Sade aurait demandé à la midécembre à ses domestiques de se prêter à ses désirs, requête entraînant leur fuite, à l‟exception de Catherine. Averti, inquiet de sa fille, Trillet vient la réclamer et le 17 janvier 1777 tire à bout portant sur Sade un coup de pistolet qui rate puis un second dans une cour où il croit entendre remuer le marquis. Trillet dépose une plainte à Aix. Sade est arrêté à Paris le 13 février, conduit au donjon de Vincennes et écroué. 1778 Il y reste seize mois. Autorisé par le roi à se rendre à Aix afin de se pourvoir contre l‟arrêt de 1772 du parlement de Provence, Sade quitte le 14 juin le donjon de Vincennes. Le 14 juillet, l‟arrêt de mort de 1772 est transformé en une simple admonestation. Libre au regard de la loi mais toujours prisonnier du bon plaisir royal en vertu de la lettre de cachet mise à exécution le 13 février 1777 qui conserve son plein effet, Sade est transféré le 15 dans une berline pour rejoindre Vincennes. A un arrêt à Valence, il arrive habilement à échapper à la vigilance de

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ses gardiens dans la soirée du 16. Il parvient à Avignon d‟où il regagne La Coste le 18. Après trente-neuf jours de liberté, il est arrêté le 26 août au matin et emmené à Vincennes où il arrive le 7 septembre. Le 7 décembre, il est admis à recevoir papier et plumes. 1779 – 1783 Fin décembre 1780, il entreprend l‟esquisse de sa comédie de L‟Inconstant dont il achève la rédaction à la mi-avril 1781. Il termine le 12 juillet 1782 le cahier contenant le Dialogue entre un prêtre et un moribond. 1784 – 1789 Le 29 février, Sade est transféré de Vincennes à la Bastille. En octobre 1785, il commence la mise au net des 120 journées de Sodome dont il termine le manuscrit le 28 novembre (sur rouleau de papier d‟une longueur d‟une douzaine de mètres). Fin 1786, il prépare la composition d‟Aline et Valcour. Il achève le 8 juillet 1787 Les Infortunes de la Vertu et en mars 1788 Eugénie de Franval. Le 4 juillet 1789, il est transféré à l‟hospice de Charenton, contraint de laisser dans sa chambre vêtements, linge, livres et manuscrits. 1790 – 1793 Le 13 mars, l‟Assemblée constituante adopte un projet de décret sur les lettres de cachet qui doit libérer tous les détenus qui ne sont pas condamnés, inculpés ou atteints de folie. Sade en apprend l‟existence lors d‟une visite de ses fils. Le 2 avril, il recouvre sa liberté. Le 28 avril, son épouse présente au Châtelet de Paris une requête à l‟effet que soit ordonnée séparation de corps et d‟habitation entre elle et son mari. Le 9 juin, le Châtelet prononce par défaut cette séparation. En août, Sade se lie avec une jeune actrice, MarieConstance Quesnet. Le 1er novembre, il loue une petite maison à la Chaussée d‟Antin en vue de son entrée en ménage avec Marie-Constance qui s‟y installe en janvier 1791. En juin, impression de Justine ou les Malheurs de la Vertu, relié en veau. Le 22 octobre, première représentation sur la scène du Théâtre Molière du drame Le Comte Oxtiern. Du 17 au 21 septembre, le château de La Coste est pillé et ravagé sans que la garde nationale y fasse le moindre obstacle. En avril 1793, le « citoyen Sade » est nommé juré pour les affaires de faux assignats et, le mois suivant, verse un don de cinquante livres pour les frais de la guerre de Vendée ; il se voit délivrer par la Section des Piques un certificat de résidence sous le nom de « François Aldonze Sade, homme de lettres et ci-devant mestre de camp de cavalerie ». Le 8 décembre, le département de police de la Commune de Paris lance un mandat d‟arrêt contre le citoyen Sade, comme suspect, pour avoir demandé en 1791 du service dans la garde constitutionnelle du roi ; il est conduit à la maison d‟arrêt des Madelonnettes. 1794 – 1800 Le 13 janvier 1794, Sade est transféré à la maison des Carmes puis, le22, à la prison révolutionnaire de Saint-Lazare et enfin, le 27 mars, pour cause de maladie, à la maison de santé Coignard à Picpus. Le 24 juillet, le


dossier de Sade prévenu de conspiration contre la République est transmis au Tribunal révolutionnaire ; deux jours plus tard, Fouquier-Tinville dresse un réquisitoire contre vingt-huit accusés, dont Aldonze Sade. Celui-ci n‟échappe à une condamnation à mort que grâce à la multiplicité et à l‟encombrement des prisons et au désordre des innombrables dossiers au greffe. Libéré le 15 octobre, il regagne sa maison rue Neuve des Mathurins. 1795 voit la publication d‟Aline et Valcour et de La Philosophie dans le Boudoir. Le 14 mars 1796, Sade devient locataire d‟une maison de campagne à Clichy-la-Garenne puis s‟installe le 20 avril 1797 à Saint-Ouen. Publication de la Nouvelle Justine ou les Malheurs de la Vertu suivie de L‟Histoire de Juliette. Le 18 avril 1798, dans le Journal de Paris, Sade se défend avec indignation d‟avoir écrit Justine « ce mauvais livre ». Obligé d‟abandonner Saint-Ouen, il se réfugie en Beauce en septembre avant de s‟établir à Versailles pour l‟hiver. Désespéré par la faim et le froid, il entre en janvier 1800 à l‟hôpital de Versailles puis retourne en avril à Saint-Ouen. Le 18 août, la police saisit une édition de Justine dont les gravures obscènes étaient intercalées par les ouvrières de quatorze ans d‟un atelier de brochage 1801 - 1805. Le 2 avril 1801, Sade est incarcéré à la prison Sainte-Pélagie pour le punir comme auteur de l‟ « infâme roman de Justine et de Juliette, ouvrage plus affreux encore ». En février et mars 1803, il veut assouvir sa lubricité sur de jeunes étourdis envoyés pour quelques jours à Sainte-Pélagie et dont les chambres jouxtent la sienne. Ce scandale entraîne son transfert à la prison de Bicêtre, surnommée la Bastille de la canaille, puis le 27 avril sur demande de sa famille à l‟hospice de Charenton. 1806 – 1814 Sade commence en mars la mise au net de l‟Histoire d‟Emilie dont il achève le 10 juillet le premier volume. Il termine le 25 avril 1807 ce grand ouvrage occupant soixante-douze cahiers. Le 5 juin, le ministre de la Police générale fait saisir dans la chambre de Sade plusieurs manuscrits « dont la lecture est révoltante et formant une suite d‟obscénité, de blasphèmes et de scélératesses ». Le 7 juillet 1810, Mme la marquise de Sade meurt au château d‟Echauffour qu‟elle avait hérité de ses parents. Dans les séances du Conseil privé des 19 avril et 3 mai 1812, l‟Empereur maintient la détention de Sade. Celui-ci termine en décembre son roman Adélaïde de Brunswick, princesse de Saxe et en octobre 1813 l‟Histoire secrète d‟Isabelle de Bavière. Le 2 décembre 1814, décès de Sade. Le lecteur qu‟a intéressé ce résumé à grands traits des événements marquants de l‟existence du « divin marquis » et désireux de compléter son information ne manquera pas de se reporter à la magistrale biographie exhaustive méticuleusement établie par Gilbert Lély à l‟endroit de qui nous ne saurions trop marquer notre dette.

NOTES DE LECTURE par Marie-Pierre VERJAT-DROIT

AMOUR DE PROFILS de Nathalie Cougny (5 résidence Gaillarderie – 78590 Noisy le Roi Ed. Mon Petit Editeur 20,00 €) Cet « amour de profils » pourrait aussi s‟appeler « profils d‟amour » tant il y a de facettes à découvrir dans cet amour-là, celui que nous décrit Nathalie Cougny ; « Je suis la douceur de cette brise qui t‟effleure … ». L‟auteure nous décline l‟amour sous ses formes les plus intenses : la passion, la sensualité, le sentiment exacerbé, le désir charnel qui aboutissent presqu‟ à la folie d‟aimer : « Je ne savais plus qui j‟étais …je t‟aimais ». Elle nous dépeint l‟ amour dans toute sa force, sa puissance, son invincibilité, sa véracité, sa noblesse aussi .Elle rêve à l‟amour parfait , le sublime , elle l‟attend et elle doute : « Eternel doute qui me brûle , insuffisant amour …je suis toujours en attente de plus … ». Insatisfaite, elle se questionne sur ses attentes, ses désirs fous. Elle nous narre l‟éphémère : « Passe le temps, reste l‟instant ». L‟auteure décrit le temps qui passe et vole nos vies en citant notamment Musset : «J‟ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois mais j‟ai aimé… » S‟ensuivent les lettres d‟amour écrites à l‟être aimé et une sorte de description de cet homme et de l‟amour qu‟elle lui voue, de l‟idéalisation de l‟amour poussé à son paroxysme. Pour les amateurs de sensations fortes !

PROMETHEE, NUITS ET CHIMERES de Nicole Hardouin (Editions de l‟Atlantique - B.P. 70041 17012 Saintes Cedex ; collection Phoibos ; 72 p. ; 18 €) Ce recueil s‟inscrit dans un schéma helléniste onirique où rôdent la vie, l‟amour, la mort : « Eros et Thanatos rôdent autour des racines du ciel ». L‟auteure interroge Prométhée avec lequel elle traverse les ténèbres, voyage ponctué de visions d‟horreur : « Les morts sortent dans le craquement des sépultures affolées… les membres roidis cassent, les os abandonnent leur fief … ». Des évocations mystiques et mythologiques sacralisent l‟écriture de l‟auteure, lui donnant une dimension de tragédie ancienne où les images terribles des enfers deviennent beautés tant cette écriture est somptueuse. Des sons nous viennent d‟outre-tombe : « Une mélopée s‟échappe des nuées à la dérive : gémir d‟âme en recherche de corps ». Des images nous assaillent : «Les statues rient ».Des contrastes

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nous saisissent : «Sorcières aux ongles griffus et nymphes aux chairs lisses…», « S‟offrent des dames blanches sur d‟orgiaques autels…». Nous traversons ces ténèbres peuplées de chimères avec pour toile de fond l‟univers étrange, foisonnant et grandiose de Bosch et de Dante. Une traversée des enfers mais aussi paradoxalement une balade d‟amour dans laquelle nous entraînent l‟auteure et Prométhée : « Je suis à la lisière de l‟imperceptible entre angoisse et extase. ». « Reste l‟amour. ». Cet amour improbable existe pourtant dans cet infernal univers. « Des caresses s‟inventent dans l‟échancrure des patenôtres.», « Bordez moi de désirs, drapez mes contours de palmes et de flammes. » Cette traversée des enfers ne serait-elle pas la traversée de la vie dans toute sa complexité, à laquelle l‟humain est confronté ? Confrontation à l‟angoisse, à la maladie, au deuil mais aussi à l‟amour, éternel combat entre la vie et la mort ? « …Aimer, rêver dans les zébrures de la nuit. ». Ainsi se termine le recueil de Nicole Hardouin : de la belle , de la grande écriture , des mots rares , scrupuleusement choisis pour nous emporter dans une dimension extra temporelle et nous faire goûter à la quintessence du verbe et à sa perfection .

par Claude LUEZIOR

SOIE SAUVAGE, de Nicole Hardouin, 2011 (Ed. Encres Vives, 2 allée des allobroges – 31770 Colomiers ; 16 p. ; 6,10 €). À perte de sens, elle chante le labyrinthe sans fil d‟un printemps bien au-delà des saisons. Nicole Hardouin tend ses rets entre les heures tissées de brume pour toucher à l‟universel. Cet opuscule est une manière d‟hymne à la transcendance (…) voguant à contre-courant sur la liquidité des fantasmes. Entre calcination et embrasement, poreuse aux manifestations les plus infimes de la vie, sa plume, tel un prisme, magnifie le minuscule et s‟enroule sur les perspectives du grandiose au gré d‟effleurements et d‟une éloquence ciselée. En effet, cette vision, tour à tour traduite en Soie sauvage ou en images syncopées, prend, chez ce poète, une dimension sacrée. On la trouve d‟emblée dans cette citation de Plotin mise en exergue : écrire de plus intimes choses (…) pour essayer de prolonger, au-delà de la durée, tout ce que j‟ai été, tout ce que j‟ai pleuré, tout ce que j‟ai aimé. Car le détail, minéral ou mouvant, ne se contente pas d‟être révélé dans sa magnificence, mais acquiert une profondeur cosmique dans l‟âme d‟un écrivain aux accents mystiques: Réapprenons à lire l‟Originel, dans l‟arbre de la Connaissance. S‟y bousculent cantiques de novices, gestes d‟oblate, Lilith, vouivres, calligraphie de cierges, mais

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aussi alchimistes, terreau de l‟obscur, dunes du possible, regard d‟Orient en une païenne et mystique incantation. Dans cet étui des rêves, dans cette besace de berger perdu aux confins des terres, le cirque Gavarnie devient celui de montagnes qui touchent aux nuées : calice lunaire où s‟ébattent les locataires du ciel (…) cavaliers sur l‟échevelé des vents. Hardouin s‟interroge : Quelques vampires repus auraient-ils essuyé leurs lèvres sur ce décor mouvant ? Répondent isards et cascades en mystérieuses complies. C‟est le monde onirique d‟une écriture à la plume trempée dans le torrent des mots. L‟œil de l‟artiste pétrit, transforme, transmute couleurs, thèmes et personnages en une fresque à la Chagall : abondance de personnages, appositions métaphoriques, candeur naïve côtoyant l‟oblique d‟un cauchemar, raccourcis dans des perspectives torses, tout concorde à refléter un imaginaire baroque mais éminemment moderne, entre sensualité et rêve, entre joutes d‟un verbe laïc et infinie oraison.

IVRESSE DU VAGABONDAGE de Laurent Bayart, avec des aquarelles de Christiane Meiss Ed. La Maison de Papier, 2011 (chez l‟auteur, 46, rue des Anémones – 67450 Mundolsheim ; 14 €) Bonne nouvelle : le Conseil de Sécurité annonce que Laurent Bayart a signé La paix des braves avec les mots. Il se laisse doucement pénétrer par le rire de ces minuscules abeilles (…) leur offre sa liberté, leur liberté (…) et leur demande juste, en contrepartie, de revenir en lui et paraphe leurs volubiles équipées en les recouvrant pudiquement du voile de son nom (le traité est en page 24 de ce recueil…). Car, de nature, l‟écrivain n‟est pas tricoteur de verbes, il ne les enlace pas, ne les met pas dans un carcan. Il est magicien. De même que l‟eau donne sa texture aux aquarelles de Christiane Meiss, le vaste échiquier syntaxique des mots prend en quelque sorte le pouvoir chez le poète, lui dicte sa logique propre, au-delà « d‟un vouloir dire ». C‟est dans cette intime relation entre la structure du texte et l‟alchimie improbable de la plume et du pinceau, entre conscient et inconscient, que naît la création artistique. Mais parlons du fond, de l‟attitude existentielle du poète, chez lequel l‟essentiel ne s‟inscrit pas dans le « faire », dans la myriades des urgences, dans le fax, le courriel ou le portable qui nous donnent des allures d‟indispensable empereur mais qui font de nous leurs pitoyables esclaves. Au contraire, pour l‟artiste, Un paysage quelconque est un état d‟âme (H.-F. Amiel, Journal intime, 1852). Ce regard n‟est pas seulement rousseauiste mais se vérifie des auteurs grecs jusqu‟à nos jours. Le vrai est dans le minuscule, l‟impalpable, l‟escargot qui humecte son sillon, le terrain vague des pollens, la respiration de l‟instant, mais aussi dans cet espace indéfini où nous pourrions nourrir la vérité de Dieu / Car elle se cache dans le retrait de ligne, un saut de page ou un point final. Bayart, mine de rien, creuse


l‟essentiel de nos existences. C‟est dans cette ivresse même, dans ce vagabondage apparemment anodin mais si profond, dans cette ouverture aux choses et aux êtres, que nous conduit avec sagesse l‟écrivain alsacien. À quand la Résolution d‟une Grande Instance déclarant, tel le Chevalier de Boufflers en 1816, dans ses Pensées et Fragments : La société a besoin de poètes comme la nuit a besoin d‟étoiles ?

par Louis DELORME Pierre SELOS Ŕ LE CŒUR TAMBOUR Ŕ LE NOUVEL ATHANOR éditeur Poésie et chanson ? Quelle différence ? Georges Brassens ne se considérait pas comme un poète. Mais nous pensons tous qu‟il l‟était et parmi les plus grands. Victor Hugo pensait avoir mis assez de musique dans ses vers pour qu‟on n‟en rajoutât point. Et pourtant quelle réussite que ses Chansons des rues et des bois ! Et comme la musique de Brassens s‟harmonise bien avec les textes qu‟il a choisis, que ce soit chez Villon, chez Lamartine ou Hugo. N‟oublions jamais qu‟il y a de bonne chanson et de mauvaise poésie. Pierre Selos, qui nous a donné plus de vingt disques (45 ou 33 tours ) est véritablement poète et cette anthologie, LE CŒUR-TAMBOUR qui nous le donne à découvrir, nous montre un poète profondément humain, souvent révolté, comme ses pairs, chantant l‟amour et la rencontre: "Je ne croyais plus qu‟en mes doutes / Et, seul, je n‟attendais plus rien ; / Je tournais le dos à la route, / Celle du monde et des humains, / pour l‟avoir trop montrée en vain. // Mais j‟ai rencontré ton visage / Ton regard me disait : je suis / Un œil tout rond d‟oiseau sauvage / Profond comme un ciel sur la nuit, / Pour interroger l‟infini.» " Vivre sans l‟être aimé, le désert de solitude ; Pierre Selos nous communique son émotion, son désarroi : " J‟ai vu la Mer du Nord, / Je crois bien que le ciel était bleu ; J‟ai vu la mer sans toi, / Autant dire que je n‟ai rien vu... Je n‟ai pas entendu les vagues / Ni senti / Ce parfum de marée fait de mort ou de vie. " En vers classique, ou, comme on dit, libres, Pierre Selos sait bien que le rythme est la chose essentielle en poésie. Le poète chante la beauté de la nature, ce qu‟elle a de merveilleux, ce que l‟homme en a fait de bien : " Qui n‟est pas arrivé par la mer à Lisboa, Au lever du soleil ou le jour finissant, / Ne comprendra jamais qu‟il s‟agit d‟une femme / Qui repose alanguie au bord de l‟océan. " Il chante aussi, à l‟opposé du racisme, les êtres rencontrés dans ce qu‟ils ont de différent mais aussi de semblable à nous : "Tu viens à nous sans nostalgie / Et si tu parles de là-bas, / Tu es aussi de mon pays / Que ta mère a greffé en toi.// Fille de Méditerranée, / Entre le Croissant et la

Croix, / Il coule en toi des sangs mêlés / Et tu t‟appelles Lélia." Mais le poète, ce faiseur de rêve aux ailes de géant, ne se prend pas la tête, il ne perd pas de vue sa condition, il sait bien selon la formule dérisoire que la vie est une maladie mortelle et il dénonce dans son " En guise de Testament " les charlatans de tout poil qui nous abusent de toutes les façons, ceux qui s‟imaginent que l‟homme est un être supérieur " En moi n‟est pas de vérité ; Vie et rêve étaient confondus / Pour supporter la prétendue / Raisonnable réalité...// pas de péchés originels ! / pas de rachats ! Pourquoi ? Pour qui ? / Pour des clergés qui négocient / Des vies soi-disant éternelles ? // Pour qui se prennent-ils les hommes ? / Grains de poussière au cœur des mondes, / Moins signifiants qu‟une seconde / Du gigantesque métronome." Ecoutez les disques de Pierre Selos et relisez-le, il le mérite. Roland JOURDAN Ŕ VOUS PRENDREZ BIEN ENCORE UN VERS Ŕ Editions Thierry SAJAT Parmi les auteurs de poésie, il y a ceux qui n‟osent ou ne veulent pas faire simple, mais il y a surtout ceux qui en sont incapables. Ceux qui n‟osent pas affirmer la clarté, la sincérité, qui n‟osent pas donner du sens à ce qu‟ils écrivent, parce que la mode est ailleurs. Chercher midi à quatorze heures, c‟est bien ce qui nous a valu une poésie destructrice, proche du charabia, parce qu‟il fallait à tout prix montrer que l‟on était savant de quelque chose. Mais c‟était en fait se moquer du lecteur et – comme celui-ci n‟est pas trop bête – il a fini par se détourner du marché de la poésie. Le poème avait perdu son sens et les auteurs tout bon sens. Roland Jourdan est de ceux qui luttent pour que la poésie retrouve l‟éclat qu‟elle n‟aurait jamais dû perdre. Après le succès de son recueil, vous prendrez bien un vers, il a ajouté le mot encore à son titre pour nous présenter sa nouvelle production : ce sont des petits tableaux de quelques vers, bien moulés, bien arrondis, – quatrains, quintils ou sixains – ; des tableaux parisiens ( " Il vient de neiger sur la butte, / Pour imiter le SacréCœur, / Toutes les maisons se disputent / L‟uniformité de blancheur." ), des tableaux des saisons, de la rue, de paysages, des scènes de la vie courante : ( " Elle était si triste et jolie, / En face, sur un autre quai / Que je fis signe, et c‟est folie, / Car elle avait bien remarqué / Que notre idylle si jolie / Serait celle d‟un train manqué." ) On trouve aussi des portraits et çà et là des réflexions, plutôt que philosophiques, disons de bon sens : " Croyez m‟en fidèles amis, / La Poésie est carapace / Nous protégeant plus qu‟à demi / De l‟imbécillité vorace / Et cupidité des rapaces." Certes, comme le suggère Yves Tarantik, le préfacier, on peut faire abstraction des titres et lire le tout d‟une traite, comme un seul et même poème, mais on peut

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aussi savourer chacune de ces petites pièces et méditer ensuite sur leur portée. Comme on le fait avec les haïkus. Continue, cher Roland, nous prendrons bien encore quelques vers et quelques verres ensemble. Marie-Odile BODENHEIMER Ŕ TON AME EST UN SOLEILŔ Publibook Le soleil est un symbole récurrent en poésie. Tout comme il est la vie, il est la joie, il est le rire, l‟énergie qui nous pousse, nous stimule. Rien d‟étonnant à ce que l‟âme soit un soleil elle-même : " La conscience éveillée / Au mouvement de la planète / Ton âme est un soleil // La joie de reconnaître / Le temps de la fête de la terre/ Les yeux émerveillés / Ton âme est un soleil.". Ce poème éponyme est le dernier du recueil, la conclusion qui résume tout de la vie, cette vie qu‟il faut savoir apprécier, goûter dans toute sa splendeur, toutes ses saveurs : "Ensemble nous écoutons la chanson du monde / La musique de la fête pastorale / Le murmure du vent dans la campagne / La symphonie de la mer". Etre attentif aussi aux souffrances des autres : "Dans sa chambre d‟hôpital / L‟enfant triste / Souffre et pleure / de ne plus voir le ciel clair." Accepter la différence, accepter ceux qui n‟ont pas de patrie :" Les peuples de l‟errance / Accablés par le poids de l‟inexistence / ont perdu leurs repères et leur identité / Dans la nuit sans étoile de la destinée. // Les peuples de l‟errance / Recherchent les signes immatériels / Les rituels et les souvenirs cultures / De leur appartenance." L‟auteur nous environne de toutes ses expériences.

Jacques CANUT - PAROLES BUISSONNIERES Carnets confidentiels N° 34 (chez l‟auteur : 19 allée Lagarrasic – 32000 Auch). Jacques Canut est un poète authentique, mais plus que cela. Un poète qui va sa quête d‟instant en instant, de rencontre en rencontre, de façon buissonnière comme il se plaît à le souligner dans le titre de ce 34e Carnet confidentiel. Je verrais volontiers une sorte d‟autoportrait dans la première page du recueil. « Il ne se contente pas de survivre / en statue./ Il descend de son piédestal / compose un bouquet / des fleurs du parc sous la lune, / ouvre les ailes des matins / aux étés... » J‟imagine notre poète, qui me fait depuis très longtemps l‟insigne honneur de m‟adresser ses recueils, se promener le soir, sortir tôt le matin pour aller cueillir ces paroles buissonnières qu‟il nous livre dans chaque carnet Jacques Canut est un peintre-poète qui nous offre la palette impressionniste de ses mots : subtil mélange du présent et d‟un passé plus ou moins nostalgique L‟important, c‟est de se renouveler plutôt que regretter, malgré les lourdeurs de l‟âge : « On se laisse griser pour

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croire / que tout change en nous qui éclosons / mûrissons et regrettons / de nous voir flétrir. / Jusqu‟à quel âge estil possible / de renaître ? » Petits tableaux du quotidien ; d‟un quotidien peut-être ressuscité par le truchement du souvenir ? «Route des landes : / la nuit, la pluie / vers l‟Océan ( que tant de naufrages assombrirent) / pour déguster soleil, / le phénix du petit matin.» Les départs sont-ils encore possibles ? ne doit-on pas se contenter de les rêver ? « Aubes complices / où tout semblait promis. / Gravir la dune : / la lumière d‟été claquait au rythme des cerfsvolants amarrés / aux infinis virtuels / de l‟enfance.» Cette fois, plus de doute, nous sommes bien dans le passé. Ce passé à la fois si cher et si cruel parce qu‟il a cessé d‟être. C‟est bien vers son passé que l‟auteur nous entraîne : la Mancha, Tolède, Aranjuez, les bords du Tage, « les jambes laiteuses / pulpeusement dénudées / d‟une Anglaise dont l‟auto file / vers les luminosités aguichantes / trépidantes / d‟Andalousie. » Et pour finir, l‟Argentine ! que de fois Jacques Canut nous a fait le plaisir de nous faire cette invitation au voyage que seule la poésie est en mesure de réussir ! Jacques CANUT - DECLINAISONS Ŕ Raphaël de Surtis éditeur Un recueil illustré avec délicatesse, quasiment page après page, par Claudine Goux, une habituée des textes de notre ami. Des petites proses poétiques comme aimait en écrire et publier notre ami commun Claude Pétey dans ses Herbiers d‟images. Comme toujours, Jacques Canut nous entraîne à la recherche du temps perdu, de son temps à lui. Il évoque d‟abord sa mère disparue : « J‟entrai dans cette chambre désertée... Jamais je n‟avais vu cette pièce si lumineusement offerte au cours des six années que ma mère venait d‟y passer. Ces flots de clarté accentuaient le vide laissé par sa disparition. » On aimerait voir se poursuivre cette évocation, mais le flot de souvenirs ne se commande pas : ils affluent à leur guise et souvent dans un désordre qui nous échappe totalement. Déclinaisons ! Le poète se contente de nous en faire part, de les décliner, ( mais dans déclinaison il y a aussi déclin ) comme ils lui viennent, avec une émotion intense, les ressuscitant, parfois même, au présent, dans la perpétuité qu‟ils ont acquise : « Plus très jeune mais belle encore, elle me dépasse en trottinant sur cette plage déserte qui finit aux bouches de l‟Adour. » Tous ces êtres que l‟on côtoie, un temps de notre vie : pourquoi ? et pourquoi plus tout à coup ? « Un jour on se rend compte que cette personne a déserté le centre commercial ; pour quelle raison ? absence passagère, départ définitif, peut-être même décès ? » Jacques Canut possède l‟art de nous faire partager ses impressions, des impressions que nous avons tous, souvent sans nous en apercevoir. Ainsi va la vie avec ses


images changeantes, ses albums de photos, son sourire et ses larmes, Untel n‟est plus sur tel cliché qui fut à nos côtés lors de précédentes apparitions : « L‟horticulteur a quitté ce monde. // Un rosier persiste à fleurir / sur le jardin de l‟abandon.» Merci, cher poète de nous faire à la fois réfléchir et rêver.

par Christian AMSTATT Sous le regard des étoiles, par Yann LE PUITS Ŕ Ce manuscrit vient d’être couronné du Prix Aloysius Bertrand de la Société des Poètes français. Il est rare de trouver du premier coup en lisant un recueil de poèmes autant d‟images, de figures de style qui vous sautent au visage à tel point qu‟on s‟en trouve submergé, un peu comme ces vagues qui, plus fortes que ce que vous imaginiez, vous renversent dès que vous pénétrez dans l‟eau. Une telle richesse se passe aisément de la forme traditionnelle du poème telle que nous l‟entendons généralement. Ici, la prose poétique n‟est pas seulement suffisante, elle s‟impose. Il y a deux façons d‟évoquer la création du monde et des éléments. Tout d‟abord la scientifique, à grands coups de théories et de calculs, et la poétique, à coups d‟images rehaussées par les mots justes, juste les mots. Et voici que les deux se rejoignent. Quelle est la différence entre une explication du big bang vue par un astrophysicien et la création du monde vue par le poète ? Ici, nous sommes à la jonction de la science et de la poésie. Deux mondes qui, depuis toujours, ont été séparés et considérés comme antinomiques. On est un scientifique, cartésien et rationnel, ou un poète, idéaliste et rêveur. Voilà pour la version officielle. Or la réalité est tout autre. Elle nous apprend que le scientifique peut bien être aussi un poète. Tel spécialiste mondial des « trous noirs », l‟une des grandes énigmes actuelles de notre connaissance de l‟univers n‟est-il pas un authentique poète ? (Jean-Pierre Luminet auteur notamment aux éditions du Seuil points sciences de « Les trous noirs » et chez Folio essais de « l‟ Univers chiffonné mais aussi de plusieurs recueils de poésie). Et cet autre, parmi les plus grands astrophysiciens actuels n‟est-il pas aussi proche de Baudelaire que du big bang? ( Hubert Reeves auteur notamment aux éditions du seuil de « Poussières d‟Etoiles », « Patience dans l‟Azur », « L‟ Heure de s‟enivrer », « Dernières nouvelles du Cosmos »). Grâce à Yann Le Puits, nous apprenons, preuve en mains, que science et poésie sont infiniment plus subtiles et mêlées. Nous montons, de poème en poème, vers cette osmose qui fait du scientifique un poète et du poète autre chose qu‟un rêveur se laissant aller à ses éternels états d‟âme. N‟est-ce pas d‟ailleurs un poète, de surcroît maudit par excellence, qui a posé le premier la vraie question qui résumait à elle seule l‟une des grandes énigmes de la science de l‟époque : « Puisque il y a tellement d‟étoiles dans le ciel, d‟où vient que la nuit soit

si noire ? ». Et ce poète maudit, c‟était Edgar Poe. Yann Le Puits n‟a pas la prétention de répondre à cette question, mais il nous donne, au travers de ses poèmes une sorte de genèse Et tout commence, comme la genèse, par des ténèbres, mais qui vont bientôt se faire lumière et pureté : « Au commencement il y eut le magma, matrice de toutes les possibilités, ventre porteur d‟exponentielles fécondités : telle la seconde dans l‟éternité de l‟heure, s‟égrenait chaque millénaire…Partout régnait la Nuit, partout la lumière, insoupçonnée, souterraine, guettait l‟heure de son avènement. » « D‟avoir été sombres, eaux souterraines, si lumineuses ! » « …source ; en d‟autres mots : course de l‟eau. » « Source, flamme de fraîcheur ! » Et cette source, flamme de fraîcheur grandit, la course de l‟eau se poursuit. « En ne refusant aucun allié », le fleuve parfois « martyrise la vallée », sachant bien que même si « mustang fou, il accapare cultures et maisons » et que si « désemparés, les sinistrés l‟abhorrent : savent-ils que la détestation ne durera que le temps de l‟inondation ? » Et même quand l‟été « sable et vase deviennent alors ses maîtres, la crue hivernale restaurera sa dignité » Et peu importe alors sa fin. Estelle delta ? « Il déploie l‟éventail de ses bras; il nous appelle ». Est-elle estuaire ? « L‟estuaire n‟existe que pour nous échapper. » « Estuaire et delta: images l‟une de l‟autre inverses. Idéales réalités, qui se fondent en cette même source, le Fleuve, et l‟une par l‟autre se fécondent, dans la magnificence des contrastes ». Nous ne pouvons que nous sentir directement concernés par ces évocations, nous qui crions au malheur à chacune des crues du fleuve, qui invoquons les dieux, ceux de la genèse, pour mieux tenter de lui échapper. Ici la poésie la plus pure ne rejoint-elle pas le quotidien le plus sordide qui parfois nous accable ? Mais le voyage se poursuit entre cataclysmes divers et grondements de geysers « Ca se soulevait et gonflait, bouillait et bouillonnait, se distendait et se rétractait, sifflait et grondait, soufflait et ahanait, crépitait puis éructait, giclait et geignait, hurlait et crachait, masses de confusion et d‟impuretés, gigantesques boursouflures zébrées de déchirures, foisonnement de particules et jaillissements d‟atomes en bouquets, courses infinies des électrons et neutrons, lave universelle, fourmillement de larves, balbutiement des bactéries, fissions toujours démultipliées, cascades et torrents d‟explosions, chaînes et déchaînements de déflagrations et conflagrations, labeur de la matière qui travaillait à, et pour elle-même, s‟enfanter… ». « Bouillants fils de la glace » montant « à l‟assaut de la lumière » « au travers vous chante et gronde la terre »

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A nous qui avons perdu à la fois la notion d‟existence et de vie, qui ne savons ni d‟où venons ni où nous allons, répond un poète qui dans de sublimes images nous ramène à l‟essentiel et à la réalité la plus crue. La nature est bâtie sur le chaos que rehaussent encore les vents, ces « invisibles puissances » qui « de n‟être vues », les rend « plus terrifiantes encore ! ». Mais dans cette purée initiale, dans ces combats et luttes acharnés, même si « L‟ Homme n‟avait pas même l‟heur d‟être un projet…» naît déjà le « Rêve d‟orgueil irréalisable et fou, comme il sied à la poésie » Ah bien sûr, pour apprécier une telle poésie à sa juste valeur, il faut y mettre le prix : celui de l‟écoute, de l‟effort, en acceptant l‟humilité de n‟être rien au niveau du cosmos, sinon des poussières d‟étoiles, mais avec la certitude que « Par les déments d‟aujourd‟hui nous arrive la raisonnable face de l‟avenir ». Images de chaos autant que d‟harmonie, parsemées de figures de style, que seul un spécialiste chevronné pourrait peut-être recenser tant elles sont nombreuses, la poésie de Yann Le Puits nous donne à voir le monde véritablement tel qu‟il est, c'est-à-dire tel que nous ne le connaissons pas, car paradoxalement pour l‟homme ordinaire que nous sommes, ni la science, ni le peu de connaissances que nous avons ne peuvent décrire le monde, de la moindre source, du moindre ru jusqu‟à ce fleuve qui enfante la mer soit par son estuaire, soit par son delta. Et c‟est ainsi que par le miracle des images poétiques, se poursuit la quête entre météores, comètes et étoiles, « Ondes et vibrations et secousses et courants de l‟univers, qui de partout s‟écoulent et d‟où découle le poème ». « Au commencement était le verbe… » nous dit la genèse de l‟ancien testament. Mais ce verbe n‟est pas dieu. Il est celui d‟un poète « A cœur ouvert /Les sens aux aguets / Présent à toutes voix de ce monde / Attentif aux dix mille routes de l‟avenir / La vie au bout des doigts », qui restitue en des images splendides l‟unité du monde, tellurique et cosmique, dans laquelle se déploie une « victoire de pure beauté, miracle naturel, force et dynamisme, vérité de l‟être… »

par Stephen BLANCHARD LE SAUT DE L’ANGE (roman), Louisette MURE-AMALVY (Contact : Violette Barbosa-Ronget, 26, avenue du Lac 21000 DIJON) Selon l‟éditeur, Gaïa a une vie de femme en pleine expansion. Louisette MURE-AMALVY est née en 1936 dans une petite cité de la Drôme. Ce qui caractérise cet auteur, c‟est qu‟elle s‟ingénie à transcender la vie. Sa plume, ou plutôt ses doigts sur le clavier de l‟ordinateur, déborde de vivacité.

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Dire que l‟écriture, la littérature l‟ont sauvée d‟une grande tourmente ce n‟est pas trop dire. Etait-elle poète avant de naître ? Après un premier Gaïa dans lequel elle affronte la dure réalité, « l‟épreuve du feu où les yeux à trop voir s‟étonnent », dans cet ouvrage, elle rebondit, entraîne son lecteur dans la turbulence de Paris, « mes dents grincent comme des poulies », puis elle invite au voyage « jamais seule, toujours accompagnée de cette implacable cécité plaquée sur le visage, toujours devant », cécité qui n‟oblitère en rien sa curiosité vive, sa prudence, ce don de dépassement et d‟humour. Portée par une vision surréaliste et intérieure, sa plume se fait légère comme un pinceau de martre, elle peint, dépeint, colore, elle s‟enchante sans toutefois s‟égarer ; c‟est avant tout un éloge de l‟amitié, de la fraternité, de la liberté. Le regard est un et multiple à la fois : plus il se pose sur les êtres et les choses, plus il s‟agrandit, il est comme le cœur, il palpite. Et puis, il y a de petites perles de phrases : « Devant sa baie vitrée ouverte, les tilleuls odoriférants déguerpissent comme des mille pattes, insoumis » ou encore « les pagnes de couleur d‟oiseau du paradis ondoient, les cheveux crépus gonflent comme des vagues, les regards s‟irisent, les rires percent l‟écran et moi me regardant, j‟assiste à ma métamorphose »…

TURBULENT SILENCE, André PRONE (156, le St Victor, avenue des Lavandières 83110 SANARY SUR MER – 4, 70 €). Cet ouvrage publié aux Editions « le Luy de France » est le 17éme ouvrage publié par l‟auteur qui avait obtenu en 1995 pour « Secrète chair » le prix de l‟édition poétique de notre association. Déjà André est un passionné de poésie libre bien qu‟il s‟adonne de temps en temps aux essais et au roman. Ce nouveau recueil rend hommage au silence à travers les secrets nostalgiques de l‟Amour. L‟auteur revient aux sources du désir, se questionne sur le passé, invite sa tendre rêveuse au sentiment du Carrousel ; il a « des rêves de satin ». Son Amour est profond au sein du turbulent silence « finement ourlé de lumière ».L‟espoir dissipe ses peurs, ses alpages intérieurs se font printaniers, « deux lettres de toi, quel bonheur ». Cette peur du doute, cette peur du silence, douce absente et puis des mots qui font vibrer, des superpositions d‟image, une solitude omniprésente, l‟angoisse d‟un temps qui se fige « sur le non savoir », qui en dit long sur les chemins d‟incertitude. André est toujours en attente d‟une évidence, d‟un appel et ce silence le tue et le réduit sans cesse aux conjectures. Vertige de l‟homme victime de son mal être et de son petit jardin secret : « femmes, je crois que vous ne m‟aimez pas ». L‟auteur ressasse, s‟interroge, « il s‟éprouve » pour mieux renaître de ses silences et puis s‟enivre tout à coup à « la fraîche haleine dissidente de sa dulcinée ». Très romanesque comme recueil et pour 4.70€


LE PARFUM DE LA LUNE N° 3 de Yann VENNER, illustrations de Sylvie de Huslter. Contact : venneryann@orange.fr (Collection Les Poèmiers) Les Armoricaines-Editions ont pour vocation d‟œuvrer à l‟éclosion de livres d‟artistes, et par le biais de cette collection donnent l‟occasion aux arts graphiques de s‟exprimer et de porter les écrits. Ce recueil par lui seul dans sa composition originale numérotée est une magnifique œuvre d‟art. Instituteur depuis peu à la retraite, il vit dans le Trégor et il trempe sa plume pour écrire également des romans policiers, noirs et humoristiques. J‟aime sa citation qui dit « La poésie n‟est pas du vent, c‟est le vent qui est poésie ». Sa poésie richement illustrée par Sylvie de Huslter est accessible à tous les lecteurs : « Un poète vous aime et vous rend responsable d‟une très longue éternité » écrit-il humblement, lorsque plus loin il semble se nourrir de la sève d‟un sourire. Parfois le mot est un oiseau, un papillon de lune, une boîte à musique… puis « le matin se lève dans l‟attente des roses ». C‟est avec une mélancolie troublante que ce recueil se déguste et ce n‟est pas si étonnant pour un auteur qui écrit « il avait le pain triste tartiné d‟ombre ».

DURES PROCEDURES, par Marie-Claire CALMUS Editions Rafael de Surtis (chez l‟auteur, 36 rue Sibuet _ 75012 Paris). Cet ouvrage est le 44éme recueil de la collection « Arts Artistes » dirigée par Paul Sanda et imprimé par Rafael de Surtis. Je ne suis pas un professionnel de la nouvelle ni du roman mais en exergue cette citation en dit long sur le contenu de l‟ouvrage : « c‟est par ses incohérences qu‟un ordre révèle sa logique ». Analyse, impressions, pluralité des critiques, ressentis, comportements, dysfonctionnement du système, voilà un nombre impressionnant de mots qui influent sans cesse sur le cours des choses. : « C‟est le corps et l‟urgence vitale qu‟il implique qui dicte la forme du message ». Ici on tâtonne verbalement ses propres forêts, là-bas on débroussaille la lumière, on ne communique pas, on échange. Bref, l‟électrochoc est parfois de mise, à l‟heure du langage informatique et les pensées sont plus facilement le fruit du hasard… que du rêve. Que dire de la « dilatation psycho-physique à l‟intérieur de l‟espace-temps circonscrits » ? Un poème n‟est-il pas plus beau écrit sur un banc que devant un écran d‟ordinateur ? Où se trouve la part d‟imagination, d‟improvisation, de désir et de joie ? Une journée

moderne rend les dialogues indigestes et absurdes, l‟instant se trouve pénalisé, tout devient normes, cartes et codes. Même le GPS a remplacé les flâneries poétiques, on surfe jusqu‟à l‟épuisement du Je dépossédé de son Moi. Piratage, cryptogramme, contrefaçons, saisies, jeux, gangs, portables, trafics, arnaques, lotos… tout un vocabulaire au service des concitoyens afin de gagner encore plus de temps - soi- disant - et de se soumettre à la procédure du NET. L‟auteur ne mâche pas ses mots « sur les femmes esclaves » ou sur les « mules tracteuses des caddies en extension ». Malaises, obstacles, rentabilités, contraintes, profits, automatismes du no man‟s land fonctionnel, files d‟attente en surnombre, généralisation de la pensée unique, cerveaux vides, gestes vides, cœurs vides, vite « au suivant » sans coquetterie, sans sourires émaillés, antisocial à souhait. Rien n‟échappe à MarieClaire, ni les implants ni les prothèses… ni les rejets non plus ! C‟est la course à l‟esthétique, à la compétition de la sélection génétique par clips interposés, publicités mensongères, faux seins associés bien souvent aux infections nosocomiales, la limite pour plaire et sans fin en attendant de produire des ovocytes humains. Préservatifs, sextoys, jouets vibrants, « love-shop », échangisme, Gay Pride, tout une panoplie de procédures qui tend l‟onanisme à se substituer au coït. Qui se souvient encore de la douceur d‟une peau à découvrir, des mots susurrés, de l‟ancrage durable et profond du sentiment ? Alors quand on a rien plus rien à dire, on parle du CNIL, de l‟INSEE, du CPE, du CAC 40, du TGV, des CRS, du NDA, de la SNCF, de DSK, de la DST, de la CAF, on abrège les mots jusqu‟à l‟aberration, on croit être dans le vrai, on est dans le faux. L‟homme devient en quelque sorte un « jouisseur passif » et « le spectateur se culpabilise », la vie s‟inverse et le consommateur devient une banale marchandise. Gauche, droite, centre, extrêmes, chacun tient à sa vérité et chacun participe ainsi à son propre triomphe se présentant comme le sauveur du monde. Au fait, que fait l‟artiste sur la scène économique de notre société de consommation ? Il digère ses visions « enfermé dans la clôture des musées » entre performances et esthétiques, simulacres du cours de l‟art, car là encore, il faut répondre aux ventes, aux jeux de la critique et de la provocation, à l‟idée préconçue à ce que les autres attendent de vous, histoire de vous rattacher à une élite ou à une secte. Tout m‟échappe et tout est clair dans ce recueil où les procédures envahissantes conduisent à la désappropriation de l‟être humain. Trop de barrières, trop de « pseudos », trop d‟intérêts communs et une trilogie de vie future qui fait peur : « la chaise, le bureau, l‟ordinateur ». On ne s‟appartient plus, l‟esprit devient une « masse inerte », on ne converse plus, on s‟exaspère, on « erre dans le vide », c‟est un temps mort, nous nous minons à petits feux sans relations harmonieuses, et comme le dit l‟auteur : « ce temps si précieux est dévoré par des opérations vides, au bénéfice de la technique ». En conclusion on s‟endette à vivre, à rattraper sans cesse le temps perdu pour oublier les heures qui auparavant faisaient rêver. Merde ? Ça « bug », il est temps de sauvegarder ma procédure ? J‟écris donc je vis !

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POÉSIE ET ŒUVRES D’ART par Michel LAGRANGE Conférence donnée à l‟Athenaeum de Beaune, le samedi 1° octobre 2011, sur invitation des Poètes de l‟Amitié dans le cadre des 22ièmes Rencontres poétiques de Bourgogne. Je n‟avais que quelques repères sous les yeux, ce qui permettait une conversation plus libre et cordiale avec le public. Voici, en substance, ce que j‟ai dit, nourri par ma réflexion et mon expérience personnelle. Si l‟on s‟interroge d‟abord sur les raisons de créer, pour un artiste, musicien, plasticien, écrivain… on trouve des vérités profondes. Pour moi, le besoin de créer s‟est imposé peu à peu jusqu‟à devenir une urgente nécessité par des événements majeurs. La Mort. La mort de ma mère d‟abord, quand j‟étais un petit enfant. On ne s‟en remet jamais. Soit on se brise, soit on se bronze et l‟on fait face. Alors, on se dresse face au chaos, au vide, à l‟erratisme, au gouffre de la condition mortelle de l‟homme. Ce qui aurait pu devenir catastrophe et chute peut devenir une force nouvelle. Une issue de secours, mieux, une force, un appétit de lumière et de beauté, pour remplacer le désaccord, l‟enfermement du désarroi. La Mort est l‟ennemi public, et privé, numéro 1. Il est le mal nécessaire, la condition d‟une réaction, un excitant, un anti-destin. L‟artiste alors a l‟obligation de tirer de son angoisse une œuvre qui lui réponde. Qui ne la répète pas, qui ne s‟en fait pas un malin plaisir, mais qui choisisse l‟abîme d‟en haut, celui du dépassement, de l‟ascension, de la lumière. Cela s‟appelle sursaut, ou résilience en psychologie. Besoin de créer un jour de substitut, un jour plus fort, plus pur. Ainsi la souffrance subie jadis est-elle dépassée, transcendée, sublimée. Ainsi l‟œuvre d‟art n‟est pas un divertissement, mais un destin. « Une icône est plus fine, plus précieuse et plus belle quand l‟homme qui l‟a peinte est passé par l‟enfer » c‟est ce qu‟écrit le grand peintre d‟icônes, Andrei Roublev.

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« Rien n‟est plus fiel que de souffrir, rien n‟est plus miel que d‟avoir souffert » écrit Newton. Ainsi donne-t-on un sens à sa vie, ainsi, voyage-t-on au-delà des apparences qui blessent. En cela, le regard est essentiel. Non le regard de Narcisse replié sur son visage et sur ses maux devant le miroir, mais le regard de celui qui a ouvert la fenêtre et regarde au dehors, et communie avec le sens caché des choses, au-delà du hasard. Un regard qui connaît et devient visionnaire. Un exemple, celui que me fournit la rue de la Liberté, à Dijon. Il y a à une extrémité le Palais des ducs de Bourgogne : Une statue d‟Athéna, revêtue de la protection de l‟égide, symbole de la sagesse armée, place d‟Armes, qui deviendra place de la Libération. La sagesse libère. La liberté s‟engage alors dans la rue qui porte son nom, évite le piège du coin du Miroir, pour gagner l‟Arc de Triomphe. Victoire ! Mais, plus loin guette l‟Ours du square Darcy, symbole d‟une sexualité menaçante ! Catastrophe et désillusion ! Si l‟on prend la rue en l‟autre sens, on marche vers la sagesse et la victoire. Que de symboles, à l‟image d‟une vie développée dans mon roman « Les Morts de Sébastien Danger » (éditions Galilée.2007. Prix Bourgogne 2007) ! On pourrait multiplier les exemples d‟un regard à l‟affût, qui découvre ce qui est caché. Comme au Château de Potsdam, où les ruines artificielles viennent remettre en question la splendeur du Château de « Sans Souci ». Il s‟agit d‟un regard vertical, chargé de ferveur aimante, ouvert sur l‟au-delà. « Qui voit en toute chose l‟infini voit Dieu, qui ne voit que sa raison ne voit que lui-même » écrit William Blake. Ce voyage en dehors des apparences et des blessures de la vie ne se fait pas seul. Il a besoin d‟un vrai compagnonnage, d‟une véritable amitié poétique. J‟ai eu la chance de rencontrer de vrais amis tutélaires : René Char, Marguerite Yourcenar, Léopold Senghor, Pierre Soulages…qui m‟ont aidé à voir clair en moi.


Un des secrets de cette démarche poétique, c‟est-à-dire créatrice, est justement qu‟elle est en communion avec le monde, avec autrui. Si la création même a besoin de solitude, elle s‟épanouit et trouve ses prolongations dans l‟œuvre d‟autrui, dans le regard d‟autrui. J‟ai visité de prestigieux musées en Europe, en Amérique… Des œuvres m‟ont ému, jusqu‟aux larmes. Le vieillard du Greco, exposé au Metropolitan Museum de New York m‟a fasciné pendant 7 heures. Nous nous sommes emparés l‟un de l‟autre et je l‟ai aimé comme un frère adulte, à l‟ombre du déclin de l‟âge. Et combien d‟autres ! Ces œuvres qui m‟ont inspiré sont devenues un livre « Contre-Jours » où s‟expriment mes éblouissements (éditions Galilée. 2009) Et combien d‟autres peintres m‟ont nourri ! Roublev, Rembrandt, le Greco, Soulages…Mes rencontres avec lui, notre amitié, à Paris, à Sète, demeurent un des beaux événements de ma vie. Un livre est né de ces rencontres et de mon adhésion à son Outre-Noir (« L‟Hésitation n‟est pas un Nom de Dune » (éditions Voix d‟Encre.1999) Puis un livre de bibliophilie « « Soupçons du Noir » chez Virgile en 2006.

Cela ne peut exister sans le manque initial, la douleur fondatrice, celle qui pousse le poète au partage, à l‟échange, au don de ses capacités, quelles qu‟elles soient, à l‟autre. Question d‟amitié ou d‟amour. Il suffit d‟un regard, d‟autant plus riche qu‟il est multiplié par celui d‟un autre. C‟est aussi cela une forme amoureuse. C‟est ainsi qu‟on se dépasse ! C‟est ainsi qu‟on est un « Homme qui marche ».

Ce n‟est pas la notoriété d‟un peintre qui est prioritaire ! Ce qui compte pour que l‟échange ait lieu, c‟est l‟échange, l‟émotion, le déclic, le coup de foudre. Cela s‟est produit à Orléans avec le peintre et sculpteur Bernard Foucher, puis à Beaune, avec trois peintres, Marlyse Thétard, Michel Lucotte et Michel Gaudillère. Je me rappelle un tableau de ce dernier qui avait inspiré un poème. Le peintre a apporté son œuvre et moi j‟ai lu le texte inspiré. Quelle belle rencontre !

« deuillants…. pleurants… et fraternels ». Michel LAGRANGE (12, rue du Général de Gaulle - 21400 -

Une photographie, si elle me parle, peut devenir inspiratrice également, comme une pièce musicale. Bernard Béros est un photographe dont la sensibilité m‟est quasiment fraternelle. J‟ai écrit de nombreux textes sur ses photos. Il a photographié les Pleurants du tombeau de Philippe le Hardi sur lesquels j‟avais écrit, et cela a donné naissance à ce dernier livre « pleurants… deuillants et Fraternels » qui vient de paraître, grâce, entre autres, au Musée des Beaux-Arts de Dijon.

Un peu d’histoire :

Il suffit que je sois disponible, poreux, toujours prêt à recevoir pour donner ensuite, sous forme poétique. Ce sont des instants rares nés d‟un choc, de vraies visitations fécondes.

Chatillon-sur-Seine)

« Pleurants, deuillants, Pénétrés de rituel, Ils sont en train de pressentir Que le temps de la mort Est un buisson d’épines, Qu’on s’y écorche à pleine peau Afin d’en éclairer l’âme et l’esprit ».

Dès 1381, Jean de Marville, imagier du duc, qui avait travaillé à Rouen sous la direction de Jean de Liège au tombeau du cœur de Charles V, est chargé de l’exécution et de « l’ordonnance » du tombeau de Philippe le Hardi. Puis en 1389, Claus Sluter prend la succession de Marville pour le découpage, la mouluration, le polissage et l’ornementation des architectures d’albâtres. Philippe le Hardi meurt le 27 avril 1404 à Halle.

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Sluter laisse le tombeau en chantier, préoccupé par d’autres tâches et notamment pour les châteaux du duc et de la duchesse Marguerite de Flandres. Sluter meurt en janvier 1406 et la suite de l’exécution d’un grand nombre de pleurants est confiée à son neveu, Claus de Werve qui achèvera le tombeau à la fin de 1410. Toutes ces petites statuettes proviennent de l’albâtre de Vizille en Dauphiné, ce qui donne une fois poli, un ton ivoire finement nuancé. Les quelques rehauts d’or sur les parements des vêtements liturgiques sont de Jean Malouel, peintre en titre du duc. L’ouvrage : Ces statuettes, expressives et animées, témoignent de l’évolution de l’art funéraire au XVe siècle vers une sculpture plus souple et éloquente, influence incontestable de l’art bourguignon. Sous la direction du Musée des beaux-arts de Dijon, cet ouvrage a vu le jour grâce à la collaboration du poète Michel Lagrange (lagrange.michel @orange. fr) et du photographe Bernard Béros (beros. bernard@orange.fr). Ainsi, l’auteur s’est laissé envouter par la diversité des expressions silencieuses et pathétiques de ces pleurants traduisant les sentiments de deuil d’une époque révolue mais aussi en insistant sur cette fascination du temps qui passe, inexorablement. Méditation, recueillement, silence, exaltation de la prière, drapée de mots « emportés par un vent de hasard », mains tendues, genoux à terre, « le porte-croix suit du regard » les ombres lorsque « la mélancolie rôde à l’ombre des arcades ». Ici, pas de larmes, la douleur est apprivoisée car « les grains des chapelets sont le temps moissonné de l’âme ». Mystère de la foi, « chemin sans couture », gestes tournés vers l’infini, « passagers d’un tombeau », processions d’implorants et de fraternels contemplateurs lorsque « un homme inachevé est en proie aux remords ». Le poète a su ranimer le cœur de ces pleurants sortis de leur arcature « pour arrondir les derniers angles de la mort », ce qui porte la parole immortelle « à la portée de Dieu ». Stephen BLANCHARD

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Do BRASIL, par Yvan AVENA En prose et en vers.

Cette année la mairie de Goiânia s´est surpassée : elle a financé la publication de 183 livres d´écrivains de cette région du Brésil, dont beaucoup de jeunes auteurs. Ce sont, maintenant, plusieurs centaines de livres qui furent, ces trois dernières années, publiés grâce au soutien de la municipalité. La réalisation, très soignée, est l´œuvre de deux éditeurs : l´Université Catholique et l´imprimeur Kelps. Chaque édition est de 1000 exemplaires dont plusieurs centaines sont distribués, par la mairie, dans les bibliothèques des écoles. Pour cette fête du livre fut également édité pour la deuxième fois - un magnifique catalogue de 191 pages, avec la présentation et la photo de chaque auteur ainsi que la couverture, en couleurs, de


chaque livre publié (illustré avec une œuvre de la collection du Musée d´Art de la ville de Goiânia). L´inauguration fut faite dans un immense local, situé au sous-sol d´un centre commercial, ou chaque auteur avait sa table – signalée par une affiche reproduisant la couverture du livre – ainsi qu´une chaise et un paquet avec une centaine de livres. Au milieu du local un grand nombre de tables et de chaises étaient disponibles pour les invités. Une équipe de serveurs s´occupaient, activement, de distribuer boissons et gâteaux salés au millier de visiteurs assis ou qui bavardaient debout, faute de sièges, dans les couloirs rendant parfois difficile la circulation. Après que les auteurs aient été invités à occuper la scène - digne d´un opéra – et que les responsables de la mairie aient fait leurs discours chaleureusement applaudis - chacun repris sa place. Les auteurs, très sollicités par les visiteurs, commencèrent la distribution gratuite, pour cette occasion, de leurs livres dédicacés. Dans ce genre de manifestation, dans cette ville de 1.200.000 habitants, on a l´impression que tout le monde se connaît. Est-ce parce que les goianos sont tellement affables et souriants ? Ou est-ce que dans ce milieu, qui ne concerne que quelques centaines de personnes, les probabilités de se rencontrer sont plus grandes ? Quoi qu´il en soit, l´ambiance est toujours très cordiale et festive et, peut-être parce que personne n´en fait son moyen de vie, plus décontractée que celle que j´ai connue dans certains milieux intellectuels d´Europe. Je n´ai glané, pour cette occasion, que six livres : -« Chroniques de la vie quotidienne à Goiânia » (sélection 2007à 2009) par Monique Avena -“Reverências” par Elizabeth Caldeira Brito -“Verba Volant” ŔDiscursos- par Aidenor Aires -“Entrevistas de un Tempo” par Coelho Vaz -“pequenos mundos caóticos” par Dheyne de Souza -“Coração do Divino” par Rosane Coelho Braga, les deux derniers livres étant de poésie.

chroniques illustrées de photos sur notre vie à Goiânia. Son blog est http://goiania-voilapourquoi.blogspot.com/. On y trouve des articles sur la vie culturelle, mais aussi sur les fleurs, les parcs, les rencontres amicales, la cuisine régionale et sur notre chat brésilien «Charlie». Elizabeth Caldeira Brito, dont nous avons déjà parlé et publié les poèmes dans « Florilège » est une charmante poétesse, membre engagé de plusieurs institutions culturelles régionales, dont l´Institut Brésilien International de Culture. Son livre « Reverência » est une sélection de ses articles dans la presse de Goiânia. Nous avons eu l´agréable surprise de découvrir un article qui avait pour titre « Monique Avena, chroniqueuse du quotidien goiano ». Aidenor Aires, poète, président de l´Institut Historique et Géographique, est aussi un auteur que nous avons beaucoup traduit, dont le recueil de poèmes « XV élégies ». Son dernier livre, « Verba Volant », est une compilation de ses plus importants discours, dont celui de sa réception à l´Académie de Lettres de Goiânia en février 2000. Coelho Vaz a fêté, en 2011, ses 50 ans de publications. Il a également occupé d´importantes fonctions dans les plus prestigieuses institutions culturelles de la région, dont celle de Secrétaire d´Etat de la Culture. « Entrevistas de un tiempo » (Intervíew d´un temps) est son 22ème livre. J´ai également souvent traduit et publié, en France et en Belgique, ses poèmes. Dheyne de Souza, est une jeune poétesse que nous avons rencontrée, pour la première fois, à la table à côté de celle de mon épouse. « pequenos mundos caóticos » (petits mondes chaotiques) est son premier livre publié. Sa brève biographie n´est guère explicite sur son âge et sa formation d´artiste peintre. Néanmoins j´ai commencé à traduire ses poèmes – non sans mal – où alternent la passion et la déception amoureuse, dans un langage très libre et plutôt expressionniste. En voici un extrait :

Monique Avena est la première française qui publie régulièrement, depuis plusieurs années, un blog, avec des

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CéLINE : LE ROMAN SCIé par Jean-Michel LEVENARD

De lignes et d´omoplates

Elle efface sur ses bras tailladés la ligne des livres, des arbres, de l´autobus, de l´entrée. Elle efface et suit les traces de ses veines, son image coagulée de mémoire. Ses nuits se vident par ses pores. Ce sont des gouttes de mer qui pleuvent sur mes seins. La spirale de ses doigts vise audelà d´un cratère de rêves. Et elle l´accompagne. Sur le chemin tortueux de ses côtes elle trouve des maisons impénétrables, elle caresse le socle des portes, elle épie l´une et l´autre des fenêtres ouvertes, les rideaux sont agités par le vent, la toiture mouillée. Elle pénètre un peu plus, les meubles gémissent des strophes blanches, collages hésitants, oiseaux prisonniers, murs. Les ongles labourent son dos, s´échappent par le portrait et griffent le temps. Et ça continue. Il découvre les fentes langoureuses, titubant dans ses obscures et mystérieuses cibles. La langue efface les labyrinthes, enferme dans la lame les cyprès et s´éloigne pour mieux observer le dessin de son corps. Elle continue à s´éloigner. Les gouttelettes s´amenuisent avec la distance, les soupirs de sa respiration voilée, les vases deviennent lilliputiens sur la table. Tout son corps est une carte. Son corps en entier s´étend et dessine une autre ville à la hauteur des omoplates.

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Ça a commencé comme ça… « Mon vœu suprême, vœu que je prie les jeunes académiciens futurs d‟avoir présent à la mémoire, c‟est que ce prix soit donné à la jeunesse, à l‟originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme… » C‟était dans le fouillis testamentaire de ce bon Edmond (le frère à Jules). Celui de 1884, de testament, codicillé en 1887, 1890, 1892, 1893… A ne plus s‟y retrouver… En 1932, les « jeunes » académiciens accusent tout de même une moyenne d‟âge de 70 ans (on n‟omettra pas l‟inflation de l‟espérance de vie intervenue depuis qui rend ce chiffre du coup fort respectable)… Toutefois, depuis 29 ans qu‟ils officient – se passant le relais au moment du trépas – les académiciens ont peu failli au vœu du bon maître : les récipiendaires jusqu‟ici élus affichent, eux, 34 ans de moyenne. Côté hardiesse, il faut chercher davantage : on dira René Maran en 1929 (Batouala, roman nègre - oh ! les vilains qui vont tout nus, qui baillent toute la journée et qui ne disent pas merci pour les bienfaits que leur apporte la civilisation, et Dieu sait pourtant, si ça laisse des traces !) et Barbusse en 1916 ( Le Feu, ovationné par les poilus – tas d‟analphabètes – hué par les fins connaisseurs de l‟arrière – mais aussi comment connaître la dure réalité de l‟arrière quand on passe son temps au front à boire du vin rouge !)… Précisément, en 1932, l‟occasion de la hardiesse, c‟est du précuit… Quand Louis-Ferdinand Destouches transmet son manuscrit, « Voyage au bout de la nuit », il prévient : « J‟apporte à l‟éditeur le Goncourt dans un fauteuil ». Le fauteuil pour l‟éditeur, s‟entend ! Publié par Denoël qui saute sur le bouquin, court-circuitant Gallimard qui fait la fine bouche, le « Voyage » fait en effet aussitôt figure de favori. Pour le « Voyage », c‟est donc dans la poche… Le prix lui est attribué jusqu‟à la veille de sa proclamation… On a préparé les bandelettes de rigueur !


Plusieurs jurés l‟ont adopté. Lucien Descaves, l‟auteur anarchisant des « Sous-Off » ne pouvait qu‟être sensible à la charge rageuse portée contre les badernes militaires de tous poils, dont on proclamait ici la redoutable imbécilité portée en puissance par l‟excitation de la guerre. Jean Ajalbert est également de ses partisans, qui y retrouve sans doute la venimeuse nostalgie de la banlieue que lui-même a souvent évoquée : … parmi les végétations d‟herbe jaune, aux talus, et de linge qui sèche, et d‟arbres maigres comme des cannes à pêche, sous des bonnets de coton de nuages gris, des bonnets avec des panaches de fumées, d‟usines suburbaines, çà et là, semées, -tout un champ de tuyaux Ŕ aux portes de Paris, …

Il faut ajouter Daudet… Le 30 novembre 1932, un vote officieux donne 6 voix au « Voyage ». On est sur le point de faire une déclaration officielle anticipée… mais, on se retient… Le 7 décembre, « Les Loups » de Guy Mazeline reçoit le Prix Goncourt par 6 voix contre 3 au « Voyage » et 1 – celle du Président du jury, J.H. Rosny ainé – accordée aux « Formiciens » de son ami Raymond de Rienzi… Le « Voyage » recevra le même jour le Prix Renaudot… l‟accessit… Mais la magouille est évidente, menée semble-t-il à l‟initiative du Président du jury dont Gallimard – c‟est l‟éditeur des « Loups » - entreprend la publication de l‟un de ses ouvrages en feuilleton… Là-dessus, vous greffez un procès pour diffamation. Car, on s‟est un peu traité de vendu ! Providentiellement pour les « Goncourt », la borgnesse à la balance se plaît à la critique littéraire, et le seul à payer les pots cassés après des passes d‟armes entre journalistes, échotiers, critiques et jurés fut… le « Voyage ». Les attendus de la condamnation infligée au roman énonçaient qu‟y figuraient des « expressions outrageusement grossières et intolérables, susceptibles de révolter les lecteurs non avertis qu‟une récompense littéraire devait protéger contre d‟aussi désagréables surprises ». Résultat : on est prié de récupérer les premiers tirages ! Il faut procéder à des coupes avant réimpression, et voilà comment un vrai succès

littéraire vire au cauchemar financier pour le jeune éditeur Denoël. Mais, Céline est lancé. Il a mis le pied en littérature ! Peut-être même a-t-il le sentiment d‟avoir marché « dedans » ? Car, en définitive, ce sont les mêmes vacheries, ici comme partout, vacherie sur vacherie, sans espoir de plus amples horizons… Il avait conscience, débarquant avec son style - ou sa technique - qu‟il venait pour enterrer les verbeux, leur clique, leur procession. Avec le « Voyage », on l‟a tout de suite catalogué : -ordurier (quand il est à peine argotique) -grammairicide (mais avec le plus grand respect pour les imparfaits du subjonctif !) -pornographique (disons licencieux, et encore ! plutôt l‟effet de langage d‟un clinicien…) En tout cas, pour Céline, c‟est clair. Les Goncourt ont laissé passer le gros poisson, il ne repassera pas par là ! « Tout a été dit, tout, qu‟on n‟en parle plus » « Nous voici encore seuls » Céline restera marqué par cet épisode où il se sent la dupe d‟une « Institution » qui le rejette. Il ne fait pas de doute que le « Voyage » s‟inscrivait pour lui dans une stratégie de « reconnaissance littéraire ». En 1957, au moment de la parution de « D‟un château l‟autre », lors d‟un entretien donné à l‟Express, il replace le « Voyage » dans la lignée populiste, sous les auspices de Barbusse, Eugène Dabit… S‟agissait – paraît-il aussi - de se payer un appartement ! Le « Voyage » - c‟est Céline lui-même qui le dit – contient des « sacrifices à la littérature », comprenons des appâts pour le lecteur. Une phrase somme toute lisible, une histoire linéaire, une dramaturgie… En signant le « Voyage », Céline s‟est engagé à fournir un second roman. Quelque part, dans les limbes, il a peut-être l‟histoire du roi Krogold – sorte de légende médiévale… attention Toto, t‟es en train de nous faire un plagiat par anticipation du Seigneur des Anneaux ! - dont il nous donnera quelques échos dans « Mort à crédit » sous le déguisement d‟un récit sorti des « Belles aventures illustrées » que lui lit sa grand-mère… Récit qu‟il ressortira à nouveau lorsque Ferdinand adolescent le racontera à son tour à un coreligionnaire de chez Berlope (Rubans et garnitures…). Plus directement encore, au début de

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« Mort à crédit », il nous fait part de ses doutes sur le récit qu‟il entreprend, ou plus exactement, sur quel récit il pourrait bien entreprendre ? Ce second roman, ce sera « Mort à crédit », mais avant de s‟atteler à la tâche, il hésite, il consulte, il atermoie… Il en appelle à son cousin, Gustin Sabayot, toubib itou, mais pour gens probes et fortunés d‟en-deçà les fortifs, garant du bon goût, « expert en joli style »… Ces confidences, ces mises bouches, ces avertissements qui précèdent le corps du roman deviendront une des marques de fabrique de Céline, prenant même, d‟ouvrage en ouvrage, une place de plus en plus prépondérante. Un instant, une respiration dans le présent avant la plongée aux souvenirs… « Mort à Crédit » qui paraît en 1936 n‟a pas fait l‟impasse sur le tohu-bohu qui a accueilli le « Voyage ». Tout est repris par Céline, et outré avec un plaisir évident, de ce qui avait fait l‟objet de réticences, de reproches, de condamnations. L‟histoire –banale – reproduit le schéma du « Voyage ». Le « Voyage », c‟est Ferdinand Bardamu de 20 à 35 ans, dont la vie suit à peu près le cours de celle du docteur Destouches. « Mort à crédit », c‟est Ferdinand (plus de Bardamu ! L‟identification à l‟auteur a fait un pas de plus !) de 6 à 20 ans, dont les aventures sont sans doute moins exotiques que celles relatées précédemment (plus de Guerre de 14, plus de virées en Afrique, en Amérique…) mais pour lesquelles le précepte célinien « noircir et se noircir » joue à plein régime. Il brûle ses vaisseaux par rapport à une critique qui attendait peut-être de sa part une forme de repentir, un juste milieu réconciliateur… Céline fait les poubelles de son enfance, et donne à tout ce qu‟il évoque un surplus de relents – acrimonie, bassesse, vilenie, petitesse où macèrent les sentiments jusqu‟à la putréfaction des âmes… Seuls deux personnages échappent au sort commun de la médiocrité indiquant une sorte de chemin de traverse où leur radical individualisme fait heureusement le pendant au sec égoïsme des conformistes de tous ordres. La moitié du roman est ainsi consacré à élever un monument de quasi vénération à Coutial des Pereires, un escroc né (Et un Pied Nickelé, un !), amoral, asocial, voleur, menteur, profiteur, combinard, mais vivant !

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Céline s‟érige le définitif dés-enchanteur du monde, le dés-illusionniste, montrant les grosses ficelles pleines de nœuds de la moche mécanique qui soumet l‟enfant aux familles, la soubrette aux bourgeois, l‟homme à ses misères, à des désirs si grands qu‟ils le laissent sans envie. Il nous exécute la marche à rebours de l‟Espoir. Il ne sera déçu cette fois. C‟en est fini de faire le beau, il a choisi de leur tirer la langue, voire plus rabelaisiennement de leur montrer son cul. Aussi, selon diverses opinions ( « Tout le ban, le fin fond de la Critique, au sacré complet, calotins, maçons, youtrons, rombiers et rombières, binocleux, chuchoteux, athlètes, gratte-culs, toute la Légion, toute là debout, hagarde, déconnante l‟écume… ») le livre est à mettre à l‟index. Les troupes littéraires qui sont aux avant-gardes ont grand soin d‟observer l‟horizon sans voir cette météorite dans le grand ciel des audaces… Ici se situe l‟épisode des pamphlets antisémites auxquels la réputation désastreuse de leur auteur a donné un retentissement particulier. Si Céline n‟en reniera jamais formellement le contenu (ce que l‟on peut à juste titre lui reprocher, il ne consentira qu‟à un très insuffisant : « j‟ai joué et j‟ai perdu » ), il en interdira la réédition (cette interdiction n‟est pas le fait d‟une condamnation de justice), son épouse Lucette (Lili en service littéraire) reprendra à son compte cette volonté, et il faut souhaiter que les ayants-droits successifs la respecteront à leur tour. « Vraoum. Braoum.» En mars 1944, éclate un cataclysme littéraire : « Guignol‟s Band ! » Céline se sert sans retenue de sa petite invention, celle qui confère à ses récits cent ans d‟avance : « l‟émotion du langage parlé à travers l‟écrit ». Ce n‟est pas neuf en ce qui le concerne, mais on sent qu‟ici, il l‟emploie en toute liberté, dans la certitude qu‟il a de son intuition que la surabondance seule donne sa vraie mesure. Une écriture qui fonce à la vitesse de l‟œil. Caméra embarquée, rotation sur 360 °… Ses premiers ouvrages sont des épopées – en soi, dénonciatrices ou témoins, on choisira, des noirceurs humaines – encore en charge de visées morales, de considérations sociales, même si ils jouent du contrepied du cynisme, plutôt que la béate réprobation.


Guignol‟s band entame le cycle où le délire narratif devient la condition du roman… Peut-être débarrassé du souci de plaire au milieu littéraire, Céline n‟a plus, qu‟un seul interlocuteur, le lecteur qu‟il s‟autorise à brinqueballer. C‟est à lui de suivre, s‟il peut… s‟il veut… Le livre démarre sur un épisode de la débâcle de 1939 auquel assiste le Docteur Destouches - la destruction d‟un pont à Orléans- et sur trois diatribes alambiquées sans aucune solution de continuité entre elles, ni avec le récit qui succède dont on peut dire qu‟il forme la matière du roman, relatant la vie sur quelques jours d‟une « colonie française pour le moins interlope » à Londres en 1914. La période correspond bien à une présence réelle de Louis Ferdinand Destouches en Angleterre. Ferdinand se fait chroniqueur. C‟est le titre que va désormais revendiquer Céline. Proche, tout proche de l‟action. Le nez dans le guidon. Foison de détails, mouvement perpétuel… Il n‟y a plus de destin, que de fulgurants aperçus sur des existences qui échappent à tout contrôle. Le narrateur est quasiment muet, à la remorque… essoufflé… le lecteur est quant à lui un petit peu plus en arrière encore … et pas toujours dans le bon wagon ! L‟un des instruments techniques de Céline, les points de suspension dont on lui a déjà fait reproche, sont la trame permanente sur laquelle se bâtissent des paragraphes haletants… Céline ne se trompe pas, la parole s‟impose en effet dans la lecture de ce texte qui jaillit d‟une seule coulée, pratiquement dans un seul mouvement. Il ne faut pas s‟y fier. Tout est ajusté, pesé, cousu, recousu, millimétré. Il s‟agit d‟illusion, il s‟agit d‟art ! Céline prévenait ses éditeurs – dès le « Voyage », il s‟était montré d‟une exigence féroce : rien qui n‟ait été travaillé aussi longtemps que nécessaire pour rendre l‟effet recherché, et donc plus rien à toucher, plus rien à revoir, plus rien à changer. Pas une virgule, pas un seul des points de suspension… L‟après-guerre (une débâcle apocalyptique, deux ans de prison à Copenhague, cinq ans d‟ostracisme au Danemark à regarder les dunes, une fin de vie de médecin miteux) laissera tout loisir à Céline d‟exprimer sa désillusion littéraire en même temps qu‟il pourra dès lors laisser complet libre

cours à son style, sans se soucier des rejets, des silences, des hargnes… Il finira en dehors de toute clique… fournissant à Gallimard quatre titres entre 1952 et 1961. D‟un point de vue littéraire, c‟est un déferlement. Céline relate dans un savant débraillé son odyssée allemande et sa réinstallation hasardeuse en France. Les livres se succèdent satisfaisant chacun dans le désordre chronologique à l‟urgence de dire sans respect d‟une construction logique. Penser et croire lui ont coûté trop cher, désormais, il exècre et éructe, c‟est tout ! Les romans sont des grenouilles de laboratoire contorsionnistes, sans cesse agitées de soubresauts nerveux, palpitantes sous le scalpel, revivifiées d‟un jet d‟acide, d‟une pincée électrique… Les récits sont tronqués, hachés, touillés et retouillés dans d‟irrésistibles tourbillons qui ramènent à la surface les haines obsessionnelles du réprouvé universel… Il peut raconter dix fois (je minimise, en général, c‟est bien plus que cela...) la même scène, la luxuriance de son écriture n‟a pas de bornes. Céline joue les matamores. Son statut d‟écrivain majeur – qui va s‟affirmant au fil des années, au point qu‟il sera l‟un des rares « pléiadisés » de leur vivant chez Gallimard (qu‟au passage, il étrille jusqu‟au sang sur la moitié de « D‟un château l‟autre » traitant en particulier Gaston Gallimard qui l‟aide financièrement en l‟ayant pris sous contrat, de noms d‟oiseaux d‟une rareté exceptionnelle) – il le passe pour queue de guigne, assurant ne pisser de l‟encre que pour assurer la barbaque, ne tenant réellement qu‟à son statut de médecin. Mais tout concourt à pouvoir affirmer que chacun des romans qu‟il délivre est travaillé, retravaillé, ajusté, peaufiné pour répondre aux exigences de son ambition stylistique pleinement accomplie dans une solitude de ce point de vue libératrice. Et vogue la galère, il reste au lecteur à parachever l‟œuvre : sacrer ou massacrer !

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D’un Louis à l’autre par Stephen BLANCHARD

Ce n‟est pas tous les jours que l‟on fait tomber en même temps deux Louis de sa bibliothèque et pourtant d‟un Louis à l‟autre, de la naissance à la mort, chacun dans son registre, j‟ai pu entrevoir deux grands poètes. « Naître » de Louis LEFEBVRE (Paris, librairie Garnier, 1928) C‟est en été 1926 que l‟auteur a tracé sur une feuille blanche le premier mot de son recueil : Naître. Il ignorait à ce moment-là qu‟un enfant naitrait de lui, inspirant en partie les pages de son recueil : VOICI QUE MON ENFANT VA NAITRE Seigneur, Seigneur, voici que mon enfant va naître. Toute ma force maladroite de prier Ici je la rassemble et la jette à vos pieds, Pour l‟enfant que bientôt vous ferez apparaître. Je ne méritais pas cette gloire d‟un Être. Seigneur, vous m‟accablez avec trop de pitié. Maintenant, guidez-moi sur les minces sentiers Où rien ne marque plus le passage du Maître. Les yeux, les tendres yeux que je verrai s‟ouvrir, Saurai-je, sans blesser leurs fragiles paupières, Illuminer la joie, en eux, de la lumière ? Saurai-je lui parler ? Saurai-je le tenir ? Et saurai-je, penché vers la neuve figure, Trouver, pour la baiser, une bouche assez pure ? Et le miracle de la naissance arriva, incitant le poète à nous livrer ses états d‟âme remplis de tendresse dans ce poème intitulé : «J‟AI VU SON REGARD VIVRE » J‟ai vu ton regard vivre et qui me regardait Dans une chair fragile, étrangère à la mienne, Et la mienne, la plus vivante où m‟appartienne Un peu du calme amour que mon âme gardait. Ce candide regard sur les choses vieillies ! Est-ce vrai, que le mal du temps s‟est effacé ? Aboli le vieux nom inutile : passé, Vais-je revoir fleurir les fleurs que j‟ai cueillies ?

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Oui, tu es bien de moi, ô regard inquiet ! Puissè-je, si vraiment mon effort sera tendre, Te rassurer d‟amour, et te faire comprendre La douceur, sous les bruits éphémères, - qui est. Avec la naissance de son enfant, l‟auteur a trouvé l‟Amour en chaque heure nouvelle, tout lui parait candide et pur, il en oublie « toute la laideur des gens » et révèle la « lumière du matin dans l‟azur éveillée ». L‟enfant dort et dans les ténèbres, la vérité luit à la grâce de Dieu… sa chair de sa chair, cet enfant espéré est né. Et puis « voici qu‟à l‟horizon un poème se lève », l‟instant du rêve, inlassable, chargé d‟amour et de sérénité, ce rêve étrange qui « galope par les champs comme un cavalier ivre » et qui se blesse aux réalités de la vie, aux « vides d‟amour, gonflés d‟orgueil et de faiblesse ». En écrivant, l‟auteur apaise ses anciennes souffrances et ses doutes, il concrétise l‟ensemencement des « champs futurs » si chers à Dieu, dénonce à demi-mot le poids de l‟insupportable solitude et sourit tout à coup aux débordements attentifs de son âme qui s‟interroge sur l‟avenir de « L‟ARBRE» Au matin attentif du généreux été Vivace, haut jailli d‟un sol gonflé de sève, L‟arbre est né lentement s‟élargit et s‟élève Dans la grâce, la force et la sérénité. Rien ne reste alentour qui n‟ait toujours été, S‟il fut une tempête, un soir, elle fut brève. Les hommes qui passaient ont emporté leur rêve. Douceur. Calme du jour. Seule réalité. Les branches planeront, immobiles et vertes Devant l‟air sans saveur des routes entr‟ouvertes. La paix toute puissante ici s‟abrite et dort. Sous le frémissement de cet heureux feuillage, Quelque chose qui vit hors des songes de l‟âge Attend le bref hiver qu‟on nomme aussi la mort. Quant à l‟autre Louis LEFEBVRE « la mort est bleue » (Presse des Portes-Ferrées à Limoges), c‟est


notre chroniqueur de service au sein de la revue FLORILEGE. Son recueil qui date de l‟an 2000 est destiné comme il le signale en exergue « à tous ceux, à toutes celles qui m‟ont obligé à aller à leur enterrement, et qui bien hypocritement ne viendront pas au mien ». Il n‟y a rien de surprenant lorsque les poètes parlent de la mort car sans la mort, point de salut… et sans la mort, quelle valeur donner à la vie ? Carpe Diem... ! Mais dans tout cela, il n‟y a qu‟une seule vérité : la fin… toujours la même et c‟est parfois pour conjurer le sort que la plupart des grands poètes et chanteurs ont ridiculisé la Camarde… Chacun choisit son rôle et son destin, chacun se mijote son petit paradoxe poétique, sa propre philosophie de circonstance selon l‟humeur, la rumeur, la tumeur du moment… Bref, ne vaudrait-il pas mieux la séduire, ne serait-ce que par politesse et l‟inviter pour mieux la défier à la manière de Louis LEFEBVRE dans ce texte :

Que vivre est un cadeau, le plus précieux qui soit. Et si, le lendemain, devenu macchabée, J‟ai comme un doux sourire aux lèvres, mes amis, Vous saurez tous à quoi j‟ai passé ma soirée, Et pourquoi à présent, bienheureux, je souris. Et puis ce cérémonial du départ de plus en plus bâclé par les hommes est-il nécessaire pour dire une dernière fois à titre posthume : je t‟aime ? Louis LEFEBVRE a écrit « le mépris des morts » raillant le décorum, sans fleurs ni couronnes. Dans ce texte, l‟auteur ne recherche ni pleurnicheries, ni larmoiements et si vous souhaitez vivre avec Louis un bon moment, le faire de son vivant car sinon il risque de vous fausser mauvaise compagnie …

«LA DERNIERE SOIREE »

Les morts partent un jour et nous laissent tomber, Sans un mot et sans même agiter leur mouchoir ; Raides et méprisants dans leur beau corbillard, Et pas même émus de nous voir larmoyer.

Quand l‟intruse Camarde entrouvrira ma porte, Je lui dirai : Madame, oubliez votre faulx Posez dans ce fauteuil votre carcasse torte Vous avez grise mine et besoin de repos.

Même les plus polis des vivants, quand ils meurent, Deviennent incivils, grossiers et discourtois ; On se conduit bien mal au fond de l‟au-delà, Y‟a plus de savoir-vivre en l‟ultime demeure.

Car à courir sans cesse et à gauche et à droite Vous allez y laisser un jour votre santé. S‟entêter à toujours mettre les gens en boîte, C‟est un entêtement par trop immodéré.

Ainsi, toi, mon ami, je paie de mes deniers Ta messe chantée et une belle oraison ; Mais tu n‟as pas un geste, ou un merci, oh ! Non ! A croire, mon salaud, que tu t‟en vas fâché !

Soufflez… Détendez-vous… Dégrafez votre suaire… A mon âtre venez réchauffer vos vieux os. Pour donner des couleurs à vos joues de misère, Laissez-moi vous offrir deux doigts de mon porto.

Ainsi moi, à présent, les regrets éperdus, Et les pots de chrysanthèmes, c‟est bien fini. Je romps avec l‟armée de tous ces malappris, J‟ai, afin d‟en finir, fait une croix dessus.

Enfin, pour respecter la courtoisie humaine, Je trousserai son suaire, à la sévère miss. Je lui caresserai sa symphyse pubienne Et je titillerai galamment son coccyx.

Même lorsque l‟un deux, ayant quelques remords, Vient la nuit me hanter, revenant pleurnicheur, Je fous ce triste sire à la porte sur l‟heure, Même s‟il me supplie et s‟il neige dehors.

Comme vos os sont doux ! Dirai-je à cette dame, En caressant sa fosse iliaque tendrement. Et vos ischio-pubiens, au jeu du trou-madame, Plaisent aux doigts qui jouent à s‟y glisser dedans.

J‟ai décidé de ne plus aller, pour mon bien, Aux enterrements où les défunts me convient : Et quand aux faire-part, je leur réexpédie, Poste restante, à Thiais, à Montmartre ou Pantin.

Les femmes cachent tout sous des formes replètes : Embonpoints, bourrelets, capitons de saindoux… Madame, vous au moins, on voit votre squelette ! Aucune femme n‟est aussi franche que vous !

J‟ai pris en grippe tous les macabres convois, Ces noires torpédos avec leur mort dedans ; Et mes enfants, le jour de mon enterrement, Je m‟arrangerai bien pour n‟y assister pas.

Je la serrerai fort en sentant ses vertèbres, Ses côtes, son sternum craquer entre mes bras, Pour qu‟elle sache bien, la dame des ténèbres,

Mais je vois à votre air que vous ne pigez pas. Un effort, s‟il vous plaît, ce n‟est pas bien savant : Comprenez bien que les morts sont toujours absents,

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Car lorsque l‟on n‟est plus, peut-on être encor là ? Ainsi, vous irez seuls à mon enterrement ; Moi, je serai ailleurs ou au diable vauvert. Les croque-morts transporteront un courant d‟air. J‟ai hâte, je l‟avoue, de vivre un tel moment. Mais qui peut prétendre, et par anticipation et le corps gorgé de morphine, ce que l‟esprit pensera à l‟heure fatidique du dernier râle ? Fantaisie ou prémonition, métaphores du pire à venir, toutes les options sont bonnes et pour parfaire cette conclusion, les écrits du poète ne lui offre-t-il pas une façon de survivre comme dans ce texte en réponse à « la chanson des deux sonnets » de Ronsard : Les poètes ont l‟art, grâce à maintes ficelles, D‟embobiner la mort, de la mettre en beauté ; Ils maquillent ses joues, ils lui font un faux nez Et parent son linceul de martre et de dentelle. Mais moi, je revendique et bien fort j‟en appelle Au droit de parler vrai, au droit de piétiner Ces couronnes, ces croix, ces draps au noir drapé Et ces roses qui puent et que l‟on amoncelle. J‟irai te mettre en terre avec mes gros sabots, Mes gueulantes impies, ma hargne anti-catho Et ce foutu bon Dieu va m‟entendre, bordel ! Mon chagrin déferlant sera raz-de-marée ; Sa vague balaiera tous ces cons endeuillés, Et ce monde imbécile où la Camarde est belle ! Et voilà que s‟achève la lecture des deux « LEFEBVRE » homonymes mais complémentaires comme deux frères. L‟un fait apparaître que le destin de l‟homme est formé d‟une suite infinie de naissances, l‟autre met en évidence une vérité première et une finalité qui triomphe à chaque fois, la mort. Entre les deux, nos poètes partagent le même bonheur : la vie !

Le nom des « LEFEBVRE » est largement répandu, déjà au Québec avec un Louis LEFEBVRE, actuellement éthologue, artiste multidisciplinaire, peintre, sculpteur et poète… et un pâtissier qui à Nantes inventa en 1886 la fameux « petit lu » et savez-vous pourquoi ? Il avait épousé une demoiselle Utile… qui deviendra la maison LEFEBVRE-UTILE d‟où « LU ».

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Semaine de la langue française

Comme chaque année, on nous convie à jouer avec quelques mots choisis de la langue française. Pour cette version 2012, les mots convoqués pour affronter notre sagacité sont : Ame – Autrement – Caractère – Chez – Confier – Histoire – Naturel – Penchant – Songe – Transport Pour ne pas être en reste et pour remplacer le poil à gratter, FLORILEGE vous propose de participer à une séance récréative autour de ce choix, en réalisant une grille de mots croisés qui devra tenter de satisfaire au mieux les deux contraintes énoncées ci-dessous : 1. Grille de 9 x 9 cases 2. Intégrer le plus grand nombre possible des mots de la Semaine de la langue française et de la Francophonie dans la grille Les grilles devront être adressées (avec leur jeu de définitions) avant le 10 février à la revue qui publiera les 4 meilleures propositions dans son numéro de mars 2012. Le classement des grilles proposées se fera sur la base de : + 5 points par mot de la Semaine intégré + 1 point pour toute définition « littéraire » (faisant allusion à un auteur, à une œuvre…) - 2 points par cases noires - 2 points par lettre isolée (c‟est-à-dire définie dans un seul sens) - 1 point pour les abréviations, onomatopées, et écritures phonétiques abusives

C U R E H E T E N N Z O L A 1 mot de la semaine : 5 (chez) 3 définitions littéraires ( en supposant que curé fasse appel à Bernanos, Etna à Empédocle ; Zola allant de soi ;) : + 3 2 cases noires : - 4 4 lettres isolées (1 h ; 1 l ; 1 n ; 1 u) : - 8

Exemple de comptage (la grille ne tient pas compte de la contrainte 9x9) :

La grille recueille -4 points et vous laisse donc toutes vos chances !


Un poème du poète chevalier: ‘Antara Bnu Chaddâd Par Djaouida ABBAS ŔMaître assistant Université Saad Dahlab – Bilda (Algérie)

Introduction : La poésie est l‟harmonie parfaite entre la cadence rythmée et les silences, entre le visible et le sensible et entre le mythe et l‟imaginaire. Elle est définie par Efim Etkind comme « l'union du sens et du son, des images et de la composition, du fond et de la forme »1. Cette force divine comme l‟appelait le poète français Boileau dans son Art poétique2 ne pourrait naître que par la bienveillance du ciel et des astres pour ne générer qu‟émerveillement et ravissement. Le choix du poème de „Antara Bnu Chaddâd, poète préislamique, n‟est pas fortuit. L‟Histoire regorge de récits de chevaliers audacieux et de célèbres poésies déclamées en leur honneur par d‟illustres aèdes. De même, l‟usage dans la poésie a consacré la pratique selon laquelle un hommage est rendu aux héros des années, voire des siècles, après leur disparition. Mais quelquefois, l‟Histoire nous offre aussi l‟occasion d‟apprécier la vie et l‟œuvre du chevalier-poète. L‟authenticité de ce personnage réside dans la préservation de ses pensées, de ses sentiments et de ses hauts faits d‟arme tels qu‟il les perçoit dans ses poèmes. Ceux-ci nous parviennent à travers les âges de leur source d‟origine sans être altérées par le processus de mythification que l‟on doit à la mémoire collective dans la création identitaire. D‟autre part, c‟est l‟occasion de puiser pour ces mêmes valeurs d‟amour et de chevalerie un vécu culturel autre, que celui des chansons de Geste à l‟époque médiévale. C‟est pour cela que nous nous sommes permis de proposer une traduction d‟un poème de „Antara Bnu Chaddâd afin d‟avoir ne serait-ce qu‟une esquisse de cet intense élan amoureux, qui poussait le poète arabe à défier les plus courageux des guerriers pour plaire à sa dame

de cœur, et par la même occasion apprécier les particularités de ce type de poésie.

Les prémisses préislamique :

d’une

poésie

Il faut dire que la naissance de la poésie arabe remonte au temps préislamique, dit « archaïque », aux environs du sixième siècle. Elle faisait l‟objet de toutes les attentions chez différentes tribus qui peuplaient la péninsule arabique. Celles-ci étaient divisées en deux grandes populations : les arabes yamanites qui parlaient la langue arabe et les arabes Muḍrites, qui avaient appris progressivement à parler l‟arabe. Avec le temps, en raison des fréquents déplacements de ces tribus nomades à la recherches de terres fécondes pour leurs campements, ces dernières se divisèrent en sous tribus. A ce propos Salam Al-Kindi parle de « Tribus errant dans le désert, avec leurs familles et leur bétail, de campement en campement aux traces vite effacées. Tribus qui se combattaient sans cesse, pour se réconcilier, s‟allier, puis se combattre encore »3. C‟est ainsi que la tribu Muḍriya se divisa en Hudhayl, Tamîm, Asad, Kunâna, Thuqayf, Quraych… alors que la tribu yamanite comprenait Kahlân, Ḥumayr, Leḥm, Keneda, Aws, Khazredj… En ce temps parmi les poètes les plus célèbres il y avait Umaya bnu Abî Aṣṣalt (de la tribu de Thuqayf), Abu Dhu‟ayb Al Hadhlî (de Hudhayl), Al 'Abbâs bnu Merdâs (de Banû Salîm), 'Amîr bnu Aṭṭufayl (de Ben Ya„mur ben Ṣa'ṣa'a), Imrû‟l-Qays (de Keneda), Ibnu 'Adjlân Anehdiy (de Beni Nehd)… Le début de la poésie reste incertain et très vague. On parle au début de l‟emploi d‟une prose riche de figures rhétoriques qui se transforma en poésie grâce à l‟utilisation répétitive d‟une

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Efim Etkind, Un art en crise: essai de poétique de la traduction poétique, l‟Age d‟or, Lausanne, 1982, p.xi 2 Boileau Nicolas, L‟Art poétique, Bordas, Paris, 1963.

3

Salam Al-Kindi, Le Voyageur sans Orient, Sindbad, Arles, 1998, pp.21-22.

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musicalité spontanée à l‟image de la nature brute du désert et de l‟infini et fragile jeu des dunes. La tradition poétique voulait que le poème s‟ordonne en une forme structurelle divisée en deux temps qui ressemble à l‟ode que l‟on appelle qaṣîda. Composée pour la première fois par Imrû‟l-Qays, elle respectait un ordre thématique bien établit. Le poète commence son poème avec une introduction élégiaque et mélancolique, dite Anasîb. Il y décrit sa relation avec la bien-aimée qu‟il évoquera après une longue errance, ce qui le plongera dans une pesante solitude et une intemporalité sans repères. Il aura pour seule consolation, la présence de sa monture et des animaux sauvages. A la fin, avec une grande désolation, le poète exalte l‟honneur de la tribu et sa disposition à faire la guerre en son nom. Parmi les poèmes les plus connus il y avait les Mu'allaqât, les poèmes suspendus en lieux publiques comme la Kaaba. Toutes ces œuvres étaient basées sur les plaintes à part celle de 'Amrū bnu Kelthūm Etaghalubî qui commença ces vers avec un discours dédié au vin et à l‟art de courtiser. La qaṣîda ressemble à l‟Odyssée, récit est riche en aventures et en rencontres marines et terrestres, à la différence que la première narre le voyage dans le désert. Le poète seul sur sa monture ressasse le souvenir de la tribu et de la bien-aimée. Ce voyage appelé Riḥla chante la nature et ses différents paysages et décrit en même temps l‟état d‟esprit du poète qui tente de rejoindre le campement de sa dame. Le poème peut aussi changer de registre pour parler des animaux rencontrés dans le désert, une partie de chasse où le chasseur, vif et courageux, défie la bête et la tue. „Antara Bnu Chaddâd : Pour chanter l‟honneur et gloire de la tribu, la lutte impitoyable contre la nature aride, le courage et la recherche de la bien-aimée, il n‟y avait que le poète arabe „Antara Bnu Chaddâd4 pour le faire, parce qu‟il était considéré comme poète d‟exception pour son style illustre et son aisance poétique. On ne connaît de sa chronologie que la date de sa mort en 601. Fils illégitime d‟une esclave abyssinienne, Zubayba, et du chef de la tribu de Beni „Abs, il a su imposer à ses ennemis crainte et respect grâce à son courage et sa combativité. En tant que poète, „Antara s‟est fait une réputation depuis l‟enfance. Quand son père a vu en lui une âme fougueuse ayant pour exemple les poètes voleurs (al Ṣa„aliqa), il a décidé de l‟éloigner de sa famille et de ses rêves de petit enfant. Mais

voilà ! L‟assonance poétique de ces premiers poètes l‟avait déjà fortement imprégné. Parmi les arabes, il était connu pour sa bravoure et sa stature imposante. Personne ne pouvait deviner qu‟il avait un cœur délicat que par la douceur de ces vers et la dignité qui s‟en dégage laisse voir un tempérament passionné. Il tombera amoureux très jeune de sa cousine „Abla qui sera la muse chantée dans ses poèmes, mais qui lui sera interdite à cause de la couleur de sa peau et de son origine illégitime. Sa vie comme sa mort continuent d‟alimenter les imaginations. La légende voudrait qu‟il ait été tué dans le désert lors d‟un combat effroyable contre un lion. Traduction d‟un poème de „Antara Bnu Chaddâd : Parmi les nombreux poèmes de „Antara nous avons choisi de traduire le poème suivant5 : Laissez-moi m‟appliquer dans ma quête de gloire, et parvenir au plus haut des rangs. Peut-être que „Abla contente, ma noirceur elle dépassera et l‟image de la colère elle effacera, si elle voyait le commun des seigneurs en procession, au mois de Rajab6, visitant mes vers en un coin de la Maison7. Ô „Abla lève-toi, regarde mon geste, Et auprès de l‟envieux ne t‟enquiers point des mensonges sur mes faits. Quand les cavaliers, me regardant dédaigneusement, chargèrent tous les intrépides tendaient à fuir la guerre. Je ne leur ai point laissé voir le visage d‟un vaincu, ni d‟issue qui les sauva de l‟estropiement. 5

‫ة‬ ِ َ‫َحَ انقُصٕٖ ِيٍَ ان ُسذ‬ٚ‫َٔأَتهُ ُغ انغا‬ ‫ة‬ ٕ‫عَهٗ َسٕاد٘ َٔذًَح‬ َ ‫صٕزجَ انغ‬ َ ِ ‫َض‬ ‫ة‬ ِ ‫ َز َج‬ٙ‫د ف‬ ِ َٛ‫ذَزٔ ُز ِشعس٘ تِسُك ٍِ انث‬ ‫ب‬ ِ ‫ك تِان َك ِر‬ ِ ٛ‫ُ​ُث‬ٚ ٘‫ ان َحسٕ َد انَّر‬ُّٙ‫َع‬ ‫ب‬ ٍ ‫قداو َحس‬ ِ ‫ب يا َل نِهَٓ َس‬ ِ ‫َٔ ُكم ِي‬ َ َ‫َٔال ط‬ ّ‫َج‬ ‫ة‬ ‫ط‬ ‫ع‬ ‫ان‬ ‫ي‬ ‫ى‬ ٓ ٛ ُ ٚ ‫قا‬ٚ‫س‬ ِ َ ٍَ ِ ِ ُ َ ٙ‫صث‬ ٕ ْ ٔ ‫شاب‬ ّ ٛ ‫ن‬ ‫إ‬ ‫د‬ ٛ‫ن‬ ٕ ‫ان‬ َ َ َ َ ِ ِ ِ َ ٍُٛ‫َع‬ َ ‫َٔأَص‬ ‫ة‬ ِ ََٓ‫ ِش َّد ِج انه‬ٙ‫ َا َزْا ف‬ٙ‫طه‬ َ‫نَُّ َجثاتِ َسجُ األ‬ ‫ب‬ ِ ‫عجاو َٔان َع َس‬ ِ ٙ‫ ال ٔ ال تأت‬ٙ‫ ال تأي‬ٙ‫تصازي‬ ‫ٔ يٍ أتٗ ذاق طعى انحسب ٔ انحسب‬

6

4

Son nom est „Antara bnu Chaddâd bnu „Amru bnu Mu‟âwiya bnu Qirâd al„ibsi.

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Le texte original arabe se présente comme suit : َ ‫ ان‬ٙ‫ا ِء ف‬ٛ‫ أَ ِجد إِنٗ ان َعه‬ُٙ‫دَع‬ ‫ة‬ ِ ‫طه‬ ٌ‫َح‬ٛ‫زاض‬ َٙ َْٔ ٙ‫نَ َع َّم عَثهَحَ ذُضح‬ ِ ‫خ سائِ َسج‬ ِ ‫إِذا َزأَخ سائِ َس انسادا‬ َ ٙ‫ َٔال ذَ َسه‬ٙ‫ اَِظُس٘ فِعه‬ٙ‫ا عَث َم قٕي‬ٚ ُ ‫إِذ أَقثَهَد َح َد‬ ُٙ​ُ‫ق انفُسسا ٌِ ذَس ُيق‬ ُ ‫فًَا ذَ َس‬ ‫كد نَُٓى َٔجٓا نِ ًَُُٓ ِز ٍو‬ ‫فَثا ِدز٘ َٔاَِظُس٘ طَعُا إِذا َ​َظَ َسخ‬ ُ ِ‫ُخه‬ ‫ٓا إِذا تَ َسدَخ‬ًٛ‫ب أُح‬ ِ ‫قد نِه َحس‬ ‫ثًُا َجسَّدذُُّ َس َجدَخ‬ٛ‫صاز ٍو َح‬ ِ‫ت‬ ِ ‫اء يُزنح‬ٛ‫ٔ قد طهثد يٍ انعه‬ ِ‫حاذز‬ٚ ‫فًٍ أجاب َجا يًا‬

Rajab est le mois du calendrier musulman où il était convenu d‟arrêter la guerre. 7 Ici „Antara fait référence à la Kaaba surnommée aussi la Maison Sacrée.


Alors, ose et regarde les estocades à la vision desquelles un nouveau-né vieillirait tout en demeurant enfant. Je suis né pour la guerre, j‟attise son feu quand elle devient blême, Et je m‟en réchauffe au plus fort des flammes. Là où je tire mon épée s‟agenouillent les puissants des arabes et leurs pairs, car j‟ai demandé une place à la gloire, Au nom de mon épée, non point pour l‟amour de ma mère ou de mon père. Ceux qui acceptent seront saufs de ce qu‟ils craignent, et ceux qui refusent goûteront à la saveur de la guerre et à la guerre. „Antara au début de son poème veut la gloire comme Achille qui a été hissé au panthéon des héros en gagnant l‟estime de sa communauté : devenir un fils légitime et être reconnu par sa tribu. Ce rang qui au premier abord indique le statut social de noblesse pourrait insinuer métaphoriquement la place la plus digne dans le cœur de „Abla. Comme tout amoureux, le poète veut que sa dame soit heureuse, qu‟elle oublie la couleur de sa peau qui semble constituer un rempart à son consentement et à la bénédiction de la tribu pour une éventuelle union, et qu‟elle le juge

pour ce qu‟il est, ce qu‟il essai de devenir – pour elle, et non en croyant les médisances des jaloux. Cette petite entrée dédiée à „Abla sera suivie rapidement d‟un discours élogieux où le poète exaltera avec fierté sa poésie suspendue à la Kaaba et lue par les grands seigneurs, il ne manquera pas aussi de chanter son adresse et son courage en temps de guerre. „Antara veut plaire à sa bien-aimée et donc il n‟hésitera pas à vanter ses mérites. Il se décrit comme un chevalier qui répond au défi sans peur ni lâcheté. S‟il entre dans un conflit il n‟en ressort jamais vaincu et ses adversaires n‟échapperont point à ces coups. „Antara continuera dans sa propre louange en se comparant à un brasier qui maintient le feu de la guerre. Grâce à son courage et à son art de faire la guerre, il a obtenu le respect de toutes les tribus et a laissé sa trace dans les mémoires.

La femme et la guerre: Le poème développe deux thèmes à savoir l‟amour et la guerre. La thématique de l‟amour de la femme, „ichq, hawâ, est comprise dans une anthologie jâhilite plus large dite ṭalal ou épiphanie de la ruine, où le poète retournant dans le campement, sur les traces de la bien-aimée, le trouve désertique et en ruine : La ruine n‟est, à la surface du désert, rien de plus qu‟une trace, mais elle est immédiatement dite

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comme la trace de ce qui entraîne toute trace vers sa de séduction et la joute verbale, qui présente le disparition8. portrait d‟un guerrier invincible et habile poète élevé Le constat de la perte engendre solitude et au plus haut rang de la vie sociale et culturelle. gémissement sur ce qui a existé jadis, mais l‟image Finalement, „Antara par ces vers a voulu de la femme reste pérennisée. Entre icône sensuelle conquérir sa bien-aimée et être respecté par ses et mirage spirituel, elle vit précieuse dans la pairs. La guerre sera la clé qui ouvrira toutes les nostalgie du poète et dans l‟imaginaire comme « Un portes et forgera la personnalité du cavalier : preux mystère qui promet du plaisir. Mais aussi une et courageux devant l‟ennemi, il s‟engage à porter présence évanouissante9. Ce qui de l‟être scintille et avec fierté l‟étendard de sa tribu. Ce tableau bédouin s‟éclipse à chaque instant »10. La réminiscence du de luttes continuelles se figera le moment de la souvenir de la femme est perçue comme un signe qui rencontre avec „Abla et scintillera de plus belle à trahit le langage du cœur. Il sera la promesse travers les artifices militaires et le retentissement des languissante, prélude au bonheur et aux joies de épées, car „Antara laisse parler l‟homme courtois qui l‟amour. n‟a autre but que le contentement de sa dame. Pour La deuxième thématique qui concerne la cela il sera le plus respecté, le plus guerrier, le plus guerre, s‟articule autour de la gloire que le poète poète que possible par amour pour elle. veut tirer grâce à ses vers et à sa bravoure en temps de conflit. Son but est d‟éblouir „Abla avec l‟éloquence de sa lame et de ses rimes et pour gagner son cœur. Dans ce contexte de paix fragile Djaouida ABBAS Bibliographie : pouvant être rompue au Née en 1976 à Médéa – Algérie, elle -Abu-Nuwās, Così rossa che la moindre prétexte : l‟honneur rosa, Carocci, Roma, 2007. est spécialiste en littérature italienne à de la tribu, la défense du - Adonis, Introduction à la poétique l‟Université de Blida, où elle territoire, les points d‟eau, les arabe, trad. Bassam Tahhan et Anne Wade caravanes commerciales et la enseigne depuis 2001. Elle a publié Minkowski, Sindbad, Paris, 1985. guerre tribale devient le lieu - Bonnefoy Y., Entretiens sur la plusieurs articles dans le cadre de ses dans lequel s‟illustre „Antara, poésie, Langages à la Baconnière recherches dantesques notamment: et où la poésie sert à des fins Neuchatel, Suisse, 1981. « Dante tra la visione d‟amore e la -Cassarino M., Traduzioni e de propagande, en faisant traduttori arabi dall‟VIII all‟XI secolo, ressortir les plus forts visione oltreterrena » (Revue de la Salerno editrice, Roma, 1998. membres de la tribu. Faculté des Lettres et des Sciences - Encyclopédie poétique Al Conclusion : Sociales de Blida, 2008) ; « Il termine mawsu„a al si‟riya, Al Suwaydi M.A., Al Contrairement à la Magma„ al taqafi, Caire, 1998-2003. « tradotto tra l‟io e l‟altro : „cornuta‟ chanson de Geste du Moyendall‟italiano dantesco all‟arabo di âge où la fonction de narration d‟un fort contenu guerrier est Kadhim Jihad » (Revue “La dévolue aux troubadours, le contexte tribal fait que phonétique”, Laboratoire de recherche de l‟université de Blida, c‟est le guerrier lui-même qui assure cette tâche en 2010) ; « L‟oriental saphir: du paysage dantesque à la tant que témoin privilégié de ses hardiesses dans la traduction en arabe de Kadhim Jihad » (Revue électronique mêlée. Ce poème se différencie également de la poésie courtoise où le chevalier épris de sa dame “Quaderni di studi indo-mediterranei”, 2011) ; Francesca da cherche en sa présence à gagner ses faveurs par tous Rimini in arabo. A proposito della nuova traduzione di Kadhim les moyens, alors que l‟être aimé dans la poésie Jihad della Divina Commedia » (Revue “Critica letteraria”, préislamique est souvent loin ou absent. Pourtant Loffredo editore Napoli, 2011). cette poésie tient des deux de par la forte élégie de soi qui va de l‟accomplissement des hauts faits d‟arme, à l‟amour d‟une femme inaccessible. Ainsi se dévoile cette dualité complexe du guerrier-poète qui influence l‟acte du dire de „Antara, combinaison de strates subtiles entre le jeu 8

Salam Al-Kindi, Le Voyageur sans Orient, Sindbad, Arles, 1998, p.7. 9 Souligné par l‟auteur. 10 Ibid.p.78.

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Revues en revue, par K.J.Djii ( vous pouvez adresser directement vos publications à : K.J.Djii Ŕ 18 rue des barres Ŕ 39110 Salins-les- Bains) En cherchant la poésie ailleurs que dans les revues consacrées, Le Morvandiau de Paris (N°s 1010 et 1011) publie deux nouvelles bien réalistes signées Antoine Martin que ne renierait pas Maupassant. De la littérature délectable (le lapin à la crème ou au choux), aromatique (de l'absinthe à la valériane), sucrée (du piano à l'assiette), aérienne (en montgolfière, « si vous voyez passer une vache, c'est que vous volez trop bas », ou bocagère (l'odieuse disparition programmée de 38000 kms de haies en Bourgogne suite au remembrement), le journal mensuel dirigé par Alain Baroin se porte toujours aussi bien pour sa 87ème année. « Lisez et faites lire Le Morvandiau de Paris ! » Parmi les revues classiques, Portique N° 84 publie deux nouvelles ayant obtenu l'Apollon d'Or et l'Apollon d'Argent, respectivement de Jean-Marie Pallach et de Gilles Roux, qui se déroulent dans un futur pas si lointain que cela, futur ayant bien entendu hérité de toutes les saloperies que l'homme a pu imaginer au risque de sa propre ruine. Et encore the docker from Frisco, Erich van Neff, avec sa poésie terriblement concrète ; avec toujours cette question : à quand un éditeur digne de ce nom pour le publier ? Portique et son pendant informatif l'Aède, dirigés par Chris Bernard, défendent la langue française avec une ténacité et une vivacité remarquables. Quant aux six feuilles volantes de Libelle N° 227 envoyées par Michel Prades, elles restent toujours en adéquation avec un certain fonctionnement de la poésie : Aérienne assurément et à tire d'ailes librement, attire-t-elle le souffle des zoiseaux zumains ? Impossible de passer sous silence l'excellent travail de l'éternel student Paul van Melle qui dans son édito du N° 252 nous rappelle que « les poètes ne meurent jamais ». Entier, il écrit que « la poésie doit se suffire à elle-même. Même si elle doit pour cela rester modeste ou pauvre. Depuis Hugo on sait que les misérables ont le droit de vivre. » Belle leçon d'humilité. Sa rubrique, A tous mes échos, directe et sans langue de bois est un vrai plaisir de sincérité. Les poètes sont choisis avec soin, retenons ce beau texte de Martine Sansnom, « Femme musulmane », « … et je te vois couchée

debout / hurlant de silence si haut / que Dieu ne l'entend pas ! » Restez longtemps parmi nous, Monsieur Paul van Melle. Dans le genre postal, le N° 262 de Missives consacre son Face à face à Rebecca Gruel, artistepeintre et poète, dont le travail est ici largement salué. Une très belle nouvelle, d'une grande sagesse, l'Aigle et le Colibri, de Simone Carré nous enseigne que l'on peut faire acte de résistance devant la vindicte populaire. Et enfin les poèmes très engagés de Madeleine Levavasseur, « Colère d'une citoyenne, qui se sent impuissante / Face à cette société, plutôt dégradante. » Cette revue qui nous parvient régulièrement et qui fait preuve d'un éclectisme et d'une sobriété mérite très largement sa place aux côtés des officielles de la poésie. A signaler aussi par leur entremise, au Café Montmartre à Paris (7, rue Steinkerque) une scène ouverte pour les énervés du matin, le 1er jeudi de chaque mois, de 10h à 12h (renseignements auprès de Brigitte de Morgan 01 78 01 30 71). Oh !!! La revue de la Société Littéraire de la Poste et de France Télécom, Aux Quatre Coins N° 11, nous livre le pire: il s'agit d'un certain Maurice Thiney qui se gausse d'être entré en contact avec des populations quasi prénéolithiques, les Jarawas vivant sur les îles Andaman dans l'Océan Indien, malgré l'interdiction absolue du gouvernement qui tient à les protéger de tout contact avec la prétendue civilisation. Or cette personne qui n'est ni explorateur même s'il le prétend et encore moins ethnologue ou scientifique mais tout simplement un pauvre occidental à l'égo sur-dimensionné en mal d'orientalisme de l'esprit, brave les interdictions avec une sorte de vantardise toute déplacée grâce à un contrebandier qui lui permet de réaliser son forfait, car c'est de cela qu'il s'agit, en l‟occurrence porter ses bacilles et autres miasmes auprès de tribus qui s'en passent volontiers. Lorsque l'on sait à quel point les indiens d'Amérique (Nord ou Sud) ont été décimées par les maladies importées par les blancs, il y a de quoi avoir la rage. D'autant plus que ces populations, qui ont l'habitude de « faire les poches » que notre gaillard a su précautionneusement vider, ont certainement dû en retirer quelques microbes ou autres germes infectieux sous leurs ongles. La honte ! Son article est-il parvenu au gouvernement Indien, ou est-il uniquement destiné aux clients de Nature et Découverte ? Ça ce n'est pas de la poésie.

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LECTURES DE FLORENT LHUISSIER ''Épure'', de Raymonde Andrivon (38 p. ; 10 €) (83520 Roquebrune sur Argens, 2003) Dix années – ou presque – ont passé la parution de ce premier recueil, dix années où les titres se succèdent, les mots se pressent : ''Ainsi soit le monde'', ''Les lourds sabots'', ''Les ailes closes'' ; ''Épure'', de la sorte, a le mot de la rencontre. Celle-ci tient du désir, de l'apparition, de la surprise. Quarante-neuf textes assortis de neuf dessins viennent ici sceller le mystère autour du duo improbable formé par un peintre amateur de paysages, et celle – l'Élue – appelée à bousculer l'ordre trop tranquille du chevalet tôt rebelle. Raymonde Andrivon a la liberté du mot de la rencontre. Elle sait le ''froussement'' des formes, les ''tambourinailles'' du ciel. Elle sait aussi la violence, le sacrilège, ''l'aube divisée'', Ève et ''sève froide'' se glissant l'une après l'autre sous son crayon. ''Leurs âmes brûlées en parure d'écho'', le sujet de l'énonciation en son androgynie – Raymonde Andrivon est simultanément ce peintre et son inspiratrice imprévue –, ce Je troublant acquiert la souveraineté de l'être au fait de ses limites. ''Mes heures dévorées se noient / dans l'émerveillement offert / évident mes défenses''. L'ivoire du poème acquiert ainsi puissance de fêter le désir, en sa fièvre et son illimitation que le poète est, cette fois, en mesure de revendiquer. ''L'écheveau de cheveux / en cascade de blé / dans un remous de mer livré au feu d'été'', là (''Capture'') ; ''ruissellement d'ondée sur l'intime / d'un miroir en chair de mangue'' (''Temps étiré''), ici. ''Passagère d'éternité'', de Michel Santune (32 p. ; 6 €) (Grand Prix du recueil inédit aux Apollon d'Or, Éditions Poésie Vivante, Le Théron, chemin du Jas 84110 Puyméras, 2011) À celle ''venue de l'au-delà du temps'', ''Passagère d'éternité'' fait don d'un verbe défiant ''la rude matière''. C'est de cette tension entre ses éthers et la célébration de la présence vive, de cette tension, encore, apparentée, de la forme alexandrine et de la liberté de la composition, que le poème amoureux de Michel Santune tire sa ressource ensorceleuse, au seul bénéfice d'une émotion. Entonner, ''en sa langue native / en ce langage ancien'', ce chant de la partition du monde dont le poème a l'apanage, c'est signaler qu'on s'est déjà rendu disponible pour la rencontre : ''je t'ai cherchée longtemps / dans la buée des regards / dans le souffle des mots / ravivant toutes choses / dans le clair incendie / que nous offrent le soir / les grands soleils mourants / parmi les arbres mauves''. Avec ce dixième maître recueil (que précédaient ''Azurs d'hiver'', ''Les prisons étoilées'', ''La lumière

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approchée''...), Michel Santune approprie une optique singulière à cette célébration de l'autre : ''ton âme flotte autour de toi / légère / ô si légère / comme une buée sur le verre / de l'éternité'' ; ''te dire l'infini plongé dans un miroir / dont les bords acérés se rapprochent sans cesse / la peine qu'il faudra à cette âme pour voir / à travers les parois de son écrin de chair''. La ''femme-lampe'' se tient au secret de l'intimité de la ''femme-flamme'' aimée : ''l'aurore me parle souvent / dans le secret de tes mains nues / habiles à sculpter l'instant / et à le retenir parmi la transparence du vitrail / que dessine dans l'air une voix inconnue / dont tu recueilles la parole / au sein du grand silence''. ''Fenêtres sur mots'', par Arielle Thomann (58 p. ; 12 € - Prix de poésie Jean Aubert 2010, Éditions Flammes Vives, 17 rue Georges Léger, Le Coudray, 28130 Saint-Martin-de-Nigelles, 2011 - site internet de l'auteure : ''L'herbier des mots'') Il y a l'angle vif à la porte, au volet, et le coin arrondi aux pages des carnets (''Bonheur'', ''Rivage'', ''Doigts d'écume''). De ces rapports d'échelle entre le monde et le mot-monde, de leurs contrastes, Arielle Thomann, née en Champagne en 1946 et vivant aujourd'hui du côté de Brocéliande, bat la mesure, fidèle à l'écho ''des mots qu'on ne sait pas'', ''des motsmystères'', ''des mots-braseros'' ; ''Sur le fil du rasoir'', tantôt ; ''Douce'', souvent. ''Dans la buée des mots'', dans le nuage aux images de son poème, saveurs, tons et saisons affleurent entre mousse et lichen, ''sur l'écorce lisse des heures''. Les couleurs ne sont-elles pas elles-mêmes moins belles sans ''cette note outremer'' qui défie ''le concert du monde'' ? Et l'appel de cette faim inquiète des éléments accroît encore son intensité de la rencontre des perceptions qui habillent le poème, mot aimé – qu'on le nomme chanson ou sonnet. ''Ah... Mordre à pleines dents / l'oignon cru / comme un fruit !'', frotter ''l'ail des mots sur la croûte du pain'' ! Le recueil est roche fêlée, ''une roche émiettée au cœur battant du sablier''. ''Dans l'eau du temps / mauve tu bois / la lie / le limon de tes peurs / et tu écrases sous tes poings / l'acre saumure des rancœurs''. ''Flèche de tout mot'', en son carquois musical, chante ''cette joie de dire / la tension extrême / dont vibre la lyre''. La cause en est-elle tant espérée ? De son arc, Arielle Thomann se tient aux deux extrémités. ''Mettre au défi l'usure / jeter au nez du vent la fièvre de son dire / brûlant à contre sens / du douloureux refus de voir courber la flamme'' (''Sang d'encre''). De ce refus, magnifié, ''Fenêtres sur mots'' convie à voir sourdre le sens à la fête des mots pelés, ''des ripailles de mots / rongés jusqu'au noyau / à s'y casser les dents''.


LA PAGE DES ADHERENTS Agnès RIVIERE nous propose ses poésies pour enfants sous le titre de « S‟il te plaît, racontemoi un poème ! ». Un agréable recueil illustré dans l‟esprit des textes par Eric Péclet. Les thèmes abordés sont très divers et propres à faire réfléchir les enfants sur les aléas de la vie. En vente sur Priceminister, 50 p., 10 €. Rendez-vous sur http://poesieenfant.b4ever.comlog

Béatrice KAD a reçu le Prix d‟Edition poétique de la Ville de Beaune 2011, pour son recueil Célébrations. Dans sa préface, Alain Suguenot, député-maire de Beaune souligne « le style rigoureux, très féminin (de Béatrice Kad) qui nous transporte dans un monde où règnent à la fois la légèreté et la volupté des corps, mais aussi la spiritualité de l‟humain dans sa relation avec l‟être supérieur : Dieu. » En vente auprès de l‟Association, 56 p., 10 €. Renseignements à propos du Prix : Nathalie Andrieux, 25 bis rue du Fbg St Martin Ŕ 21200 Beaune.

Pascal LECORDIER nous fait parvenir son recueil, La Fugitive,, illustré de 18 sanguines par Marie-Françoise Chaumat-Vaquez (Gilles Gallas éditeur Ŕ 88 pages) Dans ce recueil, Pascal Lecordier nous relate le désir de retrouver l‟inaccessible amante qui semble fuir à mesure que l‟on s‟approche d‟elle. Insomniaque et insaisissable : « Je dors chez elle, Elle, pas là… » La coquine semble prendre plaisir à fuir» Un recueil tout en fraîcheur magnifiquement illustré. Né en 1956, Pascal Lecordier a obtenu le prix Albert Glatigny (1979/80), a été distingué au prix Flammes vives 4 fois, au prix du Vimeu en 2004, au prix Rencontre-Ile et prix Thomas-Desages en 2004.

Dans ce deuxième (à ma connaissance) CD, Roland LOMBARD a consigné 12 de ses propres textes, leur troussant des airs de guinguette. Paris des caboulots, des copains, de la misère ordinaire , des petits tracas, et du bonheur dans une chopine… On peut se procurer ce disque auprès de Roland Lombard (73 bis rue Gustave Vatonne - 91190 Gif sur Yvette), ou chez MPO (40 rue de Paris, 92100 Boulogne Billancourt)

Bernard BACHEROT tient atelier d‟écriture à Dijon depuis plusieurs années. Apprécié comme conteur et poète, son expérience de psychologue scolaire ajoute à sa nature innée de pédagogue. Conditions d‟inscription auprès de Bernard Bacherot (Tel : 06 72 80 71 25 Ŕ e-mail : cie.contes@free.fr). Jean-Louis BERNARD nous propose aux éditions Encres vives une réflexion sur la relation entre écriture poétique et silence sous la forme d‟une suite poétique. « Ecrire : aller voir là où on ne parle pas, là où il n‟y a rien peut-être. Les mots écrits préservent le silence, n‟appellent pas de réponse… » Un cahier A4, 16 p. Ŕ 6,10 €. Encres vives, 2 allée des Allobroges Ŕ 31770 Colomiers.

L'AGENDA DES POETES DE L'AMITIE ---------------------------2 0 1 1 ---------------------31 décembre : délai pour la participation au concours de la Nouvelle de FLORILEGE. -------------------------2 0 1 2 ---------------------7 janvier : lecture à Chalon sur Saône (71) 12 janvier : portes ouvertes au « Cénacle » -Dijon Maison des Associations de 14 h 30 à 17 h. 26 janvier : portes ouvertes au « Cénacle » -Dijon Maison des Associations de 14 h 30 à 17 h. En février, dates du Cénacle : 9 et 3 février : lecture à Jully lès Buxy (71) 16 mars lecture à Beire-le-Chatel (21) 17 mars : remise du Prix d‟édition poétique de la ville de Dijon 2012 En mars, date du Cénacle : 22 23 mars : lecture à la bibliothèque de Chagny (71) 30 mars „lecture à St Marcel (71) 31 mars : Talant Passion Musicales autour de la poésie de la Renaissance avec le groupe musical Pasithée, à Talant (21) 6 avril : Lectures absurdes, à Chalon sur Saône (71), au studio 70 Pour plus de renseignements voir le site DES PASSANTES

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UN TRUC TORDU : LA NOUVELLE AFFAIRE CELINE Je me garderai bien, à propos de la nouvelle affaire Céline, de reprendre les arguments qui ont été balancés par de nombreuses revues et autres médias tentant de faire la distinction entre l‟écrivain génial et l‟affreux salaud des pamphlets antisémites. Je me contenterai d‟écrire que j‟ai toujours été un admirateur du style de Céline et qu‟après lui, il me fut difficile de trouver de la saveur aux romanciers d‟aujourd‟hui. Bien sûr, je n‟ai jamais approuvé les idées qu‟il véhicula dans ses pamphlets, enrageant qu‟il ait cru bon de mettre son talent au service d‟un antisémitisme qui me fait horreur. Mais il n‟en reste pas moins que je connais par cœur certains passages du « Voyage » et de « Mort à crédit », et que je ne changerais pas ces livres contre rien au monde, et encore moins quand ils sont illustrés par Tardi. Mais ce qui m‟a paru ridicule c‟est cette histoire rocambolesque de la liste des célébrations nationales 2011. Ridicule parce qu‟on peut se demander pourquoi le ministre de la culture a d‟abord accepté la présence de Céline sur cette liste, alors que celui-ci n‟aurait sans doute pas apprécié un hommage rendu par une personnalité aussi discutable. Plus ridicule encore quand on apprit que cette autorité était revenue sur sa décision et avait rayé de la liste l‟auteur du « Voyage », en raison de ses engagements condamnables. Tant et si bien que certains y ont vu une de ces machinations politiques destinées à ramener des voix qui risquaient de se perdre. En somme un truc tordu de l‟agité de l‟écran plat. On ne nous a pas dit ce qu‟en ont pensé les membres du « Haut Comité des Célébrations Nationales » ( !) qui avaient établi la liste, pas plus que l‟on nous a éclairés sur les prochaines personnalités qui seront écartées en 2012 pour leurs dérives. Ça risque de faire du monde si l‟on refuse tous ceux qui ont applaudi quand on recevait des dictateurs sanguinaires dans les palais nationaux. GUY THOMAS

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