Lm magazine 100 france belgique

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N째100 / OCTOBRE 2014 / GRATUIT

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NORD & BELGIQUE Cultures et tendances urbaines




n°100 - octobre 2014

Les Photaumnales, Changes - Turn and face the strange © Pascal Mirande

Sommaire LM magazine -

10 News

72 Exposition

Kubrick s’affiche, On coupe la pinte en deux, Fils de pub, That ‘70s show, Chambre avec vue, Marché des Modes, La roue de la fortune...

Les Photaumnales, Micronations, Fabrique-moi un mouton, Signes des Temps, Un siècle de peinture belge, La maison des super-héros, Rubens, Latin Lovers, A nous York… Agenda

14 Rencontre Bernard Maris, Extension du domaine de la thune

18 Style Des insectes dans nos assiettes 24 Reportage Berghain-sur-Mer 34 Musique La Cave aux poètes, Etienne Daho, Caribou, Birds on a Wire, The Libertines, Black Strobe, Susheela Raman, Gilberto Gil, Tourcoing Jazz Festival, Scènes Sonores, Moodoïd, Les Nuits Electriques, Future Islands, Gruff Rhys

58 Disques V. Vincent & A. Maboul, Sebastien Schuller, Alt-J, Foxygen, Baxter Dury

62 Écrans White Bird, 3 Cœurs, Le Paradis, Orphan Black, A Young Doctor’s Notebook, Combatientes, C’est eux les chiens !

94 Théâtre & Danse Entretien avec Mathieu Amalric, Farid Berki, Notre peur de n’être, Tragédie, Chris Esquerre, Castor et Pollux, Teatro Valle : haut lieu de résistance, La Licorne, Shell Shock, Le Portrait de Dorian Gray, La vie de Galilée, M Festival… Agenda

124 Littérature Entretien avec John King, Illustration Now #5

130 Livres Olivia Rosenthal, Yana Vagner, David Peace, Andrus Kivirähk, Frederika Amalia Finkelstein, Tillieux / Dayez, Cabanes / Manchette, Maxime Schmitt / Giacomo Nanni

188 Portfolio

Skwak, complètement maniac’s !



© Steven Siewert , Agence VU’, Oculi

© Arian Behzadi

140

166

since 2005

LM à la Une

LM sur la route

SOMMAIRE

162 LM se la raconte

© Orlan

© Laurent Attias

n°100

178 LM leur a refait le portrait

Merci Sandrine Allanic, Thibaut Allemand, Alexis Annaix, François Annycke, Janol Apin, Frédérick Baas, Pauline Barascou, Richard Baron, François-Xavier Béague, Grégoire Bernardi, Marc Bertin, Yohan Bève, Faustine Bigeast, Sébastien Billard, Frédéric Blacher, Loïc Blanc, Maelle Bodin, Marie Bonvallat, Julien Bourbiaux, Madeleine Bourgois, Camille Bourleaud, Vanille Bouyagui, Frédérique Brillot, Philippe Brizard, Maïté Buns, Laurent Buoro, Thierry Butzbach, Cabu, Catherine Callicot, Juliette Callot, Antoine Carbonnaux, Clémence Casses, Céline Cauvi, Maxime Cazin, Pascal Cebulski, Julie Cerise, Josselin Charrier, Audrey Chauveau, Olivier Clairouin, Elise Clercin, Sylvain Coatleven, Julien Collinet, Isabel Contreras Mandic, Elodie Couécou, Emmanuelle Couturier, Laure Cuillandre, Léa Daniel, Helena Darcq, Mathieu Dauchy, Céline Debette, Thomas Delafosse, Maxime Delcourt, Ludovic Deleu, Fanny Delporte, Florent Delval, Cédric Delvallez, Emilie Denis, Auguste Derrière, Patrick Devresse, Hugo Dewasmes, Vincent Dierickx, Louis Dieu, Stéphane Dubromel, Marine Duquesnoy, Marine Durand, Grégory Escouflaire, Alexis Floret, Maxime Forcioli, Elsa Fortant, Bénédicte Froidure, Clément Gagliano, Thiphaine Gagne, Emmeline Gaillard, Stéphanie Ganet, Alexis Genestin, Christophe Gentillon, Philippe Guionie, Gabriel Hahn, Youness Hamelat, Pierre Henri, Anissa Herrou, Louis Hertert, Audrey Jeamart, Maylis Jean-Préau, Benoît Joyeux, Florian Koldyka, Edlef Kowalyk, Fabien Kratz, Aurore Krol, Marie-Lucie Kubacki, Nicolas Laboucarié, Carole Lafontan, Damien Larrieu, Emilie Laystary, Yann Parigot, François Lecocq, Julien Leconte, Pascale Lefranc, Franck Leloir, Julien Lemaire, Justine Lereugans, Emilie Leruste, Nathaëlle Leschevin, Hervé Leteneur, Stéphane Leullier, Evodie Liévin, Loudie, Hakima Lounas, Laetitia Louvet, Luz, Sophie Malard, Delphine Marc, Coralie Martin, Alex Masson, Nicolas Mathé, Hélène Mercier, Mercurocrom, Emeline Gaillard, Nathalie Mora, Eric Morange, Mydeadpony, Catherine Nerson, Emilie Nguyen, Raphaël Nieuwjaer, Thibault Noyer, Judith Oliver, Maxime Olivier, Baptiste Ostre, Michel Paquot, Antoine Pecquet, Benjamin Perez, Dan Perjovschi, Clément Perrin, Erell Piette, Caroline Pilarczyk, Benoit Poillon, Fabien Pomies, Qubogas, Marion Quillard, Lucie Renou, Fleur Richard, Gaëlle Rolin, Laetitia Roques, Sébastien Roselé, Sophie Sand, Anna Solé, Studio Poana, Constance Tabary, Aurore Taddeï, Lina Tchalabi, Cristian Tripard, Martin Van Boxsom, Bérangère Vito, Olivia Volpi...



LM magazine France & Belgique

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Ont collaboré à ce n° : Thibaut Allemand, François Annycke, Elisabeth Blanchet, Rémi Boiteux, Julien Bourbiaux, Paul Carra, Sylvain Coatleven, Julien Collinet, Mathieu Dauchy, Marine Durand, Florian Koldyka, Aurore Krol, Raphaël Nieuwjaer, Marie Tranchant, Olivia Volpi et plus si affinités.

LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L'astrolab* - info@lastrolab.com L'astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM / Let'smotiv est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.

PAPIER ISSU DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT



10 MUSIQUE

2001- A Space Odyssey © Tracie Ching

Born To Film © Guillaume Morellec

L’Odyssée de l’affiche La galerie Spoke Art (San Francisco) a réuni 60 illustrateurs internationaux pour rendre hommage à la filmographie de Stanley Kubrick, dans une expo-vente inédite. De Lolita à Eyes Wide Shut en passant par Orange Mécanique et Full Metal Jacket, les artistes ont imaginé une série (limitée) d’affiches convoquant des personnages symboliques des films ou des éléments marquants comme la hache de The Shining. Pour les fans, comptez de 30 à près de 2 000 dollars pour les affiches les plus chères. http://store.spoke-art.com/collections/kubrick-an-art-show-tribute

© DR

Roubaix vintage weekender Healer Selecta, musicien-DJ et directeur artistique, organise à Roubaix le plus grand événement vintage du Nord de la France ! Musique, art et mode, rendez-vous avec le meilleur d’avant 1975. Le tout porté par une affiche musicale puisée au cœur des nuits londoniennes. 07>09.11, Roubaix, La Condition Publique, gratuit, www.laconditionpublique.com


11 NEWS

Couper la pinte en deux C’est l’objet inutile du mois. Le verre à bière demi-pinte. Pourquoi faire ? Parce que vous n’aimez pas boire mais voulez tout de même participer à la fête. Parce que c’est la crise. Parce que vous êtes déjà plein et voyez double. Pour continuer à se faire mousser...

231 euros

C’est ce qu’il vous faudrait débourser pour voyager dans le temps (en 1ere classe) à bord du mythique PanAm 747 ! Couleurs pop, moquette moutonneuse, hôtesses brushinguées, bienvenue dans les... 1970’s. Décollage imminent vers Dallas ? En compagnie de Kojak et des Drôles de Dames ? Eh bien non, il ne s’agit que d’un trip au sol. Au moins Air-France rembourse le billet quand l’avion reste sur le tarmac. On peut en griller une dans la cabine tout de même ? Pas interdit à l’époque. http://airhollywood.com/panam

En rase campagne Face à ces réclames d’un autre temps, on imagine bien Don Draper (Mad Men), un verre de scotch à la main, ventant les mérites de Lucky Strike. Des bienfaits du soda pour le cœur, au sirop à la cocaïne, en passant par le radium qui purifie l’eau, le 3e tome des Pubs que vous ne verrez plus jamais d’Annie Pastor, compile le meilleur - et le pire - des annonces commerciales des 100 dernières années. À consommer sans modération ! Annie Pastor, Éd. Desinge et Hugo. 14,99€, paru le 25.09.

1 million de bébés C’est le nombre de naissances qui ont eu lieu grâce à Erasmus depuis 1987, prouvant une fois de plus que l’échange culturel (et plus si affinités) a du bon. Erasmus fait-il la nique à Meetic ?


12

© Modscape

MUSIQUE

La photo du mo

Chambre avec vue

is

Répondant à une demande de clients qui voulaient construire sur la côte sud-ouest de l’Australie, les architectes de Modscape ont inventé la Cliff House. Cette habitation composée de cinq étages est suspendue des dizaines de mètres au-dessus de l’océan. Une idée vertigineuse.

La Roue de la Fortune Pas le temps de filer à la salle de sport après le bureau ? Pas de problème : L’Hamster Wheel Standing Desk serait très bénéfique pour la santé, notamment contre les maux de dos. Selon son inventeur Robb Godshaw évidemment, qui drague aussi les entreprises, en leur assurant un gain de productivité considérable. Du lard ou plutôt du cochon (d’Inde) ? www.robb.cc ; http://b.robb.cc

© Black Box Studio

© Robb Godshaw / Will Doenlen

www.modscape.com.au

Fashion week-end à Lille C’est LE rendez-vous mode de la métropole. Les 3, 4 et 5 octobre, le label Maisons de Mode et ses trente créateurs s’emparent de la Gare SaintSauveur pour exhiber leurs collections lors d’un « fashion week-end » destiné au grand public. Défilés, animations, soirées… Pour la 6e année, ce marathon de trois jours met à l’honneur les « griffes » de la région. Grrr ! 03>05.10, Lille, gare Saint-Sauveur, gratuit, www.48hmaisonsdemode.com

C’EST DE LA BOMBE - À Arras, des agents peignent en rose fluo les crottes de chien laissées par des maîtres peu scrupuleux, histoire de les responsabiliser. On ne sait pas si ça porte encore bonheur.



Bernard Maris

Extension du domaine de la thune Propos recueillis par Julien Damien Photos Philippe Matsas, Flammarion

« On confond souvent le progrès avec l’agitation. Alors, je défends la lenteur car elle est mère de la culture et de l’art »


15 RENCONTRE

S’il se vend sans doute moins bien que le « revenge porn » littéraire de Valérie Trierweiler, l’essai de Bernard Maris n’en est pas moins explosif. À travers Houellebecq économiste, l’écrivain et journaliste (Charlie Hebdo, France Inter) dresse un portrait inédit de l’auteur de La Carte et le Territoire. Et règle ses comptes avec le libéralisme et la finance. Rencontre avec un Oncle Bernard qui, à 68 ans, est toujours aussi remonté.

Comment est venue l’idée de cet essai ? En chroniquant La Carte et le Territoire. J’avais été frappé par les enseignements économiques qu’il contenait. Lesquels ? La notion de « destruction créatrice ». Autrement dit, l’industrie qui disparaît, la consommation à outrance, la tyrannie de l’obsolescence. Il pose des questions essentielles et abandonnées par les économistes. Il interroge la notion de travail, son rôle et sa valeur. Houellebecq livre aussi dans tous ses romans une métaphore de l’évolution du capitalisme, il nous rappelle son principe et son influence sur nos comportements. Peut-on le considérer comme un économiste ? Non, mais il utilise (entre autres) le terreau de l’économie pour la littérature, tout comme Balzac s’appuyait sur la psychologie et la sociologie. De quels économistes pourrait-on le rapprocher ? Houellebecq a compris ce qui fait la valeur. Il appartient à la philosophie pré-libérale. À cette catégorie de penseurs qui ont gravité autour de l’économie mais qui ne sont pas libéraux. Comme Keynes et Schumpeter.


16 RENCONTRE

On a souvent dépeint Houellebecq comme un auteur nihiliste, n’est-il pas plutôt utopiste, humaniste… J’irai plus loin, il est très fleur bleue ! Son premier roman, Extension du domaine de la lutte, est très noir, dépressif. Et donnait une image qui n’est pas la sienne (cynique, partouzard, méchant). Ses autres romans sont plus positifs. Et très féministes. Houellebecq, un féministe ? Ses romans utopistes (La Possibilité d’une île, Les Particules élémentaires) se terminent par la conquête du pouvoir par les femmes. Il manifeste un vrai respect pour elles. Selon lui, la violence est profondément masculine. Les hommes sont en concurrence pour le vagin des jeunes femmes comme ils le sont pour les objets. Ils provoquent une espèce de guerre permanente alors que les femmes sont dans la compassion. Houellebecq est du côté de la bonté, comme les grands romanciers russes (Tolstoï, Dostoïevski). Et vous, comment vous définiriez-vous ? Je suis antilibéral. Attention, je suis pour la liberté ! Mais je pense que le libéralisme économique nous offre une fausse liberté. Celle de vendre et d’acheter, d’offrir sa force de travail. Pour moi c’est une liberté purement matérialiste qui nous oppresse et nous conduit à la servitude volontaire. C’est précisément ce que décrit Houellebecq dans ses romans : nous entretenons une compétition économique généralisée et notre seule liberté consiste finalement à marcher sur les autres pour essayer de vivre. Êtes-vous aussi altermondialiste, décroissant ? Oui. Je ne nie pas le progrès mais je pense qu’on le confond très souvent avec l’agitation, la destruction créatrice. Je revendique aussi la lenteur car elle est mère de la culture, de l’art. Or, nous vivons dans un monde de rapidité, de bruit, de sauvagerie permanente. Je n’aime pas ce monde-là. « Notre monde s’enferme dans l’horreur », écrivez-vous. Le capitalisme libéral est comme une dictature, et vous le comparez avec les camps de concentration. N’est-ce pas exagéré ? Ce que je veux dire c’est : « comment, aujourd’hui, on tient les hommes dans ce monde soi-disant libre ? » Eh bien par l’incertitude et la peur. Et la peur est très mauvaise conseillère : elle donne envie


17 RENCONTRE

d’avoir un chef, un maître, un guide, comme les enfants qui ont besoin qu’on leur tienne la main. En sommes-nous arrivés à ce point ? Oui, les sondages le disent : les Français sont terrorisés par le chômage, l’idée de se retrouver à la rue. C’est un monde où les gens vivent dans une incertitude perpétuelle.

À lire / Houellebecq économiste, (Flammarion), 160 p., 14€

[ REPÈRES ] Journaliste, écrivain, Bernard Maris (qui signe Oncle Bernard dans Charlie Hebdo) est également économiste et membre du conseil général de la Banque de France.

Selon vous comment tout cela peut-il finir ? Je pense qu’il risque d’y avoir une nouvelle crise financière majeure sur les marchés dérivés. Et si les produits dérivés « pètent », c’est une bombe qui nous tombe dessus. Il y aura une régression énorme comme en 1930, c’est-à-dire une baisse du pouvoir d’achat de 40%. La violence qui est endiguée par le commerce, comme l’eau qui bouillonne dans une marmite fermée, va exploser. Alors, il est probable que des forces délétères se raniment...



19 STYLE

Les insectes débarquent dans nos assiettes Texte Julien Collinet Photos © DR

En décembre dernier, la Belgique autorisait la consommation de dix espèces d’insectes. Aussitôt, des entrepreneurs ont commencé à se sentir pousser des ailes. Ailleurs en Europe, la vente est simplement tolérée et des restaurants branchés surfent sur cette vague. Passé l’effet de mode, ne pourraient-ils pas représenter une alternative écologique au lourd poids de l’élevage animal ?

S

ur le marché de Forest, à Bruxelles, les badauds naviguent entre un stand de légumes bio et celui d’un fromager. Un quinquagénaire s’aventure devant l’étal d’un food truck bien particulier, avant de reculer brusquement. À ses côtés un petit garçon plus téméraire plonge sa main dans le ramequin contenant des vers de farine. Lancé il y a un an par un jeune couple, Bugs in Mugs tente de démocratiser la consommation d’insectes grâce à des recettes actuelles, comme des burgers aux ténébrions ou des paninis à la ricotta et crème de grillons. Derrière les fourneaux, Gaëlle Brée s’active et prépare une brochette de criquets-tomates cerises pour Paolo. Une première pour cet Italien : « Je suis surpris, je m’attendais à un goût plus fort. C’est très fin, ça ressemble à des noisettes. » Virginie, une maman,

est plus partagée : « J’ai du mal à franchir le pas, surtout pour les vers, mais j’en achète pour mon fils, il en raffole. Après tout on mange bien des huîtres ou des escargots. » Si deux milliards de personnes consomment des insectes dans le monde, les Occidentaux semblent encore réticents face à cette nouvelle expérience culinaire. « Plusieurs de mes clients ont grandi au Congo et avaient l’habitude d’en manger », explique Gaëlle Brée. Nougatines de grillons Dans la cave d’un autre quartier de Bruxelles, deux bioingénieurs élèvent des criquets. Maïté Mercier est persuadée du bien-fondé de son projet, également basé sur la pédagogie. La jeune femme anime des ateliers pour faire découvrir les insectes au plus grand nombre. « Avec

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« Pour certaines espèces d’insectes, la teneur en protéines est encore plus forte que pour le bœuf » une population mondiale sans cesse grandissante, nous serons obligés dans les prochaines années de nous tourner vers cette alimentation. Pour certaines espèces d’insectes, la teneur en protéines est encore plus forte que pour le bœuf. » Le grillon possède l’avantage d’être très peu exigeant en nourriture et en espace. La production mensuelle de Little Food, destinée aux restaurateurs et aux particuliers, atteindra bientôt les 10 kg. Dans une démarche

locale et d’économie circulaire, ils sont nourris avec les coques du malt récupérées dans une brasserie, et les pelures d’un restaurant voisin. « On trouve des insectes depuis longtemps à Matonge (quartier congolais de Bruxelles). Mais ils viennent de l’autre bout de la planète et sont vendus déshydratés. Avec des produits frais, le goût est totalement différent. » Little Food commercialisera bientôt des recettes telles que des tapenades ou des nougatines de grillons. Preuve de la future popularité de l’entomophagie, de grandes enseignes de distribution ont tenté, en vain, d’approcher l’entreprise. Maïté balaie toutefois l’idée d’un simple effet de mode. « Il y a 10 ans, personne ne voulait manger de poisson cru, et aujourd’hui on trouve des restaurants à sushis partout ! ».


21 STYLE

[ RECETTE ]

SABLÉS AUX TÉNÉBRIONS Ingrédients: - 1 œuf - 50 g de sucre fin - 4 sachets de sucre vanillé - 125 g de beurre ramolli - 250 g de farine de blé - Une grosse poignée de vers de farine (+ou- 30gr)

Préparation: Mélangez bien l’œuf, le sucre, le sucre vanillé, le beurre dans un plat et la poignée d’insectes (dans le mélange, ceux-ci se briseront dans la pâte) . Ajoutez la farine, puis faites une boule de pâte et mettez-la au réfrigérateur pendant 15 minutes. Étalez la pâte pour obtenir 5 millimètres d’épaisseur (pas plus). Puis découpez les biscuits à l’emporte-pièce. Faites-les cuire sur une plaque recouverte de papier sulfurisé au four (150°C) jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés (plus ou moins 15 minutes).

[ ADRESSES ]

BUGS IN MUGS (toute la Belgique) : Food Truck qui

propose des insectes sur les marchés, évènements culturels sensibles à l’environnement. Plats et tapas à emporter ou à consommer sur place. Tous les jeudis, 14h>20h, marché place Albert, 1190 Forest http://bugsinmugs.com

ECOSHOP (Borgerhout, Anvers) : Peter De Batist, président de la Société royale d’entomologie d’Anvers, sélectionne et commercialise des insectes depuis 1997 (un pionnier en Europe). Il vend de nombreuses espèces (criquet migrateur africain, ver morio, ver buffalo, larve de cétoines…) mais aussi des produits dérivés, comme des hamburgers à base de 35% d’insectes. www.greenbazaar.be

WWW.MULTIVORES.COM : boutique en ligne de vente

d’insectes comestibles. Alexi Chambon a lancé un concept unique de pizza à base d’insectes. Disponible aussi des sucettes au grillon fabriquées artisanalement ou des confiseries entomophagiques en chocolat.

ALDENTO : Géraldine et Sophie Goffard, deux soeurs originaires de Liège, proposent les premières pâtes fraîches à base de farine d’insectes et de blé. www.facebook.com/GoffardSisters

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22 STYLE

Interview

Jean-Philippe Paillard TABLE OUVERTE Propos recueillis par Julien Damien Photo © DR / Jimini’s

Acceptée, ou plutôt « tolérée » en Belgique par les autorités sanitaires, l’entomophagie fait l’objet d’un vrai lobbying en France, où elle est interdite. La FFPIDI* défend une filière qui existe mais ne peut commercialiser sa production. Cette fédération qui réunit depuis 2012 producteurs, importateurs et distributeurs d’insectes, a lancé auprès de la Commission européenne une procédure dite « Novel Food » pour débloquer la situation. Jean-Philippe Paillard, son porte-parole, nous explique pourquoi il faut finir notre assiette de grillons. Pourquoi faudrait-il consommer des insectes ? S’ils ne sont pas plus riches en protéines que les autres aliments, ils ont une vraie qualité nutritionnelle. Et donc une pleine légitimité à exister sur la table de l’alimentation mondiale. Y voyez-vous aussi un intérêt écologique ou économique ? En effet, la surface agricole monleur place sur la table diale qui n’est pas illimitée doit faire face à une hausse de la de l’alimentation population. Or on peut produire mondiale » des insectes dans des milieux urbains, selon un principe de superposition. Le rêve d’une production agricole verticale est enfin possible. Les insectes consomment aussi très peu d’eau, prévenant un autre problème majeur.

« Les insectes ont

*Fédération française des producteurs, importateurs et distributeurs d’insectes


23 STYLE

Peut-on s’attendre à une crise alimentaire mondiale dans les prochaines années… Je ne peux pas vous le confirmer. Mais on vérifie que les cours des denrées pour l’alimentation humaine augmentent. Il faut savoir que la compétition entre l’alimentation humaine et l’alimentation animale est de plus en plus forte sur les marchés. Par exemple le blé sert à faire du pain mais aussi à nourrir les poulets... Les insectes comestibles seraient donc une solution… Clairement. Imaginez la population mondiale comme des personnes autour d’une table. Pour nourrir de plus en plus d’individus, il faut trouver des solutions. Le plat d’insectes ne va pas remplacer la viande, mais il représente un apport indéniable, y compris sous forme de poudre. www.ffpidi.org ; www.mangeons-des-insectes.com Jimini’s est une boutique en ligne qui propose deux sortes d’insectes à croquer (molitor et criquet). Idéal pour l’apéro ! www.jiminis.com

[ ÇA GROUILLE DANS NOS ASSIETTES ]

Plus de 2000 espèces d’insectes sont comestibles.

2,5 milliards

d’humains consomment des insectes dans le monde.

On mange déjà environ 500g d’insectes par an (Le colorant E120 - à base de cochenilles - est utilisé à peu près partout dans notre alimentation, du saucisson aux bonbons en passant par les sirops, sodas, etc.) Les insectes sont riches en protéines : 100g d’insectes contiennent 60g de protéines. Et les grillons compteraient plus de protéines que le bœuf. Les grillons consomment 1200

fois moins d’eau que le bœuf pour pro-

duire la même quantité de protéines.

Avec 10kg de matière végétale, on ne produit qu’1kg de bœuf. Contre 9 kg d’insectes ! La culture d’insectes rejette 99 % moins de gaz à effet de serre que l’élevage traditionnel.


24 REPORTAGE

Berghain-Sur-Mer Texte & Photo Elisabeth Blanchet / Images de synthèse © WT

Ce n’est pas une maison bleue adossée à la colline mais un « véritable monstre », comme le qualifie Nigel Day, l’agent immobilier chargé de vendre ce fort abandonné en plein estuaire de la Tamise. « No 1 The Thames n’est effectivement pas la propriété la plus facile à vendre », sourie-t-il. Imaginez : un fort circulaire victorien bâti en 1855 pendant la guerre de Crimée, auquel fut ajoutée une tour carrée armée de canons destinés à se défendre d’une éventuelle invasion germanique ! Qui voudrait faire de cet endroit incongru sa propriété ? Apparemment, l’intérêt ne manque pas…


25 REPORTAGE


26 RENCONTRE REPORTAGE

R

ésidences privées de luxe, casino, hôtel et surtout nightclub. Les idées les plus extravagantes planent dans l’air et… dans la mer. Car, petit détail : le fort n’est accessible à pieds qu’à marée basse ! Et encore, il faut s’armer de bonnes vieilles bottes en caoutchouc et suivre les vestiges d’un petit chemin pour parcourir le kilomètre qui mène jusqu’à l’entrée. Sinon, l’enlisement dans la vase jusqu’à mi-mollet est garanti. Que va bien pouvoir trouver le visiteur dans les entrailles de la bête ? Des salles rondes sombres, éclairées de meurtrières à barreaux. Des restes de machinerie destinée à monter les obus au sommet du bâtiment, où une plateforme circulaire fut jadis équipée d’artillerie lourde… Le Bon Coin Situés à une heure et demie de voiture de Londres, le fort et sa structure inhabituelle ne font pas peur au cabinet d’architectes WT, qui a déjà développé des plans modernistes du lieu que Simon Cooper, entrepreneur en bâtiment, avait acheté il y a une dizaine d’années à « On affréterait la couronne britannique. « Il a obtenu cet endroit pour une bouchée de des bateaux du centre pain, explique Nigel. Il voulait le reen faire sa résidence mais n’a de Londres qui taper, jamais réussi à trouver les fonds. Il viendraient directement a donc décidé de vendre ». La mise à prix du « monstre » est de £ 500,000 ici. On ferait venir (627 000 €), le coût d’un trois-pièces à Londres. Une somme qui n’inclut les plus grands DJ’s » pas le respect des normes de sécurité.



Pourtant Nigel est optimiste : « Je suis quasiment sûr qu’on va vendre. Et que les enchères monteront jusqu’à £ 750,000 £ 1 000 000. J’ai une bonne dizaine d’intéressés ». Un sacré before L’idée la plus folle vient du promoteur d’événements musicaux écossais Minival, qui veut du monde entier pour transformer No 1 The Thames en une sorte de Berghain-by-the-Sea, vivre une expérience » en référence au célèbre club techno, à Berlin. « Quand on a vu que le fort était en vente, on a eu l’idée d’en faire un super night-club ouvert 24/24h le week-end, raconte Ravi Karia, le directeur de Minival. On a lancé une campagne de crowdfunding pour tester. Et ça a explosé ! » Pris de cours par le succès de la campagne, Minival a commandé une étude de faisabilité car il croit plus que jamais en son projet. « Evidemment, le plus gros problème à résoudre concerne la sécurité de l’établissement… Et aussi l’autorisation d’ouvrir non-stop », poursuit Ravi.

« Les gens viendraient


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Bienvenue à bord Car c’est un espace d’envergure internationale que le groupe veut créer. « Un club dans l’esprit du Berghain, qui garderait sa structure actuelle chargée d’histoire, où les gens viendraient du monde entier pour vivre une expérience. On affréterait des bateaux du centre de Londres qui accosteraient directement ici. On ferait venir les plus grands DJ’s et la semaine, on organiserait des expos, des événements culturels… ». Un projet qui fait rêver. Mais Minival attend les résultats de l’étude pour mettre la gomme sur la campagne de crowdfunding, qui offre à tous ses supporters un accès au fort gratuit à vie. « Pourvu que tous les membres ne décident pas de venir en même temps » lâche Ravi avec un large sourire. En attendant, à cinq ou six étages au-dessus de l’eau, la vue est grandiose. Et donne une sensation de mal de mer. D’ailleurs elle commence à remonter. Il est temps de rejoindre la terre ferme du Kent et laisser le « monstre » se faire encercler une fois de plus par la marée. Pour en savoir plus : www.gofundme.com/d23bsk

[ REPÈRES ]

GRAIN TOWER FORT / La Tamise Un projet, WT architecture « Notre projet architectural convertit le fort abandonné en un espace d’entreprise. On propose de nouvelles jetées et une série de salles de réception occupant un labyrinthe vertical. Le point culminant est un espace de salle à manger dans l’emplacement principal d’arme à feu. »





La Cave aux poètes

Ceci n’est pas une salle Texte Julien Damien Photos Julien Damien / Sam Tiba, Bison Bisou © DR / Scène © Romain Hng


35 LIEU

À Roubaix, il y a un cœur qui bat sous terre. La Cave aux Poètes s’est taillé une place à part dans le Nord de la France. Et une réputation d’écrin avant-gardiste. Plus club que salle de concerts, intimiste et sulfureux, l’endroit transpire la musique. à l’occasion de ses 20 ans, retour sur une belle histoire.

I

l est d’abord question de « braquage ». Nous sommes en 1994. Un collectif d’artistes investit les bureaux de l’adjoint à la culture de Roubaix, à la « do it yourself ». Il y a là Brad, le manager de Marcel et son Orchestre (aujourd’hui gardien du Temple), le groupe rock Soleil Flexible, mais aussi des dessinateurs, des plasticiens… Sans rendez-vous, tout en gouaille et pieds sur le bureau, ces « salles gosses » repartent avec ce qu’ils étaient venus chercher : un lieu pour répéter et organiser des concerts, qui manque alors cruellement à l’ancienne capitale du textile. Ainsi naquit la Cave aux Poètes. Situé sous la salle Watremez dans le centre-ville, l’endroit jouxte une usine abandonnée, un monstre de briques et de métal endormi qui fait le bonheur des graffeurs. Et tient son nom de ce qu’il fut dans les années 1970 : une planque où l’on se récitait des poèmes tous les dimanches.


36 LIEU

grammation qui privilégie avant tout la découverte de jeunes talents nationaux, internationaux, mais aussi régionaux. La Cave accompagne ainsi durant deux ans des artistes locaux vers la professionnalisation (en ce moment les Persian Rabbit). Et les prétendants ne manquent pas dans le Nord-Pas de Calais : « On évoque beaucoup la scène nantaise, bordelaise, et même rémoise, alors qu’il existe aussi un vrai bouillonnement à Lille dont personne ne parle », regrette Nicolas Lefèvre, qui rêve désormais de « structurer » ce potentiel pour lui donner un nouvel élan. La Cave se rebiffe ! La salle la plus basse d’Europe Vingt ans plus tard, la Cave aux Poètes n’a rien perdu de l’esprit rock’n roll des débuts, accueille en moyenne 50 concerts par an, compte 400 abonnés et constitue l’une des scènes les plus atypiques de la région. Pas seulement parce qu’elle demeure la salle la plus basse d’Europe (deux petits mètres au dessus du sol), ni à cause de son exiguïté (220 places) qui lui confère des allures de club londonien ou encore parce que l’abonnement est à 1e pour les Roubaisiens. Mais surtout parce qu’elle s’est bâti une solide réputation de tête chercheuse dans le milieu des musiques actuelles. On y a vu s’y produire avant tout le monde Louise Attaque, Les Ogres de Barback, Au revoir Simone, Brodinski… « Si un groupe fait une bonne prestation à la Cave, on a l’habitude de dire qu’on le reverra au Grand Mix, à l’Aéronef, et un peu partout », confie Nicolas Lefèvre, directeur d’une pro-

Programme spécial 20 ans Concerts 02.10, Ours + Jacques Daoud + Lieutenant Nicholson + Bibi Tanga + David Donatien, la Cave aux Poètes, 20h, 28/24/8€ 03.10, Yael Naim & David Donatien + Ballet Du Nord Olivier Dubois + 3Some Sisters + (Guest), Piscine de Roubaix, 21h, 35/25€ 04.10, Misja Fitzgerald-Michel & Hugh Coltman, Bibliothèque de l'ENSAIT à Roubaix, 11h & 14h, 28/24/8€ 04.10, Spleen + 3Some Sisters, Cour d’honneur de l’ENSAIT, à Roubaix, 20h, 28/24/12€ 05.10, Bal, Quand ?! - Ziveli Orkestar+ Rkk Dj Set+ Yael Naïm & David Donatien Dj Set, Le Gymnase, Roubaix, 15h>19h, 28/24/8€ 25.10, Les Ogres De Barback + EYO'NLé, 20h, Salle Watremez, Roubaix, 30/24€ Expositions jusqu’au 28.11, Avoir 20 Ans À Roubaix - Zoriah Expo Photos, Gallerie Q.S.P (Le B.A.R.) 04.10, Carnet de croquis « Bubbles » - Yael Naim dédicace, 17h, Librairie Autour des mots

La Cave aux Poètes, 16 rue du Grand Chemin, Roubaix, www.caveauxpoetes.com


Carte blanche à Yaël Naim et David Donatien Propos recueillis par Isabel Amossé Photo Zoriah

Interview

« Envahir la ville et créer des évènements artistiques, pas nécessairement musicaux ». Tel est l’esprit de la carte blanche donnée à Yaël Naim et David Donatien par la Cave aux Poètes. À l’instar de leur nouvel album, Older (sortie début 2015), ils jouent l’ouverture, histoire de croiser les genres et les arts. Comment vous a-t-on proposé cette carte blanche ? D.D : Il y a quelques mois j’ai découvert la piscine de Roubaix à l’occasion d’un concert d’Agnès Obel. J’ai trouvé l’endroit magique. J’y ai rencontré quelqu’un de la Cave aux Poètes. Et on nous a proposé cette carte blanche. Tout simplement.

d’une fanfare avec Ziveli Orkestar. Et puis, on peut compter sur une performance d’Olivier Dubois du Ballet du Nord. Il s’agit d’un rendez-vous autant visuel que musical.

Quel est le principe ? Y.N : On propose une sorte de voyage dans la ville, le temps d’un weekend, grâce à des artistes différents.

Pourquoi de telles collaborations ? DD : En visitant la Piscine, j’ai remarqué que des danseurs avaient déjà présenté un spectacle dans le bassin. On a souhaité renouveler l’expérience. Nos projets se nourrissent d’autres formes artistiques, comme la danse, le cinéma, etc.

C’est aussi l’occasion de présenter votre nouvel album… Y.N : En effet, et pour cela, on a choisi le Musée de La Piscine à Roubaix, un lieu atypique. Nous serons accompagnés par les 3someSisters,

Comment dépasser le succès de New Soul ? DD : C’est un morceau qu’on assume. Il nous a tranquillisés : loin de chercher à répéter une formule, nous nous sommes libérés artistiquement.


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Etienne Daho

Le parrain Texte Thibaut Allemand Photo Richard Dumas

« Tout ce qui se passe au dehors m’indiffère », chantait Étienne Daho dans son premier tube, Le Grand Sommeil (1982). On ne le croit guère : l’auteur de Mythomane (1981) a toujours été en prise avec son époque. Sans cesse à l’affût, ce mélodiste hors pair a su s’entourer des meilleurs et composer une œuvre sans faille, inspirant une nouvelle génération.

D

epuis plus de trente ans, cet homme discret et pudique (on ne sait rien, ou si peu, de sa vie privée) incarne une certaine idée de la pop hexagonale, mariant popularité et audace. On l’a vu travailler avec, au hasard, Jacno, David Whitaker, Saint Etienne, Jean-Louis Piérot, Marianne Faithfull ou William Orbit (avant Madonna !). Hélas, depuis trente ans, pas mal de sourds et malentendants prétendument mélomanes ne voient en lui qu’un simple chanteur de variétés. Ils ont raison : Étienne Daho fait de la variété, mêlant la pop, le rock, la soul, la jungle (réécoutez Eden, 1997). Mieux, il a redessiné les contours de la pop française et créé des vocations. Tribut Quoi de commun entre Dominique A et François Marry, Lou Doillon et Coming Soon, Barbara Car-

lotti et Aline, Perez, Lescop ou Yan Wagner ? La francophonie ? Pas seulement. Tous doivent un joli tribut à Étienne Daho. Certains l’ont payé, le temps d’une reprise, d’un duo ou lui offrant une composition. Daho est le parrain d’une génération pop et francophone qu’il aura marquée de sa tendre empreinte : écriture fluide, mélodies impeccables, finesse des arrangements. Inconditionnel de Lou Reed et de Françoise Hardy, de Syd Barrett et de Gainsbourg, le natif d’Oran représente ce trait d’union entre la chanson hexagonale – patrimoniale, presque – et la nouveauté anglo-saxonne. Ou l’inverse. 03.10, Lille, Théâtre Sébastopol, Complet ! 04.10, Béthune, Théâtre Municipal, Complet ! 30.10, Liège, Théâtre Le Forum, 20h, 52.50/47.50/44.50/34.50€, www.leforum.be 31.10, Bruxelles, Cirque Royal, 20h, 52/47/40€, www.cirque-royal.org


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Caribou

Retour au corps Texte Mathieu Dauchy Photo © Jason Evans

Dan Snaith retrouve son projet Caribou après l’escapade expérimentale Daphni. Quatre ans après le génial Swim, le Canadien n’a pas perdu la recette qui fait mouche. Il revient avec un son électro habité : Our Love n’est jamais trop hédoniste ou cérébral, mais il est rempli d’amour ! Des tortueuses connections neuronales qui guident le mathématicien et musicien Daniel Snaith sous de multiples alias (Manitoba, Daphni, Caribou) avait émergé Sun (2010), brillantissime cri du cœur qui s’est imposé comme un hymne définitif. Caribou n’est pas un projet de fin de soirée. Il est l’alambic de formats pop qui renferment, en rarement plus de six minutes, des jaillissements techno reflétant une sensibilité à fleur de peau. Swim s’achevait sur un titre cathédrale, traversé par des explosions de cordes et un chant se libérant d’un maelström sonore. Caribou annonçait déjà son ambition d’excaver l’humain des machines. Quarante ans après la fusion « Man-Machine » des pionniers Kraftwerk, un Canadien détricote maintenant une symbiose qui a fait son temps : Terminator est aujourd’hui un homme politique ridé et les années 2000 n’ont finalement pas vu l’émergence des montres sous-cutanées… Tel le personnage de THX 1138, c’est en blanc virginal que Caribou s’extirpe de la matrice pour mieux la diriger. Après l’amoncellement électronique de la tournée précédente, c’est avec une vraie batterie et une mise en avant des appareils que l’artiste s’offre en qua09.10, Bruxelles, le Botanique, Complet, tuor. Car Caribou promeut désormais www. botanique.be 22.10, (+ Jessy Lanza), Lille, L’Aéronef, 20h, les connections humaines. Rempli 23/19/14€, www.aeronef-spectacles.com d’amour, disait-on !



Birds on a wire

Sur le fil Texte Isabel Amossé Photo Sarah Seené

Birds on a Wire réunit Dom la Nena, violoncelliste et chanteuse sudaméricaine et Rosemary Standley, la voix de Moriarty. Sur scène comme sur disque, celle-ci dit vouloir explorer tous les répertoires : de Tom Waits à Purcell, de Leonard Cohen à Caetano Veloso. Explications.

L

a clé se trouve dans la simplicité : « le violoncelle et nos voix ramènent les chansons à quelque chose d’essentiel, d’épuré. On évolue parfois sur un fil très fragile ». Pour Rosemary, la défense d’un vaste répertoire est un atout : « les spectateurs ont un morceau fétiche qui permet de faire le lien avec le reste ». On peut ainsi emmener l’auditeur très loin. Une démarche qui résonne avec celle du Théâtre du Nord qui croise plus que jamais les arts, les jeunes auteurs et les grands classiques pour toucher tous les publics. À l’image de ce premier cycle de trois concerts que Birds on a Wire inaugure. Organisés avec l’Aéronef, le Grand mix, les Inrocks, et la Maison de la poésie de Paris, ces spectacles doivent « faire résonner des mots » dans le théâtre grâce à la musique. Les artistes programmés sont, selon Anne-Marie Peigné, directrice des publics, « les poètes de notre temps ». Et de poésie, il est beaucoup question avec Birds on a Wire : « du Pessoa, du Annie Le Brun, du Jacques Prévert sont lus au cours du concert. J’ai aussi envie de livrer de la poésie grecque et brésilienne… Nous CYCLE DE 3 CONCERTS : 13.10, Birds on a menons une balade dans le temps et Wire, 20h // 02.02.2015, Soirée russe, 20h // 18.05.2015, Les Quatre Sans Cou,20h, l’espace » ponctue gracieusement Ro20/15/10€, www.theatredunord.fr semary Standley.



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© DR

MUSIQUE

The Libertines Alan McGee, patron du label Creation, a géré les affaires de The Jesus And Mary Chain, Primal Scream, Oasis... Pas vraiment des garçons dociles. Pourtant, c’est avec The Libertines que l’Écossais en a le plus bavé. L’anecdote donne une petite idée de ce que représentait, entre 2002 et 2004, le quatuor fondé par les amis (et sans doute amants) Pete Doherty et Carl Barât. Le reste – les tabloïds, Kate Moss, la came, l’album solo de Barât, Doherty au cinéma – ne sert à rien. Et même si cette reformation est motivée par l’argent, comment résister à des chansons telles What A Waster, Don’t Look Back Into The Sun, Can’t Stand Me Now ? 01.10, Bruxelles, Forest National, 20h, 36e, www.forestnational.be

Oubliés ou presque, les standards tels Innerstrings, Paris Acid City et autres hymnes électroniques parus à la fin du siècle dernier. Depuis le départ d’Ivan Smagghe, Black Strobe se réduit au seul Arnaud Rebotini et trois sbires. La formation explore désormais les méandres d’un blues boueux rehaussé de machines. Pour la techno pure et dure, préférez Rebotini en solo. Mais pour entendre Johnny Cash et Blind Lemon Jefferson percutés par le numérique, foncez !

© Quentin Caffier

Black Strobe

10.10, Amiens, La Lune des Pirates, 20h30, 14/9€, www.lalune.net // 29.11, Mons, L’Alhambra, 20h, 15€ // 11.12, Roubaix, La Cave Aux Poètes, 20h, 12/10/8€, www.caveauxpoetes.com



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© Andrew Catlin

MUSIQUE

Susheela Raman L’Anglo-indienne élabore une musique hybride qui allie la tradition soufie et hindoue à la fibre contemporaine du rock, blues et soul. Son œuvre est riche de collaborations éclectiques : du pionnier de l’afrobeat Tony Allen en 2003 au violoncelliste français Vincent Ségal pour Queen Between enregistré en 2014, avec le groupe pakistanais Rizwan Muazzam. De sa voix puissante et éraillée, Susheela incarne chacun de ses morceaux, d’une manière effrénée ou plus méditative. Mais toujours captivante. 14.10, Armentières, Le Vivat, 20h, 21>7€, www.levivat.net

© Jorge Bispo

Gilberto Gil La vie de Gilberto Gil est une saga : Emprisonné sous la dictature, il devient ministre de la Culture du Brésil en 2003. Une figure du pays et l’ambassadeur de sa musique, qu’il a métissée avec de subtiles touches rock et reggae. Son nouvel album Gilbertos Samba rend d’ailleurs hommage à João Gilberto, considéré comme le père de la bossanova. Il se produit pour la première fois à Lille. À 72 ans, avec plus de 50 albums et des tubes atemporels à son actif, Gilberto Gil impose le respect. 11.10, Lille, Théâtre Sébastopol, 20h, 25>15€, www.aeronef-spectacles.com



48 MUSIQUE

Qu’il soit fusion, free ou mâtiné d’électronique, le jazz est toujours aussi bien représenté à Tourcoing. Difficile de ne pas trouver son bonheur dans cette 28e édition à l’offre pléthorique. Fidèle reflet d’un genre qui ne cesse de se réinventer, elle devrait réunir les amoureux de la note bleue autant que les néophytes. La preuve par 5 !

TOURCOING

festiva

l

texte Isabel Amossé

Manu Dibango (& Soul Makossa Gang) Doit-on présenter ce saxophoniste légendaire ! Manu Di Bango incarne une synthèse harmonieuse entre la musique traditionnelle d’Afrique et le jazz. Avec Soul Makossa Gang, il revient aux fondamentaux avec un répertoire résolument électrique : afro-funkgroove, accompagné de huit musiciens sur scène.

Manu Dibango © Pascal Thiebaut

15.10, Tourcoing, Th. Municipal Raymond Devos, 20h, 25/23/20/17€

Youn Sun Nah Quartet Depuis son dernier passage (2011), la chanteuse coréenne a fait du chemin. De Same Girl (2010), qui lui a valu un disque d’or (peu courant pour du jazz), à Lento (2013), elle revient après une tournée mondiale. Son succès tient à un équilibre trouvé entre accordéon, guitare acoustique, contrebasse et une technique vocale étonnante. Sur scène, l’émotion est palpable. 11.10, Tourcoing, Théâtre Municipal Raymond Devos, 20h, 34/32/29/25€


Gregory Porter

© Lucille Reyboz

© Shawn Peters

Des voix masculines sur la scène jazz, il y en a peu. Celle-ci compte. Pourquoi célébrer ce Californien, 42 ans au compteur et l’imaginaire coincé au plus tard dans les seventies ? Sans doute parce que des apôtres de la trempe de Porter transmettent une flamme, une soul hors d’âge qui traverse les époques. Du passéisme ? Fi ! L’éternité ne se préoccupe pas de telles contingences. 11.10, Tourcoing, Th. Municipal Raymond Devos, 20h, 34/32/29/25€

Airelle Besson & Nelson Veras Hyperactive, la jeune trompettiste française est sur tous les fronts : compositrice, chef d’orchestre, violoniste… elle sort même Prelude chez Naive (le 13.10). Un album réalisé en compagnie du guitariste brésilien Nelson Veras avec qui elle ouvre ici le festival. Le duo livre une performance acoustique reposant sur des compositions personnelles et des standards revisités. 14.10, Tourcoing, maison Folie Hospice d’Havré – Jazz Club, 18h30 – Cycle DUOS, 9/7/5€

17.10, Tourcoing, Théâtre Municipal Raymond Devos, 20h, 22/20/18/15€, www.tourcoing-jazz-festival.com

© Janette Beckman

Robert Glasper Experiment Ce pianiste et compositeur texan jongle avec les genres (R&B, soul, hip-hop, gospel), sans aucune fausse note. Ses collaborations avec Kanye West, Norah Jones, ou Jill Scott forcent le respect. Avec son projet Experiment, cet explorateur des temps modernes promet tout, sauf une soirée de jazz traditionnelle.


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Les Scènes Sonores Texte Clémence Rolin Photo DJ Pone © DR

C’est un temps où Anzin se met au diapason des 15-30 ans. Les Scènes Sonores répondent « à une demande forte ! » explique son programmateur, Jean-Marc Deanikan. En deux années seulement, cette bulle de musiques actuelles a déjà accueilli les DJ émérites C2C (2012) ou la légende rap IAM (2013). L’édition 2014 surfe quant à elle sur la vague électronique avec Jabberwocky, DJ Pone et Kavinsky s’il vous plaît ! Mais, tout de même, si la folk vous sied mieux, rejoignez-donc Yodelice. Le hobo à guitare acoustique n’a pas son pareil pour mêler le vintage à l’actuel. Autre particularité, ce festival a lieu dans un remarquable bâtiment Art Déco. Surmontant moult contraintes techniques, l’élue à la culture de la ville, Elisabeth Gondy souhaite que les jeunes des environs poussent les portes du théâtre. « On veut multiplier les initiatives relevant des cultures urbaines » confirme Jean-Marc Deanikan, qui se souvient des ateliers danse et graff 15 & 18.10, Théâtre municipal d’Anzin, organisés en 2012. Un événement 30>27€ pour étudiants, www.ville-anzin.fr Prog : Yodelice, 20h30, 36e (15.10) / chargé de sens, qui rayonnera bientôt Kavinsky, Jabberwocky, DJ Pone, 19h, 30e (18.10) dans toute la région.



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Moodoïd

Pas Möö du genöö Texte Julien Damien Photo Fiona Torre

Il aura suffi d’un EP et d’un album pour imposer Moodoïd comme la nouvelle sensation pop-rock hexagonale. Pablo Padovani et ses copines rejoignent les bancs d’une école typiquement française (de Vian jusqu’à Sébastien Tellier en passant par Gainsbourg), mais révisent leurs leçons dans une ambiance psychédélique. Il y a, d’abord, un petit quelque chose des Rita Mitsouko. Dans l’esthétique Bollywood du clip d’Une folie Pure, qui renvoie furieusement au Petit Train (1988). Folklore indien, glam rock à la Bowie (jusque dans le maquillage), synthé vintage… Pablo Padovani (le fils du jazzman Jean-Marc Padovani) et son backing band féminin surdoué convoquent des influences dans lesquelles avait jadis puisé le couple Ringer-Chichin. Le quintette se (nous ?) roule avec un entrain communicatif dans le baroque. Et avec extravagance, il renoue avec une touche qu’on regrette souvent de ne plus trouver que dans la discothèque de son papa. Jusque dans les textes, qui semblent écrits par Jacques Higelin. Bref, dur de ne pas se réjouir à l’écoute du Monde Möö, 1er album qui tient toutes les promesses tendues par un maxi sorti de nulle part (Je suis la montagne, La chanson du ciel de diamants). Et qui revisite à la vitesse de la lumière tout ce qui a fait la (bonne) histoire de la chanson française : on y entend les fantômes de 18.10, Bruxelles, Le Botanique-La Rotonde, Taxi Girl, d’Hubert Félix Thiéfaine, de 20h, 17/14/11€, botanique.be Sébastien Tellier (avant son crash), de 03.11, (+ Tune-Yards), Tourcoing, Le Grand Mix, 20h, 16/13/5€ (>18 ans), www.legrandmix.com Gainsbourg… Et ça fait un bien föö.



54 MUSIQUE

Nuits Electriques

Viens danser Texte Olivia Volpi Photo Cassius © Pierre de Reimpré

Clubber sans entrave, dès que le soleil se couche ? C’est ce que proposent, pour leur troisième édition, les Nuits Electriques : inviter la musique électronique, de bonne heure, dans des salles de concert qui regardent parfois la danse avec un certain mépris. Prenons le festival par le menu. Cette année, les trois soirées sont assez marquées : rap et r’n’b reluquant le dancefloor le jeudi, deep house le vendredi, et un samedi qu’on pourrait qualifier de french touch, si le terme avait encore un sens. Mais ce qui fédère réellement les Sébastien Tellier, Isaac Delusion et autres Cassius qui se produisent ici, c’est plus un sens du show qu’une identité musicale. Ce qui tombe bien, car il est d’abord question de fête. Prenons Cassius : depuis plus de 15 ans, le duo Philippe Zdar-Boom Bass sert des morceaux qui allient hédonisme et élégance. Leur production très sophistiqué (pour des titres qui sonnent de manière assez basique : La Mouche, Toop toop, The Sound of Violence…), a fait danser la planète. Sébastien Tellier nous promène quant a lui d’album en album, au gré de ses lubies : ballade à la guitare, électro-érotique Crazy Horse, mélopées pour gourou d’opérette... Le duo Isaac Delusion, enfin, mise plutôt sur un son folktronique. Ce chouette mélange de compositions pop, d’instruments acoustiques folk, sur un fond franchement synthétique. Son premier album éponyme a été salué par la critique. Et pour se remettre de toutes ces émotions, le jeune Darius nous parlera de Romance, son premier EP. Une histoire laissant place à la rêverie. 23.10, Le Grand Sud, 20h, DJ Pone, Kaytranada… 28€ // 24.10, Tri Postal, 20h, Joris Delacroix, Synapson…, 18€ // 25.10, Le Grand Sud, 21h, Sébastien Tellier, Darius, Isaac Delusion, Cassius... 33.50€



56 MUSIQUE

29.10, Tourcoing, Le Grand Mix, Annulé ! 30.10, Bruxelles, L’Orangerie, 20h, Complet !

© DR

Future Islands Depuis 2006, le trio de Baltimore promène son (post) punk synthétique sur les (petites) scènes du monde entier. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Car ce ne sont pas ces chansons, honnêtes mais pas vitales, qui fascinent. C’est le jeu de scène de son leader, Samuel T. Hearring. Monté sur ressorts, ce vague sosie d’Oliver Stone envisage chaque concert comme l’ultime séance de gym de sa vie. Bilan : une énergie dévastatrice et beaucoup, beaucoup de sueur.

Gruff Rhys

16.10, Bruxelles, Ancienne Belgique, 20h, 15€, www.abconcerts.be

— Agenda — Retrouvez tous les concerts de l’Eurorégion sur

www.lm-magazine.com

© DR

Le leader du groupe gallois Super Furry Animals sort son 4e album solo et inaugure un splendide voyage. Œuvre complète (un album donc, mais aussi un documentaire, un roman et une appli) American Interior nous embarque sur les traces de John Evans, aventurier de la fin du xviiie siècle à la recherche de tribus amérindiennes parlant le Gallois. Cette road music évolue au gré d’une (en)quête à travers les USA. L’alternance de morceaux pop/rock, country, portés par la voix chaude de ce prolifique conteur forme un spectacle hors du temps.


Les 10 ans de la Ferme d’en Haut ! Vendredi 3.10 / 21h

Slow Joe and the Ginger Accident +

The Rollin Bunkers [Concert]

Samedi 4.10 / 21h

+

Soirée années 80 Fluo Sauvage Radical Consensus [Concert + Dj set]

Dimanche 5.10 /17h

The Wackids

(Concert familial, à partir de 5 ans) Entrée gratuite pour ces trois événements, sur réservation.

Vendredi 10.10 / 20h30

Mon chant d’extase (Théâtre / Les Pakerettes)

Dimanche 12.10 / 17h

Big Bang Machine (Jeune public / Théâtre de l’Aventure)

268 rue Jules-Guesde 59650 Villeneuve d’Ascq Réservation : 03 20 61 01 46 facebook.com/fermedenhaut.vda www.villeneuvedascq.fr/feh


58 DISQUES

Chroniques

Véronique Vincent & Aksak Maboul EX-FUTUR ALBUM (Crammed Discs/Wagram)

Trente ans. Ce disque aura dormi trente ans dans les tiroirs de Crammed Discs avant de voir le jour. À l’origine, ce devait être le troisième LP d’Aksak Maboul, formation menée par Marc Hollander et Vincent Kénis (les fondateurs de Crammed), accompagnés de Véronique Vincent – chanteuse des Tueurs De La Lune De Miel, auxquels participaient également Hollander et Kénis. Vous suivez ? Bref, après deux albums avant-gardistes mêlant minimalisme, musiques balkaniques ou africaines, free jazz et préfigurant même la techno de Détroit (jetez une oreille à Saure Gurke, qui date de... 1977 !), Aksak Maboul souhaitait sortir un album pop, tout simplement. Mais leur son demeurait encore trop étrange : mêlant guitares congolaises et TB-303, rythmes arabisants, mélodies de cabaret, dub, textes apparemment absurdes et humour pince-sans-rire, ces chansons composées entre 1980 et 1983 n’ont jamais eu leur chance. La faute, entre autres, à des maisons de disques trop frileuses. À vrai dire, ces pop songs demeurent toujours aussi inclassables. Imaginez Lio chez On-U Sound, Lizzy Mercier Descloux traînant chez Phuture, Elli & Jacno au Congo. Et vous n’aurez qu’une petite idée de l’étrangeté de ce vieil album novateur – l’un des plus modernes de l’année 2014. Thibaut Allemand

Sebastien Schuller HEAT WAVE (Schmooze/Modulor)

Que la pop de Schuller tienne sous le poids de sa rareté est la première bonne surprise de Heat Wave. Happiness affiche bientôt dix ans d’âge, avec pour seule suite un Evenfall aux belles compositions refroidies par un glacis de surface. Ce nouvel album inspiré par les tempêtes tropicales promet de briser la glace et, si la première écoute désarçonne, on plonge ensuite jusqu’à l’obsession dans ce qui se révèle être le meilleur disque du Francilien exilé. On se liquéfie sous les tonalités presque vaporwave des instrus et les perles électropop (Black Light sonne comme le meilleur du Sexuality de l’autre Sébastien) jusqu’au sommet Regrets - boucle implacable, cousinage John Maus, réverbérations hantées. Comme s’endormir à demi sur le parking d’une discothèque et rêver éveillé, de beaux songes d’été. Rémi Boiteux


Alt-J

Foxygen

THIS IS ALL YOURS (Infections/PIAS)

…AND STAR POWER (Jagjaguwar/PIAS)

Après An Awesome Wave (2012), on attendait Alt-J au tournant. Pour patienter, le groupe de Leeds avait lâché sur le Net un sample de Miley Cyrus (Hunger of The Pine) et un hymne de jeunesse rock (Left Hand Free). Avec le succès, seraientils tombés dans la facilité ? Que nenni. Moins électro-pop que le précédent opus, This is All Yours est un nouveau challenge mélodique, très instrumental et kaléidoscopique (flûte, orgue, clavecin). Dès Intro, des chœurs guimauve sont chassés par une clameur souterraine. Alt-J unit les contraires pour provoquer de belles transes. Joe Newman donne dans un registre plus lyrique et personnel. Sa voix est l’écho d’une musique sans âge, mi-ténébreuse, mi-aérienne, elle nous emporte à Nara, ville japonaise leitmotiv d’un album mystique. Clémence Rolin

D’emblée, And Star Power s’avance frondeur et anachronique : un double album découpé en quatre chapitres, vingt-quatre titres dont certains sont des prolongements, et un son 70’s rock qui caractérise les quelques chansons qui surnagent de ce cahier de brouillon... Il y a du tri à faire, entre collage de bouts de démos, moments de solitude, troppleins et vides abyssaux. Les errements parfois consternants ne doivent pas faire oublier la grandeur des fulgurances : le vaguement « sad-eyed lady » Cosmic Vibrations et le génial What are we good for étincellent, How can you really et Coulda been my love font office de tubes. Les amateurs de braderies apprécieront. Heureusement, LM ne donne pas de notes : le disque fait le yo-yo entre zéro et l’infini. Rémi Boiteux

Baxter Dury IT’S A PLEASURE (PIAS)

On n’usera pas des superlatifs qui vont bientôt inonder (à juste titre) les pages musicales de tous les magazines du monde, mais peut-être d’un cliché : le quatrième album de Baxter Dury est celui de la maturité. S’il atteint des sommets d’hédonisme (sur Palm Trees, le cockney semble traîner sa nonchalance sur la côte californienne, la veste sur l’épaule), It’s a pleasure est aussi empreint de gravité, d’une couche de spleen qui manquait dans le précédent opus, Happy Soup. Ce pourquoi il le dépasse. Dans un lit de pop british minimaliste, Baxter Dury allonge sa voix de crooner décadent sur un chœur féminin (interprété par la française Fabienne Débarre, chanteuse de We Were Evergreen) tantôt jovial, tantôt vaporeux. Et fait de subtils clins d’œil au Melody Nelson de Gainsbourg. Julien Damien




62 ÉCRANS

Cinéma

White Bird

La disparition Texte Raphaël Nieuwjaer Photo courtesy of Magnolia Pictures

Pas évident de vieillir quand on a été un jeune cinéaste filmant la jeunesse. Larry Clark le prouve. Depuis des années, de film en expo photo, son œuvre bégaye. Et Gregg Araki ? Il va bien. Très bien, même. Peut-être parce qu’il s’attache, avec White Bird, à filmer ce qui le touche aujourd’hui : la fuite du temps.

Dans une banlieue résidentielle, une femme disparaît, laissant fille et mari face à une énigme. Est-elle morte ? A-t-elle plaqué une vie de plus en plus monotone et asphyxiante ? Avait-elle un amant ? En adaptant le roman homonyme de Laura Kasischke, Araki retrouve la veine la plus « classique » de son œuvre, celle de Mysterious Skin (2004). Plutôt qu’à l’esthétique « Godard + MTV » de The Living End (1992) ou The Doom Generation (1995), il se réfère à Hollywood. C’est qu’à travers sa reconstitution des années 1980, le film touche aussi à l’imaginaire des années 1950. En croisant le portrait d’une fille et de sa mère, White Bird apparaît même comme un mélodrame hollywoodien revu depuis un teen movie. D’outre-tombe. En voix-off, Kat raconte ce qu’elle sait ou devine de l’histoire d’Evie, sa mère, peu à peu gagnée par l’idée d’avoir gâché sa jeunesse auprès d’un mari insipide. Pour Kat l’existence, au contraire, n’en est qu’à ses prémisses. Le récit fait alors se répondre les angoisses de la mère et les émois de la fille, la douleur du temps perdu et la joie d’un premier amour. Sans oublier un portrait du père, très touchant en homme effacé. Avec son film le plus sobre, Araki compose ainsi une toile d’émotions complexes, du mépris jusqu’à l’impossible deuil, des premiers troubles jusqu’à la honte. De Gregg Araki, avec Shailene Woodley, Eva Avec, derrière la porte, un secret qui Green, Christopher Meloni… Sortie le 15.10. ne demande qu’à sortir.



Cinéma

© Thierry Valletoux - Wild Bunch 2014

64 ÉCRANS

3 cœurs Un soir en province, Marc (B.Poelvoorde) rate son train, erre dans les bars et croise Sylvie (C.Gainsbourg). Ils se promettent de se revoir à Paris. Rendez-vous manqué qui marque leur destin d’un sceau tragique. Plus tard, Marc rencontrera Sophie (Ch. Mastroianni), la sœur de Sylvie... Sous les yeux de leur mère (C. Deneuve), se joue un chassé-croisé qui ne peut que mal finir. Tout comme ce film. Car un casting alléchant ne suffit pas à combler un scénario chancelant qui repose sur des situations incongrues et des dialogues creux. On pourrait saluer l’ambiguïté du personnage de Marc, inspecteur des impôts Don Juan et cardiaque, mais tant de pathos nous accable : travellings complaisants, voix off d’outre-tombe, violons sur des visages larmoyants… Triste mélo centré sur le cœur mais incapable de faire battre le nôtre. Clémence Amossé De Benoît Jacquot, avec B. Poelvoorde, C. Gainsbourg, C. Mastroianni, C. Deneuve … En Salle

Depuis longtemps déjà, Alain Cavalier a troqué la grosse machinerie du cinéma professionnel pour le matériel léger de l’amateur. Le numérique n’engage pas pour autant un simple mouvement de repli vers l’intime ou le privé. Dans Pater (2011), le cinéaste questionnait le pouvoir en jouant au président de la République. La position est ici également ludique et, en un sens, solennelle. Remontant le cours des deux récits fondateurs, il met en scène une version miniature de l’Odyssée et de la Bible. Le corps supplicié de Jésus apparaît dans un morceau de bois tordu, un fruit coupé sert de navire à Ulysse. Plutôt que trouvés, les

© uniFrance films

Le paradis

objets avec lesquels Cavalier fabrique ses petites figurines sont recueillis. Car c’est une attention au monde, du presque rien au grand tout, qui caractérise ce cinéma, d’une délicatesse grave, d’une fragilité obstinée. Raphaël Nieuwjaer Film documentaire d’Alain Cavalier. Sortie le 08.10



66 ÉCRANS

Série

Orphan Black

Du simple au triple Texte Florian Koldyka Photo Steve Wilkie

Orphan Black pose, sans se prendre la tête, les questions qui fâchent autour de l’identité et ses corollaires : le clonage, l’anonymat, le secret. Commencée comme un polar, cette série canadienne tourne au thriller d’anticipation, mélangeant sans complexe suspense et science-fiction. Captivant. Flirtant avec l’illégalité, Sarah Manning cherche par tous les moyens à mettre sa fille à l’abri du besoin. Alors qu’elle se promène sur un quai du gare, elle assiste au suicide d’une inconnue lui ressemblant étrangement. Dans l’idée de voler ses papiers, Sarah s’enfuit avec le sac à main de la défunte (une enquêtrice de police)... avant de découvrir qu’elles sont des clones parmi trois autres - toutes jouées (forcément) par l’actrice Tatiana Maslany. Soit une brillante docteure en biologie, une intrigante femme qui semble en savoir davantage et une mère au foyer rigide. Les questions identitaires jaillissent dès lors. Orphan Black expose son lot d’actions - rappelant Alias - via un récit ludique mais jamais survitaminé. Cette série évite le piège de la surenchère dans lequel est tombé sa consœur anglaise Utopia, qui force sa nature de thriller d’anticipation par des enjeux éthiques moralisateurs et des images violentes trop graphiques. L’œuvre de Graeme Manson et John Fawcett (Lost Girl) repose au contraire sur une réalisation directe et simple. Au service d’un récit tentaculaire, se déployant pas à pas, et soutenant un motif sériel majeur : la multiplicité narrative. Attention, prenez Saison 1 : 24.09, 23h, épisode 9 et 10 de profondes respirations, vous allez Saison 2 : 01.10, 23h, épisode 1, 2 et 3 sur Numéro 23 hyper-ventiler !



68 ÉCRANS

© DR

Série

A Young Doctor’s Notebook

Combatientes

Adaptation des carnets du Dr Boulgakov durant la Grande Guerre, cette minisérie anglaise confronte le vieillissant Dr Vladimir Bomgard (Jon Hamm, Mad Men) à son passé de jeune premier (Daniel Radcliffe, Harry Potter). Sous le regard de son double plus âgé, le carabin lutte contre son addiction à la morphine, à une épidémie de syphilis en Sibérie, tombe amoureux de Natasha... Le principal levier comique de AYDN relève de la pédagogie à la dure subie par ce jeune médecin, qui apprend sur le tas grâce aux sermons de son moi mentor. Associant l’absurde au gore, la comédie de Sky Arts repose sur des dialogues savoureux, servis par un jeu d’acteurs efficaces qui n’hésitent pas à détruire leur alter ego. « J’ai appris de mes erreurs, je sais comment les reproduire à la perfection », semblent-ils nous dire. Le règne des anti-héros n’est pas fini. F.Koldyka

Que sait-on de la Guerre des Malouines ? Printemps 1982 : en à peine trois mois, ce conflit perdu par l’Argentine précipita la chute de la junte militaire et renforça le pouvoir de Margaret Thatcher. Pour la première fois, une série télévisée se penche sur cette drôle de guerre. Soit l’itinéraire de six soldats argentins, avant, pendant et après la bataille. Instaurant un rythme lent mais maintenu sous tension par une violence sous-jacente, les réalisateurs, caméra à l’épaule, suivent la trajectoire tragique de Rivero et ses camarades. Pas si loin de Generation War (2013), Combatientes relève de ces œuvres qui placent la grande Histoire à hauteur d’homme. Une réussite qui donne envie d’en connaître plus sur la production argentine. Thibaut Allemand

de Robert Mac Killop. DVD, Saison 2 (4x25’), dès le 07.10, 15€

de Jerónimo Paz Clemente et Tomás de las Heras, avec Lucas Ferraro, Lautaro Delgadoz... 13x26mn, 3DVD, 25€, (Montparnasse Ed), dès le 07.10



70 ÉCRANS

© DR

DVD

C’est eux les chiens ! Texte Thibaut Allemand Photo Hassan Badida / éditions Montparnasse

DVD, Montparnasse Éditions, 15€

2011. Le Printemps arabe secoue le Maghreb. Au Maroc, une équipe de télévision filme la foule à Casablanca et repère un étrange individu. Lui sort d’un hiver long et gris : trente ans dans les geôles du roi. Raflé durant les émeutes de juin 1981, ce vieil homme émacié, matricule 404, cherche sa famille et retrouve un Maroc qui a bien changé. Vraiment ? Demeurent pourtant les tensions politiques, économiques et sociales. Suivant ce guide dépenaillé, la caméra tremble – et nous avec, car ce faux documentaire et vrai road-movie urbain flirte avec le thriller. Reste une réflexion sur le pouvoir de l’image, de l’information et de ce qu’on oublie, aussi. Car cette œuvre démonte notre vision du Printemps arabe : loin d’être une éruption spontanée, il est le résultat d’une histoire plus longue. Bref, un film trop remué peut-être, mais très remuant. Un film de Hisham Lasri Avec Hassan Ben Badida, Yahya El Fouandi, Lmad Fijjaj, Jalal Boulftaim...



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Les Photaumnales

Public Image LTD Texte Thibaut Allemand Photo The Harsh Truth of the Camera Eye © Kevin Cummins

Rock et photographie ? Un sujet apparemment rebattu. Or, la 11e édition des Photaumnales évite le bête Rock’n’roll Hall Of Fame pour exposer comment, depuis ses origines, ce genre musical s’est servi de la photographie – l’inspirant en retour. Ce vaste parcours n’oublie ni les pionniers ni l’aspect social, et laisse la place aux jeunes talents.

« S

ans la photographie, le rock n’existe pas », déclare Daniel Challe. Commissaire invité de cette édition, le photographe s’explique : « Les chansons sont évidemment primordiales mais sans la presse, les pochettes de disques, bref, sans l’image, le phénomène n’aurait pas été le même ». Vrai que si l’on peut apprécier Le Sacre Du Printemps sans connaître la ganache de Stravinsky, difficile d’imaginer si Elvis, The Sex Pistols ou Nirvana auraient eu le même impact sans le pouvoir de l’image. « La photo et la musique ont connu une évolution similaire, poursuit Daniel Challe. Aux images ensoleillées des Beach Boys répondent celles, neigeuses et grises, de Joy Division ». Au-delà des clichés. Ce parcours en trois parties regroupe près de 600 clichés de tous formats. Si The Icons revient

sur quelques-uns des noms précités, via les images de Richard Dumas, Kevin Cummins ou Renaud Monfourny, Daniel Challe tient également à la dimension sociale du rock. « This Is England propose plusieurs visions de l’Angleterre, avec Chris Steele-Perkins et ses portraits de Teddy Boys dans les seventies, ou Jocelyn BainHogg et Paul Davis immortalisant le Londres actuel ». En fin de parcours, on découvre des portraits d’inconnus retouchés façon glam par Pascal Mirande et des visages extatiques dans la foule des concerts saisis par Samuel Kirszenbaum. Une belle façon de boucler la boucle. Jusqu’au 11.01.2015, Beauvais, Galerie Nationale de la Tapisserie, mar>ven, 12h>18h, week-end, 10h>18h, gratuit 23.10> 22.11, Amiens, La Briqueterie, mer>dim, 15h>18h, gratuit, Jusqu’au 16.11, Beauvais, Jardins du Musée Départemental de l’Oise, tlj sf mar, 10h>12h, 14h>18h, gratuit Autres lieux sur www.photaumnales.fr


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Daniel Meadows, The Free Photographic Omnibus, 1973-74

Dominique Dudouble, Mods for ever


Colin Jones, The Who, 1966


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Jocelyn Bain Hogg, Tired of London, Tired of Life



78 EXPOSITION


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Micronations

It’s a small, small world Texte Thibaut Allemand Photo Léo Delafontaine

Quel est le point commun entre une famille vivant sur une plate-forme au large des côtes anglaises (la Principauté de Sealand) et une vaste communauté libertaire se réappropriant une caserne militaire abandonnée (le quartier de Cristiana, à Copenhague) ? Ce sont deux des plus célèbres micronations, parmi les quelque 800 que compte le globe.

U

ne micronation ? Un groupe de personnes faisant sécession et revendiquant un territoire, quelle que soit sa taille. Généralement, cette petite nation possède un hymne, voire une langue, édite des timbres et bat monnaie, mais n’est reconnue par aucun État. Excepté d’autres micronations. Léo Delafontaine a parcouru le monde et visité douze de ces entités très sérieuses ou totalement fantaisistes. Le photoreporter a côtoyé


des rois, des reines, des princes et des empereurs régnant sur de petits lopins de terre. La maison Folie Beaulieu propose un accrochage instructif et étonnant. À l’entrée, une mappemonde situe chacun de ces microétats. Puis l’on passe d’une patrie à l’autre, présentées en quatre ou cinq grandes photographies et accompagnées de quelques traces physiques de leur existence : timbres, passeports, pièces de monnaie... Conseil des micronations unies. Enfin sont dévoilés des clichés d’un colloque biennal réunissant ces «chefs d’état». Un conseil des micronations unies, en quelque sorte. Complètement absurde ? Pas totalement, et c’est bien ce que dévoile cette exposition. Pourquoi certaines nations seraient-elles plus valides que d’autres ? Pourquoi en prendrait-on certaines au sérieux et d’autres de haut ? En nous faisant découvrir les micronations, Leo Delafontaine interroge, en creux, l’idée même de nation. Un travail passionnant et salutaire, en ces temps de nationalisme exacerbé.

Jusqu’au 28.11, Lomme, maison Folie Beaulieu, mer, 10h > 12h & 14h > 18h / jeu & ven, 14h > 18h / sam, 10h > 12h & 15h > 18h, gratuit, www.ville-lomme.fr


81 EXPOSITION


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Sheep is more

FABRIQUE-MOI un mouton Texte Julien Damien Illustration Š DR

fig. 1


83 EXPOSITION

Scoop LM ! Notre journaliste est parvenu à pénétrer (non sans risques) dans les bureaux de la Condition Publique. Selon nos informations, pour ses dix ans, celle-ci s’apprête à sortir une révélation de nature à bouleverser la communauté scientifique mondiale...

C

hacun sait que ce bâtiment reconverti en fabrique culturelle a autrefois abrité le fleuron de l’industrie textile. De 1902 à 1970 y fut analysée la laine négociée dans le monde entier. Eh bien désormais, on y recréerait… la vie ! Inspiré par les scientifiques de Jurassic Park, un collectif lillois dénommé « Les Saprophytes » aurait réussi à fabriquer des moutons à partir de fragments de toison retrouvés dans ces anciens entrepôts. Les paisibles mammifères seraient produits grâce à une imprimante 3D géante (voir ci-contre le plan que nous avons pu nous procurer).

fig. 2

Dessiccateurs. Toujours selon nos informations, il apparaît que cette (diabolique) machine aurait été victime d’un bug. Et serait donc inopérationnelle durant sa présentation. Toutefois, afin de ne pas compromettre la crédibilité de cette annonce, des images enregistrées par les caméras de vidéosurveillance de la Condition Publique seront diffusées au grand public pour attester de cette étrange synthèse. Mieux : un troupeau de moutons sortis de cette imprimante devrait gambader dans toute la ville ! Par ailleurs, nous avons appris que trois dessiccateurs feraient l’objet d’une exposition. Ces grosses balances à étuves permettaient autrefois de mesurer le taux d’humidité de la fibre de laine, afin d’en fixer le prix « loyal ». Trois artistes contemporains se seraient mis en tête de ressusciter ces outils disparus ! Tout cela devrait nous laisser bouche bêêê…

07.10> 02.11, Roubaix, mar > dim, 14h>18h (dès 13h30 en sem et le mer jusqu’à 19h), gratuit, +33 (0)3 28 33 48 33, www.laconditionpublique.com


84 EXPOSITION

Signes des temps

Conte à rebours Texte Isabel Amossé Photo Henri De Groux, «Le charnier», 1906, Collection Province de Hainaut - BPS 22

A

lors que l’on célèbre le centenaire de la Grande Guerre, Signes des Temps s’intéresse aux années qui l’ont précédée (de 1880 à 1913). En bousculant les clichés d’une Belle Epoque toujours présentée comme insouciante, cette exposition autopsie la notion de progrès et interroge le statut d’artiste. Signes des Temps naît d’une question : « qu’est-ce qui a bien pu déclencher une guerre à ce point totale en si peu de temps ? », nous dit Xavier Roland, responsable des expositions. Alors que la photographie et le cinéma montrent le réel, l’artiste se fait visionnaire. Il représente ses émotions, et révèle les agitations, les angoisses, le « malaise de la civilisation » sur fond de psychanalyse naissante (Freud). Tout a un prix. Si la Belle Epoque vénère la notion de progrès, technique, économique et politique, elle nie l’individu, esclave du développement industriel. On perçoit dès lors dans les 150 pièces présentées ici un rapport quasi-obsessionnel à la lutte (la série des Rivaux de Max Beckmann, 1908). Entre les classes, les « races » (sur fond de théories Darwinistes), mais aussi les sexes (Munch, Rodin). Ici, point d’œuvres pour se reposer l’esprit. Des représentations utopiques des expressionnistes allemands aux visions menaçantes comme celle du Terril de la Montoise Cécile Douard, chaque création questionne le visiteur. Ce parcours porte la signature plastique d’une époque baignée d’incertiSignes des temps. Œuvres visionnaires d’avant tude. Il est, avant tout, le témoignage 1914 - Jusqu’au 23.11, Mons, Musée des BeauxArts de Mons, mar>dim ,10h>18h, 9/6€ (ticket d’un monde en révolution, que nous groupé 3 expos), www.bam.mons.be tâchons de toujours comprendre.



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La Voile rouge, Theo Van Rysselberghe © Coll.Belfius

DC Comics, La forteresse de solitude, 1976

EXPOSITION

Un siècle de peinture belge

La maison des Super-Héros

Montrer la spécificité de la peinture belge à travers les courants du xixe et du xxe siècle, tel est le but de cette exposition. La Banque Belfius a décidé de s’associer au musée des Beaux-Arts de Liège (BAL) pour présenter quelque 70 toiles de sa collection privée. Des impressionnistes (Emile Claus) aux symbolistes (Xavier Mellery), de l’expressionnisme (Constant Permeke) aux peintres l’Ecole de Laethem-Saint-Martin, l’accrochage se veut représentatif de la diversité de l’art belge et de sa fertilité. Le parcours n’observe pas une logique chronologique mais privilégie un dialogue entre les tableaux, y compris avec ceux du BAL. Et révèle des bijoux tels que La Voile rouge, et Pin à la fossettes, deux œuvres de Théo Van Rysselberghe enfin réunies. Isabel Amossé

Non, les super-héros ne se réduisent pas à des caleçons moulants et des gadgets farfelus. S’il existe un lien entre Superman, Batman et les Avengers, c’est bien leur rapport à la ville. Des égouts abritant la pègre aux gratteciels assiégés, les mégalopoles sont le ring sur lequel s’affrontent les forces du Bien et du Mal. Et quand le héros est en position de faiblesse, toute la cité s’effondre avec lui. En croisant les angles d’étude (historique, sociologique, économique), et à travers illustrations et objets dérivés, cette exposition porte un regard inédit sur les BD américaines. Des surhommes y combattent métaphoriquement les vices de la modernité, et Gotham City ou Metropolis se muent en utopies, reflets de nos sociétés contemporaines. Isabel Amossé

Jusqu’au 09.11, Liège, musée des Beaux-Arts, mar >dim de 10h > 18h, 5/3/1.25€ /gratuit -12 ans et tous les 1er dim du mois, www.beauxartsliege.be

14.10>20.12, Lille, MAV du Nord Pas de Calais, mar>ven, 10h>12h30 & 14h>17h, gratuit, www.mav-npdc.com



88 EXPOSITION

Sensation et sensualité. Rubens et son héritage

On ne présente plus Rubens ? Eh bien détrompezvous ! Bozar a trouvé le moyen de monter une exposition unique du plus illustre des peintres flamands, à travers les artistes qu’il a inspirés. Grâce à cette collaboration avec la Royal Academy of Arts de Londres et le Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers, vous pouvez (re)découvrir à Bruxelles le premier baroque moderne via des toiles de ses « héritiers » : Van Dyck, Watteau, Delacroix, Manet mais aussi des gravures de Rembrandt et Picasso. Peter Paul Rubens, Venus Frigida, 1614 © Lukas - Art in Flanders VZW / Royal Museum of Fine Arts Antwerp, photo Hugo Maertens.

Jusqu’au 04.01.2015, Bruxelles, Bozar, ts les jrs (sf lun), 10h>18h, jeu, 10h>21h, 14/12/6/2/1,25€/gratuit (- 6 ans), www.bozar.be

Latin Lovers Né en 1960 en Italie d’un rejet de l’industrie culturelle et de la société de consommation, mais aussi porteur de valeurs écologiques, l’Arte Povera ou « l’art pauvre » (en référence aux matériaux qu’il utilise : sable, terre, bois, bouts de tissus ou de métal...) n’a rien perdu de sa puissance expressive. Le Frac dévoile 17 œuvres d’une collection acquise grâce à Jan Hoet, le directeur du Musée d’Art Contemporain de Gand (SMAK), décédé fin février 2014. L’occasion de croiser des artistes tels que Luciano Fabro, dont le Latin-Lover prête son nom à cette exposition alliant art contemporain et mémoire. Jusqu’au 29.03.2015, Dunkerque, Frac NPDC, mer>dim, 12h>18h, 4/2€/ gratuit – de 18 ans, gratuit pour tous jusqu’au 31.12, www.fracnpdc.fr

05.10>11.01.15, Lille, maisons folie Moulins et Wazemmes, mer>dim, 14h>19h, gratuit, www.mfmoulins-lille.fr

© Ernie Paniccioli

A Nous York « Big Apple » croquée à la sauce hip-hop. Artistes new-yorkais mais aussi régionaux dressent un portrait de la « Ville qui ne dort jamais ». Futura 2000, chef de file de l’abstract graffiti, et Ernie Paniccioli, photographe emblématique du mouvement, inaugurent la salle d’exposition de la maison Folie Moulins tandis que des graffeurs locaux investissent la maison Folie Wazemmes.



90 THÉÂTRE EXPOSITION & DANSE

Agenda

Notre Congo/Onze Kongo À travers une série de documents iconographiques et audiovisuels datant de la période coloniale belgo-congolaise, cette exposition montre comment la propagande a fonctionné pour justifier la colonisation. Elle questionne la persistance des stéréotypes dans notre imaginaire collectif. Et brise ce miroir déformant qui fut longtemps la seule perception du Congo et de l’Afrique, à défaut de mieux. Bruxelles, 04.10>30.11, Musée Belvue, lun>ven, 9h30>17h, sam&dim, 10h>18h, gratuit, www.belvue.be

© Tardi/Casterman 2014

Tardi et la Grande Guerre

Le théâtre du crime

Bozar consacre une rétrospective au travail de Jacques Tardi sur la Première Guerre mondiale. On retrouve surtout des planches et des grands formats de Putain de guerre et C’était la guerre des tranchées. À travers ces deux albums, cet éternel indigné retrace le quotidien et l’incrédulité des combattants, les pieds dans la boue, sous la menace des obus. Il ne s’attarde pas sur l’Histoire avec un grand H mais se concentre sur les hommes qui l’ont subie.

Le Musée de la Photographie de Charleroi consacre une exposition à Rodolphe Archibald Reiss (1875-1929). Ce Suisse fut l’inventeur de la photographie judiciaire. Les scènes de crimes qu’il a immortalisées, ensuite conservées dans les cartons de la police helvétique, n’étaient pas destinées au grand public. Crus, violents, ces clichés dégagent pourtant une étonnante beauté. Un formidable travail documentaire sur le début du xxe siècle.

Bruxelles, jusqu’au 23.11, Bozar, tous les jours sauf lundi 10h>18h, jeu 10h>21h, 4/2/1,25€, www.bozar.be

Charleroi, jusqu’au 07.12, Musée de la Photographie, mar>dim, 10h>18h, 6>3€/grat. pour les – de 12 ans, www.museephoto.be

Ce tant curieux musée du monde Le MAC’s accueille une partie de la prestigieuse collection du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, actuellement fermé pour restauration. Masques, termitières géantes, animaux en bocaux… L’occasion de découvrir la richesse de ce musée qualifié d’« universel » par le directeur du MAC’s, Laurent Busine. « Parce qu’il contient et conserve tout ce que l’homme ou la nature ont créé dans une partie du monde : l’Afrique centrale, et en particulier le Congo ». Hornu, 19.10>18.01.2015, MAC’s, site du Grand Hornu, tous les jours, 10h>18h, sauf le lun, le 25/12 et le 01/01, 8/4€, gratuit - 6 ans, www.mac-s.be



92 THÉÂTRE EXPOSITION & DANSE

Agenda

L’Autre de l’art Cette exposition résume les trois spécialités du LaM : l’art contemporain, moderne et brut. Et propose une relecture de l’histoire de l’art à travers plus de 400 œuvres (dessins, peintures, sculptures, films, écrits, etc.) réalisées en dehors des contextes habituels (la rue, les hôpitaux, les prisons…), par des autodidactes ou des enfants. Un mouvement qui a fait émerger, dès le milieu du xixe siècle et tout au long du xxe siècle, différentes figures d’un « autre » de l’art. Villeneuve d’Ascq, 03.10>11.01.2015, LaM, mar>dim, 10h>18h, 10/7€/grat, www.musee-lam.fr

Rodolphe Delaunay, Delay II, 2013 © Collection Laurent Fiévet

LUX ! La lumière seule

Mental Geography

Comment placer la lumière au cœur d’une exposition ? En faisant l’obscurité. Le spectateur est ici plongé dans des ténèbres indistinctes où se déploie, à travers plusieurs œuvres, une mise en scène fluide qui s’organise via des jeux d’intensité. Ni démonstrative, ni théorique, Lux se donne à voir comme une approche sensible et poétique du visible et de ce qui le fonde. C’est à dire de la lumière créatrice.

Comment l’esprit transforme-t-il la vision de l’espace ? Quatre artistes italiens, anciens élèves de Marco Pellizzola (professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan) ont exploré la notion de « géographie mentale ». L’espace réel est ici transformé en « espace mental », sorte de « boîte » où la mémoire, les sentiments, la vraie vie sont mélangés pour devenir une partie de l’espace physique. Où tout devient possible...

Tourcoing, 10.10>04.01.15, Le Fresnoy, mer, jeu, dim, 14h>19h & ven, sam, 14h>21h, 4/3€, www.lefresnoy.net

La Louvière, jusqu’au 09.11, Musée Ianchelevici, mar>ven, 11h>17h, we, 14h>18h, 3/2€/gratuit (- 12 ans et 1er dim du mois), www.ianchelevici.be

Passions secrètes, collections privées flamandes Dix-huit collectionneurs flamands (de la région de Courtrai) révèlent et partagent avec le plus grand nombre quelques-uns de leurs trésors. Soit plus de 140 oeuvres signées par 80 artistes internationaux. Ces « passions secrètes » narrent sur trois étages et autant de thèmes (la représentation féminine, le miroir et la découverte d’une autre Amérique) une histoire de l’art des années 1970 à nos jours. Lille, 10.10.>04.01.2015, Tripostal, mer>ven, 12h>19h, sam&dim, 11h>19h, 8/4€/gratuit, www.lille3000.eu



94 THÉÂTRE & DANSE

« C’est terrifiant, mais on ne se sort jamais du roman familial »


Mathieu Amalric Tournez Ménages

Propos recueillis par Nicolas Pattou Photo Marc Domage

Fascinée par les mécanismes de reproduction sociale décrits par le romancier Eric Reinhardt dans Le Moral des ménages, Stéphanie Cléau en a fait un objet scénique. Pour interpréter le rôle d’un fils qui ne veut surtout pas ressembler à son père, elle a fait appel à Mathieu Amalric - qui est aussi son compagnon à la ville. Rendezvous avec un acteur qui joue au chanteur célèbre mais se prend (faussement) les pieds dans le micro. Pourquoi ce texte d’Eric Reinhardt ? C’est avant tout le choix de Stéphanie. C’est elle qui l’a adapté et mis en scène. C’est le fruit d’un cheminement intérieur qui lui appartient entièrement. Moi, je suis un simple acteur. D’ailleurs au début je n’étais pas à l’affiche, pour éviter tout mélange des genres. Vous ne savez donc rien des raisons qui ont présidé à ce choix ? Je devine qu’il y a des raisons intimes, en rapport avec son enfance. Des parents qui vous déconseillent de faire certaines choses dans la vie. Un état d’esprit qui se transmet de génération en génération. La peur de tout. Comment se sort-on de ça ? A fortiori dans les classes moyennes ? Jusqu’à quel point retrouve-t-on le texte de Reinhardt ? Ce ne sont que des mots tirés du livre. On retrouve une folie verbale de l’ordre de la logorrhée maladive. Assez pitoyable et bouleversante en même temps. Le double mouvement d’un homme. Comment le traduire sur scène ? Stéphanie cherche à placer le spectateur dans une situation assez inconfortable. On ne doit pas s’identifier au personnage principal. La mise en scène est extrêmement précise, rythmée. C’est aussi très musical.


96 THÉÂTRE & DANSE

Et vous, en tant qu’acteur ? J’ai essayé de ne pas manifester d’empathie, laissant aussi planer le doute sur ce que ce type dit. La vie d’un être est quand même complexe : il n’y a pas les victimes et les bourreaux. D’accord, mais il est misogyne, un peu lâche, il trompe sa femme qui le fait vivre... C’est ce que sa fille dit. Peut-être que ce n’est pas vrai. On parle souvent de ses parents comme ça. En reproduisant ce schéma d’une génération à l’autre. C’est terrifiant, mais on ne se sort jamais du roman familial. On aime penser qu’on a survécu à ses parents. En parlant de ses malheurs, en exagérant. Et on finit par y croire. Nous n’avons donc pas affaire à un paumé... Non, on pointe ce besoin qu’on à tous d’être perçus comme des héros. Voilà pourquoi Carsen débarque sur scène avec une musique de type mexicaine signée Morricone, en costume velours bleu pâle, avec une clope. Il se prend pour Bashung ou Gainsbourg. Et entre nous, Stéphanie sait très bien que j’ai toujours voulu être « Le théâtre reste chanteur de rock, elle me fait ce petit cadeau. Un truc d’amouun endroit dangereux reux si vous voulez (rires).

pour moi »

Le texte de Reinhardt n’est pas dénué d’humour, comment

composez-vous avec cela ? J’essaye de ne pas commenter. D’être droit. Mon personnage dit des choses énormes sans même s’en rendre compte. Et je vois bien que les gens rient. Il ne faut donc pas en rajouter et balancer sérieusement des répliques adressées à sa femme du genre : « Juliette, tu es la seule qui a su voir, à une époque où j’étais encore enfoui sous les décombres d’une éducation complexante, l’homme merveilleux que j’allais devenir ». Là les gens se disent : « mais il est fou ce type ». Et là ça devient intéressant.


Comment adoptez-vous la bonne distance ? En apprenant mon texte. C’est parce que vous le répétez, que vous essayez des trucs que quelque chose advient. Il faut connaitre son texte de la manière la plus neutre possible pour que chaque soir il vous emmène dans des endroits imprévus, joyeux ou terriblement noirs. Bref, je fais comme si ce n’était pas écrit alors que tout l’est à la virgule près. Accepter sa condition ou y résister aboutirait au même résultat. Le fond de cette pièce n’est-il pas tragique ? On pose une question plus trouble : « qui est-on vraiment ? ». Se mentir à soi-même est la chose la plus répandue, la plus facile et souvent on ne s’en rend pas compte. Dans le cas de Carsen, le schéma familial se répète. Et c’est d’autant plus cruel qu’il s’est construit contre ses parents. Il finit comme son père, ratatiné. Surtout lorsqu’il entend sa fille lui dire : « Heureusement que j’avais mes grands-parents qui m’ont appris des choses concrètes et pas tes splendeurs de l’automne ».


98 THÉÂTRE & DANSE

Cette pratique théâtrale, cette tournée, l’avez-vous déjà vécue à titre personnel ? Oui mais de façon plus légère. Par exemple, très jeune, je faisais la lumière sur un Roméo et Juliette. Au départ, on avait besoin d’un mec qui avait le permis pour conduire un 22 m3 et puis on m’a dit : « ben tu feras la lumière aussi ». On tournait dans des ruines, le spectacle avait lieu à Cordes, à Perpignan. Sinon, je découvre le théâtre... ce n’est pas ma maison. Je suis plutôt réalisateur, technicien. C’est Desplechin qui m’a inventé comme acteur de cinéma. Le théâtre reste un endroit dangereux pour moi. Et qu’attendez-vous de cette pièce ? Que cela me sorte de mes propres films. Mais à chaque fois que je joue, il faut que ce soit irrésistible comme avec Desplechin, Larrieu, Polanski ou Wes Anderson. Je suis attiré par la proposition de Stéphanie, et toutes celles qui vous emmènent dans des zones étranges. C’est assez délicieux d’être érotisé par sa propre compagne. Après de nombreuses années, le couple reste tout de même l’aventure la plus difficile. Qu’elle ait envie que j’en fasse partie me bouleverse. À voir / Le Moral des Ménages, 02 & 03.10, Valenciennes, Le Phénix, 20h, 22/20/17/13€, www.lephenix.fr À lire / Le Moral des Ménages (2003), Eric Reinhardt, Éd. Stock



Farid Berki

Passeur de frontières Texte Julien Damien Photo Jean-Baptiste Lopez

« Je suis moi-même le résultat d’une hybridation »


101 THÉÂTRE & DANSE

Voilà trois décennies qu’il réinvente le langage des corps. Chorégraphe de renommée mondiale, Farid Berki forge les belles lettres du hip-hop en croisant les cultures et les arts. Le (déjà) quinquagénaire fête dans sa région natale les 20 ans de sa compagnie, Melting Spot.

F

inalement, personne n’aura réussi à l’enfermer dans le rôle du lascar de service. Enfant du quartier de la Bourgogne, à Tourcoing, Farid Berki grandit dans une courée à deux pas de l’usine où s’échine son père. Et comprend vite la notion de déterminisme : « Gamin, je me suis rapidement rendu compte qu’on vivait dans des réserves d’indiens, qu’on était dans des classes poubelles… ». à quinze ans, il quitte cette école qui ne lui propose guère qu’un destin de nettoyeur. Pile au moment où le hip-hop débarque en France. Porté par cette énergie nouvelle, Farid échappe-là aussi aux codes un peu convenus du genre. ADN métissé. Danseur de rue à ses débuts, il malaxe le style jusqu’à le transcender. Persuadé que cette différence qui effraie souvent est une richesse, le Tourquennois mêle les disciplines (danse, théâtre, BD, vidéo…) et les cultures du monde

entier. Revisite le flamenco, le jazz, les claquettes et même… Stravinski ! Le métissage colore sa chorégraphie : « je suis moi-même le résultat d’une hybridation ». Entre l’Algérie de son père, la France de sa mère et le plat pays, il se présente comme un « passeur de frontières ». L’ancien militant de quartier a toujours envie de changer le monde. Mais aussi, via Melting Spot, de transmettre ce répertoire hip-hop qu’il a bâtit en autodidacte. Comme tous les pionniers.

10.10, Bal guinguette + hip-hop / On n’a pas tous les jours 20 ans / Cie Melting Spot, maison Folie Beaulieu, Lomme, 19h>02h, gratuit 24/10, Scène ouverte slam, La Ferme d’en Haut, Villeneuve d’Ascq, 20h. 02/11, Les Transmetteurs, maison Folie Wazemmes, Lille, 16h + 07.11, La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq, 20h. 08.11, Rétrospective Jean-Pierre Thorn, Le Méliès, Villeneuve d’Ascq, 14h30 (Faire kiffer les anges), 16h45 (On n’est pas des marques de vélos), 20h15 (93, La belle rebelle). www.ciemeltingspot.fr



103 THÉÂTRE & DANSE

Teatro Valle

Haut lieu de résistance culturelle Texte Aurore Krol Photos Valeria Tomasulo

Au cœur de la cité éternelle, à deux pas d’un bâtiment des carabinieri et des grandes institutions de la capitale italienne, se trouve le plus vieux théâtre romain encore en activité. Écrin architectural datant de 1727 que Berlusconi aurait bien privatisé si l’élan populaire n’en avait décidé autrement. Une occupation militante et trois ans de laboratoires artistiques plus tard, une fondation et un spectacle ont vu le jour. Si ce dernier semble persona non grata sur le sol où il a été conçu, il est à découvrir à Bruxelles !

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juin 2011. Le peuple italien vient de remporter le référendum sur l’eau publique, la sortie du nucléaire et la levée de l’immunité pénale de son président. À la faveur de ce mouvement de contestation, des artistes prennent le Théâtre Valle d’assaut pour lui éviter de devenir un hôtel ou un restaurant. Ils espèrent tenir une heure pour obtenir une couverture médiatique. Ils y resteront trois ans. Très vite, le monde de la culture est rejoint par d’autres forces. Si le soutien de personnalités telles que Peter Brook ou Arianne Mnouchkine joue un rôle indéniable, la présence de juristes, d’économistes, de fonctionnaires de l’État permet au mouvement de réfléchir au statut des artistes et de développer des dispositifs

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104 THÉÂTRE & DANSE

de financement éthique et d’éducation des publics. En 2013, les occupants montent la Fondazione Teatro Valle bene commune, défiant les obligations légales d’une telle structure. Ainsi le traditionnel mécène est remplacé par un collectif de 5 600 donateurs, certes modestes mais permettant de constituer un capital. Et le siège social - qu’une fondation doit légalement être en capacité financière d’acquérir - est directement implanté au Théâtre Valle. Le rideau tombe. « Nous voulions pousser la loi dans ses retranchements afin de sortir de la dualité propriété d’État/propriété privée. Certains enjeux doivent être de l’ordre du bien commun. », témoigne Valeria, l’une des occupantes. Le préfet de Rome ne l’a pas entendu de cette oreille, et a invalidé la fondation. Puis, en août dernier, prétextant des travaux urgents à effectuer dans le théâtre, le gouvernement a expulsé les occupants.

Pour ces derniers, deux urgences s’imposent alors : faire entendre à la future direction artistique du Valle la nécessité d’en conserver les principes impulsés depuis trois ans. Et sauver la première création que le collectif s’apprêtait à finaliser : El Macello di Giobbe. La pièce, écrite et mise en scène par Fausto Paravidino, revisite le thème biblique de Job. « L’histoire ne parle pas de l’occupation du théâtre mais elle a été portée par l’effervescence de ces trois années », précise le jeune dramaturge. La trame est aussi un conflit générationnel « entre des parents qui ont appris que travailler leur permettrait d’avoir une belle vie, et des enfants pour lesquels le capital a vaincu les travailleurs ». Trois semaines de représentation étaient programmées en septembre au Valle. C’est finalement à Bruxelles que seront accueillies les premières dates de cette aventure atypique. Une histoire d’art et de résistance.


15 & 16.10, Il Macello di Giobbe, de Fausto Paravidino, Teatro Valle Occupato/Fondazione Teatro Valle Bene Comune, Bozar, salle M, Bruxelles, 20 h, 18/16â‚Ź, www.bozar.be



107 THÉÂTRE & DANSE

Notre peur de n’être

Les monologues du chagrin Texte Marine Durand Photo Jean-Louis Fernandez

La solitude moderne est depuis toujours au cœur de l’œuvre de Fabrice Murgia. Sensation du « In » lors du festival d’Avignon 2014, Notre peur de n’être ne fait pas exception à la règle, offrant au public un regard quasi anthropologique sur trois individus paralysés par la société qui les entoure.

I

l y a d’abord cet homme, quitté par son épouse après 22 ans de mariage et qui s’oublie dans ses discussions avec la voix désincarnée de son téléphone. Il y a ensuite cette étudiante, espérant trouver dans les phrases enregistrées sur son dictaphone le courage d’affronter la vie adulte. Il y a enfin ce pauvre hère, réfugié depuis 10 ans dans sa chambre pour ne plus avoir à supporter la pression sociale, à la façon des hikikomori japonais. « On trouve dans mon travail une obsession des nouveaux rapports », explique Fabrice Murgia, soulignant l’ironie de la démarche : « les technologies récentes ont imposé de nouvelles façons d’être seuls. Pour moi, le théâtre représente la dernière expérience collective ». Fol espoir. Auréolé d’un Lion d’argent à la biennale de Venise pour son théâtre « innovant », le metteur en scène

belge de 30 ans (et déjà six créations) rejette pourtant les étiquettes. Osons alors « virtuose » pour évoquer Notre peur de n’être. Ici, grâce à une machinerie complexe, les personnages surgissent tour à tour de l’ombre pour poursuivre leur monologue là où ils l’avaient laissé, tandis que deux narratrices en plateau (Magali Pinglaut et Cécile Maidon, aux voix enveloppantes) offrent un accès direct à leurs pensées. Contrairement à ses œuvres précédentes, Murgia impulse là un souffle d’optimisme. Laissant la dernière tirade à son hikikomori, il imagine une fuite vers un monde archaïque, « où les individus auraient retrouvé le sens du vivre ensemble ».

07>16.10, Bruxelles, Théâtre national, mar> ven, 20h15 (sf mer 19h30), 20/16/11€, www.theatrenational.be


108 THÉÂTRE & DANSE

Tragédie

Trouver la faille Texte Marine Durand Photo Fiona Torre

Juillet 2012, Cloître des Carmes, Avignon. Coutumier des propositions radicales, Olivier Dubois affirme un peu plus son statut à part dans la danse contemporaine en présentant Tragédie, poème chorégraphique pour dix-huit danseurs complètement nus. Tandis que cette œuvre majeure revient ce mois-ci dans la région, le directeur du CCN de Roubaix nous éclaire sur sa création. « Au départ, il y a ce théorème qui m’a accompagné pendant toute la phase de travail : "Être humain ne fait pas humanité, voilà notre tragédie humaine." » Pour le dernier volet de sa trilogie consacrée à la résistance (après Révolution, en 2009, et Rouge, en 2011), le chorégraphe a relu Le Deuxième sexe de Beauvoir. S’est plongé dans Levinas, Nietzsche, Heidegger. Puis il est parti à la recherche de cette humanité « philosophique », de ce vivre-ensemble immatériel « ne pouvant naître que de notre action volontaire et réfléchie ». Plus qu’une pièce chorégraphique, Olivier Dubois donne à voir, sur scène, une sensation du monde. Neuf hommes, neuf femmes. Une masse de dix-huit corps puissants, embarqués dans une marche interminable et rythmée par les tambours enivrants, quasi-militaires, de François Caffenne. Soudain, sur le modèle de la tragédie antique (parade, épisodes, catharsis), voilà que l’ordre établi vacille. Le mouvement de flux et de reflux laisse place à une gestuelle frénétique. Les danseurs sautent, 15>17.10, Villeneuve d’Ascq, La Rose des vents, mer et ven, 20h, jeu, 19h, 21/16/13/12/10€, courent, tremblent, comme habités www.larose.fr par une transe collective. Et l’huma18.11, Valenciennes, Le Phénix, 20h, 17 > 22€, www.lephenix.fr nité surgit enfin, assourdissante.



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© Augustin Detienne

THÉÂTRE & DANSE

Chris Esquerre Le poids du cartable ? « Il faut être très ferme là-dessus : interdisez à votre enfant d’emporter une enclume ou du ciment à l’école ». L’éducation ? « N’hésitez pas à donner des claques préventives à vos enfants dès le réveil pour anticiper leurs bêtises de la journée ». Entre deux lectures décalées de Funéraire Magazine ou d’Ordi Senior (qui existent bel et bien), c’est le genre de leçons insensées que délivre Chris Esquerre. Un talent pour l’humour « nonsense » que ce pince-sans-rire lunaire étrenne déjà sur Canal +, où il est de retour en cette rentrée avec une minisérie, « Importantissime ». Sur scène, il incarne un conférencier qui énonce ses grotesques vérités avec un aplomb désopilant. Il dit : « j’ai à cœur de vous faire partager mon savoir, car, chose assez rare, je sais tout sur tout ». Sans blague. Julien Damien 10.10, Louvroil, espace culturel Casadesus, 20h, 14/12€, www.espace-casadesus-louvroil.com

Au cœur de la tragédie lyrique, il y a Télaïre, aimée à la fois de Castor et de Pollux, deux demi-frères. Mais l’intrigue ne serait pas sans la présence de Phœbé, la sœur de Télaïre, elle-même amoureuse de Castor. Vous suivez ? La pièce de Rameau (1683-1764) dépeint cet imbroglio où amour, jalousie et sacrifice sont au rendez-vous. Le metteur en scène Barrie Kosky en propose une lecture contemporaine où l’interprétation est primordiale. Dirigé par Emmanuelle Haïm, Castor et Pollux met en valeur l’incroyable intensité de la composition de Rameau. Marie Tranchant 17.10 > 25.10, Lille, Opéra, ven, mar, jeu et sam 20h, dim 16h, 69/49/30/13/5€, www.opera-lille.fr

© Alastair Muir

Castor et Pollux




113 THÉÂTRE & DANSE

Théâtre de la licorne État des lieux

Texte Marie Tranchant Photos Cœur Cousu © Margot Daudin Clavaud

Après avoir cherché en vain le lieu idéal à Lille, c’est à Dunkerque que la Licorne s’est installée. Dans un ancien garage de 4 000 m2, la compagnie de théâtre d’objets invente un plateau ouvert et modulable, répondant à l’imagination débordante de sa directrice artistique, Claire Dancoisne. Visite guidée avant le début imminent des travaux.

© Pascal Auvé

© DR

U

ne affiche publicitaire sur un mur, quelques pneus sur le sol et des tôles ondulées pour décor... Difficile d’envisager ce qui va naître ici, et remplacer les souvenirs de vidange par un foisonnement créatif. Néanmoins, le théâtre d’objets de Claire Dancoisne utilise beaucoup de ferraille. Et finalement, ses animaux articulés, robes de fourchettes et autres moissonneuses revisitées trouvent bien leur place ici. « Ce n’était pas un beau théâtre rouge et or que je voulais, sourit la directrice artistique. Là, ce sera plutôt des tubes, des échafaudages. C’est un lieu qui n’a pas d’âme, à nous de lui en donner une ». Installée pendant sept ans rue Colson à Lille, dans un lieu mythique qui avait accueilli l’Aéronef, la Licorne a dû en partir, et a donc migré vers Dunkerque. >>>


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Claire Dancoisne © Christophe Loiseau

THÉÂTRE & DANSE

Le tour du propriétaire. Elle a posé son bric-à-brac dans ce garage - un espace de stockage de 1 000 m2 en est déjà rempli - pour y créer un lieu dédié à la marionnette, dont le nom est encore à définir. Pour l’instant, ils l’appellent « le lieu ». En répétition au Depoland (ancien dépôt-vente, réhabilité lui aussi en espace culturel), Claire Dancoisne détaille le projet : « Ce sera un lieu de résidence pour des compagnies, il y aura des expos, des événements, des ateliers de formation autour de la construction et de la manipulation pour les amateurs et pour les professionnels, un centre de ressources ». Et si « le lieu » n’aura pas vocation à diffuser de spectacles, des passerelles existent déjà avec le Bateau Feu. L’adaptation de Cœur cousu de Carole Martinez, « saga baroque » pour laquelle la compagnie troquera

la ferraille pour le textile, y sera jouée en janvier. Portes ouvertes. Dans le quartier populaire de la Basse-Ville, le premier coup de pioche doit être donné en octobre pour un chantier qui devrait s’achever l’été suivant, et une inauguration en décembre 2015. Mais d’ici là, un travail de « préfiguration » sera mené pour tisser des liens avec d’autres structures, des associations et les habitants du quartier. Le dimanche 19 octobre, une journée portes-ouvertes propose d’ailleurs de découvrir le lieu brut où naîtra une fabrique artistique surdimensionnée. Ou la visite de l’antre d’une licorne atypique.

19.10, Journée portes-ouvertes, Dunkerque, 60 rue du Fort-Louis, www.theatre-lalicorne.fr



116 THÉÂTRE & DANSE

Shell Shock

Le chant des canons Texte Marine Durand Photos DR / Clara-Lane / Koen Broos

Nick Cave, Nicholas Lens, Sidi Larbi Cherkaoui. Trois figures de la scène artistique contemporaine réunies pour la première fois autour d’un projet commun : Shell Shock, opéra sondant les traumatismes de la Grande Guerre, en création mondiale au Théâtre Royal de la Monnaie. Assurément la collaboration la plus ambitieuse de l’automne. « Qui suis-je pour parler de la difficulté de tuer ? Quelle est ma légitimité pour raconter l’horreur d’un conflit que je n’ai pas connu ? » Ces interrogations ont frappé Nick Cave au moment d’entamer l’écriture du livret de Shell Shock, Un requiem de guerre, sur proposition de Nicholas Lens. Si le chanteur et auteur confesse qu’il « ne connaissait rien à la musique classique » avant d’aborder ce projet, il rejoignait le compositeur belge dans son envie de donner une voix aux oubliés de l’Histoire, pas aux organisateurs des combats. Sous la plume de l’Australien, ces anonymes aux vies brisées prennent la parole et gagnent une capitale (le Soldat, l’Infirmière, le Déserteur, le Survivant…), symbole de la portée universelle de ce long poème dramatique découpé en douze chants. Sidi Larbi Cherkaoui, à la mise en scène, s’attaque ici à son premier opéra. Avec beaucoup d’envie : « Le choix du titre Shell Shock [ou obusite, le nom donné aux traumatismes psychiques consécutifs au choc d’une explosion] constitue une proposition puissante et riche », relève le chorégraphe anversois, soulignant l’importance de « trouver des formes artistiques qui maintiennent vivante 24.10>02.11, Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, mar>sam, 20h sf dim 15h, la mémoire de la guerre ». Un rendez90/85/60/40/20/12e. www.lamonnaie.be vous avec l’Histoire à ne pas manquer.


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La Vie de Galilée A la base biographie théâtrale du plus célèbre des astronomes signée Brecht, la Vie de Galilée serait en fait, pour Jean-François Sivadier, un autoportrait du dramaturge allemand. Si la pièce originelle raconte la destruction d’un monde et la naissance d’un autre, il suffirait de remplacer dans le texte le mot « science » par celui de « théâtre ». « Nous tenterons de lire dans le regard obstiné de Galilée vers le ciel, celui de Brecht scrutant les régions inexplorées du théâtre qu’il lui reste à inventer », nous dit l’auteur. Qui parvient magnifiquement à ses fins.

22.10>16.11, Bruxelles, Théâtre Royal des

Galeries, mar>sam, 20h15, dim, 15h, 25>11€, www.trg.be

14>16.10, Douai, L’Hippodrome, mar & jeu, 19h30,

© DR

© Alain Dugas

Le portrait de Dorian Gray À la poursuite de la jeunesse éternelle et de la beauté infinie, Dorian Gray symbolise le désir d’une grande partie de l’humanité. Mais le chef-d’œuvre d’Oscar Wilde se lit aussi comme une parabole des relations entre l’art et la vie, entre l’art et la morale et, finalement, entre le Bien et le Mal. « Chacun de nous porte en soi le ciel et l’enfer », nous dit-il. Cette adaptation théâtrale met en lumière la dimension fantastique, mais aussi philosophique, de ce portrait atemporel.

M Festival Paré pour une petite balade décalée dans le quartier de Moulins ? La maison Folie lilloise vous donne rendez-vous autour des arts de la marionnette, du théâtre d’objets, de la musique et de la danse. Et se propose de revisiter les environs, parsemés de représentations et d’animations tout public. À cette occasion, le spectacle participatif de Bérénice Legrand, Let’s Dance (Cie La Ruse), sera remanié pour être joué… dans l’appartement d’un riverain. 18>26.10, Lille, m. Folie Moulins, 5,5/2e, www.mfmoulins-lille.fr

Cie Les Anges au Plafond, Au fil d’Œdipe © Pascal Auve

mer, 20h, 20>9€, www.tandem-arrasdouai.eu



120 THÉÂTRE & DANSE

Agenda

Matter Julie Nioche

07.10

Comment nos corps portent-ils notre statut, notre patrie, notre famille, nos fantasmes ? Autant de questions abordées par cette chorégraphie de Julie Nioche, créée en 2008 et revisitée. Sur scène, quatre femmes portent une robe de papier, sorte de manteau culturel et social, qui se désagrège sous des trombes d’eau. Cette pièce interroge avec grâce et intelligence la question de l’identité féminine. Dunkerque, Le Bateau Feu, 20h, 8€, lebateaufeu.com Huis Clos © DR

Huis Clos J.P. Sartre/ Cie Agathe Alexis

L’art du rire 02>18.10

Dans un lieu improbable, qui se révèle être l’enfer, un garçon d’étage introduit l’une après l’autre trois personnes qui ne se connaissent pas. Agathe Alexis et Alain Barsacq placent leurs personnages au centre d’un dispositif qui les cerne, pour ne leur laisser aucune échappatoire, comme pour traquer le sens de leurs paroles et faire jaillir la polysémie du texte de Sartre (écrit en 1943). Tourcoing, La Virgule, mar & jeu, 19h30, mer, ven & sam, 20h30, dim, 15h30, 18/14/12/10/8/6€, www.lavirgule.com

Jos Houben

07.10

Pourquoi et comment rit-on ? Qu’est-ce qui nous fait nous plier en deux ? Jos Houben répond à ces questions à travers un spectacle aussi sérieux que désopilant, à mi-chemin entre la conférence et le one-man-show. Qu’il mime un camembert, se vautre sur les planches ou s’interroge sur la verticalité du corps humain, Houben décortique chaque phénomène à l’extrême, poussant l’ensemble jusqu’à l’absurdité la plus totale. Roubaix, Colisée, 20h30, 27>8€,

www.coliseeroubaix.com

David et Jonathas M.A. Charpentier / D. Visse

10&12.10

Créée en 1688, cette tragédie biblique signée Marc-Antoine Charpentier conte les amours contrariés de deux guerriers. Si le spectacle est construit comme un opéra, il se rapproche de l’oratorio, plus minimaliste (ni mise en scène, ni costumes, ni décors). Cette version constitue, dans tous les cas, de belles retrouvailles avec un grand nom de la musique baroque. Tourcoing, Eglise Saint Christophe, 20h (le 10) & 15h (le 12), 25/23€, www.atelierlyriquedetourcoing.fr



122 THÉÂTRE & DANSE

Agenda

Re : Zeitung P.A.R.T.S. / A.T. De Keersmaeker

18.10

Bouleversante de pureté et d’élégance, la chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker reflète son approche du mouvement : en symbiose avec la musique. Six jeunes hommes diplômés de l’école P.A.R.T.S interprètent une chorégraphie oscillant entre virtuosité et improvisation, sur des compositions de Bach, Schoenberg et Webern, interprétées au piano par Alain Franco. Armentières, Le Vivat, 18h, 7€, www.levivat.net Sirènes © Pierre Grosbois

Sirènes Pauline Bureau

Cet enfant 14>17.10

Joël Pommerat

21&22.10

1966, Annie habite au Havre et son mari, capitaine au long cours, ne revient pas. 1983, Hélène, diplômée d’HEC et enceinte, apprend la mort de son père. 2013, Aurore, chanteuse de Rock, perd sa voix en plein concert. « C’est en parlant que vous retrouverez votre voix » lui lance un psy. Elle raconte donc sa mère, Hélène, et sa grand-mère, Annie. Cette saga nous dit comment les vies de ceux qui nous ont précédés nous traversent.

Qu’est-ce qu’être une mère ? Un père ? Impossible question à laquelle tente de répondre Joël Pommerat. Cet enfant raconte les rapports parentsenfants en dix séquences indépendantes : une petite fille qui ne veut plus parler à son papa, le bonheur d’une jeune femme enceinte, un repas de famille qui tourne au règlement de comptes... Une pièce à la fois dure, émouvante et nécessaire.

Béthune, le Palace, 20h, (sf jeu, 18h), 20>6€, www.comediedebethune.org

Bruxelles, Théâtre national, 19h30, 19/15/10€, www.theatrenational.be

Ô Ministres Intègres V. Hugo / Frédéric Dussenne

21>25.10

« Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison ! », déclame Ruy Blas, surprenant les conseillers du roi en train de se partager les richesses du royaume. Frédéric Dussenne affiche son engagement en livrant une adaptation épurée de la pièce de Victor Hugo. Ce spectacle vivifie une langue et un texte cruellement actuels. Bruxelles, Théâtre de la vie, mar>sam, 20h, 12>1,25€, www.theatredelavie.be



John King

Rencontre en milieu (in)hospitalier Propos recueillis par Sylvain Coatleven Photos Philippe Matsas, Flammarion

« Ce livre est un plaidoyer pour le service public de santé »


125 RENCONTRE

De Football Factory à Skinheads, John King nous avait habitués à une cartographie en règle des subcultures britanniques : supporters, hooligans, punks et… skinheads. Son dernier roman, White Trash, semble à première vue quelque peu éloigné de ses milieux de prédilection : on y suit Ruby, jeune infirmière dans un hôpital public. Pourtant, là encore, John King y brosse le portrait d’une Angleterre contemporaine, vivante et énergique. Mais également aux prises avec un mal plus subtil qu’il n’y paraît…

Ce roman a pour toile de fond un hôpital public… Fondamentalement, ce livre est un plaidoyer pour le service public de santé, la sécurité sociale et contre sa privatisation. J’ai beaucoup fréquenté les hôpitaux durant un moment, mon père étant souffrant. Je l’ai accompagné dans cette épreuve et c’est un lieu chargé de tristesse, mais qui regroupe également des gens vraiment fantastiques. Ce roman est une forme d’hommage. L’idée, c’est aussi l’affrontement entre le Bien et le Mal… Oui. C’est aussi l’histoire de deux personnes, l’une représentant le Bien, et l’autre versant davantage du côté du Mal. Je voulais écrire quelque chose d’assez classique et que le Mal se révèle lentement. Comment cela se traduit-il ? À chaque personnage correspond un style, une écriture différente : l’un optimiste et dynamique, l’autre obsédé par le contrôle, qui dit une chose mais en pense une autre, ce qui est également un reflet du système politique. Ce personnage agit d’ailleurs pour le gouvernement. Il tente de présenter ses choix de manière rationnelle : ce qu’il faut faire pour améliorer le système, etc. Et en dernière analyse, tout cela n’a qu’une justification : l’argent. >>>


Quelle place occupe ce roman par rapport aux précédents ? Ce livre parle du Bien et du Mal, mais s’intéresse également aux questions que posent mes autres romans : l’âge, les relations entre générations, les valeurs, le fait que chaque personne a une histoire à raconter. White Trash est un pont informel entre Human Punk et Skinheads, on y retrouve quelques personnages, quelques endroits. Le personnage principal est une femme, Ruby, ce qui est assez nouveau chez vous… J’avais déjà écrit des personnages féminins dans La Meute. Ceci dit, j’ai fonctionné un peu de la même manière que pour un homme, en étant peut-être moins agressif dans le langage. Mais il n’y a pas vraiment de différences. D’ailleurs, écrire en essayant d’imaginer au plus près la manière dont une femme fonctionne, c’est prendre le risque de tomber dans les stéréotypes. Etes-vous d’ailleurs parvenu à écarter toute forme de clichés ? Non, mais c’est un choix. On répète que tous les personnages doivent avoir leur part d’ombre ou leur part de bonté. Je veux bien, mais pas systématiquement. Dans la littérature mainstream ceux qui n’ont pas cette « part de bonté » viennent toujours d’en bas ; les prolos, les supporters... Dans ce cas, cela ne dérange personne. Alors, je me suis dit, rien à foutre, j’écris ce que je veux. >>>

Biographie Né en 1960 dans la banlieue londonienne, John King fait partie de la « nouvelle génération perdue » issue du prolétariat anglais des années 1990. Il connaît un succès immédiat avec son roman Football Factory (« le meilleur ouvrage jamais écrit sur le football et la classe ouvrière », selon Irvine Welsh), adapté au cinéma en 2004 par Nick Love. Celui-ci ouvre une trilogie, dont les deux autres tomes sont parus aux Éditions de l’Olivier en 2000 et 2005 : La Meute et Aux couleurs de l’Angleterre. King publie d’autres romans dans la même veine naturaliste, explorant la société anglaise, la culture populaire ainsi que les racines sociales de la violence.

Football Factory, Atelier Alpha bleue, 1998

Human Punk, Éditions de l’Olivier, 2003

La Meute, Éditions de l’Olivier, 2003

Skinheads, Éditions Au Diable Vauvert, 2012


« Je crois que je suis retombé dans le punk… enfin je n’en suis jamais vraiment sorti ! »

White Trash s’intéresse aussi aux corps... Oui, c’est vrai, il est assez physique. Mais tout autant porté sur l’imagination, le mental, sur la manière dont les gens pensent. C’est assez indien en fait, si on considère que le corps et l’esprit ne font qu’un.

Ce roman est sorti en 2002 en Angleterre. L’écririez-vous de la même manière aujourd’hui ? Plus ou moins. J’apporterais de nouveaux éléments, en rapport avec les directives de l’Union Européenne, qui veut privatiser à peu près tout. Et White Trash est une expression américaine que j’ai utilisée pour souligner l’américanisation de notre système. J’insisterais beaucoup plus là-dessus. Ruby écoute beaucoup de musique électronique. Ce qui est également nouveau chez vous... Cette musique m’intéresse, même si ce n’est pas mon principal background. Mais si j’étais jeune aujourd’hui, je serais à fond làdedans ! L’autre idée était que cette musique peut être reliée aux battements du cœur. Mon père souffrait du cœur, j’en sais beaucoup sur le sujet et je voulais développer cette idée. Vous écoutez quoi en ce moment ? Je crois que je suis retombé dans le punk… enfin je n’en suis jamais vraiment sorti ! Mais il y a de nouveaux groupes de punk, et d’anciens qui font toujours de la très bonne musique. Je me suis un peu plongé dans l’anarcho-punk : Crass, Conflict, etc. Et j’aime beaucoup Eight Rounds Rapid, Sleaford Mods également. La musique est plutôt en bonne santé en ce moment ! Vous avez des projets à venir ? Un livre sur le rapport entre les hommes et les animaux. À travers un personnage qui va défendre leur cause, par l’action directe…

À lire / White Trash, Éditions Au Diable Vauvert, Traduction Clémence Sébag, 376 p., 22€


I Heart TLV © Ellakookoo

Illustration Now 5 Autant le dire, la nouvelle compilation d’illustrations de Taschen est un pavé. De 448 pages exactement. Mais il suffit de le feuilleter pour comprendre qu’on ne s’ennuiera pas à le parcourir. Illustration Now (5e du nom) représente un vivier de 150 artistes contemporains et autant de techniques et de styles (peinture, dessin, collages). L’ouvrage leur consacre au minimum une double page, en variant la taille des visuels et les projets (entre


Paper Trip 2 © Natsuki Camino / TASCHEN

créations personnelles et commandes, du New-Yorker à Rolling Stones, de Nike à H&M...). Des figures confirmées (James McMullan, le duo Craig&Karl), aux étoiles montantes (Agata Nowicka), tous témoignent d’une créativité débordante, et donnent raison à Steven Heller : « l’illustration ne mourra pas ! ». Isabel Amossé

Julius Wiedemann (Éditions Taschen) 448 p., 29,99€.


130 LIVRES

Livre du mois

Olivia Rosenthal MÉCANISMES DE SURVIE EN MILIEU HOSTILE, (Verticales)

Numéro d’équilibriste entre récit intimiste et science-fiction, Mécanismes de survie en milieu hostile aborde la question du deuil dans un dispositif à mille lieues du roman classique. Il est d’abord question d’horreur. Celle d’une femmeenfant évoluant dans un monde post-apocalyptique qui n’est plus que ruines et dangers. Olivia Rosenthal convoque ici l’esthétique de La route de Cormac Mc Carthy, ou encore celle du Village des Damnés, film d’épouvante (1960) auquel la couverture du livre fait référence. La narratrice s’est enfuie en laissant derrière elle une femme dont on ne sait d’abord rien, avant de découvrir qu’il s’agit de sa sœur. Et qu’elle est morte. Se superpose dès lors un second niveau de lecture, plus psychologique et bardé de références scientifiques, relatant des expériences de mort imminente ou de putréfaction des cadavres. Et l’on comprend qu’il s’agit ici d’une autopsie littéraire. De celle du tabou de la mort et de ceux qui (sur)vivent la disparition de l’être aimé. « J’ai imaginé un monde dans lequel tout ce qui est gardé secret serait exposé devant moi et à découvert. (…) Et pour me protéger du déferlement de sensations qui alors me submergeait, j’ai fermé les yeux », dit l’auteure, qui livre un texte d’une poésie frénétique. 192 p., 16,90€. Paul Carra 17.10, Rencontre avec Olivia Rosenthal, Lille (festival Littérature, faunes etc.)

Yana Vagner VONGOZERO (Mirobole éditions)

En cette époque troublée de crise économique, les récits postapocalyptiques fleurissent. Ici, il est donc question de civilisation perdue et de chaos naissant. Anna vit avec son mari et leur fils dans la banlieue de Moscou. Lorsqu’un virus inconnu décime la population, ils décident de fuir les survivants, malades ou pillards, pour rejoindre une maison située au Nord, au milieu d’un lac : Vongozero. Mais très vite, leurs proches s’agrègent à cette expédition. Derrière un pitch déjà défloré par l’industrie des séries et du cinéma, Yana Vagner évitent les écueils du genre et livre un thriller psychologique haletant. Dans ce monde nouveau où jalousie, peur et nécessité ont redessiné les rapports humains, l’auteure russe décrit avec habileté le mécanisme qui fait se muer l’homme en loup pour l’homme. 470p., 22€. Julien Damien


David Peace

Andrus Kivirähk

ROUGE OU MORT (Payot/Rivages)

LES GROSEILLES DE NOVEMBRE (Le Tripode)

Célèbre pour ses romans ancrés dans la réalité historique, David Peace avait également conté les 44 Jours (2006) durant lesquels Brian Clough entraîna l’équipe de Leeds. Aujourd’hui, c’est une autre figure du football à laquelle s’attache l’écrivain. Avec Bill Shankly, Peace a trouvé un personnage à la mesure de son écriture. Le coach de Liverpool est simple, honnête, austère ? Ecrivons-lui une saga et des psaumes. A priori rebutantes, les répétitions jouent sur un rythme qui colle au football (enchaînements des mouvements, des entraînements, des matchs) comme au religieux – ces prières que l’on récite. Déroutant, ce roman n’est sans doute pas le meilleur livre écrit sur le ballon rond – mais l’un des plus beaux sur la ténacité d’un homme. 796 p., 24€. Thibaut Allemand

Depuis les forêts estoniennes, les romans nourris de traditions et d’imaginaires d’Andrus Kivirähk diffusent leurs parfums baltes. Cette « chronique de la contrée des kratts » se situe à la croisée des chemins. Des kratts ? Oui, ces créatures volantes façonnées à partir de vieux objets et chargées, par leur maître, de dérober le garde-manger des voisins. Citons aussi Koera Kaarel, fermier à moitié infirme, convaincu par le sage du village de devenir alcoolique pour vaincre la malaria. Et Liina, cette jeune femme amoureuse, prenant de l’onguent magique pour se transformer en loup lorsqu’elle veut fuir sa tristesse. La poésie et la cruauté sont blotties dans ce village. Le style envoûtant de l’auteur estonien les croise dans une fresque tragi-comique réjouissante. 320 p., 23€. Julien Bourbiaux

Federika Amalia Finkelstein L’OUBLI (Gallimard)

Pour se « divertir » de ses insomnies, Alma Dorothea erre dans le Paris matinal, entre la poubelle où git le cadavre de son chien et l’hippodrome de son enfance. L’obsession de l’oubli, voici le principal paradoxe de la jeune narratrice. Tout lui rappelle le désastre familial, le cataclysme de l’Histoire, celui de la Shoah, où les cadavres empilés sous forme de chiffres forcent les barrières de son cerveau. L’oubli décrit aussi un divertissement pascalien généralisé : Grand Theft Auto, Pepsi ou Daft Punk…« notre monde fait entièrement confiance au virtuel : il est notre seul espoir d’oubli ». Avec ses mots – parfois crus – l’auteure pose les questions qui dérangent, opposant au devoir de Mémoire celui de l’Oubli, sans pudeur ni autocensure, et surtout sans prétention de vérité. 176p., 16,90€. Isabel Amossé


132 LIVRES

BD

Tillieux / Dayez LA VOITURE IMMERGÉE (Dupuis, Coll.50/60)

Gil Jourdan enquête sur l’étrange disparition d’un antiquaire. Accident ou meurtre ? Un peu oublié aujourd’hui, ce détective froid et distant n’a effectivement rien de la bonhomie des héros franco-belges (Spirou, Lucky Luke…). En fait, il est très adulte – ses intrigues également. C’est ce que pointe cette réédition du troisième album de ses aventures, initialement paru en 1958. Inédit, le format divise les planches en deux, offrant une lecture en détail de cette ligne claire. Enfin, les commentaires instructifs d’Hugues Dayez, discrets (deux lignes), tiennent plus de la proposition de lecture, offrant des pistes, créant des liens avec d’autres auteurs (Simenon, Hitchcock...) ou pointant telle astuce graphique. À redécouvrir dans la même collection, La Mauvaise Tête (1954) de Franquin ou La Guerre Des 7 Fontaines (1960) de Peyo. 96p., 24€. Thibaut Allemand

Cabanes / Manchette FATALE (Dupuis/Aire Libre)

Qui dit Jean-Patrick Manchette et BD, dit Tardi. Pas cette fois ! Pourtant, le maître du roman noir et le génie du neuvième art avaient, justement, pensé à adapter Fatale en cases et en bulles, avant d’abandonner le projet. Familier de l’œuvre de l’écrivain marseillais (le diptyque La Princesse Du Sang, 2011) et soutenu par Doug Headlines (journaliste, scénariste, réalisateur et... fils de Manchette), Max Cabanes retranscrit parfaitement cette intrigue chabrolienne à souhait – une jeune femme solitaire et séduisante déboulant chez des notables provinciaux pour y régler ses comptes. Les siens, vraiment ? On retrouve la plume de l’écrivain dans les récitatifs, quand le trait et les couleurs retranscrivent cette atmosphère balnéaire bien poisseuse. On espère désormais une adaptation de l’autre grande figure de la Série Noire, le honni ADG... 132p., 22€. Thibaut Allemand



134 LIVRES

e roman graphiqu

Vince Taylor n’existe pas La clé des (men)songes

Vous n’en avez pas marre des biographies de musiciens ? Le neuvième art et le rock’n’roll entretenant des liens très forts, les vies de pop stars présentées comme celles de saints s’entassent sur les étagères. Vince Taylor échappe à la règle. Peut-être parce que cette existence semble totalement invraisemblable.

T

MAXIME SCHMITT/ GIACOMO NANNI Vince Taylor n’existe pas (L’Olivier) 144p., 22€

out d’abord, que sait-on de Vince Taylor (1939-1991) ? Si peu. Un Anglais né aux USA et venu tenter sa chance en France. Un loser ultra-violent interdit de concert. Une relique du passé vêtue de cuir noir quand les fleurs avaient pris le pouvoir. Un schizophrène reprenant les pionniers mais ne composant qu’un seul standard - Brand New Cadillac - popularisé par The Clash. Voici résumée en quelques mots une carrière avortée. Mais Maxime Schmitt, lui, en sait un peu plus. Car avant de frayer avec Kraftwerk ou de produire Taxi Girl, le Français fut guitariste, deux ans durant, de l’Archange Noir du Rock. Alors, il aurait pu « donner sa part de vérité », comme dirait Jean-François Copé. Au lieu de ça, il scénarise une bande dessinée kaléidoscopique où Vince Taylor, mythomane halluciné, conte son histoire. Le rock ? Il l’a inventé. Le cuir noir ? Tous lui ont volé, d’Elvis à Morrison en passant par Gene Vincent. Les mods, les hippies ? De la racaille. Impressionniste, le noir et blanc de ce roman graphique n’est pas sans rappeler les fantasmagories ultra-colorées de Guy Pellaert (Rock Dreams, 1974). Pas un petit compliment. Thibaut Allemand



136 LIVRES



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n°38 / Février 2009 Erwin Olaf www.erwinolaf.com


since 2005

99 + 1 = 100 ! L’étonnement le dispute à la fierté au moment d’inscrire ce numéro sur notre couverture. Il est vrai qu’il fallait un peu de folie pour se lancer dans pareille aventure. La presse ne se porte pas au mieux et la culture a toujours fait partie des premiers sacrifiés sur l’autel de la crise économique. Et pourtant, LM a tenu bon, s’est même étoffé au fil du temps. « Contentons-nous de faire réfléchir, n’essayons pas de convaincre », écrivions-nous dans notre première parution, en octobre 2005, citant Georges Braque. 100 numéros plus tard, notre ligne n’a pas bougé d’un iota. En toute indépendance, guidé par sa curiosité, LM sonde l’actualité culturelle à travers des reportages, des interviews ou des portraits. Sans préjugés. En observant un pas de côté pour apprécier le travail des artistes et cartographier un présent bouillonnant. Comme le montre d’ailleurs la rétrospective des sujets à (re)découvrir dans cette seconde partie de magazine. Mais, avant de vous laisser à votre lecture, il est temps de nous plier de bonne grâce, à la coutume. Voici venu le temps des remerciements. À vous très chers lecteurs, pour votre fidélité. Aux artistes et acteurs culturels de notre dynamique Eurorégion, pour leur soutien. Et à nos collaborateurs et contributeurs, pour leurs précieux conseils. À vous tous, merci 100 fois ! La rédaction


n째 39 / mars 2009 Marie Taillefer www.marysmith.fr

n째40 / avril 2009 Miss Van www.missvan.com

n째41 / mai 2009 Lyndon Wade thewadebrothers.com

n째42 / juin 2009 Brian Viveros brianmviveros.com


n掳43 / juillet-ao没t 2009 Denis Darzacq www.denis-darzacq.com


n°44 / septembre 2009 Ruud Baan www.ruudbaan.com

n°45 / octobre 2009 Nils Riedweg

n°46 / novembre 2009 Silke Werzinger www.silkewerzinger.de

n°47 / décembre 2009 Mydeadpony www.mydeadpony.com


n°48 / janvier 2010 Jimmy Turrell www.jimmyturrell.com

n°49 / février 2010 Sandrine Pagnoux www.sandrinepagnoux.com

n°50 / mars 2010 Brian Walker brianwalker.ch

n°51 / avril 2010 Plastikk Soldier www.plastikk-soldier.com


n°52 / mai 2010 Maleonn www.maleonn.com

n°53 / juin 2010 Freddy Contreras

n°54 / juillet-août 2010 Maximus Balder maximusbalder.blogspot.fr

n° 55 / septembre 2010 Achim Lippoth www.lippoth.com


n째56 / octobre 2010 Obey www.obeygiant.com


n° 57 / novembre 2010 Slinkachu www.slinkachu.com

n°58 / décembre 2010 Tilt www.graffitilt.com

n°59 janvier / 2011 Stéphane Carricondo www.stephanecarricondo.com

n°60 / février 2011 Cathleen Naundorf www.cathleennaundorf.com


n째61 / mars 2011 Sean Freeman thereis.co.uk


n째62 / avril 2011 Paul Insect www.paulinsect.com

n째63 / mai 2011 Zoveck zoveck.com

n째64 / juin 2011 Ellen Kooi www.ellenkooi.nl

n째65 / juillet 2011 Ricardo AKN www.flickr.compeoplericardo_akn


n°66 / septembre 2011 Mc Bess www.mcbess.com

n° 67 / octobre 2011 Alex Trochut www.alextrochut.com

n°68 / novembre 2011 Matthias Heiderich www.matthias-heiderich.de

n° 69 / décembre 2011 Zeloot www.zeloot.nl


n°70 / janvier 2012 Laurent Seroussi www.laurentseroussi.com

n°71 / février 2012 Jamel Shabazz www.jamelshabazz.com

n° 72 / mars 2012 Roman Klonek www.klonek.de

n°74 / mai 2012 Véronique Dorey www.lasuperette.comprojectdorey


n째73 / avril 2012 Dan Witz www.danwitz.com


n째75 / juin 2012 Franck Juery www.franckjuery.com


n°76 / juillet-août 2012 Malika Favre www.malikafavre.com

n°77 / septembre 2012 Steevie Gee steviegee.com

n°78 / octobre 2012 Jean Lecointre www.jeanlecointre.com

n°79 / novembre 2012 Laurent Chehere www.laurentchehere.com


n° 80 / décembre 2012 Arian Behzadi arianbehzadi.com

n°81 / janvier 2013 Ugo Gattoni www.ugogattoni.fr

n°82 / février 2013 Wes Naman wesnamanphotography.com

n°83 / mars 2013 Jules Julien www.julesjulien.com


n°84 / avril 2013 Kristof Luyckx www.kristofluyckx.be

n° 85 / mai 2013 Elene Usdin www.eleneusdin.com

n°86 / juin 2013 Sergio Mora sergiomora.com

n°87 / juillet-août Todd McLellan www.toddmclellan.com


n°88 / septembre 2013 Nick Gentry www.nickgentry.com

n°89 / octobre 2013 Zack Seckler www.zackseckler.com

n°90 / novembre 2013 Willy Verginer www.verginer.comengindex.php

n°91 / décembre 2013 Muxxi www.muxxi.me


n°92 / janvier 2014 SÊverin Millet www.severinmillet.com


n°93 / février 2014 Marcus Møller Bitsch www.marcusmb.com

n°94 / mars 2014 Damien Poulain damienpoulain.com

n°95 / avril 2014 Oh Yeah Studio www.ohyeahstudio.no

n°96 / mai 2014 Hervé Dieudonné www.hervedieudonne.com


n°100 / octobre 2014 / GRATUIT

100

n°97 / juin 2014 Léo Caillard www.leocaillard.com

n°98 / juillet – août 2014 Brooke DiDonato www.brookedidonato.com

nord & belgique Cultures et tendances urbaines

n° 99 / septembre 2014 Tom Haugomat lespetitestruffes.blogspot.fr

n° 100 / octobre 2014 Skwak www.skwak.com


162 PAROLE D’HONNEUR

© Haut et Court

since 2005

« Tout le monde peut penser devant une œuvre. Mais pratiquer un art permet de mieux le comprendre. » — LM 34 - octobre 2008 —

« On se sent toujours plus heureux dans un bar de Bruxelles qu’en France. » Benoît Delépine — LM 52 - mai 2010 —

© DR

François Bégaudeau

« Je n’aurais pas voulu vivre dans les 60’s. J’aurais fini au Vietnam. » Jared Swilley / Black Lips — LM 39 - mars 2009 —


© Kurt Van der Elst

« Le rire et le sérieux, la gravité et l’absurde, sont frères et sœurs. » Arne Sierens — LM 33 - septembre 2008 —

« La vitesse est le régime normal de ma vie. » Alain Fleischer — LM 37 - janvier 2009 —

« Je hais les transports, je hais les tournées. J’aimerais rester au même endroit pour chanter. ». Brigitte Fontaine

© Patrick Curtet

— LM 50 - mars 2010 —

« J’ai besoin d’aller au Japon régulièrement pour prendre un shoot d’adrénaline, une injection de bonté. » Laurent Garnier — LM 48 - janv 2010 —


164 PAROLE D’HONNEUR

« Je me suis toujours contenté de passer mes disques préférés. » Andrew Weatherall

© DR

— LM 88 - septembre 2013 —

« Mr Oizo a été un accident. Si je veux demain, je peux sortir un disque avec des bruits de tronçonneuse. » Quentin Dupieux

« Le must have absolu du commentaire sportif des 75 dernières années en France était le tandem Thierry Roland Franck Leboeuf. »

— LM n°57 - novembre 2010 —

Franck Annese / So Foot

© DR

— LM 53 - juin 2010 —


« Jules et Edouard, sont mes deux prénoms. Ca fait très fin de race, sale con du Chesnay. » Moustic © DR

— LM 40 - avril 2009 —

«Je soutiens toujours les gens qui créent en dehors des normes. » Ellen Allien

© Crystalmafia

— LM 33 - septembre 2008 —

« Parler d’une scène belge est une idée romantique, qui n’existe qu’à l’étranger. » Tom Barman / dEUS

© DR

— LM 29 - avril 2008 —


166 REPORTAGE

Detroit, Underground déchéance since 2005

Texte Thibaut Allemand Photo Yves Marchand et Romain Meffre

« Speramus meliora ; resurget cineribus ». Ces quelques mots furent prononcés par le père Gabriel Richard après l’incendie qui ravagea Détroit en 1805 : « Nous espérons les meilleures choses ; elles renaîtront des cendres ». Un vœu pieu devenu devise officielle d’une ville en perdition… C’était il y a quatre ans. Ces photos signées Yves Marchand et Romain Meffre firent le tour du monde. Elles nous montraient alors un Détroit en ruines, semblable à Sarajevo ravagée, ou Beyrouth en déroute. Devant ces fascinants vestiges, on sent planer la nostalgie d’un paradis perdu, jadis opulent. Ces images nous plongeaient devant le fantôme de l’American Way Of Life. — LM 56 - Octobre 2010 —


Salle de Bal, Lee Plaza Hotel


168 REPORTAGE


Que reste-t-il du cinéma en Palestine ? Texte Aude Raux / Collectif Argos Photos Cédric Faimali / Collectif Argos

En vingt ans, les cinémas de Palestine ont fermé les uns après les autres. Certains ont été transformés en entrepôts, en parkings ou en salles de mariage. La plupart sont sous les décombres. Depuis le déclenchement de la première Intifada, en 1987, le 7e art a largement déserté le pays... Montée de l’obscurantisme, mais aussi bombardements, couvre-feux, raréfaction des finances expliquent la lente disparition des salles obscures palestiniennes. Lors de l’été 2009, nous avions rencontré des cinéphiles-résistants, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Ils rêvaient de créer des cinémas-mobiles, organisaient des projections improvisées dans des universités, des théâtres… Et aujourd’hui, où en est-on ? — LM 43 – Juillet-Août 2009 —


170 REPORTAGE

L’habit ne fait pas le chap ! Texte & photo Elisabeth Blanchet

Ils ont des allures « upper class » avec leurs costumes en tweed, leurs pipes et leurs moustaches impeccables... Mais ne vous fiez pas aux apparences, derrière leurs tenues et leurs bonnes manières, les « chaps » (comprenez « les bons gars ») sont les charmants agitateurs d’un mouvement révolutionnaire tout en style. En mars 2011, nous avions fait connaissance dans un square du centre de Londres, en plein « Chaps Olympics », avec de drôles d’anarcho-dandys prêts à renverser une société indifférente et inélégante. — LM 61 – Mars 2011 —



172 REPORTAGE


Camouflage urbain (pas vu, pas pris !) Texte Judith Olivier Photo Liu Bolin

« Ceci n’est pas un jeu » pourrait-on lire, en guise de sous-titre, au bas de ces photos que nous publiions à l’automne 2011. Car malgré les apparences (en trompe-l’œil, forcément), ces œuvres ne sont pas une simple invitation à trouver Charlie. Reprenant à leur compte les techniques de l’illusion d’optique, les adeptes du camouflage urbain enfilent la ville comme une seconde peau. Patients et indisciplinés, ces artistes se fondent dans le décor pour mieux en révéler l’envers. Et sous couvert d’humour, renvoient à des symptômes autrement plus sérieux : problèmes de construction identitaire, uniformisation du monde, délitement des rapports sociaux… Bref, rien de plus actuel. — LM 66 - Septembre 2011 —


174 REPORTAGE


Jeux sans frontières Texte Nicolas Montard Photo Stéphane Dubromel / Collectif Dailynord

En 2013, France et Belgique célébraient les vingt ans de la librecirculation des biens et la disparition des douanes fixes. Nous avions pris la route le long des 620 kilomètres de la frontière franco-belge, cherchant à savoir ce qu’il restait alors de ces lignes de démarcation. Autrement plus que dans un film de Dany Boon... De Bray-Dunes dans le Nord, à Mont-Saint-Martin en Meurthe-et-Moselle, la frontière n’épouse que rarement la logique naturelle tracée arbitrairement au milieu des champs au gré des conflits et des traités. Nous avions alors pris pour points de repères les bureaux de douane ouverts aux quatre vents. — LM 83 - Mars 2013 —


176 REPORTAGE

Roller-derby Texte Olivia Volpi Photo Sébastien Czeryba

Dans les enceintes, du rock’n’roll. Sur la piste déboulent de sacrées gonzesses en patins à roulettes. Petits shorts, collants déchirés, visages peints, corps parfois tatoués. La présentatrice en costard égrène leurs noms : Madame Denfer ! Lady B Hurt ! Brutal Brunette ! Encore un de ces sports-spectacles pour mater les fesses de filles qui se crêpent le chignon ? Au premier coup de sifflet, la réponse est clairement non. Les chocs et les chutes ne sont pas du chiqué, les blessures sont bien réelles. Les jams s’enchaînent, la tension monte et les points s’accumulent… En mai 2013, LM se mettait au roller-derby. —

LM 85 – Mai 2013 —



since 2005

Les frères Bouroullec Texte Judith Oliver Photos Paul Tahon / R&E Bouroullec

Designers

www.bouroullec.com


179 PORTRAITS

Leur nom se cache derrière bien des objets devenus best-seller, comme les aériennes cloisons d’Algues ou le canapé Alcôve à l’immense dossier Erwan et Ronan Bouroullec sont devenus de véritables stars internationales du design. Et en 10 ans, personne n’a percé le mystère de la répartition des rôles entre les deux frères. Dessiner des objets en duo, voilà qui n’est pas courant. Tel le dieu Janus, gardien des passages et des croisements, le travail de ces designers a deux visages. Le premier prend les traits d’une démarche artistique rêveuse, qui se soucie peu des contraintes et du réalisable. « Nous passons les trois quarts de notre journée à faire des croquis, des maquettes », nous confiait le cadet, Erwan, au printemps 2009. L’autre visage du tandem est celui, plus pragmatique, de la production industrielle. Repérés il y a 16 ans par la firme Cappellini, les Bouroullec ont d’emblée cru à cette logique et s’y sont vite adaptés, domptant, dès leurs fameuses Algues, les techniques de modélisation 3D. Avec le succès qu’on leur connaît. — LM 40 – Avril 2009 —


Orlan Texte Judith Olivier Photo DR — LM 49 – Février 2010 —

Artiste et militante www.orlan.eu

Artiste à la réputation longtemps sulfureuse, ORLAN bénéficie d’une reconnaissance internationale. Depuis les années 1960, elle utilise son corps pour dénoncer les stéréotypes attachés à la beauté féminine. Ses photos, sculptures et performances ont souvent suscité la polémique. « Je suis d’une génération de femmes qui a dû se battre pour défendre son droit à la jouissance, à la nudité, à la contraception, à l’avortement, à la libre disposition de sa personne », nous confiait-elle en 2010.


Brock Davis — LM 51 / 54 – Avril / Juillet 2010 —

Artiste

http://www.itistheworldthatmadeyousmall.com

En 2009, Brock Davis s’est lancé un défi : « Make something cool every day ». Cet illustrateur facétieux et photographe hypersensible a terminé l’année en beauté avec 365 créations (photo)graphiques ! Voici un extrait du calendrier très personnel d’un mec définitivement cool.


Arne Quinze Texte Maïté Buns Photo Studio Quinze&Milan

— LM 42 – Juin 2009 —

Designer www.arnequinze.com

Un peu punk, un peu haute-couture, Arne Quinze trace des parallèles entre les paradoxes. Ses créations possèdent autant de facettes que sa personnalité et lui valent d’être l’un des designers et artistes les plus convoités de la dernière décennie. En 1985, à 14 ans, le Belge était sans-abri et s’adonnait au graff. Quand nous l’avions rencontré en 2009, il était déjà à la tête d’une armada de plus de 60 disciples - tous designers et architectes - à Courtrai.


Jean-Paul Lespagnard Texte Florent Delval Photo DR

— LM 60 – Février 2011 —

Couturier www.jeanpaullespagnard.com

S’il refuse l’étiquette d’iconoclaste, le jeune couturier Jean-Paul Lespagnard possède ce sens de la dérision éminemment belge. Instinctif, ce touche-à-tout évite de se poser trop de questions, Après la fameuse collection « frites » qui lui a permis de gagner le prix du festival de Hyères, en 2008, nous l’avions croisé en 2011, à la veille sa première participation à la fashion week de Paris. Un tournant dans sa carrière.


Julien Gosselin Texte Madeleine Bourgeois Photos Simon Gosselin / DR

Metteur en scène Compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur www.lechermoncoeur.fr


185 PORTRAITS

Il fallait un certain courage, et pas mal de culot, pour s’attaquer aux Particules Elémentaires, l’un des plus ambitieux romans de Michel Houellebecq. Du haut de ses 26 ans, Julien Gosselin s’est lancé, en 2013, remportant un succès presque unanime à Avignon. Si cet ouvrage avait déjà été porté au théâtre et au cinéma en Allemagne, jamais un Français n’avait osé s’y attaquer. Lorsqu’il paraît, en 1998, le gamin d’Oye-Plage n’a que 11 ans. Il découvre alors le théâtre, à Calais. Naissent quelques rêves, comme celui d’évoluer plus tard dans le monde de l’art et de « passer des soirées à boire des coups en parlant bouquins ». 2006, le jeune homme intègre l’école du Théâtre du Nord, à Lille. Deux mises en scènes remarquées plus tard (dont Tristesse animal noir de Anja Hilling) le voici propulsé dans l’une des plus importantes manifestations internationales du spectacle vivant, grâce à son adaptation du livre de Houellebecq. « J’étais tétanisé, nous confiait-il. Créer une pièce au festival d’Avignon, c’est prendre un risque énorme ». Cette année-là, il fut nommé « révélation de l’été ». — LM 90 - Novembre 2013 —


Steven Ramon Texte Julien Bourbiaux Photo Stal — LM 93 – Février 2014 —

Chef-cuisinier

www.rougebarre.fr

On a vu sa bouille dans l’émission Top Chef sur M6, où il avait brillé en début d’année. Depuis, Steven Ramon a fait son chemin. À 27 ans, l’ancien chef de la Laiterie à Lambersart a ouvert son propre restaurant, le Rouge Barre, dans le Vieux-Lille. Nous l’avions cuisiné en février, dans le cadre des restaurants éphémères organisés par le collectif Mange, Lille ! dont il fait partie et qui poursuit le noble but et de défendre le terroir et d’ouvrir la gastronomie au plus grand nombre.


Auguste Derrière — LM 79 / 83 - novembre 2012 / mars 2013 —

Concepteur de réclames

www.augustederriere.com

Les œuvres d’Auguste Derrière, auteur méconnu de réclames au début du xxe siècle, ont été retrouvées au fond d’un grenier par une équipe de graphistes bordelais. Si l’imagerie est forcément surranée, Derrière était un visonnaire, un précurseur, et possédait un sens du calembour à faire pâlir Vermot ! Lu et approuvé par les Brigades du Tigre.


188 PORTFOLIO

Skwak Maniaco-expressif Texte Julien Damien

S

on nom ne vous dit peut-être rien, mais vous avez forcément croisé l’une de ses créatures. Corps bizarroïdes, dents proéminentes et yeux exorbités… les Maniacs sont partout ! À la Fnac, sur Facebook, avec les MGMT (ils habillent la pochette de Kids), et même sur les cornets de frites de Mac Do. Lors la dernière Coupe du monde de football, le géant de la bouffe qui rend bouffi s’est payé un petit lifting. Et a donc fait appel aux talents de Skwak ! Pourtant, les Maniacs sont nés il y a dix ans « en réaction à cette idée de trop plein, de surconsommation », confie l’illustrateur lillois. Comme une espèce de miroir déformant de notre société boulimique. Un paradoxe ? Skwak, alias Jim, 37 ans, se défend de jouer les messagers : « je ne me trouve pas légitime pour dire aux gens quoi penser ». Une proximité avec les multinationales qui lui vaut parfois le même procès (facile) subi en son temps par Dali lorsqu’il dessina le logo de Chupa Chups. C’est oublier que l’art a souvent

eu besoin de mécènes et que les rois ont changé avec le monde... Quoi qu’il en soit, l’univers de Skwak, « coloré, ludique et en mouvement », n’en reste pas moins profond. Est même régi par un « alphabet », un « langage » sousjacent: « avant de dessiner, j’écris des histoires absurdes. Il y a beaucoup de sens de lecture dans mes tableaux ». Et si le natif de Béthune affiche un naturel plutôt réservé, c’est tout un monde à la Tolkien qui bouillonne dans sa caboche, « avec des codes, des personnages qui évoluent ». Mais au fait, ça veut dire quoi Skwak ? « En fait, je ne donne jamais la même raison », rit-il. On retiendra la version « sonorité ». L’autre veut que cela signifie « charlatan », en slang. Vous avez dit ironique ? Plutôt protéiforme, comme les Maniacs.

Exposition à partir du 12.12, Art to Be Gallery, 44 rue Saint-André, Lille www.skwak.com










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