AU SECOURS MÉMÉ de Cécile Gambini - Extrait

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Cécile Gambini

AU SECOURS MÉMÉ

Le Tripode


LA POIRE


Une semaine avant elle nous faisait son testament, et faut dire que ça faisait une belle année qu’elle était à l’hôpital cette mère-là. C’est parti du cœur qui fonctionnait plus, ou mal, on n’avait pas le choix, on l’avait opérée et chez les dames compliquées, ça se complique. Décembre en réanimation, janvier en soins intensifs, février rechute, mars qui s’acharne, avril, mai, juin, de galère... on était enfin en août et la dame et la famille avaient survécu. Mais dans quel état ? On se passait l’été à croire que le cerveau avait été endommagé. La dame voyait des rats là où il n’y en avait pas, appelait son mari Monsieur et se faisait donner la becquée. Les jambes ? Un an que ça ne fonctionnait plus. Monsieur mon père qui lui pleurait devant le nez à chaque fois, les rejetons faussement souriants pour faire semblant. Tout le monde était au bout du rouleau quand la dame décida de nous faire un grand et beau spectacle.


Un jeudi d’une semaine de chien, le père qui se soulève à peine la casquette en rentrant, surprise en forme de mystère : le lit est vide. Alors soit on nous l’a volée (ce qui est audacieux), soit elle s’est désintégrée. On enquête dans le couloir, on nous répond impossible elle ne marche plus, cherchez dans le placard, dans la salle de bains, sous le lit. Pas de mère à ces endroits-là, mais la grande évasion au balcon avec en départ une couche nouée et ensuite le contenu des habits du placard jusqu’en bas du 4ème étage, enfin, quasi jusqu’en bas. Tout le monde d’accord sur le fait que c’est pas possible qu’elle soit passée par là.




Trois quarts d’heure de recherches dans tous les coins, obligation légale d’avertir la police et tout le tralala, l’équipe qui propose à mon père de s’allonger sur le lit de sa femme en attendant qu’on la retrouve. Et l’hôpital en ébullition sur la disparition de Madame G. Et on l’a retrouvée notre star. En pleine forme, le rose aux joues, bienheureuse de sa blague en train de croquer une poire qu’elle trouvait bien bonne et pas mixée. Une mère qui marche comme si tout ça n’avait pas existé et qui se promène en ascenseur dans les coulisses de l’hôpital pour nous faire la blague de sa résurrection. C’est comme ça qu’on a décommandé le cercueil, qu’on a acheté des poires et qu’on l’a récupérée à la maison. Et pour la première fois depuis des mois tout le monde a ri ce qu’il était capable de rire.


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