LE COUP DU LAPIN ET AUTRES HISTOIRES EXTRAVAGANTES

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les sources Didier Paquignon a puisé son inspiration dans les sources les plus diverses (et en particulier dans la presse internationale grâce à l’incontournable Courrier international). Nous avons accompagné chaque dessin de l’information qui l’a suscité, souvent dans une forme condensée. Nous conseillons aux lecteurs de se plonger dans les journaux et les livres mentionnés pour prolonger leur plaisir. Les rares fois où nous n’avons pas pu authentifier l’origine du texte sont signalées par la mention : « source perdue ». les monotypes Les monotypes de ce recueil sont repris de la collection personnelle de Didier Paquignon. Ils sont reproduits dans un format proche des originaux. le tirage Cette première édition de Le Coup du lapin, et autres histoires extravagantes a été imprimée à 3 333 exemplaires et mise en vente juste avant le 1er avril 2018, date d’anniversaire de la sœur de l’auteur. © Le Tripode, 2018


Didier Paquignon

le coup du lapin et autres histoires extravagantes



pensées diverses sur faits divers (note de l’éditeur)

On trouve dans un premier fascicule cette information : Le suicidé par persuasion La nuit du 3 au 4 septembre fut joyeusement fêtée par le courtier Henri Durand, Mlle Hélène Delacroix et son amie Lucienne Bonnot. Vers trois heures du matin, avenue Jean Jaurès, le courtier, hanté soudain d’idées noires, s’écria : « Dieu ! que la vie est bête. Si on se suicidait tous les trois ?... » Il sortit son revolver et fit le geste de se loger une balle dans la tête ; mais il laissa tomber l’arme en murmurant : « Le courage me manque. » « Lâche ! » lui dit Hélène. Elle s’empara du revolver et fit feu sur le courtier, qui fut tué net. Ce tragique dénouement la dégrisa et elle se laissa arrêter. M. Lacomblez l’a renvoyée devant la Chambre des mises en accusation pour homicide volontaire. Elle sera défendue par Me Ernest Charles.

Et dans un autre la suivante : Cinq condamnés à mort, actuellement détenus à la prison de Sing-Sing, ont été avisés que leur exécution était retardée jusqu’après les fêtes de Noël. Cette mesure a été prise en considération de ce que ces condamnés font partie de la chorale de la prison et qu’on a besoin de leur concours pour la réalisation du programme des fêtes de Noël.

Ces deux nouvelles auraient pu être dénichées par Didier Paquignon au cours de ses lectures, elles sont néanmoins vieilles d’un siècle et ne sont pas extraites de la presse courante, mais de deux revues d’avant-garde majeures. Le premier fait divers, initialement publié par Le Figaro, fut repris dans le numéro inaugural de La Révolution surréaliste daté du 1er décembre 1924 ; le second parut le 25 mai 1929, sans mention de journal, dans le premier numéro de la revue Bifur.


Eh oui, il ne faudrait pas croire que l’attention que Didier Paquignon accorde aux faits divers, et qui se manifeste depuis un quart de siècle par des centaines de dessins conçus sous forme de monotypes, soit un cas isolé. Pour en revenir aux seules années 1920, il est étonnant de constater la passion que les faits divers semblent avoir suscitée dans les lettres françaises de l’époque* : outre l’intérêt notoire des surréalistes (qui s’inscrivaient en cela dans la lignée des dadaïstes), la revue Action se voyait interdite dès son premier numéro en février 1920 pour avoir fait un éloge de Landru, le vénérable Gide ouvrait en 1926 une rubrique Faits Divers dans la prestigieuse NRF, Robert Desnos entreprenait pour sa part une série d’articles sur Jack l’Éventreur dans le journal Paris-Matinal, tandis que les éditions Gallimard décidaient au même moment de mettre sur orbite « le plus grand hebdomadaire des faits divers » intitulé… Le Détective. Lancé le 28 octobre 1928, le magazine connut un succès immédiat, avec un tirage qui dépassa dès la première année les 250 000 exemplaires. Bien des années plus tard, Roland Barthes expliquera le pouvoir de fasci­nation du fait divers par sa capacité à être « une information totale, ou plus exactement immanente ; il contient en soi tout son savoir : point besoin de connaître rien du monde pour consommer un fait divers ; il ne renvoie formellement à rien d’autre qu’à lui-même ». Il est vraisemblable que c’est grâce à cette autonomie de son discours que le fait divers a fait fortune auprès des artistes et des écrivains, jusqu’à aujourd’hui. Parce qu’il fonctionne comme un théâtre miniature, il nous offre souvent en quelques lignes des visions radicales et néanmoins cohérentes de ce qu’il y a en nous de plus absurde, violent, fou, pathétique. Il y eut justement un homme, au début du vingtième siècle, pour célébrer jusqu’à l’extrême ce pouvoir enchanteur du fait divers. Si Félix Fénéon (1861-1944) a disparu en grande partie de nos mémoires, il fut néanmoins l’une des figures intellectuelles les plus attachantes de notre histoire récente. Anarchiste, engagé dans le mouvement libertaire, journaliste et critique d’art, il reconnut parmi les premiers la valeur de Rimbaud, Laforgue, Mallarmé, Valéry et Apollinaire, ou défendit encore avec une rare prescience les impressionnistes contre l’art académique. Il devint aussi, en tant que directeur de La Revue blanche, un fer de lance des intellectuels prônant l’innocence du capitaine Dreyfus. * Une grande partie des références de ce texte s’inspirent de la remarquable analyse de Ivanne Rialland : « Faits divers et revues littéraires de l’orée des années 1920 à l’aube des années 1930 : Action, La Révolution surréaliste, Bifur », Fabula / Les colloques, Ce que le document fait à la littérature (1860-1940), URL : http://www.fabula.org/colloques/ document1746.php


Or, concernant les faits divers, c’est à cet esprit libre que l’on doit l’un des plus étonnants recueils. Celui-ci ne fut découvert dans ses archives qu’après sa mort ; il regroupait l’ensemble des contributions que l’homme rédigea, de mai à novembre 1906, pour la rubrique « Nouvelles en trois lignes » du journal Le Matin. Ancêtre de Twitter, cette rubrique redonnait dans un nombre de signes compris entre 100 et 135 caractères typographiques les nouvelles les plus diverses parvenues à la rédaction juste avant l’impression. Félix Fénéon profita de cette contrainte technique pour ramener certains faits divers à leur plus haut degré de simplicité et d’absurde, sans que cela soit toujours perçu à l’époque. Il suffit de citer quelques-unes de ces nouvelles pour donner toute la mesure  de l’humour et du style si particulier de cet homme fort sympathique : « Le Dunkerquois Scheild a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta. » «  Les grévistes de Ronchamp (HauteSaône) ont jeté à l’eau un ouvrier qui s’entêtait à travailler. » « À Clichy, un élégant jeune homme s’est jeté sous un fiacre caoutchouté, puis, indemne, sous un camion, qui le broya. » « Mauvais joueurs, F. et M. Altebo, à la Llagonne (Pyrénées-Orientales), ont tué (matraque et navaja) M. Filian, tricheur peut-être. » « M. Abel Bonnard, de Villeneuve-SaintGeorges, qui jouait au billard, s’est crevé l’œil gauche en tombant sur sa queue. »

On comprendra dès lors, en parcourant les dessins de ce livre, pourquoi il est tentant de faire de Didier Paquignon un digne héritier de Félix Fénéon (ou encore du grand Chaval... l’espace manque ici pour évoquer l’humour désabusé de ce dessinateur de génie). L’espèce humaine est impayable, et probablement condamnée à revivre éternellement les mêmes drames, c’est entendu. Mais rien ne nous empêche d’avoir, comme ces hommes, l’élégance d’en rire...


▶ LE COUP DU LAPIN Un lièvre s’en est pris à un couple de retraités hier à Linz, en Autriche : l’animal de 5 kg a surgi alors que la dame, âgée de 74 ans, accrochait du linge dans le jardin ; il l’a fait tomber après l’avoir mordue au pied, puis s’en est pris à son mari, et enfin aux deux policiers venus en renfort, qui n’ont eu d’autre choix que de l’abattre. Le cadavre du lièvre est analysé pour déterminer s’il n’avait pas la rage, mais c’est peu probable car ce virus n’a pas été détecté depuis plus de 15 ans dans la région. Cette agressivité pourrait être liée à une phase pubertaire accentuée par la chaleur. (La Dépêche du Midi, 17 avril 2007)



▶ les mystères de la vie Un quart des Américains ignorent que la Terre tourne autour du Soleil et plus de la moitié ne savent pas que l’homme descend du singe : selon une enquête de la Fondation nationale des sciences menée auprès de 2 200 personnes, seulement 74 % des personnes interrogées savent que la Terre tourne autour du soleil, et 52 % ignorent que l’être humain descend du singe. (Ouest-France, 14 février 2014)



▶ LA CAVALE DE L’UNIJAMBISTE

Christopher Lowcock, 29 ans, a berné la justice anglaise en recouvrant sa prothèse d’un bandage. Il lui suffisait de laisser le membre artificiel chez lui pour se débarrasser de son bracelet électronique et prendre la clé des champs. Les deux employés du géant privé de la sécurité G4S, qui équipe quelque 70 000 Britanniques d’un bracelet électronique chaque année, ont été remerciés. (Daily

Telegraph, 13 septembre 2011)



▶ le Prix IgNobel de linguistique

Le prix est remis à Juan Manuel Toro, Josep B. Trobalon et Núria Sebastián-Gallés de l’université de Barcelone, pour avoir montré que les rats sont le plus souvent incapables de reconnaître la langue japonaise de la langue néerlandaise dans un discours diffusé à l’envers. (Prix IgNobel de linguistique - 2007)



▶ les hasards de la vie Après la catastrophe de l’Exxon Valdez, en Alaska, le coût moyen pour secourir et nettoyer un phoque a été estimé à 80 000 $. Au cours d’une cérémonie, deux d’entre eux ainsi sauvés ont été relâchés dans l’océan sous les applaudissements de la foule… qui put les voir se faire dévorer par un orque une minute plus tard. (source perdue)



▶ la PÊCHE MIRACULEUSE Un Néerlandais de soixante ans a retrouvé le dentier qu’il avait perdu trois mois plus tôt en mer du Nord, grâce à un amateur de pêche sportive d’Amsterdam. Cet amateur avait attrapé une morue de belle taille et découvert dans le ventre du poisson une prothèse dentaire et avait aussitôt contacté la radio régionale néerlandaise Radio NoordHolland pour qu’elle lance un avis de recherche et retrouve son propriétaire. Le sexagénaire avait perdu son dentier le 3 septembre, lors d’une excursion en mer du Nord organisée dans le cadre du mariage de sa fille. (L’Humanité, 1er décembre 1994)



▶ la force de frappe Le Luxembourg va dépêcher un second militaire au Mali au début de l’année 2016. En vertu de la « clause de solidarité » invoquée par la France devant l’Union Européenne dans sa riposte contre Daesh, le soldat interviendra comme conseiller auprès des forces armées maliennes. Ce personnel additionnel double la présence militaire luxembourgeoise sur place, est-il précisé dans un communiqué. (20 Minutes, 10 décembre 2015)



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