La Gazette de la Lucarne n° 80-81 - juillet-août 2015

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La gazette de la

JUIllet-août 2015 5 €

lucarne n  80-81 o

La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com

fac i l e


no 80-81

juillet-août 2015

L’artiste du mois : LOURTIS

Portraits en Papier Mâché Patouiller au fond du jardin est mon activité préférée.

Couverture : Lourtis, Augustin Indigo, 55x53x1 cm ; Tiviouane, Hiver 32x32x3 cm ; Orane Lune Noire, 56x56x20 cm ; Cendrars, 57x60x1 cm. Ci-dessus : Fulgence, 42x43x2 cm. Ci-contre : Venus Naevus 43x43x5 cm. Grey de Magallanes, 43x43x3 cm. Irma 7K, 43x43x5 cm.

Dès l’âge de cinq ans, j’ai appris à jouer du piano. Mais dans ma famille, j’étais la seule musicienne. Mon grand-père était architecte et archéologue de la ville d’Orange. Mon père avait aussi une formation d’architecte, mais la guerre avait dévié son destin vers une usine à pétrole. Il y a toujours eu de quoi dessiner des plans à la maison. J’avais accès à toute la collection de matériels de dessin d’architecte, crayons de toutes sortes, tire-lignes, plumes, encre de chine, kutsch, calque, perroquets et pistolets… Bref, un vrai terrain de jeu et comme j’étais fille unique, on était bien content que, le plus souvent possible, j’imite papa gentiment dans mon coin. Nous habitions dans le sud de la France et quand je ne dessinais pas, j’allais au fond du jardin, travailler la terre, le sable, la craie et diluer la gomme des pêchers. Lorsque j’ai eu mon baccalauréat, il a fallu que je choisisse entre arts plastiques et musique. J’ai pris conscience que je ne cesserais jamais d’inventer des choses avec mes mains, mais j’ai pensé qu’en mettant la musique de côté, peu à peu je n’en ferais plus. J’ai donc choisi d’assister à des cours de musicologie à la Faculté d’Aix-en-Provence. J’ai ensuite poursuivi mes études musicales durant sept ans au conservatoire de Marseille où j’ai obtenu un premier prix et une médaille d’or de composition électroacoustique. J’ai fait partie d’un groupe de créations et de recherches en informatique musicale. Nos installations interactives et nos concerts expérimentaux m’ont permis d’approfondir mes réflexions sur la forme, la matière, le temps, le silence. En parallèle, j’ai toujours continué de dessiner, de peindre et de modeler du papier mâché.

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Aujourd’hui, j’enseigne l’éducation musicale dans un collège parisien. Mes premières créations rondes et rouges sont un mélange de deux pratiques qui m’ont occupée pendant plusieurs années. Tout d’abord, j’aime le contact avec la matière obtenue avec la pâte en papier mâché dont le rendu en séchant continue de m’étonner. Je façonne mes tableaux en gardant à l’esprit que ce sont des compositions modelées en relief où le contour, la texture et la cohérence doivent être choisis comme pour une forme musicale. Chaque galette montre l’aboutissement d’un processus qui s’est déroulé lentement jusqu’à son achèvement. Durant des années, j’ai contemplé de véritables crêpes que je colorais en rouge, puis je les glissais dans des pochettes transparentes. Leur lente et imperceptible décomposition m’a fait voyager dans un univers de rêverie, où entropie et chaos résonnaient avec le silence du travail inéluctable du temps sur la matière organique. À présent, j’ai envie de représenter ses rêveries comme des instants figés, magiques et bouleversants. Forme et matière ainsi mêlées représentent mes portraits silencieux. Leur nom a été choisi parmi les saints du calendrier afin de leur donner une identité. Cet ensemble présente une certaine unité. On y voit aussi l’évolution de ma démarche. Toute création s’inspire des images du passé, du présent, des rêves, cryptées par l’inconscient. Cela a commencé lorsque j’étais enfant, seule, au fond du jardin, mais aussi, face au contenu de mon assiette que je boudais. Passé d’anorexique, rêves de planètes imaginaires ou imitation des grands chapeaux Zoulous, mes Patouilles sont les empreintes, les traces de ces souvenirs, déformées par ma myopie.


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A contrario...

I

maginez un ministre du travail contraint d’expliquer, face caméra, que le chômage, sourd aux prédictions présidentielles et têtu comme une mule, continue certes de jouer l’escalade, mais que... euh... enfin... c’est quand même moins grave que si c’était pire. Pas commode ! Imaginez à présent, je ne sais pas moi, que l’équipe de France de référentiel bondissant sur gazon, à la lumière de ses récentes performances en matches amicaux, se verrait bien gagner l’Euro l’année prochaine. Mmmmmouais ! Eh ben c’est pas dans la poche ! Imaginez maintenant, mettons, que vous prenne soudain l’envie de vous mettre à parler net, clair et franc, d’appeler les choses par leur nom même sur des sujets qui défrisent. De le faire, veux-je dire, sans le secours de la périphrase édulcorante tellement à la mode depuis largement plus d’une décennie, cette détestable mode qui fait que, malgré soi l’on dit (par exemple) « dérive des cités sensibles » quand on pense « quartiers pourris », vous voyez ce que je veux dire ? Eh bien, j’en prends le pari, ça ne sera pas évident !

Pierre Merle

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SOMMAIRE Page 1

Imaginez encore que, auteur à succès, vous tombiez, en parcourant votre nouvel opus tout chaud sorti de chez l’imprimeur, sur la coquille traîtresse que ni vous ni le correcteur n’aviez vue à la relecture des épreuves, et qui vous la défigure, votre œuvre. Trop tard ! Que vous gueuliez ou non à la trahison, il va bien falloir l’assumer ou, à tout le moins, la supporter, la coquillette. Dur !... Imaginez-vous donc ensuite en ado bien trempé qui, rien que pour emmerder ses parents, a décidé de louper son bac cette année. Eh bien, compte tenu du pourcentage de réussite à notre premier grade universitaire ou encore présumé tel, ça risque d’être drôlement coton ! Enfin, imaginez-vous, madame, vous qui ­rêvez si bien, vous qui rêvez si beau, vous qui rêvez si fort, en femme totalement moderne et entièrement indépendante. Séduisant, hein ?... Oui, mais, on vous l’a assez seriné « être une femme libérée, c’est pas si facile » ! Mais, allez-vous me dire, c’est bien beau tout ça, tout ce pêle-mêle que vous nous servez là, mais alors, qu’est-ce qui est facile, aujourd’hui ? Justement, la réponse, elle, est facile : RIEN.

Œuvres en papier mâché, Lourtis Page 2 L’artiste du mois, Lourtis Page 3 

A contrario…, P. Merle

Un poème, B. Testa

Page 4-6 B

 alade

en Facilie,

D. Malherbe

Facile ?, E. P. Guillon

Page 7 F

, un mot

 acile

qu’on ne raccourcit pas, 

Lourtis

Facile : à portée de main !, F. Momal

Page 8 

jour de colère,

Maryz

Page 9 

V, M. Bérard

Page 10 U

 ne

préoccupation majeure,

S. Mostrel Page 11

Bruno Testa

Facile, dit Dieu assistant au Big Bang.

Facile ! Elle me crie, C. Yvans

Un texte, M. Bérard

Page 12-13

Facile, dit le spermatozoïde en attrapant l’ovule.

textes,

M. Bérard

Page 14-15

Facile, dit Sisyphe en poussant pour la première fois son rocher.

Facile, dit le malade en mourant.

La fenêtre, J.-L. Guitard

Charade naïve, Lourtis

Thème libre : p. 16 à 32 3


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Balade en Facilie

Didier Malherbe

Parler de la facilité à notre époque Pourrait donner fausse impression que l’on se moque De la rude réalité d’humains livrés En pâture aux quotidiennes difficultés De survie. Est-il donc ce livre, anachronique, Bien qu’il veuille sonner de cordes sympathiques, Vibrer sur un espoir de plus d’égalité Chasse-misère-et-financière-obésité ? Certes la Facilie est pays d’utopie, Le Facilisme une mince philosophie, Légère comme un leste lancer de toupie Gyroscopsychique, dont la gravitation Soulage la gravité d’une situation Tout en tournant, tournant, détournant l’attention…

Avec facilité sur le sable les vagues S’élancent, roulent, s’enlacent sans se lasser, Les astres font leurs tours en moines gyrovagues, Un oiseau fend l’air calme, avec facilité. D’une tonalité le musicien module, D’un glacier jaillit facilement le torrent, La belle chevelure de la fille ondule. Au printemps l’amour s’enflamme facilement. Avec facilité la décote à la Bourse Détricote des fortunes, comme les courses Où tel cheval gagnait, avec facilité. Ci-dessus : Lourtis, Ernest Médor, 57x60x5 cm

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Avec fatalité on peut avoir la chance De tirer d’en dessous d’un chapeau de silence Un poème venu avec facilité. 4

Souvent Facilité passe pour négative. On l’assimile même à de la lâcheté ! Exemple-type de valeur péjorative : « Cet artiste a beaucoup trop de facilité. Il brille avec aisance, il sait en profiter. Quant à creuser plus loin, jamais il n’y arrive. Il ne s’est pas assez acharné à lutter Avec lui-même au fond de sa conscience vive, Avec sa Chimère, la sueur, la douleur Et l’ivresse héroïque de noyer la peur. » Facile est-il une louange ou une injure ? Cet adjectif, tel Janus, a double figure, Janus, Gardien des clefs, des choix et des chemins, Dieu romain du commencement et de la fin.

Les beaux vers, semble-t-il, viennent facilement. Craignons que les suivants ne suintent de labeur ! C’est comme une loterie « Au petit bonheur. » Des vers, en écrirai-je et beaux, suffisamment ? Le premier des quatrains s’est passé simplement Le deuxième devrait, j’espère, être meilleur. Il faudrait tisonner un peu plus de chaleur (sans aller jusqu’au feu d’une lettre d’amant…) Le premier des tercets, perron de la façade, En marches d’escalier commence la cascade Et la chute du sens, vérité ou boutade. La fin de ce poème est un tiroir ouvert. Il symbolise l’infini de l’univers Pour accueillir, facilement, ce dernier vers.


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Facile à vivre : locution adjectivale, Se dit d’une personne avenante et sociable, À la présence douce, discrète, agréable, Avec qui l’on est bien – compagnie idéale. On peut le dire aussi d’une maison pratique. Disposition des pièces, leur géométrie, Couleurs, décor, lumière, embellissent la vie, Font oublier sa fugacité pathétique. Facile à vivre, on doit en gratifier la Terre Pour autant qu’il n’y ait de catastrophe planétaire. Facile à tuer, se dirait d’un temps qui passe Vite et joyeusement, sans que l’ennui vous lasse. Facile à mourir me semble un morne oxymore : Tant de doux moments de plaisir à vivre encore !

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« Si l’élégance a toujours l’air facile, Tout ce qui est facile n’est pas élégant », Écrit Voltaire. Sois facile, accommodant, Jovial, convivial, mais non jusqu’au docile, Apte et sans embarras, naturel et habile, En toutes occasions aimable et conciliant Mais non jusqu’au servile ni au complaisant, Sûr de l’Harmonie universelle, tranquille, Simple comme bonjour ou l’enfance de l’art, Tapis roulants et toboggans, c’est du billard, De la balle et le pied, sous toute latitude. L’effort caché, réussir les doigts dans le nez… Voilà, me direz-vous, une étrange attitude : C’est un geste-défi, de la Facilité.

(À moins d’avoir après la mort à vivre encore ?)

Invisible instrument de jauge du bien-être, En soi chacun, chacune a son facilimètre. Ce jour dont pointe l’aurore va-t-il valoir D’être assez joyeusement vécu, jusqu’au soir ? Le temps va-t-il foncer comme sur des roulettes ? Les signaux du plaisir s’allument dans les têtes, Même si tous les lieux du corps sont concernés : Sexe, oreilles, papilles, peau, les yeux, le nez… C’est au fond du cerveau qu’œuvrent les endorphines, Adrénaline, dopamine, sérotonine Sous le cortex, l’hypophyse hypothalamus.

Facilement les vents balayent l’univers, Des hauts glaciers l’eau coule en torrents vers la plaine, l’Inspiration chuchote au poète des vers Qu’à demi-mot facilement l’esprit comprenne — Mais alors doit-il les écrire jusqu’au bout ? — Euh… oui, c’est un poème entier qu’on aime lire, Il faut pleine cuisson pour exalter un goût. Vois ce couple danser leur valse dextrogyre : Facilement l’Amour leur échauffe le cœur, La caresse de l’opium chasse la douleur, Les astres suivent leur course facilissime, La pensée inconnue à la rime s’arrime, Le hasard, le hasard est toujours surprenant. Le sage s’en accommode facilement.

La force lumineuse, d’un petit peu plus, En ce monde paré de la robe des zèbres Se doit de l’emporter sur la part des ténèbres.

Ci-dessus : Lourtis, Bertille, 43x43x1 cm. 5


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Suite de la page 5.

En Facilie on rit facilement, d’autant Que de bon cœur, bon foie, on y va franchement Car, selon les préceptes du sage Hippocrate, « Il faudra que périodiquement la rate D’un homme ou d’une femme se dilate Et qu’il ou elle, de l’occiput aux orteils, Laisse briller dans sa psyché le gai soleil. » Dès que debout sur l’horizon tu le sens poindre, Le plus finaud calembour de comptoir, la moindre Blague peut faire fondre ta mauvaise humeur Et déclencher en toi le rire salvateur.

Didier Malherbe est un musicien d’anches connu pour avoir cofondé

À redouter/exclure de cette zone : Le rire carnassier, rictus et rire jaune. “Laughing at everything and still laughing of none.” (Shakespeare)

dans les années 1970 le groupe Gong

Facile ? Emmanuel P. Guillon C’est pas toujours facile, la vie On a parfois des joues qui se creusent On a parfois des yeux qui blêmissent On a parfois des peaux qui se grattent

et, plus récemment, Hadouk (Victoire du jazz en 2007). Il est aussi poète. Son premier livre : l’Anche des métamorphoses

La Facilie exprime ce qui va de soi, Semble s’accomplir sans effort, coule de source « Ruisseau vagabond qui soi-même se course Et soi-même se fuit », image que l’on doit

(éd. Buissonnières). Après Le Serpent à sonnets (Gazette n° 71) et À mi-­chemin de la mémoire et de l’oubli (Gazette n° 78), les sonnets ci-contre sur le thème du Facile

Au sieur de Saint-Amant. Mystérieuses toupies Gyrophares gardant les champs profonds du ciel, Dynamos des pulsars en cycles perpétuels, Étoiles d’auto-renouvelable énergie…

www. didier malherbe.com

Ci-dessus : Lourtis, Rosine, 46x40x2 cm.

C’est pas toujours facile, la vie Nos souvenirs tapis dans l’ombre Nos avenirs qui grognent Nos temps qui grondent

Rafraîchissante idée ! On la privilégie Dans l’Imaginarium rêvé de Facilie. Qu’y avait-il avant ce Big Bang, ce Gros Boum,

C’est pas toujours facile, la vie Avec nos désirs insensés Avec nos refus de ce qu’on offre Avec nos faims de gouffre

Début éternué comme d’un rhume ? Atchoum ! L’univers n’eut-il pas un préalable ancêtre, Si l’Être, simplement, ne peut pas ne pas être ?

C’est pas toujours facile, la vie Pas toujours C’est pas toujours facile

paraîtront dans un prochain recueil.

C’est pas toujours facile, la vie Avec tous ces autres qui nous entourent Avec tous ces autres qui grouillent en nous Avec nos solitudes des abysses

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M Facile, un mot qu’on Facile : F ne raccourcit pas. à portée de main ! rançois

omal

Lourtis (Virelangue en hommage à Boby Lapointe) Un faussaire de fossiles Face à la foule fuit. Une poule facile Face au filou pile. Pile ou face, Ses faux cils le fascinent. Faut-il qu’il reste, Faut-il qu’il file ? Face à face, Silence se fait, Il pouffe et passe. Faussaire de fossiles, Mais pas fou. Il fonce vers l’île Où tout est faux, Plonge et nage Fuyant toujours La foule et la poule Aux faux cils. Les poches pleines, C’est difficile, Le faussaire de faux fossiles Coule au fond et au fond, C’est facile, il fond.

O

n peut la pratiquer en tout lieu et par tout temps. D’ailleurs, cela fait des siècles que les hommes la pratiquent en tout lieu et par tout temps, sans avoir attendu une quelconque autorisation. Elle se pratique de préférence en privé, mais rien n’interdit de la pratiquer dans un lieu public, en l’entourant néanmoins d’une certaine discrétion. Les élèves du fond de la classe en savent quelque chose. Facile ! Elle nécessite très peu d’ustensiles : nous sommes déjà tout équipés pour cela. L’imagination seule se doit d’être au rendez-vous. Comme Tintin on pourrait presque la pratiquer de sept à soixante-dixsept ans. C’est une des premières choses que le petit enfant découvre et son sourire béat alors en dit long sur le bonheur de cette découverte. Elle permet un jour à tout adolescent de découvrir sa nappe d’énergie souterraine : sa nappe phréatique. Cette découverte le bouleverse comme elle m’a bouleversé à l’âge de treize ans. Elle a inspiré de nombreux écrivains qui pour certains étaient certainement de grands adeptes de cette pratique devant l’Éternel. Céline en parle très bien dans Mort à crédit (« grosses branlées », « branlées sévères »), mais aussi San Antonio lorsqu’il parle de « se polir le Chinois » ou « l’ogive nucléaire ». La scène du film Amarcord de Fellini, où quatre compères la pratiquent en cadence sur la banquette arrière d’une automobile à l’arrêt me fait toujours rire aux larmes. Interdit d’aller piquer l’objet des fantasmes du petit camarade ! À chacun son objet distinct de désir. Que ferions-nous sans elle ? Ne pas en abuser certes, c’est épuisant, mais savoir qu’elle est là potentiellement disponible comme un gentil petit animal domestique qui se laisserait caresser à tout moment. 7

Ci-dessus : Lourtis, Sokan, 40x44x1 cm. Ci-contre : Angel Tondo Bleu, 59x59x2 cm.


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La facilité est un leurre Un mot créé pour endormir Face à la réalité du monde Croire à cet élixir Qui rendrait l’événement Facile à vivre Facile de croire aux lendemains qui chantent Facile de croire et prier à haute voix Facile de chanter le matin, le soir Facile enfin de fuir dans le lointain Ainsi serait la vie Aussi chanterait si Sans que dents de scie n’apparaissent nie

Jour de colère Maryz

Ci-contre : Lourtis, Eniger Regine, 29x29x1 cm.

Oh! C’est facile ! Facile ? Comment facile ? Facile pour toi ! Facile! Qui es-tu pour savoir Amère façon de le laisser choir dans ses difficultés ! Ce qui est facile pour moi ? Facile! Quelle engeance ! Ah ! Méprise et tourments à la clef quand on entend cela ! Quel dictât ! Comment croire que tout peut basculer dans la facilité Qu’est-ce qui est facile ? Quand la profondeur du désastre se ressent comme Cette société de l’individualisme et du MOI Un ulcère qui creuserait le corps à discrétion exacerbé S’évertue à prononcer des « c’est facile » Diantre ! Qui pour dire cela Ah oui! Que ce puits est haut à escalader! C’est facile de se cacher derrière son agressivité, Que le triste sort pèse lourd quand il s’abat! Sa souffrance et son autorité Car se tourner vers l’autre versant, Facile de dire -Facile! Celui de la difficulté Quelle drôle d’invention! Est plus exigeant. Il ne te demandait rien sinon de vivre Là, on demande Il ne te demandait rien sinon oui de vivre! De regarder l’autre Il lui fallait tenir et hurler De le considérer Pour ne pas finir et s’effondrer De l’aider si besoin, Non la facilité, il ne la connaît De s’impliquer dans le devenir de l’autre. Il peine à dire sa réalité Sinon son visage peinturluré Ah ! Cette facilité De mensonges et de sarcasmes N’est jamais acquise À peine biaisés Elle reste un espoir 8


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Michel Bérard

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Une préoccupation majeure S M arah

«F

Ci-dessus : Lourtis, Martial, 48x47x1 cm.

a si la chanter », dit la chanson ou plutôt le célèbre jeu de feu Pascal Brunner. Un joli programme pour qui aime la musique. Musique qui assouvit les émotions, fait vibrer les cœurs, permet l’expression de sentiments divers, tristes ou joyeux, épousant l’âme à ses moments différents. Bonheur de chantonner, de s’envoler dans la valse des mots sautillant en croches et à contretemps, plaisir de se prolonger dans les blanches et les rondes envoûtantes que l’on aimerait éternelles et qui, quand ponctuées de points d’orgue, font croire à l’éternité. Même si orgue il n’y a point et que c’est plutôt le piano caressant les touches aux couleurs monocordes mais si expressives qui révèle, mélancolique, la brisure ou l’envolée, tout instrument a son langage et parle à son auditeur de sa façon la plus personnelle, que ce soit le violoncelle, langoureusement, le violon sensiblement, le saxophone profondément… Tant de moyens à inventer, tant de bois et de cuivres à manier, la palette est si vaste qu’elle nous donne cet espoir infini qui jamais ne se tarit. Fa si la chanter ou à fredonner, refrains et rengaines à jouer et à réinterpréter, impossible de mettre

la clé sous la porte tant les ondes s’étendent. Oyez, braves gens, sur un engin de Barbarie ou de Bohême, les sons prenant leur plénitude dans des secousses inattendues ou à la fin des mouvements espérés et sauvages. Dansez, amis, sur « Il n’y a pas d’amour heureux » d’un Aragon romantiquement mis en musique. Virevoltez et chopinez sur une valse à trois temps plutôt qu’à quatre (sauf si vous avez un peu trop bu), frémissez sur les concertos et symphonies de l’imposant Ludwig relayé par un Schubert qui le suivra jusqu’à sa tombe… Bien sûr, il ne s’agit pas de suivre à la baguette et derechef un air imposant ou de rien y faire, mais de se caler selon sa tessiture, de se lover au fond des notes graves et gravées ou d’explorer les plus aiguës qui, s’élançant dans la lumière des octaves élevées, dépassent la perception pourtant imaginable, mais alors c’est au poète et au rêveur de prendre le relais du transposable et de franchir la porte des songes qu’il ne se prive pas d’anticiper en passant à travers le mur du son à vitesse grand V… Chance de l’ouïe qui parmi les sens, nous emporte dans ce monde presque parfait qu’a approché un JeanSébastien qui n’a pas de Bach que les fleurs… Dans ce parfum désaltérant, le chanteur se meut et le public venu l’écouter s’émeut de ce tendre instant où la communication est totale, où l’osmose arrive, où le plus intime épisode de l’existence prend toute son intensité par les mots dits et la révérence de ­l’artiste 10

ostrel

illustrant la vie. Identification ou projection qui rend la salle parfois confuse, presque muette, ou au contraire, bruyante dans ses encouragements et applaudissements qui visent à exorciser une histoire ou une situation vécue ou connue qu’il est bon de voir étaler, là, à découvert, faisant du particulier un universel pour se sentir moins seul. Qu’il est puissant ce pouvoir de résister à la folie et au désarroi courants qu’il est bon de jeter sur la scène en reconnaissant son prochain incarné par un porte-parole avouant ses propres faiblesses, langueurs, déceptions, mais capable de remonter jusqu’à une estrade le jetant en pâture à une foule se pressant pour entendre ce que le one-man va bien lui renvoyer. Confusion probable entre l’émetteur et ses auditeurs avec qui s’engage un soliloque intérieur reposant, comme une petite conscience intérieure sifflant la marche à suivre ou à ne pas suivre… Merveille de subtilité induite dans le spectacle à vif d’humains venus participer à l’épanchement des cœurs, que le meneur de la soirée a l’avantage de pouvoir changer à son gré pour divertir le mieux possible un auditoire qui ne veut rester sur le préconçu, mais dans le meilleur des cas, abolir une certitude. Ne serait-ce d’ailleurs pas le propre de l’art d’ouvrir les canaux d’entendement et de remettre inlassablement en question les choses établies ? Rien de contemporain dans la démarche. Juste un sempiternel questionnement, bénéfique, salutaire, nécessaire.


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Facile ! Elle me crie « C’est facile C’est juste une vie entre deux passages Instants entre deux éternels Je suis au début et à la fin qui n’en est pas à lire et vivre en voix haute » C’est juste un message reçu par la main toujours sans ponctuation, mais elle est bien là, en chair et en sourire, en geste, en voix avec moi c’est un rêve du matin gardé toute la journée, ou une manière de vivre ma vie maintenant : une réponse ? À l’inverse, très proche, et si loin de nous, d’autres disent : « facile » du front de la bêtise inter nationale, il faut juste voter, suivre les horreurs du passé, quand il se reproduit, facile au centre de la complication, la plus noire, la plus ordinaire, sans fraternel ni partage, replié sur soi, nombreux en masse où très peu, en pire du religieux, sans regard sur le multiple des êtres de la planète. D’autres, très proches me disent : « C’est pas facile, il y a des papiers à trier sans arrêt, de l’argent vraiment très peu, pour acheter juste le minimum. » D’autres ajoutent : « Quand on a plein d’acquis, nous en voulons encore plus, il y a un manque à combler dans la société du facile. » Moi je disais, les jours de gris, repris par l’ambiant média : ce n’est pas facile, il y a des pannes et un matériel complexe, plus le temps avance et plus j’oublie son fonctionnement. Une journée n’est pas plus longue qu’une heure et je n’ai pas le temps de faire tout ce qui est écrit sur la page de point, marqué, programmé de l’année, écrit au lit, à deux, dans le jour de repos-jeûne : Oui jeûne ! Sans avoir à faire à manger juste de l’eau, lavement, haut de la base à blanchir, pour se retrouver, vivre un instant, oui, mais éternel, qui se rejoue. Pas facile d’être. Et voilà ! Voix là ! que cette histoire se chante. Mais c’est un monde où il y a des âges pour tout, à ne pas dépasser, des normes, des cases, des tiroirs. « Va du côté des anges et écoute », elle entend : « Va où se vivent les autres mondes, où il n’y a pas d’âge pour faire, dans les tranches, friches de liberté cachée. Cachée, mais présente, va chercher les parcelles du tout possible ». Pas facile d’avoir 70 ans et d’être sur la… tombe du chanteur inconnu, tombé, mais pas complètement, il se relève facilement et conte son histoire, fatigué par le long voyage, autour les mots-musiques-images, très autour, allant jusqu’à d’autres vies, de vidéaste, de metteur en scène, d’aidant à toutes sortes de projets d’utopie-piste pour d’autres éclats de tant d’amis, toute sorte de tombés, mais pas complètement, qui

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Claude Yvans se relèvent facilement et viennent l’applaudir, l’entourer un temps. Oui, mais après ? « Positionne-toi avant la fatigue remets-toi chaque jour à cette place Fais ta jeunesse rejoue-la va jusqu’au bout et vois et goutte qu’au bout il n’y a pas de bout Apprécie le facile de continuer d’œuvrer juste pour sa jeunesse Prolonge tu as le temps l’écriture des performances des retrouvailles des rédactions comme celle-ci des moments de rencontres avec les poètes de La Gazette de la Lucarne Opter choisir décider le facile le mérité le temps du difficile est terminé. on a donné plusieurs vies Un rire quand il revient la bonne manière de l’attaquer définitivement Facile quoi qu’il arrive Un cri joyeux Un cri »

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Ci-contre : Lourtis, Été Bitume, 30x40x2 cm. 13


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La fenêtre

Jean-Louis Guitard

Un matin… Un matin de printemps… un homme, semblable à des milliers d’autres hommes, regardait la fenêtre qui lui envoyait son reflet… le reflet d’un homme semblable à des milliers d’autres hommes, épais, ridé, tassé, des lunettes bancales en travers du nez, l’œil las et la peau grasse. Son regard passait de la fenêtre à sa femme… de sa femme à la fenêtre… de la fenêtre à sa femme… épaisse, ridée, tassée, des lunettes bancales en travers du nez, l’œil las, la peau grasse, qui le regardait, et le regardait la regarder. Elle murmura dans une espèce de sourire las, aussi las que sa peau grasse… un vague sourire… une espèce de grimace… « … Tu nous vois, là ?… Dis, tu nous vois ?… » Et lui, aussi las qu’elle était lasse, lui aussi dans une espèce de grimace… « … Oui… je vois… On est devenu

tout ce qu’on voulait pas, au début… » À travers la fenêtre il voyait la rue apparaître, disparaître sous ses yeux comme dans un brouillard… La rue… La rue… La rue… « … Ça fait combien de temps qu’on se parle plus ?… » « … Je sais pas… Dix ans ?… Oui… Ça doit faire dix ans… je crois… » « … Dix ans !… C’est long… C’est long… Et combien de temps on s’est aimé ?… » « … Parce qu’on s’est aimé ?… Hein ?… Vraiment ?… Je m’en souviens pas… Ça se perd dans la nuit des temps… Mais si tu le dis… Quelques jours… peut-être… » « … Quelques jours d’amour… trente ans d’indifférence… et dix encore de silence à pas se supporter… à se détester… à se mépriser… » Assise au bord du lit, dans une chemise de nuit décolorée par les lavages, qui masquait à peine ses seins flasques et ses lourdes cuisses molles, elle dit… redit… « … Tu m’as gâché la vie… 14


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Tu m’as gâché la vie… » Lui, debout, le ventre débordant d’un pyjama en accordéon… « … Console-toi, vas !… tu as gâché la mienne aussi… » Ils ne disaient plus rien… Et au bout du silence, immense, il ouvrit la fenêtre en murmurant… « … La vie… La vie… Cette vie… C’est trop… Ça suffit… Ça suffit… C’est fini… » Il enjamba le balcon. Le printemps, blond, s’étalait tout au long de la rue… de l’avenue… plus loin, sur la place, au fond, passaient des arbres en bourgeons, des oiseaux… Elle se leva… lentement… lourdement… et murmura comme lui… « … Attends !…

Charade naïve

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Cette vie… tu as raison… ça suffit… c’est fini… » Et elle enjamba elle aussi le balcon… lentement… lourdement… grotesquement… Ils se regardèrent… regardèrent le vide… regardèrent la rue… l’avenue… la place, au fond… Il lui prit la main… Il lui dit tout bas… tout bas… « … C’est bizarre… Brusquement, là, maintenant, ta main dans la mienne… il me semble que tout est facile… il me semble que je t’aime… comme on s’est peut-être aimé, avant… » Et elle lui dit… « … Moi aussi… Maintenant… je t’aime… » Et leurs deux corps s’écrasèrent en même temps sur le trottoir d’un matin de printemps.

Lourtis

- Mon premier vient du bas latin qui signifie portrait, dérivé du latin classique qui veut dire : faire, torche, plaisant, forme, aspect, figure… - Mon second est entouré d’eau. - Mon tout n’est pas difficile. 15

Ci-dessus : Lourtis, Casimir Nez de Clown, 31x31x3 cm. Ci-contre : Rose de Mercure, 37x37x2 cm.


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Theme libre

Ci-dessus : Lourtis, Davy Bôbôl, 55x56x5 cm. Lola, 50x50x1 cm 16

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Vision

Juillet-août 2015

SOMMAIRE

Madeleine Melquiond

Page 17 Vision, M. Melquiond Page 18-19 Dans une vallée de Norvège V. Laroussinie Page 20 De rien, J. Grieu Page 21 R

imbaud

Quand poète rime

avec assiette…,

B. Testa

Page 22 -24 Clermont-Ferrand, J.-L. Guitard Page 25 Cher Giuseppe, S. Desbois

D

ehors régnait le calme hypnotique des nuits de neige. Les réverbères formaient des halos dorés sur la glace où les pattes des mouettes avaient dessiné des arabesques. Tout en fumant, l’homme suivait des yeux ces dessins aléatoires, sommeillant à demi, quand il lui sembla voir, non des traces d’oiseaux, mais celles de patins à glace. Des bottines apparurent, puis des collants et une cape blanche, un manchon et pour finir, le visage rosi par le froid d’une jeune fille au large chapeau. Elle était assise dans une sorte d’embarcation en forme de cygne, suivie de vagues silhouettes évoquant le bestiaire naïf d’un manège d’enfants : cheval, cochon, canard, soucoupe volante. En regardant mieux, l’homme vit que c’étaient des traîneaux. Soudain celui de la jeune fille en blanc entailla la surface. Autour de l’impact, la glace se lézarda libérant une eau frissonnante. La passagère pâlit en voyant la glace se disloquer autour d’elle. Dans un geste insensé, elle jeta son manchon dans l’eau.

L’homme avisa une barque à l’arrêt, y prit un bout qu’il lança à la petite silhouette épouvantée. Elle saisit le cordage et perdit son chapeau. Il la hala vers le bord, saisit une main toute froide et aida la jeune fille décoiffée à mettre pied à terre. Sa cape se déploya autour d’elle. Elle baissa les yeux avant de murmurer : « Grand merci. Que Dieu vous bénisse ». Un monsieur élégant s’avança alors, très ému : « Vous avez sauvé ma fille. Dieu vous en sera reconnaissant ». Il lui glissa dans la main une pièce d’or. L’homme trouva qu’il y avait un peu trop de Dieu làdedans, mais apprécia la monnaie. Il regarda s’éloigner le tourbillon de la cape blanche remplacée par le plumage d’une mouette. Plus de traîneaux, plus de patineurs. Il vit les lumières électriques des maisons alentour tremblant dans le brouillard et perçut le râle d’une moto.

Page 26 Brouets, J. Grieu Page 27 

Montmartre, J. Lambert

Néons, J. Lambert

Page 28-29 

Qui s’est choisi ?, Maryz

Bretagne, J. Lambert

Page 30 

Il suffit d'aimer, J.-L. Guitard

Un texte, M. Bérard

Page 31 Ci-dessus : Lourtis, Firmin, 49x49x2 cm. 17

Saupoudrages, J. Grieu


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Dans une vallée de Norvège Victor Laroussinie

C’

est l’aube, le ciel va prendre des couleurs. C’est l’aube et l’espace d’un instant, la blanche vallée du Nord se teintera de rose. C’est l’aube. Oui, la nuit est passée, ils l’ont traversée, ils ont faim. Ils ne veulent pas encore sortir et pourtant il faut se lever. Il se lève alors. Il n’a rien pu vendre hier à Hillua, dans la vallée au sud, il n’avait rien chassé. Il fait sombre, les dernières flammes du feu vacillent, il ne reste que des braises. Le chalet est isolé sur le col de la montagne, tourné vers le nord, devant la forêt qui descend sur l’autre vallée ; sauvage, de l’autre côté du col, de l’autre côté du monde, loin des hommes. L’horizon pâlit. La nuit diluée dans le ciel mouche ses bougies. Une à une les étoiles s’éteignent. L’aurore est levée elle aussi, elle trempe ses lèvres aux reflets scintillants de la vallée, son rose s’y étale. Elle s’observe, son miroir de glace lui est dévoué : elle reste la plus belle. À présent, il faut partir chasser. Au fond, quelque chose respire, un ventre gargouille. Quatre têtes émergent des plis d’une fourrure épaisse, douce. Ils ont faim. Ici, il fait chaud, mais son ventre la brusque, elle doit sortir, elle doit nourrir ses petits. Hésitation, l’Homme doit être dehors. L’aube a quitté la vallée, satisfaite de son reflet. Ils s’accrochent, mais elle doit partir. Dans le noir, seules leurs agitations les rendent réels. Il faut qu’elle parte. Elle s’engouffre dans le boyau, sort. Une brise glaciale percute son museau. Dehors le froid est mordant et la neige, douce au départ, pénètre lentement ses

membres et les engourdit à chaque pas. Elle frissonne, avancer lui est pénible. Elle en a jusqu’au ventre de cette poudre qu’elle frôle, vaisseau intrépide, sur des flots calmes, mais écumeux navigant, navire affamé. Rien ne bouge, pas une vibration ne trahit la course d’un lemming, d’une musaraigne, d’un petit corps chaud et inconscient qui trotterait sous terre, parmi les germes d’une flore promise pour la vallée. À t­âtons, elle traverse le val, en alerte. Elle chasse. Rien dans la vallée. Elle est à la lisière du bois qui s’étend sur le flanc de la montagne. Devant elle des arbres sans feuilles défient l’hiver, jouent aux morts, immobiles. Ils se dressent, fermes. Plantés au sol, ils s’étirent dans un ciel où ils restent figés, doigts écartés, ongles recroquevillés ; ils le découpent, en grattent la voûte spongieuse. Cet îlot noirâtre en haut de la colline, cette baraque délavée, ces planches irrégulières qui menacent de s’écrouler, cela donne mauvaise impression… mais à qui ? Pas à lui, il n’en voit rien. Il ne veut pas retourner avec les hommes, en contrebas, dans ces amas d’ardoises, épars, entre les pieds des montagnes. Non. Ceux-ci sont prisonniers des grandeurs, pour eux trop sombres ou trop claires, où ils sont encastrés. N’osant s’y aventurer, ils y sont aveugles. Lui ne veut pas être aveugle, il ne veut pas voir les choses de leur point de vue et entrer dans leur réalité, fausse, niée parfaitement par ce qu’il a en ce moment même sous les yeux, l’immensité de la nature. Parfois, il ferme les yeux, tout ce qui lui 18

manque, au fond, serait peut-être un sourire. Alors il cherche. Une vieille femme le regarde, elle a une petite fille sur les genoux dont les yeux sont brouillés ; elle a dû se faire mal, on lui sourit, elle ne pleure plus. Cependant, la scène ne dure guère ; il revoit le marchand de fourrure d’Hillua auquel il vend le produit de sa chasse quand ce n’est pas au boucher. Il lui sourit et pourtant, cette expression sympathique a quelque chose d’effrayant. Les traits, les plis qui apparaissent le rendent laid et les sillons alors creusés qui remontent son visage lui confèrent un masque terrifiant. Son souffle s’arrête quelques secondes, de l’autre côté il y a l’Homme, mais elle doit y entrer, la faim la tiraille et elle doit également nourrir ses petits. Il rouvre les yeux, il a perdu trop de temps. Le fusil en main, il avance vers la masse sombre du bois où les éclats pâles du ciel s’éparpillent. Le sentier n’est plus tracé, il n’existe qu’au printemps et en été, quand les feuilles mortes et la neige ne le dissimulent pas dans la volonté d’égarer cet être intrusif et fragile, seul, l’Homme. Mais lui, il connaît la forêt, il voit chaque tronc, chaque branche, d’une façon unique. De jour, elles ne peuvent le tromper et il descend avec assurance la pente vers la vallée. Les arbres défilent, aucune ombre ne se dessine à terre. Le soleil est recouvert d’un fin voile qui feutre sa lumière. Il reste visible dans l’infini du ciel ; sans éclat, halo blafard, il se réfléchit dans la neige. Cette atmosphère lui est indifférente. Il a depuis longtemps


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cessé tout rapprochement entre émotivité et nature. Ce simple fait, pour lui, de se laisser envoûter par un crépuscule flamboyant et l’instant qui suit de sombrer dans une noire déception alors que la couleur abandonne le ciel, se sentant soudain trahi et seul, il n’en veut plus. Par conséquent, voilà une scène qui simplement l’intéresse ; ce tableau où ciel et terre confondus dans leur lueur translucide se touchent, liés par la passerelle des arbres, suspendus à leurs racines, ancrés sur leurs branchages, qui unissent deux pôles jusqu’alors désunis. Elle pénètre dans la forêt. Il scrute, en vain. Elle s’aventure plus haut, longe les troncs, rase le sol. Il est presque en bas, il voit la vallée… Il glisse sur une plaque bleue de verglas. Elle fait volte-face, elle l’a senti sous ses pattes, l’Homme est dans la forêt. Il se relève. Elle doit retourner en bas, elle est trop en hauteur, trop près du danger. Il s’est relevé, il a vu quelque chose bouger, plus haut, entre les troncs. Quelque chose de blanc, qui rôde, quelque chose qui a senti sa présence. Il la voit, son regard la transperce. Il reste figé, il ne doit pas la perdre de vue, cette forme immobile ­deviendra peut-être son gagne-pain. Elle est chassée, elle le sait. Il doit réussir à l’amener en bas, la forêt y est plus jeune, les troncs y sont plus sombres qu’au-dessus où les bouleaux sont majoritaires ; la robe de l’animal se détachera mieux sur l’écorce des arbres et les balles atteindront leur cible plus certainement. Elle reste sans mouvement. Avec une couleur pareille, il ne peut s’agir que d’un loup ou d’un renard, la taille sera déterminante, mais rien ne bouge. Elle veut tenter sa chance, elle va s’élancer vers la vallée. Il n’y a aucune tanière si haut, la bête voudra s’en retourner vers

la vallée, il y a des pièges dans la partie ouest de la forêt, dans la pépinière, il les a installés au début de la saison. C’est décidé, elle bondit, se rue entre les arbres, vers la pépinière, pour contourner le danger. Il la voit détaller, un éboulement lui indique la piste à suivre. Ce n’est pas le chemin le plus court, mais elle sèmera le chasseur. Il la suit. Elle aborde la pépinière. À présent, il peut suivre les traces. Les épines sous la neige lui lacèrent le dessous des pattes. Il ne peut tirer en courant, mais restent les pièges. Oui, par là. Il n’est pas loin derrière, ses pas, lourds, résonnent dans tout son corps. Elle… Sa patte arrière gauche est saisie, quelque chose vient de s’y refermer. Elle laboure le sol de ses griffes antérieures. Rien à faire, entraînée vers le haut elle est projetée contre les branches les plus basses du pin qu’elle venait de dépasser et se retrouve suspendue, des épines dans le museau. Quelque peu essoufflé il la voit, le piège a fonctionné. Il s’approche. Quelle blancheur, sublime ! C’est une renarde polaire, elle est jeune, elle est immobile. Sa fourrure est d’une rare pureté. Tout est en suspens, il le sait, deux consciences différentes sont en présence l’une de l’autre. La corde pivote un peu. Le flanc puis le ventre de la femelle apparaissent, ses mamelles sont gonflées, elle est mère. Son regard glisse vers le sien. Là, un œil d’un bleu glacé le dévisage, plein de colère et de détresse, mais elle ne bouge pas. Un long moment s’en suit. Un moment de lutte, de volonté. Elle espère encore. Il ne veut pas faiblir. Pourtant une incroyable lumière de vie jaillit de cet œil bleu, elle s’engouffre en lui, elle gagne du terrain, elle le défie de sa fière insolence. Elle le voit très nettement il est devant elle. Il ne cèdera 19

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pas. Cette coulée de lave bleue se déchaîne en lui et le submerge, elle déferle vers le centre de sa volonté, l’engloutit. Il cède, un couteau luit dans l’air frais d’une forêt du Nord, la corde est coupée. Retombée d’aplomb, le membre postérieur gauche endolori, étourdie, elle reste statique encore quelques secondes. Il la contemple, il a choisi de laisser la vie… il a été contraint de laisser la vie, repoussé, fantastiquement nié d’une sphère où il pensait avoir des droits. La vallée est toute proche. Dans un soubresaut, elle disparaît de sa vue et, ventre à terre, elle fuse vers le terrier, fendant en deux la neige sur son passage. Elle est encore en vie.

J’ai 15 ans et j'étudie au lycée

Le regard dans le vague, il finit par remonter le flanc de la montagne, quittant la pépinière et ses arbres épineux, couverts de lourds et froids duvets blancs. Oui, il a été ému. Pourtant, alors qu’une encre noire se diffuse dans les cieux et assombrit le ciel norvégien, il ne ressent aucune tristesse. Il a compris sa vulnérabilité, pour la première fois, il s’est déversé dans ce monde qui l’entoure et alors, soulagé d’avoir rompu la corde, il n’a plus été nié par celui-ci. Revenu en son sein, acceptant sa condition, il voit enfin dans le noir. Demain, il retournera vivre parmi les siens, de l’autre côté de la montagne. Son fusil, il le gardera, en apparence rien n’aura changé. Il vivra avec les hommes et sera Homme, mais il restera en éveil, formant un tout avec eux et ce monde dont l’unité et la réalité lui seront propres. Dans une plaine de Laponie, l’obscurité la plus totale couvre la fourrure d’une mère rassurée ; vivante, elle s’est enfin nourrie. Elle frôle les parois chaudes de la terre. Devant elle on s’agite ; ils ont faim.

Louis-le-Grand. J’ai toujours un peu écrit et ce concours de nouvelle a été pour moi une belle occasion de me lancer dans un projet qui allait enfin aboutir. Marre des amorces de textes éternellement remises aux archives, j’ai beaucoup apprécié le fait d’avoir enfin achevé quelque chose. Fruit de ma deuxième tentative d’écrire un texte pour le concours, cette fois-ci non préparé, il m’est venu plus naturellement à l’esprit au cours de quelques réflexions sur nous, les êtres humains, et notre rapport au monde. V. Laroussinie


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juillet-août 2015

De rien Jacques Grieu

Trois fois rien, c’est très peu, mais deux fois rien, c’est moins. Une fois, un seul rien, c’est juste un fifrelin. Question de quantité ? Mille riens c’est beaucoup, Mais cela suffit-il à former un vrai tout ? Dans le néant aussi, ce serait plein de riens ; Oui, mais combien de riens pour un néant chrétien ? Faut-il que « rien de rien » s’oppose à « rien du tout », Que ce soit « tout ou rien » comme un passe-partout ? Comme on n’a rien sans rien, certains recherchent tout. Se battant pour des riens, ils se cognent partout. On sait que « propre à tout » vaut souvent « propre à rien » Montrant que tout et rien ont parfois de forts liens. À celui qui n’a rien, l’avenir promet tout. Le moindre petit rien, pour lui, compte beaucoup. D’ailleurs, il ne craint rien, tout et rien sont pareils ; Il ne vit que des riens qu’il voit à son soleil. Est-ce un morceau du « tout » quand on dit « rien du tout » ? Ce rien, extrait du tout, serait-il, peu ou prou, Plus gros, plus important que les riens ordinaires ? Un rien ventripotent ? Un rien contestataire ? Si « tout » est plein de riens, alors, on le suppute, Ce tout n’est plus un tout si d’un rien on l’ampute. Il s’en faut d’un seul rien : c’est un tout anormal. On a là un faux tout, un tout un rien bancal. Notre œil ne peut rien voir si l’esprit ne regarde ; Au récit du « big bang », la science se hasarde. Du rien, du grand néant, a jailli l’étincelle ? L’étincelle du tout, du tout universel. Mais d’où sortait ce rien qui a créé le tout, Et qui, mine de rien, nous impose son joug ? À la poule, les œufs n’ont jamais rien prédit : Le vrai commencement reste encore non dit.

Ci-dessus : Lourtis, Isidore ou Erodisi, 45x40x1 cm.

Il y eu donc un rien moins vide que néant, D’où est sorti le tout en un bond de géant. Ce rien cachait le tout et soudain, par magie, Il y eut un début, l’explosion d’énergie ? Qui a prévu la fin ? La Bible n’en dit rien… Et même les savants ne la sentent pas bien. Beaucoup de bruit pour rien : le « tout » nous reste obscur ; Une chose est certaine : il n’y a rien de sûr… 20


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Rimbaud

Juillet-août 2015

Bruno Testa

Quand poète rime avec assiette… Quand poète rime avec assiette… Le 27 juin a été inauguré le nouveau musée Rimbaud. Après un an et demi de travaux, le Vieux-Moulin a fait peau neuve. Du moins à l’intérieur. L’occasion peutêtre de rappeler comment l’enfant prodige et prodigue de Charleville est devenu un mythe planétaire. Rétrospectivement, on se dit qu’Arthur Rimbaud avait tout pour toucher le xxe siècle et ce début de xxie siècle. L’enfance rebelle tout d’abord dans notre époque où la jeunesse est sacralisée. Rimbaud, c’est l’ancêtre ou la matrice de James Dean, du Marlon Brando de L’Équipée sauvage, c’est La Fureur de vivre de Nicholas Ray. On ne s’étonnera donc pas que le monde du rock se soit intéressé à la trajectoire Rimbaud. En premier lieu Bob Dylan dont les textes de la période Blonde on Blonde ont de curieuses résonances avec ceux de Rimbaud. Le chanteur des Doors Jim Morrisson, dont la trajectoire tragique fait immanquablement penser au poète de Charleville, avait toujours Une saison en enfer sur lui. La chanteuse Patti Smith revendique fortement son influence. On ne compte plus les voyages qu’elle effectue à Charleville, et elle le cite abondamment dans son autobiographie Just kids. Sardou chante Rimbaud En France, l’anarchiste Leo Ferré le met en chanson. Côté chanson française justement, les références à Rimbaud, se multiplient chez des gens aussi divers que Higelin, Renaud, Sardou, Michel Delpech, Barbara, les frères Jacques, Serge Reggiani, Jeane Manson. Autant dire qu’il y a à boire et à manger. Côté littéraire, Rimbaud a une audience internationale. Henry Miller, le plus européen des écrivains américains, ne pouvait pas manquer le poète « aux semelles de vent ». Il lui consacre un essai intitulé Le Temps des Assassins. La Beat Generation, qui conteste la société de consommation américaine des années 1950-1960 et lorgne du côté de l’Orient, reconnaît en Rimbaud un précurseur. On pense à Kerouac dont le Sur la route a été emblématique pour toute une génération. Même culture catholique et paysanne, rapport fort avec la mère, même bougeotte.

Kerouac a d’ailleurs consacré un poème à Rimbaud. Ginsberg fera le déplacement à Charleville, et notamment à Roche d’où il rapporte un poème : « Roche rock ! » En Europe de l’Est, La vie est ailleurs, du tchèque de Milan Kundera, nous fait penser à la phrase rimbaldienne « La vraie vie est absente ». String Rimbaud Mais dans une société marchande qui récupère tout, un mythe se transforme fatalement en produit. Dès février 1902, le Mercure de France fait la publicité pour un modèle réduit du buste de Rimbaud inauguré le 21 juillet 1901, square de la gare de Charville. Un buste de 25 cm de haut au prix de 7 francs en plâtre et de 100 francs en bronze à souscrire auprès de… Paterne Berrichon, le beau-frère posthume de Rimbaud. Le commerce Rimbaud venait d’être lancé. Plus tard, le nom même de Rimbaud devient un signifiant à lui seul, fait office de balise sur la couverture d’un livre. Au hasard : Rimbaud dans ses œuvres de Thierry Reboud, roman où l’on voit Rimbaud avec un pistolet à la main ; Miss Rimbaud, de Roger Maudhuy ; et plus récemment Le Fémur de Rimbaud, de l’Ardennais Franz Bartelt. Les vers de Rimbaud se muent en slogans publicitaires ou politiques. « Changer la vie » devient ainsi le programme du Parti Socialiste en 1972. Veut-on attaquer la gestion de la ville de Paris ? Un certain Étienne Marcel n’hésite pas à intituler son brûlot Le bateau ivre et à rajouter, au cas où l’on n’aurait pas compris la référence rimbaldienne, « abracadabrantesque » sur un bandeau ! Les revues aussi le récupèrent, l’enrôlent impunément dans leurs voyages exotiques, publications sur l’adolescence ou croisades en faveur de l’homosexualité. On arrive ainsi à cette « alchimie » que n’avait pas prévue l’auteur de Lettre du Voyant. Plus besoin de lire la poésie de Rimbaud, le seul nom de l’auteur suffit à opérer la magie. C’est ça qu’on appelle « rimbaudmania » (voir le catalogue de Claude Jeancolas, éditions textuel). Rimbaud devient mûr alors pour les assiettes, bols, tasses, télécartes, t-shirts, caleçons et même string (!) à son effigie. 21

Extrait de D’Arthur le voyou à l’idole Rimbaud. Histoire du musée Arthur Rimbaud (éditions Groupe PMR). Bruno Testa vient également de faire paraître un roman en forme de nouvelles : Lettres de mon Moulin-Rouge (Utopia éditions).


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juillet-août 2015

Clermont-Ferrand Jean-Louis Guitard

Connaissez-vous Clermont-Ferrand ? Ah Clermont-Ferrand ! C’est une ville magnifique, chlorhydrique, chromatique, excentrique, une ville de cafés à ressorts mous, d’hôtels en caoutchouc, de huttes, d’igloos, de gourbis, blottis au nord du bord de l’Adriatique, sous les palmiers, les baobabs et les fraisiers. Clermont-Ferrand… J’y suis. Aujourd’hui, j’y suis. Vous devriez y venir aussi. Ne croyez pas que ce soit compliqué. C’est, au contraire, d’une extrême simplicité. Pour aller de Lyon, si vous êtes à Lyon, à Clermont-Ferrand, plutôt que l’avion, la libellule ou la charrette à bras, prenez le bateau à vapeur… celui qui n’a plus de teinte… celui qui date de Mathusalem… Il passe par Paris, Brindisi, Chambourcy, Edimbourg et Tokyo,

Québec et Bornéo, Louqsor, Chandernagor, et entre au port de Clermont-Ferrand vers les cinquante-quinze heures de l’après-midi… ou après… à peu près. Là, sur le quai qui sert de promenade, assis ou allongés, vous pourrez observer les sampans qui reviennent, cales pleines, de la pêche au boléro ou au poisson-marteau… Vous pourrez écouter chanter les ténors dans leurs trompettes de Jéricho, où l’on ne va jamais, mais dont on parle souvent… Vous flânerez sous les arcades dans les parfums blonds des cascades de citronnades, de pendules ébouriffées, de canapés à mantilles… Et, à un moment, le vent frais, léger, écartera les feuilles des baobabs. Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de baobabs à Clermont-Ferrand… 22


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au milieu des rues, à travers les places, tout au long des plages et dans les potages des enfants… C’est le royaume, l’empire des baobabs, Clermont-Ferrand ! Quand on entre dans leur feuillage on se trouve au centre des planètes, des étoiles, des comètes, de la lune et de tous ses cousins… et de toutes ses cousines… dont on tombe amoureux éperdument… éperdument… et qui, éperdument, vous aiment autant que vous les aimez… Vous ôtez votre manteau, vos regrets, vos lassitudes, vos servitudes, vos solitudes, et vous devenez en un pied de nez princieux ou princiesse, roissieux ou roissiesse du Limousin, de la Bohème, du feu et du vent… et même de Clermont-Ferrand… étourdis, alanguis, éblouis.

Plus de naissances. Plus de morts. Plus de mort. Vous rendez-vous compte ?… Plus de mort. Savez-vous ce que c’est, la mort ? Le savez-vous ? Le comprenez-vous profondément, horriblement ? La mort… Fini la vie !… Fini les châtaigniers à la lisière des champs, les roseaux des étangs, les sifflements des crapauds dans la nuit, les lumières du petit jour, les chants des rossignols, les pins parasols qui glissent vers la mer, les jardins ensoleillés… fini les villes encombrées, les pluies glacées, les bousculades, les bistrots, les musiques… fini les bruits, les vacarmes, les silences, les rires les fous-rires, les violences… La mort… La mort… Les corps inertes de ceux qu’on aime… Et la vie sans leurs voix, 23

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Ci-dessus : Lourtis, Basile, 45x45x2 cm. Stanislas, 43x43x1 cm.


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sans leurs regards, sans leurs gestes… la vie qui continue dans son absurdité, son inutilité… et toutes les beautés du monde qui continueront d’exister sans nous… Sans nous. Fini les je t’aime, les caresses, les membres mêlés, entremêlés dans leur désir… Fini. Fini, tout !… Mais là… là… plus de mort. Plus de mort, de remords, de raisons, de torts, d’illusions, de mirages… Rien que l’amour. L’amour. Et l’éternité s’éternise… Et la brise fraîche, douce, berce les branches, les troncs, les feuilles des baobabs, et berce l’existence de tous ceux qui se chantent, se dansent un bonheur de chair, de sang et de rêve à jamais… À jamais. Clermont-Ferrand s’envole, 24

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s’enroule, s’endort, tranquille dans ses baobabs, entre l’éclat d’argent du Kilimanjaro, et le flot musical du lourd Mississippi, entre les transparences des soirs et des matins, entre les chants des coqs et les fils des pantins, entre les dieux qui restent et tous ceux qui ont fui. Clermont-Ferrand s’étend au creux des galaxies. Et c’est de là, d’ici, que je vous écris… à vous que j’aime. Je ne retournerai pas à Lyon. Ni ailleurs. Je finirai ici. Éternel. Rejoignez-moi ! Rejoignez-nous, l’amour et moi… Je vous attends. Tout vous attend… Tout… Oui, tout et loin de tout… Un bonheur infini… Venez !… C’est simple !… Si simple !… Pour aller de Lyon à Clermont-Ferrand, si vous êtes à Lyon, plutôt que l’avion, la libellule ou la charrette à bras, il suffit de prendre, à Lyon et à l’heure, le bateau à vapeur… toujours le même… celui qui date de Mathusalem… Jean-Louis Guitard


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Cher Giuseppe, Sylvia Desbois

J’

ai planté selon votre désir des fraises dans mon carré de roses et il s’est produit un événement miraculeux elles ont pris la forme d’un cœur et paraissaient ­juteuses Je me promenais j’ai imaginé votre tango votre allure de Rudolph Valentino portant une fraise Sur un mur végétal nous dansions parmi les fraises des bois nous tenions en équilibre et nos souvenirs nous rappelaient que nous nous étions aimés d’un amour platonique spirituel recherchant tous deux une dimension spatiale J’avais devant moi un cœur que je n’osais effleurer tellement son parfum me ravissait Fraise Henri IV portait en corolle sur le sofa un solitaire à m’émouvoir parmi les cheminements des curieux Dans le sous-bois des cerises guerrières offraient leur parure sur un ambassadeur Je goûtais avec délice ce gâteau que j’avais appris dès mon enfance Il faisait penser à une charlotte

Un oiseau migrateur passait par là et exécuta des cercles comme s’il avait aperçu une proie Il avait l’œil perçant, mais ne pouvait franchir le couloir d’odeurs bienveillantes Vous avez esquissé quelques pas avec une soupirante qui avait une certaine aisance en haut vol vous lui avez appris le GDY qui est une botte secrète du tango Elle avait une fraise tatouée sur la hanche droite et une allure altière De sa hanche se dégageait une essence fruitée et lorsqu’elle dansait se dessinait un carré de roses Ses pieds caressaient la paroi avec sensualité et nous offraient un dessert vanillé Tout son corps était un fruit savoureux à la fois goûteux avec un brin d’épices des îles Une géométrie savante de cœur fraise nous envahissait et le tango prenait une couleur rosée de printemps De délicates fleurs blanches s’épanchaient en vrilles musicales sous le soleil C’était une journée où il était de bon ton de ramener sa fraise !

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Ci-dessus: Lourtis, Timothée, 43x43x3 cm. Ci-contre : Boris, 43x43x1 cm.


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juillet-août 2015

Brouets Jacques Grieu

Même dans mon enfance, encore pas bien grand, Je posais des questions sans cesse à mes parents. « Grandit, bois donc ta soupe, on verra ça plus tard ! » Après beaucoup de soupe, et voyant mon retard, Mes questions repartaient. Dégoûté du potage, J’entendais les réponses : « Attends ! Et reste sage ! » J’ai donc laissé mûrir, mais n’ai toujours rien vu. « Attends donc la retraite, il faut avoir vécu ! » Maintenant retraité, je suis toujours déçu ; Personne n’est plus là, qui m’aurait répondu. J’ai soupé de la soupe et ne veux plus l’aimer ; Que ce soit du bouillon, le meilleur consommé, Garbure ou velouté, goulasch ou minestrone, Me donnent l’impression que quelqu’un m’empoisonne. La bisque ou le pistou, le brouet de bécasse, Sont devenus pour moi, des soupes à la grimace. « Vous crachez dans la soupe », ont dit certains quidams Sans voir que dès l’enfance, il y avait ce drame. Sur la tête, un cheveu ne se remarque pas ; Mais s’il est dans la soupe, on en fait tout un plat. Pourtant, la soupe aux choux, je ne peux m’en passer. D’ailleurs, Molière aussi nous a bien énoncé : « On vit de bonne soupe et non de beau langage ». « Qui soupe bien dort bien », a ajouté le sage. Et puis, dans un vieux pot, on fait de bonnes soupes : Quand on a moins de dents, la soupe a vent en poupe… Plutôt que « pas de soupe », ôtons donc la cuillère : La soupe on peut servir sans verser la soupière ! « Par ici bonne soupe », aurait dit Henri IV Goûtant sa poule au pot sans se laisser abattre. Ce qu’hostie est à messe, arme l’est à la troupe, Les légumes au potage et le chou à la soupe. Une vie sans danger n’est que soupe sans sel ; Le pleutre, à la goûter, se dit qu’elle est mortelle. À se lever trop tard, on trouve soupe froide : L’indécis, hésitant, mange de la panade, Et donc, pour tout potage, il n’aura que des restes, Pestant contre la vie au brouet indigeste… Comme on fera la soupe, on boira le bouillon ; Ne chauffons pas la mer pour cuire le poisson ! 26


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Juillet-août 2015

Jacques Lambert

Montmartre Il semble bien lourd Le Sacré-Cœur... Bien lourd Sur le dos De la Butte… Si lourd Que la Butte Pourrait s'effondrer Sur elle-même Jusqu'à ses pieds De Blanche et de Pigalle. Alors, les hordes de lilliputiens Qui s'agrippent À ses flancs Seraient englouties Dans le vide Des carrières oubliées. Alors, les besogneux Qui persévèrent Dans la barbouille Seraient emmurés Dans des galeries Sans cimaise. Alors, les vendeurs De colliers africains Rejoindraient Les marchands de sodas Dans les caveaux De Saint-Vincent. Alors, Montmartre Redeviendrait la campagne Des moulins en goguette Et la terre de bohème Qui donne du génie À tous les vrais artistes.

Néons C'est chaque fois pareil à la fin de novembre. Je ne broie que du noir en sortant de ma chambre. De Charonne à Brochant, de Grenelle à Maubert, Je ne vois plus un seul de nos vieux réverbères. Ce ne sont que néons de Javel à Pantin, En passant par Cadet et le Quartier latin, Pour blanchir un peu plus les tout derniers pavés Qui, des excavateurs, ont pu être sauvés. De la place du Tertre à la place Balard, Le néon a percé de ses halos blafards Nos comptoirs d'autrefois, nos bars de noctambule. Mes yeux ne parlent plus à mon cœur somnambule. Je marche ainsi sans but dans mes nuits bistrotières, Parcourant les deux monts que des peintres portèrent. Le nez un peu rougi de beaujolais nouveau, Je pleure sur Paris au bord d'un caniveau. 27

Ci-contre : Lourtis, Lorenz, 43x42x2 cm.


no 80-81

Qui s’est choisi ?

U

n seul regard de loin, de plus de quinze ou vingt mètres. Un regard long et immobile. — D’où viens- tu, toi ? me suis-je dit. Je n’osais ni bouger les yeux ni avancer. — Que vastu faire ? Lequel de nous deux a bougé le premier ? Je ne sais. Je me souviens d’avoir ressenti une peur énorme. Une peur panique que tu ne reviennes pas. Le lendemain, dès l’aurore, je t’attendais : tu es venu. Toujours à plus de quinze ou vingt mètres. C’était le début de l’été. L’école était sur le point de finir. C’était le temps des fraises et des grandes solitudes, à l’ombre derrière la maison. Oui, peutêtre avec toi ont vraiment commencé mes longues assises sur la marche de béton, avant même l’installation d’un auvent translucide. Jamais elles ne se termineront. Vingt-cinq ans plus tard, je serai là, encore, mais alors tout sera différent.

Ci-dessus : Lourtis, Prisca, 57x60x5 cm.

Je t’observais, toi aussi du reste, sans que j’en aie conscience. J’avais sept ans, je finissais mon année de CE1. Année extraordinaire. J’arrivais dans une nouvelle école. Pour la première fois de ma vie, je découvrais un autre monde. Un monde hostile ? Oui, à mon sens. La maîtresse était froide. Les enfants, étrangers. Je ne connaissais personne. Et personne ne me connaissait. Durant le premier trimestre, je ne parlais à quiconque. J’étais assise à l’un des premiers rangs. Je me fondais dans la masse. À la récréation, ­j’entendais

les maîtresses parler de mon frère, plus âgé de deux ans. J’avais conscience de ses difficultés. À la maison, Maman prenait du temps, le matin, pour lui faire réciter ses leçons. Je devais me taire. De toute

façon, je ne me serais pas risquée à le faire. Je me souviens pourtant en avoir eu fortement envie. Toute cette scolarité primaire, j’ai eu envie de l’aider. Son agressivité à mon égard, quand je lui parlais, son rejet physique qui se révélait par le fait de refuser de marcher à mes côtés… Pourtant, nous allions à l’école ensemble, laissant les vélos à plus de deux kilomètres de l’école. Je me suis habituée à rester en retrait, je parlais seule, je chantais surtout, en catimini. Il ne supportait pas de m’entendre. Puis, elle est apparue. Je me souviens de son arrivée comme celle d’une fée. Je ne sais qui s’est choisi. Est-ce elle, est-ce moi ? Barbara, elle se nommait Barbara. 28

juillet-août 2015

Maryz

Barbara était plus âgée que moi, huit ans, neuf ans, peut-être dix. J’ai passé une année magique et mémorable, grâce à elle. Elle ne connaissait personne. Elle venait de Somalie et avait été adoptée par des gens de ce coin de campagne. J’ai changé de place dans la classe pour rester près d’elle, au fond. La maîtresse était contre. Mais je me rappelle avoir réussi à m’installer près de mon amie. On passait les récréations dans la classe. Nous avions créé un monde. Notre amitié était fusionnelle. Nous parlions tout le temps, même si elle peinait à parler français, et nous nous aidions. Quand elle est partie, nous avons beaucoup pleuré… J’ai longtemps gardé sa photo. À peu près à cette période, je t’ai vu pour la première fois. Tu m’intriguais, car tu étais différent. Surtout, tu avais peur ! Je ne comprenais pas pourquoi, mais je ne pouvais rien n’y faire. Quand mon père est passé près de moi pour aller ouvrir le toit des poules, je lui ai dit : « Tu as vu le chat blanc, tu sais d’où il vient ? » Mon père a toujours répondu à mes questions. Parfois, je devais les poser plusieurs fois. Il restait souvent dans ses pensées. Jamais il ne m’a rejeté, au pire il était silencieux. Une seule fois, il m’a dit vertement de m’éloigner de lui, je m’en souviens, mais je ne lui en ai pas voulu. Je suis allée chanter un peu plus au loin, dans un champ voisin. Ce n’était pas facile pour lui. J’en avais conscience. Ce matin-là, il a pris du temps pour


no 80-81

moi. Il adorait les chats. « Il a dû être abandonné, je le vois depuis une dizaine de jours, il doit avoir faim, il a dû être battu, il a peur des humains, tu peux l’apprivoiser si tu restes à l’attendre, sans bruit et sans bouger, il faut qu’il s’habitue à toi ». La seule fois où mon père m’a parlé autant… Ainsi, je suis restée des jours et des jours à te regarder. Tu venais toujours au même moment, mais je t’attendais à l’avance. Après plusieurs semaines, tu t’es approché. Un peu d’abord. Je te parlais, je t’appelais. Je te nommais Petit Prince. Tu t’es habitué à ce nom. Puis tu as accepté que je te caresse. Tu étais peureux. Au début, tu repartais après deux minutes. Je faisais très attention de ne pas te brusquer. Durant cet été, j’ai fait de toi mon ami. Tu m’attendais le soir, sur la fenêtre de la cuisine. Je te parlais tout le temps. Tu étais souvent de mauvaise humeur, mais je parvenais à te faire ronronner. Personne ne pouvait te caresser en dehors de moi, sinon mon père. Tu avais une trouille bleue des humains. Et tu ne t’entendais pas avec les autres chats de la maison. Tu avais, grâce à mon oncle Roger, un fauteuil pour toi. Je le posais près de celui que j’ai reçu de mon frère aîné, peut-être grâce à toi. Il lui était destiné, mais il se trouvait trop grand pour le garder. Nous trônions ainsi l’un près de l’autre, dans nos fauteuils en rotin, face à la télé au moment du goûter. Tu as partagé ma vie pendant plus de deux ans. L’année de mes neuf ans, mon frère aîné est parti en pension. Plus personne ne s’adressait à moi, même de loin en loin. Au printemps, un jour, tu as disparu. Je t’ai appelé. J’ai hurlé ton nom dans la campagne. Tu n’es jamais revenu. On ne t’a jamais retrouvé. Les chasseurs ? Un piège ? Trop de peine, jamais plus on ne m’y reprendra !

Juillet-août 2015

Bretagne Jacques Lambert

Gardons le souvenir de la rade de Brest, De ses bistrots marins, de ses bateaux de guerre En sommeil près des quais. C'est tout ce qu'il nous reste De vivant dans le cœur : nos amours de naguère. Comment puis-je oublier les pins du Cap Fréhel, Les roses de Paimpol, les jardins de Bréhat, Les menhirs de Carnac, les croix de Trégastel, Le trottoir de Guingamp sur lequel tu tombas ? Oublier les bagads de Lorient ou d'Étel ? Oublier les senteurs des bancs de goémon ? Oublier les clameurs des bandes de pétrels ? De ces airs mélangés, je remplis mes poumons. On ne peut oublier – ou bien dites-moi qui, Car la chère était bonne autant qu'il m'en souvienne – Les huîtres de Riec, les Saint-Jacques d'Erquy, L'andouille de Guémené, les fars de Pont-Aven. Mais j'ai abandonné ce qui me séparait De toi. Je ne suis plus ce vieil adolescent Qui chantait, le soir, les filles de Camaret. Il n'y a plus de fou hormis ceux de Bassan. Gardons le souvenir des ports du Finistère, De ceux du Morbihan et des Côtes d'Armor Où nous avons laissé un peu de notre terre Qui nous accueillera lorsque nous serons morts. 29

Ci-contre : Lourtis, Germaine ou Marie-Louise, 40x40x1 cm. Castor Wanaka, 48x54x15 cm. Marina, 54x51x5 cm.


no 80-81

Il suffit d'aimer Jean-Louis Guitard

C’est tout simple de dire je t’aime… C’est tout simple. Il suffit d’aimer. Il suffit de ne plus penser qu’à un visage… un seul visage… qu’à un sourire… un seul sourire… il suffit de ne plus entendre qu’une voix… une seule voix… Et il suffit de ne plus voir le port d’Antibes, les rues de Rome, le Pont de Londres ou les murs blancs d’Andalousie qu’à travers un regard… un même regard… Il suffit de ne plus vouloir s’endormir seul. Il suffit de croire mourir à la pensée d’une rupture. Il suffit de vouloir sans fin dire je t’aime… et le dire sans fin puisque c’est tout simple de dire je t’aime… C’est tout simple… Il suffit d’aimer.

Michel Bérard

Ci-dessus : Lourtis, René Cogito, 43x43x4 cm. 30

juillet-août 2015


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Juillet-août 2015

Saupoudrages Jacques Grieu

Il y a poudre et poudre et cent sortes de poudre Certaines pour dissoudre et d’autres qu’on saupoudre. L’inventeur de la poudre a bien mauvaise presse, Mais ne pas l’inventer est notable faiblesse. On fait parler la poudre en maintes occasions Mais c’est celle à fusil ou bien celle à canon. La poudre d’escampette est parfois préférable… Quand ça tourne au vinaigre ou qu’on est vulnérable. Autrefois sévissait notre poudre de riz, Dont la douce houppette est une vieillerie. À la fin des perruques on a dû se résoudre. « Le temps sur nos cheveux, jette du sucre en poudre » Quant à la poudre noire, elle sévit encore ; Mettre le feu aux poudres aide les matamores… Les barils de Bachar de poudre sont bourrés, Pour en traînée de poudre épouvante semer. La poudre est aux soldats ce que l’entrefilet Est à nos bons bouchers, ce que le cassoulet, Est aux fins cuisiniers, ce que le bois de hêtre, Était aux sabotiers, ce que les belles lettres, Étaient aux romanciers, ce que le goût iodé Est à l’air de la mer : l’âme du procédé. Tout cela, après tout, n’est que perlimpinpin : Un peu de poudre aux yeux pour aller à la fin…

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Ci-contre : Lourtis, Galatée, 43x44x10 cm.

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no 80-81

juillet-août 2015

Ci-contre : Lourtis, Raïssa Dom, 49x30x1 cm. 32


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