Je crois en toi: La question de Dieu dans le monde moderne

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#2

Série sur la nouvelle évangélisation

« Tu nous a faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi. »

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Série sur la nouvelle évangélisation

« Je crois en toi » : La question de Dieu dans le monde moderne

— Saint Augustin

Thomas J. Hurley & Michelle K. Borras

SErviCE D’iNFOrmATiON CATHOliquE

SErviCE D’iNFOrmATiON CATHOliquE

Nous ne pouvons pas taire la question de Dieu dans nos cœurs. Nous ne pouvons nous débarrasser d’un besoin insatiable d’aimer et d’être aimé. Nous ne pouvons nier qu’il y a quelque chose en nous qui veut nous rendre humains dans le sens le plus profond : chercher la vérité, être libre, rencontrer le beau, être en vérité avec notre conscience, aimer. Comme trois jeunes convertis du XXème siècle nous aident à le découvrir, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est la seule bonne réponse à la plus fondamentale des questions humaines. En nous révélant le Dieu qui nous aime « jusqu’au bout », Jésus nous révèle toute la vérité sur l’homme.

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ré DACT riCE EN CHEF

:

michelle K. Borras, Ph.D.

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1 qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?

Directrice du Service d’information catholique

les citations des écritures sont issues de la nouvelle traduction liturgique de la

éDiT Eu rS

:

Alton Pelowski

Série sur la nouvelle évangélisation

Tous droits réservés.

Bible de l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones (AElF).

1èrE

«

PA rT iE

»

CA r DiE u A TA NT A imé lE mON DE

2 « Je crois en toi » : la question de Dieu dans le monde moderne 3 les mystères de la vie de Jésus 4 un Dieu qui est trois fois Amour 5 « Nous sommes venus l’adorer » : introduction à la prière à l’école de Benoît Xvi

CONCEPT iON

Adam Solove

2èmE

PA rTiE

«

A PPE lé S à A imE r …

»

6 Appelés à aimer : la théologie de l’amour humain, de Jean-Paul ii 7 à l’image de l’Amour : le mariage et la famille 8 Suivre l’Amour pauvre, chaste et obéissant : la vie consacrée 3èmE N i H i l OB S TAT

21 août 2012

PA rTi E

DA NS l’ é gliSE , é POu SE DE l’ AgN EAu

9 « qu’il me soit fait selon ta parole » : marie, à l’origine de l’église 10 Avec le cœur de l’époux : le sacerdoce ministériel

Susan m. Timoney, S.T.D.

11 la transfiguration du monde : les sacrements

Censor Deputatus

le nihil obstat et l’imprimatur sont des

imPri mATu r

livre ou un livret ne contient pas d’erreurs

Cardinal Donald Wuerl

doctrinales ou morales. Cela n’implique

Archevêque de Washington

pas que les personnes qui ont accordé le

14 la justice : la dignité du travail

nihil obstat et l’imprimatur sont d’accord avec

15 la justice : l’évangile de la vie

déclarations officielles attestant qu’un

Archidiocèse de Washington

12 lumière et silence : un journal intime eucharistique 4èmE

PA rTi E

«

A imE r E N ACTE E T EN vé riTé

»

13 libres en vue de quoi ?

le contenu, les opinions ou les affirmations qui y sont exprimés.

5èmE

PA rTiE

«

il NOu S A A iméS Ju Squ ’ Au BOuT

»

16 la dignité de la personne souffrante imAgE

DE l A C O u v E rT u r E

Edith Stein, ou sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, embrasse le buisson

17 « regardez ! J’étais mort et me voilà vivant… » : la mort et la vie éternelle

ardent dans lequel Dieu est apparu à moïse au chapitre 3 du livre de l’Exode. le fil barbelé d’Auschwitz, où Edith Stein est morte, est visible au milieu des

A N NE XE S

:

Ou TilS POu r l A NOu vE llE évA Ng éliSATiON

flammes. Détail du Mur de la divinisation de l’humanité, Chapelle redemptoris

A la beauté de la sainteté : l’art sacré et la nouvelle évangélisation

mater, Cité du vatican. image reproduite avec l’aimable autorisation du

B la technologie et la nouvelle évangélisation :

Centre Aletti.

Critères de discernement


ÂŤ Je crois en toi Âť : La question de Dieu dans le monde moderne

Thomas J. Hurley & Michelle K. Borras



Table des matières

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La question de Dieu

11

Un monde sans Dieu

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Les preuves de l’existence de Dieu

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Dieu révèle qu’il est Amour

24

Jésus-Christ : Dieu avec l’homme

28

« Mais qu’est-ce que l’homme ? »

33

« Ouvrez grand les portes »

38

Sources

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Les auteurs

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Le Service d’information catholique



La question de Dieu L’homme n’a finalement besoin que d’une seule chose qui les contient toutes, mais il lui faut faire le tour de ses souhaits et de ses désirs superficiels pour apprendre à discerner ce dont il a vraiment besoin et ce qu’il veut vraiment. Il a besoin de Dieu. 1

—Pape Benoît XVI

Jacques et Raïssa Tout être humain se pose un jour, d’une manière ou d’une autre, des questions sur Dieu. Quand cela se produit, il sent instinctivement que ces questions le remettent en cause. Après tout, la question de Dieu a à voir avec la raison ultime de vivre d’une personne. Nous en voyons un exemple particulièrement dramatique dans la vie de deux étudiants universitaires, à Paris, au début du vingtième siècle : Jacques Maritain et Raïssa Oumansoff. Jacques et Raïssa cherchaient désespérément ce qui pourrait faire que leur vie vaille la peine d’être vécue, dans les cercles intellectuels majoritairement athées parmi lesquels ils vivaient et étudiaient. Raïssa a décrit cette période de recherche : « Nous voguions dans les eaux de l’observation et de l’expérience comme des poissons dans les mers profondes… Et la tristesse me pénétrait, le goût amer du vide de l’âme devant laquelle toutes les lumières s’éteignent peu à peu ».2 Comme Jacques, Raïssa rejetait instinctivement le sombre

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abîme d’un monde sans Dieu, mais elle luttait malgré tout pour trouver Dieu dans sa vie. En 1901, le jeune couple fit un pacte. S’ils ne trouvaient pas de réponse à l’absurdité apparente de la vie dans l’espace d’un an, ils se suicideraient ensemble. Au cours de cette année, une série de conférences données par un philosophe connu leur apporta les prémisses de ce qu’ils cherchaient. Ils commencèrent à entrevoir qu’il pouvait y avoir un sens à l’existence – tout au moins suffisamment de sens pour que cela vaille la peine de vivre assez longtemps pour le chercher. Tandis que Jacques luttait et priait : « Mon Dieu, si vous existez et si vous êtes la vérité, faites que je la connaisse »3, Raïssa se débattait en se demandant comment Dieu pouvait exister et permettre la souffrance. Paradoxalement, la douleur de ce combat ne fit qu’approfondir leur « sens de l’absolu ». Raïssa écrivit : « Ce qui nous a sauvés alors, ce qui a fait de notre réel désespoir un désespoir encore conditionnel, c’est justement notre souffrance. Cette dignité à peine consciente de l’esprit… irréductible à l’absurde où tout voulait nous conduire ».4 Lentement, le « désespoir conditionnel » fut transformé en un conditionnel, puis en une ferme espérance. Dans l’espace de cinq ans, ils se marièrent et furent accueillis dans l’Église catholique ; tout au long de leur vie, ils apporteront une contribution importante à la vie intellectuelle et à la vie de foi de celle-ci. À la différence des Maritain, certaines personnes croient en Dieu toute leur vie. Pourtant, même les croyants doivent se confronter personnellement à la question de Dieu lorsque le doute et l’obscurité semblent toucher au moins par moments toute vie humaine. Beaucoup d’autres traversent la vie avec une apparente indifférence à la question de Dieu. Pour certains, cette indifférence est un masque qui

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couvre la douleur profonde de leur incertitude, tandis que d’autres ont d’une certaine façon réellement oublié Dieu. Mais même si nous nions Dieu ou semblons oublier que nous avons besoin d’une raison ultime de vivre, nous sommes toutefois inévitablement confrontés aux questions de l’humanité, de notre propre vie et du sens. Notre monde qui change rapidement est rempli de communication et d’une foule d’êtres humains interconnectés numériquement. Pourtant ces foules sont souvent des îles de solitude qui regardent le monde avec un sentiment de désespérance qui n’est guère différent de celui qui a failli conduire Jacques et Raïssa au désespoir. Ainsi, beaucoup aujourd’hui vivent dans « une désespérance tranquille » qui semble progressivement évacuer non seulement la croyance en Dieu, mais la capacité même de croire : en l’amour, en un sens, en l’humanité, en quelque chose. Ces problèmes ont aussi un lien avec la question de Dieu. Car, comme Jacques et Raïssa en ont eu l’intuition avant même d’avoir trouvé la foi, la question de Dieu affecte toujours notre compréhension de nous-même et de notre place dans le monde. Quand nous demandons : « Qui est Dieu ? », nous demandons inévitablement : « Qui suis-je ? Que signifie être un être humain ? Qu’est-ce que l’homme ? »

Édith Presqu’en même temps que Jacques et Raïssa luttaient pour trouver une réponse à l’absurdité apparente de l’existence, une autre jeune femme, âgée de quatorze ans, d’une intelligence remarquable, découvrait qu’elle ne pouvait plus croire. Née en 1891 dans une famille juive allemande pratiquante, Édith Stein était parvenue à une conclusion.

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Dieu n’existait pas. Et s’il n’existait pas, à quoi bon lui parler ? « Je décidai en conscience d’arrêter de prier »5, écrivait-elle. Après une brève période comme infirmière dans un hôpital de campagne pendant la Première guerre mondiale, Édith commença à étudier la philosophie : la discipline qui pose les questions fondamentales sur la nature de la réalité et de l’existence humaine. Ses aptitudes et sa recherche passionnée de la vérité attirèrent bientôt l’attention de plusieurs éminents philosophes allemands. Édith ellemême voulait être professeur de philosophie et elle en avait largement la capacité mais c’était aussi une femme, et une juive. Dans l’Allemagne de l’époque d’Édith, cela signifiait que son souhait ne pouvait se réaliser. Pendant ses études, Édith rencontra une amie dont le mari venait de mourir. Édith, l’athée qui ne pouvait s’arrêter de rechercher inlassablement la vérité sur le monde et sur l’homme, fut frappée par la « puissance divine » dans cette femme en deuil, une puissance que la croix « communique à ceux qui la portent… Ce fut le moment où mon incroyance s’effondra et le Christ commença à répandre sur moi sa lumière, le Christ dans le mystère de sa croix ». Quelques années plus tard, cet « effondrement » de son incroyance fut scellé lorsqu’elle lut l’autobiographie de sainte Thérèse d’Avila. Édith reçut le baptême en 1922, un événement qu’elle expérimenta comme étant à la fois la confirmation et l’accomplissement de son identité juive. Elle continua à écrire des ouvrages philosophiques et à donner des conférences, apprenant qu’elle pouvait rechercher « l’érudition comme un service de Dieu ». Alors qu’Édith découvrait que la vérité qu’elle recherchait avec tant de passion était une Personne à laquelle elle souhaitait tout donner par amour, certains de ses compa-

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triotes préparait un rejet colossal de Dieu et de la dignité humaine. Édith écrivit : « J’avais auparavant entendu parler de mesures sévères contre les juifs. Mais maintenant, je me rendais compte que… la destinée de ces personnes serait aussi la mienne ». Elle était juive et chrétienne et, comme telle, elle ne pouvait qu’être aux côtés de son peuple souffrant. Lorsque la situation dans son pays devint encore plus menaçante, Édith comprit qu’elle devait donner sa vie pour son peuple, qui était aussi le peuple de Dieu, un peuple qu’elle aimait et que Dieu aimait. Ce qu’elle avait dit une fois, avant la Seconde guerre mondiale, à propos de son travail intellectuel, allait littéralement devenir la vérité : « Chaque fois que je sens mon impuissance… à influencer directement les autres, je deviens plus vivement consciente de la nécessité de mon propre holocauste ». Édith a fait d’elle-même un « holocauste », terme de l’Ancien Testament pour exprimer une offrande sacrificielle destinée entièrement à Dieu et donc, consumée par le feu. Elle entra dans un monastère de carmélites cloitrées et prit le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix. Le début de l’extermination systématique des juifs en Allemagne nécessita bientôt qu’elle fuie dans un monastère aux Pays-Bas, d’où elle écrit : « Je n’avais jamais pensé que les gens puissent être comme cela, et je ne savais pas que mes frères et sœurs auraient à souffrir comme cela… Je prie pour eux chaque heure ». Édith écrivit son testament : « Je demande au Seigneur d’accepter ma vie et ma mort… afin que son Royaume vienne dans la gloire », pour le peuple juif qui souffrait et « pour la paix dans le monde ». Quand les frontières tombèrent et que les nazis envahirent les Pays-Bas, les soldats vinrent finalement la chercher avec sa sœur, elle aussi

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convertie. Prenant par la main sa sœur aînée, Rosa, Édith dit simplement : « Viens, nous partons pour notre peuple ». Édith Stein, ou comme nous la connaissons maintenant, sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, mourut à Auschwitz le 9 août 1942. Son identification avec son peuple et avec son Seigneur crucifié fut si totale que, lors de sa béatification en 1987, le pape Jean-Paul II affirma : « Nous nous inclinons devant le témoignage de la vie et de la mort d’Édith Stein… une personnalité qui a rassemblé dans sa vie riche une synthèse dramatique de notre siècle. Ce fut la synthèse d’une histoire pleine de blessures profondes… et aussi la synthèse de toute la vérité sur l’homme ». Édith, qui avait demandé, adolescente : « Dieu existe-t-il vraiment ? » et qui avait décidé que cela ne valait pas la peine de continuer de prier, devint la femme adulte qui réalisa que dans le Christ, elle se trouvait face à face avec le Dieu qui était apparu à Moïse dans le feu (cf. Deutéronome 3, 1-14). Dieu était devenu un « Tu » pour elle, et elle avait appris à prier. Dans la prière, elle n’avait pas simplement compris ce que signifie être humain ; elle avait compris la signification de sa vie personnelle. Le « Tu » en qui elle avait cru passionnément et complètement avait fait d’elle un témoin, un témoin de sa présence dans un monde qui avait délibérément déclaré son absence, et un témoin de la dignité de l’homme

Et nous ? Plus d’un siècle a passé depuis que les Maritain ont conclu le pacte de se suicider, avant qu’ils ne trouvent une raison de vivre, et plus de soixante ans depuis qu’Édith Stein et six millions de ses frères et sœurs juifs ont péri dans l’horreur des camps de la mort. Aujourd’hui, nous sommes confron-

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tés aux questions fondamentales de l’existence humaine dans un contexte de progrès technologiques inégalés. D’un côté, tout semble aller très bien : l’homme semble, plus que jamais, maîtriser le monde. Pourtant, ce contrôle apparent renvoie avec encore plus d’acuité à la question de Dieu. Pourquoi ce contrôle que nous exerçons sur le monde matériel ne nous satisfait-il pas ? Pourquoi ne nous protège-t-il pas de l’expérience du rejet et de la mort ? Pourquoi notre cœur se sent-il aussi inquiet que celui de Jacques et de Raïssa, qui ne supportaient pas de continuer de vivre dans un monde privé de sens, ou que celui d’Édith dans sa recherche déterminée de la vérité philosophique ? Dans toutes nos activités fiévreuses, que cherchons-nous vraiment ? Le pape Jean-Paul II faisait observer que, précisément dans le contexte des nouvelles prouesses technologiques, nous ne trouvons pas seulement de nouvelles aides, mais aussi de nouvelles menaces contre le bonheur humain et même contre l’existence. Peut-être n’expérimentons-nous pas des horreurs aussi flagrantes qu’à Auschwitz, mais nos sociétés recèlent leurs propres menaces, plus subtiles. Nous ne pouvons pas prétendre contrôler la pollution industrielle, les guerres sans fin et la prolifération des armes de destruction massive. La technologie qui nous rend capables de soigner les maladies nous permet aussi de manipuler, défigurer et détruire les prémisses mêmes de la vie humaine. Tout cela nous indique un besoin humain persistant de quelque chose en plus : « le monde des conquêtes scientifiques et techniques jamais atteintes jusqu’ici n’est-il pas en même temps le monde qui « gémit dans les douleurs de l’enfantement » et qui « attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » ? 6 Parfois, nous percevons une lueur d’espoir, par exemple

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quand des personnes se rassemblent spontanément pour aider les victimes d’une catastrophe naturelle. Mais la plupart du temps, il semble que nous vivions dans une période de doute, d’anxiété existentielle toujours présente mais qui semble encore plus pressante dans le contexte moderne. Nous sommes tellement bombardés d’histoires de corruption, de cruauté, d’injustice, de relations brisées que cela retient à peine notre attention – sauf à nous envahir d’une vague incertitude sur le monde et par-dessus tout, sur la nature de l’homme. Les questions sur le sens de l’humanité – Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que l’homme ? – ne touchent pas moins concrètement notre monde contemporain qu’elles ne le firent pour Jacques, Raïssa et Édith. Nous ne cessons d’être les témoins d’immenses progrès matériels et techniques, mais « cette interrogation, toutefois, revient obstinément sur ce qui est essentiel : l’homme, comme homme, dans le contexte de ce progrès, devient-il véritablement meilleur, c’est-à-dire plus mûr spirituellement, plus conscient de la dignité de son humanité, plus responsable, plus ouvert aux autres, en particulier aux plus démunis et aux plus faibles, plus disposé à donner et à apporter son aide à tous? »7 Cet état d’inquiétude nous ramène à des questions fondamentales sur nous-mêmes et sur le monde, des questions que beaucoup d’entre nous trouvent peut-être commode d’oublier temporairement. Le monde dans lequel nous expérimentons cette anxiété n’est pas par hasard un monde où les êtres humains semblent être dans une solitude sans précédent. La vision matérialiste du monde qui donne tant de valeur au progrès matériel et technologique nie aussi que l’homme est plus que la matière. Elle « exclut radicalement la présence et l’action de Dieu, qui est esprit, dans le monde et par-dessus

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tout dans l’homme »8 au point que, si éventuellement Dieu a droit à une place, c’est un Dieu extérieur au monde, sans rapport avec l’humanité. Il peut nous sembler alors que Dieu n’a rien à voir avec la vie réelle. Dieu n’est pas vraiment présent, même si, intellectuellement, il nous arrive de croire qu’il existe. Mais un Dieu qui peut être limité à nos sentiments et à nos choix privés, un Dieu qui n’est pas un « Tu » devant qui nous vivons, ne serait pas un Dieu. Si c’est ainsi que nous concevons Dieu, la jeune Édith de quatorze ans avait raison : cela ne vaut pas la peine de croire en lui. Nous sommes seuls, en fin de compte. Mieux vaut être honnête à ce sujet et décider d’arrêter de prier.

« Un étrange oubli de Dieu » Parfois, nous essayons délibérément d’oublier Dieu afin d’être plus en paix avec nous-mêmes dans un monde rempli d’anxiété. Mais nous découvrons qu’il n’est pas si facile de vivre ainsi. La question de savoir qui nous sommes et ce dont nous avons besoin – la question de Dieu – émerge en nous, même sous la forme d’un vague malaise. Le pape Benoît XVI disait, dans une homélie adressée aux jeunes : « Dans de vastes parties du monde, il existe aujourd’hui un étrange oubli de Dieu. Il semble que rien ne change même s’il n’est pas là. Mais, en même temps, il existe aussi un sentiment de frustration, d’insatisfaction de tout et de tous. On ne peut alors que s’exclamer : Il n’est pas possible que ce soit cela la vie ! »9 Cette perte du sens de Dieu dans le monde ne signifie pas forcément que les gens nient l’existence de Dieu. Elle touche aussi beaucoup de personnes qui professent explicitement leur croyance en Dieu. Un tel oubli est, en

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un sens, plus extrême même que l’athéisme auquel étaient confrontés Jacques et Raïssa, et qu’Édith adopta pour un temps. Tandis qu’ils se savaient inquiets et qu’ils cherchaient donc un sens et la vérité, l’oubli empêche même de répondre à la question de Dieu. Dans cette situation d’oubli, Dieu apparaît maintenant à beaucoup d’entre nous comme quelque chose qui n’est pas familier, qui est même dangereux. Ne sachant pas trop qui peut être Dieu, nous sommes abattus par « la pénombre qui rend fragile et effrayante pour l’homme de notre temps l’ouverture à Dieu ».10 Nous chassons l’idée d’un Dieu d’amour et généreux, parce que nous avons peur de reconnaître notre propre existence et celle du monde comme un cadeau reçu de Quelqu’un qui est plus grand que nous. Si nous chassons cette idée, nous chassons aussi l’idée que nous sommes nés dans un monde dont la signification, dès le commencement, est l’amour, ou dans un monde qui a tout simplement un sens. Jean-Paul II a décrit cet état d’esprit qui nous entoure et nous pénètre : Pour la philosophie des « Lumières, le monde n’a pas besoin de l’amour de Dieu ; le monde est autosuffisant ; et Dieu n’est pas en premier lieu Amour. […] Personne n’a besoin de son intervention dans le monde qui est […] transparent à la conscience moderne, toujours plus affranchi des mystères grâce à la recherche scientifique, toujours plus étroitement soumis à l’homme comme une inépuisable mine de matière première, à l’homme démiurge de la technique moderne. 11

Et c’est précisément ce monde-là qui doit rendre l’homme heureux… ».

Mais pouvons-nous vraiment être heureux dans un monde sans amour ?

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« Un monde sans Dieu ? L’hypothèse d’un monde autonome qui n’a pas besoin de l’amour de Dieu a des conséquences. En excluant Dieu du monde, nous excluons la possibilité que le monde ait un sens différent de celui que nous choisissons de lui donner. Ce n’est pas une coïncidence si un temps où l’humanité perd le sens de Dieu est aussi un temps où « l’homme semble souvent ne percevoir d’autres significations de son milieu naturel que celles de servir à un usage et à une consommation dans l’immédiat ».12 Un monde dénué de sens, qui n’est là que pour être utilisé, change aussi la place que nous y occupons : les êtres humains peuvent aussi tout simplement utiliser, et être utilisés, sans considération pour une quelconque signification. En d’autres termes, réduire le monde à quelque chose qui est privé de toute signification ne peut qu’amener à réduire l’homme lui-même. L’homme devient une chose dénuée de sens, mécanique, une partie d’un univers plus grand, lui aussi dénué de sens et mécanique. Comme nous le voyons si clairement dans le nazisme qui a décidé la mort d’Édith Stein, dans le communisme, dans la société de consommation occidentale, cette vision athée et matérialiste du monde rend les hommes esclaves. Comme l’a écrit Jean-Paul II, qui a fait l’expérience des trois totalitarismes modernes : L’homme ne peut renoncer à lui-même ni à la place qui lui est propre dans le monde visible, il ne peut devenir esclave des choses, esclave des systèmes économiques, esclave de la production,

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esclave de ses propres produits. Une civilisation au profil purement 13

matérialiste condamne l’homme à un tel esclavage.

Dans notre civilisation contemporaine, nous voyons les conséquences de cet esclavage. Que ce soit dans la violence aveugle, qui n’est plus confinée à l’intérieur de nos grandes villes, dans la glorification de la drogue, du sexe ou du pouvoir, ou dans des trahisons de confiance plus cachées et personnelles, nous rencontrons régulièrement des personnes qui ne cherchent que leur propre profit. Elles profitent largement des autres, souvent sans avoir clairement conscience que ce n’est pas juste. Nous-mêmes, nous participons à cette poursuite de notre propre intérêt en nuisant aux autres, peut-être pas à une telle échelle mais néanmoins par un déni de sens et de la dignité humaine. Peu importe à qui profitent ces luttes d’intérêts personnels, c’est toujours l’humanité qui en est la victime. Un tel contexte pousse à douter de plus en plus de la signification et de la valeur intrinsèques de la personne humaine. Ce n’est pas simplement que la signification de l’humanité change en l’absence de Dieu mais plutôt que, sans un fondement qui nous dépasse, nous ne pouvons nous appuyer sur rien pour affirmer une quelconque signification ou valeur. Ce n’est plus simplement qu’à un moment donné, nous n’avons plus d’espoir à l’horizon mais plutôt que, parfois, il semble qu’il n’y a plus d’horizon du tout, pas de mesure pour affirmer ce qui est bon, et que l’humanité a perdu tout sens de l’orientation. Nous sommes occupés par bien des choses, dans les multiples activités qui nous sont offertes par une civilisation technologique hautement développée. Nous pouvons faire ce que nous souhaitons dans un univers superficiel, mais

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nous trouvons de moins en moins de raisons d’agir ou de ne pas agir. Rien ne semble fiable. Peu importe ce que nous faisons ou le contrôle que nous pensons avoir, nous nous retrouvons toujours vivant à la surface des choses, sans y entrer en profondeur. Nous éprouvons un vide effrayant au cœur de notre existence qui s’assombrit avec le temps parce qu’il nous semble que la vie humaine n’a pas de profondeur. Lors de telles expériences, nous découvrons que « l’idéologie de la ‘mort de Dieu’ montre aisément par ses effets qu’elle est […] l’idéologie de la ‘mort de l’homme’ »14. Jacques et Raïssa Maritain ont compris cela dans leur propre vie. Si « Dieu est mort », comme le prétendait le philosophe Friedrich Nietzsche, pourquoi un être humain devrait-il vivre ? Et pourquoi eux-mêmes devraient-ils vivre ? Un regard sur l’histoire du XXème siècle, avec ses camps de concentration, ses goulags et son relativisme déshumanisant, le montre très clairement : si nous croyons que Dieu n’a pas d’effet sur le monde, cette croyance même a un effet dramatique sur le monde et sur nous-mêmes. L’oubli de Dieu ne permet pas d’éviter la question mais y apporte une réponse silencieuse. Ainsi, si nous pensons souvent que les questions sur Dieu sont des questions auxquelles il peut nous arriver de penser à certains moments, mais pas à d’autres, ou même pas du tout, la question fondamentale de Dieu demeure au cœur de ce que nous sommes. Nous ne pouvons qu’y répondre d’une manière ou d’une autre, non seulement dans notre pensée, mais dans notre vie même. Nous expérimentons constamment que ce monde ne nous rend pas heureux, en particulier quand nous le pensons autonome. Comme Jacques, Raïssa et Édith, nous cherchons un sens et un but au cœur de notre insatisfac-

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tion. Nous voulons être plus que ce que nous sommes et faire partie de quelque chose de plus grand que notre propre personne. Il y a surtout en chacun de nous un désir profond, insatisfait, d’amour. Jean-Paul II l’expliquait ainsi : « L’homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s’il ne reçoit pas la révélation de l’amour, s’il ne rencontre pas l’amour, s’il n’en fait pas l’expérience et s’il ne le fait pas sien, s’il n’y participe pas fortement ».15

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Les preuves de l’existence de Dieu Une question du cœur humain

Jacques et Raïssa Maritain s’aimaient suffisamment pour ne pas vouloir vivre ensemble dans un monde où leur amour, comme leur vie, seraient dénués de sens et absurdes. Édith aimait suffisamment sa famille, son peuple et le monde pour vouloir les comprendre à la lumière de la vérité. Comme ils ont tous les trois commencé à le comprendre, notre désir fondamental d’aimer et d’être aimés nous conduit à une quête de signification et de transcendance : Pourquoi suis-je en vie ? Pour quoi est-ce que je vis ? Pourquoi est-ce que j’aime ma fiancée ou ma famille ? Qui sommes-nous et quel est le but de l’existence humaine sur terre ? Cette quête de sens est inséparable de la question de Dieu, de même que cette question ne peut jamais être séparée de notre désir humain fondamental d’aimer et d’être aimé. Peut-être le chemin le plus évident par lequel l’humanité a abordé la question de Dieu dans l’histoire est-il celui des preuves de l’existence de Dieu. De telles preuves ont revêtu différentes formes, mais toutes les formes de ces preuves doivent en dernier ressort suivre le même modèle : partir du monde créé pour affirmer le (l’existence d’un) Créateur.

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En suivant ce chemin, de telles preuves ne sont pas étrangères à notre relation avec les autres êtres humains. Notre désir d’aimer et d’être aimé par d’autres personnes humaines est lié au désir de Dieu, qui conduit à la recherche de preuves. De même, la question de Dieu affecte radicalement la façon dont nous nous comprenons dans notre rapport avec les autres. La question de Dieu, telle qu’elle est abordée par les preuves, ne doit donc « pas seulement » concerner « la raison car la volonté de l’homme est également impliquée. C’est même une question qui touche le cœur humain »16. Alors, puisque la question de Dieu est toujours aussi une question du cœur, les preuves de l’existence de Dieu ne sont jamais séparées de notre relation, non seulement avec les personnes que nous aimons, mais avec Dieu lui-même. Selon les mots du cardinal Ratzinger, le pape émérite Benoît XVI, « annoncer Dieu signifie introduire à la relation à Dieu : enseigner à prier. […] Et ce n’est que dans l’expérience de la vie avec Dieu qu’apparaît aussi l’évidence de son existence »17. Ainsi nous pourrions dire que prouver l’existence de Dieu doit être, d’une certaine façon, introduire une personne dans une relation vivante avec Dieu. Aucune preuve, aussi raisonnable soit-elle, ne sera adéquate sans une certaine ouverture humaine à une telle relation. C’est ce que percevait Jacques lorsqu’il se débattait avec la question de Dieu, non seulement en étudiant et en réfléchissant, mais aussi en priant. « Mon Dieu, priait-il, si vous existez et si vous êtes la vérité, permettez que je la connaisse ». De même, Édith Stein résumait sa quête passionnée de la vérité, qui commença alors qu’elle était encore athée, par cette expression : « Ma soif de vérité était

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ma seule prière »18. Jacques priait désespérément Quelqu’un dont il n’était même pas sûr qu’il existe parce que, comme Édith, il avait cette intuition : si Dieu est vraiment Dieu, nous dépendons alors de lui en toutes choses, y compris l’évidence de son existence. Seul Dieu peut nous donner une réponse positive à la question de Dieu.

Un « Tu » qui est la source La dimension personnelle et relationnelle des preuves de l’existence de Dieu signifie que celles-ci ne peuvent pas prendre la forme de preuves dans les sciences expérimentales. Ces dernières traitent de choses qui relèvent de l’observation humaine à travers les sens et qui sont, jusqu’à un certain point, sous le contrôle humain. Demander ce genre de preuves de Dieu montrerait que nous sommes déjà en train de chercher quelque chose qui est moins que Dieu. Un dieu que nous pourrions saisir de la même manière que nous saisissons les objets de la science matérielle ne serait pas Dieu. Cela ne signifie pas, bien sûr, que des observations empiriques ne peuvent pas ou ne devraient pas nous conduire à affirmer l’existence de Dieu. Les preuves de l’existence de Dieu impliquent toujours, en un sens, l’observation du monde créé. Comme le notait Jean-Paul II, notre rencontre avec le monde créé nous conduit naturellement à nous interroger. Nous nous émerveillons en voyant que le monde est beau, qu’il est aussi complexe, ou qu’il existe tout simplement, et nous cherchons une cause à cette existence : « instinctivement quand nous sommes témoins de certains

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événements, nous nous demandons quelles en sont les causes. Comment ne pas nous poser la même question pour l’ensemble des êtres et des phénomènes que nous découvrons dans le monde ? »19 Des questions sur la nature physique exacte du commencement de l’univers, ou de la vie, ou de l’humanité, bien que certainement valables en soi, ne touchent pas le problème fondamental qui est ici en jeu. Des réponses à ces questions n’auraient pas satisfait, par exemple, la quête angoissée de sens et d’amour des Maritain. Ce qui est impliqué, plutôt, c’est la question de savoir pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien et de laisser cette question nous conduire jusqu’à un « Tu », jusqu’à une source ultime. « Sans une telle Cause suprême », explique Jean-Paul II, « le monde et tout mouvement en lui demeureraient ‘inexpliqué’ et ‘inexplicable’ et notre intelligence ne pourrait être satisfaite »20. La raison humaine cherche naturellement un sens dans les choses. Nous essayons de savoir la cause de tous les effets que nous voyons. Quelque chose en nous se rebelle quand nous essayons d’adopter des considérations purement matérialistes sur le monde et sur l’existence, qui n’expliquent pas vraiment pourquoi le monde est. Nous percevons que nous sommes faits pour une dimension plus profonde de l’existence, dans laquelle nous reconnaissons un ordre, une cause, une signification et une beauté dans l’univers. Nous pouvons parvenir à cette dimension plus profonde à travers la motion ou l’activité de l’univers, l’ordre que nous voyons parmi les créatures, leur développement en

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direction d’un but, et en particulier la beauté qui, en un certain sens, rassemble tous ces aspects. En reconnaissant Dieu comme le Créateur dans toutes ces choses, nous acceptons Dieu non seulement comme point de départ, mais aussi comme la source absolument fondamentale, sousjacente, qui demeure en tout et englobe tout ce qui existe. « Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17, 28). En lui nous vivons et, comme l’ont découvert Jacques, Raïssa et Édith, en lui nous aimons. La question de Dieu n’est pas une question purement intellectuelle. Par conséquent, aussi importantes que soient les preuves de l’existence de Dieu, elles ne peuvent que répondre en partie à la question de Dieu au cœur de l’humanité. Quelle que soit la logique dont procèdent les preuves de Dieu, elle ne peut en elle-même satisfaire les questions de l’homme sur Dieu. En dernier recours, l’unique réponse adéquate à la question de Dieu n’est pas une preuve, mais l’Amour qui est Dieu.

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« Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » (Marc 15, 39). Le centurion romain, qui est témoin de la crucifixion du Christ, professe le Credo au nom de tous les non-croyants qui cherchent Dieu et le rencontrent dans la mort du Christ.

Détail : Mur de l’Incarnation du Verbe, Chapelle Redemptoris Mater, Cité du Vatican.


Dieu révèle qu’il est Amour Pour être définitivement satisfaisante, la réponse à la question de Dieu doit aussi rejoindre notre besoin profond d’aimer et d’être aimé. Elle ne doit pas seulement satisfaire notre besoin de savoir quelque chose sur Dieu, mais notre besoin de Dieu. Comme nous le diraient les Maritain, et comme nous l’a montré Édith Stein par sa vie et sa mort, la soif humaine de sens et d’amour est étanchée au-delà de toute attente. Dieu lui-même la comble dans un acte dont nous parle l’Évangile de Jean : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jean, 3-16). Avec ce don à l’esprit, Jean-Paul II commença sa première lettre encyclique, Redemptor Hominis, par une déclaration audacieuse : « Le Rédempteur de l’homme, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire »21. Si Dieu se donne définitivement par amour pour toute l’humanité de tous les temps dans cet homme, qui est Dieu lui-même incarné, comme cela pourrait-il ne pas être le centre de l’histoire ? Que peut-il arriver de plus bouleversant ou de plus important pour soi que cet événement au cœur de l’Évangile ? « Et le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire… plein de grâce et de vérité » (Jean 1, 14). Dans ce don, Dieu révèle le plus pleinement possible la

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vérité originelle que le monde a été créé par amour. En définitive, l’affirmation d’un Créateur qui se révèle à nous n’est pas quelque chose que nous découvrons comme si c’était un fait neutre, à accepter parce qu’il a été prouvé adéquatement. La révélation de Dieu est la vérité sur l’Amour – l’Amour qui est à l’origine de l’univers – et elle nous est adressée par amour. Nous n’acceptons pas cette vérité uniquement avec notre intellect. L’acceptation de l’Évangile implique toute notre capacité d’aimer, toute notre vie. Cela pourrait faire peur, si la vérité de l’Évangile n’était pas suprêmement un sujet de joie : L’Évangile manifeste avant tout la joie de la création. Dieu – lui qui, en créant, « voit que cela est bon » (Gn 1 1-25) – est source de joie pour toutes les créatures, et pour l’homme au plus haut degré. Le Dieu créateur semble dire à toute la création : « Il est bon que tu existes ». Cette joie qu’il éprouve est communiquée spécialement par la Bonne Nouvelle qui nous annonce que le bien est plus fort que tout le mal présent dans le monde.

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Bien sûr, nous sommes conscients que le mal existe dans le monde. Nous savons que, tragiquement, il est en nous aussi. Le péché a abîmé le lien entre le monde et Dieu le créateur. En fait, nous expérimentons concrètement le besoin profond qu’a l’humanité de Dieu, en partie à travers notre expérience de la réalité apparemment irrésistible du péché. Cependant, pour le christianisme, avoir conscience du péché n’est pas une raison pour désespérer. L’Évangile est une Bonne nouvelle. C’est un message de miséricorde. Rappelons que l’incroyance d’Édith commença à s’effondrer lorsqu’elle rencontra une amie dans la peine en qui,

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dit-elle, « la lumière du Christ se levait en mon cœur – le Christ dans le mystère de la Croix »23. Elle commença vaguement à comprendre que, tandis que l’homme peut tenter d’abandonner Dieu en péchant, Dieu refuse d’abandonner l’homme. Au contraire, quand le mal et la souffrance entrent en nous et dans le monde, Dieu se révèle pleinement comme le Dieu de l’amour miséricordieux. Jésus-Christ, qui s’est donné lui-même pour nous sauver de nos péchés, est la pleine révélation du « Dieu… fidèle à son amour envers l’homme et envers le monde, tel qu’il s’est déjà révélé au jour de la création »24. L’ultime acte d’amour de Dieu – la croix du Christ – est aussi l’affirmation ultime de la valeur de chaque être humain. Jean-Paul II exprime cela en termes pleins d’émerveillement : « Quelle valeur doit avoir l’homme aux yeux du Créateur s’il « a mérité d’avoir un tel et un si grand Rédempteur », si « Dieu a donné son Fils » afin que lui, l’homme, « ne se perde pas, mais qu’il ait la vie éternelle ! » En réalité, cette profonde admiration devant la valeur et la dignité de l’homme s’exprime dans le mot Évangile, qui veut dire Bonne Nouvelle. Elle est liée aussi au christianisme »25.

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Jésus-Christ : Dieu avec l’homme Un amour fidèle jusqu’à la mort Le Christ vient racheter l’humanité du péché. Par sa naissance vraiment homme, le fils de Marie, il est la confirmation ultime de la bonté de l’humanité et de tout le monde créé. Toutefois, le Fils de Dieu ne devient pas seulement homme, mais il vit, il souffre et il meurt. Dieu se donne « jusqu’au bout » (Jean 13, 1) pour révéler que son amour « est plus grand que le péché, que la faiblesse, que la caducité de la créature, plus fort que la mort; c’est un amour toujours prêt à relever et à pardonner, toujours prêt à aller à la rencontre du fils prodigue […] et cette révélation de l’amour et de la miséricorde a dans l’histoire de l’homme un visage et un nom : elle s’appelle Jésus-Christ. »26 Dans le Christ, Dieu va aussi loin qu’il est possible d’aller, évidemment au-delà de ce que l’on pourrait imaginer possible pour Dieu, par amour pour tous les êtres humains. La rédemption, explique Jean-Paul II, « nous dévoile […] la profondeur de l’amour qui ne recule pas devant l’extraordinaire sacrifice du Fils pour satisfaire la fidélité du Créateur et Père à l’égard des hommes »27. Même quand nous sommes infidèles, Dieu « reste fidèle, car il ne peut pas se renier lui-même » (2 Timothée 2, 13). Il reste fidèle jusqu’à la croix, la tombe scellée et la résurrection car il ne

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peut pas nier qu’il est l’Amour fidèle jusqu’à la mort. Parce qu’il a souffert, qu’il est mort pour nous et qu’il est ressuscité d’entre les morts, nous ne vivons plus seuls et angoissés dans un univers qui ressemble à un immense vide. Le Dieu que nous avons peut-être été tentés d’oublier a montré qu’il était un Dieu qui est présent – si puissamment présent qu’aucun rejet, pas même la mort, ne peut nous empêcher de vivre devant sa face. Il est un « Tu » pour nous – le « Tu » définitif en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être (cf. Actes 17, 28). Il est un « Tu » qui s’est fait proche de nous pour que, même lorsque nous souffrons amèrement, nous n’ayons pas besoin d’avoir peur de prier. En grandissant dans sa foi retrouvée, Édith Stein en vint à comprendre de plus en plus clairement ce qui était contenu dans sa première intuition de la « puissance divine » de la croix. En toute joie et en toute souffrance, même dans l’expérience la plus profonde de l’abandon que nous pouvons traverser, Jésus-Christ est déjà là. Non seulement il rend chacun de nous capable de vivre une vie pleinement humaine mais il se joint à nous dans toute notre vie. Il le fait pour l’humanité entière, et pour chaque être humain en particulier. Cette union profonde avec Dieu s’est réalisée à travers l’Incarnation, dans laquelle « le Fils de Dieu s’est […] uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme […] il a aimé avec un cœur d’homme »28. Cette union n’est pas destinée à certaines personnes fortes ou qui ont de la chance, mais à chacun de nous : les opprimés, les persécutés, les pécheurs, les faibles et les personnes en difficultés, puisque « tout homme sans aucune exception… a été racheté par le Christ », qui s’unit à nous quand nous

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n’en sommes pas conscients29. En entrant dans les profondeurs du monde et de l’humanité, Jésus-Christ nous révèle la vérité sur qui est Dieu et qui nous sommes. Le Christ est Dieu, mais « pas un Absolu situé au-delà du monde, indifférent à la souffrance humaine. Il est… un « Dieu qui partage le sort de l’homme et communie à son destin »30. En même temps, le Christ est « pleinement humain ! De ce fait, toute l’humanité et son histoire entière trouvent leur expression en lui devant Dieu »31. Notre destinée d’êtres humains est ainsi « indissolublement liée » au Dieu-homme qui a vécu parmi nous, a souffert, est mort et est ressuscité ; elle est liée de manière indissoluble à l’amour de Dieu qui se répand pour nous sans fin ni limite.32 L’amour constant de Dieu révélé en Jésus-Christ nous attire dans la vie même de Dieu. Dans la lumière de cette grande et unique espérance chrétienne, nous percevons quelque chose de la destinée mystérieuse de tous les êtres humains : L’homme, tel qu’il est « voulu » par Dieu, « choisi » par Lui de toute éternité, appelé, destiné à la grâce et à la gloire : voilà ce qu’est […] l’homme dans toute la plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ et dont devient participant chacun des quatre milliards d’hommes vivant sur notre planète, dès l’instant de sa conception près du cœur de sa mère.

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La pleine dignité de l’homme L’union profonde du Christ avec tous les êtres humains parle particulièrement aux dimensions apparemment

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énormes de notre monde actuel. Les personnes peuvent sembler plus que jamais réduites à des pions sur l’échiquier d’immenses processus historiques ou à de simples rouages à l’intérieur de gigantesques systèmes politiques et économiques. Dans ce contexte, pour poser sur l’humanité un regard juste, nous avons plus que jamais besoin du rédempteur de l’homme, qui se tient aux côtés de chacun personnellement. Le Christ vient « parcourir la route de l’existence, en compagnie de chacun, avec la puissance de la vérité sur l’homme et sur le monde contenue dans le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption »34. La « vérité sur l’homme » que le Christ nous révèle ne dépend pas de nos actions ou de nos aptitudes. Nous ne trouvons pas notre dignité en étant plus forts que les autres et, de même, notre faiblesse ne diminue pas notre dignité. Mais c’est en celui, dont la vie et la mort ont été une expression suprême d’amour pour nous et pour le Père, que nous commençons enfin à comprendre : « La manifestation de l’homme, dans la pleine dignité de sa nature, ne peut avoir lieu sans la référence non seulement conceptuelle mais pleinement existentielle à Dieu »35. Quand nous nous interrogeons sur le sens de notre vie, et donc aussi sur Dieu, Dieu donne une réponse qui nous dépasse. Il répond en s’unissant à l’homme, invitant chacun de nous à partager sa vie. Aucune réponse ne pourrait donner à l’humanité une signification et une destinée plus élevées. Jean-Paul II fait observer que dans le Christ, Dieu « s’est définitivement rendu proche » de l’homme ; « en même temps, dans le Christ et par le Christ, l’homme a acquis une pleine conscience […] de son élévation, de la valeur transcendante de l’humanité elle-même »36.

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« Qu’est-ce que l’homme ? »37 Des cœurs inquiets Jean-Paul II revient continuellement à une affirmation du concile Vatican II qui peut d’abord sembler déroutante : « Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation »38. Si nous méditons cette affirmation suffisamment longtemps pour commencer à en pénétrer la signification, nous réalisons que, dans toute sa profondeur réelle, elle est vraiment très simple : Jésus-Christ révèle Dieu. Et dans la lumière de Dieu – et seulement dans cette lumière – nous commençons à comprendre la réponse à ces questions : Quel est le sens de ma vie ? Que dois-je faire ? Qui suis-je ? Qu’est-ce que l’homme ? Dans le Christ, nous voyons qui nous sommes et ce que nous sommes appelés à être. Le rédempteur de l’homme ne révèle pas simplement la « valeur incomparable » de l’humanité. Il nous montre ce qu’est l’humanité, et comment la vie peut être vécue de manière humaine : « Par l’Incarnation, Dieu a donné à la vie humaine la dimension qu’il voulait donner à l’homme dès son premier instant »39. Cette dimension est l’amour – l’Amour qui est Dieu et l’amour qui est la signification de toute vie humaine. Et l’amour a, bien sûr, des implications concrètes. Comme nous le voyons dans la vie des Maritain, la

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révélation que Dieu fait de lui-même en Jésus-Christ ne satisferait pas notre besoin profond de sens et d’amour si elle informait seulement sur la façon dont penser l’humanité dans la lumière de Dieu. Les questions que se posait le jeune couple portaient sur davantage que sur des idées ; ils voulaient savoir comment ils devaient aimer et pourquoi ils devaient vivre. Lorsqu’ils eurent trouvé ce qui allait enfin les combler, ils donnèrent ce qui était pour eux la réponse évidente. Ils donnèrent entièrement leur vie, l’un à l’autre dans le mariage, et à Dieu. Quand Jésus-Christ révèle Dieu dans sa vie, sa mort et sa résurrection, il révèle que Dieu s’adresse à l’homme personnellement. Il appelle l’homme, et cet appel fait partie de la dignité insondable de l’homme. Dans le Christ, qui est pleinement Dieu et pleinement homme, Dieu nous appelle à vivre la vie humaine dans sa perfection, puisque nous sommes son image. En lui, nous percevons notre destinée mystérieuse : « en tant qu’ « image et ressemblance » de son Créateur », l’homme « est appelé à participer à la vérité et à l’amour. Cette participation veut dire vivre en union avec Dieu »40. Si avoir part à la vie de Dieu est notre destinée et la signification la plus profonde de nos vies, alors cette destinée et cette signification doivent former dès le début, et à tout moment, la manière dont nous sommes en relation avec toutes les autres personnes humaines qui sont aussi appelées à partager la vie de Dieu. En d’autres termes, nous qui avons été aimés, nous devons aimer. Nous devons participer à ce Dieu qui est Amour, et qui se donne à l’homme et pour l’homme. En étant témoin des terribles souffrances de ses frères et sœurs juifs, Édith Stein comprit très bien : en Jésus-Christ, qui est mort d’amour pour nous, Dieu appelle l’homme à

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déborder d’un amour prêt à aller jusqu’au bout, pour Dieu et pour son prochain. Ce qui est vrai de Dieu s’applique aussi à l’amour auquel Dieu appelle tous les membres de la race humaine. « En effet, celui qui aime désire se donner lui-même »41. Édith savait qu’elle avait été aimée, c’est pourquoi elle devait se donner complètement dans l’amour. Une carte de prière, distribuée lors de sa profession perpétuelle, citait saint Jean de la Croix : « car désormais, seulement d’aimer est mon exercice »42. Édith a vraiment aimé, de l’amour du Seigneur qui la conduisit à traverser la mort avec lui. Cette femme remarquable, de même que les Maritain dans leur quête dramatique de sens, est un exemple frappant de cette inquiétude du cœur humain qui cherche Dieu, dont saint Augustin affirmait : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ». Jean-Paul II a commenté cette phrase souvent citée d’Augustin : « Dans cette inquiétude créative palpite tout ce qui est profondément humain : la recherche de la vérité, l’insatiable nécessité du bien, la faim de la liberté, la nostalgie du beau, la voix de la conscience »43. Nous ne pouvons pas taire la question de Dieu dans nos cœurs. Nous ne pouvons nous débarrasser d’un besoin insatiable d’aimer et d’être aimé. Nous ne pouvons nier qu’il y a quelque chose en nous qui veut nous rendre humains dans le sens le plus profond : chercher la vérité, être libre, rencontrer le beau, être en vérité avec notre conscience, aimer. Comme l’ont appris Édith, Jacques et Raïssa, le Christ rend cela possible. Lui, vrai Dieu et vrai homme, nous rend vraiment humains. En lui, nous sommes enfin capables d’aimer, non seulement Dieu, mais aussi notre prochain, de l’amour de Dieu.

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Une réponse radicale à la question sur l’homme Quand l’Église nous appelle à rejeter la violence et à traiter les autres avec charité, ce n’est pas simplement un désir d’éviter le conflit, mais une nécessité chrétienne, quelque chose qui est essentiel à la mission du Christ. Jean-Paul II exhortait ainsi : L’Église « ne cesse de demander […] à tous au nom de Dieu et au nom de l’homme : ne tuez pas ! Ne préparez pas pour les hommes destructions et exterminations ! Pensez à vos frères qui souffrent de la faim et de la misère ! Respectez la dignité et la liberté de chacun ! »44. Cet appel nous rappelle continuellement que la réponse radicale du Christ à la question de Dieu est aussi la réponse à la question sur l’homme. L’union à Dieu implique que le chrétien soit uni à ses frères et sœurs et continue « en luttant avec une persévérance inlassable pour cette dignité que chaque homme a atteinte et peut atteindre continuellement dans le Christ »45. C’est cette solidarité qu’Édith comprit dans un sens radical, offrant sa prière et sa vie pour ses frères et sœurs souffrants. Un tel amour et respect pour notre prochain n’est pas toujours facile. Quelle que soit la profondeur de notre désir de vivre ainsi, nos aspirations révèlent aussi ce qui n’est pas bon autour de nous, et même en nous. Pourtant, le chemin que suit l’Église – et chacun d’entre nous – est un chemin sur lequel nous ne sommes jamais seuls. C’est l’amour de Dieu et sa miséricorde dans le Christ, et non le péché, qui ont le dernier mot sur l’humanité. Suivre ce chemin n’exige pas de nous une force héroïque, mais l’humble acceptation d’un Dieu qui est radicalement

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présent. Le Christ nous donne la vérité de Dieu – la vérité qui est lui-même – et cette vérité est si extraordinaire qu’elle en est presque choquante : Dieu est Amour, et Dieu est ici. Il est ici avec nous depuis le commencement et fidèle jusqu’au bout. La révélation que Dieu est uni à l’humanité et impliqué dans notre monde nous invite à le recevoir comme le fondement de notre existence et à le laisser entrer dans tous les aspects de notre vie. Plus nous acceptons notre relation avec Dieu, plus nous comprenons que sa réponse est plus grande que nos questions. Dieu lui-même s’est fait homme pour nous pardonner et nous aimer en toute chose. Un tel pardon peut parfois nous sembler incroyable, mais c’est cela que cherche vraiment la quête humaine de Dieu – pas simplement l’existence de Dieu mais l’amour qui vient de Dieu et notre amour pour Dieu. Nous cherchons Celui qui est, Celui en qui nous trouvons enfin une réponse à la question de l’homme. Mais nous ne pouvons pas nous le donner à nous-mêmes. Comme l’avait pressenti Jacques Maritain, Dieu se révèle à nous par dessus tout dans une conversation d’amour. « À travers la prière », écrit Jean-Paul II, « Dieu se révèle avant tout comme Miséricorde, c’est-à-dire comme Amour qui vient à la rencontre de l’homme souffrant. Cet Amour soutient, relève, invite à la confiance. »46.

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« Ouvrez grand les portes » « N’ayez pas peur ! » Il est maintenant clair que la relation de la personne humaine avec Dieu dans le Christ n’est pas simplement quelque chose en plus qui s’ajoute à l’humanité, que nous pouvons prendre ou laisser sans affecter fondamentalement qui nous sommes. Le Christ est la pleine révélation de Dieu et la révélation que c’est Dieu qui nous rend vraiment humains. Comme l’affirmait Jean-Paul II : Cette Révélation est définitive. On ne peut que l’accepter ou la rejeter. On peut l’accepter en confessant Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, et Jésus-Christ, le Fils, consubstantiel au Père, et l’Esprit-Saint qui est Seigneur et qui donne la vie. Ou bien on peut refuser tout cela et écrire en lettres majuscules : « Dieu n’a pas de Fils », « Jésus-Christ n’est pas le Fils de Dieu […] il n’est qu’un homme ».

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Ce oui ou non à la révélation du Christ conditionne ce que nous entendons par le monde, l’humanité et l’amour. Celui qui est la pleine révélation de Dieu et de l’homme est aussi la réponse de Dieu à nos craintes. La douleur si souvent contenue dans nos questions sur Dieu, et donc sur nous-mêmes – la douleur qui a presque conduit Jacques et Raïssa au suicide – n’est pas une douleur que le Christ ignore. Ni la souffrance de ceux qui sont victimes d’une cruauté parfois terrifiante de la part de leurs semblables.

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Jésus a embrassé tout ceci pour nous sur la croix. Dans les Évangiles, nous entendons souvent Jésus dire à ceux qu’il rencontrait : « N’ayez pas peur ! » Il sait que « notre cœur est anxieux ». En fait, comme nous le rappelle Jean-Paul II, lui qui a été trahi, qui a crié son abandon et qui est mort de notre mort « connaît notre angoisse mieux que quiconque »48. Quand il nous dit de ne pas avoir peur, le Christ – le Seigneur ressuscité – nous dit que, malgré les maux qui semblent contaminer le monde, Dieu est présent avec nous. Le sens ultime de l’existence est donné par un Dieu qui a vaincu la mort et qui est un Amour infiniment généreux et miséricordieux. Celui qui est plus grand que nous n’est pas quelqu’un qui pourrait nous voler notre liberté, et donc quelqu’un à craindre. Au contraire, Dieu se joint à l’humanité de façon irrévocable et cherche constamment à relever tous les êtres humains. La question de Dieu est toujours une question radicale, et le Christ est une réponse radicale. Nous ne pouvons pas recevoir cette réponse sans lui ouvrir toutes les zones de notre vie. En d’autres termes, notre monde ne peut pas devenir ce pour quoi il est fait – il ne devient pas un monde pleinement humain – si nous confinons Jésus-Christ dans une section privée de notre vie que nous mettons de côté pour la « religion ». Jésus-Christ est le fondement de notre humanité et de tous les aspects de la vie dans notre monde. En effet, comme l’ont écrit les premiers Pères de l’Église à propos du Christ crucifié, les bras tendus entre le ciel et la terre, il est le fondement de tout l’univers. Le Dieu révélé en Jésus-Christ est humble, et il est Amour. Sans lui, nous ne pouvons pas être ce que nous sommes. C’est ce que Jean-Paul II a crié au monde dans sa

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première homélie en tant que pape : « Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu’il y a dans l’homme » ! Et lui seul le sait ! »49

L’amour Dans le Christ, la révélation du Dieu qui nous aime « jusqu’au bout » et qui nous rend capables d’aimer, nous voyons que nous ne sommes vraiment pas la source de la question de Dieu. L’amour de Dieu pour nous est à la racine de notre quête de Dieu. Nous ne pourrions même pas commencer à formuler une question à laquelle Dieu est la réponse si Dieu ne nous avait pas déjà formés pour lui et s’il n’avait déjà préparé la réponse à cette question : son fils Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, la révélation ultime du Dieu qui est Amour. Ayant formulé la question de Dieu d’une manière des plus dramatiques, Jacques et Raïssa Maritain découvrirent que vivre a finalement du sens. Ils apprirent que c’est seulement à travers la révélation du Christ Rédempteur qu’il peut y avoir un « oui » total à l’existence humaine, à leur propre vie et au monde. De même, après avoir nié l’existence de Dieu, Édith se lança dans une quête résolue de la vérité sur l’homme et sur le monde. Lors de sa béatification, Jean-Paul II expliqua que ce qu’elle avait trouvé, dans l’ultime nuit de son incroyance, était en fait ce qu’elle avait cherché avec tant d’honnêteté depuis le commencement : « la vérité », mais pas une vérité

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abstraite, philosophique. Elle avait trouvé « la Vérité en personne, le ‘Tu’ vivant de Dieu ».50 Et de même, beaucoup d’autres croyants ont appris, avant et après ces trois témoins, qu’aucune autre signification ne peut correspondre aux désirs du cœur humain. Dans le Christ, nous voyons que la réalité ultime qui sous-tend l’existence et la vie humaine n’est pas seulement Dieu, mais un Dieu qui est Amour : Il existe Quelqu’un qui tient dans ses mains le sort de ce monde qui passe, Quelqu’un qui détient les clés de la mort et des enfers (cf. Ap. 1, 18), Quelqu’un qui est l’Alpha et l’Oméga de l’histoire de l’homme (cf. Ap. 22, 13), qu’elle soit individuelle ou collective ; et surtout la certitude que ce Quelqu’un est Amour (cf. 1 Jn 4, 8-16), l’Amour fait homme, l’Amour crucifié 51

et ressuscité, l’Amour sans cesse présent au milieu des hommes !

Nous voyons que quand les êtres humains cherchent à connaître la vérité sur Dieu et sur l’humanité, et qu’ils cherchent avant tout à aimer et à être aimés, nous ne trouvons ce que nous cherchons que dans ce « Quelqu’un » qui est la révélation humble et totale que Dieu fait de lui-même. Comme l’exprime Jean-Paul II dans les mots d’introduction de Redemptor Hominis, la révélation de Dieu est une personne qui aime l’homme et qui révèle un Amour qui est le sens de tout être humain. Avec le Père qui l’envoie et l’Esprit qu’il répand sur la terre, il est le « Tu » en qui nous croyons. Comme l’ont découvert Jacques et Raïssa à travers leur recherche angoissée du sens de la vie, dans le Rédempteur qui nous aime « jusqu’au bout » (Jean 13, 1) se trouvent toutes les raisons de vivre. Ainsi que l’a compris Édith, en lui se trouvent même toutes les raisons de mourir dans la

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confiance et dans l’amour, puisqu’il tient dans ses mains la signification de notre vie et de notre mort. Lui, le « centre du cosmos et de l’histoire »52, il est la réponse surabondante et le joyeux but de la recherche de Dieu de tout être humain.

Prière de saint Augustin d’Hippone

Bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors. C’est là que je te cherchais. Tout disgracieux, je me ruais sur tes gracieuses créatures. Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi. Loin de toi, elles me retenaient, elles qui ne seraient, si elles n’étaient en toi. Tu m’appelas, crias, rompis ma surdité. Tu brillas, et ta splendeur a ôté ma cécité ; tu répandis ton parfum, je respirai, je soupirai, je t’ai 53

goûté, et j’eus faim et soif; tu m’as touché, et je brûlai du désir de ta paix.

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Sources 1

Benoît XVI, Jésus de Nazareth 1. Du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration, Flammarion, 2007, p. 382.

2

Raïssa Maritain, Les grandes amitiés, Éditions de la Maison française, 1941, pp. 95-97.

3

Cité in Jacques Maritain, Marie and Toni Shannon, page web du Centre Jacques Maritain à l’Université Notre-Dame, http://maritain.nd.edu/jmc/etext/lives.html.

4

Raïssa Maritain, Les grandes amitiés, op. cit., pp. 111-112.

5

Toutes les citations de cette partie sont tirées de la courte biographie intitulée « Teresa Benedicta of the Cross, Edith Stein (1891-1942) : nun, Discalced Carmelite, martyr », http://www. vatican.va/news_services/liturgy/saints/ns_lit_doc_19981011_edit h_stein_en.html.

6

Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptor hominis (Le Rédempteur de l’homme), 8.

7

Ibid., 15.

8

Jean-Paul II, Lettre encyclique Dominum et vivificantem (L’EspritSaint dans la vie de l’Église et du monde), 56.

9

Benoît XVI, Homélie à la XXème Journée mondiale de la jeunesse, 21 août 2005.

10 Benoît XVI, Message à l’occasion du congrès « Dieu aujourd’hui : avec lui ou sans lui, tout change », 7 décembre 2009. 11 Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, Éd. Plon/Mame, Paris 1994, p. 98. 12 Redemptor hominis, op. cit., 15. 13 Ibid., 16.

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14 Dominum et vivificantem, op. cit., 38. 15 Redemptor hominis, op. cit., 10. 16 Entrez dans l’espérance, op. cit., 60. 17 Joseph Ratzinger, Conférence sur le thème de la nouvelle évangélisation, Jubilé des catéchistes, 10 décembre 2000. 18 Édith Stein, http://carmel-flavignerot.fr/index.php/38-contactercarmel. 19 Jean-Paul II, Audience générale, 10 juillet 1985. 20 Ibid. 21 Redemptor hominis, op. cit., 1. 22 Entrez dans l’espérance, op. cit., 48. 23 Édith Stein, http://www.1000questions.net/fr/chroniq/femmes2. html. 24 Redemptor hominis, op. cit., 9. 25 Ibid., 10. 26 Ibid., 9. 27 Jean-Paul II, lettre encyclique Dives in misericordia (La miséricorde divine), 7. 28 Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde moderne Gaudium et Spes, 22. 29 Redemptor hominis, op. cit., 14. 30 Entrez dans l’espérance, op. cit., p. 107.

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Sources (suite)

31 Ibid., p. 81. 32 Cf. Redemptor hominis, op. cit., 14. 33 Ibid., 13. 34 Ibid., 13. 35 Dives in misericordia, op. cit., 1. 36 Redemptor hominis, op. cit., 11. 37 Concile Vatican II, Gaudium et Spes, op. cit., 10. 38 Ibid., 22. 39 Redemptor hominis, op. cit., 1. 40 Dominum et vivificantem, op. cit., 37. 41 Dives in misericordia, op. cit., 7. 42 http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/iy4.htm. 43 Redemptor hominis, op. cit., 18. 44 Ibid., 16. 45 Ibid., 11. 46 Entrez dans l’espérance, op. cit., p. 54. 47 Ibid., p. 33. 48 Ibid., p. 28. 49 Jean-Paul II, Homélie pour la messe d’intronisation, 22 octobre 1978. 50 Jean-Paul II, Homélie pour la messe de béatification de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, 1er mai 1987. 51 Entrez dans l’espérance, op. cit.

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52 Redemptor hominis, op. cit., 1. 53 Saint Augustin, Confessions X, 27-38, cité in Benoît XVI, Message pour la 49ème Journée mondiale de prière pour les vocations, 29 avril 2012.

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Les auteurs Thomas J. Hurley, Ph.D., a un B.A. en théologie du Collège Christendom ; un Master théologie (M.T.S.) de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille, à Washington, D.C. ; et un Ph.D. en théologie de l’Institut, avec une thèse sur la relation de l’humanité avec Dieu en tant que fondement de la liberté, dans la pensée de Thomas d’Aquin. Thomas J. Hurley a publié des articles et donné des conférences en théologie et philosophie.

Michelle K. Borras, Ph.D., est directrice du Service d’information catholique. Elle a un B.A. en littérature anglaise de l’Université Harvard, une licence canonique en théologie de l’Institut Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille à Rome, et un Ph.D. en théologie de l’Institut, section de Washington, D.C., avec une thèse sur l’interprétation du mystère pascal par Origène. Michelle K. Borras a enseigné à l’Institut Jean-Paul II de Washington comme professeur adjoint pendant l’année académique 2010-1011 et a donné des séminaires en littérature catholique, en interprétation patristique de l’Écriture et en théologie de Hans Urs von Balthasar dans le cadre de la formation des Sœurs missionnaires de saint Charles Borromée à Rome. Outre de nombreux travaux de traduction, elle a publié des articles dans le domaine de la littérature catholique et de la théologie.

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Le Service d’information catholique Depuis sa fondation, l’Ordre des Chevaliers de Colomb est impliqué dans l’évangélisation. En 1948, les Chevaliers ont lancé le Service d’information catholique (Catholic Information Service : CIS) pour fournir des publications catholiques au grand public ainsi qu’aux paroisses, écoles, maisons de retraite, établissements militaires, prisons, assemblées législatives, au corps médical et aux personnes individuelles qui en font la demande. Depuis plus de 60 ans, le CIS a publié et distribué des millions de livrets et des milliers de personnes ont suivi sa formation catéchétique.3

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SErviCE D’iNFOrmATiON CATHOliquE

SErviCE D’iNFOrmATiON CATHOliquE

Nous ne pouvons pas taire la question de Dieu dans nos cœurs. Nous ne pouvons nous débarrasser d’un besoin insatiable d’aimer et d’être aimé. Nous ne pouvons nier qu’il y a quelque chose en nous qui veut nous rendre humains dans le sens le plus profond : chercher la vérité, être libre, rencontrer le beau, être en vérité avec notre conscience, aimer. Comme trois jeunes convertis du XXème siècle nous aident à le découvrir, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est la seule bonne réponse à la plus fondamentale des questions humaines. En nous révélant le Dieu qui nous aime « jusqu’au bout », Jésus nous révèle toute la vérité sur l’homme.

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