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Basile de Bure aime Keith magazine. Un jour, Facebook lancera une application “Mariage”. On postera sa demande sur le mur de sa bien-aimée, et il lui suffira de cliquer sur “Accepter” ou “Ignorer” pour donner sa réponse. Plus besoin de passer devant un prêtre glacial, dans un costume ridicule, jugé par sa belle-famille qui n'a de belle que le nom. Tout sera réglé en une notification, depuis son canap’, la main dans le slop. En attendant cette période bénie, Mark Zuckerberg a inventé le “like”, et c'est déjà pas mal... On ne mesure pas le changement révolutionnaire qu'à entraîné ce petit pouce dressé sous les statuts et autres photos de nos contacts Facebook. Le monde virtuel permettait de communiquer caché derrière son ordinateur, maintenant nous n'avons même plus besoin d'écrire de phrases, un simple clic suffit. Car, derrière son premier abord anodin, le “like” cache des centaines de significations différentes... Analyse.

Le social “like”. Le like est avant tout un concours de popularité. Un statut sans like dans les quinze premières minutes s'avère déjà un véritable échec. Plus vous comptez de pouces, plus vous avez l'air cool aux yeux de vos amis. La course au like peut donc très vite se transformer en mini-campagne. Règle numéro un : être original. Si votre statut est suffisamment drôle, même vos potes de maternelle dont vous n'avez plus de nouvelles depuis dix-sept ans cliqueront. Règle numéro deux : liker vous-même le plus d'activités possibles afin d'obtenir des retours de like de vos potes reconnaissants. Oeil pour oeil, like pour like. Règle numéro trois : l'effet exponentiel. Plus un statut est liké, plus on a envie de le liker. Demandez donc à vos trois meilleurs potes de liker dans les trente secondes (vous leur rendrez la pareille), les autres suivront... Le drague “like”. On a tous une petite dizaine de filles super bonnes dans nos contacts. Vous savez, celles qui prennent leurs jambes en photo à la plage et sur les profils desquelles on aime traîner pendant des heures. Avouez-le, vous connaissez par coeur les 68 photos de l'album “Corse juillet 2008” de Virginie Raboulin, la cousine d'un pote de pote rencontrée à une soirée médecine et que vous aviez ajoutée “au cas où”. Grâce au like, vous pouvez enfin montrer à ces filles inaccessibles que vous partagez leurs centres d'intérêt. Et sans avoir à leur parler (bien trop risqué). Un clip de Véronique Sanson posté sur son mur ? Vous likez ! Un statut “NY dans deux heures !!!” ? Vous likez ! Une photo de Justice en live au Social Club ? Vous likez ! La belle ne pourra pas passer à côté de l'évidence : vous vous comprenez, vous êtes faits l'un pour l'autre. Et si au bout de deux ans de like, elle ne l'a toujours pas compris, et bien... continuez !

Le troll “like”. Celui-là est particulièrement énervant, mais fait partie des incontournables de Facebook : le likeur en série, le pote qui like tout, sans arrêt, faisant perdre tout son sens premier au like, qui doit être réfléchi et distribué avec prudence et parcimonie. Lui n'en a cure et like comme il respire. Il a liké 55 des 83 photos de votre dernier album de vacances passées ensemble. Il like tous les statuts de vos amis dans les quatre secondes (sauf les vôtre, ce qui vous rend fou...) et toutes les vidéos débiles de chats, chutes et autres rires bizarres (même celle que vous aviez déjà postée deux mois avant et qu'il n'avait pas likée, le bâtard !). Vous le détestez, mais bon, dans la vraie vie, c'est votre pote, alors... Le fail “like”. Gregory Carulard, un ami rencontré 15 ans plus tôt à un stage de ski de fond à l'UCPA, vient de poster le lien du dernier album de Booba sur son wall. Nostalgique, vous vous remémorez les batailles de polochons sur le lit superposé partagé avec lui à Avoriaz et likez d'instinct, pour lui rappeler que vous aviez vécu une histoire d'amitié incroyable l'espace d'une semaine. Manque de pot, Greg est en ligne et vous apostrophe : “Hey !”, juste au moment où vous alliez vous déconnecter. Et vous voilà obligé de retracer 15 ans d'études et de vie amoureuse en quelques lignes, politesse Facebook oblige. Encore 20 minutes de retard à votre cours de gym suédoise... Bref, le like est devenu un phénomène, un outil qu'il faut savoir utiliser et respecter pour gravir les échelons sociaux de Facebook. La prochaine fois, on vous expliquera le poke... En attendant, profitez bien de votre Keith spécial Internet. Pas de bouton à cliquer ici, mais on en est sûrs : vous allez liker !

KEITH 37, rue des Mathurins 75008 Paris www.whoiskeith.com Direction : - Directeur de la publication Benjamin Blanck benjaminblanck@keith-mag.com Rédaction : - Directeur de la rédaction Basile de Bure basiledebure@keith-mag.com - Directeur artistique et illustrations Julien Crouïgneau (julio) julien@designjune.com - Rédacteur en chef Léonard Billot Leonardbillot@keith-mag.com - Rédactrice en chef adjointe Clémentine Goldszal clementinegoldszal@keith-mag.com Rubriques : - Cinéma : Stan Coppin - Art : Jack Tone et Emma Paoli - Musique : Clémentine Goldszal - Littérature : Léonard Billot - Théâtre : Nicolas Roux - Design/Archi : Edouard Michel - Mode : Jean-Baptiste Telle - minuscules : Augustin Trapenard Ont collaboré à ce numéro : Géric Alonzo, Thomas Bizien, Tanguy Blum, Charles de Boisseguin, PierreFrançois Carasco, Sophie Chleng, Sarai Fiszel, Simon Dessaivre, Alphonse Doisnel, Charlotte Eberhardt-Lainé, Mathilde Enthoven, Pierre Estève, Sarai Fizsel, Elise Fontenaille, Camille François, Grégoire Henrion, Antoine Kalewicz, Bérengère Laeuffer, Céline Laurens, Florient Letort, Stanislas Marsil, Léonore Masson, Julie Mayaud, Martin Neumann, Emilie Papathéodorou, Corentin Richard, Constance Riquelme, Laura Roguet, Alice Samson Photographes : Laure Bernard, Shelby Duncan, Lisa Roze, Maxime Stange, Yasmin Than Special Thanks : Agence Nathalie, Philippe Blanck, Frédéric Bonnet, Delphine Brunet, Aïna de Bure, Eglée de Bure, Hakim Chouadra, Monique Dagnaut, Elite Model Management, Mauricio Estrada Munoz, Alexandre Gilbert, Eran Guterman, Eliot Hazel, L'association culture libre, Alex de Lamberterie (créateur du logo Keith), Olivia de Lamberterie, Ornella Lamberti, Delphine Le Goff, Jérémy Marmiesse, Thibault de Montaigu, OWNI Responsable Marketing et Communication : Charles de Boisseguin charles@keith-mag.com

Basile de Bure

Le magazine KEITH est édité par la société WHO IS KEITH ? SARL au capital de 1000 euros RCS Paris 492 845 714 ISSN en cours. Dépôt légal à parution. Imprimé en France. Ne pas jeter sur la voie publique.

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sommaire

l'antenne

Nicolas Bedos : La fièvre du vendredi soir

p.6-7 p.8-17 p.9-10 p.11 p.12-13 p.14-15 p.16-17

Dossier - Culture Web : Liberté, je tape ton nom Le pouvoir du LOL La Culture Libre Manifeste pour une génération engagée #Partage Le Grand Test : Qui es-tu sur les Internets ?

Cinéma

Never Let Me Go, de Mark Romanek 127 heures, de Danny Boyle Boxing Gym, de Frederick Wiseman Rio Sex Comedy, de Jonathan Nossiter Route Irish, de Ken Loach The Silent House, de Gustavo Hernandez Winter's Bone, de Debra Granik Cédric Klapisch : La bourse ou la vie ! Megaforce, la Méga Story

p.19 p.20-21

p.22-23 p.24-27

Art p.29 p.30-31

p.32 p.33 p.34-35

Esthétique de la disparition Play It Yourself au Centre Pompidou A venir par Cyrille André Le syndrome du timide par Pierre-Axel Vuillaume-Prézeau Cursif par Renée Lévi Haute Culture par General Idea - Tron Legacy à la galerie Chappe Connected People ? Marc Lenot Vs Eric Troncy Mamika Goldberger : Mamie fait de la résistance, par Elise Fontenaille

Musique p.37 p.38 p.39 p.40-43 p.44-45

Qui es-tu James Blake ? Beady Eye, Salem, The Streets L'arbre généalogique : Anna Calvi, Likke Li, PJ Harvey, Trish Keanan, Juliette Commagère Let's (Funeral) Party ! Introducing… Nightmare and the Cat

Portfolio p.46-53

Eliot Lee Hazel

Littérature p.55 p.56-58

p.59 p.60-61

La Gifle, de Christos Tsolkias True Grit, de Charles Portis Vampires, de Thierry Jonquet Le Cercle des huit, de Daniel Handler L'Homme-Alphabet, de Richard Grossman La vie sexuelle des super-héros, de de Marco Mancassola Chronic City, de Jonathan Lethem De l'odeur des livres, par Alphonse Doisnel Regards Croisés : Alexandra Galakof Vs Arnaud Viviant Système Sollers

Théâtre p.62 p.63

Cécile Casssel sur scène : A tout Cassel Actu : L'amour, la mort, les fringue - Pour l'amour - Le crépuscule du Che

Archi p.64-65

Face à Face : Zaha Hadid à Paris

Mode p.66 p.67-77

Marie-Pierre Lannelongue : “Un petit tremblement de terre” Disconnected People

Mincuscules p.78-79

alxandre duhamel : prendre la bastille

Keith Story p.80-81

Thibault de Montaigu présente : Plus célèbre que Britney Spears ?

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A l’antenne

Nicolas Bedos

La fièvre du vendredi soir

photos : Laure Bernard

Il a été élevé dans l'humour. Dans l'amour aussi ; celui des mots, du spectacle, de l'expression de soi et manifestement du dépassement de soi. Il jouit des plaisirs du texte et de la mise en scène, passant d'une récompense aux Molières pour “Sortie de scène”, sa première pièce, aux calembours irrévérencieux et cinglants de sa “semaine mythomane”, le vendredi soir sur France 2 dans “Semaine critique”. Poète moderne et sensible dont la verve imparable nous rappelle avec émoi les prouesses caustiques de Desproges, Nicolas Bedos étonne, provoque, et s'en fout : il s'amuse, un point c'est tout. La télé est son nouveau terrain de jeu et non pas, comme certains peuvent (mal) le penser, son état de siège. Précieuse rencontre.

“En tant que metteur en scène et auteur de théâtre, j'ai toujours été dans l'ombre. Alors j'ai eu envie de me prendre un petit coup d'adrénaline narcissique !”

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Keith : Pourquoi, au-delà des bienfaits rémunérateurs d'une émission de télé, as-tu choisi ce décor comme nouvel espace de ta libre expression ? Nicolas : Parce que j'en avais marre de ne faire rire que mes copains ! J'ai écrit des pièces un peu sombres et dures (c'est avant tout mon style et mes envies) car au théâtre, je ne suis pas un fanatique du bon mot et des sarcasmes... En revanche dans la vie, si ! J'en avais marre qu'on me dise: “Putain, utilise un peu ton humour” alors j'ai voulu montrer cet aspect de mon écriture : plus légère, plus caustique... Et puis j'ai eu envie de faire un peu la pute, de montrer ma gueule, qu'on me reconnaisse dans la rue et je dois avouer qu'en ce moment c'est très agréable ! Hier, je me baladais jusqu'au café Charlot et des jeunes gens sont venus me dire des choses gentilles ; je jubilais comme une pouffiasse de 15ans ! En tant que metteur en scène et auteur de théâtre, j'ai toujours été dans l'ombre. Alors j'ai eu envie de me prendre un petit coup d'adrénaline narcissique ! Keith : Si tu devais poser un mot sur la nature de ton intervention dans “La semaine critique” ? Nicolas : Je dirais... sincère ! C'est-à-dire que je ne m'empêche de rien, je ne me censure pas. Je me fous de ma gueule, je me fous des autres, je dérape ! Comme ça n'est pas important pour moi, que tout ça c'est du rab, je fais trop long parce que je m'en fous que ça les dérange, j'aborde les sujets que je veux, je ne suis pas “formaté”, comme on dit aujourd'hui ! Keith : Sur le plateau, tu restes toi-même ? Nicolas : Disons que je parle autant d'un quotidien sexuel complètement inventé que de politique ou des invités qui sont sur le plateau, ou de la mort de mon chien.... Je suis dans une autofiction absolue et mythomane !

Keith : Le choix de l'intitulé “La semaine mytho” est-il une manière de légitimer ton franc-parler ? Nicolas : Exactement ! Moi je me prends pour un écrivain qui passe à la télé, je ne me prends pas pour un comique qui fait des pièces de théâtre, tu vois ?! Bon, “écrivain” est peut-être un peu prétentieux, mais je suis un auteur qui pendant un an montre sa gueule et s'amuse à la télévision, tout en se cachant derrière son titre. La mythomanie, c'est de la fiction ; n'importe quel romancier est un mythomane ! C'est aussi croire à ses mensonges. Quand j'écris une pièce de théâtre et que je fais pleurer un personnage, je pleure ; je suis mythomane, je suis un acteur, je suis complètement dedans, je deviens une gonzesse ! Quand je raconte ma semaine, je m'invente une histoire, et j'ai l'impression de faire plus mon travail que si je faisais le mec admirable comme Yann Barthès qui tout d'un coup commente l'actu ! Qu'est-ce qu'on en a à foutre de mon avis ?! Ce qui est marrant c'est que j'utilise un peu ma plume et que je déconne, pas de savoir si je suis de gauche ou de droite (ce à quoi je réponds : ”Ca dépend de ma semaine”) ! Keith : “Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur” ? Nicolas : Oui, je sais, je suis très sévère avec la gauche ! Mais j'ai un problème : j'ai peur de la prétention. Tout le temps ! Parce que je doute moi-même de ce que je pense. Je suis toutefois plus agacé par ceux qui m'empêchent de voter pour eux avec plaisir que par ceux pour qui je ne voterai de toute façon jamais. Keith : As-tu déjà dû faire face à des droits de réponse ? Nicolas : Lorsqu'on m'a accusé d'avoir tenu des propos antisémites, j'ai surtout dû faire face à un cas bien commun : le problème de susceptibilité d'une communauté juive française qui est en train de faire la chasse aux antisémites imaginaires. Quand je

Keith : Au-delà de l'humour dont tu fais preuve, y a-t-il dans ta démarche une volonté de perpétuer la tradition de ces humoristes qui viennent attaquer “frontalement” leurs cibles là où elles sont le plus à découvert ? Nicolas : Pas du tout ! Si on regarde bien, je ne fais pas du tout ce que font ces types qui jubilent du corps à corps et de la vanne. Je n'aime pas la culture de la vanne, je ne suis pas un sniper, je ne suis pas non plus un humoriste. Je suis un type qui écrit un texte et qui aime rire des défauts des autres avec les invités. Tu remarqueras que les Arnaud Montebourg, Marine Le Pen et autres Christine Boutin se marrent comme des enfants ! Bon, ça ne veut pas dire qu'ils ne redigèrent pas le truc en se disant: “Oui bon quand même, il m'a envoyé(e) quelques claques !”, mais mon but n'est pas de créer le malaise pour la simple et bonne raison que je suis habitué à être invité... Je sais ce que c'est d'aller à “Ça balance à Paris” ou en face d'Eric Naulleau et de s'en prendre plein la gueule ! Ça m'est déjà arrivé sept ou huit fois... et je ne trouve pas ça très élégant d'agresser l'invité. Je ne suis ni Naulleau, ni Zemmour qui n'ont ni la politesse, ni l'humilité d'être drôle (car c'est faire preuve d'humilité que de vouloir faire sourire).

fais une vanne sur les pédés, je reçois trois lettres d'insultes dès le lendemain... Il y a énormément d'abrutis dans ce pays, qu'on se rassure ! Et la télévision est un vecteur de paranoïa, de terreur...

Keith : Stéphane Guillon disait dans une interview : “Il fallait un autre ton, quelqu'un de radicalement différent, comme Nicolas Bedos”. Fais-tu partie de ceux qui déplorent son départ de France Inter ? Nicolas : Sur le principe, oui. C'est surtout une connerie abyssale d'avoir viré les deux le même jour, le b.a.-ba de la non-stratégie médiatique ! Philippe Val devrait se suicider ! Que l'on n'aime pas toujours ce que font Stéphane Guillon ou Didier Porte, qu'on les trouve un peu prévisibles, bien-pensants... c'est un droit ; et c'est d'ailleurs un droit que je m'accorde ! Mais balancer les deux antiSarko dans le même charter, le même jour ! C'est franchement avoir 12 ans d'âge mental, surtout de ne pas prévoir ce qui s'est passé ensuite ! Je l'ai vu moi, Philippe Val, arriver à France Inter. C'est un film sur la solitude, sur la dépression nerveuse. Le type traverse les couloirs, tête baissée, des écouteurs vissés aux oreilles, un podcast d'Europe 1 berçant sa démarche d'autiste... Pas une main serrée, pas une main tendue non plus, il rentre dans l'ascenseur comme on va à l'abattoir ! (gros blanc... suivi d'un fou rire !)

Keith : “Je suis dans mes années courtes”, disait Guy Bedos. Tu rentres dans tes années longues ? Nicolas : Je n'en sais rien, je ne me fais aucune illusion. En ce moment, je suis le mec un peu à la mode, je vais chez Canal, on m'invite chez Ruquier, ça n'arrête pas... Mais j'ai aussi vécu avec des actrices, j'ai eu des amis comédiens ; je les ai vus passer d'un César du meilleur espoir à la déprime totale, un téléphone qui ne sonne pas... Le public est aussi putassier qu'une femme, tu sais. A vrai dire, je n'aime pas ce milieu. Il m'amuse, mais je n'ai pas confiance du tout. Il y a quelques années je n'arrivais pas à monter une pièce, elle m'avait été refusée par un directeur de théâtre. J'ai reçu un message de lui dernièrement, me disant: “J'ai relu ta pièce, elle est vraiment bien, il faut absolument que tu la montes”. Tout est là. Nous sommes dans un monde de putes. Donc les années longues, ce n'est vraiment pas sûr. Mais au théâtre, il y a un truc à faire. On n'est pas nombreux, je commence à le connaître et j'aime vraiment ça. J'espère avoir une pièce tous les deux ans, jusqu'à tard dans ma vie. Pour le reste... à la télé il y a une vedette par an. Pour l'instant c'est moi. Propos recueillis par Charles de Boisseguin


dossier

Web Culture

Liberté, je tape ton nom

Il y a quelque temps, le bon Frédéric Levebvre proposait un amendement visant à organiser la labellisation des sites Web, à mettre en place une taxe pour l'hébergement et l'usage de vidéos sur Internet et à placer ce secteur sous le contrôle du CSA. Le discours qu'il prononçait alors pour défendre son amendement ressemblait à peu près à cela : “L'absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes ! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent ? Combien faudra-til de morts suite à l'absorption de faux médicaments ? Combien faudra-t-il d'adolescents manipulés ? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde ? Combien faudra-t-il de créateurs ruinés par le pillage de leurs œuvres ? (...) Il est temps, mes chers collègues, que se réunisse un G20 du net qui décide de réguler ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde. (...) Il nous faut réguler Internet partout dans le monde, afin que toutes les entreprises respectent le droit de propriété, que les trafiquants et les voyous en tout genre soient poursuivis, que cet espace continue à se développer dans le respect de la personne humaine et des principes démocratiques. Notre pays doit montrer la voie.” Merci Freddy, tu peux te rasseoir... Face à cette vision préhistorique et réactionnaire de la Web culture, Keith à voulu dresser un portrait de l'Internet 2.0, et expliquer pourquoi il est important d’en défendre les valeurs que nous connaissons aujourd'hui. Ultime eldorado de la liberté d'expression où les mots “partage” et “création” trouvent encore un sens, notre Toile est en danger. Voici pourquoi nous l'aimons et pourquoi nous voulons la protéger.

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Le pouvoir du LOL

Pédophiles, zoophiles, détraqués, otaku, branleurs, néonazis, antisémites, hackers, psychopathes, dégénérés ou tout simplement chantres et acteurs de la contre-culture Web et de tous ses possibles, tels sont définis les acteurs de 4chan.org, la plateforme Internet qui réunit le pire de la déviance sous le signe du “lulz”. Face à la section /b/ de ce site, la réaction la plus normale serait de vomir son petit déjeuner bio, se déconnecter et aller crier à l'abomination sur tous les toits. Cependant chez Keith, la recherche du sens prime sur le dégoût physique. Ainsi, entre deux blagues racistes et une photo de petite fille aguicheuse, on s'est demandé ce que 4chan disait d'Internet, des rêves qui ont accompagné ses premiers pas, de la notion de contre-culture, et puis aussi ce qu'elle disait de nous, de notre société, de notre espace public.

Parallèlement au développement technique d'Internet dans les milieux universitaires, au cours des années 70/80, naissent les prémisses de la culture Web à travers l'action et les idées de quelques hackers, un peu informaticiens, un peu anarchistes et résolument influencés par l'idéal hippie. Ils posent les premiers l'idéal de la culture libre, sans frontière et sans censure, et fondent une véritable éthique du réseau Internet que Steven Levy* résume en six points : - L'accès aux ordinateurs devrait être total et sans limite - Toute information devrait être libre - Il convient de se défier de l'autorité et de promouvoir la décentralisation - Les hackers devraient être jugés sur leur production et non sur de faux critères comme les diplômes, l'âge, la race ou la situation sociale - Vous pouvez créer de l'art et de la beauté avec un ordinateur - Les ordinateurs peuvent transformer votre vie pour le meilleur Au-delà des élucubrations de quelques ex-hippies reconvertis dans l'informatique malgré les séquelles du LSD (qui donnent lieu à de beaux moments de poésie par ailleurs : “J'aime à penser/…/à une forêt cybernétique/où les daims flânent tranquillement/et les vieux ordinateurs/s'épanouissent/comme des fleurs), le mouvement des hackers des années 70/80 pose les bases de la culture Web florissante des années 2000. De manière générale, Internet est profondément états-unien. De ce fait, l'obsession nationale du 1er amendement y prend une importance tout aussi grande que celle de l'influence hippie, et toutes deux se rejoignent dans la notion de liberté : tout peut être dit, tout DOIT pouvoir être dit. En France cette dimension trouve un écho particulier. En effet, un rapide regard sur notre histoire politique et sociale permet de voir

se définir un caractère profondément révolté, un amour du NON : non au racisme, non aux injustices sociales, non au Roi, non au FN, non aux OGM, non au travail... Cependant, nous et nos intellectuels de la Rive Gauche nous sommes insurgés pendant suffisamment longtemps pour que l'agora soit devenue de manière presque exclusive à la fois humaniste, défenseuse des droits de l'homme, antiraciste, pro-homosexuel, mangeuse de yaourt bio, pourfendeuse des dictatures et amie des animaux. Nous voilà donc, jeunes Français élevés pour la révolte, bien nourris et bien éduqués, dépourvus de causes. Peut-on seulement s'insurger contre nos médias qui, les premiers, condamnent l'usage déplacé du mot “arabe” ou “juif” ? Ou contre nos hommes politiques qui s'effondrent, tout de larmes et de dignité, face au récit de vie d'une paysanne afghane ? Avouons-le, notre espace public est saturé de bien-pensance progressiste, il ne nous reste plus donc qu'à nous révolter contre la bien-pensance elle-même. Tel est le parti pris des nombreux jeunes internautes français adeptes de 4chan et celui du site lui-même. Contre un espace public plein de bonnes intentions, une subversion par le LOL (rien à voir avec le film hein), contre la télé et les journaux, s’est développée. Face à ce phénomène, les institutions politiques et étatiques n’ont pas encore su s’adapter et récupérer le Web de façon crédible. Ainsi, pendant que la sphère médiatique traditionnelle se révolte orageusement contre la phrase douteuse d'un quelconque ministre ou contre une énième accusation de pédophilie organisée, la culture Web crée Pedobear et 4chan s'enflamme dans une joute interminable de propos et d'images racistes ponctués par le leitmotiv de “nigger”. L'opinion progressiste se mine et s'ennuie en cherchant l'ennemi tandis que les digital natives se gaussent du sacré républicain qu'ils mettent à bas. La merveilleuse opportunité qu'offre Internet, en comparaison avec l'espace public traditionnel où un mot en trop coûte une amende (ex : “Je suis le nègre d'Alice Samson”), c'est l'anonymat. Ainsi, tout est permis dans la plus parfaite impunité et sous le signe du symbole générationnel qu'est devenu le “lol” (analysé par la sociologue Monique Dagnaud sur Slate.fr). La subversion opérée par la contre-culture Web diffère des mouvements de contreculture traditionnels. Les 4chaners et autres acteurs d'internet sont jeunes, à l'instar des membres habituels des contres-cultures. Mais les punks, hippies, romantiques et autres dadaïstes s'affirmaient contre la pensée dominante de l'espace public au sein même de l'espace public, et ce dans une dynamique forcément politique. Au-delà du rire subversif dans la solitude du face à face avec l'écran, au-delà d'une revendication du sourire en coin corrosif, la contre-culture d'Internet ne semble rien revendiquer de proprement politique. Au contraire, la culture du lol désamorce d'emblée la réflexion, la lourdeur d'une pensée politique et son


dossier : web culture

“Et si vous n'êtes pas content, vous n'avez qu’à aller en Corée du Nord.”

Défiler dans la rue vêtu d'un keffieh, le cheveux gras et l'oeil rouge, en hurlant pour la fin du capitalisme, le retour de Marx et la décollation des symboles de la droite c'est sympa, mais c'est tout de même très XXeme siècle. A l'heure de l'interWeb quand on est jeune, qu'on n’aime pas la droite mais qu'on est lol dans son âme on va sur HDD. HDD (abréviation d'Humour De Droite) est un collectif anonyme installé sur Facebook et Twitter qui laisse les discours politiques, la critique marxiste et la flagellation du programme de l'UMP à nos géniteurs, préférant s'intéresser au pouvoir fédérateur de la droite par le rire. A travers ses jeux de mots, ses liens et ses photomontages, HDD passe les rêves de nos aïeux à travers le filtre de la culture lol. En clair : ils pourrissent la droite. Certaines figures de la gauche y ont parfois droit aussi, quand elles veulent bien se prêter au jeu guignolesque de la bourde médiatique. Mais de toute façon, comme le dit si bien mon père : “le PS c'est la droite”. En réaction, l'UMP a créé de nombreux sites un peu ridicules pour répondre péniblement aux attaques hilarantes de HDD. MDR. C.R.

ses images qui justifieraient une perte de foi en l'humanité en ce qu'elles mélangent scatophilie et pédophilie, et il serait facile de craindre que le masque de l'humour subversif s'imprègne bientôt dans la chair même de ses adeptes, peut être déjà incapables de faire la différence entre une blague vaseuse et un vice condamnable.

caractère sérieux, par le rire. Si les grandes personnalités politiques trouvent leur place parmi les nombreux objets de satire que se construit cette contreculture, c'est en tant que personnalités médiatiques plus qu'en tant qu'hommes politiques. Vladimir Poutine, par exemple, occupe une place de choix dans le cœur des internautes (cf. vladimirputinactioncomics.com) car il incarne avec entrain les clichés assignables au type de “l'ex du KGB russe qui part à la chasse à l'ours torse nu et prend un malin plaisir à étrangler les journalistes avec des câbles de piano”. De manière générale, à aucun moment les politiques ne sont moqués pour des idées ou des réformes précises. La culture du lol est un art carnavalesque. Ainsi, des personnalités oubliées de seconde zone, comme le chanteur ringard Rick Astley, deviennent de véritables phénomènes Internet tandis que les grands de ce monde sont changés en marionnettes comiques. La génération lol, celle des digital natives, est une génération du rire qui, au sein d'un espace publique moribond et déprimant de sérieux, s'exprime sur le nouvel espace d'échange que constitue le Web. Au-delà de sa dimension apolitique, la contre-culture du Web se caractérise par la notion d'anonymat. Les punks, les dandys ou les hippies constituaient des groupes de contre culture visibles au sein d'un espace publique matériel. Concentrés dans certains espaces de la ville, ils affirmaient leur conception du monde et de la vie à travers un style vestimentaire excentrique et volontairement ostensible. Les acteurs de la culture web, eux, sont en grande partie anonymes, et ne sont membres d'un groupe que lorsqu'ils sont devant leur ordinateur. Au quotidien, dans la rue ou dans l'espace scolaire, rien ne les différencie des non-acteurs du Web. La grande originalité historique des digital natives consiste dans le fait de s'être constitués en groupes immatériels, virtuels et anonymes. Sans rentrer dans la paranoïa véhiculée par nos ancêtres, qui tendent à voir dans cet espace immergé le berceau du vice et de la délinquance numérique, on peut s'intéresser à la face obscure de l'anonymat, ou quand le lol devient lulz. En effet, si publiquement un propos déplacé ou une blague douteuse se payent généralement par la sanction sociale voir législative, sur Internet l'anonymat libère l'individu de la crainte de la punition. Ainsi, racisme, antisémitisme et pédophilie deviennent, sur des plateformes telles que 4chan, objets du rire, et ce dans la logique carnavalesque évoquée plus haut. Le lulz, jumeau malin du lol, est, au-delà du rire jaune et corrosif, un rire libérateur et transgressif qui se déploie dans le plaisir de braver l'interdit social dans l'impunité. Mais où est la limite entre le rire mauvais et la pure et simple pédopornographie ? On trouve en effet dans /b/, le forum le plus populaire de 4chan, de nombreu-

Malgré l'anonymat inhérent à la contreculture Web, depuis quelques semaines déjà, les Anonymous semblent sortir de leurs tanières pour s'affirmer dans l'espace public. L'affaire WikiLeaks a marqué l'affirmation d'une identité communautaire à travers les actions des Anonymous en faveur de Julian Assange. A l'occasion des récentes émeutes tunisiennes et égyptiennes, on a pu voir défiler des hommes affublés du masque de Guy Fawkes (hommage au film V pour Vendetta). En contestant l'autorité de Ben Ali et de Moubarak de cette façon, ils s'affiliaient directement à la figure des Anonymous. Ces derniers se réclament des grands principes du Web, à savoir liberté d'expression et absence de censure, et c'est en ce sens qu'ils s'opposent officiellement aux dictatures. Sans décrire leur action plus en profondeur, on peut se demander ce que ces faits récents nous disent de l'avenir de la communauté Web. Sont-ils annonceurs d'un déplacement de l'espace virtuel dans l'espace public, ou au contraire de la prise de l'agora traditionnelle par les acteurs du Web ? L'anonymat des participants de ces actions politiques conduit à un doute sur leur nature même : s'agit-il de 4chaners lambda ou plutôt de vagues internautes opportunistes et de quelques meneurs, professionnels de l'informatique ? La contamination de la société des digital natives par le sérieux du politique signe-t-elle la mort du lol ? Ou manifeste-t-elle plutôt la poursuite d'une logique carnavalesque dans laquelle le citoyen du Web prendrait le pouvoir contre l'autorité traditionnelle ? L'avenir nous le dira... Constance Riquelme *Steven Levy, Hackers, Heroes of the computer revolution (1985), dans L'imaginaire d'Internet de Patrice Flichy.

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La culture Les années 90 n'ont pas seulement enfanté de lois de protection des droits d'auteur de plus en plus dures, elles ont vu dans leur crépuscule la création du mouvement pour la culture libre. Si les contours de la culture libre ne sont pas récents (ils apparaissent dès l'invention de l'imprimerie au XVIe siècle), c'est l'essor d'Internet conjugué à la réaction épidermique des “industries culturelles” qui encourage la création de “student for free culture”. Cette association qui existe dans 40 universités à travers le monde vise à développer la culture libre à travers de nombreux projets, comme la diffusion de logiciels gratuits sur les campus. Autour du juriste américain Lawrence Lessig, le mouvement prend de l'ampleur avec la publication en 2004 de “Free Culture” qui lui donne des bases juridiques et idéologiques. La culture est un bien commun à tous et doit circuler sans contraintes. Internet devient le terrain d'expérimentation des amateurs du “libre”. Les logiciels libres qui se multiplient sur la Toile constituent logiquement le terreau de la culture libre, la diffusion d'Internet accentuant le phénomène. La crédibilité de ces derniers leur permet même de lutter à armes égales avec les logiciels “propriétaires”. La culture libre reste malgré tout un mouvement difficile à cerner, les domaines concernés sont aussi divers que les logiciels, la musique, l'éducation, la vidéo ou encore la littérature. On ne peut donc pas la dissocier de la formidable source de partage que constitue Internet. Il ne s'agit pas de télécharger illégalement des œuvres protégées, mais de militer en amont pour encourager des formes de création et de diffusion alternatives. La création des licences Creative Commons a pu donner un cadre juridique à la création libre. Dépassant le copyright et ses “tous droits réservé”, les licences Creative Commons consacrent le “certains droits réservés”. Il s'agit de séparer la paternité de l'œuvre des aspects mercantilistes dans la création. L'outil permet de choisir le degré de liberté de diffusion de l'œuvre. L'auteur d'une “œuvre de l'esprit” pourrait ainsi choisir d'autoriser l'utilisation de son travail si son nom est mentionné, de se réserver le droit d'autoriser un éventuel usage commercial ou de modification à condition que l'œuvre soit diffusée sous la même licence. Par exemple, Wikipédia est disponible sous une licence Creative Commons “de partage à l'identique”. Michel Houellebecq, en utilisant des extraits de Wikipedia sans en citer la source dans La carte et le territoire, se place théoriquement sous le coup de la licence libre et donc de l'obligation de diffusion gratuite de son œuvre sous la licence Creative Commons.

libre

D'autres initiatives ont vu le jour, les licences Copyleft se concentrent particulièrement sur le domaine de l'art. Il n'est à aucun moment question de supprimer les droits d'auteur, la paternité de l'œuvre est protégée, mais la diffusion, le partage et la collaboration sont encouragés dans le respect du travail du créateur. Le succès de ces licences tend à redessiner les notions traditionnelles des droit d'auteur en lui donnant de nouvelles grilles de lecture. La diffusion de contenus s'accompagne de projets collaboratifs dont la figure de proue, Wikipedia, est alimentée par une immense communauté à travers le monde. Les différents secteurs de diffusion des contenus culturels sont bouleversés par les nouvelles attitudes de consommation, et face à ces changements en profondeur, les industries culturelles se braquent et opposent les droits d'auteur. La force de la culture libre est donc de proposer un socle juridique sérieux qui cristallise les antagonismes entre les modes de diffusions classiques et un nouveau principe, fondé sur des licences libres, qui facilite l'accès aux contenus culturels. La culture libre reste un chantier énorme. Si Internet est une mine d'or pour les initiés, le mouvement est très largement méconnu par le grand public, même si des initiatives locales dans des médiathèques ou des plateformes de téléchargement de musique libre commencent à prendre de l'ampleur. De même, les détracteurs des licences libres mettent en exergue l'absence de modèles économiques crédibles pour rémunérer l'artiste. Le caractère dynamique et inachevé de la culture libre est son principal atout tant son caractère s'affine au gré des initiatives ambitieuses. On peut évoquer le cas du site Jamendo qui propose un catalogue de 300 000 morceaux sous la licence Creative Commons ou encore le site de partage de photographies Flickr. Les bibliothèques en ligne d'œuvres du domaine public, les plateformes de téléchargement de musique libre ou encore la qualité des nouveaux logiciels libres face à des industries culturelles sclérosées sont autant de facteurs qui promettent à la culture libre une place de choix dans le débat public. Pierre Estève

L'association des “étudiants pour la culture libre” est ouverte à toutes les bonnes volontés. Ses membres tentent de sensibiliser les différents acteurs de l'industrie culturelle et de travailler sur des projets tels que “Savoir Libre” afin de développer le partage des ressources numériques des universités. Rejoignez-les ! Contact : contact@freeculture.fr


dossier EDITO : web culture

Manifeste

pour une génération engagée

donc leurs censures, et certains, comme la Chine qui a publié un fascinant White Paper on Internet Policy (2) en juin 2010, rêvent Amis du XXe siècle et de la génération Internet, qui avez grandi d'un réseau national affranchi des libertés et des principes du bercés par la culture Web et avez fréquenté MSN Messenger et cyberspace mondial. C'est là un grand défi politique lancé à notre les forums Caramail, il est temps de porter un regard critique sur génération, un défi de solidarité qui nous demande de veiller à ce l'évolution d'Internet aujourd'hui. Nous, digital natives, avons que notre Toile reste la Toile de tous, permettant l'expression de connu le Web en pleine expansion, animé par les principes qui chacun. La prochaine fois que vous vérifiez que votre petit cousin étaient les siens dès sa création : l'universalité, l'accessibilité. ne peut pas accéder à YouPorn, profitez-en pour voir s'il peut se Nous avons plongé au cœur d'une galaxie ouverte et égalitaire, où connecter aux blogs qui couvrent les révoltes égyptiennes. Vers l'information était facilement accessible et où la parole de chacun qui se tourner ? Aller voir Global Voices (3), un réseau internatiopouvait aisément parvenir à tous : un blog politique d'un résistant nal visant à amplifier les voix de ceux qui veulent faire usage de kenyan ne se chargeait pas moins vite que le site du Figaro, et leur liberté d'expression contre quand nous avons commencé nos études, Google a une censure rampante ; ou entrepris de scanner les bibliothèques de la terre encore les associations “Alors que nous croyons entière pour que ces ouvrages nous soient comme Reporters évoluer sur une grande toile, nous accessibles partout. Pour nous, tout cela sans frontières allait de soi et il n'y avait pas de raison parévoluons parfois dans des petites qui assurent la ticulière pour que nos enfants ne connaisbulles, avec une possibilité d'être veille sur ces sent pas ces mêmes opportunités. C'était sujets. confrontés à des opinions nouvelles qui sans compter sur le réveil des intérêts partidécroît à mesure de nos recherches culiers et corporatistes qui font peser de lourInternet est Google.” des menaces sur l'accessibilité et l'universalité notre espace de culture, de l'Internet aujourd'hui. Si notre génération ne et d'information : la Toile nous apporte les écrits de Platon prend pas conscience du devoir qu'elle a de s'encomme les derniers clips de Phoenix, en passant par les articles gager pour protéger l'esprit du Web, nos enfants de Libération et les poèmes de John Keats. Cela fait du Web un risquent bien de nous rire au nez lorsque nous leur formidable outil de civilisation et de partage, et un levier puissant parlerons de l'espace ouvert et fertile qu'était pour lutter contre les inégalités : les contenus qui pendant des sièInternet au début du XXI siècle. cles ont été réservés aux plus privilégiés sont désormais à portée Tour de piste de ce que nous avons fait jusqu'ici sur le Web, et de de clic et accessibles, tout du moins formellement, à tous ceux ce qu'il va falloir faire pour que cela soit encore possible demain. qui peuvent accéder à ce grand réseau. L'incroyable disponibilité de ces contenus culturels ne doit pas masquer leur immense fraInternet a été notre espace d'expression, et a accueilli, bras gilité. Les études ont beau démontrer que 44% des internautes ouverts, les débats, les contre-cultures et les opinions alternati- français n'ont aucune intention de payer pour les biens culturels ves. On voudrait nous faire croire qu'aujourd'hui, l'enjeu est de sur Internet (4), cela ne veut pas dire que les industries vont lâcher réguler ce qui est accessible par tous : on se plaint que des l'affaire. Des coups de butoir sont assenés à toutes les plateforenfants puissent tomber nez à nez avec de la pornographie ou mes sur lesquelles circulent ces contenus, de Google News à feudes opinions extrémistes. En réalité, les études tendent à prouver Mininova, en passant par YouTube. Ne pensons jamais qu'on ne que ce sont des cas plutôt rares, et beaucoup de solutions sont pourra plus reculer par rapport à l'état des choses aujourd'hui : développées pour les éviter, comme les logiciels de contrôles rien n'est plus faux sur Internet. Un contenu accessible gratuiteparentaux. Le vrai enjeu est l'action des Etats et la banalisation de ment aujourd'hui pourra être payant demain, et les premiers sur la la censure au fur et à mesure que ces techniques sont maîtrisées sellette seront les articles de presse. Nous devons également par les gouvernements. Internet offre une plateforme idéale à prendre conscience d'une autre menace plus subtile à cet espace l'exercice de la liberté d'expression mais on ferme les serveurs de libre et ouvert d'information que nous avons connu : les algorithWikiLeaks quand l'information devient compromettante et on mes de personnalisation. Ces algorithmes tournent derrière toutes enferme les blogueurs dérangeants. En 1996, l'américain John les applications que nous utilisons, de Google à Facebook, pour Perry Barlow proclamait l'Indépendance du Cyberespace et écri- nous proposer des résultats de recherche et des suggestions de vait : “Je viens du cyberspace, nouvelle demeure de l'Esprit. Au lectures plus “personnalisés”, basés sur nos recherches précénom du Futur, je vous demande, à vous du Passé, de nous laisser dentes et sur les caractéristiques de notre réseau social. Alors que tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez nous croyons évoluer sur une grande toile, nous évoluons parfois point de souveraineté là où nous rassemblons.”(1) Depuis, les dans des petites bulles, avec une possibilité d'être confrontés à Etats ont réussi tant bien que mal à imposer leur souveraineté et des opinions nouvelles qui décroît à mesure de nos recherches Citoyens de l'Internet, la patrie est en danger !

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..._...|..__________________ __, , ....../ `–-___________–– ;_____|] = = = = POW ...../_==o;;;;;;;;_______.:/ .....), –-.(_(__) / ....// (..) ), ––" ...//___// ..//___// .//___// Google. Il n'y a d'ailleurs plus de “Google standard” : en tapant les mêmes mots sur deux ordinateurs, on trouvera des résultats différents, orientés selon les paramètres que les algorithmes ont défini pour les utilisateurs. C'est ce que l'américain Eli Pariser, fondateur du site démocrate MoveOn.org, appelle l'effet “filter bubble”. Que faire ? Se rapprocher de ceux qui se battent pour qu'Internet réalise son potentiel culturel, comme les associations rattachées au mouvement de la culture libre. Prendre conscience du fonctionnement des algorithmes et veiller à ne pas se faire enfermer dans des bulles : désactiver parfois les recommandations automatiques. Internet est notre espace de création car c'est aussi le berceau de la culture du remix : je me nourris de ce que j'ai trouvé pour l'enrichir, le faire passer. Mais cette culture est bien vite rattrapée par des considérations juridiques : à force de procès et d'intimidations, la frilosité s'impose. La traque aux vidéos amateurs qui incluent des chansons sous copyright commence. Que faire ? Il faut que nous nous approprions les outils légaux qui permettent et encouragent cette culture du remix, comme les licences Créative Commons qui attachent à une œuvre un signe clair et fort disant : Emparez-vous de moi ! Partagez ! Remixez ! Et ce en toute légalité… Un exemple d'une œuvre de collaboration entre citoyens du cyberspace grâce à une licence Créative Commons ? L'encyclopédie en ligne Wikipedia. Une autre menace qui plane sur notre espace de création et d'innovation est illustrée par le débat sur la “neutralité des réseaux”. Ca sonne mal, et ça ne donne pas envie d'aller voir ce qu'il y a sous le tapis, pourtant ça en vaut la peine : c'est un enjeu crucial pour l'Internet de demain. Lorsque nous naviguons sur Internet, les données que nous recevons nous parviennent en “paquets”, et ceux qui nous transmettent ces paquets sont nos fournisseurs d'accès à Internet : Bouygues, Free, Numericable, etc. Eux disposent d'une capacité limitée et sont tentés de “trier” ces paquets : par exemple, un site pourrait payer ces fournisseurs pour que ses paquets soient prioritaires. Ou encore, Bouygues pourrait décider que les paquets qui proviennent/vont vers Skype passent après les autres, ce qui les arrangerait car leur offre est également une offre de téléphonie. Chaque fournisseur d'accès à Internet pourrait décider quels seraient les sites dont les paquets seraient “prioritaires”, c'est à dire les sites qui chargeraient plus vite que les autres. Bref, il serait possible que demain le site de l'UMP se charge 12 fois plus vite que le site du PS, ou l'inverse. Se battre pour la neutralité des réseaux, c'est affirmer que l'on devrait légiférer pour établir que les fournisseurs d'accès à Internet n'aient pas le droit d'ouvrir et de trier ces paquets. Chaque site disposerait de la même attention. Ainsi, le site d'une petite start-up se charge aussi vite que le site d'une grande multinationale, le site d'un blogueur indépendant aussi vite que celui d'un quotidien national, et le site d'un groupuscule politique aussi vite que celui

du gouvernement. C'est ce qui garantit que notre Toile reste un espace d'innovation et de liberté, et c'est ce qui est menacé aujourd'hui par certains fournisseurs d'accès à Internet qui souhaitent piétiner cela pour augmenter leurs revenus. Que faire alors? S'approprier le sujet et en parler autour de soi, pour que cela se place au cœur du débat politique. Se rapprocher des organisations comme la Quadrature du Net (5), qui surveille de près les législations françaises et européennes sur Internet pour s'assurer qu'elles ne viennent pas trop martyriser l'esprit du Web. Enfin, Internet est notre espace de rencontre, le forum de notre génération, et nous devons veiller à ce qu'il reste accessible à chacun. La fracture numérique, qui sépare ceux qui ont accès à Internet de ceux qui en sont tenus à l'écart ne se résorbe que très doucement. Elle a d'abord été tracée entre ceux qui pouvaient se permettre de posséder un ordinateur doté d'une connexion à Internet et les autres. Elle s'est ensuite immiscée dans ce groupe pour le séparer entre ceux qui avaient les capacités d'utiliser Internet de façon bénéfique et ceux qui n'y comprenaient rien. Aujourd'hui, elle éloigne du Web ceux dont la connexion Internet n'est pas assez bonne pour leur permettre d'accéder aux nouveaux sites, de plus en plus gourmands en bande passante ; à eux, ils ne restent qu'une petite partie de la Toile. Comment faire ? Ouvrez vos réseaux Wifi ! Faites en sorte que l'accès à Internet devienne une question politique, une priorité budgétaire, et que l'enseignement des pratiques et des techniques du Web fasse partie des programmes scolaires ! Voilà autant de raisons de s'engager, autant de portes auxquelles frapper, autant de questions sur lesquelles se renseigner. Ne cédons pas au pessimisme de ceux qui proclament que l'esprit du Web est mort, il vit encore en nous, génération de digital natives, et nous avons les moyens de le protéger contre ses détracteurs aussi divers qu'ils soient. Camille François 1 - La déclaration originale, en anglais, est disponible sur le site de l’Electronic Frontier Foundation (EFF) : http://projects.eff.org/barlow/Declaration-Final.html (traduction personnelle) 2 - Voir http://www.china.org.cn/2010-06/08/content_20206978.htm 3 - Voir http://globalvoiceonline.org et http://fr.globalvoiceonline.org pour la version française 4 - Etude publiée dans Le monde le 4 novembre 2010, voir http://www.lemonde.fr/technologies/reactions/2010/11/04/44-des-français-refusent-de-payer-les-biens-culturels-sur-internet_1435322_651865.html 5 - Voir http://www.laquadrature.net


dossier : web culture

#Partage

Pourquoi j'aime Pedobear ? Au delà de sa douce et chaude fourrure qui n'est pas sans rappeler le foetus originel, Pedobear nous parle des valeurs de l'Internet. Par sa naissance et sa pérennité, il incarne l'amour et le partage. Il n'est pas le fils d'un seul homme mais fruit d'une émulation collective et virtuelle. Création et contenu partagé, telles sont les valeurs de l'Internet qui s'incarnent dans cette nouvelle figure de l'amour. Du hauling à Pirate Bay, du Pron aux mèmes, des “faux médicaments” aux “bombes artisanales”, la culture de l'Internet s'articule autour d'une même logique de partage, de travail et d'intelligence collective, leitmotiv du web 2.0. Illustration largement non exhaustive.

La Fan Fiction Appropriation des mythes contemporains à l'ère numérique

Le monde merveilleux des Fan Fictions est un grand espace de liberté créatrice offert à une communauté virtuelle de fans. A son origine, il s’agissait de la mise en ligne de fictions réinvestissant une série télé ou un livre grâce aux nouvelles facilités d'édition d'Internet. La Fanfic permet à l'amateur d'explorer les vides scénaristiques ou de modifier une intrigue pour combler certaines frustrations. La mort de Nicolas dans Plus belle la vie en mars 2007 par exemple. Les univers les plus appréciés demeurent cependant ceux de Buffy, Stargate, Harry Potter, Naruto et Twilight. Ceux-ci inspirent nombreux textes imaginant des suites ou des spin off revisitant les relations entre les personnages. Comme le potentiel sexuel du couple Hermione Granger/ Dumbledore, trop peu exploité dans la saga de JK Rowlings selon certains.

Une écriture collaborative

La Fan Fiction est une écriture in progress. L'avis laissé par les lecteurs, le reviewing, fait partie intégrante du processus d'écriture et du contrat de lecture. Au fur et à mesure que le rédacteur poste ses chapitres sur les forums dédiés, les lecteurs sont appelés à réagir dans les commentaires. Le pire ennemi du rédacteur de Fanfic c'est le lecteur fantôme : celui qui lit mais qui ne daigne même pas lâcher un thumbs up. “Quand on me fait la demande de Fan Fiction et que vous avez le culot de ne même pas la commenter, alors que vous m’en avez fait la demande, je trouve ça limite insultant” se plaint un membre de fanficfr.net. “Certes, si on écrit c'est pour nous avant tout. Mais il ne savent pas à quel point c'est pour eux également” rappelle une spécialiste de manga, option Naruto, âgée de 17 ans. Alors oui, si le domaine des Fan Fictions reste encore relativement obscur pour la plupart des citoyens du Web, il n'en demeure pas moins un bel exemple de partage et d'amour du prochain on line. Bérengère Laeuffer

# “Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous.” (devise d'Ubuntu)

Partage des connaissances, mise en commun d'un savoir rendu accessible et gratuit à tous, l'Internet est le support d'outils de partage et de construction d'une connaissance commune, fabriquée à partir du savoir de tous et destinée à la communauté. Sur l'Internet on donne autant qu'on reçoit. Plaisir d'offrir, joie de recevoir. Si les applications les plus ambitieuses de ces grands principes sont les projets Wiki (Leaks & Pedia), les Creative Commons ou encore les Pearltrees et les logiciels libres, les déclinaisons concrètes du motif de partage se retrouvent un peu partout et notamment dans la Web teen culture. #29 In the internet all girls are men and all kids are undercovered FBI agent

Selon une étude du Berkman Center environ 64% des ados américains utilisant régulièrement l'Internet y produiraient des contenus. Les digital natives, véritables stakhanovistes, épanchent en continu dans l’espace public leur fragilité et divers malaises propre à leurs âges. Blogs, remix, photomontages, Myspace angles et chaînes YouTube, la majorité des productions adolescentes ne débordent certes pas d'une créativité renversante mais restent néanmoins des créations à part entière. Clay Shirky, théoricien majeur de la culture Web, prend l’exemple des LOLcats afin de mettre en valeur ce processus créatif. “Même si on dit que les LOLcats sont l’une des créations les plus bêtes et faciles d’Internet, c’est quand même un acte de création et non pas une consommation passive de médias. C’est une manière de s’engager et de créer, même si c’est banal”. #20 Nothing is to be taken seriously

Phénomène récent repoussant les limites de la décence, allant encore plus loin dans la marchandisation et le dévoilement de l'individu : le hauling (de haul- butin). Avec les blogs mode, le hauling est l'une des principales cyber-activités de la teen tendance atention-whore. Brosse à dents really-really cute, solution pour lentilles de contact, super-awesome pink tee-shirt... Blair Folwer a.k.a Juicystar07, 17 ans, deux chaînes YouTube, 1 million d'abonnés et 300 vidéos au compteur, détaille avec une précision quasi chirurgicale tous ses achats du jour au mall. On avait jamais été aussi loin dans la mise en scène et le partage de son intimité. Mais dépassé le supplice du visionnage qui donne matière à une perte de foi totale en l'humanité, ces vidéos-performances se révèlent presque touchantes. Assises seules dans leurs chambres face à leur webcam, ces jeunes cruches filles parlent pendant des heures de tout et de rien et reçoivent des centaines de commentaires élogieux leur demandant de continuer à raconter leur vie. C'est vain mais pas si grave. Elles s'expriment, elles partagent des expériences, communiquent avec d'autres filles ayant les mêmes centres d'intérêt qu'elles. Même si elles se défendent d'être vendues, rhétorique classique des blogueurs qui omettent souvent la mention “billet sponsorisé”, on imagine que les marques vont s'emparer du phénomène et en dénaturer la spontanéité. Dommages collatéraux : les Françaises s'y sont mises, et le hauling Halle-auxvêtements/Gémo Chaussures, c'est assez formidable... #30 There are no girls on the Internet

Heureusement, la vacuité abyssale des blogueuses mode et des attention-whore n'a pas totalement gangréné l'Internet et des têtes d'ampoules quasi pré-pubères nont les auteurs des créations les plus folles de l'interWeb. ON pense à 4chan évidemment. Christopher -Moot- Poole a 15 ans lorsqu'il entreprend de traduire le board japonais en anglais. Ou encore Chatroulette. Aujourd'hui paradis de la bite esseulée, ce site de messagerie instantanée brillant par l'ingéniosité et la simplicité de son concept (mettre en relation par webcam des individus random) a été conçu par un Moscovite de 17 ans. Plus récemment des Auvergnats de 15 et 16 ans ont été arrêtés, soupçonnés d'avoir participé aux attaques des Anonymous contre Paypal et Mastercard. K?-14


LES GIFS

#43 The more beautiful and pure a thing is - the more satisfaying it is to corrupt it

28 juillet 2010, Huntsville, Alabama. La police est à la recherche d'un homme qui se serait introduit par surprise dans le lit d'une jeune femme de la ville, Kelly Dodson, pendant son sommeil. Reveillé par ses cris, son frère Antoine se rue dans la chambre, saute sur l'inconnu engageant alors un corps à corps sans merci. Alors qu'Antoine tente de l'étrangler, le voyou s'échappe par la fenêtre. NBC arrive sur les lieux et interviewe le jeune homme qui relate les faits. “Well, obviously we have a RAPIST in Lincoln Park. He’s climbin’ in your windows, he’s snatchin’ your people up, tryin’ to rape ‘em. So y’all need to hide your kids, hide your wife, and hide your husband cause they’re rapin’ everybody out here”. Le problème d'Antoine est qu'il est à la fois source de LOL et de malaise. Petit renoi chétif, vêtu d'un marcel noir et d'un badana rouge, il rappe son texte à NBC en zozotant. A peine la vidéo mise en ligne, la magie de l'Internet opère. Des centaines d'internautes s'emparent du matériau et s'en servent comme instrument de base à la formation de nouveaux objets - clips, images, remix. Entrisme suprême, le single the Bed Intruder Song, autotune de la phrase d'Antoine Dodson finira classé dans le Bilboard et dans le top vente iTunes. Le chemin effectué par la vidéo mérite d'être souligné. Fabriquée dans les canaux médiatique traditionnels, elle est récupérée par des internautes puis modifiée des centaines de fois jusqu'à devenir un mème (un élément culturel reconnaissable). Sa popularité sur Internet lui offre un relai médiatique puis une reconnaissance institutionnelle immortalisée par l'entrée dans une institution de la pop culture, le Bilboard. D'autres mèmes Internet ont ainsi émergés dans l'espace public traditionnel comme les lolcats, le Double Rainbow (à qui Vodafone a dédié une pub) ou encore le petit Keenan, et la scandaleuse récupération du phénomène par David Guetta. #21 Original content is original only for a few second before getting old

La création sur Internet prend parfois la forme d'un palimpseste numérique et mondial dans lequel chaque auteur disparaît sous le pasticheur qui le dilue à son tour. Parangons de la culture web, les gifs, les mèmes ou les Fan Fictions sont des oeuvres construites à partir du travail d'autrui. Les chercheurs du Berkman center qualifient dans leur livre Born Digital ces créations de “derivative works”. Partant d'un contenu existant, chansons, image, vidéos ou textes, les internautes l'enrichissent en le modifiant, le détournant ou ajoutant du texte, créant ainsi des objets inédits et protéiformes. #24 Every repost is always a repost of a repost

C'est sur ce modèle qu'est construit le board d'image 4chan. Très grossièrement, 4chan est une sorte de cadavre exquis géant auquel chacun pourrait contribuer anonymement. Produisant beaucoup de ses emblèmes et fournissant une structure et un cadre aux Anonymous, l'image board américain est le réacteur nucléaire de la Web culture. Problème : une de ses caractéristiques est que seules les seize dernières pages de discussion sont accessibles, le reste disparaissant automatiquement. Se pose la question de la mémoire de la culture Web puisque en dehors de certains thread archivés par des volontaires (4chanarchives.org) la plupart disparaisse en quelques heures et avec eux des pans entiers de créations collective. Il n'existe pas vraiment de sites archivant les gifs et autres trésors de la créativité collective. Quelques tentatives, comme Know Your Meme tentent de retracer le parcours de ces icônes de la culture Web mais ces entreprises de préservation du patrimoine de l'internet restent marginales. Alice Samson

Il y a plus de 10 ans, le Web était une poubelle graphique. Les sites tout en html fleurissaient à la vitesse de l'éclair, vierges du futur streaming et du Web 2.0. La lenteur du réseau nous obligeait à concevoir les animations en 10 images par seconde et en 256 couleurs : le gif. Considéré auparavant comme une transition bâtarde avant l'arrivée de la sainte vidéo et du Flash, il est vu aujourd'hui comme un fichier vintage d'exception à conserver et à mettre sur un piédestal. Format d'image préféré de la réserve de fous furieux 4chan, il est aussi le support des vannes sur la Toile, et un moyen d'expression pour les geeks et les hipsters. Ainsi, des chats issus des quatre coins du Web (voir phénomène “Lolcats”) accèdent à une éternité bouclée, où quelques secondes d'animation se répètent à l'infini devant le regard hypnotisé des digital natives. Alors que la télé YouTube fait zapper tout aussi vite que la télé inutilisée de chez nos parents, le gif lui quadruple, octuple son temps de visionnage. Les séquences pornos d'une demi-seconde se transforment en coït éternel et on se surprend à apercevoir un changement d'expression, un signe d'amour dans le regard de l'actrice. Et ce chat qui sort de sa boîte pleine de polystyrène pour la centième fois, il finit même par vous regarder dans les yeux. Il sort soudain de l'écran, s'approche de vous et vous lèche sensuellement la lèvre supérieure en murmure : “MIAOU”. Vive les gifs ! Stan Coppin

PRON, l'héritage.

Stop aux grands discours, de toute façon, tout le monde le sait : INTERNET IS FOR PR0N. Autant arrêter de se voiler la face, notre appel à une prise de conscience des jeunes pour la préservation de l'Internet tel que nous le connaissons est un leurre qui cache une cause bien plus ambitieuse et salvatrice : la sauvegarde et la mise en valeur du pr0n. (ndlr : pr0n est un leetspeak utilisé pour contourner les filtres parentaux qui bloquent automatiquement le mot “porn”.) Maman, si tu me lis, cet encart parle de Louis Hector Pron, né à Sézanne (Marne) le 29 décembre 1817. Car s'il y a bien un règle de l'Internet avec laquelle il est impossible de transiger c'est la rule #34 : “If it exist, there is a porn of it, no exception”. Appuyée par la rule #35 : “If no porn is fond at the moment, it will be made”. Ces deux règles donnent naissance aux créations les plus merveilleuses de l'Internet : des gifs animés pr0n de 4chan, des parodies de films aux titres croustillants (2 Fists 2 Furious, Lost In Menstruation, No Cunt for Old Men), des scrupuleuses dissimulations de bites dans des photos politiques ou de délicieuses vidéos de fail sexuels (efuckt.com en présente un florilège). Souvenez-vous, INTERNET IS FOR LOLPRON. A.S.

Pedobear

Pedobear est, comme la plupart des mèmes, une image orpheline née d'un gang bang numérique sur un board japonais. D'abord appelé Kuma, il change de nom en arrivant sur 4chan. Affublé de tels problèmes identitaires, il aurait pu devenir gay (Christine Boutin likes it) ou tueur en série, mais c'est finalement vers une cause plus noble qu'il se tourne : celle de la promotion de l'amour intergénérationel. Pedobear est l'un des mèmes les plus drôle d'Internet. Pourquoi faire des blagues sur la pédophilie ? Le côté cajoline de PedoBear y est certainement pour beaucoup, quoi qu'un gif animé de Marc Dutroux ferait sans aucun doute beaucoup rire. C'est en fait la dichotomie représentée par l'ourson avide de chair fraîche qui fascine. A la fois peluche et pervers, il met en scène ce qui reste, avec l'inceste, l'un des tabous majeurs de la sexualité contemporaine. Pedo propose une approche dédramatisée de la pédophilie, sorte de carthasis par le rire. Pedobear à l'école ? Pourquoi ne pas utiliser ce genre de figures faciles à détourner afin d'éduquer les plus jeunes aux usages d'Internet et la prévention de la pornographie ? A.S.


dossier : web culture

Le Grand Test : Qui es-tu sur les Internets ?

On est des filles, on aime les quiz ! Nota Bene : ne pas se laisser désarçonner par l'apparence cryptique de ce test. Et si vous n'êtes pas content, vous n'avez qu'à aller sur Wikipédia (ou relire le dossier). Par Constance Riquelme et Alice Samson

1. 4chan ?

L - L'ENS Cachan ? J'y ai fait mes Humanités, c'est très coté

P - Je ne vais jamais en banlieue + - Un trèfle magique ( - My Own Private YouPorn F - Cachan, ville fleurie ?- Je ne comprends pas la question

Chacha

( - (M) Etudes + puériculteur / (F) Etudes + sage-femme + - Japanese girls + octopus + vomit

2. Justin Bieber ? + - Un mème F - Bang me

L - Un intéressant mais non moins scandaleux phénomène social ( - 16 ans ? Too old P - Hihi, il est trop cute ? - Je ne comprends pas la question

L - Christine Boutin + juive

?

- Je ne comprends pas la question

7. Ton ultime fantasme ? P - Une machine à cupcake L

3. Pudi Pudi ? F - GIGA PUDI P - 546 kcal par portion, on dirait les fesses de KenzaSMG + - #oldlink cette vidéo a au moins 24 heures

L - L'engouement autour d'un Flamby illustre bien la dégénérescence de l'être…

( - J'en distribue le mercredi à la sortie des écoles japonaises ? - Je ne comprends pas la question

- Réintroduire la rhétorique au coeur de l'Education Républicaine F - Ta gueule, ton questionnaire est trop pété + - Voir un double rainbow en caressant ton chat et consoler Sad Keanu ( - Avoir des enfants ? - Je ne comprends pas la question

8. Ta citation préferée ? + - Marble Cake also the game

L - Internet est la plus grande saloperie inventée par l'homme

( - I didn't know she was under 12 P - “Il n'y a pas de mode si elle ne descend pas dans la rue”

4. Pandora ? + - Un site américain de musique indie. P - Diane chasseresse à lunettes

Coco Chanel F - Vous l'aurez lu ici en premier ? - Je ne comprends pas la question

L- Du grec ancien Pandora, “tous les dons”

( - Elle a perdu tout intérêt il y a 15 ans. Elle a une petite soeur ? F - Elle m'a banni de son blog la pute ? - Je ne comprends pas la question 5. Ton dernier achat sur le Web ?

6. Ta dernière recherche sur Google ? F - (M) 7 secondes, suis-je normal ? // (F) Croûtes vaginales P - Saywho.fr pour mater les photos de la soirée Vogue au

9. Ta dernière activité Facebook ? L - Jean-Michel is now listed as “widowed”

L - Je n'utilise pas ma carte bancaire sur Internet, sur France Q ils ont dit que c'était le nouveau terrain de jeu du grand banditisme + - Un PayPal à Julian Assange P - Des peeptoes en croco sur Asos.uk F - Un PayPal à Mixbeat ( - Sur eBay, des photos exclusives de Natascha Kampusch ? - Je ne comprends pas la question

F - Jessica joined the group “Qui regarde mon profil ? Le seul groupe qui marche VRAIMENT !” ( - José is attending “Anniversaire surprise pour les 6 ans de Sandra” + - Aucune. Ton faux compte te sert uniquement à stalker les #meufsbonnes P - Justine is “7 jours, un shoot Dirty Glam, une fashion week, des soldes, un article sponso. Place your bets” ? - Je ne comprends pas la question

K?-16


P Tu es une blogueuse mode

Ou peut-être même pire : une blogueuse maquillage, voir une twittas ! EPIC FAIL ! Tu remplis la succession inane de tes journées vaines passées à rêver de soirées Vogue en remplissant ton blog de photos de toi, espérant secrètement atteindre ainsi le graal d'une reconnaissance officielle, matérialisée par un “like” de Betty ou même, ultime extase, d'une apparition sur Lookbook.nu. Cependant, le temps passe et tu es toujours seule devant ta glace, ton appareil photo en main tandis que dans ton séant s'amoncellent les cupcakes qui bientôt feront apparaître aux yeux de tous les stigmates de ton désespoir, qui, au moins, auront le mérite de combler une part de ta vacuité. Encore une fois : FAIL !

F Tu es un troll

Dans un démarche d'intégrité il nous est nécessaire d'établir une typologie du troll. D'abord, le troll newfag a.k.a le relou. En gros le Frédéric Lefebvre de la vie numérique. Très premier degré, tu spammes les pages Facebook de tes amis en répondant à des questions sur eux (exemple : “Penses-tu que Clara Durand mange ses crottes de nez ?”). Jamais avare d'un petit commentaire relou, tu es toujours prêt à partager un souvenir de vacances sur le wall de ta cousine qui vit à la Capitale, le tout dans une inconscience totale des codes et des règles de l'Internet (exemple : tu as poké ton patron). Le troll, le vrai, aime tout simplement pourrir le monde virtuel de ses déjections. Dans la vraie vie, tu commanderais 36 pizzas aux anchois chez Speed Rabbit pour un inconnu ou ferais des canulars téléphoniques le mercredi après-midi. Mais grâce à l'Internet, le champ de tes victimes potentielles est décuplé. Avide de jeunes blogueuses à victimiser ou d'une page UMP à troller, tu es polyvalent. A coup de fausses rumeurs sur des people du show-business, de subtiles photomontages de Benjamin Lancar avec un pénis dans la bouche, des blagues sur les noirs, les roux, les nazis et Nadine Morano, tu réveilles la sphère mondiale de l'engourdissement et la mollesse dans laquelle elle est plongée. Merci.

( Tu es un Pedobear

Tu as su déceler le premier les nombreuses opportunités qu'offrait Internet dans une société saturée de politiquement correct. Tu es l'exemple vivant de la réconciliation intergénérationnelle par Internet : de 7 à 77 ans, tout le monde a le droit à l'amour. Grâce à ce formidable outil informatique, tu as su faire sauter les barrières sociales et prendre à bras le corps l'éducation des enfants de demain. Ton combat ? Le filtre parental. Ton calendrier ? Scouts de France chopé en PDF. Avec Marc Dutroux, depuis Fleury-Mérogis, vous administrez le fan club français de Justin Bieber. Tu es si mignon et si doux qu'on a envie de te poker. Bien joué.

+ Tu es un /b/tard

EPIC WIN ! Bravo, tu es le menu Maxi Best-of de ce quiz. Tel un Robespierre des Internets, couronné de trèfle, tu arpentes fièrement le chaos des voies les plus impénétrables de la sphère mondiale, imposant la Terreur du lulz. Un gif animé d'Hitler en plein gang bang de nourrissons, ta sœur sodomisée par Justin Bieber ? #oldlink. On t'accuse de violer la morale des foules avec toutes ces images vraiment dégoûtantes que tu fabriques seul derrière ton ordi en mangeant du pudi. Heureusement, tu trouves ton salut médiatique en piratant la Scientologie et MasterCard, mais seul le beau et rassurant beige-rosé et l'architecture stalinienne de ton site favori t'apaise. (Si tu te reconnais dans cette description, je t'aime déjà sur Internet, Poke-moi !)

L Tu es Alain Finkielkraut, Jacques Séguéla ou une mamie

Equipé de Windows 95 et d'un modem AOL tu découvres le plaisir de la navigation sur les Autoroutes de l'Information et le bridge en réseau. Ton courriel, @clubinternet.fr, te permet d'envoyer des cartes de voeux Dromadaire à tes petits enfants pour la Noël et des réclamations à RTL. Tu ne t'aventures pas plus loin dans les abysses de l'Internet mondial sachant pertinemment qu'il héberge en son sein un vivier de pédophiles, pervers, pirates et maniaques en tous genres. En plus, à cause d'Internet, les jeunes ne savent plus parler français et les Juifs vont prendre le contrôle du monde, donc bon.

? Tu n'as pas compris les questions

Oups, il semblerait que tu ne fréquentes pas beaucoup les Internets... Peut-être habites-tu en Somalie, au quel cas ce n'est pas de ta faute. Ou peut-être fais-tu tout simplement partie de la commission Hadopi et, dans ce cas, je comprends bien ton embarras.



cinéma

NEVER SAY NEVER

A l'école d'Hailsham, les élèves reçoivent une éducation exemplaire et sont bercés dans un cocon protecteur. Ils apprennent dès l'adolescence qu'ils sont destinés à servir de donneurs d'organes et qu'ils ont tous été enfantés dans cet unique but. A l'âge adulte, trois d'entre eux tenteront de se battre contre cette fatalité pour obtenir une vie normale.

Dream Team Le projet ferait saliver n'importe qui : l'adaptation du best-seller Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro, un film d'anticipation dans la campagne anglaise avec un trio d'acteurs dans le vent et un traitement so indie. On ne présente plus Keira Knightley et il en sera bientôt de même pour Carey Mulligan, fraîchement nominée aux Oscars, et Andrew Garfield, le prochain Spider-Man. Derrière la caméra : Mark Romanek. Clippeur renommé, notre homme a notamment travaillé avec Michael Jackson et Madonna. Après avoir brillamment réussi son passage au cinéma (Photo Obsession, 2002 - ndlr), Never Let Me Go semble être le long métrage parfait pour le faire rentrer dans le panthéon des réalisateurs qui comptent. Traitant de thèmes forts comme le clonage, sur fond de triangle amoureux, on pouvait s'attendre à une oeuvre intense et ambitieuse. Formellement, la maîtrise est irréprochable, les images léchées comme un shooting mode de Numéro en pleine campagne, avec la crème de la relève anglo-saxonne. Cette stylisation exacerbée crée une étonnante fragilité qui donne un ton délicat au film. Une préciosité de tous les instants. Jusqu'au générique de fin, aussi clean que minimaliste.

“Remonte un peu la tête Keira... Lève le menton Andrew...” Malheureusement, Never Let Me Go, ça ressemble à Hipstamatic sur ton iPhone. La photo inutile que tu filtres pour la rendre plus cool. Le film peine à démarrer, même si on pardonne tout tellement c'est beau. On repousse la désillusion, quitte à s'empêtrer dans le rythme lent. Pas grave. C'est celui, agréable, qui laisse le temps aux spectateurs d'admirer les images. Puis on attend ne serait-ce qu'un ascenseur émotionnel de quelques secondes, mais rien ne vient, juste l'horrible frustration d'un vide non justifié. On finit par décrocher à force de ne plus y croire, mécontent de s'être fait berner. Puis tout à coup, le film fait son premier faux pas, trop en confiance, et c'est la catastrophe. La scène du cri d'Andrew Garfield devant sa voiture, censé être le climax du film tombe complètement à plat. Pas que ce soit mal joué, mais le personnage n'inspire rien sinon l'ennui. Tout l'équilibre s'effondre et on se désole qu'un film à pareil potentiel se soit égaré. Pour le chef-d'oeuvre d'anticipation post Fils de l'Homme (Alfonso Cuaron, 2005), on repassera... Stan Coppin *Never Let Me Go, de Mark Romanek. Sortie le 2 mars 2011

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cinéma/actu

BOXE OFFICE “Boxing Gym” de Frederick Wiseman Sortie le 9 mars 2011

Des bruits sourds, inlassables, une camera vive, une lumière divine, qui éclaire cette salle étonnante du fin fond des USA : le décor du dernier film documentaire de Frederick Wiseman est planté. Avec ce bijou, l'éminent documentariste américain trouve enfin la reconnaissance qu'il mérite de notre côté de l'Atlantique, comme en témoigne l'hommage reçu à Cannes il y a quelques mois. Travailleur du réel, Wiseman fait de son sujet une oeuvre visuelle, sonore et sociologique. En plaçant sa camera dans cette salle de boxe où se rencontrent toutes sortes d'individus, de tous âges, de tous milieux sociaux, il construit un lieu en forme de métaphore d'un pays dont la mixité sociale est l'un des piliers de l'identité culturelle. Il y film aussi bien des femmes que des hommes, des vieux que des enfants, des milliardaires que des clandestins. Il s'agit de recréer le système en miniature afin de laisser parler l'utopie de rencontres impossibles dans d'autres lieux. De laisser s'exprimer le corps des protagonistes filmés, et de capter toute leur intensité. Le film s'avère d'une sublime plasticité, tant par le cadrage, la lumière et le mouvement que par la gestion du son. Wiseman nous plonge dans un univers physique, contraignant le spectateur à se laisser porter malgré lui par la violence (relative) des scènes. Le film dépasse alors son rôle politique pour devenir une oeuvre portant en elle une rage et une pureté inédite, proche de la poésie. Une véritable leçon d'humanité et de cinéma.

illustration : Géric Alonzo

Grégoire Henrion

PAS DE BRAS, PAS DE CHOCOLAT “127 heures” de Danny Boyle Sortie le 23 février 2011

Danny Boyle aime être là où on ne l'attend pas. Confirmation avec son dernier film sur l'histoire vraie d'un amateur d'escalade qui s'est retrouvé le bras coincé par un rocher en plein milieu d'un canyon pendant… 127 heures. A l'image de son cousin claustro Buried, sorti quelques mois plus tôt, la tâche n'était pas des plus aisées pour Mr.Boyle. Mais c'était mal connaître Danny que de douter de sa capacité à transformer ce fait divers en petite pépite de cinéma. Dès le générique, qui à lui seul mériterait l'Oscar du meilleur montage, le british dresse le portrait par défaut d'Aron Ralston, ce baroudeur de l'extrême qui tente de fuir une société gangrenée par l'instinct grégaire, mais qui, à l'image du protagoniste de Into The Wild, va vite regretter d'avoir accordé une confiance aveugle à Mère Nature. Surtout quand, bloqué au fond d'une crevasse, l'eau vient à manquer… Encore plus quand l'homme qui contrôle votre destin s'appelle Danny Boyle, et qu'il filme cette carence comme s'il s'agissait là d'une privation de drogue. Car, qu'elle prenne la forme de l'héroïne dans Trainspotting, du sang dans 28 jours plus tard, ou encore des rayons du soleil dans Sunshine, l'addiction est l'obsession de Danny Boyle. Le manque conduit ses personnages aux frontières de la folie. Dans 127 heures, c'est l'absence d'eau qui obsède James Franco. Ce dernier, formidable, n'a d'ailleurs pas volé sa nomination aux Oscars. L'occasion pour le spectateur de vivre une expérience quasi mystique, guidé par la mise en scène virtuose du réalisateur de La plage. Stanislas Marsil

UN PETIT COUP ET CA ç REPART “Rio Sex Comedy” de Jonathan Nossiter Sortie le 23 février 2011

Qui se souvient encore du temps où la “comedy” et la “comédie” étaient un seul et même genre ? Souvenons-nous : au commencement, il y avait les grands comiques, qu'on allait voir au cinéma le dimanche, et on rigolait bien. C'était il y a un siècle. Et puis un jour, les Américains et les Français ont décidé qu'ils ne se bidonneraient plus pareil, parce que les uns étaient trop riches, les autres trop subtils (devinez qui est qui). Aujourd'hui, les Français se cachent pour se taper une bonne “comedy US”, et la “comédie française” a le visage un peu grimaçant de la crise de la quarantaine bobo. On comprend pourquoi il fallait le culot d'un Nossiter pour penser à réunir les deux genres ennemis dans un seul et même film, en donnant à chacun sa place. Et c'est sous nos yeux émerveillés qu'apparaissent un à un les personnages de Rio Sex Comedy, avec pour seul prétexte la ville de Rio et ses habitants, qui n'avaient rien demandé. Il y a d'abord Charlotte Rampling, l'Anglaise, un gourou cynique de la chirurgie esthétique en quête d'authenticité qui retrouve la paix intérieure après un ou deux cigares et dissuade ses clientes de se faire opérer. Il y a Bill Pullman, l'Américain, plus exactement l'ambassadeur des Etats-Unis, qui a décidé de refaire sa vie dans une favela après avoir fugué dans le dos de son équipe de sécurité. Enfin, il y a les Français, un couple d'intellos qui tournent un documentaire gnangnan sur les femmes de ménage des quartiers riches, et qui débriefent le soir à table, pendant que Maria-Angelica mange à la cuisine, “parce qu'elle a toujours fait comme ça”. Sous le soleil de Rio, tous se retrouvent. En robe de lin blanc, en short, en nuisette bobo-chic, chacun pense pouvoir contribuer à changer l'ordre établi, montrer la voie d'une justice sociale élaborée à travers le prisme de sa propre expérience. Hypocrites, naïfs, touchants, délicieusement vraisemblables, ces personnages vont vite être mis face à leurs propres contradictions. Et Nossiter se paie le luxe de les tourner en dérision sans mélanger les registres, avec les codes filmiques qui correspondent à chacun. Jusqu'à les repêcher en offrant un joli happy end aux couleurs nationales. La Française se décoince et prend son pied, et l'Américain envoie tout balader, pour de bon cette fois. La magie se fait. La comédie est morte, vive la Comedy. Laura Roguet

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ê MEME PAS PEUR ! “The Silent House (La Casa Muda)” de Gustavo Hernandez Sortie le 16 mars 2011

Une devinette ? Je suis un genre de film dans lequel Laura et son père Wilson s'installent dans une maison isolée. A la nuit tombée, Laura entend un bruit venant du premier étage. Wilson décide de monter, tandis que sa fille l'attend au rez-de-chaussée, mais il ne revient pas… Un film d'horreur ? Facile... C'est normal, le scénario de The Silent House respecte minutieusement tous les codes du film d'épouvante, à ceci près qu'il a été tourné en un unique plan séquence (pas de coupures visuelles, donc pas de montage). Inspiré de faits réels survenus dans les années 40 mêlés à des souvenirs d'enfance du réalisateur uruguayen, ce premier long métrage de Gustavo Hernandez a été tourné à l'aide de l'appareil photo Canon 5D (comme le fit Quentin Dupieux pour son Rubber). Son aisance technique lui a donc permis de réaliser une vraie prouesse (Hitchcock s'y était déjà attelé avec La Corde en 1948). Mais une fois l'originalité de la forme du film dépassée, on touche le fond. Le cinéaste est plus préoccupé par un certain exercice de style que par son histoire déjà vue et revue. La facilité de l'effet de surprise est un des rares ingrédients qui fonctionne (apparitions, bruits sourds…). Allez-y, vous en reviendrez ! Martin Neumann

KEN PERDU “Route Irish” de Ken Loach Sortie le 16 mars 2011

Après le touchant Looking for Eric, Ken Loach revient à un cinéma plus engagé, avec comme toile de fond la guerre en Irak, et un casting composé des meilleurs acteurs de la télé anglaise. Sur le papier, le projet a tout pour plaire. Mais la mayonnaise ne prend malheureusement pas... Fergus, un agent de sécurité d'une entreprise privée assurant la protection des civils en Irak, revient à Liverpool pour pleurer la mort de son meilleur ami Frankie, tué un peu plus tôt sur la “Route Irish”, la plus dangereuse du monde. A travers l'histoire de ces deux hommes, Ken Loach tente de dénoncer la logique malsainedes “milices” privées qui tentent de se faire toujours plus d'argent, prêtes à tout pour obtenir plus de contrats, plus de clients. Mais le film s'enlise dans une enquête aux rebondissements attendus. Fergus, interprété par Mark Womack, ne croit en effet pas à la thèse officielle de la mort de Frankie. Celui-ci aurait été tué lors d'un attentat sur la route qui relie l'aéroport international de Bagdad à la “green zone”, sécurisée. Il enquête alors, accompagné de la femme de son ami, Rachel. Les bâillements commencent, le film n'en finit plus. Et on ne vous parle même pas de l'histoire d'amour, à la limite du sordide, entre Fergus et Rachel. Ken Loach ne s'embarrasse d'aucune subtilité, les acteurs en font de même, pas aidés par des dialogues assez médiocres. Le tout donne l'impression d'un mauvais téléfilm, et le propos à priori pertinent s'efface derrière les trop nombreuses faiblesses du film. Seule la dernière demi-heure, noire et pessimiste, sauve Route Irish d'un total ennui. Antoine Kalewicz

OSCAR WILD ? “Winter's Bone” de Debra Granik Sortie le 2 mars 2011

Ree Dolly est une jeune fille de 17 ans qui vit dans un hameau en ruines avec sa famille à charge. D'un côté, sa mère - enfermée dans le mutisme et prostrée par la dépression - délaisse le trio. De l'autre, son père croupit en prison pour fabrication artisanale de méthamphétamine. Lorsque Ree apprend que ce dernier a hypothéqué leur maison pour payer sa caution, elle se lance à sa recherche pour ne pas se retrouver à la rue. Mais chez les Ozarks, communauté des montagnes du Missouri, tout le monde trempe dans le trafic de drogue et Ree doit se battre pour briser la loi du silence. Adapté du roman de Daniel Woodrell, Winter's Bone dresse un tableau sombre mais extrêmement réaliste de la misère rurale, donnant à voir l'Amérique des marginaux, des junkies et des pauvres comme on la voit peu. Avec justesse, on voit Ree évoluer parmi une galerie de gueules cassées, abîmées par la drogue et la vie, dans des contrées inhospitalières et désolées. Facile de tomber dans une empathie dégoulinante de bons sentiments. Pourtant, le film évite de porter un jugement moralisateur sur ses protagonistes. Les acteurs (notamment John Hawkes, qui interprète Teardrop, l'oncle de Ree) sont confondants de vérité et la proximité avec la violence de ces tribunaux populaires saisissante. Le tout reste néanmoins un peu inégal. Invoquer Délivrance (banjo oblige) ou Rosetta est un peu exagéré. Le drame social est bon certes, la trame du thriller l'est un peu moins. Le film a tout de même remporté la plus haute distinction au Festival de Sundance et fait désormais face aux titans Inception et Black Swan pour la course à l'Oscar du meilleur film… David contre Goliath, les paris sont ouverts. Emilie Papathéodorou


cinéma/rencontre

Cédric Klapisch La bourse ou la vie !

Après avoir dépeint le microcosme parisien, Cédric Klapisch revient à un film plus intimiste, mais non moins engagé, sur la rencontre entre un trader et une femme de ménage. Recette d'un (anti)conte de fées. Keith : Ma part du gâteau est un film sur la fuite du réel dans Keith : Ton film porte un message social très fort. Le considères-tu comme un film militant ? notre société... Cédric : Oui, c'est ce que je critique dans le film. Je dis Cédric : Non, pas du aux gens de regarder le réel parce qu'il est en tout. Si c'était le cas, cela voudrait dire train de disparaître de nos vies. On en vient “Ce film rejoint un peu le conte à oublier la détresse des autres, le drame que je sers une quand quelqu'un perd son travail. Ce phécause. Or, je prends philosophique dans le sens où nomène touche particulièrement les gens certes, mais je l'on parle plus de la logique des neparti de la finance. J'ai l'impression que les trasers pas de cause choses que de la réalité.” ders sont trop éloignés de la réalité particulière. Je braque humaine. Et c'est à cause de ça que se projuste ma caméra sur un duisent les catastrophes. problème actuel, pour réveiller les gens, pas pour les rendre militants. Je Keith : D'où l'idée de les confronter ? veux leur dire : “Soyez réactifs. C'est une période où vous ne pouCédric : Exactement. Le film navigue à la frontière de la réalité, vez pas être passifs face à ce qui se passe !” c'est presque un conte. On sent bien que ce couple est improbable, il y a trop de coïncidences dans ce récit. On rejoint un peu le Keith : As-tu rencontré des difficultés dans l'écriture du perconte philosophique dans le sens où l'on parle plus de la logique sonnage de Steve pour ne pas le rendre trop caricatural, des choses que de la réalité. comme peuvent l'être certains traders dans la vraie vie ? Cédric : C'est un problème que je rencontre souvent dans mes films, et ce depuis Le péril jeune ou Riens du tout. Le cliché existe Keith : Un anti-conte de fées en fait... Cédric : On me parle beaucoup de ça en ce moment. Les gens dans la réalité. Je connais des secrétaires qui sont des caricatutrouvent bizarre que ce ne soit pas comme dans Pretty Woman. res de secrétaires, pareil pour les docteurs, les professeurs, les Mais c'est normal ! Pour moi, l'idée qu'une pute tombe amou- hommes politiques, les gens de la mode… Les traders que j'ai reuse d'un trader, et qu'ils vivent heureux ensemble, je comprends rencontrés sont encore pire que celui de mon film. J'ai dû atténuer qu'on veuille y croire, mais ce n'est pas la réalité. Jamais une pute la personnalité de Steve car je ne pouvais pas être aussi caricatural que la vraie vie. Des gens qui sortent avec des call-girls, qui n'a épousé un trader. ont de belles bagnoles, qui sont outrancièrement cyniques, j'en ai Keith : Contrairement à Riens du tout, ton premier film, qui rencontrés beaucoup. Et je peux vous dire que Steve, c'est un traitait déjà du monde du travail et qui était un film choral, tu gentil à côté. J'ai donc fait un vrai travail de gommage par rapport te concentres ici sur le destin d'une seule employée qui se à la réalité. retrouve au chômage. Pourquoi ce choix de narration ? Cédric : Pour humaniser cette histoire. Dans le temps, il y avait un Keith : Tu sembles inspiré par les personnages de mannequin problème de cohésion, on cherchait à donner une identité au col- dont l'histoire personnelle est souvent traitée dans tes films, lectif. Aujourd'hui, c'est le problème inverse. À grande échelle, les que ce soit dans Les poupées russes ou Ma part du gâteau, choses sont devenues très abstraites. Je me suis dit qu'il fallait avec une profondeur qui mériterait presque les faveurs d'un donc redonner une échelle humaine au récit, en faisant en sorte film entier. que le spectateur puisse s'identifier à un seul personnage. Tous Cédric : Dans Ma part du gâteau, l'épisode de Venise m'a été les jours, on entend au journal télévisé “100 personnes licenciées, raconté par un mannequin. Un banquier était venu la voir après un 500 personnes licenciées”, mais cela devient abstrait. J'ai donc spectacle dans lequel elle jouait et l'avait invitée à partir avec lui essayé de montrer ce qui se passe pour une personne en particu- alors qu'ils ne se connaissaient pas. Elle m'a avoué que, durant ce lier qui perd son travail. Il ne s'agit pas d'une histoire de misère, ni voyage, elle était passée du paradis à l'enfer en trois jours seulede clochardisation, mais juste de choses normales, plus banales, qui sont aussi dramatiques. La femme de ménage et le trader. Karin Viard et Gilles Lellouche forment le couple improbable de Ma part du gâteau.

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ment. Je suis parti de cette idée-là, que je trouvais intéressante. Effectivement, j'aurais presque pu en faire un film entier, et peutêtre qu'un jour je le ferais. Mais là, ce qui m'intéressait, c'était de parler du rapport à l'argent. Pour Steve, le désir et l'argent se mélangent, il a l'impression de pouvoir tout s'acheter, même une jolie fille. Après, au-delà de ça, ce qui m'intéresse chez les mannequins, c'est qu'il s'agit d'objets de rêve dans le monde réel, un peu comme le cinéma. Keith : Pourquoi avoir choisi Karin Viard et Gilles Lellouche pour interpréter les rôles principaux ? Cédric : J'ai écrit le rôle féminin pour Karin Viard. Pour ce qui est de Steve, il me fallait un acteur capable d'interpréter un personnage mauvais tout en restant charmant, un peu comme ce qu'avait fait Karin dans Paris, en jouant une boulangère raciste. J'ai trouvé que Gilles Lellouche avait cet humour particulier et nécessaire pour noircir le personnage tout en le rendant sympathique. Propos recueillis par Stanislas Marsil

“Ce qui m'intéresse chez les mannequins, c'est qu'il s'agit d'objets de rêve dans le monde réel, un peu comme le cinéma.”


cinéma/story EDITO

MEGAFORCE LA MEGA STORY

Collectif funky de jeunes réalisateurs déconneurs, les Megaforce sont tout droit sortis du net et réalisent des vidéos inventives et percutantes. Ils font partie des rares à s'être fait un nom dans le monde du clip, au moment même où ce format semble délaissé par les créateurs vraiment talentueux. Petite histoire d'un Megacollectif. MEGACLIPS Le top des clips de Megaforce. Enjoy ! Naive New Beaters - “Live Good” Metronomy - “A Thing For Me” Kid Cudi - “Pursuit Of Happiness” Two Door Cinema Club - “I Can Talk” Tame Impala - “Solitude Is Bliss”

MEGA BUZZ

2007. Sortis de nulle part (ou presque), Raphaël, Léo, Clément et Charles débarquent à grands coups d'incrustations 3D, de transitions et de bordel général très organisé dans ce qui sera le point de départ d'un des collectifs les plus en vue du moment : le clip de Live Good des Naive New Beaters. Raphaël se rappelle : “C'était le premier clip de Megaforce, on a mis six mois à le faire. On tournait un peu à l'arrache, le week-end et quand on pouvait. Léo bossait sur une pub dont le tournage l'emmenait un peu partout dans le monde ; il en profitait pour filmer quelques plans de Los Angeles ou de Thaïlande. C'était une configuration très différente de tout ce qu'on a pu faire ensuite. On connaît bien le groupe, ce sont nos potes, ils nous ont donc vraiment laissé carte blanche. En voyant les rushes, on se rendait compte de nos erreurs au fur et à mesure et on retournait les scènes, c'était le luxe. On n’a plus jamais connu ça. Maintenant, quand c'est tourné, c'est terminé, c'est comme ça.” 500 000 vues sur YouTube plus tard, la vidéo délirante est devenue un classique. Le public, les médias et les boîtes de production applaudissent, ravis de constater l'arrivée d'un renouveau dans le monde de la vidéo en France. Un vent de fraîcheur après le passage des mastodontes Michel Gondry et Jean-Baptiste Mondino qui, à l'orée des années 2000, avaient laissé une trace indélébile dans l'imaginaire de la pop. Une inventivité débridée et rigoureuse, un nom qui claque, un style qui marque : les quatre Megaforce inventent un genre bricolo-bordelico-youtubesque qui cartonne partout sur le Web. Leur carrière est lancée, tout le monde les veut, de Late Of The Pier à Kid Cudi, de Tame Impala à Metronomy. Leur style prend sa source dans un background de graphistes et de pubards, comme en témoignent leurs parcours. “Charles et moi venons d'une école de graphisme, Clément a fait une école d'ingénieurs puis également une école de graphisme, et Léo une école de pub. Mais on voulait à tout prix éviter de faire ce qu'on appelle des “clips de graphistes”.” Un parti pris qui leur a permis d'être remarqués rapidement grâce à une mise en scène généreusement garnie en idées folles et une économie de moyens incroyable. “Au début, on a fait beaucoup de clips pour des groupes dont c'était le premier album. Des jeunes cool, un peu underground. Ils n'en avaient franchement pas grand chose à foutre de leur clip. Par contre, ils nous faisaient confiance.” Une liberté de ton et de création qui aboutit à des MEGA FAMOUS tonnes d'idées ludiques, témoignant du dyna- Leur carrière courte mais transversale les voit passer du clip à la pub (Orange, misme et de la jeunesse du collectif. Cadbury...), mais également élargir leur champ d'action avec des artistes se situant à Quasiment tous ont moins de trente ans. Et ils l'autre bout de la cartographie de la pop. Welcome to the mainstream ! Une transition restent assez lucides par rapport à leur expé- qui s'avérera parfois houleuse, surtout quand la star américaine Kid Cudi les invite à rience dans le milieu. réaliser le clip d'un de ses tubes. Après le tournage de Pursuit of Happiness, le rappeur refusa leur clip, prétextant avoir un problème avec sa gueule. “Kid Cudi, c'est difficile de faire pire comme collaboration... Dès le premier jour, le ton était donné : le mec nous fait attendre trois heures pour chercher une chemise en flanelle qui n'existe pas et choisit finalement la première qu'on lui avait proposée. Deux jours après, il change d'avis sur le clip et ne veut plus nous parler. Puis il décide de le retourner sans nous. C'est clair que c'est la plus grosse diva avec laquelle on ait travaillé.” Le clip est bloqué par le label, impossible de voir le travail du collectif pendant quelques mois, Cudi ayant commandé en express une vidéo de remplacement fadasse. Une injustice heureusement réparée par une fuite, créant ainsi un nouveau buzz pour les Megaforce. Une aventure de plus pour ces débrouillards qui, d'une certaine manière, sont encore en phase d'apprentissage. “On est encore en train de se chercher. On a beaucoup appris sur certaines vidéos qu'on n’assume pas et qu'on ne publie pas. Des pubs débiles qu'on cache parce que c'est un peu la honte pour la France. Le genre de vidéo qui ferait quatre millions de vues sur YouTube mais dont on ne serait pas fiers !” L'élément principal de l'esprit Megaforce, c'est la déconne. Comme une bande de gamins, ils s'amusent et testent les limites. Clément nous raconte leur dernière expérience : “L'une de nos dernières vidéos était un vrai fantasme de réal’. On a pris la thune et on s'est amusés, tout une après-midi, à faire brûler des trucs, à lâcher un loup et à martyriser un gamin. Ca n'a pas du tout marché mais c'était très drôle !” Mais les Megaforce ont avant tout une rigueur et une connaissance de leurs outils de création sans égal. “Aujourd'hui, il faut savoir tout faire. Grâce à ça, on a pu être contactés par des boîtes de production, gagner un peu d'argent et en être là où l’on est. L'économie actuelle du clip ne nous aurait pas permis de nous en sortir.”

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photos : Laure Bernard

“Kid Cudi, c'est difficile de faire pire... Deux jours après la fin du tournage, il change d'avis sur le clip et ne veut plus nous parler. Puis il décide de le retourner sans nous. C'est clair que c'est la plus grosse diva avec laquelle on ait travaillé.”


cinéma/story

é MEGA DEBROUILLARD

En regardant de plus près, le statut de Megaforce semble idéal. Dans une économie musicale en crise, ils apparaissent comme le profil type des réalisateurs recherchés et appréciés aujourd'hui pour leur débrouillardise, leur sens du spectacle cheap mais efficace. Ils sont capables de pondre en un temps record une vidéo qui tape, avec une caméra, un ordinateur et quatre sandwiches. Gérant euxmêmes quasiment toute la chaîne de production d'une vidéo, de l'idée de départ à la post-production/effets spéciaux (chose encore impensable il y a quelques années), ils rappellent que la mort proclamée du clip de qualité n'a pas lieu d'être. “Le clip n'est pas mort. Il y a juste beaucoup moins d'argent qu'avant, sauf pour les vraies stars. Paradoxalement, les plus petits artistes, qui ne se seraient pas permis d'avoir un clip il y a quelques années, s’y mettent. Tu peux maintenant en produire pour pas grand chose.” Une tendance confirmée par la profusion de vidéos homemade diffusées sur les nombreuses plateformes vidéo telles que Vimeo, YouTube, Dailymotion, et relayées via les blogs, Twitter et Facebook. Une tendance prônant plutôt la quantité que la qualité, mais qui ouvre ainsi les portes à de nombreux créateurs venus d'horizons divers, laissant parfois apparaître des vidéos vraiment étonnantes. Cela cache cependant une véritable réalité de l'industrie musicale. Etre réalisateur de clip est de moins en moins viable, une situation précaire, avec ses avantages et ses inconvénients. “On n’a jamais gagné un centime sur un clip. C'est vraiment ce qu'on pourrait appeler le “luxe” de la création. On a très envie d'avoir une idée un peu libre. Mais soyons clair,s : quand on veut faire un clip, il faut être prêt à bosser deux mois bénévolement. Il faut trouver le bon artiste, il faut que la chanson inspire suffisamment et il faut avoir l'énergie pour se lancer dedans. A part pour les gros trucs mainstream américains, c'est beaucoup plus intéressant de faire de la pub que du clip, à moins de taffer pour un artiste que tu n'aimes pas.” Une situation délicate, mais qui ne décourage pas les Megaforce. “Ceux qui ont le moins de scrupules, ce sont les artistes. Ils disent “On veut quelque chose de super bien ! Mais on vous paie pas, hein...” Mais jusqu'à maintenant, on ne regrette aucun de nos sacrifices.”

“On n’a jamais gagné un centime sur un clip. C'est vraiment ce qu'on pourrait appeler le “luxe” de la création.”

Trois Megaforce en vrai, 1 Megaforce virtuel, le compte est bon ! De gauche à droite : Charles, Léo (sur l'ordinateur), Raphaël et Clément. K?-26

“Quand “D.A.N.C.E”, le clip de Justice réalisé par Jonas & Francois, est sorti, tout le monde se l'est pris en pleine tronche. C'est à partir de là qu'on ca recommencé à s’intéresser au clip.”


MEGA NEXT GENERATION

Des sacrifices qui payent et qu'ils ne sont pas les seuls à avoir fait. Les Megaforce appartiennent à cette déferlante issue du Web qui a pris l'assaut de la création en larguant des petites bombes de trois minutes sur la toile de manière à se faire repérer par les grandes agences. “YouTube et Dailymotion ont créé une nouvelle vague de réalisateurs. Le fait de pouvoir poster comme ça, pour des potes, puis être diffusé à grande échelle a complètement changé la donne. C'est grâce à ça qu'on se retrouve là où on en est aujourd'hui. Ce qui est drôle, c'est que quand on a commencé à faire des vidéos, on ne regardait rien, que dalle. On avait laissé tomber les clips à la fin des années 90. Quand D.A.N.C.E, le clip de Justice réalisé par Jonas & Francois est sorti, tout le monde se l'est pris en pleine tronche. C'est à partir de là qu'on a recommencé à s'y intéresser. Mais c'est vrai qu'il y a eu un petit vide après les Spike Jonze et autres Michel Gondry qui avaient véritablement marqué les années 90.” Ils partagent leur nouvelle renommée avec quelques grands noms du clip français, ce qui n'est pas désagréable. “On a aussi la chance de faire partie de tout un mouvement, avec Jonas & Francois ou Romain Gavras. On a surfé sur la vague au bon moment, ce qui nous a offert une vraie crédibilité.” Et qui les a amenés à travailler à l'international, enchaînant nombre de collaborations, en Angleterre notamment. Ils en sortent satisfaits et enjoués. “En France, les gens ont plutôt tendance à nous prendre de haut, à cause de notre jeunesse. En Angleterre, ils ont une meilleure estime du réalisateur, ils sont beaucoup plus ouverts, ils nous ont fait confiance. La politique anglo-saxonne, c'est “peu importe ton âge, si tu as la hargne et que tu es bon, on te fait confiance”.”

MEGA FUTUR

MEGAPUBS Le top des pubs de Megaforce. Sur le CV déjà bien rempli des Megaforce, on trouve une collaboration géniale avec Orange pour la campagne “More From Orange”. Les vidéos sont en lecture sur YouTube et à ne manquer sous aucun prétexte. Un régal... - Vous voulez savoir qui emmener au cinéma voir Zombikini 2 ? Tapez “More From Orange : Wednesdays” sur YouTube. - Vous voulez découvrir le chien à perruque le plus cool du monde ? Tapez “More Frome Orange : Dolphin” sur Youtube. - Vous voulez jouer au jeu de la bouteille grandeur nature ? Tapez “More From Orange : Magic Numbers” sur YouTube.

La confiance qu'on leur accorde aujourd'hui est légitime, eux-mêmes choisissant avec minutie les artistes avec lesquels ils collaborent, essayant de travailler au maximum pour ceux dont ils admirent le travail. “On est parfois déçus de ne pas avoir certains artistes qu'on aime bien. On a loupé le dernier Metronomy parce qu'on bossait sur autre chose...” Ce qui ne les empêche certainement pas d'être plutôt critiques sur la situation musicale d'aujourd'hui. “Côté musique, cette année, il n'y avait pas grand chose... Lorsqu'on est arrivés dans le clip, on a chopé pas mal de bons groupes. Late Of The Pier, Metronomy... C'était assez excitant. On était encore dans une vague electropop qui fonctionnait bien mais qui commence à s'essouffler. Aujourd'hui, les groupes se cherchent un peu. La suite ? Certains se disent “Est-ce que je reste très électro ? Plutôt folk ?” Il y a certains virages musicaux qui nous ont un peu énervé, comme celui des Klaxons, qui n'est pas stupide mais qui est vraiment moins efficace. D'ailleurs l'album n'a pas très bien marché. C'est comme le deuxième album de MGMT, qui est plus monotone que le premier. C'est loin d'être raté mais on trouve ça un peu dommage. C'était un peu compliqué d'orienter sa musique cette année.” Leur orientation justement, ils n'y pensent pas trop, et se considèrent plutôt comme des expérimentateurs touche-à-tout. “On aimerait faire quelque chose de différent à chaque fois. On vient de domaines un peu variés, ce qui nous permet de toucher un peu à tout. On fait nousmêmes le graphisme de nos clips (logos, typos...), on a fait la pochette de Two Door Cinema Club, l'album, les singles...” Des envies protéiformes qui les mèneraient bien vers le cinéma. “On prend notre temps. Bien sûr, c'est quelque chose qu'on a en tête. On nous a proposé des projets. Des comédies, de la science fiction. Bref, des films très formatés, à la sauce Hollywood. Mais si on doit faire ça, on choisira vraiment bien ce qu'on a envie de faire. On n'a pas vraiment envie de se jeter dans le gouffre hollywoodien, ça serait stupide. Tant que tu n'es pas un gros réalisateur, les USA peuvent vraiment te bouffer. Même Mathieu Kassovitz s'est fait avoir... Nous, on n’a encore rien fait, on n'est pas prêts. Mais on y pense, ça viendra.” C'est tout le mal qu'on leur souhaite. En attendant, les quatre garçons dans le vent continuent à explorer les possibilités du clip, tout en gardant la tête sur les épaules. Chaque chose en son temps : un mot d'ordre humble pour ce collectif qui éclabousse le paysage artistique actuel de son talent. MEGA CLASSE, tout simplement. Grégoire Henrion



art

Esthétique de la disparition Rester en place, c'est en filigrane se résoudre à ne vivre qu'à moitié, immolé dans “l'espace convivialité” que l'on a bien consenti à s'octroyer. Dans des fuites en avant pour anesthésier leurs hémorragies d'ennui, certains ont tenté de se soustraire à ce sédentarisme forcené. Délaissant Charleville-Mézières à 16 ans, les fugues de Rimbaud le conduisent vers le port d'Aden. Arthur Cravan, poète-boxeur dadaïste, se laisse perdre jusqu'au golfe du Mexique. Et réputation faite, Marcel Duchamp quitte la sphère de l'art pour se consacrer aux échecs.

Bas Jan Arder, In Search of the Miraculous, 1975

Ainsi c'est dans la fuite que les derniers géants posent la disparition comme l'ultime geste de l'artiste accompli. Car, si l'art peut être envisagé comme une tentative d'opposition au fonctionnalisme de la vie et si, au premier abord, il permet de s'écarter de tout système préétabli, il devient avec l'expérience, la matière contre laquelle il s'agit de lutter. En l'absence de rigueur, les petits artistes font perdre toute teneur à leurs créations à mesure qu'ils se plient devant elles. Véritable Artwork Class, ils se retrouvent dans les allées d'un marché de l'art saturé d'insignifiances grossières. En dernier recours, ils appellent bruyamment au silence, sans prendre compte de la faculté expressive de la disparition. À ce titre, la récente rétrospective Arman montrait à quel point la recherche de singularité peut embrigader l'artiste dans des logiques productivistes. Trop heureux d'avoir pu faire reconnaître son originalité, Arman finit par se cantonner dans ses accumulations, répétant ce principe jusqu'à épuisement de l'expression. Dans une dernière tentative pour faire évoluer son style, il propose des “colères” où, bruyamment, il détruit des instruments innocents. Mais ce sont ses principes qu'il aurait dû exploser. Car il faut admettre l'impossibilité profonde de faire métier de tout ce qui est ouverture sur l'être. Et l'art devient l'ennemi de l'artiste lorsqu'il l'enchaîne dans des attentes, et si c'est une logique qu'il a luimême amenée, il doit, comme pour se purifier de lui-même, se distancer des systèmes qu'il vient d'établir. C'est dans la fuite qu'il faut poursuivre ses explorations, et c'est dans le silence de la disparition que l'artiste se libère de ses aliénations, l'appétit pour l'insoupçonné ne pouvant s'apaiser que dans des expériences franches et insensées. Dans ce sens, la dernière exposition collective du Palais de Tokyo, Fresh Hell, présentait des artistes au courage indéniable, dont certains avaient préféré se perdre plutôt que de se répéter. Parmi eux, c'est une belle image de ce mythe de la fuite que l'artiste néerlandais Bas Jan Ader. Déjà, aux Beaux-Arts, il n'utilisait que trois feuilles Canson à l'année, laissant pour œuvre l'effilochement de ses bribes de papiers, des pages blanches où

ne subsistent que des traces d'une expressivité camouflée. Adepte de l'esthétique de la chute, ses vidéos le montrent se jeter en l'air, questionnant le corps et son équilibre, mettant en jeu les difficultés d'adhérences qui incombent à tout être faisant effort pour exister. Et dans une dernière tentative pour défier les lois de la rationalité, à la manière de l'implacabilité d'un dandy qui s'impose des règles sociales strictes pour questionner la rigueur, il défie d'insolence l'océan. Embarquant sur un croiseur de poche, il nomme In Search of the Miraculous cette performance qui vise la traversée de l'Atlantique. Ne restera de cette tentative de dépassement que son petit bateau, retrouvé abîmé près des côtes irlandaises. Mais la disparition dans le silence laisse les états de fait ouverts, portant la confusion à son apogée. Et s'il est possible d'envisager un art de la disparition, il faudrait voir ici une résurgence singulière de l'expression lyrique. Avec une violente conscience de la fuite, ces destins de vies envisagent la beauté en transparence sur ce qui la menace, quitte à embrasser le danger. Car l'art doit venir contredire les logiques dans lesquelles nous nous sommes immiscés. Il doit offrir des illusions cinglantes, aptes au renversement, à la perte des modèles comme aux voies préétablies. L'art permet à l'artiste de se sentir en vie. Et c'est la disparition, cet absolu qui seul par le silence, peut répondre à toutes les questions. Thomas Bizien Au Louvre jusqu'au 28 mars, un cycle passionnant sur la figure des disparus et leurs réapparitions, notamment sur la photographie spirite, les rituels macabres et les hypothèses d'un corps entre deux mondes. Dans la friche du Palais de Tokyo jusqu'au 17 avril, une sélection de films d'Amos Gitai interroge la poésie du départ, comme dans Golem, l'esprit de l'exil (1991), Terre promise (2004) ou Free Zone (2005). A la galerie Perrotin jusqu'au 30 avril, Daniel Firman expose ses sculptures humaines hyperréalistes dans des postures incongrues, dans un difficile équilibre, tendant comme irrémédiablement vers un phénomène de chute.

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art/actu par Jack Tone

A droite : 9.3, 2010 Polyester resin and kidskin cm 247 x 120 x 80 A gauche : Têtes de Lard, 2010 Resin of polyurethane Figure with crossed arms: cm 200 x 70 x 50 Figure with arms along the body: cm 186 x 80 x 50 Figure with hands in the pockets: cm 182 x 60 x 50 Courtesy galerie Pièce Unique

é DE SOCIOLOGIE PLASTIQUE TRAITÉ Rue Jacques Callot, dans le 6ème arrondissement de Paris. Alors que le froid persiste et que la nuit tombe, quelques couche-tard sont happés par la vitrine de la galerie Pièce Unique, éclairée jusqu'à 2h du matin. La pièce en question est couverte de fourrure noire et dépasse les deux mètres. Couvert par une capuche, son visage n'a ni yeux, ni nez, ni bouche. Le ténébreux chaperon a tout du grand méchant loup. Le sculpteur à qui l'on doit cette créature se nomme Cyrille André. Remarqué à ses débuts pour ses tailles directes à la tronçonneuse, l'artiste s'est depuis quelques années consacré à la conception de pièces per forza di fare, à l'exemple dudit “chaperon” titré 9.3 en hommage au célèbre département. Face à un titre pareil, on repense d'abord à cette bande de jeunes que Romain Gavras avait savamment dirigée dans le clip Stress du groupe Justice et on entrevoit la possibilité d'un nouveau pied de nez adressé à la bien-pensance qui loge Rive Gauche. Et puis on remarque que c'est moins en provocateur et davantage en observateur méticuleux des habitudes du corps que Cyrille André a travaillé. D'un geste sculptural à l'impact d'un geste banal, les mains dans les poches. Une figure enfantine démesurée comme la crainte perpétuelle d'une jeunesse assassine alors que c'est bien dans la peau de chevreau qu'elle se recroqueville. A voir également, une rue plus loin, Les Têtes de Lard présentées au sein de l'espace Pièce Unique Variations. Avec assurance, les enfants terribles de Cyrille André y imposent leur style, liant à l'épure technique une certaine gravité comportementale. À-Venir, par Cyrille André - jusqu'au 19 mars 2011 à la galerie Pièce Unique, 4 rue Jacques Callot, Paris 6ème et Pièce Unique Variations, 26 rue Mazarine, 6ème.

ô MËME JOUEUR JOUE ENCORE Certes, le niveau est un peu caché comme dans certains jeux vidéo, mais il ne faut aucun code pour accéder à l'espace de rencontre et aux workshops aménagés pour les adolescents au sein du Studio 13/16. Installé sous le rez-de-chaussée du Centre Pompidou depuis septembre 2010, ouvert à tous et piloté par Mauricio Estrada-Munoz, spécialisé dans les questions liant le technique au psychosocial, le lieu respecte un rythme inédit : temps forts le mercredi et le week-end en présence d'artistes et/ou d'intervenants extérieurs, programmation spéciale en période de vacances scolaires, le tout gratuitement… Autant de raisons de s'initier au discours de l'art tout en se confrontant à son actualité. Sceptiques ? Suivez donc la signalétique du Centre jusqu'à l'exposition Play it Yourself !. Les problématiques inhérentes au monde du jeu vidéo y croisent celles de l'art contemporain dans une ambiance de quasi-arcade game center. Le coup de cœur Keith : le Pentapong semi-automatique de Djeff Regottaz & Michel Davidov. Courant mars, ne manquez pas les ateliers de composition musicale sur Game Boy animés par la Brigade Neurale, venez vous faire modéliser par Sébastien Hamideche autour de l'esthétique du film TRON ou simplement vous abandonner à la rêverie de votre choix sur les canapés-nuages du Studio, comme sortis d'une vieille cartouche Nintendo. Play it Yourself ! exposition collective - jusqu'au 23 mars 2011 au Studio 13/16, Niveau -1 du Centre Pompidou, Place Georges Pompidou, Paris 4ème. Centre Pompidou, Ribon, 2010

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“L'EFFET, RIEN QUE L’EFFET” Le syndrome du timide, tonitruant cocorico réalisé par PierreAxel Vuillaume-Prézeau, a été sélectionné parmi les 25 lauréats du concours d'art vidéo YouTube Play. Exposé depuis lors à New York au Guggenheim Museum à l'occasion de sa toute nouvelle biennale d'art vidéo, la vidéo illustre en trois temps, sur le mode de la dissertation, un comportement à priori peu enclin à la hype. Keith a enquêté.

Pierre-Axel Vuillaume-Prézeau, Le syndrome du timide, courtoisie de l’artiste

LAISSEZ PARLER LES P'TITS PAPIERS Interroger l'évidence d'un geste, soupeser la tension qui prédestine à l'exécution d'un autre, peut-être cela nous échappe-t-il déjà au stade de l'écriture, y compris lorsque nous rédigeons nos textes uniformisés par le biais des polices de caractère… Le meilleur moyen de s'octroyer un temps propice à ce type de réflexion est encore de se rendre au Crédac à Ivry-sur-Seine à l'occasion de la nouvelle exposition de Renée Levi intitulée Cursif. Aux côtés d'imposantes toiles qui permettent à l'artiste de renouer avec la peinture, des petits papiers test gribouillés dans les papeteries apportent du contraste au regard d'un discours que Renée Levi souhaite autant instinctif que rigoureusement spatialiste. Plus loin, une photographie force le spectateur à parcourir quelques mètres dans les méandres du white cube : on y voit l'artiste se débarrasser d'autres grands formats. Au bout d'une autre salle, des petits carnets spiralés abandonnés par leur propriétaire semblent récupérer l'espace vierge du Crédac, libéré par Renée Levi.

Keith : Comment est né ce projet autour de la timidité ? Estu timide toi-même ? Pierre-Axel : Ce projet est né lors d'un cours de théâtre durant lequel le professeur demandait de jouer “la timidité”. L'interprétation des élèves était caricaturale et à des lieues de ce qu'est un timide. Etant timide moi-même, j'étais bien placé pour le savoir. J'ai donc voulu exprimer ce qu'était réellement un timide, montrer que la timidité ne se voyait pas toujours et surtout mettre en avant le fait qu'un timide n'est pas quelqu'un qui ne veut pas s'intégrer, bien au contraire ! Keith : Ton travail prend une saveur particulière ainsi diffusé sur la Toile. Vois-tu le Web comme une alternative à la timidité ? Pierre-Axel : Je dirais que le Web mais aussi l'art et tous les moyens d'expression en général sont des alternatives à la timidité. Un timide est quelqu'un qui veut dire des choses mais qui n'ose pas le faire. La vidéo, l'écriture, la peinture sont des manières indirectes de s'exprimer en public. Je pense que beaucoup de timides les utilisent… Keith : Te voilà reconnu par le Guggenheim comme vidéaste. Que penses-tu du Web comme espace d'exposition ? Pierre-Axel : Le Web est une chance donnée à chacun de montrer et d'être vu. Il n'est pas élitiste, il n'est pas payant, c'est donc un formidable espace d'exposition. On peut avoir des retours de nombreuses personnes autres que les amis ou la famille. Voir le nombre de visionnages d'une vidéo permet de savoir ce qui plaît ou ce qui ne plaît pas. Le Web ne remplacera pas un musée mais c'est une occasion offerte à tous de s'exposer. Le syndrome du timide, réalisé par Pierre-Axel Vuillaume-Prézeau, disponible sur Internet.

Cursif, par Renée Levi - jusqu'au 27 mars 2011 au Crédac, 93 Avenue Georges Gosnat, Ivry-surSeine.

Et aussi…

Du 2 au 6 mars, restez connectés au palpitant agenda de la réouverture de la Gaîté Lyrique. L'ancien antre des opérettes d'Offenbach ou encore des ballets russes de Diaghilev se mue en un pôle à la pointe des nouvelles technologies. Le tout mis au diapason d'un programme de concerts, de projections, de conférences…

Photo © André Morin - le Crédac - Vue partielle de l'exposition Cursif de Renée Lévi

Rendez-vous également le 3 mars au Générateur de Gentilly (un trajet en bus depuis le Crédac) pour le lancement de l'exposition Lecomte)s(, la brute et le truand. Deux artistes qui portent le même nom investissent un seul et même terrain d'exposition. Ca va saigner !


art/actu

“IT'S JUST A GAME” Presque trois générations séparent TRON : l'héritage du premier volet. Une réalité qui n'a pas pour autant découragé le galeriste Alexandre Gilbert : “Je souhaitais créer une passerelle entre les deux films”. Pari réussi. Une cinquantaine de tirages spéciaux sont réunis dans son espace montmartrois (la Galerie Chappe), mêlant les deux cybermondes avec cohérence et bon goût, sur fond d'art show underground. Téléportation au cœur du Grid. Un premier regard nous plonge dans les dessins fantasmagoriques de Moebius (qui avait participé au graphisme du TRON original, réalisé en 1982 par Lisberger). “J'aime son monde d'êtres hybrides qui échangent dans un langage poétique” confie Alexandre. Puis, lumineux, l'univers de TRON : l'héritage, originellement conceptualisé par Syd Mead. Les images du making of d'un côté, un écran projetant quelques séquences du film de l'autre, on s'immerge dans le (cyber)monde fascinant de l'infiniment petit vu par Disney. Le discours d'Alexandre tranche net avec les critiques plutôt négatives de la presse, qui voient le film comme une pâle copie de Star Wars : “Je l'ai vu cinq fois, c'est un chef d'œuvre. Tu es dedans d'un bout à l'autre”. Notre galeriste lui confère même une dimension messianique : “Kevin Flynn (Jeff Bridges), le créateur de programmes, c'est un peu le Dieu de l'informatique...” Après avoir été le Dieu des porteurs de tongs, des buveurs de vodka et des fumeurs de joints avec The Big Lebowski… Alexandre Gilbert a déjà consacré de nombreuses expositions à des personnalités comme Lady Gaga, Amy Winehouse, ou encore Pete Doherty. Les Daft Punk ayant composé/resamplé /bien mixé la bande originale du dernier TRON, c'était l'occasion idéale de célébrer le talent des initiateurs de la French Touch. Conçus spécialement pour l'événement, différents artworks - s'inspirant du groupe électro - étoffent l'expo. Alexandre qualifie d'ailleurs la courte apparition des Daft dans le film de “pur moment d'anthologie”, la bande originale l'ayant cloué à son siège. Un voyage musical qui s'aligne selon lui au talent de Wendy Carlos, compositeur hors pair de la B.O du premier TRON (et accessoirement premier “Tronsexuel” à avoir revisité Bach sur un Moog). Et puisqu'on n'aime jamais repartir les mains vides, des produits dérivés du film sont exclusivement en vente à la galerie. Bref, une expo audacieuse et multi-générationnelle qui devrait faire son buzz ! Emma Paoli TRON: l’héritage, jusqu'au 8 mars à la Galerie Chappe, 4 Rue André Barsac, Paris 18ème.

Daft Punk, une réalité pleine de trucages ? C'est du moins ce qu'auraient pu penser les fanatiques de disco en écoutant la discographie des génies de l'électro : une bibliothèque de samples 70's.* Exemples. - Robot Rock (Human After All) : inspiré de Release the beast de Breakwater - Harder, Better, Faster, Stronger (Discovery) : inspiré de Cola bottle, baby de Edwin Birdsong - Crescendolls (Discovery) : inspiré de Can you Imagine, de Little Anthony & the Imperials *A noter qu'une compilation, Discovered : a collection of Daft Punk Samples, est sortie en 2007 sur le label Rapster Records.

GENERAL IDEA : UNE ALTERNATIVE À L’ALTERNATIF Jamais aucune rétrospective n'avait été consacrée au collectif canadien General Idea. C'est désormais chose faite au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (MAM). L'œuvre de AA Bronson, Jorge Zontal et Felix Partz échappe à toutes tentatives de catégorisation. C'est un pari de liberté. Actifs de 1969 à 1994, date de la mort de deux de ses membres (atteints du sida), le parcours de General Idea est pour le moins hétéroclite. Hors de toute chronologie, l'exposition met en lumière les questionnements sur la représentation de la sexualité, du glamour, de l'artiste et de son processus créatif. “La réalité courante n'est pas suffisante pour nous… Nous devions donc créer notre propre monde, qui était une sorte de parodie, un simulacre imparfait d'un monde parfait” explique AA Bronson, le seul survivant du groupe. La démarche de General Idea est celle du virus corrosif. Il ne s'infiltre pas dans un corps humain, ni dans un programme informatique, mais dans l'image véhiculée par les médias et la culture de masse. Il s'immisce dans cette réalité, se l'approprie, puis la déforme afin d'en dénoncer avec ironie les dérives et les faux fondements. Visionnaire, le collectif a exploité tous les supports artistiques - vidéos, magazines, installations, peintures, photographies - pour mettre en scène l'inévitable déchéance de nos contemporains. Parmi les trois cents œuvres exposées, on retrouve la fameuse série Mondo Cane kama sutra, représentant trois caniches - allégorie de l'artiste - baisant dans tous les sens ; le magazine File, alternative underground au magazine Life ; les affiches Aids, reprenant le logo initial de Love crée par Robert Indiana et enfin le Pavillon fictif de Miss General Idea, muse imaginaire du collectif. Attention : conformistes s'abstenir ! E.P. Haute culture : General Idea Une rétrospective, 1969-199, jusqu'au 30 avril 2011 au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, Paris 16ème.

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Connected people ?

Internet et critique d'art ? Pour comprendre comment l'un a influencé l'autre, Keith a rencontré Marc Lenot (animateur du blog “Lunettes rouges”) et Eric Troncy (co-fondateur des revues “Frog” et “Documents sur l'art”, contributeur aux “Inrockuptibles” ou encore “Beaux Arts magazine”). ERIC TRONCY Keith : Selon toi, dans quelle mesure Internet at-il changé le visage de la critique d'art ? Eric : Un des effets manifestes de l'Internet - et cela ne concerne pas uniquement la critique d'art - c'est, pour reprendre les termes du critique littéraire Arnaud Viviant, le remplacement de la critique par le commentaire, le “comment”. Chacun se sent fondé à y aller de son petit mot, de son petit commentaire, et la nature même de l'Internet, conjuguée à sa facilité d'utilisation, induisent cela naturellement et le rendent effectivement possible. Keith : La démocratisation d'Internet et des blogs a renforcé la porosité de la frontière qui sépare amateur et professionnel. Tout le monde peut s'autoproclamer expert. Cela présente-til un “risque” pour la critique d'art ? Eric : Oui car l'Internet, par la suppression pure et simple des filtres et des étapes entre une pensée, un avis, une humeur, et leur diffusion, oppose une résistance violente à l'expertise. On croule donc sous les avis, les opinions, et la frontière s'esquisse entre ceux qui “like” et ceux qui “don't like”. On peut penser qu'il y a là quelque chose de démocratique, on peut aussi y voir une forme d'anarchie. L'avis de mon voisin ne m'intéresse pas nécessairement en dehors des conversations de voisinage, et pour tout dire, la promiscuité avec des milliers de voisins s'exprimant librement sur tout et n'importe quoi ne suscite chez moi aucune joie. Je dirige le magazine Frog, et je peux vous assurer qu'on serait parfois prêts à vendre un rein pour recevoir et publier une critique un peu inspirée, libre, novatrice. Ces textes ne sont pas publiés non pas parce qu'ils sont censurés, mais parce qu'ils n'existent pas. Nous recevons en revanche un nombre assourdissant de textes banals, convenables, scolaires, voire revanchards, que bien évidemment nous refusons de publier et qui trouvent dans l'Internet un foyer à leur mesure. Keith : Que penses-tu des médias qui travaillent à la fois sur le net et le” papier ? Eric : On peut multiplier les “territoires de lecture”, ça ne change absolument rien au fait que la véritable question repose sur ce qui est écrit, et pas où cet écrit est diffusé ni comment il est distribué. Par ailleurs, il me semble aller de soi que la quasi totalité de ce qui est exposé aujourd'hui comme “œuvre d'art” n'appelle pas de critique et c'est très naturellement que cela n'en produit pas. Les commentateurs décrivent, expliquent, édifient le lecteur, comme de petits professeurs et il faut vraiment ne jamais avoir lu les grands critiques anglo-saxons pour penser qu'il s'agit là de critique d'art. Keith : T'arrive-il de consulter des blogs d'art ? Eric : Parce que les “œuvres” dans leur majorité n'appellent pas aujourd'hui la critique mais semblent exister simplement pour être vues, éventuellement vendues, et surtout médiatisées, et prodiguer à leur auteur une visibilité provisoire, il n'est bien évidemment plus nécessaire d'aller les rencontrer en personne. Cette rencontre n'est d'ailleurs qu'accessoire dans leur conception. Le site qui me semble le mieux correspondre à cet état de fait est contemporaryartdaily.com : on y voit des images des principales expositions dans le monde entier. Les images sont celles distribuées par les galeries et musées à la presse papier ou Internet qui de toute façon vont les reproduire à leur tour, et les seuls textes sont les communiqués de presse dont les “critiques” vont s'inspirer pour produire leur effort littéraire.

MARC LENOT Keith : Pourquoi et comment est née l'idée du blog “Lunettes rouges” ? Marc : En 2005, j'ai décidé d'utiliser la plateforme du Monde.fr afin d'y ouvrir un blog. Il y avait bien Skyblog mais ce n'était pas mon truc en termes d'affinité culturelle (rires) ! Point de vue design, je ne m'y retrouvais pas. A l'époque, l'idée du Monde.fr était de ne pas faire appel aux journalistes mais à des “gens ordinaires”. Dans mon cas, mon lectorat allant croissant, on m'a rapidement proposé un contrat. Chemin faisant on a réglé la question du droit des images avec l'ADAGP et la publicité a trouvé une place aux côtés de mes posts. Keith : A la base, quels reproches faisais-tu à la presse d'art ? Cela a-t-il changé ? Marc : Au début je faisais ça par pur amusement. Lorsque j'ai commencé à me rendre dans les expositions, j'avais davantage un regard de consommateur qu'une véritable vision de critique d'art. Cela dit, je me suis assez rapidement mis à creuser une approche très “c'est moi qui parle” afin de voir comment cela s'articulait avec l'histoire de l'art. A mes yeux, les mensuels ne fournissent pas de la critique au sens propre mais de l'information. Quant aux revues d'art, elles donnent dans le semi théorique/manifeste. Trop peu de textes y sont négatifs, le discours m'y semble lisse. Je lis donc de moins en moins, à l'exception de revues universitaires ou scientifiques. J'aime beaucoup Mouvement ou encore 20/27. Keith : Consultes-tu beaucoup de blogs ? Marc : Non, pratiquement aucun (rires) ! Sur Internet, tout apparaît et disparaît si vite… Il faut tout de même citer le blog d'Elisabeth Lebovici Le Beau Vice, ou encore Des Livres et des photos via Le Monde.fr. Parfois on découvre aussi des choses au coup par coup, à l'exemple de Portraits, un blog piloté par Emilie Bouvard. Keith : Selon toi, dans quelle mesure Internet a-t-il changé le visage de la critique d'art ? Marc : Je vois deux choses. La première, technique, est évidente : Internet permet d'accéder aux informations. L'autre est indubitablement sociale, en cela qu'Internet permet un certain accès à la parole. Après, que l’on écoute ou non, que le rédacteur joue le jeu de la régularité et de la rigueur ou non, il n'empêche : Internet autorise une forme de stimulation remarquable qui peut également occasionner des rencontres. Sans compter que sur le plan économique personne ne coûte rien à personne et tout le monde peut rapporter à chacun. Keith : La démocratisation d'Internet et des blogs a renforcé la porosité de la frontière qui sépare l'amateur du professionnel. Tout le monde peut s'autoproclamer expert. Cela présente-t-il un “risque” de nivellement de la critique d'art ? Marc : Il est vrai qu'une barrière du sérail tombe mais je suis assez sceptique vis-à-vis de ces questions de “l'auto-proclamation” et d'un possible “nivellement”. Je dirais oui et non car n'importe qui peut dire n'importe quoi et cela n'est pas nouveau. La vérité tient dans le propos que l'on tient face aux gens. C'est ce qui motive ou non l'internaute à lire. Ou le journaliste à reprendre le commentaire d'un blogueur. On ne fait pas si facilement l'économie de l'honnêteté intellectuelle. Propos recueillis par Jack Tone


art/portrait

photos : Sacha Goldberger

MAMIKA FAIT DE LA RESISTANCE

Moi qui ai eu une grand-mère atroce, morte plus que centenaire la méchanceté conserve, pis que le vinaigre, un vrai formol… - j'avoue, j'envie à Sacha Goldberger sa grand-mère Mamika : une mamie en or ! Quand je lui ai demandé, sur Facebook, à Mamika, si elle n'avait pas une chambre pour moi dans son grand appartement (à ce moment-là j'étais à la rue, ou quasi) voilà ce qu'elle m'a répondu, du tac au tac, dénichant de moi en ligne une photo marrante, où, à moitié nue, je plongeais les mains avec volupté sous la peau d'un poulet, avant de le farcir :

- “Mais je reconnais là mon dernier fiancé, Joe le Poulet, mon psychanalyste ! Nous avons été fiancés sept ans… Je suis désolée Elise, mais si vous cherchez une chambre calme pour écrire, je ne peux rien pour vous… Mon petit-fils Sacha fait des orgies tous les soirs, avec des peluches et des sacs à main…” Et voilà, en une phrase, tout est dit : sacrée Mamika ! A 90 ans, après une vie drôlement agitée, la craquante petite baronne juive hongroise, qui a échappé aux camps de la mort et au goulag, et à quatre mariages successifs, a eu un petit coup de blues. Trop seule, trop calme dans son grand appartement… Alors

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son petit-fils Sacha, photographe de son état, est venu habiter chez elle… Et il a fait de Mamika sa petite poupée. Il l'a déguisée en Wonder Woman, en ninja, elle s'est mise à fumer des harengs, à bisouiller des cornichons (ou l'inverse), à ranger ses escarpins dans le frigo, à chausser des feuilles de laitue… 45 kilos d'art contemporain. A eux deux, ils se sont moqués à gorge déployée des ravages de la vieillesse… Pour une fois qu'on parle d'une veille dame autrement que pour l'euthanasier ! Chez Mamika, grâce à Sacha, c'est devenu un vrai kibboutz ! Il y a là, en permanence, Sacha et sa fine équipe. Ils travaillent dans le salon, tandis que Mamika et sa charmante fille - la mère de Sacha, donc, une histoire de famille, qui ressemble à Elizabeth Taylor jeune et sobre - finissent de déjeuner. Tout ce petit monde vit de concert, l'assistante de Sacha tente de modérer la gourmandise de Mamika - peine perdue ! et les souvenirs remontent, à mesure que les assiettes se vident. La maman de Sacha essaie d'apaiser Mamika, quand elle parle de ses angoisses - mais après tout pourquoi pas Mamika ? l'inquiétude donne de la profondeur au rire… Sacha calme le jeu, avec un sourire désarmant, en expliquant que dans sa famille, ils ont tou-

jours été meshugés, ce qui signifie zinzin en yiddish… En effet, et c'est un plaisir de cotoyer cette famille de meshugés. Soudain, je sais à qui Sacha et sa smala gentiment allumée me font penser : à la famille Tenenbaum, mise en scène par Wes Anderson ! C'est exactement ça ! Ici, on est dans un film d'Anderson, pour le meilleur et peut-être pour le pire, parfois, certainement, comme dans toutes les familles… De leur aimable délire, ils ont fait un livre d'images* dingues, hilarantes, et une super expo… Et surtout, en un clic, Mamika peut devenir votre amie sur Facebook ! Et c'est comme ça que j'ai gagné une wonder mamie virtuelle, et ça, ça n'a pas de prix, ça console de bien des choses. Après tout, on se dit que vieillir, ça ne sera pas la mort. On pourra toujours se payer une bonne tranche de rire, à condition de se dégoter un petit-fils aussi craquant que son Sacha. Je cours déjà m'acheter un costume ninja et une cape de Goldorak. - “Vous reviendrez n'est-ce pas ?” me demande gentiment Mamika, en m'accompagnant à la porte, avec un sourire désarmant… Avec grand plaisir, Mamika ! Et si un jour il y a une chambre de libre, dans votre grand appartement complétement meshugé, surtout, pensez à moi ! A bientôt, Elise Fontenaille *MAMIKA, GRANDE PETITE GRAND-MERE, livre d'images de Sacha Goldberger, chez Balland.



musique

TIGNASSE “Mille” de Cheveu (Born Bad Records)

Punk en lisière de ferme, Kronenbourg et raviolis en boîte, à l'horizon se découvrent trois figures, des shorts et de la niaque. Des effets made in terroir et voici Cheveu, le hardcore de nos campagnes. Apparemment cacophonique, c'est une énergie autiste qui se meut, toute perfection dehors. Et à l'heure où les groupes de l'Hexagone utilisent leurs souffles courts pour se mimétiser une attitude, la dérision criarde de Cheveu, découverts en 2006 avec l'étonnant single Dog, apporte la houle fraîche dont nous avions besoin. Leur nouvel album, édité à mille exemplaires, rappelle les premiers LP de Graham Coxon. Cheap mais savamment ficelées, les chansons ont cet attrait “do it yourself” qui contredit gracieusement les hyperproductions ambiantes. Probablement éreintants à la longue, les titres fonctionnent comme des shots de folie brute. Et il faudrait voir Cheveu sur scène pour se convaincre de sa singularité : un gourou se tortille comme s'il venait de trouver dans un Happy Meal un manuel illustré de danse polka alors qu'une musique fébrile refuse de lester le rythme. Pour se reposer en seconde partie de soirée, on retrouvera dans la même optique mais en plus calme, Les Chœurs de la Mer Noire, projet parallèle du chanteur David Lemoine, ici plus sobre que disjoncté. Thomas Bizien

QUI ES-TU JAMES BLAKE ? Alors que les productions hip-hop n'en peuvent plus de démesure (cf “H.A.M.”, le vomitif single de Jay Z et Kanye West), l'épure gagne l'électro. Et ça fait du bien.

D'où viens-tu ? Géographiquement, James Blake vient d'Enfield, dans la banlieue de Londres. Niveau CV, le garçon de 22 ans a étudié la musique contemporaine à la fac. Musicalement, il vient d'ailleurs, d'une contrée où, en réponse aux velléités de divertissement hystérique de la pop aujourd'hui, il vaudrait mieux se réfugier dans une musique paradoxalement silencieuse, minimale et mélodique. Que fais-tu ? Quasiment sourds, en partie a cappella, les morceaux de James Blake donnent parfois l'impression qu'on les entend via une stéréo cassée, dont seul un côté fonctionnerait. Sa voix à la Antony flotte sur quelques accords de piano, une boîte à rythme rudimentaire, deux ou trois riffs de guitare posés là pour donner le ton. Où vas-tu ? Le NME lui prédit un destin à la XX. On dit pourquoi pas. Le garçon a, en tout cas, une vision, une idée très précise de ce qu'il veut faire, et on ne saurait douter qu'un certain public curieux et avide de nouveaux sons sera au rendez-vous pour célébrer ce nouveau prince de l'électro. Quel morceau écouter ? Le très beau Music To Your Love, petite merveille d'épure languide, et premier single de son très attendu premier album. Clémentine Goldszal James Blake de James Blake (Atlas/A&M/AZ)

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musique/actu

FUCKING BOF, MATE !

photo : Franck Eidel

“Different Gear, Still Speeding” de Beady Eye (Beady Eye Records/ Pias) - sortie le 28 février

“On n'est pas Oasis, on leur ressemble juste”. Lue dans le magazine anglais NME, cette phrase provient de la toute première interview de Beady Eye, le très attendu nouveau groupe de Liam Gallagher, exchanteur d'Oasis, frère haï du cerveau Noel, frontman odieux et génial à la fois, connu pour jurer comme un charretier et chanter comme un dieu. Qu'allait-il être capable de faire en solo, avec sa voix unique, son charisme énorme et son ego hors de proportion ? Eh bien rien de très surprenant… En même temps, plus que le nouveau groupe de Liam, Beady Eye, c'est plutôt Oasis débarrassé de Noel, le line up étant resté le même. Du coup - et c'est bien normal - les quatre lascars ont continué sur leur lancée pour enregistrer ce qui pourrait facilement passer pour le huitième album d'Oasis. Ceux qui suivent un peu l'histoire du groupe auront malheureusement compris que leurs dernières productions ne sont pas les meilleures… Résultat, à part quelques chansons surprenantes, dont Bring The Light, le premier single judicieusement mis en avant, avec son piano à la Jerry Lee Lewis et sa vibe définitivement old school, le reste ressemble à s'y méprendre à du Oasis. Les fans apprécieront, les autres s'amuseront de quelques morceaux outrageusement lennonesques (The Roller), d'un riff de guitare à la Who (Beatles and Stones), de paroles limite indigentes (“I know it, gonna be alright/ Forever I'll be by your side”, sur For Anyone) ou d'une ballade à la Wet Wet Wet (Kill For A Dream)… Bref, Different Gear, Still Speeding n'est pas un très bon album d'Oasis et serait juste passable pour un groupe de mancuniens vingtenaires. Leçon : il est préférable pour une rock star d'avoir des chansons à la hauteur de ses prétentions. C.G.

LES SORCIERS DE SALEM “King Night” de Salem (IAMSOUND Records/Sony Music)

Si des conservateurs de musée étaient amenés à organiser une rave party aux abords de l'armée en terre cuite de Xi'An, ils pourraient trouver ici une musique appropriée. Préservé dans une inertie respectueuse, c'est le corps qui doucement tangue, sans exacerber la danse. Et cette impassibilité rigoureuse devant l'effritement de ces pierres confère à Salem une lucidité froide, comme un constat honnête de désespoir. Occultes natifs américains, les membres du groupe murmurent à la Terre via des procédés modernes: boîte à rythmes boum-boum qui transe, nappes de shoegaze en pleine sature. Et déraillant dans la caverne moite d'Hadès, apparaît dans ce wagon de mine un rappeur blanc et sec, qui encense les fissures de nos architectures, fait échapper des formes de ces césures. Le regard rempli de fièvre, c'est dans cette cathédrale en ruine qu'il défie cette décadence, et c'est dans une esthétique lente et chaotique que Salem fait pénétrer dans nos villes le crépitement éreinté d'un feu d'artifice qui finirait sa course. Grosse basse qui scintille, naît ici une nouvelle poétique, car c'est dans les crânes que poussent le mieux les fleurs, et Salem, pourvoyeur de bande son pour maison hantée, dépasse nos craintes pour révéler cette beauté brisée. T.B.

SO LONG SKINNER “Computers and Blues” de The Streets (679 Recordings/WEA)

Après James Murphy l'an dernier, qui a suicidé LCD Soundsystem en beauté avec un album dont il a annoncé d'entrée qu'il serait le dernier, c'est au tour de Mike Skinner, alias The Streets, de faire un dernier tour de piste (sous ce nom en tout cas). Computers and Blues sera donc le dernier disque de The Streets. “Je ne vois pas ce que je pourrais encore faire d'excitant avec The Streets, il me semble dès lors important de ne même pas essayer”, déclarait-il début décembre. Une décision qui ne se discute pas et qui nous fera apprécier encore plus intensément l'ultime effort d'un type qui ne supporte pas la médiocrité. Alors c'est comment ? Comme toujours, un bonheur de retrouver le flow et la gouaille tellement british de l'auteur de A Grant Don't Come For Free, avec en bémol quelques refrains cheesy dispensables (sur Going Through Hell par exemple), en bonus des moments de bonne humeur bienvenus (Lock The Locks), et toujours la virtuosité langagière du meilleur rappeur anglais du monde. Skinner travaille actuellement à un long métrage. On devrait donc ré-entendre parler de lui très vite, une fois sa mue terminée. The Streets est mort, vive The Streets ! C.G.

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L’arbre généalogique

Juliette Commagere, la nièce barrée.

DANS LA FAMILLE DES CHANTEUSES QUI EN ONT, KEITH DEMANDE… Anna Calvi la cousine surdouée.

Rouge à lèvres burlat, guitare électrique en bandoulière, visage de madone et timbre profond… Avec son premier album éponyme, la Londonienne signée chez Domino fait direct son entrée dans la cour des grandes. L'émotion de Cat Power, le mal-être rentré des Smiths, la musicalité planante de Jeff Buckley et la niaque de PJ Harvey coulent dans ses veines. Ambition et gros talent.

Après avoir tourné avec Bat For Lashes, elle sort son album sur le label originel de Natasha Khan. Juliette Commagere, comme son nom ne l'indique pas, est installée à Los Angeles, et le soleil californien n'a pas tapé assez fort pour ensoleiller son imaginaire. Intense, hantée, puissante, sa musique se fout des structures mélodiques traditionnelles et déclame avec un sens mélodique proprement planant des mélopées futuristes et ténébreuses. On est du coup plutôt content que Roméo l'ait un peu fait poireauter. C.G.

The Procession de Juliette Commagere (Manimal Vinyl/ Differ-ant)

C.G.

Anna Calvi de Anna Calvi (Domino)

Emma Nathan

Eliot Lee Hazel

Trish Keenan la petite sœur regrettée.

Un doux firmament aux abords chaotiques, un état chrysalide où par électricité statique, des cheveux coupe carrée se hérissent. C'est une figure lunaire qui vient de s'éteindre : Trish Keenan Drew Brown 2009 disparaît en laissant six essais en flaque “psychée”. Même pedigree que The Association ou The United States of America, son groupe Broadcast témoigne d'expériences sonores réjouissantes, entre Korg emmitouflé et envolées de LSD. Des improvisations sobres, le hasard comme source d'allégeance, c'est une personnalité, un exemple de vie qu'il faut ici saluer. T.B.

Lykke Li, la belle-sœur nordique.

Suédoise installée à Brooklyn, Lykke Li sortira son deuxième album fin février et c'est peu dire que les amateurs de filles à la tête bien faite et bien pleine trépignent. Rythmiques tribales, sons d'ailleurs, voix planante… On retrouve avec elle la témérité qui nous a tant plu en 2010 chez Warpaint : une manière de viser haut et juste qui ferait presque oublier que Lykke est presque aussi jolie à regarder qu'à entendre. Comme on fait son Li on se couche : avec grâce. C.G.

Wounded Rhymes de Likke Li - sortie le 28 février (Atlantic/WEA)

PJ Harvey, la reine-mère.

Pour enregistrer ce très attendu nouvel album, la toujours mystérieuse Polly Jean s'est enfermée quelques semaines dans une église anglaise paumée en pleine campagne. C'est peut-être ce genre de détails qui fait que, après près de vingt ans dans le circuit, la grande PJ continue de fasciner, d'inspirer… Sans doute parce qu'elle a cette capacité rare à sortir d'elle-même pour construire un album sur des thématiques universelles : le nationalisme, la guerre, l'affrontement, sans jamais tomber dans les poncifs béni-oui-oui ou la déprime glauque. Une intarissable source d'inspiration pour ses consœurs. C.G.

Let England Shake de PJ Harvey (Island/AZ)


musique/rencontre

LET'S (FUNERAL) PARTY !

Une sérieuse gueule de bois, un studio perdu dans une zone industrielle de l'est de Los Angeles, un batteur endormi à même le sol… On rencontre Funeral Party par une très chaude journée de janvier et c'est toute l'histoire du rock'n'roll qui se déroule sous nos yeux : un trou paumé au milieu de nulle part, trois ados qui s'ennuient à crever et, un jour, branchent les guitares pour crier au monde leur frustration, leur mélancolie, leurs angoisses et leurs rêves… Le résultat, c'est un premier album qui sonne comme un cri de guerre, une sorte d'attentat punk en forme de cri primal, un concentré d'énergie à la fois sincère et catchy. Julian Casablancas les a déjà embarqués en première partie de sa tournée et leurs morceaux discoïdes et survoltés promettent de remonter le moral de ceux qui ont des doutes sur le retour des Strokes. Interview avec la relève du rock US. Interview de Clémentine Goldszal / Photos : Yasmin Than

Keith : Vous vous souvenez de votre première rencontre avec le rock'n'roll ? James : Mon père écoute beaucoup de rock classique (John Mellencamp, les Beatles…), ma mère est super fan de Fleetwood Mac et à la maison on écoutait tout le temps la radio, qui passait N’Sync ou des trucs pourris… Du coup, avant mon année de terminale, je ne savais pas qu'il existait autre chose que le vieux rock'n'roll et le doo wop. Et puis j'ai entendu le premier album des Strokes… Chad : Pour moi, ça a été différent. J'ai été élevé par des parents très religieux. Pendant toute mon enfance, je n'avais pas le droit d'écouter autre chose que de la musique religieuse traditionnelle. Avant de devenir “Born-Again Christian”, mon père a eu un groupe et ça ne s'est pas bien passé pour lui, donc il a tout fait pour me tenir éloigné de cette musique, et des drogues et du sexe qui allaient avec. Keith : Pour toi, le rock a donc dû avoir de vrais airs de rébellion… Chad : Oh oui ! Je devais avoir 13 ou 14 ans quand ma tante a pris le risque de me montrer une vidéo d'un concert des Stooges. Tout d'un coup, j'ai entendu. Et vu ! Ça a été un choc, un peu comme les gens qui se rappellent avoir vu Elvis pour la première fois : j'en suis resté bouche bée. La musique était tellement brute, le public en folie… Keith : Pas étonnant donc, qu'on entende dans votre musique une vraie révolte. Chad : On vient de Whittier, une toute petite ville de Californie, une

communauté très retirée, avec beaucoup de vieux. Il n'y a pas de culture pour les jeunes là-bas. Alors oui, on a été obligés de se révolter… Keith : Ayant découvert la musique, comment vous est venue l'idée d'en faire vous-mêmes ? James : Moi j'ai commencé la guitare il y a dix ans. À la fin du collège, j'ai entendu cet album des Strokes et ma mère m'a acheté une gratte acoustique dans un catalogue de vente par correspondance. Elle était pourrie mais je jouais tout le temps, c'était ma seule passion. Je regardais beaucoup le catch à la télé et la première chanson que j'ai apprise était celle sur laquelle mon catcheur préféré faisait son entrée. Ma mère était super fière. Chad : A 14 ans, je suis tombé amoureux de cette fille qui allait à l'église avec ma sœur. J'allais là-bas rien que pour la voir ; elle était gothique, fan des Smashing Pumpkins, et beaucoup plus âgée que moi, 17 ans peut-être. Je savais qu'on avait peu de choses en commun. Je voulais attirer son attention en lui montrant que j'étais cool et que je connaissais son groupe préféré, alors je me suis mis à les écouter et c'est eux qui m'ont vraiment donné envie de monter un groupe. Je me suis acheté une guitare et même un tee-shirt. Je le portais quand je la voyais, juste pour pouvoir engager la conversation, mais ça n'est jamais arrivé. Keith : Tu sais ce qu'elle est devenue ? Chad : Elle s'est probablement mariée, comme tous les gens qui étaient avec nous au lycée. Ils se sont tous mariés, les filles sont enceintes ou ont déjà des gosses…

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Portrait chinois Funeral Party, si votre album était… …une couleur ? “Jaune ou orange. Ça peut être beau et lumineux, mais aussi le signe que quelque chose se détruit.” …un jour de la semaine ? “Dimanche. Le moment où tu repenses à ta semaine et tu réalises à quel point t'as envie de te casser.” …une ville ? “Detroit. En s'y promenant, on tombe sur tous ces bâtiments délabrés des années 50 et 60. À chaque fois qu'on y a joué c'était dans des trous à rats pourris et crades, même quand on a joué avec Julian Casablancas. On dirait une ville qui viendrait de se faire bombarder, c'est un peu Armagideon town.” …une boisson ? “Du jungle juice ! C'est comme du punch aux fruits dans lequel tu verses n'importe quel alcool qui te tombe sous la main. C'est comme ça que les ados américains se bourrent la gueule en soirée.” …une année ? “1994. On était petits, tout semblait si pur et innocent. Je me souviens de ce sentiment d'être jeune et de n'avoir à me soucier de rien et de voir tous ces trucs tellement cool. Le grunge était à la mode et je trouvais ça tellement, tellement cool.” …un pays ? “L'Angleterre. Le pays de la plupart des groupes qui nous inspirent.”

Keith : Comment en êtes vous arrivés à monter un groupe ensemble ? Chad : On n'était même pas potes à l'époque. James écoutait Sublime et des trucs du genre, et moi j'étais plutôt branché emo… James : On se retrouvait souvent dans un parc du coin, un vieux cimetière où on picolait parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Chad était là ; je l'ai entendu dire qu'il jouait du clavier (ce qui était totalement faux d'ailleurs), et j'ai été le voir pour lui proposer de monter un groupe. On a commencé à répéter mais on n'avait même pas notre propre matériel… Keith : Vous jouiez quel genre de musique ? Chad : On a commencé avec des trucs mélodiques à la Blonde Redhead, des chansons super lentes. Mais on n'en était pas contents. À l'époque, je jouais du clavier et James chantait. James : Oui, jusqu'au jour où il m'ont fait écouter une cassette de moi et j'ai été forcé de constater que j'étais super mauvais… Chad : On voyait tous qu'il n'était pas bon, mais on ne savait pas comment lui dire, alors on l'a enregistré pour qu'il s'en rende compte par lui-même… Keith : A quel moment la musique est devenue une affaire sérieuse ? Chad : Probablement un an, un an et demi après… James : Au début, on n'avait aucune idée qu'on ferait ça pour le reste de notre vie. On s'amusait, comme des gamins dans un magasin de bonbons. Si on était invités à un concert, c'était l'attraction de la semaine. Des potes devaient nous emmener parce qu'on n'avait pas de voiture. C'était la débrouille.

Chad : On était tellement jeunes et naïfs… Notre monde, c'était notre ville. On n'aurait jamais imaginé aller un jour plus loin que le bled d'à côté… Keith : Le nom du groupe est le titre d'une chanson de The Cure, The Funeral Party… Qui en a eu l'idée ? James : Au bout de quelques mois, on a été bookés pour un concert, et il nous fallait un nom pour mettre sur le flyer… Chad : Avec les Smashing Pumpkins, je me suis mis à m'intéresser à la musique mélancolique et Cure est arrivé naturellement, avec Bauhaus, The Jesus and Mary Chain… J'ai d'abord entendu leurs pop songs, et puis j'ai découvert leurs albums plus profonds et plus sombres. Un jour, je suis entré dans la chambre de ma demi-sœur. Elle était allongée sur son lit en train de regarder le plafond, une drôle d'ambiance suicidaire flottait dans la pièce. Je lui ai dit “C'est quoi ce truc archi-déprimant que t'écoutes ?” et elle m'a dit que c'était une chanson de Cure qui s'appelait The Funeral Party. J'ai couru appeler James pour lui dire que j'avais trouvé le nom du groupe. Au début tout le monde a trouvé que c'était pourri mais personne n'avait mieux à proposer, alors on l'a gardé. Keith : Et ce premier concert ? James : C'était dans un jardin, il n'y avait que des potes. Personne ne nous regardait, et on a commencé à jouer et à sauter partout. Chad : On avait picolé un peu, on s'est mis à installer notre matos et tout le monde passait en se foutant de notre gueule. Cette négativité nous a donné une putain de rage. On s'est mis à hurler,


musique/rencontre

à devenir dingue. Je me souviens distinctement d'avoir entendu un type dire “What the fuck !” à la fin du concert. Keith : Vous habitez toujours à Whittier aujourd'hui, vous revoyez ces gens ? James : Oh oui ! Ils ont tous des jobs planplan, et ils ne comprennent pas ce qu'on fait, genre “Qu'est-ce que tu fous à traîner, t'as pas un boulot ?” Chad : On nous a beaucoup dit “C'est cool, mais tu vas devoir trouver un vrai taf un jour”. James : Tous les groupes avec qui on jouait à l'époque ont disparu aujourd'hui. Keith : Qu'est-ce que vous aviez de plus qu'eux pour durer ? James : L'unité. On est tous amis. Et puis, la première fois qu'on s'est mis à jammer, on a tous eu un déclic. J'avais joué dans quelques groupes avant ça, mais je n'avais jamais ressenti cette connexion. On s'éclatait, on n'avait pas envie d'arrêter. Chad : Tout autour de nous était tellement négatif, nos parents et nos amis nous disaient qu'on n'y arriverait jamais… Et puis on se retrouvait en répèt et c'était tellement bien, tellement positif que ça nous faisait oublier tout ça. Keith : Vous cherchiez déjà à signer avec un label ? James : Ça ne nous avait même pas traversé l'esprit, ça n'était même pas un rêve avant qu'on rencontre notre manager. Il nous a convaincus qu'on pourrait en vivre, alors on s'est fait à l'idée. Keith : Et est venu le moment d'enregistrer une démo… Chad : Un soir après un concert, Lars, ce producteur, est venu nous voir en nous disant qu'il voulait nous enregistrer. On avait quatre chansons, et pas de paroles ! Arrivé en studio, je me suis mis au fond pour écrire un truc en cinq minutes. J'avais deux exemplaires du magazine Vice, je pointais mon doigt à l'aveugle sur une page et j'inventais des mots qui allaient avec le mot que j'avais trouvé. Keith : Depuis, tu t'es perfectionné niveau paroles. C'est venu comment, l'envie d'écrire ? Chad : Je n'ai jamais voulu être un poète. Je n'ai jamais pensé que j'avais un message à faire passer. Mais je suis un bon observateur, je regarde la vie passer et les gens vivre. Par exemple, l'autre jour, je me faisais tellement chier que j'ai regardé plein d'épisodes de Intervention, une émission où les gens essayent de se défaire de leur addiction. Il y avait cette femme qui était tellement alcoolique que son mari avait prévenu tous les magasins du quartier de ne plus lui vendre d'alcool. Du coup, elle allait au Walmart

pour acheter du bain de bouche et se bourrait la gueule avec ça. Ça a donné ce passage dans le refrain d'une de nos nouvelles chansons : “I hope you get clean, parental drug fiend/ I know your heart's gold but shit's getting too old”. C'est de là que me vient mon inspiration. Il se passe tellement de trucs dingues dans le monde que je ne vois pas l'intérêt de chanter sur l'amour ou des trucs chiants de ce genre. Vous vous considérez comme un groupe de Los Angeles? Chad : Non, pas tellement… Quand on dit L.A., on pense Hollywood et tout ce qui va avec… Mais nous, on vient de notre petite banlieue. C'est triste à dire, mais on n'est qu'un groupe de Whittier. Ce qui nous lie, c'est qu'on a tous souffert du même isolement dans cette ville. Même si L.A. n'est qu'à une demi-heure en voiture, pour nous c'était le bout du monde. Keith : Cette frustration adolescente, c'est finalement un sentiment universel, non ? Chad : Quand t'es ado, tu as toujours l'impression de passer à côté de quelque chose. Tu vois à la télé des trucs sur d'autres ados qui s'éclatent, prennent des drogues et ont une vie glamour et tu te dis “Wouah, je veux la même vie !”. Chanter, de mon point de vue, c'est avoir 14 ans et regarder le monde avec des yeux tellement rêveurs que tout a l'air génial. Même être un junkie, ça paraît glamour. Keith : Et de l'intérieur, ça ressemble à quoi, le show business ? James : C'est pas si génial, même si c'est quand même marrant… Le plus bizarre, c'est quand on revient de tournée : on a vu une ville différente chaque jour pendant deux mois, on a fait des expériences nouvelles quotidiennement. Et on rentre et rien n'a changé, les gens font les mêmes trucs, exactement les mêmes ! Keith : Qu'attendez vous de la sortie de l'album ? James : Je parle pour moi mais je crois parler pour le reste du groupe en disant que je n'attends rien de plus qu'une tape dans le dos de la part mon père. On ne fait pas ça pour l'argent ou la célébrité, mais pour nos familles, pour s'assurer qu'elles s'en sortent, qu'elles atteignent une stabilité. Et puis bien sûr on veut créer de la musique. Si les gens aiment nous voir jouer sur scène, pourquoi ne pas le faire ? Chad : C'est étrange… Chez nous, à Whittier, personne n'a la moindre idée de ce qu'on fait vraiment. Ils croient qu'on devrait déjà être en train de rouler en BMW… Alors un jour, ma famille est super fière et super contente pour moi, et le lendemain ils sont là: “Mais qu'est-ce que tu fais ? Pourquoi tu es là encore ? Trouve un vrai boulot !”

“Je me souviens distinctement d'avoir entendu un type dire

“What the fuck !”

à la fin de notre premier concert.” (Chad)

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“De la sortie de l'album, je n'attends rien de plus qu'une tape dans le dos de la part mon père.â€? (James)


introducing

introducing...

NIGHTMARE & THE CAT www.myspace.com/nightmareandthecat www.nightmareandthecat.com

Texte : ClĂŠmentine Goldszal Photos : Shelby Duncan Maquillage : Sarai Fiszel

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Claire

É n e rg i e s e n s u e l l e brute, chanteur irrésistible, charisme énorme, compos poisseuses et catchy… Sur scène, Nightmare & The Cat n'est rien de moins que scotchant. Qu'ils se produisent dans des clubs branchés de Los Angeles, ou cet hiver sur les scènes rock de Londres, les trois post-ados de ce tout jeune groupe s'attirent les louanges d'un public impressionné. Deux gars (Django et Sam Stewart), une fille (Claire, tout juste vingtenaire à la grâce timide et intimidante) et un gros paquet de talent, la recette est classique mais ce trio a quelque chose en plus : le plus jeune des frères Stewart, Django, 18 ans, est une rock-star née, qui danse comme Mick Jagger et possède déjà un timbre de voix d'une sexualité époustouflante. Élevés entre Londres et L.A., son frère Sam et lui ne se sont mis que très récemment à composer ensemble, et l'alchimie est évidente. Guitariste et arrangeur aguerri, Sam se tient en retrait de la lumière, laissant à Django, la tornade charismatique, le soin de conquérir le public.

Django

Sam

Pas surprenant, les trois ont la musique dans le sang : élevée à Los Angeles, Claire a grandi dans une famille qui tient le son pour religion, alors que les deux autres sont les rejetons d'un couple amusant (leur père est le co-fondateur d'Eurythmics, leur mère officiait dans Bananarama). Fans de Blur autant que de Jimi Hendrix, de Jeff Buckley et des Pixies, de T Rex et du Velvet, ils opèrent avec magie la fusion d'un rock seventies old school et d'un son dans lequel on reconnaît l'influence du meilleur des années 90. L'avenir ? Des concerts, des concerts et encore des concerts. Signer avec une grande maison de disques ? Bienvenue dans la génération post-industrie du disque : le groupe n'en rêve pas… Plutôt avoir de quoi enregistrer un disque et tourner pour parfaire un son déjà bien mature. Un groupe à suivre à la trace et à écouter d'urgence sur Internet : autant de talent, ça n'est pas courant.


portfolio

ELIOT LEE HAZEL Eliot Hazel est né en Angleterre mais habite depuis treize ans à Los Angeles. Il s'est mis à la photographie presque par hasard il y a deux ans et s'y consacre depuis à plein temps. www.eliotleehazel.com

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portfolio : Eliot Lee Hazel

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portfolio : Eliot Lee Hazel

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portfolio : Eliot Lee Hazel

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littérature

Slap

My Kid Up

Avec seulement quatre romans au compteur, Christos Tsiolkas s'est imposé comme le bad boy de la littérature australienne. Oublié Kylie Minogue, Crocodile Dundee et Hugh Jackman, dans “La Gifle” (Belfond), son premier roman traduit en français, l'Australien dynamite le aussie way of life. Racisme, homophobie, puritanisme, drogue, sexe et pop music, à travers le miroir sans tain des apparences, il dissèque la bourgeoisie décadente made in Melbourne. A mi-chemin d'Irvine Welsh et de John Updike, Tsiolkas met une claque à cette rentrée littéraire et prouve qu'il n'y a pas qu'en rugby que les Australiens sont capables de talent. Pelouse tondue façon green de golf, sièges bébé dans la Commodore (Renault Scénic australienne) et gambas grillées au barbeuc'. La banlieue chic de Melbourne ressemble à s'y méprendre à Wisteria Lane. Et comme dans la série, derrière leur make-up impeccable, les housewives sont souvent desperate. Tout commence dans ce décor de sitcom ABC. Hector et Aisha - parents bobos amateurs de speed à l'occaz - reçoivent une quinzaine d'amis pour une garden party bon enfant. Les pères s'enivrent pendant que les épouses grignotent des concombres et que les gamins cavalent entre les jupons et les talons aiguilles. Ça papote école privée et perte des valeurs ; s'engueule un peu politique et religion. Hector est grec, Aisha indienne, Bilal musulman, Gary alcoolique, Rosie australienne, Connie mineure et Richie homo. Melting pot cordial, amical même. Et pourtant, une simple gifle va suffir à briser cette image d'Épinal. Harry, le cousin d'Hector, corrige Hugo, rejeton braillard et violent de quatre ans, qui menace son propre fils d'un coup de batte de cricket. Le geste - anodin fait exploser l'apparente quiétude. Police, plainte, coup et blessure, procès. Le tsunami provoqué par le geste de Harry va tout éclater sur son passage : les amitiés, les familles, les couples, les apparences. Ne restera alors que le portrait sans concession d'une société sur le déclin. La nôtre. Le style est franc, direct ; l'empathie inexistante. La Gifle n'est pas un conte. Pas de morale ni de leçon. C'est la force du roman. Tsiolkas regarde évoluer ses personnages comme des rats dans un labo. Les mômes sont abrutis par les jeux vidéo et les écrans plasma devant lesquels ils se vautrent toute la journée ; les parents désenchantés, souvent lâches, regardent le monde se déliter sous leurs yeux. A travers la galerie des huit personnages principaux, Tsiolkas va décortiquer l'événement jusqu'au noyau - pourri - de la société, nous plongeant au cœur de la civilisation occidentale gangrénée par l'égotisme, le racisme et la violence. Il nous embarque dans le quotidien d'Hector, mari narcissique, homme enfant, en proie à la peur de vieillir. Plus loin, c'est le portrait de Rosie qu'il nous dresse, ex-nympho, Australienne pur jus, qui s'encroûte dans une existence miséreuse au bras d'un mari alcoolique et désabusé. Mais aussi Connie, dont le père est mort du sida une seringue dans le bras ou Richie, 18 ans à peine, qui découvre son homosexualité en même temps que les fix de morphine et les cachets d'ecsta. C'est au scalpel, comme un légiste, que l'auteur autopsie ces destins qui se croisent, s'entrelacent, s'entrechoquent et se déchirent. Il nous plonge dans l'intimité des personnages, crûment, sans fioriture. Le style va à l'essentiel, ne s'encombre pas de tournures pompeuses ou d'élans stylistiques superflus. Sur les 467 pages du roman, la plume coule d'une traite. En apnée. Tsiolkas joue avec les codes, flirte avec le pire, promène son lecteur avant de le renvoyer à la simple médiocrité de l'existence. Et malgré les kilomètres qui nous séparent de cette Australie déglinguée, on ne peut s'empêcher, une fois le livre refermé, d'y voir le reflet à peine déformé de notre Europe vieillissante et d'avoir les oreilles qui sifflent et les joues en feu - comme après une bonne claque. Léonard Billot

*La Gifle (Belfond) de Christos Tsiolkas

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littérature/actu

W•A•N•T•E•D “True Grit” de Charles Portis Éditions du Serpent à plumes - 250 pages

Le nom de Charles Portis ne vous évoque pas grand-chose, si ce n'est, peut-être, la rime avec Bret Easton Ellis ? On ne peut pas vous en vouloir, mais on remercie vivement les frères Coen d'être allés dépoussiérer ce roman culte outre-Atlantique, et injustement méconnu sous nos latitudes. True Grit, publié en 1968 aux Etats-Unis et adapté au cinéma une première fois sous le nom de Cent dollars pour un shérif, franchit enfin les frontières. Mattie Ross, vieille fille un peu bigote, raconte comment, à la fin du XIXe siècle, elle a quitté l'Arkansas à l'âge de 14 ans pour se lancer à la poursuite de l'assassin de son père. Cet ersatz de Calamity Jane s'en va donc venger son paternel en engageant Rooster Cogburn (Jeff Bridges), un marshal roublard porté sur la boisson. LaBoeuf (Matt Damon), un ranger texan qui veut, lui aussi, la peau du vaurien, va venir compléter l'étrange duo du cow-boy borgne et de la petite à la langue bien pendue. Commence alors pour Mattie et ses deux compères une chevauchée fantastique en territoire indien. On n'en est plus à une histoire près de colts fumants et de Sioux malmenés. Pourtant, audelà du mythe éculé de l'Ouest sauvage, le style est mordant, la narration riche en rebondissements. True Grit fleure bon le vieux Sud et la jeune effrontée rappelle les héros de Mark Twain. Mais c'est avant tout la gouaille d'une gamine peu farouche et “pas plus grande qu'un épi de maïs”, qui donne au roman bagou et originalité. Puisque le western des frères Coen caracole en tête du box office américain, détrônant No Country for Old Men au rang de plus gros succès des deux cinéastes, on souhaite au roman un accueil tout aussi enthousiaste sur les plaines de l'Hexagone. Ugh ! Émilie Papatheodorou

Keith ta playlist ! - “Griffonnages d'un bourgeois du quartier latin (1869-1871)” de Henri Dabot (Mercure de France) - “Le roi de l'opium et autres enquêtes en Asie du Sud-Est” de William T. Vollmann (Tristram) - “Le dernier stade de la soif” de Frederick Exley (Éd. Monsieur Toussaint Louverture) - “Totally Killer” de Greg Olear (Gallmeister) - “Comment je suis devenu un écrivain célèbre” de Steve Hely (Sonatine) - “Arrêtez-moi là !” de Iain Levison (Liana Lévi)

VAMPIRES DIARY “Vampires” de Thierry Jonquet Seuil - 185 pages

Les Radescu sont une charmante famille de suceurs de sang installée au fond d'une cour d'immeuble dans le quartier de Belleville. Pour ces sympathiques vampires, les journées sans lumière sont longues et l'exclusion de la communauté humaine insupportable. Tout bascule quand un matin, Razvan, un immigré roumain, découvre au fond d'un hangar un homme empalé sur un pieu de bois. La scène de crime semble être un parfait hommage aux supplices que Vlad Tepes, figure légendaire de Dracula, infligeait à ses ennemis. Le meurtre va briser le quotidien des paisibles Radescu et les plonger au cœur d'une enquête sanglante sur fond d'empalements rituels et de terreurs ancestrales. A l'instar des héros du livre, Vampires a bien failli, lui aussi, ne jamais voir la lumière du jour. Demeuré inachevé à la suite du décès de son auteur en août 2009, le texte aurait dû rester à l'état de manuscrit. Mais c'était sans compter sur Jean-Christophe Brochier, éditeur et ami de Thierry Jonquet, qui n'a pas voulu priver les nombreux fans de l'écrivain de ses derniers traits d'humour noir. Polar posthume donc, mais livre événement de la rentrée littéraire 2011, Vampires offre un savoureux mélange d'ironie, de fantastique et de modernité. L'auteur du très remarqué Moloch (Gallimard) revisite le vampirisme (on oublie Twilight), mais dénonce aussi, comme à son habitude, les injustices de son époque et pointe du doigt une société de l'exclusion. Malgré la frustration de ne pas connaître la fin (le roman s'arrête trop tôt à la page 185), le plaisir reste entier. De sa plume bien vivante, Jonquet montre que jusqu'au bout, il ne perdit rien de son mordant. R.I.P. Mathilde Enthoven

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SMELLS LIKE TEEN SPIRIT “Le Cercle des Huit” de Daniel Handler Galaade Éditions - 473 pages

“Les adolescences trop chastes font les vieillesses dissolues”, avait pour habitude de seriner André Gide. Que celui-ci se rassure, Flannery Culp, l'héroïne de Daniel Handler restera dès lors d'une exemplarité rarement égalée jusqu'au possible jugement dernier. C'est depuis la cellule où elle est incarcérée pour meurtre que Flannary revient sur sa dernière année de lycée. Dans son journal, elle compulse les détails des semaines précédant la soirée d'Halloween où Adam State a été retrouvé mort dans le coffre d'une voiture volée. Viol, intoxications à l'absinthe, rites sataniques et fêtes dissolues, c'est entourée de ses sept inséparables acolytes, que Flan traverse l'automne adolescent jusqu'à cette nuit dramatique d'octobre. Daniel Handler, plus connu sous le pseudo de Lemony Snicket pour la série des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire (Editions Nathan), est bien loin ici de la littérature enfantine qui l'a rendu célèbre. Le Cercle est son premier roman et il nous plonge dans le tumulte des démons adolescent. Pourtant encensé par la critique américaine au moment de sa publication en 1999, Le Cercle des Huit semble aujourd'hui submergé par le flot de littérature teen trash ou le cinéma de Larry Clark et Gus Van Sant. On peut alors se demander si un énième roman dépeignant une adolescence caricaturalement dépravée était bien nécessaire. Céline Laurens

L'AMERIQUE EN TOUTES LETTRES “L'Homme-Alphabet” de Richard Grossman Le Cherche midi - 483 pages

Clyde Wayne Franklin est américain et poète. Il a tatoué l'alphabet jusqu'à la lettre Y sur l'intégralité de son corps. Après 20 ans passés en prison pour le meurtre de son père, il vole au secours de sa fiancée, une ex-prostituée mêlée à une histoire de chantage. Il s'enfonce alors dans la faune interlope de Washington, faite de personnages picaresques… Dans ce premier volet d'une trilogie intitulée American Letters, Richard Grossman fait résonner une voix, celle de la langue américaine qui hurle, roule, tonne au fil des pages. L'intrigue sert clairement de prétexte : l'objet réel de L'Homme-Alphabet est le langage. La psyché de Clyde, le narrateur, est un véritable enfer où les traumatismes et les désirs se cognent aux mots, aux lettres et à l'impossibilité d'exprimer les choses. L'écriture boursouflée doit beaucoup au double littéraire de Clyde, un clown qui fait irruption dans le texte en vomissant les mots. Peu à peu, le roman devient poème, et le poème devient une masse textuelle sibylline. Des pages entières de poésie et de lettres typographiées viennent casser la narration et égarer le lecteur. Le style est tour à tour sobre et emphatique. On pense à Pynchon (beaucoup) et à Dante (un peu). La lecture de ce roman est dense, épuisante, et même si l'on n'est pas dupe des artifices stylistiques de Grossman, on ne peut que s'incliner devant un tel ovni littéraire. La barre est placée très haut, et le résultat est à la hauteur de l'ambition affichée : épeler l'Amérique. Tanguy Blum

MAGICAL BODY, PARANORMAL SEXUALITY “La vie sexuelle des super-héros” de Marco Mancassola Gallimard - 545 pages

“Vous, les super-héros, vous avez toujours des problèmes avec le sexe, affirma le médecin alors que la sonde insistait sur l'un des testicules, ce qui fit sursauter Batman.” New York. Ville où Bruce Wayne a posé ses nouveaux quartiers avec Robin, son amant et ex partenaire, abandonnant à Gotham City sa jeunesse héroïque et son intégrité sexuelle. New York. Pomme empoisonnée dans laquelle ont croqué Reed Richards, Mystique, Superman et autres héros fantastiques ; souvenirs d'un autre monde. Celui du règne américain. New York. Implacable décor aux costumes saillants de Wall Street, quotidien obscur du suicidaire et fatalité du suicidé. New York. Amère résidu du rêve américain. New York. Maison de retraite pour super-héros aux masques souillés, espace de reconversion pour dompteurs de gratte-ciel en gratteurs de cocktails. New York. Si souvent prise en levrette par Bret Easton Ellis... par Patrick Bateman... Par Batman tout court. Une ville si souvent violée qu'elle implorerait la frigidité. La vie sexuelle de ces super-héros venus s'échouer dans cette ville n'est autre que la métaphore d'un empire en déclin, la fin d'un monde où chacun défendait sa cause par héroïsme, et se consolait dans l'érotisme : “Vous, les super-héros, vous êtes par-delà le désir. Votre corps est allé trop loin. Vous êtes comme de lointains limbes. Vous êtes terrifiés à l'idée de ne posséder personne. Vous ne ressentez rien.” Charles de Boisseguin


littérature/actu

De l'odeur des livres Il faut imaginer l'odeur, la ressentir, la voir même - si l'on peut. C'est là que tout commence. Parfum de poussière. Puis, prendre le temps d'un court exercice de psychanalyse. Praxis rétrograde de l'addiction. Décrire le réseau éphémère des implications qui la prennent pour racine. Les lieux de l'odeur. Se souvenir de Huysmans dans À Rebours : “Il lui avait d'abord fallu travailler la grammaire, comprendre la syntaxe des odeurs, se bien pénétrer des règles qui les régissent…” Apparaissent alors (peut-être) le long couloir d'une bibliothèque municipale de province qui sent l'encaustique, les rayonnages branlants d'une salle de classe, le parquet craquant d'un cabinet de lecture, une terrasse de café, une chambre close... Mais toutes ces associations ne sont en réalité que des leurres qu'il faut escamoter afin de recouvrer la toute première sensation, la capturer, l'inscrire. Les narines qui palpitent et la main qui s'avance au devant d'un rectangle épais. Trois faces concaves plus une convexe et deux planes. Géométrie de l'imaginaire. Il est temps soudain de s'aventurer dans les plis de la forme rectangulaire, de les effleurer avant de les forcer de l'ongle. C'est à cet instant précis, la forme s'évasant, que l'odeur s'échappe, qu'elle envahit le cerveau, qu'elle trouble l'œil qui la contemple. Cependant, l'attention diminue ; elle est peu à peu corrompue par l'entrelacs des indices qui ponctuent la surface double de cette forme désormais fendue.

Les lettres délivrant le mot ; les mots délivrant la phrase. L'œil se promène, le nez se repose. Les mains s'allongent. La forme prend vie ; elle réagit. Des existences s'y sont réfugiées que la caresse libère ; elles se détendent, s'ébrouent, se réveillent. Le vent se lève, dirait-on. C'est qu'il faut tourner la page. Tel est finalement le livre. Parfumé. Solide. “L'inscription matérielle des sensations” dirait Derrida. Le livre est ainsi sens et substance. Simultanément. Il se lit et il se saisit ; il se comprend et il se prend ; il inspire et il se respire. Ce qui manquera toujours au plus beau des iPads, au plus sophistiqué des e-Books, c'est cette odeur un peu sèche, herbacée quand s'y résume le parfum des fibres végétales qui le compose, quelquefois poivrée, salée ou vanillée, laquelle odeur rappelle celle de la peau, de l'intimité vitale - ce que cherche à codifier cette artiste new-yorkaise, Rachel Morrison, avec son projet Smelling the Books, qui a passé plusieurs semaines au MoMA, le nez penché sur les livres de la bibliothèque du musée afin de classer méticuleusement leurs senteurs… Taxinomie mélancolique. Bientôt, les livres ne sentiront plus que le plastique. Pourtant, la mémoire du livre “végétal” réside aussi bien dans l'inscription mentale de la substance qui le concrétise que dans celle du sens qui le justifie. Cuir ou carton. Encre et papier. Fibres. Matières. Vivantes. Les écrans - plages pulsantes de pixels anonymes, propres, hygiéniques - par quoi l'on voudrait remplacer ces matières essentiellement biologiques sont comme des préservatifs culturels : ils stérilisent ce qu'ils enrobent. Illusion technique. Loi de Kranzberg : “La technique n'est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre”… Alphonse Doisnel

I LOVE NYC “Chronic City” de Jonathan Lethem Editions de l'Olivier - 496 pages

Chase Insteadman, ex acteur star, vivote sur les revenus de sa gloire passée. Dans l'Upper East Side made in Gossip Girl, il traîne son ennui de soirées de millionnaires en soirée de milliardaires. C'est lors de l'une d'elles, au milieu d'un essaim de pseudo célébrités et d'happy few vaniteux, qu'il croise Perkus Tooth. Mystérieux critique underground, étrange mix de Philippe Manœuvre et de Banksy, particulièrement talentueux pour le soliloque fumeux, Perkus va ensorceler Chase. De pétards chargés en digressions politico-philosophico-artistiques, les deux amis vont progressivement échapper à la réalité tangible de la ville. New York, ellemême, va s'effacer doucement derrière un brouillard inquiétant, tandis que dans les rues rôde une étrange créature. A mi-chemin entre Philippe K. Dick et Jay McInerney, Lethem nous plonge ici dans un New York post-11 septembre et fantasmé, reflet d'une société abreuvée de rock et de pop culture. L'auteur, depuis Les Orphelins de Brooklyn (Éditions de l'Olivier), fait de la ville un personnage à part entière de ses romans, outil indispensable à la dénonciation des nouvelles névroses américaines : l'ultra sécuritarisme, la paranoïa ambiante et la peur de l'autre. Décalé, bizarre, barré, Jonathan Lethem signe avec Chronic City, un grand roman de l'ère post 2001. Le New York Times ne s'y est pas trompé, il l'a sélectionné dans sa liste des 10 meilleurs de l'année 2009. Et Keith, dans celle de sa rentrée 2011. Florian Letort

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REGARDS CROISÉS

Internet et critique littéraire ? Pour comprendre comment l'un a influencé l'autre, Keith a rencontré Alexandra Galakof (animatrice du blog “Buzz Littéraire”) et Arnaud Viviant (chroniqueur littéraire au “Masque et la plume” et dans “Ça balance à Paris”). Alexandra Galakof Arnaud Viviant Keith : Pourquoi et comment est née l'idée du “Buzz Littéraire” ? Alexandra : Initialement, on voulait présenter des auteurs de la nouvelle génération/scène littéraire française et anglo-saxonne. Des auteurs dont on parle, que l'on se recommande de lecteur en lecteur. Le bouche à oreille étant le maitre mot. A la demande des lecteurs, le principe a été étendu aux “classiques”. Nous essayons de présenter les influences des auteurs d'aujourd'hui, de sorte à établir une filiation entre la littérature contemporaine et les classiques modernes. La baseline du blog est ainsi devenue : “La littérature, d'hier et d'aujourd'hui, de bouche à oreille.”

Keith : T'arrive-t-il de consulter des blogs littéraires ? Arnaud : Oui, je ne lis plus de journaux, je n'en ai plus les moyens, toute mon information je la trouve sur le net. Je consulte Le Clavier Cannibale de Claro, le blog de François Bon, celui de Juan Asensio (Stalker), de Pierre Assouline entre autres ; je consulte des sites littéraires : Bibliobs (où il m'arrive de poster des articles gratuitement, ma critique du dernier roman de Michel Houellebecq y a été lue 20 000 fois sans que je touche un centime, une honte que cette économie-là…), Sur le ring aussi où je suis pourtant cordialement détesté.

Keith : A la base, le fait de tenir un blog s'apparentait-il à un acte militant contre les médias traditionnels ? Alexandra : Surtout pas un acte militant, je suis personnellement contre l'idée d'associer la littérature à toute forme de militantisme ou de position politique. Peut-être davantage à un ras-le-bol des rédactions “institutionnelles”. J'étais alors pigiste (pas littéraire) et souffrais du manque de liberté inhérent à la presse qui répond à des cahiers des charges très formatés, et puis aussi devoir se conformer à un nombre de signes, aux idées d'un rédac chef, etc… Tenir un blog, c'est d'abord être libre et ça, c'est un luxe inestimable.

Keith : L'avis des blogueurs que tu consultes influence-t-il ton travail de journaliste ? Arnaud : Non. Je recherche de l'information, mon avis je me le forge par moi-même. Je compare mon avis à celui des autres. Il ne trésaille pas d'un iota à leur lecture, en général.

Keith : Lis-tu la presse littéraire “traditionnelle”? Alexandra : Oui, j'aime beaucoup la presse. Je manque un peu de temps, mais j'essaie de suivre le Magazine Littéraire, Lire, L'Express, les rubriques littéraires de Technikart, de Chronicart et étonnament la rubrique livres de ELLE qui est très bien faite, avec notamment Héléna Villovitch, qui est un écrivain que j'aime bien. Keith : Penses-tu qu'Internet a changé l'impact de la critique littéraire classique ? Alexandra : Il faut savoir que la critique littéraire classique a très peu d'impact sur les ventes. En fait, le succès d'un livre vient de l'agrégation de plusieurs choses : la multiplication des bonnes critiques dans la presse, les échos positifs sur les blogs, les passage radio et télé. Après je ne pense pas qu'il y ait de blog littéraire aujourd'hui qui atteigne une audience suffisante pour avoir un réel impact. Les premiers prescripteurs en littérature sont le bouche à oreille et les libraires. Keith : La démocratisation d'Internet et des blogs a renforcé la porosité de la frontière qui sépare l'amateur du professionnel. Globalement tout le monde peut s'autoproclamer expert. Cela présente-t-il un “risque” de nivellement pour la culture ? Alexandra : Non, je ne crois pas. Pour moi le clivage entre critique “officielle” et “officieuse” n'existe pas. Chez les “amateurs”, il y a presque autant de critiques de qualité professionnelle que de billets tout bêtes pour dire “j'aime ou j'aime pas.”Même si ces derniers sont moins argumentés, ils ont une valeur culturelle indéniable.

Keith : En marge de ton travail de critique traditionnel, tienstu un blog ? Arnaud : J'écris sur le net depuis une bonne dizaine d'années maintenant. J'ai commencé sur le site de David Dufresne (www.davduf.net). J'y postais des articles que je ne pouvais pas publier dans les journaux où j'écrivais alors (essentiellement les Inrocks) en raison de leur haute teneur politique. Aujourd'hui, je tiens un blog : www.arnopetitpopo.com sur le site www.lesinfluences.fr. J'y publie des critiques de livres et des articles que personne ne me demande et que j'écris pour, disons, l'honneur. Keith : Penses-tu qu'Internet a changé l'impact de la critique littéraire classique ? Arnaud : Non. Internet permet juste de se libérer des formats d'écriture. Certains peuvent s'étendre : ce n'est pas toujours bon (Juan Asensio aurait bien besoin, par exemple, que quelqu'un édite ses articles : il a une fâcheuse tendance diarrhéique). Et puis il y a les feignasses qui ne savent pas écrire et qui se contentent d'interviewer un écrivain en plan fixe : oublions-les. Keith : La démocratisation d'Internet et des blogs a renforcé la porosité de la frontière qui sépare l'“amateur” du “professionnel”. Globalement tout le monde peut s'autoproclamer expert. Cela présente-t-il un “risque”de nivellement pour la culture ? Arnaud : La culture ne m'intéresse pas du tout. La culture, c'est l'art quand on en a tout oublié. On trouve de tout sur le net (mais comme on trouve de tout dans un kiosque à journaux ou dans une bibliothèque municipale) : des avis très éclairés et des avis peu éclairés. Il n'est pas très difficile de différencier les uns des autres : il suffit juste de savoir lire, mais vraiment lire. Keith : L'avènement du net marque-t-il selon toi, la fin de la culture de classe ? Le début d'une ère de culture globalisée ? La fin de la contre-culture ? Arnaud : Il ne faut pas exagérer. Il y a belle lurette que les classes moyennes et même pauvres ont un accès facile à la culture, au moins dans notre (beau) pays. Internet intensifie ce processus, c'est sûr. Mais c'est plutôt du côté du partage du savoir que de celui de la culture que le progrès est impressionnant. Je ne pense pas qu'Internet globalise quoi que ce soit, au contraire. Il permet à toutes les niches d'exister. Internet est un immense grenier ; il faut apprendre à y chiner. Il faut savoir utiliser un moteur de recherche comme l'index d'une encyclopédie. Et pour conclure, je ne crois pas au concept de contre-culture. Propos recueillis par Léonard Billot


littérature/rencontre

SYSTÈME SOLLERS Philippe Sollers se fout de la réforme de la retraite. A près de 75 ans, il continue à écumer les plateaux télé et les cocktails de Saint-Germain-des-Prés. La provoc’ en étendard, distribuant bons mots et piques cruelles, le tonton flingueur de la littérature ne cesse de brouiller les pistes. Ecrivain génial pour les uns, pantin médiatique pour les autres, l'homme entretient l'ambigüité avec une énergie toute juvénile. A l'occasion de la sortie de son nouveau roman “Trésor d'Amour” (Gallimard), Keith explore la face cachée de l'homme. L'œil espiègle, il allume une cigarette. La chasse est ouverte.

Keith : Du Sollers provocateur, commentateur, chroniqueur, éditeur, lecteur, écrivain, quel est celui auquel tu tiens le plus ? Philippe : Vous me demandez quelle perception je pourrais avoir de moi-même. Ce n'est donc plus moi. C'est le regard que je suis censé porter sur moi d'un point de vue sociologique ou médiatique, ce qui revient à peu près au même aujourd'hui. Or ça me rappelle l'anecdote suivante : il n'y a pas si longtemps j'ai vu arriver un Chinois avec une grosse serviette. Il a commencé à déballer toutes les coupures de journaux qu'il avait accumulées sur moi. Le mot provocateur est probablement celui qui revenait le plus souvent. Bref, il en avait une masse considérable. C'était très sympathique mais je lui ai dit : “Ecoutez, si vous voulez que je commente les commentaires que j'ai suscités, on en a pour un mois”. J'ai donc pris un de mes livres et je lui ai commenté le premier paragraphe. C'est ma réponse. Tout cela vient d'une image préfabriquée par les médias qui sont des clichés repris à peu près partout, et qui prouvent tout simplement que les livres ne sont pas lus. Keith : Mais toi Philippe, comment définirais-tu Sollers ? Philippe : Ecrivain. Keith : Juste écrivain ? Philippe : Oui, enfin… Un écrivain qui a tendance à penser. C'est encore pire. (D'un geste théâtral de la main, il me désigne une étagère pleine de ses propres livres). Tout est là. Les livres. Keith : Dans ton roman, tu reprends cette citation de Stendhal: “Je disais toujours d'un sot : c'est un sot. Cette manie m'a valu un monde d'ennemis.” C'est ce qui t'es arrivé aussi ? Philippe : Stendhal a cette autre phrase étonnante, il dit : “Tout bon raisonnement offense”. C'est étonnant quand même ! Je crois que c'est cela le fond de la question. C'est qu'en général, j'ai tendance à faire des raisonnements… Keith : ...qui t’attirent des ennemis ? Philippe : Oui. Parce que le raisonnement est désormais ressenti comme une agression. Flaubert disait : “Je crois à la haine inconsciente du style.” En tout cas, c'est de ça dont il s'est aperçu à son propre sujet. La haine inconsciente du style est très partagée, je crois. Comme celle du bon raisonnement d'ailleurs. Si vous mettez le style au service du raisonnement, vous provoquez une réprobation immédiate. Keith : Les écrivains manquent donc de style ou de raisonnement ? Philippe : Ils en ont plus ou moins mais pas au point de provoquer une telle agressivité. Ce qui veut dire qu'il y a quelque chose chez eux qui reste timide, relâché, non pensé. Keith : Comment vis-tu le fait d'avoir autant d'ennemis ? Estce pesant à la longue ? Philippe : Pesant ? Oh non, c'est très excitant. Il faut naviguer làdedans comme un “poison dans l'eau” (sourire). Keith : Tu as dit un jour que tu te considérais comme l'un des trois plus grands écrivains français vivants… Philippe : Au moins oui, c'était dans un moment de modestie (il part d'un grand éclat de rire). Keith : Es-tu toujours aussi modeste aujourd'hui ? Philippe : Eh bien, je trouve que je vieillis moins que les autres, oui.

Keith : Qui étaient les deux autres ? Philippe : Les deux autres, à l'époque, étaient ceux avec qui l'on m'associe tout le temps, Le Clézio et Modiano. Alors bon, Le Clézio est devenu prix Nobel et écrit maintenant de très bonnes choses. Modiano, c'est très bien aussi, il a beaucoup de talent, mais c'est dans un angle historique très limité, il faut bien le dire. C'est quand même toujours entre 1940 et 45. Le trou de l'art de cette époque. Vous en avez un qui n'est pas mal en ce moment, c'est Houellebecq, qui vient de mettre (il hésite)… Keith : Le prix Goncourt dans sa poche ? Philippe : …De l'eau dans son alcool. Il a donc un succès considérable. C'est très intéressant. A quel sujet l'a-t-il ? Je trouve que c'est un très bon raconteur, dans un style naturaliste, réaliste et social. Pourquoi pas ? Mais il finit par devenir un écrivain réactionnaire au sens où Sarkozy et Carla Bruni ne voient “La haine inconsciente du aucun inconvénient, style est très partagée, je désormais, à ce qu'il crois. Comme celle du bon écrive. Je lisais dans raisonnement d'ailleurs. Si le Nouvel Observateur, vous mettez le style au serqu'il y avait même eu vice du raisonnement, vous un souper à l'Elysée. provoquez une réprobation C'est assez révélateur.

immédiate.”

Keith : Donc Houellebecq aurait mis de l'eau dans son vin pour avoir le Goncourt. Est-ce que ce n'est pas le prix à payer pour accéder à la reconnaissance publique ? Philippe : Le prix à payer ? Moi je dirais plutôt le prix à gagner (sourire). Keith : Ce sont des concessions que tu n'es pas prêt à faire. Philippe : Je voudrais bien pouvoir les faire, mais visiblement, j'en suis incapable. Keith : Es-tu toujours de gauche ? Philippe : Je crois franchement qu'aujourd'hui, il n'y a plus que moi qui suis de gauche. Oui. Keith : Ah bon ? Pourquoi ? Philippe : Parce que la gauche a presque disparu, se reniant en permanence et ne sachant plus très bien comment proposer une opposition à la société du spectacle. Je pense que je suis ressenti comme étant toujours dans l'opposition. Keith : Tu soutiendras quand même le PS en 2012 ? Philippe : Très certainement, oui. Je soutiendrai fermement Martine Aubry. Keith : Dans Trésor d'Amour, tu dresses le portrait de Stendhal par le prisme des femmes qu'il a connues et on le découvre aussi passionné que maladroit… Philippe : Je crois que l'explication est donnée dans le roman. Stendhal est dans l'idéalisation et cela est dû à sa petite enfance. Il faut savoir qu'il est le seul à avoir écrit noir sur blanc qu'il était amoureux fou de sa mère. Elle s'appelait Henriette, et lui Henri de son vrai nom. Elle est morte quand il avait sept ans en prononçant son nom, écrit-il. Donc la cristallisation de cette passion le suit à travers le temps. Dans ce livre magnifique, De l'amour, lorsqu'il se prend de passion pour Mathilde Viscontini Dembowski, il ne se rend pas compte alors qu'il est dans l'amour impossible. Et c'est cet amour impossible et passionné qui va lui faire découvrir son propre corps, c'est à dire l'extension de ses sensations. Au fond, c'est comme cela qu'il va faire son apprentissage de romancier.

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Keith : Dans le livre, on a l'impression que tu es nostalgique d'une époque révolue. Es-tu passéiste ? Philippe : L'avenir, c'est ce qu'il y a de plus concentré dans le passé. Passéiste sûrement pas. Ça n'a jamais été mieux avant. Si je pensais ça, je serais mécontent d'exister. Or, ce n'est visiblement pas le cas (sourire). Je ne suis pas passéiste, mais je pointe, la montée effarante de l'analphabétisme, de l'illettrisme, de l'ignorance. Ce qu'il y a de choquant aujourd'hui, c'est l'extraordinaire extension de l'ignorance. C'est un problème quasiment neurologique. Keith : Je disais passéiste, parce qu'on a l'impression que tous les gens que tu admires sont morts : Casanova, Stendhal, Mozart, Nietzsche, Picasso… Philippe : Mais, ils ne sont pas morts, mon cher ami. Je rencontre tous les jours des morts-vivants. Keith : Y a-t-il des gens vivants qui te plaisent, que tu admires ?

Philippe : (Après une hésitation)... Il y a quelqu'un que j'aime bien mais qui en fait un peu trop maintenant, c'est Philip Roth. Il a été audacieux avec la névrose américaine. A part ça, il n'y a pas grand monde… Ah, il y a aussi Cécilia Bartoli qui a vendu un million d'exemplaires de l'exhumation de Vivaldi… Keith : Mais t'arrive-t-il d'écouter des choses plus contemporaines comme du rap ou de l'électro ? Philippe : Non, ça je n'ai pas le temps. J'ai trop à faire avec le catalogue musical classique ou le jazz. J'ai la plus grande admiration pour certains musiciens de jazz. Pour l'improvisation et la virtuosité que ça suppose. Thelonious Monk, Charlie Parker, Billie Holiday. Il n'y pas le temps pour autre de chochose. Cela dit, je peux vous faire du rap.

“Ce qu'il y a quant aujourd'hui, c'est l'extraordinaire extension de l'ignorance. C'est un problème quasiment neurologique.”

Keith : C'est vrai ? Philippe : Oui, oui, je pourrais improviser un slam. Je l'ai fait un jour à la télévision, ça a laissé tout le monde pantois (sourire).

photo : Maxime Stange

Propos recueillis par Léonard Billot


théâtre par Nicolas Roux

“Mon personnage tue tout le monde pour être considéré.”

A TOUT CASSEL Cécile Cassel est un jeune étudiant allemand qui va ouvrir le feu sur 37 personnes dans son ancien lycée avant de retourner l'arme contre lui. En ces temps où la jeunesse se révolte partout à travers le monde, le texte, urgent et puissant, sera le premier défendu sur scène par la comédienne. Rencontre.

Photo : Lisa Roze Contour by Getty Images Make-up : Sarai Fizel Hair : Frederic Birault Clothes : Thomssen

Keith : Cécile, que représente le théâtre pour toi ? Cécile : A quelques jours de la première, ça y est, la trouille. Et une évidence. Parce que j'ai voulu être comédienne pour être sur scène. D'ailleurs, je ne voulais pas forcément être comédienne, je voulais être artiste sur scène. J'aime les rapports directs, j'aime les théâtres, j'aime les lieux de spectacles vivants. Alors j'ai hâte que ça commence, et en même temps, j'aime cette période de recherche, de réflexions et où surtout j'apprends beaucoup de choses. Le metteur en scène, Jérémie Lippmann, me donne les clés techniques. Keith : Voilà un peu plus de dix ans qu'on entend parler de toi en tant que comédienne. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de monter sur scène ? Cécile : Un concours de circonstances. Parfois, on m'a fait des propositions intéressantes, mais je ne pouvais pas me libérer pendant six mois. Puis je n'avais pas envie d'aller au théâtre juste pour ouvrir une porte, et comme je ne sors pas d'école ou de conservatoire, les gens ne voulaient parfois même pas me voir. Il a fallu un mec assez cinglé comme Jérémie pour se démerder pour m'imposer. Mais quand je vois ce qui m'attendait, je me dis tant mieux. Tant mieux d'avoir commencé avec ça. Keith : Et commencer seule en scène, ça ne t'effraie pas ? Cécile : Je ne suis pas tout à fait seule. Je suis accompagnée d'un musicien qui prend de plus en plus de place dans le jeu et qui prend de plus en plus goût à ça surtout. Il accompagne physiquement la pièce. Mais bon, oui, il y a quand même 75 pages de texte seule… J'ai été découragée, mais Jeremie m'a beaucoup aidée. C'est mon petit poucet. Il m'a donné toutes les armes pour m'en sortir. Keith : C'est un texte qui parle de l'adolescence. Comment as-tu vécu cette période ? Cécile : J'avais les cheveux rouges, des Vans, des baggies, et je n'écoutais que du hip-hop parce que le reste, c'est de la merde. J'étais dans un lycée bourgeois et comme je vivais dans le 18e, j'étais la reine des rebelles. Ce qui aujourd'hui me fait pleurer de rire. J'ai fait pas mal de conneries, un besoin de s'exprimer sans doute, je n'étais pas très heureuse à l'école, mais j'étais assez discrète. De toutes manières mes frères avaient fait tellement de conneries que pour les égaler j'aurais dû aller très, très loin… Bref, je n'étais pas très heureuse. Je ne savais pas où je voulais aller. Heureusement, j'avais la danse. C'est le seul endroit où je me sentais considérée. Mon personnage, lui, tue tout le monde pour être considéré. Keith : En fait, c'est un peu le propos de la pièce, tout le monde peut en arriver à cette extrémité… Cécile : En tout cas, si ce môme avait réussi à s'exprimer avant,

il ne serait pas passé à l'acte. En ce moment des gens s'immolent pour attirer l'attention. Pour dire: “Regardez ce qui se passe” !” C'est bouleversant de désespoir, non ? Keith : Dans la pièce ton personnage dit : “Vous n'êtes pas innocent”. A qui s'adresse-t-il ? Cécile : Au public, à tout le monde. L'auteur se sert de ce môme pour interroger tout le monde. Que chaque spectateur se dise: “Et moi, qu'est ce que je fais ?”. C'est aussi le rôle du théâtre. L'art c'est fait pour réfléchir et pour divertir. Le 20 novembre de Lars Norén, mis en scène par Jérémie Lippmann avec Cécile Cassel accompagnée de The Honky Tonk Man. Au théâtre de la Madeleine jusqu’au 16 avril 2011. Réservations : 01 42 65 07 09

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3 raisons de craquer pour “L'amour, la mort, les fringues” La forme

Profondément novatrice ! Ce n'est pas une pièce, c'est une lecture. Une expérience rare et un peu effrayante (pour les spectateurs autant que les actrices). Mais dépouillés d'artifices, les mots prennent finalement tout leur sens. Déshabiller une mise en scène pour parler de fringue, c'est pas con… Le fond

Profondément féministe. L'idée d'adapter ce texte américain est signée Danièle Thompson. Le ton est donc moins léger qu'il n'y paraît. Sous prétexte de vêtements, des femmes y parlent de leur vie, des drames, des bonheurs, des souvenirs. Touchant et intelligent. La distribution

Profondément tournante. Tous les mois cinq actrices, succèdent à cinq actrices. Mais en mars la sensation s'appellera Marie Denarnaud (photo). Elle signe son retour au théâtre Marigny, après son époustouflante prestation dans Le Donneur de Bain et avant de tenir le premier rôle du film de Mélanie Laurent. En 2011, l'actrice à suivre, c'est elle ! L'amour, la mort, les fringues, jusqu'au 30 juin 2011 au théâtre Marigny. Réservations : 0892 222 333 Marie Denarnaud

unes, fou ce que le temps passes,viteter-, a de inCmaêm m m anglai E e. C'est e r è s lo Ch déjà. Cours d'si mon soude loin. De trè , us de dix ans

vageur, et Je vous écris lettre en moi depuis pl suis tombé urts, sourire ra je garde cette oto de vous, cheveux co 'arrive dans les mains. Je . Vous avez m ph is minale, une un nombril qui dépasse, inette. Depuis, je vous su Vous étiez venir est bon, initivement. Une vraie mid une pièce de Diastème. ince. C'est ns amoureux. Défd dans un film, et joué da ême une fan absolue de PrOn ne peut chanté Renau je vous adore. Vous êtes m e je vous écrive un jour. , c'est plus faite pour que Alors voilà, il fallait bien qui. Une carte postale donc . Parce que presque trop. rder les secrets pour so dans votre loge au théâtre pas. Et je ga r ux pas toujours ra plus facile à accroche é, mais je ne vous en ve se ce et t, vôtre. vez manqu re le 'a ur m disc po us u, Vo . pe z enfin et, un vous y revene mour de Gérard Philipe l'A a de Caunes, serai là Pour te avec Emm ot N re er Pi ilipe, de yère. Nicolas R. de Gérard Ph théâtre La Bru Pour l'amour rtir du 23 février 2011 au pa Raphael… à : 01 48 74 76 99 Réservations

Le sosie du moment !

LOT

Afin de développer nous aussi notre audience, nous avons décidé de nous lancer dans un grand concours de sosie. On a donc repéré, dans un petit théâtre de banlieue, une actrice qui ressemblait, selon mon père, à la sœur de sa grande tante Zézette, mais on n'a pas réussi à retrouver le prénom de cette fameuse sœur. Ensuite, on est tombés sur Bruno Wolkowitch qui partage avec Olivier Marchal l'affiche de Pluie d'Enfer à la Pépinière Opéra. Ambiance cuir et moustache pour ces deux flics de Chicago. La similitude avec les Village People était trop frappante. A deux doigts de la bavure. On tenait enfin notre champion. Mais… Ernest Olivier Sitruk Guevara est arrivé. Dans Le crépuscule du Che, qui dresse le portrait du célèbre révolutionnaire, sans complaisance et sans angélisme, celui qu'on avait pu découvrir dans L'Appât de Tavernier il y a quelques années, se transforme. La barbe, le béret, le regard : tout y est. Mais le plus fort, c'est que la prestation est à la hauteur de la performance physique. Un vrai grand numéro d'acteur. Hasta siempre Commandante… Le crépuscule du Che, jusqu'au 30 janvier 2011 au Petit Montparnasse. Réservations 01 43 22 77 74


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Zaha Hadid à Paris

Face à A 60 ans tout rond (elle est née le 31 octobre 1950 à Bagdad en Irak), Zaha Hadid opère une espèce de retour aux sources en forme de billard à cinq bandes.

Elle rêvait de Paris, et sa déception fut grande de perdre le concours portant sur la future Philharmonique de la Cité de la Musique, remporté par Jean Nouvel. Et puis, voici que le “Mobil Art” qu'elle conçut pour Chanel en 2008, va prendre place, en mars 2011, sur le parvis de l'Institut du Monde Arabe, une architecture signée Jean Nouvel. Curieuse aventure que celle du “Chanel Mobil Art”, née de la rencontre entre Zaha Hadid et Karl Lagerfeld. Architecture mobile, comme son nom l'indique, cet objet futuriste de plus de 2000 mètres carrés et abritant une exposition regroupant une quinzaine d'artistes (de Daniel Buren à Yoko Ono, en passant par Wim Delvoye et Fabrice Hybert…) entama son périple à Hong Kong avant de filer à Tokyo puis à New York. Succès garanti pour Chanel puisque près de 100.000 visiteurs s'y pressèrent au fil des trois étapes. Mais voilà, alors que le périple devait se poursuivre à Los Angeles, Londres, Moscou et Paris, le “Mobil Art”, crise aidant, finit sa course sur un terre plein de Central Park. Avec le “Mobil Art”, Zaha Hadid démontrait une fois encore sa virtuosité, sa maîtrise du chaos, sa science de l'éclatement des formes, sa jubilation à exprimer les tensions, sa manière bien à elle de pulvériser les codes, sa volonté d'entrelacer courbes et lignes tendues, superposition des plans et multiplication des porte-àfaux. Bref, à peine plus d'un an après sa mise sur orbite, le “Chanel Mobil Art” était en déshérence. Et voilà que l'IMA témoigne de son intérêt pour l'objet. Et Chanel, dans un élégant élan de générosité, de l'offrir à l'une des institutions culturelles parisiennes parmi les plus remarquables. Ainsi donc, à 65 ans tout rond (il est né le 25 août 1945 à Fumel dans le Lot et Garonne), Jean Nouvel, prix Pritzker 2008 se trouve une nouvelle fois face à face avec Zaha Hadid, prix Pritzker 2004, comme ils le sont déjà sur l'île de Saadiyat à Abu Dahbi, le premier y édifiant le Louvre-Abu Dahbi, la seconde la Cité des Arts Vivants. Il sera plus qu'intéressant, en mars prochain, de considérer de quelle manière s'opère la confrontation entre le champion du “contextualisme” et la papesse du “déconstructivisme” ; entre la façade dite “en moucharabieh” au rythme très orthogonal du Français et le galet organique de l'Irako-Britannique. Mais nul ne doute que le “Mobil Art”, même s'il devient immobile puisqu'il sera fondé, ancré, sur le parvis de l'IMA, remplacera avantageusement l'immense, triste et si faussement caïdale, tente qui défigurait jusqu'alors les abords de l'Institut. Pour son ouverture, en mars prochain, l'ex-“Mobil Art” accueillera, juste retour des choses, une exposition consacrée à l'œuvre de Zaha Hadid. Chez elle donc, Zaha Hadid y présentera le florilège de ses architectures taillées en pointe comme des diamants, fracturées comme des icebergs, à la ligne graphique acérée, zébrée, agressive. Edouard Michel

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Le “Chanel Mobil Art” de Zaha Hadid, bientôt sur le parvis de l’Institut du Monde Arabe.


mode Marie-Pierre Lannelongue

“Un petit tremblement de terre”

À l'heure où Internet transforme le monde, la mode n'est pas en reste. Entretien avec Marie-Pierre Lannelongue, rédactrice en chef Style au “Nouvel Observateur” et responsable de la rubrique “Air du Temps”.

Keith : Quel en a été l'impact sur la mode ? Marie-Pierre : Elle a beaucoup changé depuis. Les blogueurs ont montré qu'il était possible de ne pas être le miroir stylistique d'une image de magazine… tout en étant à la mode ! C'est un petit tremblement de terre qui a ébranlé le monde de la mode, l'expression d'une liberté nouvelle, qui a remis en cause un système installé depuis des années. Puis les maisons de mode ont professionnalisé les blogueurs lorsqu'elles ont compris le pouvoir que ces derniers exerçaient sur le consommateur - et cela a marqué, peut être, le début de leur déclin. Les blogueurs sont avant tout des consommateurs, pas des journalistes. Lorsqu'ils se retrouvent au premier rang des défilés, reçoivent cadeaux et invitations VIP, c'est leur naïveté, leur fraîcheur qui est achetée. Et c'est cette même fraîcheur, cette même naïveté qui est dénaturée ! Au final, la distance et la curiosité originelle perd un peu de sa superbe. Le ton se modifie.

Hélène Renaut

Keith : On parle beaucoup des blogs de mode, pourquoi ? Marie-Pierre : Il y a trois ans, lorsque les blogs de mode ont vraiment émergé, les blogueurs ont touché des internautes qui n'étaient plus dupes. La publicité dans les magazines, le choix des images ou les recommandations de la presse étaient biaisées par les marques et donnaient l'impression d'une presse manipulée, de moins en moins libre. C'est la liberté du blog qui a séduit les internautes. Les blogueurs sont arrivés en proposant un ton différent, décomplexé, enrichi par des “style hunters”, ces images de mode shootées dans la rue. Ils ont inventé une mode beaucoup plus accessible.

Keith : Penses-tu que les blogueurs puissent prendre la place des journalistes ? Marie-Pierre : Non, je ne le pense pas. Les journaux de mode ont pris acte du phénomène. La différence entre un journaliste et un blogueur, c'est que le journaliste construit sa carrière petit à petit. Lorsqu'il est au top, c'est l'aboutissement de dizaines d'années de travail acharné ! Pour un blogueur cela va vite, trop vite… On assiste donc souvent, à sa désacralisation, il finit par passer de mode ! L'exemple des blogs de mode est un parfait miroir de notre époque où tout est accéléré. Il ne faut jamais oublier qu'Internet est un moyen de faire émerger rapidement des tendances qui s'épuisent aussitôt… Que penser par exemple de la gloire d'une Tavi, cette gamine de 13 ans, grimée en mamie, qui se retrouve sur le “front row” des défilés (1)… C'est absurde ! Keith : Mais pourtant certains blogueurs continuent d'enthousiasmer la critique ? Marie-Pierre : Bien entendu. Il faut faire la distinction entre le phénomène de foire et le talent ! Internet a permis à des gens formi-

dables d'émerger, comme Garance Doré, par exemple (2). Et puis, il ne faut pas oublier que les blogueurs sont avant tout jugés par les internautes. Un blogueur dans le coup, c'est un blogueur qui est suivi. Et n'oublions pas enfin, qu'ils valorisent en permanence le travail de la presse de mode - et de la mode tout court, d'ailleurs, car Internet en général et les blogs en particulier ont su faire descendre la mode des podiums. Keith : Pouvons-nous parler alors d'une démocratisation de la mode ? Marie-Pierre : Les blogueurs ont surtout servi à créer un public de fans et à l'entretenir. On assiste ainsi à un véritable phénomène de starification de la mode. Rédactrices, journalistes et blogueurs ont tous participé à l'émergence de cette tendance. Avant, on était fan de rock-stars, d'acteurs, mais pas de Carine Roitfeld ! Il est vrai que la publicité alimente ce phénomène en “peopolisant” la planète mode lorsqu'elle utilise des égéries dans toutes ses campagnes… Mais il ne faut pas sous-estimer les blogs, qui ont été l'un des principaux catalyseurs de cette tendance. Pour revenir à ta question, Internet n'a pas démocratisé la mode : il l'a popularisée, au sens où aujourd'hui, la mode intéresse, fascine et fait rêver de plus en plus de gens.

est censé informer et décrypter.

Keith : En marge de ton travail de journaliste, tiens-tu un blog ? Marie-Pierre : Non… Mais je devrais ! C'est un travail complètement différent de celui que j'exerce au quotidien. Un blog me permettrait d'avoir plus de place, de pouvoir dire “je”, d'avoir des coups de cœur et de les exprimer, d'utiliser un ton plus libre, plus personnel, de me donner plus de visibilité et une quotidienneté aussi… Après tout, ce n'est pas ce que l'on demande à un journaliste, qui

Keith : L'avènement du net marque-t-il selon toi la fin de la culture de classe et l'émergence d'une culture globalisée ? Marie-Pierre : Je pense surtout qu'Internet, pour la mode, c'est l'avènement d'une culture de consommation. Les blogueurs n'ont, à priori, pas de culture de mode au sens académique, mais ils ont su néanmoins l'exprimer, la montrer, la réinventer et la vendre ! Ce qu'ils disent, c'est l'idéalisation d'un monde de plaisir et de consommation. Le travail de fond et d'analyse de la mode intéresse de moins en moins. Ce n'est bien sûr pas une critique, mais c'est un fait. Les blogueurs ne connaissent pas forcément tous les tenants et aboutissants de la mode, mais leur travail rend les gens plus alertes et finit par donner envie… de mode ! Propos recueillis par Jean-Baptiste Telle (1) tavi.thenewgirlintown-blogspot.com (2) www.garancedore.fr

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Disconnected ELLE Robe Sandro Veste The Kooples Chaussettes Falke Sandales Mellow Yellow Broche Tatty Devine 2 bagues : une vintage, une Helles LUI Pantalon H&M Chemise vintage Levis Cravate, chaussures et ceinture Tommy Hilfiger

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Photographe : Laure Bernard Direction artistique : Jean-Baptiste Telle Stylisme : Sophie Chheng Make-up : Julie Mayaud Hair : Pierre-François Carasco Assistants photographes : Charlotte Eberhardt-Lainé et Simon Dessaivre Modèles : Léonore Masson (Elite Model Management) et Corentin Richard (agence Nathalie)


minuscules petit portrait en minuscules d’un artiste quasi majuscule

alexandre duhamel par augustin t. / photo laure b.

divo.

prendre la bastille

c'est un dimanche ensoleillé, en plein mois de janvier. un dimanche comme les autres, sauf qu'à vol d'oiseau, on est à peine à quelques mètres de l'ange doré qui surplombe la bastille. à bien y réfléchir, il y a quelque chose de lunaire à l'entendre chanter jeff buckley sur les toits de l'opéra. cette voix colossale et douce toute à la fois ! ce vaillant vibrato dans son “hallelujah” ! et puis l'ampleur, la précision, la parfaite diction qui sent le tour de gondole et la carte postale - mais qui se brise invariablement en rire tonitruant chaque fois que par mégarde il oublie les paroles. alexandre duhamel a 27 ans. son père est un ponte de l'audiovisuel, lui s'est fait un prénom en tant que baryton. après quatre ans de formation au conservatoire de paris, il est encore pour quelques mois à “l'atelier lyrique” de l'opéra bastille, ce prestigieux studio où sont formés des espoirs du monde entier sélectionnés sur le volet. c'est donc sur son lieu de travail qu'il nous reçoit, ce jour-là - et c'est non sans plaisir qu'il mène la visite depuis l'entrée des artistes jusqu'au dernier étage. avec lui, on s'est faufilé entre deux décors pour accéder à la grande scène ; on a jeté un œil indiscret aux mille et un costumes ; on s'est même arrêté dans la salle de danse pour jouer aux petits rats. entre le mur en miroir et la ville lumière, alexandre duhamel a bien du mal à rester en place : il chantonne, il s'affaire, il s'émerveille pour un rien. ah ! ma bonne dame, où diantre sont passées les sopranes immobiles au charisme de castafiore ?

du show.

d'assaut.

cette carrière qui se dessine peu à peu, alexandre duhamel la voit encore comme un rêve qu'il a mis longtemps à prendre au sérieux. dans une famille où l'on préférait décidément le tennis aux arias, son parcours de chanteur était loin d'être tracé. quand on lui demande ses premiers pas, il confesse une passion pour la variété française, raconte le temps où il enfilait les costumes de son père pour épater la galerie, et finit par concéder qu'il a eu le déclic en voyant un biopic de beethoven avec l'acteur gary oldman. entre deux éclats de rire, il en rajoute une couche : les mésaventures de sa prof de piano qu'il se contentait de regarder jouer, les achats compulsifs de vilaines compilations et les airs de ténors qu'il braillait à tue-tête audessus de pavarotti ou d'andrea bocelli… à l'entendre, alexandre duhamel aurait même pu passer à côté de son destin s'il n'avait pas découvert le répertoire du baryton à l'âge de vingt ans, grâce à la complicité de son professeur yves sotin. le voilà qui se pâme devant le valet de don giovanni ; le voici qui ne jure que par l'émotion dans la voix du gallois bryn terfel ! à partir de là, le jeune baryton avance tête baissée : quand il se présente au conservatoire de paris, il méduse le jury par sa présence et la puissance de sa voix. modeste et malicieux, il avoue avoir échappé de très peu à l'épreuve éliminatoire de solfège, maintient que son parcours est un rien atypique, mais se réjouit quand même de la sympathie qu'inspire son “petit côté populaire”.

K?-78

tant pis pour les puristes à l'élitisme snobinard, alexandre duhamel aime autant les chansons napolitaines que les morceaux de mozart ! celui qui ne jure que par la scène depuis l'âge de sept ans refuse catégoriquement d'aborder l'opéra de façon intellectuelle. “le plus fort, dit-il, c'est quand on oublie la technique, quand on fait corps avec le personnage, au-delà de la voix.” si les grands rôles de baryton arrivent vers 35 ou 40 ans, on l'a déjà remarqué tant pour sa présence que pour ses qualités vocales. de garnier à la bastille, il commence par chanter l'écho de la voix d'ourrias dans la mireille de gounod avant d'enchaîner par un mot dans werther puis un air dans don carlo. petit à petit, les rôles se fond plus grands et alexandre duhamel peut même se targuer, en ce moment, d'une page dans francesca da rimini aux côtés de roberto alagna. il jouera dans faust à la rentrée et vient de décrocher un “second plan” dans un carmen qui se montera dans deux ans. on pourrait l'écouter des heures quand il évoque les heurs et malheurs de la voix, ce drôle d'instrument qui change avec le temps. on voudrait le voir accomplir ses rêves de rigoletto ou de walkyrie, ces grands rôles où la masse sonore est telle qu'on doit lutter avec l'orchestre. on en viendrait même à délaisser notre bon vieux rock'n'roll pour le soutenir aux victoires de la musique classique où il est nominé, cette année, dans la catégorie “révélation lyrique”. après tout, à l'opéra, ils ne sont pas beaucoup à écouter la b.o. de rocky III avant d'entrer sur scène. on devrait le soutenir, rien que pour ça. les victoires de la musique classique 2011 (france 3), cité des congrès de nantes, 14 février à 20h35 francesca da rimini (riccardo zandonai), opéra national de paris, du 31 janvier au 21 février l'heure espagnole (maurice ravel), maison de la musique de nanterre, 25 et 27 mars



Keith Story Dans Les grands gestes la nuit (Fayard), Thibault de Montaigu revisitait l'élégance sixties. Pour Keith spécial Internet, ce “jeune homme chic” nous offre une nouvelle inédite et crucifie Britney Spears sur l'autel de la célébrité numérique. Enjoy.

Plus célèbre que

Britney Spears ? par Thibault de Montaigu

Je n'ai jamais cru que Jason Coirault était coupable. Atteinte à l'intimité de la vie privée peut-être mais homicide involontaire par négligence, certainement pas. Quand le parquet a requis quatre ans de prison ferme et 90 000 euros d'amende à son encontre, des murmures d'indignation ont parcouru l'assistance. BernardHenri Lévy a quitté la salle pour se présenter devant la ruche des micros et des caméras. “Ce procès est une mascarade”, a-t-il assené. “Ce n'est pas seulement un homme qu'on condamne, c'est la liberté qu'on assassine.” D'autres lui ont emboîté le pas. Maître Olivier Metzner a déploré “la vision manichéenne” du procureur et “une justice à deux vitesses” avant de disparaître dans une Mercedes aux vitres teintées. Philippe Sollers, Nikos Aliagas, la mère de Jason et Dieudonné ont suivi. Bousculade, interjections. Je tendais mon magnétophone à bout de bras, perdu dans le chœur des journalistes. “Nikos, connaissez-vous Jason personnellement ?” “Je le suis sur Twitter depuis des années.” Les voix résonnaient ; les questions se marchaient sur les pieds. Mais je n'écoutais plus déjà, absorbé par le tumulte de mes pensées qui me ramenaient invariablement à Jason et à cette simple journée d'été où j'étais venu l'interviewer pour la première fois. Jason habitait avec sa mère un ancien corps de ferme à 50 kilomètres de Poitiers. Il s'était fait connaître grâce à son blog où il publiait des vidéos de lui-même parodiant les tubes du moment. Son physique - Jason n'était pas loin d'être nain - contribuait en grande partie à son succès, et La Nouvelle République avait songé à m'envoyer à sa rencontre afin d'en dresser le portrait pour notre rubrique L'été chez vous - mon voisin est une célébrité. Ce qui me frappa d'emblée chez lui, c'était son appendice qu'il avait conservé dans un bocal rempli de formol et placé sur une étagère au-dessus de son ordinateur. Ensuite sa voix, si fluette, si étrange, une voix de petite fille pratiquement. Jason ne buvait que du Fanta Orange à la paille et passait ses journées rivé à son écran 30 pouces. Sa relative oisiveté était la conjugaison d'un parcours scolaire calamiteux et d'une mère ultra-protectrice, qui consacrait l'entièreté de ses revenus d'infirmière à domicile à son fils unique. Quant au père, il n'en fut jamais question. A une époque, Jason affirma qu'il s'agissait d'un écrivain reconnu, membre de l'Académie française, que sa mère aurait croisé au salon du livre de Montmorillon dans les années 1980, mais peu prêtèrent foi à ces allégations. Cet après-midi-là, Jason m'exposa son programme pour la première fois : “Je veux devenir plus célèbre que Britney Spears, tu comprends. Je veux que les gens se souviennent de moi, peu importe pour quoi.” Peut-être était-ce le soleil d'août, la quiétude de la campagne poitevine, l'excitation de rencontrer un journaliste qui l'amena à se montrer si ouvert et si prolixe. Par la suite, Jason commença à se méfier des médias et dut même se cacher à plusieurs reprises, persuadé d'être la cible du gouvernement. Mais à l'époque où je fis sa rencontre, il n'était encore qu'un blogeur parmi tant d'autres, vivant reclus chez sa mère, et dont les vidéos sur YouTube ne cumulaient pas plus de 300.000 vues. Son premier coup d'éclat ? Une photo de Catherine Deneuve dormant bouche ouverte dans l'avion devant cinq mignonnettes de whisky vides. C'est un de ses anciens camarades de classe, Kevin Patricot, qui l'avait prise et aussitôt transférée à Jason, ayant eu vent de la notoriété grandissante de son blog. Est-ce à ce moment qu'il eut l'idée d'un WikiLeaks des célébrités ? Toujours est-il que le cliché “créa le buzz”, selon une expression qui lui était chère. Jason, dans la foulée, se mit à glaner infos, rumeurs et photos volées en tous genres. Afin de les recueillir, d'en sécuriser le contenu et d'assurer la confidentialité à leurs auteurs, il créa plusieurs sociétés-écrans, utilisa des procédés

cryptographiques de pointe et prit la décision de faire héberger son blog en Uruguay. Le succès fut immédiat. Les connexions à www.jasoncoirault.com décuplèrent. Des fans mais aussi des PR, des agents et des journalistes, abonnés aux alertes, le consultaient avec dévotion. Les vrais-faux SMS de Sarkozy à Lorie ; les révélations d'un transsexuel à propos de sa nuit avec Zidane au Hyatt Vendôme ; les photos de Nicolas Hulot en train de taper de la coke en boîte de nuit ; le témoignage de cet enfant défiguré par le chien de Michel Drucker. L'émotion atteignit son comble lorsque Jason publia la vidéo de l'accident de Hans Schweinzenberg, ce coureur autrichien tué en pleine course à Spa Francorchamps. Le film, qui dure à peine quelques secondes, montre Hans au volant de sa F1 depuis une caméra embarquée, tandis que sa voiture part en tête à queue et s'immobilise au milieu de la piste. Au même instant surgissent à l'autre bout trois ou quatre bolides luttant au coude à coude. On voit Hans tenter de communiquer avec ses techniciens, hurler dans le micro en allemand, essayer en dernier recours de s'extraire du cockpit... Puis l'image se brouille brutalement. Durant le procès, le procureur est revenu sur la publication de ce film, dérobé par un des techniciens de l'équipe de Hans. Il en déduit chez Jason une fascination certaine pour la mort. “Comme s'il se nourrissait de la disparition des autres. Qu'il les remplaçait pour revêtir leur propre part de célébrité.” Bien que séduisante, cette théorie me paraît loin d'être exacte. Jason a vécu caché la plupart de sa vie et, s'il a cherché d'une certaine façon la lumière et la reconnaissance, il n'en a jamais profité. Je me le rappelle encore, assis en face du procureur, avec son polo trop large et ses lunettes en forme de rétroviseurs. Jason n'avait pas de vie ; c'est pourquoi il s'en est inventé une. Les écrivains ne font-ils pas la même chose ? A la suite de cette vidéo, Jason dut quitter la ferme. Trop de menaces, de journalistes. Sa mère ne s'en remit jamais tout à fait. Elle se lança dans la géomancie et la voyance en ligne avant de publier, sur les instances de Michel Lafon, un livre sur l'enfance de son fils. Jason déménagea en Irlande, en Suède, en Hollande, avant de trouver refuge, plusieurs mois plus tard, dans la Maison diocésaine de Poitiers où il fut appréhendé par la police sur la dénonciation d'un livreur de pizzas. Entre-temps, Rupert Murdoch avait racheté 49 % de www.jasoncoirault.com, ouvrant massivement le site à la publicité, tandis que Sean Parker, l'un des actionnaires historiques de Facebook, avait initié un réseau social à partir du blog de Jason, intitulé celebrity-spotter, qui connut un succès vertigineux. Ce fut le début d'un tourbillon. Vanity Fair, Oprah Winfrey, même Oussama Ben Laden l'évoqua dans une de ses célèbres cassettes VHS, devenues des sortes d'incunables depuis. Jason Coirault était sur toutes les bouches. Figurément s'entend. Ce qui le désolait au possible. Il aurait tant aimé “serrer Natalie Portman ou Charlotte Casiraghi” comme il le répétait si souvent. Même sa tardive conversion à la religion, peu avant son arrestation, ne lui apporta aucun secours. Jason était prisonnier de sa solitude. Plus sa renommée grandissait, plus il se trouvait à l'étroit. Est-ce pour cette raison qu'il se lança dans une surenchère désespérée ? Surenchère qui entraîna la mort de Britney Spears ? Je me rappelle sa fascination pour la chanteuse nord-américaine lorsque j'étais venu l'interviewer cet été-là. Aux côtés de son appendice et de son écran 30 pouces, se trouvait une pile de revues people relatant la rupture de la star avec Kevin Federline. Il possédait également plusieurs posters de l'idole déguisée en collégienne lubrique ou en motarde aguichante. Et ne m'avait-il pas confessé qu'il souhaitait devenir “plus célèbre que Britney Spears” ? Mais comment aurais-je pu imaginer alors cet achar-

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nement que Jason allait mettre à poursuivre et à démolir l'ancienne vedette du Mickey Mouse Club ? Jason postait régulièrement des scoops sur Britney, mais rien de grave jusqu'alors : alcootests, contrôles fiscaux, amants d'un soir... Il s'était mis également à détailler, photos et rapports médicaux à l'appui, les diverses opérations chirurgicales auxquelles la chanteuse se soumettait dans un effort touchant pour retrouver son physique d'antan et relancer sa carrière en berne. Malheureusement, l'une de ces interventions se solda par un échec ; la star dut repasser sur le billard ; nouveau ratage ; Britney disparut six mois dans une clinique au Canada. La rumeur enfla. On prétendait l'ex-lolita accro au bistouri, déformée par les opérations successives comme si elle tentait de réparer d'une part ce qu'elle détruisait de l'autre dans une spirale sans fin. Jason, grâce à l'un des infirmiers, obtint des photos d'elle lors d'une promenade dans le parc de la clinique. On y distingue une vague silhouette humaine au visage difforme constellé d'hématomes et de tubercules. Une sorte d'hommeéléphant tels qu'il devait en exister dans les foires au XIXème siècle. L'avocat de la star demanda la fermeture du site ; on parla de censure ; des ligues de morale se créèrent ; quelques intellectuels, menés par BHL, s'indignèrent. Trois jours plus tard, Britney Spears se suicidait.

Overdose médicamenteuse. Jason est-il le seul responsable ? Il ne montra guère de remords lors des premières audiences, citant notamment un passage de l'évangile selon Saint Matthieu : “Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, et lui dit : Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m'adores.” Parlait-il de lui-même ? De Britney ? Du procureur ? Ou du public si nombreux qui retenait son souffle en otage dans l'attente du réquisitoire ? Il est difficile de le savoir. Sans doute avons-nous tous été sur cette montagne-là. Et moi-même qui témoigne aujourd'hui, que n'ai-je choisi l'anonymat ? C'est une question à laquelle je ne me hasarderai jamais à répondre. Thibault de Montaigu


où nous trouver ?

01/

16/

02/

18/

Colette. 213, rue Saint Honoré Jean-Charles de Castelbajac. 10, rue Vauvilliers

Librairie du Palais de Tokyo. 13, avenue du Président Wilson

Kiliwatch. 64, rue Tiquetonne Café Etienne Marcel. 64, rue Tiquetonne Royal Cheese. 24, rue Tiquetonne Le Pin Up. 13, rue Tiquetonne WESC. 13, rue Tiquetonne Rzostore. 4, rue Tiquetonne

Galerie W. 44, rue Lepic Galerie Chappe. 4, rue André Barsacq

03/

20/

La B.A.N.K. 42, rue Volta Galerie Eva Hober. 16, rue Saint-Claude Galerie Chez Valentin. 9, rue Saint-Gilles Galerie Polaris. 5, rue Saint-Claude La Perle. 78, rue Vieille du Temple Kulte. 76, rue Vieille du Temple Galerie Baumet Sultana. 20, rue Saint-Claude Pretty Box. 46, rue de Saintonge Galerie Alexis Lartigue. 64, rue du Temple

04/

Librairie agnès b. 44, rue Quincampoix Noir Kennedy. 12, rue du Roi de Sicile La Chaise au Plafond. 10, rue de Trésor Lizard Lounge. 18, rue du Bourg Tibourg Art Génération. 67, rue de la Verrerie Open Café. 17, rue des Archives

19/

Le 104. 104, rue d’Aubervilliers Le Chéri. 44, boulevard de la Vilette La maroquinerie. 23, rue Boyer La Flèche d’Or. 102 bis, rue de Bagnolet La Bellevilloise. 19-21, rue Boyer

Ecoles/

Chambre Syndicale de la Haute Couture. 45, rue Saint Roch. 75001 Ecole Camondo. Les Arts Décoratifs. 266, boulevard Raspail. 75014 Ecole Architecture Paris La Vilette. 144, avenue de Flandres. 75020 ECV. 1, rue du Dahomey. 75011 ESRA. 198, rue Lourmel et 135, avenue Felix Faure 75015 EFAP. 61-63, rue Pierre Charon. 75008 Science Po. 27, rue Saint-Guillaume. 75007

05/

Café Léa. 5, rue Claude Bernard Music Guest, 19, rue Monge

06/

La Hune Librairie. 170, boulevard Saint-Germain Les Editeurs. 4, carrefour de l'Odéon Lucernaire. 53, rue Notre Dame des Champs Le Chartreux. 8, rue des Chartreux Café de la Mairie. 8, place Saint-Sulpice Coffee Parisien. 4, rue Princesse Galerie Kamel Mennour. 47, rue Saint-André des arts Le café de Flore. 172, boulevard Saint Germain

07/

7L Librairie. 7, rue de Lille Basile. 34, rue de Grenelle

08/

Le Mini Palais. 3, avenue Winston Churchill Le 66. 66, avenue des Champs Elysée

09/

illustration : julien crouïgneau // designjune.com

La Galerie des Galeries. 40, boulevard Haussmann L'Hôtel Amour. 8, rue de Navarin Art Toy Citadium. 50, rue Caumartin

10/

Le Point Ephémère. 200, quai de Valmy Artazar. 83, quai de Valmy

11/

Lazy Dog. 2, passage Thiéré Café Charbon (Nouveau Casino). 109, rue Oberkampf L'An Vert du Décor. 32, rue de la Roquette Pause Café. 41, rue de Charonne M. and W. Shift. 30, rue de Charonne Auguste. 10, rue St Sabin Music Avenue. 10, rue Paul Bert Galerie Magda Danysz. 78, rue Amelot Le Zéro Zéro. 89, rue Amelot

12/

La Maison Rouge. 10, boulevard de la Bastille OPA. 9, rue Biscornet

13/

Le Batofar. Port de la Gare

14/

Apollo. 3, place Denfert Rochererau Zango. 58, rue Daguerre K?-82




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