Ground Zero

Page 1

1


2


Julien Martin

GROUND ZERO

Roman

Septembre 2014

3


© Julien Martin, 2013-2014 – julien.martin3@gmx.fr Illustration de couverture : © Edgar Bajana, 2012 http://www.lulu.com/shop/julien-martin/ground-zero/paperback/product-21693777.html

4


Note : Bien que largement documenté, ce texte est une œuvre de fiction, inspirée de faits réels ou supposés tels, qui ne prétend pas présenter la vérité, mais se propose néanmoins d’élargir certains modes de pensée concernant les tragiques événements survenus le 11 septembre 2001.

5


6


« Si, aux États-Unis, conjuration il y eut, ce fut celle d’incapables et d’imbéciles. Les termes américains de l’équation du 11-Septembre comportent seulement deux variables, l’incompétence et la bureaucratie, et une constante, le manque d’imagination. » Fabrizio Calvi

7


8


Aujourd’hui. Je crois que c’est au moment du dixième anniversaire des attentats que j’en ai eu vraiment marre. Je connaissais bien le sujet, et les pseudos chevaliers blancs de la vérité m’insupportaient depuis déjà un bon moment mais, jusque-là, j’étais parvenu à ne pas (trop) y penser. Et puis, le 11 septembre 2011, impossible d’y échapper. Ça a commencé sur Facebook, où l’on voyait fleurir des liens prétendant démontrer les mensonges du gouvernement américain. J’ai essayé de ne pas y prêter attention. Et puis, je suis tombé sur i-Télé, où l’on repassait une interview de Thierry Meyssan, ce truther 1 de la première heure. Là, ça m’a vraiment saoulé. Ça m’a saoulé, car ces prétendus chevaliers de la vérité ne sont généralement que des illuminés, truther : de l’anglais truth (vérité) : membre de l’un ou l’autre des nombreux 9/11 Truth Movements (Mouvement pour la Vérité sur le 11-Septembre) qui dénoncent la version « officielle » des attentats du 11-Septembre. 1

9


souvent des opportunistes ; au pire, des menteurs et des dogmatiques. Rares sont les vrais libres penseurs attachés à la recherche et au respect de la vérité. Tout cela, je suis en mesure de vous le dire parce que, le jour où le monde est entré pour de vrai et avec fracas dans le XXIe siècle, quelque deux cents cinquante-quatre jours après l’heure dite, j’y étais. Et, en raison de mon travail aujourd’hui, et de ma présence à Manhattan ce mardi historique de septembre 2001, je peux vous dire que, même si la version officielle n’est peut-être pas tout à fait vraie, elle est quand même beaucoup plus proche de la vérité que ce que certains voudraient nous faire croire. Le scepticisme, une démarche saine à la base, semble s’être transformé en pure paranoïa dans le cas des attentats du 11 septembre 2001. Des théories conspirationnistes toutes plus folles les unes que les autres se sont répandues sur Internet. Une poignée de photos floues, des citations retirées de leur contexte et des témoins oculaires pour le moins douteux ont engendré une histoire folle entre les mains de certaines personnes : le Pentagone aurait été frappé par un missile et non pas par un avion, les tours jumelles auraient été démolies de l’intérieur par des charges explosives et le vol 93 aurait été abattu par un mystérieux avion de chasse. Aussi excentriques que ces allégations puissent paraître, elles sont de plus en 10


plus acceptées, notamment par les extrémistes Américains. Les théories conspirationnistes sur le 11-Septembre sont devenues un fait de société. J’entends bien le discours des truthers ; mieux, je partage la volonté première de leur mouvement, mais j’en abhorre les actuelles ramifications. Je voudrais leur faire comprendre que le complot qu’ils croient voir n’est rien d’autre qu’un conformisme de plus face à la version officielle qu’ils pensent combattre. La vérité, comme souvent, est insaisissable ; elle a le cul fiché entre deux chaises, mais n’a pas toujours le penchant que l’on croit. Ce jour-là. C’était une belle mâtinée de septembre, nous connaissions un véritable été indien. Je me promenais dans City Hall Park avec mon chien. Ou, plutôt, je sortais le chien de mon oncle, comme tous les matins, pour le remercier de m’héberger pour l’été pendant ce petit stage que je m’étais dégoté. Ce matin là, donc, comme tous les jours, mon oncle travaillait dans l’une des tours du World Trade Center. Je n’en savais pas plus : était-il dans la tour Nord ou dans la tour Sud ? Et à quel étage ? Ces questions, qui peuvent sembler évidentes aujourd’hui, n’avaient aucun sens à l’époque. Je n’en savais rien. Je ne lui avais tout 11


simplement pas demandé, car, pour tout vous dire, je n’en avais strictement rien à faire. Toujours est-il que, quand le premier avion s’est encastré dans la tour Nord, vers 08h45, mon chien était probablement en train de renifler ou de pisser sur un banc. On dit souvent que les animaux ont le don de sentir les catastrophes. C’est possible. Mais pas mon chien. Pas ce matin-là en tout cas. Moi-même, je ne me souviens pas avoir entendu l’explosion provoquée par l’impact du premier avion dans la façade Nord, à quelque cinq cents mètres de là. J’ai finalement appris l’accident quelques minutes après l’impact. Je dis « accident », parce qu’à ce moment là, tout était très confus ; il n’était pas clair s’il s’agissait d’un avion, ou d’une attaque – en tous cas on ne parlait pas encore de complot. Andy, le chien, était étrangement calme, malgré le soudain mouvement de foule. J’entendais des gens dire qu’une explosion avait eu lieu au World Trade Center. Alors, j’ai pris la rue Barclay, puis j’ai descendu Greenwich, en direction du centre. Je me souviens de la fumée, et du policier qui m’a dit qu’on ne pouvait pas approcher, que je devais reculer. J’ai essayé de lui expliquer que je connaissais quelqu’un là-haut, mais il ne cessait de répéter qu’ils devaient évacuer la zone. J’ai continué à marcher, ne sachant que faire. Je ne me sentais pas en danger, tout ça était beaucoup trop irréel pour être crédible, et je n’imaginais pas une seule seconde que mon oncle 12


ait pu être ne serait-ce que blessé. Les services d’ordre étaient totalement submergés, j’ai donc pu facilement atteindre les tours, sans même chercher à contourner les barrages. Je me souviens de cette façade éventrée, qui vomissait des flammes et de la fumée noire. Je me souviens de ce panache qui montait dans l’atmosphère, et de cette étrange sensation d’être face à l’Histoire. C’était hypnotisant. Un véritable aboutissement scénographique. Les gens autour de moi commençaient à parler d’un avion. Et alors, oui, je me souviens avoir reconnu la trace grotesque d’un avion dans la façade tailladée au cutter par Mohammed Atta. Je n’avais pas de téléphone pour essayer de joindre mon oncle. J’étais totalement paumé. Alors, j’ai juste continué à regarder. Aujourd’hui. Rétrospectivement, et quoiqu’en disent les partisans de la théorie du complot, le premier impact est aujourd’hui très largement documenté. Le vol 11 d’American Airlines, un Boeing 767 de quarante-huit mètres d’envergure, a percuté la tour Nord à environ sept cent quatre-vingtdix kilomètres à l’heure, entre les 94ème et 98ème 13


étages, tuant plus de trois cents personnes sur le coup. J’ai regardé les plans du bâtiment des dizaines de fois, j’ai comparé avec les photos et les vidéos, et j’en suis venu à la conclusion que mon oncle fait partie de ces trois cents personnes mortes instantanément. Le Boeing a traversé son bureau, tout simplement. À moins, bien sûr, qu’il n’ait été quelque part dans les couloirs, à la cafétéria, ou que saisje encore ? Aux toilettes ? Ou bien dans cet ascenseur dont les câbles ont été tranchés nets, le laissant se précipiter vers le sol en rebondissant dans sa cage, avant de s’encastrer dans les fondations, avec un bruit assourdissant, au point de faire croire à des explosions aux niveaux inférieurs ? Je suppose que je ne le saurai jamais, et que la position précise de mon oncle n’était de toute façon probablement pas très éloignée de la trajectoire de l’avion. En ce qui me concerne, mon oncle est donc mort ce mardi-là, à 08h46, heure de la côte Est. Ou alors… Ou alors, à en croire certains truthers, mon oncle n’a pas été tué par un avion, mais par une bombe soigneusement mise en place par le gouvernement américain et le Mossad, dans une manœuvre diabolique et fasciste visant – grosso modo – à 14


instaurer un état de peur et à justifier la guerre en Irak. Mais je ne crois pas à cette théorie, qui va parfois jusqu’à supposer (entre autres choses et selon le truther auquel vous avez affaire) que des débris d’avion auraient été soigneusement entreposés au préalable dans la tour et dans Manhattan, pour laisser croire qu’un avion a effectivement percuté la tour Nord ce jour-là. Un avion qui n’aurait été qu’une prouesse digne des meilleurs effets spéciaux d’Hollywood, car numériquement incrusté en temps réel à la télévision (idem pour les vidéos faussement amateur). Les scénarios tordus des truthers m’ont toujours semblé hautement tirés par les cheveux, et rien de ce qu’ont pu exposer à ce jour les partisans du complot n’a su me convaincre. Mais, au sens strict, je dois bien concéder que je n’ai pas vu le premier avion. En revanche, je suis catégorique pour le second. Si celui-là était également un trucage, alors il était diaboliquement réussi, puisqu’il a réussi à se faufiler jusqu’à ma rétine. Ce jour-là. Désœuvré, j’ai erré avec le chien, jusque Liberty Street, en quête d’informations. Je ne me souviens plus vers quelle heure quelqu’un a confirmé que 15


c’était bien un avion, ce que j’avais déjà compris devant la façade découpée comme dans un Tex Avery, les flammes et l’horreur en plus. En revanche, ce dont je me souviens très bien, c’est du second Boeing et de son ventre blanc étincelant, fondant sur sa proie. Je l’ai vu percuter la tour Sud, incliné à quatre-cinq degrés. Je pourrais vous parler du temps qui me serait apparu comme suspendu, comme si le Temps luimême avait été stupéfait par un tel niveau de barbarie, mais je n’en ferai rien. L’avion a disparu, tout simplement. Instantanément. Il y a eu une gigantesque explosion, suivie d’une pluie de flammes et de débris. Des vitres, des poutrelles – et beaucoup d’autres choses innommables – sont tombées parmi nous. Miraculeusement, je n’ai pas vu de blessés à ce moment-là. Probablement parce que je ne peux me résoudre à ranger le tronc humain tombé du ciel parmi les blessés. Aujourd’hui. Entendons-nous bien : je suis un scientifique (j’y reviendrai) et, en tant que tel, je me dois de me plier aux faits et de juger du pouvoir prédictif d’une théorie à la lumière de ces faits. Or, des faits étranges, il est incontestable que ce n’est pas ce qui a manqué ce jour-là. Les interrogations sont légitimes, et la mauvaise volonté du gouvernement américain fut pour le 16


moins suspecte. De nombreux points ont été éludés par l’enquête officielle, et de nombreuses explications officielles restent insuffisantes. De ce point de vue, la volonté d’une contre-enquête et la recherche de la vérité sont plus que compréhensibles. Elles sont même souhaitables. C’est pourquoi ce texte, bien qu’il s’attache à démontrer l’absurdité des théories du complot sur le 11 septembre 2001, n’est pas un refus de la remise en question. Bien au contraire. Ce texte s’attache à mettre en lumière une possible autre vérité, en dénonçant les mensonges de la version officielle, sans pour autant sombrer dans la paranoïa la plus pure. Ce texte est, en définitive, un avertissement pour le citoyen tenté par les explications alternatives trop faciles. J’entends en effet suggérer que les théories du complot peuvent être tout aussi fausses, idéologiques, dogmatiques et dangereuses que la version officielle qu’elles prétendent dénoncer. Ce jour-là. Il faisait pourtant si beau ce mardi matin de septembre, avant que l’apocalypse ne s’abatte sur Manhattan. Je vais donc vous raconter ce jour où l’Occident a redécouvert, médusé et après soixante ans de paix, ce que le mot « détruire » voulait dire. 17


Je vais vous raconter ce jour où j’ai déambulé dans des rues où les voitures gisaient sous des poutres métalliques de trente tonnes, où les gravats avaient rempli les bouches de métro, où les canalisations d’eau sectionnées avaient tout inondé, ce jour où des gratte-ciels de quatre-cent-dix mètres de haut nous sont tombés sur la tête. Aujourd’hui. « Pourquoi nous haïssent-ils autant ? » C’était la question épidermique, idéologique, posée par la surpuissance de l’émotion qui avait secoué tout le monde à l’époque. Depuis ces terribles événements, je me suis souvent demandé en quoi notre monde aurait pu être différent (combien de guerres, de morts et de milliers de milliards de dollars de dépenses en moins), si George W. Bush et son administration avaient été capables d’analyser froidement cette question, et avaient tenu un discours de la sorte : « C’est une très bonne question, à laquelle nous devons absolument trouver une réponse. Plus rien d’autre n’a d’importance. L’urgence absolue est d’attendre, pour analyser intelligemment la situation, avant de prendre notre décision quant à la façon dont nous nous devons de réagir. » Malheureusement, les Américains n’ont pas abordé la question sous l’angle de la tempérance et de la remise en question. Non pas qu’ils auraient 18


dû accepter ou pardonner les responsables de ces attaques, mais ils auraient dû essayer de comprendre comment ils en étaient arrivés là. Ils auraient dû comprendre que le 11-Septembre n’est pas qu’un accident de l’Histoire, mais le résultat, sinon logique au moins compréhensible, d’un processus complexe qui trouve ses racines en 1979, avec l’invasion soviétique en Afghanistan, allié à la légèreté avec laquelle la CIA a armé des fous furieux et la candeur avec laquelle elle les a laissés entrer chez elle alors qu’ils la haïssaient. Le 11Septembre n’est, quelque part, que l’aboutissement des mauvais choix et de l’incompétence de la politique étrangère américaine – et notamment de son ingérence au Moyen-Orient, systématiquement vécue comme insupportable par le monde arabo-musulman. Mais en lieu et place d’un début d’analyse historique et géopolitique, les Américains ont réagi comme ils l’ont toujours fait : de manière impulsive, violente, irréfléchie et totalement disproportionnée. En faisant l’expérience amère qu’elle ne contrôlait pas les destinées du monde, l’Amérique a sur-réagi et s’est lancée dans une guerre totale et absurde. En fait, les Américains ont une nouvelle fois fait preuve d’une naïveté ébahie, du genre de celle qui vous précipite dans l’horreur au premier claquement de drapeau. Mais s’ils avaient un peu plus pris le temps de la réflexion, plutôt que de réagir sous l’effet de leurs seules émotions, les Américains auraient alors 19


redécouvert les notions de débat et de démocratie, ils auraient redécouvert le concept de géographie, ils se seraient souvenus qu’ils n’étaient pas seuls au monde, même s’ils en étaient les maîtres. Et ils auraient compris que la majorité écrasante des Arabes et des autres musulmans, partout dans le monde, ne haïssent absolument pas les Américains, ni l’Amérique. Ils auraient compris que, si la possibilité leur en était donnée, peut-être que la moitié d’entre eux viendraient vivre en Amérique pour profiter de la qualité de vie qui y règne – ou qui, à tout le moins, semble y régner. Les Américains auraient compris que ce qu’ « ils » haïssent, ce n’est pas l’Amérique, mais la politique étrangère américaine. C’est peut-être une lapalissade, mais certaines vérités méritent d’être rappelées. D’autant plus que, dans leur écrasante majorité, « ils » ne haïssent même pas réellement cette politique étrangère. C’est juste qu’ils ne la comprennent pas. Et ce n’est pas en prenant le contrôle de l’Irak et en vomissant des torrents de bombes sur l’Afghanistan qu’on les aura aidés à y voir plus clair. Les Américains doivent absolument comprendre que, avec la politique démente qu’ils ont menée, ils ont provoqué la mort de cent mille à deux cent cinquante mille civils irakiens depuis 2003, et qu’une telle folie meurtrière – car c’en est bien une – n’a fait que diminuer leurs chances de trouver un jour une solution pacifique avec le monde arabo-musulman. La vengeance fait peutêtre un bien fou (surtout lorsqu’elle est aveugle, 20


stupide et bestiale) mais elle n’a jamais fait progresser la civilisation. De la même manière, l’idée que les terroristes musulmans ne feraient que réagir au terrorisme d’État pratiqué par les Américains en leur rendant la monnaie de leur pièce, comme s’il s’agissait de la lutte de l’opprimé contre l’oppresseur où les injustices du passé ne se réveilleraient que pour se venger sur le présent, n’est pas dénuée de fondement. Le problème, c’est que cette interprétation n’est en réalité qu’une énième version de l’histoire de l’œuf et de la poule, et que, en tant que telle, elle ne saurait être un argument en faveur du terrorisme musulman. Si les Américains veulent un jour se sentir en sécurité, ils doivent d’abord accepter qu’ils ne puissent pas tuer tout le monde pour se protéger, qu’ils ne puissent pas mater la planète par la force. Ils doivent d’abord se remettre en question. Ils doivent comprendre que leur insécurité, réelle ou supposée, ne vient que de leur profonde incompréhension du monde, de leur enfermement autiste dans leurs certitudes et dans leur culture, de leur patriotisme ridicule, de leur nullité pathologique en géographie et de leur abyssal déficit d’empathie pour autre chose que la bannière étoilée et l’état d’Israël. Car, oui, leur soutien devenu quasi-systématique à Israël demeure l’une des principales sources d’humiliation du monde arabe, tant l’arrogance israélienne et son mépris envers le droit international sont effectivement devenus 21


insupportables. Nous autres occidentaux, nous avons oublié le vrai sens du mot « humiliation ». Car, pour mieux comprendre ce que ressent le monde arabo-musulman, il faut essayer d’imaginer ce que ressent une personne humiliée, non pas seulement par l’Histoire, mais aussi par dieu luimême. Car nous autres occidentaux, en 2013, nous oublions trop souvent ce qu’il s’est passé en juin 1967. La Guerre des Six Jours a opposé Israël à l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et l’Irak réunis. Cette guerre fut déclenchée à titre préventif (raisonnement immonde s’il en est) par Israël contre ses voisins arabes, à la suite du blocus du détroit de Tiran. Et cette guerre a laissé des traces d’une profondeur psychologique et théologique sans précédent dans le monde musulman. Rappelons en effet que, le soir de la première journée de guerre, la moitié de l’aviation arabe était déjà détruite, et que le soir du sixième jour, les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes étaient purement et simplement anéanties. En moins d’une semaine, l’État hébreu avait triplé sa superficie : l’Égypte perdit la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï, la Syrie fut amputée du plateau de Golan et la Jordanie de la Cisjordanie. Ultime affront, plus terrible encore que l’humiliante défaite militaire : la prise de Jérusalem. La cité des trois religions du Livre devint soudainement la capitale (symbolique) d’Israël. Qu’ont bien pu penser les musulmans lors de cette semaine noire, lorsque 22


leur ennemi historique les a quasiment rayés de la carte, sans que leur Allah tout-puissant ne daigne leur venir en aide ? L’humiliation physique et théologique fut totale. La conclusion logique de cette histoire est que, selon toutes probabilités, le dieu des musulmans n’existe pas. Mais il ne faut malheureusement pas demander à l’être humain d’être rationnel. C’est pourquoi il nous faut comprendre à quel point l’islam est ressorti humilié de la plus terrible des façons par la Guerre des Six Jours. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les musulmans gardent une rancœur au-delà des mots à l’égard d’Israël, et qu’ils soient aussi profondément meurtris par le soutien des Américains à ce pays, surtout lorsque les actions de l’état hébreu sont éthiquement injustifiables, notamment en ce qui concerne la Palestine. La politique israélienne à ce sujet est, en effet, aussi déplorable que criminelle. Comme si, de retour sur la « Terre Promise » après deux mille ans de persécutions, les juifs auraient le droit divin de se lancer dans une colonisation sourde à tous ceux qui ont vécu là avant eux depuis des siècles, comme si cette terre prétendument promise était restée vacante à les attendre eux. Je ne suis pas un spécialiste du Moyen-Orient, mais j’ai a priori plus de sympathie pour le peuple palestinien qui n’a pas ou peu accès à la richesse et à la technologie et qui se fait systématiquement bouter hors de chez lui par un autre peuple qui se croit élu par dieu (un dieu vraisemblablement tout aussi imaginaire que 23


le leur) et qui peut se permettre de faire les gros bras parce qu’il maîtrise le feu nucléaire. Même si l’Histoire n’est évidemment pas aussi simple. Vous aurez compris que je n’ai aucune affection particulière pour les Américains ou pour Israël, qui font toujours croire qu’ils combattent pour des principes alors qu’ils ne le font que pour leurs intérêts. Cent millions de morts jonchent le chemin des idéologies en Occident, rien que pour la première moitié du siècle dernier. Je n’ai aucune sympathie particulière pour ces pays qui ne parviennent pas à s’extraire de leur logique de guerres, qu’ils célèbrent sans cesse pour dissimuler à ceux qui en ont souffert qu’ils auraient très bien pu les éviter – ou, à tout le moins, les abréger. Ces quelques réflexions devraient amplement suffire à démontrer aux truthers que je ne m’inscris pas en faux par rapport à eux simplement parce que je serais pro-américain ou pro-israélien (argument classiquement dégainé dans leur milieu). J’estime qu’Américains et Israéliens devraient être jugés pour ce qu’ils sont réellement, et non au travers d’élucubrations paranoïaques et incultes. Il est donc tout à fait possible de ne pas souscrire aux discours de ces deux pays sans pour autant devoir adhérer aux théories délirantes d’un axe américano-sioniste qui aurait quelque chose à voir avec le 11-Septembre. La vérité est bien évidemment toujours pleine de nuances, que les truthers semblent malheureusement incapables de distinguer. 24


Et pour nuancer encore plus les choses, il est important de souligner que l’idée d’une Amérique aux côtés d’Israël, depuis toujours et en toutes circonstances, est une légende. Ce n’est que dans les années 1970, sous la présidence de Richard Nixon, que le rapprochement États-Unis-Israël a réellement pris de l’ampleur, et ce, pour des raisons purement géopolitiques. Je ne voudrais pas que l’on pense que je suis en train de me faire l’avocat du monde arabomusulman. Je ne prétends pas qu’il y aurait d’un côté la brutalité et la bêtise américaines et, d’un autre côté, un pauvre peuple opprimé. Non. Chacun ses torts, et l’on ne me fera pas croire que, par exemple, le mode de vie des Talibans devrait être préservé au nom de l’Histoire, du droit à la différence religieuse, ou que sais-je encore. La suite de ce texte montrera à quel point je suis critique à propos de toutes les croyances, et notamment à propos de celles du monde arabomusulman. Je dis juste que la réflexion doit être le préalable à toute action. Et je pense que les Américains, au lendemain du 11 septembre 2001, sont totalement passés à côté de cette réflexion. Sans doute en partie par opportunisme. Mais aussi par la seule force de l’habitude.

25


Le jour d’après. En cette journée d’une longueur infinie, ce mercredi 12 septembre 2001, alors que le monde n’avait pas dormi de la nuit, alors que les tours s’étaient effondrées et que tout semblait avoir changé, je me suis fait la réflexion, comme des millions d’autres avec moi, que nous étions à l’aube d’une ère nouvelle, et ce, seulement vingtquatre heures après les avions. À travers le monde occidental, beaucoup se sont dit : « Pourquoi nous haïssent-ils autant ? » Aux États-Unis, certains se sont souvenus de ces terroristes qui, le 26 février 1993, avaient déjà essayé d’abattre les tours, et qui avaient promis de revenir pour finir le travail. Ces Américains-là ont compris que le nuage de poussière qui flottait encore au-dessus de Manhattan n’était que le résultat de la puissance des promesses tenues, fussent-elles les plus abjectes. Aujourd’hui. Quelle que soit la façon dont on aborde le sujet, et quelles que soient nos convictions personnelles, il faut reconnaître l’existence d’un certain nombre d’éléments qui, mis bout à bout, et présentés d’une certaine façon, sont effectivement troublants.

26


Pour la force de l’argumentation, et dans un souci de transparence totale, il n’est pas inutile d’en rappeler les grandes lignes. Allons-y pêle-mêle. Il y a le délai, incroyablement court, entre le moment où les avions ont percuté les tours, et le moment où celles-ci se sont effondrées – ainsi que la vitesse et la verticalité, avec lesquelles elles se sont effondrées. Il y a ces poutres gigantesques, issues des structures de tours, qui ont été retrouvées à des distances effarantes des tours elles-mêmes, comme si elles avaient été éjectées par une explosion. Il y a ces bruits d’explosions survenues aux niveaux inférieurs des tours, pour le moins suspects. Il y a le fait qu’un troisième building, le WTC 7, se soit également effondré, alors qu’aucun avion ne l’avait percuté. Il y a le fait que l’armée n’ait pas été capable d’intercepter les avions, notamment celui qui s’est écrasé sur le Pentagone (bien que les truthers nient généralement le fait même qu’il se soit agi d’un avion). Il y a le fait que les destructions visibles sur le Pentagone semblaient difficilement compatibles avec le crash d’un avion de ligne, ainsi que l’absence de vidéo claire du crash de l’avion sur le Pentagone. Il y a la difficulté à reconnaître les débris du crash du quatrième avion dans les champs de Pennsylvanie. Il y a les déclarations contradictoires des officiels et des médias. Il y a les témoignages contradictoires des témoins. Il y a le fait que l’on ait très rapidement retrouvé le passeport et les 27


effets personnels de Mohammed Atta, quasiment intacts. Il y a le fait que certains des terroristes soient apparemment encore en vie. Il y a les corrélations très fortes qui apparaissent entre les ressources naturelles, les voies d’accès à ces ressources et les conflits militaires. Il y a la très forte accointance entre l’administration Bush et le complexe militaro-industriel. Il y a la très forte concomitance entre le souhait (ou, à tout le moins, l’évocation par certains) d’un nouveau Pearl Harbor (éventuellement même de sa nécessité) et les attentats du 11 septembre 2001. Il y a le fait que, avant les attentats, les tours jumelles apparaissaient en première page d’un rapport officiel sur le terrorisme, dans la ligne de mire d’un viseur. Tous ces éléments sont indéniablement troublants. Et j’y reviendrai bien évidemment. En attendant, les truthers ne manqueront pas de noter que je n’ai pas tout présenté. Ils diront que c’est parce que je ne suis pas capable de les expliquer – de les debunker 2, comme on dit dans le milieu. Je dirai plutôt que c’est parce que je considère qu’il n’est pas utile de tout reprendre pour démontrer que les théories du complot ne sont pas crédibles. Ils me riront au nez, je le sais. Ils m’accuseront de me défausser, de fuir le débat, de botter en touche. Ils me traiteront de couard. Je n’en ai cure. Leurs sarcasmes ne m’atteignent pas, car mon objectif n’est pas de les convaincre eux. debunker : de l’allemand bunker (abri blindé) : action de déloger / démonter / détruire une affirmation du mouvement des truthers. 2

28


Mon objectif est de convaincre les autres. Mon objectif est de convaincre les citoyens qui se posent encore légitimement des questions que les réponses ne se situent pas (forcément) dans la conspiration, et de leur montrer que ces théories de la conspiration sont dangereuses pour la société et pour la démocratie, quel que soit le respect que l’on doit à la liberté d’expression et à la liberté de penser. Ce jour-là. Lorsque j’ai dû courir pour éviter les débris enflammés qui tombaient du ciel, au milieu d’une foule paniquée où les vieillards se faisaient piétiner, j’ai cru que c’était la guerre. J’ai repensé à cette Guerre froide avec laquelle j’étais né, cette Guerre froide censée être morte parce qu’elle n’avait pas su devenir chaude, cette Guerre froide disparue avec le mur de Berlin en novembre 1989 et l’implosion de l’URSS en août 1991, alors que j’étais encore trop jeune pour y comprendre quelque chose. L’espace d’un instant j’ai cru, comme beaucoup de gens je pense, que la Troisième Guerre mondiale venait de commencer. Mais je savais bien que je faisais fausse route, je savais bien que tout ça n’avait aucun sens, que ce que j’étais en train de vivre ne pouvait en aucune façon être connecté à cette histoire-là, mais enfin, la boule de feu au-dessus de moi était trop énorme 29


pour que je n’essaye pas de l’analyser et, du haut de mes dix-neuf ans, mon esprit enrayé buttait frénétiquement sur les limites de ma compréhension de la politique internationale. Je n’arrivais pas à croire que la guerre pouvait, comme ça, sur le simple battement d’aile d’un avion de ligne, s’inviter sur le territoire des ÉtatsUnis d’Amérique, les gendarmes du monde, mais c’était pourtant mon intime conviction, qui n’allait pas me lâcher pendant les heures à venir, alors que, sous l’effet conjugué de la peur et de l’incompréhension, je sentis mes jambes flageoler et mon scrotum se rétracter. Aujourd’hui. Je repense souvent à ce second avion, à cette métaphore de missile balistique qui aurait été tiré depuis l’Afghanistan, surgissant de ce ciel bleu glacé pour l’embraser en un instant. Je repense souvent aux secondes qui ont suivi, concomitants à la boule de feu, à ces corps atomisés frappés par une mort d’une extrême violence, flirtant avec l’instantané. En rêve, en cauchemars, je vois la carlingue se désintégrer en fracassant la façade de verre et d’acier, je vois les corps qui se disloquent, je vois les liaisons chimiques se rompre, alors que le métal et la chair ressortent de l’autre côté du building, vaporisés dans le ciel de Manhattan. 30


En repensant à ces événements qui défient l’imagination, je réfléchis. Je reprends mes pensées là où je les avais laissées. J’essaie de comprendre ce qu’il s’est passé. Et j’essaie de comprendre comment certains en sont venus à croire et à clamer que tout ceci n’était qu’une mise en scène, que ce jour-là ne fut que le spectacle d’un pays de fous se meurtrissant lui-même pour justifier sa folie guerrière, sa soif de dollars et de pouvoir. Alors, je lis. De tout. De la psychologie et de la sociologie. Des textes techniques ou philosophiques. Des analyses géopolitiques et religieuses. Et, bien sûr, des textes écrits par les partisans des théories du complot. David Ray Griffin est de ceux-là. C’est un des « héros » des conspirationnistes. Philosophe et théologien, Griffin est un intellectuel qui a rejoint le mouvement des truthers et a écrit de nombreux livres sur le sujet, qui sont devenus autant d’« Évangiles » dans le grand corpus formant la « bible » conspirationniste. Je ne dénigre pas Griffin de but en blanc sous prétexte qu’il serait un partisan des théories du complot. C’est un homme intelligent, sa plume est fine, et on ne peut pas reprocher à ses livres de n’être pas travaillés. J’en recommande même la lecture, car ils permettent réellement d’approfondir le sujet. Je suis même d’accord avec lui sur de nombreux points, bien que je ne parvienne pas aux mêmes conclusions que lui. Les truthers ne pourront pas me jeter la pierre : je me 31


suis plongé dans les écrits de nombre de leurs « champions ». La réciproque est rarement vraie. Mais je m’égare. Je suis d’accord avec Griffin quand il accuse l’administration Bush d’avoir « sacralisé » de manière absolument indécente les attentats du 11Septembre, et d’avoir littéralement appelé à la guerre depuis une cathédrale (la séparation de l’Église et de l’État reste un problème majeur aux États-Unis). Je suis également d’accord avec Griffin lorsqu’il dit que la CIA est une entité criminelle. Il est évident que l’agence compte de très nombreux tueurs dans ses rangs, attachée qu’elle est à la Raison d’État et non pas à la Justice (Mais, aussi déplorable et condamnable que soit cet état de fait, c’est vrai de n’importe quel service de renseignements de n’importe quel pays. Ainsi, aux États-Unis, le FBI est formé à arrêter les gens pour les déférer devant la Justice, tandis que la CIA est formée à les manipuler et à les tuer.) La Raison d’État est ce principe d’action politique, pseudo-philosophique et absolument abject, au nom duquel les états s’autorisent à violer tous les droits au nom de critères intangibles jugés supérieurs par les hommes au pouvoir, aboutissant à une dangereuse rationalisation de comportements guerriers au-dessus des lois, sous le prétexte fallacieux de la conservation de la souveraineté de l’État. Je rejoins totalement 32


Griffin dans son analyse portant sur cette infamie politique. Il est aussi très probable, comme l’indique Griffin, que, parmi les hauts placés de la politique et de l’industrie, certains regrettaient l’époque de la Guerre froide lors de laquelle, l’existence du grand méchant soviétique aidant, il était possible de se lancer dans n’importe quelle action visant à asseoir un peu plus l’hégémonie américaine. Il n’est donc pas interdit d’imaginer que certains assoiffés du pouvoir aient été conduits par cette idée particulièrement immonde que l’Amérique devrait dominer le monde encore un peu plus, et que les responsables du complexe militaro-industriel, appuyés par les politiques, aient effectivement voulu le type de peur et de réaction violente qui ont suivi les attentats, comme à la grande époque de l’URSS où la peur débloquait tous les budgets et réduisait la morale à néant. Suite aux attentats du 11-Septembre, le Congrès a voté quarante milliards de dollars de budget pour le renforcement de l’armée et de la sécurité. Il est bien compréhensible qu’une augmentation aussi stratosphérique des budgets appelle des questions. De la même façon, le coût de la guerre en Irak avoisine les trois mille milliards de dollars, et cette montagne d’argent (qui aurait grosso modo permis, à titre de comparaison, d’envoyer des colonies sur Mars) n’a évidemment pas disparu et n’a pas été perdue pour tout le monde. Cette colossale somme d’argent est tombée dans la 33


poche de quelqu’un, et pas de n’importe qui : le complexe militaro-industriel américain. Bien sûr que depuis que l’industrialisation s’est étendue sur la planète, les industries de défense prospèrent un peu partout, devenant les plus grands responsables et les plus grands bénéficiaires de la guerre industrielle. L’industrialisation suscite cette forme mécanisée de la guerre, qui de nouveau cherche des solutions pour évoluer, solutions qui sont à nouveau fournies par l’industrie – qui a besoin de la guerre industrielle pour survivre ! Il est évident que le complexe militaro-industriel américain et mondial est formé d’entreprises commerciales fondées sur la guerre et financièrement responsables devant des actionnaires généralement peu scrupuleux voire totalement immoraux. Il existe fatalement une relation symbiotique et malsaine entre la guerre, l’industrie et les politiques, une relation qui ne saurait être niée : les entreprises commerciales alimentent les volontés politiques pour préparer la guerre et l’aptitude à faire la guerre dépend de la production de l’industrie. En corollaire, il existe une relation très claire entre crises et industries militaires. Bref, je suis lucide. Contrairement à ce que les truthers pensent, leurs adversaires ne sont ni des abrutis, ni des naïfs qui se croient au pays des Bisounours, ni des pro-américains ou des proisraéliens.

34


Alors, le complexe militaro-industriel, les pétroliers, et qui sais-je encore, pourraient-ils être derrière les attentats du 11-Septembre ? Le raisonnement, pour une fois, n’est pas dénué de logique. Est-il correct pour autant ? Est-ce parce que quelqu’un bénéficie d’une situation qu’il en est forcément la cause ? Suffit-il de demander à qui profite le crime – question préférée des truthers – pour désigner le coupable ? Est-ce parce que certains politiciens ou industriels ont rêvé d’une situation de ce type qu’ils l’ont forcément provoquée ? Est-ce parce que l’armée américaine se disait (un peu comme toutes les armées du monde, d’ailleurs) que « rien ne vaut une bonne guerre », qu’elle est forcément derrière les attentats qui ont mené à ladite guerre ? Est-ce parce que les grands groupes pétroliers américains rêvaient d’aller poser des pipelines en Afghanistan que ces groupes sont forcément derrière les attentats ? Suffit-il de renverser la cause et l’effet pour désigner les coupables ? La raison doit-elle abdiquer devant le fantasme ? L’hypothèse de travail est intéressante, mais cette hypothèse doit être confrontée aux faits. Je sais bien que certains diront que, justement, les faits corroborent la conspiration. Chacun sera libre de brandir les données, paramètres, études et interprétations qu’il souhaite, au final tout un chacun en est toujours réduit à un acte de « foi ». 35


Non pas un acte de foi religieuse, mais un acte de « foi » dans le sens où il repose sur l’intangibilité des mécanismes qui sous-tendent notre logique : notre histoire personnelle, notre savoir, notre éducation, notre compréhension du monde, notre méthode de pensée. Nous devons à un moment décider de ce qui nous apparaît comme possible, probable, logique et raisonnable. Personnellement, quels faits serais-je tenté de mettre en avant ? Les points suivants (entre autres choses) : le fait que les Américains n’aient pas franchement récupéré le pétrole irakien (j’y reviendrai), que l’Amérique soit plus haïe que jamais, qu’elle batte en retraite la queue entre les jambes des différentes zones qu’elle a envahies, qu’elle ait été touchée comme tout le monde par la crise économique de 2008, qu’elle n’ait résolu aucun des grands problèmes du monde depuis ce mardi historique de 2001, qu’elle n’ait assis aucune hégémonie particulière, qu’elle reste à la merci du pouvoir économique chinois. Où est le supposé Nouvel Ordre Mondial américano-sioniste dans tout cela ? Question subsidiaire : pourquoi avoir désigné Oussama Ben Laden comme le coupable, si c’était pour attaquer l’Irak ? Si Ben Laden n’était qu’un bouc-émissaire, que n’ont-ils fait porter directement le chapeau des attentats à Saddam Hussein, puisque l’objectif aurait été d’attaquer l’Irak ? Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? 36


La thèse d’un Ben Laden bouc-émissaire des Américains qui auraient voulu déclencher la guerre en Irak pour en récupérer le pétrole n’a tout simplement aucun sens. Que les Américains aient vu dans les attentats l’opportunité d’attaquer l’Irak pour faire main basse sur le pétrole est une évidence. Qu’ils soient les instigateurs des attentats relève d’un tout autre mode de pensée, qui ne doit rien à la logique ni à la raison, mais qui doit tout au fantasme et à l’obsession. Devant toutes ces approximations avancées par les truthers, il me semble d’une importance capitale de revenir sur la guerre en Irak – sur ses raisons réelles et supposées, ainsi que sur ses conséquences. Car d’après les truthers, comme on l’a vu, cette guerre n’aurait été menée que pour que les Américains récupèrent le pétrole irakien. Et, bien évidemment, le 11-Septembre n’aurait été qu’une machination américaine pour déclencher cette guerre. Cette interprétation des événements, en plus d’être simpliste, est fausse. Il n’est pas inutile de rappeler que la guerre d’Irak de 2003 n’était pas un événement isolé ; il s’agissait en effet de la troisième guerre moderne dans cette région (après la guerre Iran-Irak de 1980-1988 et la guerre du Golfe de 1990-1991) – une sorte de remake par Bush Jr du premier acte joué par Bush Sr. Je concède bien volontiers le ridicule de la chose (papa et fiston s’en allant en guerre chacun leur tour dans la même région du monde), mais il n’en reste pas 37


moins que l’Amérique avait déjà écrasé l’Irak en 1991 et aurait déjà pu s’emparer du pétrole de Saddam. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre pourquoi les Américains auraient dû s’y reprendre à deux fois pour réaliser le casse du siècle – à moins, bien sûr, que le pétrole n’ait jamais été la motivation première de cette nouvelle guerre… Une fois encore, que les pétroliers américains aient cherché à tirer parti de cette guerre, et aient même en partie contribué à son déclenchement, est une évidence – cela a été démontré par de nombreux investigateurs, notamment par Greg Muttitt. Mais, justement, ces investigations ne montrent pas autre chose : des industriels rapaces et opportunistes, en aucun cas des Illuminati aux commandes du Nouvel Ordre Mondial. Toutes les analyses des conspirationnistes qui tentent de montrer que les Américains n’auraient mené cette guerre que pour le pétrole relèvent d’une conception archaïque, qui nous ramène au XIXe siècle, quand colonisation rimait avec prédation des ressources. Dans le monde moderne, il n’est plus nécessaire de faire la guerre pour accéder aux ressources – il suffit de payer. La guerre est devenue inutile, en ce qu’elle déstabilise dangereusement des régions entières, et parce que son coût est devenu absolument astronomique. Rappelons qu’il en aura coûté trois mille milliards de dollars à la plus puissante armée du monde pour défaire une armée objectivement extrêmement 38


faible (en dehors des armes de destruction massive, dont tout le monde savait qu’elles n’existaient pas). Ainsi, de nos jours, plutôt que de payer en menant une guerre, il est infiniment plus simple et plus efficient de payer directement sans passer par la case affrontement – cela revient au final beaucoup moins cher (en dollars et en image). Les Chinois le font très bien : ils sont plus ou moins en train de racheter le monde entier, et leur retour sur investissement défie l’entendement. Ce sont d’ailleurs les Chinois qui exploitent aujourd’hui l’écrasante majorité du pétrole irakien – preuve en est que les Américains n’ont pas mené cette guerre pour l’or noir (ou, en tout cas, pas seulement). L’Irak de 2003 ne refusait absolument pas de vendre son pétrole aux Américains, bien au contraire. Le pays était « simplement » sous embargo. Les pétroliers américains avaient passé la décennie précédente à faire pression, non pas pour mener une guerre, mais simplement pour obtenir une levée des sanctions. En parallèle, et à au moins trois reprises dans les six mois qui ont précédé la seconde guerre du Golfe, Saddam avait désespérément tenté d’offrir aux Américains un accès privilégié à son pétrole. Pour toute réponse, les Américains lui ont déclaré la guerre. Difficile d’y voir une quelconque manœuvre fasciste simplement et cyniquement destinée à s’emparer des ressources du Moyen-Orient. Les raisons de la seconde guerre du Golfe sont à la fois plus simples, et plus complexes. Bush Jr a 39


toujours été obsédé par Saddam, et ce, bien avant le 11 septembre 2001. Certains diront que Bush Jr avait des comptes inconscients à régler avec son père et que, quelque part, il voulait lui montrer qui avait la plus grosse, en accomplissant ce que son vieux père n’avait pas osé faire : la prise de Bagdad et le renversement de Saddam. Certains freudiens diront peut-être même que Bush Jr éprouvait l’irrépressible besoin, symbolique, de commettre le meurtre du père. Je ne souscris pas sérieusement à ces thèses, en ce qu’elles sont puériles, simplistes et basées sur les travaux d’un Freud qui ne sont, depuis longtemps, plus considérés comme pertinents (sauf peut-être malheureusement dans le curieux milieu psychanalytique français). Mais c’est un fait, démontré par de nombreux auteurs comme Tim Weiner par exemple, que Bush Jr avait pour Saddam une obsession qui confinait à l’irrationnel, et que tous les membres de son administration, composée d’anciens de la Guerre froide, étaient sur la même longueur d’onde. Des intellectuels, des journalistes, des militaires, des universitaires et des philosophes ont tenté de trouver des explications rationnelles à cette guerre. Parmi les éléments de réponse figurent bien évidemment le pétrole, mais aussi l’impérialisme, l’armée, la démocratie, ainsi que l’état d’Israël. Contrairement à ce que pensent les truthers, une guerre peut avoir des causes multiples. La guerre d’Irak de 2003 en avait beaucoup. Les éléments cités précédemment ont effectivement tous joué 40


un certain rôle auprès du pouvoir politique, mais tous n’ont pas eu la même importance. Les acteurs décisifs de l’administration Bush Jr et du complexe militaro-industriel américain n’étaient pas tous animés par les mêmes idéologies, pas plus qu’ils n’avaient forgé leurs opinions conjointement – encore moins simultanément. Comme on l’a dit, avant le 11 septembre 2001, Bush Jr et son équipe étaient déjà obsédés par Saddam, mais les moyens imaginés pour renverser le régime irakien étaient avant tout la pression diplomatique, l’étranglement économique et l’action secrète – en aucun cas l’invasion et l’occupation. Condoleezza Rice avançait même que l’Amérique aurait pu s’accommoder d’un Irak doté de l’arme nucléaire (!). Mais à l’hiver 2001, Bush Jr, Dick Cheney et Donald Rumsfeld s’étaient finalement tous convaincus de la nécessité de la guerre. Les attentats du 11-Septembre expliquent évidemment ce changement d’état d’esprit, en ce qu’ils furent un véritable catalyseur – mais ils ne l’expliquent qu’en partie seulement. Le 11Septembre n’avait pas, à lui tout seul, rendu la guerre soudainement inévitable. Pour cela, il était nécessaire de manipuler l’opinion publique, et de surmonter de nombreux obstacles bureaucratiques (notamment présenter l’Irak comme une menace imminente, afin de justifier le déclenchement d’une guerre à titre préventif). C’est pour cela que des liens entre l’Irak et Al-Qaïda ont été inventés – de même que la présence sur le sol irakien d’armes 41


de destruction massive. Il est absolument indéniable que les Américains ont menti sur ces points, et que l’intervention de Colin Powell devant l’ONU en février 2003 devrait être pénalement punie, notamment pour n’avoir pas voulu tenir compte des mises en garde des services de renseignement allemands et anglais concernant Rafid Ahmed Alwan al-Janabi (nom de code Curveball), la principale « source » des Américains, qui n’était qu’un affabulateur de première classe. Car, si je réfute l’idée que l’Amérique se soit mutilée elle-même le 11 septembre 2001, il est indéniable qu’elle l’a symboliquement fait en 2003 avec ses mensonges inexcusables au sujet de l’Irak. Comme le montrent, entre autres, les recherches de Vincent Bugliosi dans The Prosecution of George W. Bush for Murder, il est clair que l’invasion américaine de l’Irak en 2003 est le résultat de mensonges éhontés et constitue un crime de guerre – quels que soient les autres crimes dont s’était effectivement rendu coupable Saddam Hussein et ses acolytes. Il est probable que la chute du dictateur aura un jour des retombées bénéfiques sur l’Irak et, par extension, sur le monde. Cette guerre sera peut-être un jour considérée comme une guerre juste. Peut-être. Ce sera aux historiens, aux philosophes et autres intellectuels de le dire. Toujours est-il que, pour Cheney et Rumsfeld, la motivation première de cette guerre était la notion d’exemplarité de l’affrontement – une sorte 42


de piqûre de rappel de la domination américaine sur le reste du monde. Pour Bush Jr, la motivation principale était plus simple, pour ne pas dire simpliste (sinon absurde). Il s’agissait d’un sentiment quasi-messianique de légitimité du combat contre un régime « diabolique ». Bush Jr fut encouragé dans cette voie par un entourage de conseillers flagorneurs, qui l’invitaient à endosser son nouveau rôle de guide de l’Humanité, de libérateur des peuples et de diffuseur de la Démocratie – rien que ça. Bush Jr, Cheney et Rumsfeld n’auraient probablement jamais réussi à entrer en guerre contre l’Irak sans l’aide des néoconservateurs les plus durs – dont ils ne faisaient pas partie. En effet, par leur cohésion sociale, leur cohérence idéologique et leur domination sur l’appareil de la sécurité nationale – et avec les ressources et le soutien institutionnel du lobby israélien – les néoconservateurs radicaux avaient des atouts dont ne disposait aucune autre faction, pas même Bush Jr. Les truthers aiment à penser qu’Israël est à l’origine de cette guerre. Cela n’est pas totalement faux, mais le rôle joué par l’État hébreu fut beaucoup plus subtil et beaucoup moins direct que ne voudraient nous le faire croire les truthers. En fait, le néoconservatisme radical qui a aidé Bush Jr à entrer en guerre s’enracine idéologiquement dans le sionisme révisionniste, et c’est pourquoi Israël est une de ses grandes priorités. Pour les néoconservateurs, cette guerre était séduisante 43


parce qu’elle promettait de fragmenter un Irak potentiellement puissant, ce qui aurait eu pour résultat d’affaiblir l’Iran, principal ennemi d’Israël. Cette guerre promettait également d’isoler encore un peu plus les Palestiniens, pour les forcer à accepter les compromis proposés par Israël. Ainsi, parmi les nombreuses causes de cette nouvelle guerre d’Irak, la tentative d’affaiblissement de l’Iran pour la sécurité d’Israël fut probablement beaucoup plus déterminante que la récupération du pétrole de Saddam. Il n’est donc pas inexact de dire qu’Israël a joué un rôle dans cette guerre – mais cela ne revient absolument pas à dire que les Israéliens seraient responsables du 11-Septembre. Un tel raccourci est une absurdité totale, un déni absolu de la réalité tout autant que la démonstration de l’incompréhension pathologique des truthers de la politique internationale. En fait, les conspirationnistes ne comprennent rien au monde qui les entoure ; ils se contentent de le réduire à sa plus simple expression, expliquent tout par une théorie du complot généralisé en mettant absolument tout dans le même sac, et cherchent à diffuser leurs idées en faisant fi de toute logique. Il suffit de voir les conspirationnistes se jeter, au hasard, sur les explosions qui ont eu lieu au marathon de Boston3 en 2013 pour comprendre D’après de nombreux truthers, les attentats de Boston ne seraient qu’une mise en scène, les blessés ne seraient que des acteurs, le sang versé serait artificiel, etc. 3

44


qu’ils ne cherchent pas à mettre en lumière une vérité cachée, mais seulement à communiquer leurs fantasmes, à brandir leurs obsessions, à propager leur « foi ». Car c’est bien de foi dont il s’agit : la croyance que le complot est partout, et qu’ils seraient les chevaliers blancs élus pour le faire voler en éclats. Le jour d’après. Je n’avais pas dormi de la nuit. Je n’étais pas rentré chez moi. Je n’avais pas osé rentrer me coucher, tant j’avais honte d’avoir survécu, tant j’avais honte de n’avoir pas été un héros. J’avais juste été un type normal, à ceci près que j’avais vu les tours tomber, et que je m’en étais tiré. En déambulant dans les rues empoussiérées, je regardais les grands tas de sacs-poubelles et les body-bags entassés contre les flancs des immeubles encore debout. C’était ahurissant, le centre de Manhattan était devenu un cimetière géant. Je passais devant une série d’affichettes, placardées sommairement sur un panneau. Il y avait là des dizaines de photos mises là par des personnes à la recherche d’un être cher. Très récentes, ces affichettes étaient pourtant déjà couvertes de poussière. Il flottait dans l’air une odeur de cendres, de béton broyé, de plastique brûlé et de macchabée. 45


En contemplant le paysage d’apocalypse, je me suis fait la réflexion que, décidément, les Américains faisaient (ou subissaient) toujours tout en plus grand que les autres. Les attentats aussi. En me faisant bousculer par un militaire en treillis, je me suis demandé pourquoi l’armée envoyait des soldats camouflés comme pour une opération dans la jungle du Vietnam. Et puis, je me suis dit que tout ça n’avait de toute façon aucun sens, que l’armée faisait juste ce qu’elle pouvait, trente-six heures après les avions. Aujourd’hui. Les bonimenteurs demandant à qui profite le crime trouveront malheureusement toujours une oreille attentive. J’aimerais revenir sur cette question, car la brandir comme un argument proconspiration n’a guère de sens. Car ce crime, le 11Septembre, a profité à peu près à tout le monde : tous les pouvoirs du monde l’ont immédiatement exploité à leurs propres fins. La Russie a renforcé ses atroces pratiques en Tchétchénie, Israël a fait de même en Cisjordanie, idem pour l’Indonésie à Aceh et pour la Chine dans ses provinces occidentales. Les États-Unis s’en sont servis de la façon que l’on sait, mais aussi de beaucoup d’autres, moins médiatisées. Tout le monde a utilisé le 11-Septembre, alors si l’on devait suivre le raisonnement infernal des truthers, tout le monde 46


serait coupable. Suite au 11-Septembre, quasiment tous les gouvernements de la planète ont pris des mesures pour surveiller plus étroitement leur population et pour limiter les libertés. L’administration Bush l’a fait aussi, oui, mais elle n’a pas du tout été la seule. Du coup, la question « à qui profite le crime ? » n’est pas une preuve suffisante pour mettre en lumière un quelconque complot – si ce n’est celui de l’espèce humaine contre elle-même, et au sens large. Pour qu’il y ait ne serait-ce qu’un soupçon de vérité dans les théories conspirationnistes sur le 11-Septembre, il faudrait qu’il y ait eu un complot à l’échelle titanesque, incluant les compagnies aériennes, les médias, les politiques, les journalistes, les contrôleurs aériens, la police, les pompiers – à peu près tout le monde, en fait. Il aurait fallu mettre au courant une quantité de gens absolument phénoménale dans l’administration. Lesquels ne s’en seraient jamais tiré. Même une dictature nordcoréenne n’y serait pas parvenue. Par ailleurs, même les truthers sont d’accord sur ce point : la préparation des attentats remonte au moins à l’année 1995, c’est-à-dire sous l’administration Clinton, et elle arrive à maturité en 2001, c’est-àdire sous l’administration Bush Jr. Le complot américain – et le « profit » du « crime » par son auteur – supposerait une continuité entre l’administration Bush Jr et l’administration Clinton, or il n’y en a absolument aucune, principalement en termes de politique économique 47


et de politique étrangère – à moins, bien sûr, de prendre de la « hauteur » comme le font les truthers en mettant tous les hommes de pouvoir dans le même sac, celui des Illuminati et du Nouvel Ordre Mondial – créant ainsi une artificielle continuité. Je laisserai le lecteur choisir son camp. Ce jour-là. Je scrutais le ciel. Pendant que les tours vomissaient une fumée noire dans l’éther, je scrutais ce ciel encore majoritairement limpide, mais d’où pouvait surgir la terreur à tout moment. Deux avions venaient de se jeter sur nous en l’espace de quinze minutes. Il n’était donc pas déraisonnable de penser que d’autres suivraient. Aujourd’hui. Les truthers agitent exactement la même rhétorique au sujet de l’intervention américaine en Afghanistan qu’au sujet de l’Irak : cette guerre aurait eu comme objectif caché la mainmise sur l’exploitation des ressources du pays. Mais, une fois de plus, cette théorie est, au mieux, simpliste : la mine de cuivre d’Aynak est exploitée par les Chinois et la mine de fer d’Hajigak est exploitée par les Indiens. Alors, de deux choses l’une : soit 48


les Américains n’ont pas provoqué cette guerre pour les ressources minières, soit ils se sont fait doubler par les Chinois et les Indiens, qui n’avaient aucune présence militaire en Afghanistan – ce qui démontre bien l’inutilité d’une guerre lorsqu’il s’agit de récupérer une mine, mettant ainsi à mal les théories conspirationnistes. Les truthers rétorqueront que l’objectif des Américains n’était pas tant le cuivre et le fer que les hydrocarbures. Seulement voilà : en 1998, bien avant la guerre, l’industriel américain Unocal était justement en bonne voie de réaliser cet objectif. Pourquoi, alors, ce projet de gazoduc transafghan géant a-t-il été abandonné ? La réponse est simple, et absolument incompatible avec les théories conspirationnistes : en 1998, les islamistes d’AlQaïda, déjà commandés par Oussama Ben Laden, avaient perpétré des attentats contre les intérêts américains. La réponse de Clinton fut la suivante : dans le cadre de l’opération Infinite Reach, des missiles américains sont venus frapper, entre autres, les camps d’Al-Qaïda en Afghanistan, déstabilisant la région et contraignant in fine Unocal à se retirer la mort dans l’âme (et au portemonnaie). Ces événements mettent en lumière plusieurs choses : primo, Ben Laden était un ennemi clairement identifié par les Américains bien avant le 11-Septembre (son nom ne fut donc pas sorti du chapeau ce jour-là – j’y reviendrai). Secundo, si Ben Laden était manipulé par la CIA comme le prétendent les truthers, pourquoi aurait-il 49


perpétré ces attentats débouchant sur l’abandon du projet Unocal – résultant en une perte financière colossale pour les Américains ? Le raisonnement des truthers n’a ni queue ni tête : le 11-Septembre serait une machination orchestrée pour aller finir un travail déjà commencé et en passe d’être réalisé mais stoppé par un Ben Laden allié des Américains pour justifier le retour de ces derniers pour recommencer (si vous n’avez rien compris à cette phrase, c’est normal) ? Ce jour-là. Le premier avion nous avait saisis d’effroi et avait semé l’incompréhension. Personne ne pouvait imaginer un attentat d’une telle nature. C’était donc un accident. Forcément. Mais comment un pilote aurait-il pu percuter une tour du World Trade Center, par des conditions météorologiques aussi clémentes ? Le deuxième avion avait changé la donne. Le deuxième avion fut celui de la terreur au carré, autant qu’il fut celui de la mise au point, de la compréhension, de l’effondrement des probabilités d’accident devant l’insoutenable réalité de l’instant. Le deuxième Boeing fut le signe de l’entrée dans un monde nouveau, et pas seulement l’événement scellant la pire catastrophe aérienne de l’histoire. 50


Consciemment ou non, tout le monde avait compris. L’Amérique était attaquée. Alors, tout le monde, partout en Amérique, a redressé le nez. Car tout le monde avait compris que le ciel grouillait de missiles balistiques armés et que l’Amérique avait perdu la guerre malgré sa technologie, son armée et son système de bouclier antimissiles ultra sophistiqué. Les missiles étaient américains, ils avaient décollé depuis le sol américain, transportaient des Américains, et avaient pris le contrôle du ciel américain. Après cinquante ans de Guerre froide, et après soixante ans d’une paix telle que certains annonçaient fièrement la fin de l’Histoire, le pays le plus puissant du monde se trouvait inexplicablement et soudainement vaincu. Moi, j’étais français, mais je n’eus aucune peine à me mettre à la place des newyorkais, et j’eus même une pensée fugitive pour l’état-major qui, en ces minutes de terreur, devait sentir le monde s’effondrer sous ses pieds. Aujourd’hui. Un des grands piliers de la théorie du complot repose sur la chute des tours jumelles du World Trade Center. Devant la vitesse à laquelle elles sont tombées, et aussi devant la verticalité avec laquelle elles sont tombées, les truthers affirment que les 51


tours ne se sont pas effondrées suite au crash des avions, mais parce qu’elles auraient été « dynamitées » de l’intérieur. La chute des tours serait donc le résultat d’une destruction contrôlée, via des charges thermiques et explosives qui auraient été savamment installées dans la structure des bâtiments par les membres de la conspiration (le gouvernement américain, le Mossad, un groupuscule d’extrême-droite, ou un mélange de tout ça selon le truther auquel vous avez affaire). Il est grand temps d’en finir avec cette légende urbaine qui prétend que les tours se sont effondrées à la vitesse de la chute libre. Car c’est tout simplement faux, comme l’ont démontré de très nombreux ingénieurs et chercheurs en Génie Civil, dont Jérôme Quirant (pour ne parler que de la France). Il ne suffit pas de le dire, il ne suffit pas que des acteurs ou humoristes qui n’y connaissent strictement rien, comme Charlie Sheen, Marion Cotillard ou Jean-Marie Bigard, le répètent à l’envie pour que cela devienne vrai, car c’est tout simplement faux. Un chronométrage rigoureux des vidéos de l’événement révèle que, au moment où le délai de la chute libre est dépassé, les tours sont encore en train de s’effondrer, puis elles disparaissent dans le nuage, ce qui empêche de déterminer l’instant exact de l’impact final, mais qui atteste déjà du fait qu’elles sont tombées plus lentement que la chute libre. Les relevés sismiques, eux, permettent de chronométrer la chute plus précisément, et montrent eux aussi que, non, les 52


tours ne sont pas tombées à la vitesse de la chute libre. Elles se sont écroulées vite, c’est un fait indéniable, mais une fois la défaillance structurelle atteinte, et vue les masses mises en jeu (et la légèreté de la conception), l’effondrement en chaîne était inéluctable. Insistons sur le fait que les tours jumelles n’étaient pas des monstres massifs de résistance, elles n’avaient rien des deux colosses de verre et de béton que certains aiment à présenter. Les tours jumelles n’étaient rien de tout ça, c’était des structures légères, quasiment vides, « aériennes » au point d’en être transparentes, comme le montrent certaines photos prises dans un contre-jour d’une beauté renversante. Certains truthers ont fini par admettre ces mesures de temps de chute. Le fait que ceux-là disent maintenant que les tours sont tombées presque en chute libre, et n’aient jamais été capables de donner de chiffres précis sur la vitesse à laquelle les tours auraient dû tomber si leur effondrement était bien dû au crash des avions, montrent bien qu’ils racontent n’importe quoi et ne font que se raccrocher au mythe de la chute libre. Ils refusent de croire qu’un bâtiment puisse s’effondrer ; ils refusent de comprendre que l’intuition ne fait pas forcément bon ménage avec les lois de la physique ; ils refusent d’admettre que, comme les bâtiments ne tombent pas tous les jours, et comme tout le monde n’est pas physicien (et comme les physiciens eux-mêmes ne sont pas toujours d’accord sur les détails), ils seraient bien 53


inspirés de se taire plutôt que d’affirmer des énormités. Ça, c’était pour la vitesse de chute. Venons-en maintenant à leur verticalité. D’après les truthers, les impacts des avions ayant causé des dommages asymétriques (c’est effectivement le cas), les tours auraient dû s’effondrer de manière tout aussi asymétrique. Or, disent-ils, elles sont tombées de manière quasiment verticale, ce qui n’aurait été possible que par une destruction symétrique via des charges explosives, et donc via une destruction contrôlée. L’argument n’est pas dénué de logique. Le problème, c’est que les tours ne sont pas tombées de manière verticale. Là aussi, les images sont trompeuses. Car, de la même manière que les tours sont effectivement tombées à grande vitesse (mais pas à la vitesse de la chute libre), elles sont aussi tombées avec une grande verticalité – mais pas avec une parfaite verticalité. Présenté comme cela, on pourrait croire que je me raccroche à de la pure sémantique et que je me contente de jouer sur les mots. Loin s’en faut. Il suffit pour s’en convaincre de rechercher les bonnes images, et de ne pas se contenter de celles brandies par les truthers. Il existe en effet des images montrant très clairement le haut des tours s’effondrer avec une très forte inclinaison par rapport à la verticale, avant de disparaître dans le nuage de béton pulvérisé. 54


Par ailleurs, si elles avaient été détruites de l’intérieur selon un schéma de destruction contrôlée, nous aurions dû voir des explosions se déclencher aux niveaux inférieurs, remontant à toute vitesse de manière synchronisée, entraînant la chute des tours. Je sais bien que les truthers prétendent, images à l’appui, que c’est justement ce qu’il s’est passé. Le problème, c’est que, une fois de plus, ce n’est pas vrai. Il y a bien eu des explosions aux niveaux inférieurs, projetant des fenêtres et des jets de fumée blanche que l’on pourrait qualifier de « suspects » sur le pourtour des tours. Mais ces explosions ont été (relativement) rares, asymétriques et désorganisées – à l’opposé, donc, de ce à quoi on devrait s’attendre en cas de destruction contrôlée. Devant cet argumentaire, les truthers, piqués au vif, brandissent alors l’argument suivant : si ces explosions n’étaient pas dues à des charges explosives de destruction contrôlée, à quoi étaientelles dues ? La réponse, malheureusement pour eux, est très simple : aux incendies. En percutant et en éventrant les tours, les avions ont allumé des incendies titanesques au niveau des étages impactés, mais également très en dessous, du kérosène en feu s’étant selon toute probabilité infiltré par milliers de litres dans les entrailles des tours blessées, notamment via les conduits des ascenseurs. Même sans cette infiltration de kérosène, les incendies aux niveaux supérieurs ont fatalement « vomi » des éléments enflammés vers 55


le bas des tours, toujours au travers des structures éventrées. Or, les hautes températures dilatent les gaz, et les tours jumelles, comme tous les gratteciels, étaient des structures relativement fermées et donc propice aux surpressions. Par ailleurs, les tours étaient pleines de matériel électrique (transformateurs de puissance, photocopieuses, etc.) ou de maintenance (bonbonnes en tous genres), qui sont connus pour provoquer des explosions en cas d’incendie. Voilà ce qui, selon toute probabilité, a provoqué les explosions dont il est question. Et, une fois l’effondrement amorcé, la compression de l’air par effet piston a lui aussi fait sauter des fenêtres, pouvant faire croire à une destruction contrôlée, bien que le schéma des explosions ait une fois de plus été erratique, à l’opposé de ce à quoi l’on devrait s’attendre dans le cas d’une destruction de ce type. Toujours pour contredire les partisans de la destruction contrôlée, je voudrais rappeler que, contrairement à ce qu’ils disent, et contrairement à ce à quoi on devrait s’attendre s’ils avaient raison, les tours n’étaient pas totalement immobiles avant la chute. Elles ployaient. Elles s’affaissaient. Les images le montrent bien, sauf pour ceux qui préfèrent se voiler la face. Au niveau des étages impactés et en proie aux flammes, sur les images où l’on voit certains jumpers se jeter dans le vide, on peut nettement voir apparaître les poutres et les colonnes encore fonctionnelles en train de ployer sous la charge, en train de se creuser vers 56


l’intérieur de la structure, en accord avec les scénarios d’effondrement naturel. Certains truthers ont fini par admettre tout cela. Ceux-là affirment donc maintenant que les tours ont été détruites de l’intérieur de manière contrôlée, mais de façon à ce que cela n’y ressemble pas. (En fait, il se serait donc tout simplement passé ce qu’ils veulent qu’il se soit passé – ce qui, vous en conviendrez, est tout de même un peu facile.) Car si on revient en arrière, la théorie de la conspiration provient du fait que les tours auraient été détruites de manière contrôlée, et cette idée venait du fait qu’elles avaient l’air d’avoir été détruites ainsi. Or, dixit certains truthers eux-mêmes, mis au pied du mur, l’effondrement des tours n’a en réalité pas l’air d’une destruction contrôlée. Ce qui, inversant la cause et l’effet, anéantit les prémices de leur argumentation première, mais, étrangement, cela ne les fait pas pour autant revenir sur leurs conclusions. D’un point de vue scientifique, la conclusion ne reposant plus sur l’observation mais sur l’idéologie, la spéculation et l’affabulation, la démarche des truthers ne repose plus sur aucun fondement. Alors, bien sûr, certains truthers continuent de dire que l’effondrement ressemble à s’y méprendre à une destruction contrôlée, ce qui nous amène aux conclusions suivantes : primo, les truthers ne parviennent pas à se mettre d’accord (ce qui est problématique lorsque l’on prétend démontrer LA vérité), et, secundo, au moins certains d’entre eux 57


ont décidé de s’asseoir totalement sur la méthode scientifique (ce qui est problématique lorsque l’on prétend démontrer ladite vérité de manière rationnelle et scientifiquement éprouvée). La présence de poutres métalliques tranchées nettes dans les ruines fumantes de Ground Zero ne doit pas laisser croire, comme le disent les truthers, qu’il s’agirait là de la preuve d’une destruction contrôlée par des charges thermiques ayant découpé les structures porteuses. Les images sont effectivement troublantes, mais il n’est pourtant pas nécessaire d’aller chercher l’explication bien loin : ces poutres ont tout simplement été découpées au chalumeau par les pompiers à la recherche de blessés à désincarcérer. C’est une pratique on ne peut plus classique. Y voir la preuve d’une destruction contrôlée est plutôt le signe d’une fuite en avant et d’une volonté pathologique de faire coller les images au fantasme. Dans le même ordre d’idées, les truthers mettent en avant le fait que des poutres titanesques issues de l’ossature des tours jumelles ont été retrouvées à des distances effarantes des emplacements des tours en question. L’explication, selon eux, est la suivante : seules des explosions auraient pu éjecter les poutres à de telles distances, et seule la thèse de la démolition contrôlée peut expliquer de telles explosions. Première objection : dans l’expression « démolition contrôlée », il y a le mot « contrôlée ». 58


L’objectif est de détruire une structure de la manière la plus sûre et la plus « propre » possible. Éjecter des poutres de trente tonnes dans le voisinage de la structure détruite ne fait pas partie du cahier des charges des démolisseurs. Les truthers ne se laisseront pas démonter aussi facilement : c’était une démolition contrôlée « spéciale », l’objectif était de faire tomber les tours proprement, sur elles-mêmes, mais pas trop non plus, d’où l’utilisation de charges plus fortes pour semer la confusion. Mais pourquoi ? Pourquoi démolir les tours d’une façon improbable ? Pourquoi ne pas les démolir d’une manière plus « naturelle » ? Pourquoi les auteurs du complot auraient-ils choisi de démolir les Twin Towers d’une façon qui les aurait trahis ? Pourquoi faire tomber les tours aussi « proprement », aussi verticalement ? Tout ça n’a évidemment aucun sens. Si tout ça relevait réellement d’un complot maquillé en attentat (un false flag dans le jargon consacré des truthers), pourquoi les commanditaires n’auraient-ils pas plutôt fait en sorte que la tour Nord chute lourdement sur la tour Sud, de manière totalement asymétrique, comme le veulent presque désespérément les truthers ? Ça aurait été tout aussi efficace en termes d’impact psychologique et de terreur et, surtout, ça n’aurait jamais déclenché tous ces débats totalement stériles. Il n’est pas inutile de rappeler dans ce contexte que faire tomber une tour sur l’autre était précisément l’objectif de l’attentat 59


manqué contre les tours jumelles du 26 février 1993. Ce qui explique d’ailleurs que les tours soient apparues en première page d’un rapport officiel sur le terrorisme, dans la ligne de mire d’un viseur : elles avaient déjà été prises pour cibles par des terroristes et ceux-ci, comme on l’a vu, avaient promis de revenir finir le travail. Cette couverture, souvent brandie comme la preuve que le gouvernement américain serait derrière la destruction des tours, trouve là une explication infiniment plus rationnelle. Et puis, soyons logiques : pourquoi le gouvernement américain aurait-il réalisé une telle première page s’il planifiait la destruction des tours ? Pour se trahir ? Inepte. Pour en revenir aux poutres, il est faux d’affirmer que seules des explosions auraient pu les propulser aussi loin. Comme l’ont montré de nombreux ingénieurs en calcul de structures, des poutres, même gigantesques, peuvent aisément être éjectées très loin. Le mécanisme est aussi simple que celui d’un élastique étiré ou d’une touillette à café pliée : les poutres ont ployé sous la charge absolument colossale des étages en effondrement, emmagasinant de l’énergie potentielle élastique (c’est le terme) puis, une fois les contraintes mécaniques parvenues au seuil de la rupture des ancrages, cette énergie potentielle élastique s’est convertie en énergie cinétique, propulsant les poutres au hasard de la destruction. Plus une poutre est massive, plus elle est résistante, et plus elle peut emmagasiner de 60


l’énergie susceptible de la propulser avant de lâcher. Petite piqûre de rappel de physique élémentaire : une poutre massive n’est pas « rattrapée » par la gravité plus rapidement qu’une poutre légère, si bien que, pour des conditions initiales identiques, elles suivront des trajectoires identiques. Que des poutres colossales aient été projetées très loin des tours n’a donc rien d’impossible, c’est même une conséquence logique des lois de la physique. Et puis, il y a les explosions aux niveaux inférieurs, entendues par de nombreux témoins, dont des pompiers, qui ont fait les choux gras de la « presse » conspirationniste. Mais entendre des explosions ne veut pas dire qu’il y a eu des explosions. Des bruits semblables peuvent être dus à des causes tout à fait différentes : chutes d’ascenseurs, impacts de corps, ruptures de canalisations, affaissements de planchers, rampes heurtant le sol, utilisation de pistolets par les policiers pour briser des vitres, ou que sais-je encore. Et il est probable qu’il y ait effectivement eu un certain nombre d’explosions, produites par les incendies, comme on l’a déjà évoqué. Et alors ? Tout cela n’est en rien synonyme d’une destruction contrôlée. Les truthers reviennent généralement à la charge en brandissant un autre élément supposément troublant : la tour Sud s’est effondrée bien avant la tour Nord, alors qu’elle a été impactée après celleci, et dans une configuration semblable. Je serais 61


tenté de simplement leur répondre qu’il faut se méfier des choses qui peuvent avoir l’air semblable, mais qui ne le sont probablement pas. Mais la vérité, c’est qu’il existe une explication précise à cet effondrement apparemment précipité – et à l’effondrement tout court des deux tours. Le mécanisme global de l’effondrement des tours jumelles a été proposé par le NIST, le National Institute of Standards and Technology, et a depuis été confirmé par d’autres scientifiques. Le mécanisme de la ruine diffère dans les détails pour les deux tours, mais le « mode opératoire » reste globalement le même. En premier lieu, à l’impact, les éléments lourds du Boeing (principalement les réacteurs) ont agi comme de véritables missiles de plusieurs tonnes lancés à plusieurs centaines de kilomètres à l’heure. De nombreuses colonnes périphériques, qui assuraient environ 40% de la tenue (contre environ 60% pour le noyau), ont été sectionnées. L’impact et l’explosion consécutive de milliers de litres de kérosène ont endommagé les protections thermiques des colonnes restantes, à des degrés divers difficiles à évaluer de manière précise. Le feu de kérosène et de mobilier a pu atteindre 600 à 1000°C dans les étages les plus impactés. Arrivés à ce stade, les truthers affirment généralement que ces feux étaient en réalité des feux « froids », en « raisonnant » sur la couleur des flammes et des fumées. Les fumées étant très noires, les truthers concluent à des feux sousoxygénés et donc peu agressifs – sans être 62


cependant fichus de déterminer la température maximale qui, selon eux, aurait pu être atteinte par ces feux. Le problème, c’est que ce raisonnement sur la couleur des fumées n’a absolument aucun sens. C’est un délit de fausse expertise, une volonté délibérée d’affirmer en prétendant démontrer. Il suffit pour s’en convaincre de se documenter sur ce que l’on appelle les « feux de nappe d’hydrocarbures » pour comprendre que ces feux sont d’une violence extrême et dégagent pourtant d’intenses et massives fumées noirâtres et opaques – prétendument caractéristiques de feux « froids » selon les truthers. Un feu sous-oxygéné dégage moins de puissance qu’un feu parfaitement oxygéné, mais il n’est pas spécialement plus « froid ». Que les conspirationnistes se penchent un minimum sur les travaux de l’INERIS (par exemple) concernant les feux d’hydrocarbures. Ils pourraient bien être désagréablement surpris. Toujours est-il que, non protégé et inaccessible par les pompiers, le reste des structures porteuses est rapidement monté en température (entre 700 et 900°C). Et, même s’il est vrai que les incendies ravageant les étages n’ont en aucun cas pu faire fondre ces structures, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il n’est absolument pas nécessaire de faire fondre l’acier pour qu’il perde ses propriétés de résistance mécanique. En fait, et comme le stipulent toutes les caractérisations de ce matériau consultables dans n’importe quel ouvrage de mécanique, le module d’Young de l’acier est grosso 63


modo réduit de moitié dès 400°C. Concrètement, la « résistance » de l’acier est divisée par deux dès 400°C. Et un feu d’hydrocarbures et de mobilier produit des flammes beaucoup plus chaudes que 400°C, peu importe ce que les truthers peuvent prétendre avec leurs diagnostics ignares basés sur la couleur des flammes et des fumées. Dès lors, que pouvait-il bien se passer ? Les structures porteuses déjà surchargées ont été considérablement affaiblies par les incendies et se sont alors mises à « flamber ». Le terme « flamber » n’a ici strictement rien à voir avec le feu : en mécanique, le flambement (ou flambage) est le comportement instable d’un élément qui se met à plier dans une direction perpendiculaire à celle dans laquelle on le sollicite. Dit comme ça, cela semble compliqué, mais le phénomène est en réalité excessivement simple : essayez de comprimer une règle ou une touillette à café dans le sens de sa longueur. Vous n’y arriverez pas. La règle (ou la touillette) va « flamber » : elle va « partir » vers le côté et, très vite, elle n’offrira quasiment aucune résistance à votre sollicitation. C’est exactement ce qu’il s’est passé pour les colonnes : surchargées, surchauffées, elles ont ployé et leur résistance mécanique s’est réduite à peau de chagrin. Et, comme on l’a déjà dit, ce phénomène est parfaitement visible sur les photos et sur les vidéos qui montrent ces éléments en train de ployer. Une fois les colonnes rendues incapables de soutenir la charge des étages, elles 64


ont cédé, tirant sur les planchers qui ont lâché à leur tour. Le noyau de la tour, également endommagé par l’impact, s’est alors retrouvé tout seul pour soutenir les étages. C’était mission impossible : malgré le fait qu’il assurait 60% de la charge en configuration « normale », une fois les colonnes périphériques hors jeu et les planchers désolidarisés, les bras de levier et les concentrations de contraintes étaient tout simplement trop élevées pour que les attaches des poutres puissent retenir les étages. Les boulons ont sauté en rafales. Un bloc titanesque de 14 ou 29 étages (selon la tour) est alors tombé, convertissant son altitude en une énergie cinétique absolument démentielle, que les étages inférieurs n’avaient aucune chance de stopper. Il est vrai que les structures de ce type sont conçues en prenant en compte d’importants coefficients de sécurité, permettant de « récupérer » plusieurs fois la charge attendue en temps « normal ». Mais aucun coefficient de sécurité ne sera jamais de taille pour lutter contre la charge dynamique représentée par l’impact de 14 ou 29 étages pesant plusieurs dizaines de milliers de tonnes. Le noyau, malmené par les dizaines d’étages en furie chutant parfois fortement de biais, et privé de la rigidité et de la stabilité normalement assurées par les planchers, a rapidement suivi. Les images sont rares, mais elles existent : une partie du noyau endommagé a survécu quelques instants à la chute des planchers, 65


émergeant partiellement du nuage, avant de rejoindre au sol le reste de la structure. Voilà pour le mécanisme global de l’effondrement, globalement accepté par la majorité de la communauté scientifique internationale – que les truthers traiteront bien évidemment de « vendue ». Comme s’il était possible d’acheter tous les ingénieurs en génie civil du monde… Certains scientifiques ont cependant voulu – et c’est normal – se pencher sur les détails. D’autres ont souhaité étudier des variantes du scénario proposé par le NIST. Parmi ces gens, on compte James G. Quintiere. Vous ne le connaissez sûrement pas, mais Quintiere est un des experts en physique du feu (et en résistance au feu des structures) les plus respectés, j’en veux pour preuve l’abondance de manuels techniques et d’ingénierie ainsi que d’articles scientifiques qu’il a publiés sur ce sujet. Il se trouve aussi que c’est un ancien du NIST. Je sais bien que cet élément ne joue pas en sa faveur auprès des conspirationnistes, car en tant qu’entité chargée du volet technique de l’enquête officielle, cet institut jouit bien évidemment d’un total discrédit au sein de la communauté des truthers. Cela étant, Quintiere est un ancien du NIST. Il n’en faisait plus partie lors de l’enquête. Et, très loin d’appuyer le NIST dans ses conclusions et dans sa manière de mener l’enquête, Quintiere s’est montré extrêmement critique vis-à-vis de leurs travaux, 66


n’hésitant pas à qualifier leur rapport d’insipide, d’illisible et d’inconséquent, allant même jusqu’à dire que ce document défie la logique et l’analyse et que ses conclusions sont parfois déficientes. Quintiere ajoute que le NIST n’a pas fait usage de son droit à faire comparaître les gens devant la Justice comme il aurait dû le faire, et que leur gestion de l’enquête fut désastreuse au point qu’elle devrait être pénalement punie. Rien que ça. De mon point de vue, Quintiere met le doigt sur un certain nombre d’éléments intéressants, mais – c’est sa personnalité –, il a tendance a « légèrement » s’emporter. Toujours est-il que les truthers devraient se dire qu’ils tiennent là un allié de poids, si ce n’est l’allié ultime : un expert en physique du feu de renommée internationale qui s’oppose parfois frontalement aux conclusions du NIST. Et, effectivement, les truthers feraient bien de prendre connaissance des travaux de cet homme qui, il l’a dit, veut la même chose qu’eux : une nouvelle enquête scientifique indépendante sur l’effondrement des tours. Malheureusement pour les fantasmes des truthers, Quintiere n’a pas besoin d’avoir recours aux explosifs des conspirationnistes pour expliquer l’effondrement des tours – ni pour expliquer pourquoi la dernière tour touchée fut la première à s’effondrer. Quintiere reconnaît que, face à ce rapport du NIST partiellement inconséquent et arrivé beaucoup trop tard, il n’est pas étonnant que les théories alternatives se soient multipliées. Il fait 67


cependant partie de ces personnes qui proposent une version (légèrement) différente et crédible de celle du NIST – une version qui ne fait appel ni au gouvernement américain, ni au Mossad, ni aux explosifs. Parcourons donc rapidement les travaux de Quintiere relatifs à l’effondrement des tours. Quintiere fait remarquer que les calculs du NIST sont manifestement trop dépendants du pourcentage de destruction de l’isolation thermique des structures porteuses supposément arrachée par les impacts et les explosions. Ce paramètre est quasiment impossible à quantifier et a, selon lui, probablement été surévalué. Postulant que l’argumentation du NIST n’est peut-être pas totalement valable, Quintiere s’attache à retracer l’historique de la conception, de l’inspection, de la pose et de la réévaluation de cette isolation thermique, et constate que les structures de la tour Sud étaient deux fois mieux isolées que celles de la tour Nord. Et, d’après les simulations effectuées par ses soins, confortées par des essais en similitude à échelle réduite et par des caractérisations de matériaux dans des fours industriels, il arrive finalement, bien que par un cheminement quelque peu différent, aux mêmes conclusions que le NIST : aucune des deux tours n’était suffisamment isolée thermiquement pour ne pas s’effondrer. Et il montre que le délai entre impact et effondrement, très différent pour les deux tours, trouve une explication tout à fait 68


rationnelle : la tour Nord, bien que touchée en premier, était beaucoup mieux « armée » pour résister au feu – même si de manière insuffisante. Ainsi, la tour Sud se serait effondrée en premier tout simplement parce que son isolation thermique était deux fois plus déficiente que celle de la tour Nord. (Petit aparté : arrivé à ce point de mon récit, il me semble bon de préciser une chose, pour être totalement transparent et histoire de souligner en quoi je ne dis pas totalement n’importe quoi : je suis ingénieur généraliste, spécialisé en simulation numérique en thermique et mécanique des fluides. Mon métier, c’est ce que l’on appelle dans notre jargon l’ « ingénierie de sécurité incendie », ou ISI. Au quotidien, je réalise des essais de feux, ainsi que des simulations d’incendies sur ordinateur. J’ai, de fait, un certain recul et un avis critique relativement éclairé sur tout ce qui a trait à la physique en général et aux incendies en particulier.) On pourra toujours prétendre que Quintiere est « vendu » – alors même que son opposition frontale au NIST devrait, du point de vue des truthers, montrer tout le contraire. On peut toujours prétendre que tous ceux qui n’abondent pas dans notre sens sont forcément des traîtres ou des vendus. Lorsque le débat en est là, c’est que, en réalité, il n’y a plus de débat possible. En définitive, c’est toujours parole contre parole, mais en tant qu’ingénieur ISI moi-même, qui travaille 69


sur des problématiques similaires, je constate que la bibliographie que j’utilise quotidiennement, et qui a prouvé son efficacité, porte souvent la mention James G. Quintiere en couverture. Ses travaux, bien qu’ils puissent évidemment être améliorés, notamment parce que ses moyens étaient incomparablement plus modestes que ceux du NIST, méritent cependant d’être considérés avec le plus grand sérieux et la plus grande attention. Que les scénarios qu’il propose soient absolument corrects ou non n’est de toute façon pas la question. L’essentiel est de comprendre qu’il existe un monde entre les travaux du NIST et les affirmations péremptoires et grotesques des conspirationnistes. Il ne faut pas réduire le 11Septembre à une opposition manichéenne frontale entre les truthers et la version officielle. Il y a une multitude de possibilités intermédiaires : que le NIST se soit trompé sur des détails ou sur quelques points importants, que l’effondrement des tours ait été provoqué par une multitude de phénomènes physiques couplés, chaotiques et mal appréhendés, etc. Les multiples versions de la conspiration présentées par les truthers se trouvent à l’extrémité terminale du spectre des possibilités, et ne devraient retenir l’attention que des gogos et des amateurs de sensationnalisme, en aucun cas celle du citoyen lambda à la recherche de ce qui a pu se passer ce jour-là. Pour en revenir à Quintiere, puisqu’il fait partie de ceux qui proposent des explications 70


rationnelles sans forcément offrir un blanc-seing à la version « officielle », il fait également remarquer que le NIST a fortement sous-évalué la charge calorifique mise en jeu lors des incendies, que ce soit au niveau du kérosène (non-majoritaire) ou au niveau du mobilier et autres équipements de bureau. Le NIST conclut ainsi à des feux beaucoup moins longs et beaucoup moins agressifs qu’ils ne l’ont probablement été en réalité. Cette erreur d’analyse de la part du NIST renvoie à un problème de méthodologie, mais en aucun cas à un problème de manipulation ou de mensonge : si le NIST avait à tout prix voulu démontrer l’effondrement brutal des tours, il aurait bien plutôt eu tendance à surévaluer fortement la charge calorifique disponible pour le feu (ce qui aurait été plus qu’aisé, étant donné que toute la bibliographie, toutes les données, tous les standards et toutes les méthodologies ISI vont dans ce sens pour d’évidentes raisons de marges de sécurité). Il n’en a pourtant rien été. Le NIST (sous) estimait pourtant déjà que les feux à l’intérieur des tours avaient pu atteindre la puissance absolument ahurissante de 1500 MW. Pour mieux vous représenter ce nombre, ditesvous que c’est l’équivalent de la puissance électrique développée par le plus puissant réacteur nucléaire du monde : l’EPR. Et que peut-il bien se passer lorsqu’un tel réacteur nucléaire relâche sa puissance dans une structure métallique légère ? 71


L’affirmation répétée partout que les tours étaient conçues pour résister à de tels impacts est biaisée : non seulement les ingénieurs du World Trade Center n’avaient pas prévu l’étendue des feux qui résulteraient de tels impacts, mais en plus, ils avaient mal fait leurs calculs d’isolation thermique, même pour les feux dits « classiques ». On ne peut pas leur jeter la pierre : les erreurs de dimensionnement sont fréquentes, et ce, dans tous les domaines. En tant qu’ingénieur, j’en sais quelque chose. Et puis, de toute façon, lorsqu’une structure est conçue pour résister au feu, ce n’est jamais dans l’absolu mais toujours pour une certaine durée seulement (généralement deux heures), afin de laisser aux pompiers le temps d’intervenir. Aucune structure métallique ne peut indéfiniment résister à un feu agressif. Les tours jumelles sont tombées vite, certes, bien avant le délai de deux heures. Mais, une fois encore, l’isolation thermique avait été mal dimensionnée. De plus, elle a été affaiblie lors de l’impact et de l’explosion, et les pompiers n’ont pu intervenir. Enfin, de manière générale, les contraintes thermiques et mécaniques auxquelles ont été soumises les tours étaient tout à fait exceptionnelles. Quant au fait que les tours jumelles seraient les seules à s’être jamais effondrées suite à un incendie, rappelons une énième fois qu’il s’agissait de structures principalement métalliques, et que les structures métalliques sont connues pour s’effondrer 72


en cas d’incendie. Le contraire n’est qu’une légende urbaine construite de toutes pièces par les truthers. Ils veulent qu’on leur oppose des exemples ? Très bien, allons-y. Rien qu’en France, et sans remonter plus loin que 2010, on peut citer, agences de presse et faits divers à l’appui, des effondrements de hangars métalliques provoqués par les flammes, à La Rochelle, Atton, Clessé, Boyer, Romescamps, Nogent-le-Rotrou ou encore Pouilly-en-Auxois. Sans remonter plus loin que l’année 2000, et en excluant bien évidemment le World Trade Center, on compte dans le monde quatre effondrements complets d’immeubles de quatre étages ou plus ainsi que dix-huit effondrements partiels ayant entraîné la mort de deux-cents personnes. En 1993, cent-quatre-vingt-huit ouvriers ont trouvé la mort dans l’effondrement de l’usine Kader Toy à Bangkok suite à un incendie, mais rien de tout cela n’est manifestement suffisant pour les truthers, qui n’ont que faire des morts tant qu’ils ne servent pas leurs propos. C’est une large part du travail des ingénieurs structures que de dimensionner les charpentes métalliques pour qu’elles ne s’effondrent pas, ou alors dans un délai raisonnable, et vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur (pour d’évidentes raisons de sûreté des bâtiments adjacents). La tenue au feu des structures est une des composantes majeures de l’ingénierie de sécurité 73


incendie, c’est une science en soi, un domaine d’activité à lui seul. C’est le boulot de types comme moi de calculer les conséquences d’un incendie, notamment les champs de température et de gradients thermiques dans les structures porteuses. C’est notre boulot de faire en sorte que la conception respecte les normes ISO et les règles des Eurocodes. Ces normes ne sont pas là pour rien. Ces textes réglementaires sont là parce que si on n’y prête pas attention, en cas d’incendie, les bâtiments s’effondrent. C’est une réalité. Et c’est pour ça que des sociétés spécialisées conçoivent des parois coupe-feu hyper sophistiquées (et hors de prix) pour répondre aux demandes des assureurs toujours plus impitoyables avec leurs clients. Les cas d’effondrement de structures métalliques sont nombreux, et sous des charges infiniment moindres que le poids des étages des tours jumelles. Et c’est uniquement parce que ces cas d’effondrement concernent principalement des structures industrielles ou commerciales, souvent de taille modestes, inhabitées ou presque, et non pas de grands bâtiments civils, qu’ils ne marquent pas l’imaginaire collectif. Que l’Empire State Building, une structure en béton, ait survécu au crash d’un B-25 en 1945, ne doit pas étonner, bien que ce cas soit souvent présenté par les truthers comme la preuve qu’un avion ne peut abattre un gratte-ciel. Car ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, outre sa structure en béton infiniment plus résistante à une intense élévation de température, 74


l’Empire State Building a été percuté par un avion dix fois moins lourd et volant a minima deux fois moins vite que dans le cas des tours jumelles. Un rapide calcul montre que l’énergie cinétique mise en jeu à l’impact était de trente à cent fois (!) plus faible dans le cas de l’Empire State Building, sans parler de la quantité de carburant (a minima vingt fois (!) plus faible). Je veux bien que l’on me parle du Windsor Building de Madrid en 2005 qui a résisté à un incendie catastrophique. C’est vrai. Et c’est tant mieux. Mais, ce qui a tenu dans cet incendie-là, c’est justement la structure en béton armé. Les structures métalliques, elles, se sont effondrées. À tel point que Concrete Alliance, un fabricant de béton, a cru bon de rebondir sur cet incident pour faire la promotion de ses structures en béton armé… Arrêtons donc de dire que les constructions humaines ne peuvent pas s’effondrer à cause du feu, réjouissons-nous simplement du fait que cela n’arrive pas plus souvent, du fait que les structures métalliques ne sont pas majoritairement porteuses. L’isolation thermique des tours était insuffisante. Sans même prendre en compte l’affaiblissement de cette isolation lors des crashs et des explosions, les feux incontrôlés (et incontrôlables) qui ont brûlé dans les tours ce jour-là ne pouvaient mener qu’à la défaillance des structures. Comme je le disais, la version « officielle », basée sur les travaux du NIST, n’est probablement pas tout à fait vraie – mais d’un 75


point de vue technique seulement. Et encore : le débat ne saurait porter sur autre chose que des détails d’ingénierie et de mécanique de la rupture. Ce n’est pas parce que l’explication du NIST ne serait pas la « bonne » ou parce qu’elle serait incomplète qu’il faudrait forcément y voir une démarche mensongère de leur part. Je ne jetterai jamais la pierre à Kevin McGrattan et son équipe, qui ont mené les simulations numériques des incendies du World Trade Center, car même s’ils ont pu commettre des erreurs, ils restent parmi les ingénieurs les plus brillants de notre temps. Suite aux attentats, Kevin McGrattan et son équipe ont considérablement fait évoluer une de leur création, le logiciel Fire Dynamics Simulator, qui est aujourd’hui l’une des références dans le domaine de l’ingénierie et de la recherche lorsqu’il s’agit d’étudier précisément les conséquences d’un incendie dans un bâtiment. J’utilise ce logiciel au quotidien dans mon travail et si, comme tout outil de ce type, il lui arrive de faire des prédictions erronées, ce logiciel a été qualifié sur des centaines de cas tests expérimentaux par des ingénieurs de tous horizons. Par ailleurs, faire à McGrattan le procès du scientifique aux ordres et déformé par les dérives académiques de son milieu ne saurait être plus loin de la vérité. Il suffit de lire son Fire Modeling pour voir à quel point McGrattan est un pragmatique, qui peut se montrer extrêmement critique (si ce n’est même totalement irrévérencieux) envers le milieu scientifique dont il 76


est issu. Morceaux choisis : « les doctorants vivent dans l’ombre de managers qui sont totalement déconnectés des détails numériques », « si le programme fonctionne, personne ne se demande pourquoi », « je dois avouer que la majorité des articles que je lis sont incompréhensibles », « plutôt que de laisser les doctorants ajouter leurs propres termes aux équations déjà en place, je propose qu’on leur demande d’identifier les termes qui ne reposent sur aucune base théorique solide, de les éliminer, et de les récompenser pour cet aboutissement », « avons-nous trop peur d’avouer que cet article n’a aucun sens ? », et, last but not least : « il est temps d’arrêter de laisser passer de mauvais articles scientifiques simplement parce que chacun a trop peur d’admettre qu’il n’y comprend rien ». Ces quelques extraits suffisent à mon sens à démontrer la totale honnêteté intellectuelle ainsi que la formidable lucidité d’un des leaders des études scientifiques sur le désastre du World Trade Center. Que l’explication technique précise de l’effondrement des tours reste à consolider est une chose, mais le fait que certains, sous prétexte qu’ils ne sont pas totalement convaincus par la version officielle, décident que la seule explication alternative possible soit la destruction contrôlée, est un raisonnement qui défie les bases même de la logique. Les éléments métalliques fondus retrouvés dans les décombres des tours sont à attribuer à 77


l’aluminium présent dans les avions et dans les équipements des tours, ainsi qu’à des eutectiques qui ont pu se former entre différents métaux lors des incendies. L’aluminium fond à 660°C, une température largement dépassée dans les feux d’hydrocarbures et de mobilier. De la même manière, puisque les truthers prêtent aux supposés commanditaires de ces faux attentats un pouvoir quasi-illimité (contrôle de la finance internationale, des états et des médias, construction d’un Nouvel Ordre Mondial, et même, selon certains, contrôle du climat (!)), pourquoi ces commanditaires si puissants et si intelligents auraient-ils donc laissé de si supposément évidentes traces de démolition contrôlée, tout en accusant, rappelons-le, le mauvais type (Oussama Ben Laden alors que l’objectif aurait été l’invasion de l’Irak de Saddam Hussein) ? Je suis désolé pour les partisans de la théorie du complot, mais tout ça n’a absolument aucun sens. Ou, plutôt, si : il y a bien eu un complot. Sauf qu’Oussama Ben Laden en était effectivement le commanditaire. Et que ces attentats étaient bel et bien le résultat de la haine de certains extrémistes musulmans envers la politique étrangère américaine.

78


Ce jour-là. Nous étions hypnotisés, car la terreur était telle que nous ne voulions pas y croire, parce que ce qui était en train de se passer n’était tout simplement pas crédible. Les meilleurs romanciers et les meilleurs scénaristes de Hollywood furent tout simplement surpassés par le nouveau génie visuel du terrorisme façon 2001. Des papiers en tous genres volaient et virevoltaient, des contrats qui ne seraient jamais signés, des CV de candidats qui ne seraient jamais convoqués ou qui venaient d’être atomisés, nous rappelant la fragilité de la vie devant ces existences brisées. Je faillis être percuté par une armoire qui explosa sur le béton, accompagnée de bris de verre et dont le souffle me projeta au sol, immédiatement suivie du corps d’un homme, qui explosa littéralement devant moi, dans le bruit humide et définitif de ses chairs martyrisées. Aujourd’hui. Après coup, j’ai vu et revu les images auxquelles vous avez tous assisté à la télévision. Elles sont stupéfiantes. Mais je peux vous dire que ce n’était strictement rien comparé à ce que j’ai vécu. Je ne voudrais pas que la comparaison vous semble déplacée, mais c’est un peu comme un vieux film 79


muet en noir et blanc sur un écran cathodique de trente-six centimètres : un tel film ne saurait « rivaliser » en termes de « spectacle » face à du cinéma dynamique 3D en Dolby Pro Logic survitaminé. Et puis, bien sûr, au-delà de la façon dont j’ai vécu les choses sur place, il y a aussi ce que j’ai vu et qu’il vous a été interdit de voir, les médias s’étant logiquement autocensurés par respect pour les victimes de cette funeste journée. Ce qui est tout à fait compréhensible. Mais je voudrais tout de même vous parler de ce qu’ai vu. Car fermer les yeux sur ce qui est tombé du ciel ce jour-là n’est pas forcément une solution. Il ne faut peut-être pas montrer les images, mais il est légitime d’essayer de les raconter. Il ne faut pas y voir une apologie du sensationnalisme, mais un simple compte-rendu de la réalité – un refus de l’oubli. C’est, dans ce sens, une certaine forme de respect. Il n’existe probablement pas de manière « propre » d’en parler, mais je ne souhaite pas occulter cette partie de la réalité. Ce jour-là. Il y avait cette brume de sang rose qui flottait dans l’air sur le parvis des tours, au-dessus des corps des jumpers qui impactaient le béton avec le bruit de melons qui explosent. Il y avait les voitures qui se compactaient sous l’impact de 80


corps désarticulés, dans une cacophonie d’alarmes désynchronisées. Il y avait ces morceaux humains, les body-parts comme on les a pudiquement nommés, mais qui étaient en réalité des corps, des bras, des têtes, au milieu de traînées de sang et d’entrailles qui maculaient le sol, les voitures, les murs et autres structures de chair et d’acier entremêlés. Beaucoup vomissaient autour de moi. Certains étaient pris de convulsions, d’autres de rires hystériques. Des hurlements d’animaux montaient de la foule, des gens éclataient littéralement, fracassés par des poutres venant défoncer l’asphalte, ou écrasés par des jumpers venant frapper le sol à deux-cents kilomètres à l’heure. Et puis, il y avait cette odeur qui flottait dans l’air, cette odeur répugnante de plastique, d’électronique, de kérosène et de chair brûlée. Cette odeur qui changeait tout, qui transfigurait la réalité, qui nous faisait humer nos semblables qui avaient été carbonisés. Aujourd’hui. Le crash du vol 77 d’American Airlines sur le Pentagone n’en finit pas d’enflammer les partisans de la théorie du complot. Leur chef de file historique fut le français Thierry Meyssan, qui a publié en 2002 un livre sur le sujet, devenu un best-seller dans le monde entier : L’Effroyable Imposture, rapidement complété par une suite : 81


Le Pentagate. Mais que dit précisément Meyssan au sujet du Pentagone ? Il part du constat que les dégâts sur la façade du Pentagone ne semblent pas correspondre à ceux qui auraient été provoqués par un Boeing 757 de trente-huit mètres d’envergure (c’est effectivement troublant à première vue). Meyssan note également l’absence de débris clairement identifiables sur le parvis, et fait remarquer que les rares débris ne correspondent en rien à ceux d’un Boeing. Meyssan présente aussi les cas de témoins oculaires n’ayant, soit, pas vu d’avion, soit vu un missile ou un drone, et s’étonne des comportements contradictoires de la CIA et du FBI. Mais Thierry Meyssan ne ferait-il pas fausse route ? Les questions qu’il pose sont légitimes, surtout dans les premières semaines qui suivent les attentats, où la confusion règne en maître. Et l’on ne peut qu’être d’accord avec Meyssan lorsqu’il invite ses lecteurs à ne pas considérer son travail comme une version définitive, lorsqu’il nous invite au scepticisme et à ne faire confiance qu’à notre propre esprit critique, lorsqu’il nous invite à multiplier les nuances et à élargir les options. On aimerait juste qu’il en fasse autant. Car lorsqu’il feint de poser une question dans le corps de son texte, il ne s’empêche pas d’affirmer en gros sur sa couverture de l’Effroyable Imposture, qu’ « Aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone ! » 82


On peut partager l’avis de Meyssan au sujet des guerres en Irak et en Afghanistan – ainsi qu’à propos de toute la politique étrangère américaine depuis septembre 2001 –, mais par d’autres voies que celles de l’affirmation et de la manipulation, que lui-même prétend pourtant dénoncer. C’est une chose que de dénoncer les mesures indéniablement liberticides du Patriot Act, mais c’en est une autre que d’affirmer qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001, en s’épanchant dans des livres insipides, écrits en gros caractères (et pourtant vendus à cent mille exemplaires), qui se lisent en à peine une heure, plein d’annexes inutiles et de discours officiels de Bush Jr qui prennent plus de place que la démonstration de l’inexistence de l’avion. Ces livres médiocres auront rapporté une petite fortune à Meyssan. Le complot est un business comme un autre, après tout. D’après les conspirationnistes, ce n’est pas le vol 77 qui s’est écrasé sur le Pentagone. Pourtant, dans leur majorité, les conspirationnistes ne nient pas que l’avion ait bien été détourné. Il faut donc admettre que les instigateurs du complot, après avoir détourné l’appareil, au lieu de le précipiter contre le Pentagone – ce qui aurait été la solution la plus simple – l’auraient fait disparaître (Où ? Dans le Triangle des Bermudes ?) pour lui substituer un drone ou un missile, et ont payé ou manipulé les témoins pour qu’ils déclarent avoir 83


vu l’avion s’écraser sur le bâtiment. Sans compter les passagers : assassinés, ou relogés secrètement et achetés. Franchement, est-ce crédible ? Même si tout ça n’avait été qu’un false flag, pourquoi ne pas avoir réellement écrasé le vol 77 sur le Pentagone ? Pourquoi lui substituer une bombe ou un missile ? Pourquoi s’embêter à faire disparaître les passagers et à acheter des faux témoins ? Pourquoi prendre le risque de se faire attraper ? Une fois encore, tout ça n’a absolument aucun sens. Certains me feront remarquer que j’élude les questions techniques. À ceux-là, je leur réponds : en aucun cas. Quid du « trou » dans la façade prétendument trop petit pour avoir été causé par l’impact d’un Boeing ? La réponse est simple : le « minuscule trou » au premier étage du Pentagone brandi par Meyssan et sa bande est effectivement tout petit, mais l’avion ne s’est tout simplement pas crashé à cet endroit. Non, il s’est crashé au niveau inférieur, quasiment sur le rez-de-chaussée, et les dégâts ont été largement masqués par la fumée avant que la façade ne s’effondre. Les photos existent pourtant, montrant une façade infiniment plus abîmée que ce que voudraient bien nous faire croire les truthers. Ceux-ci rétorqueront que, pour considérables qu’elles soient, ces dégradations ne sont toujours pas assez étendues pour y faire passer un Boeing 757. Je commencerais par leur faire remarquer qu’il serait bien vu de leur part de cesser de mettre en 84


avant les photos du premier étage qui, ils le savent très bien, ne correspondent pas à l’impact direct de l’avion. Ce comportement démontre bien, à lui tout seul, la profonde et continuelle malhonnêteté de leur approche. Ensuite, concernant le fait qu’un Boeing 757 ne pourrait pas « passer » dans les trous visibles au rez-de-chaussée : outre que l’avion n’a pas percuté le bâtiment de face mais de biais, rappelons qu’un avion est composé de matériaux déformables, et qu’avant de pénétrer dans le Pentagone (en béton armé), l’aile et le moteur droit ont percuté un générateur, tandis que le moteur gauche a percuté un muret (tout ceci a laissé des traces visibles sur de nombreuses photos et totalement incompatibles avec la thèse du missile), à plusieurs centaines de kilomètres à l’heure, le tout en étant soumis à l’effet de sol (qui suffit à lui seul à faire ployer les ailes de n’importe quel avion de manière tout à fait significative). Alors, que pensez-vous qu’il arrive dans de telles conditions ? Que l’avion, avec sa carlingue en aluminium et autres matériaux composites, reste rigide et laisse une empreinte bien reconnaissable dans un building en béton armé ? À bien y regarder, seul le bout du bout des ailes ne semble pas « vouloir » rentrer dans le bâtiment – et encore. Et il n’est pas difficile de concevoir que ces parties de la façade, étant infiniment moins « sollicitées », aient pu mieux résister à l’extrémité des ailes, et que celles-ci ne se soient 85


pas présentées selon la silhouette théorique grotesquement rigide présentée par les truthers. Car il faut bien comprendre ceci : un avion, ça se déforme. Et personne ne peut dire dans quel état précis de déformation et d’inclinaison s’est présenté le vol 77 lorsqu’il a commencé à s’encastrer dans la façade du Pentagone. Et personne ne peut dire, a fortiori, une fois la première moitié de l’avion engloutie, comment se sont exactement présentées les ailes contre la façade. Les partisans de la théorie du complot auront noté que je ne souscris pas à la théorie, trop souvent mise en avant, des ailes qui se seraient simplement et bêtement « repliées » le long de la carlingue de l’avion. Cette théorie est en effet grotesque, j’en conviens volontiers. Je ne suis donc pas le « bon petit soldat de la version officielle », étiquette que certains truthers ne manqueront pourtant pas d’essayer de me coller. Je rappelle juste qu’il est totalement stupide de chercher à faire « rentrer » au mètre près une silhouette de Boeing 757 dans la façade du Pentagone. Les dégâts observés, pour peu que l’on veuille bien regarder les bonnes photos, pour peu que l’on accepte que l’on ne soit pas dans un épisode des Looney Tunes, sont tout à fait compatibles avec le crash du vol 77. Et puis, de toute façon, un missile, un drone ou une bombe aurait-il provoqué des dommages plus « compatibles » avec les dégâts observés ? En aucun cas. 86


(Petite parenthèse amusante : certains truthers voient des « trous bizarres » dans la structure intérieure du Pentagone, et débattent de ces sujets à longueur de pages sur les forums conspirationnistes. Seulement voilà : parfois, lesdits « trous » ne sont… que des portes.) Pour en revenir à la théorie du missile, s’il s’était bien agi d’une telle arme, comme ce missile auraitil pu abattre des lampadaires sur une trajectoire précisément large comme – tiens tiens ! – l’envergure d’un Boeing 757 ? Pour contourner ce « léger » problème, certains truthers n’hésitent pas à affirmer que les lampadaires ont été démontés par les membres du complot. Le lecteur jugera du sérieux d’une telle assertion. Les truthers dériveront ensuite sur la vidéo du crash, rendue publique en 2006. La vidéo en question est de très mauvaise qualité, la caméra ne captant que quelques images par seconde. Puisqu’on n’y voit pas grand-chose, les truthers décident que ce n’était pas un avion, mais un missile. Le problème que pose une telle affirmation, c’est qu’elle va un peu vite en besogne : admettons que ce ne soit pas un avion, s’agit-il pour autant forcément d’un missile ? Et si oui, ce missile a-t-il forcément été tiré par le gouvernement américain ? Et si encore oui, ne serait-il pas totalement idiot de la part du gouvernement américain de lancer un missile sur un Pentagone en bord d’autoroute et en pleine heure de pointe pour tenter de faire croire a 87


posteriori qu’il s’agissait d’un avion de ligne ? Ne serait-ce pas une prise de risque aussi démentielle qu’absurde ? Une fois de plus, que certaines personnes puissent se laisser aller à de tels raccourcis et à de telles élucubrations défiant la logique comme un trou noir déchirant l’espacetemps dépasse mon entendement. Mais je ne voudrais pas donner une importance qu’elle ne mérite pas à la théorie du missile. Car, au final, que voit-on sur cette vidéo ? Pas grand-chose, certes – mais est-ce en soi un élément de preuve à charge ? Évidemment non, quoiqu’en disent les truthers. Par ailleurs, les images sont compatibles avec la trajectoire finale de l’avion, notamment par la présence d’un élément triangulaire qui, toutes proportions gardées, semble bien correspondre à la dérive d’un Boeing 757. Les truthers diront alors que si la vidéo est aussi mauvaise, c’est forcément que le gouvernement a quelque chose à cacher. Je dirais plutôt l’inverse : la vidéo ayant été rendue publique en 2006, les commanditaires du complot auraient eu cinq ans pour concevoir une vidéo parfaite avec des trucages de qualité indétectable (rappelons que les truthers prêtent à ces gens-là des moyens et des pouvoirs défiant l’imagination) présentant de manière éclatante (si vous me permettez le jeu de mots) le crash du Boeing sur le Pentagone. Il n’est pas inutile de rappeler que certains truthers prétendent que les vidéos des avions percutant les tours jumelles, visibles le jour même des attentats, ne seraient que des trucages. 88


Dès lors, la piètre qualité de la vidéo de 2006 apparaît d’autant plus comme une preuve que c’est bien un avion qui a percuté le Pentagone ce jourlà. Si le gouvernement américain avait réellement tiré un missile sur le ministère de la Défense, ils auraient « produit » une vidéo beaucoup plus explicite pour tenter de faire taire les rumeurs. Il n’en a rien été. De toute façon, dans la logique des truthers, il y a et il y aura toujours complot : sur une vidéo floue, ils voient un missile, mais si la vidéo avait été nette et avait dévoilé un Boeing, ils auraient hurlé au trucage. C’est ce qu’on appelle un déni de réalité. Il est tout simplement impossible d’avoir une discussion rationnelle dans ces conditions. Il est également à noter que, dans L’Effroyable Imposture et sa suite, Meyssan ne dit pas, lui, qu’aucun avion n’a percuté les tours jumelles. Il se sert même des images des explosions du World Trade Center pour affirmer que c’était bien du kérosène qui était présent dans les tours (via les avions), contrairement, affirme-til, au cas du Pentagone qui aurait été frappé par un missile. Je suppose que les truthers n’en sont pas à une contradiction près, et que, comme lorsque l’on interprète un texte religieux, on ne garde opportunément que ce qui nous intéresse. Quant aux débris, une fois encore, les truthers ne montrent que ce qu’ils veulent bien montrer. Les débris du vol 77 ne sont peut-être pas nombreux, mais ils sont bien visibles sur de nombreuses photos. Les truthers diront alors que ces débris sont 89


« bizarres », et donc que ce sont des « faux », et qu’il n’y en a de toute façon pas assez. Que les débris soient « faux » (sous-entendu : fabriqués) est une affirmation passablement immonde que je ne souhaite pas commenter plus avant. Qu’ils soient peu nombreux est tout à fait logique : le Boeing, majoritairement composé d’aluminium, s’est désintégré en percutant à plusieurs centaines de kilomètres à l’heure un bâtiment en béton armé. Je renvoie les sceptiques à la célèbre vidéo du crash de l’avion de chasse Phantom sur un mur en béton armé : l’avion s’est totalement désintégré. Les travaux de Wilt et Muto ont bien montré, dès la fin des années 1980 et donc bien avant le 11Septembre (et donc pas du tout dans une tentative de justification a posteriori comme seraient certainement tentés de hurler les truthers), que le crash du Boeing sur le Pentagone était tout à fait conforme à ce que l’on était en « droit » d’attendre d’un tel crash. Quant aux éléments « lourds » comme les moteurs, quoiqu’en disent les truthers, ils ont bien été retrouvés. En partie tout au moins. Je dis « en partie », car ce que l’on a retrouvé, ce sont des pièces des compresseurs. Et Dylan Avery, auteur du film Loose Change, de confondre « moteur » et « compresseur » et d’affirmer stupidement que ces « moteurs » sont tout simplement trop petits pour être ceux du Boeing. Qu’ils sont beaux, les chevaliers blancs de la vérité… Il est par ailleurs important de noter que depuis le succès planétaire de son film, Dylan 90


Avery lui-même ne pense plus du tout que les attentats du 11-Septembre auraient été planifiés par les Américains, comme il l’a indiqué dans une interview à Slate en 2011. Les truthers feraient bien de réfléchir aux implications de cette interview (autrement qu’en traitant Avery de « vendu »). Outre les pneus, trains d’atterrissage et autres morceaux de carlingue, il y a un autre type d’éléments qui ne mentent pas : les corps des victimes. Oui, des corps, et pas simplement des traces d’ADN qui auraient été trafiquées par des laboratoires complices, comme tentent systématiquement d’insinuer les truthers. Des corps. Eux aussi, ils auraient été « fabriqués » ? Je ne recommande à personne d’aller voir les photos, parmi les plus insoutenables que l’on puisse imaginer, mais la vérité, c’est qu’on ne parle pas ici de traces moléculaires d’ADN, mais bien de corps démembrés, déchiquetés et carbonisés – et pourtant tristement reconnaissables en tant que restes humains. On pourra toujours croire que le gouvernement américain a aussi truqué ça. Bien sûr. Mais, à ce compte-là, tout est possible. Une fois de plus, je laisserai le lecteur seul juge des possibilités. Il n’est pas possible de faire l’impasse sur les témoignages. Certains n’ont pas vu d’avion. D’autres en ont vu un, mais trop petit. Et Meyssan de signaler – à raison – que les témoignages ne sont pas toujours fiables, citant – toujours à raison – de nombreux mécanismes cognitifs reconnus. 91


Certes. Le problème, c’est que Meyssan ne retient que ce qui l’arrange, car les témoignages de personnes ayant vu le Boeing du vol 77 sont légion. Meyssan démontre donc une fois de plus son peu de goût pour l’honnêteté. Venons-en à la partie auditive des témoignages. Certaines personnes parlent d’un bruit d’avion de chasse – que Meyssan rapproche évidemment immédiatement du bruit d’un missile. Seulement voilà, lui qui ne fait pas confiance aux témoins (sauf lorsque ça l’arrange), oublie un peu vite que tout le monde ne sait pas quel bruit fait un avion de chasse – encore moins à basse altitude, avec le confinement du sol et des bâtiments environnants. Je doute que les témoins des tragiques événements du Pentagone aient tous un jour assisté à une démonstration rapprochée d’avion de chasse. Si tel avait été le cas, il y a fort à parier que les dépositions des témoins n’aient pas eu la même teneur. Et puis, savez-vous qu’un avion de ligne, même à l’arrêt sur le tarmac, cela fait déjà un bruit de dingue ? Alors imaginez à faible altitude, avec le bruit amplifié par le confinement des bâtiments. Car, ne vous en déplaise, chers truthers, un avion de ligne peut voler au ras du sol (je vous renvoie à ce cher YouTube que vous chérissez tant). Pour ce qui est de la trajectoire de l’avion, annoncée comme impossible, et des accélérations annoncées comme fatales, soulignons que les Pilots for Truth s’y sont repris à plusieurs fois dans leurs calculs, et sont rarement tombés d’accord sur les 92


résultats (et que d’autres pilotes et physiciens arrivent à des conclusions totalement différentes). Et puis, je suis désolé pour les Pilots for Truth, dont beaucoup sont sûrement de bonne foi, et je ne prétends pas être pilote, mais en tant qu’ingénieur calcul, je sais qu’un avion peut tout à fait sortir de son enveloppe de vol sans s’autodétruire instantanément, surtout pendant une période brève – on appelle ça les marges de sécurité. Et, des coefficients de sécurité, ce n’est pas ce qui manque en aéronautique. Sans compter que, des avions qui sont sortis de leur domaine de vol sans pour autant exploser, il y en a un petit paquet, l’histoire de l’accidentologie aérienne en est remplie, encore faut-il la connaître et ne pas se limiter à certains éléments pour mieux en occulter d’autres. Et puis, franchement, si le gouvernement, l’armée, la CIA ou le Mossad (ou qui sais-je encore) avait si bien monté son coup, pourquoi diable aurait-il choisi une trajectoire « impossible » ? (En plus de faire tomber les tours de manière « douteuse » et en plus de désigner le « mauvais » coupable.) Meyssan prétend également mettre en lumière les comportements incompréhensibles et contradictoires du FBI, du gouvernement et de la CIA. Mais contradictoire ne veut pas dire conspirationniste. Des investigateurs (comme Fabrizio Calvi dans 11 septembre, la contreenquête) ont démontré qu’il s’agissait tout simplement d’un dramatique problème 93


d’incompétence et de concurrence interservices. On peut voir dans le zèle post-11-Septembre du FBI et de la CIA (preuves qui « tombent du ciel » et inculpations rapides et arbitraires) le comportement fébrile d’un clébard qui sait qu’il a fait une grosse connerie – ne pas avoir su empêcher les attentats alors qu’ils avaient toutes les données à leur disposition depuis l’affaire Bojinka (j’y reviendrai) – et qui espère ne pas se prendre une énorme correction. Les thèses conspirationnistes se nourrissent logiquement des silences assourdissants, de l’ambiguïté et des àpeu-près de la version officielle. Car dans cette affaire, les principales agences fédérales américaines ont failli à un point qui a effectivement de quoi faire vaciller la raison. Seulement, voilà : une somme de mystères ne suffit ni à faire un complot ni à expliquer la marche du monde. Quant au fait que le Pentagone soit inapprochable sans être immédiatement abattu par des missiles sol-air, là encore, je renvoie les truthers vers YouTube, où les vidéos d’avions civils au décollage frôlant le Pentagone sans se faire abattre manu militari sont légion. Le « génie » de Meyssan (car un certain trait de génie il y a effectivement) est de réussir, via un tour de passe-passe, à mettre le lecteur à la place de l’expert : voyez, et jugez. Le bon sens ne ment pas. Le problème avec cette méthode, c’est que, primo, il s’agit surtout de flatter l’ego du lecteur, d’une 94


manière tellement peu subtile que c’en est risible. Secundo, il ne faut jamais oublier que le bon sens ne fait pas toujours bon ménage avec la raison. La réalité ne fait que peu de cas de la façon dont une bande de primates4 l’interprète ; elle est bien souvent contre-intuitive, et il ne suffit pas de regarder quelques photos et quelques vidéos pour pouvoir trancher sur des questions compliquées (j’y reviendrai). C’est pourtant la technique habituelle des truthers. Meyssan, avec son air de ne pas y toucher, oblige tout le monde à se situer par rapport à lui, s’attirant toutes les lumières, alors qu’il n’est rien dans cette affaire. Il n’est pas un expert technique, alors il préfère mettre le lecteur en première ligne, pour mieux lui souffler les réponses, pour mieux insinuer dans son esprit l’idée, désormais bien connue, que tout ce qui arrive a forcément été causé par ceux qui sont susceptibles d’en bénéficier. À qui profite le crime ? On connaît la chanson. Des islamistes kamikazes auraient jeté un avion et ses passagers sur le Pentagone ? Non, c’est trop énorme. Proposons donc une alternative (encore plus énorme, mais ce n’est pas grave) : cela ne pouvait être qu’une opération top-secrète du lobby militaro-industriel américain ou de la CIA pour parvenir, in fine, à une augmentation de leurs budgets. Mais si l’objectif était véritablement de créer un évènement médiatique suffisamment Je m’inclus bien évidemment dans cette « bande de primates », qui réfère tout simplement au genre humain. 4

95


gigantesque pour entraîner l’Amérique et une bonne partie de l’Occident dans une guerre au Moyen-Orient, pourquoi, alors, s’en être pris au QG de l’Armée américaine ? Pour en faire disparaître des documents supposément gênants (c’est la principale explication mise en avant par les truthers) ? Je n’entrerai pas dans les détails abracadabrantesques de cette histoire de documents compromettants. Il suffit juste de rappeler, à toutes fins utiles, qu’il existe d’autres techniques un peu moins voyantes pour détruire du papier : les broyeuses. Un effectif réduit au strict minimum, une opération de nuit, ou un lent étalage dans le temps, et les documents disparaissent bien tranquillement. Mais non, les truthers considèrent manifestement que pulvériser toute une partie du Pentagone est une solution infiniment plus logique. Au sujet des lobbies (celui du complexe militaro-industriel), ne serait-il pas temps de souligner que Meyssan est lui aussi appuyé par des organisations de ce type ? Il est politiquement éminemment incorrect d’en parler, mais je m’en moque : il existe un puissant lobby arabomusulman, qui lutte avec toute la force de ses milliards de pétrodollars contre la politique étrangère américaine – et contre l’Amérique et l’Occident tout court, d’ailleurs (et c’est évidemment leur droit le plus strict que de faire valoir leurs intérêts). Meyssan, avec ses conférences à Abu Dhabi et ses interventions 96


d’une flagornerie confondante sur de nombreuses télévisions du Moyen-Orient, en a évidemment été tout à la fois le bras armé et le bénéficiaire. Les lobbies n’ont certes rien d’illégal, mais il est bon de rappeler qu’il en existe à tous les niveaux et de tous les côtés, et qu’il n’y a aucune raison de se focaliser sur les seuls lobbies favorables au gouvernement américain, comme si les Américains étaient les seuls utilisateurs de ces odieuses techniques de communication. Dans une tentative tout aussi odieuse de ralliement des religieux musulmans, Meyssan a affirmé à de nombreuses reprises que le suicide est une démarche éminemment personnelle, et que les musulmans ne commettent pas d’attentats suicides – et donc que le 11-Septembre ne saurait être une opération suicide perpétrée par des fous de dieu en bande organisée. Cette affirmation est évidemment totalement fausse. Les cas de suicides collectifs sont nombreux et très bien documentés, et les attentats suicides commis par des musulmans sont devenus une triste banalité au Moyen-Orient. De la même manière, Meyssan rappelle que des fanatiques de la religion musulmane ne sont pas le genre de personnes qui traîneraient en boîte de nuit pour se taper des putes et sniffer de la coke (en référence, évidemment, aux comportements éminemment subversifs de certains terroristes). Est-il véritablement nécessaire, pour faire taire Meyssan, de rappeler à quel point l’être humain peut être une créature pleine de contradictions ? 97


La vérité, c’est que Super Meyssan n’a pas débusqué, seul contre tous et dès 2002, une conspiration jacobino-maçonico-illuministe (rayer la mention inutile) visant à construire des pipelines en Irak et en Afghanistan au profit des dirigeants secrets d’un supposé Nouvel Ordre Mondial américano-sioniste. Sa vision délirante de l’Amérique contemporaine fait de Thierry Meyssan un homme aux idées dangereuses, ainsi qu’un adversaire de la République et de la Démocratie. Le fait qu’il soit aujourd’hui l’un des Français les plus reconnus et les plus appréciés dans le monde arabo-musulman après Jacques Chirac et Zinedine Zidane devrait être considéré comme une urgence nationale. Ce jour-là. À travers la fumée, j’ai tenté d’apercevoir le ciel qui, dans mon lointain souvenir, était un magnifique ciel bleu de fin d’été. Mais tout ce que j’ai vu, c’était un ciel noir de cendres, et un train d’atterrissage encastré dans une façade. La ville donnait l’impression d’avoir été bombardée – en fait, elle l’avait été, même si les bombes utilisées n’avaient rien de conventionnel. Abasourdi, je marchai au hasard d’une rue, au milieu des corps et des vêtements. Ce n’était plus une rue d’ailleurs, mais une zone de guerre. 98


Aujourd’hui. Il existe des gens, parmi les truthers, qui pensent qu’aucun avion n’a percuté les tours, et qu’il n’a pourtant pas été nécessaire de produire de fausses vidéos amateurs ni de truquer en temps réel les images de télévision. Ceux-là pensent que les avions – ou, plutôt, ce que l’on a pris pour des avions –, n’étaient que des missiles camouflés en Boeings grâce à une technologie holographique. Je pense que ceux-là ont touché le fond. À théorie débile, question épidermique et stupide : et les jumpers qui se sont écrasés sur le béton pour ne pas mourir carbonisés ? S’agissait-il d’hologrammes également ? Il n’y a pas que la stupidité des truthers qui n’a pas de limites. Leur indécence croise dans les mêmes eaux putrides. Le jour d’après. Affalé sur un banc empoussiéré, dans une ville en état de choc, je repensais à ces moments passés au pied des tours, lorsque je fus assez stupide pour longer les façades, sous cette pluie ininterrompue de poutres et de corps. J’en tremblais encore, mais je me disais que ce à quoi j’avais survécu n’était probablement rien comparé à ce qu’avaient dû 99


endurer les survivants éphémères des étages éventrés par un cutter de la taille d’un avion de ligne. J’essayais d’imaginer ce qu’ils avaient pu vivre, j’essayais de me mettre à la place d’un homme qui commençait sa journée de travail au 100ème étage de la tour Nord, lorsqu’il fut arraché à ses pensées – à propos de sa femme, de ses enfants, du film qu’ils iraient peut-être voir ce soirlà – par une secousse sismique et une tornade de feu le projetant contre un mur, le laissant à demiinconscient. J’essayais d’imaginer la terreur qui avait dû être la sienne, lorsqu’il fut confronté à un choix d’une mortelle simplicité, à savoir entre mourir brûlé vif par le kérosène ou sauter dans le vide seulement pour s’écraser sur le béton troiscents mètres plus bas. En pleurant sur mon banc, en me disant que mon oncle aurait pu être cet homme-là, j’essayais de me figurer les dernières pensées de cet homme à qui la vie fut violemment arrachée, dans une terreur et une confusion absolues. Aujourd’hui. Autre sujet dont les conspirationnistes ne se lassent pas : l’effondrement d’un troisième immeuble ce jour-là, le WTC 7. Il est vrai que ce bâtiment n’a pas été percuté par un avion, contrairement aux tours jumelles. Il est aussi vrai qu’il s’est effondré d’une manière éminemment 100


curieuse. À tel point que les truthers ont récemment lancé de véritables campagnes de « pub » dans quelques grandes villes américaines, avec le slogan suivant : « Did you know a 3rd tower fell on 9/11 ? » (« Saviez-vous qu’une troisième tour s’est effondrée le 11-Septembre ? ») Le fait que, sur ces affiches, la troisième tour en question ne soit pas la bonne, mais un bâtiment beaucoup plus éloigné des tours que ne l’était le WTC 7, en dit long sur leur démarche et leurs approximations. Il est indéniable que le WTC 7 s’est effondré à une vitesse telle qu’il y a quelque chose d’étrange là dedans. On ne peut donc que partager le questionnement des truthers. Maintenant, le WTC 7 a-t-il pour autant été victime d’une démolition contrôlée ? Pour les conspirationnistes, le mobile du crime serait le même que pour le Pentagone : le WTC 7 aurait contenu des archives et autres documents que le gouvernement et la CIA auraient voulu supprimer. Inutile de dire que ma remarque précédente concernant les broyeuses s’applique également à ce bâtiment. Et quand bien même les organisateurs du « complot » auraient choisi de mettre le feu au bâtiment pour détruire des preuves : très bien, mais quel besoin avaient-ils de faire s’effondrer l’immeuble ? Des incendies massifs et éventuellement de l’escamotage de documents pendant la panique n’auraient-ils pas été suffisants ? Bien sûr que si, mais les truthers 101


n’ont une fois de plus strictement rien à faire de la logique. Mon point de vue sur l’effondrement du WTC 7 est moins tranché que pour les tours jumelles et le Pentagone. Contrairement aux truthers, je ne prétends pas détenir la vérité, et je sais où s’arrêtent mes connaissances et mes compétences. Je reconnais bien volontiers pouvoir me tromper. J’apprécierais que les truthers sachent en faire autant de temps en temps. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est pas parce que j’ai du mal à concevoir comment ce bâtiment a pu s’effondrer de la sorte que je devrais automatiquement adhérer à la théorie de la démolition contrôlée. Une fois de plus, ce grand écart (idéo)logique auquel se plient si facilement les truthers m’échappent totalement. N’y aurait-il que deux options possibles en ce bas monde ? La version officielle et la démolition contrôlée ? Évidemment non. Je ne prétendrai pas ici apporter une réponse claire et tranchée sur l’effondrement du WTC 7 – contrairement aux truthers qui, eux, prétendent évidemment connaître LA vérité. Ce que je sais, c’est que le rapport officiel est effectivement peu convaincant, et s’autorise des raccourcis du genre que les truthers eux-mêmes ne renieraient pas. Même James G. Quintiere est réservé sur la question. Qui serais-je donc pour prétendre apporter la lumière ? Je souhaiterais 102


juste faire quelques remarques d’ordre général sur la « logique » conspirationniste. Le WTC 7 s’est effondré d’une façon pour le moins étonnante. Certes. Mais, en même temps, ce n’est pas tous les jours que ce genre de choses arrive et il est bien connu que le moindre écart au quotidien qui nous est cher nous paraît anormal. Il s’agit là d’une conséquence de la façon dont nous avons été façonnés par le mécanisme de l’Évolution : nous avons été « conçus » (ou, pour emprunter une terminologie plus appropriée, nous avons été sélectionnés) pour notre aptitude à reconnaître les similarités (les patterns) qui remplissent notre quotidien. Ancré en nous, nous avons un système empirique de modélisation des lois de la physique, qui nous permet d’anticiper les mouvements, les trajectoires, les sensations, les comportements et interactions du monde qui nous entoure. Cette anticipation ne doit rien au calcul, mais tout à l’interpolation. Incapables de traiter toute l’information mise à notre disposition, nous la simplifions à l’extrême. Et ça marche. Ce stratagème, qui affecte aussi bien notre vision (avez-vous déjà fait l’expérience de votre propre blind spot dans lequel un illusionniste chevronné pourrait cacher un objet de la taille de la Lune?) que la façon dont nous nous mouvons, est d’une redoutable efficacité, disons, 99% du temps. Mais lorsque nous sommes confrontés à un événement inhabituel, pour lequel nous n’avons aucune référence, nous sommes perdus, trompés par nos 103


intuitions qui ne sont que des tentatives de représentation. C’est une des bases de la manipulation et de l’illusion, c’est un champ de recherche à part entière pour les neuroscientifiques. Alors, prétendre d’un événement qu’il est douteux alors qu’il est tout simplement rare, voire inédit (et sans être un spécialiste du domaine dont il dépend), c’est aller un peu vite en besogne. En fait, malgré leur apparent bon sens autoproclamé, les diverses théories du complot entourant le 11-Septembre sont pour la plupart totalement aberrantes : elles dépeignent tour à tour un groupement secret d’Illuminatis parfaitement infaillibles et bénéficiant d’une logistique illimitée mais qui, d’un autre côté, feraient systématiquement des erreurs de parfaits demeurés, façon Dumb & Dumber. Et puis, ce que les truthers omettent souvent de préciser, c’est que même si le WTC 7 n’a pas été frappé par un Boeing, il a tout de même été la « cible » des poutres déjà évoquées, dont le pouvoir destructeur fut considérable, et a été touché par une pluie de débris enflammés. À tel point que le WTC 7 a été la proie de très sévères incendies qui ont fait rage pendant plusieurs heures. Les truthers auront tôt fait de minimiser ces incendies, prétendant, comme toujours, à la vue des flammes et des fumées, que ces incendies étaient « froids » et modestes. J’ai déjà dit ce que je pensais de cette assertion totalement stupide sur le fait qu’un feu de ce type puisse être « froid », 104


quant à l’aspect « modeste » des incendies, je voudrais signaler que les truthers se contentent toujours de ne présenter que la façade non endommagée du bâtiment. Loin de moi l’envie de nier la réalité de ces images. En revanche, je souhaiterais rappeler que les truthers ne montrent toujours que ce qui les arrange, et j’invite le lecteur à rechercher les images et vidéos de la façade opposée qui, elle, a été très sévèrement endommagée. Les truthers se gardent également bien de préciser que l’effondrement du bâtiment s’est opéré en deux temps, l’intérieur de la structure lâchant en premier, s’effondrant à une vitesse déjà beaucoup plus « intuitive », avant de provoquer la chute beaucoup plus rapide de la partie périphérique, que plus rien ne retenait. Entendons-nous bien : les causes de l’effondrement restent pour le moins étranges. C’est indéniable. Quintiere lui-même le reconnaît bien volontiers. Je ne prétends pas savoir ce qu’il s’est passé. Je ne prétends même pas qu’il n’a pas été démoli volontairement. Je souligne juste que les choses ne sont pas aussi simples que ce que les truthers prétendent, du haut de leurs connaissances toutes relatives de la physique et de leurs attitudes odieusement partisanes. J’invite le lecteur à adopter une attitude rationnelle, qui consiste à se poser les bonnes questions (sans accorder plus d’attention qu’elle n’en mérite à notre intuition), qui amène à 105


constater que les réponses apportées par le rapport officiel ne sont certes pas totalement satisfaisantes (et que des compléments techniques doivent donc être fournis), mais que le discours des truthers ne vaut pas mieux, loin s’en faut, car truffé de raccourcis, d’omissions et de manipulations. Partir de l’insuffisance du volet technique de l’enquête officielle pour adhérer immédiatement aux théories du complot serait une faillite totale de la méthode scientifique et de la raison. Vient alors l’« affaire » Larry Silverstein. Richissime (et donc immédiatement suspect) propriétaire des bureaux du World Trade Center, WTC 7 inclus, Silverstein a eu un jour une phrase malheureuse, que les truthers, surtout en France, n’ont eu de cesse d’agiter comme la preuve que le WTC 7 avait été démoli volontairement. Cette petite phrase ne mériterait pas que l’on s’y attarde, si ce n’est pour démontrer à nouveau la totale mauvaise foi des conspirationnistes, ainsi que pour mettre en lumière leur insupportable méthode hypercritique. Alors allons-y. Qu’a dit au juste ce Larry Silverstein ? Reprenons sa phrase : « I remember getting a call from the, er, fire department commander, telling me that they were not sure they were gonna be able to contain the fire, and I said, ‘We’ve had such terrible loss of life, maybe the smartest thing to do is pull it.’ And they made that decision to pull and we watched the building collapse. » 106


Regardons comment on pourrait traduire ce passage : « Je me souviens avoir reçu un appel du, euh, du chef du département des pompiers me disant qu’ils n’étaient pas sûrs qu’ils seraient capables de contenir le feu, et j’ai dit, ‘Nous avons eu tellement de pertes humaines qu’il vaut peutêtre mieux tout arrêter et évacuer.’ Et ils ont pris la décision d’évacuer, et nous avons regardé l’immeuble s’effondrer. » Maintenant, regardons un peu l’interprétation que font les truthers de la réponse de Silverstein au chef du département des pompiers : « Nous avons eu tellement de pertes humaines qu’il vaut peutêtre mieux détruire mon immeuble. » Même si c’était effectivement ce que Silverstein avait voulu dire, il ne serait pas question ici d’un lapsus dévoilant inopinément le complot, mais le choix, face aux événements (et non a priori) de provoquer l’écroulement du bâtiment pour en terminer. En quoi cette petite phrase pourrait-elle signifier que le WTC 7, et les tours jumelles pour ce que ça vaut, auraient été démolis de l’intérieur dans le cadre d’un complot de grande envergure ayant pour objectif l’installation d’un climat de peur pour envahir l’Irak ? Un tel raisonnement est aussi démesuré qu’insensé. Les truthers n’ont commencé à faire mousser le « pull it » qu’un an après l’interview de Silverstein, en tronquant la citation pour la rendre ambiguë, et en ajoutant un commentaire prétendant que « to pull » signifiait « faire exploser » dans le jargon des 107


démolisseurs – ce qui est faux. Le sens de cette expression pour un démolisseur est le suivant : il s’agit d’une technique de traction au moyen de câbles, ce qui n’a rien avoir avec une démolition assistée par explosifs, et qui n’a strictement rien à voir avec ce qu’il s’est passé avec le WTC 7. De toute façon, il est peu probable que Silverstein ait connu cet usage précis de l’expression. Et même s’il le connaissait, il n’y a aucune raison pour qu’il l’ait utilisé dans le contexte d’une conversation avec les pompiers, qu’il cite dans le cadre d’une interview pour un documentaire grand public. La soi-disant ambigüité soulignée par les truthers n’est rien d’autre que le produit d’une double manipulation : retirer les éléments de contexte, et inventer au verbe « to pull » un sens qu’il n’a pas, mais qui pourrait éventuellement sembler crédible dans leur délire fantasmatique, ce qui est une technique conspirationniste classique. Avant cette manipulation des truthers, qui font manifestement feu de tout bois, personne n’avait jamais entendu dans la phrase de Silverstein autre chose que ce qu’elle veut dire dans le contexte du 11 septembre 2001 : « Au vu des terribles pertes humaines que nous avons déjà subies, peut-être qu’il serait plus sage de s’arrêter là et d’évacuer le bâtiment. » (Traduction beaucoup plus libre, mais fidèle au sens de la phrase.) Mention spéciale à « nos » truthers, qui raisonnent en français à partir de traductions 108


tronquées, et dont le niveau à la fois d’anglais et de français se révèle parfois tout simplement abyssal. Et les truthers d’en rajouter une couche, en disant que la phrase n’est pas correcte, même en anglais (une histoire d’accord), et qu’il y a donc fatalement anguille sous roche. En résumé, il serait impensable que Silverstein ait commis une simple faute d’accord, mais il serait bien plus probable qu’il ait avoué, à l’insu de son plein gré si l’on peut dire, le terrible complot duquel il serait partie prenante. Silverstein est en effet décrit par les conspirationnistes comme tellement puissant que les plus grandes compagnies d’assurances mondiales ne seraient comparativement à lui que de misérables entreprises impuissantes, mais en même temps, ce même Silverstein serait incapable, après s’être rendu compte qu’il en aurait trop dit, de bloquer la diffusion d’une interview (qu’il avait accepté de donner) ou même simplement de demander à ce que cette petite phrase soit coupée. Cette toute-puissance à géométrie variable est un plaisir de gourmet. C’est là la marque de fabrique de la méthode hypercritique des conspirationnistes : lorsque l’on est confronté à un truther, on est systématiquement contraint de subir une analyse suspicieuse (et évidemment à charge) des moindres détails de notre raisonnement, même les plus insignifiants (comme, ici, une faute d’accord), dont le but est de disqualifier en bloc la version officielle (ou toute théorie jugée trop proche de la version officielle) 109


en la passant au crible, afin de la rejeter, alors même que les preuves amenées par celle-ci ne sont, elles, en rien négligeables. La méthode hypercritique des conspirationnistes est un processus lourdingue, qui « est à la critique ce que la finasserie est à la finesse », comme l’ont si bien analysé Langlois et Seignobos. Cet excès de critique aboutit toujours, comme l’ignorance, à des méprises, par l’application des procédés de la critique à des cas qui ne les méritent tout simplement pas. Cette méthode profondément malhonnête et stupide est malheureusement quasiment impossible à contrer, notamment sur les forums, dans la mesure où les truthers lancent un très grand nombre d’affirmations péremptoires de ce type, rapides à formuler, qui nécessitent un travail de réfutation considérable – alors qu’il ne s’agit que de détails généralement insignifiants et donc sans réelle portée (une faute d’accord = un complot !). Vient ensuite (autre diversion conspirationniste classique), le fait que certains médias aient annoncé l’effondrement du WTC 7 alors qu’il était encore debout. Pour les truthers, la chose est entendue : si l’information a été diffusée avant la destruction du bâtiment, c’est que l’événement avait été prévu. Il avait donc été planifié. Le complot est donc réel. Ce raisonnement fait totalement l’impasse sur la réalité de la confusion du moment, sur le fait que les pompiers avaient effectivement annoncé que le bâtiment pouvait s’effondrer, et 110


sur la puissance de la course à la primeur du scoop parmi les journalistes. Étant donné le nombre d’informations qui devaient tomber chaque minute, qui n’étaient probablement ni confirmées ni référencées, et vu ce qui avait été dit sur l’état de l’immeuble, rien d’étonnant à ce qu’un journaliste ait mal compris ou relayé une mauvaise information, parce qu’à l’époque des médias tout puissants, il faut informer au plus vite, si possible avant les concurrents, et qu’on ne prend alors pas le temps de vérifier les informations. Exemple similaire : dans l’affaire Merah, combien de fois les chaînes d’information ont-elles annoncé que l’assaut avait été donné alors que ce n’était tout simplement pas le cas ? J’imagine que les truthers français me rétorqueront que – pas de chance pour moi – l’affaire Merah est aussi une machination, ourdie cette fois-ci par la DCRI. Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu. Mais même s’il y avait eu une quelconque « Manipulation Merah », cela n’enlève rien à la force de l’argument : les médias disent souvent n’importe quoi. Quoi qu’il en soit, quel aurait été l’intérêt, pour les conspirateurs, dans l’hypothèse où tous ces effondrements auraient effectivement été planifiés, d’en avertir la presse à l’avance ? Une fois encore, cette absence de logique dans le raisonnement qui fait de l’annonce prématurée de journalistes un 111


élément de preuve en faveur de l’existence d’une machination, me consterne. Ce jour-là. Des personnes hystériques couraient dans tous les sens, certains avaient une serviette mouillée sur la bouche, d’autres avaient les vêtements déchirés, certains avaient du verre dans les cheveux. Un homme titubait, avec du sang partout. Tous étaient couverts de poussière. Des femmes tenaient leurs chaussures à la main et progressaient péniblement dans les débris. Dans la fumée, comme irréelles, voletaient au loin les rayures réfléchissantes et les gilets fluo des pompiers. Aujourd’hui. Je repense souvent à la photographie de Richard Drew, à cette image qui montre la chute d’un corps, seul dans le vide, mais qui a entraîné avec lui toute une nation. Ce corps tête en bas, les bras le long du corps et les jambes à demi repliées, qui semble presque serein en attendant la fin. Plus tard identifié comme étant Jonathan Briley, ce corps seul, découpé à jamais sur l’arrière-plan des tours dans une chute libre d’une beauté terrifiante, pose mille questions. 112


Beaucoup ont mythifié les jumpers, en les présentant comme des hommes rationnels ayant pesé le pour et le contre, qui, quitte à mourir, auraient choisi les moyens de leur fin. Plutôt que de mourir brûlé, ils auraient choisi le grand saut, en un adieu vertical plein de dignité, pour faire triompher une dernière fois leur liberté. Cette interprétation est à la fois belle et rassurante, mais la vérité, c’est que nous ne saurons évidemment jamais ce à quoi les jumpers ont réellement pensé. Il existe une autre version, moins réconfortante, qui laisse entendre que les jumpers furent plus comme des animaux réagissant à l’instinct, l’esprit enfumé, qui ont sauté tout simplement parce qu’il faisait moins chaud à l’extérieur, tout simplement parce que c’était l’unique solution à court terme, n’imprimant aucune signification à leur acte désespéré. Le jour d’après. Manhattan avait trouvé un nouveau maître en la personne de l’Empire State Building, soudain redevenu la plus haute structure du quartier. Je me fis la réflexion que, si les objets étaient doués de conscience, c’était peut-être bien lui le responsable de ce crime qui défiait l’imagination. Peut-être était-ce lui, ce vieil immeuble aigri, qui avait comploté en secret pour mettre à terre ses deux pétasses de voisines prétentieuses qui se la jouaient 113


depuis toutes ces années, ces deux petites putes qui se prétendaient les phares du monde libre, alors qu’elles n’étaient que des châteaux de cartes de crédit. Et puis, je me suis dit que la Statue de la Liberté, sortie curieusement indemne de ces événements, était peut-être bien dans le coup elle aussi. On peut en effet légitimement se demander pourquoi les terroristes ne s’en sont pas pris à elle aussi, tant sa destruction « façon tours jumelles » aurait eu un impact photogénique et symbolique au-delà de ce qui est imaginable. (Peut-être la prochaine fois ?) Quoi qu’il en soit, qui plus qu’elle aurait pu vouloir détruire les deux salopes qui avaient bafoué le symbole triomphant de la Liberté, en la remplaçant par le capitalisme tout puissant, qui avait jeté dans la misère des millions d’immigrés qui avaient eu la naïveté de croire encore au rêve américain ? Il m’apparut comme une évidence que la ville de New-York avait toujours été l’objectif idéal pour un ennemi excédé par un tel mélange d’arrogance et de naïveté. Car il est possible que jamais dans l’Histoire un endroit aussi puissant n’ait été aussi facile à réduire à néant : les tours jumelles étaient comme deux quilles de cristal, frêles objectifs offerts au premier qui aurait eu l’idée de les frapper. L’Amérique avait enfin ses propres ruines, elle qui n’y avait jamais vraiment eu droit jusque-là, et qui, pour l’occasion, avait « fait » les choses en grand. L’Amérique allait enfin pouvoir brandir ce 114


qui lui avait tant manqué, tel un inavouable secret : la blessure du martyre, fantasme devenu réalité, dans lequel elle pourrait enfin se draper et se vautrer, pour exiger le respect éternel, pour justifier chacune de ses lubies, pour renforcer sa seule souveraineté sous prétexte de combattre pour la liberté. On en connaît d’autres qui savent jouer de cette musique avec succès. Aujourd’hui. Enfin, il y a Shanksville, en Pennsylvanie. C’est là que s’est écrasé le vol 93 d’United Airlines, le quatrième vol détourné par les terroristes du 11-Septembre. D’après les truthers, cet avion ne se serait jamais écrasé, ou alors il aurait été abattu par l’armée. Allez savoir. Ce qui est sûr, d’après eux, c’est qu’on nous a menti. Menti sur quoi, au juste, ils ne sont pas vraiment capables de le dire, mais « on nous a menti », c’est sûr. Et ce n’est pas un avion qui s’est écrasé à Shanksville. Une fois de plus, on retrouve là le comportement pathologiquement irrationnel des truthers. Pourquoi, selon eux, le vol 93 ne se serait jamais écrasé à Shanksville ? Parce que le cratère de l’impact dans la terre meuble d’un champ ne ressemblerait pas au cratère d’un crash aérien (selon eux). Les truthers prétendent que le trou est trop petit, qu’on n’y retrouve pas (ou pas assez…) 115


de débris de l’avion, alors qu’on y retrouve (fort opportunément selon eux) de quoi identifier les terroristes et les passagers. Seulement voilà, une fois de plus, ils vont tout simplement trop vite en besogne. Je peux comprendre que l’on se demande comment il est possible de retrouver des papiers d’identité quasiment intacts alors que la majeure partie de l’avion s’est volatilisée. C’est pourtant ce qu’il se passe, systématiquement, dans la dramatique histoire de l’accidentologie aérienne : les avions se désintègrent parfois presque entièrement, laissant pourtant derrière eux des éléments fragiles quasiment intacts. C’est un fait, connu, répété, identifié. Ce phénomène peut s’expliquer de différentes manières, notamment par la façon dont une carlingue se disloque en éjectant différents éléments avant de s’écraser totalement. C’est une question de millisecondes, mais ça suffit. Et quand bien même ce phénomène ne serait toujours pas bien compris et resterait contre-intuitif (c’est effectivement le cas), ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est que cela n’a rien de spécifique au crash du vol 93. Comme je l’ai dit, cela arrive tout le temps. De très nombreux crashs présentent des caractéristiques tout à fait identiques à celles du vol 93, et l’on y retrouve les mêmes choses. Je pense notamment au crash du Tupolev 154 de Caspian Airlines en Iran en juillet 2009, où l’avion s’est désintégré dans un champ, laissant un cratère très semblable à celui de 116


Shanksville, et où, là aussi, des passeports quasiment intacts ont pu être retrouvés. Il est par ailleurs absolument mensonger de dire que le cratère de Shanksville serait « trop petit » et ne pourrait donc pas correspondre au crash d’un Boeing 757. Les photos du site, lorsqu’elles ne sont pas manipulées par les truthers, sont d’une clarté absolue : on y voit clairement l’empreinte du Boeing venu frapper le sol quasiment à la verticale. Les traces laissées par la carlingue, les ailes et la queue sont tout à fait visibles. Et, comme pour le crash de Caspian Airlines, et contrairement à ce que disent les truthers, d’importants morceaux de carlingue ont été retrouvés – ainsi que les boîtes noires. Enfin, contrairement aux allégations des truthers, personne n’a retrouvé de restes de l’avion jusqu’à dix kilomètres du site du crash. Des papiers et d’autres éléments légers, oui. Des éléments lourds de la carlingue, non. Et pourtant, les truthers sont toujours là, à agiter leurs arguments poussifs et mensongers, pour faire triompher la « vérité ». Le problème, pour eux et pour l’avenir de la civilisation, comme l’a écrit le romancier Marc Dugain dans La malédiction d’Edgar, c’est que « le public ne s’intéresse plus à la recherche de la vérité, au mieux il s’en divertit, au pire elle l’ennuie, car il se persuade que la vérité ne lui est pas accessible. À moins que des imposteurs lancent des thèses extravagantes qui flattent la 117


tendance du public au manichéisme et qui caresse sa paresse, le confortant dans l’idée qu’il est la victime d’une minorité machiavélique qui mène le monde. À vouloir se contenter d’une seule vérité, ce qui demande effort et abnégation, on n’accède à aucune. » Voilà le monde dans lequel évoluent les truthers : un monde où ils n’accèdent à aucune vérité, un monde où n’existent que leurs fantasmes. Ce jour-là. Ce mardi 11 septembre 2001, Manhattan devint le point focal de l’humanité. L’immensité de la planète était soudain réduite à deux tours de verre enflammées. Le monde découvrait avec horreur des silhouettes gesticulant à trois-cents mètres du sol avant de se jeter dans le vide, dans la peur du kérosène et le hurlement des sirènes. Cette terreur était accompagnée d’un mélange de stupéfaction et de fascination morbide, devant ce panache noir dans le bleu du ciel, devant ces flammes qui rougeoyaient, comme un symbole de l’apocalypse, empreint d’une splendeur éthérée. Aujourd’hui. Après avoir montré en quoi les théories conspirationnistes ne tiennent manifestement pas 118


la route sur le plan technique des destructions des bâtiments du World Trade Center et du Pentagone et du crash de Shanksville, il me semble important de montrer à quel point ces théories du complot n’ont en réalité rien de spécifique, en détaillant leur mode de fonctionnement général. Comme on va le voir, les théories du complot ont toujours existé et sont un mode de réaction classique du public à des événements de grande ampleur, qu’ils soient traumatiques ou tout simplement historiques. Or, le 11-Septembre cumule justement tout ça : il fut à la fois un événement historique planétaire et un événement absolument traumatisant. En fait, le 11-Septembre fut un événement tout simplement trop énorme pour ne pas avoir droit à sa propre théorie du complot, à l’échelle de ce qu’il fut : titanesque. La vérité est probablement basique : la nation la plus puissante du monde a été fracassée par quelque chose d’aussi simple qu’un avion pénétrant dans une tour. Devant l’ampleur des événements, il est compréhensible que certains aient édifié les théories les plus extravagantes. Car comment dépasser la sidération provoquée par la simplicité des attaques les plus folles de l’histoire des ÉtatsUnis, si ce n’est en expliquant l’inexplicable par d’obscures théories ? Qu’une théorie conspirationniste se soit développée au sujet des attentats du 11-Septembre ne doit pas laisser croire, sous prétexte qu’il n’y aurait « pas de fumée sans feu », qu’il y a 119


forcément quelque chose de « pourri au royaume du Danemark. » Je montrerai par la suite que les théories du complot relatives aux attentats du 11Septembre ne sont qu’une réponse sociétale normale et naturelle, commune à tout événement de grande ampleur, et qu’elles ne méritent absolument pas toute l’attention qu’elles sont parvenues à focaliser – si ce n’est pour les travaux des sociologues et autres spécialistes des théories du complot. Je ne suis pas en train de dire que les théories du complot, en tant que réponse quasiment mécanique du public, doivent être systématiquement considérées comme fausses ou infondées – même si je pense que c’est bien le cas en ce qui concerne 11-Septembre. Pour montrer que je ne suis pas un « anticomplotiste » systématique et primaire, pour montrer que je ne suis pas un défenseur aveugle des théories officielles et que je n’ai aucune sympathie pour les hommes de pouvoir en général et pour les agences de renseignement en particulier, je n’hésiterais pas à aborder un sujet dont la version officielle présentée par le gouvernement américain fut, elle, peut-être, une manipulation montée de toutes pièces. Je veux parler de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. D’après de nombreux investigateurs, la thèse officielle affirmant que Lee Harvey Oswald fut l’assassin du président des États-Unis, ayant agi seul qui plus est, serait un non-sens complet, une 120


escroquerie intellectuelle, qui finira peut-être exposée au grand jour lorsque tous les documents auront été divulgués (la déclassification des derniers documents devrait s’étaler jusqu’en 2017). Cinquante ans après, de nombreux autres investigateurs continuent cependant de défendre la version officielle, notamment Vincent Bugliosi, auteur de Reclaiming History, la plus colossale synthèse et analyse jamais écrite sur l’assassinat de JFK. En lisant les différentes sources, l’esprit va et vient entre les conclusions de la commission Warren et les diverses théories de la conspiration, en un jeu de ping-pong terriblement déstabilisant mais aussi terriblement excitant – le fameux frisson de la conspiration, qui explique en grande partie le succès de ce type de théories. La malédiction qui pèserait sur le clan Kennedy est souvent évoquée pour expliquer la fin tragique du président et de nombreux autres membres de sa famille, mais c’est oublier un peu vite que Joseph Kennedy, le père de John, était un mafieux notoire, et que John et son frère Robert ont grandi dans un milieu d’assassins. Seules leur richesse et leur puissance les ont mis à l’abri pendant un temps, jusqu’à ce que les deux frères aillent tout simplement trop loin (on oublie souvent que Robert aussi fut assassiné, et que le procureur Jim Garrison, persuadé d’un complot au plus haut sommet de l’État et de la CIA, avait prédit ce second assassinat). Kennedy père fut à un moment présidentiable. Il dut renoncer parce qu’il était 121


politiquement « grillé », mais pas seulement. Toujours est-il que lorsque ses deux fous furieux de fils se sont lancés en politique (sous son impulsion), ils l’ont fait en franchissant ostensiblement la ligne rouge, ce qui « conduisait fatalement à leur élimination » d’après le romancier Marc Dugain. Une élimination dans laquelle J. Edgar Hoover, président-fondateur du FBI, aurait possiblement joué un rôle passif. Je n’entrerai pas ici dans les détails de cette sombre histoire, car aussi passionnante soit-elle, ce n’est tout simplement pas le sujet. D’autres l’ont fait, et j’invite le lecteur intéressé à rechercher de ce côté. En revanche, il est intéressant de noter que l’attentat de 1963 contre JFK marque le début de l’emballement du développement des théories sur les conspirations organisées par l’État, et c’est en cela que l’affaire Kennedy a du sens par rapport aux événements du 11 septembre 2001. D’autant plus que le lobby militaro-industriel américain, principal suspect des truthers, était déjà le suspect numéro un non-officiel dans l’affaire JFK. Autre parallèle : les thèses conspirationnistes s’appuient systématiquement – et c’est compréhensible – sur les silences embarrassés, sur les non-dits et autres omissions des commissions d’enquête officielles. Et la commission d’enquête sur les attentats du 11-Septembre fut à certains points de vue tellement bancale et inconsistante – il faut bien le reconnaître –, qu’elle fut surnommée la « Commission des omissions » par de nombreux 122


enquêteurs indépendants. Et cette « Commission des omissions » partage de très nombreux points communs avec la commission Warren chargée de l’affaire Kennedy : arrivée beaucoup trop tard, floue, inutilement complexe et surchargée, minée par les conflits d’intérêts, forcément politiquement correcte, incapable de pointer du doigt les dysfonctionnements au plus haut niveau de l’État et des services d’enquêtes et de renseignements. Pour pousser un peu plus loin le parallèle entre l’affaire JFK et le 11-Septembre, il est également intéressant de s’intéresser au cas du cinéaste Oliver Stone, qui prend clairement parti pour la conspiration d’État dont auraient été victimes les deux frères Kennedy, notamment avec son monumental JFK sorti en 1991. Peu importe que le film de Stone ait depuis été réfuté point par point par des investigateurs comme Bugliosi, ce qui devrait être important pour les truthers, c’est que le film de Stone a fait bouger les lignes comme jamais, allant jusqu’à provoquer la déclassification de documents gouvernementaux et aboutissant même à la promulgation en 1992 d’une loi spécifique à cet assassinat (!). Peu de gens peuvent se prévaloir d’avoir autant œuvré pour la « cause » conspirationniste. Un cinéaste comme Stone est donc prêt à étaler au grand jour une conspiration, pourvue que celle-ci soit un minimum crédible. Et les deux films de Stone, World Trade Center et W., respectivement sortis en 2006 et 2008, portant sur les attentats du 11123


Septembre et la carrière de Bush Jr, n’abordent pas une seule fois le sujet du 11-Septembre sous l’angle de la théorie du complot. Cela ne veut peut-être pas dire grand-chose, mais ça n’est sûrement pas tout à fait anodin non plus. Si les truthers veulent réellement faire bouger les choses, plutôt que de rester entre eux, sur des forums moribonds où ils se font mousser entre convertis, ils feraient mieux de s’inspirer de ceux qui ont su faire avancer ce type de cause, Stone et Garrison en tête. Pour continuer le parallèle entre JFK et 11-Septembre, il est possible d’avancer que la désintégration des tours jumelles a eu un impact équivalent sur le public de 2001 que l’explosion du crâne du président, simplement, ce n’est pas de la chair qui a éclaboussé l’écran ce jour-là comme dans le film amateur d’Abraham Zapruder sur l’assassinat de JFK, mais de la poussière et des torrents d’informations, des torrents qui ne tardèrent pas à donner naissance à la relève de la conspiration. Je suis comme Stone, je veux bien « croire » à une conspiration, si tant est que celle-ci soit crédible, comme dans le cas de l’affaire JFK où, sans être certain du rôle joué par l’État, j’estime celui-ci plausible. Je vais même aller jusqu’à dire une chose qui fera plaisir aux truthers : peut-être que dans quarante ans, je serais un partisan de leurs thèses conspirationnistes, si celles-ci deviennent moins loufoques et que de nouvelles informations apparaissent en leur faveur. Je suis 124


un scientifique et je me plie aux exigences de la logique et de la déduction. J’apprécierais que les truthers en fassent autant et reconnaissent, même du bout des lèvres, qu’il est possible qu’ils se trompent – comme je viens de le faire. Ce n’est malheureusement pas dans leurs habitudes, qui ne doivent pas grande chose à la logique mais bien plutôt à l’idéologie et à la dogmatique. Je suis du côté de ceux qui dénoncent les manigances des services secrets et des élites autoproclamées, je suis du côté de ceux qui veulent donner au peuple les informations dont il a besoin – ainsi que l’éducation nécessaire – pour faire les bons choix et pour empêcher des criminels opportunistes d’accéder ou de se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi je souscris notamment au concept mis en avant par Julian Assange sur l’asymétrie de l’information. Je ne suis pas un spécialiste ni un « fan » d’Assange pour autant. Je ne me focalise par sur les personnes mais sur les concepts. Assange est peut-être bien un pourri, je n’en sais rien et je m’en fiche : il a fait infiniment plus que tous les truthers de pacotille pour dénoncer et faire bouger les gouvernements voyous, pour des cas qui, eux, méritaient d’être mis en lumière, et c’est tout ce qui compte. Qu’un type comme lui, ou comme Edward Snowden (j’y reviendrai), n’ait rien balancé sur un éventuel complot au sujet du 11-Septembre, devrait mettre la puce à l’oreille des truthers. Mais non, ils s’accrochent à leurs idées contre vents et marées, 125


ils s’accrochent à leurs idées non pas parce qu’elles sont crédibles – elles ne le sont pas – mais parce qu’ils veulent y croire, ce qui n’a rien à voir. Dès lors, pour les truthers, si Assange et Snowden n’ont pas révélé la grande machination tant fantasmée, c’est forcément parce qu’ils ont partie liée avec les coupables, ou parce qu’ils ont été achetés, ou parce qu’ils ont été menacés. Qu’il n’y ait tout simplement pas de complot – autre que celui fomenté par Al-Qaïda – n’est tout simplement pas envisageable dans leur esprit qui veut à tout prix que Bush et/ou les Israéliens soient coupables. Être vigilant au sujet de ceux qui nous gouvernent est une nécessité absolue, mais être vigilant ne signifie pas voir des complots à tout bout de champ. Il est certain que, lorsqu’une bombe explose quelque part dans le monde, il faut se demander qui peut en être l’instigateur, et se méfier de la dénonciation trop expresse de coupables. Mais toutes les bombes ne sont pas obligatoirement des false flags comme semblent le penser les truthers. Il serait temps qu’ils comprennent que, parfois, ce sont juste des fous ou des malades qui commettent des attentats, ou bien des embrigadés, ou effectivement des membres d’une conspiration – mais pas toujours dirigée par ceux que l’on croit. Les truthers voient le complot partout, et pour tout. Ils sont persuadés que, tapis dans l’ombre, les membres de la super élite du Nouvel Ordre Mondial conspirent en permanence pour asseoir toujours plus leur 126


domination maléfique sur le monde. Mais cette vision fantasmatique du monde est un pur délire. Il y a cinquante ans déjà, Richard Hofstadter expliquait qu’il y a « bien existé des actes de conspiration au cours de l’Histoire et que ce n’est pas être paranoïaque que de prendre acte de leur présence ». Mais, poursuivait-il en substance, il n’y a pas une différence de degrés mais une différence de nature entre le fait de repérer des complots çà et là dans l’Histoire, et celui d’envisager que l’Histoire puisse avoir pour moteur « une vaste et gigantesque conspiration […] ourdie par des forces démoniaques dotées d’une puissance quasitranscendante. » Des complots, il y a eu et il y en aura toujours, et je serai le premier à admettre que parmi les banquiers et les financiers il y a des groupements et des lobbies qui œuvrent de manière dissimulée (qui conspirent, donc) pour parvenir à leur fin, en faisant pression sur les organismes et les gouvernements pour obtenir des lois ou des passe-droits qui vont dans leur sens. Il est avéré que la CIA (comme pratiquement toutes les agences de ce type) est également à l’origine de multiples complots, généralement sous forme d’assassinats pour renverser ou déstabiliser des gouvernements. Nier l’existence des complots serait tout aussi ridicule que d’en voir partout. Les complots : oui ; le complotisme, non – notamment le complotisme de type « 11Septembre ». Que des groupes de puissants comme Bilderberg se réunissent pour orchestrer 127


une mondialisation économique qui aboutit parfois à de terribles déviances sur le plan éthique, c’est une évidence. Que ces personnes soient des êtres maléfiques qui se réunissent en conclaves occultes et soient systématiquement responsables de tous les maux du monde néolibéral est, en revanche, une absurdité. Que le terme « conspirationniste » soit parfois employé par les puissants pour jeter le discrédit sur leurs opposants est une réalité (certains diront : un peu comme le terme « antisémite »), alors même que lesdits opposants sont souvent des personnes tout à fait rationnelles et qui se font tout simplement spolier. Car, oui, de manière générale, les puissants conspirent pour rester parmi les puissants, les « élites » orchestrent la domination des « faibles ». Ce qui est faux en revanche, c’est la vision paranoïaque et simpliste des complotistes, qui réduisent tous les maux du monde à leur fantasme d’un groupement occulte de type Illuminati qui organiserait en coulisses le Nouvel Ordre Mondial. La réalité, c’est qu’il faut lutter contre les politiques corrompus et les lobbyistes, contre les arrivistes, les opportunistes et les nantis égoïstes, il faut lutter contre la bêtise abrutissante des médias et notamment des chaînes d’information continue, mais il ne faut pas sombrer dans le simplisme ridicule du complotisme.

128


Ce jour-là. La chaleur du soleil et des flammes écrasait le métal et le verre, comme si elle voulait faire ployer les tours. D’ailleurs, je ne le savais pas à ce moment-là, mais c’était précisément ce qui était en train de se passer : les tours ployaient vers leur fin. La panique totale régnait dans les rues. Je m’étais d’abord éloigné des tours, puis j’avais rebroussé chemin, non par courage, non pour affronter la peur, mais par inconscience, par stupidité et par vanité, pour faire face à la mort, pour me dresser devant l’Histoire, quitte à mourir pour la rejoindre, au milieu du béton atomisé et des objets en feu qui chutaient comme des météores annonçant la fin de toutes choses. Et, soudain, la tour Sud gronda. Je levai les yeux, percevant l’imminence de la désintégration, puis le monde se réduisit au grondement et au fracas de la chute. La tour s’effondra sur ellemême, secouant la terre et obscurcissant le ciel. Une masse d’air en furie fut éjectée hors de la tour en sifflant, balayant le parvis, charriant toutes sortes de choses à mesure que nous étions ensevelis par la tornade de poussière et pris pour cibles par des poutres longues de trente mètres qui venaient se ficher dans le sol ou volaient au-dessus de nos têtes avant de finir leur course en fracassant les immeubles environnants. En courant sous la pluie de débris, je maudis les architectes et leur démesure. Leur obsession 129


absurde de la verticalité allait, selon toutes probabilités, tous nous tuer. La secousse, d’ampleur tellurique, fut également un traumatisme de nature ontologique : voir la matière solide se volatiliser de la sorte, être le témoin de la disparition pure et simple d’un gratteciel, cela revenait à expérimenter, jusqu’au fond de ses tripes, l’incommensurable fossé psychologique qui existe entre l’expérience quotidienne que l’on fait de la matière solide et la réalité abstraite du monde atomique ; c’était la rigueur et le tranchant de l’architecture euclidienne assassinée par le nuage probabiliste des fluctuations quantiques. Comme si la poussière virevoltante n’était qu’un nuage d’électrons gravitant autour d’un noyau de protons et de poutres métalliques se prenant pour des quarks en désintégration, comme si la gravité tenait enfin là sa revanche sur la force de destruction atomique. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris que l’Homme n’était rien d’autre qu’une entité quelconque, situé quelque part entre un quark et une galaxie nébuleuse à spirale. Aujourd’hui. On a beaucoup critiqué George W. Bush. Et je dois bien avouer ne pas avoir une grande sympathie pour lui. De sa première élection douteuse en 2000 à sa politique liberticide et 130


guerrière menée de 2001 à 2008, il y a en effet des raisons de ne pas avoir une haute estime de lui. Mais, personnellement, ce qui m’a toujours le plus dérangé avec Bush Jr, c’est son rapport à la religion. Vous allez me dire que je fais peut-être une fixation sur la religion, et que Bush Jr n’était pas foncièrement plus religieux que ses prédécesseurs, mais c’est ainsi. J’assume. Le fait que Bush Jr ait raconté s’être présenté à la présidentielle parce que dieu le lui aurait demandé, je trouvais déjà ça fort de café. Cette absence totale de retenue et de pudeur religieuse, typiquement américaine, m’a toujours frappé. Mais ce genre de déclaration n’est manifestement pas préjudiciable pour un candidat à la présidence des États-Unis d’Amérique. Ce serait même probablement le contraire. Pour nous autres issus de l’Europe laïque, le comportement religieux de l’Amérique reste parfois une énigme. Toujours est-il que, le 14 septembre 2001, lorsque Bush Jr a appelé à la guerre depuis la cathédrale de Washington, je me suis une nouvelle fois dit que pour le président d’un pays où l’Église est censée être séparée de l’État, il poussait le bouchon un peu loin, et que cela ne pouvait rien amener de bon. Ses positions totalement antiscientifiques au sujet de la recherche sur les cellules-souches m’ont également toujours profondément gonflé. Qu’un homme se laisse aveugler par ses présupposés religieux au point 131


d’étouffer tout débat sur ce sujet me semble être un grave manquement à l’éthique. À côté de ça, Bush Jr a toujours dit qu’il parlait à dieu tous les jours, et c’est notamment pour cette raison que les chrétiens américains l’ont toujours beaucoup apprécié. Mais si Bush Jr avait un jour dit qu’il parlait avec dieu au moyen de quelque chose comme, disons, son sèche-cheveux, ces mêmes chrétiens l’auraient pris pour un fou. J’avoue avoir un peu de mal à voir en quoi l’ajout d’un sèche-cheveux dans cette histoire rendrait une discussion avec dieu plus absurde. Mais c’est ainsi. Aux États-Unis, il est considéré comme normal qu’un président en exercice étale la profondeur de sa foi à chaque occasion qui lui est donnée. Je suppose que cela n’est pas prêt de changer. Ce qui ne sera jamais d’aucune aide pour rétablir la paix avec le monde musulman. La religion étant au cœur de l’existence de Bush Jr, il est d’autant plus énervant de l’avoir vu céder au politiquement correct lorsqu’il s’est agi de parler de l’islam. En effet, Bush Jr et quasiment toute la classe politique américaine n’ont pas hésité à déclarer que le terrorisme n’avait rien à voir avec la religion. Ce qui est absurde. Bien que la foi islamique ne conduise heureusement pas mécaniquement à des comportements terroristes – cette idée est en totale contradiction avec la réalité –, le fait que l’on puisse prétendre, au nom de la bien-pensance, que les meurtres perpétrés par les fous d’Allah n’avaient aucuns liens quels 132


qu’ils soient avec l’islam, est pour moi le signe d’un total manque de courage, d’un déni de la réalité et d’une faillite intellectuelle alarmante. Je peux comprendre la volonté de ne pas jeter de l’huile sur le feu, et donc la volonté de ne pas mettre en cause l’islam alors que les ruines du World Trade Center étaient encore fumantes et que l’on n’avait pas terminé le décompte des morts. Mais à partir du moment où c’est très précisément ce qu’a fait Bush Jr dans une cathédrale le 14 septembre 2001 (jeter de l’huile sur le feu), l’argument ne tient pas. Comme l’écrivain Sam Harris l’a fait remarquer à de nombreuses reprises, il faut avoir le courage de dire que, parfois, le respect aveugle réclamé pour les croyances religieuses laisse le champ libre aux extrémistes de toutes confessions. Les chefs religieux doivent comprendre qu’ils ne rendent pas service à leurs coreligionnaires en refusant de voir la réalité en face. Bush Jr n’est pas le seul à avoir commis cet impair. Barack Obama n’a guère été plus prolixe, signe que la classe politique américaine a encore beaucoup de progrès à faire en matière de religion. Dans le même ordre d’idées, un immeuble de quinze étages abritant une mosquée et un centre culturel islamique devrait-il être construit à deux blocs de Ground Zero, comme cela fut envisagé pendant un temps ? Je reprendrai ici de larges parts de l’argumentation développée par Sam Harris. Il s’égare parfois vers certains extrêmes, mais 133


principalement par provocation, et sa conclusion est finalement très mesurée. Ainsi donc, demande Harris, cette mosquée doit-elle être construite ? Se poser la question, c’est déjà y répondre. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait forcément empêcher la construction de la mosquée de Ground Zero. Il n’existe probablement aucun fondement juridique pour s’y opposer – et c’est heureux. Mais il existe néanmoins une marge entre ce qui est légal et ce qui est désirable, ou même simplement décent, et cette marge rend possibles de nombreux projets que l’on pourrait raisonnablement juger offensants. À partir du moment où vous parvenez à réunir les millions de dollars nécessaires, vous avez toujours la possibilité de bâtir au même endroit un sanctuaire dédié à Satan, avec la liste de toutes les victimes impies du 11-Septembre, destinées à l’Enfer. Ou alors, vous pouvez construire un « Institut de la Vérité sur le 11Septembre » au service de la crédulité, du masochisme et de la paranoïa des 16% d’Américains qui, comme les truthers, pensent que le World Trade Center a été intentionnellement détruit par le gouvernement américain. Le NewYork Times considère que cette mosquée pourrait être un « monument à la tolérance ». Il est évident que la tolérance est une valeur pour laquelle nous devons tous militer. D’autant plus que parmi les opposants à cette mosquée, il se trouve des fanatiques d’un autre ordre, des représentants de 134


tout ce qui va de travers dans l’Amérique conservatrice, ainsi que certains Républicains totalement dingues qui n’attendent qu’une chose : voir Sarah Palin devenir la prochaine présidente des États-Unis (notons que Sarah Palin correspond probablement à plusieurs catégories de dingues en même temps). Ces gens ont tort sur à peu près tout ce qui est imaginable, mais ils n’ont peut-être pas tout à fait tort sur l’islam. Dans son discours prenant position pour cette mosquée, Michael Bloomberg, le maire de New-York, a eu le discours suivant (on ne sait trop s’il y croyait luimême) : « Nous trahirions nos valeurs – tout en jouant le jeu de nos ennemis – si nous traitions les musulmans différemment des autres. » Cette déclaration a au moins le mérite d’être presque vraie. Mais il est tout aussi vrai que les musulmans honnêtes et épris de liberté devraient être les premiers à percevoir les différences de degré qui existent chez leurs coreligionnaires. Car aujourd’hui, en 2013, il est difficile de ne pas reconnaître que l’islam est une religion relativement différente des autres. Le défi auquel nous sommes confrontés, musulmans compris, est de trouver la meilleure façon d’atténuer ces différences de degré pour aider l’islam à évoluer au mieux. Il est assez ironique de constater qu’au moment même où les obstacles à la construction de la mosquée de Ground Zero ont semblé se lever à l’été 2010, le gouvernement allemand fermait la mosquée de Hambourg où les terroristes 135


du 11-Septembre s’étaient réunis. Certains musulmans allemands y ont sans doute vu une atteinte à leur liberté religieuse, et on peut les comprendre. Mais après avoir traité cette mosquée comme un monument à la tolérance pendant une décennie, les Allemands ont dû se rendre à l’évidence que cette mosquée était aussi un incubateur à fondamentalisme. Dans son discours, le maire Bloomberg a précisé que son espoir était que cette mosquée aiderait à rapprocher les Newyorkais et contribuerait à répudier l’idée « fausse et répugnante que les attaques du 11-Septembre étaient d’une quelconque manière en accord avec l’islam. » Il s’agit du même Bloomberg qui s’est révélé incapable de condamner publiquement la « succion orale » pratiquée par les rabbins orthodoxes lors du rituel absurde de la circoncision, malgré le fait que cette pratique revienne à un exercice illégal de la médecine qui, de plus, peut répandre l’herpès chez les jeunes enfants, pouvant mener à des lésions cérébrales et à la mort. La tolérance pour la bêtise religieuse est manifestement susceptible de transformer en menteurs et en lâches des gens qui ne devraient pourtant rien avoir à craindre d’un raisonnement honnête. Le projet de mosquée de Ground Zero n’a finalement été supporté que par des politiciens tremblant de peur d’être traités d’islamophobes ou qui y ont vu une occasion de redorer leur blason par un acte contrit de politiquement correct. La première chose que doivent admettre ceux qui 136


connaissent l’islam est qu’il n’est absolument pas évident que les membres d’Al-Qaïda ou de tout autre groupe terroriste musulman aient mal interprété leurs obligations religieuses. S’il s’agit d’« extrémistes » qui ont déformé leur foi d’origine pour en faire un culte de la mort, ils n’ont pas eu besoin de la déformer beaucoup. Lorsqu’on lit le Coran, les Hadiths et les interprétations exprimées au cours de l’Histoire par les juristes musulmans, il apparaît que tuer les apostats, traiter les femmes comme du bétail et mener le djihad – non pas le combat intérieur, spirituel et personnel, mais bien la guerre sainte contre les infidèles – sont des pratiques qui s’avèrent au cœur même de l’islam. Certes, la plupart des musulmans contournent cette folie par le déni. C’est tant mieux et c’est dans cet état d’esprit qu’ils essaient de créer un nouvel islam pacifique, respectueux des femmes et compatible avec la société. Nous ne pouvons bien évidemment que nous en réjouir. Néanmoins, les écritures saintes restent ce qu’elles sont, et nul n’osera jamais en modifier la moindre ligne. Par conséquent, les passages les plus barbares et les plus discriminatoires resteront à jamais susceptibles des interprétations les plus plausibles. Ainsi, quand Allah ordonne à ses disciples de massacrer les infidèles où qu’ils les trouvent jusqu’à la suprématie du règne de l’islam (2:191-193; 4:76; 8:39; 9:123; 47:4; 66:9) – tout en insistant sur le caractère obligatoire d’une telle conquête par la violence, aussi déplaisant que cela 137


puisse être (2:216), et sur la mort dans le djihad en tant que meilleure chose qui puisse arriver à un fidèle compte tenu des récompenses que les martyrs sont censés recevoir au Paradis (3:140171; 4:74; 47:5-6), il ne veut pas dire autre chose que cela. Et, étant le créateur de l’univers, ses paroles sont censées guider les musulmans pour les siècles des siècles. L’Ancien Testament contient certes des atrocités encore plus grandes – mais pour différentes raisons historiques et théologiques, elles engendrent aujourd’hui considérablement moins de violence de la part des juifs et des chrétiens (même s’il est absolument indéniable que les chrétiens ont été impitoyables lors des Croisades). Les apologistes de l’islam tentent de mettre leur foi à l’abri de la critique en accusant leurs détracteurs d’islamophobie. Les musulmans modérés devraient pourtant être les premiers à défendre le droit des intellectuels, des caricaturistes et des écrivains à critiquer l’islam pour en faire une religion à la fois ouverte, moderne et tolérante. Certains ont avancé que le concept d’ « islamophobie » était absurde du point de vue de la langue, car une phobie est définie comme étant une peur irrationnelle. Or, d’un certain point de vue, il n’est pas irrationnel d’avoir peur de quelqu’un qui annonce clairement qu’il veut vous tuer. Je concède bien volontiers que seule une poignée de musulmans tient ce discours meurtrier – mais ce discours n’est pas une invention. Il existe sans doute de vrais islamophobes – c’est-à138


dire des gens qui ont peur des musulmans au seul titre qu’ils sont musulmans, et donc, de manière irrationnelle. Je concède également que l’intolérance et le racisme sont une réalité, qu’il faut absolument combattre. Mais ce n’est pas une forme d’intolérance ou de racisme que d’observer que la doctrine de l’islam est une menace potentielle très particulière pour la société civile. Prétendre que les événements du 11-Septembre n’ont « rien à voir » avec l’islam est un mensonge semeur de confusion, et ceux qui profèrent ces mensonges ne le font que pour la bien-pensance. Les attentats du 11-Septembre ont été perçus comme une victoire de la Vraie Foi par des millions de musulmans à travers le monde, y compris par ceux qui pensent que ces événements sont l’œuvre du Mossad (cherchez l’erreur). Et l’érection d’une mosquée non loin des cendres de cet attentat serait probablement elle aussi vue comme une victoire par un certain nombre de musulmans. Peut-être que ce n’est pas une raison suffisante pour reconsidérer ce projet. Peut-être même que cette mosquée pourrait donner naissance à une nouvelle forme plus modérée de l’islam, ce qui pourrait s’avérer une meilleure issue que de ne pas construire la mosquée. Ce qui amène Sam Harris, après de nombreux méandres dans la réflexion, à la conclusion paradoxale suivante : les musulmans américains doivent évidemment être libres d’ériger cette mosquée de Ground Zero, mais ce ne sont probablement pas 139


ceux qui devraient l’ériger qui en ont l’envie. Ce débat a fait rage au cours de l’été 2010 et, aujourd’hui, après de multiples rebondissements, la construction de cette mosquée semble compromise. D’après certaines sources, toute cette histoire n’aurait été qu’un écran de fumée pour lever des fonds. Des promoteurs immobiliers en déroute, des hommes d’affaires endettés et des propriétaires de taudis auraient monté ce projet qui n’aurait jamais obtenu les permis requis en temps normal, n’eût été ce contexte particulier. Il s’agirait donc de l’histoire presque tristement banale de gens corrompus qui auraient cherché à exploiter un système de privilèges spéciaux dans lequel la peur d’être traité de raciste ou d’islamophobe l’emporte sur le respect des lois, en espérant profiter du manque de courage des dirigeants devant la pression de l’opinion et des médias. Ce jour-là. Lorsque la tour Sud nous est tombée dessus, avec ses étages de deux-mille-cinq-cents tonnes tombant en rafales, tout le monde courait dans tous les sens, alors que la mort pleuvait du ciel, en morceaux humains crachés par le magma incandescent de la tour blessée. Dans cet indescriptible chaos, beaucoup tombèrent et furent piétinés, sans animosité, mais sans pitié. 140


Beaucoup moururent, aussi, frappés par des débris. Je crois que si j’avais eu la foi, je l’aurais perdue après ça. Dans ma course effrénée pour sortir de la tornade, j’ai vu un homme paniqué s’abriter sous une camionnette, juste avant que celle-ci, écrasée sous une pluie de béton, ne soit réduite en miettes. Aujourd’hui. Pourquoi les théories du complot sont-elles populaires ? Tout simplement parce qu’elles sont vraies, diront naturellement les truthers. Je m’inscris bien évidemment en faux par rapport à ces allégations. En réalité, le relatif succès public de ces théories peut s’expliquer de manière rationnelle, et tient à plusieurs raisons. Premièrement, il est indéniable qu’elles sont excitantes : il existe une sorte d’instinct naturel chez l’humain à fantasmer sur tout ce qui est caché. Les théories du complot nous invitent à redécouvrir l’Histoire (le 11-Septembre, la conquête de la Lune, l’assassinat de JFK, etc.), elles nous expliquent que l’on nous a menti, et que la réalité est là, juste là, accessible, enfin, et ce malgré la volonté d’opacité des élites dirigeantes. Comme dans tout bon polar, la découverte d’une machination et d’un coupable est toujours accompagnée du frisson de la révélation. Cette 141


explication est peut-être simpliste, mais elle est bien réelle. Deuxièmement, il y a quelque chose de réconfortant dans la recherche de la vérité qui serait forcément cachée. En effet, si des évènements horribles peuvent être attribués à une cabale de personnages infâmes contrôlant le monde dans les coulisses, c’est, dans un sens, moins effrayant que si des choses terribles se produisent au hasard ou peuvent être attribués à un nigaud solitaire. C’est intimement lié au sentiment d’impuissance face à la marche du monde, à la sensation d’être dépossédé de son autonomie par une classe dirigeante. L’existence d’une cabale secrète signifie que le monde est ordonné ; un coup du hasard avec des conséquences catastrophiques suggère la victoire du chaos, soit l’essence même de ce qui nous effraie. Un vieil adage anglais dit que « les grandes portes tournent parfois sur de petites charnières. » L’assassinat de JFK fut effectivement une grande porte alors que Lee Harvey Oswald ne fut qu’une petite charnière ridicule. De la même manière, le 11-Septembre fut une porte gigantesque (à ce niveau, je suppose que l’on peut même presque parler de Stargate – la fameuse porte vers les étoiles) alors que les cutters des terroristes ne furent que de misérables charnières. L’écart entre les causes et les conséquences est parfois tellement grand qu’il en devient totalement inconcevable pour l’esprit humain qui, désemparé, se met à chercher frénétiquement (et souvent inconsciemment) n’importe quelle « issue de 142


secours » qu’il estimera plus logique – alors que la vérité est juste là, sous ses yeux. Ensuite, en faisant mine de nous mettre dans la confidence, en nous exposant les coulisses dont la majorité des gens serait privée, les théories du complot flattent notre ego, elles nous font croire que l’on accède à une certaine catégorie de privilégiés. Selon le milieu social, ce mécanisme peut se révéler très puissant, par exemple en conférant un sentiment de revanche – souvent inconscient – aux laissés-pour-compte ou aux incultes. Ce dernier point ne doit pas être interprété de manière péjorative ; il s’agit juste de mettre en lumière une certaine réalité : pour certaines personnes, seule une version simplifiée de l’Histoire peut avoir du sens et devenir intelligible, et dans ce domaine les thèses conspirationnistes battent la réalité géopolitique à plate couture. D’amalgames en raccourcis, de simplifications en oublis, de manipulations en falsifications, les théories conspirationnistes parviennent à inventer une histoire parallèle, infiniment plus simple que la réalité qu’elles prétendent expliquer. Excitantes et faciles d’accès, surfant sur les tendances et expertes dans l’art d’aller chercher et soulager les esprits revanchards, les thèses conspirationnistes sont quasimécaniquement appelées à prospérer, comme l’a résumé Pierre-André Taguieff : « Rien n’est plus facile que de se laisser guider par des idées simples. La vision du complot […] produit une 143


compréhension illusoire de la politique mondiale, réduite aux avatars d’un dualisme manichéen, dont le simplisme est par lui-même attrayant. » Comme l’a noté Alain de Benoist, l’esprit conspirationniste relève simplement d’une flemme de la pensée, d’un besoin d’éradiquer la complexité du monde en la réduisant à des individus qui tirent les ficelles en coulisses. La théorie du complot est celle de l’idiot qui, s’imaginant esclave, se cherchent des maîtres sur qui rejeter la faute de son mal-être. La théorie du complot n’est pas autre chose qu’un mode de pensée qui consiste à attribuer à tel ou tel groupe d’individus des pouvoirs qu’ils n’ont pas, à les soupçonner d’être derrière des événements avec lesquels ils n’ont rien à voir, à les accuser de se concerter secrètement, d’avoir des plans cachés et des intentions dissimulées. En fait, selon les truthers et autres complotistes, l’Amérique n’est rien d’autre que l’incarnation du Mal fasciste, elle veut conquérir le monde en commençant par le monde arabe. Elle est assoiffée de sang et d’or, et est dirigée en sous-main par Israël, l’industrie militaire et pétrolière et la finance. Cette formule conspirationniste a de l’avenir, tant elle conforte le désir de chacun d’être plus intelligent que l’autre et de ne pas passer pour un gogo, tant elle promet de nous révéler les mécaniques invisibles qui régissent le monde. Les thèses conspirationnistes permettent tout cela et même plus, car les « vérités » qu’elles proposent ne requièrent aucun effort intellectuel, contrairement à la véritable 144


éducation (qui ne saurait se résumer à YouTube). En fait, un conspirationniste préfère dire et lire ce qu’il souhaite être réel, plutôt que d’arpenter les rivages escarpés de la vérité, au prix de la difficulté d’un véritable apprentissage des rouages de la géopolitique et des lois de la physique. La génération Internet est la première victime de ce mode de fonctionnement de la pensée. Car avec Google, le Savoir et la Vérité semblent à portée de clic, à tel point que certains s’imaginent capables de « s’auto-éduquer » ainsi plutôt qu’au travers d’années en école, dans les bibliothèques ou à l’université – dangereuse illusion. Soyons clairs : une vidéo YouTube, un « article » conspirationniste ou une page Wikipédia ne remplaceront jamais les cinq ou huit années d’études nécessaires pour devenir, par exemple, ingénieur en calcul de structures ou docteur en physique des particules. Contrairement à ce que l’on a pu dire, Internet n’est pas forcément l’outil de libération de la pensée que certains voudraient dépeindre ; c’est aussi une source de danger. Il est par exemple aussi consternant que désespérant de constater qu’Internet propose mille fois plus de pages sur les conspirations Illuminati que sur la théorie de la relativité et que, à chaque minute, ce sont plus de soixante-dix heures de vidéos absconses qui sont chargées sur YouTube. Avec les smartphones, l’intégralité du savoir de l’Humanité nous est désormais accessible à tous, au creux de notre main. Et pourtant, ce n’est pas le savoir, la 145


clairvoyance, la liberté ou la sagesse qui triomphent, mais bien plutôt le porno, les vidéos débiles, les rumeurs people et les conspirations en tous genres – parmi lesquelles les Illuminati et les Truth Movements. Il sera en effet toujours plus simple de regarder une vidéo qui nous excite (sexuellement ou « intellectuellement ») que d’assimiler les fondements véritables d’une discipline. Que l’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne suis pas en train de prétendre que les idées conspirationnistes sont forcément forgées par des abrutis à destination de simplets, je dis juste que cet aspect de la réalité ne doit pas être négligé dans une tentative d’explication globale du thème de la conspiration mondiale. Par ailleurs, au-delà de leur simplicité, les théories du complot excellent par leur pouvoir (prétendument) explicatif. Les conspirationnistes ne laissent aucune place au hasard et à la contingence, à la chance et à la malchance, dont l’Histoire réelle est pourtant tributaire. De fait, les théories du complot, en plus d’être faciles à comprendre, sont souvent « capables » de tout expliquer, alors qu’un véritable historien doit souvent se contenter de proposer une explication aussi complexe que partielle. La « complétude » des théories du complot face aux blancs muets de l’Histoire réelle peut, dès lors, apparaître comme un gage de « vérité » : en sciences, une théorie doit être jugée à l’aune de son pouvoir explicatif. Dès 146


lors, une théorie dans laquelle tout est expliqué peut légitimement sembler supérieure à une théorie reposant partiellement sur le hasard et contenant des vides. Seulement voilà : l’Histoire n’est pas une science dure qui devrait se plier à la rigueur des mathématiques ou de la physique. C’est par ailleurs un acte d’humilité et non pas d’incompétence que de reconnaître ne pas être capable de tout expliquer. C’est aussi un gage d’ancrage dans la réalité que de reconnaître le rôle du hasard et de la contingence dans le mélange des causes multiples et souvent antagonistes de l’Histoire. Il est cependant indéniable que le pouvoir explicatif apparemment supérieur des théories du complot joue en leur faveur. Une autre explication au succès des théories du complot est que, de manière générale, et souvent de manière inconsciente, le mystère fait peur. Aussi, lorsque l’Histoire apparaît obscure, incomplète, incertaine et complexe, elle peut être génératrice d’une certaine forme de malaise – alors qu’une explication simple et totale s’avère généralement plus rassurante (répétons-le : ces effets peuvent être largement inconscients). Je ne dis pas que les adeptes des théories du complot sont des abrutis effrayés cherchant le réconfort dans les bras de maman-conspiration. Je sais que les truthers ne manqueront pas de tenter de me ridiculiser en dressant une telle caricature mais, justement, une exposition aussi simpliste de mes propos ne serait rien d’autre qu’une caricature. 147


Enfin, d’un point de vue cognitif, les thèses conspirationnistes peuvent sembler plus crédibles car elles parviennent à donner l’impression qu’elles sont capables de mettre en place toutes les pièces d’un puzzle, faisant s’évaporer les zones d’ombre et les mystères les uns après les autres, pour laisser place à une théorie globale, apparemment consistante et uniformisée, à même de dégager l’horizon de toute question. Cette vision est évidemment plus facile à accepter cognitivement qu’une théorie incomplète faite de trous et de blancs car, inconsciemment, le cerveau compare deux systèmes explicatifs et il a a priori tout intérêt à choisir le plus complet – c’est une attitude généralement rationnelle qui a permis à nos ancêtres de sauver leur peau à d’innombrables reprises et qui, par le biais des mécanismes de l’évolution, s’est retrouvée profondément ancrée en nous. Comme l’a démontré maintes fois la biologie évolutive, notre histoire faite de mutations aléatoires sélectionnées par la pression de l’environnement nous a « conçus » pour chercher des modèles et des logiques, faisant triompher le « faux positif », car celui-ci s’est souvent avéré efficace pour notre survie – quitte à induire d’incessantes erreurs d’interprétation. Nous sommes ainsi « conçus » pour voir des logiques là où il n’y en pas forcément. Nous sommes biologiquement enclins à vouloir donner du sens à ce qui n’est souvent que du bruit statistiquement non-significatif. Notre penchant 148


pour les complots, les conspirations et le sens caché est donc tout ce qu’il y a de plus naturel. Et une fois qu’un conspirateur a « choisi » son camp, il ne choisit plus ses informations que sur ces seules bases : c’est ce que l’on appelle le phénomène du « biais de confirmation », qui incite à sélectionner les données justifiant un a priori en éliminant ou en oubliant les données jugées contradictoires. Ce faisant, il est facile de se convaincre sans trop d’efforts de l’existence de coïncidences extraordinaires et de hasards programmés. Dès lors, tout peut être lié à tout, et le truther en arrive à justifier des alliances là où ne se trouvent que de simples erreurs de raisonnement. Excité par ce qu’il découvre, le truther s’enferme dans une logique où n’existe plus que l’information conspirationniste – généralement faite de sites Internet hideux et de vidéos YouTube racoleuses. Trop heureux d’aller plus loin dans le complot, grisé par le sentiment d’une connaissance qu’il imagine privilégiée, le conspirationniste lambda se délecte de toutes les « données » allant dans son sens, excluant consciemment ou non les éléments contradictoires. Se découvrant enquêteur « humaniste militant », il tweete à tout-va, poste des statuts Facebook idoines et prend du plaisir à « prêcher » ce qu’il estime être la bonne parole. La recherche du dernier scoop conspirationniste devient un hobby, la reprise d’un de ses statuts devient une récompense, un re-tweet devient une 149


consécration. C’est un fait sociologiquement avéré que certains truthers donnent un sens à leur existence grâce à la conspiration. J’imagine que mes futurs contradicteurs essaieront de me retourner la faveur ; ils essaieront de me dépeindre comme un inspecteur de pacotille qui ignore volontairement leurs arguments « béton », ils me décriront comme un looser tout juste bon à s’enorgueillir de taper sur leurs moins bons éléments (eux-mêmes reconnaissent avoir quelques fous furieux pathologiques et incultes dans leurs rangs). Ainsi soit-il, qu’ils me traitent de la façon qu’il leur siéra le mieux. Je n’écris pas pour eux, mais pour les autres. Une nouvelle fois, ce sera au lecteur de juger – notamment en étudiant ma bibliographie. Ce sera au lecteur de juger qui, de moi ou du truther, aura fait l’effort d’étudier les thèses de l’autre, et qui se sera montré le plus rationnel dans la synthèse qu’il aura essayé d’en tirer. Ainsi, à partir de ces différents niveaux d’explication, il n’est pas difficile de comprendre le succès des théories du complot, qui doit beaucoup plus à nos modes de fonctionnement biologiques et sociologiques qu’à leurs fondements théoriques et idéologiques. Ce n’est donc pas parce qu’une théorie du complot connaît un certain succès qu’elle a une chance d’être vraie – son succès et sa véracité étant situés sur deux plans totalement décorrélés du point de vue de la causalité. 150


Ce jour-là. N’en pouvant plus, terrifié, les poumons saturés de particules de béton, je me suis planqué derrière un muret, espérant ne pas finir comme mon compagnon d’infortune écrasé sous sa camionnette. J’ai attendu ce qui me sembla être une éternité, jusqu’à ce que la terre s’arrête de gronder, et jusqu’à ce que le gros des poussières soit retombé. Alors, content d’être en vie, hagard, je me suis relevé. Un autre homme, couvert de cendres comme moi et semblant tout droit issu de la catastrophe de Pompéi, gisait de l’autre côté du muret. J’étais sûr qu’il était mort, jusqu’à ce qu’un autre homme, le visage protégé par un foulard humide, ne vienne l’aider à se relever. J’ai levé les yeux au ciel. Le nuage au-dessus de Manhattan m’évoquait l’explosion d’une bombe atomique. Le beau ciel bleu de cette matinée s’était transformé en un nuage de débris sur le sol, comme si le ciel nous était tombé sur la tête. Quelque chose m’a soudainement arraché à mes pensées. Quelque chose d’humide, qui était venu se presser contre moi. Paniqué à l’idée de découvrir un autre corps ensanglanté, je me suis retourné. C’était Andy. Le chien. Je l’avais totalement oublié. À quel instant avais-je bien pu le lâcher, à quel moment de terreur l’avais-je abandonné ? Et 151


comment m’avait-il retrouvé ? Je n’aurais su le dire. Il était calme, couvert de sang et de poussière, et me regardait avec des yeux tristes. Lentement, je lui ai lavé la tête, les oreilles et la truffe avec une bouteille d’eau tendue par un passant. Je l’ai serré dans mes bras, longuement, en sanglotant, pendant qu’il nettoyait mes coupures en me léchant. C’est alors que la terre a tremblé de nouveau. Des hurlements de terreur se joignirent au fracas du béton et de l’acier. Tout le monde comprit que la deuxième tour avait rejoint la première. Pour la première et dernière fois de ma vie, en serrant fiévreusement mon chien, je me suis senti Américain. Et j’ai ressenti dans ma chair la fin d’un monde, l’effondrement des États-Unis d’Amérique. Aujourd’hui. Quand j’y repense – et j’y repense souvent –, j’ai toujours du mal à accepter qu’une vingtaine de cutters à cinq dollars aient bien pu désintégrer une telle quantité de génie civil, créant deux millions de tonnes de gravats et faisant partir un milliard de dollars en fumée. La réponse est simple, pourtant : le capitalisme et la liberté. Il n’en fallait pas beaucoup plus, peutêtre une simple touche de naïveté. 152


L’Amérique était prenable, voilà la vérité. Ouverte aux quatre vents, laissant les biens et les personnes circuler, munie d’un dense et frénétique réseau aérien, ainsi que d’agences de renseignement surannées, c’était écrit : l’Amérique devait bien un jour s’y blesser. Ce jour-là. Des étés, je n’en avais connu que dix-neuf, et quand la deuxième tour est tombée, j’ai bien cru ne pas en connaître davantage. Je me suis dit qu’après avoir survécu à la chute des tours, j’allais bêtement mourir étouffé. En progressant dans les rues noires de cendres et d’où toute lumière solaire semblait avoir disparu, je toussais et suffoquais. La poudre des structures atomisées retombait lentement, comme la première neige de l’hiver, faisant disparaître les corps sous un linceul de cendres. Je progressais lentement dans la nuit. Quelqu’un a hurlé. Je ne me suis pas retourné. Une autre personne a essayé de répondre. J’ai continué. À un croisement, un commerçant offrait des bouteilles d’eau minérale, ainsi qu’un jet d’eau pour se laver. J’ai fait la queue, patiemment. J’ai pris une bouteille, et je me suis rincé le visage après avoir lavé mon chien. Puis j’ai tendu le jet à mon voisin. 153


Aujourd’hui. Et le pire, c’est que tout cela va se reproduire. De nouveaux attentats seront commis, et la théorie de la conspiration continuera d’exister. Telle une tumeur, cette créature devenue folle absorbera sans difficultés les tragédies à venir, les digèrera pour n’en garder que les éléments les plus simples, pour bâtir une théorie étendue, à la fois basique, immonde et dangereuse. Mais je souhaiterais faire une brève pause avec l’aspect conspirationniste du 11-Septembre, pour revenir dans le monde réel. Et pour parler de la probabilité de futurs attentats du type de ceux qui ont eu lieu ce jour-là – voire d’attentats d’un tout autre genre, beaucoup plus terrifiants, dont la question n’est malheureusement pas de savoir si ils vont se produire, mais plutôt quand. Comme on l’a vu, la CIA s’est révélée d’une incompétence absolue dans la prévision des attentats du 11-Septembre. Je ne reviendrai que sur un point, de détail certes, mais qui permettra de mieux mettre en lumière la probabilité d’occurrence de ce nouveau type d’attentats. En 1996, un analyste de la CIA du nom de Russ Travers avait écrit un article d’une lucidité visionnaire, voire prophétique : The Coming Intelligence Failure (La faillite à venir du Renseignement). Travers y expliquait, en substance, que la CIA était à ce point incompétente, désorganisée et minée par ses conflits intérieurs, que l’échec était 154


inévitable. Et au vu des menaces qui ont toujours pesé sur l’Amérique, les conséquences de cet échec ne pouvaient être que maximales. En cette année 1996, donc, Travers écrivait : « Dans la perspective de 2001, l’échec est inévitable. » Il disait que la CIA aurait toutes les données nécessaires à la réussite de ses missions, mais qu’elle ne serait plus en mesure d’analyser ces données. La CIA était devenue une machine à collecter, mais incapable d’exploiter. Travers expliquait que, dans ce brouillard de renseignements incompris, la CIA ne pourrait empêcher une catastrophe de se produire. Et chacun sait ce qu’il est advenu en 2001. Travers disait que la CIA était comme le personnel du Titanic, très efficace pour aligner bien proprement les transats sur le pont, mais incapable de voir ou d’éviter l’iceberg. Le fait que la CIA ait laissé Travers publier cet article montre une certaine ouverture d’esprit. Le fait que rien n’ait été initié par l’agence pour tenter d’enrayer les prévisions de Travers n’a rien d’étonnant. Trop de rapports sont publiés chaque année, souvent contradictoires. Ajoutez à cela que la CIA est une organisation politisée et de grande taille : aucune réactivité ne peut en être attendue sans un choc traumatique d’exception. Puis, les attentats du 11-Septembre ont eu lieu. La CIA en est ressortie atomisée. Le choc traumatique s’était produit. En conséquence, certaines choses ont changé. Malheureusement, les 155


changements se sont opérés à la marge, ou alors de manière totalement irrationnelle, et basés sur des analyses passéistes incapables d’entrevoir l’avenir, même immédiat. Douze ans après, Nathan Myhrvold, personnage éclectique totalement indépendant de la CIA, dresse un tableau alarmant de la situation du Renseignement aux États-Unis, dans un article intitulé Strategic Terrorism – A Call to Action (Terrorisme Stratégique – Un Appel à l’Action). Le ton de cet article rappelle celui de Travers, l’analyse est dans la continuité, les prévisions sont du même type. Ce qui a changé, c’est la technologie. La biotechnologie moderne pour être plus précis (biologie moléculaire, ingénierie génétique et génomique), qui fait qu’un simple individu peut désormais accéder à des armes aussi létales – voire plus – que n’importe lequel des plus grands pays du monde. Le temps de la Guerre froide où seuls quelques pays maîtrisaient l’arme absolue – le feu nucléaire – est totalement révolu. Et peu de dirigeants l’ont compris (ou accepté, ce qui revient au même dans la pratique). Voyant que de nombreux analystes chevronnés en venaient aux mêmes conclusions dramatiques mais sans jamais être écoutés par les puissants, Nathan Myhrvold a décidé de mettre son incroyable mais discrète influence dans la balance (milliardaire, Myhrvold est l’ancien directeur des systèmes d’information de Microsoft et est à la tête d’Intellectual Ventures, une des plus grandes banques de brevets du monde, et s’avère 156


être un pur génie scientifique). Son rapport, diffusé par Lawfare – éditeur influent dans le monde de la sécurité nationale –, est parvenu dans les mains des puissants à Washington. Myhrvold a été convoqué. Son « appel à l’action » a été lu. Sera-t-il suivi ? L’Histoire indique que nous avons malheureusement toutes les raisons d’en douter. Il n’est cependant pas inutile de dresser les grandes lignes de son analyse, qui est facile à comprendre, et sûrement vraie : les États-Unis focalisent absolument tous leurs efforts pour empêcher quelques personnes de faire exploser un avion en faisant trois-cents victimes (au « mieux » trois mille si les terroristes parviennent à faire tomber une tour comme le 11 septembre 2001) plutôt que d’essayer d’arrêter un homme qui peut relâcher un agent bactériologique pouvant tuer des millions de personnes. Car cette possibilité existe. Elle est même plus que probable. Le fait que cela ne soit pas encore arrivé, malgré quelques tentatives (les attentats dans le métro de Tokyo en 1995 par exemple), ne doit pas laisser croire que la chose est improbable. C’est malheureusement comme cela que raisonne la CIA : elle conduit en marche arrière en regardant son rétroviseur, plutôt que d’aller de l’avant en profitant du grand-angle du pare-brise. Myhrvold prédit un attentat bactériologique de grande ampleur – susceptible de tuer plusieurs millions de personnes – dans les dix ans à venir. Alors, bien sûr, ce n’est pas parce que le papier de Myhrvold ressemble à celui de 157


Travers, et que ce-dernier a vu ses prédictions se réaliser, que la catastrophe annoncée aura forcément lieu. Pour autant, l’analyse de Myhrvold est très largement considérée comme correcte, car elle transpire le bon sens. Il n’y a donc aucune raison de ne pas suivre au moins les grandes lignes de ses directives, c’est-à-dire de scinder le Renseignement contre-terroriste en, au moins, deux entités : une dédiée à ce qu’il appelle le terrorisme « tactique » de type 11-Septembre et une dédiée à ce qu’il appelle le terrorisme « stratégique » de beaucoup plus grande ampleur. Myhrvold explique que cette séparation existe pratiquement partout, et s’appuie notamment sur le mode de fonctionnement de l’Armée, où les différentes menaces sont traitées par des équipes dédiées car nécessitant des compétences spécifiquement différentes – le tout devant bien évidemment être coordonné à un niveau supérieur. Myhrvold démontre qu’aujourd’hui la CIA ne se soucie quasiment que du terrorisme tactique, et que le terrorisme stratégique ne fait l’objet de quasiment aucune attention. Il conclut, devant la facilité nouvelle d’accès ou de fabrication d’agents pathogènes terrifiants, à une nouvelle faillite totale du système de défense américain. La CIA n’a pas su, dit-il, passer de la Guerre froide symétrique à la guerre actuelle contre le terrorisme, qui est totalement asymétrique. Et il souligne le fait que cette asymétrie se renforce chaque jour avec la technologie, et que l’on est 158


passé de conflits nation-nation à des conflits nation-faction avant d’en arriver aujourd’hui à des conflits nation-individu. L’asymétrie se creuse, et explique qu’une nation certes surarmée ne puisse rien faire contre une menace dont les contours physiques sont inexistants ou mouvants, car potentiellement constituée d’une simple poignée d’individus résidant sur son propre territoire et profitant à fond de leurs libertés individuelles et des progrès technologiques pour acquérir, produire et diffuser des agents pathogènes. Il faut espérer que la situation évolue au niveau des différentes agences de renseignement mondial, sans quoi les prévisions apocalyptiques de Myhrvold – il va jusqu’à parler de la fin de la Civilisation voire de la fin de l’espèce humaine – pourraient bien trouver un écho dramatique dans le monde réel. Le jour d’après. Dans l’après-midi, j’avais fini par retourner à l’appartement de mon oncle. Un peu de lumière filtrait sous la porte empoussiérée. L’endroit semblait avoir été abandonné depuis des siècles, ce qui ne me semblait pas très loin de la vérité. J’avais l’impression de pénétrer dans un tombeau. Celui de mon oncle. Le chien est allé se coucher sur le tapis, et s’est endormi sans un bruit. Je l’ai veillé quelques minutes. Il avait l’air d’aller relativement 159


bien. Je lui ai mis de l’eau et des croquettes, puis je suis ressorti pour retourner à Ground Zero. J’ai regardé les pompiers travailler d’arrache-pied. Je sentais qu’un état d’esprit était en train de naître dans la fumée et dans les flammes, mais je sentais aussi que cet état d’esprit ne semblait pas franchement se diriger vers l’amour de son prochain. J’ai vu un drapeau se hisser sur la montagne de ruines, un peu comme à Iwo-Jima. Le côté militaire de la chose ne m’a pas paru particulièrement réjouissant. Puis, deux poutres perpendiculaires ont été relevées par une grue, au hasard des recherches. Une sorte de croix a ainsi émergé des gravats, et je me suis dit que ce qu’il pouvait arriver de pire était en train d’arriver. Aujourd’hui. Le 11-Septembre ne doit pas nous rendre islamophobe. En effet, même si les islamistes d’aujourd’hui veulent la dictature des hommes sur les femmes, la société patriarcale, et refusent le développement et la démocratie sur la base d’une lecture malheureusement théologiquement défendable de leurs textes sacrés, rien ne s’oppose formellement à ce qu’un musulman épouse les formes les plus avancées de la société. Ne serait-ce que parce que l’islam, à l’origine, est une religion des villes, de la technologie et du Savoir. 160


Le 11-Septembre ne doit donc pas nous faire rejeter une religion – l’islam – et nous en faire embrasser une autre – la Peur. En revanche, le 11-Septembre peut et doit être l’occasion pour nous de repenser notre rapport à la religion. Des milliards de gens partagent la croyance en un Créateur de l’Univers qui aurait écrit (ou dicté) un de nos livres. Malheureusement, il existe de nombreux livres qui revendiquent être d’origine divine, et ces livres donnent des leçons incompatibles entre elles sur comment nous devrions vivre. La concurrence de ces différentes doctrines religieuses a séparé notre monde en différentes communautés, et ces divisions sont devenues une source continue de conflits humains. En réponse à cette situation, de nombreuses personnes pragmatiques ont prêché pour un concept appelé « tolérance religieuse ». Mais même si cette tolérance religieuse est indiscutablement préférable aux guerres religieuses, la tolérance religieuse ne va pas sans poser des problèmes. Notre peur de provoquer des haines religieuses nous a rendus incapables de critiquer des idées qui sont de plus en plus inadaptées, voire parfois totalement ridicules. La tolérance religieuse nous a également obligés à nous mentir à nous-mêmes – de manière répétée et au plus haut niveau qui soit – sur la compatibilité entre la foi religieuse et la raison scientifique. Nos certitudes religieuses en compétition empêchent l’émergence d’une 161


civilisation mondiale viable. La foi religieuse – la foi en un dieu attaché au nom qu’on lui donne, la foi dans le retour de Jésus, la foi dans le fait que les martyrs musulmans vont directement au Paradis – est du mauvais côté de la guerre des idées qui est à l’œuvre. Pour citer Bakounine : l’idée de dieu « implique l’abdication de la raison et de la justice humaines ; elle est la négation la plus décisive de la liberté humaine et aboutit nécessairement à l’esclavage des hommes, tant en théorie qu’en pratique. » La Religion élève le niveau des conflits humains plus haut encore que le tribalisme, le racisme ou la politique ne le pourra jamais, car c’est la seule et unique forme de pensée qui pose les différences entre les gens en termes de récompenses ou de châtiments éternels. L’une des maladies persistantes de la culture humaine est la tendance à apprendre aux enfants à craindre et à démoniser les autres êtres humains sur la base de leur foi. En conséquence, la foi engendre la violence d’au moins deux façons. En premier lieu, certains tuent des êtres humains simplement parce qu’ils croient que c’est ce qu’attend d’eux le Créateur de l’Univers. Le terrorisme islamique est un exemple récent de ce type de comportement. En second lieu, énormément de gens entrent en conflit entre eux simplement parce qu’ils définissent leur morale et leur communauté sur la base d’affiliations religieuses : les musulmans se rangent avec les musulmans, les protestants avec les 162


protestants, les catholiques avec les catholiques. Ces conflits ne sont pas toujours explicitement religieux. Mais la bigoterie et la haine qui divisent les communautés sont souvent le produit de leurs identités religieuses. Des conflits qui semblent purement territoriaux, par exemple, trouvent souvent leurs racines dans la Religion. Les combats qui ont miné la Palestine (juifs contre musulmans), les Balkans (Serbes orthodoxes contre Croates catholiques, Serbes orthodoxes contre musulmans Albanais et Bosniaques), l’Irlande du Nord (protestants contre catholiques), le Kashmir (musulmans contre hindous), le Soudan (musulmans contre chrétiens et animistes), le Niger (musulmans contre chrétiens), l’Éthiopie et l’Érythrée (musulmans contre chrétiens), la Côte d’Ivoire (musulmans contre chrétiens), le Sri Lanka (bouddhistes sinalais contre hindous tamouls), les Philippines (musulmans contre chrétiens), l’Iran et l’Irak (shiites contre musulmans sunnites) et le Caucase (Russes orthodoxes contre musulmans Tchétchènes, musulmans Azerbaïdjanais contre Arméniens catholiques et orthodoxes) ne sont que quelques récents exemples de ce type. Cela n’aide en rien de se contenter de dire que « nous adorons tous le même dieu ». Car ce n’est pas vrai, en pratique, nous n’adorons pas tous le même dieu, et rien ne l’atteste mieux que notre sanglante histoire religieuse. Au cœur même de l’islam, les shi’a et les sunnites ne sont même pas 163


capables de se mettre d’accord sur comment adorer de la même manière le même dieu, et ils s’entretuent à ce sujet depuis des siècles. Il semble profondément improbable que nous pourrons un jour guérir ces divisions à travers un dialogue interreligieux. Les musulmans dévots sont aussi convaincus que les chrétiens que leur religion est parfaite et que le moindre écart à cette religion conduit directement à l’Enfer. Il est facile, bien sûr, pour les représentants des principales religions de se rencontrer occasionnellement et de se mettre d’accord sur le fait qu’il faudrait qu’il y ait la paix sur la Terre, ou sur le fait que la compassion est le trait commun qui réunit toutes les confessions. Mais il n’y a aucune échappatoire au fait que les croyances religieuses d’une personne déterminent malheureusement parfois entièrement ce qu’il pense de la paix et ce qu’il entend par « compassion ». Il y a des millions – peut-être même des centaines de millions – de musulmans qui seraient prêts à mourir plutôt que de voir une certaine vision (chrétienne par exemple) de la compassion prendre pied sur la péninsule arabique. Comment un dialogue interreligieux, même au plus haut niveau, pourraitil réconcilier des visions du monde qui sont fondamentalement incompatibles et qui sont, en principe, absolument incapables d’évoluer ? La vérité, c’est que ce que des milliards de gens croient, et pourquoi ils y croient, est d’une importance capitale pour l’avenir de la Civilisation. 164


L’un des plus grands challenges qui attend la Civilisation au XXIe siècle est que les êtres humains doivent apprendre à parler de leurs plus profondes interrogations – sur l’éthique, la spiritualité et l’inéluctabilité de la souffrance humaine – d’une manière qui ne soit pas éminemment irrationnelle. Nous avons désespérément besoin d’un discours public qui encourage la pensée critique et l’honnêteté intellectuelle. Et il n’y a rien qui s’oppose plus à ce projet aujourd’hui que le respect que nous accordons à la foi religieuse. Je serai le premier à admettre que l’éradication de la Religion ne semble pas une bonne chose. Et pourtant, la même chose aurait pu être pensée à propos des efforts pour abolir l’esclavage à la fin du XVIIIe siècle. Quiconque aurait sérieusement parlé d’éradiquer l’esclavage aux États-Unis en l’an 1775 aurait sûrement été considéré comme quelqu’un en train de gaspiller inutilement et dangereusement son temps. L’analogie n’est certes pas parfaite, mais elle est suggestive. Si nous parvenons un jour à transcender nos errements religieux, nous regarderons en arrière notre époque religieuse avec horreur et incompréhension. Comment est-il possible que des gens aient cru à des choses pareilles au XXIe siècle ? Comment est-il possible que l’on ait laissé les sociétés se fragmenter aussi dangereusement sur des sujets aussi vides de sens que dieu et le Paradis ? La vérité, c’est que 165


certaines de nos croyances religieuses les plus chéries sont aussi embarrassantes que celles qui ont mené les bateaux d’esclave en Amérique aussi tard que 1859 (l’année même où Darwin publia L’Origine des Espèces). Il est clairement temps que nous apprenions à satisfaire nos besoins émotionnels sans embrasser le ridicule. Nous devons absolument trouver un moyen d’invoquer la puissance du rituel et de marquer les grandes et profondes transitions de nos vies – naissance, mariage, mort – sans nous mentir à nous-mêmes à propos de la nature de la réalité. Ce n’est qu’ainsi que le fait d’éduquer nos enfants à croire qu’ils sont chrétiens, musulmans ou juifs sera enfin reconnu comme étant une pure et grotesque obscénité. Et ce n’est qu’alors que nous aurons peut-être la chance de pouvoir soigner les plus profondes et les plus graves blessures de notre monde. Je n’ai aucun doute sur le fait que la vie religieuse puisse être à l’origine de phénomènes très positifs dans la vie d’un homme. Je tiens cependant à souligner que des milliards d’autres êtres humains, partout et à chaque instant, font les mêmes expériences à travers l’Art, ou en contemplant la beauté de la Nature. Il n’y a aucun doute sur le fait que les gens puissent vivre des expériences profondément bouleversantes. Mais il n’y a pas non plus le moindre doute sur le fait que les gens peuvent se tromper et mal interpréter ces 166


expériences, pouvant ainsi se bercer d’illusions sur la nature de la réalité. Il est par ailleurs important de réaliser que la distinction entre Science et Religion ne porte pas sur la question d’exclure ou non nos intuitions sur l’éthique et les expériences spirituelles dans notre recherche de la compréhension du monde ; cette différence porte sur le fait d’être honnête en ce qui concerne ce que l’on peut raisonnablement en conclure. Il y a de bonnes de raisons de penser que des gens comme Jésus ou Bouddha ne racontaient pas n’importe quoi lorsqu’ils parlaient de la capacité des êtres humains à transformer leurs vies de belle façon. Mais n’importe quelle discussion sur l’éthique ou sur la vie contemplative requiert les mêmes standards de raison et d’autocritique qui animent tout débat intellectuel. En tant que phénomène biologique, la Religion est le produit de processus cognitifs qui s’enracinent profondément dans notre histoire évolutive. Certains chercheurs ont émis l’hypothèse que la Religion elle-même aurait pu jouer un rôle important en rassemblant de grands groupes d’êtres humains préhistoriques. Si cette hypothèse est correcte, alors il est possible de dire que la Religion aura été très utile. Mais cela ne signifie en aucun cas que la Religion ait encore une quelconque utilité aujourd’hui. Il n’y a, après tout, malheureusement rien de plus naturel que le viol. Mais personne n’oserait dire que le viol est une 167


bonne chose, ou qu’il est compatible avec une société civile, simplement parce qu’il aurait pu conférer un avantage évolutif à nos ancêtres. Le fait que la Religion ait pu jouer un rôle nécessaire pour nous dans le passé ne signifie absolument pas qu’elle ait encore un rôle de premier plan à jouer dans la construction d’une civilisation globale. Je souhaiterais donc que chacun s’attarde sur l’échec de nos écoles à enseigner la mort de dieu, l’échec des médias dans leur critique de certaines certitudes religieuses abjectes de nos figures politiques – grands et petits échecs qui ont contribué à garder pratiquement toutes nos sociétés sous la coupe de dieu et à renier celles qui ont tenté de s’en libérer. Il nous faut oublier les délires insensés que veulent nous inculquer les religions. Nous devons arrêter de croire que la Religion est nécessaire à la Morale et à l’Éthique. Car c’est tout le contraire. Seule la Règle d’Or, aussi appelée éthique de réciprocité, mérite d’être retenue – et on aurait tort de croire qu’elle fut inventée par la chrétienté. Traiter son prochain (qui ne se restreint pas à l’humain, mais devrait être étendu à l’ensemble des créatures sentientes voire à l’ensemble du monde vivant) comme on voudrait qu’il nous traite est la plus haute et la plus noble forme de comportement, c’est l’absolue base de toute moralité. Peu importe ce que toutes les encycliques papales peuvent raconter, peu importe 168


ce que peuvent dire les évêques en conférence, peu importe le nombre de sacrements de l’église catholique, ou le nombre de versets dans la bible, peu importe l’épaisseur et l’insensée complexité des livres de théologie, peu importe les cours de catéchisme du dimanche et les sermons des religieux, peu importe le nombre d’arguments que l’on pourrait trouver en faveur de dieu, de Jésus et de la Religion, peu importe le nombre de pèlerinages à la Mecque, à Jérusalem ou vers d’autres lieux prétendument saints, peu importe les millions d’heures que les Juifs ont dédié à l’analyse du sens de la Torah, peu importe les centaines de millions de dollars dépensés dans les églises, les synagogues, les mosquées et les cathédrales, rien ne pourra jamais changer le fait que l’éthique de réciprocité est la seule qui vaille – et que tout le reste est superflu. « Quand je fais le bien, je me sens bien. Quand je fais le mal, je me sens mal. Voilà ma religion. » disait Abraham Lincoln. Dommage que les États-Unis d’Amérique aient à ce point dévié de leur bon sens originel. Étant incapable de comprendre le sens de son existence, la majorité de l’humanité s’est toujours tournée vers la simplicité de la religion organisée, en quête de réponses. Beaucoup moins se tournent vers la réflexion apportée par les scientifiques ou les philosophes. Mais quelle que soit la source vers laquelle on se tourne, tout ce que l’on peut en tirer est soit absurde soit inintelligible. Seul dieu, s’il y en a un, a les 169


réponses en main. Mais s’il existe, c’est en dehors de notre sphère d’existence et de compréhension. Comme l’a dit Einstein, « le problème est trop vaste pour notre pensée limitée », c’est pourquoi tout effort entrepris pour comprendre le fait religieux est frappé d’une absolue futilité. Dieu, tel que décrit dans nos livres sacrés, est une absurdité, comme l’attestent les interminables listes des incohérences et atrocités contenues dans ces ouvrages. Et une entité supérieure (dans le sens d’un déisme très général) est une problématique sans réponse possible. C’est pourquoi, malgré mon quasi-athéisme personnel, je pense que l’agnosticisme – l’inconnaissabilité philosophique de l’existence de dieu – est la seule position raisonnable que peut et que doit adopter l’humanité. Et cet agnosticisme a le pouvoir, dans une certaine mesure, de nous rendre plus honnête, et de faire triompher l’éthique de réciprocité. En effet, nous ressentons tous la trahison, la malhonnêteté, la défiance, la duplicité et l’hypocrisie comme des réalités inéluctables de nos vies, et nous sommes tous soulagés lorsqu’elles se font moins présentes. Et si l’homme veut réduire un tant soit peu le niveau de malhonnêteté dans son existence, il n’y a probablement pas de meilleur point de départ que dans sa relation avec dieu. Car la foi en dieu, c’est la foi dans un ensemble de propositions qui ne reposent sur aucune évidence, c’est l’affirmation de propositions sur des thèmes au-delà de toute 170


possible compréhension. Croire en dieu, cela revient à se mentir à soi-même. Et une fois que vous vous êtes trahis vous-même, la porte à toutes les autres trahisons est grande ouverte. Les « grandes » religions de notre monde pensent que dieu a créé l’homme. Et que, en nous créant, dieu a créé notre conscience, notre esprit – notre intelligence. Partant de là, il est raisonnable de penser que dieu, s’il existe, attend de nous que nous réfléchissions, comme en atteste la bible ellemême. En effet, dans Mathieu 22:37, il est écrit que « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. » Dans Esaïe 1:18, il est écrit « Venez, et raisonnons ensemble. » Alors si, en raisonnant, nous en venions à la conclusion que le dieu des textes sacrés ne peut pas exister, pourquoi donc ce dieu nous en voudrait-il ? Pourquoi nous punirait-il – même si nous nous trompions – pour notre simple et innocente absence de foi ? S’il nous punissait, alors il serait déraisonnable et irrationnel et, en tant qu’être pensant, pourquoi voudrions-nous passer l’éternité avec lui au paradis ? En d’autres termes, si dieu voulait que l’on sacrifie notre raison, pourtant le plus grand attribut de l’homme, cette même raison ne devrait-elle pas nous amener à la conclusion qu’il n’est pas digne de notre attention ? Ce qui nous amène à la conclusion suivante : si dieu était digne de quoi que ce soit, ne devrait-il pas vouloir atteindre nos pensées et nos cœurs grâce à la raison plutôt que par une foi 171


déraisonnable et aveugle ? Notre amour pour lui n’aurait-il pas beaucoup plus de sens et beaucoup plus de valeur dans les conditions de la réflexion plutôt que dans un processus aveugle de soumission ? Le doute et la raison apportent la réflexion et le savoir. La foi, elle, pose un verrou sur la connaissance. C’est une insulte à l’intelligence. Le rejet des absurdités et des atrocités des livres sacrés et l’agnosticisme face au déisme sont les seuls comportements solides, intelligents et raisonnables que devrait adopter l’humanité. Le jour d’après. Il faisait presque nuit. Je déambulais dans les rues, perdu dans mes pensées, obsédé par ces corps et ces membres démantibulés. Je retournai sur les restes fumants des tours, où les pompiers, les volontaires et l’armée cherchaient encore d’éventuels survivants. De mon côté, je ne me faisais aucune illusion. Je ne faisais que regarder, m’appesantir sur ce lieu qui serait désormais appelé Ground Zero, qui se résumait à des filaments de fer à béton tordus, comme si les phalanges squelettiques des morts, tendues vers le ciel, cherchaient désespérément à attraper les avions qui les avaient assassinés. Les corps étaient partout, je le savais : disloqués et écrasés sous les blocs et les poutres, broyés par 172


les étages de deux-mille-cinq-cents tonnes, carbonisés par le kérosène. Dans la journée, je m’étais arrêté dans un café, exténué. Incapable de parler, j’avais simplement fixé la télé. On y avait égrené les morts. On annonça d’abord huit mille victimes, puis sept mille, puis six mille. Certains disaient que la réalité devait être plus proche des quarante mille. Tout ça n’était évidemment dû qu’à la confusion de l’instant, le bilan définitif se chiffrant à deux-milleneuf-cent-soixante-treize morts (les dix-neuf terroristes étant exclus de cette addition). Aujourd’hui. La crise est là. Peu importe qu’elle soit réelle ou fantasmée, peu importe qu’elle touche les riches ou les pauvres, qu’elle épargne tel ou tel pays, la crise est là, parce que les média et les politiques en ont décidé ainsi, en répandant leurs discours anxiogènes. Peu importe que certains intellectuels comme Steven Pinker ou Robert Wright aient démontré que, globalement, l’Humanité progresse. La crise est déclarée, nous devons donc nous morfondre. Et dans un monde dominé par la finance internationale, un monde dangereux, déclinant, immoral, criminel et triste, et lorsque la Science fait peur (armes atomiques, biologiques et chimiques, OGM) quoi de mieux qu’une nouvelle forme de « réenchantement » du monde – 173


réenchanter au sens large, puisqu’il est souvent question de puissances démoniaques comme le Nouvel Ordre Mondial ? C’est justement ce que proposent, en partie (et subtilement) les théories du complot, qui dépeignent notamment la Démocratie comme un système faible, miné par la corruption, comme un simple décor monté en trompe-l’œil devant des coulisses forcément sataniques. Voilà une autre partie de l’explication de la popularité du « complot ». Les théories du complot font partie des théories à la fois simples, fausses et utiles. Utiles car elles donnent des réponses fermes, rassurantes et définitives car elles sont imperméables à la critique. Elles procurent l’illusion, par leurs révélations, d’en devenir les maîtres. Et, parce qu’on ne peut administrer la preuve de son irréalité empirique, le complot relève à lois de l’irréfutable et de l’intarissable. Le jour d’après. Comme beaucoup de gens, j’ai fini par m’affaler devant la télévision, incapable de faire autre chose, incapable d’être constructif. Sur les plateaux de télévision, on disait que les musulmans pensaient que le monde occidental était une maladie, une maladie grave qui se propageait, et contre laquelle il fallait lutter. On voyait des images du Proche et du Moyen-Orient, où des personnes en délire pleuraient de joie 174


devant cette victoire de leur foi, en hurlant Allahu Akbar ! Moi, je voulais bien qu’Allah soit grand, mais quand même. Tout cela m’échappait. On a pu entendre que s’ils nous avaient attaqués, c’était par panique, par panique pure et simple, par peur de ce monde moderne qui leur échappait, de ce monde qui s’émancipait et qui les rendait définitivement obsolètes. On a dit qu’ils étaient terrifiés par ce monde qui remplaçait dieu par l’humilité de la mort et par le Savoir. « La panique, voilà ce qui les pousse. Rien d’autre. Rien de noble. », a dit je ne sais plus qui sur Fox News, fustigeant un mode de pensée terrifiant, qui poussait à sacrifier sa vie ici-bas, dont nous étions sûrs, sous prétexte qu’une fois morts nous vivrions éternellement. On a fustigé l’attitude des kamikazes dont l’objectif, puisque la mort était de toute façon inévitable, était de mourir, certes, mais de le faire en très grand. Un spécialiste du terrorisme a tenu à rassurer l’Amérique, en déclarant que les fondamentalistes ne gagneraient jamais, parce qu’ils ne libéraient pas un peuple, parce qu’ils ne chassaient pas un dictateur, parce qu’ils ne faisaient pas progresser l’Humanité. Parce qu’ils tuaient, au nom d’un dieu imaginaire et archaïque, et c’était tout. Un spécialiste du fondamentalisme religieux a souligné qu’il fallait bien comprendre que les islamistes méprisaient la vie terrestre, parce que pour eux la mort terrestre n’était pas la mort, et que la vie terrestre n’était pas la vie, que tout ce qui comptait 175


dans la mort, ce « passage impensable vers nulle part », c’était l’éternité dans l’au-delà. On nous a dit que les fous d’Allah pensaient que l’Humanité se dirigeait tout droit vers un crépuscule des dieux. Et que, dans ce crépuscule des dieux, les fous d’Allah avaient compris que l’islam allait mourir, parce que la société moderne lui était trop contraire. En réaction, désespérés, les fous d’Allah auraient décidé que, puisque cet islamisme qu’ils chérissaient tant devait mourir, alors il ne mourrait pas seul. Certains ont expliqué, sur les télévisions européennes, que les attentats étaient l’acte de suicide désespéré d’une religion qui ne parvenait plus à évoluer. Un analyste a expliqué pourquoi le suicide, dont la trace était inexistante des grands moments de la conquête musulmane classique – et est effectivement contraire à l’islam comme on peut souvent le lire, en forme d’excuse maladroite –, prenait désormais une place centrale dans l’idéologie islamiste. La situation montrait qu’il y avait une volonté de destruction et d’autodestruction au cœur de cet islamisme devenu cancéreux, parce que l’islamisme n’est pas du tout une affirmation confiante de l’islam. Ces hommes étaient prêts à tuer, jusque dans leur entourage le plus proche, pour ne pas voir l’inéluctable : la fin d’une société hiérarchique, masculine, qui allait disparaître quoi qu’il arrive. Alors, fous de rage, aveuglés, et l’adversaire étant 176


trop fort, ils avaient décidé de lui faire payer sa victoire. Aujourd’hui. Je pense qu’il est temps de lever un coin du voile sur l’épais mystère qui entoure encore le 11Septembre, alors que j’écris ces lignes en novembre 2013. Dans ce qui précède, je me suis attaché à démontrer que les théories conspirationnistes qui circulent sur Internet sont simplistes, stupides, infondées et dangereuses. Mais j’ai aussi indiqué, à de nombreuses reprises, que la version officielle présentée par le gouvernement n’était probablement pas tout à fait vraie. Je pense qu’il est temps maintenant de faire la synthèse et d’exposer enfin ce qui, selon toute probabilité et au-delà des mensonges partisans et des idéologies, a provoqué les événements du 11 septembre 2001. Comme nous allons le voir, l’histoire « vraie » du 11-Septembre n’est finalement qu’une histoire de cynisme et de mépris, de légèreté et de naïveté, de concurrence et de stupidité, d’aveuglement et d’impunité. L’histoire des attentats ne tient pas à grand-chose : le 11-Septembre n’est, semble-t-il, « que » le résultat des ratages des services fédéraux. Je ne prétends évidemment pas tout savoir, loin de là, et je ne ferai que me baser sur les nombreuses enquêtes que j’ai lues et compilées, notamment les 177


travaux de Tim Weiner et de Fabrizio Calvi. Cedernier a magnifiquement résumé la situation ainsi : « Si, aux États-Unis, conjuration il y eut, ce fut celle d’incapables et d’imbéciles. Les termes américains de l’équation du 11-Septembre comportent seulement deux variables, l’incompétence et la bureaucratie, et une constante, le manque d’imagination. » Nous ne saurons jamais ce qu’il s’est exactement passé ce jour-là. Notre compréhension du 11Septembre est progressive et jamais elle ne sera intacte et entière. Les certitudes, ou les convictions, s’effacent notamment là où commence le monde des hommes de l’ombre. Mais les hommes de l’ombre ne sont que des hommes, pas des Illuminati organisant le Nouvel Ordre Mondial. Les hommes de l’ombre ne sont que des employés des diverses agences de renseignement, et la vérité, simple et brutale au point d’en être difficilement concevable, est qu’ils ont échoué dans les grandes largeurs. Et je vais essayer de résumer ici les grandes lignes de cet échec historique qui s’étale sur plusieurs dizaines d’années. Les origines de la catastrophe sont multiples, et parfois diffuses. L’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique en 1979 peut néanmoins servir de point de départ. En pleine Guerre froide, les Américains ne peuvent se résoudre à attaquer frontalement l’URSS. Ils feront donc comme d’habitude : en armant et en manipulant 178


l’opposant afghan contre leur ennemi commun. Seulement voilà, la manipulation est un art dans lequel, contrairement à la légende qu’elle a forgé, la CIA n’a jamais particulièrement brillé. Les agences de renseignement américaines ont joué avec le feu islamique et ont franchi absolument toutes les lignes jaunes, notamment en recrutant à tour de bras des commandants moudjahidine et en leur livrant des lance-missiles Stinger, la meilleure arme sol-air du monde. Dans ce climat étrange, Zawahiri et ses alliés savaient qu’ils pouvaient compter sur la bienveillance (sinon la protection) de la CIA, qui ne pensait à rien d’autre qu’à la lutte anticommuniste. Car à cette époque-là, l’agence ne se doutait pas qu’elle mettait en scène des fanatiques5, et que ces fanatiques se préparaient à frapper les ennemis de l’islam (et, parmi ceux-ci, les États-Unis figuraient en bonne place). La CIA n’a jamais compris la culture et le mode de vie des personnes avec lesquelles elle a travaillé en Afghanistan. Avec une absolue naïveté, elle a traité avec des individus dont l’éthique considérait plus la trahison et la violence comme des vertus que comme des vices, aboutissant à un code d’honneur tellement étrange et inconsistant qu’il échappait à la logique – en tout cas à la logique de la CIA. La fleur au fusil, celle-ci a laissé naître (et a même en partie construit) Al-Kifah, une organisation qui s’est développée depuis l’Afghanistan et qui a Le mot « fanatique » n’est pas totalement usurpé dans ce contexte : certains des individus en question prétendent avoir arrêté des chars soviétiques à mains nues. 5

179


métastasé pour devenir, plus tard, Al-Qaïda, laissant le terrorisme islamique croître et prospérer à l’ombre de l’incompétence et de la bureaucratie. La CIA n’a jamais sérieusement réfléchi à ce qui se passerait lorsque l’armée de militants islamiques qu’elle avait fourni en armes serait enfin parvenue à mettre en déroute les envahisseurs soviétiques athées. Même après le départ du dernier soldat russe, la CIA a continué à fournir en masse des armes aux futurs membres d’Al-Qaïda. La CIA avait peut-être réussi à infliger aux Soviétiques en Afghanistan l’équivalent de ce que les Américains avaient vécu au Vietnam, mais elle n’avait pas la moindre idée du prix qu’elle aurait à payer dans les années 2000. Dès 1990, Ali Mohamed, l’un des futurs cerveaux du 11-Septembre et proche de Ben Laden, a mis au point et a entraîné les recrues d’Al-Qaïda aux techniques de détournement d’avions au moyen de cutters, tandis que le FBI, commençant à peine à s’intéresser à la menace islamiste, se concentrait sur les risques du terrorisme chiite, alors que le danger venait principalement du terrorisme sunnite – dont AlQaïda fait partie. Au début de son premier mandat, Clinton ne manifestait aucun intérêt pour le monde du renseignement. Le directeur de l’époque de la CIA ira jusqu’à dire : « Je n’ai pas eu de mauvaises relations avec Clinton. Je n’ai pas eu de relations du tout. » La CIA était donc progressivement 180


devenue impuissante et voguait à la dérive, sans gouvernail. Une méfiance grandissante s’installait entre la Maison Blanche et l’agence, à tel point qu’en 1992, il avait été sérieusement envisagé de dissoudre la section contre-terrorisme. Il faut dire que la CIA enchaînait les échecs et les bévues. Infiltrée à Haïti, la branche locale de l’agence n’était plus qu’une bande de criminels, que l’antenne principale a dû faire liquider. Idem au Guatemala, où l’antenne locale de la CIA se livrait à une guerre intestine avec l’Ambassade des ÉtatsUnis. Et ce ne sont là que quelques-uns des « hauts faits d’armes » de la CIA, qui ne fut pas plus capable de prédire la chute du Mur que le démantèlement de l’URSS. C’est bien simple, dans les années 1990, les informations fournies par la CIA à la Maison Blanche étaient devenues tellement pauvres qu’elles étaient souvent battues par les reportages de CNN. Vint l’affaire Aldrich Hazen Ames, officier de la CIA qui vendit des milliers d’agents à l’ennemi Russe sans être inquiété pendant des années. Son incompétence exposée sur la place publique, humiliée, la CIA se délite. James Woolsey, son directeur, fut contraint à la démission en 1994. L’électrochoc ne remit pas pour autant l’agence sur les rails. Son potentiel intellectuel et opérationnel a continué de s’amenuiser. De simples fonctionnaires mal formés tentaient de gérer tant bien que mal les budgets, les répartissant de manière aléatoire à défaut de consignes claires. 181


La bureaucratie sapait lentement toute autorité. La CIA était devenue un organisme extrêmement complexe, un peu comme la navette spatiale, qui pouvait exploser à tout moment si le moindre organe défaillait. Il y eut une tentative de créer une commission, mais cela n’aboutit à rien. Et c’est dans cet effondrement total qu’arrivent, pêle-mêle, le rapport sur l’affaire Bojinka et d’autres rapports sur le terrorisme aérien, annonçant très clairement les événements à venir le 11 septembre 2001, mais qui ne seront jamais traités avec l’attention requise, la CIA n’étant plus que l’ombre d’elle-même. Le successeur de Woolsey découvre une agence au moral extrêmement bas. Sur le terrain, les agents étaient dans un état proche de la panique, échaudés par des échecs permanents vécus au cours d’opérations décidées de manière inconsidérée. Enchaînant les effarantes erreurs d’analyses, la CIA s’est révélée totalement incapable de comprendre et d’analyser dans les temps la catastrophe de Srebrenica. En Amérique latine, les agents locaux, livrés à eux-mêmes, en étaient venus à se livrer au trafic de drogue et aux crimes sexuels, détournant des millions de dollars. Voilà la réalité de la CIA au moment où les événements du 11-Septembre ont commencé à se profiler. Difficile de voir comment elle aurait pu en être l’instigatrice comme le pensent les truthers, alors qu’elle n’a même pas été capable de la 182


comprendre lorsque les éléments étaient sous ses yeux. Dans ce climat de débandade absolue, les informations relatives à Oussama Ben Laden tardèrent logiquement à se synthétiser. Le milliardaire saoudien resta un personnage flou, gravitant pendant des années très loin de la sphère d’intérêt des agences de renseignement américaines. L’agence arrivait à la fin d’un siècle théoriquement dominé par les États-Unis, mais elle était totalement en bout de course, construite sur un système de gestion du personnel mis au point vers 1880, une gestion de l’information évoquant les chaînes de montage des années 1920, et une bureaucratie directement héritée des années 1950. La CIA n’a pris que tardivement le tournant de l’Internet, et a mis des années à rattraper son retard dans le domaine du cryptage, maîtrisé depuis longtemps par ses ennemis, notamment AlQaïda. Par ailleurs, la CIA regorgeait d’agents totalement inexpérimentés, à cause d’une fuite des cerveaux et d’un management catastrophique. L’immense majorité des membres du personnel était incapable de comprendre la langue et les coutumes des pays où ils étaient basés : l’agence recalait des candidats parlant bien l’Arabe au motif qu’ils échouaient de peu aux tests d’Anglais. La CIA était donc pleine de bons Américains parlant bien l’Anglais, mais incapables de comprendre un texte ou une conversation en Arabe. Idem pour le 183


Chinois, l’Hindi, le Urdu, le Coréen ou le Farsi, alors que ces langues représentent la moitié de la population mondiale. Un rapport concluait que l’agence n’avait pas « les dimensions et l’expertise nécessaires pour suivre les développements politiques, militaires et économiques dans l’ensemble du monde. » La CIA était tellement à la dérive qu’elle ne vit même pas venir l’essai nucléaire indien du 11 mai 1998, alors qu’il était de nature à remettre en question l’équilibre du monde. Un autre rapport interne parlait de « probabilité de défaillance cataclysmique » du système d’information. En 1999, pendant la guerre au Kosovo, la CIA fit bombarder « chirurgicalement » mais accidentellement l’ambassade de Chine, suite à une simple erreur de lecture de carte. L’agence se refusait, sur le terrain, à prendre des risques que d’autres n’hésitaient plus à prendre depuis longtemps, comme la Presse ou les ONG. Et l’on devrait croire les truthers lorsqu’ils nous dépeignent une CIA brillantissime et machiavélique capable d’organiser les attentats du 11-Septembre sans se faire attraper ? La vérité, c’est que, par ses insuffisances, la CIA a gravement compromis la sécurité nationale des États-Unis. Et le 11-Septembre n’est que l’histoire de l’incompétence, « simplement » portée jusque des sommets himalayens. Pourtant, certains ont vu la menace se profiler. Car il serait faux de dire que les Américains n’ont 184


rien vu venir. Et c’est en ça que la version officielle est un mensonge éhonté. Car si les Américains n’ont jamais pris la réelle mesure de la gravité de la poudrière sur laquelle ils étaient assis et qui pouvait à tout moment exploser, obnubilés qu’ils étaient par l’ennemi soviétique, la Guerre froide puis Saddam Hussein, ils n’en ont pas moins détecté les contours de la menace islamiste – mais les contours seulement. En effet, en 2001, Ben Laden, ce curieux mélange de théologien du XIIe siècle et de PDG du XXIe siècle, n’était absolument pas inconnu des services de renseignement, et son nom ne fut pas simplement sorti du chapeau pour, justement, lui faire porter le chapeau. Et, oui, la CIA avait été en contact avec lui : évidemment que des agents de la CIA ont approché Ben Laden pour tenter de nouer des contacts avec lui, voire pour essayer de l’utiliser – c’est leur rôle, nom de dieu ! Ils n’ont tout simplement pas été suffisamment compétents. Les Américains étaient sur la piste du Saoudien depuis un bon moment déjà. En 1997, le Soudan avait proposé aux Américains de leur donner une mine d’or de documents secrets compromettant Ben Laden, mais les Américains ont refusé au titre que le Soudan était un pays terroriste qu’il fallait isoler. Ils n’ont pas abandonné le sujet pour autant : au printemps 1998, la CIA était prête à enlever Ben Laden, mais a changé d’avis au dernier moment, pensant maîtriser la situation et estimant pouvoir effectuer 185


un plus important coup de filet ultérieurement. Le 28 mai 1998, Ben Laden convoque la presse internationale et annonce « des attaques terribles » aux Américains. Seuls trois journalistes d’ABC se rendent sur place. En juin 1998, la Justice américaine prépare la mise en accusation de Ben Laden. En août 1998, enfin convaincu de sa dangerosité, Clinton autorise même son assassinat. Mais l’opération n’aura finalement pas lieu. La nouvelle administration Bush Jr marque un véritable coup d’arrêt à la traque d’Oussama Ben Laden, alors même que Clinton n’était pas loin d’être parvenu à son élimination et qu’il avait très clairement prévenu Bush qu’il représentait la menace principale pesant sur l’Amérique. Bush fit semblant de n’avoir jamais entendu, et ce mensonge fait partie intégrante de la version officielle. La question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : pourquoi Bush Jr n’a-t-il rien fait ? La réponse est simple : Bush était littéralement obsédé par Saddam et par l’Irak. L’horloge de sa nouvelle administration, composée de vieux néoconservateurs issus de l’époque Bush Sr, était restée bloquée à l’âge de la Guerre froide. Ils croyaient tout savoir et ont simplement repris leurs anciennes affaires. Leur réflexe fut quasipavlovien : chercher des noises à Saddam, faisant fi des menaces islamistes. Le monde avait changé, mais pas leurs préoccupations. Ils ne pensaient qu’à détruire Bagdad, pensant naïvement détruire 186


ainsi les racines du mal. Condoleezza Rice se fichait tout aussi éperdument de Ben Laden, même après l’attentat perpétré par Al-Qaïda contre l’USS Cole en 2000 dans le port d’Aden. L’administration Bush était indéboulonnable dans ses « nouvelles » anciennes lubies. Voilà l’une des vraies raisons de la guerre en Irak de 2003 : bien avant le 11-Septembre, l’Irak était l’objectif quasi-mécanique de Bush. Le 11-Septembre n’a fait qu’accélérer les choses. Ainsi donc, obnubilé par Saddam, le Renseignement américain n’a pas pris la pleine mesure de la menace islamiste, même si celle-ci était connue. Par exemple, en mai 2001, un imam confie au FBI qu’ « il va se passer quelque chose de très important » et préfère quitter le pays. De la même manière, en juin 2001, Oussama Ben Laden annonce qu’il va frapper les États-Unis. Mais la menace n’a jamais été prise au sérieux par l’administration Bush. Preuve en est : malgré les avertissements de Clinton, sur la période 20002001, sur dix-sept mille personnes à la CIA, il n’y avait quasiment que des bureaucrates et à peine une poignée d’hommes déployés sur les sites concernés. En janvier 2001, il devait y avoir à peine deux-cents agents capables d’affronter efficacement la réalité du terrain. Or, le double était affecté à Al-Qaïda, mais derrière un écran, totalement coupé du monde réel. Croire que ces gens aient pu être en mesure de protéger les ÉtatsUnis aurait été un acte de foi inconsidéré. Quant à 187


les croire capables de fomenter un attentat contre les États-Unis, cela relève de la science-fiction pure et simple. Malgré les œillères du gouvernement, la NSA et la CIA ne purent bientôt plus ignorer la situation. Celle-ci était devenue hors de contrôle, et les signes avant-coureurs étaient devenus évidents : la poudrière était sur le point d’exploser. Le directeur de la CIA de l’époque a expliqué à Bush que la prochaine attaque était imminente, et que cette fois-ci, ce serait le Big One. Condoleezza Rice, par on ne sait trop quel mélange de stupidité et d’autoaveuglement, n’y crut tout simplement pas, malgré des indications provenant du monde entier qui parlaient de membres d’Al-Qaïda pleurant de joie en mentionnant leurs martyrs imminents. Durant l’été 2001, la CIA fut submergée de rumeurs et d’informations qu’elle ne sut pas traiter. Elle finit par se résoudre au fait que le Big One était réellement sur le point de se produire, mais cela faisait longtemps qu’elle n’avait plus les moyens de l’empêcher. Début août 2001, en désespoir de cause, un agent de la CIA annonce à Bush que « Ben Laden est résolu à frapper les États-Unis ». Bush congédie brutalement l’agent en lui faisant simplement la remarque « qu’il s’est couvert le cul. » Le 21 août, Walid Arkeh, un membre d’AlQaïda détenu par les Américains, indique au FBI que « quelque chose de grand va se passer à NewYork », en précisant que « le travail n’a pas été fini 188


en 1993 », faisant donc clairement référence au World Trade Center. Quelques jours avant les attentats, Steve Bongardt, un agent du FBI enquêtant sur de possibles pirates de l’air, sentant la catastrophe imminente et rendu fou par l’absurdité du système bureaucratique qui l’empêchait de progresser, craque devant une de ses collègues, Dina Corsi : « Un jour, des gens vont mourir et […] le public ne comprendra pas pourquoi nous n’avons pas été plus efficaces et pourquoi nous n’avons pas jeté dans la bataille toutes nos forces. Espérons que [le département de la Justice] assumera sa décision […] ». La réponse de Corsi fut une perle de bureaucratie, symptomatique de l’échec du renseignement américain : « Vous comprenez que nous, au FBIHQ, sommes tous frustrés par cette affaire. Je ne sais que vous dire. Je ne vois pas d’autre manière de vous le dire. Ce sont les règles. NSLU ne les fait pas, UBLU non plus. Elles figurent dans le MIOG et chaque Bureau du FBI est tenu de les respecter, y compris le NYBI. » Et, le 11 septembre 2001, alors que les enquêteurs étaient toujours englués dans des discussions stériles sur des points de méthode ou de juridiction, à 08h14, le vol 11 d’American Airlines était détourné par le commando dirigé par Mohammed Atta. Il est également important de parler du cas de Tony Shaffer. Dès 1999, soit deux ans avant les attentats, travaillant pour le programme Able 189


Danger, Shaffer était parvenu à identifier Mohammed Atta et ses dix-huit complices grâce à des outils de profiling. Mais il n’a jamais réussi à convaincre sa hiérarchie du danger représenté par les personnes qu’il avait débusquées. Les raisons de cet échec sont principalement bureaucratiques : il existait un « mur » quasiment étanche entre les agences, qui étaient de toute façon peu enclines à communiquer entre elles. Et Shaffer fut à de nombreuses reprises rappelé à l’ordre par les avocats des services juridiques : certains individus qu’ils suspectaient, étant détenteurs d’un visa américain, ne pouvaient pas faire l’objet d’une enquête. C’était la règle. Le Pentagone rechignait également à travailler sur la base d’affiliations religieuses, et trouvait de toute façon le programme Able Danger trop simple, pas assez cher, trop « bricolo » ; en somme, pas assez « américain ». Et donc pas crédible. Par ailleurs, nombreux étaient ceux qui pensaient, dans l’Amérique d’alors, que les fondamentalistes musulmans n’oseraient jamais commettre d’attentats sur le sol américain, tout simplement parce qu’ils gagnaient trop d’argent en Amérique pour être assez fous pour tuer la poule aux œufs d’or. Le problème, c’est qu’un raisonnement logique de ce type n’est pas applicable à la mentalité irrationnelle des intégristes. L’Amérique, fière de son statut de terre d’asile inscrit dans son ADN, ne se méfiait pas. Dans les jours qui ont suivi le 11 septembre 2001, lorsque Tony Shaffer a 190


compris, il était effondré : il avait su, le pays aurait pu savoir, deux ans avant, mais la bureaucratie en avait décidé autrement. Shaffer fut par la suite approché par les enquêteurs, mais son témoignage ne fut pas retenu, au motif qu’il ne remplissait pas les « critères de l’histoire » que souhaitait mettre en avant la commission d’enquête. Une fois encore, s’il est donc bien un point sur lequel la commission d’enquête sur le 11Septembre a menti éperdument, c’est sur le fait que personne n’était au courant. La réalité, c’est que beaucoup de gens étaient au courant que quelque chose allait se passer, y compris au plus haut niveau de l’État et du Renseignement. Simplement, ceux qui ont su à temps n’y ont pas cru ou n’ont pas voulu y croire, et ceux qui ont su et qui y ont cru n’ont pas été entendus, minés par la bureaucratie, la concurrence et la défiance interservice, l’incompétence et l’obsolescence du management. Jusqu’au lendemain du 11-Septembre, l’administration Bush éprouvait de la nostalgie pour la Guerre froide. Le 12 septembre 2001, aux pieds des tours en ruine, le rêve américain gisant en pièces, cette époque était finalement révolue. Il n’est pas possible de parler des causes et des responsabilités du 11-Septembre sans parler également de l’opération Bojinka, mentionnée précédemment. Conçue aux Philippines en 1994 par Khalid Sheikh Mohammed, un membre d’AlQaïda, l’opération Bojinka avait pour objectif de 191


s’en prendre à différentes cibles américaines au moyen d’avions civils détournés par les méthodes développées et enseignées par Ali Mohamed. Découverte par la police philippine, l’opération Bojinka fut avortée. Des rapports détaillés de l’opération terroriste furent adressés par la police philippine au FBI et à la CIA. L’opération Bojinka était le prototype des attaques du 11-Septembre, qui n’en fut qu’un simple « copié-collé ». La question est donc la suivante : puisque le FBI et la CIA avaient entre les mains, dès 1994, le plan des attaques du 11-Septembre, que s’est-il passé ? Eh bien, selon toute vraisemblance, tout s’est passé de travers, tout simplement. Au sein de la CIA, certains ont été mis au courant, mais pas tout le monde, pour des raisons de rivalités personnelles. Ensuite, comme on l’a dit, ceux qui ont su n’y ont pas forcément cru. Et parmi ceux qui y ont cru, certains ont fini par oublier, et d’autres se sont dits qu’ils pouvaient retourner la situation à leur avantage. C’est ainsi qu’Ali Mohamed fut « récupéré » par la CIA, qui pensait en faire un agent double. Profitant des erreurs et des largesses de l’agence, l’homme fort d’Al-Qaïda devint en réalité un agent triple. Ali Mohamed entraîné par l’Armée américaine à Fort Bragg, c’est un peu Jack l’Éventreur enseignant au collège de chirurgie de Londres. Ali Mohamed ne fut jamais inquiété jusque 1998 et est responsable de l’organisation des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie cette même 192


année, qui ont tué deux-cent-vingt-quatre personnes. Un tel manque de discernement de la part de la CIA a de quoi faire vaciller l’entendement, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi rien de tout ça ne figure dans le rapport de la commission d’enquête officielle sur le 11-Septembre : parce qu’un tel échec est tout simplement inavouable car inacceptable pour le public. Ali Mohamed fut finalement arrêté, mais rien de tout cela n’aurait pu empêcher l’opération Bojinka de renaître de ses cendres. L’explosion du vol TWA 800 en juillet 1996 au large de New-York pourrait également être un dérivé de cette opération (dans le sens où il serait un attentat proféré par des membres d’AlQaïda, et pas dans le sens strict de l’application du « protocole » Bojinka), malgré les démentis appuyés du FBI et du NTSB. Fabrizio Calvi, Alexandre Adler ainsi qu’un grand nombre d’experts en accidentologie aérienne n’ont jamais été totalement convaincus par la théorie officielle de l’explosion du réservoir avancée par le NTSB. Le gouvernement américain aurait préféré taire la menace islamiste, pour ne pas effrayer la population vis-à-vis d’un danger que ses services de renseignement n’auront jamais voulu prendre au sérieux avant le 11 septembre 2001. Soulignons au passage que, en écrivant ces lignes, je juge plausible une théorie qui s’inscrit totalement en faux par rapport au gouvernement américain, ce qui devrait plaire aux truthers et, surtout, leur 193


démontrer une nouvelle fois que je ne suis pas le « bon petit soldat » de la version officielle qu’ils aimeront sûrement dépeindre. Pour en revenir aux événements directs du 11Septembre, Khalid Al-Mihdhar et Nawaf AlHazmi, deux des futurs kamikazes, étaient suivis de près par la CIA depuis leur entrée aux ÉtatsUnis, mais celle-ci ne jugea jamais bon d’en informer le FBI, qui patinaient sur ces sujets alors que les informations étaient disponibles. Les enquêtes sur le terrorisme aérien n’ont jamais été une priorité au FBI, et avortaient souvent, généralement faute de moyen. Aucune de ces affaires n’a jamais été réellement considérée comme urgente, et c’est un petit nouveau, Robert Fuller, qui fut chargé de l’enquête sur Al-Mihdhar. Les choses n’avançaient pas. Le FBI hésitait à dresser une liste d’étudiants arabes, par crainte de procès en discrimination. Les dossiers furent noyés et classés sans suite. Les guerres internes entre agences rendaient stériles les (rares) progrès individuels, comme, par exemple, ceux de Steve Bongardt. La NSA, la CIA, la DIA, le FBI, le Département de la Justice et l’Armée ne se sont jamais faits confiance. La CIA a même tout fait pour empêcher le FBI d’agir ou d’avoir une information lui permettant d’agir. L’agence ne remettait que très tardivement des résumés soigneusement expurgés de tout renseignement utile. Et quasiment personne, dans aucune des 194


agences, n’a jamais osé franchir les lignes de peur de perdre son job. Voilà la triste réalité des événements qui ont rendu possibles les attentats du 11 septembre 2001. Comme dans le cas JFK, l’enquête officielle sur le 11-Septembre a été défaillante en se fourvoyant, en écartant des témoins clés et en n’explorant pas les pistes troubles – de peur de révéler les cadavres et les erreurs de la CIA. La commission officielle a simplifié les faits, arrondi les angles et manié l’art du flou. Elle a systématiquement écarté ce qui n’allait pas dans son sens. Tous ces mensonges n’avaient qu’une seule motivation : dissimuler les incompétences et les défaillances des systèmes de renseignement. Pour l’Armée et la CIA, c’était une question de sécurité nationale. Pour le FBI, c’était une question d’honneur. Pour le Gouvernement, c’était une question de Raison d’État. Concernant la Justice, il est parfaitement logique que celle-ci n’ait eu aucune intention de voir le procès des réseaux islamistes intégristes dégénérer en scandale où la CIA, le FBI et l’Armée figureraient parmi les accusés. L’administration Bush, au travers de la commission d’enquête, a évidemment fait preuve de dissimulation et de manipulation, mais c’était essentiellement pour masquer ses failles et ses erreurs, pas pour masquer cette responsabilité directe dont parlent les truthers. Il est évident que lorsque la sécurité d’un État et la crédibilité de son appareil de gouvernement sont 195


menacées, il ne faut pas s’attendre à ce que ses plus hautes instances jouent cartes sur table. Car la vérité, c’est que la CIA et les services de sécurité se sont laissé surprendre, que les tours sont tombées, et que le Pentagone a été attaqué. Les États-Unis ont échoué. Cela arrive à tout le monde, même à la première puissance de la planète, même à ce peuple de héros qui en théorie gagnent toujours à la fin. Ceux qui ont du mal à l’admettre s’imaginent que les États-Unis sont ce que Hollywood nous en montre : des êtres invincibles, disposant d’une vigilance absolue, une forteresse verrouillée contre toute attaque, grâce à des services de renseignement infaillibles. Cette description fantasmatique ne saurait être plus éloignée de la réalité. En fait, d’une certaine manière, les théories conspirationnistes ont de quoi réjouir la CIA ou le gouvernement, parce que ce complot supposé fait d’eux des manipulateurs invincibles, des maîtres conspirateurs de génie. Mais il ne peut y avoir de conspiration américaine, parce que ceux qui auraient été à même de la mettre sur pied sont tout simplement trop stupides pour pouvoir avoir imaginé un tel plan. Le 11-Septembre n’a pas pu être monté par l’administration Bush ou la CIA. Pourquoi pouvons-nous en être sûrs ? Tout simplement parce que le plan des attentats a fonctionné, comme le dit le journaliste scientifique Michael Shermer avec une pointe d’humour. La vérité du 11Septembre, c’est l’absolue défaillance des services 196


de renseignement américains, et qu’il n’est de complot que celui ourdi par les fous d’Allah – et par ceux qui, dans le sillage des attentats, ont cherché à maquiller les traces de leur incompétence coupable. Ce qui est vrai en revanche, c’est la politique criminelle et liberticide dans laquelle s’est engagée l’Amérique depuis les attentats. Les États-Unis étaient à l’époque l’un des pays les plus ouverts au monde ; il n’y avait quasiment pas de portiques de sécurité dans les aéroports. Tout ça est bel et bien terminé. La population américaine a été rendue docile à l’extrême et se laisse aujourd’hui malmenée dans les aéroports par des employés de sécurité domestique peu aimables, prompts à voir en vous un criminel, et qui s’enorgueillissent odieusement de tenir la « Forteresse Amérique », alors qu’ils ne sont que les agents d’un nouveau business. La sécurité est un marché économique, elle a créé des centaines de milliers d’emplois et d’opportunités commerciales, ouvrant des brèches où des politiques et des investisseurs peu scrupuleux se sont engouffrés, avec d’insupportables conflits d’intérêts économiques à la clé. Le 11-Septembre a été un traumatisme intégral, dans lequel se sont faufilés un désir de répression et une oppression dignes du maccarthysme. Aujourd’hui, des journalistes américains pourtant au-dessus de tout soupçon sont surveillés et font l’objet d’enquêtes, qui 197


n’auraient pas été possibles à l’époque, même à l’encontre de personnes comme Mohammed Atta. Les donneurs d’alerte (les fameux whistle-blowers qui osent dénoncer les dérives de leurs institutions) sont poursuivis et persécutés comme s’ils étaient des traîtres de la nation et des terroristes. À ce sujet, la politique d’Obama est bien pire que celles de Bush et Nixon réunies. Non seulement la politique américaine d’aujourd’hui est liberticide et extrêmement coûteuse, mais en plus elle n’est même pas efficace – comme l’a montré Nathan Myhrvold. Les whistleblowers dénoncent le Patriot Act, mais rien ne change. Le jour où aura lieu une seconde attaque, les principales victimes ne seront pas les tués, mais les libertés civiles individuelles, qui seront encore un peu plus sacrifiées. Le jour où aura lieu une seconde attaque, l’Amérique s’attaquera ellemême. Le jour d’après. Au hasard de mes pérégrinations dans les rues, je me suis fait traîner dans une église, un peu contre mon gré. Là, des gens m’ont demandé si j’avais perdu des personnes qui m’étaient proches. J’ai dit oui. Une femme m’a dit que dieu provoquait ce genre d’événements pour que, dans notre peine, nous nous rapprochions de lui. Je 198


hochai la tête en silence, préférant ne pas commenter cette interprétation totalement psychotique de la réalité. Un homme m’a ensuite pris à part pour me dire que je ne devais pas m’en faire, car mon oncle était « dans la Lumière du Seigneur », ou quelque chose comme ça. Je ne l’ai également écouté que d’une oreille polie, tant son discours me frappait comme un échec total de compassion et de communication. Car lorsqu’il a essayé de me faire comprendre que mon oncle était « ailleurs », dans un « monde meilleur », j’ai eu envie de lui dire que c’était une affirmation totalement péremptoire et uniquement motivée par sa propre peur de sa propre mort, et par son inconfort devant la peine des autres – fut-ce inconsciemment. Mais je me suis abstenu. Le pauvre homme avait probablement aussi perdu un ou plusieurs proches, et, dans le fond, c’était probablement un brave type. Le discours religieux n’avait tout simplement aucune prise sur moi, tant je le trouvais vide de sens, et j’avais envie de leur hurler que leur foi n’était qu’une farce totalement stupide, preuve en était qu’elle ne soulevait pas des montagnes mais qu’elle détruisait des gratte-ciels. Aujourd’hui. Vous pouvez avoir tous les renseignements du monde, si vous n’êtes pas prêts à mourir, vous ne pouvez être à l’abri. Voilà ce que le 11-Septembre 199


nous apprend. Mais être prêt à mourir ne garantit en rien la victoire finale – cela permet seulement de mener des opérations suicides. Car face aux États-Unis, si vous poussez le bouchon trop loin, vous irez rejoindre la longue liste des peuples et des systèmes disparus, dissous ou vaincus – demandez aux Indiens d’Amérique, aux Nazis, au Japon impérial ou à l’URSS. Le jour d’après. Qu’y-a-t-il après l’Amérique ? C’était la grande question posée par la chute des tours, qui était sur toutes les lèvres en ce petit matin du 12 septembre 2001. Certains disaient que l’ancien monde s’était achevé dans les gravats. Ceux-là disaient aussi qu’il n’y avait plus qu’un espace vide à l’endroit où était l’Amérique, et que le jour approchait où personne n’aurait plus jamais besoin de penser à elle, « sauf pour le danger qu’elle représente ». Certains Américains se défendaient d’être au centre du monde. Ils disaient que s’ils avaient été frappés, c’était parce que le reste du monde les avait mis à cette place. Un analyste expliquait que la cible qui avait été visée, c’était l’éclat resplendissant de la modernité américaine. C’était la poussée de leur technologie. C’était la force brutale de leur politique étrangère. C’était le pouvoir qu’avait la culture américaine de 200


pénétrer les murs, les foyers, les vies et les esprits du monde entier. Et que tout ça était fini. Mais je crois qu’au-dessus de tout ça flottait principalement une sorte d’incrédulité, car ce n’était là que des mots. Des mots qui ne collaient pas à la réalité des gravats et du nuage de poussière qui retombait à peine, dévoilant le vide, laissant à voir une plaie béante en plein cœur de Manhattan. Ce qui primait sur tout, c’était, je crois, l’impossibilité de tout un chacun d’intégrer les attentats dans leur système de représentation du monde en général, et de l’Amérique en particulier. Les témoins directs, comme moi, qui expliquaient aux caméras que tout ça était irréel, étaient la marque de ce déni. Par « irréel », nous ne le savions pas encore, mais nous voulions dire : « Trop réel. » Sans le dire, nous pensions : « Je ne veux pas y croire. » Jusque-là, les tours jumelles avaient toujours constitué une empreinte indélébile sur l’horizon indépassable de Manhattan. Mais avec les attentats, tout ça avait brutalement changé. Les tours jumelles avaient été effacées. Le vide fut comblé par les préjugés et les ressentiments. Tout le monde n’avait plus d’yeux que pour cet effondrement impensable qui tournait en boucle sur toutes les télévisions du monde. Tout le monde ne pensait plus qu’à « l’homme qui tombe », cet être humain irréel capté par les caméras en train de plonger dans le vide. 201


Certains psychiatres ont parlé de « fabulation ». Ils ne parlaient pas de mensonge. Ils voulaient simplement dire que ces événements étaient impossibles à assimiler. Quant aux écrivains, ils ne savaient tout simplement plus quoi dire. Eux, les maîtres de l’imagination, étaient sans voix. Ceux qui réussissaient à en parler ne parvenaient pas à trouver d’autres mots que « the thing » ou « the event ». À un moment, quelqu’un a juste dit « Nine-Eleven », en une forme d’acceptation de l’impuissance du langage face à l’ampleur des événements. Aujourd’hui. Telle une litanie, chaque année à la date anniversaire des attentats, les truthers réclament des débats publics filmés. Mais ce qu’ils n’ont toujours pas compris, c’est que les débats scientifiques ne sont pas (et ne doivent pas être) un spectacle. Les débats scientifiques ne se font pas devant les caméras ; ils ont lieu dans des revues scientifiques. Les truthers aiment se présenter comme les victimes du système, qu’il soit politique, scientifique ou philosophique. Ils aiment prétendre qu’on leur nie leur liberté d’expression. Alors qu’ils sont la preuve vivante que cette liberté existe encore : que des individus comme eux puissent affirmer haut et fort partout sur la toile 202


que Bush et le Mossad sont responsables des attentats du 11-Septembre, que le Nouvel Ordre Mondial américano-sioniste dirige secrètement le monde, et que cette élite n’est pas humaine mais reptilienne (!), sans voir leurs sites supprimés, sans voir leurs millions de vidéos YouTube effacées, je ne vois pas comment appeler ça autrement que le profond respect de leur liberté d’expression. Et je ne dis pas ça (uniquement) pour les ridiculiser mais, oui, certains truthers affirment vraiment que Bush serait issu d’une « lignée hybride hommereptile remontant à l’ancienne Babylone. » Si les truthers veulent réellement être écoutés, ils feraient mieux de commencer par se mettre au clair avec certains de leurs sympathisants. Par ailleurs, les membres de ReOpen 911 et des autres « associations pour la vérité » n’ont jamais été inquiétés par le Patriot Act qu’ils dénoncent. Je veux bien le dénoncer avec eux, mais qu’ils arrêtent de se poser systématiquement en victimes du système. La liberté d’expression existe, même dans le milieu des truthers, ce sont eux qui s’autocensurent sans même s’en rendre compte avec leurs sites web criards et absolument immondes, qui se multiplient et qui noient les lecteurs, tout en répétant ad nauseam que les avions n’étaient que des hologrammes. Je suis d’accord qu’on ne leur laisse peut-être pas suffisamment accès aux télévisions et radios grand-public, mais enfin, avec un discours pareil, il ne faut pas qu’ils s’en étonnent outre-mesure. Je 203


sais bien qu’il ne faut pas tomber dans la caricature et qu’il y a parmi eux des gens beaucoup plus raisonnables (ou beaucoup moins dingues) que les pro-reptiliens. Le problème, c’est que leur « élite » la plus respectable (si l’on peut dire) n’a jamais ni su ni réellement voulu s’élever au-dessus de la mêlée de fous furieux qu’ils comptent dans leurs rangs. Car devant les multiples défections de leurs sympathisants les plus rationnels, devant la nécessité de maintenir une certaine dynamique dans leur milieu, ils se sont retrouvés obligés de faire des compromis et de cohabiter avec toute une bande de psychotiques qui font des dégâts considérables à leur image. Que les truthers les plus rationnels fassent d’abord le ménage chez eux avant de prétendre accéder aux médias grandpublic. Et qu’ils se conduisent en adultes. Qu’ils se souviennent ou, plutôt, qu’ils découvrent la répression et la police de la pensée qui a sévi, par exemple, en URSS et en Allemagne de l’Est pendant la Guerre froide avant de parler de leur liberté d’expression qui serait « bafouée ». Il est grand temps que les truthers arrêtent de geindre en affirmant qu’ils sont « exclus stratégiquement de la sphère publique où les débats prennent place » par le simple fait qu’on les traiterait de « complotiste » ou d’ « antisioniste ». Qu’ils assument leurs pensées et leurs idées, et qu’ils prennent exemple sur des investigateurs ou des scientifiques rationnels comme Fabrizio Calvi ou James G. Quintiere qui, eux aussi, dénoncent la version 204


officielle, mais sans tomber dans la paranoïa la plus pure. Qu’ils arrêtent cette attitude puérile qui est de traiter leurs ex-sympathisants de nazis ou de pédophiles (il suffit de traîner sur leurs forums pour en trouver de multiples exemples), d’autant plus qu’ils sont les premiers à refuser qu’on fasse des amalgames odieux lorsque cela les concerne. Cette manière de procéder, détestable et inique, et en plus totalement contre-productive pour leur « mouvement ». Les truthers nous parlent de la réalité face au complot, ils nous ordonnent de lever la tête au lieu de faire l’autruche, ils nous parlent de liberté de l’information et de faillite des médias, ils nous parlent d’investigation et de comportement de mouton. En fait, les truthers aiment surtout prétendre qu’ils sont plus intelligents que nous, les supposés moutons. Finalement, être un truther, c’est plus une façon de se donner un genre, pour se démarquer et pour – pensent-ils – se hisser au-dessus de la mêlée. Pour eux, agiter les théories conspirationnistes est plus un moyen de lutte communautaire (la leur étant évidemment plus intelligente que la nôtre) qu’une volonté de faire triompher la « vérité ». Il serait temps que les truthers arrêtent de donner des leçons à tout le monde et qu’ils comprennent que, dans une certaine mesure, ils forment aussi une foule, ils sont aussi des moutons, ils obéissent aussi aux lois millénaires des comportements 205


sociologiques humains, ils sont aussi dirigés par des modes de pensée produits par des millions d’années d’évolution et des milliers d’années de culture. En définitive, ils sont aussi vulnérables que tout le monde – autant que ceux qu’ils dénoncent – aux pièges de la pensée écrasante de la pseudo-vérité. En plein délire, certains truthers voient des fascistes et des néo-nazis partout et font des comparaisons tout à fait hors de propos entre Hitler et Monsanto6, alors qu’ils n’ont jamais dû lire un seul livre valable sur la Seconde Guerre mondiale (qu’ils commencent par lire les travaux de R. J. Evans, par exemple, et on en reparlera). Il est grand temps que les truthers comprennent que le 11-Septembre n’est finalement qu’un événement parmi d’autres. Certes, ce fut un événement historique traumatisant qui a changé la face du monde (mais il y en a eu d’autres), et il est normal de chercher à le comprendre. Mais les explications fournies par les théories de la conspiration ne sont pas les bonnes. Et certaines personnes se sont faites gravement « aspirées » par cette rhétorique. Certains s’y sont raccrochés un peu au hasard, par défaut, comme à une bouée, et désormais ils ne veulent plus la lâcher, alors même qu’ils ont pied et que le bord de la piscine est juste là, à portée de main. Le 11-Septembre a été un Il ne s’agit pas ici de défendre Monsanto, mais de remettre les choses en perspective : d’un côté, une idéologie raciste, antiscientifique, inhumaine, guerrière et meurtrière, de l’autre une industrie chimique et génétique rendue immorale par la finance internationale et à la tête de terriblement puissants lobbies. 6

206


événement traumatique fondateur pour la pensée de certains, qui se sont construits en réaction à cet événement, et qui trouvent désormais leur raison d’exister dans leur opposition à la version officielle. Pour certains, le 11-Septembre est devenu l’alpha et l’oméga de leur existence. C’est triste, car ils se battent désormais pour des idées absurdes, alors qu’il y a tant d’autres raisons valables de se battre (au hasard : l’illettrisme, les sans-abris, la malaria, la faim dans le monde). C’est triste, parce qu’ils sont pris au piège de leur propre psyché ; après dix ans de leur vie passés à prêcher la « vérité », ils ne peuvent plus concevoir l’idée d’en sortir. C’est triste, parce que l’adhésion aux théories conspirationnistes sur le 11-Septembre amène presque mécaniquement à l’adhésion à d’autres théories du même style, tout aussi stupides, antiscientifique et dangereuses, comme les chemtrails, la géoingénierie et le contrôle mental. Toutes ces visions du monde sont irrationnelles et ont tendance à se renforcer les unes les autres, car l’occultisme, la numérologie, la gnose et le complotisme (entres autres « disciplines ») participent d’un même goût du mystère (indéniablement très excitant pour l’esprit). Les auteurs des thèses alternatives opposent les supposées incohérences et failles de la version officielle à la transparence et à la simplicité (au simplisme) de leur raisonnement. C’est triste, parce que ces théories font régresser l’Humanité à tous points de vue en faisant 207


l’apologie d’idées que la Science et le Progrès ont depuis longtemps réfutées. C’est triste, parce que cela représente une incommensurable perte d’énergie humaine. Comme l’explique le philosophe Michel Onfray, l’irrationnel découle de la peur du vide intellectuel (ici, la peur résultant de l’incompréhension des attentats), de l’angoisse devant l’évidence des hommes à accepter leur ignorance et la limitation de leurs facultés (tout le monde n’est pas scientifique ou historien, tout le monde n’est donc pas « armé » pour comprendre les événements du 11-Septembre). L’irrationnel colmate les brèches faites par la raison (ici, la science, l’histoire, la géopolitique) dans la destruction des illusions (la recherche d’un monde simpliste, d’un monde de paix). Les humains fabriquent de toutes pièces un monde irrationnel (ici, le Nouvel Ordre Mondial) plus facile à habiter (car simpliste) parce que pourvoyeur de (fausses) connaissances qui procurent un semblant de paix avec soi-même. On le voit : la philosophie de l’irrationnel explique largement les mécaniques conspirationnistes. Les mouvements pour la vérité sur le 11Septembre ne sont finalement rien d’autre qu’une énième variation sur le thème de la contre-culture militante, altermondialiste et primairement antiaméricaine. La théorie du complot est une forme de révisionnisme new-age, qui se nourrit du ventre mou de nos sociétés incultes, de l’information anarchique disponible sur Internet, de la logique 208


du spectacle, de notre besoin primaire de domination intellectuelle. En tant que fait social, les théories du complot traduisent en partie la contradiction entre la volonté de savoir des classes dominées et leur absence d’accès aux moyens de ce savoir. L’accès à des sources de connaissance fiables et relativement objectives est pourtant libre et ouvert, mais les adeptes du conspirationnisme refuseront toujours de s’y fier, au prétexte que celles-ci émanent d’institutions envers lesquelles leur défiance est totale. Pour eux, cette défiance devient une force, un argument : opposez à un truther un article scientifique démontrant que les tours jumelles n’ont pas pu être détruites de l’intérieur, et lui vous opposera le fait que votre source n’est pas fiable, car elle fait partie intégrante du système (tous vendus !). Il n’y a, dès lors, plus de débat possible. Plus on est ignorant dans un domaine, moins on a conscience de son ignorance, et donc plus on s’y sent à l’aise. Un prix Nobel sait se montrer extrêmement prudent lorsqu’on l’interroge sur un sujet qui sort de son domaine de compétence, par exemple lorsque l’on demande à un économiste de définir ce qu’est la Vie. Aucune retenue de la sorte chez les truthers : après avoir regardé quelques vidéos sur YouTube et tout en étant incapables de faire la part des choses entre ovni.com et cnrs.fr, eux sont (pensent être) devenus experts en aérodynamique, en résistance des matériaux, ainsi qu’en psychologie des masses et en sociologie des milieux islamistes. Je ne 209


supporte plus ces incultes qui s’improvisent experts en destruction, en effondrement, en calcul de structures et en météorologie. Car dès que l’on gratte un peu la surface, dès que l’on parle module d’Young, de fluage, de méthode de NewtonRaphson ou de non-linéarité, on se rend compte qu’ils ne comprennent rien à ce qu’ils racontent et que tous leurs beaux discours ne sont que du vent. Mais allez faire comprendre ça aux jeunes moutons qui vous traitent de jeunes moutons… La situation est absolument affligeante, mais il faut cependant reconnaître que l’attitude des médias n’aident pas à rendre plus crédible le milieu scientifique. Pour mesurer à quel point le champ médiatique distord la représentation des scientifiques et des universitaires en général, il suffit de voir comment, lorsqu’il est question d’astronomie ou de physique par exemple, les journaux et les médias convoquent régulièrement les frères Bogdanov, gentils et légers charlatans intellectuels, dont la simple présentation de leur dernier livre est déjà truffée d’erreurs et d’assertions ridicules. Quel que soit le domaine concerné, ce sont toujours les mêmes personnes que l’on retrouve dans les médias. La représentation des experts se voit ainsi investie par une logique mais détestable « starisation » d’experts (ou de pseudo-experts) par les médias, en contradiction avec le fonctionnement pluraliste de la pratique scientifique. Cette façon de procéder engendre une grave distorsion de l’image 210


de la Science, et accrédite malheureusement l’idée de l’existence d’une « pensée unique » chère aux truthers. Pour mettre en évidence le lien entre goût pour le conspirationnisme et rejet de la Science, des chercheurs de l’Université d’Australie-Occidentale ont fait publier un questionnaire approfondi sur huit blogs traitant du climat (notons au passage que les cinq blogs climatosceptiques auxquels ils ont proposé leur sondage ont tous refusé de collaborer). Au total, plus de mille questionnaires complétés ont été retenus (un seul par adresse IP) et les résultats sont assez éloquents. Les personnes qui ont une propension à s’approprier toute théorie complotiste sont aussi les mêmes qui vont rejeter entièrement des faits ou des consensus scientifiques. Les personnes croyant qu’un puissant groupe secret baptisé Nouvel Ordre Mondial a pour but de supprimer les États souverains et de gouverner le monde, que les missions Apollo ne sont jamais allées sur la Lune mais ont été filmées à Hollywood, que le gouvernement américain a planifié les attentats du 11-Septembre avec pour objectif de faire la guerre en Afghanistan et en Irak et de limiter les libertés aux États-Unis, que la mort de la princesse Diana n’est pas accidentelle mais un meurtre prémédité par des membres de la famille royale britannique, que les militaires américains ont bel et bien trouvé les débris d’un engin extraterrestre à Roswell en 1947, ces personnes-là ont nettement plus 211


tendance que les autres à penser que le réchauffement climatique n’est pas une réalité, que le SIDA n’existe pas (ou bien qu’il n’est pas causé par le VIH), que l’on peut éliminer des métastases avec du jus de citron (!) ou encore que le tabac ne provoque pas le cancer du poumon. C’est un tout. C’est comme un « package ». Et cette étude montre bien que le complotisme n’est rien d’autre qu’un phénomène de groupe, un phénomène socioculturel. La méfiance pathologique des truthers conduit ces-derniers à présenter leur logique comme inspirée par la méthode du doute cartésien. Ils veulent rejeter comme incertain tout ce qui n’est pas absolument indubitable. C’est absolument « magnifique » : Descartes est utilisé pour soutenir la remise en question de la destruction des tours du World Trade Center par Al-Qaïda. C’est habile en apparence, mais leur procédé ne résiste pas à une analyse sérieuse de leur « philosophie ». Les truthers nous disent que, comme Descartes, ils n’acceptent pas les vérités qu’on leur apporte, au titre que celles-ci seraient « toutes faites ». Ils annoncent donc vouloir prendre le temps d’examiner les choses par eux-mêmes. Il n’y a apparemment rien de plus sain d’esprit que cette démarche critique, qui devrait permettre de séparer le grain de l’ivraie. Voilà donc l’auteur du Discours de la méthode utilisé comme caution morale et philosophique de toutes sortes d’entreprises révisionnistes. Descartes est censé 212


être gage de rigueur intellectuelle, une référence tellement glorieuse qu’elle devrait paralyser de stupeur les plus sceptiques quant aux théories du complot. Il y a cependant quelques « petites » différences entre la méthode cartésienne d’examen attentif et de recherche d’une vérité première, et la méthode de révision générale adoptée par les conspirationnistes. Tout d’abord, les truthers ne partent pas, comme Descartes le fait, d’un doute personnel, mais toujours de « on-dit » et de théories exposées par d’autres. Ensuite, ils mélangent une volonté de douter avec un refus complet de remettre en question leurs propres certitudes envers ce qu’ils considèrent comme les mensonges des autres. Les truthers sont sûrs qu’on leur ment, cela, ils refusent d’en douter. Ce qui est en contradiction totale avec l’expérience de pensée de Descartes, qui propose l’exercice d’un scepticisme justifié et bien délimité, alors que les truthers se perdent dans un scepticisme révisionniste sans fondement et sans limites. Le philosophe joue à se faire passer pour fou, mais s’avère finalement capable de faire la part des choses, tandis que les truthers faussement cartésiens se croient les seuls lucides au monde et ont cette volonté téméraire de se mêler de choses qu’ils ne se donnent pas les moyens de comprendre. Les truthers persistent dans leur doute sans jamais admettre, comme le faisait Descartes, qu’ils puissent se tromper voire flirter avec la folie. C’est dramatique car, avides de comprendre le monde, 213


les truthers et autres complotistes en arrivent à penser que rien n’arrive par hasard, que tout est lié, que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être et que « la vérité est ailleurs » ; leur doute pathologique débouche sur une croyance qui leur procure une grande satisfaction cognitive mais débouche en même temps sur un dangereux sentiment de certitude. Or, « les convictions sont des ennemies de la vérité plus fortes encore que les mensonges » comme le disait Nietzsche… citation qui peut évidemment être exploitée par les deux « camps ». De fait, les truthers accusent la société et les debunkers d’être victimes de biais cognitifs, de distorsions psychologiques qui les empêchent de porter un jugement rationnel. Il est absolument exact que nous sommes victimes de tels biais, mais nous en somme tous victimes : nous écoutons plus l’opinion de nos proches que celles des inconnus, nous accordons plus de poids aux experts qui vont dans notre sens que dans le sens opposé (il a été démontré que nous sélectionnons nos sources consciemment ou non en fonction de ce qu’elles disent), nous préférons entendre les vérités qui nous arrangent, etc. Nous sommes des êtres de sensibilité, de passion et d’intérêt, nous ne sommes pas de simples machines en train d’analyser froidement le monde autour de nous. Mais là où une personne saine d’esprit peut accepter de reconnaître sa mauvaise foi ou ses préjugés, et donc amender son jugement, les truthers se caractérisent par leur refus ferme et 214


définitif de reconnaître qu’ils raisonnent de travers et que ce sont eux, et non pas le Nouvel Ordre Mondial, qui défigurent sans arrêt la vérité. Le Nouvel Ordre Mondial n’est qu’un fantasme, mais un fantasme qui ne disparaîtra jamais tant que l’Homme sera Homme. C’est terrible à dire, mais il semblerait bien que les vacillements du monde intervenus au cours de ces dernières décennies, conjugués à la formidable mutation des moyens d’information, aient « libéré la parole des fous », comme l’a noté l’écrivain et journaliste Antoine Vitkine. La théorie du complot est devenue une grande marmite dans laquelle tout le monde peut désormais venir puiser ce qu’il veut. Alors que Curiosity se pose en faisant du base-jump sur Mars, dans un nouvel accomplissement de la science, nous sommes tristement obligés d’admettre que l’irrationnel, la magie, le millénarisme et la divination n’ont toujours pas disparu. Avec Internet, n’importe quelle information, aussi grotesque soit-elle, se répand à la vitesse de la lumière. C’est donc un acte militant, une urgence citoyenne nécessaire que de lutter contre ce retour en force de la bêtise et de la crédulité. Le combat contre l’imposture est malheureusement rendu terriblement difficile par la logique autiste des truthers. Car la puissance de frappe d’Internet, développée sur le terreau de l’inculture et du besoin de magie, font que la réalité d’une goutte d’eau ne peut plus rien face à l’océan de la rumeur, 215


et que la rumeur est infiniment plus puissante que le démenti. Le jour d’après. Cloîtré dans l’appartement de mon oncle disparu, je regardais la télé sans prêter attention aux images, qui n’avaient plus aucune prise sur moi. Je repensais à la croix qui avait émergé des gravats et aux discours lénifiants dont j’avais été la cible dans les églises de fortune qui avaient fleuri dans les rues. Un prêtre m’avait dit, en extase, que dieu avait été avec nous tout du long, preuve en était cette fameuse croix apparue à Ground Zero7, et preuve en était également l’incroyable ferveur religieuse qui avait suivi les attentats. C’était totalement idiot. Dieu avait été là sous la forme d’une croix, mais il aurait tout de même laissé les avions détruire les tours, tuant des milliers de personnes ? Je savais bien qu’à ce type d’objection on m’aurait opposé l’impénétrabilité des voies du Seigneur ou encore – ce qui revient finalement au même – l’impossibilité pour l’Homme de comprendre le Grand Plan Divin, mais à ce compte-là, plutôt que d’emballer notre auto-aveuglement dans un prêchi-prêcha vaguement transcendant, je Une croix simplement constituée de deux poutres perpendiculaires, trouvée dans les ruines d’un immeuble constitué de… poutres perpendiculaires. Je laisse au lecteur le soin d’estimer la probabilité d’occurrence d’un tel phénomène. 7

216


préfèrerais que l’on soit honnête avec nous-mêmes et que l’on arrête de prétendre que l’on sait qu’il était à nos côtés (puisque ses voies sont impénétrables). En réalité, soit dieu ne peut rien faire contre les catastrophes de ce type, soit il ne souhaite pas le faire, soit il n’existe pas. En résumé, dieu est soit impuissant, soit maléfique, soit imaginaire. Faites votre choix. Une analyse rationnelle de la situation ne révélait que des cendres et des ossements : voilà tout ce qu’il restait de ces ridicules plans divins. Aujourd’hui. De nombreux personnages publics, convaincus que le gouvernement américain est responsable des attentats du 11-Septembre, ont profité de leur notoriété pour donner du crédit aux théories conspirationnistes. Les humoristes et les acteurs ont le droit de dire ce qu’ils veulent, leur liberté d’expression ne saurait évidemment être suspendue. Mais ce sont des personnages publics, et en tant que tels, ils ont aussi le devoir de réfléchir à ce qu’ils disent, et je suis désolé, mais ils ne sont pas les mieux placés pour parler du 11-Septembre. Marion Cotillard, indépendamment de ses prestations pour le moins ridicules (cf. le dernier Batman), Jean-Marie Bigard (qui me fait sourire 217


parfois), Jamel Debbouze (pour lequel je peux avoir une certaine sympathie, mais qui devrait revoir son histoire théologique : non, l’islam, né en l’an 622, ne saurait être arrivé en Europe « il y a trois mille ans »), Thierry Ardisson (dont les qualités de présentateur sont réelles) ne sont absolument pas qualifiés pour disserter sur ces sujets, encore moins pour réaffirmer ici et là, à l’emporte-pièce, quelques légendes urbaines qu’ils n’auront pas pris la peine de vérifier. J’aime une partie du cinéma de Mathieu Kassovitz, mais je ne suis pas d’accord avec lui au sujet du 11Septembre. Kassovitz est allé jusqu’à faire un don de cinquante mille dollars à un certain Mike Gravel, ancien sénateur américain, qui promettait de faire toute la lumière sur la supposée conspiration américaine du 11-Septembre. Mais même parmi les truthers, Gravel a rapidement été démasqué pour imposture. Gravel a pris l’argent, n’en a strictement rien fait de significatif malgré de nombreuses relances, et s’attaque aujourd’hui comme si de rien n’était aux supposés mensonges du gouvernement américain au sujet des… OVNIS. Entendons-nous bien : ce n’est pas parce que Kassovitz fut le plus gros pigeon d’une des pires arnaques du 11-Septembre que c’est forcément un idiot, mais cette anecdote me paraît significative du délire et de la confusion qui règnent dans le milieu des truthers. Pour en revenir à Kassovitz, il a raison de dire, dans son film L’ordre et la morale, que « si la vérité blesse, alors le 218


mensonge tue », mais le problème, c’est que, justement, les théories conspirationnistes sur le 11-Septembre sont un mensonge. Un mensonge, au même titre que toutes les théories conspirationnistes sur les Protocoles des Sages de Sion, qui imprègnent encore aujourd’hui toute la pensée révisionniste et complotiste moderne, alors que ces Protocoles ne sont qu’un faux, comme cela a été démontré à de nombreuses reprises. Et, comme l’a dit Kassovitz, le mensonge tue : chaque page de Mein Kampf est imprégnée du message des Protocoles. Je ne voudrais pas faire d’équivalence directe, ni être accusé d’avoir atteint le point Godwin, mais je voudrais dire que les théories conspirationnistes sur le 11-Septembre ne sont pas qu’une « intéressante » ou « amusante » construction de l’esprit : ce sont des idées réellement dangereuses. Car les truthers dépeignent les terroristes islamistes comme de simples marionnettes de l’impérialisme américano-sioniste. Ce faisant, ils les déresponsabilisent totalement de leurs crimes, ce qui a pour résultat, si on suit leur raisonnement, d’occulter totalement la menace bien réelle de l’islamisme8, et d’inciter les terroristes à plus de violence encore. Car les truthers, en décrivant les États-Unis comme une hydre démoniaque prête à commettre des attentats abominables pour servir ses buts, donnent aux Qu’on ne surinterprète pas mes propos : je ne dis pas que l’islamisme est la principale menace à laquelle le monde doit faire face, c’est une menace parmi d’autres. 8

219


terroristes de nouvelles raisons de se battre. Imaginez si vous étiez né en Syrie et que, regardant Al-Jazira ou lisant Thierry Meyssan, vous en veniez à croire l’Amérique capable d’être coupable du 11-Septembre, vous seriez révolté par ce pays qui aura fait de vous le bouc émissaire d’une des pires boucheries de ces vingt dernières années. En agitant les consciences et en créant la confusion, les « intellectuels » du complot servent de terribles passions. Par ailleurs, les mensonges conspirationnistes sont également dangereux en ce qu’ils font monter l’anti-américanisme. Je ne dis pas que l’anti-américanisme ne comporte pas des éléments légitimes (je pense notamment à la politique étrangère américaine ainsi qu’à ses immondes « croisades » chrétiennes.) Mais il ne faut pas pour autant oublier le rôle majeur qu’a joué l’Amérique dans la généralisation du modèle démocratique à l’échelle mondiale. Or, même si l’anti-américanisme comporte sa part de valeurs démocratiques – l’égalité de tous les peuples, la lutte contre l’hégémonisme –, il agite également d’autres valeurs qui sont, elles, profondément antidémocratiques : la haine de la liberté telle que les États-Unis l’incarnent, ainsi qu’un sentiment indéniablement fascisant qui se trouve parfois en dangereuse sympathie avec le « fascisme musulman » propagé par les islamistes. Il faut donc en finir avec les thèses simplistes des conspirationnistes, il faut en finir avec ce mythe du complot mondial reformulé autour de la 220


diabolisation de l’Occident accusé d’être coupable des malheurs de tous les peuples, il faut en finir avec ce grand complot « américano-sioniste », et savoir se retourner vers les personnes qui sont le plus à même de parler sereinement de ces sujets parfois terriblement complexes. Ce n’est pas le Nouvel Ordre Mondial qui poussé Hitler à provoquer la guerre, pas plus qu’il n’a ordonné aux Hutus de massacrer les Tutsis, pas plus qu’il n’a demandé aux hommes de battre leurs femmes. Mélangez des choses très différentes comme la guerre en Irak, la question palestinienne, la mondialisation et la puissance américaine, ajoutezy une dose d’altermondialisme, de tiers-mondisme et de marxisme, inversez les faits et les conséquences pour demander l’air de rien à qui profite le crime et vous obtenez la vision paranoïaque des obsédés du complot. Mais contrairement à ce que les truthers voudraient nous faire croire, le complot capitaliste n’explique pas tout. En fait, il n’explique rien du tout. Ce complot n’est qu’un fantasme, une chimère, une nouvelle divinité maléfique et, comme toutes les divinités, elle n’est qu’une construction humaine. Et c’est cette construction qu’il faut attaquer avec rigueur, intelligence et discernement. Le problème, c’est que, à chaque fois qu’une personne est amenée à s’exprimer sur un sujet qu’elle ne maîtrise pas, on peut être certain que des portes ouvertes seront enfoncées, que des légendes urbaines seront répétées et que des 221


contre-vérités seront énoncées. C’est un peu comme si vous demandiez à Paris Hilton son avis sur la crise des subprimes. C’est un peu comme si vous demandiez à Booba ce qu’il pense des OGM. C’est un peu comme si vous demandiez à votre jardinier ce qu’il pense de la recherche sur les cellules-souches : en tant que citoyen, il peut évidemment (et heureusement) donner son avis, mais il n’est peut-être pas la personne la plus qualifiée pour apporter un avis réellement éclairant sur ce débat éthique, scientifique, philosophique et civilisationnel. Ce jour-là. Assis sur un banc, mon chien mouillé sur les genoux, je reprenais mon souffle lentement, au milieu d’une agitation qui ne semblait pas vouloir connaître de coup de mou. Voitures de police, ambulances, journalistes, caméras TV, voilà le résultat lorsque des avions traversent le ciel bleu pour abattre une cité en semant le noir et le feu. Qui aurait pu croire ce matin qu’une si belle journée puisse aussi soudainement se muer en un concert d’explosions et de cadavres qui tombent du ciel, suivis de la chute de deux gratte-ciels emblématiques, le tout dans un fracas de fin du monde ? Peut-être que certains auraient pu. Peut-être même que certains savaient ce qui allait se passer. 222


Ce qui était sûr, c’est que les journalistes étaient aux anges, avec cette fin du monde servie sur un plateau d’argent après des années de disette et un bug de l’an 2000 tellement survendu qu’il n’avait finalement rien donné. Assis sur mon banc, je les regardais tourner comme des mouches autour des victimes, et je me mis soudain à les haïr, à vouloir massacrer ces journalistes surexcités plongés au cœur de l’événement du siècle, trop contents de s’afficher à la télévision avec en arrière-plan ces images d’apocalypse rêvée, trop contents de jouer un rôle dans la narration de ces attaques rythmées comme un blockbuster hollywoodien. Aujourd’hui. Les révélations sur Prism et les écoutes, comme celles de Wikileaks, montrent qu’aucun secret d’État ne peut rester sous le tapis. Ces révélations devraient tuer les théories du complot sur les attentats du 11-Septembre. Mais, on le sait, les truthers sont irrationnels et il ne faut donc rien en attendre. En revanche, les honnêtes citoyens intéressés par le sujet peuvent ouvrir grand leurs oreilles… Les révélations de Wikileaks ou celles, plus récentes, d’Edward Snowden sur le système Prism et les écoutes des institutions européennes en disent long sur le contrôle de plus en plus étroit que les grandes puissances gouvernementales et 223


financières exercent sur nos vies. Mais ce qui s’applique aux citoyens s’applique aussi à ceux qui nous écoutent. Certains objecteront que l’individu moyen a, justement, bien moins de moyens pour percer les secrets d’État, mais il dispose d’un avantage considérable : généralement, il sait ce qu’il cherche, contrairement aux agences de renseignement qui sont forcées de ratisser au plus large pour, souvent, ne rien trouver. Le plus difficile, ce n’est pas de collecter des données. Le plus dur, c’est de les trier, de les assembler, de démêler l’important de l’accessoire. Aujourd’hui, près d’1,4 million d’Américains disposent d’une accréditation leur permettant de consulter des documents classés. Plus le personnel habilité à consulter des documents secrets est grand, plus le risque est grand qu’il y ait des fuites. Et ce d’autant qu’il n’est plus besoin de s’introduire de nuit dans un bureau pour voler trois microfilms et quatre classeurs comme dans les vieux James Bond. Il est aujourd’hui possible de copier des milliers de données depuis chez soi ou d’accéder en quelques clics, depuis un poste du Pentagone, à l’équivalent de dix hangars remplis de dossiers en 1941. Et grâce à Internet, il est encore plus facile de les diffuser. Voilà plus de douze ans que des sites fleurissent sur les attentats du 11 septembre 2001, remettant en cause la thèse officielle. Lorsque les révélations de Wikileaks sont sorties, les truthers étaient en ébullition. Rendez-vous compte : le monde entier allait enfin savoir. Ce fut un pétard 224


mouillé. Rien, dans les documents diffusés par Wikileaks, n’a donné le moindre grain à moudre aux théories de la conspiration autour du 11Septembre. Julian Assange, le premier, l’avait dit : « Je suis écœuré de voir que les gens continuent de se passionner pour de fausses conspirations comme celle du 11-Septembre, alors que nous avançons les preuves de l’existence de réelles conspirations, dans des buts de guerre ou de fraude financière massive. » Il n’est pourtant pas difficile de comprendre la différence qu’il y a entre profiter d’un événement tragique pour avancer ses propres pions et l’organiser soi-même. Mais la raison n’a rien à voir là-dedans. Les cas de Bradley Manning, l’analyste de l’armée américaine à l’origine des sources qui ont donné naissance au phénomène Wikileaks, et de Snowden, en attendant ceux qui suivront sans nul doute, ont ceci de commun qu’ils nous démontrent qu’aucune conspiration ne peut tenir bien longtemps, qu’elle finit toujours par émerger, a fortiori quand autant de personnes ont accès à des documents classés. Et à moins de s’imaginer comme les truthers qu’Assange, Manning, Snowden et consorts sont en fait des agents de la CIA qui ont organisé des fuites afin de détourner l’attention des vrais problèmes du monde, il faut bien en revenir aux fondamentaux : si la conspiration autour du 11-Septembre a eu lieu de la manière dont ses partisans la défendent, des milliers de personnes se sont trouvés 225


impliquées, des dizaines de milliers de documents, de messages, ont été échangés et… rien ? Rien dans les poches d’Assange, rien dans le tiroir de Manning, rien dans l’attaché-case de Snowden ? Mais comme le disait Richard Clarke, « les conspirationnistes commettent deux erreurs majeures : la première, c’est qu’ils pensent que le gouvernement est compétent. La deuxième, c’est qu’ils pensent que le gouvernement est capable de garder un secret. » Grâce à Bradley Manning et à Edward Snowden, l’axiome de Clarke n’est plus à démontrer. Ce jour-là. Totalement perdu mentalement, mais à peu près bien physiquement, j’essayais de comprendre, tout en me disant que cela aurait pu être encore pire : nous avions été attaqués, certes, et ce fut spectaculaire au point d’en être inimaginable, mais pour autant que j’aie pu en juger, nous n’avions pas été frappés par une arme bactériologique, nucléaire ou chimique. Je caressais mon pauvre chien, en essayant de me représenter le complexe engrenage de forces au niveau mondial qui avait, de toute évidence, été nécessaire pour que puisse se produire ce déluge de peur et de feu. J’avais bien conscience que nous nous trouvions en un point explosif de l’espace et du temps, à l’extrémité terminale d’un processus qui devait 226


s’enraciner loin, très loin dans les profondeurs de la haine animale et de la politique internationale. Aujourd’hui. Oussama Ben Laden, qui avait réussi une synthèse hors-norme (l’alliance paradoxale de l’obscurantisme primitif de l’islamisme et du haut niveau de savoir requis pour les attentats, depuis la maîtrise logistique jusqu’au financement), aura finalement échoué. Il croyait qu’en frappant Manhattan et le Pentagone, il parviendrait à déclencher une réaction violente des États-Unis, et une polarisation très forte du monde musulman en sa faveur, pour obtenir, en dernière analyse, la maîtrise de l’arme nucléaire pakistanaise. Il a échoué. Il a bien obtenu une réaction violente de la part des États-Unis, mais ce n’était pas celle qu’il attendait. Traqué, il a dû se désolidariser de plus en plus d’Al-Qaïda pour se protéger. Et, là aussi, il a échoué : il a été sauvagement assassiné au petit matin du 2 mai 2011 par un commando américain, dans sa villa d’Abbotabad, au Pakistan. Ce qu’il reste de ses ossements fragmentés par des tirs de fusil d’assaut repose désormais au fond de la mer d’Arabie. Pour le plus grand bonheur des obsédés du complot, qui voient dans l’opération Neptune Spear un nouveau terrain de jeux pour leurs délires des grandeurs. 227


Le jour d’après. Beaucoup de choses ont été dites sous le coup de l’émotion, vingt-quatre heures après les avions. Beaucoup de ces choses étaient vraies. Le problème, c’est que même si certains – les universitaires et les philosophes – ont fait l’effort de séparer islam et islamisme, d’autres – les politiciens –, s’en sont bien gardé. Partout, dans New-York, les Arabes et les musulmans se sont mis à raser les murs. Ainsi que toutes les personnes de couleurs : Indiens, Srilankais, Malgaches, etc. Dans les rues, dans les magasins, les gens de couleur ont (re)découvert le racisme américain originel, ce racisme pétri de nullité géographique et de ségrégation, qui fait que pour bon nombre d’Américains un Sri-lankais hindou n’est pas différent d’un Arabe musulman. Aujourd’hui. Le 11-Septembre, ce n’est pas ma guerre, comme dirait l’autre. Quand j’en aurai fini avec ce texte, j’en aurai fini avec cette funeste journée. Et il me semble que beaucoup d’autres devraient faire de même : lâcher l’affaire. On pourra légitimement me demander pourquoi j’aurai rédigé plus de deux cents pages sur le sujet, tout en ayant déclaré que « ce n’est pas ma guerre ». Disons que sans être totalement « ma guerre », c’est quand même un 228


sujet qui me touche, et je pense pouvoir y apporter quelque chose, au moins dans la forme : un récit et une analyse, plutôt qu’une empoignade puérile sur un forum que personne ne lira. Si un jour ce texte finit par être « connu », il est certains qu’il sera disséqué par les truthers et que le moindre raccourci, la moindre incohérence, la moindre erreur factuelle, le cas échéant, sera utilisé pour dénoncer l’ensemble du texte et le passer au pilori. J’en suis bien conscient, et je m’en moque. Car le 11-Septembre, en plus de n’être pas ma guerre, ce n’est pas ma vie : je ne me construis pas par rapport à ces événements ; ils ne forgent ni mon idéologie ni ma psyché. Je peux vivre sans le 11-Septembre. Les truthers, eux, ne le peuvent pas, dévoués qu’ils le sont à cette mission qu’ils croient juste et dont ils se sont autodésignés leaders techniques et spirituels. Tout ce que je souhaite, avec ces lignes, c’est que quelqu’un qui se pose des questions – légitimes – sur les attentats du 11Septembre puisse essayer de démêler le vrai du faux sans avoir à tomber forcément dans les délires conspirationnistes. Au-delà de ces considérations sur la notion de vérité, je dois bien dire que j’écris pour moi avant tout. Pour moi et peut-être aussi un peu pour mon oncle. Mais, oui, je le confesse : je fais tout cela pour moi avant tout, car même si je n’ai pas été traumatisé par ces événements, j’ai ressenti le besoin de « jeter » tout ça sur le papier. Certains m’ont dit que je devais « écrire sur les avions », 229


parce que je devais exorciser ce qui m’était arrivé. Je n’y crois pas, parce que je n’ai pas réellement été dévasté, je n’ai pas de comptes à régler avec cette journée. Tout ceci n’a rien d’une thérapie. J’ai été abasourdi, stupéfié par l’ampleur de l’événement, oui – mais je n’ai en rien été traumatisé. C’est juste qu’après ça, plus rien ne pourra jamais plus me paraître excessif. Plus rien ne m’étonnera jamais. J’ai probablement, et d’une certaine manière, vécu l’apogée de mon histoire ce jour-là. Il me semble qu’il serait également temps que les truthers avouent qu’ils font tout cela pour euxmêmes. La vérité, c’est que bien peu de truthers écrivent (au sens noble ou même purement technique du terme). Et que ceux qui le font se voient en héros et aiment à se mettre en scène. Ils prétendent généralement qu’ils font ça pour les vies perdues lors des attentats, mais ce n’est que pure hypocrisie. Je méprise ces gens qui dédient leur haine minable de l’Amérique aux vies perdues ce jour-là simplement pour se donner un coup de polish et de respectabilité, alors qu’ils ne font généralement ça que pour donner de grands airs à leur personnalité. J’écris aussi en partie pour la reconnaissance et pour mon ego. C’est peut-être pathétique et terriblement vain, mais au moins je ne verse pas dans l’hypocrisie, je joue cartes sur table et je ne salis pas la mémoire des victimes comme ont coutume de le faire les truthers. Quelque part, nous 230


sommes tous esclaves de l’estime des autres. Il n’est peut-être pas utile de lutter contre ce trait de caractère, car il est probablement impossible de le supprimer. En revanche, il faut choisir avec soin ceux dont on espère l’estime et la reconnaissance. Et dans le milieu des truthers, la recherche de l’estime de l’autre ne peut qu’aboutir à de terribles dérives.

231


232


RÉFÉRENCES  Fabrizio Calvi, 11 septembre, la contre-enquête, Fayard, 2011  Fabrizio Calvi, Comment l’inconscience de la CIA a permis le 11-Septembre, Rue89, 2011  François Bringer, Ils avaient donné l’alerte, Toucan, 2011  Thierry Meyssan, L’effroyable imposture, Carnot, 2002  Thierry Meyssan et al., Le Pentagate, Carnot, 2007  David Ray Griffin, 11 septembre, la faillite des média – Une conspiration du silence, Demi-Lune, 2007  David Ray Griffin, Un autre regard sur le 11 septembre – Dix ans après, le nouveau Pearl Harbor, Demi-Lune, 2011  David Ray Griffin, 9/11 : The Myth and the Reality, conférence, Oakland, 2006  Éric Laurent, La face cachée du 11 septembre, Plon, 2004  Collectif, 11 septembre 2001 – Rapport de la commission d’enquête, Éditions des Équateurs, 2004  Guillaume Dasquié, Jean Guisnet, L’effroyable mensonge, La Découverte, 2002  Fiammetta Venner, L’effroyable imposteur – Quelques vérités sur Thierry Meyssan, Grasset & Fasquelle, 2004  Romain Clergeat, Caroline Mangez, 11 septembre 2001 : la guerre – Enquête sur un attentat contre l’humanité, Filipacchi, 2001  Richard Labévière, Vérités et mythologies du 11Septembre, Nouveau Monde Éditions, 2011

233


 Sylvie Servoise, « L’homme qui tombe » de Don DeLillo, ou le monde de l’après, Raison-Publique.Fr, 2011  Luc Lang, 11 septembre mon amour, Stock, 2003  Jean-Éric Perrin, Histoires du 11 septembre, Fetjaine, 2011  Antoine Bourguilleau, Snowden, l’arme ultime contre les complotistes du 11-Septembre, Slate, 2013  Jérémy Stahl, The Rise of « Truth », Slate, 2011  Antoine Vitkine, Les Nouveaux Imposteurs, La Martinière, 2005  Pascal Bruckner, Misère de la prospérité – La religion marchande et ses ennemis, Grasset, 2002  Richard Hofstadter, Le style paranoïaque – Théorie du complot et droite radicale en Amérique, François Bourin Éditeur, 2012  Véronique Campion-Vincent, La société parano – Théories du complot, menaces et incertitudes, Payot, 2007  Daniel Vernet, La théorie du complot : une histoire américaine, Alphée, 2012  Pierre-André Taguieff, La foire aux illuminés, Mille et une nuit, 2005  Pierre-André Taguieff, L’imaginaire du complot mondial, Mille et une nuit, 2006  Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Puf, 2003  Gérald Bronner, L’empire des croyances, Puf, 2003  Gérald Bronner, Vie et mort des croyances collectives, Hermann, 2006  Gérald Bronner, L’empire de l’erreur – Éléments de sociologie cognitive, Puf, 2007  Gérald Bronner, La pensée extrême – Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Denoël, 2009 234


 Gérald Bronner, La démocratie des crédules, Puf, 2013  Rupert Smith, L’utilité de la force, Economica, 2007  Robert Fisk, Even I question the « truth » about 9/11, The Independent, 2007  Frédéric Lordon, Conspirationnisme : la paille et la poutre, blog du Monde Diplomatique, 2012  Michael Shermer, The Borderlands of Science – Where Sense Meets Nonsense, Oxford University Press, 2002  Michael Shermer, Why People Believe Weird Things – Pseudoscience, Superstition, and Other Confusions of Our Time, Henry Old and Company, 2002  Michael Shermer, Denying History – Who Says the Holocaust Never Happened and Why Do They Say It?, University of California Press, 2009  Michael Shermer, The Believing Brain – From Ghosts and Gods to Politics and Conspiracies, How We Construct Beliefs and Reinforce Them as Truths, Times Books, 2011  David Eagleman, Incognito – The Secret Lives of the Brain, Pantheon, 2011  Michael J. Wood, Karen M. Douglas, What about building 7? A social psychological study of online discussion of 9/11 conspiracy theories, Frontiers in Psychology, 2013  James B. Glattfelder, Who controls the world ?, conférence TED, 2013  Charles-Victor Langlois, Introduction aux études historiques, Kimé, 1898  Comment faire son beurre avec les rumeurs, Le Canard Enchaîné, 3 avril 2002

235


 Julian Assange et al., Menace sur nos libertés – Comment internet nous espionne, comment résister, Robert Laffont, 2013  David Leigh, Luke Harding, La fin du secret, Julian Assange et la face cachée de WikiLeaks, Original Books, 2011  Kevin McGrattan et al., Computer Simulation of the Fires in the World Trade Center Towers, NIST, 2005  Kevin McGrattan, Fire Modeling : Where Are We? Where Are We Going ?, NIST, 2005  Therese McAllister et al., Structural Response of World Trade Center Buildings 1, 2 and 7 to Impact and Fire Damage, Fire Technology, vol. 49, 2013  James Milke, Study of Building Performance in the WTC Disaster, Fire Protection Engineering, 2003  Jesse Beitel et al., Historical Survey of Multistory Building Collapses due to Fire, Fire Protection Engineering, 2005  Jesse Beitel et al., Analysis of Needs and Existing Capabilities for Full-Scale Fire Resistance Testing, NIST, 2008  Eric Douglas, The NIST WTC Investigation – How Real Was The Simulation ?, Nistreview.org, 2006  Ryan Mackey, On Debunking 9/11 Debunking, JoD911, 2007-2008  James G. Quintiere, Principles of Fire Behavior, Delmar, 1998  James G. Quintiere, Fundamentals of Fire Phenomena, Wiley, 2006  James G. Quintiere, Questions on the WTC Investigation, Springer, 2005  James G. Quintiere, A suggested cause of the fireinduced collapse of the World Trade Center Towers, Fire Safety Journal vol. 37, 2002 236


 James G. Quintiere, Scale Modeling of the 96th Floor of World Trade Center Tower 1, ASCE, 2007  Matthys Levy et al., Dix ans après les attentats du 11 septembre – La rumeur confrontée à la science, AFIS, 2011  Phil Molé, 9/11 Conspiracy Theories : The 9/11 Truth Movement in Perspective, Skeptic, 2006  Collectif, Debunking 9/11 Myths : Why Conspiracy Theories Can’t Stand Up to the Facts, Popular Mechanics, Hearst, 2011  Jérôme Quirant, La farce enjôleuse du 11 septembre, Books on Demand, 2010  Jérôme Quirant, Effondrement des tours du WTC : les conclusions scientifiques, Université de Montpellier II, 2009  A.S. Usmani et al., Behaviour of Steel Framed Structures Under Fire Conditions, University of Edinburgh, 2000  Graeme Flint, Fire Induced Collapse of Tall Buildings, PhD Thesis, University of Edinburgh, 2005  Kuldeep Prasad et al., Coupled fire dynamics and thermal response of complex building structures, Elsevier, 2005  G. Mac Queen, T. Szamboti, The missing jolt: a simple refutation of the NIST-Bazant collapse hypothesis, Journal of 911 Studies, 2009  Bruno Faucher et al., Méthodes pour l’évaluation et la prévention des risques industriels, Ω-2, Feux de nappe, INERIS, DRA-006, 2002  Loïc Thomas, Guy Archambault, Sécurité Incendie, Otua, 2005  NF-EN-1991-1-2, Eurocode 1, Actions sur les structures – Partie 1-2, Actions sur les structures exposées au feu, AFNOR, 2003 237


 Joël Kruppa, Sécurité incendie des ouvrages en structure métallique : partie 1, C2506, Techniques de l’Ingénieur  Firebreak, Le Mur Coupe-Feu d’ArcellorMittal, présentation ArcellorMittal, Paris, novembre 2008  T. Wilt et al., Response of Reinforced Concrete Structures to Aircraft Crash Impact, US Nuclear Regulatory Commission, NRC-02-07-006, 2011  K. Muto et al., Experimental Studies on Local Damage of Reinforced Concrete Structures by the Impact of Deformable Missiles, Part 3: Full-Scale Tests, 10th International Conference on Structural Mechanics in Reactor Technology, Anaheim, 1989  P. Rosen et al., A High-Quality High-Fidelity Visualization of the September 11 Attack on the World Trade Center, Purdue University, 2008  Paul K. Mlakard et al., The Pentagon Building Performance Report, American Society of Civil Engineers, 2003  B. Lane et al., Arup Fire’s presentation regarding tall buildings and the events of 9/11, New Civil Engineer, 2005  Amine Mecifi, Sécurité Aérienne, Lulu.Com, 2008  Richard J. Evans, Le Troisième Reich, Flammarion, 2009  Alexandre Adler, J’ai vu finir le monde ancien, Grasset, 2002  Alexandre Adler, Le monde est un enfant qui joue, Grasset & Fasquelle, 2009  Alexandre Adler, Le rapport de la CIA – Comment sera le monde en 2020?, Robert Laffont, 2005 238


 Tim Weiner, Des cendres en héritage – L’histoire de la CIA, Éditions de Fallois, 2009  Ali H. Soufan, The Black Banners : The Inside Story of 9/11 and the War Against al-Qaeda, W. W. Norton & Company, 2011  Russ Travers, The Coming Intelligence Failure – A Blueprint for Survival, CIA Studies in Intelligence, 1996  Nathan Myhrvold, Strategic Terrorism – A Call to Action, Lawfare Research Paper, 2013  Shane Harris, Nathan Myhrvold, milliardaire de Microsoft et révolutionnaire de la lutte antiterroriste, Slate, 2013  Fred Kaplan, Assassinat de JFK : Les imbéciles de la conjuration, Slate, 2013  Vincent Bugliosi, Reclaiming History : The Assassination of President John F. Kennedy, W. W. Norton & Company, 2007  Vincent Bugliosi, The Prosecution of George W. Bush for Murder, Vanguard Press, 2008  Vincent Bugliosi, The Divinity of Doubt – God and Atheism on Trial, Vanguard Press, 2011  Susan Sontag, Regardons la réalité en face, Le Monde, 2001  Régis Debray, Terrorisme, Guerre, Diplomatie – Chroniques de l’idiotie triomphante, Fayard, 2004  Muhammad Idrees Ahmad, A parade of characters and causes led the US to war in Iraq, The National, 2013  Martin Chulov, Helen Pidd, Defector admits to WMD lies that triggered Iraq war, The Guardian, 2011  Vincent Jauvert, Le menteur de Bagdad, Le Nouvel Observateur, 2013 239


 Collectif, Juifs & Arabes – Les haines, les conflits, les espoirs, Courrier International, 2009  Sean Cockerham, Iraqi oil : Once seen as U.S. boon, now it’s mostly China’s, McClatchy, 2013  Greg Muttitt, Fuel on the Fire : Oil and Politics in Occupied Iraq, Bodley Head, 2011  Tim Arango, Clifford Krauss, China is Ripping Biggest Benefits of Iraq Oil Boom, The New York Times, 2013  Patrick Berche, L’histoire secrète des guerres biologiques – Mensonges et crimes d’État, Robert Laffont, 2009  René Descartes, Discours de la méthode, Flammarion, 1978  Harry G. Frankfurt, De l’art de dire des conneries, 10/18, 2006  Harry G. Frankfurt, De la vérité, 10/18, 2008  Carlo M. Cipolla, Les lois fondamentales de la stupidité humaine, Puf, 2012  Robert Wright, Is Bin Laden Winning?, The Atlantic, 2012  Robert Wright, Payback Feels Right, But Leads to More Terrorism, Bloomberg, 2011  Robert Wright, Nonzero – The Logic of Human Destiny, Vintage, 2001  Robert Wright, L’animal moral – Psychologie évolutionniste et vie quotidienne, Folio, 2005  Robert Wright, The Evolution of God, Hachette, 2009  Christopher Hitchens, Les crimes de monsieur Kissinger, Saint-Simon, 2001  Steven Pinker, The Better Angels of our Nature : Why Violence Has Declined, Penguin Books, 2012  Sam Harris, The End of Faith – Religion, Terror, and the Future of Reason, Norton & Company, 2006 240


 Sam Harris, Letter to a Christian Nation, First Vintage Book Edition, 2008  Sam Harris, What Obama Got Wrong About the Mosque, The Daily Beast, 2010  Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole – L’affabulation freudienne, Grasset, 2010  Michel Onfray, Traité d’athéologie – Physique de la métaphysique, Grasset, 2005  Michel Onfray, Antimanuel de philosophie, Bréal, 2001  Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, Imprimerie Jurassienne Genève, 1882  Bernard Sève, La question philosophique de l’existence de Dieu, Puf, 2010  John Horgan, Frank Geer, Where Was God on September 11 ?, Browntrout, 2002  John Blanchard, Where Was God on September 11 ?, Evangelical Press, 2002  Gregory Paul, The Chronic Dependence of Popular Religiosity upon Dysfunctional Pyschosociological Conditions, Evolutionary Biology, 2009  Chris Mooney, The Science of Why We Don’t Believe Science, Mother Jones, 2011  Geographic Literacy Study, National Geographic – Roper Public Affairs, 2006  Martin Amis, Le deuxième avion, Gallimard, 2010  Frédéric Beigbeder, Windows on the World, Grasset, 2003  Marc Dugain, La malédiction d’Edgar, Gallimard, 2005, Planète +, 2013  Marc Dugain, En-bas, les nuages – Légende naïve de l’Ouest lointain, Gallimard, 2010  Ken Kalfus, Un désordre américain, Plon, 2006  Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près, Éditions de l’Olivier, 2006 241


 Don DeLillo, In the ruins of the future, The Guardian, 2001  Don DeLillo, L’homme qui tombe, Actes Sud, 2008  Annie Dulong, Onze, Hexagone, 2011  Jonathan Franzen, Freedom, Éditions de l’Olivier, 2011  Jean-Claude Bartoll, Éric Corbeyran, JeanFrançois Martinez, 9/11, 12 Bis, 2010-2013  Dylan Avery, Loose Change – Final Cut, MercuryMedia International, 2007  Dylan Avery, Loose Change – An American Coup, Microcinema International, 2009  Oliver Stone, Jim Garrison, JFK, Director’s Cut, Warner Bros., 1991, 2001  Michael Moore, Fahrenheit 9/11, StudioCanal, 2004  Paul Greengrass, Vol 93, Universal, 2006  Oliver Stone, Andrea Berloff, World Trade Center, Paramount, 2006  Oliver Stone, Stanley Weiser, W., Lionsgate, 2008  Collectif, 11’09’’01 – September 11, Bac Films, 2002  Nelson McCormick, Killing Kennedy, National Geographic Channel, 2013  Kathryn Bigelow, Mark Boal, Zero Dark Thirty, Columbia, 2012  Christopher McBride, The Conspiracy, Resolute Films and Entertainment, 2012  Jérôme Quirant, Attentats du 11/09 – Mythes et Légendes http://www.bastison.net/

 Debunking the 9/11 Myths : Special Report

http://www.popularmechanics.com/technology/engineering /architecture/911-myths 242


 Forum-Hardware http://forum.hardware.fr/hfr/Discussions/Loisirs/attentatsseptembre-pentagone-sujet_4281_1.htm

 ReOpen 911

http://www.reopen911.info/

 Mike Metzger, Confessions of an Ex-Truther, 2008 http://extruther.blogspot.fr/

 Les perles du 911

http://perlesdu911.blog4ever.com/

 Benoît Bartkowiak, Les théories du complot du 11 septembre http://www.nioutaik.fr/index.php/2013/01/08/634-lestheories-du-complot-du-11-septembre-cest-vraimentnimporte-quoi

243


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.