Céleste ou le temps des Signares - Extrait 1

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28 Source : ¹ De Boufflers S. J.

1786 Gorée vue par le chevalier de Boufflers comparé à la mythique Ithaque

1786 L’accueil du chevalier de Boufflers par les signares de Gorée

Ile de Gorée - le 6 mai 1786 Si j’avais de sublimes talents pour le paysage, je t’enverrais une petite vue de Gorée. Imagine-toi un des rochers d’ou l’on tire des pierres de Spa* placé sur une surface plane, et figuré comme un jambon. Au-dessus du rocher est un petit fort ; au bas est une petite ville ; de droite et de gauche sont des batteries aux trois quarts démolies. Les jardins sont bien cultivés, les maisons ne sont point mal bâties, toutes en pierre, et la plupart des toits en paille, en attendant qu’on ait des planches et de la chaux pour les mettre à l’italienne. C’est à quoi chacun travaille, mais tout se fait lentement, parce que qu’on ne peut avoir de la chaux qu’à cinq lieues d’ici**, et qu’il faut l’apporter en pirogue. Enfin, j’ai le plaisir de voir pour la première fois depuis que je suis en Afrique quelque chose qui tend à la perfection au lieu de s’en éloigner***. C’est ce que l’on peut demander aux choses de ce monde. Je compte rester ici trois ou quatre jours, et de là j’irai chercher mes chevaux et mes chameaux, qui m’attendent à la GrandeTerre (presque île du Cap vert-Dakar ) pour me rapporter au Sénégal (comptoir de Saint Louis). Adieu, je te baise et te rebaise avec un avant-goût très marqué du plaisir que j’aurai à te baiser et à te rebaiser à mon retour.¹

Le 7 mai 1786 à Gorée. Je continue à me trouver fort bien ici. Je serai venu y prendre l’air, comme on va à Spa y prendre les eaux. Je me sens une force et une activité que je ne me connaissais plus, et sans mes coliques d’estomac qui me font souffrir depuis deux jours, il ne me manquerait que toi, c’est-à-dire tout.¹ Le 8 mai 1786 à Gorée. Tu n’imagines pas, mon enfant, la quantité d’affaires que je trouve ici. J’étais venu y chercher quelques moments de loisir et de délassement, au lieu de cela je suis obligé d’écouter et de discuter mille plaintes, mille réclamations, et, par malheur, toutes plus justes les unes que les autres ; ce qui prouve que tous mes prédécesseurs, depuis le premier jusqu’au dernier, ont tou­jours regardé la colonie comme une maison écroulée d’où chacun cherche à emporter quelque chose, au lieu de travailler à la raccommoder. Grâce au ciel et à toi, dont j’ai épousé tous les principes en t’épousant, je suis venu ici avec d’autres projets, et je crois aussi que j’en sortirai avec une autre réputation. J’aime à me vanter, parce que c’est te vanter aussi : nous pensons de même, nous sentons de même, et, au visage près et à quelques autres petites différences près, où je gagne plutôt que d’y perdre, nous sommes de même, ou pour mieux dire nous ne sommes qu’un.¹

Lettres d’Afrique à madame de Sabran Paris, Actes Sud, coll. « Babel »1998.

* Spa, célèbre ville d’eau en Belgique, où l’élite européennes se retrouvait en été au xviiie siècle. ** Allusion à Rufisco. *** Allusion à Saint-Louis où il est difficile de vivre à cette époque. www.signare.com


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