PETIT ADDENDUM A L’ACTUALITÉ DE L’ARCHIVISTIQUE ARTISTIQUE EN FRANCE (LEFEVRE JEAN CLAUDE)

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PETIT ADDENDUM A L’ACTUALITÉ DE L’ARCHIVISTIQUE ARTISTIQUE EN FRANCE (à propos du travail de LEFEVRE JEAN CLAUDE)

0.0 Si d’une part, en avant-propos des actes d’un colloque international de 510 pages sur Les écrits d’artistes depuis 1940, le comité éditorial excipe de « l’émergence d’un usage intensif de l’écrit intégré à l’intention artistique et dont on peut se demander s’il s’agit d’un nouveau formalisme ou d’une métamorphose radicale — voire politique — de l’art1 » pour justifier le choix de la séquence chronologique retenue — soit de 1940 à nos jours ; si dans le même ouvrage d’autre part, Françoise Levaillant 2 cite le regretté Raymond Hains qui se demande en 1986 : « L’activité de rangement deviendrait-elle un geste artistique ? Voyez à nouveau Duchamp, mais surtout, peut-être, Georges Perec : Ce livre est né du désir de ranger"3… » ; alors, comme elle conclut en effet on ne saurait ici partir que de ce « double constat : l’écriture de l’artiste n’a pas seulement envahi les archives, elle a envahi le champ artistique. Que savons-nous aujourd’hui de ces écrits d’artistes, qui surgissent si nombreux dans l’édition […] et se nichent à l’état d’inédits dans la majorité des ateliers ? » 0.1 L’une des réponses à cette question – mais sous une forme éminemment pionnière —, gît dans l’œuvre de LEFEVRE JEAN CLAUDE (LJC). Car s’il y a bien un artiste qui ait — par excellence et par anticipation — posé la question de l’archive, non pas « comme un simple auxiliaire ou supplétif de l’Histoire, convoquée seulement pour les besoins de ses reconstitutions, de ses procès ou de ses interprétations, et donc pour l’édification idéologiquement intéressée de ses "grands récits" », et si par conséquent l’archive doit être considérée comme « un objet culturel en soi, certes toujours parcellaire, spécifique, idiosyncrasique, mais forcément saturé de signes, de significations, de sens4 » alors, aucune histoire de l’art contemporain digne de ce nom ne saurait plus faire dorénavant l’économie de l’actuariat de LJC, archiviste-néographe de son état depuis plus de trente ans maintenant. Qu’il nous faille certes avouer de ce dernier ce que disait Camille Mauclair de Flaubert — « Toutes ses retenues de créateur profitèrent à son caractère

1- Françoise Levaillant (dir.), Paris/Caen, INHA/IMEC, 6-9 mars 2004, p. 7 (nous soulignons). 2- …par ailleurs auteure d’une communication sur Les archives d’artistes au XXe siècle : le point de vue d’un chercheur, Ibid., p. 12, note 13. 3- Françoise Levaillant, op. cit., p. 13. 4- Claire Paulhan, Olivier Corpet, « Eclats d’histoire », Artistes, écrivains et éditeurs, Archives des années noires, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, IMEC, 26 juin-12 septembre 2004, p. 11 ; à l’appui de la récente intégration de l’archive à l’intention artistique, notons qu’en effet le Vocabulaire d’esthétique d’Etienne Souriau [A. Souriau (dir.), Paris, 1990] par exemple, ne comporte pas cette entrée… 1


secret et desservirent son caractère public 5 » — son abnégation à elle seule suffit-elle à expliquer l’étrange lacune (ou l’œil de cyclone ?) que constitue le travail de LJC au cœur des actualités historiographiques et archivistiques en général6 comme au regard en particulier, de la « politique active concernant les archives d’artistes contemporains », tel du moins qu’on le constate « dans toutes les institutions ayant de près ou de loin un intérêt dans ce domaine : bibliothèques spécialisées ou générales, musées, archives, DRAC, galeries privées, centres de recherche universitaires, CNRS 7… » 1.0 Si par exemple Anne Moeglin-Delcroix a montré que le cahier de Jean Hélion, constitue « la chronique de l’œuvre au fur et à mesure de sa progression, tableau par tableau » puisque, comme l’écrit le peintre lui-même, « ces notes griffonnées ici durant la manœuvre de peindre sont peut-être l’essentiel de mon travail », autrement dit, si cette activité d’écriture rend résiduelle voire insignifiante sa production picturale comme l’aura très justement deviné Gilles Aillaud en considérant en Hélion un artiste « si exceptionnel à mes yeux qu’il était secondaire qu’il fût peintre8 », alors le travail de LJC devrait susciter tout l’intérêt qu’il mérite de la part de maints chercheurs. Mérite qui tient précisément au seul fait qu’en 1984, LJC avait déjà réalisé via l’art conceptuel, que non seulement les gestes de peindre mais encore d’écrire et même d’exposer, dérivaient de l’acte d’archiver plutôt que celui-ci n’en procédait ; ce faisant, il se gardait du même coup de confondre geste et gestation, s’abstenant en outre d’occuper la position sociale de l’artiste dont on sait — permissivité institutionnelle et indifférence socioculturelle aidant —, qu’elle est devenue ready-made à l’horizon des années 70-80. 5- L’art en silence, Paris, Paul Ollendorf, 1901, p. 70. 6-Voir notamment le GAAEL (Guide des archives d'artistes en ligne) : « le guide des fonds d'archives d'artistes, de collectionneurs et de galeries du XX e siècle est une base de données permettant de localiser des fonds ou des pièces d'archives conservés en France. Ce projet est mené par l'Institut national de l'histoire de l'art (axe « archives de l'art de la période contemporaine XIXXXe siècles »), en concertation avec la direction des Archives de France, la direction du Livre et de la lecture et la direction des Musées de France du ministère de la Culture et de la Communication » ; voir aussi le colloque qui, dans le lointain sillage de la Documenta X en 1997 (?), s’est tenu à Rennes les 7-8 décembre 2001, intitulé Les Artistes contemporains et l'archive : interrogation sur le sens du temps et de la mémoire à l'ère de la numérisation ; les 24-25 mars derniers, on s’interrogeait ainsi au MACVAL de Vitry : L’art peut-il se passer de commentaire ?, etc. 7- Françoise Levaillant, « L’invention d’un auteur », op. cit., p. 9-10 ; la traversée du désert par LJC de la critique académique reste toutefois parsemée de quelques oasis : voir notamment les acquisitions effectuées par Marie-Cécile Miessner pour le Cabinet des estampes de la BN ou encore et l’intérêt que portent à ce travail Leszek Brogowski ou Anne Moeglin-Delcroix ; cette dernière projette en effet de lui consacrer une journée d’étude en novembre prochain, coordonnée par Marie-Hélène Breuil au Centre de philosophie de l’art de l’université de Paris I : Le travail de l’art au travail : autour du travail de Lefevre Jean Claude et de l’archive. 8- Cité par Yves Chèvrefils Desbiolles, « “Ce qui dépasse”, Le projet scriptural de Jean Hélion », Françoise Levaillant (dir.), op. cit., p. 279, 281. 2


Autant de raisons pour lesquelles LJCARCHIVES demeurent irréductibles à un simple fonds (d’autographes) ou à une base de données (documentaires) en attente d’actuels ou de futurs chercheurs au sens usuel du terme ; car comme l’artiste l’énonce lui-même — ou mieux, le translabore —, par-delà le « rangement » ou le classement comme « geste artistique » selon Hains, Perec et bien avant eux, M. Teste et sa devise — Transiit classificando9 —, il importe ici de bien distinguer que la mise en place de LJCARCHIVES en effet, n’avait « pas pour objectif [leur] transmutation en œuvre d’art. Le rôle, la fonction de l’archive est d’être à la fois la peau et le corps du travail de l’art. Sa justification est d’être traitée comme trace ultime de l’art. Pas de déplacement de fonction, pas de simulacre, pas de fiction. LJCARCHIVES se doit d’être un lieu exemplaire comme outil de travail. Cet outil n’étant pas à assimiler au fonds exploité 10. » 1.1 Autrement dit, l’archive n’est ici antérieure que pour être postérieure — et inversement — à toutes les productions écrites, orales, iconographiques et pour ainsi dire objectales dont LJC s’autorise de temps à autre. C’est expressément en ce sens que « l’archive est bien l’unique source à partir de laquelle nous pouvons développer la notion de travail de l’art au travail et rendre manifeste la question de l’objet résiduel11. » Et c’est paradoxalement à rebours du conservatisme inhérent à l’institution des archives que LJCARCHIVES ne relèvent donc pas d’un « nouveau formalisme », pas plus que l’activité dont elles constituent la matière première et ultime n’est justiciable d’un quelconque « désir de ranger ». Si l’archive paraît ici « envahir le champ artistique », c’est moins en tant qu’écriture littéraire et/ou documentaire résiduelle que, inédite, imprimée ou éditée, elle n’entende pas moins persister et se signer, par et pour LJC, en tant que facteur d’art a priori. Telle est la véritable révolution — quantique plutôt que copernicienne — dont LJC peut se prévaloir dans l’ordre artistique : celle-ci aura consisté, d’une manière contraire aux sens et aux usages reçus, à concevoir la production plastique, non en fonction d’une fin ou d’une finalité ordinairement réifiée, soit via un objet (comme dans l’esthétique traditionnelle) soit via un sujet (comme chez Kant puis Duchamp), mais en fonction de la relativité, de la différence ou de la coefficience de l’un vis-à-vis de l’autre comme de l’un envers l’autre — autrement dit, en tant qu’ils se conditionnent mutuellement. Cette réciprocité étant par principe antérieure aux termes du rapport (sujet/objet, virtuel/actuel, inhumation/exhumation…), c’est en vertu même de cette antériorité non-chronologique que pour LJC, l’art est toujours

9- … c’est-à-dire, « Il a passé (sa vie) en classant », mais aussi « Il a classé (sa vie) en passant » ; cité par Gérard Genette, « Raisons de la critique pure », Les chemins actuels de la critique (dir. G. Poulet), Paris, 1968, p. 127. 10- Travaux sans suite I, polycopie, Gentilly, 1995, note du 18 août 1994. 11- LJC, « Lecture exposition # 12 », claude rutault, transit/extension, Paris, 2003, p. 11. 3


déjà donné ou d’avance disponible comme tel, même si et pour cette raison même, il n’est donné à tout le monde d’en disposer ou d’en faire qu’à certaines conditions ; l’absence ou même la négation de l’art n’est donc jamais qu’apparente pour LJC ; réciproquement, ce n’est qu’en apparence ou par défaut qu’il se laisse réduire sans reste à ses effigies, ses fétiches ou ses produits… dérivés ; la possibilité même de la disparité sinon de la disparition des œuvres d’art, de leur dérive ou de leur récupération socioculturelle ou muséologique, tient précisément à la plasticité de l’art et non pas l’inverse ; aucun objet ni aucun sujet en effet, relevât-il de telle ou telle discipline artistique, n’est à lui même justiciable de sa propre plasticité. 1.2 Dès lors, comme le proclame et paraphe l’artiste lui-même en 1985 : « Il est patent pour LJC que les données ici collectées sont à charge d’histoire sinon déjà celle-ci, [ce produit-ci] étant dès sa conception, facteur d’art12. » Partant, LJCARCHIVES peuvent être incidemment considérées comme « la chronique de l’œuvre au fur et à mesure de sa progression », certes ; mais pour autant toutefois que ladite progression demeure à tout moment susceptible d’être investie a contrario, au gré d’un processus de rétrocession ou de rétrogradation vers ses conditions de possibilité ; ce n’est qu’à cette condition que la pratique de LJC s’est alors irréversiblement affranchie de tous les prétextes — « la manœuvre de peindre » par exemple — qui président encore aujourd’hui à tant et tant de croquis, maquettes et autres « notes griffonnées » (ou non) par tel ou tel acheiropoïète, ce dernier fût-il (ou non) écrivain, écrivant, artiste(-peintre) ou encore plasticien dit conceptuel. 1.3 « Ma rencontre avec Foucault, dit Arlette Farge, était improbable car on ne travaillait pas du tout dans les mêmes directions ; elle s’est faite sur le matériau lui-même, sur quelque chose que l’on ignore en général, sa sensibilité à l’archive. Il était très influencé par l’esthétique du document. » Mutatis mutandis, n’est-ce pas dans cette perspective qu’il conviendrait d’aborder le projet de LJC ? Un tel projet ne suppose-t-il pas d’emblée une sensibilité particulière à l’endroit de toute la paperasserie paratextuelle, c’est-à-dire administrative, promotionnelle et transactionnelle qui, par cartons d’invitation, communiqués de presse, critiques, catalogues, cartels et autres texticules divers et variés interposés, irrigue autant qu’elle contribue de manière généralement inaperçue, à la description comme à la prescription des limites le champ de l’art ? Il n’est donc pas surprenant que l’historienne prétende qu’à cette époque, il lui importait alors de poser « la question du comment, sans la question du pourquoi. » Et d’ajouter : « Cela rejoignait une façon très artisanale que j’ai conservée de travailler, qui consistait à 12- LJC, Un catalogue publié avec le concours du Centre National des Arts Plastiques (FIACRE) et le soutien des galeries Durant-Dessert et Ghislain Mollet-Viéville, Paris, n° 5-6, Paris, 1984-1985, p. 0. 4


mettre à jour les fonctionnements les plus infimes dans ce magma que l’on appelle le social. » Or, s’interroger ainsi sur le quomodo plutôt que sur le quid suppose d’emblée une approche immanente ou sensorielle du matériau documentaire, appréhension non-exempte d’une certaine émotion comme le rapporte Arlette Farge : Foucault « est le seul qui m’ait dit que l’on peut travailler avec l’émotion. Il a permis pour moi que l’émotion ne soit plus l’émotion au sens mièvre du terme, mais un outil intellectuel13. » Et sans doute est-ce que, sans cette émotion et l’artisanat qu’elle implique en effet, jamais les archives ne seraient devenues l’archive dont il n’est pas indifférent d’observer après Françoise Levaillant que, « dans la droite ligne de Foucault, c’est principalement à l’historienne Arlette Farge que l’on doit la légitimation du mot au singulier 14. » Autrement dit, les archives n’ont pu se laisser « envahir » par les écrits d’artistes qu’à la condition inverse que sous l’angle de leurs singularités précisément, elles recelassent tout un art ingénu d’écrire… 2.0 De ce que l’écriture de LJC ne se laisse ranger, ni dans la littérature ni dans les écrits, les statements ou les manifestes d’artistes, et de ce que ses archives comportent des « éléments diversement appréciables », autrement dit, des données indifféremment allographiques et autographiques dûment collectées ou colligées pourvu qu’elles fussent « comptables de travaux pour lesquels il n’a pas été nécessaire de matérialiser l’existence en s’appuyant sur le principe conventionnel de l’exposition15 », découle donc deux écueils : il va sans dire primo, que le travail de LJC, transversal et transgressif par définition, prête d’emblée le flanc à la censure institutionnelle, esthétique et sociale qui sévit dans le champ de l’art dit contemporain, du moins tel qu’il se définit et décline statistiquement à travers ses lieux, sa temporalité et ses agents. Car un projet artistique qui s’énonce comme suit : — « Lier ainsi l’objet décrit dans son espace éloigné, périphérique. Ne pas distinguer l’objet de l’environnement qui le porte. Ne pas hiérarchiser les étapes de son façonnement. Le croquis, la note écrite, la méthode technique appliquée à "l’objet" construit, sont à enregistrer comme des strates d’égale nécessité16 » —, un tel projet disionsnous, par l’exigence qu’il induit, s’inscrit nécessairement en marge de l’actualité et du marché des biens culturels dont les promoteurs, privés ou publics, assument pour la plupart les cloisonnements intrinsèques et la clôture extrinsèque, fût-ce à grand renfort de dénégations quant aux jeux et enjeux des positions para-artistiques ou résolument étrangères à l’art qu’ils

13- Cité par François Dosse, Histoire du structuralisme II, Paris, 1992, p. 299-300 (nous soulignons). 14- Art. cit., p. 10-11, note 5. 15- LJC cité par Jean-Charles Agboton-Jumeau, LJC, Extraits (polycopie), Paris & alibi, 2004, p. 7. 16- Ibid., p. 9 (nous soulignons). 5


y occupent, ainsi qu’aux (di)visions intestines qu’ils y fomentent pour mieux contrôler et dominer la production symbolique. 2.1 Secundo, en va-t-il autrement sur le front universitaire ou savant ? Malgré la rigueur scientifique dont le champ académique se réclame volontiers, cette profession de foi rhétorique n’est pas toujours exempte d’un certain « culte des transgressions sans péril » dont parle Bourdieu quelque part. C’est que, comme l’observe de son point de vue Jean-Luc Godard en effet, « la France est faite de compartiments. Or, dans un moyen d'expression tout est lié, et tous les moyens d'expression sont liés. Et la vie est une. Tourner et ne pas tourner, pour moi, ce n'est pas deux vies différentes17. » Si pour LJC, écrire ou ne pas écrire est indifféremment facteur d’art et s’il a, par principe et par destination, fait de l’archive ou de l’allographie artistique un outil, un moyen ou même un genre d’expression (et d’impression18) autographique inséparable de ses conditions de possibilité tant matérielles qu’intellectuelles, son travail ne peut s’inscrire qu’en deçà ou par-delà les (di)visions ou les clivages toujours en vigueur entre tels scribes (paléographes) et tels polygraphes (postmodernes) ou entre l’art dit moderne et l’art dit contemporain, etc. Et voilà pourquoi l’Université est plutôt muette… quant au travail de l’art au travail : l’émotion ou la vie n’y demeure toujours qu’exceptionnellement matière à intellection ou à perlaboration — et réciproquement. 2.2 Mais notre cinéaste contemporain de poursuivre : « Il faut voir aussi que ce compartimentage de la mentalité correspond à un compartimentage de la vérité sociale : « il ne faut pas mélanger les genres, mais il ne faut pas non plus mélanger les gens19. » Partant, il anticipe et recoupe à sa façon, le triple diagnostic rétrospectif mais néanmoins d’actualité naguère établi par André Chastel, depuis un point de vue pourtant académique par excellence. Si un tel diagnostic paraît devoir concerner sinon alarmer les artistes, les critiques et les historiens d’art en général, il s’impose d’emblée à tout spectateur, lecteur ou auditeur du travail particulier de LJC dont on a vu que, à même l’archive, son activité se confondait avec son existence :

17- Alain Bergala (dir.), Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard (1962), t. I, Paris, 1985, p. 233 ; pour mieux appréhender le travail de l’art au travail selon LJC sinon JLG, il suffit de remplacer le mot fluxus par celui d’archive dans cette citation de George Maciunas (1964): “Fluxus is not an abstraction to do on leisure hours – it is the very non-fine-art work you do (or will eventually do). The best fluxus “composition” is a most non-personal, “ready-made” one like Brecht’s “Exit” – it does not require any of us to perform it since it happens daily without “special” performance of it.” ; cité par K. Stiles & P. Selz, Theories and Documents of Contemporary Art, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1996, p. 727) 18- Cf. à cet égard, Jean-Charles Agboton-Jumeau, LJC, éditeur à compte d’auteur/Marion Hohlfeldt, La pensée en transparence, Centre des livres d’artistes, Saint-Yrieix-la-Perche, 2004. 19- Alain Bergala (dir.), op. cit., p. 235. 6


1/ « l’inclination des clercs français pour la mise en forme doctrinale accentue constamment l’écart entre la pensée et le vécu, sans faire aucune place à l’activité artistique […] Telle est l’attitude courante pendant des siècles dans ce pays. »

Or c’est précisément à ce formalisme doctrinaire, impénitent et impertinent (tel que le redoute le comité de rédaction susmentionné au sujet de « l’émergence d’un usage intensif de l’écrit intégré à l’intention artistique ») que mutatis mutandis, la remarque suivante risque encore aujourd’hui d’être applicable au travail de LJC : 2/ « La principale difficulté de l’étude est malheureusement assez claire : le développement si constant, si soutenu, de l’activité artistique, n’a pas été accompagné par les chroniqueurs et par les historiens jusqu’à l’admirable recueil de textes fourni par Mortet et Deschamps. […] Nous n’avons pratiquement aucun témoignage contemporain significatif sur Jean Fouquet, qui est un des plus grands peintres de ce pays, et il s’en est fallu de peu que son nom même nous échappât. »

Faut-il s’étonner dès lors que, non moins hier qu’aujourd’hui et peut-être demain, de fortes présomptions de fait pèsent sur la capacité de l’intelligentsia française à accorder une place véritable à l’activité artistique présente, quitte à se résoudre enfin à transgresser les (di)visions et les ségrégations tant scolaires et scolastiques, formelles et formalistes que disciplinaires ou institutionnelles voire personnelles qui conduisent, par approximations successives et imperceptibles, à négliger l’activité singulière, intempestive et d’avant-garde de maints artistes en général et de LJC en particulier ? Faute de quoi en effet, bien que sachant l’Histoire bègue, les historiens se verraient à leur tour condamnés à la bégayer plutôt qu’à l’exprimer. Quelle que soit la réponse à cette question qu’une certaine actualité culturelle continue cependant d’ignorer, qu’on veuille bien en attendant se rappeler la donnée historique suivante : 3/ « Félibien que l’on est bien obligé de considérer comme "le premier historien de l’art en France" n’illustre que trop l’orientation fâcheuse de la culture qui, sous prétexte de généralité, refuse à la fois l’histoire et la critique ; seule compte l’ère moderne et seul importe l’éloge du prince et des institutions qui viennent d’être créées20. »

2.2.1 A bon entendeur, —

20- André Chastel, Introduction à l’histoire de l’art français, Paris, 1993, p. 193, p. 196-197 (nous soulignons, ou plutôt, l’actualité culturelle le fait d’elle-même ; suffisent à l’attester le discours du premier ministre lors de la dernière FIAC, l’organisation consécutive de l’exposition en cours de préparation au Grand Palais à Paris sur à l’art… français (?) sous l’égide du ministère de la culture et enfin, l’autosatisfaction institutionnelle dont fait l’objet le Palais de Tokyo qui, quoiqu’il n’ait jamais cessé de renaître de ses cendres, viendrait d’être créé…) 7


© jcaj, mars 2006

N.B. Cet article a fait l’objet d’une publication commandée mais néanmoins bâclée et tronquée (par A. Gurita) dans la version papier de XV, catalogue de la Biennale de Paris, 2006-2008.

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