J'attends le numéro 66

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J’ATTENDS le numéro 66

LABORATOIRE

DE RECHERCHES

CREATIVES 2e TRIMESTRE 2022

BRETAGNE


J’ATTENDS le numéro 66 PHOTO —— STÉPHANIE KLEPACKI - UNSPLASH

LABORATOIRE

DE RECHERCHES

CREATIVES 2e TRIMESTRE 2022

BRETAGNE


J’ATTENDS LE NUMÉRO 1 LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES

2011•2022 ——

CRÉATION Isabelle Souchet & Ivan Leprêtre DESIGN Ivan Leprêtre CONTACT ivanlepretre@gmail.com

—— PHOTO DE COUVERTURE Clovis Wood - unsplash

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J’ATTENDS le numéro 66 PHOTO —— FRED CHAPOTAT

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CREATIVES 2e TRIMESTRE 2022

BRETAGNE


SOMMAIRE

ALAIN DIOT • 08 Maître de conférence en arts plastiques • alaindiot2@orange.fr

—— MANUEL PIRES • 16 Photographe • Courriel : manuel.pires@oeilclair.net • oeilclair.net

—— ÉLISABETH CHAMONTIN • 20 journaliste et poète • blogotobo.blogspot.com • elisabeth.chamontin@gmail.com

—— ISABELLE SOUCHET-LEPRÊTRE • 23 Artiste numérique • isabellesouchetlepretre@gmail.com

——

FLORENCE HENNEQUIN • 26 Musicienne • florencehennequin@me.com

—— IVAN LEPRÊTRE • 32 • 54 Directeur de création • ivanlepretre@gmail.com • ivanlepretre.com

—— GÉRARD MARTY • 40 Artiste - Illustrateur • martygetc@free.fr • gerardmarty.blogspot.com

——

ALINE HANSHAW • 42 • 54 Bricoleuse • aline.hanshaw@wanadoo.fr

—— COLETTE LE VAILLANT • 45 Jongleuse de mots, exploratrice de l’inconscient • contacter.colette@gmail.com

—— RAOUL HARIVOIE • 53 Poète • raoul.harivoie@laposte.net

——

LAURENT VERNAISON • 54 Épicurien • lvernaison@wanadoo.fr

——

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SOMMAIRE

BIXENTE CABALLERO • 55 Épicurien • locotwister@gmail.com

—— YVES LECOINTRE • 55 • 69 Érudit • yves.lecointre@gmail.com

—— SOPHIE CHAPOTAT • 57 Directrice de Création • schapotat@gmail.com

—— JEAN-MARC COUVÉ • 65 Écrivain, critique et illustrateur • jeanmarc.couve@gmail.com

——

JEAN-MICHEL BAUDOIN • 73 Écrivain et musicien • baudoin.jean-michel@wanadoo.fr www.facebook.com/jmbaudoinecrivain

—— DO SÉ • 77 Poétesse • dose.mots@gmail.com

—— FRÉDÉRIC ADAM • 78 Poète • frederic_adam@hotmail.fr

——

FRED CHAPOTAT • 82 Photographe • fredchapotat@orange.fr • fredchapotat.com

——

OLIVIER ISSAURAT • 89 Enseignant • oissaurat@ac-creteil.fr olivier.issaurat.free.fr

——

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PHOTO —— SOPHIE CHAPOTAT

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ÉDITORIAL PHOTO —— ROBERTO GUALINI - UNSPLASH LE PHARE DU PETIT MINOU

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BRETAGNE


ALAIN DIOT

CHAUDE COMME LA BREIZ !

———

Bien sûr, pour évoquer sans

dans les forêts de Brocéliande où

artichauts à Saint Malo. Et si on l’a

hargne les beautés de la Bretagne

ces sarabandes d’échevelés qui

fait tourner en bourrique au Croisic,

tout le monde va faire référence

sévissent dans les monts d’Arrée

qu’on lui pique son camembert à

aux chapeaux ronds qui font les

se dérident avec les druides impa-

Questembert, qu’on casse le bibe-

vrais bretons, aux bigoudènes qui

vides pendant que la fée Mélusine

ron de son niston à Quiberon ou le

se décoiffent sans peine, les bi-

se dandine, divine sans doute, mais

landau de sa Margot à Landerneau,

goudis planqués sans gêne dans

déchirée de la moumoute, dans les

ce qui jamais ne la gêne, après un

leurs coiffes de souveraines, aux

genets et les fourrés du côté de

petit verre de Chouchen, c’est de

murailles de Vannes où l’on s’en-

Pont-l’Abbé ! Et quand les bagads

faire la fofolle du côté de Paimpol

canaille en dégustant du koui-

se décident à jouer quelque balade,

quand elle se met à l’aise, avec ou

gn-amann ou aux binious qui vous

il faudrait être malade pour ne pas

sans Blaise, en haut de la falaise.

rendent mous du genou quand

les remercier de leur aubade et bien

Tout autant le breton n’est pas

vous surfez, confiant, à Fouesnant

empoté pour se défiler et ne pas

peu fier lorsqu’il parade à Quim-

ou quand, tout fou, vous faites un

s’engager ardemment dans leurs

per pour montrer à Concarneau

dix huit trous dans le golfe du

défilés délirants !

qu’il n’est pas plus con qu’Arnaud,

Morbihan !

N’oublions pas pour autant que,

même si le milliardaire rachetait la

Bien entendu, dans les Fest-noz,

sous la pluie ou dans le vent, il y a

terre de Locmariaquer et tous les

il est malvenu que quiconque ose se

toujours une part de far et quelques

chantiers de Saint-Nazaire rien que

moquer des fiers autochtones vir-

verres de nectar à partager dans les

pour contrarier cet enfoiré de Bol-

tuoses qui bretonnent en osmose. Il

fameux phares inventés pour les

loré ! Et si parfois l’indigène dévale

n’est pas de bon ton de se gausser

joyeux fêtards invités.

dans les rues de Lamballe, qu’il tri-

des rigodons. Et quand la bombarde

Ceci dit, si la bretonne la joue mo-

cote des mollets sur la grand place

attaque, que les bardes foutraques,

deste à Brest, voire sereine en Ille

de Morlaix, qu’il se met, trop chaud,

pour fleurir leurs baraques, cueillent

et Vilaine, pas question de la faire

la boule à zéro dans les bistrots

le gui tard, ces sacrés roublards,

s’taire en Finistère ni de l’entendre

de Landivisiau, c’est que, dans les

même dans le brouillard, il est pru-

hurler à la mort dans les côtes d’Ar-

près et dans les champs, de Quim-

dent d’éviter qu’ils se débandent

mor parce qu’on aurait piqué ses

perlé jusqu’à Guingamp, il n’est

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ÉDITORIAL

pas si facile de ramener sa fraise,

si vous ne voulez pas vous retrouver

chéris comme à leur meilleur ami,

hélas, comme à Plougastel-Daou-

blême, enterré sans problème sous

quelque chose de particulier vient

las. Et n’allez pas prétendre que

quelque sacré dolmen. Amen !

vous enchanter et vous vous lais-

s’ils aiment la voile aux Glénans,

Mais quand la brume vous

sez porter, ébloui, par les charmes

ils adorent tout autant la vapeur à

parfume de ses senteurs iodées,

bénis qui hantent les landes alan-

Lorient, si vous ne voulez pas qu’on

quand l’océan écume et vous al-

guies de ce pays de légende et de

vous exile sur Belle-Ile, à dada sur

lume de ses vagues enivrées, que

pari où vous attendent bien souvent

votre bidet à Bénodet ou, c’est pas

le chant lointain de la cornemuse

les chants inouïs du vent et de la

joli, qu’on vous crucifie carrément

s’amuse avec vos rêves incertains

pluie quand siffle la tempête infi-

sur le phare de la Jument à Oues-

qui n’infusent pas en vain dans les

nie et que vous allez faire la fête à

sant ! Et pas question de médire

chemins creux ténébreux, quand les

Gacilly avec vos copines si belles

sur les menhirs en voulant faire ac-

rochers de granit rose ou gris vous

venues de Ploërmel et vos copains

croire que Carnac c’est de l’arnaque

confient leurs secrets ancestraux et

malins sortis de l’ile de Sein !

ALAIN (T’ES RIEUR !) DIOT —— AVRIL 2022

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PHOTO —— FLORENCE HENNEQUIN PHOTO DE LA BELLE POULE

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LE FOCUS

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PHOTO —— ANDREAS BRUNN - UNSPLASH

BRETAGNE


ALAIN DIOT

MARRE DES BARBARES !

———

« On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » disait Des-

violences insensées auxquelles on

la paix sacrée pour qu’on retrouve

n’osait même plus penser.

enfin notre sérénité tant aimée pour

proges, notre ami chéri, drapé dans

On peut toujours se demander ce

sa toge de vieux doge de l’humour

qui peut bien traverser la tête de ces

bien choisi. On voudrait pouvoir le

agresseurs meurtriers, çà ne fait

On voudrait pouvoir se réveiller

croire et s’en réjouir mais l’histoire

malheureusement rien changer et

tranquille dans un monde civil où

est parfois trop noire et ne nous

on se retrouve une fois encore, de-

règneraient l’élégance de l’excel-

laisse guère l’espoir de pouvoir

puis des millénaires, confrontés à

lence, l’attention à la compréhen-

s’amuser à gorge déployée des

ces valétudinaires incendiaires, ces

sion, les sourires de désir et les rires

atrocités qu’elle est capable de

matamores, ces matadors, qui n’ai-

de plaisir des petits et des grands,

nous livrer ! On voudrait n’avoir plus

ment rien tant qu’à briser les âmes

celui qui laisserait la place à toutes

jamais à souffrir de devoir écrire sur

et les corps, d’Andorre au Labrador,

les audaces pour s’éclater la rate

ces ignominies impensables que

pour s’offrir des tête-de-mort pour

comme des patates, à dire n’im-

nous livre cet irresponsable abruti

des siècles encore ! On voudrait

porte quoi dans l’allégresse et dans

qui sévit en Russie. On voudrait que

que tous ces crétins maudits se

la joie, à s’en taper les fesses à tu

plus jamais des enfants et leurs pa-

vissent le fusil dans le nombril, que

et à toi, en n’imaginant même pas

rents, leurs grands parents aussi, et

leur mitraillette leur pète la bistou-

qu’un crétin de mauvais aloi pour-

toute la famille réunie, n’aient à vivre

quette, que tous ces fieffés cons se

rait encore avoir la mauvaise foi de

et revivre jour après jour le retour de

fourrent la tête dans leur canon, que

déclarer que c’est lui qui fait la loi.

toutes ces souffrances et que l’in-

tous ces foireux de la calbombe

Mais enfin, est-ce qu’un jour tout çà

nocence leur soit préserver pour

se prennent leurs bombes dans la

s’arrêtera ?

l’éternité avec cette bienveillance

tombe, que tous leurs foutus mis-

Et puis on se paie en plus la cam-

qu’on voudrait à chaque instant

siles retombent sur leur gueule

pagne électorale et chacune et cha-

réinventer. On voudrait ne plus en-

d’imbécile, et surtout que, plutôt

cun râle qu’il n’est pas bien repré-

tendre les échos répétés de toutes

que d’aller jouer les méchants, ils

senté, comme si, si lui ou elle était

ces atrocités, dans nos villages,

retournent chez leurs mamans et

président, tout irait bien mieux qu’au

dans nos cités martyrisées par des

nous foutent, une fois pour toute,

firmament et que les politiciens sont

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aller boire à la santé du monde entier enfin préservé.


LE FOCUS

rien moins que des chiens galeux

autonettoyant, qu’avec Xi JINPING,

sait pas !! C’est donc, probable-

alors qu’il ou elle serait merveilleux

y’a du doping dans le kidnapping,

ment, qu’il n’y en a pas ! Peut-être

et bien mieux qu’eux. Et peut-être

sans parler d’ALSISSI, si gentil, de

qu’un jour on en trouvera. Ne dé-

que les élections sont des pièges à

BOLSONARO, si rigolo et de tous

sespérons pas. Mais pour l’instant,

cons, comme nous le disions, tout

les autres malappris qui se vautrent

ce n’est pas le cas. Bon, reprenons

contents, il y a maintenant plus de

comme de bons apôtres dans les

courage en essayant de tourner la

cinquante ans, mais que celui qui

bauges jolies de leurs dernières fo-

page, même si les histoires qu’on

nous trouve une meilleure solution

lies.

nous narre sont un peu à dormir de-

vienne nous expliquer ses condi-

Alors, nous irons voter parce que

bout. Et allons boire un petit coup,

tions. C’est vrai qu’avec POUTINE,

d’autre choix, il n’y en a pas. S’il y

c’est agréable, sans pour autant

tu patines vite dans la gélatine,

en avait, depuis tout ce temps, çà

rouler sous la table.

qu’avec ERDOGAN, le toboggan est

se saurait. Et justement, çà ne se

ALAIN (DIT NIAIS) DIOT —— AVRIL 2022

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PHOTO —— FRED CHAPOTAT

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MANUEL PIRES

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LE DOSSIER PAR ÉLISABETH CHAMONTIN

LA BOUCHE DE BÉCASSINE

———

Le nez de Cléopâtre, il n’y a que Pascal pour penser qu’il aurait pu changer la face du monde. Les yeux d’Elsa, à part Aragon, honnêtement, qui les trouve extraordinaires ? Les oreilles de Zemmour, on sait bien depuis le Trocadéro qu’elles nécessitent une visite chez Amplifon. La bouche de Bécassine... la bouche de Bécassine... la bouche de Bécassine ? mais au fait, Bécassine a-t-elle une bouche ? Le personnage imaginé par

un air naïf et étonné qui la rendent

Joseph-Porphyre Pinchon est né il y

d’emblée sympathique. La bouche

a cent dix-sept ans dans le numéro

est apparemment absente.

78 de La Semaine de Suzette. C’est

Lors de la parution des pre-

une très jeune fille de la campagne

mières Semaine de Suzette et des

bretonne, portant le costume de

premiers albums de Bécassine,

son pays — très inspiré du costume

cette absence apparente de bouche

traditionnel de Pontivy — dont la

ne posait absolument aucun pro-

tête toute ronde, les sourcils haut

blème. C’est qu’on voit bien qu’elle

perchés et le petit nez lui donnent

n’est qu’apparente ! Car Bécassine boit et se nourrit comme tout le monde, baille quand elle s’ennuie et prononce de nombreuses réparties comiques qui montrent qu’elle n’a

Costume de Pontivy.

Bécassine à Clocher-les-Bécasses.

pas sa langue dans sa poche ! En

que cette absence de bouche leur

effet, elle la tire « tout au long » lors-

fait injure ? Toujours est-il que le

qu’il faut la montrer pour voir si elle

18 juin 1939, à 15 h 30, trois « Bre-

est malade.

tons autonomistes » s’introduisent

Certains de ses compatriotes,

dans le musée Grévin et s’attaquent

qui ne perçoivent pas le côté sym-

férocement à la statue de cire de

pathique du personnage, ne sup-

Bécassine : ils la jettent à terre, la

portent pas qu’il se trouve perpé-

piétinent, et la défigurent, selon l’ex-

tuellement dans des situations

pression employée dans l’un des

qu’ils jugent ridicules ; pensent-ils

journaux relatant le fait divers.

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Bécassine baille et boit.

Il faut soigner Bécassine.

Nettement plus tard, après les

l’authenticité fait d’ailleurs toujours

événements de 68, il est de bon ton

débat. Les féministes quant à elles

d’affirmer que si Bécassine n’a pas

la voient comme le prototype de la

de bouche apparente, c’est qu’on lui

bonniche exploitée qui n’a qu’à se

interdit de parler. Des Bretons de

soumettre et obéir sans dire un mot.

gauche ou de droite, militant pour

Leur position atteint un som-

l’enseignement de leur langue à

met quand dans une interview au

l’école, la considèrent comme une

Huffington Post, Catel Muller, qui

insulte à leur peuple réduit au si-

a repris après d’autres le person-

lence et font allusion à la fameuse

nage, (mais en le dotant d’une large

l’encontre des idées reçues, tombe,

affichette « Défense de parler bre-

bouche assez hideuse), déclare

lui, dans l’excès inverse en assurant

ton et de cracher par terre », dont

sans rire : « C’est ce qui m’a tou-

que Bécassine a toujours eu une

jours dérangé […]. C’était une petite

bouche !

la fausse bouche de Bécassine.

Bretonne idiote et le dessinateur n’a

Dans un article de 2015 intitu-

pas pensé à lui donner une bouche

lé « Huit idées fausses sur Bécas-

puisqu’elle ne pouvait pas prendre

sine », il écrit même : [idée reçue

la parole. Je n’ai pas pu m’empê-

no 2 ] : « Ce macho de Pinchon ne lui

cher de lui ajouter une bouche. […]

a jamais dessiné de bouche, confor-

Aucun homme ne lui en a donné

tant ainsi l’idée qu’il vaut mieux que

une et ça continue de me choquer. »

les femmes “la bouclent”. Pas du

L’ancien rédacteur en chef de

tout, Bécassine a toujours eu une

Fluide glacial et pataphysicien Yves

bouche, souvent représentée par un

Frémion, un spécialiste de la B.D.

point quand elle se tait. Elle est dessi-

qui adore aller systématiquement à

née en entier, sauf quand Bécassine

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LE DOSSIER PAR ÉLISABETH CHAMONTIN

Sur certaines couvertures, la bouche de Bécassine est esquissée.

apparente, est une bouche imaginaire, une bouche suggérée, une bouche omniprésente qu’on devine, une bouche que l’on ne voit que lorsqu’on regarde à côté d’elle, une bouche d’une expression infiniment plus riche que toutes celles qu’on a pu dessiner, bref une bouche bien plus réelle que celle de tous les autres personnages. Élisabeth Chamontin • Avril 2022

baisse la tête, ce qui arrive cependant

parti pris ou de provocation. Car

souvent. » Toujours eu une bouche ?

le menton en l’air, Bécassine n’a

Non. Il a certes raison dans de très

toujours pas de bouche apparente,

rares exemples, comme les couver-

même symbolisée par un point…

tures de Bécassine en aéroplane ou

alors que le dessinateur prend une

Bécassine en apprentissage.

fois la peine de lui dessiner deux

Mais la plupart du temps il suffit de chercher une image où Bé-

fossettes, ce qui montre que Bécassine peut sourire sans bouche.

cassine lève la tête pour constater

On l’aura compris, la bouche de

qu’Yves Frémion fait preuve là de

Bécassine, dans son inexistence

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Le sourire de Bécassine.


ISABELLE SOUCHET-LEPRÊTRE

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ISABELLE SOUCHET-LEPRÊTRE

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L’ÉGLISE DE CAMARET —— FLORENCE HENNEQUIN

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FLORENCE HENNEQUIN

ESPRIT DE BRETAGNE !

———

Voulant leur insuffler l’esprit de la Bretagne, je fis pour mes parents un repas de galettes. Et comme un vent d’embruns, l’enthousiasme nous gagne : fumet du sarrasin qui nous monte à la tête ? Mon père alla quérir, tout au fond du cellier, un bon cidre en bouteille, derrière les fagots. Il choisit du Voivère, en avez-vous goûté ? C’est recevoir en bouche l’étrave d’un bateau ! Ce breuvage ébouriffe, il égaye votre âme. C’est le vent du grand large, soûlant, grisant et fier ! Il nous enivre tant que nous rendons les armes... Chacun de nous reçu sa bolée de Voivère.

L’ÉGLISE DE CAMARET ——

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FLORENCE HENNEQUIN

L’ÎLE DE SARK ——

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L’ÎLE ALDERNEY ——

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LE GUILVINEC —— FLORENCE HENNEQUIN

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FLORENCE HENNEQUIN

LA BELLE POULE ——

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IVAN LEPRÊTRE

En Bretagne, on a du soleil plusieurs fois par jour...

NOS VACANCES EN BRETAGNE ! ———

Il faisait tellement chaud que les magasins

avaient été dévalisés ! Plus un seul maillot

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de bain, heureusement il restait des WayK et des bottes en caoutchouc.

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BRETAGNE Les chouettes balades avec une bande de copains.

Le plaisir d’une bonne glace (à l’eau) sur la plage.

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IVAN LEPRÊTRE

NOS VACANCES EN BRETAGNE ! ———

Lilas en route pour la plage

avec sa crème solaire écran total.

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BRETAGNE Les deux chiens perdus qu’on avait récupérés au village. On a été obligé de les faire interner pour dépression nerveuse à la fin du séjour.

Isabelle et Ivan au bout de quinze jours sur place... Ça attaque, hein ! Page 35


IVAN LEPRÊTRE

NOS VACANCES EN BRETAGNE ! ———

Ivan après trois semaines de séjour. Ça sent la fin, là !

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BRETAGNE Isabelle après trois semaines de séjour... Elle a voulu s’échapper, mais heureusement, les infirmiers l’ont rattrapée.

Regard meurtrier de Lilas au bout de trois semaines de vacances en Bretagne Page 37


IVAN LEPRÊTRE

NOS VACANCES EN BRETAGNE ! ———

Vue de l’intérieur du gîte après l’explosion. On a acheté deux cent cinquante kilos

de TNT à un vieil indépendantiste du coin

pour faire péter la baraque. Cela nous a fait

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le plus grand bien !

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BRETAGNE

Le retour...

Périphérie de Quimper le 8 août 2009.

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GÉRARD MARTY

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Brr...brr...brr... Bretagne de fantômes, de dame blanche, de mort en charette... ouais ! ces trucs là, c'est ouf... Putain ! je ne crois pas aux fantômes mais j'en ai une super frousse !! En plus, on a trouvé la voisine de mon exbeau-frère assassinée, à moitié bouffée par les crabes... Je ne pourrai plus manger des langoustines à Bénodet chez mon ex beau-frère ! Brrr !! putain de Bretagne ! Page 41


ALINE HANSHAW

JE DÉCOUVRIRAI LA MER...

———

Quand j’entends le mot Bretagne je sors une quantité de mots partagés par tous. Vous allez échapper à tout cela mais pas à mon histoire . Quelques confidences, je veille sur votre santé ! Généalogique : Ma grand-mère, née à Quimper, a épousé un anglais, né à Chantilly, elle est devenue anglaise par son mariage et il a fallu qu’elle recouvre sa nationalité. Découverte : J’ai presque onze ans et je vais en Bretagne pour la première fois, Plozévet ! Je prends le train à Paris et je voyagerai en train à vapeur à partir de Rennes. Je découvrirai la mer et je ne m’en remettrai plus jamais ! Amour : C’est en préparant l’ENA à Rennes que j’ai rencontré mon bien-aimé. Art : Le Musée des Beaux Arts de Rennes possède un tableau qui m’émerveille toujours, Le Nouveau-né de Quentin de La Tour. Caractère : Petite, j’avais, parait-il un caractère pas facile, le côté paternel disait : « C’est le granit breton », le côté maternel : « C’est le grès lorrain ».

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PHOTO —— FRED CHAPOTAT

BRETAGNE


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PHOTO —— COLETTE LE VAILLANT

BRETAGNE


COLETTE LE VAILLANT

J’AI TRÈS TÔT DÛ APPRENDRE À GAGNER MA CRÊPE

———

Le 4 pluviôse notre belle contrée perdait les eaux, Je naissais à 5 farzeurs du matin, entre chien et Ankou. Nous étions à Plougoulzenecprat-lanvéourn. Quelques marées plus tard, dans une averse de cidre, Je fus baptisée fille des flots et des mots, Sous le regard perplexe des saucisses de Molène. Descendante de la branche des Hortensia par ma Mer Et de la famille des Bombarde par ma Terre, Ma fière allure faisait pâlir les hermines. Mon ascendance souffrant d’hypo-sarrazinie, avec une luxation congénitale de la galette, Très tôt, j’ai dû apprendre à gagner ma crêpe. Comme mon aïeule, j’ai cultivé le chou-chêne, Résistante aux tempêtes et aux embruns. Mais cela me rendait plus trist’-k’elle. Un jour où je jouais à saute-menhir avec les Korrigans, J’ai trouvé des aiguilles à tricoter les fables. Mon destin se dessinait : Je serai Malice au pays des corneilles, Conteuse d’histoires au beurre salée ! Je ferai pleurer des larmes de lambig dans les chaumières Et rêver les lutins échoués sur le granit.

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COLETTE LE VAILLANT

L’ÉCOUTE EST MON DOLMEN...

———

Je m’appelle Menhir Grégoire. Osez me parler sans far, ni coiffe ! L’écoute est mon dolmen. Vous pourrez raconter vos joies et vos froments, Votre vie ne sera plus un calvaire

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BRETAGNE PHOTOS —— COLETTE LE VAILLANT

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COLETTE LE VAILLANT

LOGO RALLYE

———

Mots imposés : galette-saucisse, gouren, occuper, bretonne, menhirs. Pendant que les ploucs de haute Bretagne se goinfrent de galette saucisse, Nous autres bas Bretons, savons nous occuper vaillamment de nos traditions, et ce jusque tard dans la nuit : en cas d’insomnie, Nous comptons les menhirs ou récitons le serment du skol gouren : M’hen tou da c’houren gant lealded Hep trubarderez na taol fall ebet Evit ma enor ha hini ma bro E testeni eus ma gwiriegez Hag evit heul kiz vad ma zud koz Kinnig a ran d’am c’henvreur ma dorn ha ma jod Traduction Je jure de lutter en toute loyauté Sans traîtrise et sans brutalité Pour mon honneur et celui de mon pays En témoignage de ma sincérité Et pour suivre la coutume de mes ancêtres Je tends à mon adversaire ma main et ma joue.

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BRETAGNE PHOTOS —— COLETTE LE VAILLANT

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UN AUTEUR EN AVANT

QUI N’A JAMAIS CALÉ QUAND LE FEU PASSE AU VERT ?

———

Une bonne dose de poésie, un nuage d’humour sur une tonne d’amour, c’est Raoul Harivoie ! Voici un recueil de cent de ses poèmes que j’ai eu le grand plaisir de mettre en page*… Un opus qui est en vente à 11,00 euros, à offrir à celle/celui/ceux que vous aimez ! Contactez-le sur sa page facebook > www.facebook.com/raoul.harivoie Ou trouvez son livre directement à cette adresse : https://www.coollibri.com/bibliotheque-en-ligne > Tapez « Raoul Harivoie » dans le moteur de recherche.

———

Tu aimes ? C’est le banc de nos premiers baisers ! J’ai pensé qu’on pourrait le mettre dans la chambre Sur ce banc tu goûtas des chips « Poulet braisé » Tu pourrais y stocker tes dessous couleur ambre Je ne l’ai pas volé ! La mairie en décembre Organise une vente en soutien aux gazés J’ai donné mille euros et la moitié d’un membre Pour ce meuble où je fus par toi déniaisé Ne pleure pas ! Je t’aime et tu mérites ça ! Sur ce banc nous avons mangé des samoussas Nous avons ri chanté pleuré parfois aussi Alors heureuse ? On dit Merci à son chéri ? Aide-moi à le mettre – oh c’est lourd ! - à l’abri Ce cadeau est bien mieux qu’un trip en Croatie Raoul Harivoie

* Design : ivanlepretre.com

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RAOUL HARIVOIE

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LOGOS RALLYE PHOTO —— HÉLOISE-DELBOS - UNSPLASH QUIBERON

LABORATOIRE

DE RECHERCHES

CREATIVES 2e TRIMESTRE 2022

BRETAGNE


RAOUL HARIVOIE

Mots imposés : galette-saucisse, gouren, occuper, bretonne, menhirs. L’été elle vendait des galettes saucisses Dans un joli food-truck couleur rouge à Janzé Un jour je me lançai : «Et votre 06 ?» Mais elle rit très fort ! Mon rêve fut brisé ! « Raoul tu es gentil mais même un kir cassis Je ne peux pas t’offrir ! Viens voici un baiser Sur la joue. Tu as le même âge que mon fils. » Je pleurai presque un mois dans mon lit le calice Je cherchai dans les vers oubli et catharsis Mais toujours mes pensées revenaient à Josée J’appris que son mari était dans la police Qu’elle aimait plus que tout faire des mots croisés J’aurais pu lui donner quelques chocolats suisses Je m’étais renseigné pour les prix d’un Ibis

— Qui a pris ma galette-saucisse ? — C’est la fille là-bas — Ah ouais ? Je vais lui dire ses quatre vérités — Fais gaffe ! C’est une championne de gouren — Et alors ? Je vais m’occuper d’elle. Tiens, elle se dirige vers nous ? — Raoul, je me suis permis d’emprunter votre galette-saucisse pour lui rajouter de la sauce bretonne — On se connaît ? — Qui ne vous connaît pas ? J’ai beaucoup entendu parler de votre menhir — Je suis flatté ! Vous êtes ? — Nolwenn — Partageons la galette, Nolwenn — Allons dans mon van, dehors. Vous n’avez pas peur des chiens ?

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LAURENT VERNAISON

Mots imposés : formule, alcool, texture, européenne, transpirer. C’est par une formule alambiquée, donc pertinente, que mon beaufrère végan m’a invité à goûter son alcool «Tofu-algues vertes de Bretagne» fraîchement distillé. L’originalité, me dit-il, se situe dans la texture de la mixture, plus c’est épais, plus c’est bon ! En effet, mais le liquide visqueux, peu appétissant, surprend surtout par ses effets indésirables, non encore répertoriés sur l’échelle européenne des

LOGOS RALLYE

absorptions toxiques, comme, par exemple, transpirer abondamment en claquant des genoux et des dents. On se rapproche de ceux provoqués par l’ingestion de kérosène, d’ailleurs Airbus voudrait acheter la recette à mon beau-frère. Voilà comment faire fortune en sombrant dans l’alcoolisme...

Mots imposés : galette-saucisse, gouren, occuper, bretonne, menhirs. Galette-saucisse est mon chien. Long et plat, c’est un teckel qui a connu la rubrique des chiens écrasés (je ne garantis pas l’authenticité de cette histoire). Au premier chapitre de ses compétences, comme il est très grand lorsqu’il est debout malgré ses pattes courtes, c’est le gouren. Voilà un sport qui l’occupe d’autant plus que, lorsqu’il gagne, je le récompense avec une crêpe bretonne au sucre bien que ce régime soit aussi nuisible pour sa santé que pour celle d’autrui. Enfin, ses lectures des aventures d’Idéfix ont réussi à le convaincre qu’il devait s’entraîner en soulevant des menhirs. J’en commande donc régulièrement sur internet. C’est un moustachu bedonnant avec un drôle de pantalon à rayures bleues qui me les livre...

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BIXENTE CABALLERO

Mots imposés : anglais, tumulte, étonner, inconnu, crêpes. Vous serez étonnés comme moi de l’apprendre mais « tumulte » viendrait de l’ancien Anglais « to moult », qui signifie « faire beaucoup de bruit » (Cette notion de quantité se retrouve d’ailleurs dans « moult(e) »). La semaine prochaine, je vous narrerai pourquoi un breton complètement inconnu a eu l’idée du titre d’une chanson* des « têtes de radio » alors qu’il était en train de baffrer une crêpe complète au « Nedeleg Bigouden » à Auray. * Creep - Radiohead

YVES LECOINTRE

Mots imposés : anglais, tumulte, étonner, inconnu, crêpes. Ayant abusé des galettes-saucisses et de Kouign-amann pour faire glisser comme il dit, son entourage craignait pour leur champion le pire lors de la finale du tournoi celtique de Gouren qui se tenait à Brest. Mais le colosse de Rohan sut parfaitement occuper l’aire de combat et dans les plus pures traditions bretonnes emporta le bélier victorieux puis fit droit comme un menhir le tour d’honneur sous les vivats du public.

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ALINE HANSHAW

Mots imposés : formule, alcool, texture, européenne, transpirer. Je dévore une galette-saucisse avant le championnat de Plozévet de gouren. Faut bien s’occuper dans ce patelin breton, à part peindre le menhir, y’a pas grand chose à faire !.

LOGOS RALLYE

Pour conserver l’authenticité de la galette-saucisse il faut passer par le chapitre gouren ! Ce n’est pas nuisible à votre santé et occupera une partie de votre soirée . Si autrui essaie de vous détourner de ce rituel breton essayez de le convaincre d’aller peindre un menhir ou deux.

IVAN LEPRÊTRE

Mots imposés : anglais, tumulte, étonner, inconnu, crêpes. — Mon guerrier, tu veux faire quoi ce soir, le menhir dressé ou la galette-saucisse ? — Je préférerais la Bretonne occupée ou le gouren au biniou, ma caille. — On pourrait faire les quatre positions, je suis très excitée tu sais ! — Ressers-moi un grand verre de ton cocktail multivitamines ma chérie, je vais en avoir besoin !

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LE GR34

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TEXTES ET PHOTOS —— SOPHIE CHAPOTAT

BRETAGNE


SOPHIE CHAPOTAT

LE GR34 ——— Le GR34, sentier des douaniers, tour de la Bretagne du mont saint Michel à saint Nazaire… Cabotage en terre Bretonne. La terre sous les pieds la mer à droite quand il est fait d’est en ouest. Mille vies par jour, les temps changent, les paysages aussi, à toute vitesse même. La douceur et l’âpreté s’entrelacent. Et le vent qui joue si bien avec la mer, son absence en est époustouflante. Les pas s’enchainent, des hauts et des bas. Le cap, la baie que l’on délaisse pour de nouveaux horizons, de nouvelles terres, de nouvelles mers. Ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, ce chemin en mer bretonne nous poursuit, on n’en a jamais fini.

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BRETAGNE

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SOPHIE CHAPOTAT

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BRETAGNE

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SOPHIE CHAPOTAT

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BRETAGNE

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PHOTO —— ULYSSE POINTCHEVAL • UNSPLASH

BRETAGNE


JEAN-MARC COUVÉ

small versus great BRITAIN

———

Qui dit Bretagne ne dit pas Normandie. Qui écrit sur

mot connu. Pas même, comme dans la tant populaire

l’histoire ne doit, en aucun cas, faire abstraction de ses

que stupide chanson, avec « ronds ». Bien au contraire !

géographies. Ainsi, il y aurait donc Bretagne et bre-

Pour qui a lu Louis Guilloux, puis (ordre chronologique

tagne ? Comme il y a Bed & breakfast ? En effet : d’un

oblige), Georges Perros, tous deux exemplaires des plus

côté (au Sud du Nord), la petite. Et, de l’autre (au Nord du

belles Lettres Modernes, bien que classiques déjà, il

Sud, mais légèrement à l’Est), la Grande ! Majestueuse

n’y a aucune « rondeur » à en extraire. Pour le premier,

et majuscule, à l’endroit même où une reine entame son

romancier original du Sang noir1 (bien plus, bien mieux

71e an de règne… Mais, pardon : là n’est pas notre pro-

qu’un Céline), les Bretons, petits et grands, sont comme

pos/thème – ou t’aime pas.

des hêtres : êtres plantés, bien droit. Indéracinables, quand bien même ils décideraient de faire « souche » ail-

Quand j’entends ce mot [Bretagne], je bande aus-

leurs, à Paris ou au Havre ! Je pense à mes amis Yvette

sitôt… du cerveau. Hé, oui : pensez à la belle Anne [de

Simonomis et Jean-Claude Tardif, qui parcourent, à leur

même origine], avec moi. Pensez au cric’ y tue ! Ou à l’an

corps défendant, mes courts hommages2

coulant, à l’Ankou, lent… comme un nœud. Quand j’entends ce nom de Région bordée de vagues, je me revois

Mais, revenons à Perros3. Lui qui m’aidait… à conti-

(en photo) avec mes grands-parents, sur la presqu’île de

nuer, dès mes quinze ans, alors que je n’avais pas encore

Crozon. Car ce bambin, accroupi, aux cheveux blonds

commencé ! Ses Papiers collés4 collent à ma mémoire.

et bouclés, qui sourit au photographe [même si cela me

En trois volumineux tomes, on s’y perd. Ce sont foison-

semble difficile à croire, quand je croise ma trombine

nants papiers, où l’on n’a pas pied ! Lui, Georges, ami

dans un miroir], c’est moi. Mais, un « moi » vieux de

de Gérard Philipe, obscur lecteur pour la prestigieuse

60 ans et, donc, jeune de 3-4 ans. Interrogez l’empreinte

N.R.F., prit un pseudo qui, tout entier, le fit devenir plus

où s’ébat (ou se bat ?) le silence. Que tout silence

encore que déjà Breton. Quant aux trop rares poèmes

meuble…

qu’il nous a laissés, ceux d’une Vie ordinaire, comme de ses « bleus5 » , ils sont à l’image – tout sauf de « carte

Qui dit Bretagne, dit Bretons. Goscinny (oui, le

postale » – de sa chère Bretagne : ordinaires, comme la

« papa » d’Astérix), toujours enjoué, sut en jouer. Ce nom,

vie, dans laquelle il se débattit. Et, donc, extra-ordinaires,

ici, propre, là, adjectif : Bretons – ne rime avec aucun

tant d’acuité intellectuelle que de simplicité, d’évidence

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JEAN-MARC COUVÉ

non sur-jouée. D’ailleurs, Perros, ancien comédien (il

peu aux Traces laissées par M.-F. Lavaur, éditeur-

avait débuté aux côtés de Philipe), refusait de tricher. Il

revuiste-poète-illustrateur et Nantais… d’adoption. En

tourna bien vite, vite et bien le dos à ce métier de cabots,

outre, quoique trop peu de temps, j’ai correspondu avec

car guère enclin au cabotinage. C’est de cette Bretagne,

Alain Jégou, marin-poète au verbe clair et à l’accent to-

un peu frondeuse, outrancièrement orgueilleuse, où le

nique comme je les apprécie. Digne continuateur des

granit, pas toujours rose, le dispute aux lames toujours

Corbière, Perros et Grall, donc. Mort trop tôt.

coupantes de l’Atlantique, oui, c’est de cette Bretagne, à jamais « irréductible » (sinon gauloise), que, par associa-

Exercice de style comme thème imposé obligent : me

tion d’idées, ma plume, ici, garde le goût – bien plus que

remémorant mes ravissements de lecteur comme mes

de mes nombreux séjours, depuis mon plus jeune âge, à

pérégrinations bretonnes, et en mettant bien de côté

Crozon, Audierne, Nantes, Quiberon, Saint-Brieuc, Brest,

tout folklore, tout régionalisme réducteur, ma reconnais-

Rennes, Carnac, Sarzeau, Vannes ou… Pétaouchnok !

sance de non-natif (puisque né, involontairement, à Paris) va plus à mes lectures d’auteurs bretons – à mes

Haut et fort rai de Brocéliande ; mythique saga de

phares : Corbière6 & Perros – qu’à mes émerveillements

la Table Ronde ; enchanteur Merlin ; fée Morgane ; et

de simple touriste, au regard et à la jugeote par défini-

Chouans… échouant à inverser le cours de la Révolu-

tion lacunaires ! Aussi, pardon si j’en oublie…

tion… que de légendes ne commet-on pas, en ton nom ? J’ai croisé bien d’autres Bretonnes ou Bretons : D. L.B., Y. R., M. P… J’ai eu la chance de participer quelque

JEAN-MARC COUVÉ —— 19-24/02/2022

_________ 1 • Le sang noir, Gallimard, 1935. 2 • Voir Dais d’hommage I et IV, éditinter, 2020-2021. 3 • Voir Dais d’hommage III, éditinter, 2020-2021. 4 • Papiers collés I (1960), II (1973) et III (1978), Gallimard. 5 • Une vie ordinaire, 1967, Poésie-Gallimard, 1988. Poèmes bleus, Gallimard, 1962. Extrait : « la Bretagne, que j’aurai maintenant tant de mal à quitter ». 6 • Tristan Corbière [& Charles Cros], œuvres complètes, Gallimard, la Pléiade, 1970. Voir aussi mon Dais d’hommage I, ibid.

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BRETAGNE

PHOTOS —— FRED CHAPOTAT

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PHOTO —— GEOFFROY HAUWEN • UNSPLASH

BRETAGNE


YVES LECOINTRE

CONNAÎTRE LA BRETAGNE

———

Pour mieux connaître la Bre-

Si vous aimez les reliefs vous

moins la vie sèche au soleil existe

tagne il faut visiter ces villes et

ferez quelques arrêts pour admirer

et quand pèle la peau mieux vaut

bourgs pour y dénicher les parti-

un mont fort et des côtes d’Armor

être assigné à résidence puis en-

cularités de ce vrai pays. Pour les

mais attention au loup déac.

suite prendre le bon air qui revigore

déplacements vous serez principa-

Question construction comme

à plein vent.

lement guidés par l’abbé Gar, assis-

au Caire pas de précaire, peu de bé-

C’est en caban qu’on vient à Qui-

té de l’abbé Nodet et pour des ren-

ton et jamais de toits tôlés, surtout

beron, et pas question de porter

seignements plus clairs l’abbé Vitré,

pour le palais et quand on y peint

des loques à Saint-Malo, de même

sans oublier pour la rédaction l’ab-

dans ce cas laque les murs de Bre-

quand on se maria ou pour les mi-

bé Cherelle. Bien entendu nos reli-

tagne qui souvent sont cintrés. Le

nets, car pour se vêtir on y met l’art,

gieux mettront en avant le chemin

Breton éclaire ses combles avec

on y vit lamé avec des tissus tres-

de Groix, La Chapelle-Blanche, La

des locarnes ou des lanterneaux

sés, mais c’est aux gants que l’on se

Chapelle-Caro, La Chapelle-Chaus-

même s’ils se révèlent bruyants. Si

distingue.

sée, La Chapelle-de-Brain, et aussi

nous creusons on trouve la roche

Le Breton même s’il affirme ai-

les routes menant à La Martyre, à

Bernard et la roche Derrien, mais

mer la menthe à l’eau et qu’il n’a pas

La Trinité-sur-Mer, à la Vraie-Croix,

son sol granitique lui confère une

bu, se bourre seul et oublie que le Pi-

au Cloître-Pleyben, sans oublier

terre à radon. Certains habitent

con bourre et comme plaît vin, cela

de passer par le Pont-Croix ou le

au-dessus du vide : sur le pont t’y

se poursuit jusqu’au rhum Azy ou le

Pont-l’Abbé.

vis entend-on parfois.

rhum Illé.

Sans aller dans ce Paris niais,

Le cliché concernant cette ré-

En matière de gastronomie on

vous pourrez y trouver Matignon, et

gion est bien entendu fondé si vous

y maigrit rarement, ils sont très

y voir plus loin un monde vert et re-

souhaitez

Pleubian,

beurre den (den signifiant salé en

découvrir le vieux bourg et le vieux

Pleucadeuc,

Pleudi-

breton), on respecte le goût de l’un

marché typiques de vos rêves nos-

hen-sur-Rance, Pleugriffet, Pleugue-

et de l’autre, on a le choix entre la

talgiques, et si vous cherchez l’ab-

neuc, Pleumeleuc, Pleumeur-Bo-

soupe à Lannion, quand l’autre

solu on vous confiera où l’infini se

dou, Pleumeur-Gautier, Pleurtuit,

dinant léger se contentera de la

terre, mais chut !

Pleuven

bouillie avec du pain pole puis plus

fréquenter Pleudaniel,

voire Ploemeur, néan-

Page 69


YVES LECOINTRE

rien, et quand cale l’appétit on sert

pie car le chant sait bien. On lit des

de roses : les coff, canvel, noën,

des huitres, mais si l’on a très faim

BD ou les ouvrages d’Edern où l’on y

porden, trenen car les roses pèsent

on avalera galettes garnies, koui-

reconnaîtra les mots ronds locaux.

beaucoup pour eux.

gn-amann, galettes de Pont-Aven

Cette région est-elle à la pointe ?

On trouve ici aussi les ifs, les

et plusieurs types de gallinacée :

Oui car en tech plus rien ne les ar-

fougères, les fleurs ignées et on res-

la poule dergat, la poule douran, la

rête et font bonne impression, grâce

pecte toujours le gui qu’il soit prix

poule dreuzic, la Poule lansurmer et

à leur fameux toner de Brest fait à la

ou d’elle.

la poule laouen. Le Sel-de-Bretagne

chaîne. Ils savent trimer et bosser

L’orient le fait rêver s’imaginant

relevant l’ensemble.

aussi dans les forges fabricant les

maure de Bretagne, mais sachant

bretons

fameuses vannes, ils assemblent

que le douar ne naît pas sur ses

peuvent être bis, niquent en faisant

aussi les rutilantes Quédillac, et ils

terres, et l’oued sans eau des cieux

sauter les galettes, et les filles du

sont aussi spécialistes de la chaise.

inimaginable. Ils auraient même

côté de Camaret-sur-Mer sont ré-

Autre spécialité : les conques dont

adopté une monnaie alternative à

putées, car il paraît que leurs seins

les marques Arnaud et Haie sont

l’euro qui serait le dinar.

brillent eux. Les hommes même

les plus connues.

Sexuellement

les

Il est logique qu’en Breizh les

avec leur corps seul savent faire la

Dans les affaires le Breton n’est

archéologues aient trouvé les pre-

cour pour conquérir la motte pour

pas le genre qu’arnaque et sait s’ali-

mières traces de feu, élément qui

finir dans un plan couette à deux

gner, il paierait selon le cours, il est

ravage peu les lieux, grâce à leurs

sans édredon, car ici on a qu’un

carré sait penser et peut se révéler

remarquables pompiers au pin-pon

père et parfois qu’un père laid.

très malouin.

légendaire.

En avance sur le Français, là le

On n’oubliera pas dans ces dé-

Ici le lent meurt tôt, par ailleurs

masculin ne l’emporte pas toujours

partements très bœufs ces étables

les morts laids sont célébrés lors

sur le féminin, il sait être elle, quand

qui sont pleines, car cette contrée

des réputées et très gores nuits des

il est vilaine, il lié à deux seins ne

est reine de ce domaine avec ses

morts brillants.

choque pas.

suidés omniprésents, notamment

Finalement n’ayant plus rien à

le porc caro, le porc dic, le porc spo-

ajouter je conclurai en affirmant que

der, le porc launay et le porc louis.

la Bretagne est une belle ile en terre

En bon barde il écoute et écrit ses sons comme Sévigné, apprécie Fréhel, Garland ou Lennon, chante

On y cultive aussi toutes sortes

YVES LECOINTRE —— MAI 2022

Page 70

qui vous en mettra plein les yeux.


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PHOTO —— THOMAS DE LUZE • UNSPLASH

BRETAGNE


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PHOTO —— GAUTIER SALLES • UNSPLASH

BRETAGNE


JEAN-MICHEL BAUDOIN

PAIMPOL EXPRESS

———

Trois étudiants niçois, exilés

À la sortie de Dreux, nous

qu’une étendue de sables plus ou

en banlieue parisienne. Un géant

sommes autostoppés par une nana

moins mouvants. Et plein de brume.

barbu de deux mètres, prénommé

blonde, vêtue d’une sorte de sari

La saison touristique n’est pas

Philippe, silhouette de colosse si-

blanc orné de fleurs. Elle est Suisse

commencée. Dans les ruelles pen-

bérien. Alain, binoclard malingre et

et elle s’appelle Fabienne. Dans une

tues aux pavées disjoints de la

malicieux, féru d’escalade. Et moi,

France où les trois quarts des filles

huitième merveille du monde, pas

chevelu frisé, belle gueule et dra-

se prénomment Martine, Isabelle

âme qui vive, pas un troquet ouvert,

gueur impénitent. Les premières

ou Catherine, c’est déjà exotique.

hormis une sorte de crêperie aux

douceurs du printemps, la légèreté

En plus, elle habite le Tessin où elle

prix prohibitifs. À peine arrivés en

de l’air du Bassin parisien, vendre-

élève des chevaux. Où va-t-elle ?

haut, on jette un œil sur la brume

di soir, et un week-end vide de tout

Nulle part. Ah, si : elle veut voir la

par les créneaux et demi-tour. Je

projet.

mer.

suis chaussé de sabots en bois, je

« Si on allait voir la falaise de

On achète du pain, des boîtes de

me tors les chevilles à qui-mieux-

pâté, un kil de rouge. On pique-nique

mieux. « Fissa ! Je ne veux pas être

au bord d’un petit ruisseau, dans

emporté par la marée qui monte à

l’air frais du côté de St-Hilaire-du-

la vitesse d’un cheval au galop ! »

Nous possédons une 2 CV 1959,

Harcouët, Fabienne relève son sari

flippe Philippe. Fabienne se marre,

acquise à nous trois pour la somme

pour ne pas le tacher dans l’herbe,

elle aimerait bien vérifier, montée

colossale de 600 Francs. On est

elle a les jambes roses et mus-

sur un de ses canassons.

fauchés comme les blés, mais

clées. Alain, penché sur la carte de

Plus tard, nous faisons des

motorisés. Le samedi matin avant

France : « Hé ? On n’est pas loin du

ronds dans l’eau depuis le bar-

l’aube, avec un sens aigu de l’inor-

Mont-St-Michel ! »

rage de l’usine marémotrice de la

Paimpol ? » La proposition est adoptée à l’unanimité.

ganisation, nous empruntons la na-

On a du pot, on arrive à marée

Rance. Cette fois, on la voit, cette

tionale 12, direction l’Ouest, le vrai.

basse. Attention, il faut finir à pied,

fichue mer, et elle monte. Alain, dé-

Aucune planification. Peu ou pas de

le chemin est submersible, faut pas

cidément très agence de voyages,

viatique. Il fait beau, nous fonçons

s’éterniser. On crapahute. Philippe,

a repéré le Cap Fréhel. « Il paraît

vers notre destin, à l’allure modérée

avec ses grandes canes, est loin de-

que c’est une réserve d’oiseaux.

par les limites du flat twin de notre

vant, c’est pas juste. Fabienne est

Ça vous branche ? ». Si c’était moi,

totomobile.

déçue, on ne voit pas la mer. Rien

on éviterait. Mais la Fabienne est

Page 73


JEAN-MICHEL BAUDOIN

enthousiaste, et je ne veux pas dé-

n’ose imaginer qu’on puisse mar-

debout, narquois. Je suis rouge

choir. La deudeuche lâche la dé-

cher là-dessus. Alain s’y engage, lé-

comme une crête de coq.

partementale et s’engage sur une

ger, casse-cou, Fabienne itou, mes

route de terre qui grimpe. Heureu-

tripes se nouent.

On a retrouvé Titine, encore éblouis du coucher de soleil sur la

sement, je contrôle les subtilités de

Philippe et moi, on préfère ma-

baie de Saint-Brieuc. Alain conduit,

l’embrayage centrifuge. La route ne

ter la mer verte et ses blancs mou-

l’ours à ses côtés. Fabienne et moi,

va pas plus loin. On abandonne à

tons. Un cri nous tire de la contem-

on roucoule à l’arrière. On traverse

nouveau Titine. Il est plus de quatre

plation. C’est Fabienne. Elle est

Saint-Brieuc, on passe un pont, on

heures, le soleil décline, le vent est

environnée d’une nuée d’oiseaux.

voit un panneau. Paimpol par la

de la partie.

Des fans d’Hitchcock, à coup sûr.

côte : 42. « On ira voir la falaise de-

Les panneaux indiquent : « Tour

Alain est loin, il n’entend pas, Fa-

main. »

du cap 2h » Alain fait l’hypothèse

bienne se débat, elle crie, merde,

On fait du feu sur la plage. Le vent

que c’est le temps estimé pour

elle pourrait dévisser, je fonce,

s’est calmé, la marée est haute. On

vieilles à phlébites. « De che-

sans réfléchir. Je fais des mouli-

est heureux. On dévore les restes du

val » ajoute Philippe, ça fait rire

nets, les piafs se barrent un mo-

midi, appuyés sur des barques retour-

la blonde cavalière. Pendant ce

ment. Fabienne est blanche, elle

nées, gisant sur le sable. Fabienne

temps, le sentier taille sa route au

tremble. « Ta main ! » Je l’empoi-

distribue des abricots séchés. « Hé,

flanc de la falaise, nous sommes

gne, me retourne et je tire sans mé-

les mecs ! On dort à la belle étoile ? »

dans l’ombre du Cap. Personne n’a

nagement. Elle suit. On remonte,

Ça tombe bien, on n’a pas la thune

le vertige. Sauf moi. Avec mes sa-

on titube, on s’affale sur le sentier.

pour l’hôtel. On n’a pas de couverture,

bots, dondaine.

Ouf !

non plus. Au début, on voit le ciel, on

Parvenus à une sorte de col,

Philippe, statue impassible, ne

en prend plein les mirettes. Mais la

nous sommes accueillis par le vent

fait pas un mot de commentaire.

brume se pointe, l’humidité gagne.

fou, le soleil aveuglant et une caco-

« Bon, on y va ? Ça caille, putain. »

On fuit sous les barques.

phonie assourdissante de cris d’oi-

Un ours. Il s’est barré côté Ouest,

Au moins, la fille et moi, on se

seaux. Sous la crête, ils sont des

au soleil. Nous, on attend Alain,

tient chaud. Je lui caresse les

milliers et des milliers, piquetés sur

adossés au rocher. Fabienne me

seins, on se tripote. La liberté de

la paroi criblée de trous, jusqu’en

sourit. J’effleure ses cheveux, elle

mouvements est limitée, là-des-

bas, où les rochers attendent qu’on

attrape ma main, la porte à ses

sous. Se dépoiler est un vrai casse-

se casse la gueule. Grandiose. Ja-

lèvres, la mordille. Nous nous rou-

tête. Le sable joue les intrus. Ça

mais vu. Sur la paroi, une sorte de

lons un palot, un autre, plusieurs.

caille. C’est la maison des courants

vire étroite descend de biais. Je

Du temps passe. Alain est là,

d’airs. On s’étreint du plus fort qu’on

Page 74


BRETAGNE peut. Après l’amour, pas moyen de

Il fait encore bien noir. Tous les

On rentre direct. Philippe conduit,

quatre attablés dans un troquet

un roc. On est que tous les trois. Fa-

Dans la nuit, on craque. On s’ex-

de Paimpol, chiffonnés, hirsutes,

bienne voulait voir la Pointe du Raz.

trait, on se secoue, on reflue vers la

yeux cernés. On a commandé des

Tchüss ! Seul à l’arrière, je somnole,

deux-pattes. Mince, Philippe a eu

doubles cafés et des tartines. La

secoué par l’inimitable suspension.

la même idée. Couché sur la ban-

serveuse arrive. Philippe pointe sa

Passé Dreux, les embouteillages

quette arrière, en dépit de la barre, il

barbe dans sa direction. « Dites,

commencent. « Hé ? La nana ? J’ai

ronfle comme un sonneur. Je m’ins-

Madame elle est où, la fameuse fa-

pas son adresse. J’ai pas son nom

talle au volant, Fabienne sur le siège

laise ? » La serveuse se redresse :

de famille, non plus. » Alain et Phi-

passager. Si Alain se pointe, il négo-

« Dans la chanson, c’est sûr. Mais

lippe se marrent. « Tu l’appelleras la

ciera avec l’ours.

nous, on l’a pas encore trouvée. »

Paimpolaise ! »

fermer l’œil.

JEAN-MICHEL BAUDOIN —— MAI 2022

PHOTO —— FRED CHAPOTAT

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DE RECHERCHES

CREATIVES 2e TRIMESTRE 2022

PHOTO —— ERWANN-STEPHANNE - UNSPLASH

BRETAGNE


DO SÉ

MIMOSA

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Une toison drue de couleur mimosa révolutionne le paysage brumeux de ma Bretagne. Nuages d’héphélide en suspension sous des yeux pers où se livre la clarté d’une âme. Dès-lors, un soleil se lève dans le brouillard.

PHOTO —— PAOLO CHIABRANDO

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FRÉDÉRIC ADAM

AU BOUT DE L’ARGOAT

——— Au bout de l’Argoat L’Armor

De la gaffe toucher le vrombissement Comme une précaution prise face au bagout de l’orbe Nous n’avons pour bastion que le bois flotté Des partances et des gloires revenues À demeure les poches vides Cette perche que nous tenons de l’intérieur Est notre porte-plume dont, de la pointe Nous trempons les pioches Dans l’encrier des embruns L’aviron à même l’effeuillement du bleu Nous souquons au plus près des teintes Nous y épaulons les ramures Grâce à elles nous filons doux Soulagés des cautères Dans la ouate du liège Avec en tête toujours des châteaux en Arrée Et tâtons le temps qu’il fait Du coin qui nous devance Qu’il penche du côté des pléiades Ou vers l’embellie des fatalités Il œuvre en sous-main dans chacune de nos retombées

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BRETAGNE Et ses fortunes, qu’elles soient de mer ou rivées à l’analogue Nous gouvernent de ses ballades Sans en enlever ni les voiles, ni les refrains Son chant est tout autant notre accroche Que notre vergue Et la hampe des mâtures Que nous distinguons dans l’antienne des drisses En dépit de la magnificence des mélancolies Écrit dans le vent Le souci de nos rébus, l’arc de nos bâtisses C’est à ces fidélités que nous nous dévouons À ces partitions que nous lançons nos défis Nous ne jetons nos filets alors Qu’après avoir mis pied à terre Et tendu nos retours Du rebond et de l’ode des ressacs Ils sont l’étoffe de nos contes La geste récitée que nous tissons dans la profondeur de nos prêches Et relient nos idées fixes, nos amulettes à la grâce des sorts Telle une arche entre le compact et le fluctuant Le liseron d’un côté, la laminaire de l’autre Cousent des bords qui affirment notre terre Et sa parenté avec la mer.

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FRÉDÉRIC ADAM

UNE TERRE FAITE POUR L’OCÉAN

———

Une terre faite pour l’océan Stèle arrimée en arche au ponton des aléas Une terre dans les linges de l’horizon Peut-être simple caillou au bord Des zébrures de l’extrême Ou bosquet de genêts griffant de ses couleurs Le ciel total des excès N’en déplaise au sel des marches blanches Et aux lys des emblèmes que dressent Tels des pieux des bas-côtés inhérents À l’autorité des sabords L’hermine à fleur de peau Comme une abeille spirituelle C’est en terre-plein qu’elle s’ancre À la cale des clous Promontoire planté à même le raz Ses manies y prennent voile Comme on écrit dans l’air Des billets cousus à la trame des nues Et ses hypnoses assises sur la jetée Regardent au loin en flattant la marotte Elle ne se coule

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BRETAGNE Que dans le moule des brisants Et flotte ainsi entre une étale rêvée Et l’étoc en fléau de balance Point de fers pour la lester La seule amarre qu’elle s’octroie Est la main tendue du soleil couchant Sa lumière du soir Le baiser lumineux de l’obscur.

PHOTO —— FRED CHAPOTAT

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FRED CHAPOTAT

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BRETAGNE

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FRED CHAPOTAT

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BRETAGNE

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FRED CHAPOTAT

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BRETAGNE

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LABORATOIRE

DE RECHERCHES

CREATIVES 2e TRIMESTRE 2022

PHOTO —— LUDO POIRÉ • UNSPLASH

BRETAGNE


OLIVIER ISSAURAT

UN PROBLÈME DE CONCORDANCE DES TEMPS

——— Vendredi 15 mai 2012

me faire signe de le suivre. Il crie,

promenais sur le ponton du port de

Je suis sur les remparts de

mais les mots sont happés par la

plaisance. Un type replet, un bonnet

Concarneau. Sale temps. Les défer-

tempête. Le vent se prend dans les

enfoncé jusqu’aux yeux me dit que

lantes viennent se briser sur les for-

drisses, et lance de tristes siffle-

j’ai rien à foutre ici, c’est réservé aux

tifications qui entourent l’ancienne

ments qui parcourent la ville.

plaisanciers. J’ai serré le poing droit

ville. « Ne restez pas là ! ça pourrait

On avait dit l’Equateur, comme

au fond de ma poche. Il s’est baissé

être dangereux. » me hurle un agent

ça. Sans raison particulière. On vou-

pour ramasser le tuyau jaune, j’avais

municipal. J’ai envie de lui répondre,

lait du lointain et de la tranquillité.

mon pied dessus. « Votre pied ! » J’ai

« et toi alors, tu risques rien, t’es

Je ne sais même pas à quoi ça res-

senti ma cuisse se contracter. D’un

protégé par ta fonction ! » Mais les

semble. Est-ce qu’il y a seulement la

coup bien placé, je pouvais l’envoyer

mots restent dans ma tête. Un pa-

mer ? Dans ce cas, elle doit être très

au fond du port faire la causette

quet de mer me trempe jusqu’aux

différente de celle qui emprisonne

avec la poissonnerie. Un agent mu-

os. Je n’en ai que faire, je suis déjà

la région.

nicipal est passé, tant mieux !

tout mouillé à cause de la pluie.

J’ai été balayé par le paquet de

« Je n’avais pas remarqué !... le

J’ai atterri là par dépit. Je voulais

mer, jeté sur les pavés. Un peu plus

me rendre en Equateur. Un endroit

et je tombais du haut des remparts.

Je l’ai laissé tirer dessus puis j’ai

qui doit dépayser sérieusement,

Je me suis rattrapé d’une main à

enlevé mon pied. Il n’est pas tombé

plus que la Bretagne, plus que

l’un des barreaux du garde-fou. Fi-

dans le port, mais a heurté la borne

Concarneau. Il aurait fallu que mes

nalement l’agent n’avait pas tort. Il

d’arrivée d’eau.

papiers soient à jour. Ce n’est pas le

m’a vu, il vient vers moi.

cas, en plus j’ai perdu mon passeport dans la précipitation du départ.

« C’est bon je m’en vais ! » Vendredi 15 mai 2012

On croit toujours avoir pensé à tout.

J’étais à Concarneau. Le soleil

Les vagues semblent baisser en

annulait la fraîcheur de la légère

intensité. Et l’autre qui continue à

brise qui soufflait de l’Ouest. Je me

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tuyau. » ai-je complété

« C’est réservé aux propriétaires de bateau ! » « Je donnais un coup de main au monsieur… » expliquai-je tout en aidant le bonhomme à se redresser. Ce n’était qu’un demi-mensonge.


OLIVIER ISSAURAT

Vendredi 15 mai 2012

15 mai ? » Je tente de mettre un

Il semblait que c’était une évi-

« J’étais à Concarneau. » Mon

peu d’ordre dans l’organisation de

dence qu’on ne pouvait remettre en

frère me regarde, je sens du dépit

sa pensée. Ainsi nous aurons au

cause. D’ailleurs j’avais appuyé mon

dans ses yeux. Il aurait aimé que je

moins un point de repère pour nous

argument d’un léger coup du poing

parle de tout, sauf de Concarneau.

comprendre.

sur la table.

Maintenant, il soupire, il sait qu’il va falloir tout reprendre.

« Le 15 mai, c’est aujourd’hui ! Tu débloques à plein tube ! »

Et puis il est entré. « Monsieur Jean Lebras, je suis

« Ce jour-là, tu étais à Fleury-Mé-

Je sens qu’il est en colère, il at-

votre avocat. »

rogis ! » Il ne peut pas s’en empê-

tendait mieux de moi. Je l’ai tou-

« Pour quelle raison êtes vous

cher, revenir toujours et encore à

jours déçu, tout comme mes pa-

venu me rendre visite. Nous nous

cette histoire.

rents. Mon père voulait que je sois

connaissons ? »

« Pour le plaisancier qui est mort

technicien, ma mère ne voulait rien

« Oui, je suis là pour vous par-

au fond du port ou bien pour l’agent

de précis, elle s’occupait de mon

ler du meurtre de votre frère. Vous

sur les remparts ? »

frère. Lui est devenu avocat de re-

l’avez poussé du haut des remparts,

« Qu’est-ce que tu racontes ? »

nom et moi, je ne suis rien devenu

le 15 mai…. »

Pourtant je viens de faire un ef-

du tout. Peut-être un meurtrier, mais

Voilà ce que je craignais le plus,

fort de concision. Je veux l’aider,

nous ne sommes pas d’accord sur

ça recommence, encore et encore.

qu’il comprenne. Je vois à son sou-

les faits.

Il faudra que j’en dise un mot à mon

rire crispé que ce n’est pas le cas. « Le 15 mai ? Tu parles bien du

« Il a bien fallu que je sois là pour les tuer, au moins l’un d’entre eux ? »

OLIVIER ISSAURAT —— MARS 2022

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frère, il est de la partie, il saura me conseiller…


BRETAGNE LES CHAPEAUX RONDS

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L’autre fois, je voulais aller à Zanzibar voir si c’est si beau Comme y avait plus place dans l’train J’suis été chez les bretons Y en avait une fournée avec des chapeaux ronds Des coiffes d’un mètre de haut Tous y dansaient en sabots Saccageant les pauvres cailloux et les galets J’ai rencontré le Merlin Qui aidait vaches et moutons A rejoindre le paradis des z’animaux J’ai poussé jusqu’à Talbert Le trait renommé sillon Un vent à décorner les bœufs soufflait si fort Que tout nu j’suis devenu La force publique m’a foutu Au trou avec tous les vilains d’Ile et Vilaine On m’a envoyé tout dré Avec les cochons des bois C’est un peu comme les fraises mais en beaucoup moins rouge Y en a un qui m’a regardé Avec ses gros yeux tout ronds Au moment inopportun où je faisais la chose, Pantalon jusqu’aux genoux Des feuilles d’arbre pour P.Q. En Bretagne, la prochaine fois, j’ira plus M’y prendra un peu plus tôt A Pampelune pour la lune Ou bien à Majorque pour seize heures, je me rendrai

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OLIVIER ISSAURAT —— MARS 2022


J’ATTENDS le numéro 66

LABORATOIRE

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BRETAGNE


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