Didier Goux s'offre un bungalow

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Régulièrement, René sélectionnait une douzaine ou plus de ses voyageurs bagués, les enfermait dans une malle en osier, laquelle était chargée dans une camionnette et transportée à quelques centaines de kilomètres de là, parfois moins, à un endroit où les pigeons pouvaient retrouver de très nombreux congénères, venus principalement du Nord de la France et de Belgique, régions où la colombophilie est presque aussi populaire qu'en Provence la pétanque – et néanmoins nettement moins conne. Là, à une heure dite, on ouvrait toutes les malles, et les pigeons prenaient leur envol, un spectacle que j'aimerais bien revoir un de ces jours, à condition d'avoir l'assurance formelle qu'aucun de ces volatiles ne me chiera sur la tête avant de prendre la route du retour. Ces centaines d'oiseaux tournaient un moment au-dessus de leur lieu d'envol, prenaient le vent, ou je ne sais quoi, avant de se répartir par bandes pour filer dans toutes les directions : ciao, à la prochaine, vous je ne sais pas, mais moi, faut que je rentre. Naturellement, chaque colombophile savait assez précisément le temps qu'il faudrait à ses pigeons pour rejoindre le colombier natal. Donc, un peu avant l'heure estimée, nous sortions les chaises cannelées et j'allais m'asseoir à côté de René, pour guetter ses voyageurs. Je n'aurais pas été plus tendu, anxieux, si j'avais été chargé de guetter la cavalerie, alors que les Indiens criblaient de flèches nos chariots disposés en cercle sur la prairie. René mettait ce temps mort à profit pour me parler du pigeon, sa vie, son oeuvre, ou bien pour me faire peur en retirant son dentier. Une petite peur délicieuse, rassurante, parfaitement balisée, sans aucun recoin inconnu, que je ne manquais pas de réclamer si elle tardait trop à venir pour mon goût. Enfin, les premiers pigeons s'annonçaient. Et c'est là que les nerfs du colombophile sont mis à rude épreuve. À cette époque – je ne sais pas comment c'est de nos jours, mais ç'a dû bien changer (ma pauv' dame) –, le maître des pigeons possédait une grosse horloge cubique dans laquelle il devait introduire la bague de l'oiseau, afin d'avoir une preuve de l'heure à laquelle il avait effectivement réintégré le pigeonnier. Encore fallait qu'il y entre, pour pouvoir ensuite être attrapé. Or, certains – des fortes têtes, ou des adolescents en pleine révolte contre l'autorité – prenaient un plaisir que l'on suppose


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