Didier Goux s'offre un bungalow

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ton étonnement face à la passion que Geneviève mettait à t'embrasser. J'espère ne pas trop avoir joué les "anciens", ni t'avoir dit un truc du style : " Ouais, ouais, elles sont toujours comme ça...", mais je n'en suis malheureusement pas certain. Ce qui est sûr, c'est qu'après cette première, le rideau est tombé. Geneviève n'est pas revenue : sa vie était ailleurs et la tienne presque achevée. Et aucune autre n'a pris sa place. Tu as emporté au tombeau cette expérience unique, que j'espère avoir été superbe, bien qu'elle le soit rarement. En principe, c'est un simple départ, n'est-ce pas ? On le conçoit comme ça. Ce te fut une arrivée - pire : un terminus.

La mienne s'appelait Nadine - et c'est son vrai prénom. Tu ne l'as pas connue. Moi non plus, à peine. On dirait que nous étions juste destinés, en cette vie, à nous dépuceler mutuellement - car ce fut le cas. C'est curieux car, ayant connu assez peu de femmes, dans ma vie sexuelle active (j'ai essayé de faire le compte, il n'y a pas si longtemps, un soir de désoeuvrement ou d'insomnie : j'ai eu du mal à dépasser trente), j'y compte au moins trois Nadine. Notre rencontre fut curieuse. C'était à l'été 1976, juste avant que je quitte la maison familiale pour aller m'installer à Paris, avec Denis. 20 ans et quelques mois : pas particulièrement précoce, comme tu vois. Travail d'étudiant oblige, j'étais dans mon petit guichet de la gare d'Orléans-Les Aubrais, occupé à poinçonner les billets des voyageurs et à les renseigner sur le quai où, en principe, leur train allait s'arrêter. Est arrivée cette petite brune, équipée de lunettes aux verres épais, pas plus jolie qu'une autre, assez mince mais avec de gros seins, portant un sac à dos presque aussi lourd qu'elle, et lestée d'une valise ou deux, je ne me souviens plus. C'était le soir, assez tard (on faisait les 3 x 8, alors, y compris les étudiants saisonniers). Le travail se raréfiant, je lui ai pris une partie de ses bagages et l'ai accompagnée sur le quai - elle partait vers le sud-ouest, où résidait sa famille. Je suis resté jusqu'à l'arrivée du train venant de Paris et, au dernier moment, d'un ton dégagé probablement assez minable, je lui ai demandé de m'envoyer une carte postale, et elle a noté mon adresse (c'est-à-dire celle de mes parents), avant de disparaître. J'étais certain de ne jamais la revoir.


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