Didier Goux s'offre un bungalow

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hallucinante (pour le lecteur) impression de détachement - comme s'il s'était contenté d'observer la scène et d'en noter froidement les composantes. C'est au point que, le plus souvent, dans ces récits de bataille entre deux amants en bout de piste, c'est lui, l'auteur, qui se donne, qui a le plus mauvais rôle. Au plus fort du ressentiment jaloux, de la souffrance amoureuse, il parvient à nous faire sentir par quels côtés W peut avoir, d'une certaine manière, raison contre lui - si tant est que la raison ait à faire ici. Et, cependant, il faut continuer d'écrire, de rattraper le retard, d'évoquer ce qui a provoqué le retard, de répondre au téléphone pendant qu'on écrit, de relater le contenu de cet appel, avant de revenir aux raisons du retard, puis au retard lui-même et... Finalement, approchant de la fin du second volume, le lecteur, presque aussi essoufflé que l'auteur lui-même, ne sachant plus à quelle explication rationnelle se vouer pour tenter de comprendre ce qui se produit sous ses yeux, jour après jour depuis plusieurs semaines, se raccroche à la seule qui lui paraisse en fin de compte plausible. Ils sont plusieurs. Oui, j'en suis désormais certain, et rien ne m'en fera démordre : dans les années 1970, quelque part entre le Flore et la rue du Bac, un savant halluciné et génial est parvenu à cloner Renaud Camus, à le produire en série, ce qui a permis la venue au monde de ce Journal insensé et magnifique. Pour des raisons qui restent à déterminer, l'expérience a été brusquement interrompue. Peut-être les avatars n'étaient-ils viables qu'à court terme ? Ou bien, il s'est produit une dégénérescence rapide de leur système neuronal, et, s'amenuisant, ils se sont transformés en Marc Lévy, Philippe Besson, Amélie Nothomb et autres Didier van Cauwelaert ? Aucune hypothèse n'est à exclure. Quoi qu'il en soit, on peut imaginer que c'est par une sorte de tendre nostalgie envers ses frères nés en batterie que Renaud Camus - le vrai, le bio, le Camus de plein air, élevé sous la mère et tout - a continué, durant les années suivantes, et encore aujourd'hui, à utiliser leurs différents noms, en couverture de ses églogues.


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