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On est en train de faire disparaître des lits en psychiatrie

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«On est en train de faire disparaître des lits en psychiatrie»

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Médecin de formation et exclusivement psychothérapeute depuis 2000, Jean-Pascal Hallès s’est également spécialisé dans l’EMDR*. Depuis début novembre, la France connaît son deuxième confinement pour faire face à la pandémie. Mais où en est la santé mentale des Français ?

Confi’Lyon : Les Français viennent d’englou- accessibles ou plus de consultations ouvertes. Pour tir un deuxième confinement. Avez-vous un l’instant, on est plutôt en train de constater l’inverse, nombre important de patients qui se sentent c’est-à-dire que beaucoup de services de médecine et/ impactés par la succession des deux confine- ou de psychiatrie ferment pour accueillir des patients ments ? atteints de la Covid-19. Une fois que ces personnes Dr. Jean-Pascal Hallès : Je dirais sont sorties, on l’a vu notamment lors plus que dans la première phase de la première vague, les services n’ont au premier confinement. Je n’ai pas pas rouvert sous couvert de transférer tenu de chiffres précis sur ordinateur des charges de travail pour l’épidémie. mais de tête, je dirais qu’au moins On est en train de faire disparaître de 30 à 50 % de mes patients (150 à plus en plus de consultations et de lits 200 patients) indiquent un impact en psychiatrie. Au niveau des cabinets direct ou indirect dans leur vie. Que privés, c’est n’est pas tout à fait pareil ce soit parce qu’ils sont au chômage parce que l’on est encore libre d’outechnique ou en perte de revenus, vrir ou pas, on n’est pas gouverné par des indépendants ou des commer- l’Agence Régionale de Santé (l’ARS). çants. Que ce soit des menaces de On voit arriver en ville des gens qui licenciement ou de restructuration. viennent de sortir de l’hôpital parce Le premier confinement a laissé pas qu’il n’y a plus de place pour eux alors mal de traces et fait pas mal de dé- qu’ils n’auraient jamais dû en sortir. Ils gâts dans la vie des couples, les fa- sont dans un état assez grave, assez milles en première ligne. ©Dr. Jean-Pascal Hallès profondément touchés et ces gens-là

L’autorité sanitaire indique la

viennent indirectement nous consulter.

prévalence des troubles dépressifs entre fin Cette hausse vous a-t-elle amené à avoir plus septembre (+ 11 %) et mi-novembre (+ 21 %). de patients ?

Selon vous, ces chiffres sont-ils alarmants ? Oui absolument, il y a le lot normal, ce que l’on appelle Si c’est alarmant dans le sens où il faut tirer la sonnette les dépressions saisonnières, car chaque changement d’alarme, alors oui ! de saison important entraîne son lot de dépressions, Ces chiffres doivent nous faire réfléchir en profondeur des dépressions à l’automne et au printemps, aussur comment se donner les moyens d’accompagner si curieusement que ça puisse paraître. Dans les déces personnes et surtout, observer ce que vont faire pressions de l’automne, on a l’habitude d’en voir un les politiques pour permettre qu’il y ait plus de services peu plus qu’en été et en hiver. Mais là, il y a

une proportion significativement supérieure de cas. L’ARS parlait de 20 %, je n’ai pas de chiffres précis mais je veux bien croire que cela fasse 20 % car c’est 1 personne sur 2 qui en parle alors qu’auparavant, la proportion liée aux dépressions pures était quand même un peu moins forte.

Devons-nous commencer à nous inquiéter si le confinement se prolonge sur l’année 2021 ?

Si s’inquiéter veut dire s’attendre à ce que de plus en plus de personnes voient leur moral se dégrader, la réponse est oui. La dépression touche un nombre important de personnes puisque selon les études, c’est 2 adultes sur 5 qui auront un épisode dépressif (hors pandémie) dans leur vie et la pandémie ne fait qu’accélérer les choses. C’est facile d’imaginer que l’on pourra monter à 3 adultes sur 5 dans les prochaines études statistiques.

Sur l’ensemble de vos patients, avezvous vu naître d’autres troubles que vous n’aviez pas eu auparavant ?

Je dirais plutôt suivant les cas, l’exacerbation ou une récidive de troubles qui avaient pu se calmer. Donc à côté des syndromes dépressifs, vous pouvez aussi avoir des personnes qui réagissent de diverses manières. Certaines se mettent à tout vouloir contrôler pour éviter à tout prix le virus, on observe aussi des troubles obsessionnels, des troubles compulsifs en augmentation... Vous avez des patients qui deviennent obsédés par le lavage des mains, la désinfection de tout ce qui vient de l’extérieur, qui font de véritables sas à l’intérieur de chez eux ou quittent absolument tous leurs vêtements de la journée pour enfiler une autre tenue dès qu’ils ont passé l’entrée. On assiste à ce genre de comportement contrôlant. Il y a aussi des phobies : les microbes, le contact avec les autres, ce qui pousse certaines personnes à rester cloîtrer chez elles. On le voit lorsque l’on fait des visioconférences ; celles-ci n’auraient jamais eu l’idée d’aller frapper à notre porte, d’entrer en contact ou de bénéficier d’un suivi grâce aux visioconférences et appels téléphoniques. Cela nous permet de continuer le suivi de gens qui ne pouvaient plus venir ou de prendre en suivi des gens qui ne seraient jamais venus.

Propos recueillis par Pauline Choppin Dépression, troubles mentaux, anxiété... D’après plusieurs études le deuxième confinement a des conséquences sur la santé mentale et sur le moral des Français. Selon «Santé publique France» les troubles dépressifs «ont doublé entre fin septembre (11%) et début novembre (21%)».

Deuxième vague, deuxième confinement pour les Français. À mesure que la pandémie s’intensifie et que les mauvaises nouvelles s’accumulent, la santé morale des français s’aggrave, l’ennui semble commencer à peser sur le moral qui fait naître des symptômes de stress post-traumatique. L’autorité sanitaire indique que la prédominance des troubles dépressifs «a doublé entre fin septembre (11%) et début novembre (21%)». Là où la hausse est la plus nette est chez les 18-24 ans (+ 16 points) et les 25-34 ans (+ 15 points), les personnes inactives et les personnes en situation financière très difficile sont également en hausse (+ 15 points). Seulement deux semaines après le début du reconfinement, le rapport conclut que «la santé mentale des Français s’est significativement dégradée entre fin septembre et début novembre avec une augmentation importante des états dépressifs pour l’ensemble de la population (+ 10 points)».

Une disparité selon les classes

Face au confinement un phénomène «d’habituation» a été noté. L’écart entre les classes sociales continue de se creuser, y compris du point de vue psychologique. Lors d’un relevé réalisé entre le 4 et le 6 novembre, les personnes en situation financière très difficile se disent pour 35% être en état dépressif, contre 14% pour celles déclarant une bonne situation financière.

Santé publique France, entre fin août et début novembre, a observé «une augmentation continue et globalement significative des états anxieux (+3 points) ainsi qu’une diminution de la satisfaction de vie (- 4 points)».

Des données différentes du premier confinement

Au cours du premier confinement l’enquête Coconel (Coronavirus et CONfinement : Enquête Longitudinale), portant sur «un panel IFOP d’un millier de Français», estime que «74% des adultes rapportent des problèmes de sommeil, la moitié d’entre eux estimant qu’ils sont apparus avec le confinement». Dans une autre mesure, près de 37% des enquêtés présentaient des signes de détresse psychologique. P.C. onfi’lyon

©Margaux Levanto

Des institutions pour ne pas rester seul

La santé mentale compte autant que la santé physique. Des lignes d’appel lyonnaises ont été mises en place et renforcées pour répondre aux problèmes liés à la santé psychique de chacun, en cette période de crise sanitaire.

LIVE

Une plateforme téléphonique qui réunit les 3 centres hospitaliers psychiatriques de Lyon : Vinatier, Saint Cyr et Saint Jean de Dieu.

LIVE s’adresse à tout le monde : patients de tout âges, famille, entourage, aidants, professionnels de santé, du secteur médico-social ou social. La ligne est ouverte pour toutes demandes d’information et d’orientation sur la santé mentale. L’objectif est d’évaluer et gérer l’urgence, informer, faciliter l’accès aux soins et éviter une rupture des soins, être orienté vers une prise en charge adaptée selon le profil. 04 37 91 55 99 LIVE@ch-le-vinatier.fr

CADEO

Le centre hospitalier du Vinatier a intégré la consultation Covid-19 à son unité CADEO (centre d’accueil d’évaluation et d’orientation). Destinée aux adultes, elle propose une consultation spécialisée avec un psychiatre afin d’accompagner des personnes en souffrance à cause de l’épidémie de la Covid-19. En fonction de l’analyse du profil, le patient est conduit

04 37 91 55 37

vers les soins ou conseils répondant à son problème.