Reflexe Mars 2009

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EFLEXE R

Erotisme : des salons pas bandants

Voir, découvrir, réfléchir

LES LOBBIES TOUT PUISSANTS

LES HÉROS OUBLIÉS DU ROCK PUCES RFID : TOUS FICHÉS ?

G20

dislocation géopolitique Vers une

N°2 - Mars 2009 - www.reflexemagazine.free.fr



Sommaire

Actu ..................................................................... Page 4 Les incertitudes de l'Inde .................................. Page 30 L'Irlande du $ord face à ses vieux démons ..... Page 36 Omar el-Béchir défie la CPI .............................. Page 38 Le G20 de la dernière chance ............................ Page 40 La cyberdéfense, un enjeu européen ................ Page 46 Dans le secret des lobbies .................................. Page 48 L'appel des appels fédère les mécontents ......... Page 52 Le retour du protectionnisme ? ........................ Page 54 Areva, ça ne va pas si bien que ça ..................... Page 56 Fichés par radio-fréquences .............................. Page 58 La chasse au Subutex ......................................... Page 62 Dans l'intimité d'Eropolis .................................. Page 64 Des progrès pour l'homoparentalité ................. Page 68 Paris dans le rétro .............................................. Page 70 Demain, tous stériles ? ....................................... Page 76 Les astéroïdes exterminateurs .......................... Page 78 La télévision sur mobile se fait attendre ......... Page 82 Le systema ne rigole pas .................................... Page 84 Le retour des Only Ones .................................... Page 86 Ian Svenonius, héros oublié ............................... Page 90 Lanzmann fait le bilan ....................................... Page 92 Les chroniques littéraires de mars ................... Page 94 Comics d'ailleurs ................................................ Page 95 Le président américain ne fait pas de la figuration . Page 96 Les sorties ciné ................................................... Page 99 L'essor des troc parties ...................................... Page 100 iCub, le robot intelligent .................................... Page 102 De la talkbox à l'auto-tune ................................ Page 103 Le jeu vidéo dématérialisé ................................. Page 104 Twitter, le réseau social qui monte ................... Page 105 Billet d’humeur .................................................. Page 106 R e f l ex e 9 rue Alexandre Parodi, 75010 Paris Standard : 01 44 84 30 59 Directeur de la rédaction : Eric Ouzounian Rédacteur en chef : Olivier Tesquet Chef des informations : Caroline Vigoureux Chef des informations adjoint : Jérôme Corbin Directeur Artistique : Nicolas Sbarra Rédaction : Audrey Achekian, Alexandre Bellity, Steffy Beneat, Jérôme Corbin, Thibault Delachaux, Anne-Laure Falgayrettes, Antoine Ginekis, Youri Lee Gothemi, Mégal Grouchka, Laurie Haslé, Lise Hourdel, Barbara Huet, Steven Lambert, Thomas Lemoullec, Anthony Mansuy, Emeline Marceau, Hélène Mariani, William Molinié, Romain Perrot-Nasturel, Adrien Toffolet, Quentin Weinsanto, Arthur Zadvat Maquette : William Molinié, Nicolas Sbarra Dessinateur : Grégory Szeps Secrétariat de rédaction : Steven Lambert, Jérôme Corbin Numéro d’enregistrement à la commission paritaire : à venir Diffusion : Mur du 9 Parodi, www.reflexemagazine.free.fr et pdf itinérants.

Edito

Le monde va mal, c’est la crise. Le libéralisme déraisonné s’est enrayé, c’est la crise. Les médias déclinent la crise à l’infini, c’est aussi la crise. Mais ça pourrait être pire. Parce que Réflexe ne tolère ni les errances ni la tiédeur, le sommaire de ce mois-ci aura un goût de fin du monde. Alors que les dirigeants du monde se sont donné rendez-vous à Londres pour un G20 crucial, ils se perdent en atermoiements et s’exposent à une dislocation géopolitique mondiale. Mais ça pourrait être pire. D’ici quelques années, la technologie par radiofréquences nous projettera peut-être en pleine dystopie orwellienne, où chaque individu sera fiché et référencé comme une conserve. Mais ça pourrait être pire. L’homme moderne, exposé à des perturbateurs endocriniens omniprésents, produit de moins en moins de spermatozoïdes, menaçant par là-même le cycle de reproduction du genre humain tout entier. Mais ça pourrait être pire. Le 21 décembre 2012, un astéroïde exterminateur rayera peut-être la Terre des cartes spatiales. Heureusement, cette hypothèse relève encore de la fiction. D’ici là, nous aurons le temps d’affûter nos réflexes. olivier tesquet

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HOMMAGE

Les maux de la fin

«

Le dernier des géants » s’est éteint. Samedi 14 mars, Alain Baschung a été emporté par un cancer du poumon, dans la froideur de l’hôpital Saint-Joseph à Paris. Ces dernières semaines, la santé du chanteur s’était dégradée, au point de le contraindre à annuler les concerts qu’il devait donner les 14, 17 et 18 mars au Grand Rex. Il laisse derrière lui une femme, deux enfants et une œuvre monumentale. 12 albums récompensés par 11 Victoires de la musique, dont trois en 2009, un record. Alain Baschung naît le 1er décembre 1947 à Paris, d’une mère bretonne et d’un père inconnu qu’il croit savoir être kabyle. Très vite, sa mère se 4

remarie avec un alsacien, et ils emménagent dans un appartement trop petit. Ils décident donc d’envoyer Alain, alors âgé d’un an, chez sa grand-mère paternelle. Elle ne parle que l’alsacien et ne l’autorise pas à fréquenter les juifs.

ROSEBUD, PREMIER HARMONICA

Là-bas, il forge ses premières influences, empreintes de rigueur et de précision germaniques. Strauss, Wagner, Kurt Weill, et les compositeurs classiques qu’il écoute via la radio allemande. A 5 ans, il s’offre son premier instrument, un inattendu harmonica Rosebud. L’instrument ne le quittera

© DR

En trente ans de carrière, sa petite entreprise aura définitivement chamboulé le paysage musical français. Retour sur la légende d’un résident de la République.

plus, l’accompagnant de sa mélancolie sur toutes les scènes. Il l’utilisera jusqu’au crépuscule de sa vie, lors des Victoires, sa dernière représentation publique, pour interpréter Résidents de la République.

Lorsqu’il retrouve sa mère et son beau-père dans leur appartement de Boulogne-Billancourt, à l’occasion des vacances, le garçon s’immerge dans la musique populaire des années 1950. Brel, Brassens portent alors la parole de la classe ouvrière. Pourtant, à l’époque, Alain Baschung lorgne plus du côté d’un poinçonneur des Lilas. Il se reconnaît dans les mélodies douces et les textes amers de Serge Gainsbourg.


Ensemble, ils travailleront sur le quatrième album d’Alain, Play Blessures (1982).

A 19 ans, il obtient son BTS comptabilité. Beau-papa et maman rassurés, il peut enfin commencer à écrire sa légende. La même année, il se fait embaucher comme arrangeur par le label RCA. Nous sommes alors au début des années 1970, il travaille notamment sur les albums de Dick Rivers. Mais surtout le soir, il chante dans un club, le Pierre-Charon. Là, un producteur le repère. Son objectif : en faire le Tom Jones français, poitrail ouvert et poils lustrés. Ouf, on l’a échappé belle.

BORIS BERGMAN, AUTEUR FÉTICHE

Comme il le reconnaîtra plus tard, son début de carrière se résume à un succès d’estime. En d’autres termes, un flop. Aucun des 45 tours qu’il sort alors sous les pseudos de David Bergen, d’Hendrick Darmen, ou sous son vrai nom, n’atteignent les oreilles du grand public. En 1977, en pleine révolution punk, Baschung sort son premier album. Las, RomanPhoto connaît le même sort que ses précédents essais. Et la malédiction aurait pu durer encore un moment, si Gaby, Oh Gaby n’avait été là. La chanson, greffée au dernier moment sur le deuxième album (Roulette Russe, 1979) est le premier succès du rockeur. Nommé à l’origine Max Amphibie, le titre est en fait une blague potache de l’interprète et de son auteur/ami fétiche, Boris Bergman. La victime désignée est leur producteur de l’époque, qui ne cesse de leur mettre la pression et à qui la chanson prête des penchants homosexuels totalement fantasmés. En septembre dernier, Boris Bergman expliquait finalement dans les colonnes de Libération

HOMMAGE

que Gaby est un hymne à toutes les minorités, « quand le Pacs n’existait pas ».

PASSAGE DE TÉMOIN

Lancée, la machine ne s’enrayera plus, et ne s’arrêtera pas. Le style à tiroirs de Gaby va s’affiner au fil des albums suivants. Vertiges de l’Amour (Pizza, 1981) ou encore Osez Joséphine (Joséphine, 1991) et tant d’autres ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Bashung (le “c“ s’en est allé, il ne reviendra pas) l’explique luimême dans les colonnes de l’Express en mars 2008 : « Je me suis souvent exprimé par ricochets, par détours, par métaphores, comme si des miroirs se reflétaient les uns dans les autres. » La plus célèbre de ces allégories reste celle de Ma petite entreprise (Chatterton, 1994). Alors qu’il semble évoquer la réussite mécanique d’un artisan en pleine forme, le texte parle en réalité d’« entreprendre » les femmes, un art beaucoup plus subtil et aléatoire.

De calembours cryptiques, il en est encore et toujours question dans l’album révolutionnaire Novice (nos vices, No vice)en 1989. Révolutionnaire à plus d’un titre, il symbolise le passage de témoin entre Boris Bergman et Jean Fauque. Autre tournant, Bashung laisse désormais carte blanche à ses invités

pour arranger les morceaux, avant de sélectionner ce qui lui plaît. Lors de ses enregistrements, il s’entoure du gotha : le binoclard dissonant Arto Lindsay, Marc Ribot (le guitariste d’Elvis Costello), mais aussi des rescapés glam de Roxy Music et les Ecossais de Portishead. Commence alors la fastueuse décennie 1990, au cours de laquelle il signe ses plus belles chansons. Osez Joséphine, Ma petite entreprise, évidemment, Madame Rêve et Aucun express aussi, mais surtout La Nuit Je Mens (Fantaisie Militaire, 1998) dont le clip obtient la Victoire de la musique 1999. Fantaisie Militaire obtient quant à lui le prix prestigieux du meilleur album des vingt dernières années. Les textes sont plus sombres et préfigurent Bleu Pétrole, sorti en 2008, désormais épitaphe. Entre les deux, l’Imprudence (2000) est un échec commercial, même si les puristes y décèlent les plus beaux textes de Bashung. Une fois n’est pas coutume, la petite histoire de ce grand monsieur se griffonne dans la marge, s’annote et dénote. Nombreux sont ceux qui pourront le remercier, ceux qui auront grandi à l’ombre du vieux chêne. Parmi eux, Jean-Louis Murat et Miossec. Mais si Alain Baschung est parti, Bashung lui survivra encore longtemps.

Bashung vivait depuis un an dans le quartier de la goutte d’or, Villa Poissonière (18e)

Jérôme Corbin

/© DR

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INTERNATIONAL EN BREF

Un candidat modéré en Iran En vue de l’élection présidentielle le 12 juin prochain, le candidat du clan réformateur Mohammad Khatami, ancien chef de l'Etat de 1997 à 2005 vient de se retirer de la course. Il laisse la place à Mir Hossein Moussavi, du même parti, pour concentrer les voix autour d’un seul candidat.

Lutte commune contre le terrorisme Combattre ensemble le terrorisme. C’est le projet proposé mardi par les Etats-Unis à l’Union européenne, qui souhaitent « tourner la page et modifier leur approche dans la lutte contre le terrorisme », a déclaré Jacques Barrot, commissaire européen à la Justice et à la Sécurité, après un entretien avec le secrétaire à la Justice américaine.

Le président équatorien en tête Selon plusieurs sondages datant de lundi, Raphael Correa, le président équatorien, est en tête pour l’élection présidentielle du 26 avril. Il devancerait ses adversaires avec 53% d’intentions de vote, contre 13% pour l'ex-président Lucio Gutierrez, et 11% pour le milliardaire Alvaro Noboa.

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La capote à l’Index Benoit XVI s’est rendu pour la première fois en Afrique du 17 au 24 mars. L’occasion pour le Pape de relancer la polémique du préservatif au sein de l’Eglise.

Benoit XVI est depuis lundi 16 mars en Afrique. Il s’agit de sa première visite sur le continent noir depuis son intronisation en tant que Pape, il y a quatre ans. Avant même d’atterrir à l’aéroport de Yaoundé, au Cameroun, le souverain pontife s’est rappelé au bon souvenir de la polémique. Deux mois après la réintégration des extrémistes et moins d’une semaine après la sortie médiatique du Vatican, scandalisé par l’avortement d’une petite fille de 9 ans, au Brésil ; voici que Benoit XVI en remet une couche (de latex) sur le préservatif. Devant un parterre de journalistes, il a estimé que l’on ne pouvait pas « régler le problème du SIDA avec la distribution de préservatifs », et « qu’au contraire (leur) utilisation ajoute au problème ».

« MEURTRE PRÉMÉDITÉ »

A peine prononcées, ces quelques paroles ont fait le tour du monde. Les réactions en Europe sont particulièrement virulentes. Le ministre du développement des Pays-Bas s’est déclaré « stupéfait que (…) ce pape interdise aux personnes de se protéger ».

Le Pape Benoît XVI est arrivé en Afrique où 18% de la population est catholique. /© DR

Michel Kazatchkine, directeur du fonds mondial contre le SIDA demande « au Pape de retirer ses propos ». Quand à l’ONG Médecins sans Frontières, elle considère que se sont « des années de travail qui sont remises en causes ».

Mais c’est en France que les réactions ont été les plus violentes. Le ministère des Affaires étrangères a fait part mercredi 18 mars « de sa très vive inquiétude ». Le maire de Bordeaux, Alain Jupé, qui est également catholique, estime « que ce pape commence à poser un sérieux problème. (Il vît) dans une situation d’autisme total ». A gauche, même son de cloche. Marie-Georges Buffet, secrétaire nationale du parti communiste parle de propos « criminels ». Pour Daniel Cohn-Bendit, il s’agît « presque d’un meurtre prémédité ».

25 MILLIONS DE MORTS

Des propos forts pour rappeler une réalité alarmante. D’après les chiffres de l’ONU, près de 25 millions d’africains sont morts du VIH et autant ont contracté le virus. Pour exemple, au Swaziland petit pays d’un million d’habitants coincé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, la moitié des adultes sont séropositifs. 100 000 enfants, soit 10% de la population totale, sont orphelins. Sans aide massive et notamment une distribution de préservatifs et de médicaments, le Swaziland pourrait tout simplement être rayé de la carte. Mais pour Benoit XVI, le plus important n’est pas là. Au-delà de la dimension symbolique de son déplacement, son voyage en Afrique était aussi un moyen de faire le point sur les récents événements qui mettent à mal l’image de l’Eglise catholique.

Hélène Mariani & Jérôme Corbin


INTERNATIONAL

Un nouveau président à Madagascar Marc Ravalomanana a fini par quitter la présidence. La transition sera assurée par son principal opposant, Andry Rajoelina. Cette passation de pouvoir met fin à une crise politique qui secoue la Grande île depuis plusieurs mois.

« Marc Ravalomanana a déjà démissionné, le Premier ministre et son gouvernement ont aussi démissionné, je suis à la tête du gouvernement de transition […]. Donc, vous pouvez m'appeler Président ». Triomphant, l’ancien disc-jockey devenu homme politique, Andry Rajoelina, annonçait sa victoire mardi 17 mars dans la soirée, par téléphone à la chaîne française LCI. Une victoire confirmée le lendemain par la Haute Cour constitutionnelle malgache qui a aussitôt validé le transfert des « pleins pouvoirs » de l’armée à l’ancien maire d’Antananarivo. Ayant pris officiellement le parti de suivre Andry Rajoelina depuis le 11 mars, les militaires ont désobéi aux ordres présidentiels. L’armée a en effet refusé d’assurer l’intérim après la déchéance de Marc Ravalomanana. Ce dernier est à l’heure actuelle introuvable et fortement suspecté d’avoir quitté le pays, sa famille ayant déjà pris la fuite quelques jours auparavant. La population malgache peut donc souffler après cette passation de pouvoir qui devrait, semble-t-il, amener enfin un peu de stabilité à une île embourbée dans une crise politique depuis le 26 janvier.

DES ÉLECTIONS ANTICIPÉES D’ICI DEUX ANS

En quelques mois, Andry Rajoelina, destitué de la mairie d’Antananarivo le 3 février par le pouvoir en place, a ainsi mené une lutte vindicative et victorieuse contre le chef

Andry Rajoelina a gagné la confiance de l’armée /© DR

d’Etat. Ce dernier a quitté ses fonctions sans aucun soutien. Comme un symbole, même Jacques Sylla, président de l’Assemblée Nationale et surtout ancien Premier ministre de Marc Ravalomanana, a lui aussi changé de camp. Aux côtés du leader de l’opposition, Sylla a voulu envoyer un message fort et clair : « Il n'y a qu'une solution : la démission du président. » Une injonction, prononcée quelques jours avant son départ, qui démontrait l’isolement définitif de l’homme au pouvoir depuis 2006. Beaucoup lui reprochait d’avoir laissé la situation économique de Madagascar se dégrader, tout en assurant les bénéfices à sa grande firme d’agroalimentaire.

Quatrième île mondiale en termes de superficie, Madagascar est l’un des pays les plus pauvres du globe. La crise économique mondiale n’a fait qu’accentuer les difficultés pour la population dont près de 70% vit avec moins d’un dollar par jour. Une mission de taille attend donc le nouveau gouvernement en place, qui s’est d’ores et déjà engagé à organiser une élection présidentielle anticipée d'ici deux ans.

Antoine Ginékis

EN BREF

Immigration limitée en Australie Le gouvernement australien a décidé de diminuer de 14 % le quota annuel de travailleurs étrangers pour lutter contre le chômage. Une décision qui ne fait pas l’unanimité. Le journal The Australian estime que « cette décision est un exemple des politiques économiques nullissimes qui font leur apparition quand les temps sont durs ».

9 000 prisonniers amnistiés En Azerbaïdjan, le parlement a voté une loi pour amnistier 9 000 prisonniers. Ceci intervient la veille d’un référendum, en vue de la limitation du mandat présidentiel. La première dame, Mehriban Alieva, a déclaré leur offrir « une nouvelle chance en leur pardonnant leurs crimes et en leur permettant un retour à la vie en société ». Le Premier ministre nord-coréen en Chine Le Premier ministre nord-coréen Kim Yong est arrivé mardi 17 mars en Chine, alors que la Corée traverse une période de tensions, avec le lancement d’un satellite prévu en avril. Le Premier ministre a notamment rencontré les hauts dirigeants chinois et s’est rendu dans la province du Shandong (Est).

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INTERNATIONAL

Madoff, un « non-procès » tactique

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Bernard Madoff a plaidé coupable

victimes, désirant vivement obtenir des réponses à leurs questions : « Qui d’autre était impliqué dans cette conspiration ? Où se trouve l’argent ? », s’interrogent les témoins, qui ont désormais la certitude de ne pas trouver de réponses à leurs questions.

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e 12 mars dernier, Bernard Madoff comparaissait devant le juge, à Manhattan. En plaidant coupable, l’auteur de la plus grosse fraude financière de l’histoire (plus de 64 milliards de dollars), s’est ainsi évité un long procès. Et ce, au grand regret de ses

A ce jour, seulement un milliard de dollars a été récupéré. En ce qui concerne l’éventualité d’une conspiration, le financier assure avoir agi seul. On lui reproche de protéger sa famille, et plus particulièrement, son frère, soupçonné d’être impliqué dans la fraude. De même, aucun de ses proches collaborateurs n’ont, pour le moment, étaient inquiétés. Des affirmations qui ne satisfont pas les victi-

mes de Madoff : « Je ne comprends pas pourquoi le complot ne figure pas dans son plaider-coupable. Pour gérer une telle escroquerie, il lui a fallu une armée de gens », s’est insurgée l’une d’elle.

A l’issu de sa comparution, Bernard Madoff est reparti menottes aux poignets : le procureur a ordonné l’annulation de sa liberté sous caution. Trois mois après son arrestation, le fraudeur a donc été placé en détention. Onze chefs d’inculpation étant retenus contre lui, il encoure jusqu’à 150 ans d’emprisonnement. Les enquêteurs en charge de l’affaire rendront leur verdict le 16 juin.

Barbara Huet

L’Etat s’incline devant les juges pakistanais

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a « longue marche » des avocats a pris fin lundi 16 mars. Le gouvernement pakistanais vient d’annoncer le rétablissement des juges à leurs fonctions. Le cortège réclamait le retour des juges révoqués en novembre 2007 par l’ex-président, Pervez Musharraf. Initiée par le leader de l’opposition, Nawaz Sharif, la manifestation s’est arrêtée après qu’il a lancé un appel au calme.

Le Premier ministre, Yousuf Raza Gilani venait d’accepter les demandes de la population dans une allocution télévisée. Il a notamment rétabli Iftikhar Chaudhry, ancien président de la Cour suprême et symbole de la lutte pour une nouvelle démo-

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cratie. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé la « libération immédiate » de tous les politiques et hommes de loi arrêtés sur l'ensemble du territoire. Une décision qui vise à apaiser la tension dans le pays. Cette résolution semble avoir été prise sous l’influence du Premier ministre. Le président Asif Ali Zardari sort plutôt affaibli de cette crise. Il a dû céder à la population mais surtout à la pression de l’armée et des Etats-Unis. En revanche, Nawaz Sharif, exPremier ministre chassé du pouvoir en 1999, apparaît désormais comme un « héros » pour les pakistanais.

Audrey Achekian

Asif Ali Zardari, grand perdant de la crise / © DR



EN BREF

La mafia italienne arrêtée Les forces de l’ordre italiennes ont arrêté mardi plus de 40 membres présumés de la mafia lors de deux opérations en Sicile et dans la région de Naples. Ces arrestations s’inscrivent dans une opération plus vaste dans la province de Palerme. Une centaine de personnes ont été arrêtées depuis décembre dernier selon l'agence italienne Ansa. Réarmement russe massif Dimitri Medvedev, président russe, a annoncé une restructuration de l’armée terrestre et marine d’ici 2011. Une modernisation qui sonne comme une réponse au présumé renforcement de la présence militaire de l’OTAN le long de la frontière russe, la dernière datant de l’ère soviétique. Corruption en Espagne Le maire d’une commune espagnole, La Muela, a été arrêté ainsi que 17 autres personnes dans le cadre d’une enquête pour corruption mercredi 18 mars. Ces arrestations s’inscrivent dans une série d’investigations sur des faits présumés de corruption dans la finance et la construction au sein de la localité.

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Le rosé de la colère

/© DR

EUROPE

Mélanger du vin rouge avec du blanc pour obtenir du rosé. Ce n’est pas une blague mais bien la proposition que la Commission européenne doit étudier d’ici fin avril. Au pays du vin, les réactions sont unanimement contre.

Ça a la couleur du vin rosé, ça ressemble à du vin rosé mais… ça n’est pas du vin rosé ! Pas au sens noble et français du terme en tout cas. La mixture – beaucoup de blanc et un peu de rouge – proposée fin janvier par la Commission de Bruxelles n’est pas vraiment du goût des producteurs hexagonaux. « On a toujours fait du vin rosé avec du raisin noir. C’est la typicité de notre terroir qui est en jeu. Si ça passe, le rosé perdra toute son identité », explique Anne-Lise Fraisse , gérante du Domaine de Villeneuve dans l’Hérault.

LE DISCRÉDIT DE LA PROFESSION ?

Fin janvier, les 27 pays membres, y compris la France, ont pourtant voté un projet de directive autorisant la production de vin rosé par coupage du rouge et du blanc. Une décision que l’UE justifie par une volonté de répondre à la concurrence internationale. En d’autres termes, si la directive est adoptée, la France, 1er producteur mondial

de rosé, devrait alors aligner ses pratiques sur des pays pas vraiment spécialistes en la matière comme l’Afrique du Sud ou l’Australie. Une hérésie ? Beaucoup de viticulteurs le pensent. « De toute façon, il y aura toujours des pays qui produiront moins cher que nous », estime pour sa part Axelle Fizner, chargée de mission pour les vins de méditerranée. Surtout, le rosé étant passé de 8% à 22% de la consommation totale des vins en France en quinze ans, selon le Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP), la proposition sonne même comme une menace pour le secteur : « Cette mesure vise à industrialiser le vin. Ce sont les grandes surfaces qui pourront en tirer profit, en produisant plus à moindre coût », poursuit AnneLise Fraisse.

Un risque réel pour les petits producteurs, garants de la qualité des vins hexagonaux. Afin de se démarquer, ces derniers insistent en faveur d’un étiquetage clair. « Les vins rosés coupés doivent être clairement reconnaissables, sinon cela discréditera toute la profession », juge Anne-Lise Fraisse. Face à ces nombreuses critiques, Michael Mann, porteparole de l'exécutif européen pour les questions agricoles, a voulu rassurer les garants d’un vin de qualité par une pirouette toute diplomatique : « #ous sommes conscients des préoccupations des producteurs de certaines régions (…) et nous (y) réfléchissons. » Rien d’autre. D’ici le 27 avril prochain, date de la décision finale, les vignobles français n’ont qu’à espérer que la Commission mette un peu d’eau dans son vin.

Antoine Ginékis


EUROPE

Le procès Fritzl agace les Autrichiens

L

’ audience de l’Autrichien Josef Fritzl est qualifiée de « procès du siècle ». L’accusé, âgé de 73 ans, a reconnu avoir séquestré et violé sa fille Elisabeth à Amstetten, un village à 120 kilomètres de Vienne. En cachette de sa véritable femme Rosemarie et de ses enfants, l’homme a enfermé pendant 24 ans sa fille dans sa cave de cinquante mètres carrés sans fenêtres, ni ventilation. Sept enfants sont nés de cet inceste, six ont survécu et leur mère a subi une fausse couche.

Les habitants de Sankt Pölten, où se déroule le procès, voient d’un mauvais œil le battage médiatique autour de l’affaire. Les médias donneraient une image tronquée de la société autrichienne, dont la culture conservatrice du silence a été mise en exergue dans la presse

EN BREF

internationale. Le drame a rapidement fait ressurgir l’enlèvement de Natascha Kampusch, la jeune Viennoise qui avait été séquestrée huit ans et demi dans une cave, jusqu’à son évasion en 2006. « Toute la nation doit se demander ce qui ne tourne pas rond dans la société autrichienne », avait lancé le quotidien autrichien Der Standard.

Aujourd’hui âgée de 42 ans, Elisabeth ne sera pas présente à l’audience. Les onze heures de sa déposition vidéo seront diffusées dans les jours à venir. Elle réside actuellement à l’hôpital psychiatrique d’Amstetten avec ses enfants pour fuir les paparazzis. Josef Fritzl encourt une peine de prison située entre 10 ans et la perpétuité.

Laurie Haslé

Les homosexuels danois peuvent adopter

Le député à l’origine du texte, Simon Emil Ammitzboell, a déclaré que « c’était un pas important avant d’autoriser les homosexuels à se marier à l’Eglise ». Le Danemark a été le premier pays au monde à autoriser le mariage civil des homosexuels en octobre 1989, leur accordant les mêmes droits que les hétérosexuels, à l'exception de l'insémination artificielle (interdiction levée en 2007) et de l'adoption. Pour le ministre

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u Danemark, le Parlement a autorisé l’adoption d’enfants danois et étrangers par les couples homosexuels. Ce projet a été voté à 62 voix contre 53. Malgré le scepticisme de certains libéraux au pouvoir, ce projet de loi controversé a tout de même obtenu la majorité des voix.

de la Justice Brian Mikkelsen, « cette loi est dénuée de sens ». Selon lui, peu de pays avec lesquels coopèrent les agences danoises d’adoption seront d’accord pour autoriser l’adoption par des couples homosexuels. Un avis réfuté par l’opposition qui entend conclure des accords bilatéraux pays par pays pour faire progresser ce domaine.

Anne-Laure Falgayrettes

Les jeunes Allemands de plus en plus racistes Selon une étude réalisée par l’Institut de recherches en criminologie, un adolescent allemand sur sept se déclarerait très raciste. Un tiers d’entre eux trouvent qu’il y a « trop d’étrangers en Allemagne ». Et 4 % se déclarent fortement antisémites. Le ministre allemand de l’Intérieur se dit « épouvanté » par ce résultat.

Le Royaume-Uni contre la piquette Le médecin chef du Royaume-Uni souhaite fixer des prix minimums pour l’alcool. Cette mesure a pour but de lutter contre l’alcool à bas prix. « L'alcool bon marché nous tue comme jamais auparavant », a-t-il déclaré. En GrandeBretagne, la consommation de grandes quantités d’alcool sur une courte durée fait des ravages. Prison pour un exdirigeant serbe Momcilo Krakisnik, ex-président du Parlement des Serbes de Bosnie, a été condamné mardi à 20 ans de prison. Accusé de crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international (TPI), il avait ordonné le nettoyage ethnique au cœur du conflit bosniaque.

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POLITIQUE

Le Grand Paris divise les élus de droite

Réunis le 10 mars dernier autour de Roger Karoutchi, secrétaire d’état chargé des relations avec le Parlement, les élus de la droite francilienne étaient invités à évaluer la proposition du Comité Balladur : fusionner Paris et sa petite couronne. Le Grand Paris du Comité Balladur :

Création en 2014, après référendum, d'une métropole de 6 millions d'habitants en fusionnant le territoire de Paris et les départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, SeineSaint-Denis et Val-de-Marne). Transfert de certaines compétences des communes au Grand Paris : le logement, l'urbanisme et les transports. Transfert de certaines compétences des départements aux communes : culture, environnement, eau et assainissement. Le préfet de région serait aussi préfet du Grand Paris et le préfet de police de Paris exercerait son pouvoir sur l'ensemble du territoire.

Jean-François Lamour, Président du groupe UMP au Conseil de Paris : « #ous sommes enthousiastes au projet du Comité Balladur, car on nous fait des propositions. J’ai le sentiment que pour une fois, on n’oublie pas Paris. Pour aboutir à une véritable solidarité entre les communes franciliennes, il y a deux solutions. Soit on partage les richesses actuelles, ce qui sera difficile. Soit on crée plus de valeurs, pour envisager une meilleure répartition. Il me semble que l’on a tout à gagner en créant des inter-régions, surtout vers la #ormandie où les élus n’y sont pas tous hostiles. » Christian Blanc, Secrétaire d’Etat chargé du développement de la Région Capitale : « C’est un excellent rapport car il met en évidence le fait que la métropole urbaine ne marche pas. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est le problème du développement économique. Et non le mode de gouvernance, auquel on pense encore beaucoup trop. »

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Roger Karoutchi, Président du groupe UMP au Conseil régional : « Sur la création du Grand Paris, je suis tout à fait ouvert pour discuter, négocier et avancer. Mais je n’ai pas la même conception. Au-delà de la fusion, il y aura un problème immédiat, celui de faire une politique régionale uniforme. Si vous créez un seul département qui regroupe 75% des richesses, vous ne pouvez pas dire à la grande couronne que la politique régionale est la même pour tous. » François Kosciusko Morizet, Maire (UMP) de Sèvres : « Le périmètre proposé par le Grand Paris est inadapté. Les communes de Versailles, Saclay, ou encore Roissy ne sont même pas intégrées au projet. Comment peut-on parler de Grand Paris sans inclure ces villes ? »

Jean-Jacques Hyest, Sénateur de Seine-et-Marne : « C’est une mauvaise réponse à une question importante. Si c'est pour nous envoyer en Seine-etMarne les logements sociaux et les incinérateurs... ça suffit ! » Patrick Balkany, Maire de Levallois-Perret : « Certes, on peut réduire le nombre d'élus. Cela fera plaisir aux Français et à Edouard Balladur. Mais il va falloir élargir l'Ile-de-France à d’autres collectivités locales. Je pense notamment au Havre. »

Propos reccueillis par William Molinié



POLITIQUE EN BREF

Convention UE du Modem La convention thématique européenne du Modem se déroulera dimanche 29 mars à Paris. Elle aura pour thème « La France et l’Europe face à la crise » et sera organisée par Marielle de Sarnez, tête de liste européenne en Ile-deFrance et première vice-présidente du Mouvement Démocrate. François Bayrou clôturera la convention.

Chérèque accuse Besancenot François Chérèque, patron de la CFDT, a accusé Olivier Besancenot de faire de la récupération politique sur le dos de la fronde sociale : « Des militants #PA font le tour des entreprises en difficulté. Ça fait un peu rapace, on attend la misère pour agir. » Le leader du NPA a réagi sur LCI : « Il ferait bien de se reprendre. C'est curieux en début de semaine sociale où, théoriquement, on voudrait l'unité la plus large. »

Le PS valide ses listes Le PS organise samedi 21 mars une convention nationale de ratification des listes pour les européennes de juin. Ce sera la début de la campagne des socialistes. La concurrence risque d’être rude avec les nouveaux partis en lice (NPA, Modem...)

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La France dans l’OTAN, polémique historique L’Assemblée nationale a approuvé mardi soir le retour de la France dans le commandement de l’OTA$. La décision fait bondir les députés PS, qui doutent de l’influence de la France dans l’Europe et le monde, après cette union.

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l l’a voulu, il l’a eu. Nicolas Sarkozy a obtenu le soutien de l’Assemblée nationale, mardi soir. Les députés ont approuvé sa décision de rallier la France à l’OTAN par un vote de confiance à 329 voix contre 238. Le président français avait annoncé son projet le 11 mars dernier, lors d’un colloque à l’Ecole militaire de Paris, considérant qu’il était « dans l'intérêt de la France d'être au cœur d'un réseau dense de solidarités et d'alliances. [...] #ous conserverons notre dissuasion nucléaire indépendante. #ous conserverons notre liberté d'appréciation sur l'envoi de nos troupes. [...] #ous ne placerons pas de contingent en permanence sous commandement allié en temps de paix. »

DES DIVERGENCES NETTES

Globalement, le groupe UMP s’est montré favorable à cette décision en votant pour, à l’exception de Franck Marlin, député de l’Essonne, qui s’y est opposé. Le Nouveau Centre a aussi approuvé le texte en donnant ses vingt-trois voix. Parmi les réticents, le Parti Socialiste, les Verts et les radicaux de gauche, qui ont voté contre, comme huit non-inscrits comprenant François Bayrou, président du Mouvement démocrate (MoDem), Nicolas Dupont-Aignan et deux députés membres du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Viliers. Le projet a soulevé plusieurs protestations. Parmi elles, celles de Lionel Jospin et Laurent Fabius,

Manifestation pour la Paix le 13 juin 2008, à Paris /© DR

qui ont organisé mardi une conférence de presse à l’Assemblée nationale pour exprimer leur mécontentement. Appuyés par la première secrétaire du Parti Socialiste, Martine Aubry, les deux hommes craignent une soumission de la France face aux Etats-Unis, et l’immobilisme qui naîtrait au sein de la politique européenne : « #ous pouvons rester amis des Américains sans leur être subordonnés », lançait Lionel Jospin. « Les gouvernements européens ayant le moins d'appétence pour une défense européenne vont dire que, puisque la France est dans l'Otan, ils n'ont plus de raison de bouger. » Un certain nombre de députés se sont abstenus d’exprimer leur opinion lors du vote de confiance : « J'ai décidé de ne pas participer au vote, parce que c'est la seule solution pour voter contre l'Otan sans voter contre le Premier ministre », explique le député UMP Jean-Pierre Grand. François Fillon a exprimé son soutien au ralliement de la France à l’OTAN. Le Premier ministre a tenté de rassurer les sceptiques en soulignant que la France resterait une « alliée mais pas vassale » des Etats-Unis. Le 4 avril prochain, Nicolas Sarkozy viendra donc au sommet de l’OTAN avec le vote de confiance de l’Assemblée en main. Le Sénat débattra la semaine prochaine. Sans vote.

Laurie Haslé


POLITIQUE

Le bouclier fiscal pose toujours problème Deux ans après sa mise en place par $icolas Sarkozy, le bouclier divise toujours autant. Et même au sein de la majorité. Son utilité est remise en cause dans un contexte de crise sociale.

C

ertains sont pour son maintien, d’autres s’y opposent. Une chose est sûre, après deux ans d’application, le bouclier fiscal fait encore parler de lui. Mis en place en 2006 par la loi de Finances, le dispositif a pour but d’abaisser les impôts des contribuables à hauteur de 60% de leur revenu. Le 1er janvier 2008, Nicolas Sarkozy avait revu ce plafond à 50%. De quoi relancer le débat.

L’Assemblée organise cette semaine un correctif budgétaire, qui intègrera les propositions faites par Nicolas Sarkozy, le 18 février dernier lors du sommet social. L’équité sociale de la mesure est décriée par la majorité, qui s’inquiète de son efficacité dans la crise économique et budgétaire actuelle.

René Couanau, député-maire UMP de Saint-Malo, a déposé mercredi un amendement visant à suspendre le paquet fiscal pour les revenus de 2009. Les chiffres rendus publics lundi par l’administration fiscale n’arrangent pas les choses : si les deux tiers des bénéficiaires des remboursements d’impôts sont des personnes aux « revenus modestes », inférieurs à 12 991 euros annuels, le tiers restant dispose de salaires considérablement élevés.

EN BREF

Le président de la commission des Affaires sociales, Pierre Méhaignerie (UMP) et le député Nouveau centre Charles de Courson, estiment qu’un amendement permettrait de mettre à plus forte contribution les grosses fortunes françaises aux revenus supérieurs à 300 000 euros annuels. La mesure serait temporaire et exceptionnelle, organisée pour faire face à la crise.

LA GUERRE DES OPINIONS

L’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, suggère une augmentation du bouclier à ses 60% initiaux. Sa suspension serait selon lui dangereuse pour « l’équilibre entre l'exigence économique et l'exigence sociale ». Mais Eric Woerth n’est pas favorable au changement. Sur Europe 1, le ministre du Budget a souligné la fuite des contribuables les plus riches à l’étranger en cas de modification du bouclier : « Si vous ne plafonnez pas le taux de pression fiscale, les gens s'en vont. »

Les tensions seront difficiles à maîtriser pour le président UMP à l’Assemblée nationale, JeanFrançois Copé, qui voit d’un bon œil la baisse des délocalisations fiscales (15% en moins, une première depuis 2000). Depuis l’application du bouclier, 9% des expatriés français fortunés seraient revenus dans l’Hexagone.

Laurie Haslé

Le dispositif du bouclier fiscal, mis en place en 2006 a pour rôle d’abaisser les impôts à hauteur de 50%

/ © DR

Une plainte contre François Pérol Une plainte pour prise illégale d’intérêt a été déposée contre François Pérol, le nouveau patron du groupe Caisse d’Epargne/Banque populaire, par Anticor, une association anti-corruption. Le parquet doit désormais examiner la validité de la plainte et déterminer si Anticor est habilitée à agir dans cette affaire.

Le bouclier fiscal contesté François Bayrou, président du Modem demande « qu’on mette fin » au bouclier fiscal dans un entretien à Libération, le 17 mars dernier. Il estime que ce dispositif est un « système insupportable » qui devient « un véritable scandale en temps de crise » puisqu’il protège les très hauts revenus.

Le pape conspué par les Verts Daniel Cohn-Bendit, chef de fil du mouvement EuropeEcologie, s’est agacé à la télévision des propos du Pape. Il estime qu’il « y’en a assez maintenant de ce pape » faisant allusion à ses propos sur le préservatif et le sida en Afrique, qui ont suscité une forte polémique.

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ECONOMIE

Responsabiliser le crédit

La ministre de l’Economie Christine Lagarde a exposé lundi un projet de réforme pour mettre fin aux comportements abusifs des organismes de crédit à la consommation.

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Christine Lagarde entend responsabiliser les organismes de crédit à la consommation

utter contre les offres de crédit trop « agressives » : tel est le nouveau flambeau que souhaite brandir Christine Lagarde. La ministre de l’Economie a présenté lundi un projet de loi visant à responsabiliser les organismes de crédit à la consommation.

But affiché de cette réforme : mettre fin aux publicités mensongères. Les slogans suggérant une vie meilleure grâce au crédit seront interdits. La ministre entend ainsi combattre le crédit « sauvage » irréfléchi et le « crédit revolving », qui consiste à mettre à la disposition de l’emprunteur une somme d’argent disponible à volonté. Les réclames concernant ce crédit permanent devront toutes afficher le même exemple chiffré, pour une meilleure transparence. « Dans le contexte actuel, c'est essentiel de protéger des abus les foyers 16

/ © Ouest-France

qui vont être fragilisés par la crise », a prévenu la ministre. Le projet fait écho à une directive européenne et prévoit un délai de rétractation rallongé de sept jours. Ainsi, tout emprunteur disposera de deux semaines pour changer d’avis. Christine Lagarde désire imposer des règles strictes aux établissements prêteurs, qui auront l’obligation d’informer leurs clients et de se renseigner sur leur niveau d’endettement grâce au Fichier national des incidents de remboursement de crédits aux particuliers (FICP).

LES ASSOCIATIONS S’ALARMENT

Le projet ministériel survient après la parution d’une enquête réalisée par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. L’organisme a réuni plus de mille propositions de crédit tout au long de son investigation

auprès de 169 banques et 445 lieux de vente. Le constat est alarmant : pour l’achat d’électroménager, 72% des distributeurs ont orienté l’emprunteur vers un crédit renouvelable, 82% ne l’ont pas informé du coût du crédit et 87% n’ont pas vérifié la solvabilité du demandeur. Premiers visés : les banques sur internet, à l’instar de Cofidis, Cetelem, Mediatis, ou encore Disponis. Si le crédit demandé est inférieur à un seuil donné (entre 3000 et 6000 euros), elles redirigent directement le consommateur vers le crédit renouvelable. Résultat: fin 2007, la France comptait 43,2 millions de crédits renouvelables ouverts dont 20 millions d’actifs.

PAS DE FICHAGE DES SURENDETTÉS

Si la ministre de l’Economie souhaite « mettre en place des garde-fous » pour créer des « crédits responsables », elle refuse le fichier de recensement des 14 millions de Français surendettés : « Dans les trois quarts des cas, le surendettement est le résultat d'accidents de la vie, c'est-à-dire un divorce, un veuvage, une maladie ou un licenciement. Un fichier n'arrêtera pas ces accidents ». Christine Lagarde désire conserver l’offre de crédit en grandes surfaces, contrairement au sénateur UMP Philippe Marini. Le maire de Compiègne avait proposé une loi fin 2008 pour lutter contre la distribution abusive de crédits.

Laurie Haslé



ECONOMIE EN BREF

Shell ne subit pas la crise Lors de sa revue annuelle stratégique, Royal Dutch Shell a annoncé une hausse de plus de 1% des sommes versées en dividende aux actionnaires cette année. Le pétrolier anglonéerlandais, dont la production est en recul depuis six ans, estime que son débit pourra augmenter de 2 à 3%, à compter du début de la prochaine décennie. Plan social chez $okia Le géant de la téléphonie mobile a annoncé mardi la suppression de 1 700 postes dans plusieurs de ses succursales dans le monde, alors que la crise économique continue d'affecter ce secteur. Cette mesure intervient après l’annonce d’un plan mondial de départs volontaires. Un millier de salariés sont concernés.

Chômage croissant au Royaume-Uni Le nombre de chômeurs a dépassé la barre des deux millions en GrandeBretagne pour la première fois depuis 1997. Au sens du Bureau international du travail, on compte 165 000 chômeurs supplémentaires entre novembre et janvier. C'est la plus forte hausse depuis 1971.

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Caisse noire et transparence Le gouvernement devrait bientôt voter un décret imposant aux organisations patronales et syndicales de publier leurs comptes et préciser l’origine de leur fonds. Faute de quoi, elles pourraient perdre leur représentativité et leurs prérogatives.

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e scandale des fonds secrets de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), qui a malmené le Medef en 2007, a laissé des traces. Le gouvernement veut désormais y voir plus clair dans les comptes des partenaires sociaux. Selon le quotidien La Tribune, l’exécutif devrait prendre « d’ici quelques semaines », un décret imposant des règles strictes en matière de comptabilité. Au total, ce sont plusieurs dizaines de milliers d’organismes qui sont concernés. Pointé du doigt pour son caractère opaque, le financement des organisations patronales et syndicales a particulièrement souffert de l’affaire des fonds cachés de l’UIMM. Près de deux millions d’euros en liquide ont été retrouvés dans les coffres du syndicat. L’UIMM disait se servir de cet argent pour « fluidifier le dialogue » avec les partenaires sociaux.

FINANCEMENTS COMPLEXES

L’Unedic est directement visée par ce décret. L’an dernier, l’organisme a versé 7,3 millions d’euros aux organisations patronales et syndicales, sous formes de contributions classiques. Mais près des trois quarts des financements des partenaires sociaux (environ 5,37 millions) sont attribués sous le titre de « contribution à l’information des administrateurs ».

Une somme forfaitaire qui ne nécessite pas de justification, selon le bureau de l’assurance chômage. A ce titre, la CGPE et l’UPA (organisations représenta-

Laurence Parisot, Présidente du Medef

/ © DR

tives des employeurs), ont reçu près de 537 000 euros chacun en 2008. La Cour des comptes réclame « de rendre transparent » ces comptes, ainsi que leur motif.

Mais la fusion entre l’ANPE et les Assedic change la donne. Le budget de l’Unedic va passer de 2,4 milliards à 35 millions d’euros. Maintenir ce type de subvention relève de l’acrobatie budgétaire. Jean Luc Bérard, directeur de l’Unedic, prévient : « Le budget 2009 est bouclé, mais nous n’avons pas encore décidé de la somme que nous reverserons aux patronats et aux syndicats cette année. » Avec la création du nouveau Pôle Emploi, le budget se resserre. Jean Luc Bérard craint de manquer de fonds pour financer les syndicats : « #ous devons déjà fournir 3 milliards d’euros pour financer la création du nouveau Pôle Emploi. On attend un effort de compréhension de l’Etat. »

Anne Laure Falgayrettes


ECONOMIE

La TVA à 5,5% pour tous les restaurants Le taux de TVA pour la restauration passera de 19,6% à 5,5% en janvier 2010, s’alignant ainsi sur celui de la vente à emporter. En échange, les restaurateurs devront faire des efforts sur les prix et l’emploi.

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ls seront 177 000 restaurants, hôtels, cafés et brasseries à bénéficier de la nouvelle réforme. Le 1er janvier 2010, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans la restauration passera de 19,6% à 5,5%. Les professionnels du secteur réclamaient depuis treize ans l’alignement de leur TVA sur celle de la vente à emporter et des fast-foods. Le ministre du Budget, Eric Woerth, a estimé le manque à gagner pour l’Etat à un milliard d’euros.

Les 27 pays de l’Union européenne se sont entendus sur le principe d’une baisse de la TVA dans la restauration le 16 mars dernier, tout en insistant sur les contreparties. Les restaurateurs devront fournir des garanties sur les conditions de travail des salariés, proposer davantage d’emplois et répercuter la mesure sur leurs prix. En France aussi, la réforme n’est pas gratuite : le gouvernement, et plus particulièrement Nicolas Sarkozy, demande aux professionnels de la restauration de faire des efforts en faveur de l’emploi et des prix qu’ils pratiquent. Les restaurateurs estiment que la mesure permettra seulement de maintenir les 880 000 emplois du secteur, dans un contexte de crise économique difficile.

EN BREF

dans la restauration ? », souligne que la mesure profitera aux consommateurs les plus riches : « La restauration à emporter est déjà à 5,5 % et les plus hauts revenus sont ceux qui consomment le plus de restaurants. La baisse profiterait six fois plus aux 10 % de Français les plus riches qu'au 10 % les plus pauvres. » Le spécialiste estime cependant que « douze mille emplois devraient être créés ».

L’Elysée et la ministre de l’Economie Christine Lagarde ont annoncé l’organisation d’Etats Généraux de la restauration fin avril afin de discuter des modalités de la baisse de la TVA : « C'est au moment des Etats Généraux de la restauration fin avril, et en fonction des différentes contreparties et des différents engagements pris par la profession, […] qu'on pourra déterminer utilement le taux réduit de la TVA applicable dans la restauration », expliquait la ministre lundi. Si un consensus était trouvé entre les professionnels et le gouvernement, la mesure devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2010, au plus tôt.

Laurie Haslé

LE RESTO MOINS CHER ?

Certains spécialistes doutent de l’impact de la baisse de la TVA sur les prix pratiqués dans la restauration. Interviewé par le quotidien Le Monde, Clément Carbonnier, économiste et auteur de « A qui profiterait une baisse de la TVA

Le petit noir reviendra-t-il à un euro ?

/ © DR

La Sécurité Sociale en crise Le déficit de la Sécurité sociale devrait atteindre 17 à 18 milliards d’euros en 2009, selon le ministre du Budget Eric Woerth. Ceci à cause de la stagnation de la masse salariale du fait de la crise. Compte tenu de cette récession, l’Assurance maladie serait privée de 8 à 9 milliards de recettes. Croissance négative selon le FMI Lors d’un séminaire international sur l’énergie de l’Opep, le numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), John Lipsky, a annoncé que l'institution prévoyait une croissance mondiale négative pour 2009.

AIG liquidé Timothy Geithner, secrétaire américain au trésor, a dû abandonner AIG, l’ancien numéro un mondial de l’assurance. Le gouvernement détient 79,9% du capital. Dans une lettre à Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, le secrétaire a souligné son ambition : « #ous allons travailler sur des mesures pour liquider AIG de manière ordonnée et pour protéger le contribuable américain ».

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SOCIÉTÉ

Les mères porteuses en mal de reconnaissance

La Gestation pour autrui (GPA) revient au centre des débats. Entre morale et nécessité sociale, les législateurs se heurtent souvent aux revendications des familles.

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orter l’enfant de quelqu’un d’autre. C’est l’une des questions de société qui est à nouveau relancée, lors des Etats généraux de la bioéthique, ouverts en ce début d’année. Outre les problèmes d’éthiques, c’est la nécessité d’une autorisation de la GPA en France qui est au cœur des discussions. Selon Maia, association d’aide aux couples stériles ou infertiles, entre 300 et 400 couples Français utiliseraient cette solution à l’étranger.

Une mère porteuse encourt jusqu’à 6 mois de prison /© DR

La gestation pour autrui est légale aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde, au Danemark, en Russie et en Afrique du Sud. OutreAtlantique, les mères porteuses, rémunérées ou non, abandonnent dès l’accouchement leurs droits sur l’enfant. De fait, le couple demandeur est alors reconnu comme parents légaux et naturels dans ces pays. Allezretours dans le pays, rencontres avec la mère porteuse, consultations médicales… La GPA représente un véritable parcours du combattant.

ENTRE ATTENTE ET DÉSESPOIR

D’autant plus que le retour en France présente une situation complexe, puisque le système juridique français ne permet pas une reconnaissance de ces nouveaux parents. Leur progéniture ne peut pas être régularisée auprès de l’Etat Civil. Seules les démarches auprès de la Sécurité Sociale ou de la CAF sont autorisées, mais en cas de décès des parents ou de problème de santé de l’enfant, la situation peut se compliquer. Avoir recours à la GPA ne vient pas d’un choix volontaire. Les couples qui se tournent vers cette procédure se heurtent à un désir d’enfant impossible à

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combler. « Il s’agit majoritairement de couples infertiles pour qui la grossesse est impossible », confirme Laure Camborieux, présidente de l’association Maia. Si la souffrance est à l’origine de ce projet, il est ensuite question, comme tous les parents, d’une impatience fébrile à l’aube d’un grand bonheur.

Ces états généraux de la bioéthique suscitent un certain espoir, auprès des associations : « Cela fait huit ans que nous militons pour la légalisation de la gestation pour autrui… », regrette Laure Camborieux. Mais le gouvernement ne semble pas enclin à légiférer sur cette problématique : « Le désir d’enfant (…), me parait légitime, on peut le comprendre quelle que soit la situation des personnes qui l’expriment. Maintenant, estce à la société d’y répondre ? Là est toute la question », a estimé il y a quelques jours Roselyne Bachelot, Ministre de la santé, à l’origine de ces états généraux.

Selon un sondage réalisé par Ipsos pour le magazine Top Santé et France 5 fin janvier, 61% des Français se disent favorables à la légalisation des mères porteuses. Mais une éventuelle légalisation de la GPA semble encore loin. D’autant plus que l’Académie Nationale de Médecine vient de remettre un rapport encore loin d’abonder dans ce sens.

Audrey Achekian



SOCIÉTÉ EN BREF

Service minimum dans les écoles 80% des grandes villes de France mettront en place jeudi le service minimum d'accueil (SMA) dans les écoles, selon l'Association des maires des grandes villes de France. La loi portant sur le SMA oblige les communes à accueillir les écoliers dans le cas où plus de 25% des enseignants sont en grève. Certains établissements envisagent de ne pas appliquer la loi.

Une manifestation étudiante dégénère Dans la nuit du 17 au 18 mars, des CRS ont chargé des groupes d’étudiants, lors d’une manifestation étudiante dans le quartier de Montmartre. Les vitrines d’un supermarché et de deux agences bancaires ont été brisées par des jets de bouteilles. Quatre personnes ont été interpellées.

Code pénal indulgent Rachida Dati, ministre de la Justice, a présenté lundi 16 mars les grandes lignes du futur code pénal. Sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement a reculé sur certaines mesures, jugées trop sévères. L’âge de responsabilité pénale resterait fixé à 13 ans.

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Masters de tous les mépris Alors que la journée de mobilisation nationale du 19 mars se prépare, l’enseignement supérieur français est toujours en grève dans les universités.

ministres, le terrain d’entente semble difficile d’accès. Le 6 mars dernier, la Coordination nationale des universités (CNU) a rejeté le décret sur le statut des enseignants, réécrit suite à un accord entre la ministre et les organisations syndicales FO, Unsa, CFDT et AutonomeSup.

BRAS DE FER INTERMINABLE

«

Manif d’étudiants le 5 mars dernier à Nantes / © DR

Cela fait plusieurs semaines que je ne peux plus aller en cours. C’est fini, je n’ai plus aucune chance d’obtenir ma dernière année », déplore Lydia, 23 ans. La jeune étudiante est en licence de communication-journalisme à l’Université Paris VIII à Saint Denis. Comme des milliers d’étudiants français, elle subit de plein fouet la grève de l’enseignement supérieur, qui n’en démord pas depuis presque deux mois.

Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a rappelé à l’ordre les directeurs d’universités lundi, en leur demandant de recenser sérieusement les enseignants grévistes. Les chefs d’établissement, qualifiés de « managers tout-puissants en devenir » par leur personnel, rechignent au comptage des enseignants en grève, de peur d’attiser leur colère. Certains peinent à déterminer si les cours sont maintenus ou pas. Ils sont même réticents à l’idée de vérifier si les dizaines d’enseignants de leur établissement sont présents.

La situation n’est pas prête de s’arranger : malgré les négociations en cours entre les syndicats et les

Depuis le début du conflit entre le personnel enseignant et le gouvernement, les raisons de la colère restent les mêmes. Les professeurs du premier et second cycle réclament la suppression de la réforme. Point de discorde spécifique : la « masterisation » des futurs enseignants, qui prévoit la suppression de l’année rémunérée de formation en alternance des enseignants. Ils demandent la restitution des 900 postes supprimés en 2009 et l’arrêt du démantèlement des organismes de recherche. La CNU souhaite même la démission du ministre de l’Education Xavier Darcos et de la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse. L’organisation se dit « choquée » par leur « attitude de mépris » et « leurs mensonges répétés », concernant l’allongement de la formation des enseignants et le budget. La CNU revendique également « un salaire supérieur ou égal à 1500 euros net, un plan pluriannuel d'embauche et la fin de la précarité ». Pour l’instant, les professionnels préparent la journée intersyndicale de protestation du 24 mars prochain, en plus de la mobilisation nationale du 19 mars. Le décret sur le statut des enseignants-chercheurs passera en comité consultatif de l’enseignement supérieur la veille, le 23 mars de ce mois.

Laurie Haslé


SOCIÉTÉ

Bloguer, le nouvel acte syndical Plan social, grève… En cas de crise, les salariés se mobilisent, version 2009. Depuis 2005, des milliers de salariés luttent sur la toile via des blogs d’entreprises. Une nouvelle manière de militer et de garder contact avec ses anciens collègues.

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’instantanéité. C’est le maître mot de Jean-Paul Vouiller, délégué syndical à la CFTC. Ce précurseur a fondé le blog social de l’entreprise HP en juillet 2005. Il s’enthousiasme de l’implication des salariés et de l’efficacité du concept : « Au début, tout le monde vous dit que ça n’aura pas d’impact. Passé le cap des 1 200 visites par jour, on commence à vous prendre au sérieux. » Le blog reste un moyen efficace d’informer les salariés et d’influencer les décisions de la direction. « Ce n’est pas anodin si les blogs d’entreprises se multiplient, les salariés peuvent garder contact entre eux. Le blog garde l’avantage de donner la parole à tout le monde », souligne Jean-Paul Vouiller.

De nombreux blogs fleurissent sur la Toile. Surtout par ces temps de crise, où personne ne se sent à l’abri d’une fermeture anticipée. Ainsi, le groupe agroalimentaire Cargill a créé son blog en réaction au projet de licenciement. Un moyen d’action efficace qui a permis de relancer les négociations. « C’est une sorte de cahier de doléances en ligne sous une forme plus ludique », explique René Goanach, délégué syndical FO. « On peut regrouper des vidéos de mobilisations et informer les salariés en

EN BREF

temps réel. Ça permet de faire taire les fausses rumeurs. »

PENDANT ET APRÈS LE CONFLIT

Lorsqu’une entreprise va mal, les salariés cherchent à exprimer leur colère à travers des idées créatives comme le détournement de la chanson « L’Amérique » de Joe Dassin, sur le blog de Cargill. Ou encore celui de Termo Fisher, entreprise d’appareils technologiques médicaux, sur lequel défile un compte à rebours jusqu’à la date de fermeture, prévue en juin 2009. Des démarches originales parfois encouragées par les syndicats ou des salariés indépendants.

Lorsque la situation s’aggrave et que les salariés se font licenciés de manière massive, le blog permet aussi de garder contact. Brigitte Clair a fondé le blog Cami4ever pour tous les ex-salariés de la Camif. En octobre 2008, elle quitte son entreprise. Un acte douloureux, après avoir passé 25 ans au sein de la même boîte : « J’ai eu l’idée de créer ce blog pour éviter que les salariés ne se perdent de vue. C’était une manière pour nous tous de se tenir au courant de notre nouvelle vie professionnelle », raconte-t-elle, d’une voix nostalgique. Mais les 52 000 visites par jour et les 565 abonnés à la newsletter n’ont pas eu les conséquences escomptées. Brigitte Clair et nombre de ses collègues n’ont pas retrouvé de postes. La solidarité n’a pas cours chez les employeurs mais reste une valeur dominante chez les salariés blogueurs. Sur le blog de La Redoute Paris, on poste des liens vers celui des salariés de Lyon.

A l’évidence, les propos tenus sur les blogs dérangent souvent la direction. A tel point que le blog de la Redoute a été bloqué par les dirigeants de l’entreprise.

Anne - Laure Falgayrettes

Jugement clément Xavier Fortin, le père de famille de 52 ans qui avait kidnappé ses enfants à leur mère pendant 11 ans, a été condamné mardi 17 mars à deux ans de prison, dont vingtdeux mois ferme par le tribunal correctionnel de Draguignan. Cette peine couvrant la durée de sa détention provisoire, il a pu quitter la prison environ une heure après le jugement.

Renversée par un camarade Lundi 16 mars, une jeune fille a été percutée par une voiture vers 17h devant son collège, à Roubaix. Le coupable, un élève âgé d’une quinzaine d’années, est issu du même établissement. Il aurait pris la fuite après l’accident. L’adolescente est gravement blessée, mais ses jours ne seraient pas en danger.

Code pénal indulgent Rachida Dati, ministre de la Justice, a présenté lundi 16 mars les grandes lignes du futur code pénal. Sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement a reculé sur certaines mesures, jugées trop sévères. L’âge de responsabilité pénale resterait fixé à 13 ans.

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JUSTICE

Qui veut la peau d’Yvan Colonna ?

Depuis le 9 février, une cour d’assises spéciale juge en appel le procès d’Yvan Colonna, assassin présumé du préfet Erignac. Bien que les éléments prouvant l’innocence du berger corse s’accumulent, ils ne suffisent pas à convaincre la justice.

« J’ai eu le temps de le regarder, j’en suis sûre et certaine, ce n’est pas lui. Ce n’est pas Yvan Colonna que j’ai vu ce soir-là. On pourra me présenter l’assassin dans dix ans. Si c’est lui, je le reconnaîtrai. » Plus grave, l’intéressée raconte les multiples auditions dans lesquelles elle stipule avoir vu un tireur blond, « même si on a essayé de me faire dire après qu’il portait une perruque ».

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Le Palais de Justice de Paris, sur l’île de la Cité, où se déroule le procès d’Yvan Colonna

ebondissement dans l’affaire Colonna. Mercredi 11 mars, Yvan Colonna récuse ses avocats après le refus de la cour, pour la seconde fois, d’une reconstitution de la scène de crime. Depuis, l’assassin présumé du préfet refuse de se rendre dans le box des accusés, faisant de son procès une tribune contre la Raison d’Etat. « Comment avoir confiance en une justice où le président de la République s'est engagé contre moi au côté des parties civiles ? », a-t-il lancé au président Wacogne au deuxième jour d'audience. Alors que Nicolas Sarkozy déclarait triomphalement : « Je vous annonce l’arrestation d’Yvan Colonna, l’assassin du préfet Erignac ». La justice ne semble pas vouloir contredire les mots du président de la République.

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Elle est aujourd’hui poussée dans ses derniers retranchements après les déclarations de témoins capitaux niant l’implication d’Yvan Colonna dans les faits qui lui sont reprochés. Et qu’en est-il de la présomption d’innocence à l’heure où le chef de l’Etat emploie le mot « assassin » ? Avant même d’obtenir quelconque preuve de son implication.

TÉMOIGNAGES NÉGLIGÉS

Onze ans après les faits, l’enquête semble toujours au point mort. Joseph Colombani, ami du préfet et témoin de la scène, a déclaré : « Lorsque j’ai vu Yvan Colonna, je n’ai pas vu l’homme dont j’ai gardé le souvenir en train d’assassiner le préfet Erignac ». Marie-Ange Contard, qui passait en voiture quand le préfet a reçu les trois balles, est elle aussi formelle :

Autre fait déroutant, le 9 mars, devant la cour, Pierre Alessandri, s'est accusé d'avoir tiré sur le préfet. Quant à la veuve du Préfet, Dominique Erignac, elle reste convaincue de la culpabilité d’Yvan Colonna dont elle dénonce « le manque de courage ». Car aux yeux des parties civiles, son refus d’assister au procès « ressemble à un aveu de culpabilité », depuis qu’une question reste en suspens…Pourquoi les membres du commando ont livré le nom d’Yvan Colonna aux policiers pendant plusieurs années et pas celui d’un autre ?

Certains témoins ne se bousculent pas à la barre pour établir la vérité, comme l’ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, un des magistrats instructeurs de l’affaire, absent, excusé par un certificat médical. Alors que le procès ne ressemble plus qu’à une mascarade où trônent un box vide et des avocats de la défense inexistants, la cour devrait bientôt rendre son verdict. Un verdict au goût amer tant les doutes sur sa culpabilité sont à leur apogée.

Steffy Beneat



ENVIRONNEMENT

Éviter une crise mondiale de l’eau Forum de l’eau, qui a eu lieu du 16 au 22 mars. Organisé tous les trois ans par le Conseil mondial de l’eau, l’événement a rassemblé vingt-huit mille personnes originaires de 180 pays. Changement climatique, accès à l’eau potable, assainissement et impact des changements globaux 900 millions de personnes sont toujours privées d’eau potable /© DR sur l’eau sont autant ette semaine, s’est tenu de problèmes qui se posent face à Istanbul le 5ème à la question de l’eau. Forum de l’eau. Une problématique de plus Aujourd’hui, 2,5 milliards de en plus urgente, puisqu’au- personnes n’ont pas accès à jourd’hui, 900 millions de l’assainissement. Huit millions personnes sont toujours privées d’individus meurent chaque d’eau potable. année à cause de l’eau non potable. Dix fois plus que le « Combler les fossés de l'eau » : nombre d’êtres humains tués C’est l’ambition sur laquelle se par les guerres. Des chiffres sont penchés les acteurs du 5e impressionnants qui prouvent

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qu’il est nécessaire d’agir face au manque d’eau. Pour résoudre les nombreux problèmes causés par cette pénurie, des ministres, scientifiques et défenseurs de l’environnement se sont réunis lors de ce forum afin de trouver des moyens pour éviter une crise mondiale de l’eau.

Trouver des solutions et promouvoir la coopération entre les différents pays et organisations apparaît comme une priorité d’ordre planétaire. De plus, d’après le Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, le manque d’eau dans certaines régions du monde « risque d'alimenter guerres et conflits ». Selon le rapport de l’ONU, la demande en eau n’a jamais été aussi importante.

Hélène Mariani

La protection maritime renforcée

e drame de l’Erika en 1999 et celui du Prestige, en 2002, auront au moins eu des conséquences positives. Le 11 mars dernier, le Parlement européen a adopté le Paquet Erika III. Une disposition qui vise à compléter et renforcer l’efficacité de la prévention et de la répartition des accidents de la pollution maritime, pour éviter le drame des marées noires. Le paquet comporte des lois sur l'indemnisation des passagers, les inspections, le contrôle de l'état du port, l'assurance des navires, les enquêtes sur les accidents de transport et le choix de l'autorité décidant du lieu de refuge des navires en détresse.

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Dans ce paquet, le règlement stipule qu’à partir de 2011, les bateaux faisant une escale dans des ports de l’Union européenne devront être inspectés par celleci. Les navires qui ne correspondront pas au règlement pourront se voir refuser l’accès aux eaux européennes. Ainsi, une liste noire des navires pollueurs sera dressée. En cas d’accident maritime sérieux, le paquet prévoit une

pré-évaluation, suivie d’une enquête complète. Seul un Etat de l’Union européenne sera désigné pour effectuer l’enquête. Le 3ème paquet Erika entrera en vigueur d’ici 2012. Il vise surtout à améliorer les textes actuels (Erika I et Erika II) pour éradiquer définitivement des eaux les « bateaux poubelles ».

Le drame de l’Érika a provoqué un renforcement de la sécurité maritime

Hélène Mariani

/© DR


SCIENCES

La thèse d’Albert Einstein aux enchères

La thèse d’Albert Einstein sera mise aux enchères du 10 au 12 juin prochain à la galerie Fischer de Lucerne, en Suisse. L’occasion de rappeler l’immense héritage de ce fondateur de la physique moderne.

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ercredi 18 mars fut annoncé la prochaine mise aux enchères de la thèse de doctorat d’Albert Einstein. Le diplôme proposé aux collectionneurs a été délivré à Albert Einstein le 9 juillet 1909 par l’université de Genève. Intitulé Ein neue Bestimmung der Moleküldimensionen (une nouvelle détermination des dimensions moléculaires), la thèse d’Einstein a marqué comme la plupart de ses travaux une avancée majeure de la physique théorique. Et les domaines d’applications de ses théories se font ressentir dans la vie de tous les jours. C’est par exemple grâce à lui que les portes du supermarché s’ouvrent comme par magie lors de votre passage : c’est la photoélectricité. Si vous utilisez un GPS, vous pouvez également lui dire merci. Remerciez la théorie de la relativité si votre ancienne TV à tube cathodique ne vous laisse pas tomber. Sans oublier la tomographie, utilisée en imagerie médicale et astrophysique, possible grâce à une formule célèbre : E=mc².

MISE À PRIX DE 20 000 EUROS

Pour acquérir la thèse d’Einstein, un exemple de l’avance époustouflante de ce génie sur ses contemporains, il faut en avoir les moyens. Le prix de départ a été fixé à 20 000 euros. Si la détermination des dimensions moléculaires et la théorie de la relativité sont aujourd’hui parmi ses œuvres les plus célèbres, Einstein fut en fait un touche-à-tout. De la

Albert Einstein, physicien, inventeur de la célèbre formule E=mc2

théorie quantique à la théorie restreinte, il n’est pas de domaines physiques auxquels chercheurs d’aujourd’hui ne peuvent le remercier.

Dans son étude, le physicien démontre qu’il est possible de présumer la taille d’un atome par une formule. L’existence des atomes est supposée depuis le début du 19ème siècle grâce aux travaux sur le sujet par un scientifique britannique John Dalton. Néanmoins, il a fallu attendre la thèse d’Einstein pour voir une formule théorique émerger. Grâce à cette dernière, Jacques Perrin, collègue d’Albert Einstein prouvera une fois pour toute l’existence des atomes. Cette découverte lui vaudra le prix Nobel de Physique en 1926. Si aujourd’hui Einstein est toujours considéré comme un

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véritable génie, il a néanmoins échoué à l’examen d’entrée à l’ETH de Zurich, la version suisse de Polytechnique. Un échec à nuancer puisqu’il réussit à intégrer l’école lorsqu’il tente le concours pour la seconde fois. En effet, très à l’aise avec la physique et les sciences théoriques, aisance qui relevait pour lui de l’intuition, il avait beaucoup plus de mal avec les maths ou les langues étrangères. Mais l’année suivante, tout est oublié. Albert a bossé ses lacunes et peut intégrer la prestigieuse université. Au finale, la thèse d’Einstein relève d’un document historique auquel l’heureux acquéreur aura en plus un cadeau, le diplôme d’honneur du physicien, « Doctor Honoris Causa ».

Jérôme Corbin

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HIGH - TECH

Le web souffle ses 20 bougies

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Cette année, Internet fête ses vingt ans. Retour sur la création d’un outil révolutionnaire, loin d’avoir livré tout son potentiel.

a fête d’anniversaire a eu lieu au CERN, près de Genève, où Tim Berners-Lee, Robert Caillieu et deux autres de leurs collègues se sont remémorés les débuts de la création du web : « Un jour de mars 1989, j’ai remis un document à mon supérieur, intitulé Gestion de l’information : une proposition », se souvient l’ingénieur britannique. Réponse de son chef : « Un projet vague, mais passionnant. » Les débuts du net étaient lancés. « L’universalité était la règle, soulignent les créateurs… Et cela a marché ». Une avancée technologique, qui a aussitôt signé la fin du minitel, avec ses fameux « 36 15 » et son interminable connexion bruyante. Un engin certes archaïque, qui a néanmoins bouleversé la vie de nombreux foyers français, au début des années 80. Le minitel n’aura finalement eu qu’une courte durée de vie, puisqu’Internet est entré dans le domaine public dès 1993.

Concrétisé dans les années 60, sous le nom d’ARPANET, l’ancêtre du web était à l’origine un moyen de télécommunications entre chercheurs. Une utilisation, à des fins militaires, avait été étudiée. Le but était de maintenir les télécommunications en cas d’attaques, notamment nucléaires. Mais cette idée fut finalement abandonnée. En 1972, le mail voit le jour et dans le même temps, des démonstrations publiques ont lieu aux Etats-Unis. Un peu plus tard, le britannique, Tim Berners-Lee et le belge Robert Cailliau travaille sur le projet de réseau mondial, World Wide Web. Celuici naît au sein du CERN (Centre Européen de Recherches Nucléaire), 28

Le Britannique, Tim Berners-Lee, inventeur d’Internet

en 1989. A cette époque, il est employé exclusivement par des chercheurs, scientifiques et ingénieurs, soit moins de cinq milles personnes. Quatre ans plus tard, Internet s’invite chez les particuliers.

UN PROJET À DÉVELOPPER

Comment faisait-on avant ? C’est la question récurrente que l’on peut se poser, depuis qu’Internet fait partie intégrante de notre quotidien. Et pour cause, entre les sites d’achats, de téléchargements, ou de réseaux sociaux, la toile s’est faite une place très importante dans le quotidien de nombreux citoyens. Le matin, quoi de plus simple que de lire les journaux ou d’écouter la radio depuis son ordinateur. Arrivé au travail, une consultation des e-mails s’impose. Les jeux sont là pour se détendre, Mappy pour connaître un itinéraire et

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Facebook pour retrouver ses anciens amis. Pourquoi se déplacer au supermarché du coin, lorsque d’un simple clic, il est possible de faire ses courses dans son fauteuil ?

Dès lors, difficile d’imaginer les améliorations qui pourraient être apportées à Internet pour faciliter la vie des gens. Il y en aura, c’est certain, assurent les créateurs du web, âgés maintenant d’une cinquantaine d’années : « La toile n’a pas encore exploité tout son potentiel : c’est juste la pointe de l’iceberg », note Tim BernersLee. Et pour ses 20 ans, le web compte aujourd’hui, près d’un milliard et demi d’aficionados, à travers le monde. De quoi désespérer les 150 membres du groupe Facebook : « Association pour le retour du minitel ».

Barbara Huet



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L’éclipse indienne Secouée par la crise, l'Inde se réveille douloureusement après une longue période de croissance. Les élections législatives, qui se dérouleront entre le 16 avril et le 13 mai, sont une nouvelle occasion de voir la plus grande démocratie du monde évoluer.. Au total, plus de 714 millions d’électeurs seront amenés à voter. Mais pendant que le Parti du Congrès (PC) et le Bharitiya Janata Party (BJP) essayent de récupérer des sièges au Parlement, l'Inde s'enfonce un peu plus dans la sinistrose. Licenciements de masse, baisse des salaires, le pire est à craindre pour un pays qui vit encore dans la crainte des attentats de Bombay.

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Par Quentin Weinsanto


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la veille de ces quinzièmes élections générales depuis l’indépendance, un nouveau jeu d’alliances se trame entre les petits partis, devenus élément incontournable pour obtenir la majorité parlementaire. Le lancement au début du mois du « Troisième Front », nouvelle coalition qui cherche à concurrencer celles menées par le PC et le BJP, pourrait brouiller davantage les cartes. A moins de trois semaines des élections, l’officialisation de cette faction émergente vient affaiblir un peu plus le BJP, en jouant sur les désaccords internes aux deux grandes formations du pays. Ce dernier vient en effet de perdre son allié vieux de onze ans, le Biju Janata Dal (BJD), suite à une mésentente sur le partage des circonscriptions pour les élections régionales. En étant privé du soutien des communistes, le gouvernement mené par le Congrès a vu naître un opposant dont il aurait préféré se passer. Composé d’une dizaine de formations politiques, le Troisième Front commence à prendre confiance en ses capacités de déstabilisation, fragilisant par la même occasion le Parti du Congrès du Premier Ministre Manmohan Singh.

LA POLITIQUE DE L'OPPORTUNISME

Plusieurs partis régionaux envisagent ainsi de rejoindre cette troisième voie. C’est le cas du National Congress Party (NCP), du Janata Dal ou encore du Telugu Desam Party (TDP). Et c’est bien là que tout va se jouer. Les élections indiennes sont depuis longtemps dépendantes des petits partis locaux, qui y jouent un rôle indéniable. Selon les pronostics, si leurs alliés les abandonnent, le Congrès et le BJP n’arriveront en tête que dans 7 des 28 états 32

La bataille est lancée entre le BJP et le parti du Congrès avec Manmohan Singh en premiière ligne

indiens pour les élections régionales. Dans l’Etat du Maharashtra, le PC compte généralement sur le NCP pour remporter les voix, tandis que le Biji Janata Dal parie sur le Janata Dal pour gagner dans le Karnataka. Un phénomène qui a déjà pesé lors des élections de 2004, ou les défaites du TDP en Andhra Pradesh et de l’AIADMK au Tamil Nadu avaient contribué à la défaite de la coalition sortante menée par le BJP à l’époque.

Mais selon Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERISciences Po/CNRS et spécialiste de l’Inde, ces élections sont beaucoup plus que de simples tractations entre partis : « L’avenir de l’Inde va vraiment dépendre de ceux qui vont gouverner à #ew Delhi. Si les nationalistes du BJP reviennent au pouvoir, les risques de voir les milices monter en puissance vont être amplifiés. Ce sont devenu des relais indispensables dans certaines régions, or elles sont ouvertement opposées aux minorités religieuses qui ne

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Une organisation titanesque

Près de 714 millions d’Indiens seront attendus dans les bureaux de votes, pour les plus grandes élections du monde. Au total, 800 000 isoloirs ont été installés à travers les 28 Etats du pays. A cette occasion, quatre millions de fonctionnaires et deux millions de policiers seront déployés pour encadrer le scrutin. Cinq phases seront organisées, dans lesquelles les 543 sièges du Parlement seront à pourvoir. Par ailleurs, certains Etats seront impliqués plusieurs fois. C’est notamment le cas de l’Uttar Pradesh, peuplé de 190 millions d’habitants, et du très stratégique Jammu-etCachemire. Actuellement, la coalition gouvernementale menée par le Parti du Congrès détient 227 sièges au Parlement. L’opposition, menée par le Bharatiya Janata Party (BJP) possède 189 sièges et la gauche, 58. Les autres partis indépendants disposent quant à eux des 69 sièges restants.


t sont pas nées en Inde. Le gouvernement indien va devoir faire respecter l’Etat de droit, or pour cela, il faut qu’il arrête de favoriser ou de pénaliser une communauté. »

Malgré les différentes tractations en cours entre les deux grands partis et leurs alliés, tous les yeux sont tournés vers le BSP de Mayawati Kumari, actuellement au pouvoir dans l’Uttar Pradesh. Cet Etat est décisif dans les élections, car il envoie 80 députés au Parlement (sur 543 sièges). Un enjeu d’autant plus important qu’en Inde, les petits partis n’hésitent pas à dévier de leur ligne afin d’obtenir une place à la tête d’un Etat, ce qui les amène souvent à changer de camp d’une élection à l’autre.

L’ÉLITE ASIATIQUE MALMENÉE

Sans grande surprise au regard de la conjoncture mondiale, l’économie devrait tenir une place prépondérante dans les débats. Mais cette fois-ci, point de Shining India (L’inde qui brille), car c’est bien l’économie en berne qui sera l’objet

de toutes les attentions. Après avoir longtemps été considéré comme le nouvel eldorado asiatique, l’Inde subit de plein fouet la crise. Premiers touchés : les milliardaires. Ainsi, l’état des lieux fait par le magazine Forbes au début du mois est sans appel. Parmi les dix hommes les plus riches du monde, on ne compte plus que deux indiens (contre quatre l’année dernière). Au total, les pertes s’estiment à plus de 40 milliards de dollars, et la palme de l’homme ayant perdu le plus d’argent cette année revient à l’industriel Anil Ambani (30 milliards). Même scénario du côté de la roupie, qui a chuté de 18% face au dollar en 2008. Après avoir annoncé que le krach financier n’affecterait pas le pays, les séquelles de la récession se font finalement sentir. En 2007, le gouvernement et les industriels étaient pourtant confiants dans l’avenir, arguant que l’Inde avait peu investi dans les subprimes et que les institutions de titrisation des crédits et de prêts no-doc (pour lesquels peu de justificatifs sont demandés) étaient peu développées dans le pays. De plus, la Reserve Bank of India n’avait pas suivi la

Touché durement par la crise, les investisseurs indiens perdent des fortunes

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politique de la réserve fédérale américaine, qui consistait à ramener les prêts d’intérêt à un niveau proche de zéro. De quoi garder confiance, à l’époque.

Pourtant, la bourse indienne a vu sa hausse stoppée net en 2008, avant de voir le BSE Sensex(¹) s’écrouler de 60%. Malgré cela, le pays a continué à croire en son insubmersibilité, persuadé que l’avenir ne pourrait réserver qu’un taux de croissance toujours élevé. En plaçant leur foi dans la théorie du découplage (2), les Indiens n’ont pas su anticiper le désastre, et le système économique n’a fait qu’augmenter les effets de la crise. Désormais, certaines entreprises n’hésitent pas à demander à leurs salariés de faire des efforts. C’est le cas d’Infosys et de ses cent mille employés indiens. « Si chacun d’entre nous est capable d’économiser 10 dollars par jour, ou par mois, en considérant cela comme un effort bénéfique pour nous tous, cela nous permettrait de sauver près d’un million de dollars », expliquent les dirigeants dans un mail interne.

UNE STRATÉGIE QUI AMPLIFIE LA CRISE

Le commerce extérieur représente plus de 40% du PIB de l’Inde. Pourtant, elle reste l’une des économies les moins ouvertes d’Asie. Cette spécificité n’a pas été sans conséquences pour le pays. En janvier 2008, les investissements nets des institutionnels étrangers sur les marchés indiens représentaient la bagatelle de 65 milliards de dollars. Sur les 4 dernières années, ce sont 50 milliards d’investissements directs à l’étranger que l’Inde a pu percevoir. Le 23 octobre 2008, lorsque ces derniers ont retiré plus de 10 milliards de dollars, la roupie a plongé à 49,79 pour 1 dollar, contre 39 il y a un an. Résultat, le ralentissement s’est généralisé et la croissance annuelle 33


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du PIB a été revue à la baisse. Alors que les économistes espéraient une hausse du PIB de 9%, le chiffre de 7,5% semblait plus réaliste (7,9% finalement au second trimestre 2008).

Concrètement, la croissance industrielle s’est ralentie et, selon The Economic Times de décembre dernier, soixante-cinq mille emplois ont été supprimés entre août et octobre. De son côté, le secrétaire au Commerce du gouvernement indien a déclaré que, selon une estimation du ministère du textile, 500.000 travailleurs de ce secteur pourraient perdre leur travail en 2009. L’effet a été d’autant plus important que la crise mondiale a rapidement impacté sur l’économie réelle. Dès le mois d’octobre, les exportations ont subi le choc, diminuant pour la première fois depuis 5 ans. Les ventes vers l’étranger ont chuté de 12%, après une hausse régulière qui avait atteint 17% du PIB. La baisse des exportations de services alourdissant un peu plus l’addition, le ralentissement de l’économie globale a très rapidement eu des conséquences sur l’Inde. En effet, près de 50% de l’export (textile, pierres précieuses et bijoux,

cuir, etc.) proviennent de petites et moyennes entreprises (PME) largement tributaires d’une main d’œuvre quantitativement importante. Sans grande surprise, les PME devraient licencier massivement cette année.

LE SPECTRE DE 1991

La crise de 1991(3) reste ancrée dans les esprits. Si l’on se réfère aux prévisions pour 2009, l’Inde est capable de couvrir dix mois d’importations avec ses réserves de change actuelles (soit un total de 251 milliards de dollars). Le problème réside dans le fait que la dette de l’Inde s’élève à 221 milliards de dollars, dont 89 milliards arrivent à échéance d’ici juin 2009. Et l’Etat éprouve les pires difficultés à rembourser cette partie à court terme. La croissance économique rapide, la libéralisation des importations et l’augmentation du prix du pétrole ont considérablement creusé le déficit de la balance commerciale, pour atteindre 80 milliards de dollars. Il est pourtant difficile de résoudre le problème en empruntant massivement sur les marchés internationaux, ou en injectant des capitaux. Ce facteur d’instabilité

pourrait pousser l’Inde dans le piège de la dette, ce qui n’est pas sans rappeler le scénario de…1991. Au final, ce sont les salariés qui risquent d’être directement touchés. Baisse des salaires réels, augmentation de la charge de travail et détérioration des conditions, ce processus risque de souffler sur les braises de tensions déjà existantes.

Comme dans tout climat social perturbé, la situation indienne pourrait en effet raviver des extrémismes déjà bien enracinés. En novembre dernier, les attentats de Bombay avaient directement visé la vitrine économique du pays, touchant par là-même son second pilier, le tourisme. Le gouvernement indien doit désormais lutter sur trois fronts : la crise intérieure, l’islamisme pakistanais et l’intégrisme indien. Christophe Jaffrelot note que « depuis plusieurs années, il y a de moins en moins de conflits interétatiques en Asie du Sud, car ce sont les conflits intra-étatiques qui sont en pleine expansion. Ils concernent des milices armées

Nombreuses sont les entreprises qui demandent désormais à leurs employés de fournir un effort supplémentaire

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DES EXTRÉMISMES TOUJOURS PRÉSENTS

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Les attentats de Bombay en novembre dernier ont attaqué la façade économique de l’Inde et instauré un climat de peur

fort diverses. Par ailleurs, le réseau maoïste et les naxalites(4) sont plus puissants qu'ils ne l'ont jamais été, avec une présence sur environ 20% du territoire. »

Malgré cette situation interne instable, les Etats-Unis ont décidé de poursuivre le rapprochement engagé entre les deux pays au lendemain du 11 septembre. En effet, l'envoyé spécial de Barack Obama pour l'Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrook, a rappelé en février « l'intérêt commun » de l'Inde et des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Il a par ailleurs mis en garde le ministre des Affaires étrangères indien, Pranab Mukherjee contre la montée des talibans au Pakistan. Richard Holbrook a

alors fait référence à l'accord de paix signé entre Islamabad et les intégristes de la vallée de Swat, qui l’ont conclu sous la condition de pouvoir appliquer la charia dans la région. « L'Inde, les Etats-Unis et le Pakistan ont un ennemi commun », a ainsi déclaré l'envoyé américain. Leurs intérêts, eux, sont toujours divergents.

¹ Le BSE Sensex (Bombay Stock Exchange Sensitive Index) est un indice de valeur. Créé en avril 1984. Il est constitué des 30 plus grandes valeurs de différents secteurs. Au total, ces entreprises représentent environ un cinquième de la capitalisation du marché boursier de Bombay.

Selon la théorie du découplage, les Etats-Unis et le reste du monde 2

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seraient désormais découplés. Par conséquent, le taux de croissance des Etats-Unis pourrait diverger très fortement de celui du reste du monde.

En 1991, l’Inde connut une grave crise financière qui l’amena au bord de la faillite. La défiance des investisseurs se traduisit par une fuite massive des capitaux, et un creusement du déficit de la balance des paiements. En juin, les réserves s’étaient réduites au point de ne pouvoir couvrir que 10 jours d’importations. 3

Composés de plusieurs groupes révolutionnaires, principalement communistes, les naxalites cherchent à organiser les paysans pour forcer le gouvernement à engager une réforme agraire. Dans les moyens utilisés pour parvenir à ce but, la violence est privilégiée. 4

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Belfast and furious

Les récents assassinats en Irlande du Nord menacent le processus de paix. Ils sont revendiqués par l’Ira-Véritable et l’Ira-Continuité, deux groupes dissidents de l’Armée républicaine irlandaise. Londres et Belfast, parrains des accords de paix de 1998, se mobilisent contre le retour de la violence.

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Par Anne-Laure Falgayrettes et Hélène Mariani

rois morts. Un bilan trop lourd pour une population d’Ulster qui pensait en avoir fini avec le cauchemar des luttes confessionnelles. Les deux soldats tués le 7 mars dernier dans le comté d’Antrim sont les premiers militaires à être abattus depuis le processus de paix, engagé en 1997. Cet attentat a été revendiqué par l’Ira-Véritable (RIRA). La troisième victime est un policier nord-irlandais, tué par balles le 9 mars, alors qu’il patrouillait dans la ville de Craigavon, à 40 km de Belfast. Une attaque signée, cette fois-ci, IraContinuité (CIRA).

Depuis 1997, l’Armée républicaine irlandaise (IRA) s’est impliquée dans le processus de paix, en allant jusqu’à démanteler son arsenal militaire en 2005. Cependant, des groupes dissidents continuent à réclamer le rattachement de la province britannique à l'Irlande, s'opposant ainsi aux loyalistes protestants qui exigent son maintien au sein du Royaume-Uni.

Dans les esprits nord-irlandais, ces attaques ravivent le spectre d’Omagh. Le 15 août 1998, l’explosion d’une bombe avait coûté la vie à 29 personnes, en blessant une centaine d’autres, dans cette ville située au nordouest de Belfast. A l’époque, l’IRA avait revendiqué cette attaque, en réponse à l’accord du Vendredi Saint, signé quatre mois plus tôt par les républi36

Les deux soldats tués le 7 mars dernier sont les premiers militaires abattus depuis le processus de paix /© DR

cains et les unionistes, et mettant fin à 30 ans de conflit.

DES GROUPES ISOLÉS MAIS DÉTERMINÉS

Aujourd’hui démantelée, la branche armée de l’Armée républicaine a eu le temps d’essaimer. La RIRA, composée de 100 à 150 membres assez jeunes, s’oppose ainsi à la mise en place d’institutions biconfessionnelles, et plus généralement au processus de paix. Disposant de faibles moyens, elle ne semble actuellement pas en mesure de relancer les troubles dans la province. La CIRA, en revanche, est un groupuscule plus ancien. Et s’il est moins actif, sa réponse aux meurtres des militaires est inquiétante.

Selon Benoit Lety, journaliste au Monde Diplomatique, ces organisations veulent « prouver que le combat n’est pas terminé ».

De son côté, le gouvernement britannique aurait été averti de possibles interventions de groupuscules. Incapable d’évaluer les risques et n’étant pas préparé à un regain de violence, le Premier ministre britannique, Gordon Brown, avait donc décidé de déployer des forces de sécurité dans l’Ulster, à titre préventif. Selon le quotidien The Times, les actions des deux groupes auraient été « coordonnées ». Ce qui expliquerait en partie que les services de sécurité aient été surpris par le type d’armes utilisées, modernes et automatiques. Cet arsenal de guerre aurait probablement été importé d’Europe de l’Est.


t Par ces attentats, la RIRA et la CIRA rappellent qu’elles sont toujours présentes, et prêtes à s’épauler dans la lutte. « La CIRA a fait écho aux premiers attentats. On peut craindre une escalade, s’inquiète Benoit Lety. La stratégie de l’IRA-véritable, qui est d’installer un climat violent, s’avère donc efficace. »

CONDAMNATION UNANIME DES ATTAQUES

Pour autant, le processus de paix ne semble pas être remis en cause. « Il y a une réelle volonté d’apaiser les choses », déclare Valérie Peyronel, professeur de civilisation britannique à l’université Paris III-Sorbonne et spécialiste de l’Irlande du Nord.

Même chez les loyalistes, ceux qui sont favorables au maintien de la tutelle britannique, l’heure n’est pas au conflit armé. Benoit Lety confirme : « Ils ne sont pas hostiles à la paix. Peu d’entre eux trouveraient un intérêt à la reprise du conflit, à part peutêtre des membres acharnés de la milice loyaliste UVF (Ulster Volonteer Force). » Analyse reprise par le quotidien The Times, selon lequel des membres de l’UVF se seraient

réunis avant le meurtre du policier de Cairgavon pour décider de réagir ou non à la violence des groupuscules républicains.

Autre signe optimiste, le Sinn Fein - l’aile politique de l’Ira – a condamné les assassinats. Seul son dirigeant, Gerry Adams, pourrait convaincre les dissidents de cesser les attentats. « Il est très important puisqu’il est écouté en Irlande du #ord et du Sud », tente de rassurer Benoit Lety. Martin McGuinness, ancien commandant de l'organisation et vicePremier ministre de l'Ulster, pourrait également user de son influence pour pacifier la situation. « Ces gens ont trahi les espoirs, les désirs et les aspirations politiques de tous ceux qui vivent sur cette île », a-t-il

déclaré. Au lendemain du meurtre des deux soldats britanniques, une marche a été organisée. Un signe fort, qui prouve que la solidarité de la population peut conduire à la paix. Pour Valérie Peyronel, la population n’est plus prête à soutenir ce genre d’action : « Ces attaques peuvent dans un certain sens apporter plus de solidarité au sein de la population. Deux soldats britanniques protestants et un policier catholique ont été tués, il y a la même peine et la même peur de chaque côté. » Les Eglises anglicane, catholique, presbytérienne et méthodiste ont demandé à la population de dénoncer ensemble ces actes. Vert catholique ou orange protestant, la mort a toujours la couleur du sang.

L’Irlande du Nord a cru renouer avec ses pires démons ce mois-ci

« Des jeunes défavorisés »

Scott Lester, chef de police de la ville de Lisburn, dans le comté d’Antrim, revient sur les assassinats du 7 mars dernier.

A l’heure actuelle, la situation peut-elle s’envenimer ? - Pas vraiment, même si les communautés sont méfiantes l’une envers l’autre. Personne ne veut revivre le cauchemar d’un conflit armé. Pour éviter les débordements, on encourage les citoyens à venir déclarer un problème, plutôt que de le régler eux-mêmes.

L’Ira-Véritable a-t-elle des appuis au niveau local ? - Ceux qui la soutiennent sont minoritaires, et ce sont surtout des jeunes défavorisés des quartiers paupérisés. Bien

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souvent, ils sont provocateurs en paroles mais ne passent pas à l’acte. Sachant que chacun a perdu au moins un parent durant le conflit, il faut vraiment être désespéré pour rentrer dans une organisation.

Dans quelle mesure la police irlandaise collabore-t-elle avec la police britannique ? - Il s’agit surtout d’échanges d’informations, on dialogue beaucoup. Mais sur le terrain, ce sont nos hommes qui agissent pour entrer en contact avec la population. Notre rôle est d’éviter de raviver le ressentiment. Mais pour certains, nous sommes toujours des traîtres.

Propos recueillis par Anne-Laure Falgayrettes

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Omar el-Béchir défie la CPI

Alors que la Cour Pénale Internationale (CPI) l’a inculpé pour crimes contre l’humanité, le président soudanais, Omar el-Béchir, nie ces accusations et se cache derrière les failles du droit international. En représailles, il a expulsé les ONG du Darfour, détériorant un peu plus une situation humanitaire déjà dramatique. Par Barbara Huet

«

comme le souligne le spécialiste, « il bénéficie de l’immunité présidentielle à l’étranger ».

Au nom de quoi enverrait-on un corps expéditionnaire arrêter tel ou tel président d’un pays souverain ? Ce serait un retour à l’époque coloniale. » Lucide, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a identifié les limites du mandat d’arrêt délivré le 4 mars par la Cour Pénale Internationale de La Haye à l’encontre d’Omar el-Béchir, pour crimes de guerre

Dessins d’actualité

et crimes contre l’humanité. Si le monde occidental salue d’une même voix cette initiative, elle reste plus « symbolique qu’effective », comme le souligne Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). « La CPI [Cour Pénale Internationale, ndlr] ne dispose pas de forces de police et Omar el-Béchir ne peut être arrêté sur le sol soudanais ». Du reste,

Arrivé au pouvoir par un coup d’état en 1989, Omar el-Béchir, désormais âgé de 65 ans, s’est autoproclamé président de la République quatre ans plus tard. La guerre civile qui a éclaté au Darfour en 2003 a fait à ce jour 300 000 victimes civiles, selon le recensement de l’ONU. Refusant de se soumettre à la décision de la CPI, le chef de l’Etat a affirmé que « le mandat d’arrêt ne changerait rien aux plans et programmes du gouvernement ». Il connaît en outre un vrai regain de popularité à l’intérieur de ses frontières. A Khartoum, la capitale, la population est descendue en masse dans les rues, mécontente de cette ingérence. Les manifestants ont scandé des slogans de soutien à leur président, promettant de se sacrifier pour le sauver. Dans un esprit antiimpérialiste, la Ligue arabe et l’Union africaine ont également

Le Darfour en quelques dates

Février 2003 : Début de l’insurrection au Darfour. Juillet 2003 : Virulente contre-attaque du gouvernement soudanais, visant les civils. Avril 2004 : Un premier cessez-le-feu est signé à N’Djamena, il ne sera jamais respecté. Juin 2004 : Arrivée des aides humanitaires sur le territoire. Mai 2006 : Un accord de paix proposé par l’Union africaine est signé, mais les combats continuent. Mai 2007 : La Cour Pénale Internationale (CPI) lance deux mandats internationaux contre des Soudanais accusés de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité. L’un est chef de milice, l’autre ancien responsable de la sécurité au Darfour et actuel secrétaire d’état aux affaires humanitaires. Fin 2008 : L’ONU recense 300 000 victimes civiles au Darfour et plus de 330 000 personnes déplacées. 38


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MONDE

rejeté ce mandat d’arrêt. Ils ont rapidement été imités par la Chine et la Russie, partenaires commerciaux privilégiés du régime, à qui ils achètent du pétrole contre des armes.

CHANTAGE HUMANITAIRE

Seuls les chefs rebelles du Darfour et les camps de réfugiés ont salué, par des démonstrations de liesse, cette inculpation. Un bonheur qui risque d’être de courte durée : le président les frappe directement en expulsant les ONG qu’il accuse de « faire le jeu de la justice internationale ». Conscientes du chantage humanitaire orchestré par el-Béchir, de nombreuses associations actives sur le terrain émettent néanmoins des réserves quant aux accusations de la CPI, même si elles affirment en prendre acte. « La situation au Darfour était déjà catastrophique, mais là, nous sommes entrés dans une nouvelle dimension », explique avec désarroi Tamara Kummer, porte-parole du Programme Alimentaire

La Cour Pénale Internationale de La Haye se donne pour mission de punir les criminels de guerre / © DR

Mondial (PAM). Organisme des Nations Unies, le PAM travaille en étroite collaboration avec quatre des treize associations chassées du territoire. « Sans elles, 35% de la nourriture que nous collectons ne pourra être acheminée. Avec pour conséquence la malnutrition de 1,1 millions de personnes dont 500 000 femmes et enfants », précise Tamara Kummer.

La CPI, jeune juridiction

La Cour Pénale Internationale (CPI) a été créée le 17 juillet 1998. Cent-vingt pays ont adopté à Rome le statut de cette instance permanente destinée à juger les crimes les plus graves. Installée à La Haye, la CPI est entrée en fonction le 1er juillet 2002 et son procureur est l’Argentin Luis Moreno-Ocampo. Depuis le 1er juin dernier, la CPI compte 108 états membres. Sa principale innovation (par rapport à son ancêtre, le Tribunal Pénal International), réside dans sa capacité à juger des individus et non plus des états (action dorénavant réservée à la Cour Internationale de Justice). Sa compétence concerne les crimes de guerres, les crimes contre l’humanité, les génocides et crimes d’agression. La CPI peut prononcer des peines d’emprisonnement allant jusqu’à la perpétuité, mais la peine de mort est exclue. Depuis sa création, la CPI a délivré plusieurs mandats d’arrêts contre des chefs militaires de République Démocratique du Congo, d’Ouganda, de Centrafrique et du Soudan. Le premier procès de la CPI s’est ouvert le 26 janvier 2009, pour juger Thomas Lubanga, ancien milicien congolais, accusé d’avoir recruté des enfants soldats. Les débats sont toujours en cours.

Plus d’un tiers des six millions d’habitants du Darfour dépend des aides humanitaires. Dans un premier temps, en mesure d’urgence, le PAM s’est organisé avec des comités locaux. Moins nombreux, ils doivent prendre en charge un volume de denrées plus important, et leur système de distribution reste difficilement traçable. « Le suivi est mal assuré, mais nous avons paré au plus pressé », confie la porteparole, qui reconnaît n’avoir trouvé « aucune mesure valable sur le long terme. » Cette nouvelle carence humanitaire risque de provoquer un déplacement des réfugiés vers les secteurs encore quadrillés par les ONG. Ces migrations menacent l’équilibre déjà instable de la région, et risquent d’allumer de nouveaux foyers de tensions. Un humanitaire français déclarait la semaine dernière à Libération : « Le temps de la justice ne correspond pas à celui de la diplomatie. Ce qui nous importe, c’est de rester auprès des populations qui ont, plus que jamais, besoin d’assistance. » En dénonçant, pour la première fois de son histoire, un chef d’Etat en exercice, la CPI a créé un précédent. Avant, peut-être, de rentrer elle-même dans le collimateur des ONG. 39


EUROPE

L e G 2 0 d e la

Les dirigeants des vingt plus grandes puissances Londres, capitale mondiale de la finance, pour te crise. Malgré l’unité de façade, des dissensions se f moyens d’actions. Le laboratoire européen d’antici cas d’échec du G20 à mettre en œuvre les réformes rait n’être que la première étape d’une période sociaux et géopolitiques.

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Par Alexandre Bellity


EUROPE

d e r ni è r e ch a nc e

de la planète se réuniront le 2 avril prochain à enter de trouver une réponse concertée face à la font sentir entre Européens et Américains sur les ipation politique (LEAP) a pourtant prévenu : en s nécessaires, l’effondrement économique pourmarquée par d’importants troubles politiques,

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EUROPE

«

L’été 2009 est la dernière fenêtre de tir pour réformer, avant d’entrer dans la phase de dislocation géopolitique mondiale. » L’avertissement lancé par le laboratoire européen d’anticipation politique (LEAP), avant l’ouverture d’un sommet du G20, détermine l’avenir de l’économie mondiale. Au menu des discussions : relance de la demande, régulation des marchés financiers et puissance accrue du FMI. Une volonté d’action qui « va dans le bon sens, mais risque d’être inutile face à cette débâcle », relève Franck Biancheri, directeur des études du LEAP.

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Pour les analystes du think tank dont la parole pèse très lourd à l’heure actuelle (ils avaient annoncé dès janvier 2006 - bien avant la crise des subprimes - l’imminence d’une dépression), la tempête conjoncturelle ne doit pas être appréhendée comme une simple crise économique, mais comme « une crise systémique globale », car elle s’attaque aux fondements du système mondial bâti en 1945. Tous les secteurs sont touchés, partout sur la planète. Les réponses doivent donc être adaptées à cette situation inédite, et sortir des sentiers tracés par les accords de Bretton Woods.

METTRE FIN AUX ZONES D’OMBRES

En ce sens, les propositions annoncées sur la table du G20, si volontaristes soient-elles, ne sont pas en mesure d’arranger la situation. « On peut toujours s’occuper des alentours, mais cela ne réglera pas le fond du problème », tempère Franck Biancheri. D’autant plus que dix jours avant la réunion londonienne, les désaccords entre 42

Américains et Européens persistent. Tandis que l’administration Obama tente en vain d e p e r s u a d e r l e Vi e u x Continent de remettre la main à la poche pour soutenir la demande, l’Union Européenne (malgré les réticences britanniques) milite pour la mise en place de nouveaux outils de régulation et de contrôle des marchés financiers.

Dans une tribune publiée dans le Figaro du 16 mars 2009, Christine Lagarde, la ministre française de l’économie, expliquait « que le monde ne pourrait sortir de la crise qu’en mettant fin aux zones d’ombres du système financier. » Or, il semble « très peu probable que les Etats-Unis, si dépendants de la sphère financière, acceptent l’idée d’une transparence totale », explique Eloi Laurent, chercheur à l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « Même si ceux là

feront certainement quelques concessions, notamment en ce qui concerne la création d’outils de sanctions contre les paradis fiscaux », ajoute-t-il. Selon lui, l’Union Européenne devrait malgré tout « faire un effort plus conséquent que les 1.5% du PIB investis dans son plan de relance, unique solution pour sortir de cette crise engendrée par une baisse de la demande. » C’est très exactement la voie choisie par les Etats-Unis, qui n’ont pas hésité à creuser encore un peu plus un déficit abyssal pour tenter de sortir de l’ornière.

Une option que rejettent les analystes du LEAP, pour qui le dollar américain et les Etats-Unis n’ont plus les moyens d’être les piliers de l’ordre économique, monétaire et financier mondial. Pour Franck Biancheri, « l’ensemble des perturbations actuelles vient de la devise de référence : le dollar. » Une


EUROPE (euro, dollar US, yuan, yen, real, etc.). Cette nouvelle devise serait gérée par un institut monétaire mondial « dont le conseil d’administration reflèterait le poids des monnaies qui la composent. »

monnaie dominante en 1945 grâce la prééminence de l’économie américaine, mais aujourd’hui plombée par une trop grande utilisation de la planche à billet et par la dette ahurissante de l’état fédéral, « supérieure à la somme totale de l’épargne mondiale. » Les premiers signes de la chute imminente de la devise américaine étaient déjà stigmatisés par le LEAP en 2006, lorsque la FED a stoppé la publication de l’agrégat M3, indicateur de la masse de dollars en circulation. Depuis, il n’existe plus aucun moyen officiel de connaître le nombre de billets verts en circulation. Un billet vert qui, depuis 1971, n’est plus garanti par l’or.

CRÉER UNE NOUVELLE DEVISE DE RÉFÉRENCE

La solution préconisée par Franck Biancheri, combinée à un contrôle des établisse-

ments financiers à l’échelle mondiale, serait « de créer une nouvelle devise de référence internationale » fondée sur quelques monnaies, correspondant aux principales économies de la planète

Les avantages d’une telle solution sont triples : d’abord rétablir une certaine égalité entre les puissances « historiques » et les puissances émergentes, dans un système monétaire international jusqu’ici dominé sans partage par les Etats-Unis. Ensuite, créer un intérêt commun entres ces Etats, afin de favoriser l’émergence de solutions concertées, en mesure de réduire la durée de la crise, à l’image de ce qui se met en place dans la zone euro. Enfin, restaurer la confiance des agents économiques, élément décisif d’une éventuelle reprise, en présentant des solutions inédites. Selon Franck Biancheri, « les experts au sein des banques centrales concernées et du FMI ont largement les moyens de mettre en place un tel projet rapidement. Celui-ci doit être lancé avant l’été 2009, dernière limite avant de

En 1933 déjà…

Londres accueillait une conférence internationale tandis que la crise ravageait l’économie de la planète. La réunion fût un échec cuisant, du fait de la volonté des états de défendre avant tout leurs propres intérêts. Comme l’expliquera plus tard un H.G. Wells encore journaliste et présent lors des débats, « les délégués nationaux commencèrent à insister de manière de plus en plus explicite sur le fait que les intérêts nationaux ne devaient pas être sacrifiés sur l'autel de l'intérêt général, et il devint bientôt douteux qu'il puisse exister quelque chose comme l'intérêt général. La Conférence économique mondiale devint par d'imperceptibles transitions un Conflit économique mondial ».

L’échec des gouvernants à mettre en place un plan d’action commun a très clairement contribué à la montée du populisme en Europe et au déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. Si l’on considère le prochain sommet du G20 comme le pendant contemporain de la conférence du Londres, les participants ont tout intérêt à garder en tête cet échec au moment d’aborder les discussions. Une fois n’est pas coutume, l’Histoire pourrait y éclairer le présent.

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EUROPE Gordon Brown passent leur temps à invoquer la dimension historique de la crise pour mieux cacher leur incompréhension de sa nature et tenter de se dédouaner à l’avance de l’échec de leurs politiques. »

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VERS UNE DISLOCATION GÉOPOLITIQUE MONDIALE

voir le système monétaire s’écrouler définitivement. »

Le directeur des études du LEAP doute pourtant « qu’aucun des participants du G20 ait le courage politique nécessaire pour engager de telles réformes. Seule la Russie semble en avoir compris l’importance. » Ceux

qui bénéficient du statu quo n’étant visiblement pas prêts à abandonner leurs privilèges, il prône « une pression conjointe de l’Union Européenne et de la Russie pour que le sommet du G20 débouche sur de réels progrès. » Dans son bulletin du mois de février, le LEAP affirmait que « Barack Obama comme #icolas Sarkozy ou

Ce manque de clairvoyance des gouvernants risque de plonger le monde dans la dernière des cinq phases de la crise annoncée par les analystes du LEAP en 2006 (voir encadré) : celle de dislocation géopolitique mondiale. Cette cinquième phase se matérialiserait en premier lieu par la banqueroute du gouvernement américain, dans l’incapacité de rembourser ses créditeurs à partir du quatrième trimestre 2009. Une faillite qui provoquerait l’effondrement du dollar et de tous les actifs libellés dans la devise américaine. Les conséquences

Les cinq phases de la crise

Bien avant les autres, les analystes du Laboratoire Européen d’Anticipation Politique décrivaient les phases de la « crise systémique globale » qui touche actuellement la planète. Depuis maintenant deux ans, l’évolution de l’économie mondiale répond scrupuleusement aux prévisions établies par un LEAP dont les analyses gagnent en influence. Voici les cinq phases de la crise décrites par le think tank dans son bulletin du 15 janvier 2006 : La première, dite de déclenchement, s’est déroulée au premier semestre 2006. Un certain nombre de « certitudes » sont tombées, parmi lesquelles la domination intrinsèque du dollar sur les autres devises, et des Etats-Unis sur les autres acteurs clés de l’économie mondiale.

La seconde, dite d’accélération, a débuté en juin de la même année. C’est le moment où les acteurs ont commencé à prendre conscience de l’arrivée de la crise. Matérialisée par la chute des bourses mondiales, du cours du dollar, et la prise de conscience par les acteurs de l’impasse de la politique des taux d’intérêt US.

La phase d’impact traduit quant à elle un effondrement de l’économie réelle à partir du troisième trimestre 2008.

La quatrième phase, celle de « décantation », s’étend de la fin 2008 à l’été 2009 et correspond à l’insolvabilité globale des agents économiques, qui frappe en premier lieu les états surendettés ou hyper dépendants de la sphère financière (l’Islande par exemple). Le phénomène a été accentué par la baisse des taux d’intérêt et une création monétaire quasiment illimitée. La cinquième et dernière phase, celle de la dislocation géopolitique mondiale, pourrait débuter au quatrième trimestre 2009 (voir article).

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EUROPE

La carte des membres du G20 : en bleu clair, les pays de l’Union Européenne / © DR

seraient évidemment dramatiques pour les Etats-Unis, mais aussi pour tous les détenteurs de bons au trésor US, Chine et Japon en tête.

L’aggravation de la situation économique plongerait le monde dans une logique d’affrontement, et provoquerait le retour à un « un jeu à somme nulle », explique Franck Biancheri. « Les Etats risquent de se replier sur eux-mêmes et verraient comme unique moyen d’obtenir quelque chose celui d’aller le chercher chez le v o i s i n … » . L e think tank prévoit une fragmentation accélérée des intérêts de principaux acteurs, qui pourrait mener à la décomposition de l’ensemble du système international actuel.

L’Histoire l’a montré, sans coopération, les crises économiques mènent bien souvent à des conflits armés. « D’ici quatre à cinq ans, et sans réaction rapide face à la crise systémique, on devrait observer une montée du popu-

lisme », va même jusqu’à prédire le directeur des études de LEAP.

Le comportement de prédateur caractéristique des USA est à cet égard inquiétant, la dialectique du colt et du droit jurisprudentiel ne pourra mener à terme qu’à une économie de déflation, puis progressivement, de pénurie. Or, comme l’expliquent les spécialistes de la question énergétique, celleci mène immanquablement à la guerre.

Il suffit de convoquer l’histoire pour constater que les premiers grands travaux menés par le régime nazi ont conduit l’Allemagne à l’expansionnisme, puis à la course aux armements. L’économie des USA ne pourra sortir de sa décrépitude structurelle qu’en s’appuyant sur des valeurs sures : l’industrie de l’armement et l’agroalimentaire. La bonne volonté de Barack Obama ne devrait pas suffire à freiner un train lancé à grande vitesse, qui envoie six

milliards d’individus dans le mur. A l’intérieur même des états, des tensions naîtront entre des groupes aux intérêts divergents, et entre les citoyens et l’Etat. « Si votre pays ou région est une zone où circulent massivement des armes à feu, alors le meilleur moyen de faire face à la dislocation est de la quitter, si cela est possible », prévenait un LEAP alarmiste dans son bulletin d’octobre 2008. Selon Franck Biancheri, à l’issue de la phase de dislocation géopolitique mondiale, « la planète risque plus de ressembler à l’Europe de 1913 qu’au monde de 2007… ».

Le 24 mars, le LEAP diffusera une lettre d’avertissement à l’attention des participants aux sommets du G20, les exhortant à tenir compte de leurs recommandations. Si les analyses du think tank se révèlent une nouvelle fois exactes, les dirigeants des grandes puissances auront failli à l’adage politique : « gouverner, c’est prévoir ». 45


EUROPE

WarGames

La protection contre le cyberterrorisme est devenue un enjeu majeur pour la sécurité des infrastructures nationales, en particulier pour l’OTAN qui a décidé d’en faire un de ses objectifs prioritaires.

Par Quentin Weinsanto

UNE POLITIQUE AMBITIEUSE POUR L'OTAN

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Ce phénomène peut pourtant devenir un atout pour les états qui savaient tirer profit de ces disparités, afin de manipuler un de ces groupes à des fins de guerre informatique. Au début du conflit entre la Géorgie et la Russie, plusieurs listings d’adresses électroniques, permettant de mener des attaques sur les sites Internet géorgiens, sont ainsi apparus sur de nombreux réseaux de hackers russes.

a surveillance des réseaux et la mise en place de capacités de réaction face à des attaques informatiques semblent justifier une coopération internationale. Outre la protection des réseaux internes et externes, c’est la possibilité d’identifier et de localiser les porteurs des attaques qui devient primordiale.

La multiplication des supports informatiques permettant d’envoyer et de stocker des données a contribué à augmenter la possibilité d’actes illicites. De nombreux ordinateurs peuvent facilement être détournés à l’insu de leurs propriétaires pour, par exemple, lancer des attaques DDOS (Distributed Denial of Service) massives, dans le but de saturer un serveur 46

en envoyant un nombre trop important de requêtes. Lors des attentats en Inde, en juillet 2006, les terroristes avaient ainsi transféré leur message de revendication par mail via le compte piraté d’un expatrié américain.

Un autre volet de la cyberdéfense consiste à protéger physiquement les réseaux de communication, mais aussi les supports de données (unités de stockage, ordinateurs) en évitant les attaques internes. Bien qu’une partie de ces actions soient parfois attribuée à des pays comme la Chine ou la Russie, spécialistes en matière de renseignement et de guerre informatique, la grande majorité des infractions provient d’activistes politiques, d’individus isolés ou encore de personnes liées au monde du crime organisé.

Le thème de la Défense avait déjà été évoqué au sein de l'Alliance lors du sommet de Prague en 2002, qui préconisait un renforcement des capacités de l'OTAN contre les attaques informatiques. Cela s'est traduit par la création de la Nato Computer Incidence Response Capability (NCIRC), déclinée en CIRC nationales et chargée dans un premier temps de surveiller et de protéger les systèmes d'information et de communication de l'organisation. C'est notamment cette instance qui a déployé en 2008 la solution EnCase, logiciel qui permet de détecter les tentatives d'intrusion dans les systèmes et de remonter à la source.

Les attaques survenues en Estonie au printemps 2007 ont impacté directement l'économie d'un pays largement dépendant des nouvelles technologies. En visant un symbole de sa réussite tout en montrant ses vulnérabilités, ces attaques ont prouvé


EUROPE qu'il était possible de mener une tactique délibérée de déstabilisation d'un État. Cela a amené l'OTAN à réfléchir sur son rôle en tant qu'alliance défensive. Comment réagir si l’intégrité territoriale ou la sécurité d’un allié sont menacées ? La multiplication des réseaux de télécommunications transnationaux pourrait devenir une menace pour l’ensemble des pays membres, si l’un de leurs alliés était attaqué. Cette question cruciale a été abordée lors du sommet de Bucarest et a permis d'élaborer le concept de cyberdéfense de l'OTAN. Elle vient concrétiser la nécessité pour l'Alliance de protéger les systèmes d'informations-clés, et devrait permettre une aide physique pour les pays faisant l'objet d'attaques massives. L'ouverture du Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération (CCD) à Tallinn, composé d’une trentaine d’experts européens, va dans ce

sens. Il développe des techniques de protection et de lutte contre les attaques informatiques et permet une meilleure formation des experts, tout en fournissant des analyses et des enseignements. Actuellement, dix centres sont déjà en activité tandis que sept autres attendent encore d'être homologués. Le tout financé directement par les gouvernements ou par des aides multinationales. En prenant ces mesures, l'OTAN fait remonter la problématique de la guerre informatique au rang de ses priorités immédiates.

LES ÉTATS-UNIS À LA POINTE TECHNOLOGIQUE

En considérant Internet comme le cinquième espace de bataille, les États-Unis ont été les premiers à matérialiser ce problème. Sous la présidence de Bill Clinton, l’armée américaine a réfléchi à des techniques capables de produire des effets physiques

sur les routeurs ou les ordinateurs de ses ennemis. Dès 1998, les Américains ont cherché à éliminer la vulnérabilité de leurs systèmes informatiques, avec la signature du décret présidentiel 63 visant à protéger les infrastructures critiques. Après le 11 septembre 2001, le Département de la Sécurité Intérieure a vu le jour, regroupant 22 agences fédérales et couvrant désormais le domaine de la protection des réseaux de communication.

Depuis, les États-Unis procèdent à un renforcement de leurs moyens avec la Presidential National Security directive 54, approuvée le 8 janvier 2008 par le président Bush, et qui a pour but de mieux protéger les systèmes gouvernementaux. Dans la peur encore fantasmée d’un cybergeddon, les gouvernements s’approprient les préceptes de Sun Tzu : « L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat. »

Le mauvais élève français

Consciente de son retard et de son manque de moyens par rapport à ses voisins, la France souhaite élaborer une doctrine offensive contre les cyberattaques. Mise en avant dans le livre blanc du sénateur UMP Roger Romani, publié en juin 2008, la gestion de la guerre informatique s’articule autour de deux axes. D’une part, la création d’une nouvelle agence pour la sécurité des systèmes d’information, qui sera placée sous la tutelle du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Elle aura pour rôle la mise en place d’une capacité centralisée de détection des attaques informatiques, avec un centre chargé de surveiller de manière permanente les réseaux sensibles. Le deuxième volet vise à constituer des capacités de lutte informatique offensives, qui se caractérisent par la possibilité de tracer et d'identifier les attaques afin de pouvoir, si nécessaire, appliquer des mesures de rétorsion. Cet aspect nécessite notamment le développement d'outils spécialisés, tel que des laboratoires technico-opérationnels et des armes numériques de réseaux. « Le ministère de la Défense va lancer une véritable rénovation de nos moyens de traçage et de défense, explique le Lieutenant-colonel Tanguy Philippe, Chef du centre de presse de la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICOD). #ous avons la matière pour. #os experts sont très compétents, mais leur nombre est insuffisant compte tenu de l’évolution de cette menace. »

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POLITIQUE

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Les lobbies sortent de l’ombre Officiellement, la présence des groupes de pression est interdite à l’Assemblée nationale. Ils y sont pourtant omniprésents. Les députés veulent aujourd’hui encadrer leur activité. Ou comment faire entrer dans la loi un état de fait. Par William Molinié

Monsieur, votre badge ne vous permet pas d’aller au-delà de ces dalles. Veuillez reculer s’il vous plaît ». Les gardes républicains de la Salle des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale sont vigilants. On ne les bluffera pas. Même en marchant d’un pas assuré, tête haute et en ne montrant qu’une petite partie dudit badge. Impossible donc d’accéder aux bureaux des commissions et des députés sans les bonnes autorisations. Il y a encore cinq ans, les zones réservées n’étaient pas aussi hermétiques. « On pouvait aller de la salle des pas perdus jusqu’aux abords de l’hémicycle sans trop de problèmes. Il fallait se mettre bien avec les gardes et passer inaperçu », se rappelle une journaliste, habituée de la maison. L’anecdote pourrait prêter à sourire si l’enjeu n’était pas aussi 48

important. Car la porosité entre la société civile et les députés qui votent nos lois a souvent été pointée du doigt. Lobbies, groupes de pression ou d’intérêts, communication institutionnelle… La frontière entre public et privé reste ténue. « Il y a depuis toujours des relations de connivence entre les hauts fonctionnaires et les grands patrons, ce qui atteint les vrais intérêts des petits paniers », regrette Patrick

©Réflexe

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Vidal, directeur pédagogique du Master d’Intelligence économique à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.

DES DÉPUTÉS SOUS PRESSION

Ces connivences ont parfois éclaté au grand jour, ternissant l’image de nos législateurs. L’exemple le plus probant est sans doute le scandale Virgin,


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en 2006. Alors que les parlementaires examinent la loi relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), les salariés de l’entreprise s’installent dans la salle de conférence jouxtant l’hémicycle. Ils y proposent en toute liberté des kits de téléchargement aux parlementaires. Une méthode qui, à l’époque, avait choqué bon nombre de députés.

Officiellement, les groupes de pression n’ont pas droit de cité à l’Assemblée nationale. Pourtant, certains d’entre eux ont fini par se fondre dans le décor en se faisant attribuer des badges. Les lobbies les plus influents (l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique, l’industrie du disque…) participent aux commissions et aux groupes d’étude. Ils organisent aussi des événements dans l’enceinte parlementaire, invitent des députés à des voyages d’étude, ou encore, pour les moins scrupuleux d’entre eux, embauchent des attachés parlementaires pour faire de la veille juridique.

ou encore les petits cadeaux… », révèle Catherine Lemorton, députée socialiste de HauteGaronne, qui conduit la mission parlementaire sur la consommation des médicaments.

La plupart des parlementaires jugent que de telles pratiques brouillent le débat démocratique et aggravent la crise de légitimité des élus et des pouvoirs publics. « Des forces internes non identifiées au parlement continuent de faire du lobbying à l’ancienne. Les députés en ont marre d’être considérés comme achetés et corrompus », lance Christophe Ghnassia, l’assistant parlementaire d’Arlette Grosskost, députée (UMP) du Haut-Rhin qui a déposé avec Patrick Beaudoin (UMP) en 2006 une proposition de résolution afin d’instaurer des règles de conduite à l’Assemblée Nationale.

Des pratiques souvent douteuses voire parfois malsaines qui font partie du quotidien des députés. « Pendant les auditions, on m’a appelé pour que je rencontre des personnes de l’industrie pharmaceutique. Et je ne vous raconte pas les invitations à déjeuner, les colloques, voyages,

POLITIQUE

Devant l’importance de la réforme, le Président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a confié au député (UMP) Marc le Fur une délégation sur les groupes d’intérêts pour encadrer les pratiques du lobbying au Palais Bourbon. « On aurait dû avoir un rapport en décembre dernier. Finalement, ce sera à la fin de l’année », assure-t-on dans l’entourage du député.

VERS UNE RÉGULATION DE LA PROFESSION

Conscients de l’opacité de leur action, les lobbyistes, eux aussi, sont animés d’un désir de transparence. « C’est un métier à part entière qui fait partie intégrante de la vie politique. Il faut qu’il soit reconnu par un texte de loi pour éviter les dérives », souligne l’universitaire Patrick Vidal. Depuis quelques mois, les initiatives citoyennes soulignent l’urgence de clarifier les relations entre le public et le privé. L’association Adéquations, non lucrative, a ainsi lancé un appel pour une transparence des activités de lobbying : « #ous demandons l’instauration d’un débat public et de règles claires sur les groupes d’intérêt. Les lobbyistes doivent publier leurs arguments et leurs positions de façon transparente auprès des décideurs, du public et des medias. Ils doivent se

Des lobbies dorlotés par l’Etat

Certains grands groupes disposent d’un badge d’accès permanent à l’Assemblée nationale. Le précieux sésame, qui porte la mention « Salon de la Paix », leur permet de se déplacer librement dans l’enceinte du Palais Bourbon, excepté dans le « périmètre sacré » qui comprend l’hémicycle et les secteurs voisins : Delcroix, Pujol et CasimirPerrier. Ce club très fermé des lobbyistes est reconnu par

l’Etat. Cependant, les conditions d’attribution restent opaques. Dans le haut du panier, on trouve des grands groupes tels que France Telecom, Air France, les Jeunes Agriculteurs, la SNCF, la RATP, Total-Fina-Elf ou encore Canal +. Bon nombre de députés voudraient voir cette liste ouverte à des organisations non-gouvernementales de la société civile.

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POLITIQUE

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L’industrie pharmaceutique a génèré près de 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2007. Son lobby est l’un des plus influents

refuser à faire usage de méthodes déloyales et estimer que la question ne doit plus rester taboue en France ».

Pour Emmanuelle Garault, directrice de la communication institutionnelle chez eBay et présidente de BASE, un groupe de réflexion sur la profession regroupant 80 lobbyistes de tout horizon, « le lobbying, c’est représenter tous les intérêts d’une entreprise, d’une O#G, d’un cabinet d’avocat… Et fournir des informations aux politiques via un regard d’expert. Après, à eux de prendre ce qu’ils veulent ». Diplômée d’un Master II « Juriste européen », elle assure vouloir éclaircir les pratiques de sa profession. « Lorsqu’on organise un événement où des députés sont invités, on doit dire qui on est, quels intérêts on défend et dans quel cadre. C’est la moindre des choses », ajoute-t-elle. Autre pomme de discorde : les assistants ou collaborateurs

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parlementaires. Leur statut est souvent méconnu, obscur et mal rémunéré. En revanche, c’est bien souvent un tremplin pour rejoindre un cabinet de conseil en lobbying. Si bien que certains d’entre eux sont doublement employés. « Les députés doivent savoir pour qui leurs collaborateurs travaillent. Il faut absolument régler ce problème », glisse Christophe Ghnassia, attaché parlementaire.

L’EXÉCUTIF EN PREMIÈRE LIGNE

Les groupes de pression en France se sont donc imposés comme un état de fait. Reste à savoir si leur donner un cadre légal et les reconnaître sur le plan institutionnel changera la donne. Car les conflits d’intérêts entre l’exécutif et la société civile ont toujours été importants sous la Vème République. « Depuis toujours, on aime dans ce pays avoir des groupuscules

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opaques de pensée, d’influence et de réflexion. C’est de cette façon que nous sommes arrivés à bâtir cette nation des droits de l’Homme. C’est peut-être paradoxal mais nous y avons trouvé un certain équilibre », lâche un parlementaire, sous couvert d’anonymat. Les premières cibles des lobbyistes ne sont donc pas les parlementaires. Ils préfèrent volontiers les cercles décisionnels. « C’est l’exécutif qui gouverne. Regardez le nombre de lois qui émanent du gouvernement. J’aimerais qu’on arrête de parler du lobbying à l’Assemblée nationale et qu’on se pose la question dans les ministères », note ainsi Emmanuelle Garault, responsable lobbying chez eBay.

La question, le magazine en ligne Numerama se l’est posée. Le média web doute de l’indépendance de Christine Albanel, ministre de la culture, vis-à-vis des lobbies culturels dans la


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préparation de la loi « Création et Internet », pour lutter contre le piratage. « Il existe une liste de faits objectifs que l'on peut reprocher à Christine Albanel dans la conduite de son projet de loi, qui laissent à penser qu'elle ne vise qu'à servir les intérêts de quelques puissants lobbies industriels sans accepter et exposer les arguments de la société civile », explique-t-on sur le site. Ces relations entre l’exécutif et certains patrons de grands groupes industriels ne peuvent être considérées naïvement comme de simples coïncidences. Difficile de trouver aujourd’hui un grand groupe français où ne règnent pas d’anciens hauts fonctionnaires, mettant à profit leurs carnets d’adresses fournis. L’affaire Pérol illustre parfaitement ce jeu de pantouflage. Ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée, il vient d’être nommé à la tête des Caisses d’Epargne et Banque populaires, alors même qu’il a eu un rôle prépondérant lors de

POLITIQUE

François Pérol, le dernier pantouflage en date, est la démonstration même d’une société de connivences / © DR

la fusion des deux banques. Dans ce cas précis se pose une vraie question déontologique. Pour le socialiste Arnaud Montebourg, Nicolas Sarkozy et le président de la commission de déontologie Olivier Fouquet « refusent de voir, avec une incroyable complaisance, les dispositions du Code pénal qui interdisent la prise illégale d'intérêts que la nomination de Francois Pérol constitue sans contestation possible. » Nicolas Sarkozy, dans le face à face qui l’opposait à Ségolène

Royal pendant la campagne des présidentielles avait affirmé vouloir une République où la déontologie et la transparence primeraient. « Je voudrais aussi une République irréprochable. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire une République […] de la compétence, et non pas de la connivence », avait-il alors assuré.

Si l’activité des lobbies est légalisée, la partie émergée de l’iceberg sera dûment reconnue. Tout en laissant le soin au gros morceau d’opérer en sous-main.

Bruxelles : un lobbying décomplexé

A Bruxelles, la pratique du lobbying, à l’instar du modèle anglo-saxon, est beaucoup plus assumée qu’en France. Beaucoup plus transparente aussi. Les groupes d’intérêts disposent de bureaux et sont souvent auditionnés par les eurodéputés. Le Parlement Européen a toujours pris en compte ces groupes de pression. Cette reconnaissance s’est d’ailleurs accentuée au fil du temps. Car la logique communautaire a irrémédiablement entraîné davantage de confrontations d’intérêts, d’où une politique du compromis. Mais si la Commission considère que le lobbying fait légitimement partie du système démocratique, plusieurs scandales de pantouflage ont terni l’image de l’Institution. La faute à quelques commissaires qui ont rejoint le privé après leur mandat, sans trop de soucier des questions éthiques. Les groupes d’intérêts doivent désormais respecter un code de bonne conduite. « Le

lobbying est parfaitement légitime. Mais, à mesure que ce phénomène croît, nous devons veiller à ce que l'on sache clairement qui les lobbyistes représentent, quelle est la nature de leur mission et quel est leur mode de financement » expliquait le vice-président et commissaire en charge de l'administration et de la lutte antifraude, Siim Kallas.

Plus de 15 000 lobbyistes professionnels arpentent aujourd’hui les couloirs de Bruxelles. Ils ont été invités, sur la base du volontariat, à s’inscrire sur un registre mis en ligne en juin 2008. « Il tient davantage du geste pour la forme que d’une réelle avancée en matière de transparence », regrette Erik Wesselius d’AlterEu, un collectif qui milite pour une meilleure transparence. En effet, les noms des lobbyistes individuels n’y sont pas inscrits. Ce qui limite les traces de pantouflage, ainsi que les informations sur les possibles conflits d’intérêts.

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POLITIQUE

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L'Appel des appels fédère les mécont ents

Le mouvement humaniste « l’Appel des appels » ne cesse de croître. Les adhérents entendent dépasser la logique partisane et proposer une nouvelle vision de l’humain.

Par Laurie Haslé

I

Grégory Szeps

ls sont plus de 72 000. Certains exercent le métier de psychiatre, d’autres sont chercheurs ou artistes peintres. Un seul lien unit ces hommes et ces femmes que rien ne semblait lier : l’adhésion à l’Appel des appels. Ce texte, publié sur la Toile et dans le journal Libération, invite les Français à protester contre l’idéologie de l’homme économique.

« L’homme est un sujet pensant, pas un être fonctionnel », explique le docteur Marc Hayat, psychiatre. #ous constatons que les décisions politiques actuelles font appel à une conception de l’être humain qui n’est pas la nôtre ». L’initiative est née du collectif « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » lancé par les professionnels de la psychologie en 2006. Les médecins protestaient alors contre un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui encourageait le dépistage psy52

ment humaniste. Et leur appréhension se fait sentir : « Ce phénomène n'est pas récent, mais il s'est amplifié », continue Annie Cassard. « Cependant, ce n'est pas personnifié : un seul homme ne représente pas ce mauvais changement dans la considération de l'humain ».

UNE VISION PHILOSOPHIQUE

chologique des enfants dès leur plus jeune âge, afin de prévenir leur délinquance future.

L'Appel des appels réclame bien plus que des augmentations de salaires ou de meilleures conditions de travail. Leurs exigences vont au-delà des revendications matérielles classiques de chaque profession : « #ous voulons promouvoir une nouvelle idée de l'humain, qui doit penser par lui-même. Cela dépasse la notion syndicale », explique Annie Cassard, présidente de la Fédération Nationale des Associations des Rééducateurs de l'Education Nationale (FNAREN). « Cette valeur de considération de l'humain rejoint notre lutte contre la suppression des RASED (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, ndlr). C'est aussi le rapport particulier à l'enfant qui est touché par cette mesure », ajoute-t-elle.

Les décisions du gouvernement sont directement mises en cause par les adhérents de ce mouve-

Depuis le 9 janvier 2009, les psychiatres Roland Gori et Stefan Chedri demandent aux Français de soutenir l’Appel des appels sur leur site internet. Plusieurs assemblées ont été organisées afin de planifier la démarche et mettre en place des comités locaux. Le 31 janvier dernier, les professionnels de l’éducation, de l’hôpital, de la psychologie, de l’information et de la culture se sont réunis pour établir un cahier des charges.

Le colloque a publié une charte le 24 février dernier. Elle regroupe l’ensemble des luttes proposées par l’Appel. Le texte met en relief la philosophie que le groupe souhaite véhiculer : « #ous avons une pensée philosophique commune, semblable à celle connue lors de la Révolution Française », explique le docteur Hayat. « C’est une vision cartésienne de l’Homme, qui est une substance pensante avant tout ». L'Appel invite d'ores et déjà les adhérents à sa seconde journée de discussions, le dimanche 22 mars prochain à Montreuil.



ECONOMIE

La t entation protectionniste

Alors que les dirigeants des grandes puissances s’inquiètent d’un retour au protectionnisme qu’ils n’ont pourtant jamais vraiment abandonné, certains militent au contraire pour l’instauration de nouvelles barrières pour sortir de la crise.

E

Par Alexandre Bellity

n annonçant sa volonté de conditionner l’aide au secteur automobile à l’engagement des constructeurs de ne pas délocaliser leur production, Nicolas Sarkozy a pris une initiative que goûtent peu les technocrates bruxellois. Surtout, il a

contribué au réveil d’une peur bien enfouie, celle d’un retour au protectionnisme. Un mot tabou qui résonne comme une insulte à la théorie traditionnelle du commerce internationale de David Ricardo (voir infographie). Dès 1817, l’économiste anglais

En autarcie

6 vins, 6 vins, 5 fromages 12 vins

5 fromages

6 vins, 6 vins, 6 vins

Situation

(5 vins contre

13 vins

7 fromages

2 vins, 2 vins, 4 fromages 4 vins

4 fromages

4 fromages, 4 fromages, 4 fromages

de libre-échange

7 fromages par exemple)

5 vins

5 fromages

Illustration du principe de l’avantage comparatif, démontré par l’économiste David Ricardo / © Réflexe

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démontrait que le meilleur moyen pour un État de voir croître sa richesse nationale est de favoriser le libre échange avec ses voisins. A cela, une condition : se spécialiser dans le domaine où sa productivité, comparativement à celle de ses partenaires commerciaux, est la meilleure. C’est le concept de l’avantage comparatif, à la base de la création et des négociations au sein du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), puis de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) depuis la deuxième moitié du XXème siècle.

Le libre échange est la norme, le protectionnisme l’exception, prennent soin de rappeler ses partisans. Une norme à l'origine de la formidable croissance de l’économie mondiale au siècle dernier, et rarement remise en cause avant l’année dernière.

UNE HYPOTHÈSE PEU RÉALISTE

C'est à la faveur de la crise qui frappe la planète que les tenants du protectionnisme se font à nouveau entendre. Selon eux, le libre échange serait en réalité l'une des causes de l'effondrement de nos économies. En acceptant une concurrence quasi-totale avec des pays dont les normes fiscales et sociales sont largement inférieures (Chine, Inde, Europe de l'Est), les pays occidentaux se sont mis en danger. Compressant les salaires et le coût du travail


ECONOMIE pour retenir leurs entreprises, elles-mêmes coupables de chantage à l'emploi, les pays du nord ont à la fois creusé leurs déficits et réduit le pouvoir d'achat de leurs habitants.

PROTECTIONNISME ÉDUCATEUR

Un retour du protectionnisme signifierait la mise en place de nouvelles barrières douanières, de mesures d'aides à l'exportation, voire la fermeture de certains marchés stratégiques aux entreprises étrangères. Une hypothèse peu réaliste, tant les économies sont profondément liées les unes aux autres. Aucun pays au monde ne peut actuellement prétendre être autosuffisant. En effet, la création de nombreux marchés communs (UE, Alena) depuis cinquante ans a fort logiquement accentué

l'interdépendance entre les Etats. Mais le protectionnisme, accusé d'être facteur de repli sur soi, ne doit pas être confondu avec l'autarcie. Friedrich List, un économiste libéral allemand, faisait déjà au XIXème siècle l'éloge du « protectionnisme éducateur ». Pourtant partisan du libre échange, List était persuadé qu'un état devait, avant d'ouvrir ses frontières, s'assurer que ses entreprises soient suffisamment solides et productives pour tenir le choc face aux firmes étrangères. Une thèse inspirée de son observation de la construction de la puissance britannique, dont se serviront ensuite les ÉtatsUnis. Preuve que les deux pays n'ont pas toujours été partisans d'un libre échange débridé. C'est sur ce postulat que certaines voix se font entendre afin d’ériger quelques barrières supplémentaires, contre les

importations venues d'Asie par exemple. Des obstacles qui ne pourraient être mis en place au sein même de l'Hexagone mais aux frontières de l'Union Européenne, voire autour de la seule zone euro. Car même à l'intérieur du marché commun, d'énormes disparités demeurent entre membres historiques et nouveaux entrants. Les pays de l'ancien bloc communiste restent une destination de choix pour les entreprises désireuses de réduire leur masse salariale. Les dirigeants de la planète, qui s'affichent en partisans du libre échange, semblent avoir oublié que les mesures protectionnistes font toujours partie de leurs leviers d’action. La primauté offerte aux matériaux « made in USA » pour les chantiers prévus par le plan de relance de Barack Obama en est l’un des meilleurs exemples.

Ces exceptions qui confirment la règle...

Bien que les dirigeants des principales puissances se montrent particulièrement inquiets d'un retour au protectionnisme, jamais le libre échange n'a empêché les gouvernements de protéger leurs entreprises nationales, particulièrement en temps de crise. Et ce, même si la mise en place de ces mesures de protection peut être rendue difficile par les normes libérales imposées par Bruxelles ou l'OMC. Dans les années 30 déjà, le protectionnisme était privilégié par Keynes pour sortir les Etats-Unis de l’ornière. Keynes, dont s’inspirent aujourd’hui les gouvernements en creusant leur déficit pour relancer l’économie.

Ainsi, depuis le début de la crise, nombreux sont les pays ayant érigé des barrières à l'entrée de produits étrangers. En Allemagne, une loi d'avril 2008 est venue limiter les investissements étrangers dans les domaines des « infrastructures stratégiques ». Une décision qui rappelle à s'y méprendre celle prise par les États-Unis en octobre 2007, qui permet aux autorités d’interdire tout achat ou implantation d'entreprise dès lors qu'elle « met en cause la sécurité nationale ». On trouve les traces de mesures similaires en France et en en Russie. L'augmentation des droits de douane semble également dans l’air du temps. Depuis fin 2008, l'Inde a relevé les siens sur l'entrée de fer, d'acier et de soja, tandis que les États-Unis ont porté à 100% les taxes sur un certain nombre de produits européens, dont les fruits et légumes. La Russie n'est pas en reste, avec une augmentation des 30% des taxes sur les voitures importées depuis le 1er janvier 2009.

Quant à la Chine, déjà accusée de profiter de la sous-évaluation du yuan pour favoriser ses exportations, elle a choisi des entreprises chinoises pour mettre en oeuvre le chantier du train PékinShanghai. Alstom, l’un des leaders mondiaux du secteur, l’accuse aujourd’hui de protectionnisme, persuadé que Pékin a délibérément opté pour la préférence nationale. 55


ECONOMIE

Areva, et ça revient

Areva, numéro un mondial de l’industrie nucléaire, semble avoir du fil à retordre avec ses partenaires. A la fois contributeur actif et victime du fonctionnement du marché de l’atome, le groupe voit sa direction s’enfoncer dans des débats politiques internes.

Par Arthur Zadvat

L

Pointée du doigt pour ses retards et minée par les dissenssions politiques, la belle machine Areva s’enraye / © DR

e 6 février dernier, Nicolas Sarkozy prononçait un discours devant les ouvriers du chantier de l’EPR de Flamanville. Etonnamment, il n’y a pas prononcé le nom d’Anne Lauvergeon, PDG d’Areva, pourtant mentionnée dans le texte par la plume de son conseiller spécial, Henri Guaino. Alors que la centrale finlandaise d’Olkiluoto accuse un retard préoccupant (elle ne devrait finalement pas être livrée avant 2011), les concepteurs du réacteur de troisième génération se mettent en porteà-faux avec leurs partenaires politiques et économiques. Par ailleurs, Bouygues, qui pourvoit en béton les chantiers,

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et Alstom, qui fournit l’armature, s’intéressent de près à une éventuelle privatisation de l’entreprise. L’Etat, détenteur d’Areva à 93%, s’oppose en effet à une recapitalisation boursière, pour laquelle Anne Lauvergeon tape du poing sur la table. Les rapports se sont notamment tendus depuis que l’ex-sherpa de François Mitterrand a refusé le ministère des Finances et de l’Industrie que lui proposait l’Elysée.

UNE ENTREPRISE FREINEE

Isolée, la direction d’Areva s’oriente désormais vers des capitaux étrangers, au risque

de soulever la polémique. L’entreprise est la cible directe des réseaux anti-nucléaire, qui n’entendront rien à la volonté affichée par sa présidente de sortir du « nucléaire honteux ». Ses services s’exportent aux quatre coins de la planète, mais la gestion de son parc nucléaire risque de s’avérer plus complexe que prévu. Le modèle intégré du groupe, que la direction vante depuis la constitution d’Areva (ex-Cogema) en 1999, se définissait par sa capacité unique à pouvoir gérer l’ensemble des procédés, depuis l’extraction du minerai jusqu’au retraitement et au transport des déchets. Dix ans plus tard, la moteur touse et le constat est amer.


ECONOMIE Henri Lehn est membre de l’Institut Louis de Broglie. Il a quitté le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) dans les années 1980. Ancien employé de la Cogema, pour laquelle il a supervisé une partie du chantier de la Hague, il émet aujourd’hui un avis très critique sur la gestion d’Areva, sans pour autant remettre en question la viabilité de l’énergie nucléaire. Les difficultés rencontrées par AREVA, comme le retard de l’EPR finlandais, ne révèlent-elles pas une mauvaise gestion de l’entreprise ?

Dans cette affaire de retard, Areva connaissait bien le fonctionnement du réacteur, mais pas la manière de l’assembler. C’est la gestion d’un grand chantier qui lui a échappé. Quant à Anne Lauvergeon, c’est une politique qui a été parachutée à un poste hautement qualifié. Dans ce secteur, il est nécessaire de trouver des personnes qui connaissent le métier en des termes strictement techniques. Son CV prouve qu’elle est brillante, mais elle aborde le sujet de manière politique, alors qu’il faut se contenter de faire le travail, en bon patron, pour remettre la chose en place. Au lieu d’aller s’exposer au congrès des femmes les plus importantes du monde à Deauville, elle devrait peut-être s’occuper un peu plus de la gestion de sa boutique. Elle s’est trop efforcée d’organiser des hiérarchies et de structurer Areva. Voulez-vous dire que l’organisation même d’Areva a changé, et s’est peut-être détériorée ?

Le débat a eu lieu, et les mêmes problèmes se posent de nouveau. Avant, quand on rentrait dans les métiers du nucléaire, on devait en maîtriser tous les aspects, connaître le sujet de A à Z. Depuis, l’UFSN-CFDT (syndicat des métiers du secteur nucléaire) a fait sa mission d’information. Aujourd’hui, les gens qui travaillent dans ce secteur n’ont pas de vue d’ensemble. Ils connaissent seulement un point précis, le retraitement des déchets ou le transport par exemple.

Quand une industrie se met en route, les besoins en capitaux sont faramineux. Finalement, les comptes d’Areva étaient largement positifs tant qu’ils ne concevaient pas de centrales. Il y a 25 ans, ils se contentaient de produire du combustible, des couvercles de réacteurs, des générateurs de vapeur de rechange, et ils gagnaient très bien leur vie. Aujourd’hui, vendre un réacteur ne peut pas se faire à perte, dans la mesure où vous savez que, derrière, vous devez assurer le « service après-vente », des pièces de rechange aux consommables. Ce sont là des investissements qui se font sur vingt à quarante ans. Surtout quand on sait que le réacteur est prévu pour durer 60 ans.

Est-ce que la sous-traitance multiplie les risques, et qu’en est-il à l’étranger ?

Sur le site du Tricastin, ils avaient fait appel à Socatrim, pour les dépôts de nickel sur les tuyauteries. Dès la fin du chantier, le contrat était terminé. Les employés sont formés aux règles de sécurité et sont forcés de suivre la ligne du constructeur. Les logiciels de contrôle et de maintenance sont très bien verrouillés. En ce qui concerne les normes de sûreté, les sous-traitants sont obligés de s’en tenir aux directives du constructeur. Les bâtiments se sont massivement numérises, et il devient très difficile de passer outre. La catastrophe de Tchernobyl tient en partie au fait que tout était géré de manière électro-mécanique, beaucoup plus facile à contourner. Quels sont réellement les enjeux du débat nucléaire actuel, selon vous ?

On assiste fréquemment à un véritable cirque autour des risques possibles. Quand 70 kilos d’uranium ont circulé sur le Rhône en juillet, les collectifs comme Sortir du Nucléaire sont montés au créneau. Pourtant, il faut savoir que cette quantité est faible au regard du chiffre global. Au total, plus de 300 tonnes sont transportées chaque année. En plus de ça, la pollution à l’uranium, qui est un métal assez courant dans le sol - même à Paris-, est nettement moins nocive que les énergies carbones. Aux Etats-Unis, le charbon présent dans l’atmosphère pollue plus que l’ensemble des centrales nucléaires américaines. Ils commencent d’ailleurs à s’intéresser de près à la technologie proposée par Areva… 57


SOCIETE

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Ma petit e puce

Wifi, bluetooth, téléphones high-tech, autant d'innovations venues faciliter nos existences. Et que dire de la radio-identification ? Encore méconnue, la technologie RFID préfigure pourtant la société de demain. Empreinte de progrès et potentiellement incontrôlable.

Par Lise Hourdel, Thomas Lemoullec et Romain Perrot-$asturel

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Pratique et ludique, le Nabaztag est un lecteur de puces RFID grand public. Un véritable outil d'évangélisation à cette technologie / © DR

e matin, un lapin... m'a donné la météo. Il s'agit en fait d'un cyber-lapin connecté à votre ordinateur grâce au wifi. L'animal est un lecteur high-tech qui utilise la technologie RFID, en termes moins barbares l’identification par radio-fréquence. Au passage d'une puce, il déclenche une application informatique. Le lapin devient alors conteur d'histoires, pour la plus grande joie des enfants et la tranquillité des parents. Premier lecteur RFID grand public, le Nabaztag peut vous donner le cours du CAC40, l’indice de qualité de l'air, et même raconter des blagues. Développé par la société française Violet, le Nabaztag est apparu fin 2005 dans sa première version et a évolué, jusqu'à être diffusé à près de 2 millions d'exemplaires à travers le monde en 2008.

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Depuis septembre dernier, les dirigeants de Violet ont commercialisé un nouveau lecteur de puce, le Mir:ror. Ce dernier détecte tout objet muni d'une puce RFID et lance une application multimédia. Pour l’entreprise, il s'agit avant tout de « développer des technologies et des produits qui permettent de rendre intelligents et communicants des objets aujourd'hui inertes. »

Si cette technologie vise à rendre le quotidien plus confortable, elle s’éloigne également de son usage initial. A l'origine, les puces RFID étaient davantage vouées à des applications logistiques. Développée par les acteurs de la grande distribution, la société spécialisée GS1 France utilise la RFID pour remplacer le code-barres. En effet, la grande capacité de

stockage de données de ces « tags » (étiquettes) permet d'identifier chaque produit, là où le code-barres ne renseigne que sur une famille de produits. Présentées sous la forme d'étiquettes n'excédant pas quelques millimètres, les puces sont ainsi apposées sur l'élément qu'elles renseignent.

Cette nouvelle technique diminue considérablement les coûts de production, mais aussi ceux d’utilisation. Le principe est simple : dépourvue de source propre d'énergie, la puce est excitée au passage d'un lecteur. Elle transmet alors les informations par ondes radio. La technologie RFID permet donc la lecture de données sans contact et à distance. Une fois munie de ce marqueur, une simple boîte de petits pois sort de l'anonymat et se retrouve affublée d'une véritable identité : elle possède son code d'identification propre, sa date de naissance, son histoire, sa destination. En bref, sa traçabilité au sein du parcours de distribution.

FACILITER LA VIE… DES INDUSTRIELS

Depuis 1999, cette innovation prometteuse s’est largement répandue chez les principales enseignes de la grande distribution. En matière d'étiquetage de produits, on estime entre sixet sept milliards le nombre de tags en circulation en 2008. Un marché juteux qui repré sentait 2,77 milliards de dollars en 2006, et qui s'élève


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SOCIETE

aujourd'hui à plus de cinq milliards de dollars. Pourtant, selon Michel Alberganti, journaliste scientifique au Monde et à France Culture, « nous n'en sommes qu'à la préhistoire ». En effet, les experts tablent sur un marché de 25 milliards de dollars d’ici 2018, qui équivaudraient à près de 650 milliards de puces en circulation sur notre belle planète.

Outil indispensable à la gestion de stocks, les puces sont également un formidable indicateur des modes de consommation d’une population. D’ici 10 ans, on comptera en moyenne 10 tags RFID par habitant. Dans ces conditions, pas étonnant de voir les têtes pensantes du marketing commencer à affiner leurs stratégies de vente, et se prendre à rêver d’un ciblage ultra-personnalisé. A l’heure où le pouvoir est celui de l’information, l’enjeu est de taille. La dizaine de puces de monsieur Dupont ne risquerait-elle pas de le trahir, pour peu que n’importe quelle enseigne puisse avoir accès à ses données ? Ses habitudes de consommation seraient à la merci du moins scrupuleux, qui pourrait le

tracer, exactement de la même façon qu’une boîte de petits pois. C’est ce que Michel Alberganti nomme la politique du « client transparent ». Mais pour que cette technologie soit étendue à l’ensemble des acteurs de la distribution, de la fabrication à la commercialisation, les informations contenues dans les puces doivent être accessibles à tous, c’est-à-dire lisibles par tous les lecteurs RFID. Ce principe de disponibilité des données est aussi appelé

système en « boucle ouverte ». En janvier 2008, des chercheurs américains, associés à des hackers allemands et hollandais, ont démontré l’une des failles de ce type de système. Pour ce faire, ils ont piraté le MIFARE Classic, notamment utilisé dans les transports londoniens, dans des bâtiments gouvernementaux et dans les cartes bleues. Selon les scientifiques, il est possible, grâce à un scanner, de récupérer la clé de chiffrement contenue dans les cartes ou dans les

RFID, les lobbies intéressés

Si les industriels ne jurent désormais plus que par la RFID en matière de gestion des stocks, elle est aussi pour eux la promesse d’un ciblage marketing inespéré. Connaître les moindres habitudes de consommation du citoyen lambda n’est-il pas le fantasme, jusque-là inassouvi, de tout « marketeur » ? Mais encore faut-il que la technologie n’effraie pas ledit citoyen. Le Gixel, groupe d’industriels de la filière électronique, a trouvé la solution : banaliser la RFID. Le principe est simple : il suffit d’introduire l’usage de ce type de technologies auprès des plus jeunes, dès l’école et pourquoi pas dès la naissance, comme dans le service maternité du Centre hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil qui en équipe chaque nouveau-né. D’ici 10 ans, on estime que le marché de la RFID représentera près de 25 milliards de dollars. Autant dire que rien ne doit venir perturber la merveilleuse expansion de ces petits tags aux œufs d’or, pas même les velléités législatives de certains parlementaires. On se rappellera en effet de la dissolution en février 2008 d’une commission chargée de réviser la directive européenne de 1995, relative à la protection des données personnelles. Ironie du sort ou lobbying à pas de velours, la commission en question était aux 4/5 composée d’experts américains, issus d’Intel, Google ou de grands cabinets d’avocats. Certains évoqueront même des cas de chantage à l’implantation ou à la délocalisation auprès des gouvernements européens. Même si en la matière, le Vieux Continent semble plus attentif à la protection des libertés individuelles que son voisin américain. 59


SOCIETE

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lecteurs correspondants. Ainsi, on peut les dupliquer à volonté, pénétrer dans certains locaux, voyager gratuitement, ou encore retirer de l’argent. En France, le sujet ne passionne pas les foules. Rares sont les sénateurs et députés à s’être

penchés sur la question. Depuis peu, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est emparée du dossier, et veille à ce que ce genre de dérives reste dans le domaine de la science-fiction. Elle pointe notamment du doigt

Le passe Navigo, ce fabuleux outil de traçage

Mis en place en 2001, le passe Navigo fait aujourd’hui partie du quotidien des usagers des transports franciliens. Il a progressivement remplacé l’historique Carte Orange pour finir par s’y substituer entièrement. Doté de la technologie RFID, ce badge permettrait de faciliter la vie des usagers de la STIF (Société des Transports en Île de France). Problème, sa puce détient bon nombre d’informations concernant les voyageurs, issues de leur dossier d’inscription. « Ces dossiers ont vocation à être loués à des publicitaires véreux », dénonce Jean-Marc Manach, journaliste et cofondateur des Big Brother Awards.

Si les services marketing peuvent désormais cibler leurs clients potentiels jusque dans les sous-sols de la capitale, le passe permet surtout de retracer tous vos déplacements des dernières 48 heures. Un élément que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) considère comme contraire aux principes de la démocratie. Celle-ci estime que les voyageurs ont le droit de voyager dans l’anonymat, et a réussi à imposer à la STIF la mise en place d’une carte de transport adaptée : Le passe découverte. Celui-ci coûte 5 € de plus et n’est pas si anonyme que ca, puisqu’il contient votre nom, votre photo, et permet de remonter sans difficultés jusqu’à votre numéro de carte bleue.

Demandé par la CNIL, le passe Navigo Découverte est censé garanir l'anoymat des usagers des transports en commun, et ce pour la modique somme de 5 euros / © DR

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l’apparence inoffensive des données contenues dans les puces. A l’heure actuelle, seule la loi de 2004 sur la protection des données pourrait s’appliquer, un texte qui semble inapproprié. Pour l’heure, rien n’oblige donc les industriels à aviser les clients de la présence de cette technologie dans les produits qu’ils achètent. « Le cadre législatif est insuffisant, au regard des dérives rendues possibles par cette technologie », estime JeanClaude Vitran, président de la commission « liberté et informatique » de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). De son côté, Stéphane Cren, responsable technique pour EPC Global France, filiale de GS1 France, les réseaux de puces RFID font figure de formidable terrain de jeu pour les hackers, même s’il s’efforce de dédramatiser : « Il s'agit avant tout de systèmes dédiés à la grande distribution, portant sur les produits et non sur les personnes. »

UNE VISION ORWELLIENNE

Au-delà de la grande distribution, l’usage des puces RFID semble donc voué à se généraliser. Après la traçabilité des biens, c’est celle des individus qui se dessine. Grâce aux fonctions de géo-localisation de puces, on pourrait suivre les déplacements d’un individu, des balises RFID des pass Navigo de la RATP aux pass « Liberté » des péages autoroutiers, en passant par les badges d’identification des salariés.

Pour de nombreux défenseurs des libertés individuelles, les puces sont une menace pour nos droits fondamentaux. Jean-Marc Manach, journaliste et cofondateur des Big Brother Awards (BBA), tente d’alerter l’opinion publique des possibles dérives de fichage massif des


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SOCIETE

Les étiquettes munies de puces RFID n'excédant pas quelques millimètres sont devenues depuis quelques années la solution providentielle aux questions logistiques de tout industriel / © DR

populations. Depuis le mois d’octobre 1998, les BBA « récompensent » les sociétés, institutions ou personnes s’étant particulièrement illustrées dans « l’érosion de la vie privée ». Il existe cinq catégories, dont celle du prix spécial du jury - « pour l’ensemble de son œuvre » -, catégorie dans laquelle la Société des Transports en Ile de France (STIF) et la RATP se sont récemment illustrées pour le pass Navigo. Des critiques qui n’empêchent pas la technologie RFID d’essaimer. Ainsi, le Centre Hospitalier Intercommunal du Raincy-Montfermeil s’en est ainsi doté pour « lutter contre les enlèvements

de nouveaux-nés », explique Jean-Paul Bourdon, directeur des services économiques de l’hôpital.

Cartes de crédit, puces intradermes sur les animaux (déjà obligatoires aux Pays-Bas et en Belgique) bientôt appliquées aux hommes (notamment aux salariés d’une société américaine de vidéosurveillance), passeports, etc., autant d’utilisations qui, pour Michel Alberganti, « apportent de l’eau au moulin de politiques sécuritaires devenues omniprésentes. » Depuis six ans, le ministère de la justice anglais réfléchit à

l’implantation sous-cutanée d’une puce chez les pédophiles et autres délinquants sexuels, volontaires pour subir une opération. Une décision qui semble encore poser des questions techniques et éthiques. Les objets étant détenteurs d’informations personnelles telles que l’identité, l’adresse et le casier judiciaire, le risque de piratage préoccupe les instances officielles et les associations. Sans compter les effets qu’une puce implantée dans l’organisme pourrait avoir sur la santé. Tel un Léviathan à radiofréquence, la RFID non contrôlée pourrait alors devenir une arme d’information massive.

Des puces, elles et moi !

Le documentaire « Des puces, elles et moi », réalisé par Lise Hourdel, Thomas Lemoullec et Romain Perrot-Nasturel, sera diffusé en avantpremière le jeudi 26 mars 2009 au 12 rue Alexandre Parodi, salle 11. 61


SOCIETE

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Subut ex, l’anti-héro

Trois députés UMP ont décidé de lancer une cabale contre le principal substitut à l’héroïne, le Subutex. Alors que les circuits de distribution se complexifient et que la qualité de la drogue baisse de manière exponentielle, les voix s’élèvent contre cette proposition.

Par Olivier Tesquet

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s’ils sont délivrés par le même pharmacien. Une décision qui vise à limiter lesdits trafics, alimentés par des ordonnances multiples.

la fin du mois de janvier dernier, 44 personnes étaient victimes d’une surdose d’héroïne dans le nord de l’Ile-de-France. Frelatée, la drogue avait été coupée à l’alprazolam, une molécule du Xanax. Comme un écho, mais sans que les deux évènements soient liés, trois députés UMP publiaient le 4 février un rapport qui préconise le classement du Subutex comme produit stupéfiant. Après qu’une première tentative de reclassement ait été retoquée par Xavier Bertrand (alors ministre de la Santé) en 2006, les élus persistent dans une voie dissidente. Depuis la mise en place de la loi Barzach en 1987, qui autorise la vente libre de seringues en pharmacie, c’est en

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effet la politique de réduction des risques qui prédomine. Pour défendre une ligne que certaines associations et professionnels jugent séditieuse, Jean-Paul Garraud, député de Gironde et co-auteur du rapport, affirme que le Subutex serait « détourné de son utilisation dans 30% des cas », ajoutant qu’une telle mesure permettrait « de limiter les trafics ».

UNE MESURE RÉTROGRADE ?

Pourtant, la Sécu avait déjà pris des mesures en avril 2008, en durcissant les conditions de remboursement du Subutex et de la méthadone. Désormais, les toxicomanes ne peuvent se faire rembourser leurs substituts que

Sans surprise, les associations de réduction des risques sont rapidement montées au créneau, publiant un communiqué dans lequel elles pointent du doigt des députés « arcboutés sur une position répressive ». Pierre Chappard, président de l’Auto Support des Usagers de Drogues (ASUD), dénonce ainsi une « contradiction politique » et « un texte réactionnaire ». Pour le responsable associatif, le classement du Subutex au rang des produits stupéfiants serait une mesure rétrograde : « C’est un médicament très libéral. S’il est reclassé, les pharmacies vont devoir chambouler leur logistique. A terme, au lieu de réduire les trafics clandestins, cette mesure les développerait. » De son côté, Jean Lamarche, président de Croix verte et ruban rouge, une association de pharmaciens pour la prévention des toxicomanies et du Sida, évoque les dangers de ce projet sur la gestion des soins : « L'histoire a montré que si un médicament prend le statut de stupéfiant, comme c'est arrivé pour la morphine et les amphétamines, les prescriptions et la consommation baissent. Cette mesure réduit le trafic, mais c’est une catastrophe pour les soins. » Dans un rapport publié en janvier dernier, l’Académie


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SOCIETE

Le Subutex en chiffres

© DR

Le Subutex, ou buprénorphine haut dosage (BHD), représente actuellement 85% du marché total des médicaments de substitution, se classant au 11e rang des produits les plus remboursés par la Sécurité Sociale. Au total, elle concernerait environ 100 000 toxicomanes en France.

nationale de Pharmacie prenait les devants en insistant sur le fait que « la substitution a clairement permis le retour à la vie professionnelle. On retrouve moins de toxicomanes dans la rue. » Et d’ajouter en conclusion qu’« à l’exception des représentants de la Police #ationale, tous les intervenants sont opposés à un changement de statut de la BHD. » Partisans d’une ouverture de la palette thérapeutique, les membres de l’Académie préconisent la systématisation d’un protocole de soins, comme c’est déjà le cas pour la méthadone. Ils réclament également la mise en place d’un pharmacien référent, qui prendrait en charge environ 20 patients substitués au Subutex.

UNE TOXICOMANIE PLUS COMPLEXE

Si cette proposition suscite autant d’émoi, c’est aussi parce que les acteurs de terrain voient l’héroïne opérer un retour en force. En effet, toujours selon l’Académie

nationale de Pharmacie, le retour d’un usage significatif se confirme depuis 2006. « Au début des années 90, 85% des patients qui venaient demander une aide dans notre centre souffraient d’une addiction à l’héroïne, détaille le docteur Alain Morel, directeur médical de « Trait d’Union », un centre de lutte contre les addictions basé à Bobigny. A la fin des années 90, ils n’étaient plus que 25%, mais depuis quelques années, leur proportion est repartie à la hausse pour atteindre près de 50% des consultations. »

Surtout, ce fléau des années 80 touche aujourd’hui des strates plus variées de la population. L’image du toxicomane désocialisé s’est clairement complexifiée, notamment en raison d’un phénomène de gentrification de la consommation d’héroïne, qui gagne les beaux quartiers. Les dernières études de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) vont même jusqu’à relever des cas inquiétants de primo-consommation de Subutex. Par ailleurs, les associations de terrain s’alarment d’une augmentation des cas de polytoxicomanie. « #ous essayons de mettre en place des campagnes de prévention à destination des toxicomanes, pour les prévenir des risques de mélange, notamment avec l’al-

cool et les médicaments », explique Anne*, bénévole à la « boutique » Beaurepaire, une structure qui leur propose un accueil de jour.

BAISSE DE QUALITÉ

Pour de nombreux spécialistes, ces mutations à l’échelon le plus bas de la chaîne de consommation s’accompagnent d’une baisse significative de la qualité de la drogue. Depuis quelques années, le deal d’héroïne s’est banalisé, gagnant du terrain dans les cités de banlieue parisienne, comme au ClosSaint-Lazare de Stains (SeineSaint-Denis). Et cette démocratisation, motivée par l’appât du gain, de mettre en danger les consommateurs. La série d’overdoses du mois de janvier l’a montré, certains dealers apprentis sorciers n’hésitent pas à couper la drogue avec des anxiolytiques (voire des médicaments de substitution !), là où ils utilisaient auparavant du lactose, comparativement moins dangereux. Comme l’expliquait récemment Michel Koutouzis, consultant auprès de l’ONU en matière de trafic de drogues, sur le site Rue89, « il s’est créé un maillage nouveau, bien plus complexe que par le passé, multipliant les interfaces, les lieux de stockage, les intermédiaires et les distributeurs ». Face à cette nouvelle topographie de l’héroïne, les acteurs sanitaires sont unanimes : chasser le Subutex des officines n’empêchera pas les junkies de continuer à chasser le dragon. * Le prénom a été changé

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SOCIETE

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Bienvenue à Zeropolis

Le Bourget, en Seine-Saint-Denis. Trois jours durant, Eropolis, le salon dit « de l'érotisme », prend ses quartiers en banlieue pour la sixième année consécutive. Tout est orchestré dans un seul but : en mettre plein les mirettes au visiteur, et lui coller une libido de bagnard en le délestant de sa bourse. Une micro-société du spectacle où règnent en maîtres le trivial et le lubrique.

Par Anthony Mansuy

© DR

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n ne s'attend pas à une ambiance Variations sur Marilou ou à Bettie Page, mais quand même. Déjà, quelques conseils d'ordre pratique, pour aborder correctement l'Eropolis. Hypothéquer son appartement, l'entrée est fixée à trente euros. Ensuite, ne serrer la main à personne, vraiment. Si l’argent n’a pas d’odeur, le fantasme n’a lui aucune limite.

On commencera par le coin soft. Ce salon, c'est d'abord et avant tout le paradis (ou l'enfer, c'est selon) du fluo gélatineux. Sur des dizaines de mètres et de stands, on trouve du vibro, du vibro, et encore du vibro. Le choix est très varié, jusqu’à donner le vertige. On admire le sémillant « Jack the Rabbit », des culottes vibrantes à télé64

commande, le « clitoris turbo » et, juste pour le plaisir, le très prisé « gode Big Boss ». Plus impressionnant encore, le gode Virgin Fantasy, qui est « vibrant, waterproof, et télécommandé », nous explique Franck, l'exposant. Il essaye de refiler son « moule à verge » au moindre passant, pour quatrevingt euros. Le brave homme.

Il y a l'offre, et la demande. L'offre est aux sex-toys, indéniablement, mais la demande, c'est au niveau du show qu'elle se situe. Dès qu'une paire de nichons se pointe, tous les mâles ruent dans les brancards. Téléphones portables et caméras enregistrent tout, certains ont des crampes. L’ambiance ressemble à celle d’un concert, sauf qu'il y a deux tiers de mecs, et que les filles ne sont même pas mignon-

nes. Presque à chaque live, un spectateur est invité sur le podium rouge vif. Il y a les timoré(e)s et ceux qui ne se font vraiment pas prier. Carla en donne pour son argent à un petit gros en survêtement, qui doit toujours l'avoir comme un menhir. Dur métier.

UN TOURNAGE EN DIRECT

On arrive à attraper, en tout bien tout honneur, Carla après sa prestation. Un type s'énerve backstage, mais la demoiselle manie l'art du qu'on s'en suce, c'est évident. Tout bien considéré, elle ne dira pas grand chose d'intéressant, à peine « c'est vraiment le top ici, les gens sont très accueillants et chaleureux ». On croirait sérieusement entendre une actrice


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SOCIETE

molle du cockpit en promo pour un mauvais film. Passons.

Avant de filer vers l'espace hot, on fait un crochet devant la salle de cours de strip-tease, un atelier « pédagogique », comme l’indique une feuille A4 placardée sur l'entrée. Miss Amal, une spécialiste nous dit-on, donne gratuitement des cours d'effeuillage sensuel à des novices. Un écran plat au mur montre cette même Amal parler d'une « vraie thérapie » du strip-tease. Impossible de vérifier, entrée interdite aux hommes.

On passe donc à la salle hard. Ici, c’est Mach 2, la pomme se croque allègrement. Deux fois plus de monde que dans l'autre salle, deux fois plus d’hommes, aussi. Un film X est en tournage, et pour y assister, il faut débourser 15 euros. Non merci. Des lesbiennes se donnent quelques cours de langue dans un coin. Regards lubriques, appareils photos. God saves the gouines, pense tout fort l'assemblée.

TROUVER SON POINT G ? FACILE

A Eropolis, les lunettes de soleil sont recommandées, moins pour se cacher que pour éviter les flashs crépitants des photographes amateurs. Certains se rendent à l'espace rencontres, pour rentabiliser les trente euros. Jocelyn Quesne (ça ne s'invente pas), l'un des co-organisateurs du salon, fait le piquet devant l'entrée. Armé de son badge « organisation », il lance des sourires incitateurs tout en soulevant les sourcils.

Sans se faire prier, il récite un refrain appris par cœur : « On a près de trois quarts de couples, pour environ 40% de femmes ». Un bref regard jeté dans la salle permet d'infirmer au moins une des deux propositions. Jocelyn Quesne s’empresse donc de

A Eropolis, les vidéastes et photographes amateurs s’en donnent à coeur joie / © DR

préciser : « Si vous étiez venu il y a trois ou quatre ans, c'était complètement différent, il n'y avait qu'un seul espace et c'était le royaume du porno, avec 90% d'hommes ». On lui demande quelques conseils pour s'orienter, et il nous recommande l'atelier « trouvez votre point G ». Ils n'ont vraiment peur de rien, on trace notre route. Deux caméras braquées sur son intimité, une charmante demoiselle venue du public se fait ausculter par un docteur, et l'audience, très calme cette fois, écoute religieusement tandis qu'une bonne demi-douzaine de grands écrans retransmettent le spectacle.

Quelques actrices dédicacent à la pelle t-shirts, caleçons, DVD. La queue, ou disons plutôt la file d'attente, ne désemplit pas, les admirateurs s'agglutinent pour une ou deux photos, une embrassade. Autour de nous, une bonne dizaine de stands affichent quelques centaines de DVD pornos. Un peu plus loin, le coin réservé au strip-tease perso. On peut même embarquer dans une limousine avec une demoiselle très gentille

(25 euros) et repartir avec une photo « seins nus dans les bras », moyennant finances (10 de plus). Ici, tout se vend.

Au final, Eropolis n'est ni érotique, ni polisson. Alors on s'interroge, « est-ce que je serais devenu puritain ? ». Le cul, comme toute autre chose, est devenu objet de commerce à part entière. Après tout, pourquoi pas ? Rien d'élégant cela dit, tant l’endroit ressemble à un repaire pour priapiques décomplexés, le degré zéro de l'imagination. De l'éducation sentimentale, pour faire pompeux. C'est le genre d'évènements qui contribue à l'omniprésence de l'obscène et du rococo, du trivial dans le porno, et c'est dommage. Ça suinte le « mi-pute, misoumise », cette mauvaise soupe claironnée par les misos. Loin d’être impertinent, ce salon ne casse pas les bornes mais bien les burnes. Petite précision, cet article n'est pas une commande de La Croix ni du bulletin mensuel des Chiennes de garde. Et son auteur s'en tirera même grâce à Gainsbourg. Le porno ? « Si j''aime ça ? Affirmatif. Quel côté ? No comment. »

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SOCIETE

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Oh my gode (

A tout juste 21 ans, Elke a fait sensation au salon Eropolis du Bourget. Fière de figurer parmi les dix actrices X professionnelles de France, cette blonde filiforme a accepté de nous parler de sa carrière. Rendezvous est pris dans un café de la place de la Nation. La jeune femme arrive en retard, la faute à un rendez-vous chez son psy, « dont elle ne peut plus se passer ».

Propos recueillis par Steffy Beneat

également dû sensibiliser les gens car nous sommes en pleine période de rupture du porno français. Les sites gratuits font énormément de mal à notre profession, car les DVD se font plus rares, la qualité des scénarios se détériore et la crise n'a pas arrangé le budget alloué aux réalisateurs. J'ai la chance de commencer à imposer mon nom dans ce milieu, d'ailleurs le Journal du Hard de Canal+ diffusera prochainement un portrait de moi.

© DR

Après avoir passé ta scolarité entière dans un lycée religieux et avoir obtenu un baccalauréat scientifique, pourquoi avoir choisi le porno ?

Comment se sont passés ces trois jours au salon Eropolis ?

Nous avons eu beaucoup de monde ce week-end-end grâce à la présence de têtes d’affiche du X, de Vécom à Fabien Lafait, en passant par Anksa Kara et Xstarsworld. Comme le salon était ouvert aux plus de 16 ans, les jeunes s’en sont mis plein la vue. Sinon, comme souvent, on retrouve des couples ou des hommes de 45-50 ans venus rencontrer les nanas qu'ils matent sur leur ordinateur. Pour la première fois, nous avons

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Comme 90% des filles, pour l'argent. Après mon bac, je suis descendue à Toulouse afin de commencer un BTS bio-chimie. Mais très vite, il a fallu que je trouve un travail. J'ai lu une annonce pour des photos qui me permettraient de gagner rapidement de l'argent. Pendant quatre mois, j'ai exercé ce métier, époque à laquelle je suis tombée enceinte. Progressivement et sans même m’en rendre compte, j’ai arrêté mes études. Pendant ma grossesse, j’ai stoppé toute activité et je m'y suis remise il y a tout juste un an, d'abord sur le site Xstarsworld - avec lequel je travaille toujours-, et ensuite pour un film avec Marc Dorcel, le numéro un français. Depuis, j'ai obtenu le rôle principal dans

Col Max, et j'ai tourné dans une vingtaine d'autres films, sans oublier les photos et vidéos pour Internet et les stripteases en boîte. Il faut se renouveler car la nouvelle génération d’actrices porno est de plus en plus jeune…

Est-ce que tu t’épanouis dans ton métier ?

Je ne peux pas dire que j’imaginais devenir actrice porno, mais je ne suis pas malheureuse. Parfois, je ne sais pas comment annoncer aux gens que je suis devenue actrice X. Par exemple, je n’ose pas revoir les bonnes sœurs du lycée que je fréquentais par peur de leur réaction. Et puis ce travail peut également être routinier. Au bout d’un moment, vous ne réagissez plus qu’au jargon du réalisateur : « Spoon, Doggy, Face Cam et Dos Cam. » Ma famille accepte très bien mon travail, je gagne bien ma vie (entre 2000 et 3000 euros pour quatre jours de tournage, de 400 à 800 euros pour un après-midi de tournage pour le web). Les actrices pornos ont sans doute plus de chance que les hommes car elles ont un droit de regard sur leurs partenaires. Même si je n’ai jamais mis mon veto, j’ai refusé une fois de tourner à Budapest car, contrairement à la France, le port du préservatif n'y est pas obligatoire, un test HIV suffit. Or, les MST sont toujours légion dans ce milieu.



JUSTICE N

Vers la reconnaissance des » nouvelles » familles

Beau-papa, belle-maman, « maman bis », autant de nouveaux rôles pour tracer les contours des nouvelles familles. L’avant-projet de loi sur l’autorité parentale bouscule la structure familiale classique et suscite une vive polémique.

Par Audrey Achekian

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Le projet de loi sur l’autorité parentale divise jusqu’au sein du gouvernement. Christine Boutin y voit une façon de reconnaître l’homoparentalité. /© DR

tre reconnu juridiquement en tant que beau-parent ou « homo-parent ». C’est ce que prévoit le projet de loi relatif à l’autorité parentale et aux droits des tiers, qui passera fin mars devant le Parlement. Rédigé par la Ministre de la Justice, Rachida Dati, et la secrétaire d’Etat chargée de la famille, Nadine Morano, le texte tient compte des évolutions du concept de famille et propose ainsi à ces foyers une sécurité. Aujourd’hui, deux millions d’enfants vivent dans une famille recomposée et

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trois millions dans une famille monoparentale. L’avant-projet évoque la possibilité d’un partage de l’autorité parentale entre un parent biologique et une personne qui participe à l’éducation de l’enfant.

LE GOUVERNEMENT EN ORDRE DISPERSÉ

Dans cette optique, le droit civil a été aménagé pour reconnaître les liens affectifs qu’un beau-parent peut tisser avec l’enfant. Les

démarches de la vie quotidienne seront ainsi facilitées (sorties d’école, consultations médicales, etc.) et la garde reconnue en cas de décès de l’un des parents biologiques. La polémique ne cesse d’enfler depuis le lancement du projet de loi, à l’été 2007. Y compris au sein du gouvernement. Principal point d’achoppement : la possible application du texte aux parents homosexuels. En première ligne de la contestation, Christine Boutin, Ministre du Logement, réputée pour sa posi-


N JUSTICE tion inflexible vis-à-vis de l’homoparentalité : « Je n'accepterai pas que l'on reconnaisse l'homoparentalité et l'adoption par les couples homosexuels de façon détournée, en le glissant dans une loi sur le statut du beauparent ». Et d’ajouter : « La personnalité et l'identité de l'enfant se construisent dans le rapport au sexe opposé : l'enfant, pour se structurer, a besoin d'un papa et d'une maman. » Piquée au vif, Nadine Morano l’a incitée à « vraiment lire le texte » plutôt que d'avoir « une posture passéiste et idéologique ». Le président de la République luimême a rappelé à l'ordre Christine Boutin pendant le conseil des ministres du 4 mars.

D’autres voix dissidentes se font entendre. François Fondard, président de l’UNAF (Union N a t i o n al e d es Assoc iations Familiales), principale association représentant les familles, redoute une confusion pour l’enfant : « #ous ne sommes pas opposés au fait de donner des

autorisations au tiers pour la vie quotidienne. Ce qui nous gêne, c’est la délégation de l’autorité parentale. L’enfant va se retrouver avec trois ou quatre parents et autant d’avis différents quant à son éducation, son avenir. » L'association estime également que « la loi s'avère inutile en ce qui concerne le partage de l'autorité parentale, déjà rendu possible par la loi Ségolène Royal de 2002 ».

MULTIPLICITÉ DES SCHÉMAS FAMILIAUX

Cette ancienne loi était applicable uniquement après décision d’un tribunal. Le nouveau projet de loi établit désormais que seule la décision d’un juge suffira (comme pour les divorces à l’amiable). La procédure est donc simplifiée. Le projet pourrait également répondre à des attentes particulières, notamment celles des familles recomposées et homoparentales.

Selon l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), 30 000 enfants sont actuellement élevés dans des familles homosexuelles. Pourtant, là encore, les associations se montrent sceptiques : « Il faut savoir de quels enfants on parle. 80% des enfants vivent avec leurs deux parents », rajoute François Fondard. Légiférer sur des cas « particuliers » ne serait-il donc pas recevable ?

Avec l’évolution des modèles familiaux, la loi vise à protéger les relations affectives qui se tissent entre l’enfant et son beaupère ou sa belle-mère. Mais pour être appliqué, l’accord des deux parents biologiques sera rendu obligatoire. Salué par les associations d’homosexuels et de familles recomposées (voir encadré), ce texte risque de rencontrer des obstacles structurels. Réaliste et plutôt moderne, il se révèle pourtant bien difficile à mettre en place compte tenu de la multiplicité des schémas familiaux.

Une famille, des familles

Sabine et Anne ont adopté il y a sept ans une petite fille, Olga. Aux yeux de la loi, Sabine ne représente rien pour Olga. « Cet avant-projet pourrait me permettre d'avoir véritablement un rôle au niveau juridique. Si on réclame des droits, c'est surtout pour l'amour et le bien-être de notre fille », confie Sabine. Au quotidien, la jeune femme n'a pas de problèmes quant à l’autorité qu’elle peut exercer sur Olga. Elle va chercher la petite fille à l'école, l’accompagne chez le médecin, au même titre qu'une baby-sitter ou une amie. Mais, il lui arrive aussi de ne pas être reçue par les directrices ou maitresses d'écoles, qui souhaitent uniquement « parler à la mère ». Avant d'adopter, le couple s'est renseigné auprès d'un notaire. Il leur a été expliqué que si la mère adoptive décédait, Sabine pourrait éventuellement garder Olga après la décision d'un Conseil de famille nommé par un juge des enfants. Au cas où Sabine décéderait, elle serait considérée comme célibataire et sans enfants. Un constat douloureux pour cette femme qui s'investit autant dans la vie de sa fille que sa mère adoptive officielle. Du côté des familles recomposées, les mêmes difficultés se posent. Pour Gérard Révérend, président de l'association familiale « Les papas = Les mamans », « une telle loi aurait pu sécuriser le statut du beau-père. Au quotidien, on peut s'arranger. Mais que se passe-t-il en cas de problème ? C'est important d’avoir un statut juridique », explique-t-il, sans cacher son agacement. « La société traite les enfants élevés par un couple homosexuel comme des parias, soi-disant pour leur bien-être. Il faut s'adapter aux nouvelles familles et arrêter cette posture moralisatrice. » Ainsi cette nouvelle loi pourrait proposer une solution au quotidien mais aussi en cas de décès. Au vu de la loi actuelle, ce père de famille redoute toujours cette hypothèse : « Si je venais à décéder, mes enfants issus de ma première union et ceux de la seconde ne pourraient plus se voir. Si ma femme avait un statut vis-à-vis d'eux, elle pourrait entretenir le lien. » 69


PORTFOLIO

Paris

Les monuments de la capitale sous un autre oeil

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L’Hôtel de Ville vu dans les lunettes d’un touriste de passage. Il héberge les institutions municipales depuis 1357.


PORTFOLIO

s iraP

Petite visite originale des lieux historiques de Paname Ă travers ces objets du quotidien

Par Quentin Weinsanto

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PORTFOLIO

Centre George Pompidou (4ème arr.)

Beaubourg, et son architecture sortant de l’ordinaire. Animées à l’extérieur, les gaines techniques se détachent en différentes couleurs : bleu pour la climatisation, vert pour les fluides, jaune pour les gaines électriques. A la fois musée, bibliothèque, cinéma et salle de spectacles, le centre George Pompidou est entièrement voué à la création culturelle moderne. Il est ouvert au public depuis 1977. 72


PORTFOLIO

L’obélisque égyptien de Louxor, vieux de 3 300 ans, situé place de la Concorde. Il fut offert par l’Egypte en 1831, en reconnaissance du rôle du Français Champollion, premier à avoir traduit les hiéroglyphes et fut installé définitivement le 25 octobre 1836. La place fut un véritable problème sous la Restauration monarchique puisque symbole de la Révolution. C’est notamment sur cette place que fut guillotiné Louis XVI.

Obélisque de Louxor, place de la Concorde (8ème arr.)

Tour Eiffel (8ème arr.)

Véritable emblème de la France, la Tour Eiffel est belle sous tous les angles, même reflétée dans un miroir. Construite par Gustave Eiffel pour l’exposition universelle de 1889, à l’origine elle devait être démontée juste après. Mais Gustave Eiffel convainc l’armée d’utilisée la Tour pour ses communications radios. La Tour Eiffel est ainsi sauvée. Elle est aujourd’hui le premier monument payant visité au monde, avec près de 7 millions de visiteurs par an.

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PORTFOLIO Une cuiller d’argent pour l’Assemblée Nationale… L’ensemble des bâtiments couvre aujourd’hui une surface de 124 000 m² pour près de 9 500 pièces. Outre le Palais Bourbon, elle comprend trois autres immeubles réservés aux bureaux des députés et de leurs collaborateurs. L’Assemblée Nationale est le cœur du pouvoir législatif français depuis 1795, quelle que soit la forme du régime. Aujourd’hui, la Chambre haute compte 577 députés.

Assemblée Nationale (7ème arr.) Au détour d’un rond-point, le rétroviseur d’un scooter mal garé réfléchit l’image de l’un des monuments les plus connus de Paris : la Pyramide du Louvre. Elle fut commandée en 1983 par le président de la République François Mitterrand et inaugurée pour le bicentenaire de la Révolution le 30 mars 1989. Objet de controverse, l’œuvre de l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei est accusée de défigurer l’unité visuelle du musée.

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La pyramide du musée du Louvre (1er arr.)


Les Invalides (7ème arr.)

PORTFOLIO La cathédrale Saint-Louis, visible depuis l’esplanade, est l’un des monuments les plus imposants des Invalides. Conçue pour accueillir les pensionnaires de l’hôpital, elle est le siège de l’évêque catholique aux armées. Commandé en 1670 par Louis XIV et livré en 1706, les Invalides sont toujours un hôpital mais accueillent aujourd’hui plusieurs musées et une nécropole funéraire. Les restes de Napoléon 1er et de sa famille y sont déposés.

Située au sommet de la butte Montmartre, la basilique du Sacré-Coeur a été construit entre 1875 et 1914. Une de ses particularités vient de son financement, assuré à hauteur de 46 millions de francs par les dons de près de dix millions de fidèles. La basilique du Voeu national est désormais le deuxième monument le plus visité de France après la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Le Sacré Coeur (18ème arr.)

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SANTÉ

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La virilité en d anger

Depuis 50 ans, la production de spermatozoïdes chez les hommes diminue en quantité et en qualité. Dans certains pays, elle a déjà chuté de 50% en l’espace de deux générations.

Par Quentin Weinsanto

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C’est un sujet qui reste très tabou, car il remet en cause la capacité des hommes à se reproduire. » Pourtant, le Danemark a pris le problème à brasle-corps, en lançant un programme d’observation sur 400 conscrits par an. Là encore, les conclusions sont inquiétantes : un Danois sur cinq possède une qualité spermatique insuffisante, au point de produire des spermatozoïdes à deux têtes, ce qui remet inévitablement en cause la fertilité.

LES PERTURBATEURS SONT PARTOUT

En vingt ans, à cause de la pollution, les Parisiens ont perdu 40% de leurs spermatozoïdes

La stérilité guette les hommes, c’est le cri d’alarme que poussent un nombre croissant de chercheurs. Depuis quelques années, le nombre de cancers des testicules ne cesse de croître dans les pays occidentaux, allant d’une hausse de 40% en France à 400% au Danemark. D'un autre côté, ce sont les malformations congénitales qui aug-mentent dramatiquement, avec des cas endémiques de non-descente des testicules ou le développement de micropénis. Un rapport, publié par Emilie Clair et le Professeur Séralini le 28 février dernier, confirme cette tendance. Selon cette synthèse, 94 des 115 études indépendantes menées en Europe laissent supposer que les perturbateurs endocriniens sont un risque sérieux pour la santé humaine. 76

/ © DR

Mais pourquoi un tel dérèglement de l'appareil reproducteur masculin dans les pays développés ? Que ce soit en France, au Danemark ou aux Etats-Unis, les scientifiques s'inquiètent : ce phénomène serait potentiellement aussi dangereux que le réchauffement climatique. A Paris, une étude menée en 1997 par le professeur Pierre Jouannet, sur plus de 1300 hommes, a voulu se pencher sur ces symptômes préoccupants. Et ses conclusions ont largement dépassé les estimations les plus pessimistes : en vingt ans, les Parisiens ont perdu 40% de leurs spermatozoïdes, soit 2% par an. Pourtant, malgré ces résultats, le ministère n’a pas voulu financer des recherches plus poussées. « Ils m’ont répondu que mon travail n’était pas de compter les spermatozoïdes, regrette Pierre Jouannet.

Selon le professeur Haber, en charge d'une équipe de recherche en France, les coupables sont déjà identifiés : « Les substances chimiques sont présentes partout dans notre environnement, ce sont elles qui détraquent notre système endocrinien. » Ce dernier, chargé de la sécrétion des hormones, subirait des attaques régulières de perturbateurs, ce qui aurait pour résultat la « féminisation » des espèces sauvages (poissons, batraciens) mais aussi des humains. Les phtalates et le bisphénol A (voir encadré) sont au premier rang des responsables, mais impossible d'y échapper : omniprésents dans notre quotidien, on les retrouve dans les parfums, cosmétiques, meubles, vêtements, etc. Difficile alors d'appliquer le « principe de précaution » pour des molécules qui concernent un nombre si important de produits de consommation.


. Mais pour les industriels et les détracteurs de ces théories, ces perturbateurs sont présents dans des proportions trop faibles pour pouvoir avoir un effet toxique, et sont donc supposés inoffensifs. « Il est difficile d’appliquer cette méthode aux perturbateurs endocriniens. Si l’exposition est quotidienne, et donc permanente, comment mesurer les effets que cela aura à long terme ? », souligne le professeur Haber.

UN BOULEVERSEMENT DE L’ÉCOSYSTÈME

Chez les animaux, les résultats sont tout aussi équivoques. Certains pesticides, agissant comme des hormones, sont présents sous forme de résidus dans la nature. Tyron Hize, spécialiste des amphibiens, a été chargé par le groupe pharma-chimique Syngenta d’évaluer l’impact sur l’environnement de leur herbicide le plus vendu au monde : l’Atrazine.

Bisphénol A

Après avoir exposé plusieurs têtards à des doses identiques à celles retrouvées dans l’environnement, les mâles sont devenus hermaphrodites, et leurs testicules contenaient des œufs. Ici aussi, l’étude a été vivement con-testée, les doses émises étant considérées comme trop faibles pour être dangereuses. Dans la foulée, le groupe Syngenta a cessé de financer les études de Tyron Hyze. Pourtant, des observa-

SANTÉ

tions similaires ont pu être menées sur les phoques, les oiseaux ou encore les alligators, ce qui laisse à penser que tout l’écosystème est concerné.

Pourtant, en 2006, une première avancée avait été faite avec la mise en place de la directive Reach, obligeant les industriels à prouver l’innocuité de leurs produits. Une directive qui, à l’heure actuelle, n’est toujours pas appliquée.

Les amphibiens ont des problèmes de reproduction. Un phénomène qui s’étend à tout l’environnement / © DR

Les produits à risques

Utilisé dans la fabrication du plastique dur transparent (le polycarbonate), le bisphénol A se retrouve notamment dans des produits de consommation de tous les jours : bouteilles d’eau, biberons ou encore dans les résines époxy, élément utilisé dans les boîtes de conserve pour aliments et boissons. Sa toxicité potentielle fait actuellement l’objet de vifs débats au sein de la communauté scientifique d’Europe et d’Amérique du Nord. Certains pays ont décidé de réagir pour en limiter l’utilisation. Le Canada a classé ce composé chimique, qui peut atteindre l’appareil génital masculin, comme « substance dangereuse ».

Phtalates

Additifs utilisés couramment dans les matières plastiques, les phtalates servent avant tout à rendre les objets souples et flexibles. Produits à raisons de trois millions de tonnes par an, ils sont présents dans de nombreux produits de consommation, dans les jouets pour enfants, les produits automobiles, les câbles, les fils, mais aussi les cosmétiques. Ils servent alors d’agents fixateurs afin de mieux pénétrer à l'intérieur de la peau, avant de finir en grande quantité dans le sang. Bien qu'ils disparaissent en 24 heures, l'utilisation quotidienne d'une crème contenant des phtalates provoque alors une exposition permanente, dont la dangerosité était, il y a peu, difficile à mesurer. En France, une étude réalisée par le professeur Habert a démontré que ces derniers mettent en péril le système reproducteur masculin.

Distilbène

Prescrit principalement entre les années 1950 à 1980, le distilbène est une hormone de synthèse féminine (oestrogène chimique), censée prévenir les fausses couches. Après avoir été donné à plus de six millions de femmes enceintes, les bébés exposés ont rapidement développé des malformations génitales, voire des cancers. C'est la première fois que des scientifiques ont pu constater l'effet néfaste d'une molécule chimique à long terme. Bien que ce soient les mères qui aient absorbé le distilbène, ce sont leurs enfants qui en ont été les victimes.

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SCIENCES e

Quand le ciel nous tomb era sur la têt e

Fin février, un astéroïde de 50 mètres de diamètre a frôlé la Terre. Mais que se passerait-il si un autre, beaucoup plus gros, frappait notre planète. Petit cours de science (fiction) pour mieux comprendre ceux qu’on nomme géocroiseurs.

Par Jérôme Corbin

Entre les deux se trouvent les astéroïdes du groupe Amor, de taille intermédiaire. Défiant les spécialistes, DeathOne, de par son diamètre et son orbite, ferait partie du groupe Apollo.

© DR

PLUS DE 100KM DE DIAMÈTRE

Premier décembre 2012. Dans vingt jours c’est la fin du monde. La nouvelle est tombée et fait la une des journaux du monde entier. Un astéroïde jusque-là inconnu nous fonce littéralement dessus et devrait entrer en collision avec la Terre dans un peu plus de deux semaines. Avec un diamètre de 22 kilomètres, les conséquences de cette collision seront cataclysmiques. DeathOne (DO) - c’est le nom que les astronomes qui l’ont découvert lui ont donné - est un géocroiseur. Il s’agit d’objets spatiaux de types astéroïde ou

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comète dont l’orbite croise celle de la Terre. Il en existe différentes sortes. Tous sont classés dans trois catégories qui portent les noms de leurs représentants.

AMOR, ATEN ET APOLLO

Les plus éloignés de l’orbite de notre planète, les plus massifs également, sont les Apollo. Lointains, ils ne croisent la Terre qu’en de rares occasions. Le groupe Aten est le plus proche de nous. Souvent très petits, ils ne représentent généralement pas une menace.

D’où vient DeathOne ? La réponse est claire : de la ceinture principale d’astéroïdes. Située entre Mars et Jupiter à 2,3 unités astronomiques (UA, 1 UA est la distance entre le Soleil et la Terre), elle est constituée de plusieurs centaines de milliers d’objets, allant de l’amas de poussières jusqu’aux protoplanètes de plus de 100 kilomètres. Il s’agirait d’une planète dont la gravité de Jupiter aurait empêché la création. Car tout tourne autour d’elle. La géante gazeuse est la plus grosse planète du système solaire. Imaginez qu’elle est 2,5 fois plus grosse que toutes les autres planètes du système solaire réunies. « Son influence sur la ceinture est à son image, massive. Lorsqu’elle passe à proximité, sa force de gravité perturbe les astéroïdes qui modifient leurs trajectoires », explique le professeur JeanClaude Merlin, astrophysicien spécialiste des astéroïdes. C’est vraisemblablement ce qui est arrivé à DeathOne.


e SCIENCES

UN CRATÈRE DE 440 KM

Deux possibilités. Comme Ida, qui croise dans la ceinture d’astéroïdes, il pourrait être constitué de roche. En somme, il s’agirait d’un gros caillou. Ainsi, lors de l’entrée dans l’atmosphère, DeathOne perdrait une grande partie de sa masse, ce qui limiterait considérablement les dégâts occasionnés. L’autre possibilité est moins heureuse. A l’image de Gaspra, lui aussi membre de la ceinture, il pourrait être composé de roche métallique. On le soupçonne même de contenir du métal liquide. Dans ce cas-là, la pénétration dans l’air sera plus facile pour DO, sa résistance plus aisée, et l’impact plus important.

A l’heure actuelle, DeathOne est à plusieurs millions de kilomètres, quelque part entre Mars et la Terre. Plus précisément, à environ trois millions de kilomètres de la planète bleue. Mais d’ores et déjà, les scientifiques ont une idée des événements à venir. D’un diamètre de 22 kilomètres, DO devrait s’écraser au large des côtes européennes de l’Atlantique Nord. L’impact provoquerait un tsunami gigantesque, qui n’épargnera aucun rivage de la planète. Les plus touchés seront ceux de l’Europe et des EtatsUnis, le raz-de-marée pénétrant de plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. Les plans d’évacuation de la population mis en place ne devraient pas servir à grand-chose. On comptera plusieurs centaines de millions de morts. Mais un autre scénario est possible. Un impact sur un continent, probablement l’Amérique du Nord, qui creusera un cratère de 440 kilomètres de diamètre. Le choc de l’impact dévastera une grande partie du territoire des Etats-Unis. Reste alors une question en suspens. DeathOne détruira-t-il

toute vie sur Terre ? La plupart des spécialistes pensent que oui. « Il y a 65 millions d’années, un astéroïde deux fois plus petit est très probablement responsable de la disparition des dinosaures, explique JeanPierre Luminet, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS. Et sur les cinq extinctions massives qu’a connues la planète, plusieurs autres sont imputables à ces exterminateurs. » Pour Jean-Claude Merlin, « les choses ne sont pas aussi simples que cela. Les dinosaures ont disparu plus de 500 000 ans après l’impact. »

ARMAGEDDON

Quoi qu’il en soit, une mission est d’ores et déjà programmée pour sauver l’humanité. Un engin nucléaire sera envoyé dans l’espace à la rencontre de l’objet. Le but est de faire exploser la charge suffisamment près de DeathOne pour le faire dévier de sa trajectoire et le faire passer à plusieurs centaines de milliers de kilomètres de la Terre. En cas d’échec, le 21 décembre 2012 sera le jour de l’Armageddon.

Astéroïde, où es-tu ?

Les astéroïdes sont les objets les plus communs du système solaire. Les géocroiseurs (ici Eros, Amor, Apollo et Adonis) évoluent non loin de la Terre, dans un périmètre d’une unité astronomique (UA, 1 UA équivaut à la distance Terre-Soleil). La plupart de leurs congénères habitent la ceinture principale, entre Mars et Jupiter, à 2,3 UA. Sur la même orbite que Jupiter croisent les Troyens : Achille et Patroclus, deux groupes d’astéroïdes. Au-delà de Neptune, de 30 UA à 50 UA (non représentées sur la carte), la ceinture de Kuiper ne menace pas vraiment la Terre, la plupart des objets qui en sont expulsés étant piégés par Jupiter. Enfin, au fin fond du système solaire, à plus de 50 000 UA, commence le nuage d’Oort. Composé de plusieurs dizaines de millions de comètes distantes de millions de kilomètres les unes des autres. Il englobe intégralement notre système, mais peu des objets qui le composent parviennent jusqu’à nous.

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Qui est DeathOne ? DO est donc un astéroïde de type géocroiseur, ancien habitant de la ceinture d’astéroïdes, récemment et radicalement expulsé par le maître des lieux, Jupiter. Il est difficile de déterminer avec précision la composition de DeathOne. Pourtant, en fonction de celle-ci, les conséquences de l’impact ne seront pas les mêmes.

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SCIENCES e

Cratères stars

Durant son histoire, la Terre a régulièrement reçu la visite de géocroiseurs de toutes tailles. Du plus petit au plus gros, en permanence, notre planète est percutée par ces anges de feu. Si la plupart d’entre eux sont détruits dès leur entrée dans l’atmosphère, certains arrivent à franchir ce bouclier naturel. Ils ont laissé des traces encore visibles de nos jours. Etats des lieux des cratères les plus célèbres.

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Meteor Crater (Arizona, USA)

Ci-contre, le Meteor Crater découvert en Arizona, USA. Le cratère mesure 1,2 kilomètres de diamètre pour une profondeur de 180 mètres. Il s’est formé il y a 50 000 ans environ et a été découvert au début du XXème siècle. L’impact créé par le choc est évalué à 2,5 mégatonnes, soit 150 fois la bombe nucléaire qui a frappé Hiroshima en 1945. Toute forme de vie a disparu sur une superficie de quatre kilomètres carrés, soit l’équivalent du centre de Paris. Dans les années 1960, il servait de lieu d’entraînement pour la NASA, et plus précisément pour les astronautes du projet Apollo.

Le cratère de Bosumtwi au Ghana s’est formé il y a environ 1,07 millions d’années au cours du Pléistocène. Il est large de 10,5 kilomètres. L’astéroïde devait mesurer dans les 350 mètres et la force de l’impact a dû se faire ressentir dans un périmètre vaste comme l’Ile-de-France. Aujourd’hui, le cratère est un lac. Les habitants de la région le considèrent comme le lieu où les âmes des morts viennent se reposer.

© C. Koerbel

Cratère de Bosumtwi (Ghana)

© NASA

Cratère de Mistastin (Canada)

Le cratère de Mistastin au Canada mesure environ 30 kilomètres, ce qui laisse à supposer que l’astéroïde à son origine mesurait autour de 1,7 kilomètres de diamètre. Daté entre 4 et 36 millions d’années, l’impact a dû être catastrophique pour l’environnement sur une surface équivalente à celle de la France. Depuis, le cratère est devenu un lac, dont l’île qui trône au centre est due à son soulèvement.

Il s’agit du plus grand cratère du monde. Vredefort, en Afrique du Sud, mesure plus de 400 kilomètres de diamètre et s’est formé il y a plus de deux milliards d’années. A cause de l’érosion, seule la moitié est encore visible. A l’origine, un astéroïde, géant parmi les géants de plus de 50 kilomètres de diamètre. Aujourd’hui, ces semblables croisent pour la plupart dans la ceinture principale d’astéroïdes. 80

© NASA

Cratère de Vredefort (Afrique du Sud)



MEDIAS

Téléphonie, mensonges et vidéo

Le lancement de la téléphonie mobile personnelle (TMP) ne connaît que des faux départs. Prévu pour fin 2008, et finalement reporté à 2009, il se heurte toujours à des problèmes de financement. Les chaînes de télévision ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente avec les opérateurs téléphoniques. Par Caroline Vigoureux

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egarder la télé sur son écran de téléphone en se promenant dans la rue. C’est à la fois l’ambition du gouvernement, des opérateurs téléphoniques, et des chaînes de télévision. Mais le projet tarde à se concrétiser, faute de consensus. Pour sortir de cet enlisement qui dure depuis plusieurs mois, François Fillon a nommé Cyril Viguier, ex-délégué aux programmes de La Cinquième, au poste de médiateur. Sa mission : trouver, d’ici la fin avril, un modèle économique stable en mesure de satisfaire les différents acteurs. Nathalie Kosciusko Morizet, secrétaire d’Etat au développement de l’économie numérique, a pour sa part reçu les PDG de Canal +, TF1 et M6 pour tenter

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© Réflexe

de trouver une issue favorable. « Un compromis sera difficile à trouver car il y a beaucoup de protagonistes. D’autant plus qu’il n’y a pas de modèle économique viable dans les pays où la TMP est développée. L’Etat devra intervenir dans le financement de ce réseau de diffusion », estime Antoine Levêque, directeur général de Marvellous, filiale marketing d’Aegis, un cabinet de consulting qui a réalisé une enquête sur le rôle de la TMP en France.

DIALOGUE DE SOURDS

Les chaînes de télévision et les opérateurs téléphoniques se divisent sur le modèle économique à adopter et se renvoient

systématiquement la balle. D’un côté, les chaînes penchent pour un système gratuit, qui serait financé par la publicité. De l’autre, les opérateurs mobiles, qui seront contraints de financer les réseaux, plaident pour un modèle payant, où les investissements seraient répartis entre les différents acteurs. Des positions contradictoires qui bloquent le dossier. « #ous sommes dans une nébuleuse. Les diffuseurs comme TF1 ne souhaitent pas supporter tous les coûts alors qu’on ne sait pas pour le moment à combien peuvent s’élever les recettes », prévient Alban Clochet, chargé d’études en marketing mobile à TF1. Et d’ajouter : « Si on y trouve notre intérêt, on ira, mais pour le moment, tout le


MEDIAS

Les opérateurs mobiles restent de leur côté très frileux à l’idée d’exprimer leur position sur ce sujet en plein chantier : « On ne s’exprime pas de façon publique car un certain nombre d’éléments sont incertains », affirme-t-on du côté d’Orange. « On n’a pas encore rencontré le médiateur qui a été nommé. Les discussions vont à nouveau reprendre, ce qui pourra faire avancer un chantier en standby », confient les communicants de Bouygues Telecom.

DEUX ANS DE RETARD

L’idée de départ remonte à novembre 2007, date à laquelle le CSA avait lancé un appel à candidatures pour déterminer les chaînes qui seraient retenues dans le bouquet proposé par la TMP. Finalement, en plus des trois canaux réservés à France Télévisions, 13 chaînes ont été sélectionnées : TF1, Eurosport, Canal+, I Télé, M6, W9, BFM TV, Direct 8, NRJ 12, Virgin 17, NT1, Orange Sport, et Europa Corp (la société de production de Luc Besson).

Le lancement de la TMP devait se faire à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin en 2008. C’est finalement à l’horizon 2010 qu’elle pourrait voir le jour. Cette nouvelle technologie sera accessible à partir de n’importe quel téléphone mobile. Pour le contenu des programmes, les chaînes seront libres de modifier leurs grilles classiques.

Pour l’instant, la télévision sur mobile est uniquement accessible sur les téléphones 3G. La diffusion de la télévision sur téléphone portable, basée sur la norme DVB-H, est déjà appliquée en Corée du Sud et au Japon, avec environ sept

© Réflexe

monde se demande comment chaque acteur va gagner de l’argent, alors que la TMP n’a jamais été une success-story. »

millions d’abonnés pour chacun des deux pays. Mais ce succès populaire n’est pas encore synonyme de rentabilité commerciale. Partie en février dans les deux pays pour étudier leur modèle, Nathalie KosciuskoMorizet estime qu’à l’étranger, la TMP est encore loin de la rentabilité commerciale : « Vue de France, la télévision mobile personnelle est un formidable succès au Japon comme en Corée du Sud, puisqu’elle y est déployée massivement, mais sur le terrain, c’est moins évident car on ne peut pas parler de réussite industrielle ». Et d’avertir : « Je ne reviendrai donc pas en France avec une solution clé en main. » L’Italie, et depuis peu l’Allemagne, ont toutes deux opté pour un modèle payant. Mais leur succès reste mesuré, avec 600 000 utilisateurs en Italie et 9 000 seulement en Allemagne.

SUCCÈS MODÉRÉ

Le gouvernement prévoyait de couvrir 30 % de la population dès le lancement de la TMP. Mais pour Antoine Levêque, directeur général de Marvellous, il faut revoir ces ambitions à la baisse pour qu’un consensus soit possible : « Il faut faire un lancement réduit, en plusieurs étapes, à la fois sur le maillage géographique, et sur la puis-

sance de la diffusion. Il faut aussi réfléchir à d’autres business-models que celui de l’abonnement ». L’enquête Aegis révèle que 49% des Français seraient prêts à débourser entre trois et cinq euros par mois pour accéder à la télévision sur leur téléphone.

Mais le financement n’est pas le seul obstacle au projet. Pour que la TMP trouve son modèle de développement, il reste encore à convaincre les Français. Pour l’instant, c’est surtout auprès des gros consommateurs de contenus web que la technologie a bâti sa notoriété, puisque 81% des individus qui connaissent la TMP surfent plus d’une heure et demie par jour sur le net. Les attentes des futurs utilisateurs sont bien spécifiques et se rapprochent plus d’une consommation à la demande (visionnage de films par chapitre, etc.).

Pour Antoine Levêque, l’avenir de la TMP passe par une communication moins brouillée en direction des Français : « Les discussions sur la TMP ne se font qu’entre experts du domaine. On n’explique rien aux consommateurs. Aucun des acteurs ne se préoccupe d’étudier leurs attentes en terme de contenu ». Aujourd’hui, seul un Français sur trois déclare savoir ce qu’est la TMP. 83


SPORT

Z

Syst ema D

Le systema est un art martial russe, qui résulte d’une observation scientifique de plusieurs arts martiaux et techniques de combat asiatiques. Il repose sur un socle ancien créé par les cosaques autour du Xème siècle. Au XXème siècle, le gouvernement soviétique en restreint l’usage aux membres des Forces Spéciales.

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Par Youri Lee Gothemi

xtrêmement efficace sur le plan martial, le systema privilégie pourtant la décontraction. Il va même jusqu’à évoquer des similitudes avec certains arts martiaux internes, comme le taï-chi.

Les techniques sont très variées, il existe des frappes, coups de pieds et de poings, des projections, les points de pressions sont également utilisés. La particularité du systema tient au fait que les coups sont toujours portés, le geste n’est jamais arrêté, le combat n’est pas virtuel. Les enchaînements ne sont pas

prédéfinis pour être au plus près de la réalité lors d’un combat. On utilise aussi des armes, notamment le couteau contre lequel le systema oppose d’efficaces protections. Jérôme Kadian dirige une association au sein de laquelle il enseigne un systema qui vient de l’école de Wladimir Vassiliev. Après une longue pratique des arts martiaux, il a découvert cette discipline il y a dix ans.

Comment définirais-tu le Systema ?

Je considère le systema comme un art de survie, qui permet de survivre à tout, même s’il s’agit de glisser dans la rue. Comment tomber sans se briser un membre, survivre quand on est attaqué, quand on est frappé, par un coup de poing, un coup de pied, un couteau. Contre plusieurs adversaires. Comment as-tu commencé ?

Je suis né au Liban. J’ai commencé les arts martiaux en 1979, je suis arrivé en France pour une compétition internationale de kick-boxing. J’ai fait du karaté, de la boxe thaïe. J’ai ensuite découvert le Kung Fu Wing Chun, les arts martiaux philippins que j’ai enseignés jusqu’à ce que je découvre le systema.

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Quelles sont les caractéristiques du systema ?

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Ce qui est différent dans le systema, c’est la globalité du travail. On apprend aux gens à respirer, c’est le plus important : le mouvement et la relaxation. Comme on n’en est plus à la préhistoire, on ne se bat pas tous les jours, par contre nous sommes bombardés par toutes sortes d’agressions au quotidien, nous sécrétons de l’adrénaline, or l’accu-


SPORT

Z mulation d’adrénaline est nocive. Il faut respirer pour ne pas interpréter un signal comme une agression. En cas de danger, le réflexe est de réduire la respiration. On se raidit immédiatement. Avec plusieurs exercices différents, on parvient à habituer le corps à concilier un stress. Si on est en apnée, la pression artérielle change brutalement. Il y a de la pression sur le cœur, on a la tête qui tourne. On apprend aux gens à avoir une respiration proportionnelle à leurs efforts physiques. Quelle est l’histoire de cette technique ?

Les arts martiaux traditionnels russes sont nés aux environs du Xème siècle, à l’époque des cosaques. Mais Staline a interdit la plupart des pratiques traditionnelles dans les villages. Dans le cadre du systema, ils ont récupéré les meilleurs et Staline a créé un institut pour développer la pratique. Il a envoyé des agents au Japon, en Chine, en Indonésie pour se battre et apprendre les techniques les plus intéressantes. Il existe une version allégée, le sambo, c’est une sorte de lutte avec des règles de compétition, il y a des compétitions, des championnats nationaux. Le systema a donc été enseigné de manière confidentielle, souvent dans le cadre familial. Le fondateur de notre école, Mikhail Ryabko a été militaire toute sa vie, c’est son oncle et son père qui lui ont transmis leur savoir. Après l’éclatement de l’Union Soviétique, son élève Wladimir Vassiliev a quitté la Russie. Il avait passé dix ans dans les unités spéciales secrètes, les Spetsnaz, spécialisés dans les infiltrations et les enlèvements en territoire ennemi. Wladimir Vassiliev a émigré en 1994 à Toronto et a ouvert son école. Je l’ai rencontré en 1998. J’ai mis de côté ce que je savais et j’ai beaucoup appris.

Quels sont les principes ?

La différence entre le systema et les autres arts martiaux : il n’y a pas de blocages rigides. En ce sens, il y a des similitudes avec l’aïkido. Un jour, un maître d’aïkido est venu nous voir et nous a expliqué qu’il concevait ce que l’on faisait comme une forme d’aïkido avancé. Nous essayons d’utiliser la structure de l’adversaire et son énergie. On travaille sur des points de pression, on apprend à nos élèves à survivre au sol, pas uniquement comme le Jiu Jitsu brésilien où on s’assoit sur l’adversaire, parce que ça n’arrive jamais en combat réel, on frappe plutôt avec un coup de pied à la tête. On apprend à se déplacer au sol. On ne travaille pas sur un tatami pour la même raison, il n’y a pas de tatamis dans la réalité.

Il y a des similitudes avec d’autres arts martiaux ?

C’est plus souple. Les coups n’ont rien à voir avec ce qu’on fait en karaté ou en Wu Shu. On frappe pour ne pas avoir de retour. En Karaté, un tsuki (coup de poing) peut-être très puissant, mais comme on bloque, toute l’énergie générée revient. En systema, on y fait très attention parce qu’au bout de quelques années, le corps en ressent les effets. Pourtant, on peut frapper très fort sans retour. C’est pour cela que l’on insiste sur la respiration, sinon on accumule de la tension dans les épaules, dans les trapèzes aussi. Le systema est un art martial souple, on peut commencer un combat debout, le finir au sol, utiliser une arme. Utiliser le terrain, ne jamais tomber sur les coudes, les genoux, les hanches, protéger la tête. On fortifie les tendons et les articulations. On travaille sur le corps d’une façon globale, c’est à l’opposé de la musculation, qui isole les muscles à travailler. Nous effectuons des exercices de relaxation quasiment à chaque cours, on ressent mieux les tensions, même avec des frappes. On peut se protéger avec l’expiration, si l’on contracte trop longtemps avant l’impact d’un coup, ce n’est pas efficace. Quelles sont les valeurs mises en avant par le systema ?

Le systema a été enseigné de manière confidentielle. Surtout chez les militaires russes.

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La valeur principale est de se respecter, soi. Pour apprendre à respecter les autres. Il n’y a pas de compétition dans le systema, pas de grades, pas de katas. On utilise tous les sens, pas uniquement la vue. On apprend à ne pas avoir peur des autres. 85


MUSIQUE

Another Age, Another Planet

A bientôt 60 ans, les Only Ones sont de retour, 26 ans après avoir explosé en vol. A l’heure où la mode est à la reformation de groupes, des pères fondateurs des Kinks en passant par Magazine ou les Dexy’s Midnight Runners, leur retour est une vraie surprise. L’occasion unique d’apercevoir enfin la queue de la comète.

Par Anthony Mansuy

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À presque 60 ans, les musiciens de The Only Ones reviennent sur le devant de la scène

e bonhomme est tout petit, porte des lunettes de soleil, et se balade pieds nus en plein hiver. Dans un hôtel plutôt chic de la populaire Porte de Clichy, Peter Perrett est de passage en France, accompagné de ses quatre acolytes. Qui ça ? Peter Perrett, le leader des Only Ones, le groupe à la fois le plus imprégné du zeitgeist de l'époque punk, et le plus détaché de toute cette agitation.

Londres, 1977. Les Sex Pistols sortent Nevermind The Bollocks, les Clash leur premier album. Les Buzzcocks émergent, les Swell Maps vivotent. Les Only Ones,

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eux, sortent leur premier single, Lovers of Today / Peter and the Pets. Un an plus tard, c'est l'album éponyme. Et le groupe le plus improbable de l'ère punk - puisqu'il faut bien les définir - de jeter à la face du monde un tube encore utilisé aujourd'hui pour une pub Vodafone, Another Girl Another Planet. On galvaude bien souvent des termes comme « transcendant » ou « intemporel », mais dans ce cas précis, ils seraient presque insuffisants. On touche là quelque chose d’absolu. Improbables, les Only Ones le sont d’abord pour des raisons

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structurelles. C’est la combinaison d'un poète junkie (un vrai), d'un bassiste écossais superstar dans son pays (seulement là-bas), d'un guitariste psyché bedonnant (obèse et chauve aujourd'hui) et de l'ex-batteur catholique de Spooky Tooth (il porte la croix autour du cou). En quatre ans d'existence, le groupe ne sortira que trois albums, « The Only Ones », « Even Serpents Shine » et « Baby's Got a Gun ». Finalement, aux punks, Peter Perrett n'emprunte qu’un goût douloureux pour les seringues, une voix nasillarde et une production très minimaliste.


MUSIQUE Vous n'avez mis que 26 ans à vous reformer, c'est déjà ça...

Peter Perrett : C'est grâce à Warren Ellis, de Nick Cave & The Bad Seeds. Il programmait les groupes de l'ATP Festival à Minehead en 2007, et c'est un fan des Only Ones. Il m'avait vu sur scène avec mes gosses (Jamie et Peter, des Babyshambles, ndlr). Puis il est venu nous demander s’il y avait une chance de revoir les Only Ones ensemble. Individuellement, on a tous répondu oui.

Alan Mair : Il y a eu ce premier concert, qui était assez fou. Quand je suis rentré chez moi, on nous voulait à Glasgow, Shepherd's Bush et Manchester. On n'avait pas dit oui que le type qui organisait le festival à Sheperd's Bush avait déjà mis notre nom sur l'affiche. Notre agent était fou de rage. Mais quand on a vu que 500 places étaient parties en une semaine, on s'est dit que tout se passait comme il fallait. Peter Perrett : Il ne faut pas négliger l’effet Vodafone, une partie du public nous a découvert grâce à la pub. Pourquoi vous étiez-vous séparés ?

Peter : La drogue, l’ego. Pour moi, tu t'en doutes, c'était les drogues, Alan n'en prenait pas. La tournée américaine a été très éprouvante, surtout pour Alan, qui ne touchait à rien. Il est rentré dans sa chambre et il a retrouvé des gens dans la baignoire avec des seringues dans les bras. Alan : C'était une accumulation d’évènements. On m’a volé à l’hôtel par exemple. Mais on a fait ça de travers, on aurait du faire un hiatus un an ou deux, et puis repartir sur des bases plus saines.

Peter : Quand ça s'est arrêté, je n’ai pas touché à une guitare pendant dix ans. Par assimilation, je m'étais dit « j'arrête la musique, j'arrête la drogue ». Puis je suis resté littérallement collé dans un lit pendant neuf mois, après notre retour des EtatsUnis. On bossait beaucoup avec le groupe, ça me prenait du temps, je n'avais plus que la dope. Je n’avais même plus la force de lever ma tête de l'oreiller.

Et même pas à cause d'un petit complexe d'infériorité vis-à-vis des Pistols ou des Clash, par exemple ?

Mike Kellie : Tous les groupes autour de nous décollaient. De notre côté, on avait l'impression de ne générer aucun engouement. Ce n’est qu’aujourd'hui que je m'aperçois de l’influence qu’on avait.

Peter : Je suis pas d'accord, Kellie. La musique n’est pas qu’une carrière. Je n'ai jamais pensé au fait qu’elle décollait ou pas. En revanche, quand j'ai vu certains groupes se séparer puis se reformer quatre ou cinq ans après, je me suis dit « mais merde, pourquoi on n'a pas fait ça ?! » Et entre vous, ça s'est passé comment ?

Peter : On vit tous à Londres, à part Kellie, qui vit à Birmingham, donc on ne peut pas tous se voir très souvent. Au début, on appréhendait tous. On a du réapprendre toutes les chansons, on ne les avait pas jouées depuis un bon bout de temps. D'ailleurs, on a récupéré nos vieux instruments.

Kellie : Il y a une alchimie entre nous quand on joue, et je pense que tous les quatre, on a connu ça nulle part ailleurs. Dans le prochain album, est-ce qu’on verra que les Only Ones ont vieilli de 30 ans ?

Alan : On a un peu moins d'une dizaine de chansons. Pour le live de Canal + (l’Album de la Semaine, ndlr), on en a joué quelques-unes, dont « Black Operations », qu’on adore. Peter : Tu évites la question là, Alan (rires). A l’époque déjà, on ne suivait aucune règle. Quand la musique est bonne, elle l'est, qu'elle ait cinq ou trente ans. Au début du punk, beaucoup voulaient sonner très punky, mais leur musique a l'air totalement poussiéreuse au-jourd'hui. (John Perry, le guitariste, arrive la tête enfarinée, 35 minutes après le début de l’interview. Peter applau-dit. Bravo John, bel effort !) Maintenant que vous êtes tous là, vous allez pouvoir me raconter comment ont com-mencé les Only Ones ? Peter : J'écrivais de mon côté, tout le temps. J'avais des douzaines de chansons, que je faisais enregistrer dans un petit studio. John Perry, guitariste du groupe


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MUSIQUE

J'ai essayé de mourir, mais ça n'a pas marché. Ca a duré trois mois, puis deux ans pour m'en remettre, mais je suis toujours là.

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Mike Kellie

C'était vraiment ma seule ambition à l'époque. A chaque fois, il fallait que je trouve de nouveaux musiciens, et j'avais besoin d'un nouveau bassiste. C’est à ce moment que j'ai rencontré John, je ne sais plus comment. Puis j'ai trouvé Kellie. Dès que ce mec a commencé à jouer, tout le monde l'applaudissait. A l'époque, il n’y avait pas mieux, à part peut-être Topper Headon (le batteur des Clash, ndlr). Puis j'ai vu John à la guitare, il était trop bon, on ne pouvait pas avoir d'autre guitariste que lui. Résultat, je me suis retrouvé avec un groupe, mais toujours pas de bassiste…

Alan : C’est là que j'interviens. En fait, j'étais venu voir un ami en studio. J'étais en avance, j'attendais dans le hall. Puis j'ai vu des filles mignonnes rentrer le studio. Je les ai suivies, et j'ai vu ces mecs en train de jouer, sans bassiste. J'ai écouté deux chansons, et j'ai échangé un bref regard avec Kellie. Puis il est sorti, et a demandé « qui c'est, ce mec ? ». Quand il a su que j'étais bassiste, il a dit que j’étais taillé pour le poste, alors qu'il ne m'avait jamais vu jouer ! Il a trouvé mon numéro, et il m'a harcelé, « viens pour une répétition, viens juste pour voir Alan, s'il te plait, ramènes-toi ». Quand j'ai dit oui, j'ai enregistré une ou deux pistes avec eux. En les écoutant, j'ai compris que Peter, sa voix, ses paroles, tout était très bon. C’est vraiment à ce moment là que j'ai changé d'avis. Je veux aussi ajouter qu’avec les Only Ones, on n'a jamais parlé d'argent. Tous les autres groupes avec lesquels j'ai joué ne parlaient que de ça. Avec Peter, ça ne m’est jamais arrivé... Peter : (il montre Alan) Et tu sais que ce mec a causé des émeutes à Glasgow, alors qu’il n'avait que 16 ans. Les Beatstalkers étaient un peu les Beatles écossais. Les rues étaient bloquées dès qu'ils mettaient le nez dehors. Et vous étiez passés où alors, pendant toutes ces années ?

Peter : J’ai passé 25 ans comme ça (il se recroqueville sur lui-même). Je n’ai pas fait grand chose. Tu sais que j'ai perdu 11 centimètres ? Normalement quand tu vieillis, tu rétrécis, mais pas dans ces proportions. Les médecins n’en croyaient pas leurs yeux. Et puis, tous ces mecs-là (il regarde John, déjà endormi) ont grossi, pas moi.

À gauche, Mike Kellie, le batteur

À droite, Peter Perrett, chanteur /© DR

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Alan : Quand on s'est séparés, j'ai passé cinq ans à faire la fête avec des filles, à retourner ma maison jour après jour. Après, j'ai fait quelques productions, j'ai un peu écrit, mais j'avoue que j'ai jamais eu la chance de travailler avec un artiste talentueux…


MUSIQUE Mike : Pour ma part, je suis devenu fermier, bon père de famille, j'ai passé beaucoup de temps à la campagne. J'ai vécu au Canada pendant cinq ans, j’ai été maçon pendant quelques temps, et je prie tous les jours. J'ai aussi essayé de mourir, mais ça n'a pas marché. Ca a duré trois mois, puis deux ans pour m'en remettre, mais je suis toujours là.

John : Beaucoup, beaucoup de sessions. Avec les Sisters of Mercy, les Lemonades, et beaucoup d'autres, mais honnêtement, je ne me souviens même pas de tous les noms. J'ai écrit trois livres, sur les Stones, les Who et Hendrix, qui se sont bien vendus, environ 10 000 exemplaires chacun.

Peter, tes deux fils connaissent bien Pete Doherty pour avoir monté les Babyshambles avec lui. Toi, tu le vois comment ?

Peter : Ce type ne devrait pas être si connu, et je le connais très bien moi-même. Il l'est pour les mauvaises raisons. S’il se mettait plus sérieusement à la musique, il mériterait son succès. Il a du talent, mais je n’aime pas la manière dont il fabrique son image de junkie. Sa première cure de désintoxication, c'était du flan. Je le sais, il était chez moi pendant un mois et demi. Il n'avait aucune addiction, à part peut-être la cigarette, et encore. Aujourd'hui, il prend des trucs, mais pas autant qu'il le prétend. Il se drogue pour être connu, il ferait n'importe quoi pour ça, et je trouve que c'est débile. John : La drogue, il l'utilise comme un vêtement, du genre « regardez, je suis un junkie, achetez mes disques ».

justice. Quand on l'a remasterisée, on s'est tous dit « putain, elle est vraiment terrible cette chanson ». Et on l'a améliorée.

Comment vous sentiez-vous dans le mouvement punk à l’époque ?

Peter : Musicalement, je pense qu'on faisait partie des plus aventureux. Après, au niveau de l'attitude, on avait la même rage. C'est pour ça qu'on est rentrés dans le truc et qu'on a été acceptés. Tu sais, j'ai vu les Pistols à leurs débuts, on était de très bons potes, on a bossé ensemble. C'était marrant de voir comment Malcolm McLaren, qui était un type fin et gentil, est devenu un espèce de dieu du punk. A la base, c'était juste un drôle, mais ce petit gars a vraiment changé le monde. A une époque, Johnny Thunders a aussi dit qu'on était son groupe préféré. Les vrais punks ont réalisé qu'on venait du même endroit. Même si notre musique était assez différente, on essayait de révolutionner le monde. C'est pour ça que ça s'est bien passé pour nous, alors que des groupes comme… euh… Dire Straits, sont détestés en Angleterre. Je pense sincèrement qu'on n'aurait jamais été reconnus si on n'avait pas démarré à cet instant particulier.

A contrario, est-ce que vous estimez que les Only Ones ne sont pas assez connus ? Peter : Dans un sens, oui. L'année dernière, on a eu un Mojo Award, celui des Cult Heroes. A mes yeux, ça veut un peu dire, « les mecs, vous auriez pu être énormes, mais vous avez tout foiré en cours de route ». Les critiques ont toujours été sympa avec nous, on a juste gâché notre carrière. A l'époque, je pense qu'on n'était pas assez reconnus, mais aujourd'hui ça a changé.

Alan : Ce qui est bien quand même, c'est qu'on s'est séparés sur la pente ascendante. C'est tragique, mais ça renforce le mythe. Peter : Quand j’écoute une chanson comme « Breaking Down », j'ai des regrets. C'est une chanson fantastique, dont on n'a pas assez parlé, vraiment. On l'a rarement jouée, et on a dû l'enregistrer en urgence quand j'ai été poursuivi par la

Allan Mair, le bassiste /© DR

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MUSIQUE

Prophèt e en son p ays

Depuis plus de 20 ans, Ian Svenonius écrit l’histoire officieuse de la musique indépendante américaine. Porte-parole de Nation of Ulysses, de Make-Up et de Weird War, il est le titulaire indiscutable et méconnu de la chaire du rock n’ roll parallèle.

Par Olivier Tesquet

© Sarah Cass

«

créateur du label Dischord. S’ils sont tous deux issus de la même upper-middle class pavillonnaire – les parents de Svenonius sont universitaires, le paternel de McKaye est correspondant à la MaisonBlanche pour le Washington Post –, rien ne les prédestine pour autant à jouer dans la même équipe. Fanatique de sémiologie rock n’ roll, Svenonius entend s’approprier les formes et les symboles, « comme les Beatles ou les Rolling Stones, le MC5 ou Funkadelic », une mission quasi-divine bien éloignée de l’hygiénisme straight-edge de Minor Threat.

Les groupes d’aujourd’hui sont si peu ambitieux, si obscurantistes et fastidieux. » Ian Svenonius s’exprime toujours de ce ton énumérateur et sentencieux, qu’il double d’une diction parfaite. Pourtant, sous le blazer en velours côtelé se cache l’éminence grise d’une société secrète du rock n’ roll américain, une bande d’illuminati qui sévit dans les grandes 90

plaines indie, de Washington à Los Angeles.

JEAN MOULIN AMÉRICAIN

Quand il commence à graviter autour de la scène hardcore balbutiante de D.C., en plein ministère reaganien, le jeune Svenonius se lie d’amitié avec un autre Ian, McKaye celui-là, skateur à la calvitie précoce et

Fasciné par la dialectique marxiste et les gangs afroaméricains (des Black P. Stones à la Vice Lord Nation), fantasmant sur les hot rods et le crooner Sinatra, il monte Nation of Ulysses, un groupe posthardcore sidérant, responsable en 1991 d’un « 13-Point Program to Destroy America » révolutionnaire à tous points de vue. La même année, Sassy, le teen magazine pour apprenties riot grrrls, le propulse « Sassiest Boy of America » (garçon le plus culotté d’Amérique), persuadé que ce gamin effronté incarne l’avenir du rock, « la voix de sa génération ».

Dix-huit ans plus tard, les faits sont venus confirmer la prédiction. A ce détail près que Svenonius n’a jamais croisé la route du succès, restant à jamais l’icône d’une marge. Du gospel yeh-yeh de Make-Up à la toux grasse de Weird War, Svenonius


MUSIQUE est condamné à rester le chien de garde d’une petite niche, un statut qu’il défend avec force. « Personne ne mérite le succès, lâche-t-il d’un ton lapidaire. Il est défini par une industrie culturelle totalement arbitraire. Dans ces conditions, qu’est-ce qui est juste ? Est-ce que les Eagles auraient dû vendre moins d’albums ? Davantage ? Tout dépend de votre interlocuteur. Est-ce la carrière solo de Ringo Starr était justifiée ? Peut-être pas, mais j’aime certains de ses disques. Si mon succès est ridicule par rapport à Ryan Adams, j’ai plus de succès que des milliers de gens, probablement plus méritants et talentueux que moi. J’ai enregistré plus d’albums que les Bobbettes, les Donays, les Corlettes, des groupes formidables. Est-ce injuste ? Devrais-je être stoppé ? »

BASE ARRIÈRE ET RÉSEAU MONDIAL

Chez Svenonius, le questionnement se pare presque toujours de défiance. Quand il jauge sa génération, « celle qui refuse les meneurs et fuit ses responsabilités », il n’hésite pas à convoquer Fidel Castro ou Nasser, en même temps que Jerry Lewis ou Vanessa Redgrave. Dans la foulée, il tance de son œil bleu perçant le rock de 2009, « plein de critiques cannibales et de mécontents à l’air pincé, qui exècrent le contenu, le style, l’humour et la personnalité ». Imprégné par un marxisme païen, le volubile Svenonius continue de porter fièrement le costume d’un Jean Moulin US, chef de file d’une résistance organisée, « une tentative pour créer une structure autour du rock n’ roll différente du discours américain typique ». Une démarche dans laquelle s’est inscrite « The Psychic Soviet »,

son petit livre rose-manifeste, publié en 2006.

Grâce à ce statut, il a pu se constituer un noyau dur de fans acquis à sa cause, en même temps qu’un solide maillage dans les sphères indépendantes. « Pour exercer son influence, un artiste doit avoir un proscenium, une avant-scène », précise-t-il. Dans son cas, il s’agirait plutôt d’une base arrière, où se sont côtoyés Fugazi, Royal Trux, les Frumpies ou Calvin Johnson. Ce réseau a essaimé jusqu’en Scandinavie, où des groupes comme The (International) Noise Conspiracy et les Hives lui ont emprunté sons et uniformes. Un pillage en règle qui ne le dérange pas, bien au contraire. Svenonius préfère balayer son influence du revers de la main, pour mieux rester dans les coins sombres de l’histoire officielle : « L’important, ce n’est pas de savoir qui a eu l’idée en premier, mais qui l’a eu en dernier. C’est probablement vrai pour un groupe comme les Hives. Après eux, qui voudra encore s’impliquer dans cet agrégat sixties ? »

Ian Svenonius, obscur héros de la pop culture américaine © Sarah Cass

Aujourd’hui, entre deux projets (Chain & The Gang chez ses camarades de K Records et Publicist, délire disco rétrofuturiste en duo avec le batteur de Trans Am), il est devenu « journaliste » pour VBS.TV, la web-télé de Vice. Il y anime Soft Focus (le flou, en photographie), un one-man-talk-show dans lequel il interviewe des personnalités de l’indie US, d’Henry Rollins à Genesis P. Orridge. Il y a quelques mois, une déclinaison britannique a vu le jour, accueillant Bobby Gillespie ou Kevin Shields. Fidèle à son débit mitraillette, il y parle plus que ses invités, cherchant dans leurs réponses la justification de son paradigme. « C’est un moyen d’injecter du contenu et de bâtir une structure, dans le chaos d’une scène musicale qui a perdu son âme, son idéologie, sa mission, son but, son économie. Toutes les zones d’ombre semblent avoir disparu, le mystère est révélé, et les inférences ont perdu leur pouvoir. Je me suis mis en retrait du processus de création musicale à cause de ce contexte carriériste vorace. Soft Focus n’entend pas présenter la rétrospective définitive de la carrière d’un artiste, c’est une tentative pour montrer que la musique peut avoir une humanité. » Après avoir examiné minutieusement le personnage, cette phrase ressemble à la confession définitive d’un prosélyte qui n’a peur ni des mots, ni des idées. Amen.

Chain & The Gang - Down With Liberty… Up With Chains (K Records / sortie le 7 avril)

Publicist (www.myspace.com/ thenameispublicist)

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LITTERATURE

Lanzmann soulève des lièvres

Grâce à l’obstination de Gallimard, « Le lièvre de Patagonie » est finalement sorti en librairies le 12 mars. Claude Lanzmann a consenti à la rédaction de ses mémoires en 2004, même si les deux tiers ont été écrits ces deux dernières années.

Par Steffy Beneat

dans le désert à la nuit tombante. Il passera également à travers la vitrine d’un grand magasin de luxe, et s’explosera les tympans au cours d’une plongée sous-marine.

© DR

C

e sont les mémoires d’un homme qui les déteste. Claude Lanzmann, du haut de ses 84 ans, ne compte pas encore baisser le rideau. « #i retraite ni retrait, je ne sais pas ce que c’est de vieillir et c’est d’abord ma jeunesse qui est garante de celle du monde », écrit-il. Le réalisateur de « Shoah » entreprend donc dans « Le lièvre de Patagonie » le récit de sa longue épopée, l’écriture toujours vive et cinglante, bondissant au fil des 550 pages à travers le siècle dernier. La métaphore du lièvre est filée tout au long du livre. A travers ceux du camp d’extermination de Birkenau notamment, que l’on retrouve dans son film Shoah, seuls capables de franchir les frontières de barbelés entourant les camps d’extermination. Et la Patagonie dans tout ça ? Parce que c’est loin, très loin de la folie humaine, parce que « la Patagonie et moi étions vrais ensemble ». Cette soif de liberté se retrouve dans sa

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passion pour les avions (lors de son baptême à bord d’un F16), dans son goût pour les femmes, dans son appartenance très tôt aux jeunesses communistes pendant la guerre… « J’ai mené beaucoup d’actions objectivement dangereuses pendant la lutte clandestine urbaine (…) cependant elles ne s’accompagnaient pas de l’acceptation du prix ultime à payer en cas d’arrestation : la mort. (…) La question du courage et de la lâcheté, on l’aura compris sans doute, est le fil rouge de ce livre, le fil rouge de ma vie. »

Tout au long de sa vie, Claude Lanzmann a bravé le danger avec hargne et conviction, ne comptant plus les accidents et les hospitalisations. Comme la fois où, cherchant à filmer incognito un membre des Einsatzgruppen, responsables du massacre de Simferopol en Crimée, il est tabassé. Comme le jour où il s’égare en compagnie de Simone de Beauvoir

En se racontant, le directeur de la revue « Les Temps Modernes » ne pouvait pas faire l’impasse sur sa famille, lui permettant d’évoquer la relation entre ses parents. « L’un avec l’autre, de surprenantes périodes d’accalmie mises à part, ce fut une tempête sans répit, une escalade de défis et de provocations, mon père cherchant à asseoir son autorité sur une créature indomptable, à terrifier une femme qui n’avait peur de rien et qui crânerait jusqu’à la mort. » Il consacre aussi un chapitre bouleversant à sa sœur Evelyne, connue au théâtre sous le nom d’Evelyne Rey, belle actrice, qui n'aimait pas sa beauté, était amoureuse des hommes, des engagements, du théâtre, de la philosophie, et qui se suicidera à 36 ans.

D’autres femmes traversent ce roman, ses deux épouses notamment. Angelika Schrobsdorff, écrivaine qu’il rencontre à Tel Aviv et pour laquelle il se lancera dans la réalisation de « Pourquoi Israël ». Et celle qui compta le plus, Simone de Beauvoir, dont il dira « Elle était plus folle que moi ». Claude Lanzmann sera, selon elle, « le sixième homme de sa vie ». Tous deux animés par la passion du monde et la fulgurance des temps modernes.


LITTERATURE

Serge July + » Un parcours fascinant »

Grand ami de Claude Lanzmann, Serge July, ancien patron de Libération, dresse un portrait de l'auteur. Fin connaisseur du monde lanzmannien, il a publié dans le supplément magazine du Monde une critique du « Lièvre de Patagonie ». Rencontre. Propos recueillis par Steffy Beneat

© DR

Vous avez publié dans le Monde du 6 mars un portrait de Claude Lanzmann intitulé « Un très grand vivant ». D'où vient votre admiration pour cet auteur ?

Il n’y a pas que moi. Philippe Sollers lui a également rendu un bel hommage intitulé « Les cent vies de Claude Lanzmann ». C’est un homme au parcours fascinant. D'abord par sa participation à la Résistance pendant la guerre 39-45, au patrimoine culturel qu'il lègue, ses œuvres cinématographiques et ses romans, mais également par son travail effectué en tant que directeur et journaliste de la revue Les Temps Modernes. A 84 ans, peu de personnes font preuve d'autant de vitalité, un état d'esprit qui transparaît parfaitement dans ses Mémoires. Cette métaphore filée du lièvre qui a le sang chaud, la puissance physique et le goût de la liberté lui va comme un gant.

Claude Lanzmann a également dû faire face à la critique dans sa carrière…

Le parcours professionnel de Claude Lanzmann n'est pas un long fleuve tranquille. Après la parution de son documentaire sur Tsahal, certains ont jugé l'œuvre tendancieuse. Ils ont dénoncé son manque de distance avec les propos de l'armée israëlienne et l'absence de la guerre du Liban dans le film alors que des débats avaient lieu en Israël. Il se jette aussi à l'eau dans le Libé du 6 mars 2007, en accusant Raymond Barre d'être antisémite dans un long pamphlet. Claude Lanzmann a ses sensibilités, a vécu la persécution des juifs, on ne peut pas lui demander une objectivité exemplaire, même si pour Raymond Barre, il n'a pas été le seul à le dire. Le tournage de « Shoah » fut également une période difficile pour lui. Personne ne comprenait quel était le but de l’œuvre, on ne voyait que les morts sans aucune notion de rédemption à la fin du film. Les fonds ont été difficiles à réunir pour terminer cette entreprise titanesque. Pourquoi avez-vous publié ce portrait dans Le Monde et non Libération ?

Après avoir annoncé mon départ « contraint et forcé » du journal, on ne peut pas dire que les relations entre les actionnaires et moi soient au beau fixe. Et Le Monde a probablement dû apprécier de faire tomber dans son giron un ancien concurrent !

Shoah, l’œuvre phare de Lanzmann

Au terme de 11 ans de tournage et 9h30 de film, « Shoah » de Claude Lanzmann fait revivre le voyage des Juifs européens pendant la Seconde Guerre Mondiale à travers le témoignage des 350 acteurs et témoins du plus grand crime contre l’Humanité. On retrouve dans ce film des partis pris radicaux, chers à Lanzmann, ainsi qu’une réflexion continue : comment filmer la réalité de l’anéantissement ? Comment filmer la mort ? La réponse de Lanzmann est d’entrer dans la peau des personnages, de voir à travers leurs yeux afin d’imaginer ce que l’on aurait fait à leur place. Une question qu’il se pose toujours, et qui imprègne encore ses mémoires.

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La sélection du mois par Steffy Beneat

EMMANUEL CARRÈRE (P.O.L.)

© DR

26 décembre 2004. L’Asie du Sud-est est frappée par un tsunami meurtrier. Emmanuel Carrère, présent au Sri Lanka au moment de la catastrophe, voit une fillette mourir sous ses yeux. Il écrit : « Il y a nous, propres et nets, épargnés, et autour de nous le cercle des lépreux, des irradiés, des naufragés revenus à l'état sauvage. Nous faisons maintenant partie de deux humanités séparées ». A son retour en France, sa bellesœur succombe des suites d’un cancer à l’âge de 33 ans, laissant deux enfants en bas âge orphelins. Ces évènements t r a g i q u e s ont bouleversé l’auteur des livres « l’Adversaire » et « Un Roman Russe » qui à 48 ans, est confronté pour la première fois à la mort. Frontalement. Par des mots simples, Emmanuel Carrère raconte des vies à jamais brisées par la perte d’un enfant, d’une femme, d’une mère. Il aborde la difficulté du combat contre la maladie, ses idéaux de gauche bafoués, ses rêves d’une justice au service des pauvres et son amour pour la journaliste de LCI qui lui a donné deux enfants. Loin de ses précédents ouvrages, « D’autres vies que la mienne » tutoie « L’Année de la pensée magique », le bouleversant témoignage de Joan Didion, sorti l’année dernière.

LE SUMO QUI NE POUVAIT PAS GROSSIR ERIC-EMMANUEL SCHMITT (ALBIN MICHEL)

Eric-Emmanuel Schmitt revient à ses anciens amours en mêlant dans son nouveau roman deux thèmes qui lui sont chers : l’enfance et la spiritualité. L’auteur de « Milarepa » et des « Fleurs du Coran » relate dans ce dernier ouvrage la rencontre entre un jeune orphelin japonais et un 94

lutteur de sumo, convaincu d’avoir trouvé en ce petit bonhomme un futur « gros ». Alors qu’il est destiné à une vie laborieuse réglée sur les pas de ses parents, le père de Jun meurt de surmenage professionnel et sa mère de cyclothymie aiguë. Alors que le garçon, qui a perdu foi en son avenir, conserve sa morphologie filiforme, le lutteur poursuit sa formation en lui enseignant les éléments fondamentaux et les pratiques de ce sport ancestral. Au fil du roman, Eric Emmanuel Schmitt pose son regard sur une société japonaise bipolaire, circulant à mille à l’heure tandis que les personnages touchent à la plus profonde philosophie zen.

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D’AUTRES VIES QUE LA MIENNE

LA CONQUÊTE : RÉCITS AZTÈQUES

GEORGES BAUDOT & TZVETAN TODOROV (SEUIL)

A l’image des « Histoires Populaires des EtatsUnis d’Amérique » d’Howard Zinn, où l’Histoire se raconte à travers les yeux des opprimés, Georges Baudot et Tzvetan Todorov ont sélectionné des récits d’indiens, contemporains à l’invasion de l’Amérique par les Européens. Centrés autour de la conquête du Mexique par Cortés, ces textes d’une valeur exceptionnelle livrent la vision des vaincus sur nos ancêtres européens venus conquérir le nouveau monde. La civilisation aztèque, l’une des plus brillantes de l’Amérique précolombienne, a donné naissance à des recueils riches et originaux et à un des rares exemples de littérature que l’Amérique indigène ait connu. Les traductions, issues de l’original náhuatl ou des versions espagnoles du XVIe siècle, sont illustrées de dessins provenant des manuscrits. Véritables témoignages majuscules, ces récits plongent le lecteur au cœur de l’Histoire de la conquête du continent américain.

© DR

LITTERATURE


Comics d’ailleurs par Jérôme Corbin

LITTERATURE

The 99, les héros de l’Islam

Les vilains n’ont qu’à bien se tenir. Les premières aventures de The 99 débarquent en France en juin prochain. Présentation des tous premiers super-héros musulmans de la BD.

© DR

Les 99 feront irruption dans le monde parfois cloisonné de la bande dessinée l’été prochain. L’originalité de cette bd de super héros signé Naïf Al-Mutawa et Fabian Nicieza ? La totalité des personnages principaux sont musulmans. A la suite d’un contact avec des pierres magiques, chacun d’eux développe un pouvoir lié à l’un des 99 attributs d’Allah. D’où le titre : The 99. Les auteurs, fans des comics américains depuis leur plus tendre enfance, étaient frustrés de ne pouvoir pleinement s’identifier à eux. De plus, la nouvelle série tente de combler un vide : jusqu’à The 99, le monde musulman ne possédait pas ses propres héros en cape, à l’image des X-men, Superman et autre Batman qui peuplent les pages des albums US. Après avoir trouvé un financement auprès de riches investisseurs proche-orientaux, direction New-York. Dans la ville de Spiderman, Naïf et Fabian rencontrent les dessinateurs des comics Marvel qui, emballés par leur projet, acceptent de travailler pour eux. En 2006, le premier tome, Origins, paraît en Amérique du Nord et au Proche-Orient. Le succès est immédiat et ne cesse de se confirmer au fil des traductions. Disponible en anglais sur Internet, ce premier opus met en place l’intrigue et donne une idée de l’univers de The 99. L’influence des ses ancêtres américains y est indéniable. Impossible par exemple de ne pas reconnaître Hulk dans les traits du héros. Si l’intrigue ouvre l’appétit, les 99 peinent encore à sortir du giron américain. Ils ont déjà ouvert une porte, le reste est une affaire de temps.

Le goût amer de Bitterkomix

Depuis une vingtaine d’années, l’Afrique du Sud suit les aventures des héros de Bitterkomix. Les créateurs luttent ainsi à leur manière contre le racisme.

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1992. L’Afrique du Sud vient juste de sortir de l’Apartheid quand paraît le premier comics des éditions Bitterkomix, littéralement « BD amère ». Le principe : dénoncer le racisme et les préjugés encore en vigueur dans une république qui panse ses blessures. Ses fondateurs, Anton Konemeyer et Conrad Botes, sont des ardents contestataires de l’ancien régime. Dans les années 1980, ils vont jusqu’à étudier dix années à l’université pour… éviter d’effectuer leur service militaire. Leur obsession d’écrire et de dessiner la réalité de leur pays se concrétise au début des années 1990. Violent, pornographique, dérangeant, le premier album reçoit une volée de critiques de l’élite bien pensante. Une demi-surprise, à une époque où les bandes dessinées étaient encore réservées aux enfants. Certains iront même à les considérer comme des fous, bons pour la camisole de force. Mais les auteurs, blancs tous les deux, justifient leurs provocations. Pour eux, chaque scène érotique charrie une signification, chaque case sanglante pose une question autrement plus profonde que ce qu’elle laisse voir au premier coup d’œil. Financé par l’Institut français d’Afrique du Sud et le Conseil des arts de Suisse, Bitterkomix a enfin été reconnu à sa juste valeur au festival d’Angoulême, ou une exposition lui a été consacrée. L’anthologie de l’Association, qui paraît ce mois-ci, renforce l’hommage, au goût toujours amer. 95


CINEMA

Mr Président fait son cinéma

Héroïque, cynique, tragicomique, le président des Etats-Unis est plébiscité par le cinéma américain. A l’occasion de la sortie de « Frost/Nixon » le 1er avril, retour sur le parcours contrasté de cet acteur du réel.

Par Steven Lambert

I

Josh Brolin incarne George W. Bush dans W. l’improbable Président / © DR

l est l’une des personnalités les plus représentées au cinéma. Puissant, charismatique et détenteur du pouvoir suprême, le président américain est le héraut idéal du septième art. De John Ford à Ron Howard, de « Vers sa Destinée » en 1939 à « Frost/Nixon » 70 ans plus tard, le locataire de la Maison Blanche a inspiré les réalisateurs et les studios de production. Qu’il soit dépeint comme un séducteur, un traître, ou comme le sauveur de la planète, il s’est imposé comme une composante essentielle du cinéma américain, instrument de valorisation et de compréhension du système politique. « Il reste une référence idéolo-

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tique dans « Vers sa Destinée », au titre évocateur. Terrassée par la Grande Dépression de l’après-1929, l’Amérique est en quête d’un sauveur. Et si Lincoln reste un symbole de droiture rassurant, Franklin D. Roosevelt s’affirme comme le nouveau héros d’une nation en quête de repères (« Gabriel audessus de la Maison Blanche », Grégory La Cava, 1933). Quant au fameux « Monsieur Smith au Sénat » de Frank Capra, « il relie l’idéal de son personnage à celui des pères fondateurs et du Président Lincoln », souligne Michel Chandelier, auteur du livre « Le Président des Etats-Unis vu par Hollywood ».

gique et mythologique permanente, un vecteur essentiel de la fierté et de l’unité nationale, l’affirmation réitérée du rêve américain », analyse ainsi AnneMarie Bidaud, auteure du livre « Hollywood et le Rêve Américain ».

LES ICÔNES INTEMPORELLES

Même s’il est une cible privilégiée pour nombre de polémistes, le président américain peut trouver grâce aux yeux des cinéastes. C’est le cas d’Abraham Lincoln, symbole d’une Amérique balbutiante et ambitieuse. En 1939, John Ford l’élève à une dimension chris-

Mais que serait l’histoire des Etats-Unis sans l’épopée de JFK, porte-drapeau d’une Amérique jeune et débordante de rêves ? Avec lui, le cinéma voit dans la fonction présidentielle une figure vertueuse et exemplaire. Son assassinat à Dallas, en 1963, anéantit l’élan patriotique impulsé au début des années 30. Rapidement, la thèse du complot est évoquée par l’intermédiaire de « Complot à Dallas » de David Miller (1974). En mythifiant la réalité, le cinéma fait du président américain une figure tutélaire de la pop culture. Pour autant, le chef de l’exécutif n’a pas toujours été l’ange salvateur de la seconde moitié du XXème siècle. Dans le sillage du Watergate, Richard Nixon devient le symbole de la déchéance, sur lequel le cinéma tire à boulets rouges. Dès 1976, Alan J. Pakula


CINEMA

dévoile les rouages de l’affaire dans « Les Hommes du Président ». On y suit l’enquête (véridique, celle-ci) menée par Carl Bernstein et Bob Woodward, journalistes au Washington Post. Le sulfureux Oliver Stone poursuit le travail de démolition publique dans « Nixon » en 1995, pamphlet contre le mensonge d’Etat. « Avec #ixon, la figure présidentielle n’apparait plus comme la solide clé de voûte de la société américaine, mais comme une institution fragile et instable », note Michel Chandelier. Aujourd’hui encore, le malaise provoqué par cette trahison alimente scénaristes et réalisateurs. Avec « Frost/Nixon, l’heure de vérité », Ron Howard revient sur la série d’interviews entre David Frost et Richard Nixon en 1977, qui battirent le record d’audience de toute l’histoire du petit écran américain pour un magazine d’actualité.

L’HILARITÉ COMME FONCTION PRÉSIDENTIELLE

Les années 90 marquent l’apogée du président américain au cinéma. Le renouveau à la

tête du pays, incarné par Bill Clinton, fait naître une douce euphorie du côté des studios. Après une décennie reaganienne marquée par des anti-héros sclérosés (Rocky, Rambo), l’ère Kennedy renaît de ses cendres et l’Amérique renoue avec son héritage politique. En 1991, Oliver Stone fait de JFK un idéal sacrifié, dans le film éponyme avec Kevin Costner et Tommy Lee Jones. L’industrie hollywoodienne se veut alors résolument positive. Quatre ans plus tard, Michael Douglas interprète un président jeune, dynamique et libéral dans « Le Président et Miss Wade » de Rob Reiner. Plus que jamais, le film évoque l’autorité et la puissance de la démocratie américaine. De son côté, la comédie « Y a-t-il un flic pour sauver le Président ? » désacralise la fonction à grand renfort de gags et de blagues potaches. En 1997, John Travolta va encore plus loin en se transformant en sosie de Bill Clinton. En parodiant sa campagne présidentielle, « Primary Colors » n’hésite pas à tourner en dérision la face séductrice du chef de l’Etat… un an avant le Monicagate. Quant à Jack Nicholson, il cabotine la même

année dans « Mars Attacks », franchissant toutes les limites de la fonction suprême.

ACTION MAN

C’est encore dans l’euphorie de l’élection de Bill Clinton que le président américain va redevenir l’instrument d’une volonté suprême. Dans l’apocalyptique « Independence Day » (Roland Emmerich, 1996), Bill Pullmann joue ainsi les va-t-enguerre, rappelant le pacte de l’Amérique avec son peuple : « Vous allez une fois de plus devoir défendre notre liberté. #on pas de la tyrannie, de la pression et de la persécution, mais de l’anéantissement. #ous n’entrerons pas dans la nuit sans combattre. #ous ne voulons pas disparaitre sans nous battre. #ous allons vivre. #ous allons survivre ». Pour repousser l’invasion extraterrestre, il prend ensuite les commandes d’un avion de chasse au milieu de centaines d’autres pilotes, dont bon nombre de « hillbillies ». Plus que jamais, le chef de l’Etat s’efface derrière l’image d’une Amérique multiple et inébranlable. 97


CINEMA Avec « Air Force One » (1997), Wolfgang Peterson dresse de son côté le portrait d’un président sauveur, capable de protéger sa famille et de déjouer dans le même temps une menace terroriste. Mais la fiction prend parfois les devants de la réalité historique. En ce sens, Mimi Leder exerce parfaitement son rôle de « prophète » en imposant Morgan Freeman comme chef d’Etat américain noir dans « Deep Impact ».

L’OBAMANIA S’IMPOSE À HOLLYWOOD

L’an 2000 semble sonner le glas de la figure présidentielle au

cinéma. Effaré par l’inanité de l’administration Bush, le cinéma tourne le dos à un personnage devenu trop impopulaire. Hormis le récent – et facile – « W. l’improbable Président » (d’Oliver Stone, encore lui), le cinéma privilégie aujourd’hui les actes aux personnes. La guerre en Irak est ainsi devenue l’une des plus prolifiques sources d’inspiration des studios avec des films comme « Redacted » de Brian De Palma, « Dans la Vallée d’Elah » de Paul Haggis, ou encore « Fahrenheit 9/11 » du célèbre réalisateur engagé, Michael Moore. Fraîchement élu et bénéficiant d’une cote de popularité sans précédent,

Barack Obama devrait permettre de replacer le pouvoir suprême au centre des scripts. Tyler Perry, grand producteur américain de comédies, planche d’ores et déjà sur l’idée d’un film consacré au couple Obama. Intitulé « For the Love of You », le long-métrage devrait entrer en production d’ici à Noël, avec comme acteurs principaux Denzel Washington et Angela Bassett. C’est désormais sûr, le président américain n’a pas fini de jouer les premiers rôles.

« Frost/$ixon, l’heure de vérité » de Ron Howard (sortie le 1er avril)

© DR

Le président français, ce figurant

A l’inverse de son homologue américain, le président français se fait rare sur grand écran. La faute à un cinéma hexagonal qui n’ose pas s’engager.

Omniprésent sur le terrain mais invisible sur grand écran. La figure présidentielle française ne jouit pas de la même popularité que son alter ego américain. La cinéma hexagonal, trop frileux, est incapable de toucher aux grands symboles de la République. Les films de politique-fiction du cinéma français sont rares. En 1961, Henri Verneuil réalise « Le Président », long-métrage inspiré par les combinaisons parlementaires et l’instabilité ministérielle de la IIIème et de la IVème République. Plus récemment, Lionel Delplanque a dépeint les coulisses du pouvoir et la vie quotidienne d’un chef de

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l’Etat français dans « Président » (2006), avec Albert Dupontel dans le rôle-titre. Hormis ces quelques approches, le portrait présidentiel n’a pas la côte auprès des réalisateurs. A ce jour, seul « Le Promeneur du Champs de Mars » (2005) de Robert Guédiguian traite directement de la vie d’un président français. Michel Bouquet y interprète un François Mitterrand au crépuscule de sa vie. Le fossé entre le cinéma hexagonal et son homologue américain ne cesse de se creuser. Alors qu’outreAtlantique, Oliver Stone n’hésitait pas à signer le biopic d’un président en exercice avec « W., l’Improbable Président » (2008), on imagine assez mal un franc-tireur tricolore s’attaquer à Nicolas Sarkozy ou au bilan de Jacques Chirac.


La sélection du mois par Steven Lambert

CINEMA

John Woo de retour en son royaume

Les 3 royaumes

(sortie le 23 mars) Réalisation : John Woo Interprètes : Tony Leung Chiu Wai (Zhou Yu), Takeshi Kaneshiro (Zhuge Liang), Zhang Fengyi (Cao Cao), Chang Chen (Sun Quan) John Woo s’attaque à la guerre la plus célèbre de toute l’histoire de la Chine. Tiré d’un roman écrit au XIIIème siècle, ‘Les 3 Royaumes’ décrit la bataille de la Falaise Rouge, conflit opposant le Premier ministre de l’empire chinois Cao Cao (Zhang Fengyi) à Liu Bei et Sun Quan, les rois respectifs du royaume du sud-ouest et de Wu. Réalisateur de ‘Volte/Face’ et ‘Mission Impossible 2’, John Woo repasse derrière la caméra après cinq ans d’absence. Mieux encore, le film ‘Les 3 Royaumes’ marque le retour du cinéaste dans son pays. Depuis ‘A toute épreuve’ en 1992, John Woo n’avait plus tourné en Chine. Avec 80 millions de dollars de budget, ‘Les 3 Royaumes’ est le film le plus cher de l’histoire du cinéma chinois.

Kad l’aventurier

Safari

(sortie le 1er avril )

Réalisation : Olivier Baroux Interprètes : Kad Merad (Richard Dacier), Lionel Abelanski (Benoît), Valérie Benguigui (Magalie), Frédérique Bel (Fabienne)

Six touristes français décident de se lancer à la découverte de l’Afrique du Sud. Malheureusement, ces derniers ignorent que leur guide n’est autre que Richard Dacier (Kad Merad), un homme qui n’a pas mis les pieds dans la brousse depuis 30 ans et qui a peur des animaux. Dirigé par son ami de toujours Dragonball Evolution Oliver Baroux, qui réalise ici son deuxième (sortie le 1er avril) long-métrage, Kad Merad invite le spectateur à visiter l’Afrique du Sud et ses magniRéalisation : James Wong fiques paysages dans une comédie aux Interprètes : Justin Chatwin (Sangoku), grosses ficelles. Jouant de son humour, il Emmy Rossum (Bulma), James Marsn’hésite pas à jouer les Indiana Jones de la ters (Piccolo), Chow Yun-Fat (Roshi) savane. Un changement de décor radical après le raz Petit événement pour les fans des plus de marée « Bienvenue célèbres guerriers de la planète manga ! Dragonball est chez les Ch’tis ». Il enfin adapté au cinéma. Près de 25 ans après sa première est toujours en territoire hostile, mais apparition à la télévision, Sangoku (Justin Chatwin) troque cette fois-ci revient pour empêcher les forces du mal, menées par le costume pour le Piccolo (James Marsters), de récupérer les sept boules de casque colonial. cristal. De la baston, des effets spéciaux et un univers complètement redessiné, voila le savant mélange préparé par James Wong pour que Sangoku & co réalisent un ras de marée au box-office. Même si les personnages semblent éloignés de l’univers de la série, nul doute qu’ils attireront de nombreux fans curieux de voir à quoi ressemblent leurs héros préférés sous les traits de véritables acteurs.

Kaméhaméha sur grand écran (

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CONSOMMATION

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» Echange bikini contre pull deux places »

Par temps de crise, il est de bon goût de se serrer la ceinture. Mais quand on est une fille et qu’on aime le shopping, il est difficile de renoncer à ses petits plaisirs personnels. Heureusement, une poignée de malignes ont trouvé la solution : les troc parties.

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Par Mégal Grouchka

epuis maintenant plusieurs mois, la conjoncture n’est clairement pas favorable aux acheteuses compulsives. Malgré l’engouement pour les ventes privées et autres sites de ventes aux enchères, les consommatrices de prêt-à-porter ont de plus en plus recours au troc. Ce concept venu tout droit d’Angleterre permet désormais aux férues de vêtements de se refaire une garde- robe à prix mini.

On assiste ainsi à un comeback inattendu du troc, qui s’était réduit au fil des ans à un échange de cartes Pokémon dans une cour d’école. Le principe est simple : réunissez quelques filles dans un

endroit chaleureux (appartement, restaurant, café), demandez leur d’apporter vêtements et accessoires qu’elles ne mettent pas ou plus, versez sur le tout un peu de champagne et quelques petits fours pour un peu plus de convivialité, et le tour est joué. Et le concept se décline de toutes les façons possibles et imaginables au gré des envies de ces « serial troqueuses ». Troc Pasta Party, Tea time Troc Party, Spécial Vintage ou marques de luxe…il y en a pour tout le monde et pour tous les styles.

UN PEU PLUS QUE DES FRINGUES

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© DR

Mais dans ces conditions, pourquoi ne pas revendre sur un site de ventes aux enchères ? « Quand tu as plusieurs articles, tu perds une demijournée à faire la mise en vente. Il faut sans cesse prendre les mesures et répondre aux questions des acheteuses, précise Sabrina, une étudiante de 22 ans. Ce n’est pas mal de faire quelque chose qui n’a pas de réel but lucratif pour une fois. » Une douzaine d’inconnues

débarquent alors avec cette même envie de faire des affaires mais aussi de faire des rencontres. C’est le petit plus des soirées troc. « C’est une cousine qui m’a traîné à ma première soirée troc. Aucune envie de me retrouver devant une brochette d’inconnues à essayer des fringues qui ne me vont peutêtre pas. J’adore le shopping mais j’ai l’habitude de faire ça seule » explique Mélanie, directrice des ressources humaines de 27 ans. « Finalement, j’ai reçu de très bons conseils et j’ai arrêté d’acheter n’importe quoi. Maintenant, j’attends avec impatience ma nouvelle troc-party pour pouvoir partager mes envies avec mes nouvelles copines. » Patricia, organisatrice d’une Troc Pasta Party dans son appartement du 11ème à Paris, a préparé sa première soirée il y a déjà un an et depuis, son rendez-vous est devenu mensuel : « Au début, j’ai réuni quelques copines chez moi, puis le bouche à oreille a fonctionné. J’ai créé mon blog pour donner aux filles un accès aux dates de soirées et pour faire un peu de promo. Depuis, on se réunit une fois par mois et on apprend à se connaître. On parle chiffons, mais aussi boulot et vie amoureuse…Avec le temps, on devient amies. » A la fin de la soirée, si certains vêtements ne sont pas échangés, ils sont gracieusement donnés à Emmaüs ou l’Armée du Salut. Une façon de réaffirmer que tout le monde y gagne.



HIGH TECH

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iCub apprend comme un grand

Né il y a quelques semaines en Grande-Bretagne, l’iCub est le premier robot créé à l’image d’un enfant. La machine est ainsi capable d’apprendre et d’évoluer comme un humain. Une révolution.

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Par Antoine Ginekis

’est un garçonnet d’un mètre de haut et 23 kilos. Avec sa petite tête blanche, son sourire et ses membres souples (53° de liberté), l’iCub a des allures de Pinocchio métallique. Imaginé et fabriqué par un consortium de chercheurs européens, ce robot humanoïde, présenté fin févier à l’université de Manchester, est le fruit de cinq années (et 10 millions d’euros) de recherches. Le résultat est révolutionnaire, puisque l’iCub est la première machine capable d’apprendre.

Une faculté acquise grâce à sa morphologie : « L'apprentissage étant basé sur l'interaction avec le monde, notamment entre humains, l'anthropomorphisme d'iCub devrait faciliter les interactions d'un humain avec le robot », analyse Vincent Padois, chercheur au CNRS participant au projet européen RobotCub, à l’oeuvre sur l’iCub. Le robot est recouvert de nombreux capteurs lui permettant d’analyser et ainsi de « comprendre » l’environnement dans lequel il évolue. « Avec un humain qui guiderait le robot par des indications sonores ou gestuelles, on peut envisager l'apprentissage de certaines capacités motrices comme atteindre, prendre ou pousser », continue le chercheur.

UN AVENIR PROMETTEUR

© DR

S’il possède un potentiel certain, l’iCub a néanmoins besoin d’une méthode. Celle-ci est basée sur la spécialisation des tâches à effectuer. « L'ensemble des choses à apprendre est trop vaste, il faut donc guider l'apprentissage vers ce qui concerne les capacités attendues de

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l’iCub », explique Vincent Padois. Pour l’heure, le projet est une vraie réussite qui ouvre le champ des possibles dans un futur proche. Les chercheurs ne manquant pas d’idées, l’iCub s’adapte à des situations très éclectiques : « Tout dépend du laboratoire qui travaille dessus », confirme Stéphane Lallée, membre d’une équipe scientifique de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) possédant le nouveau robot.

Alors qu’il est encore en phase de découverte de son environnement, il s’agit surtout de lui inculquer des réflexes humains, comme le détaille Vincent Padois : « La marche à quatre pattes, la coordination mainœil, la prise d'objets, la déduction basée sur la répétition de séquences, la reconnaissance de visages, les expressions faciales en rapport avec le contexte perceptif du robot. »

Certes, l’iCub est encore loin des performances fantasmées par le cinéma, mais il représente un véritable bond en avant dans la recherche en robotique humanoïde. « A court terme, les avancées sur le projet iCub seront plutôt d’ordre scientifique », reconnaît d’ailleurs Vincent Padois, avant d’envisager un futur pas si lointain : « A plus long terme, la recherche vise des applications de robotique personnelle comme l’assistance aux personnes âgées ou handicapées. » D’ici là, l’iCub continuera d’apprendre ses leçons.


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HIGH TECH

The Man Machine

Originales ou ringardes, les voix robotiques ont traversé mécaniquement l’histoire de la musique. A la faveur de la hype, elles reviennent en force, l’occasion d’un flashback ému.

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Par Adrien Toffolet

près avoir été remisée au clou des innovations gentiment désuètes, la « voix de robot » opère un retour en fanfare. Ces dix dernières années, de nombreux artistes de rap et de R&B ont remis son utilisation au goût du jour. Mais malgré une sonorité futuriste, cet effet ne date pas d’hier. Dans presque tous les genres, du rock au hip-hop en passant par la disco et le funk, les musiciens ont eu recours à cette déformation de la voix, avec un goût inégal.

Cette distorsion est créée à partir de trois éléments : la talkbox, le vocodeur et le plus récent, le logiciel auto-tune. Utilisée principalement lors de solos, la talkbox est constituée d’un tuyau relié d’un côté à une guitare ou un clavier, et de l’autre à la bouche. Le son qui provient de l’instrument est alors modulé en Peter Frampton, précurseur de la talk-box / © DR

fonction des mouvements buccaux du musicien, qui maîtrise l’effet. L’appareil est d’abord utilisé par les rockers : Joe Walsh dans son « Rocky Mountain Way » de 1973, puis Peter Frampton en 1975 avec sa chanson « Show Me The Way », ou plus tard Slash des Guns & Roses. Des artistes de funk l’utiliseront aussi, comme Stevie Wonder ou Roger Troutman de Zapp & Roger, qui finira par en faire sa signature avec « More Bounce To The Ounce » en 1980. Mais malgré les possibilités qu’offre l’appareil, il sera rapidement délaissé.

LES ROBOTS DE KRAFTWERK

A l’inverse, le vocodeur (contraction de voice coder) fabrique un son synthétique à partir d’une voix, en la transformant directement. Inventé en 1940, l’appareil ne connaîtra son heure de gloire que trente ans plus tard, grâce aux tâtonnements des pionniers de la musique électronique. En 1970, l’incroyable The Electric Lucifer de Bruce Haack porte ainsi les premières traces de vocodeur dans des chansons. La distorsion est ensuite popularisée par les robots teutons de Kraftwerk, qui l’expérimenteront dès 1973 avec l’album Ralf Und Florian. Dans leur sillage, des musiciens de tous bords s’y essayent : le groupe de disco-pop Electric Light Orchestra avec « Mr Blue Sky » en 1977, le jazzman Herbie Hancock avec « You Bet

Kanye West, chantre de l’auto-tune

/ © DR

Your Love » en 1979, et même le pape Neil Young, qui utilise le vocodeur sur la moitié des chansons de Trans, son album culte de 1982. L’effet retrouve une seconde jeunesse avec les rappeurs West Coast des années 90, grands sampleurs de funk devant l’éternel, à l’image de 2Pac et de son « California Love » en 1996.

Finalement, c’est Cher et Believe qui, deux ans plus tard, jettent les bases de l’auto-tune. Cette application a la particularité de ne pas remplacer la voix, de la distordre à volonté, et surtout de corriger toutes les fautes du chanteur. Révélé par le Discovery de Daft Punk en 2001, l’effet a essaimé jusqu’aux poids lourds du hip-hop et du R&B, qui avouent l’utiliser massivement. C’est notamment le cas de Kanye West sur son dernier album, 808 & Heartbreak. Mais là où la talkbox et le vocodeur s’imposaient comme des inventions au service de la musique, l’utilisation exponentielle de l’auto-tune peut laisser craindre un putsch de l’effet aux dépens de l’artiste. La faute à Kraftwerk, sûrement. 103


HIGH TECH

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Vers une dématérialisation du jeu vidéo '

Plus les consoles de jeux évoluent, plus les services de jeux en ligne sont privilégiés par les constructeurs. La prochaine génération de consoles sera peut-être celle du téléchargement.

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Par Thibault Delachaux

vec l'AppStore pour l'Iphone, Apple a démocratisé avec succès le téléchargement d'applications via Internet. On recense aujourd'hui plus de 25 000 applications téléchargeables sur le service en ligne du géant américain. Le système est donc une réussite totale, à tel point que Microsoft (avec sa Xbox 360) et Sony (avec la PS3) amorcent une contre-offensive. En obtenant auprès de Rockstar l’exclusivité

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du premier contenu téléchargeable de GTA IV pour près de 50 millions de dollars, Microsoft a fait taire les mauvaises langues. Et si beaucoup de joueurs craignaient un épisode anodin, force est de constater que Rockstar a pris le temps de développer un véritable épisode, apportant environ 15 heures de jeu supplémentaires.

TÉLÉCHARGEMENT EN COURS...

Pour un premier essai, c'est un carton plein. Selon Microsoft, l'extension aurait « éclipsé les recettes "first day" de tout contenu téléchargeable précédemment commercialisé sur le Xbox Live ». Le directeur général du Xbox Live, Marc Whitten, a lui souligné que « le succès de GTA : Lost and Damned redéfinirait ce que les consommateurs attendent des extensions de jeux. Un tel contenu étend la vie de nos jeux préférés et modifie fondamentalement notre manière de jouer ». Vendu 20 euros, l’add-on du célèbre jeu de gangster est la preuve que le public est prêt à acheter du contenu téléchargeable aux dépens d'un jeu en boîte. Dans ces conditions, certains utilisateurs commencent $iko Bellic, héros de GTA IV

toutefois à craindre la disparition à terme du support physique, comme c’est le cas pour la musique. Impensable il y a encore quelques années, la distribution de jeux vidéo en ligne est désormais une réalité concrète, et un système dédié pourrait rapidement faire son apparition. Sony y pense notamment pour sa future PSP 2, dont la sortie est programmée pour la fin 2009. Si la dématérialisation des biens culturels est en train de se généraliser, la numérisation des jeux vidéo permet à des développeurs indépendants de sortir leur épingle du jeu, face à des mastodontes comme Electronic Arts ou Sony.

En 2008, deux jeux ont ainsi réussi à se hisser dans le top 5 des meilleurs jeux de l'année. Braid, développé par Jonathan Blow (Xbox Live Arcade et bientôt sur PC) et World Of Goo de 2D Boys (PC, Linux, Mac et WiiWare). Deux jeux indépendants, développés à l’écart de toute pression commerciale, qui s’imposent comme un terreau fertile à la création. Cette année, c'est au tour de Flowers de se démarquer. Le jeu est disponible sur PS3, mais uniquement en ligne, via le Playstation Network. Le petit monde du jeu vidéo est aujourd’hui à une étape charnière de son évolution. Alors que les éditeurs sont prêts à tout pour réduire des coûts de développement exorbitants, ils devront convaincre les joueurs qu’ils ne sont pas de simples consommateurs.


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HIGH TECH

Twitt er, un réseau social )au* singulier

Nouveau venu dans la jungle des réseaux sociaux, Twitter provoque un buzz sur le web. Ce nouvel outil, d'abord réservé à une majorité de technophiles, tend à se démocratiser.

«

Emeline Marceau

Je mange en regardant Roomba jouer avec les croquettes du chat. La semaine a bien commencé :-) ». Cette phrase, c'est Tweety qui vient de la poster sur le Twitter de Stephtara. Depuis quelques mois, ce service gratuit s’est imposé comme le nouveau gadget des internautes, reléguant Myspace et Facebook au rang de dinosaures. Le créneau de Tweeter ? Le microblogging. L'utilisateur dispose de 140 caractères pour diffuser des mini-messages (appelés « tweets ») en temps réel, soit en public soit sur un réseau privé. Il peut choisir les membres dont il veut suivre les publications, et réciproquement. Les messages peuvent être envoyés depuis un téléphone portable ou à partir d’une messagerie instantanée, et redirigés sur la page du site. Sans révolutionner les rapports sociaux sur la Toile, Twitter propose une voie alternative. Plus que le réseautage et la cooptation, en vogue sur Facebook, l’outil permet à son utilisateur de raconter ce qu’il fait en temps réel. « Twitter représente l'expression ultime de la pulsation humaine », résume ainsi Luc Bretones, vice-président du groupe Réflexions & Stratégies et représentant de l'Institut G9+,

qui regroupe des anciens de grandes écoles. Ces derniers mois, le phénomène a franchi un palier supplémentaire. Selon l'agence de marketing interactif Hubspot, Twitter totaliserait déjà entre quatre et cinq millions

de membres depuis sa création en mars 2006 aux Etats-Unis par la société Obvious. La fréquentation du site a même augmenté de 343 % en un an depuis septembre 2007, et entre 5000 et 10 000 nouveaux comptes sont ouverts chaque jour. « Au départ, les utilisateurs représentaient surtout de vrais technophiles, ce qu'on appelle communément des geeks ou des nerds »,

relève Luc Bretones. Aujourd'hui, l'outil se démocratise à tel point qu'il séduit au-delà des jeunes « connectés ». « J'ai montré à ma mère mon Twitter. Depuis, elle pense à se créer un compte car elle trouve cette manière de communiquer amusante », explique ainsi Elodie, 24 ans, inscrite sur la plateforme depuis le mois de décembre 2008. Pour autant, Twitter peutil créer du lien social ? Pour Luc Bretones, il fait partie de « ces nouvelles technologies du lien social qui finiront par s'imposer ». Pour lui, ce type de réseaux sociaux numériques relève d'un véritable phénomène sociétal : « Aujourd'hui la fidélité des gens à une plateforme Internet de ce genre ne vient pas de l'ergonomie de celle-ci mais plutôt de sa sociabilité, de son humanité. L'évolution de ces pratiques virtuelles vient de données réelles ». Pierre Mercklé, professeur de sociologie à l'Ecole Normale Supérieure à Paris et auteur du livre « Sociologie des réseaux sociaux », s'aligne sur ce point de vue : « Ces technologies sont au service des comportements relationnels, qu'elles n'engendrent pas, mais qu'elles instrumentent simplement ». En somme, un véritable médium 2.0. 105


HUMEUR

Penthotal et gros mensonges

Par Jérôme Corbin et Olivier Tesquet

Image extraite d’une publicité pour Total / © DR

Total est une entreprise heureuse et florissante. Après avoir annoncé un bénéfice record de 14 milliards d’euros, la première entreprise française peut aborder l’avenir sereinement. Son président, Christophe de Margerie, promet de réinvestir cette manne au sein du groupe. L’Etat applaudit le bon élève, cité en exemple de l’entreprenariat français efficace et responsable.

Mais la supermajor avait gardé le meilleur pour la fin. En guise de dividendes exceptionnels, elle a annoncé à ses chanceux employés la suppression de 555 postes. Où plutôt, comme l’exige le vocable libéral le plus lénifiant, un plan de départs volontaires non remplacés. Sûrement faut-il y voir les subtilités de la bonne fortune. En boucle sur les chaînes d’info en continu, un porte-flingue du groupe osait affirmer, face caméra et sans trembler du menton : « Si on ne s’adapte pas, on meurt ». Dans sa bouche, cette assertion frontale avait des allures de « marche ou crève ». Cette phrase ne serait qu’un pantomime sans talent si elle n’était pas une sentence assénée comme un uppercut à des salariésobjets. Pas de quoi défriser pour autant la moustache de son PDG à particule, étonnamment mutique depuis quelques semaines.

Visiblement préoccupée par l’avenir de ses marges bénéficiaires, pourquoi la direction n’ose-t-elle pas tremper ses Weston dans l’eau croupie de ses pratiques sur le continent africain, qu’elle foule aux pieds ? Ce n’est plus un secret, Total n’a pas hésité à se substituer à l’Etat français pour défendre le pré carré de ses intérêts pétroliers au fil des décennies. Il n’est pas inutile de rappeler qu’à la fin des années 90, Denis Sassou Nguesso a pu s’appuyer sur les milices armées de la compagnie pour reprendre le pouvoir à Lissouba au Congo-Brazzaville. Aujourd’hui encore, plus à l’est, les esclaves dociles de la junte birmane creusent des fosses pour les canalisations de Total, dans l’opacité de sociétés-écrans. Dans ses spots publicitaires, l’entreprise claironne qu’on ne viendra plus chez eux par hasard. Ce n’est pas totalement faux. En tombant le masque, elle annonce la couleur. Celle de l’argent.

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