SUSTAINABILITY #10 - IMS Luxembourg MAG

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SUSTAINABILITY #10

IMS LUXEMBOURG MAG

VERS UNE SOCIÉTÉ DU « CARE » ? L'alimentation d'après Le système alimentaire mondial est en panne. Et après notre façon XXL de cultiver et de consommer, quelles solutions pour demain ? The world food system is broken. And after our XXL way of cultivating and consuming, what solutions for tomorrow?

Du washing à la douche froide

La Prophétie

Au cœur de Molenbeek

Drones

La communication corporate en eaux troubles Corporate Communication in Murky Waters

Une toute autre histoire A Whole Different Story

Un conte en images imaginé par Fabrice Monteiro A Pictorial Tale Imagined by Fabrice Monteiro

La résilience venue du ciel ? Resilience from the Sky?


INSPIRING SUSTAINABILITY IMS LUXEMBOURG MAG Édité par IMS Luxembourg pour ses membres B.P. 2085 / L-1020 Luxembourg www.imslux.lu info@imslux.lu Tél. : +352 26 25 80 13 RÉDACTRICE EN CHEF Marie Sauvignon RÉDACTION Frédéric Brochier Marine Detry Corentin Dion Gabriela Guerrero Amélie Jeannesson Mathilde Leré Laura Mullenders Lucie Rotario Marie Sauvignon TRADUCTION ET ADAPTATION Meriem Badis, Marine Detry, Gabriela Guerrero, Luca Macchi, Laura Mullenders, Sophie Öberg, Lucie Rotario, Priscilia Talbot, Nancy Thomas, Tannis Thomas ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Rachel Reckinger, Ryadh Sallem, Christian Scharff CONCEPTION GRAPHIQUE Aurélien Mayer, Lucie Rotario IMPRESSION Imprimerie Reka PHOTOGRAPHIES DJi Agras, AtelierGrootEiland, Atlas de l'alimentation, Matt Benson, Peter Bond, Gary Butterfield, John Cameron, Emmanuel Claude, Freddy D'Hoe, #Duvraidupasvert, Dove, Draganfly, Victor Fursov, Erik mcClean, Miti, Frederic Stucin, Riccardo Gangale, Johny Goerend, Peter Gonzalez, Annie Hilina, Amy Kumler, Jonathan Lampel, Jon Levitt, Sophie Margues, Fabrice Monteiro, Charles Post, Christophe Loebl, Pixabay, Publicdomainpictures.net, Spencer Pugh, Roksenhorn, Goh Rhy Yan, ROAV7, Sea Sheperd, Hewitt Sperry, Shutterstock, Dion Tavenier, Tesco, Tompkins Conservation, Uncensoredlibrary. com, Unsplash, Saskia Vanderstichele, Wikicommons N° ISBN : 978-2-9199614-4-3 Illustration : Game Changer, l’oeuvre du célèbre Banksy, offerte par l’artiste à l’hôpital de Southampton, en reconnaissance aux métiers du care. / Game Changer, a work by the famous Banksy, donated by the artist to Southampton Hospital in recognition of the care professions.

Photo de couverture : Andrew Matthews


EDITO Un monde interdépendant

Comme à son habitude, le mystérieux Banksy a frappé juste. Son œuvre Game Changer, offerte à l’hôpital de Southampton en plein confinement, est un marqueur de la crise que nous traversons et cristallise un changement dans nos représentations. Exit batman et superman aux pouvoirs surhumains, nos héros ont changé. Ceux que l’on applaudit désormais sont ces anonymes, ces personnes, jusqu’ici invisibles, qui se distinguent par l’engagement et l’attention qu’ils portent aux autres. Et pour cause. Nous faisons collectivement le constat de notre vulnérabilité et de notre interdépendance. D’où l’importance reconnue soudainement à ces métiers dits de première ligne, qui doivent en de telles circonstances, œuvrer in primum, pour assurer au prix de leur santé, le « plan de continuité » de notre société. Cette œuvre signe-t-elle un épiphénomène ou bien une tendance lourde ? Car une fois un danger écarté, il est tentant de revenir à l’idée réconfortante, jusqu’ici prévalente, de l’individu maître de son destin et seul artisan de son bonheur. Or, nos vulnérabilités sont multiples. Les risques environnementaux, sanitaires, économiques sont de plus en plus pressants et il est urgent d’inventer ensemble les solutions nous permettant de progresser sur le chemin de la résilience… Notre interdépendance est précisément notre force. Notre société, consciente de ses fragilités, se doit d’entamer une réflexion sur la façon dont elle peut structurellement prendre soin de ses communs, de ses concitoyens, et s’engager sur la voie du « care ». Le collectif reste aujourd’hui à réinventer.

Once again, the mysterious Banksy struck just right. Game Changer, the work he offered Southampton Hospital during lockdown, marks this crisis we are going through and crystallises a shift in our representations. Gone are Batman and Superman with their superpowers: our heroes have changed. We now applaud the anonymous, hitherto invisible people who stand out for their commitment and care for others. And rightly so. We are collectively acknowledging our vulnerability and interdependence. Hence the sudden recognition of these “so-called” front-line workers, who in such circumstances ensure, at the cost of their own health, our society's "continuity plan". Is this work an epiphenomenon or a prevailing trend? For once danger has been averted, it is tempting to switch back to the old and comforting idea of the individual as master of their destiny and sole architect of their happiness. However, our vulnerabilities are multiple. Environmental, health and economic risks are increasingly pressing, and it is urgent to find solutions together to move along the path to resilience... Our interdependence is precisely our strength. Aware of its fragilities, our society must begin to reflect on how it can structurally take care of its people and fellow citizens, and embark on the path of "care". The collective has yet to be reinvented.

Marie Sauvignon, Rédactrice en chef

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38 Fabienne Brugère L'éthique du « care »

50 L'alimentation d'après

94 Au cœur de Molenbeek

80 The World's Food Diversity vault

108 La résilience venue du ciel ?

122 La prophétie de Fabrice Monteiro

73 Meet Birgit Cameron from Patagonia

92 The Uncensored Library

8 Du washing à la douche froide

SUSTAINABILITY #10


SOMMAIRE

CONTENT

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EDITO

SOCIOLOGIE DU « CARE »

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OPINION COLUMN RACHEL RECKINGER: "SOME REFLECTIONS ON THE RESILIENCE OF LUXEMBOURG’S FOOD SYSTEM"

LE BILLET DU PRÉSIDENT

DU WASHING À LA DOUCHE FROIDE

FABIENNE BRUGÈRE : « L'HUMANITÉ EST VULNÉRABLE »

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TRIBUNE RYADH SALLEM : « COMMENT ENVISAGER LE MONDE DE DEMAIN ? »

GRAND SOL MALADE L'AGRICULTURE RÉGÉNÉRATIVE À SON CHEVET

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09 COMMUNIQUER EN CONTEXTE DE DÉFIANCE

12 QUAND LE VERT EST À MOITIÉ VIDE

19 LES YEUX RIVÉS SUR L'ENGAGEMENT SOCIAL DE LA MARQUE EMPLOYEUR

GRAND FORMAT

L'ALIMENTATION D'APRÈS

MEET BIRGIT CAMERON MANAGING DIRECTOR AT PATAGONIA PROVISIONS

78 À LIRE, À VOIR

80 52 LA FAILLITE DE L'HYPERSTANDARDISATION

THE WORLD'S FOOD DIVERSITY VAULT INTERVIEW WITH STEFAN SCHMITZ

58

VERS UNE SOCIÉTÉ DU « CARE » ? 25 NOS CHAÎNES DE VULNÉRABILITÉ

FOOD FOR THOUGHT

60 DES IDÉES QUI GERMENT AUX QUATRE COINS DU MONDE

62 LE GRAND RETOUR DU LOCAL

ILS FONT LE BUZZ 92 THE UNCENSORED LIBRARY UN REFUGE POUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

Sommaire / Content

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C'EST COMMENT AILLEURS ? 94 AU CŒUR DE MOLENBEEK, UNE TOUTE AUTRE HISTOIRE

102 RENCONTRE AVEC TOM DEDEURWAERDER

SCIENCE & TECH 108 DRONES LA RÉSILIENCE VENUE DU CIEL ?

CULTURE 122 LA MISE EN GARDE DES GÉNIES UN CONTE IMAGINÉ PAR FABRICE MONTEIRO

LE RÉSEAU EN BREF 134 ACTUALITÉS MEMBRES

139 PICTURES REPORT

153 LES PROCHAINS RENDEZ-VOUS

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SUSTAINABILITY #10


LE BILLET

DU PRÉSIDENT Care. Cela vous inspire quoi ? Un verbe anglais qui signifie « prendre soin, regarder, protéger, soigner... », un nom commun qui signifie « inquiétude, souci ». Une ONG du même nom ? À bien y penser, nous sommes dans une situation paradoxale où nous dépensons des milliards en ce moment en « care ». Care pour surmonter la Covid, soigner les malades, tester, trouver un vaccin. Care pour soigner notre planète malade, avec des succès relatifs, trop longs à venir et des méthodes parfois très discutables. Care pour notre alimentation avec une croissance très forte du BIO (parce que nous ne mangions évidemment plus des produits naturels...). Care pour nos salariés dont nous soignons les compétences, la santé, l'état psychique (et oui les burn out ne sont pas ou plus un mythe). Care pour les millions de sans emploi, sans domicile, migrants. Care pour nous, essayant d'équilibrer vie privée et professionnelle, d'avoir une alimentation saine, de bouger un minimum. Care... Pour tous ces sujets, et bien d'autres, nous sommes inquiets et essayons de prendre soin. Alors, nous dirigeons nous vers une Société du care ? Comment faire pour démêler les vaines promesses et la réalité, les faits ? Ce numéro devrait vous passionner si ce sujet vous intéresse. Après notre focus sur cette possible société du care, nous allons nous pencher sur nos assiettes et l'alimentation de demain. Sur l'échec de l'hyperstandardisation et la volonté du consommateur de revenir à des choses sensées. Des produits de saison, de proximité, naturels, pas forcément calibrés. De voir apparaître les « paniers » de saison que l'on vous livre à la maison, les légumes avec leur recettes de la semaine sur le pas de votre porte, leurs jardins bio où l'on peut se rendre, les colis de viande « bio et sans antibiotique », les serres et jardins urbains sur nos terrasses ou les toits de nos

immeubles. Comme un besoin de se rapprocher et de « reverdir » nos villes. Des initiatives encore timides... Mais les lignes bougent, avec par exemple, les nouvelles avancées de la réglementation française sur la vente en « vrac » pour acheter la juste quantité, sans emballage. Mais aussi avec les investissements massifs de certains fonds dans le concept d' « Urban Farming », les labels bio de plus en plus prisés quoiqu'encore peu lisibles et trop nombreux. Car le Green Washing n'est jamais loin. Entre la promesse et la réalité, l'écart est parfois important et il devient de plus en plus dangeureux de jouer avec son image « écolo » à l'heure des médias sociaux. C'est notre focus sur le sujet suivant. Enfin, comme une note exotique et digitale, nous faisons un focus sur les drones au service du développement durable. Ou comment utiliser la technologie (qui est bien notre alliée et pas un ennemi) pour monitorer nos champs, nos récoltes, éviter les longs déplacements humains, souvent inefficaces et nous livrer plus d'informations, plus vite. Alors care ? Qui serait contre ? Sur le concept, nous pouvons tous nous mettre d'accord mais encore faut-il passer aux actes. Et là... ? Et là, chaque geste citoyen, chaque décision managériale et politique compte. Car ne nous y trompons pas, cet alignement entre la politique, l'entreprise et l'individu sera la clé de notre réussite collective pour vivre (encore) longtemps ensemble et en paix sur notre si belle planète. Enjoy reading, Act and (take) Care...

Christian Scharff Président, IMS Luxembourg

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DU WASHING À LA

DOUCHE FROIDE

P. 9 Communiquer en contexte de défiance P. 12 Quand le vert est à moitié vide P. 19 Les yeux rivés sur l'engagement social de la marque employeur

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SUSTAINABILITY #10


Communiquer en contexte de défiance Communicating in a world of mistrust Une tendance peut en cacher une autre, c’est bien connu. De la tentation du washing à l’écueil plus récent mais bien réel du bashing, les arguments à résonnance sociétale occupent toute l’attention des communicants. Un fait peu étonnant, car la promotion corporate des engagements vertueux est un exercice d’équilibriste à haut risque que nous proposons ici de décortiquer ! It is well known that one trend can hide another. From the temptation of washing to the more recent but very real pitfall of bashing, arguments with societal resonance occupy all the communicators' attention. This is hardly surprising because the corporate promotion of virtuous commitments is a high-risk balancing act, which we propose to unravel here! À l’ère du tout numérique, notre perception de la vérité est constamment malmenée par la prolifération d’informations. Chaque jour apporte son lot de fake news, rumeurs et théories du complot avec à la clé un scepticisme grandissant et des indicateurs de confiance en berne envers les médias, les politiques ou les entreprises. Selon le baromètre Edelman Trust en 2019, seulement 51 % de la population mondiale accordait sa confiance aux entreprises, un score tout de même supérieur à celui des médias et gouvernants

avec 43 % ! La crise de la Covid n’améliorera sûrement pas le constat et semble même avoir tendance à aiguiser la méfiance à l’égard du système économique actuel, mondialisation in primis. Face à une opinion toujours plus sceptique, assurer crédibilité sociale et écologique s’avère être une opération nécessaire pour les entreprises. D'ailleurs, 73 % des consommateurs mondiaux pensent que les entreprises peuvent augmenter leurs profits tout en améliorant les conditions sociales et économiques des communautés où elles opèrent.

Ils considèrent désormais que les entreprises doivent prendre des positions explicites sur les sujets sociétaux et tenir leurs engagements. Pour résumer trivialement la posture client, il ne faut plus leur en promettre. Aujourd’hui, toujours selon le baromètre Edelman Trust, 67 % des consommateurs mondiaux s’accordent sur le fait qu’ « une bonne réputation peut leur faire essayer un produit, mais sans confiance envers l’entreprise derrière le produit, ils arrêteront rapidement de l’acheter ».

Du washing à la douche froide

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Si cette tendance se vérifie pour toutes les tranches de population, les attentes sont encore plus fortes chez les plus jeunes. Les nouvelles générations ont un regard averti sur les techniques marketing et se montrent moins sensibles aux approches commerciales classiques. Leurs décisions sont avant tout guidées par l’authenticité et la transparence ; elles tiennent ainsi logiquement les entreprises pour responsables de la cohérence entre leurs paroles et leurs actes. N’oublions pas en effet que les Millenials, chefs de file de ces tendances globales, représentent aujourd’hui 50 % de la population active mondiale et pas moins de 75 % en 2025. Valoriser ses engagements devient donc un sujet délicat et complexe pour l’entreprise. En effet, les écueils sont nombreux sur la route vertueuse de l’hyper-transparence, graal des entreprises et nouvelle exigence des citoyens-consommateurs. Pour rester dans la course, la tentation de suivre la tendance et d’adapter sans cesse le message et le positionnement est grande. « Surfer sur la vague » des préoccupations sociétales peut être un déclencheur

pour quelques entreprises qui saisissent une opportunité d’évoluer, mais d’autres utilisent simplement l’image positive véhiculée par ces concepts sans faire de réels efforts en interne. Le résultat peut être dévastateur, avec des possibles « effets boomerang », et d’une manière générale, ces pratiques menacent les efforts réels déployés par les entreprises les plus engagées dans des démarches responsables. Bienvenue dans le monde trouble du « washing », terme générique utilisé pour qualifier les dérives multiformes de la communication corporate. Que cela soit le « greenwashing » bien connu, le « woke-washing » (faux réveil sociétal), le « good-washing » (promotion erronée du bien-être commun) ou encore le « purpose-washing » (fausse raison d’être), le washing pointe les incohérences entre communications et actions, notamment lorsque les valeurs d’une organisation sont mises en avant de manière à embellir la réalité pour vendre plus. Le washing est alors le cache-misère d’un management défaillant visant à « habiller » le bilan et les résultats d’une entreprise en fonction de besoins stratégiques.

Valoriser ses engagements devient un sujet délicat et très complexe pour l’entreprise

Mais attention, la tolérance du public n’est plus ce qu’elle était et la capacité de décryptage des asymétries entre discours et exécution va grandissante. Le retour de manivelle peut être violent face à un activisme en ligne réactif et une viralité qui risque rapidement de tourner à la polémique. Prendre le contrepied et s’intéresser aux pratiques du washing peut être riche d’enseignements pour répondre à cette question complexe : comment crédibiliser les engagements sociétaux des acteurs économiques, au delà de l’effet de levier marketing et des effets d’annonce ? <

Dernier né et nouveau point de vigilance, le solidarity washing

S IN SO BE

ESTIME / ESTEEM

APPARTENANCE / BELONGING

SÉCURITÉ / SAFETY

BESOINS PHYSIOLOGIQUES / PHYSIOLOGICAL NEEDS

Pyramide de Maslow - Maslow Pyramid

S

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DE SOI / BEING (GROWTH)

ED

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ACCOMPLISSEMENT

NE

La crise de la COVID-19 a provoqué une rupture de nos modes de vie ainsi que de grands élans de solidarité. Un bouleversement suffisamment profond pour bousculer la hiérarchisation des besoins, mise en évidence dans la pyramide de Maslow. Notre rapport à l’essentiel est remis en question: les besoins physiologiques ou de sécurité ne sont désormais plus considérés comme acquis, notre attention prioritaire revient ainsi vers le bas de la pyramide (voir figure). La tentation pour certains acteurs économiques d’adapter leur communication face à ces changements peut être grande. Mais attention, utiliser les mots magiques « solidarité » et « entraide » tout azimut au nom de la crise sanitaire peut faire basculer l’élan philanthropique dans le solidarity-Washing ou « Covid-washing », simple enfumage promotionnel opportuniste.


In the all-digital age, our perception of truth is continuously challenged by the proliferation of information. Each day brings its share of fake news, rumours and conspiracy theories, with growing scepticism and indicators of low trust in the media, politics or companies. According to the Edelman Trust barometer in 2019, only 51% of the world's population trusted businesses (a score still higher than the media and governments' one with 43%!). The COVID crisis will certainly not improve the observation and even seems to tend to heighten mistrust against the current economic system, globalisation in particular. Facing an increasingly sceptical public opinion, ensuring social and ecological credibility is proving to be a necessary operation for companies. Moreover, 73% of global consumers believe that organisations can increase their profits while improving the social and economic conditions of the communities in which they operate. They now consider that companies must take explicit positions on societal issues and keep their commitments. To trivially sum up the customer posture, you can't fool them anylonger. Today, still according to the Edelman Trust barometer, 67% of global consumers agree that "a good reputation can make them try a product, but without trust in the company behind the product, they will quickly stop buying it". While this trend is valid for all population segments, expectations are even higher amongst the youngest members of the population. The new generations have

a keen eye for marketing techniques and are less sensitive to traditional commercial approaches. Their decisions are guided above all by authenticity and transparency; they logically hold companies responsible for the coherence between what they say and what they do. Indeed, we have to remember that the Millennials, leaders of these global trends, represent 50% of the world's working population today and no less than 75% in 2025. Valuing commitments therefore becomes a delicate and complex subject for a company. Indeed, there are many pitfalls on the virtuous road to hyper-transparency, both an ultimate achievement for companies and a new requirement from citizen-consumers. To stay in the race, the temptation to follow the trend and constantly adapt the message and the positioning is strong. "Riding the wave" of societal concerns can be a trigger for some companies that seize an opportunity to evolve, and others only use the positive image that these concepts convey without making any real effort internally. The result can be devastating, with possible "boomerang effects"; and generally speaking, these practices threaten the genuine efforts made by the companies most committed to responsible approaches. Welcome to the murky world of "washing", a generic term used to describe the multifaceted drifts of corporate communication. Whether it is the well-known "greenwashing", "wokewashing" (false social awakening), "good-washing" (false promotion of the common well-being) or "purposewashing" (fake reason for being),

Ensuring social and ecological credibility is proving to be a necessary operation for companies

washing points out the inconsistencies between communications and actions, especially when an organisation's values are highlighted to make the reality more attractive to sell more. In such cases, washing is the cover for failing management to "dress up" a company's results according to strategic needs. But beware, public tolerance is no longer what it used to be and the ability to decode the asymmetries between discourse and execution is growing. The backlash can be violent towards reactive online activism and a virality that quickly risks turning hostile. Doing the opposite and taking an interest in washing practices can be instructive. How can the societal commitments of economic players be made credible, beyond the marketing leverage and advertising effects? <

The latest and new point of vigilance, solidarity washing The crisis of COVID-19 has caused a rupture in our lifestyles as well as large waves of solidarity. A disruption deep enough to shake up the hierarchy of needs, as evidenced in Maslow's pyramid. Our approach to what is essential is being reconsidered: physiological or safety needs are no longer taken for granted, and our priority attention is shifting back to the bottom of the pyramid (see figure opposite). The temptation for some economic players to adapt their communication in response to these changes can be significant. But beware, using the magic words "solidarity" and "mutual aid" all in the name of the health crisis can turn the philanthropic impulse into solidarity-washing or "covid-washing", simple dishonest opportunistic promotion.

Du washing Ă la douche froide

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Quand le vert est à moitié vide Fifty Shades of Green

Ces dernières années ont vu une véritable explosion du marketing vert avec un relifting stratégique de certains secteurs, l’automobile ou l’informatique par exemple. Toutefois, à coups de logos trompeurs, de slogans accrocheurs et d’étiquetages douteux, certaines entreprises faussent les cartes de l’hypertransparence en faisant miroiter des promesses vertes et vertueuses. Les actions de marketing qui visent à donner un contenu environnemental à des produits ou actions qui en sont dépourvus constituent l’écoblanchiment, plus connu sous la notion anglaise de greenwashing, terme utilisé pour la première fois en 1986 par l’environnementaliste Jay Westerveld. Autrement dit, c’est la récupération mercantile des préoccupations environnementales tout en conservant les mêmes méthodes ou technologies « business as usual ». Les conséquences du greenwashing sont doubles : les consommateurs se font manipuler et les bénéfices environnementaux sont nuls. The last few years has seen an explosion of green marketing with a strategic shift in certain areas; for example, the automotive or IT sectors. However, with misleading logos, catchy slogans and suspicious labelling, some companies are faking hyper transparency by dangling promises of green and ethical practices. Marketing actions that aim to give environmental content to products or operations that do not contain it are known as greenwashing, a term first used in 1986 by environmentalist Jay Westerveld. In other words, it is the mercantile takeover of environmental concerns while keeping the same methods or technologies "business as usual". The consequences of greenwashing are twofold: consumers are manipulated and the ecological benefits are zero.

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Sous surveillance La publicité est souvent décriée pour son utilisation des techniques de greenwashing afin d’influencer la perception des consommateurs. Par exemple avec l’utilisation exagérée d’éléments graphiques ou sonores qui évoquent la nature : couleur verte, images de forêts, chants d’oiseaux... Le bon sens permet souvent de déjouer les cas les plus flagrants, mais d’autres messages sont plus ambigus. L’action des associations de consommateurs et des ONGs a contribué à décrédibiliser les campagnes de promotion basées sur des allégations environnementales trompeuses. Le prix Pinocchio est ainsi décerné chaque année par l’association des Amis de la Terre aux campagnes les plus mensongères (voir encadré ci-contre). On se souvient par exemple du cas de la marque Renault dont la publicité « Eco 2 » montrait la navigatrice Ellen MacArthur et une voiture faisait repousser comme par miracle, l'herbe automatiquement sur son passage. Le retour de manivelle a été cinglant et les consommateurs ont condamné la communication du constructeur à de multiples reprises. L'autorité française de régulation de la publicité a depuis remis un avis négatif à ce sujet.

De véritables systèmes de vigilance s’organisent désormais sur les réseaux sociaux pour dénoncer les abus, à l’instar de la campagne twitter #duvraidupasvert qui déniche les slogans trompeurs dans le secteur de la mode. En réalité, cette veille permanente et omniprésente des citoyens laisse de moins en moins de place à l’intox. Mais cela ne s’arrête pas là. Au greenwashing fait maintenant écho le greenbashing (littéralement : cogner sur le vert), nouvelle pratique visant à décrébiliser tout ce qui est « vert ». Plus concrètement, cela consiste à faire la promotion d’un produit ou d’un service en se moquant de l’écologisme et de ses militants qui sont alors souvent caricaturés. Le greenbashing s’appuie sur des clichés pour ériger la marque ou le produit à l’encontre d’un prétendu totalitarisme écologiste dominant. Ce type de communication prône le « laisser vivre » face à l’écologie culpabilisatrice, fer de lance du politiquement correct, pour assumer une activité loin d’être vertueuse. Un cas d’école reste la campagne de publicité Goodyear avec le « goodchoix » qui ridiculise les écolosbobos.

Le Prix Pinocchio dénonce les communications trompeuses Fondé en 2008 par l'association les Amis de la Terre et décerné de 2009 à 2015, le Prix Pinocchio a fait son retour en 2019. Il vise à dénoncer les entreprises qui pratiquent le greenwashing et récompense ironiquement trois des pires entreprises en matière de respect des engagements environnementaux. À chaque édition, plusieurs firmes sont nommées pour le décalage flagrant entre leur message promotionnel et la réalité de leurs actions. Les Prix Pinocchio illustrent par des cas concrets les atteintes au climat, à l’environnement et aux droits humains. L’édition 2020 dédiée au secteur de l'agrobusiness a « récompensé » la firme norvégienne d'engrais Yara, suivi par Lactalis et Bigard. Un prix qui a suscité cette année près de 12 700 votes en ligne.

Les campagnes se multiplient sur les réseaux sociaux pour sensibiliser les consommateurs aux incohérences des discours de marques. Campaigns are multiplying on social networks to raise consumer awareness of the inconsistencies in brand discourse.

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L’essor des marques activistes À l'extrême opposé du spectre se trouvent les marques activistes. Stimulées par l’opinion publique et encouragées par les collaborateurs, certaines entreprises prennent réellement position, prenant conscience qu’elles ont un rôle crucial à jouer face à des instances politiques affaiblies et des médias classiques décrédibilisés. Et elles ont raison ! Patagonia et Ben & Jerry’s sont deux marques reconnues pour leur engagement et prises de position tranchées. L’activisme et la volonté assumée d’avoir un rôle de plaidoyer sont alors inscrits dans l’ADN de l’entreprise allant jusqu’à protester et s’indigner publiquement pour défendre une cause bien définie. C’est tout à fait la stratégie de Patagonia qui a reformulé récemment sa raison d’être : « Notre entreprise existe pour sauver la planète » et explique dans la section « activisme » de son site : « Nous voulons utiliser les ressources à notre disposition (notre voix, notre entreprise et notre communauté) pour agir contre le changement climatique ». La marque a, à cette fin, créé les Films Patagonia, élément phare de son dispositif de sensibilisation aux enjeux environnementaux, animé par un collectif de réalisateurs engagés. Dans un esprit voisin, Ben & Jerry’s possède également un activism manager dédié spécifiquement à ces questions. Pour ces marques, l’engagement est au cœur du business model et les convictions parties intégrantes des stratégies. L’authenticité est le ciment de leurs démarches, le plaidoyer leur modus operandi, l’impact positif leur seule unité de mesure. Si une telle exigence séduit de plus en plus de consommateurs, l’activisme sociétal

des marques est une pratique très exigeante car la contribution positive doit être absolument tangible. En effet, comme le résume Strick Walker, ex-directeur de Marketing Global de Patagonia « les consommateurs sont assez malins et éduqués pour déceler les communications de marque qui ne sont pas représentatives des actions et valeurs réelles ». Attention ! De l’activisme au washing, il n’y a qu’un faux pas qu’il vaut mieux ne pas franchir au risque d’être confronté à la vindicte populaire impitoyable sur les réseaux sociaux. Les techniques du greenwahing Identifier le greenwashing n'est pas toujours chose aisée, il y a des nuances de vert et des subtilités dans l’utilisation frauduleuse de l’argument écolo. Certaines entreprises investissent de manière proactive dans des actions respectueuses de l'environnement, tandis que d'autres se concentrent sur de la communication creuse voire mensongère. La matrice ci-dessous inspirée du travail de l’ONG américaine BSR (Business for Social Responsibility)[1] permet aux entreprises de visualiser ces variantes pour mieux comprendre où elles se situent et comment elles peuvent progresser vers l’optimum vertueux, en haut à droite « Communication environnementale efficace ». Quelques conseils élémentaires mais judicieux ont été ajoutés pour aider les organisations à éviter toute forme de greenwashing. [1] Horiuchi, R.,Schuchard, R.,Shea, L. & Townsend, S. (2009). Understanding and preventing greenwash : a business guide.

Valeur écologique / Value to the Environment

TYPES DE GREENWASH / TYPES OF GREENWASH

Communication imprécise Il existe de meilleures façons de communiquer vos résultats

Unclear communications There are better ways to communicate your strong results

Communication environnementale efficace Effective Environmental Communications

Pur greenwashing

Communication infondée

Votre communication est inéfficace et dessert votre entreprise

Votre communication manque de crédibilité, votre marque est à risque

Greenwash Noise Your communications are inefficient and work against your business

Unsubstantiated communications Your claims lack credibility and your brand is at risk

Efficacité de la communication / Effectiveness of Communications

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SUSTAINABILITY #10


Communication imprécise

Communication infondée

Cette catégorie concerne les entreprises qui font des efforts substantiels en termes de performance environnementale mais ont une communication inefficace. Elles font des généralisations radicales dans leurs affirmations ou avancent des promesses excessives ou encore utilisent à mauvais escient un langage écologique ou scientifique non maîtrisé. Le produit peut aussi être présenté comme totalement écologique alors que seul un de ses éléments l’est. Ces organisations ont un réel potentiel pour progresser vers le quadrant « Communication environnementale efficace » en concentrant leurs messages avec précision sur les impacts positifs tout en étayant ces affirmations avec des données clés.

Le manque de preuve est la forme la plus fréquente de dérive marketing suivi de près par l’imprécision volontaire. Cela concerne le plus souvent une allégation environnementale non-étayée par des informations fiables. Le flou alimente le greenwashing. L’utilisation de slogans vagues ou du type « composé à X % de déchets recyclés », « Y % de réduction d’émissions de CO2 », non vérifiables est un signe. Ces données servent alors de promesse mais ne sont validées par aucun organisme tiers, ni même basées sur des analyses fiables. Impossible donc pour le consommateur de vérifier l’information. À titre d’exemple, rappelons qu’un produit nettoyant « entièrement naturel » peut toujours contenir des ingrédients nocifs qui se trouvent naturellement dans l’environnement comme le mercure ou l’arsenic. Au premier abord, les mots n’engagent à rien, mais la rhétorique trompeuse ne pourra que se retourner contre l’organisation. Avec le temps, ces entreprises tendront vers le quadrant « Pur Greenwashing ».

Conseils : Être précis sur la portée de ses efforts, ne pas généraliser les bénéfices. La communication sur les engagements de l'entreprise doit être spécifique et présenter des actions dont les effets sont évalués. Se limiter aux effets positifs vérifiés et vérifiables. Privilégier l’humilité grâce à un message clair et maîtrisé.

Pur greenwashing Entre opportunisme écologique et réel mensonge, la frontière est subtile. Cette catégorie concerne les entreprises qui utilisent volontairement le marketing pour s'octroyer, sans le moindre fondement, une image écologique. On entre dans la réelle tentative de manipulation à grand renfort d’éléments graphiques ou sonores d’ordre symbolique qui évoquent la nature ou une image écolo de manière plus ou moins subliminale. Les faux labels font partie du lot. Un « label écologique » fantoche peut faire croire à une véritable certification alors qu’il ne s’agit que d’une initiative « maison » développée sans méthode d’attribution ni contrôle indépendant. Beaucoup de travail reste à faire pour déplacer ces entreprises dans le quadrant supérieur droit. Conseils : Évaluer les impacts de l'entreprise tout au long de la chaîne de valeur, ceci permettra de développer et mettre en œuvre une stratégie environnementale. Identifier des preuves concrètes et accessibles reposant sur un référentiel complet, un vocabulaire précis, des informations claires ainsi qu’un logo sans ambiguïté. Adhérer à un label officiel reconnu et adapté (qui aura toujours beaucoup plus de poids qu’une vague auto-déclaration). Attester enfin que sa démarche environnementale est réelle, transversale à l’entreprise, budgétée et intégrée à la politique interne de l’entreprise.

Conseils : Éviter les effets d’annonce et de rhétoriques. Miser avant tout sur la sincérité et l’authenticité. Ne pas oublier que « le faire » doit toujours précéder le « faire savoir ». Les slogans creux comme « bon pour la planète » sont à proscrire car ils inspirent désormais la méfiance. Préciser sur quoi repose son argumentaire : sur le produit, son processus de fabrication, son packaging ? Les preuves concrètes sont toujours plus crédibles et c’est justement ce que les consommateurs avertis recherchent aujourd’hui. Être honnête sur les points forts de ses produits. Si ces points forts ne sont pas vérifiables, engager une analyse précise. Il n’existe pas de produits sans aucun impact, et les consommateurs acceptent volontiers cet état de fait, à condition qu’il n’y ait pas de promesse mal calibrée.

Communication environnementale efficace C'est l'objectif final. Les entreprises de cette catégorie améliorent les performances environnementales de leurs produits et alignent cette politique sur leurs différentes fonctions ou le long de la chaîne de valeur. Elles sont en mesure de communiquer en transparence leurs efforts (aussi bien leurs progrès que les défis qui se présentent) vers les consommateurs mais également les parties prenantes. Cet engagement nécessite d’interroger en profondeur sa culture d’entreprise.

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Au final, le greenwashing est un obstacle majeur au développement d'une économie durable. Il brouille les cartes et ralentit les efforts en rendant le consommateur sceptique vis-à-vis des initiatives environnementales. En outre, la lutte contre le greenwashing nécessite du temps et des ressources qui pourraient être bien mieux utilisés. En bref, la confiance est un capital, qui ne s’improvise pas mais se construit sur le long terme. Transparence et sincérité en seront les bases les plus solides. Le mot d’ordre est simple et ardu tout à la fois : communiquer sur ses engagements oui ! Mais au travers d’actions cohérentes alignées dès le départ avec la cause que l'on défend ! La tâche n’est certes pas facile, et face à une exigence sociétale grandissante à l’égard des entreprises, la ligne de crête est toujours étroite voir glissante. Il ne

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s’agit alors pas de surfer sur la vague mais plutôt de sortir de sa zone de confort pour intégrer à la stratégie de la marque des dimensions fortes et inspirantes sur le long terme, déclinées en actions tangibles et vérifiables. Dès lors, la route est toute tracée et vous éviterez la douche froide ! < Under surveillance Advertising is often criticised for its use of greenwashing techniques to influence consumer perception. For example, with the excessive use of graphic or sound elements that evoke nature such as green colour, images of forests, bird songs. Common sense often allows the most obvious cases to be thwarted, but other messages are more ambiguous. The action of consumer associations and NGOs has contributed to discredit promotional campaigns based on misleading environmental claims.

The Pinocchio Awards is granted annually by Les Amis de la Terre to the most misleading campaigns (see box opposite). We remember, for example, the case of the Renault brand whose "Eco 2" advertisement showed the navigator Ellen Mac Arthur and a car that miraculously made the grass grow back automatically as it passed. The backlash was scathing and consumers condemned the manufacturer's communication on numerous occasions. The French advertising regulatory authority has since issued a negative opinion on this matter. Real vigilance systems are now being organised on social networks to denounce abuses, such as the #duvraidupasvert twitter campaign that uncovers misleading slogans in the fashion industry. In fact, this permanent and omnipresent citizen watch leaves less and less room for misinformation.


But it doesn't stop there. Greenwashing is now echoed by greenbashing (in others words the denigration of ecology), a new practice aiming at discrediting everything that is "green". More concretely, it consists of promoting a product or service by making fun of ecology and its activists, who are then often caricatured. Greenbashing relies on clichés to build the brand or product against an allegedly dominant environmental totalitarianism. This type of communication promotes the "letting live" towards guilt-ridden ecology, the spearhead of political correctness, to assume an activity that is far from virtuous. A textbook case remains the Goodyear advertising campaign with the "goodchoice" that ridicules the “écolobobos”. The Rise of Activist Brands At the extreme opposite of the spectrum are the activist brands. Stimulated by public opinion and encouraged by employees, some companies are taking stand, realising that they have a crucial role to play against weakened political bodies and discredited mainstream media. And they are right! Patagonia and Ben & Jerry's are two brands that are known for their commitment and clear-cut positions. Activism and the willingness to take on an advocacy role are then written in the DNA of the company, going as far as protesting and being outraged publicly to defend a well-defined cause. This is precisely Patagonia's strategy, which has recently reformulated its purpose: "We're in business to save our home planet" and explains in the "activism" section of its website: "We aim to use the resources we have (our voice, our business and our community) to do something about the climate crisis." For this purpose, the brand has created the Patagonia films, a key element of its environmental awareness program, led by a group of committed filmmakers. In a similar spirit, Ben & Jerry's also has an activism manager specifically dedicated to these issues. For these brands, commitment is at the heart of the business model and convictions are an integral part of their strategies. Authenticity is the cement of their approaches, advocacy is their modus operandi, and positive impact is their only unit of measurement. While such a requirement appeals to more and more consumers, brand social activism is a very demanding practice as the positive contribution must be absolutely tangible. Indeed, as Strick Walker, former Director of Global Marketing for Patagonia, summarises "consumers are smart and educated enough to detect brand communications that are not representative of real actions and values". Beware! From activism to washing, there is only one misstep that it is better not to take at the risk of being confronted with ruthless popular vindictiveness on social networks.

Pinocchio Awards denounces misleading communications Founded in 2008 by the Friends of the Earth association and awarded from 2009 to 2015, the Pinocchio Awards made its return in 2019. It aims to denounce companies that practice greenwashing and ironically rewards three of the worst companies in terms of respecting their environmental commitments. At each edition, several firms are named for the glaring discrepancy between their promotional message and the reality of their actions. The Pinocchio Awards illustrate climate, environmental and human rights abuses through concrete cases. The 2020 edition, which was dedicated to the agribusiness sector "rewarded" the Norwegian fertiliser firm Yara, followed by Lactalis and Bigard. This year's prize attracted nearly 12 700 online votes.

Greenwashing techniques Identifying greenwashing is not always easy, there are shades of green and subtleties in the fraudulent use of the green argument. Some companies proactively invest in environmentally friendly actions, while others focus on hollow or even misleading communication. The matrix on the previous page, inspired by the work of the American NGO BSR (Business for Social Responsibility)[1], allows companies to visualise these variants to understand better where they stand and how they can progress towards the excellent optimum, top right "Effective environmental communication". Some basic but sensible advice have been added to help organisations avoid any form of greenwashing. (See Greenwashing Matrix, page 14) [1] Horiuchi, R.,Schuchard, R.,Shea, L. & Townsend, S. (2009). Understanding and preventing greenwash : a business guide.

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Unclear Communication This category includes companies that are making substantial efforts in terms of environmental performance but have inaccurate communication. They may be making sweeping generalisations or over-promising, or misuse unfamiliar scientific or ecological language. The product may also be presented as totally green when only one of its components is green. These organisations have real potential to move into the "Effective Environmental Communication" quadrant by focusing their messages accurately on positive impacts while supporting these claims with key data. Tips: Be specific about the reach of your efforts, don't generalise the benefits. Communication on the company's commitments should be specific and present actions whose effects are evaluated. Limit yourself to verified and verifiable positive results. Focus on humility with a clear and controlled message.

Unsubstantiated communication Lack of evidence is the most common form of marketing drift followed closely by willful imprecision. This most often involves an environmental claim that is not supported by reliable information.Unclearness feeds greenwashing. The use of unclear slogans or slogans such as 'X% recycled waste', 'Y% reduction in CO2 emissions', which are not verifiable, is a sign. These data are then used as a promise but are not validated by any third-party organisation, nor even based on reliable analyses. It is therefore impossible for the consumer to verify the information. As an example, remember that an "all-natural" cleaning product may still contain harmful ingredients that are naturally found in the environment, such as mercury or arsenic. At first glance, words do not commit anything, but misleading rhetoric can only backfire on an organisation. Over time, these companies will move towards the "Pure Greenwashing" quadrant. Tip: Avoid rhetorical and announcement effects. Above all, focus on sincerity and authenticity. Remember that "do it" must always precede "let it be known". Hollow slogans such as "good for the planet" are to be avoided as they now inspire mistrust. Specify on what your argument is based: on the product, its manufacturing process, its packaging? Concrete evidence is always more credible, and that is precisely what informed consumers are looking for today. Be honest about the strengths of your products. If these strengths can't be verified, undertake a precise analysis. Products without any impacts don't exist, and consumers are willing to accept this, provided there are no miscalculated promises.

Greenwashing Noise Between ecological opportunism and real lying, the line is subtle. This category relates to companies that voluntarily

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use marketing to give themselves an environmental image without the slightest foundation. This is a real attempt to manipulate symbolic graphic or sound elements that evoke nature or an ecological image in a more or less subliminal way. False labels are part of it. A puppet "eco-label" can make people believe that it is a real certification when it is only a "home-made" initiative developed without any method of attribution or independent control. Much work remains to be done to move these companies into the upper right quadrant. Tips: Evaluate the company's impacts throughout its value chain, this will enable you to develop and implement an environmental strategy. Determine concrete and available evidence based on a complete reference framework, precise vocabulary, clear information and an unambiguous logo. Adhere to a recognised and appropriate official label (which will always carry much more weight than a vague self-declaration). Finally, certify that your environmental approach is real, transversal to the company, budgeted and integrated into the company's internal policy.

Effective Environnemental Communication Effective environnemental communication is the ultimate goal. Companies in this category improve the environmental performance of their products and align this policy to their different functions or along the value chain. They are able to transparently communicate their efforts (both progress and challenges) to consumers and stakeholders alike. This commitment requires an in-depth questioning of its corporate culture. In the end, greenwashing is a significant obstacle to the development of a sustainable economy. It muddies the waters and slows down efforts by making consumers sceptical about environmental initiatives. Moreover, the fight against greenwashing requires time and resources that could be much better used. In short, trust is a capital, which cannot be improvised but is built up over the long term. Transparency and sincerity will be the most solid foundations. The watchword is therefore simple and challenging at the same time: communicate your commitments! But through coherent actions aligned from the outset with the cause you are defending! The task is undoubtedly not an easy one and faced with a growing societal demand on companies, the crest line is always narrow or even slippery. It's not a question of riding the wave, but instead moving out of one's comfort zone to integrate strong and inspiring long-term dimensions into the brand strategy, expressed in tangible and verifiable actions. From then on, the road is all mapped out and you'll avoid the cold shower! <


Les yeux rivés sur l'engagement social de la marque employeur Eyes on Social Engagement of the Employer Brand Ce qui est vrai dans l’acte d’achat, l’est aussi pour l’engagement dans le travail. Consommateurs ou collaborateurs, même combat ! On n’attire plus les talents uniquement avec un salaire attractif, il faut s’engager ! Une récente étude Havas Meaningful Brands souligne que pour deux tiers des interrogés, il est important que l’employeur ait une « plus grande finalité » et que l’emploi, porteur de sens, ait un impact sociétal significatif. Tout particulièrement, les contributions sociales d’une entreprise et leurs déclinaisons internes et externes sont passées au crible en permanence. What is true in the act of buying is also true regarding job-involvement. Consumers and employees are definitly fighting the same battle. Talents can no longer be caught only with an attractive salary, companies must commit! A recent Havas Meaningful Brands study highlights that for two-thirds of respondents, it is crucial that employers have a "greater purpose" and that jobs have a significant societal impact. Particularly, a company's social contributions and their internal and external aspects are under constant scrutiny.

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Installer un baby-foot, accrocher des post-it sur les murs ou nommer un Chief Happiness Officer, ne suffisent pas à créer des conditions de travail satisfaisantes pour amener le collectif à se dépasser. Sans engagement de fond, cela reste du happy-washing, une manière de « s’acheter une conscience d’humanité » sans faire évoluer ses pratiques profondes. Autrement dit, proposer à ses collaborateurs des plaisirs éphémères au lieu d’amorcer une (r)évolution de sa culture managériale, c’est cacher les fonctions RH derrière des émotions positives temporaires.

Pire encore, ne pas être heureux au travail alors même qu’une personne est embauchée à temps plein pour y veiller (c’est la ligne directrice des Chief Happiness Officer, feel good manager, etc.) devient donc un problème de positionnement et d’incapacité personnelle à vivre le bonheur. Adieu revendications ! Si le salarié n’est pas heureux, il ne tient qu’à lui de changer son regard sur ses tâches, son manager ou son entreprise. Il ne sert plus à rien d’aspirer à une hausse de salaire, des pauses déconnectées ou une charge de travail adaptée aux ressources temps et compétences d’une équipe...

Prenez garde à la mode actuelle qui défend un positionnement très narcissique du bonheur qui ne dépendrait quasiment que de l’individu et de ses perceptions, et nullement des fondamentaux de son environnement collectif. Penser qu’être heureux est un choix personnel pose le risque certain d’une injonction de bonheur sur tous. En effet, s’il ne tient qu’à soi d’être heureux et que ce n’est pas le cas, le non-bonheur devient un échec personnel dans la sphère privée comme professionnelle. Pour prouver sa joie quotidienne au monde, rien de mieux que des posts sur les réseaux sociaux, vitrines dégoulinantes de sauce « happy », pourtant très éloignée des éléments de motivation intrinsèque, piliers de l’épanouissement professionnel.

Regardons la réalité en face, l’épanouissement professionnel n’est possible qu’en proposant un métier intéressant que l’on peut exercer dans de bonnes conditions. Croire qu’ajouter quelque chose d’extérieur au travail permettrait de jeter du bonheur aux employés pour cacher les besoins inhérents aux enjeux d’un poste, c’est inverser le rapport cause/conséquence d’une manière très inconséquente... mais au fond si pratique. Par exemple, imposer à un collaborateur de consacrer du temps à des activités « pour son bonheur », pour lui faire « avaler » en souriant les heures sup inévitables dues à sa charge de travail trop importante, relève plus du paradoxe cynique que de l’incarnation d’un employeur responsable.

Entreprises, prenez garde au happy washing !

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Inculquer cette philosophie du bonheur à une culture d’entreprise, c’est le piège de peut-être saper toute envie de changements profonds, de progressions voire de revendications mais aussi... d’engagement, cette quête ultime de tout employeur. La marque employeur : plus que des paroles, plus que des symboles, des faits ! Les mots ne suffisent pas. Des faits et une vision globale sont désormais requis. Et les positions paradoxales se payent chères. Lorsqu’Audi en 2017 saisit l’opportunité de la finale du Super Bowl pour s’exposer comme défenseur de l’égalité femme/homme sur les questions salariales et d’évolutions professionnelles, alors qu’aucun siège de son comité de direction n’est à l’époque occupé par une femme, c’est le tollé ! Notamment sur YouTube, où la vidéo publicitaire reçoit rapidement 35 000 pouces baissés et de nombreux commentaires dénonçant les incohérences entre la cause louable et la décevante réalité. Pour attirer les talents d’aujourd’hui, une organisation doit soigner sa marque employeur en visant deux objectifs fondamentaux : poursuivre une finalité assumée et proposer une qualité de conditions de travail. Il s’agit alors pour les entreprises de repenser le sens même de l’action au service d’une vision, autour d’enjeux et de valeurs, et non plus basée sur des pouvoirs individuels. Vendre la bienveillance comme norme de management sans engager une réelle politique de travail en réseau n’est plus accepté. Les relations sociales prennent une importance croissante, tout comme les logiques de contribution, d’échange et de quête de sens au travail. Ces préoccupations s’illustrent notamment avec des organigrammes moins hiérarchiques, des réseaux moins figés et avec le développement des politiques de responsabilité sociétale des entreprises. Il est de plus en plus question de leadership sain ou éthique, en remplaçant la direction des tâches par le fait de créer les conditions optimales de leur réalisation. Les modèles d’organisation doivent ainsi être repensés en profondeur et incarnés à tous les niveaux pour répondre à la fois aux mutations du monde du travail et aux aspirations des nouvelles générations. Nous sommes donc loin du vernis happy qui recouvre certaines communications institutionnelles, et que nombreux sont désormais très tentés de gratter. Quand l’addition des opinions fait office de vérité Dans les faits, la marque employeur échappe complètement à la communication contrôlée d’une organisation. L’ère de la communication descendante fait désormais place à celle de l’information latérale. Les jeunes générations essaiment leur fonctionnement

communautaire, et plus rien ne se soustrait à l’évaluation populaire, aux verdicts des consommateurs ou des pairs. Avant d’envoyer un CV ou de souscrire à un service, on s’informe sur les conditions de travail des salariés, les valeurs prônées et la qualité des produits. Les labels de bien-être au travail, les reviews employeurs et autres « happy index », fleurissent de toutes parts et deviennent les feux verts ou rouges des candidats ou clients potentiels. La seule apparente garantie de ces sites : ce sont de « vrais » salariés qui partagent leurs opinions. Le site d’annonces d’emploi bien connu Glassdoor, par exemple, permet aux salariés actuels et anciens de noter les entreprises et d’y poster leurs commentaires. Son nom-même est tout à fait révélateur de cette quête d’hyper-transparence. Si de nombreux avis positifs de l'entreprise pourront faire office de faisceau d'indices et contribuer à la bonne réputation d'un employeur, il faut aussi retenir que la communication entre pairs laisse peu de place pour les faits objectifs qui ont désormais parfois moins d’influence pour modeler l’opinion que les appels à l’émotion et les avis personnels. La réputation d’une entreprise sort alors du champ strict de la rationalité. Dans le monde digital, le pouvoir dévastateur de la rumeur est démultiplié par la puissance virale du web : les fake news ou infox, informations mensongères ou délibérément biaisées, peuvent nuire d’un clic à la réputation des organisations. En général, une fake news circule six fois plus vite qu’une information vérifiée et fait appel aux émotions des lecteurs et non pas à leur

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raison ou à leur rationalité. La multiplication des fake news et leur normalisation constituent la porte d’entrée vers l’ère de la post-vérité où l’on accepte collectivement l’existence de vérités « alternatives » pour lesquelles le réel et les faits ne comptent plus comme références, voire sont devenus caduques. La particularité de la postvérité selon la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, c’est l’apparition de « vérités de fait » dont la définition se situe entre les opinions et les vérités rationnelles. Let’s Walk... À défaut de pouvoir contrôler la communication, les organisations peuvent travailler leur cohérence et leurs exemplarités sociale et environnementale. Le combo gagnant de la marque employeur c’est l’engagement et l’humilité. « Sex doesn’t sell anymore, activism do ». Postée il y a 3 ans par Alex Holder du Guardian, cette phrase résume l’enjeu marketing qui a donné lieu au valeur washing (green, social, happy, etc.). Attention alors, à ne pas céder à la tentation et prôner des demi-valeurs quand l’hypertransparence et le fact checking deviennent la norme de toutes communications officielles. La dissonance est palpable lorsque la stratégie d’engagement sociétal n’est pas au rendez-vous. La réflexion sur la raison d’être et l’engagement de l’entreprise doit primer et une communication sincère en découler naturellement. Car le message est second, venant en aval d’une politique d’entreprise, il n’est que la résultante et l’expression de sa stratégie. Plus que « Walk the Talk », il s’agit, avant toute chose, d’avancer. Let’s walk, not talk so much actually... < Companies, Watch Out for Happy-Washing! Installing a football table, hanging sticky notes on walls or appointing a Chief Happiness Officer are not enough to create satisfactory working conditions for the collective to surpass itself. Without a deep commitment, it remains happy-washing, a way of "buying a conscience of humanity" without changing its deep practices. In other words, offering employees temporary pleasures instead of initiating a (r)evolution of its managerial culture means hiding HR functions behind short-term positive emotions. Beware of the current fashion which defends a very narcissistic positioning of happiness that would depend almost exclusively on the individual and its perceptions, and not at all on the fundamentals of his collective environment. Thinking that being happy is a personal choice poses the definite risk of an injunction of happiness on everyone. Indeed, if it is up to you

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to be happy and you are not, unhappiness becomes a personal failure in both the private and professional spheres. To prove one's daily joy to the world, nothing is better than posts on social networks, a showcase dripping with "happy" sauce, yet far removed from the intrinsic motivational elements that are the pillars of professional fulfilment. Worse, not being happy at work when someone is hired fulltime to look after this (it is the guideline of Chief Happiness Officer, feel-good manager, etc.) thus becomes a problem of positioning and personal inability to experience happiness. Farewell revendications! If employees are not happy, it is up to them to change their view of their tasks, their manager or their company. It is no longer useful to aspire to a pay rise, disconnected breaks or a workload adapted to the time and skill resources of a team. Let's face it, professional fulfilment is only possible by offering an exciting job that can be practiced under good conditions. To believe that adding something external to work would allow employees to hide the inherent needs of a job's stakes is to invert the cause-consequence relationship in a very inconsistent way, but basically so convenient. For example, to require an employee to spend time on activities "for his or her happiness", to make them "swallow" with a smile the inevitable overtime due to their excessive workload is more a cynical paradox than the embodiment of a responsible employer. Instilling this philosophy of happiness into corporate culture is the trap of perhaps undermining any desire for profound change, progress or even claim, but also involvement which is currently the ultimate quest of any employer. The employer brand: more than words, more than symbols, go deeds Words are not enough, facts and a global vision are now required. And paradoxical positions come at a high price. In 2017, Audi seized the opportunity during the Super Bowl to expose itself as a defender of gender equality on issues of salary and professional development. Since no woman occupied a seat on its executive committee at the time, it faced an outcry. Especially on YouTube, where the advertising video quickly receives 35,000 thumbs down and many comments denouncing the inconsistencies between the worthy cause and the disappointing reality. To attract today's talent, an organisation must care for its employer brand by aiming for two fundamental objectives: to pursue an assumed purpose and to propose a quality of working conditions. Companies must rethink the very meaning of their action towards a vision, around challenges and values, and no longer based on individual


powers. Selling benevolence as a management standard without engaging a real networking policy is no longer accepted. Social relations are becoming increasingly important, as are the logics of contribution, exchange and the search for meaning at work. These concerns are illustrated in particular with less hierarchical organisation charts, less fixed networks and with the development of corporate social responsibility policies. Increasingly, there is talk of healthy or ethical leadership, replacing the direction of tasks with the creation of optimal conditions for their achievement. Organisational models must, therefore, be thoroughly rethought and embodied at all levels to respond both to changes in the world of work and the aspirations of new generations. We are therefore a long way from the happy veneer that covers some corporate communications, which many are now very tempted to scratch. When the Sum of Opinions Adds up to the Truth In fact, the employer brand is entirely beyond the controlled communication of an organisation. The era of top-down communication is now giving way to that of lateral information. The younger generations are spreading their community functioning, and nothing escapes popular evaluation, consumer or peer verdicts anymore. Before sending out a CV or subscribing to a service, one finds out about employees' working conditions, values and product quality. Workplace well-being labels, employer reviews and other "happy indexes" flourish everywhere and become the green or red lights of potential candidates or clients. The only apparent guarantee of these sites: "real" employees share their opinions. For example, the well-known job board site Glassdoor allows current and former employees to rate companies and post comments. Their name reveals this quest for hyper-transparency. While many positive criticisms of the company may serve as a bundle of evidence and contribute to an employer's good reputation, it is also important to remember that peer-to-peer communication leaves little room for objective facts, which now sometimes have less influence in shaping opinion than emotional appeals and personal opinions. A company's reputation then moves beyond the strict field of rationality.

"alternative" truths for which reality and facts no longer count as references, or even have become obsolete. The particularity of post-truth, according to the philosopher Myriam Revault d'Allonnes is the emergence of "factual truths" whose definition lies between opinions and rational truths. Let's Walk... Without being able to control communication, organisations can work on their social and environmental coherence and exemplarity. The winning combination for the employer brand is commitment and humility. "Sex doesn't sell anymore, activism do". Posted three years ago by Alex Holder of The Guardian, this sentence summarises the marketing issue that led to valuewashing (green, social, happy, etc.). Be careful not to give in to temptation and advocate half values when hyper-transparency and fact-checking become the norm for all official communications. Dissonance is tangible when the strategy of societal engagement is missing. Reflection on the company's reason for being and commitment must prevail, and sincere communication must naturally follow. Because the message is second, coming from the company's policy is only the result and expression of its strategy. More than "Walk the Talk" it is all about moving forward. Let's walk, not talk so much actually... <

In the digital world, the devastating power of rumour is multiplied by the viral power of the web: fake news, false or deliberately biased information, can damage the reputation of organisations with a single click. In general, fake news spread six times faster than verified information and appeal to readers' emotions rather than to their reason or rationality. The multiplication of fake news and its standardisation is the gateway to the posttruth era where we collectively accept the existence of

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INTERVIEW

VERS UNE

SOCIÉTÉ

DU « CARE » ? P. 25 Nos chaînes de vulnérabilité P. 36 Sociologie du care P. 38 Rencontre avec Fabienne Brugère,

Illustration : Game Changer, l’oeuvre du célèbre Banksy, offerte par l’artiste à l’hôpital de Southampton, en reconnaissance aux métiers du care. / Game Changer, a work by the famous Banksy, donated by the artist to Southampton Hospital in recognition of the care professions.

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autrice de L’éthique du « care » P. 44 Tribune de Ryadh Sallem


Nos chaînes de vulnérabilité

Our Chains of Vulnerability

C’est au son des casseroles et des applaudissements, qu’à 20 heures précisément, les populations confinées de nombreux pays touchés de plein fouet par la Covid, ont montré leur gratitude envers les personnels soignants et plus largement, les travailleurs de première ligne. Ce rituel consacre la héroïsation plus ou moins durable de professionnels dont l’utilité sociale est aujourd’hui rendue éclatante, mais qui jusque là, étaient peu valorisés dans une société qui ne savait pas dire ses multiples vulnérabilités. Comment, au-delà de cette démonstration populaire, et dans une quête de résilience, est-il possible de repenser notre dépendance aux autres mais aussi, plus largement, à notre environnement, à notre planète ? Allons-nous vers une société du care ? It was to the sound of pots and applause that, at precisely 8 p.m., the confined populations of many of the countries hardest hit by Covid showed their gratitude to the health workers and, more broadly, to front-line workers. This ritual consecrates the more or less lasting heroism of professionals whose social usefulness is nowadays made more vivid, but who, until then, were undervalued in a society that did not know how to express its multiple vulnerabilities. How, beyond this popular demonstration, and in a quest for resilience, is it possible to rethink our dependence on others but also, more broadly, on our environment, on our planet? Are we moving towards a care society?

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"Midwife on call" de Wendy Elia RWA Une des nombreuses contributions retrouvées sous le hashtag #PortraitsforNHSHeroes. / One of the many contributions found under the hashtag #PortraitsforNHSHeroes.

"Like father, like daughter" de Inma Garcia-Carrasco Double portrait en hommage aux ambulanciers de la NHS Kevin et Ciara, (père et fille) en Cornouailles. / A double portrait paying tribute to NHS paramedics Kevin and Ciara (father and daughter) in Wales.

Des visages pour des cohortes anonymisées Nombreux sont les artistes qui, avec la crise sanitaire, ont souhaité faire sortir de l’ombre les femmes et les hommes qui se consacrent, dans la banalité du quotidien, à sauver les autres ou à répondre à leurs besoins essentiels. Au RoyaumeUni, la démarche a même été systématisée à travers le hashtag #PortraitsforNHSHeroes, un mouvement initié par l’artiste Tom Croft et qui tente de combler un manque de reconnaissance patent pour ces professions. Le constat semble unanime et les initiatives se sont multipliées pour mettre des visages sur des vocations. C’est aussi le

sens de la campagne de communication de Dove. Cette marque qui travaille depuis longue date sur la question des représentations, rend hommage au personnel soignant et invite à considérer la beauté à travers le prisme du courage. Un nouveau set de valeurs est à l’honneur et ces visages sont désignés comme les nouveaux profils héroïques de nos temps actuels. Cette nouvelle iconographie fait signe. Mais ce renversement notoire dans les représentations, si bien saisi par Banksy, est-il passager ou exprimet-il un changement plus durable à même de faire bouger les lignes, comme le suggère l’artiste en intitulant son œuvre « Game Changer » ?

La campagne de Dove lancée pendant le confinement. La marque qui interroge régulièrement nos représentations, intègre le care dans sa définition du beau. / The Dove campaign launched during containment. The brand, which regularly questions our representations, integrates care in its definition of beauty.

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Petit lexique du care Caring, caring for, taking care... les acceptions du terme sont multiples dans la langue de Shakespeare. Cette polysémie intègre aussi bien l’attention portée aux autres et à son environnement, les soins prodigués, que la responsabilité que cela induit. La notion de care recouvre autant une disposition d’esprit que l’activité elle-même. La politologue Joan Tronto définit le care ainsi : « Une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre "monde", comprenant nos corps, nous-mêmes et notre environnement. »

Percentage of women and men employed in health care activities Men

Women 0%

20%

40%

60%

80%

100%

Des métiers historiquement invisibilisés Si l’utilité sociale des métiers de première ligne est aujourd’hui éclatante, elle a été jusqu’ici largement et systématiquement déconsidérée. Hors quelques professions, tels les médecins, les spécialistes, pour lesquelles des compétences très spécifiques et des savoirs scientifiques et techniques poussés sont exigés, l’immense majorité des métiers du care souffre d’un manque de reconnaissance chronique dans notre société. Aides-soignants, assistants de vie, agents de nettoyage… Les bataillons qui occupent ces fonctions sont globalement sous-rémunérés et constitués de populations particulièrement défavorisées. Avec la pandémie, des gestes ont été consentis comme en Corée du Sud, où le gouvernement a mis en place une politique spéciale de bons d’achats, ou en Italie où un bonus spécial de 1 000 euros a été accordé aux personnels soignants pour la garde de leurs enfants. La crise a mis en évidence les conditions précaires de ces travailleurs, et notamment les longs trajets travail-domicile. Des initiatives ponctuelles sont venues également du secteur privé pour soutenir ces populations. C’est notamment le cas de la chaîne hôtelière Hilton qui, en partenariat avec American Express, a mis un million de nuitées à disposition du personnel soignant aux ÉtatsUnis. Ces rustines restent éphémères mais témoignent du constat frappant de la précarité des métiers du care, et de la profonde distorsion entre salaire et utilité sociale. Les femmes aux petits soins La sociologie des care givers est apparue au grand jour avec la crise de la Covid. Le care, il en va de l’évidence, est une activité très largement féminine. Les chiffres sont à cet égard frappants. Selon l’European Institute for Gender Equality, 76 % des personnels soignants sont des femmes en Europe (et 65 % au Luxembourg). Elles représentent également 93 % des effectifs de l’assistance maternelle et de l’aide à l’enseignement, 86 % du personnel des services de soins et d’assistance à la personne ou encore 95 % des personnes dans le nettoyage et l’aide ménagère. Au total, sur les 49 millions de travailleurs exerçant dans ce domaine en Europe, 76 % sont des femmes.

Latvia Estonia Lithuania Finland Denmark Poland Slovenia Slovakia Portugal Czech Republic Sweden Germany Ireland Romania United kingdom Bulgaria Belgium Austria Netherlands EU-28 Croatia France Hungary Iceland Spain Luxembourg Cyprus Italy Greece Malta (source : EIGE)

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Aussi, il est important de ne pas sousestimer la part non déclarée de soins dispensés dans la sphère domestique et également hors du cadre familial. Selon l’Organisation Internationale du Travail, « en temps normal, les femmes effectuent en moyenne 4 heures et 25 minutes par jour de travail de soins non rémunéré, contre 1 heure et 23 minutes pour les hommes ». Cette surreprésentation féminine dans le domaine trouve son explication dans notre système de représentations d’un champ du care limité à la sphère domestique et traditionnellement attribué aux femmes. Pascale Molinier, décrit ainsi dans son ouvrage Le travail du care les raisons qui soustendent la difficulté à considérer les activités du care comme des métiers à part entière. Elle relève ainsi qu’il est traditionnellement entendu que les compétences requises relèvent non pas de techniques ou de savoirs particuliers permettant un travail productif, mais plutôt d’une aptitude innée, naturellement présente chez la femme. Le caractère féminin de ces professions s’explique par une porosité entre les tâches accomplies dans le cadre domestique et celles requises pour exercer les métiers du care. Les soins à prodiguer dans le cadre privé, pour un enfant ou un parent dépendant, sont en effet le plus souvent dispensés par des femmes. Or, comme le relève Fabienne Brugère dans son ouvrage L’éthique du care, « le care n’est pas un maternage ». Il n’y a pas une nature féminine qui l’assigne aux soins et plus largement à l’attention aux autres. La spécialiste américaine de ce sujet Joan Tronto, insiste sur ce point en montrant, que même si ces qualités sont rarement mises en avant, les hommes bien sûr « ont des dispositions pour le care ». Les professions de policiers et pompiers en sont des exemples évidents. La sollicitude est donc loin d’être l’apanage du genre féminin. 28

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Approfondir la grille de lecture Le genre n’est pas la seule variable explicative pour comprendre qui sont les care givers. Les clefs d’entrée sont multiples et il est intéressant de faire appel à l’intersectionnalité pour analyser le sujet. Au-delà du marqueur du genre, on observe que des indications comme la classe sociale, l’origine, sont aussi importantes. Le récent papier, Intersectionnalité et leadership en matière de santé mondiale : la parité ne suffit pas, co-écrit par Zahra Zeinali insiste sur la nécessité de prendre en compte ces variables pour le personnel soignant. « Il est impératif de regarder au-delà de la parité et de reconnaître que les femmes constituent un groupe hétérogène .../... Nous devons prendre en compte les façons dont le genre recoupe d'autres identités et stratificateurs sociaux pour créer des expériences uniques de marginalisation et de désavantage ». La situation est particulièrement marquée au Luxembourg, où, sur les quelque 13 000 salariés exerçant une « activité pour la santé humaine », près de 8 000 ne sont pas résidents luxembourgeois et 5 600 sont frontaliers. Le Conseil de l’Union européenne en mai dernier a d’ailleurs pointé cette spécificité comme un risque potentiel pour le pays. « Le Luxembourg possède l’un des systèmes de santé les plus performants de l’UE. Néanmoins, 49 % des médecins et 62 % des personnels de santé étant des professionnels non luxembourgeois, le système est bien au-dessus du seuil critique de vulnérabilité », indiquent les conclusions du rapport. Cette tendance est valable pour à peu près tous les métiers du care et, dans de nombreux pays, ces professions sont souvent laissées aux travailleurs immigrés. Une récente étude du secteur du nettoyage au Luxembourg, menée par l’institut LISER, confirme ce phénomène en pointant deux marqueurs particulièrement saillants :

le genre et la nationalité. Les salariés sont à 83 % des femmes et les nationalités portugaise et française constituent 76 % des effectifs, avec pas moins de 38 % de frontaliers. Également, les situations familiales et sociales précaires caractérisent la profession : cumuls d’activités, contrats de courte durée et temps partiels subis excèdent largement la moyenne nationale. Ce sont donc bien ici les clefs de l’intersectionnalité qui permettent d’appréhender le sujet dans sa complexité. Les métiers de la vulnérabilité Si ces professions ont été systématiquement invisibilisées, c’est qu’elles touchent à un point très sensible : notre profonde vulnérabilité. En effet, comme l’explique parfaitement Fabienne Brugère dans notre interview (voir page 38), nos sociétés se sont construites autour du mythe de l’individu maître de son destin et dans le déni de nos multiples fragilités et de notre grande interdépendance. Le paradigme actuel pose la responsabilisation individuelle comme unique clef d’accès au bonheur, la réussite comme pure résultante d’une volonté personnelle. Et cette approche a été auto-réalisatrice puisque l’individualisation de la société a débouché sans surprise sur un recul des relations d’aide sociale. Le filet des solidarités familiales par exemple s’est nettement étiolé, avec différents phénomènes liés à l’individualisation des parcours de vie, tel l’éclatement géographique des familles. Ce recul de la prise en charge intergénérationnelle au sein des foyers implique ainsi une externalisation et marchandisation du care. Notre monde est ramené à une somme d’individus en quête frénétique de bonheur. Et notre société, à coup de publicités ou de programmes de développement personnel, s’est organisée pour nous le rappeler. L’unité de compte est l’individu. Edgar Cabanas et Eva


Illouz décrivent les implications d’un tel phénomène dans leur récent ouvrage Happycratie. « Et c’est, disentils, hypothéquer toute construction d’un agir collectif ». Vers une éthique du care Or il en va tout autrement de l’éthique de la sollicitude, plus souvent appelée « l’éthique du care ». En effet, cette réflexion morale qui trouve ses origines dans le monde anglo-saxon, place l’interdépendance et le « prendre soin » au cœur de l’approche. Elle invite à penser les rapports humains en termes relationnels et non individualistes. Ce courant, marqué dans ses débuts par l’analyse de la philosophe Carol Gilligan, dans son ouvrage Une voix différente, invite à prendre en compte une façon de penser la morale issue de l’expérience des femmes face aux soins et largement mise de côté dans nos sociétés. Il s’agit d’entendre la voix de nos vulnérabilités et de notre interdépendance. Le défi est de taille car les fragilités sont multiples. Certes, notre expérience de la pandémie a été particulièrement instructive sur le plan sanitaire. Mais il convient de dépasser la simple réaction à un danger imminent et d’aller vers une prise de conscience de notre vulnérabilité systémique. Les embrassades de policiers face aux menaces terroristes suivies d’insultes, une fois l’état d’urgence aboli, sont particulièrement révélatrices à cet égard. Qu’adviendra-t-il des applaudissements aux balcons ? Il s’agit de se situer sur des horizons long terme car nous faisons face à des défis d’une magnitude inédite. Sur le plan écologique, les événements extrêmes se succèdent pour tirer la sonnette d’alarme. Le constat bien établi de notre passage à l’ère anthropocène

est précisément celui qui pose l’action humaine comme déterminante sur l’environnement dont nous dépendons. Notre interdépendance est criante et il est urgent de penser ici une société non utopique du care qui prenne soin de notre monde et de notre vivre ensemble. Face à l’obsolescence de nombreux métiers actuels et l’automatisation galopante de nos moyens de production, il est en effet envisageable, comme le souligne Jeremy Rifkin, que, dans le contexte d’une prochaine révolution industrielle misant sur les énergies propres et les moyens de communication, les métiers de demain deviennent principalement à valeur ajoutée proprement humaine et de l’ordre du care. Des emplois de grande utilité sociale se situant là précisément où la machine ne pourra remplacer l’homme. Notre expérience de la crise sanitaire permet de mettre au grand jour notre incapacité à faire front sans cohérence collective forte. Il s’agit de prendre cette opportunité pour construire ensemble notre résilience, en faisant de notre interdépendance la « pierre de refondation de notre pacte social », comme s’emploie à le dire Emmanuelle Duez qui appelle à une approche collective de la résilience, que ce soit au niveau de la société ou de l’entreprise. Il s’agit de faire réellement société, d’adhérer à un projet où l’attention à l’autre est prévalente, où l’interdépendance et la responsabilité universelle sont appelées. Ceci n’est pas sans rappeler la sagesse de l’Ubuntu bantou du Sud de l’Afrique, une notion notamment invoquée lors de la réconciliation nationale post-apartheid et par le prix Nobel de la Paix Desmond Tutu dans son ouvrage Reconciliation: The Ubuntu Theology : « Quelqu’un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres » car il a conscience « d’appartenir à quelque chose de plus grand ». < Vers une société du care ?

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Notre expérience de la crise sanitaire permet de mettre au grand jour notre incapacité à faire front sans cohérence collective forte. / Our experience with the health crisis reveals our inability to face up to it without strong collective coherence.

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En mai dernier, un flashmob Ă Parme rend hommage au personnel soignant. / Last May, a flashmob was held in Parma in tribute to the nursing staff.

Faces for Anonymised Cohorts

Historically Invisible Professions

With the health crisis, many artists have sought to bring out of the shadows the women and men who devote themselves, in the banality of everyday life, to saving others or meeting their basic needs. In the United Kingdom, the approach has even been systematised through the hashtag #PortraitsforNHSHeroes, a movement initiated by the artist Tom Croft and which tries to fill an evident lack of recognition for these professions. The observation seems unanimous, and initiatives have multiplied to put faces to vocations. This is also the meaning of Dove's communication campaign. This brand, which has been working for a long time on the question of representations, pays tribute to the nursing staff and invites us to look at beauty through the prism of courage. A new set of values is being honoured, and these faces are designated as the new heroic profiles of our times. This new iconography is a sign. Well, this notorious reversal in the representations, so well grasped by Banksy, is it transitory, or does it express a more lasting change capable of moving the lines, as the artist suggests, by naming his work "Game Changer"?

While the social utility of front-line jobs is today striking, it has so far mainly and systematically been discredited. Apart from a few professions, such as doctors and specialists, for whom very specific skills and advanced scientific and technical knowledge are required, the vast majority of care professions suffer from a chronic lack of recognition in our society. Nursing assistants, life assistants, cleaning agents, the battalions that occupy these functions are generally underpaid and are made up of particularly disadvantaged populations. With the pandemic, gestures have been made such as in South Korea, where the government has set up a special voucher policy, or in Italy where a bonus of 1,000 euros has been granted to care workers for the watch of their children. The crisis has highlighted the precarious conditions of these workers, especially the long commuting distances. Specific initiatives have also come from the private sector to support these populations. For example, the Hilton hotel chain, in partnership with American Express, has made one million overnight stays available to healthcare workers in the United States. These patches remain ephemeral but reflect the striking evidence of precarious conditions in the care sector, and the profound distortion between wages and social utility.

Short glossary of Care Caring, caring for, taking care... the meanings of the term are multiple in Shakespeare's language. This polysemy integrates both the attention paid to others and to their environment, the care provided, and the responsibility that this entails. The notion of care covers a disposition of mind as well as the activity itself. Political scientist Joan Tronto defines care as follows: "A generic activity that includes everything that we do to maintain, continue and repair our 'world', including our bodies, ourselves and our environment."

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Women as Caregivers The sociology of caregivers came to light with the Covid crisis. The care, it is evident, is a mainly feminine activity. The figures are striking in this respect. According to the European Institute for Gender Equality, 76% of care workers are women in Europe (and 65% in Luxembourg). They also account for 93% of the staff in maternal assistance and teaching assistance, 86% of the staff in the care and personal assistance services, and 95% of those in cleaning and domestic help. In total, of the 49 million workers in this field in Europe, 76% are women.


It is also essential not to underestimate the undeclared share of care provided in the domestic sphere and also outside the family setting. According to the International Labour Organisation, "in normal circumstances, women perform a daily average of 4 hours and 25 minutes of unpaid care work against 1 hour and 23 minutes for men." This over-representation of women in the field can be explained by our system of representations of a field of care limited to the domestic sphere and traditionally attributed to women. Pascale Molinier, in her book Le travail du care, describes the reasons behind the difficulty of considering care activities as a profession in their own right. She points out that it is traditionally understood that the skills required are not based on particular techniques or knowledge enabling productive work, but rather on an innate aptitude which is naturally present in women. The feminine nature of these occupations is explained by the porosity between the tasks performed in the domestic setting and those required to practice the professions of care. The care to be provided in the private sphere, for a child or a dependent parent, is, in fact, most often carried out by women.

But, as Fabienne Brugère points out in her book L'éthique du care, "care is not mothering". There is not a feminine nature that assigns it to care and, more broadly, to caring for others. The American specialist Joan Tronto emphasises this point by showing that, even if these qualities are rarely highlighted, men of course "have a disposition for care". The professions of police officers and firefighters are clear examples of this. Caring is, therefore, far from being the preserve of the female gender. Deepening the Reading Grid Gender is not the only explanatory variable for understanding who the caregivers are. The entry keys are multiple, and it is interesting to use intersectionality to analyse the subject. Beyond the marker of gender, indications such as social class and origin are also important. The recent paper, Intersectionality and global health leadership: parity is not enough, (Zahra Zeinali) insists on the need to take these variables into account for the nursing staff. "It is imperative that we look beyond parity and recognise that women are a heterogeneous group… /… We must take into account the ways in which gender intersects with other social identities and how it stratifies to create unique experiences of marginalisation and disadvantage."

"Team Cusworth" de Mark Kelsall #PortraitsforNHSHeroes

Vers une société du care ?

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The situation is particularly marked in Luxembourg, where, of the approximately 13,000 employees carrying out an "activity for human health", almost 8,000 are not Luxembourg residents, and 5,600 are cross-border commuters. The Council of the European Union last May pointed out this specificity as a potential risk for the country. "Luxembourg has one of the most efficient health systems in the EU. Nevertheless, with 49% of doctors and 62% of health workers being nonLuxembourgish professionals, the system is well above the critical threshold of vulnerability", the conclusions of the report indicate. This trend applies to almost all care occupations, and in many countries, these occupations are often left to immigrant workers. A recent study of the cleaning sector in Luxembourg, conducted by the LISER Institute, confirms this phenomenon by pointing out two particularly prominent markers: gender and nationality. While 83% of employees are women, Portuguese and French nationalities make up 76% of the workforce, with no less than 38% being cross-border workers. Also, precarious family and social situations characterise the profession, which is the combination of activities, short-term contracts and part-time work that are well above the national average. These are, therefore, the keys to intersectionality that allow us to grasp the complexity of the subject. Vulnerability Trades One reason why these professions have been systematically made invisible is that they touch on a very sensitive point: namely, our profound vulnerability.

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Indeed, as Fabienne Brugère perfectly explains in our interview (see page 38), our societies have been built around the myth of the individual as master of his or her own destiny and in denial of our multiple fragilities and our great interdependence. The current paradigm poses individual responsibility as the only key to happiness, success as the pure result of personal will. And this approach has been self-fulfilling, since the individualisation of society has, unsurprisingly, led to a decline in relationships of social assistance. The net of family solidarity, for example, has clearly been eroded, with various phenomenon linked to the individualisation of life courses, such as the geographical break-up of families. This decline in intergenerational care within homes, thus implies the outsourcing and commodification of care. Our world is reduced to a sum of individuals in a frenetic quest for happiness. And our society, through advertising or personal development programs, has organised itself to remind us of this. The unit of account is the individual. Edgar Cabanas and Eva Illouz describe the implications of such a phenomenon in their recent book Happycratie. "And it is, they say, jeopardising any construction of collective action. » Towards an Ethic of Care This is not the case for the ethic of solicitude, more often referred to as the ethic of care. Indeed, this moral reflection, which has its origins in the Anglo-Saxon world, places interdependence and "caring" at the heart of the approach. It invites us to think about human relationships in relational rather than individualistic terms.


This movement, marked in its beginnings by the analysis of the philosopher Carol Gilligan, in her book A Different Voice, invites us to take into account a way of thinking about morality that stems from women's experience of care and which is largely ignored in our societies. It is about hearing the voice of our vulnerabilities and interdependence. The challenge is enormous because there are many frailties. Indeed, our experience of the pandemic has been particularly instructive from a health point of view. But we need to move beyond merely reacting to an imminent danger and move towards an awareness of our systemic vulnerability. The hugs of police officers in response to terrorist threats followed by insults, once the state of emergency is over, are particularly revealing in this regard. What will happen to the applause on the balconies? It is a question of taking a long-term view because we are facing challenges of unprecedented magnitude. From an ecological point of view, one extreme event follows another to sound the alarm. The well-established observation of our transition to the Anthropocene era is precisely that which poses human action as a determining factor on the environment on which we depend. Our interdependence is glaring, and it is urgent to think here of a non-utopian care society that takes care of our world and us living together. Faced with the obsolescence of many of today's professions and the galloping automation of our means of production, it is indeed conceivable, as Jeremy Rifkin points out, that, in the context of a forthcoming industrial revolution based on clean energies and means of communication, tomorrow's professions will mainly become human and care-oriented with added value. Jobs of great social utility located precisely where the machine cannot replace humans. Our experience with the health crisis reveals our inability to face up to it without strong collective coherence. We must take this opportunity to build our resilience together, by making our interdependence the "foundation stone of our social pact", as Emmanuelle Duez strives to say, calling for a collective approach to resilience, whether at the level of society or the company. It is a question of really making society, of adhering to a project where attention to others is prevalent, where interdependence and universal responsibility are called for. This is reminiscent of the wisdom of Southern African Bantu Ubuntu, a notion that was invoked during post-apartheid national reconciliation and by Nobel Peace Prize winner Desmond Tutu in his book Reconciliation: The Ubuntu Theology: "Someone who is Ubuntu is open and available to others" because he is aware that he "belongs to something bigger". <

Pour en savoir plus For more info...

L'éthique du « care » Fabienne Brugère (Édition Puf)

On ne naît pas femme, on le devient Fabienne Brugère (Édition Stock)

Carol Gilligan et l'éthique du care (Édition Puf)

Le travail du care Pascale Molinier (Édition La dispute)

Happycratie Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies Edgar Cabanas et Eva Illouz (Édition Premier Parallèle)

Vers une société du care ?

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Sociologie du care En Europe Les femmes représentent / In Europe, women represent

76 % du personnel soignant / of the healthcare workers

82 %

des caissiers / of the cashiers

Dans le monde, 7 travailleurs du secteur de la santé sur 10 sont des femmes. Worldwide, 7 out of 10 health workers are women. (source : OIT)

83 % des personnes assistant les personnes âgées et en situation de handicap / of people assisting the elderly and disabled

(source : EIGE)

+ 4h25

+ 1h23

Les femmes effectuent en moyenne 4 heures et 25 minutes par jour de travail de soins non rémunéré, contre 1 heure et 23 minutes pour les hommes. Women carry out an average of 4 hours and 25 minutes of unpaid care work per day, compared with 1 hour and 23 minutes for men. (source : OIT)

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Zoom sur le Luxembourg SECTEUR DES SOINS DE SANTÉ / HEALTHCARE SECTOR Répartition des salariés exerçant dans le secteur des "activités pour la santé humaine" / Distribution of employees working in the sector of "activities for human health"

Répartition par genre du personnel soignant / Distribution by gender of healthcare workers

35 %

40 %

23 % Frontaliers résidant en France Cross-border workers residing in France

Hommes Men

Résidents luxembourgeois Residents of Luxembourg nationality

10 %

65 % Femmes Women

Frontaliers résidant en Belgique Cross-border workers residing in Belgium

(source EIGE)

10 % Frontaliers résidant en Allemagne Cross-border workers residing in Germany

17 % Résidents non-luxembourgeois Residents of non-Luxembourg nationality

(Source LISER / IGSS 2020)

SECTEUR DU NETTOYAGE / CLEANING SECTOR Répartition du secteur nettoyage par nationalité Distribution of the cleaning sector by nationality

5% Autres nationalités UE - 28 Other nationalities UE - 28

5% Luxembourgeoise Luxembourg nationals

Répartition par genre dans le secteur du nettoyage / Distribution by gender In the cleaning care sector

17 %

2% Belge Belgian

Hommes Men

1% Allemande German

83 % Femmes Women

11 % Autres nationalités hors UE - 28 Other nationalities outside EU - 28

53 % Portugaise Portuguese

23 %

Française French

(Source : LISER / IGSS 2020)

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INTERVIEW

Fabienne Brugère « L’humanité est vulnérable » "Humanity is vulnerable"

Professeure de philosophie à l'Université de Paris 8 et présidente de l'Université Paris Lumières, Fabienne Brugère s'est particulièrement consacrée à décrypter la notion de care ainsi qu’à étudier la place de la femme et ses représentations dans notre société. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay Saint Cloud et agrégée de philosophie, elle est l’autrice et la traductrice d’une vingtaine d’ouvrages, dont le dernier On ne naît pas femme, on le devient, a été publié en 2019. Ses livres Le sexe de la sollicitude ainsi que L'éthique du « care » sont incontournables sur la question de l’importance du soin et de l’attention aux autres dans la société.

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« AVEC LA PANDÉMIE, NOUS PERDONS EN MAÎTRISE SUR LE MONDE, SUR LES AUTRES ET SUR NOUS-MÊMES. NOUS DEVENONS DES INDIVIDUS NON SOUVERAINS, VULNÉRABLES À CE QUI NOUS SAISIT, NOUS ATTAQUE OU NOUS DIMINUE »


La crise dans laquelle nous sommes plongés nous rappelle notre profonde interdépendance et a jeté un coup de projecteur inédit sur notre vulnérabilité et l’importance des « soins ». L’invisible serait-il devenu visible ? L’humanité est vulnérable face à la vie : maladies, accidents, catastrophes sanitaires, écologiques ou industrielles. Généralement, les individus se donnent les moyens d’oublier cette vulnérabilité. La richesse, le pouvoir et le savoir y aident grandement. La pandémie mondiale de coronavirus, laquelle a d’abord affecté en nombre de morts de grandes puissances économiques, a rappelé la valeur de la vie et combien elle peut voisiner avec la mort. Elle a montré également que le cumul de la mondialisation et du virus nous rend doublement dépendants les uns des autres ; contaminants, contaminés ou contaminables, nous avons besoin que d’autres prennent soin de nous, de nos proches aux institutions. On fait l’expérience aujourd’hui de l’importance des soins : à la fois de ceux qui guérissent mais aussi de ceux par lesquels on répète des pratiques qui témoignent d’un souci des autres. Des gestes aussi simples que se laver les mains ne valent pas seulement pour soi mais aussi pour celles et ceux avec lesquels on est en contact. Avec la pandémie, nous perdons en maîtrise sur le monde, sur les autres et sur nous-mêmes. Nous devenons des individus non souverains, vulnérables à ce qui nous saisit, nous attaque ou nous diminue. Alors que l’on nous a appris la possession : possession de soi, possession de biens, nous faisons l’expérience de la dépossession. Quelles sont les raisons profondes qui, selon vous, ont conduit jusqu’ici à passer sous silence les métiers du care ? Historiquement, les tâches de nettoyage liées aux fonctions corporelles ont toujours été dévolues à des êtres sans reconnaissance sociale, souvent des femmes. On ne considère pas le soin infirmier (proche lexicalement du mot « infirme » et signalant le manque de force) et le soin du médecin (qui est un docte capable de guérir) avec les mêmes valeurs. Dans le cadre d’une crise sanitaire, toutes ces pratiques apparaissent enfin à travers leur utilité jusqu’aux tâches de nettoyage des hôpitaux et de tous les lieux où le virus peut sévir. La classe sociale et le

genre sont des marqueurs fondamentaux du care. Dans le cadre de la mondialisation et des relations Nord-Sud, le care est également une affaire de populations migrantes ou immigrées. Il faut insister sur l’assignation des femmes au care : ces métiers sont généralement considérés comme n’étant pas assez spécialisés et renvoyés à une prétendue nature féminine qui permettrait de les exercer facilement. Les travaux de Pascale Molinier montrent bien comment le discours de la compétence est peu mobilisé pour évoquer ces parcours professionnels. Justement, comment peut-on évoluer par rapport à l’assignation des femmes aux tâches de soin ? Comment voyez-vous possible la revalorisation de ce domaine ? Les femmes sont assignées aux tâches de soin depuis longtemps et dans des sociétés très différentes, celles dites « primitives » étudiées par les anthropologues comme celles typiques du capitalisme financiarisé actuel. Toutefois, il est important de noter le rôle joué par la structuration de l’espace politique issue à la fois des théoriciens du contrat, de la Révolution française et d’un capitalisme industriel dominé par les idées de la bourgeoisie européenne : alors même que les femmes se voyaient refuser l’obtention de droits politiques au nom d’une dépendance sous diverses formes (à leur mari, à l’espèce, aux sentiments ou aux pulsions), elles étaient confinées à l’espace domestique au nom d’un partage strict des sexes entre espace public et privé ; aux femmes l’éducation des enfants, l’aide aux vieux parents ou la toilette quotidienne des personnes dépendantes. Le confinement que de nombreux pays

« L’individu souverain est une fiction. Pourtant, le refus de considérer que tous les individus sont fondamentalement vulnérables est profondément ancré dans nos différents récits collectifs »

Vers une société du care ?

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viennent de connaître en 2020, mettant presque le monde entier à l’arrêt économiquement, est étonnant du point de vue de ce partage puisque, dans de nombreux cas, femmes et hommes se sont retrouvés ensemble dans leur foyer. On peut analyser deux logiques : de nouvelles pratiques égalitaires de partage des tâches domestiques et d’éducation des enfants et, plus massivement, une accentuation d’un partage très traditionnel des rôles entre les hommes et les femmes qui a parfois entraîné un véritable épuisement chez ces dernières. Comment sortir les femmes de ce qui constitue encore ce que Simone de Beauvoir nommait un destin ? En incitant les femmes à promouvoir davantage leur propre carrière, en pénalisant les entreprises qui rémunèrent moins bien les femmes que les hommes, en rendant les professions de care plus attractives pour les hommes et en n’acceptant plus toutes les formes de harcèlement ou de violence faites aux femmes... La vulnérabilité est le lot commun de l’humanité, dites-vous. On s’éloigne ainsi de l’idée d’un individu autonome et performant ? Tout à fait, les définitions de l’humain tournées vers la vulnérabilité mettent à mal la croyance tenace en un individu tout puissant et indépendant tel que les théories du contrat social et de la souveraineté ont pu le déployer aux XVIIème et XVIIIème siècles à partir de Hobbes et de Locke. L’individu souverain est une fiction. Pourtant, le refus de considérer que tous les individus sont fondamentalement vulnérables est profondément ancré dans nos différents récits collectifs. D’un côté, la naissance du libéralisme politique et ses réactivations jusqu’à John Rawls pose un idéal d’autonomie ou de souveraineté à travers lequel toute forme de dépendance ou de vulnérabilité est considérée comme une perte de maîtrise ou de rationalité, une impossibilité à décider justement, donc à participer aux affaires publiques. Richard Sennett rappelle combien le libéralisme politique a glorifié la perspective d’un sujet libre en oubliant que l’autonomie ne se décrète pas et qu’elle ne concerne pas tous les moments d’une vie : « La dignité de la dépendance n’est jamais apparue au libéralisme comme un projet politique valable. » De l’autre côté, le développement des idées néolibérales, analysé par Michel Foucault et bien d’autres depuis, élabore la norme d’un individu performant capable de convertir toutes les sphères de vie aux seules lois du marché. Le calcul individuel, par lequel l’intérêt est rationalisé, devient omniprésent jusqu’à glorifier la responsabilité individuelle comme seule source de responsabilité. Avec ce raisonnement, être pauvre relève d’une conduite individuelle : le pauvre est seul responsable de sa situation ; les aides sociales sont alors obsolètes et deviennent des services à la personne payants. Comment alors faire face à un individu

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SUSTAINABILITY #10

essentiellement interdépendant, ce qui est le propre de la mondialisation et de ses effets dominos ? Les éthiques du care s’intéressent à notre présent : un monde interdépendant, interconnecté où les relations ne sauraient se limiter aux seuls intérêts égoïstes, ne serait-ce que pour faire que les humains se développent dès la naissance : on ne saurait vivre sans soin, sans attention, sans soutien des autres et de structures collectives, sans prise en compte de son environnement.

« Les éthiques du care s’intéressent à notre présent : un monde interdépendant, interconnecté où les relations ne sauraient se limiter aux seuls intérêts égoïstes »

Le constat de notre vulnérabilité, on le sait, dépasse le strict périmètre du soin interindividuel. Quelle est l’étendue du champ du care selon vous ? Alors même que les habitants de nombreux pays étaient confinés, ils se sont surpris à écouter le chant des oiseaux, à regarder les arbres ou à profiter d’un jardin où le printemps faisait son œuvre. Ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient nouer des relations avec d’autres vivants, des végétaux, etc. Les relations entre soi et les autres vivants, soi et la terre, s’en trouvent modifiées. Le care est alors un modèle intéressant car il valorise des relations les plus horizontales possibles contre toute verticalité centralisatrice ; le bon care consiste à habiter le monde avec sa subjectivité, son imagination, ses affects, en se méfiant de tous les marqueurs du pouvoir. Il s’agit d’appréhender et de reconnaître des différences, de composer des mondes au nom d’un commun toujours à modifier avec les nouveaux entrants, et ce qui nous environne. Les travaux de Philippe Descola nous ont appris combien l’Occident s’est arcbouté sur l’idée que les humains vivent dans un monde séparé de celui des non-humains. Aujourd’hui, le care participe d’une résistance à cette forme de suprématie humaine et rejoint des préoccupations écologiques à partir, d’une part, d’une mise en avant des interdépendances et des vulnérabilités, lesquelles nous mettent toutes


« Aujourd’hui, le care participe d’une résistance à cette forme de suprématie humaine et rejoint des préoccupations écologiques »

et tous en relation sur la terre et, d’autre part, d’une déconstruction de diverses formes de maîtrise des humains sur le monde : des productifs sur les soignants, des hommes sur les femmes, des humains sur les non-humains. Cette résistance a pris la forme de l’expression d’une « voix différente » dans les recherches de Carol Gilligan qui définissent les contours d’une éthique du care : « la voix différente est une voix de résistance » aux dualités et aux hiérarchies. Peut-on parler de « planet care givers » ? Quels sont ces métiers ? De tels métiers existent et existeront de plus en plus au fur à mesure que nous prenons conscience de vivre dans un monde abîmé, dans des environnements dégradés : bétonisation des villes, déforestation, production insensée de plastiques, industries polluantes, etc. Les pratiques de lutte sont des gestes de protection de la planète au nom d’un respect que l’on doit au monde que nous habitons. La lutte contre le dérèglement climatique ou la perte de la biodiversité devient mondiale parmi les jeunes qui demandent des comptes au nom du futur. Greta Thunberg est un symbole de la ténacité et de la gravité de cette génération pour laquelle l’attention à la terre ou le souci du monde n’est pas un vain mot. Ces métiers de care au nom de la planète sont portés par un idéal et ils peuvent exister à tous les niveaux : celui d’une municipalité qui lutte contre les incivilités environnementales ou qui développe un aménagement écologique des espaces verts (les communes sans pesticides), celui d’une région qui développe une politique économique réellement éco-responsable, celui d’un État qui déploie des politiques énergétiques renouvelables, celui d’une entreprise qui s’engage dans la production durable. Mais, plus encore, ces métiers existent depuis longtemps dans les ONG environnementales et sans lesquelles aucune de ces luttes ou de ces activités ne serait possible. Elles sont la vigie de notre époque.

Au-delà du périmètre initial des fonctions du soin dans la santé, n’y a-t-il pas une certaine difficulté à cerner le périmètre des métiers du care ? Dès que l’on considère une éthique de ces professions, on met en avant l’attention aux autres qui est requise, l’inquiétude, la préoccupation ou encore le fait de se sentir concerné, proche de l’anglais concern. C’est ce que j’avais nommé du vieux mot de « sollicitude » en 2008 dans Le sexe de la sollicitude. Les pratiques de care s’élargissent alors à de nombreux éléments de la vie ordinaire au nom d’une réponse qui est donnée à nos besoins, à nos formes de vie et sans lesquelles nous sommes en danger : sans les éboueurs, nous serions envahis par les ordures et en proie au retour de vieilles maladies, sans l’agriculteur nous ne pourrions plus nous nourrir et mourrions de faim et sans l’ingénieur qui transforme nos déchets nous n’aurions plus à la longue d’espaces de vie agréables. Ce « prendre-soin » est local : il s’adresse à un environnement, il s’emploie à répondre à des besoins concrets et à faire que sous certaines conditions nos vies demeurent viables. Mais il est également mondial par sa signification ultime : la réponse inconditionnelle à des êtres de besoin, ce qui concerne tout autant les victimes de la Covid-19 que les personnes sous les décombres de la récente explosion à Beyrouth ou les habitants de n’importe quel pays en guerre ou soumis à une catastrophe climatique. Si l’on se penche sur les métiers du care liés au développement durable, ceux-ci semblent échapper cependant à une dévalorisation dans la société ? Est-ce parce que l’on sort ici de la sphère strictement domestique ? Le développement durable porte une destination noble, celle de promettre un futur meilleur conformément à la définition donnée par la commission Brundtland sous l’égide des Nations Unies : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Comme le care, le développement durable engage les besoins : ceux de se nourrir tout comme ceux de se loger

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ou de s’éduquer. Il engage à ce titre un horizon commun partageable par toutes et tous : un développement harmonieux de l’humanité respectueuse de son environnement. Il ne saurait par ailleurs être déconnecté des progrès de la science : les énergies renouvelables n’existent pas sans des recherches scientifiques préalables qui les rendent effectives. Il n’existe pas de développement durable sans ingénieurs, sans techniciens, sans experts de l’écologie. Voilà un point important de différence : l’expertise et la scientificité du développement durable sont louées. Le care n’est que rarement perçu à travers ses expertises, son intelligence. Il est en effet renvoyé encore aujourd’hui au silence de la sphère domestique et à l’émotivité supposée des femmes, à un rapport privilégié qu’elles entretiendraient avec les corps. Dans votre ouvrage, vous voyez l’éthique du care comme une façon d’« imaginer autrement notre destin commun ». S’agit-il là d’un vrai projet de société, d’une manière de renouer avec le collectif ? L’éthique du care conduit à des politiques du care, lesquelles effectivement ne sont pas de simples suppléments d’âme collés comme rustines sur le capitalisme actuel ou sur une mondialisation de plus en plus malheureuse. Il s’agit de porter ce que j’ai nommé une « démocratie sensible ». Elle peut se définir à partir de trois axes qui définissent pour moi les prémisses d’une action politique. Tout d’abord, l’écoute : les gouvernants ont pour mission d’écouter l’expertise des acteurs, de reconnaître l’importance de la valeur d’usage avant de prendre une décision, de proposer de nouvelles lois dans ce contexte. Plus encore, il est nécessaire de prendre en compte non seulement les voix en colère, de ne pas les étouffer et d’évaluer leur pertinence pour élargir ce qui est commun ; le deuxième axe est donc l’égalité des voix : écouter suppose de pratiquer l’égalité des voix. Dans une démocratie, la valeur est la justice et non ce qui détermine un ordre social acquis à travers des statuts et une hiérarchie. Tant que l’égalité des femmes et des hommes ne sera pas une réalité, la démocratie stricto sensu n’existe pas. Enfin, le soutien : la vulnérabilité n’est vivable que si des politiques de soutien aux individus les plus vulnérables sont mises en œuvre de manière concertée dans le cadre d’un État qui promeut les initiatives de travail collectif, de solidarité et d’entraide. Y a-t-il un véritable réveil aujourd’hui ? Il est certain que l’éthique du care séduit beaucoup de monde depuis un certain nombre d’années : des corps constitués comme les ONG, les associations, de nombreux collectifs de lutte au nom de l’environnement, de la justice sociale, du féminisme ou de bien d’autres causes et des entreprises.

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Il est intéressant de constater que les pays qui ont su pour l’instant le mieux lutter contre la Covid-19 sont pour la plupart des pays gouvernés par des femmes, avec une bonne coordination des niveaux étatiques et régionaux, des institutions publiques et des entreprises qui coopèrent. Il est important plus que jamais que les gouvernants soient au plus près des besoins des gouvernés, à leur écoute de telle sorte que leurs vies ordinaires soient facilitées et non empêchées. Toutefois, il ne suffit pas de considérer les besoins des hôpitaux ou de la médecine de ville tout comme il est irresponsable d’exciter les peurs liées à la maladie. Une politique du care doit également se déployer face à l’urgence écologique, face aux besoins de l’éducation (le nombre d’analphabètes est encore très élevé dans de nombreux pays) ou contre toutes les formes de discriminations et de violence. <

« UNE POLITIQUE DU CARE DOIT ÉGALEMENT SE DÉPLOYER FACE À L’URGENCE ÉCOLOGIQUE, FACE AUX BESOINS DE L’ÉDUCATION OU CONTRE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATIONS ET DE VIOLENCE »


Professor of Philosophy at the Université de Paris 8 and President of the Université Paris Lumières, Fabienne Brugère has mainly dedicated herself to deciphering the notion of care and studying the place of women and their representation in our society. A former student of the École Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud and with an Agrégation in Philosophy, she is the author and translator of twenty books, the latest of which, On ne naît pas femme, on le devient, was published in 2019. Her books Le sexe de la solicitude and L'éthique du "care" are indispensable on the question of the importance of care and attention to others in society.

The crisis we are facing reminds us of our deep interdependence. It has thrown an unprecedented spotlight on our vulnerability and the importance of "care". Has the invisible become visible? Humanity is vulnerable in the face of life: illness, accidents, sanitary, ecological or industrial disasters. Generally speaking, individuals give themselves the means to forget this vulnerability. Wealth, power and knowledge greatly help them to do so. The global coronavirus pandemic, which first affected the deaths of major economic powers, reminds us of the value of life and how close it can be to death. It has also shown that the accumulation of globalisation and the virus makes us doubly dependent on each other; contaminating, contaminated or contaminable, we need others to take care of us, from our loved ones to institutions. Today, we are experiencing the importance of care : both those who heal and those who repeat practices that show concern for others. Gestures as simple as washing our hands are not only good for ourselves but also for those with whom we come into contact. With the pandemic, we are losing control over the world, over others and ourselves. We become non-sovereign individuals, vulnerable to whatever jabs, attacks or diminishes us. We experience dispossession while we have been taught possession: possession of self, possession of property...

What are the underlying reasons that, according to you, have led to the care professions being overlooked so far? Historically, cleaning tasks related to bodily functions have always been devolved to beings without social recognition, often women. The nurse’s care (in French “infirmier”, which is lexically close to the word "infirm" and indicates a lack of strength) and the doctor’s care (who is capable of healing) are not considered with the same values. In the context of a health crisis, all these practices finally appear through their usefulness to the cleaning of hospitals and all places where the virus may be rampant. Social class and gender are fundamental markers of care. In the context of globalisation and North-South relations, care is also a matter of migrant or immigrant populations. It is necessary to insist on the assignment of women to care. These professions are generally considered not to be sufficiently specialiced and are considered to be of a supposedly feminine nature that would allow them to be easily exercised. The work of Pascale Molinier shows how little use is made of the discourse of competence to evoke these professional careers.

Translation continues page 155

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« CE QUI FAIT NOTRE HUMANITÉ, C’EST SE PRÉOCCUPER DE NOS PLUS VULNÉRABLES, DE L’AUTRE. C’EST NOTRE FORCE »

« Ambassadeur Paris 2024 », athlète de haut niveau aux 5 participations aux Jeux Paralympiques (équipe de France de natation, de basket fauteuil puis de rugbyfauteuil), ce multi-champion dans le sport et dans la vie s’illustre par les  nombreux combats et victoires qu’il remporte sur le terrain social et solidaire. Initiateur de projets humanitaires et associatifs visant à lutter contre toutes formes de discrimination et dont le handicap est une forte composante, fondateur de CAPSAAA (club de sport parisien et association dédiée à la prévention/sensibilisation au handicap via les valeurs universelles du sport), organisateur du DEFISTIVAL et de colloques sociétaux et culturels, il est aussi à l’origine d’Educapcity, grand rallye citoyen dédié aux 8-14 ans. Un serial entrepreneur humaniste qui invite à refuser toute forme de fatalisme et n’a qu’une idée en tête : favoriser la fraternité et le vivre-ensemble en paix.

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"Paris 2024 Ambassador" and top level athlete who took part in five Paralympic Games (French swimming, wheelchair basketball and wheelchair rugby teams), this multi-champion in sport and life is illustrated by the many battles and victories he has won on the social and solidarity field. Initiator of humanitarian and associative projects aimed at fighting against all forms of discrimination and of which disability is a strong component, founder of CAPSAAA (Parisian sports club and association dedicated to the prevention/awareness of disability through the universal values of sport), Organizer of the DEFISTIVAL and societal and cultural symposiums, he is also at the origin of Educapcity, a major citizen rally dedicated to the 8-14-year-olds. A humanist serial entrepreneur who invites us to refuse all forms of fatalism and has only one idea in mind: to promote fraternity and to live together in peace.


TRIBUNE

Ryadh Sallem Comment envisager le monde de demain ? Envisioning a World for Tomorrow

Le confinement auquel nous avons tous été soumis et la crise sanitaire qui a agité - et agite encore - l’humanité ont été une source constante de questionnements. Le confinement, imposé par un ennemi invisible et méconnu, a réussi à figer plus de la moitié de la planète. Après l’inévitable sidération, nombre d’entre nous ont cru, dans un élan naïf et sincère, que tout allait changer, que les choix et les modes de vie allaient s’en trouver grandement modifiés pour s’orienter vers un meilleur, individuel et collectif, consenti par tous. Est-ce le cas ? N’assistons-nous pas, au contraire, à une reprise sans discernement et sans mémoire d’un monde d’avant toujours plus cupide ? Comme si nous sortions d’un régime alimentaire drastique, immédiatement suivi d’une reprise de poids d’autant plus importante que l’espérance de l’allègement avait été intense. Et nous revoilà souffrant de la même boulimie, contraints à une consommation forcenée visant à remettre en route les engrenages de ce « fameux » monde d’avant. Pour un citoyen engagé, pas un décideur, mais un membre curieux et actif de la société, de la sphère associative et de l’entreprenariat, il est important d’influer sur le cours des choses en brisant des tabous et en mettant à mal des préjugés ancrés de longue date. Se pose alors la question de cette attente d’un monde nouveau, vite désuète : à peine avons-nous eu le temps d’observer l’eau claire, de voir circuler quelques poissons dans une limpidité retrouvée, que la surface de l’eau s’est troublée. Ce confinement inédit n’a fait que révéler le tragique de notre monde, de notre façon de l’envisager avec, en point d’orgue, le duo « bien vs mal », sans aucune nuance. Aurions-nous dû espérer le bien après tout ce mal ? Sans doute pas. Même pendant ce temps « hors sol », la grille de lecture imposée, celle des médias et des réseaux sociaux, est restée immuable et beaucoup peuvent en témoigner.

Les citoyens engagés, contraints de reporter à des jours meilleurs - ces « fameux jours meilleurs » - leurs missions associatives, ont accompagné de formidables élans de solidarité, notamment au sein de quartiers stigmatisés. Ainsi des distributions alimentaires quotidiennes, déployées par des jeunes si souvent humiliés, pourtant sur le pont du matin au soir, à Rungis ou dans les immeubles, sans jamais rechigner ni se défausser. Invisibles, avec enthousiasme et générosité, ils ont magnifié leur dignité en accompagnant d’autres jeunes dans un élan de solidarité retrouvée. On les a peu vus sur les plateaux télé ou dans les journaux où tous les spécialistes autoproclamés se relayaient pour entretenir les affres du monde d’avant en se focalisant sur deux ou trois exactions faisant de l’ombre à la grande majorité de ces engagements humanistes. Il était pourtant là, le monde de demain, dans ces jeunes pousses joyeuses et courageuses, dans tous ces mouvements et ces événements qui ont rythmé le quotidien du confinement. Il germait. Il fallait juste s’en saisir pour l’amener à maturation, mais chacun est vite retombé dans ses travers, dans son addiction aux écrans, aux infos, qui se chassent l’une l’autre, sans vérification, dans la course au sordide, au laid, au détestable. Souvent au mercantile.

« Ce confinement inédit n’a fait que révéler le tragique de notre monde, de notre façon de l’envisager avec, en point d’orgue, le duo "bien vs mal", sans aucune nuance » Vers une société du care ?

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Ryadh Sallem était le grand invité du Luxembourg Sustainability Forum, le 15 septembre 2020. Un échange avec Nancy Thomas, directrice d’IMS Luxembourg. / Last 15th September, Ryadh Sallem was the great guest of the Luxembourg Sustainability Forum. An interview conducted by Nancy Thomas, Director of IMS Luxembourg.

La crainte est là, dans l’observation de ce monde abîmé et à bout de souffle qui revient au galop, toujours plus dématérialisé, livré aux algorithmes, à l’intelligence artificielle, aux Gafam. Si le confinement a pourtant pu servir une cause, c’est qu’il a permis de révéler un écosystème qui asphyxie, impose et ne laisse plus de libre-arbitre aux citoyens-humains. Le constat est clair et l’effet loupe, impitoyable : ça dysfonctionne. Dès lors, quelles pourraient être les propositions, les issues envisageables ? Elles sont toutes obstinément adossées à une lecture écologique, égologique de nos actes immédiats et de nos comportements, à une reconsidération nécessaire de notre environnement, de notre Terre, de mère nature. Bien sûr, on a observé quelques esquisses allant en ce sens, mais elles doivent s’intensifier avec constance. Il nous faut consommer autrement, cesser d’appauvrir des terres trop sollicitées et maltraitées, respecter les cycles et la saisonnalité, retrouver notre place sur une terre nourricière, généreuse et prolifique, rendue stérile. Car tout s’achète et se concentre entre quelques mains avides de pouvoir, d’enrichissement et d’asservissement… On neutralise la fertilité gratuite et abondante de la vie en épuisant les cycles naturels, en monnayant des semences et des graines pour enrichir toujours plus des marchands sans âme. On achète l’air, la terre, l’eau… Et toutes les ressources qui s’épuisent, se tarissent sans le moindre état d’âme des acteurs du mercantilisme.

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Alors pourrait-on quand même semer les graines d’un monde d’après ? En appelant à une lecture écologique de notre façon de vivre au sein des vivants. De tous les vivants, sans exception, qui ont chacun le même droit de cité sur Terre que nous, les humains. Chacun y a sa place, y compris au cœur de l’architecture minérale des villes qu’il faut végétaliser afin d’accueillir une vraie biodiversité, vitale pour l'humain. Et si un ministère de la Politique de la Ville a existé, pourquoi ne pas créer un ministère de la Politique du Vivant ?

« Alors pourrait-on quand même semer les graines d’un monde d’après ? En appelant à une lecture écologique de notre façon de vivre au sein des vivants. De tous les vivants, sans exception » Le confinement a permis de prendre conscience que la vie est fragile et que chacun de nous est précieux. Chaque vie, humaine et animale, est unique dans sa


spécificité. Et la seule norme à laquelle nous devons adhérer, c’est justement celle de la différence. Dans la prochaine civilisation, espérons que la norme sera la différence. On utilise très souvent l’adjectif systémique. Tout est devenu systémique, le pire comme le meilleur. Alors, bien sûr, il faut créer des systèmes, des organisations qui refusent la standardisation et accueillent la diversité et accompagnent le rythme de chacun. Les systèmes doivent respecter les différences et ne pas les formater pour les neutraliser. Chaque rythme nourrit le rythme de l’autre. Un vieil adage affirme qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il faut refuser l’instinct grégaire et le conformisme. Comment envisager le monde de demain ? Avec une composante écologique empreinte de biodiversité. Pour renouer avec la Terre, la seule dont nous disposons à ce jour et que nous maltraitons. Et puis sans doute, un jour prochain, l’humanité, dans la grande fraternité qu’elle s’est découverte dans la peur d’un virus, s’inventera un destin commun fondé sur la pollinisation de l’espace. Sortons de cette addiction de l’économie de la mort en nous ouvrant à l’économie de la vie. Et si tous les milliards servaient à retrouver cette identité d’origine à laquelle chacun a droit ? Comme Noé et son arche, humains et animaux s’embarqueront vers d’autres planètes et tenteront d’y essaimer de bonnes pratiques, avec force et humilité, en respectant l’instinct de vie. Dans le respect de chaque vie, si minime soit-elle. Avec autant de protection que nos ancêtres en avaient pour protéger la petite flamme récupérée d’un bienheureux éclair alors qu’ils ne connaissaient pas encore le feu. Faisons le pari de redevenir des sapiens éclairés en étant nostalgiques du futur. Sans être des humains capricieux mais des humains précieux comme la vie. Car n'oublions pas, la nature peut subvenir aux besoins de tous, pas aux caprices de chacun. < Article paru dans France Forum, septembre 2020, n°78.

The lockdown to which we have all been subjected and the health crisis that has shaken — and still shakes — humanity have been a constant source of questioning. Confinement, imposed by an invisible and unknown enemy, has succeeded in freezing more than half of the planet. After the inevitable astonishment, many of us believed in naive and sincere impulse - that everything was going to change, that choices and lifestyles were going to be significantly modified to move towards a better individual and collective, agreed by all. Is it the case? On the contrary, aren't we witnessing an indiscriminate and memory-less revival of an ever greedier world of the past? As if we were coming out of a drastic diet, immediately followed by weight gain, as important as the hope of weight reduction had been intense. And here we are again, suffering from the same bulimia, forced to consume in a frenzied way to restart the gears of this "famous" world of before.

For the engaged citizen, not the decision-maker, but the curious and active member of society, of the associative sphere and entrepreneurship, it is important to influence the course of events by breaking taboos and challenging long-held prejudices. The question then arises as to the expectation of a new, quickly-obsolete world: just enough time to glimpse at a few fish through this newly-cleared water, before it became troubled again. This unprecedented confinement has only revealed the tragedy of our world, our way of looking at it with, a climax, the duet "good vs evil", without any nuance. Should we have hoped for good after all this evil? Probably not. Even during this time "above ground", the imposed reading grid, that of the media and social networks, has remained immutable and many can testify to this.

"And yet there it was, the world of tomorrow, in those joyful and courageous young shoots, in all those movements and events that punctuated the daily life of confinement. It was germinating. We just had to seize it to bring it to maturity"

Committed citizens, forced to postpone their associative missions to better days - these famous "better days" - have accompanied tremendous outbursts of solidarity, especially in stigmatised neighbourhoods. For example, daily food distributions carried out by young people who are so often humiliated, yet on the bridge from morning to night, at Rungis or in buildings, without ever baulking or giving up. Invisible, with enthusiasm and generosity, they have regained their dignity by accompanying other young people in a spirit of renewed solidarity. We have not seen much of them on television or in the newspapers where all the self-proclaimed specialists took turns to maintain the torments of the world before them by focusing on two or three exactions that overshadowed the great majority of these humanist commitments. And yet, here it was the world of tomorrow, in those joyful and courageous young shoots, in all those movements and events that punctuated the daily life of confinement.

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"So, could we still sow the seeds of a future world? By calling for an ecological reading of our way of living among the living. All the living without exception"

It was germinating. We just had to seize it to bring it to maturity, but everyone quickly fell back into their own ways, into their addiction to the screens, to the news, which chase each other, without verification, in the race for the sordid, the ugly, the detestable, and often the mercantile. The fear is there, in the observation of this damaged and breathless world that is returning at a gallop, ever more dematerialised, delivered to algorithms, artificial intelligence, the Gafam. If the confinement has nevertheless served a purpose, it has revealed an ecosystem that asphyxiates, imposes and leaves no free will to human citizens. The conclusion is clear, and the effect is mercilessly magnifying: it is dysfunctional. So, what could be the proposals and possible outcomes? They are all stubbornly based on an ecological and egological reading of our immediate actions and behaviours, a necessary reconsideration of our environment, of our Earth, of Mother Nature. We have of course observed some sketches along these lines, but they must be steadily intensified. We must consume differently, stop impoverishing overused and mistreated land, respect cycles and seasonality, and regain our place on a generous and prolific nourishing land, made sterile. For everything has a price and is kept in a few hands, greedy for power, enrichment and enslavement. The free and abundant fertility of life is neutralised by exhausting the natural cycles, by exchanging seeds and grains to enrich more and more soulless merchants. We buy air, land, water, and all the resources that are running out and dried up without the slightest hesitation from those involved in mercantilism. So, could we still sow the seeds of a future world? By calling for an ecological reading of our way of living among the living. All the living, with no exception, who possess the same right of living on this Earth as us, humans. Each one has its place, including at the heart of the mineral architecture of the cities that must be planted to host true biodiversity, vital for humankind. And if a Ministry of Urban Policy once existed, why not create a Ministry of Living Policy?

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Lockdown made us realise that life is fragile and that each one of us is precious. Each life, human and animal, is unique in its specificity. And the only standard to which we must adhere is precisely that of difference. In the next civilisation, let's hope it will be the norm. The "systemic" adjective is very often used. Everything the best and the worst - has become "systemic". Hence we have to create systems and organisations rejecting standardisation, welcoming diversity and keeping up with everyone's pace. Systems must respect differences and not format them to neutralise them. Each rhythm provides for the other. There is an old saying that you should not put all your eggs in one basket. We must refuse gregarious instinct and conformism. How can we envision tomorrow's world? With a biodiversity ecological component, to reconnect with our planet — the only one we have to date and yet mistreat. And then undoubtedly, soon enough, humanity, in this great brotherhood it discovered through its fear of a virus, will build a common destiny based on the pollination of space. Let's get out of this addiction to the economy of death by opening ourselves to the economy of life. And what if all these billions were used to recover the original identity to which everyone is entitled? Like Noah and his ark, humans and animals will embark on a journey to other planets and try to spread good practices there, with strength and humility, respecting the instinct for life. With respect for each life, no matter how small it may be. With as much protection as our ancestors had to protect the small flame recovered from a blessed lightning strike when they did not yet know fire. Let's make a bet to become enlighted sapiens once again by being nostalgic for the future. Not by being capricious humans but precious ones, like life itself. For let's not forget, nature can provide for everyone's needs, not for everyone's whims. < Article published in France Forum, September 2020, n°78.


" IF WE SUCCEED IN CREATING A CULTURE OF COLLABORATION AND NOT COMPETITION, I BELIEVE WE WILL ACHIEVE SOMETHING GREAT..." Retrouvez, dans son intégralité, l’entretien avec Ryadh Sallem, Grand Invité du Luxembourg Sustainability Forum 2020 Get to see the full interview with Ryadh Sallem, great guest of the Sustainability Luxembourg Forum 2020

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L'ALIMENTATION

D' APRÈS

THE FOOD

TO COME

P. 52 La faillite de l'hyperstandardisation P. 58 Food for thought P. 60 Des idées qui germent aux quatre coins du monde P. 62 Le grand retour du local P. 66 Some Reflections on the Resilience of Luxembourg’s Food System P. 69 Grand sol malade : l'agriculture régénérative à son chevet P. 73 Meet Birgit Cameron, Managing Director at Patagonia Provisions P. 78 À lire, à voir P. 80 The World's Food Diversity Vault

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La faillite de l'hyperstandardisation The Fall of Hyper-standardisation

Saviez-vous qu’il existe plus de 4 500 variétés de pommes de terre et au delà de mille sortes de bananes sur la planète ? Si peu de personnes peuvent cependant se targuer d’avoir goûté ne serait-ce qu’une dizaine de l’une ou l’autre, c’est parce que le système alimentaire mondial dépend aujourd’hui uniquement d’environ 150 plantes comestibles alors qu’il en existe 30 000 sortes différentes. Cela signifie qu’à l’heure actuelle, nous profitons de seulement 0,5 % de notre diversité végétale. Non sans conséquences, la société a traversé la révolution verte pour arriver à une réelle uniformisation des modes de production, de consommation et des goûts. Le système alimentaire actuel atteint ses limites et doit être réinventé pour assurer la continuité des moyens de subsistance. En quête de résilience, vers quels modèles évoluer demain ? Did you know that there are more than 4,500 types of potatoes and over one thousand types of bananas on the planet? If few people can boast of having tasted more than ten varieties of one or the other, it is because today's global food system depends solely on about 150 edible plants, while there are 30,000 different kinds. In other words, we currently enjoy only 0.5% of our plant diversity! Not without consequences, society has gone through the green revolution to achieve a real standardisation of production, consumption and tastes. The current food system is reaching its limits and needs to reinvent itself to ensure the continuity of livelihoods. Seeking resilience, what models should we move towards tomorrow?

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Révolution verte : la course aux rendements Loin des rayons abondants de produits issus des quatre coins du globe, loin des champs s’étalant sur des milliers d’hectares et des étendues de serres tellement vastes qu’elles sont visibles depuis la lune, la réalité d’antan où l’Homme vivait de l’élevage et de l’agriculture locale au fil des saisons est parfois difficile à imaginer. Sophistication des machines, recours aux intrants chimiques, transformation, industrialisation et production en masse, globalisation des échanges…, pour le meilleur et pour le pire, les mutations du 20ème siècle ont modifié structurellement notre façon désormais XXL de cultiver et de consommer. Entre 1960 et 2010, l’agriculture mondiale connait des hausses de productivité fulgurantes. Selon la FAO, (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), le rendement du riz augmente de 126 % et les surfaces cultivées de 41 %. Pour le maïs, les chiffres montent respectivement à 174 % et 55 %. Ces gains impressionnants sont le fruit de la rencontre entre la motorisation de l’agriculture et quatre évolutions techniques majeures : la sélection de variétés à haut rendement, le recours accru à l’irrigation, l’utilisation massive d’engrais minéraux et le développement des produits phytosanitaires. En l’espace d’une génération d’agriculteurs, la productivité s’est envolée, atteignant un rapport de 1 à 100 dans certaines fermes. C’est cette révolution verte qui a donné naissance au système alimentaire industrialisé que nous connaissons aujourd’hui. Conséquence : Eurostat relate que le nombre d'exploitations agricoles en Europe a diminué d'environ un quart entre 2005 et 2016. Le temps d’une décennie, ce ne sont pas moins de 4,2 millions d'entités rayées des cartes dans les États membres, dont la grande majorité

- environ 85 % - sont de petites structures de moins de 5 hectares, basées sur des systèmes de polycultureélevage, qui disparaissent au profit de vastes fermes spécialisées ultra-productives. Au cours de l’Histoire, jamais autant de nourriture n’a été produite, consommée ou, malheureusement, jetée. En 2011 déjà, l’Académie des Sciences en France avançait que, répartie de manière équitable, la production agricole mondiale serait théoriquement en mesure de fournir à l’ensemble de la population un apport énergétique de 3 000 kilocalories par jour. Corollaires de ce changement d’échelle, les aspects sanitaires ont été encadrés pour garantir plus de sécurité et de traçabilité des produits, conduisant à des aliments toujours plus calibrés. Une inflation de normes et une standardisation qui révèlent aujourd’hui leurs nombreuses limites. Mission normalisation En vue d’initier l’harmonisation de la législation pour assurer la sécurité alimentaire, en 1961, la FAO a constitué le Codex Alimentarius. Depuis lors, les normes imposées dans ce document sont devenues des références juridiques internationales en la matière, en régissant notamment l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Parmi les dernières règles en date, il y a la norme CXC76R-2017, particulièrement d’actualité, sur les codes d’usages régionaux en matière d’hygiène pour les aliments vendus sur la voie publique en Asie ou la norme CXA 6-2019 relative aux additifs alimentaires. Toutes ces règles relatives au transport, à l’hygiène, l’emballage, l’affichage des produits et plus encore, ont initialement pour but de garantir une alimentation de plus en plus sûre et transparente. Oui mais… À l’heure actuelle, le constat est divisé.

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La normalisation alimentaire est aujourd’hui remise en question. Aux États-Unis, 70 % des pommes de terre cultivées sont d’une seule variété imposée par McCain pour ses frites. Il en va de même pour 60 % des tomates, dont la variété standard est imposée par Heinz. Parmi les 578 variétés de fèves cultivées aux États-Unis au début du XXème siècle, on n'en retrouve aujourd'hui plus que 32 d'entre elles. Ce déclin se constate également pour l’élevage, avec pas moins d’un tiers des races de bétail à présent menacé d’extinction. Chaque mois, six d’entre elles disparaissent. Subissant les pressions de l’ouverture des marchés et d’une compétitivité accrue, les agriculteurs du monde entier ont ainsi renoncé à leurs cultures primitives et locales pour s’orienter vers des variétés génétiquement standardisées et à rendement optimisé. Résultats : l’offre s’uniformise, les habitudes de consommation se globalisent, les héritages culturels et les arts de vivre s’amenuisent et la biodiversité baisse en flèche. La FAO relate qu’en l’espace d’un siècle, 75 % de la diversité génétique des plantes cultivées a été perdue. Fake food et « Mc Donalisation » de nos habitudes Avance-t-on réellement toujours vers une alimentation saine ? Selon l’INSEE, le temps consacré à la préparation des repas en France a baissé de 25 % en un quart de siècle. Cette tendance s'inscrit au profit de la marchandisation accrue de produits alimentaires transformés et marque une distanciation de plus en plus importante entre

l’individu et la nature. Cette déconnexion entre le champ et l’assiette entraîne une perte importante de savoirs et de savoir-faire culinaires chez les nouvelles générations. Déjà en 2010, le documentaire « Food Revolution », réalisé aux États-Unis, laissait perplexe quand le célèbre chef britannique Jamie Oliver demandait à des enfants de 6 ans d’identifier des légumes. Ceux-ci étaient bien incapables de reconnaître les tomates qui constituent leur Ketchup tant apprécié ou les pommes de terre qui composent leurs frites. Loin des potagers et des cuisines, nous atteignons aujourd’hui les limites d’une société prônant la « fake food » et le « prêt-à-manger ». N’est-il pas surprenant que, chaque année, environ 3,6 millions de foyers japonais fêtent Noël avec le poulet frit de KFC ? À l’échelle mondiale, en 2018, les fast-foods ont rapporté plus de 570 milliards de dollars (soit 512 milliards d’euros). Le recours aux aliments industrialisés et standardisés s’est ainsi massifié au détriment des produits frais, avec pour résultat, de plus en plus d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs. Le Conseil National de l’Alimentation en France nous apprend ainsi que 80 % des dépenses alimentaires concernent des aliments transformés. Le problème ? Ces produits partagent la particularité d’être riches en acides gras saturés et en additifs tels que conservateurs, exhausteurs, colorants et sucres ajoutés. La promotion de cette alimentation représente des facteurs de risques pour la santé à travers un éventail de maladies chroniques. Surpoids et obésité, mais aussi diabète, maladies cardio-vasculaires, intolérances alimentaires, perturbations du système endocrinien, troubles digestifs... Une liste en général bien plus longue que celle des courses, avec des répercussions désastreuses sur la population mondiale. En 2017, une étude menée par 130 chercheurs réunis au sein du Global Burden Disease alarmait sur le fait qu’un décès sur cinq était attribuable à un mauvais régime alimentaire. Un rapport du Global Panel on Agriculture and Food Systems for Nutrition publié en 2016 n’est pas plus optimiste en démontrant que six des onze facteurs de mortalité dans le monde sont directement liés à une mauvaise alimentation. Les premiers facteurs en cause : consommation excessive de sel, apport insuffisant en céréales complètes et ration quotidienne de fruits

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trop basse. Le directeur du département de nutrition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Francesco Branca, parle de ces chiffres comme un « signal d’alarme », prévenant « qu’à défaut d’adopter un régime sain pour notre santé et pour l’environnement, nous n’irons pas très loin ». Un désert nutritif ? L’équilibre nutritionnel est primordial pour le bon fonctionnement de l’organisme. Les variétés cultivées aujourd’hui sont sélectionnées pour être récoltées en un rien de temps avec la promesse d’une esthétique, d’une robustesse et d’une durée de conservation incroyable. Seul bémol : fer, calcium, vitamines et protéines semblent, quant à eux, être en baisse. Depuis plusieurs années maintenant, de nombreuses études se penchent sur la question de l’appauvrissement des nutriments dans les aliments que nous consommons. Des chiffres impressionnants du rapport de Brian Halweil, selon lequel il faudrait manger cent pommes aujourd’hui contre une dans les années 1950 pour avaler la même quantité de vitamine C, à ceux du Professeur Guéguen qui avance, de manière plus raisonnable, que la carotte a perdu 33 % de son apport en protéine, les opinions divergent et font débat. Que se cache-t-il alors réellement autour du phénomène controversé de la « calorie vide » ? Il paraît difficile de pouvoir quantifier l’appauvrissement nutritif des aliments de manière précise et unanime. Cependant, plusieurs de ses causes sont évoquées, telles que la maturité des plantes et la saisonnalité au moment de leurs récoltes, la teneur moyenne de l’atmosphère en CO2 ou encore, les méthodes de conservation et de cuisson. Une partie de la solution se trouve donc entre les mains des consommateurs : choisir des aliments divers, frais, locaux et de saison, plus sains pour soi et pour la planète !

Des risques systémiques grandissants La production et la consommation alimentaires mondiales se trouvent à un moment charnière de leur histoire. Bien qu’elles aient vu des améliorations majeures au cours du 20ème siècle, elles contiennent, dans le contexte actuel et ses perspectives, de nombreux risques systémiques sur les plans économique, social et environnemental. La FAO parle d’un système déséquilibré avec, d’une part, « le potentiel productif de notre base de ressources naturelles ayant été altéré en de nombreux points du globe et compromettant la prospérité de la planète », et d’autre part, « la faim qui continue à être une réalité pour 821 millions de personnes et un individu sur trois souffrant de malnutrition ». Des écosystèmes à genoux Au fil des années, les richesses naturelles, sous-estimées, sont toujours plus détériorées. Conversions des modes d’utilisation des terres, productions uniformisées, surexploitation des sols, import d’espèces exotiques envahissantes, destruction des habitats naturels, mais aussi pollution et bouleversements climatiques... Les impacts environnementaux du système alimentaire sont déconcertants. D'après le GIEC, l’agriculture, avec la foresterie et les autres changements des terres, représentent 24 % des émissions de gaz à effet de serre. Aussi, selon la FAO, près d’un tiers des sols de la planète sont dégradés par l’agriculture intensive et 70 % de tous les prélèvements d’eau dans le monde lui sont attribués. (Retrouvez plus de détails sur les impacts environnementaux de l’agriculture et des solutions inspirantes page 60) Face au constat saisissant de la raréfaction des ressources, les experts sont unanimes : le système alimentaire est victime, mais surtout acteur, d’un scénario catastrophe pour l’Humanité.

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Profession sous tension Les femmes et les hommes du monde agricole sont durement touchés par les incohérences du système prévalant. La question de la répartition des revenus de l’agriculture est un sujet qui refait souvent surface dans l’actualité, sans pour autant qu’une voie d’amélioration se dessine. Cette situation s’explique majoritairement par la hausse des prix des matières premières et de l’énergie, ainsi que par la faiblesse de la rémunération consentie par les transformateurs et les distributeurs. Aujourd’hui, triste constat, 80 % des personnes sous-alimentées appartiennent à la petite paysannerie des pays du Sud. En 2020, en dépit d'une hausse des prix des denrées alimentaires pour les consommateurs, la pauvreté agricole est toujours une réalité. Les parts versées aux agriculteurs sont tellement faibles qu’elles couvrent généralement à peine les coûts de production. Selon FranceAgriMer, sur 100 euros d’achats alimentaires, seuls 6,5 euros sont perçus par les producteurs français. Dans les pays industrialisés, cette situation a souvent poussé des paysans désespérés à une course absurde au gigantisme des exploitations, qui n’est pas sans rappeler les scènes déchirantes du film d’Edouard Bergeon Au nom de la terre. Surendettées, de nombreuses familles d’agriculteurs se voient désormais obligées de renoncer à leur exploitation. Bien qu’essentielle pour continuer à nourrir le monde, la relève de la population active et vieillissante du secteur agricole semble difficile à assurer dans de telles conditions. Les failles du modèle économique actuel De la production à la consommation en passant par la logistique et la transformation, l’alimentation joue un rôle clef dans la dynamique de l’économie mondiale. En Europe, l’industrie agro-alimentaire est le deuxième secteur d’activité en termes de chiffre d’affaires et compte plus de 300 000 entreprises dont plus de 90 % de PME. « Petit » hic : le modèle économique sur lequel se base ce système est très vulnérable, comme a pu le mettre en lumière la récente crise sanitaire de la Covid-19. En effet, les difficultés majeures qui ont émergé de la pandémie ont souligné la complexité et les faiblesses du paradigme actuel. Parmi elles, forte dépendance aux

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échanges et aux chaînes de valeur mondialisées, difficultés logistiques, main d’œuvre précarisée, endettement, absence considérable de diversité de production et de débouchés... Notre système alimentaire est en péril.

Les voies de la résilience Au regard des défis actuels, le constat est sans équivoque : le modèle alimentaire mondial est à redéfinir afin de devenir plus cohérent, efficace et durable pour le futur de l’Humanité. Selon les prévisions de l'ONU, dans un peu moins de 30 ans, nous serons près de 10 milliards à devoir partager les ressources de la planète. Cependant, les conditions ayant permis au système alimentaire post-industriel de prospérer ne peuvent plus être garanties. Plus encore, celles-ci doivent être bannies car elles participent elles-mêmes à l’aggravation des menaces pour la sécurité alimentaire. Le secteur agricole semble ainsi pris dans un cercle vicieux dont il est à la fois le bourreau et la victime. Les maillons complexes et interdépendants de la chaîne alimentaire sont vulnérables aux changements et aux phénomènes de rupture. L'expansion du modèle actuel entraînerait des risques colossaux. Alors, quelles solutions pour demain ? La diversité, clef de la résilience alimentaire Pour évoluer vers un système résilient, la diversité est primordiale et ce, à tous les niveaux. Côté agricole, c’est la diversité des productions, des pratiques culturales, des parties prenantes et de leurs interactions qui priment. L’idée ? S’écarter des systèmes de monocultures intensives plus vulnérables aux chocs. La diversité des variétés est, elle aussi, un élément clé. Car une palette plus large de semences plantées permet une meilleure adaptabilité au climat, aux types de sols, aux fluctuations des conditions extérieures (météo, parasites, prix de vente) ainsi qu’aux méthodes et moyens de cultiver de chaque exploitant. À l’échelle régionale, des filières agricoles diversifiées luttent préventivement contre les risques d’épidémies ou de crises sectorielles. Des productions diversifiées permettent également d’endiguer la gravité des pénuries, de stimuler l’économie et de renforcer le pouvoir des acteurs socio-économiques. Selon la FAO, « la conservation et l’utilisation d’une grande variété d’espèces animales et végétales sont le gage de l’adaptabilité et de la résilience des populations aux changements climatiques,


Le XXème siècle a été marqué par la montée en puissance du secteur aéronautique, notamment avec Boeing qui a ainsi transformé la Floride en réel verger mondial. The 20th century was marked by the rise of the aeronautics sector, notably with Boeing, which has thus transformed Florida in a real-world orchard. Credits : Atlas de l'alimentation

aux maladies émergentes, aux pressions sur les réserves d’eau et aux demandes versatiles du marché ». Aussi, l’exploitation des services écosystémiques diminue le besoin d’intrants externes et améliore l’efficacité du rendement. La diversité semble donc le maître mot de l’agriculture de demain. Faire société autour de l’alimentation La construction d’une alimentation durable passe également par une implication de l’ensemble de la société. Fournisseurs d’énergie, entreprises de transport, secteurs secondaire et tertiaire, pouvoirs publics, société civile et consommateurs : tous sont architectes du changement de modèle. Transition des ressources énergétiques vers la multitude d’options qu’offrent les énergies renouvelables, évolution des habitudes de consommation, diversification des producteurs : il s’agit de décentraliser et de réduire la dépendance entre les maillons de la chaîne d’approvisionnement pour favoriser un système modulaire et hétérogène basé sur une approche holistique de l’alimentation. Ceci passe notamment par le renforcement de l’autonomie des acteurs d’un territoire. Entendez par là, par exemple, le pouvoir des agriculteurs de disposer localement des moyens de production, de transformation et de commercialisation de leurs produits. Quant aux habitants, il s’agit pour eux aussi d’être en mesure de subvenir à leurs besoins près de chez eux. Ce sont sur ces principes que se base le concept de « reterritorialisation » ou de « subsidiarité » du système alimentaire. Cette approche se veut ré-humanisante, promotrice de lien social et porteuse d’une dynamisation du développement rural, pour la création d’emplois, ainsi que pour se diriger vers une économie plus stable car moins dépendante des marchés internationaux. Pour favoriser ce modèle, la FAO souligne que les investissements sont primordiaux dans les infrastructures telles que les voies de transports, les

télécommunications et les moyens de stockage. Paradoxalement, si le besoin de régionalisation des chaînes de production et de consommation est établi pour davantage de résilience alimentaire, une part de la globalisation a, elle aussi, un rôle à jouer pour que l’Humanité puisse disposer de filets de sécurité solides en vue des défis à venir. Pour cause : les changements climatiques étendent les zones arides, provoquent des catastrophes naturelles et rendent plus instables les conditions météorologiques pour la culture des zones arables. Au vu de ces perspectives, de nombreuses régions risquent de ne plus pouvoir atteindre l’autosuffisance alimentaire. C’est déjà le cas pour une partie de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’Asie est de plus en plus exposée elle aussi. Pour ces régions, le commerce international est essentiel afin de subvenir aux besoins des populations locales. Au-delà de la stricte question de la mondialisation ou de la régionalisation de l’agriculture, ce sont bien les méthodes de production et les comportements de consommation qui sont à revoir pour un changement de paradigme alimentaire. Le chemin de la résilience est parsemé de nombreux défis. Un sacré casse-tête au carrefour entre l’impératif de nourrir une population mondiale en expansion, réduire l’empreinte écologique et préserver les ressources naturelles pour les générations futures. Notre société industrialisée paraît aujourd’hui particulièrement fragilisée face à l’occurrence de graves perturbations telles que les crises sanitaires, financières ou les catastrophes naturelles. Signe d’espoir, de nombreuses solutions inspirantes existent déjà dans la grande quête vers la résilience… Si ces voies sont ignorées, combien de temps avant que le jeu d’équilibrisme du système alimentaire mondial ne s’effondre ? < See translation page 157

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FOOD FOR

Quelques chiffres pour A few figures to rethink our alimentation

LA PLANÈTE À BOUT DE SOUFFLE PRÈS D’UN TIERS DES SOLS DE LA PLANÈTE SONT DÉGRADÉS PAR L’AGRICULTURE INTENSIVE (FAO, 2018) OR ILS ABRITENT UN QUART DE LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE DE LA PLANÈTE (FAO, 2015)

L’AGRICULTURE REPRÉSENTE 70 % DE TOUS LES PRÉLÈVEMENTS D’EAU DANS LE MONDE (FAO, 2018)

LA DIVERSITÉ EN DÉCLIN EN L’ESPACE D’UN SIÈCLE, LA DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE DES PLANTES A RECULÉ DE 75 % (FAO, 2008)

DES ALIMENTS GLOBE-TROTTEURS ACTUELLEMENT, 1 POMME SUR 2 QUE NOUS CROQUONS DANS LE MONDE VIENT DE CHINE (Atlas de l'alimentation, CNRS éditions, 2018)

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70 % 75 % 50 %

THE PLANET OUT OF BREATH ABOUT ONE THIRD OF THE WORLD'S SOILS ARE DEGRADED BY INTENSIVE AGRICULTURE YET THEY ARE HOME TO A QUARTER OF EARTH'S BIOLOGICAL DIVERSITY (FAO, 2015)

AGRICULTURE ACCOUNTS FOR 70% OF ALL WATER WITHDRAWALS IN THE WORLD

DIVERSITY ON THE DECLINE IN ONE CENTURY, 75% OF CROP GENETIC DIVERSITY HAS BEEN LOST

WORLDWIDE FOOD CURRENTLY, 1 OUT OF EVERY 2 APPLES WE EAT IN THE WORLD COMES FROM CHINA


THOUGHT

repenser l’alimentation DES AGRICULTEURS À LA PEINE

LE NOMBRE D'EXPLOITATIONS AGRICOLES EN EUROPE A DIMINUÉ D'ENVIRON UN QUART ENTRE 2005 ET 2016 (Eurostat, 2018)

80 % DES PERSONNES SOUS-ALIMENTÉES APPARTIENNENT À LA PETITE PAYSANNERIE DES PAYS DU SUD (Rebulard, 2018)

UNE SANTÉ MALMENÉE LA FAIM CONTINUE À ÊTRE UNE RÉALITÉ POUR 821 MILLIONS DE PERSONNES ET 1 INDIVIDU SUR 3 SOUFFRE DE MALNUTRITION (ONU, 2018)

1 DÉCÈS SUR 5 EST ATTRIBUABLE À UN MAUVAIS RÉGIME ALIMENTAIRE (Global Burden Disease, 2017)

LA CONSOMMATION MONDIALE DE VIANDE TRANSFORMÉE EST 90 % SUPÉRIEURE À LA QUANTITÉ JOURNALIÈRE RECOMMANDÉE (Global Burden Disease, 2017)

25 %

FARMERS IN PAIN THE NUMBER OF AGRICULTURAL EXPLOITATIONS IN EUROPE HAS DECREASED BY ABOUT A QUARTER BETWEEN 2005 AND 2016 80% OF UNDERNOURISHED PEOPLE IN THE WORLD BELONG TO SMALL FARMERS COMMUNITIES OF THE SOUTH

A MISHANDLED HEALTH HUNGER CONTINUES TO BE A REALITY FOR 821 MILLIONS PEOPLE, AND 1 IN 3 PEOPLE SUFFER FROM MALNUTRITION

1 IN 5 DEATHS IS ACCOUNTABLE TO A BAD DIET

90 %

WORLD’S CONSUMPTION OF PROCESSED MEAT IS 90% HIGHER THAN THE RECOMMENDED DAILY AMOUNT

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Des idées qui germent aux quatre coins du monde Allemagne

États-Unis

Différents mais délicieux Un peu bosselés, trop petits, trop grands, avec des imperfections cosmétiques, ... Chez Misfits Market peu importe, tant que le goût est au rendez-vous. A little lumpy, too small, too big, with cosmetic imperfections, ... At Misfits Market it doesn't matter, as long as the taste is there.

Récolte nature Mundraub cartographie les lieux de cueillettes sauvages à travers l’Europe. Mundraub maps wilderness harvest locations across Europe.

Luxembourg

Inventer les villes de demain Le Luxembourg est le premier pays à se doter d’une stratégie nationale concrète dédiée à l’urban farming pour apporter une alternative au système alimentaire actuel et favoriser l’économie circulaire. Luxembourg is the first country to adopt a concrete national strategy dedicated to urban farming. This is to provide an alternative to the current food system and promote the circular economy.

France

États-Unis

Sous l’océan Les fermes océaniques « 3D » de Bren Smith sont capables d’absorber jusqu'à cinq fois plus de carbone que les plantes traditionnelles. Bren Smith's "3D" ocean farms can absorb up to five times the carbon that traditional agricultural plants do.

Cuisine et swing Ambiance festive garantie ! Lors d’une Disco Soupe, on cuisine des légumes destinés à la poubelle. En prime d’un repas gratuit : éducation à une alimentation saine et au plaisir de cuisiner. Party mood guaranteed! At a Disco Soup, vegetables are saved from the bin to swing in a casserole. Bonus to a free meal: healthy food education and good cooking fun.

Nigéria

Brésil

L'agriculture pour une nouvelle vie Cidades Sem Fome apprend aux personnes défavorisées à cultiver la terre et à gérer leurs finances pour manger mieux et dégager un revenu de leurs récoltes. Cidades Sem Fome teaches vulnerable people how to cultivate the land and manage their finances to eat better and earn an income from their harvests.

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La révolution des insectes Ces invertébrés grandissent rapidement, ont besoin de peu d'espace et ne produisent presque pas de déchets. Inseckt tire parti de cette efficacité pour produire de la nourriture hautement protéinée destinée au bétail. These invertebrates grow quickly, need little space and hardly produce any waste. Inseckt take advantage of this efficiency to provide high-protein food for livestock.


Finlande

Jeunes pousses À Vihti, les enfants apprennent sur le terrain. Au programme : culture d’un potager, visites de fermes et sorties en forêt pour comprendre la sylviculture, les systèmes d'eau et les changements climatiques. In Vihti, children learn by doing. On their agenda: gardening, farms tours and trips to the woods to find out about forestry, water systems and climate change.

Russie

Circuit parallèle À Moscou et Saint-Pétersbourg, plus de 50 % de la population dispose d’un potager. Cette pratique contribue à la production agricole et à donner accès à une alimentation saine. In Moscow and St. Petersburg, more than 50% of the population has a vegetable garden. This contributes to agricultural production and access to healthy food.

Japon

Riz et canards en symbiose Superficie minuscule, rendements massifs et diversifiés, le modèle des fermes de Takao Furuno se base sur les apports naturels et interconnectés des écosystèmes. Small area, massive and diversified yields, Takao Furuno's farm model is based on ecosystems' natural and interconnected flows.

Jordanie

Fierté locale Al-Hima aide les agriculteurs à s'approvisionner en semences locales et biologiques et facilite leurs échanges avec les chefs et les consommateurs pour faire perdurer les valeurs culturelles et culinaires des aliments. Al-Hima helps farmers to source local and organic seeds and facilitates their interactions with chefs and consumers to maintain the cultural and culinary values of Jordan food.

Inde

Retour aux racines Le collectif Timbaktu, ce sont plus de 21 000 familles indiennes s'attelant à régénérer des terres grâce aux plantes indigènes, aux structures traditionnelles de collecte d’eau et à l’agriculture biologique. The Timbaktu Collective brings together more than 21,000 Indian families to restore lands using native plants, traditional water collecting structures and organic farming.

Australie

Paniers solidaires OzHarvest collecte les excédents alimentaires des commerces et les livre à plus de 1 300 œuvres caritatives chaque semaine. OzHarvest collects surplus food from stores and delivers it to more than 1,300 charities each week.

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Le grand retour du local Local is Back

Saviez-vous qu’acheminer 1 kilo de sucre de canne dans nos rayons représente une distance de 11 000 km parcourue supplémentaire par rapport à du sucre produit localement ? Ou encore que la consommation d’un ananas du Ghana en Europe représente 5 kg de CO2 rejetés dans l’atmosphère ? C’est ce que révèle l’Observatoire Bruxellois de la Consommation Durable en s’intéressant aux kilomètres dans notre assiette. Et l’organisation n’est pas la seule à se pencher sur les répercussions de la mondialisation... De plus en plus de questions émergent quant à notre consommation de denrées issues de transports longue distance. Did you know that shipping 1 kilo of cane sugar to our shelves represents an additional 11,000 km travelled compared to locally produced sugar? Or that the consumption of one pineapple from Ghana in Europe represents 5 kg of CO2 released into the atmosphere? This is what the Brussels Observatory of Sustainable Consumption reveals by focusing on the kilometers on our plates. And the organisation is not the only one to look into the repercussions of globalisation. Increasingly, questions are emerging about our consumption of food products from long-distance transport.

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Quels sont les impacts nutritionnels, sociaux et environnementaux de notre alimentation ? Sur l’économie régionale ? Pour la sécurité alimentaire en cas de crises, de pénuries, de catastrophes, de bouleversements politiques ? Le bruit court qu’un mouvement prend de l’ampleur pour un changement d’échelle du système alimentaire… C’est le retour retentissant du local ! Demain, tous locavores ? Vous êtes-vous déjà demandé à quoi bon importer des pommes de Nouvelle-Zélande, des haricots du Kenya ou des pommes de terre d’Israël, alors que nous pouvons cultiver, facilement, tous ces produits chez nous ? Si oui, cette réflexion était sûrement le fruit du locavore qui sommeille en vous. Loca quoi ? Né à San Francisco il y a 15 ans, le mouvement locavore prône la consommation de denrées alimentaires produites à l’échelle locale. Pour certains, cela signifie dans un rayon maximum de 100 kilomètres autour du domicile. D’autres élargissent le périmètre jusqu’à 250 kilomètres. Au-delà d’un rayon kilométrique précis ou des frontières, le locavorisme, c’est au départ l’idée de privilégier des aliments dont le transport, plus court, engendre moins de pollution. À cela s’ajoutent davantage de traçabilité, des marges intermédiaires réduites, un accès facilité à des produits frais, sains et de saison ou encore le soutien aux producteurs régionaux. De nombreuses raisons qui motivent ainsi les individus à adopter ce régime locavore. Le résultat : un mouvement vecteur de lien social et de dynamisation de l’économie locale, permettant d’agir concrètement pour des modes de consommation plus durables près de chez soi. Alors demain, tous locavores ?

Convaincus ou curieux de tester ? Aussi bien pour les ménages que pour les chefs, SOS Faim a réalisé une cartographie des points de vente locaux à travers tout le Luxembourg. (www.changeonsdemenu.lu)

Des marques qui misent sur la proximité Pour répondre aux prises de conscience des mouvements locavores, des entreprises ambitieuses font le choix de se réinventer. Ainsi, à travers des offres

qui se relocalisent, il semblerait bien que pour les entreprises visionnaires, la tendance soit à la proximité alimentaire. C’est dans cette optique que le patron de Danone décrète, l’année dernière, la faillite du système alimentaire standardisé. Avec cette déclaration, il dévoile la mue du géant de l’alimentation vers une multiplication des marques locales. Une nouvelle stratégie pour le groupe, désireux de devenir « l’entreprise globale la plus locale », garante d’une agriculture durable. Le dirigeant parle d’une « révolution de l’alimentation » pour un modèle réconciliant la sécurité alimentaire et la planète. Dans son élan, en juin dernier, Emmanuel Faber convainc 99,4 % des actionnaires de transformer le statut du groupe en entreprise à mission. Selon lui, « les marques doivent devenir une bannière de ralliement d'une vision du monde et d'une posture, mais pour cela, il faut qu'elles en apportent les preuves. Les gens ne se satisfont plus de ce qui est sur l'étagère, ils regardent le produit pour savoir d'où il vient, comment il est fabriqué et qui est derrière ». La souveraineté alimentaire Depuis quelque temps, le concept de souveraineté alimentaire fait également beaucoup parler de lui. Pour 2020, cette montée en puissance peut notamment s’expliquer par une prise de conscience renforcée par la crise sanitaire et le confinement. Au cours de ces temps particuliers, les questions liées à la dépendance alimentaire se sont accentuées... Ce, tout particulièrement au Luxembourg. Et pour cause, le Grand-Duché est actuellement très subordonné aux importations pour nourrir sa population. C’est le cas notamment des légumesfeuilles et des légumes-fruits, essentiels pour un régime sain, dont les importations actuelles avoisinent, selon Trademap, les 97 %. Avec de tels chiffres, bien que les frontières ne représentent pas forcément un aspect discriminant pour consommer local, le pays dispose d’une marge d’amélioration considérable pour apporter sa pierre à l’édifice de l’alimentation durable. D’autant plus qu’en 2018, le Ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable estimait à environ 925 tonnes les émissions de CO2 liées aux importations de nourriture au Grand-Duché. Un chiffre énorme pour la taille du territoire puisqu'une tonne de CO2 à elle seule représente l’équivalent d’un road trip aller-retour de Luxembourg à Moscou !

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Quand local rime avec Grand-ducal Vous l’aurez compris : c’est l’heure de réinventer la recette. Pour les consommateurs, on parle de favoriser l’achat de produits locaux. Quant aux entreprises, il s’agit d’envisager un décloisonnement et un développement collaboratif des secteurs économiques jusqu’alors organisés suivant une logique de silos verticaux. À l’échelle nationale et transrégionale, c'est l'idée de mettre en place une stratégie holistique, fédératrice et solidaire, pour atteindre la souveraineté alimentaire et promouvoir une consommation contiguë. On parle ici de produire, transformer, distribuer, consommer et recycler la nourriture, sur base d'une interdépendance salvatrice pour l’Homme et pour la planète. Bref, d’un système alimentaire résilient pour demain. Les connaisseurs nous voient venir : c’est le concept de circuits courts. Et pour promouvoir ce mode de consommation, de nombreuses initiatives germent et grandissent au Luxembourg. Petits et grands peuvent, par exemple, devenir des producteurs-consommateurs. C’est-à-dire, s’investir au sein d’un jardin communautaire qu’ils trouveront près de chez eux grâce au portail des jardins potagers au Luxembourg Eise Gaart ou créer leur propre plantation à la maison. Et puis, pourquoi ne pas également approfondir ses connaissances sur la permaculture à l’école ou en formation ? Pour ceux qui n’ont pas la main verte, pas d’inquiétude. Il est possible de devenir membre d’une coopérative comme AlterCoop ou de favoriser l’achat de produits locaux grâce au réseau d’agriculture solidaire Solawi, ou encore la plateforme Supermiro. Toutes ces initiatives font baisser le kilométrage alimentaire

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le s av

Seulement voilà… Le Ministère de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural nous apprend qu’entre 1990 et 2015, le nombre total d’exploitations familiales au Luxembourg est passé de 3 768 à 1 880. Comme partout ailleurs en Europe, le nombre de surfaces agricoles et la part de la population paysanne sont en chute libre. Ainsi, dans le contexte actuel, la souveraineté alimentaire a encore l’allure d’une douce utopie. Et pourtant, elle est essentielle. Car en plus de représenter des risques considérables pour l’avenir du secteur, ce recul généralisé du monde paysan, vécu en l’espace d’une seule génération marque aussi une distanciation de plus en plus entre le consommateur et son alimentation.

des produits : elles créent du lien social et diversifient les sources de production et les échanges.

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Selon des estimations, 15 à 20 % de la production alimentaire mondiale z-v o u est actuellement cultivée dans les villes et les communautés. (Étude stratégique « Troisième Révolution Industrielle Lëtzebuerg », 2016)

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La réduction des intermédiaires et des distances parcourues pour l’acheminement des aliments de nos assiettes permettrait de faire chuter considérablement ces émissions et semble nécessaire pour un avenir plus sobre en carbone.

Moins d’emballages, moins d’émissions, moins de pertes alimentaires, plus de transparence, plus de confiance… Les acteurs économiques se mobilisent de plus en plus autour de ces questions. Et le paysage luxembourgeois commence à dessiner de nouvelles synergies pour des modèles alliant impacts socio-écologiques positifs et dynamisation économique. C’est le cas par exemple du Pall Center et de LuxAir qui favorisent les partenariats avec les fournisseurs locaux, ou encore de Sources Rosport qui choisit de ne pas exporter ses produits et sélectionne ses fournisseurs de matières premières sur base de leur proximité avec le site de production. Côté politique, le Gouvernement luxembourgeois se veut, lui aussi, le promoteur d’une alimentation plus locavore. Il multiplie donc les démarches pour avancer dans ce sens. Pour en citer quelques-unes de manière rétrospective, il y a d’abord l’étude stratégique de la troisième révolution industrielle (TIR) menée en 2016 et comprenant un volet dédié au futur de l’alimentation pour le Grand-Duché, avec différentes mesures stratégiques ambitieuses sur le plan local. Deux ans plus tard, en janvier 2018, le pays a procédé à la refonte du programme d’aménagement du territoire (PDAT). Lorsque les citoyens ont été invités à participer au processus, leurs revendications étaient claires : alimentation de qualité, utilisation optimale des ressources et agriculture raisonnée. Plus récemment, en juin 2020, le ministre de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, Romain Schneider, a présenté un plan de relance pour l'agriculture doté d'une enveloppe globale de 5 millions d'euros. Lors de son annonce, le ministre a alors rappelé que « la pandémie aura eu un effet positif : celui de faire prendre conscience du travail des agriculteurs dans la chaîne d'alimentation, de la vraie valeur qualitative de leurs produits, et des dangers d'une trop grande dépendance alimentaire vis-à-vis de l'étranger ». C’est avec cette prise de conscience que le plan de relance s’engage tout particulièrement à la diversification de produits agricoles locaux de qualité et distribués au sein de circuits courts.


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z-v o u

Le Luxembourg se fixe un objectif de production de 20 % de ses besoins alimentaires à l’horizon 2030. (Stratégie Nationale Urban Farming Luxembourg, 2019)

Pour ce qui est des perspectives d’avenir sur le territoire, le Luxembourg semble aussi miser sur l’innovation puisqu'il est le premier à se doter d’un Food Council à l’échelle nationale (lire à ce propos la tribune de Rachel Reckinger page suivante) et d’une stratégie d’Urban Farming visant à faire des villes luxembourgeoises de vraies contributrices alimentaires. Autant d’initiatives prometteuses pour répondre à un besoin accru de reconnexion à la terre nourricière et raccourcir les liens et les kilomètres - qui existent de l’étable à la table. < What are the impacts on the nutritional, social and environmental aspects of the way we feed ourselves? For the regional economy? For food security in the event of crises, shortages, disasters, political upheavals? Word gets around that a movement is gaining momentum for change of scale of the food system... It's the local rushing back! Tomorrow, all Locavores? Have you ever wondered why we import apples from New Zealand, beans from Kenya or potatoes from Israel when we can easily grow all these things locally? If so, this reflexion was perhaps because of the locavore inside you. Loca what? Born in San Francisco 15 years ago, the locavore movement advocates the consumption of locally produced food. For some, this means within a maximum radius of 100 kilometers from home. Others extend the perimeter up to 250 kilometers. Beyond a specific kilometer radius or borders, being locavore is initially the idea of opting for food whose shorter transport generate less pollution. In addition, there is more traceability, reduced intermediate margins, easier access to fresh, healthy and seasonal products, or support for regional producers. The result: a movement that promotes social ties and boosts the local economy, making it possible to take concrete actions for more sustainable consumption patterns. So tomorrow, all locavores?

Convinced or curious to try out? For households as well as for chefs, SOS Faim has carried out a mapping of local points of sale throughout Luxembourg. (www.changeonsdemenu.lu)

Brands That Rely on Proximity To respond to the awareness of the locavorous movements, ambitious companies are choosing to reinvent themselves. Thus, through offers that relocate, it seems that for visionary companies, the trend is towards food proximity. With this in mind , last year, Danone's CEO decrees the bankruptcy of the standardised food system. With this declaration, he reveals the food giant's transformation towards a multiplication of small local brands. The new strategy for the group is to become "the most local global company" that guarantees sustainable agriculture. The leader speaks of a "food revolution" for a model reconciling food security and the planet. Last June, Emmanuel Faber convinced 99.4% of the shareholders to transform the group's status into a "entreprise à mission". Translation continues page 160

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photo : Sophie Margue

TRIBUNE

Rachel Reckinger Some Reflections on the Resilience of Luxembourg's Food System Réflexions sur la résilience du système alimentaire luxembourgeois

By Dr. Rachel Reckinger, Anthropologist and Food Sociologist at the University of Luxembourg, PI of the research project Sustainable Food Practices Par Dr Rachel Reckinger, anthropologue et sociologue de l'alimentation à l'Université du Luxembourg, responsable du projet de recherche Sustainable Food Practices

Moments of crisis like the current one sparked by Covid-19 engage social, economic, cultural and political institutions of a society, and stress-test their resilience. In such times of upheaval, individual and collective food supplies become primary concerns. How resilient is Luxembourg’s food system when international supply chains are disrupted? Which vulnerabilities transpire, even in the wealthiest of Western European food-secure countries? The rapidity with which borders closed, even inside the Schengen space, draws focus to national performances and the question of food sovereignty. Food sovereignty is characterised by the largest possible diversity of locally produced food, and by the highest degree of autonomy possible from international imports and transportation through local options, in a context of food democracy ensuring equity and participation. Luxembourg is predominantly a grassland region, lending itself to cattle grazing – only ruminants can make grass ‘edible’ to humans – even though a remarkable diversity and density of vegetable production is possible on comparably small surfaces, but requires higher workforce

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and watering infrastructure. Agroforestry (combined crops between trees, pasture and domesticated animals) is still rare in the territory. In terms of food selfsupply ratio, Luxembourg produces 114% of its beef needs, 99% of milk, 67% of pork, but only 35% of eggs, 3-5% of vegetables, 1,4% of chicken and less than 1% of fruits. As for processed foods, the vast majority of goods are imported. Though this is changing, the processing system today falls short of national demand. As a small country, Luxembourg would be suitable for shorter supply chains and could adapt to changing circumstances, but only if the food supply is steady and diverse. On the one hand, small producers experience fluctuation and cannot consistently guarantee supply to corporate clients. But cooperative-run platforms or food hubs grouping a number of small producers could function as a one-stop-shop for wholesalers. On the other hand, larger companies in Luxembourg already offer commercial partnerships to national producers who agree to invest in missing products or production lines, but these initiatives would benefit from a market stretching across the Greater Region and beyond – going beyond nationalistic


CC BY-ND Caroline Schuler, 04.2020

and protectionist understandings of regionality. Current research shows that apart from fish, chicken and tomatoes, all product categories are already being produced in sufficient quantity in the Greater Region to surpass the Greater Region’s out-of-home-catering sector’s needs. Yet, only a minority of these products are currently served locally – indicating that food sovereignty is mostly a logistic and political issue of supply chain management, market orientation, price policies and national legislative regulations. Experts also point to the need for an agricultural model based on diversified agroecological systems, reducing external input, optimising biodiversity and stimulating interactions between different species as part of holistic strategies to build long-term fertility and secure livelihoods. Yet, Luxembourg lacks the labour capacity for such a transition to more resilient systems, where knowledge-pooling is key. If there were more market incentives and political warranties for farmers, such undertakings would be less risky.

"Food sovereignty is mostly a logistic and political issue of supply chain management, market orientation, price policies and national legislative regulations"

As high-quality, ethical and sustainable local food is made available and becomes the norm, consumers will develop more sensitivity for local contingencies, ethical and high-quality, organic food,

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seasonality, etc. State-run labels that certify various types of quality enhance food literacy and more sustainable purchases within private households or procurement behaviour among public buyers, only if they are transparent about added value and backed by laws that make such criteria mandatory. Thus, stringent and encompassing governmental action of democratic and accountable governments could act as a lever in transitions to more resilient and sustainable food systems. Such conditions are then ideal for a deliberate shift towards effective multilevel governance of food systems. Social movements, entrepreneurs and civil society can innovate and bloom. As success grows, emerging local food initiatives can move in from the margins and engage with formal legislative processes at national and EU level. A Common Food Policy could prioritise ethical and sustainable experimentation through complementary actions and coherent food policies at EU, national, and local levels. Food Policy Councils are recognised innovative and efficient tools for multi-scale food policy and governance. To meet these challenges, Luxembourg is currently founding the first Food Policy Council on a national level, as a multi-stakeholder platform for independent cooperation among equal partners from the three sectors of Luxembourg’s food system: policy and administration; research and civil society; production, transformation, gastronomy and trade. This initiative aims to serve a system that is socially just, ecologically regenerative, economically localised and engaging a wide range of actors. It seeks to ensure high-quality, ethical and sustainable food security for its entire population by shortening supply chains in a (trans)regionalised and cooperative way. Food sovereignty is thus increasingly based on local diversification, innovation, and collective learning processes. Because of its small size and its unique multi-cultural population, Luxembourg can provide a favourable site for experimentation with sustainable innovations at local or transregional levels and build a multi-stakeholder-lead effective food policy. It then can use its political and economic international weight to push best practices forward. < For more details, check out https://food.uni.lu Les moments de crise, comme celui déclenché par la pandémie de la Covid-19, engagent les institutions sociales, économiques, culturelles et politiques d'une société, et mettent à l'épreuve leur résilience. En ces temps de turbulences, l'approvisionnement alimentaire individuel et collectif devient une préoccupation majeure. Quelle est la résilience du système alimentaire luxembourgeois lorsque les chaînes d'approvisionnement internationales sont perturbées ? Quelles sont les

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"Luxembourg can provide a favourable site for experimentation with sustainable innovations at local or transregional levels and build a multi-stakeholder-lead effective food policy"

vulnérabilités qui se manifestent, même dans les pays les plus riches d'Europe de l'Ouest, dont la sécurité alimentaire est assurée ? La rapidité avec laquelle les frontières ont été fermées, même à l'intérieur de l'espace Schengen, attire l'attention sur les performances nationales et la question de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire se caractérise par la plus grande diversité possible d'aliments produits localement, et par le plus haut degré d'autonomie vis-à-vis des importations et du transport en provenance de l'étranger, dans un contexte de démocratie alimentaire assurant équité et participation. Le Luxembourg est essentiellement une région de prés qui se prête au pâturage du bétail – seuls les ruminants peuvent rendre l'herbe "comestible" pour l'homme –, même si une diversité et une densité remarquables de productions végétales sont aussi possibles sur des surfaces comparativement limitées, nécessitant cependant une main-d'œuvre plus importante et des infrastructures d’arrosage. L'agroforesterie (cultures combinées entre arbres, pâturages et animaux domestiqués) est encore rare sur le territoire. En termes de ratio d'auto-suffisance alimentaire, le Luxembourg produit 114 % de ses besoins en viande bovine, 99 % des besoins en lait, 67 % des besoins en viande porcine, mais seulement 35 % des besoins en œufs, 3-5 % pour les légumes, 1,4 % pour les poulets et moins de 1 % pour les fruits. Concernant les aliments transformés, la grande majorité des marchandises est importée. Bien que la situation évolue, le système de la transformation ne couvre aujourd’hui pas la demande nationale. En tant que petit pays, le Luxembourg serait en mesure de mettre en place des chaînes d'approvisionnement plus courtes et pourrait s'adapter à des circonstances changeantes, mais uniquement à condition que l'approvisionnement alimentaire soit stable et diversifié.

Suite de la traduction page 161


Grand sol malade L’AGRICULTURE RÉGÉNÉRATIVE À SON CHEVET

Depleted Soil REGENERATIVE AGRICULTURE TO THE RESCUE

« Quand on tire sur une seule chose dans la nature, on la trouve attachée au reste du monde », disait John Muir, l’un des premiers naturalistes modernes. La vie sur la planète est le fruit d’une harmonie entre d’innombrables procédés naturels plus fascinants les uns que les autres, fonctionnant en écosystèmes. Ces dernières décennies, le monde a cru, dans une illusion de toute puissance de l’Homme, pouvoir faire fi de sa dépendance étroite et consubstantielle aux exigences de la nature. Au fil du temps, la révolution verte a montré ses failles et son manque de durabilité. Aujourd’hui, le système alimentaire est à redessiner pour répondre à la crise environnementale. Comment ? Grâce à des méthodes régénératives, veillant aux sols, réconciliant la nature et la production alimentaire. "When we try to pick out anything by itself, we find it hitched to everything else in the Universe", said John Muir, one of the first modern naturalists. Life on Earth is the result of a harmony between countless fascinating natural processes operating as ecosystems. In recent decades, the world has believed, in an illusion of man's omnipotence, that it could exonerate itself from its close and consubstantial relationship with nature. Over time, the green revolution has shown its flaws and lack of sustainability. Today, the food system needs to be redesigned to respond to the environmental crisis. How? Through regenerative methods, take care of soils, and reconcile nature and food production.

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Stress hydrique L’agriculture représente 70 % de tous les prélèvements d’eau dans le monde. Water stress Agriculture accounts for 70% of water withdrawals in the world.

L’agriculture régénérative, de quoi s’agit-il exactement ? Avant toute chose, l’agriculture régénérative - aussi appelée régénératrice - est la préservation ou la revitalisation de la fertilité des sols. Et cela est bien nécessaire, car des terres riches sont primordiales pour cultiver des aliments sains, prévenir les sécheresses ou les inondations. Et surtout, les sols représentent un allié de taille en termes d’atténuation et d'adaptation au changement climatique. Discrètement, ils séquestrent une quantité astronomique de CO2, l'empêchant ainsi de s'échapper dans notre atmosphère. Il s’agit de faits peu connus, mais ils abritent un quart de la diversité biologique de la planète et retiennent plus de CO2 que la végétation sur terre et l’atmosphère combinés. 1 417 pétatonnes, soit 1 417.1015 tonnes, selon la FAO. Et ce, uniquement dans le premier mètre de profondeur sous terre ! Hélas, les pratiques actuelles basées sur une gestion linéaire de l’utilisation des sols, la déforestation, le compactage et les pressions sur les ressources, entraînent l’érosion et l’épuisement critique des nutriments présents dans les terres. Il en va de même pour les monocultures, l’éradication des matières organiques, l’irrigation intensive effectuée avec de l’eau de qualité médiocre et le recours excessif aux intrants qui conduisent eux aussi à une perte drastique de la fertilité des sols, à leur pollution et leur détérioration. En 2018, la FAO annonce que près d’un tiers des sols de la planète sont dégradés par l’agriculture intensive. Et une fois un seuil critique atteint, ceux-ci ne sont plus en mesure de fournir quoi que ce soit : ni nourriture, ni captation du carbone, ni revenus aux agriculteurs, ni services aux écosystèmes. Pour l’agriculture régénérative, qui met la santé des sols au premier plan, hors de question !

de consommation actuels persistent, les deux tiers de la population mondiale pourraient vivre dans des pays en situation de stress hydrique d’ici 2025 ». Et bien qu’elle pâtisse de la situation, l’agriculture y contribue elle-même puisqu’elle représente 70 % de tous les prélèvements d’eau dans le monde et compte comme l’une de ses principales sources de pollution. Le secteur a donc un rôle central à jouer pour optimiser l'utilisation de cette ressource essentielle. Ce qu’entendent bien faire les méthodes régénératives. Association de cultures maraîchères ou arboricoles à l’élevage, agriculture biologique ou raisonnée, permaculture, agroforesterie, aquaculture… Une panoplie de méthodes issues de différents concepts se rassemble sous le nom d’agriculture régénérative. Mais aussi diversifiées soient les approches, ce qui compte c’est la production d’aliments sains pour l’Homme, comme pour la planète, grâce à l’adaptation des pratiques au climat, aux individus et aux ressources disponibles, sans oublier la valorisation des écosystèmes et des cycles de renouvellement. Bien que certains la qualifient de forme d’exploitation radicalement différente, l’agriculture régénérative est en fait le résultat de méthodes préindustrielles actualisées et améliorées, grâce à de nombreuses expérimentations et à un partage des pratiques ainsi que des savoirs au sujet des sols, de l’eau, de la biodiversité et des nombreuses interactions, souvent ignorées, qui existent dans la nature.

Cette approche alternative s’attache aussi à préserver les ressources en eau. Car disposer d’eau douce et salubre est un prérequis pour assurer une production agricole saine et nutritive. Malgré tout, cette ressource est actuellement trop souvent mal gérée. Résultat : l’or bleu se raréfie. Ces dernières années, partout dans le monde, des régions agricoles ont été soumises à des contraintes hydriques de plus en plus importantes. Déjà en 2007, la FAO alertait : « si les modes credit : General Mills

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Zero budget natural farming D’ici 2024, le gouvernement indien prévoit la conversion de plus de 6 millions de producteurs aux pratiques de l’agriculture regénérative. Zero budget natural farming By 2024, the Indian government plans to convert more than 6 million producers to regenerative farming practices.

Petits exploitants comme producteurs à grande échelle peuvent s’inscrire au sein de cette dynamique. Car l’agriculture régénérative est un concept qui se décline sous différentes pratiques, ce qui permet de s’adapter à l’envergure, ainsi qu’aux contextes géographique et social des terres cultivées. Et, puisque la créativité est la limite… des précurseurs du mouvement sont présents aux quatre coins du globe proposant des approches plus passionnantes les unes que les autres. En Inde, par exemple, Satya, un agriculteur du district indien de West Godavari, a vu de nombreuses fermes voisines détruites par une puissante tempête en 2017, tandis que sa plantation de 2,4 hectares s'en est sortie pratiquement indemne. Son secret ? Une approche issue de l’agriculture régénérative et dépourvue de produits chimiques : le « zero budget natural farming » (ZBNF). En 2018, il y avait environ 160 000 agriculteurs comme Satya dans le district. D'ici 2024, le gouvernement de l'Andhra Pradesh prévoit que 6 millions de producteurs s’engagent dans cette transition. À l’autre bout du monde, en Argentine, Doug Tompkins a développé la Laguna Blanca, une exploitation de 2 833 hectares, qui a la particularité de conserver de grands blocs de zones sauvages entre ses champs pour profiter des services écosystémiques de la savane et des marais. Aussi, la ferme se caractérise par des cultures diversifiées, allant des grains aux pois, en passant par de nombreuses noix et des fruits.

La Laguna Blanca, où cultures diversifiées se mêlent (Argentine). The Laguna Blanca, where diverse cultures coexist (Argentina). source : Tompkins Conservation

La base du futur système alimentaire ? Les exploitations qui misent sur la santé des écosystèmes ont vu leur rendement augmenter de manière consécutive au fil des ans. La ferme de Leontino Balbo au Brésil, par exemple, a bénéficié d’une augmentation de 20 % du rendement de la canne à sucre. En Inde, des milliers d’exploitations, comme celle de Satya, basées sur le « zero budget natural farming », ont enregistré une augmentation moyenne de 36 % dans la production des arachides. Le modèle intégré de Takao Furuno, consistant à développer l’élevage de canards en pleines rizières, a permis une augmentation de 20 % du rendement du riz et un triplement des revenus. Ces quelques exemples font partie d’un ensemble de données qui s’accroissent rapidement et prouvent que les approches régénératives peuvent tout à fait produire suffisamment de nourriture, tout en assurant des marges bénéficiaires conséquentes et des pratiques en harmonie avec la nature. Adopter une vision systémique conduit à des atouts pluriels pour avancer vers plus de résilience. Des voies d’espoir se dessinent ainsi pour une transition du système alimentaire à l’échelle mondiale. Pour y arriver, il est nécessaire d'amorcer la transition dès aujourd’hui, car la mise en œuvre de pratiques agricoles régénératives ne se fait pas du jour au lendemain : la nature avance à son propre rythme et on ne peut la presser. À petite échelle, le passage d'un système conventionnel à un système régénératif peut se faire rapidement et sans investissements trop conséquents. En revanche, à grande échelle, le changement peut nécessiter beaucoup plus de temps et créer des périodes d'incertitude économique dans un secteur générant déjà de faibles marges. L'atténuation des risques financiers liés aux périodes de transition du secteur agricole est un aspect sur lequel les pouvoirs publics ont un rôle à jouer grâce à des subventions, des investissements ou encore des assurances aux agriculteurs. Pour que ces interventions soient durables, des méthodes de suivi efficaces restent à mettre en place.

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Pour le secteur privé, cette transition représente un réel potentiel inexploité. De nouvelles opportunités existent dans des investissements à moyen et long terme, via le développement de nouvelles technologies et de nouveaux produits, permettant aux exploitants de pratiquer plus facilement l’agriculture régénérative. Et l’engagement des entreprises ne s’arrête pas au secteur de l’alimentation. De plus en plus, les marques attentives et inventives trouvent des moyens d’apporter leur pierre à l’édifice. C’est le cas, par exemple, de Timberland, qui a choisi de s’engager en s’approvisionnant en cuirs issus de méthodes régénératives. Cette annonce s’inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie de la marque basée sur trois axes : de meilleurs produits, une communauté plus forte et un monde plus vert. Le point fort de l’agriculture régénérative est précisement qu’elle s’imbrique à merveille au sein des trois piliers du dévelopopement durable. D'ailleurs, l’entreprise américaine a décidé d’investir dans un fond dédié afin d’essaimer les bonnes pratiques et les nombreux avantages liés à l’agriculture régénérative, notamment dans le milieu de la mode, de plus en plus exposé aux critiques. D’autres marques avancent avec la même vision, c’est notamment le cas de Patagonia. L'entreprise de vêtements et d’équipements outdoor continue à surprendre et à sortir des sentiers battus en s’engageant pour l’alimentation durable à travers Patagonia Provisions et diverses initiatives de soutien à l’agriculture régénérative (voir notre interview page suivante). Le fondateur de la marque activiste parle de ce nouveau tournant en des termes très ambitieux : « J'ai toujours considéré ma société comme une expérience : prendre des décisions basées sur la qualité et la responsabilité. Or je peux vous dire que ce n’est plus une expérience (pour les vêtements), je me suis prouvé que ça marchait. Maintenant, appliquer cela à l'alimentation, c'est une toute autre histoire. Et je pense que c'est sûrement l'expérience la plus importante que nous n'ayons jamais tentée ». Chez nous aussi ? Associé à l’économie circulaire, véritable levier de diversification économique et de transition, un projet national de développement de l’agriculture régénérative s’aligne parfaitement à la volonté du Luxembourg d’avancer dans sa stratégie de Troisième Révolution Industrielle (TIR). Pour ce faire, le pays devra notamment saisir les enjeux et, surtout, le potentiel énorme de ce concept, aux aspects multiples mais cruciaux pour la résilience alimentaire et le développement durable. Sur le plan social et sociétal également, le soutien à l’agriculture régénérative représente un levier multidimensionnel pour créer

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des opportunités d’amélioration du bien-être et de développement professionnel au sein du secteur agricole. Signe encourageant à l’échelle européenne, le 20 mai, la Commission dévoilait de nouvelles stratégies ambitieuses pour investir dans la biodiversité et l’alimentation dans le cadre de son « pacte vert », avec la volonté de protéger 30 % des terres et des mers au sein de l’UE et de réduire de 50 % l’usage des pesticides (the European Green Deal - COM/2019/640 final). Selon le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, « la crise du coronavirus a montré à quel point nous sommes tous vulnérables, et combien il est important de restaurer un équilibre entre l’activité humaine et la nature ». L’Europe parle ainsi de placer la biodiversité sur la voie de la « guérison ». C’est certain, l’agriculture régénérative a de beaux jours devant elle et elle amène des perspectives encourageantes pour imaginer une transition agricole. Mais le chemin à parcourir est encore long, tandis que le temps et les ressources disponibles, quant à eux, s’amenuisent. Afin d’accélérer le pas, les choix des consommateurs sont déterminants. Car finalement, l’alimentation est bel et bien l’affaire de tous. Alors bientôt, il en adviendra à chacun de prendre ses responsabilités et de choisir… l’alimentation d'après. <

See translation page 162


INTERVIEW

Meet...

Birgit Cameron Managing director at Patagonia Provisions

"There is a

Revolution Brewing"

You are at the head of Patagonia Provisions, the brand that has been making a name for itself in the food industry for several years. The founder of Patagonia, Yvon Chouinard, said of this business line: "To me, Provisions is more than just another business venture. It's a matter of human survival." What do you feel about this statement? That is an important quote because, ultimately, food and agriculture are two of the most significant contributors to the climate crisis we now face. Growing food and fiber with industrial techniques and harmful chemicals represent up to one-quarter of annual greenhouse gas emissions worldwide. My task from Yvon was: What would a food company look like for Patagonia? How can we build this out? We are building a food business to change the way people think about how we grow and make our food. Patagonia’s mission statement is “we are in business to save our home planet”. It vastly differs from the norm of "we are in business for profit,” and impacts every decision we make. Our goal is to show that you can be profitable by putting climate first. Ultimately, we need to approach the food business differently.

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Your credo is regenerative agriculture. What do we know about the key role of soils? Why is it so important to preserve the soil today? There is a wonderful book called The Soil Will Save Us by Kristin Ohlson, which helped me understand the undeniable value of healthy soil. Her book describes soil as an organism that is teaming with life and explains we are the only species destroying the very ecosystems we need for our survival. It is crucial to think of soil not as dirt you can put chemical input into, but rather as a living and breathing ecosystem. The science tells us this is an ecosystem full of life. Did you know there are more microbes in a teaspoon of soil than people on the planet? When you respect soil as an ecosystem, you realise it can contribute so much to our health and the health of our planet. When soil is functioning at its highest bar, you have better water infiltration, higher crop nutritional value, and higher yields than chemical agriculture over time. The farmers working their fields don’t get sick, and the pollinators responsible for one third of our food supply are not destroyed. What you discover is all roads lead to the soil. If we can respect it as a living ecosystem and understand what it can provide while not trying to re-engineer, we will be so much further ahead in healing the planet. We need to recreate regenerative practices that allow us to be sustainable in the future. If we switch from industrial agriculture to regenerative organic farming practices, which build healthy soil, we could turn agriculture from a problem into a solution. That is the paradigm shift that has to happen. Sometimes it means going back to the practices in place before the chemical agriculture came into play, including covering the ground, diversifying plants and fields, and rotating crops. Well, regenerative agriculture is often seen as a simple return to old practices. But there is a lot of research and experimentation going on. How do you use scientific resources to advance regenerative farming practices? We use science in many ways. Whatever we do, we look for substantiation of the scientific facts that are fully validated. We work with the Rodale Institute, who just released a white paper on healthy soils providing higher

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photo : Charles Post

That's an activist's statement… Yes! (laughs) The reality is science is pointing in this direction. Science is the compass informing business on how we need to move forward. Especially with the pandemic, this is the moment in time when we need to make a change. When we operate differently - with people working from home and traveling less the planet starts to recover. The science now is not just a piece of paper; it is visually tangible for people. We know if we do things differently, the planet can recover.

nutrition. This research is guiding us and lets us know we are on the right path. Collecting data and building criteria around these practices is critical. We then work with farmers who are implementing these practices. Some farmers are already there, and some of them are transitioning. We have also helped bring a new crop to market. We worked with The Land Institute and Wes Jackson to bring a whole new crop - Kernza - into the marketplace. Science tells us that Kernza’s long roots draw down more carbon than conventional wheat. Its nutty grains also make a delicious beer, so we created products around Kernza.

"If we switch from industrial agriculture to regenerative organic farming practices, which build healthy soil, we could turn agriculture from a problem into a solution. That is the paradigm shift that has to happen"


Do you always invent products to address specific problems you have identified? We never build a product on trend; we create it because it is solving a problem. We developed our Savory Seeds line to bring attention to the importance of legumes as nitrogen fixers that keep soil healthy. In these products, we used lentils and buckwheat, which are vital to a healthy regenerative system. Our objective is to build the supply chains around these crops because science tells us they are essential to creating healthy soil. We work with farmers to implement regenerative practices, so their soil is at its highest functioning bar, while also creating a market for their harvests. We have taken the same approach in creating our bean soups and other Patagonia Provisions’ products. With our bison products, it's about making sure we save our Great Plains and prairies. Bison is a critical keystone species that make this ecosystem function. Therefore, buffalo is the byproduct of the conservation effort. Wild Idea Buffalo is our partner, and their meat company grew out of its conservation efforts. There are many more examples. Breadfruit comes to mind. This effort is about creating food security, which includes making sure multi-cropping practices are in place. Breadfruit grows very well in contact with

mangoes, bananas, and coconuts. If you can develop a diverse system grown within a regenerative agroforest situation, the farmers have more to sell at market, creating better economic stability. If there is a climate event, they will be more resilient. It is just about thinking differently, more realistically, and more in contact with nature, and then, we will have an abundance. What is the latest product you launched? What specific problem does it address? Our most recent product launch is mackerel, and this is a wonderful ocean story. Our mackerel is caught in the Bay of Biscay, off the northern coast of Spain. We work with the Good Fish Foundation to determine where there is an abundance of this species available.

"We never build a product on trend ; we create it because it is actually solving a problem"

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photo : Amy Kumler

"Bringing back mackerel and smaller fish, while using practices that help eliminate bycatch and other detrimental fishing methods, is about creating products that help regenerate the oceans"

Mackerel is a perfect example of a delicious food that is lower in the food chain. By eating mackerel, we take the pressure off tuna or bigger fish species. Baitfish, like mackerel, are nutritionally dense, inexpensive, and have less bioaccumulation of heavy metals and other toxins. If properly managed, they could be a key component in providing us with a clean and economical protein source in our future. Bringing back mackerel and smaller fish, while using practices that help eliminate bycatch and other detrimental fishing methods, is about creating products that help regenerate the oceans. Talking about Europe, what are your targets there? The plan is to launch more Patagonia Provisions products in Europe soon. Working with various companies and farmers, we are assessing who are the best regenerative partners. We are looking at everything from wine to beer, baked goods, and fish. Like in the US and other locations, we will develop suitable products for specific supply chains while considering local farming and fishing methods. It’s a global approach, which is why we are in Japan as well. Our focus is on highlighting regenerative organic practices and how they are better for people and the planet. What better way than to showcase these methods through delicious food? It is exciting! Let's use food as a way of developing communities around these changes. That's a delicious revolution! How do you measure the benefits of a regenerative agriculture approach? We are actually under assessment right now with the

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Rodale Institute in testing for a variety of situations. Also, we conduct measurement projects ourselves. For instance, five years ago, we did a baseline test and took soil samples from the prairies where our bisons roam to test the carbon levels. Now we are doing a second test to show the progression over this period with the new regenerative methods included. You recently co-founded the Regenerative Organic Alliance (ROC), a coalition whose ambition is to issue the most demanding certification in agriculture. Is there a real movement starting up? Do you feel there is a momentum for a change in scale? I do. It is exciting that Patagonia Provisions practices in product development were instrumental in influencing the Regenerative Organic Alliance and certification. ROA has been able to pull together many companies,


photo : Jon Levitt

"With our bison products, it's about making sure we save our Great Plains and prairies. Bison is a critical keystone species that make this ecosystem function"

farmers, and ranchers from all over the world to be part of the pilot program. With the certification process recently opening to the public, more and more people are getting involved. Many large companies are looking at these practices, like Danone, and moving down this road to certification. It is incredible to see the tremendous momentum around ROA. Because of this, we expanded our website to highlight the important efforts and products of others. The goal at Patagonia Provisions is to bring in a variety of brands together that are all moving in the same direction, and showcase them on our marketplace: patagoniaprovisions.com. It is collective. This way, consumers can easily find these amazing products. While we are just getting started, there is already tremendous traction. In truth, Europe is much further ahead than US companies, and I am very excited that this is a global movement.

human and planetary health. And I think people will be shopping with their values much more. Many individuals, companies, and farmers are moving in this direction. There is absolutely a revolution brewing. It is urgent because we are running out of time. If we hope to get the planet back on track for the next generation to have a healthy future, this has to happen now. I have personally heard from many people that because of this movement, they are hopeful. ROC’s goal is to find solutions and help companies build products around the solutions. It is why our mission as a business is to save our home planet. With all these people moving in the same direction, you cannot believe what we can accomplish! < Traduction page 164

You are co-producer of the award-winning film "Unbroken Ground", released in 2016, which shows promising practices and experiments and whose slogan is "The revolution starts at the bottom". Do you think the agricultural revolution is well underway? Yes, I believe it. Especially now, with this pandemic, there is a silver lining that there is a heightened awareness about

"I think people will be shopping with their values much more"

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Pour aller plus loin... D e l 'appétit pour e n savoir davantage ? H ungr y for more?

À lire / Must read

Géopolitique de l’alimentation de Gilles Fumey (Sciences Humaines Éditions) Gilles Fumey décrypte l’alimentation mondiale mettant en lumière ses enjeux, défaillances et dysfonctionnements. L’auteur pose la question de l’avenir et du droit de l’alimentation. Sa réflexion se poursuit avec un focus sur le rôle des villes dans l’alimentation de demain avec son ouvrage « Villes voraces : autonomie, alimentation et agriculture urbaine », à paraître prochainement aux éditions CNRS.

Food geopolitics by Gilles Fumey (Sciences Humaines Éditions) Gilles Fumey makes an overview of the world's food situation to shed light on its stakes, deficiencies and dysfunctions. The author raises the question of food's future and the right to food. His reflections continue with a focus on cities' role in tomorrow's food system with his book "Villes voraces : autonomie, alimentation et agriculture urbaine" (voracious cities: autonomy, food and urban agriculture) to be published soon by CNRS Éditions.

21 jours anti-gaspi Too Good To Go rassemble au sein de ce guide 21 astuces permettant de transformer pas à pas ses gestes pour moins de gaspillage alimentaire. Seul, en famille ou entre collègues, les challenges nous accompagnent et nous inspirent dans nos changements d’habitudes.

21 days against food waste Too Good To Go gathers in this guide 21 tips to help you transform your habits for less food waste. Alone, together as a family or with colleagues, these step by step challenges accompany and inspire us in our changes of behaviour.

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À voir / Must see

Recettes pour un monde meilleur Le journaliste d’investigation Benoît Bringer part aux quatre coins du monde à la rencontre des personnes qui œuvrent pour une alimentation respectueuse de l’Homme et de la nature. Un documentaire qui met en lumière les nombreuses solutions concrètes qui existent pour une transition vers un modèle durable.

The investigative journalist Benoît Bringer travels the world to meet people working for food that respects people and nature. "Recipes for a better world" is a documentary that highlights the numerous concrete solutions that exist for a transition towards a sustainable model.

Au nom de la terre Pour son premier film « Au nom de la terre », Édouard Bergeon parle de la vie de son père, un agriculteur joué avec talent par Guillaume Canet. À travers son histoire, nous découvrons la situation particulièrement difficile du monde paysan et les ravages d’un modèle agricole poussant à des exploitations toujours plus vastes et industrialisées.

For his first movie "Au nom de la terre" (in the name of the soil), Édouard Bergeon tells us about his father's life, a farmer talentedly played by Guillaume Canet. Through his story, we discover the particularly difficult situation of the peasant world and the devastating effects of an agricultural model that has led to ever-larger and more industrialised farms.

Unbroken ground Patagonia Provisions propose une panoplie de ressources documentaires. Son film « Unbroken Ground » (sol intact), réalisé par Chris Malloy, offre aux spectateurs un réel vent d’optimisme en racontant l’histoire d’hommes et de femmes, pionniers de méthodes agricoles régénératives. Le but ? Prouver que l’alimentation peut et doit faire partie de la solution à la crise environnementale.

Patagonia Provisions features a wide range of resource materials. Its film "Unbroken Ground", realised by Chris Malloy, offers viewers a real sense of optimism by telling the story of men and women, pioneers of regenerative farming methods. The goal? To prove that food can and must be part of the solution to the environmental crisis.

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INTERVIEW

THE WORLD’S FOOD DIVERSITY VAULT LE COFFRE-FORT DE LA DIVERSITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE Et si vous deviez stocker le patrimoine agricole mondial de l’humanité en lieu sûr, où iriez-vous ? Pour Crop Trust, la réponse se trouvait au cœur de la montagne Platåfjellet, sur l'archipel du Svalbard, au-dessus du cercle polaire. Depuis plus de 10 ans maintenant, l’organisation y abrite le plus grand coffre-fort de semences issues des quatre coins du globe. Dans cette interview avec le directeur exécutif du Crop Trust, Stefan Schmitz, nous entrons dans la chambre forte de Svalbard, véritable arche de Noé végétale à l’allure d’un vaisseau tout droit sorti d’un film de fiction !

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If you had to store humanity’s world agricultural heritage in a safe place, where would you go? For the Crop Trust, the answer was deep inside Platåfjellet mountain on the Svalbard Archipelago above the Arctic circle. For more than ten years now, this place shelters the largest crop collection on Earth. In this interview with Crop Trust Executive Director, Stefan Schmitz, we take a closer peek at the Svalbard Global Seed Vault, a true vegetal Noah’s Ark which looks like it belongs in a fictional movie!


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The Svalbard Global Seed Vault is the largest seed reserve on Earth. How many samples do you store underground? Over a million! Earlier this year, at the end of February, we celebrated the completion of the two-year renovation work in the Vault. On this occasion, seeds banks from all over the world were invited to join us and send copies of their seed samples. Over 35 depositors participated, and this officially brought us to over one million seed samples stored in the facility. There are approximately 1,750 gene banks located in more than 100 countries around the world. What makes the Svalbard Global Seed Vault so unique? The Svalbard Global Seed Vault is a back-up facility for these other gene banks you mention. It is not an operational gene bank, but more like a huge safety deposit box. If you picture a regular bank as we all know it, you will find safety deposit boxes where you can secure your possessions. The Vault functions a little bit like this. The big difference is that all deposits are duplicates of the original material. These duplicates remain the property of its depositor. This procedure is operated in case original collections, which stay at the depositing gene banks, get damaged or become inaccessible for whatever reason such as a war, a fire, a flood, an earthquake and so on.

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Has this ever happened? Yes. One gene bank has had to make withdrawals from the Seed Vault in the context of the Syrian Civil War, where one of the world’s most important international gene banks was facing great trouble. In 2015, ICARDA, the International Centre for Agricultural Research in the Dry Areas, lost access to its facility in Aleppo. Fortunately, a large portion of its seeds had already been duplicated and sent to the Seed Vault for safekeeping. As a result, ICARDA was able to re-establish its collection in Morocco and Lebanon. This case shows that the Seed Vault is doing its job. You see, before the Vault existed, there was no such insurance policy in place. Take the National Plant Genetic Resources Laboratory in the Philippines, that experienced a flood due to the Typhoon Xangsane in 2006 and a fire just six years later, resulting in irreversible losses because the germplasm was not completely backed-up. Are the protected seeds within the Vault meant to be accessible only in case of last resort? If for whatever reason seed banks run into trouble, they can rest assured that their seeds are safely backed up at Svalbard and retrieve them if necessary. The Vault is also a real resource for these organisations, which conserve invaluable material for feeding a growing global population. They share valuable crops for breeding more


resilient varieties able to withstand the challenges associated with climate change, pests and diseases and more. The Seed Vault makes sure that they have their material no matter what. Svalbard gets a lot of attention, but it is just one part of an enormous amount of work that takes place every day and every night across the globe. Gene banks are not museums, using crop diversity is equally important as conserving it. That is why the organisations who have stored their material in the Seed Vault, make their crop collections available to breeders or research institutes to help make our crops more resilient to agricultural challenges.

"The Seed Vault was established with the principle that all seeds are a global public good"

So, we are talking about an open-source philosophy serving a common good? Exactly. The Seed Vault was established with the principle that all seeds are a global public good. For an institution to send seeds to Svalbard, it must first sign a depositor agreement, which ensures the seed samples are unique, important for food and agriculture, safety duplicated at the second level and made available to breeders and researchers. It is this open collaboration that makes the Vault very special and efficient to ensure humankind has the available resources to feed the world in the 21st century.

The globalised food system is being seriously questioned at the moment. How can we move towards greater resilience? Covid-19 has revealed in very stark terms the vulnerability of humanity. It is too early to say how exactly the food system will be impacted in the long run. However, looking at the post-crisis, we already see tendencies that this highly over integrated food market might turn out to be a real bottleneck for feeding the world. I believe that it is time to carefully rethink globalisation to mitigate the effects of future shocks of the kind we are currently experiencing and to allow us to bounce back from them. We cannot avoid nor abolish a global food market, that is not the point. But we need far more diversity and regionalisation for many different reasons. One is evident, as it just turned out, that the distance between the producer and the consumer can be highly vulnerable. Another one is that promoting agricultural systems in rural areas represents a great chance to create resilient provisioning food systems that rely on local markets. Everybody would benefit from this. But to tap this potential, you need far more locally adapted seed resources. We are talking here about varieties adapted to a specific climate, a particular soil and so on. And when you start rethinking globalisation, the trade regime, the strengths of a local agricultural system, this is where all the materials conserved in the world’s gene banks come into play and help provide the diversity of seeds needed. Strengthening our food systems won’t be simple. There are many answers and no silver bullets. No solution on its own will be sufficient. But nothing will succeed if there is no crop diversity to work from.

On the left, Stefan Schmitz, Executive Director of the Crop Trust, with regional seed banks representatives, at the reopening of the Vault last February. À gauche, Stefan Schmitz, directeur exécutif de Crop Trust, entouré de représentants de banques de semences régionales, lors de la réouverture du Vault en février dernier.

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The advent of a so-called modern agriculture has seen the gradual replacement of traditional varieties with commercial seeds, resulting in plants standardisation and yields optimisation. In what sense does this shift represent a danger for food security? While change is inevitable in farming systems, as farmers experiment with and adopt new crops and varieties, this narrowing of crop diversity has consequences for the productivity, stability and resilience of the global agri-food system. We have in the past decades pursued an intensification of our agricultural systems that has helped to feed the world, but that has come at an environmental price and may not be sustainable as there are still two billion people who are malnourished, and of these, about 749 million who do not get enough calories. In the long term, narrowing crop diversity will do no good. Our food systems are too vulnerable to changes, to pests and diseases and to changing environmental conditions. I am convinced, and that is also what Crop Trust stands for, that the diversity of seeds, of food, of diets, of agricultural practices, and diversity as an overarching principle is absolutely important. We must rethink our global food system and work towards greater diversification in particular in times of climate changes. It is key to small agricultural holders as it enables them to adapt to various changing conditions: environmental, social, economic conditions, demands coming from markets‌ There are so many reasons that agriculture and biodiversity have to come together!

"We must rethink our global food system and work towards greater diversification in particular in times of climate changes"

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Talking about biodiversity, what do you think is the main threat to it? One of the most significant threats to biodiversity has been agriculture itself. Even without climate change, a lot of biodiversity was lost as agriculture developed. Traditional crop varieties and their wild relatives disappeared from farmers’ fields and forests, cast aside in favour of genetically uniform, potentially high-yielding types or victim to resource degradation, destruction of habitats and shifting ecosystems. Today, crop diversity remains at risk for many of the same reasons but also due to lack of investment in gene banks and in the institutions that safeguard this material. At the same time, climate change is becoming more and more critical. We will have to find solutions to adapt to both of these threats simultaneously. More awareness needs to be raised. How do gene banks represent an efficient weapon against climate change? The public often does not realise this, but there is so much work going on in developing more climate-resilient crops. This requires seeds to be sent out every year to help breeders and research institutes around the world make progress regarding climate-resilient food. Take wheat. To adapt to higher temperatures, breeders must go back to the 125,000 varieties of grain stored in the world’s gene banks to search for the maybe only one type that can withstand a hotter climate. International collections of crop diversity distributed last year over 66,000 seed samples to users around the globe. In the context of climate change, you also pay particular attention to wild seeds. Why are they so important? Agriculture started with wild plants and grew from there. For millennia, farmers have been domesticating, selecting, exchanging, and improving food plants in traditional ways, within traditional production systems. Meanwhile, many of the wild relatives of these crops have persisted in nature,


adapting to harsh environments. Now, as humankind is trying to figure out how to find varieties that are more tolerant to climate change conditions, the solution might lay in the genes of wild crop relatives. They tend to be more robust than their high-yielding domesticated counterparts. Genes for drought-tolerance, for example, have been identified in the wild relatives of tomato, chickpea, barley, rice, and wheat. Is there a limit or can the Vault store all types of plants that exist on Earth? Svalbard can store many seeds, but not all of them. These exceptions include favourites like banana, cacao, cassava, coffee, potato, coconut, tea, apples, and others. That’s because some of these crops do not produce seeds at all. Others produce seeds, but the resulting plants do not always resemble their parents. That’s a problem because when you conserve something, you want to be sure of what you will get if you ever need it again. All these plants need alternative methods for conservation. This is usually done by growing seedlings in jars or test tubes, known as in vitro conservation, or outdoors, in what are called field collections. These methods effectively place the crops on permanent life support: they need regular human attention, and are prone to natural disasters, pests and diseases. Lately, there is another way that is growing in popularity: cryopreservation. This is the process of conserving plant samples in liquid nitrogen at a temperature below -80°C. For this alternative conservation strategy, Svalbard is not suitable. There are other smaller gene banks taking care of this. Discussions are currently being made to create a global vault for these types of plants too.

The Crop Trust recently celebrated its 15th anniversary. What are your ambitions for the next fifteen years? I dream that in 2035, we will have all the unique crop varieties in the world important for food and agriculture safely backed up in the Svalbard Global Seed Vault and that we will have the funding needed to secure the world’s most important crop collections for a very, very long time. The Crop Trust was established just over fifteen years ago with a mission to help build a global system of crop diversity conservation and use and fund it through an endowment that would make it a lasting reality. Extraordinary changes have been accomplished in just 15 years. If I look to the future, I am hopeful we will complete our global task. To do so, my science colleagues tell me that Svalbard should host a volume of about 3 million samples. The time and resources this task will take are finite, well understood, and within reach, but we need the support of everyone invested in the food system to make this a reality. What actions can Luxembourg concretely take to support your initiatives? We need people in every country to speak to their governments, urging them to contribute to the endowment fund and support international action for a shared resource that no country can do without, and no country has enough of. We need foundations, private companies and individuals to join us in imagining an effective, efficient global system for safeguarding the basis of our food, and, most importantly, making it a reality. Funding crop conservation efforts are essential because food security is not a five year or a tenyear goal, but a forever one. I would say that helping to feed the world is an excellent investment. <

"Now, as humankind is trying to figure out how to find varieties that are more tolerant to climate change conditions, the solution might lay in the genes of wild crop relatives" Eggplant varieties and wild relatives fruits /Variétés d'aubergines et espèces sauvages apparentées

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« Si vous entreprenez de repenser la mondialisation, c'est là que tous les matériaux conservés entrent en jeu »

Le Global Seed Vault peut se targuer d’être la plus grande réserve de semences au monde. Combien d’échantillons abritez-vous ainsi sous terre ? Au-delà d'un million ! Fin février, nous avons célébré la fin de deux années de travaux de rénovation du coffre-fort. À cette occasion, les banques de semences du monde entier ont été invitées à nous rejoindre et à nous envoyer des copies de leurs échantillons de semences. Plus de 35 ont répondu présentes, ce qui a officiellement porté à plus d'un million le nombre d'échantillons stockés dans le dépôt. Actuellement, il existe environ 1 750 banques de semences réparties dans plus de 100 pays. Qu’est-ce qui rend le Global Seed Vault si particulier ? Le Global Seed Vault est une solution de secours pour ces autres banques que vous mentionnez. Ce n'est pas une banque de semences opérationnelle mais plutôt un gigantesque coffre-fort. Imaginez une banque ordinaire, telle que nous la connaissons tous. Vous y trouverez des coffres-forts où vous pourrez placer vos biens en sécurité. Nous fonctionnons un peu comme ça. La grande différence est que tous les dépôts sont des duplicatas. Ces copies restent la propriété du déposant. Cette procédure est mise en place au cas où les collections originales, qui restent dans les banques déposantes, seraient endommagées ou deviendraient inaccessibles pour une raison quelconque, telle une guerre, un incendie, une inondation, un tremblement de terre ou autre. Ce cas de figure s’est-il déjà présenté ? Oui. Des retraits ont dû être effectués dans le contexte de la guerre civile syrienne, où l'une des plus importantes banques de semences internationales

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faisait face à de grandes difficultés. En 2015, ICARDA, le Centre international pour la recherche agricole en zones arides, a perdu l'accès à ses installations à Alep. Heureusement, une grande partie de ses semences avaient déjà été dupliquées et envoyées dans notre chambre forte pour être conservées. Par conséquent, ICARDA a pu reconstituer sa collection au Maroc et au Liban. Ce scénario prouve que le Global Seed Vault remplit sa mission. Avant qu'il n'existe, il n'y avait pas d'assurance de ce type. Prenez le Laboratoire national des ressources phytogénétiques aux Philippines. Il a connu une inondation due au typhon Xangsane en 2006 et un incendie six ans plus tard. Ces événements ont entraîné des pertes irréversibles car le germoplasme n'avait pas été complètement sauvegardé. Les graines protégées sont-elles vouées à être accessibles qu’en cas de dernier ressort ? Si, pour une raison quelconque, les banques de semences font face à des difficultés, elles ont la garantie que leurs semences sont en sécurité dans le dépôt de Svalbard et qu'elles peuvent être récupérées si nécessaire. Le Global Seed Vault est aussi une véritable ressource pour ces organisations qui y conservent du matériel inestimable pour nourrir une population mondiale croissante. Elles partagent des ressources importantes pour la sélection de variétés plus résistantes, capables de relever les défis liés au changement climatique, aux parasites, aux maladies, etc. Nous veillons à ce qu'elles disposent de leur matériel, quoi qu'il arrive. Svalbard fait l'objet de beaucoup d'attention, mais ce n'est qu'une partie d'un énorme travail qui se déroule chaque jour et chaque nuit à travers le monde. Les banques de semences ne sont pas des musées, utiliser la diversité végétale est tout aussi important que de la conserver. C'est pourquoi,


les organisations qui conservent leur matériel dans nos chambres fortes mettent leurs collections à la disposition des sélectionneurs ou des instituts de recherche, pour les aider à rendre les cultures plus résistantes aux défis agricoles. Il s'agit donc d'une philosophie d'open-source au service d'un bien commun ? Tout à fait. Le Global Seed Vault a été créé en partant du principe que toutes les semences sont un bien public mondial. Pour qu'une institution puisse envoyer des semences à Svalbard, elle doit d'abord signer un accord de dépôt qui garantit que ses échantillons de semences sont uniques, importants pour l'alimentation et l'agriculture, dupliqués de manière sécurisée et mis à la disposition des phytogénéticiens et des chercheurs. C'est cette collaboration ouverte qui rend le Global Seed Vault si particulier et efficace pour garantir que l'humanité dispose des ressources nécessaires afin de nourrir le monde au XXIe siècle. Le système alimentaire mondialisé est actuellement fondamentalement remis en question. Comment pouvonsnous évoluer vers plus de résilience ? La crise de la Covid-19 a mis en évidence, de manière très frappante, la vulnérabilité de l'humanité. Il est trop tôt pour savoir quelles seront les incidences à long terme sur le système alimentaire, mais en regardant la situation d'après-crise, nous voyons déjà des tendances qui indiquent que ce marché alimentaire sur-intégré pourrait s'avérer être un véritable goulot d'étranglement pour nourrir le monde. Je pense qu'il est temps de soigneusement

repenser la mondialisation afin d'atténuer les effets des futurs chocs tels que ceux que nous connaissons actuellement et de pouvoir rebondir plus facilement. Nous ne pouvons ni éviter ni abolir un marché alimentaire mondial, là n'est pas la question, mais nous avons besoin de beaucoup plus de diversité et de régionalisation pour de multiples raisons. L'une d'entre elles est évidente, comme viennent de le souligner les événements récents. Il s’agit de la distance entre le producteur et le consommateur. Une autre, réside dans le fait que la promotion des systèmes agricoles dans les zones rurales représente une grande opportunité de créer des systèmes d'approvisionnement alimentaire résilients qui s'appuient sur les marchés locaux. Tout le monde y trouverait son compte. Mais pour exploiter ce potentiel, il faut des semences beaucoup plus adaptées aux conditions locales. Il s'agit ici de variétés correspondant à un climat spécifique, à un sol particulier, etc. Et si vous entreprenez de repenser la mondialisation, le régime commercial, les atouts d'un système agricole local, c'est là que tous les matériaux conservés dans les banques de semences du monde entrent en jeu et contribuent à fournir la diversité de semences nécessaire. Le renforcement de nos systèmes alimentaires ne sera pas simple. Il existe de nombreuses réponses mais aucune recette miracle. Aucune solution ne suffira à elle seule. Cependant, une chose est certaine, rien ne pourra fonctionner s'il n'y a pas de diversité sur laquelle travailler.

Material, like barley and finger millet, sent by the German and Indian national gene banks for the international seed deposit ceremony organised in Longyearbyen, Svalbard, this February 2020. Des produits, comme de l'orge et du millet, envoyés par les banques de gènes nationales allemande et indienne, pour la cérémonie internationale de dépôt de semences organisée à Longyearbyen, Svalbard, en février 2020.

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L'avènement d'une agriculture prétendument moderne a vu le remplacement progressif des variétés traditionnelles par des semences commerciales, ce qui a entraîné la standardisation des plantes et l'optimisation des rendements. En quoi cette évolution représente-telle concrètement un danger pour la sécurité alimentaire ? L’évolution des systèmes agricoles est bien sûr inévitable, à mesure que les agriculteurs expérimentent et adoptent de nouvelles techniques et variétés, mais l’amoindrissement de la diversité des plantes cultivées entraîne des conséquences sur la productivité, la stabilité et la résilience du système agroalimentaire mondial. Au cours des dernières décennies, nous avons poursuivi une intensification de nos systèmes agricoles. Cette approche a certes contribué à nourrir le monde, mais a eu un coût environnemental. Elle pourrait ne pas être durable car deux milliards de personnes souffrent encore de malnutrition, et parmi celles-ci, environ 749 millions ont un apport calorique insuffisant. À long terme, la réduction de la diversité végétale n'apportera rien de positif. Nos systèmes alimentaires sont trop vulnérables aux changements, aux parasites et aux maladies, ainsi qu'à l'évolution des conditions environnementales. Je suis convaincu, et c'est également ce que défend Crop Trust, que la diversité des semences, des aliments, des régimes alimentaires, des pratiques agricoles, de même que la diversité en tant que principe global, sont d’une importance primordiale. Nous devons repenser notre système alimentaire mondial et œuvrer à une plus grande diversification, en particulier dans le contexte des changements climatiques. Il s'agit d'un élément clé pour les petits exploitants agricoles car cela leur permettra de s'adapter à toutes sortes de changements : les demandes provenant

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des marchés, les conditions environnementales, sociales, économiques, ... Il y a tant de raisons pour lesquelles l'agriculture et la biodiversité doivent aller de pair ! À propos de la biodiversité, quelle est, selon vous, la principale menace qui pèse sur elle ? L'agriculture elle-même s’est révélée être l'une des menaces les plus importantes pour la biodiversité. Même sans tenir compte du changement climatique, une grande partie de la biodiversité a été perdue avec le développement de l'agriculture. Les variétés de semences traditionnelles et leurs parents sauvages ont disparu des champs et des forêts des agriculteurs. Ils ont été abandonnés au profit de semences génétiquement uniformes, au potentiel de rendement élevé, ou victimes de la dégradation des ressources, de la destruction des habitats et de la modification des écosystèmes. Aujourd'hui, la diversité est toujours menacée pour les mêmes raisons, mais elle pâtit aussi d’un manque d'investissements dans les banques de semences et dans les institutions qui protègent ce patrimoine. En même temps, le changement climatique devient de plus en plus critique. Il va falloir trouver des solutions pour s'adapter à ces deux menaces simultanément : la sensibilisation doit être renforcée. En quoi les banques de semences représentent-elles une arme efficace contre le changement climatique ? Le public ne s'en rend souvent pas compte, mais il y a énormément de travail en cours pour développer des variétés plus résistantes au stress climatique. Chaque année, il faut envoyer des semences aux sélectionneurs et instituts de recherche du monde entier pour progresser dans ce domaine. Prenez le blé par exemple. Pour s'adapter à des températures plus élevées,


« Les banques de semences ne sont pas des musées, utiliser la diversité végétale est tout aussi important que de la conserver »

les chercheurs doivent fouiller dans les 125 000 variétés de graines stockées dans les banques de semences pour y trouver, peut-être, la seule variété qui puisse résister à un climat plus chaud. L’année dernière, les collections internationales ont distribué plus de 66 000 échantillons de semences à des utilisateurs aux quatre coins du globe ! Dans le contexte du changement climatique, vous portez également une attention toute particulière aux semences sauvages. Pourquoi sont-elles si importantes ? C’est avec les plantes sauvages que l'agriculture a débuté et qu’elle s'est ensuite développée. Durant des millénaires, les agriculteurs ont domestiqué, sélectionné, échangé et amélioré les cultures vivrières de manière traditionnelle, dans le cadre de systèmes de production traditionnels. Pendant ce temps, de nombreux parents sauvages de ces cultures ont persisté dans la nature et ils se sont adaptés à des environnements hostiles. Aujourd'hui, alors que l'humanité tente de trouver des variétés plus tolérantes au changement climatique, la solution pourrait résider dans les gènes des espèces sauvages apparentées aux plantes cultivées. Ces variétés sont généralement plus robustes que leurs cousines domestiquées et à haut rendement. Des gènes de tolérance à la sécheresse ont, par exemple, été identifiés dans les espèces sauvages apparentées à la tomate, au pois chiche, à l'orge, au riz et au blé. Le Global Seed Vault peut-il stocker tous les types de plantes qui existent sur Terre ou y a-t-il une limite ? À Svalbard, il est possible de stocker de nombreuses graines, mais pas toutes. Parmi les exceptions,

on peut citer la banane, le cacao, le manioc, le café, la pomme de terre, la noix de coco, le thé et les pommes. Certaines de ces plantes ne donnent pas de graines. D'autres en produisent, mais les plantes qui en résultent ne ressemblent pas toujours à leurs parents. C'est un problème parce que lorsque vous conservez quelque chose, vous voulez être sûr de ce que vous obtiendrez si jamais vous en avez à nouveau besoin. Toutes ces plantes requièrent donc des méthodes alternatives de conservation. Cela se fait généralement en faisant pousser de jeunes plants dans des pots ou des tubes à essai, c’est ce qu'on appelle la conservation in vitro, ou en plein air dans des collections de plein champ. Ces méthodes placent les plantes en état de vitalité permanent : elles nécessitent une attention humaine régulière et sont sujettes aux catastrophes naturelles, aux parasites et aux maladies. Une autre méthode gagne en popularité depuis peu : la cryopréservation. Il s'agit du processus consistant à conserver des échantillons de plantes dans de l'azote liquide à une température inférieure à -80°C. Cette stratégie n'est pas adaptée à Svalbard. Il existe d'autres banques de semences plus petites qui s'en chargent. Des discussions sont actuellement en cours pour créer une chambre forte mondiale pour ces types de plantes également. Crop Trust a récemment fêté son quinzième anniversaire. Quelles sont vos ambitions pour les quinze prochaines années ? Je rêve qu'en 2035, toutes les variétés de semences cruciales pour l'alimentation et l'agriculture soient conservées en toute sécurité à Svalbard et que nous disposions des fonds nécessaires pour protéger

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la plus importante collection de semences du monde pendant très, très longtemps. Crop Trust a été créé il y a un peu plus de quinze ans, avec pour mission de contribuer à la mise en place d'un système mondial de conservation et d'utilisation de la diversité et de le financer par une dotation qui en ferait une réalité durable. Des progrès extraordinaires ont été accomplis en quinze ans à peine. Si je me tourne vers l'avenir, j'ai bon espoir que nous accomplirons notre but. Pour ce faire, mes collègues scientifiques me disent que le Global Seed Vault devrait accueillir un volume d'environ 3 millions d'échantillons. Le temps et les ressources nécessaires pour accomplir cette mission sont limités, bien compris et à notre portée. Mais nous avons besoin du soutien de tous les acteurs du système alimentaire pour que cela devienne une réalité.

« Je rêve qu'en 2035, toutes les variétés de semences cruciales pour l'alimentation et l'agriculture soient conservées en toute sécurité à Svalbard »

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Concrètement qu’est-ce que le Luxembourg peut faire pour supporter vos initiatives ? Nous avons besoin que les gens de chaque pays parlent à leur gouvernement pour les encourager à contribuer au fonds de dotation et à soutenir l'action internationale en faveur de ressources communes dont aucun pays ne dispose suffisamment et ne peut se passer. Nous avons besoin que des fondations, des entreprises privées et des particuliers se joignent à nous, pour imaginer un système mondial efficace et efficient, à même de sauvegarder la base de notre alimentation et, surtout, pour en faire une réalité. Financer la conservation du patrimoine agricole est essentiel. La sécurité alimentaire ne constitue pas un objectif à cinq ou dix ans, mais à perpétuité. Selon moi, contribuer à nourrir le monde est un excellent investissement. <


FACTS AND FIGURES

-18°C Constant seed storage temperature in the Global Seed Vault / Température constante de stockage des semences dans le Global Seed Vault

1,057,151 Samples in the Vault / Échantillons dans le coffre-fort

4.5 million Varieties of crops that can be stored in the Vault. Each sample contains on average 500 seeds, so a maximum of 2.5 billion seeds may be stored in the Vault / Variétés de semences que peut stocker le Vault. Chaque échantillon contient en moyenne 500 graines, ce qui signifie qu'un maximum de 2,5 milliards de graines peut être stocké dans la réserve

Non-GMO All seeds stored in Svalbard are non-GMO as the Norwegian Government does not allow these types of seeds / Toutes les semences stockées au Svalbard sont sans OGM car le gouvernement norvégien n'autorise pas ce type de produits

Luxembourg 2 seeds samples originating from Luxembourg are being stored in Svalbard / 2 échantillons de semences originaires du Luxembourg sont stockés au Svalbard

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IL S FO N T LE

BU

UN REFUGE POUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE Minecraft, cet univers virtuel où près de 130 millions de joueurs se connectent chaque mois pour créer des mondes à partir de blocs, vous vous souvenez ? Il y a peu, nous le mentionnions déjà pour son implication dans la restauration des récifs coralliens au large du Mexique. Cette fois, c’est avec Reporters Sans Frontières que le célèbre jeu vidéo travaille pour lutter contre la censure médiatique. Jamal Khashoggi, Yulia Berezovskaia, Nguyen Van Dai, Javier Valdez… Ces noms, ce sont ceux des journalistes « interdits, emprisonnés, exilés, voire tués » pour leurs articles. Mais à l’occasion de la journée mondiale contre la censure sur internet, Reporters Sans Frontières s’est associé avec Minecraft pour créer un endroit virtuel sécurisé où la jeune génération peut librement s'informer. Plus de 3 mois de travail, 24 développeurs de 16 pays différents et 12,5 millions de blocs ont été nécessaires pour construire cette « Bibliothèque Libre » où chaque personne qui s’y connecte peut avoir accès à plus de 200 articles censurés dans leur pays d’origine.

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L’ONG a choisi de travailler avec le jeu vidéo d’une part pour déjouer les technologies de surveillance des différents gouvernements mais aussi pour se rapprocher des jeunes. « Dans beaucoup de pays, il n’y a pas de libre accès à l’information », rappelle Christian Mihr, directeur de Reporters Sans Frontières Allemagne. « Les sites internet sont bloqués, les journaux indépendants interdits et la presse est contrôlée par l’État. Les jeunes grandissent sans possibilité de se forger leur propre opinion. À travers Minecraft, le jeu vidéo le plus populaire du monde, nous leur donnons accès à une information indépendante. » Objectif atteint : cette opération XXL de sensibilisation à l'importance d'une presse libre a fait grand bruit dans la communauté des gamers. < Minecraft, that game where nearly 130 million players log in every month to create worlds out of blocks, remember? Not long ago we mentioned it for its involvement in restoring coral reefs off the coast of Mexico. This time, it is with Reporters Without Borders that the famous video game is working to fight against media censorship.


Jamal Khashoggi, Yulia Berezovskaia, Nguyen Van Dai, Javier Valdez, these are the names of journalists who have been "banned, imprisoned, exiled or even killed" for their articles. But on World Day Against Internet Censorship, Reporters Without Borders joined forces with Minecraft to create a secure virtual place where the younger generation can freely obtain information. More than three months of work, 24 developers from 16 different countries, and 12.5 million blocks were needed to build this "Free Library." Each person who connects to it can have access to more than 200 articles censored in their country of origin. The NGO has chosen to work with video games on the one hand to thwart the surveillance technologies of different governments but also to get closer to young people. "In many countries, there is no free access to information", said Christian Mihr, director of Reporters Without Borders Germany. "Websites are blocked, the state bans the independent newspapers and controls the press. Young people are growing up without the possibility of forming their own opinions. Through Minecraft, the world's most popular video game, we give them access to independent information." Objective achieved: this XXL operation to raise awareness of the importance of a free press made a great buzz in the gaming community. <

Tesco « panse » un manque de diversité Qu’est-ce qu’un pansement couleur « chair » ? La réponse se trouve dans la gamme nouvellement lancée par les supermarchés britanniques Tesco. Et il était temps. Cette année sont apparus dans les rayons des pansements adaptés à différentes couleurs de peau. Une initiative largement saluée par les internautes et qui bat en brèche des présupposés « standards ». What is a flesh-colored bandage? The answer lies in the newly launched range of Tesco UK supermarkets, and it's about time. This year, dressings for different skin colors have appeared on the shelves. An initiative that has been widely welcomed by internet users and which breaks with "standard" assumptions.

Drinks have No Gender

Jamal Khashoggi, tué par le gouvernement saoudien pour ses chroniques dénonciatrices de la politique du prince héritier. Yulia Berezovskaia, censurée par le gouvernement russe pour ses nombreux reportages sur le conflit en Ukraine. Nguyen Van Dai, arrêté pour « propagande contre l'État » et condamné à plusieurs années de prison pour son combat pour les droits de l'Homme au Vietnam. Jamal Khashoggi, killed by the Saudi government for his columns denouncing the Crown Prince's policies. Yulia Berezovskaia, censored by the Russian government for her numerous reports on the conflict in Ukraine. Nguyen Van Dai, arrested for "propaganda against the State" and sentenced to several years in prison for his fight for human rights in Vietnam.

Vous est-il déjà arrivé que l'on vous serve un cocktail alors que vous aviez commandé une bière ? Ou une bière alors que vous attendiez un cocktail ? Avec la campagne « Cheers to all », Heineken met en scène différentes histoires où le serveur se trompe au moment de servir ses clients, en présupposant leurs goûts selon leur genre. La célèbre marque s’amuse de ces stéréotypes en signant « Men drink cocktails too ». Have you ever had a cocktail while you ordered a beer? Or a beer when you were waiting for a cocktail? With "Cheers to all", Heineken stages different stories where the waiter makes a mistake when serving his customers, presupposing their tastes according to their gender. The famous brand makes fun of these stereotypes by signing, "Men drink cocktails too."

Accèder à la bibliothèque libre en ligne / Join the free library online https://uncensoredlibrary.com

Ils font le buzz

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AILLEURS ?

Molenbeek UNE TOUTE AUTRE HISTOIRE

Ça se passe à l’Ouest de Bruxelles, dans un quartier populaire touché par les difficultés sociales et la précarité. Son nom, profondément marqué par les attaques terroristes de ces dernières années, sonne pour certains comme un repoussoir. Pourtant, c’est une toute autre histoire, résolument positive, que nous vous racontons aujourd’hui : celle d’un lieu qui invente de nouvelles formes de solidarité et de vivre ensemble. Bienvenue à Molenbeek. Poussez les portes de l’Atelier Groot Eiland… 94

SUSTAINABILITY #10

photo : Saskia Vanderstichele

C'EST COMMENT...

It happens in West Brussels, in a workingclass district affected by social difficulties and precariousness. Its name, deeply marked by the terrorist events of recent years, sounds like a repellent to some people. Yet, it is a completely different story, resolutely positive, that we are telling you today: the story of an association which invents new forms of solidarity and living together. Welcome to Molenbeek. Open the doors of Atelier Groot Eiland.


MOLENBEEK EN QUELQUES CHIFFRES

97 000 Nombre d'habitants de cette commune de la Région de Bruxelles-Capitale Commune of the Brussels-Capital Region of about 97,000 inabitants

Molenbeek Saint-Jean

35 ans Âge moyen de la population Average age of the population

28 % Part de la population de nationalité étrangère Share of the population of foreign nationality

45,3 % Taux d'emploi (15-64 ans) en 2017 Employment rate in 2017 (15-64)

Une association, une communauté, une philosophie Molenbeek-Saint-Jean est une commune belge de la région de BruxellesCapitale qui s’étend sur près de 6 km2. Elle revêt des visages pluriels. Sur les hauteurs, la commune offre un paysage urbanistique assez récent et résidentiel, bordé d’espaces verts. Dans sa partie basse, s'étendent des quartiers populaires aux échoppes colorées et vivantes, animés par une population essentiellement émigrée. Ici, quelque part au cœur de Molenbeek, on s’affaire. Certains cuisinent, d’autres jardinent, travaillent le bois ou vendent leurs produits. C’est l’Atelier Groot Eiland. Cette association s’est fixée pour mission depuis 1986 de lutter contre la pauvreté grâce à l’insertion socioéconomique. Elle organise des parcours d’expérience professionnelle, d’éducation, de travail adapté et de coaching pour les personnes éloignées du marché de l’emploi. Le résultat est au rendez-vous puisqu’en moyenne 59 % des bénéficiaires décrochent un poste dans les six mois qui suivent

leur passage par l’Atelier. Signe également que le modèle fonctionne : l’organisation et ses activités sont en continuelle expansion. En 2019, elle a ainsi accompagné 308 personnes, soit trois fois plus qu’il y a cinq ans. Cette ambition de taille est guidée par deux principes majeurs : donner une chance à chacun et veiller à un développement résolument durable. Les projets doivent en effet toujours répondre à un modèle d’économie durable et solidaire reposant sur les trois piliers environnemental, social, et économique. Au-delà de la mission centrale d’insertion, ceci se traduit concrètement par la création de produits et de services sains, limitant au maximum l’empreinte sur l'environnement. Une démarche largement encouragée à travers les multiples distinctions que l’association s’est vu remettre : le label « Good Food » , le prix « Slim in de stad-prijs » (Intelligent en ville), le prix « Molenbeekois de l’année », ou encore le label Diversité. Dernier en date, le « Prix de l’Économie Sociale » décerné en décembre 2019, embrasse avec justesse l’étendue de la démarche.

An association, a community, a philosophy Molenbeek-Saint-Jean is a Belgian commune of the Brussels-Capital Region which covers almost 6 km2. It has many different faces. On the heights, the commune offers a modern and residential urban landscape bordered by green spaces. In its lower part, popular districts with colourful and lively shops, are animated by an essentially emigrant population.

C'est comment ailleurs ?

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C'EST COMMENT... MOLENBEEK

Here, somewhere in the heart of Molenbeek, it’s quite busy. Some cook, others garden, work with wood or sell their products. This is Atelier Groot Eiland. Since 1986, this association has had the mission of fighting poverty through socio-economic integration. It organises work experience, education, adapted work and coaching courses for people who have stepped away from the job market. The results are impressive: on average, 59% of the beneficiaries find a job within six months of their experience at the Atelier. Another proof that this model works: the association and its activities are constantly expanding. In 2019, it had supported 308 people, three times more than it did five years ago. This major ambition is guided by two

main principles: giving everybody a chance and ensuring sustainable development. Indeed, projects must always be based on a sustainable and solidarity-based economy model, founded on three pillars: environmental, social and economic. Beyond this core mission of integration, this concretely translates into the creation of healthy products and fair services, limiting the environmental footprint as much as possible. This approach has been widely encouraged through the many awards the association has received, namely the "Good Food" label, the “Slim in de stad-prijs" award (Intelligent in the City), the "Molenbeekois of the Year" award and the Diversity label. The most recent one: the "Social Economy Prize", awarded in December 2019 rightly covers the scope of the initiative.

Des projets concrets pour des besoins cruciaux Sept projets, structurés comme des mini-entreprises, ont vu le jour grâce à l’association. Ils se complètent les uns les autres dans les domaines de l’agriculture urbaine, l'HoReCa, la menuiserie, l’artisanat et la vente. Leurs noms ? Ce sont les restaurants Bel Mundo et RestoBEL, la sandwicherie Bel’O, les cinq jardins potagers Bel Akker, le magasin bio The Food Hub, la boulangerie et atelier créatif ArtiZan, sans oublier la menuiserie Klimop. Ces projets prennent vie grâce et pour les hommes et femmes qui les incarnent. L’association accueille en formation les personnes inscrites auprès des différents offices régionaux de l’emploi, mais aussi celles qui bénéficient d'aides à l’emploi par le biais de contrats d’insertion professionnelle, d’apprentissage ou de bénévolat. Ces bénéficiaires sont de tous âges et de tous horizons et ont tous un point commun, comme le souligne Tom Dedeurwaerder, directeur de la structure : « Chacun arrive avec son sac à dos de problèmes ». Souvent en situation de détresse sociale due à un manque de qualification, aux longues années de chômage, à une situation précaire ou aux coups durs de la vie, le passage par l’Atelier se présente comme une véritable bouée de sauvetage. Les bénéficiaires y apprennent le travail en équipe en développant leurs compétences, aussi bien les soft que les hard skills. L’apprentissage est transversal. Par exemple, l’équipe dédiée à l’agriculture urbaine de Bel Akker va découvrir comment semer, récolter, désherber, composter

Une ancienne friche industrielle a donné naissance aux 1 500 m² du potager Belle Vue. / A former industrial wasteland has been turned into a 1,500m² vegetable garden named 'Belle Vue'.

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De la production à la dégustation. Objectif zéro déchet, local et durable. Bienvenue au Bel Mundo ! / From producers to your plate. Zero waste objective, local and sustainable. Welcome to Bel Mundo restaurant!

(des compétences classiquement développées, dans le domaine du maraîchage) mais aussi apprendre à gérer des commandes, et à établir une relation client. Logistique, vente, travail d’équipe... C'est donc d’un large éventail de formations dont bénéficient les apprentis. Ils sont accompagnés de près : des instructeurs suivent les personnes en formation, lors de leurs expériences professionnelles ou dans le cadre du travail adapté. Mais cet encadrement va plus loin. Des assistants de parcours motivent les candidats et les aident dans l’organisation de leur vie privée (mobilité, garde d’enfants, logement, budget...), car ce volet est décisif pour une insertion réussie. Des entretiens d’évaluation ont lieu régulièrement et un échange d’informations régulier est réalisé entre les instructeurs et les assistants. Qui plus est, les bénéficiaires sont supervisés

intensivement par des « job coaches » sur une période allant de 6 mois à un an. Concrete projects for crucial needs Seven projects, structured as mini companies, were created thanks to the association. They complement each other in the areas of urban agriculture, food services, carpentry, handicrafts and sales. Their names? The Bel Mundo, and RestoBEL restaurants, the Bel'O sandwich shop, the five Bel Akker vegetable gardens, the The Food Hub organic shop, the ArtiZan bakery and creative workshop, without forgetting the Klimop carpentry. These projects come to life thanks to the men and women who embody them. The association welcomes people registered within the various regional employment offices for training, as well as those who benefit from employment aids through professional integration, apprenticeship

or voluntary work contracts. These beneficiaries are of all ages and backgrounds, and they all have one thing in common, as Tom Dedeurwaerder, director of the structure, points out: "Everyone arrives with his or her own backpack of problems". Often in a situation of social distress caused by a lack of qualifications, long years of unemployment, a precarious situation or the hard knocks of life, the passage through the Atelier presents itself as a life saver. Beneficiaries learn how to work in teams by developing both their soft and hard skills. Learning is transversal. For example, Bel Akker's team dedicated to urban agriculture discovers how to sow, harvest, weed, compost — skills traditionally expected in the field of gardening — but also learns how to manage orders and establish customer relations. Logistics, sales, teamwork...

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C'EST COMMENT... MOLENBEEK

The apprentices benefit from an extensive training. The beneficiaries are closely accompanied. Instructors follow the trainees during their professional experiences or adapted work. But the supervision goes beyond that. Career assistants motivate candidates and help them organise their private life (mobility, childcare, housing, budget) for it has a decisive impact on the success of their integration. Evaluation interviews take place regularly and there is a regular exchange of information between instructors and career assistants. Moreover, the beneficiaries are intensively supervised by job coaches for a period of 6 months to a year.

origine, de leur sexe, de leur nationalité, de leurs convictions religieuses ou philosophiques, de leur orientation sexuelle, voire de leur handicap. » Inclusion as a key word Diversity, non-discrimination and integration are at the heart of the association's DNA, from the teams in the field and employees to the Board of Directors, which has also evolved in this direction. "There is parity between women and men. It includes young people and seniors. Finally, two of the seven members are of foreign origin." the association confirms.

L’inclusion comme maître mot La diversité, la nondiscrimination et l’intégration sont inscrites au cœur de l'ADN de cette association, des équipes sur le terrain et des collaborateurs jusqu’au conseil d’administration, qui a lui aussi évolué en ce sens. « Il y a une parité entre les femmes et les hommes. Le conseil d’administration inclut des jeunes et des seniors. Enfin, deux des sept membres sont d’origine étrangère. » confirme l’association. Afin de lutter contre toute forme de discrimination lors du recrutement, ce sont naturellement la motivation, les attentes personnelles, les compétences et les expériences de vie qui priment pour l’élection des candidats : « Il faut offrir un travail à tous et toutes en respectant la qualité et la durabilité de notre économie sociale. », souligne Tom Dedeurwaerder. Et d’ajouter : « L’humain est au centre, nous attendons de nos employés qu'ils respectent leurs collègues, clients et fournisseurs, indépendamment de leur

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In order to fight against all forms of discrimination during recruitment, it is naturally motivation, personal expectations, skills and life experience that take precedence in the election of candidates. "We have to offer work to everyone while respecting the quality and sustainability of our social economy." Tom Dedeurwaerder, director of the organisation says. “We expect our employees to respect their colleagues, customers and suppliers, regardless of their origin, gender, nationality, religious or philosophical

beliefs, sexual orientation or even disability", he adds. Un cercle vertueux À l’Atelier, le facteur humain se conjugue avec le respect de l’environnement et de l’économie circulaire. Objectif zéro déchet ! Les projets réalisés sont ici toujours pensés en fonction de leur complémentarité mais aussi en lien avec d’autres acteurs locaux. Ainsi, la menuiserie utilise principalement des résidus de scierie et pour le reste, du bois issu de forêts gérées durablement. Up-cycling au programme : les cadres de vieilles chaises d'écoles sont également valorisés. En sortie de production, rien ne se perd car la sciure de bois restante est utilisée dans le compost du potager Bel Akker où l’attend la poudre de café usagée récupérée chez Nespresso. Le restaurant Bel Mundo, lui, lutte contre le gaspillage alimentaire. Il base son menu hebdomadaire sur la récolte des potagers et les invendus alimentaires du marché matinal. Il a également conclu un partenariat avec les supermarchés Delhaize qui le fournissent en produits approchant de la date d’expiration. Même le ketchup y est fait maison avec les surplus de tomates. En 2019, cette technique a permis au restaurant de préparer 27 196 repas et de récupérer 15 tonnes de nourriture. En respectant le précepte du zéro déchet, l’association fait logiquement la chasse aux emballages polluants. Les buzzers remplacent les tickets pour récupérer les plats. Place aux gobelets et verres réutilisables dans les restaurants ! L’association a même fait l’acquisition d’une machine à coudre pour remplacer les emballages plastiques par des sacs en tissus.


La sandwicherie Bel'O et le magasin bio The food Hub, lieux d’échanges et de ravitaillement pour les locaux et les gens de passage. / Bel'O, the sandwich shop and The food Hub, the organic food shop, meeting and refilling places for locals as well as tourists.

A virtuous cercle At the Atelier, the human factor is combined with respect for the environment and the circular economy. Objective zero waste! The projects carried out are always thought out according to their complementarity but also in connection with other local actors.

from the morning market. It has also established a partnership with the Delhaize supermarkets, which supplies it with products nearing their expiry date. Even ketchup is home-cooked with the tomato's surplus. In 2019, this technique enabled the restaurant to prepare 27,196 meals and recover 15 tons of food.

Thus, the carpentry mainly uses sawmill residues and for the rest, wood from sustainably managed forests. Up-cycling is also on the agenda, and the frames of old school chairs are also recycled. At the end of production, nothing is lost because the remaining sawdust is used in the compost of the Bel Akker vegetable garden, where used coffee powder recovered from Nespresso awaits it.

By respecting the precept of zero waste, the association logically hunts down polluting packaging. Buzzers replace tickets to recover the dishes, and reusable cups and glasses are available in all restaurants! The association has even acquired a sewing machine to replace plastic packaging with cloth bags.

The Bel Mundo restaurant takes care of food waste. It bases its weekly menu on the harvest from the vegetable gardens and unsold food

Les apprentis veillent au grain Les cinq potagers Bel Akker prospèrent avec succès. Ils s’étendent sur près d’un hectare et demi sur les quatre communes de Molenbeek, Anderlecht, Bruxellesville et Jette. Légumes et fines herbes

y sont cultivés selon les principes de l’agriculture biologique et SPIN (Small Plot Intensive). Plantation, désherbage, récolte... Ici, c’est du sur-mesure et les jardiniers sont aux petits soins. Cette production de qualité est écoulée au travers des restaurants et du magasin de l’association, The Food Hub. Divers restaurants réputés de Bruxelles ont également ces légumes à leur menu et c’est en vélo cargo que les livreurs de l’association sillonnent la ville pour approvisionner ces clients haut de gamme. Les produits des potagers sont également très prisés par les habitants du quartier qui ont à cœur de manger local. Au gré de ces initiatives multiples, les concepts autour de l’agriculture urbaine ont évolué. Au départ, basé sur le modèle des « High value crops », les premiers potagers ont trouvé leur place derrière l’ancienne brasserie Belle Vue à Molenbeek, sur le toit de

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Le relai du sourire, de la récolte à la livraison. / A smile hand over, from harvest to delivery.

l’Abattoir ou dans la ville à Anderlecht. Puis, Helifarm s’est constitué dans le Quartier Nord de Bruxelles-ville. Il s’agit dans ce cas d’un potager urbain professionnel et d’un jardin communal auquel les habitants peuvent prendre part. Le potager devient ainsi un point de rencontre et d’échange dans le quartier. Cette action se fait en collaboration avec les associations Velt et De Harmonie, avec pour objectif davantage de cohésion sociale autour de ce site. Pour nourrir cette dynamique, chaque mois, Helifarm organise des ateliers gratuits sur l’agriculture urbaine écologique. Enfin, le dernier né d’un hectare : le jardin CourJette situé sur le site de l’Universitair Ziekenhuis Brussel, est un projet d'agriculture totalement porté par la communauté. Les habitants qui le souhaitent, soutiennent l'agriculteur par le biais d'une cotisation annuelle et perçoivent en retour une part de la récolte, un système également connu en Belgique sous le nom de GASAP (Groupes d'Achat Solidaire de l'Agriculture Paysanne).

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Apprentices, the grains’ keeper The five Bel Akker vegetable gardens are flourishing. They extend over almost one and a half hectares in the four municipalities of Molenbeek, Anderlecht, Brussels-City and Jette. Vegetables and herbs are grown here according to the principles of organic farming and SPIN (Small Plot Intensive). Planting, weeding, harvesting... Here, it's tailor-made and the gardeners take care of everything. This high-quality production is sold through the restaurants and The Hub, the association’s shop. Various well-known restaurants in Brussels also have these vegetables on their menu and the association's delivery employees travel around the city on cargo bikes to supply these high-end customers. Vegetable garden produce is also very popular with the residents who are keen to eat local. As a result of these multiple initiatives, the concepts around urban agriculture

have evolved. Initially based on the model of "high value crops", the first vegetable gardens found their place behind the former Belle Vue brewery in Molenbeek, on the roof of the Abattoir or in the municipality of Anderlecht. Helifarm was then established in the North District of Brussels-City. This is a professional urban vegetable garden and a communal garden in which the inhabitants can take part to. In this way, the vegetable garden becomes a meeting and exchange point in the neighbourhood. This action is carried out in collaboration with the Velt and De Harmonie associations with the aim of increasing social cohesion around this site. To nourish this dynamic, Helifarm organises free workshops on ecological urban agriculture every month. Finally, the newest addition, the one-hectare site garden CourJette. Located on the site of the Universitair Ziekenhuis Brussel, this garden is an agricultural project totally supported by the community. The inhabitants who wish to do so, support the farmer


Social, durable et écologique, le cercle vertueux de « The Food Hub » / Social, sustainable and ecological, the virtuous circle of "The Food Hub"

through an annual contribution and in return receive a share of the harvest, a system also known in Belgium as GASAP (Groups for the Solidarity Purchase of Peasant Agriculture). Essaimer… Vous l’aurez compris, la philosophie de l’Atelier Groot Eiland repose sur une ouverture aux autres et une collaboration avec diverses organisations. Il travaille ainsi avec plus de 50 partenaires bruxellois qui accompagnent, complètent ou financent ses activités. Ce réseau est composé d’organismes d’intérêt publique, d’associations d’accompagnement et d’insertion socio-professionnelle, de centres de formations, de communes, d’entreprises locales… Le partage et la collaboration sont au cœur du modèle. Dans cet esprit, l’Atelier partage volontiers son vécu, en organisant des visites guidées et interactives pour des universités, hautes écoles, écoles secondaires et même pour des acteurs internationaux

curieux de cette approche dans le contexte métropolitain de Bruxelles. À présent, l’Atelier Groot Eiland souhaite changer d’échelle pour former et insérer toujours plus de candidats. Dans cet objectif, il se regroupe aujourd’hui avec les associations Great et Eat. Une mise en commun de ressources qui, espérons-le, permettra encore davantage d’impact et d’histoires positives au cœur de Molenbeek. < Broadening… As you will have noticed, the Atelier Groot Eiland’s philosophy is based on openness to others and collaboration with various organisations. It thus works with more than 50 Brussels partners who accompany, complement or finance their activities. This network is composed of public sector organisations, socioprofessional integration associations, training centres, municipalities, local businesses, among others. Sharing and collaborating are at the heart of the model.

In this spirit, the Atelier shares its experience through the organisation of guided and interactive tours for universities, colleges, secondary schools and even for international actors curious about this approach in the metropolitan context of Brussels. Today, Atelier Groot Eiland wishes to step-up in order to train and insert more and more candidates. With this in mind, it is now grouping together with the Great and Eat association a pooling of resources that will hopefully lead to even more impact and positive stories in the heart of Molenbeek. <

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C'EST COMMENT... MOLENBEEK

Rencontre avec...

Tom Dedeurwaerder Directeur

photo : Freddy D'Hoe

de l'Atelier Groot Eiland

« BRUXELLES EST UNE VILLE COSMOPOLITE ET L’UNE DES CLEFS POUR DONNER UNE CHANCE À TOUS EST D’ACCEPTER NOS DIFFÉRENCES »

Quelle est votre devise ? « Nous ne voulons pas donner un poisson à un homme mais lui apprendre à pêcher ». Via l’insertion socioprofessionnelle, nous souhaitons que nos bénéficiaires s’intègrent au marché du travail et deviennent autonomes. Que signifie donner une chance ? Si j’aborde le sujet en pensant à mon parcours personnel, j’ai pu étudier comme ingénieur, je ne me suis jamais demandé si c’était possible. Je disposais d’un studio, mes parents subvenaient à mes besoins. J’ai eu beaucoup de chance, je ne me suis jamais posé de question sur ces aspects, je trouvais cela normal. Beaucoup n’ont pas eu cette chance, ni les moyens de développer leur passion ou leur talent. Nous souhaitons leur donner cette chance.

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Une histoire particulièrement marquante qui vous encourage ? Des histoires, il y en a plein … Celle, par exemple, d’un jeune du quartier qui a trouvé sa place dans la société en se découvrant des qualités derrière les fourneaux pendant son stage. Depuis ce moment, sa fierté est de savoir qu’à la fin de la journée, en préparant de bons petits plats, il rend des gens heureux. Après son passage à l’Atelier, il a décroché un emploi de qualité dans la cuisine d'un hôtel. Aussi l’histoire de cette femme arrivée en maison d’accueil, victime de violences conjugales, mise à l’écart de ses enfants et qui se trouvait démotivée et sans confiance en elle.


En lui laissant sa chance, en l’accompagnant et en l’écoutant, elle a finalement ouvert sa propre épicerie, retrouvé son indépendance tout en profitant à la communauté. Preuve que le travail est bien plus qu’un salaire, elle a finalement repris contact avec ses enfants et petits-enfants et renoué avec une vie familiale. Il y a également cette femme qui a effectué un très bon stage avec une embauche à la clé. Pourtant, son employeur est revenu vers nous très content de son travail mais désolé de son manque de ponctualité le matin. En échangeant avec elle, nous avons identifié qu’elle était dépendante des horaires de la crèche et des difficiles correspondances de tram pour se rendre au travail. Très concrètement, nous l’avons aidée à se procurer un vélo et à suivre des cours de conduite en ville. Depuis lors, les problèmes de ponctualité sont derrière elle. Chaque personne a un parcours unique. Ici, nous essayons de nous adapter « à la carte » pour trouver des solutions.

« Chaque personne a un parcours unique. Ici, nous essayons de nous adapter "à la carte" pour trouver des solutions »

Les profils de vos bénéficiaires et collaborateurs sont, en effet, très divers. Comment l’association tire-t-elle profit de cette diversité ? Tout d’abord, quand nous parlons de diversité, nous en parlons au sens large. La diversité ne se limite pas uniquement à une couleur de peau, une origine ou une langue. Il y a des hommes, des femmes, des personnes avec des cultures, des orientations, des religions diverses et variées.

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C'EST COMMENT... MOLENBEEK

Pour nous, la diversité est une réalité de terrain. Bruxelles est une ville cosmopolite et l’une des clefs pour donner une chance à tous est d’accepter nos différences. Nous attendons de nos employés qu'ils respectent leurs collègues, clients et fournisseurs, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur nationalité, de leurs convictions religieuses ou philosophiques, de leur orientation sexuelle, voire de leur handicap. La diversité est une grande richesse dans chaque composante de notre organisation. Que ce soit à l’intérieur du conseil d’administration ou sur le terrain avec nos équipes et nos bénéficiaires, elle offre des points de vue et des perspectives différents. Elle nous permet de mieux communiquer car le message est plus fort lorsque qu’il provient d’une personne reconnue dans la communauté. Elle nous donne également des clefs pour mieux comprendre certaines ruptures avec notre société ayant pour origine une incompréhension culturelle mutuelle. Elle nous permet aussi de trouver des solutions. Vous êtes financés à 60 % par les fonds publics. Visez-vous à parvenir à l’équilibre ? Nous ne cherchons pas à ne plus dépendre du moindre subside. Il est important que nous continuions d’être soutenus dans certaines de nos activités pour permettre

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par exemple de consacrer du temps de formation à nos bénéficiaires. Nous souhaitons donner une chance à tous et nous ne devons pas sacrifier ce principe majeur pour la rentabilité. Cependant, augmenter notre indépendance est également très important. Les recettes générées nous permettent d’investir dans des projets qui nous tiennent à cœur et qui ne trouvent pas forcément écho dans les subventions délivrées. Cette indépendance renforce également notre autre pilier qu’est la durabilité. Il ne faut pas qu’un changement de politique ponctuel vienne ruiner un projet qui a mis des années à se bâtir. Vous contribuez à impulser une forte dynamique à Molenbeek. Comment voyez-vous ce quartier évoluer ? Nous avons un rôle d’ambassadeur. Il faut savoir que la situation à Molenbeek, ce n’est pas facile. Notre commune est la seconde commune de Belgique avec un revenu moyen par habitant le plus faible. Les attentats ont également donné une mauvaise image de notre population. Mais nos réalisations viennent montrer qu’il se passe aussi de belles choses à Molenbeek. Notre rôle est également de réfléchir à des concepts innovants, « out of the box ». Nous sommes convaincus qu’il ne faut pas chercher à réinventer la roue. Nous n’hésitons pas à collaborer


"Proving that work is more than just a salary"

avec d’autres associations ou organismes qui œuvrent déjà dans d’autres domaines et avec lesquels nous pouvons jeter des ponts. Par exemple, en travaillant avec une maison médicale. Elle nous envoie des personnes pour qui le diagnostic médical a été posé (burnout, difficultés psychiatriques...) et nous les aidons sur d’autres aspects de la vie. Toujours dans l’optique de se faire connaître et de faire vivre la communauté, l’association stimule le tourisme à Molenbeek en proposant divers ateliers et journées de team building en collaboration avec d’autres associations locales comme Imal Fablab, la Fonderie, Fermenthings. Nous avons enfin un rôle très important dans la représentation de notre population vis-à-vis du pouvoir politique. Nous interpellons les politiques pour intégrer les habitants dans les projets, éviter la gentrification, améliorer le niveau de vie en général sans discriminer la population actuelle. < What is your motto? "We don't want to give a man a fish, we want to teach him how to fish". Through socio-professional integration, we want our beneficiaries to integrate into the labour market and become autonomous. What does it mean to give a chance? If I approach the subject by thinking about my personal background, I was able to study

as an engineer, I never questioned if it was possible. I had a flat, my parents supported me. I was very lucky, I never doubted about these aspects, I thought it normal. A lot of people weren't so lucky, nor did they have the means to develop their passion or talent. We want to give them that chance. Could you share a particularly striking story that encourages you? Stories, there are plenty of them ... For example, one of a young man from the neighbourhood who found his place in society by discovering his qualities as a cook during his internship. From that moment on, his pride is knowing that at the end of the day, by preparing good food, he makes people happy. After his time at the Atelier, he landed a quality job in the kitchen of a hotel. Also, the story of this woman who arrived from a shelter, victim of domestic violence, isolated from her children and who found herself demotivated and without selfconfidence. By giving her a chance, accompanying her and listening to her, she finally opened her own grocery store, regained her independence while benefiting the community. Proving that work is more than just a salary, she finally got back in touch with her children and grandchildren and resumed family life.

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C'EST COMMENT... MOLENBEEK

There is also this woman who has completed a very good internship and has been hired. However, her employer came back to us very happy with her work but sorry for her lack of punctuality in the morning. Talking with her, we identified that she was dependent on the day-care's hours and the difficult tramway connections to get to work. In concrete terms, we helped her to get a bicycle and to take driving lessons in the city. Since then, punctuality problems are behind her. Each person has a unique route. Here we try to adapt as much as possible to find â€œĂ la carteâ€? solutions. The profiles of your beneficiaries and employees are indeed very diverse. How does the association benefit from this diversity? First, when we talk about diversity, we're talking about it in the broadest sense. Diversity is not just limited to skin colour, origin or language. There are men, women, people with diverse and varied cultures, orientations, religions. For us, diversity is a reality in the field. Brussels is a cosmopolitan city and one of the keys to giving everyone a chance is to accept our differences. We expect our employees to respect their colleagues, customers and suppliers, regardless of their origin, gender, nationality, religious or philosophical beliefs, sexual orientation or even disability.

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Diversity is a great richness in every part of our organisation. Whether within the Board of Directors or in the field with our teams and beneficiaries, it offers different points of view and perspectives. It allows us to communicate better because the message is stronger when it comes from someone recognised in the community. It also gives us the keys to better understand certain fractures with our society that come from a mutual cultural misunderstanding. It also allows us to find concrete solutions. You are 60% publicly funded. Do you aim to achieve a balance? We are not trying to stop relying on any subsidies. It is important that we continue to be supported in some of our activities to allow us, for example, to devote training time to our beneficiaries. We want to give everyone a chance and we must not sacrifice this major principle for profitability. However, increasing our independence is also very important. The income generated allows us to invest in projects that are important to us and which do not necessarily find an echo in the grants we receive. This independence also strengthens our other pillar of sustainability. We do not want that a political punctual change ruins a project that took years to build up.


You are helping to create a strong dynamic in Molenbeek. How do you see this neighbourhood evolving? We have an ambassadorial role. You should know that the situation in Molenbeek is not easy. Our commune is the second commune in Belgium with the lowest average per capita income. The attacks have also given a bad image of our population. But our achievements show that there are also good things happening in Molenbeek. Our role is also to think about innovative, "out of the box" concepts. We are convinced that we should not try to reinvent the wheel. We don't hesitate to collaborate with other associations and organisations that are already working in other fields and with whom we can build bridges. For example, by working with a medical house. It sends us people who have been diagnosed with a medical condition (burnout, psychiatric difficulties, etc.) and we help them in other aspects of life.

"Our achievements show that there are also good things happening in Molenbeek"

Always with the aim of making itself known and bringing the community to life, the association stimulates tourism in Molenbeek by offering various workshops and team building days in collaboration with other local associations such as Imal Fablab, la Fonderie, Fermenthings. Finally, we have a very important role to play in representing our people vis-Ă -vis the political power. We call on politicians to integrate the inhabitants into projects, to avoid gentrification, to improve the standard of living in general without discriminating against the current population. <

C'est comment ailleurs ?

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DRONES P. 109 La rĂŠsilience venue du ciel ? P. 118 Rencontre avec Thomas Le Coz Capitaine du Sam Simon et chasseur d'images


La résilience venue du ciel ? Resilience from the sky?

De Leonard De Vinci aux frères Montgolfier, nombreux sont ceux qui, nourris par des fantasmes immémoriaux, ont voulu défier les lois de la gravité. Le rêve le plus ancestral de l’Homme, voler, n’est depuis plusieurs décennies, plus une utopie. Les engins volants ont évolué, mais certains d’entre eux ont particulièrement le vent en poupe ces dernières années : les drones. Ces bijoux de technologie sont aujourd’hui plus de 10 millions dans le monde à sillonner notre ciel. De l’agriculture durable à la santé, en passant par la logistique efficiente, nombre de leurs récentes applications se révèlent très prometteuses et les désignent comme un outil incontournable de résilience. Mais leur irruption en masse n’est pas sans apporter son lot de questionnements et de limites. Entre opportunités et potentielles dérives, exploration d’un objet volant à identifier. From Leonardo da Vinci to the Montgolfier brothers, many people, nourished by immemorial fantasies, have wanted to defy the laws of gravity. Man's most ancestral dream, to fly, has no longer been a utopia for several decades. Flying machines have evolved, but some of them have particularly the wind in their sails in recent years: drones. There are now more than 10 million of these technological gems in the world, crisscrossing our skies. From sustainable agriculture to health care or efficient logistics, many of their recent applications are very promising and make them an essential tool for resilience. However, their mass introduction is not without its share of questions and limitations. Between opportunities and potential drifts, let’s explore this flying object to be identified.

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photo : Hewitt-Sperry

Aéronef automatique 1918. / Automatic Airplane 1918.

Ne nous méprenons pas, ces « faux bourdon », il a été choisi par partout ailleurs, avec l’objectif engins vrombissants sont à l’étude analogie avec le ronronnement d'intervenir au plus vite en acheminant des produits là où l’état depuis le début du 20e siècle et la lenteur des premiers appareils. des routes et le relief rendent le déjà. La conceptualisation des transport terrestre long, coûteux premiers aéronefs sans pilotes Précieux outil médical et sanitaire (UAV : Unmanned Aerial Vehicules) C’est en situations d’urgence et et dangereux. Le drone ambulance remonte au 2 juillet 1917, quand de catastrophes naturelles, où la par exemple, avec une vitesse Max Boucher, capitaine de l’école distance et le temps deviennent de croisière de 100 km/h, peut d’aviation française, grâce à un ennemis, qu’entrent en scène les transporter un défibrillateur en une système de pilotage automatique, drones et toute leur potentialité. minute dans une zone de 12km2 programme le décollage du premier Leur usage dans le domaine médical augmentant les chances de survie du drone de l’histoire sur la base militaire s’organise plus rapidement que malade de 8 à 80 %. d’Avord. Parallèlement, aux États-Unis, des ingénieurs travaillent à des projets d’avions radiocommandés, à usage militaire essentiellement, qui sont munis d’un système de torpilles aériennes. L’emploi de ces aéronefs commandés à distance s’est ensuite multiplié au sein des rangs de l’US Army pour procéder à des opérations de surveillance en territoire ennemi, notamment lors de la guerre du Vietnam. Le système est élémentaire : la machine, munie de quatre rotors alimentés par une motorisation électrique, est équipée d’une caméra embarquée dans des prises de vues à basse altitude. Ses atouts sont : le vol stationnaire, le décalage et l’atterrissage Organisé par le Ministère du Territoire, des Infrastructures et du Transport, en hommage au personnel vertical. Ce ne sera que plus soignant et pour sensibiliser à la distanciation sociale, 300 drones ont réalisé un spectacle lumineux de tard, dans les années 30, que dix minutes dans le ciel de Séoul, le 4 juillet dernier. / Organised by the Ministry of Land, Infrastructure le nom drone apparaîtra en and Transport, to thank health workers and raise awareness about social distancing, 300 drones Grande-Bretagne. Signifiant performed a light show of ten minutes, in Seoul, on the 4th of july.

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photo : Draganfly

D’autre pays comme le RoyaumeUni, l’Écosse ou encore les ÉtatsUnis ont également adopté ces outils afin de pouvoir livrer bon nombre d’équipements et de matériels médicaux aux hôpitaux ou à des communautés isolées. Aux États-Unis, ces initiatives ont eu lieu grâce à l’association de la CVS Health Corporation et le géant de la distribution UPS. Cette solution présente des avantages clefs en période de pandémie : rapidité de livraison, respect des mesures de distanciation sociale et protection du personnel soignant. A Séoul, les autorités se sont montrées particulièrement créatives. Grâce à plus de 300 drones qui illuminaient le ciel, elles ont créé un

show extraordinaire qui rappelait à la population les mesures de sécurité et qui, par la même occasion, encourageait le personnel médical. Ce spectacle d’illuminations de dix minutes a été relayé partout dans le monde le 4 juillet dernier. Par le passé, les drones ont déjà fait leurs preuves ! Dès 2012, suite au séisme en HaÏti, des centaines de kits de secours ont été livrés par voie aérienne. Aussi, en PapouasieNouvelle-Guinée, l’organisation Médecins Sans Frontières a mis en

place, en 2014, une opération innovante contribuant à réduire les difficultés d’accès aux communautés isolées. Cette mission avait pour objectif de transporter des échantillons de salive de patients suspectés d’être atteints de tuberculose, et d'acheminer les analyses et traitements. Ce n’est pas tout, la ville de Bangalore, en Inde, mène depuis 2016 un projet de transport d’organes par drones permettant de réduire de plus de 50 % le délai de livraison des organes destinés à une greffe, un gain de temps crucial pour sauver davantage de vies. photo : Roksenhorn

Récemment, face à la pandémie de la Covid, grand nombre de ces possibilités ont été dévoilées. En Europe, plusieurs pays ont choisi cette technologie pour enjoindre les réfractaires aux mesures de confinement de rentrer chez eux. En Chine, des sociétés comme Baidu ont équipé des UVA de caméras infrarouges, couplées à de la reconnaissance faciale, qui permettent de mesurer la chaleur corporelle de 15 personnes en même temps, à 0,3°C près, et de faire retentir une alarme en cas de fièvre. Le tout afin de placer au plus vite les personnes à risque en quarantaine ou de les rediriger vers des services de soin à même de les prendre en charge.

L’entreprise canadienne Draganfly travaille au développement de drones munis d’un système de détection de virus. Ce dispositif serait capable de détecter des infections respiratoires et la fièvre. / The Canadian company Draganfly is working on the development of drones equipped with a virus detection system. This device would be able to detect respiratory infections and fever.

Un drone est lancé depuis la base d’essai de Zipline en Californie. / A drone launches from Zipline’s California-based test facility.

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photo : Action Drones

Médaillon : Prise de vue d'une caméra thermique embarquée sur un drone. / Inset: Thermal camera equipped drone shot.

L’enjeu en termes de santé publique est considérable, notamment sur le continent africain, où de nombreux patients souffrent de l’absence de produits de santé, notamment en raison du mauvais état des routes et de l’inaccessibilité de certains villages. En collaboration avec le gouvernement, la start-up américaine ZipLine a su appliquer au Rwanda une solution pérenne de transports de médicaments et de poches de sang vers des endroits isolés. 7 000 poches ont ainsi déjà été livrées grâce à pas moins de 4 000 vols. Les drones utilisés ont une autonomie de 120 km, un poids de 12 kg et peuvent transporter des colis de 1,3 kg. L’enthousiasme autour de cette technologie est tel qu’un premier « Droneport » devrait voir le jour en 2030 au Rwanda, dans l’espoir de rationaliser et d’industrialiser le transport de produits de santé plus rapidement et à moindre coût. Ce Droneport comportera 2 lignes de transport différentes : la bleu et la rouge. Le drone Redline, utilisé pour des missions sanitaires, fera trois mètres d’envergure et sera capable de transporter 10 kilogrammes de matériel sur une distance de 50 kilomètres à 100 km/h, tandis que le drone Blueline, consacré à

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des missions commerciales, fera six mètres d’envergure et pourra déplacer une charge de 100 kg sur 100 km.

optimisation de la productivité, les rendements connaitraient des hausses allant jusqu’à 10 % par an.

Vers une agriculture de précision Pour certains, le secteur de l’agriculture représenterait la plus grosse manne financière potentielle relative à l’utilisation des drones. Selon les études prévisionnelles de PwC, le marché des drones commerciaux dans l’agriculture pourrait générer 32,4 milliards de dollars d’activité économique à l’échelle internationale. Face aux bouleversements climatiques et au défi de l’insécurité alimentaire accru par une démographie galopante, certains agriculteurs voient en ces engins de véritables outils de précision capables de révolutionner leurs méthodes d’agro-exploitation.

Le réel intérêt de cette technologie est l’approche différenciée des zones cultivées qu’elle permet. Du sur-mesure, en quelques sortes. Le capteur thermique intégré à certains engins repère ainsi les zones sèches et conduit à une gestion adaptée des ressources en eau. Un atout majeur lorsque l’on sait que l’agriculture représente environ 70 % de la consommation mondiale en eau.

Des drones proposent désormais un service de cartographie complet des parcelles agricoles. Grâce aux caméras embarquées capables de couvrir 400 hectares par heure, ils permettent de réaliser des prises de vue aériennes de précision. Les analyses topographiques sont, elles, menées grâce à une technologie de télédétection par laser. Dans certaines exploitations où les UAV sont plébiscités, on observe une

Les drones sont également capables de mesurer la lumière renvoyée par les plantes. Ces analyses permettent de créer des cartes de « réflectance », outil qui permet d’analyser la vitalité des plantes et de détecter les zones où il est nécessaire d’envoyer de l’engrais ou de retirer des mauvaises herbes par exemple. Les drones permettent donc d’améliorer la fertilisation des sols et d’optimiser les rendements. Autre mérite des drones agricoles, grâce à des capteurs infrarouges, leurs images multispectrales sont capables de détecter les plantes d’une parcelle atteintes de maladie. Aujourd’hui, ils seraient même


photo : Dr Victor Fursov

Largués par drones, les trichogrammes empêchent l'apparition de chenilles responsables de dégâts. / Dropped by drones, trichograms prevent the appearance of damaging caterpillars.

capables de répandre des capsules chargées pour lutter contre les insectes qui dévorent les cultures. Dès 2015, Ovalie a lancé ce projet d’épandage de trichogrammes. Face aux invasions de pyrales dévorant les champs de maïs, des drones ont largué des billes contenant des trichogrammes, prévenant ainsi l'apparition des chenilles responsables des dégâts. Ces pratiques alternatives favorisent la limitation voire la suppression des intrants chimiques et compte parmi les outils de transition vers un modèle agricole plus efficient

et durable. Ils représentent une véritable opportunité pour passer au monde de l’agriculture 2.0 ! Une réponse au casse-tête du last-mile La problématique du dernier kilomètre est, on le sait, une constante particulièrement difficile à résoudre dans les réflexions sur la transition vers un modèle de mobilité durable. En effet, au Luxembourg, cette portion représenterait 25 % des émissions de gaz à effet de serre et serait responsable de 20 % du trafic. C’est pour répondre à cette problématique, que certains groupes tels qu'Amazon, Google ou DHL, désireux de répondre à des exigences logistiques toujours plus poussées, s’attellent à mettre au point des drones de livraison. Cette perspective s’appuie sur la volonté de réduire les délais engendrés par les rues congestionnées ou par l’accessibilité difficile de certains lieux. DHL Express, le leader mondial du transport du colis, s’est ainsi associé avec l’entreprise chinoise EHang, leader mondial dans le domaine des véhicules aériens autonomes intelligents, pour lancer un nouveau système de livraison automatisé

en Chine. Ce nouveau concept logistique a été testé et officiellement lancé le 16 mai 2019 à Guangzhou. Fait nouveau, le drone effectue le chargement et déchargement de manière autonome. Conséquences : la livraison est plus efficace, moins coûteuse, requiert moins d’énergie et le système en est donc plus durable. Le premier véhicule Falcon envoyé par la société EHang a parcouru une distance de 8 km et a permis de réduire le temps de livraison de 40 à seulement 8 minutes. Cette nouvelle réalité laisse évidemment entrevoir de belles perspectives commerciales pour DHL. Amazon, lui, est toujours à la recherche du drone idéal pour ses livraisons Prime. En juin 2019, l’entreprise a obtenu un accord de la FAA (Federal Aviation Administration) pour continuer ses phases de tests. L’ambition est de trouver un drone silencieux, capable d’éviter d’autres engins volants, la population et les lignes à haute tension. Ces nouveaux drones pourraient porter des colis de 3 kg maximum et seraient réservés à des trajets de moins de 25 km. Un nouveau service qui devrait porter le nom d’Air Prime. Pour les adeptes de livraisons à domicile, il n’est plus loin le temps où votre prochain colis arrivera par drone facteur !

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Une solution pour les professionnels exposés aux travaux dangereux Si ces engins volants ne révolutionnent pas encore totalement le domaine du BTP ou des mines et carrières, le gros de l’utilisation actuelle des drones dans l’industrie a lieu dans le cadre d’activités risquées et coûteuses, comme l’inspection de lignes à haute tension et de réseaux électriques. Jusqu’à présent, l’inspection de lignes électriques d’une installation industrielle ou des réseaux de lignes à haute tension se faisaient par hélicoptères. Automatisés, les UAV permettent notamment aux grands opérateurs d’inspecter, à moindre frais, des milliers de kilomètres de câbles électriques, de lignes de trains ou de gazoducs. En embarquant une caméra et des capteurs, les drones permettent de capturer de nombreuses données et de prendre des clichés haute résolution, afin de réaliser des cartographies ou des modélisations 3D en toute sécurité. Chez la compagnie américaine Duke Energy, les drones sont utilisés pour inspecter des lignes électriques ou des tours de contrôle. Cette

entreprise a notamment utilisé ces engins pour installer des lignes électriques à Puerto Rico après le passage de l’ouragan Maria. De même Chez EDF Énergies Nouvelles (ENR), qui utilise des aéronefs non habités pour surveiller des postes de transformation et contrôler les isolateurs défectueux. Ces engins peuvent même être utilisés, non plus simplement pour analyser, mais aussi pour poser des câbles haute-tension. Ainsi, Bouygues Energies et Services, tout comme Engie IneoRHT, utilisent des drones pour dérouler des câbles en haut des pylônes haute tension. Les drones sont également utilisés pour surveiller d’autres types de réseaux : le trafic autoroutier. Pour informer les usagers des conditions de circulation - via des prises de vues à visualiser « en direct et en continu ». De même, sur les voies ferroviaires, ils peuvent effectuer des relevés topographiques afin d’analyser l’usure des voies ou de détecter des actes de malveillance. Les UAV s’avèrent également très précieux dans le secteur des énergies renouvelables, tout particulièrement en matière d’inspection technique,

photo : Studiofly Technologie

Drone inspectant des installations photovoltaïques. / UAV inspecting photovoltaic installations.

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de nettoyage et de maintenance en zones à risque. Au niveau des centrales solaires, les drones constituent des outils révolutionnaires. Ils prennent des photos de haute qualité qui fournissent aux hommes la possibilité de détecter les défauts des panneaux qui sont invisibles à l’œil nu. La société française Dronotec par exemple, a équipé ses appareils de caméras thermiques de pointe. Celles-ci ont la capacité de repérer de la poussière ou des plantes sur les panneaux, ce qui permet ensuite de les nettoyer ou de les réparer quand les conditions l’autorisent. Les parcs éoliens sont un autre secteur qui bénéficie de la technologie des drones. Inspecter les pales des éoliennes et en particulier en mer, est une activité traditionnellement coûteuse et surtout très périlleuse pour les techniciens. En effet, ceux-ci doivent évaluer visuellement l’état des pales en étant tractés par des cordes. La société américaine Cyberhawk utilise désormais les drones afin d’obtenir des représentions 3D des pales. De véritables vigies pour notre environnement Les drones sont devenus des alliés indispensables pour la protection de l’environnement. Ils permettent de fournir des informations précises sur l’état des milieux naturels, repérer des traces de pollution, protéger les animaux tant terrestres que marins ou encore, contrôler la végétation. Ils peuvent aussi servir à contrôler la qualité de l’air ou détecter des fuites de gaz. La start-up finlandaise Aeromon, a rendu possible l’analyse de 70 polluants industriels et la cartographie de la qualité de l’air. Les drones permettent ainsi d’obtenir des informations de qualité qui guident les autorités lors de la mise en place de mesures relatives à la pollution aérienne. Ils sont également aujourd’hui utilisés afin de détecter la pollution des navires et la pollution aquatique de manière plus générale.


Drone surveillant le niveau de la fonte des glaces. / Drone monitoring the level of melting ice.

Les drones ont la capacité d’atteindre des zones isolées ou difficiles d’accès, tels que l’Arctique où ils surveillent la fonte des glaces. Ailleurs, ils constatent l’érosion des côtes et les éruptions volcaniques. Ils s’aventurent aussi au-dessus de la forêt tropicale ou la savane où ils aident alors à repérer des activités illégales, particulièrement dans le domaine du braconnage, ou encore identifient des zones illégales de déforestation. L’ONG Sea Shepherd, lutte pour la défense des écosystèmes marins. Elle utilise des drones afin de repérer les braconniers et les filets illégaux pour ainsi les éliminer. Ils agissent notamment en collaboration avec les autorités mexicaines pour protéger, dans le Golfe de Californie, le cétacé le plus menacé au monde : la vaquita. Fait intéressant, la société DroneSeed a créé un drone capable de planter des arbres grâce à un canon qui propulse, à plus de 380 km/h, des capsules emprisonnant des graines à plus de 7 centimètres de profondeur dans le sol. Ce drone a la capacité de planter des arbres 6 fois plus vite qu’un humain. Cette

invention permet, dans les zones particulièrement inaccessibles, de lutter contre la déforestation et les zones dévastées par les feux de forêt. Le revers de la médaille Les avantages liés aux drones sont aujourd’hui considérables et leur exploitation est donc exponentielle ! Petits, abordables et simples d’utilisation, ils sont faciles à se procurer et leur nombre ne fait qu’augmenter. On annonce qu’en 2025 plus de 25 millions de drones seront mis en circulation dans le monde ! Corollaire de cette popularité grandissante, ces engins volants sont de plus en plus associés à des actes frauduleux. Leur potentiel malveillant entache leur réputation et, aujourd’hui, ils deviennent également synonymes de menace. En France par exemple, les autorités ont pris conscience de l’étendue du préjudice possible et tiré la sonnette d’alarme quand, en 2014, ces UVA ont survolé 15 centrales nucléaires pour des raisons inconnues. Des risques majeurs Mais, quels dangers les drones peuvent-ils provoquer ?

L’ESSE (Ecole supérieure de la sûreté des entreprises) a établi une typologie des risques drones. Pour cette institution française, ils seraient au nombre de trois : l’attaque terroriste, l’espionnage et la contrebande. Au niveau terroriste, il n’est pas difficile d’imaginer qu’un explosif puisse facilement être fixé à un drone ou que celui-ci puisse servir à guider un véhicule suicide. Daesh a d’ailleurs fait usage de nombreux appareils capables de filmer des documents de propagande, d’effectuer des tirs indirects et même de larguer des bombes ! En 2018, c’est le président vénézuélien Nicolas Maduro qui avait été victime d’une attaque de drones lors d’une conférence à Caracas. L’espionnage ou surveillance peut se manifester sous différentes formes : repérage, enregistrement vidéo, écoute de conversations, interceptions de données,… En Chine, les autorités ont mis en place un système de contrôle de la population grâce à des dronespigeons. Ces animaux bioniques sont dirigés à distance grâce à une

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Drone d'espion militaire. / Military spy drone.

caméra haute définition et un GPS intégré. Bijoux de technologie, ceux-ci imiteraient jusqu’à 90 % du comportement d’un véritable oiseau. Ils permettent d’observer les faits et gestes de tout un chacun dans les rues, de repérer les comportements inciviques et de ficher la population. Ces usages pernicieux des drones nous font prendre conscience des risques que ceux-ci peuvent avoir sur les libertés individuelles et la vie privée. Outre l’hypersurveillance, l’espionnage peut aussi revêtir une forme économique. Les drones sont notamment capables de déposer des bornes wifi fantômes ou de dérouter les conversations email d’entreprises. De même, Les UAV permettent de réaliser des opérations de contrebande. Ils sont capables de transporter illégalement des smartphones mais aussi des armes et de la drogue ! Entre Hong Kong et Shenzhen, on a découvert des drones qui transportaient des sacs contenant jusqu’à 10 iPhone chacun. La perceptive d’une multiplication des accidents n’est pas non plus à négliger. Un danger qui concerne les UVA se situe clairement du côté de l’aviation. Les nearmiss (quasi collision entre un aéronef et un drone) ne font qu’augmenter ! En 2017, sur le territoire français,

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on a recensé 92 de ces accidents. Au-delà des conséquences sanitaires, ces accidents provoquent également d’importants dommages économiques. La fermeture de l’aéroport de Dubaï en 2017 due à des activités de drones non autorisées a couté 100 000 dollars par minute ! Toujours est-il que ces collisions peuvent également avoir lieu. La même année, un avion qui effectuait une liaison intérieure au Canada, a été heurté par un drone à son approche de l’aéroport Jean-Lesage. La multiplication des UVA dans les airs constitue également une nouvelle menace pour les personnes au sol, celles-ci pourraient être fauchées sur leurs trajectoires ou recevoir des colis sur la tête. Cette hausse des incidents est également

directement liée à l’apparition de nouveaux engins. Bien qu’ils pourraient faciliter la circulation et régler certains problèmes liés aux embouteillages, l’arrivée des futuristes drones-taxis, conçus et fabriqués par la société allemande Lilium, va rendre le ciel de plus en plus chargé. Autre invention risquant d’encombrer les airs : le nouvel engin CityAirbus. Ce taxi volant, automatisé et complètement électrique a été conçu par Airbus Helicopters. Celui-ci a la forme d’un drone, mesure 8 mètres de long et de large, peut atteindre une vitesse de 120 km/h et possède une autonomie de 15 minutes. Bien que la compagnie effectue toujours des essais, l’objectif est de pouvoir transporter jusqu’à 4 personnes aux JO de Paris en 2024,

Menace de collision entre un avion et un drone. / Threat of collision between an aircraft and a drone.


afin notamment de désengorger le trafic routier. Bien que la technologie semble aujourd’hui être au point, l’obstacle majeur est désormais de créer une réglementation adaptée. L’introduction de ces taxis volants, conçus par des acteurs majeurs du monde de l'aéronautique, permettrat-elle de prendre des mesures afin de sécuriser les espaces aériens et les potentielles victimes au sol ? L’enjeu est maintenant de trouver des solutions ! Détection, identification et neutralisation : il est nécessaire d’être capable de les arrêter afin de nous défendre de leurs potentielles offensives. 2020 : année de nouvelles réglementations Pour contrer ces attaques et limiter les menaces, certains systèmes de repérage ont vu le jour : radar, radiofréquence, optique, infrarouge et acoustique. D’autres outils de contremesures comme la fauconnerie, le brouillage, le spoofing, l’armement mobile et les solutions hard kill sont également d’application. Cependant, toutes ces méthodes ne sont pas fiables à 100 %. Pour encadrer et réduire les risques, il convient d’établir de nouvelles réglementations. Actuellement, bon nombre de groupes d’experts planchent sur la question, tels que JAURUS (Joint Authority for Rulemaking on Unmanned Systems) au niveau international ou la FAA (Federal Aviation Administration) américaine, ou encore, sur le plan européen, la EASA (European Aviation Safety Agency). Face à la disparité des mesures d’encadrement nationales, une réglementation européenne sur les UVA a vu le jour : le règlement

d’exécution (UE) 2019/947, et ses “Easy Access Rules”. La date d’application de ces mesures, initialement prévue le 1er juillet 2020, a été reportée au 31 décembre en raison de la crise sanitaire liée au coronavirus. Ces démarches émanent de volontés de sécurisation et d’uniformisation qui permettront aussi de favoriser l’activité en Europe, comme le libre échange des drones. Les différents pilotes pourront alors utiliser leurs engins dans n’importe quel pays de l’UE si ceux-ci possèdent les certificats requis. Quels changements ? Professionnel ou amateur, il faudra dès à présent se plier à ces mesures. Premièrement, tout utilisateur devra immatriculer son appareil auprès de l’autorité nationale de l’aviation. Les anciennes lois étaient établies en fonction du type d’usage du drone : commercial ou privé. Aujourd’hui, ces catégories vont disparaitre pour faire place à un classement effectué à partir des paramètres suivants : atteintes à la sécurité, la vie privée et l’environnement. En résulte trois catégories. La catégorie Open concerne les drones qui présentent des risques faibles, les vols sont toujours à vues et ne peuvent pas dépasser les 120 m d’altitude. La catégorie Specific se rapporte à ceux qui exposent des risques moyens. Dès lors, l’exploitant nécessite une

autorisation à la suite d’une évaluation des risques. Enfin, la catégorie Certified vise les drones comportant de plus gros risques, l'utilisation de l'appareil requiert alors une triple certification : de l'exploitant, du drone et du pilote (sous licence). Ces nouvelles dispositions vont également viser les zones interdites ou restreintes pour les drones, telles que les aéroports, les sites nucléaires, les zones militaires, … Ces zones sont nommées les « zones géographiques UAS », leur définition exacte est encore à l’étude. Les mesures les concernant seront publiées avant le 31 décembre. Extension de la main humaine, ces bijoux de technologie constituent des éléments de réponse prometteurs face à des enjeux multiples, agissant et nous guidant de façon ciblée et calibrée là où nous sommes impuissants ou vulnérables… De véritables outils de résilience certes, mais ces concentrés de technologie se révèlent aussi dangereux à plusieurs titres et l’encadrement de leur utilisation se profile comme un véritable défi… <

See translation page 167

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photo : Sea Sheperd

INTERVIEW

Rencontre avec

Thomas Le Coz Capitaine du Sam Simon et chasseur d'images Captain of the Sam Simon and Photographer

Fondée en 1977 par le capitaine Paul Watson, Sea Shepherd est une ONG totalement indépendante luttant pour la défense des océans. Dans le but de défendre et de protéger les océans et la vie marine, ses trois missions principales sont l’intervention active et non violente dans les cas d'atteintes illégales aux écosystèmes marins, la dénonciation et la sensibilisation. Founded in 1977 by Captain Paul Watson, Sea Shepherd is a totally independent NGO fighting for the defense of the oceans. With the aim of defending and protecting the oceans and marine life, its three main missions are an active and non-violent intervention in cases of illegal attacks on marine ecosystems, denunciation and awareness-raising.

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Vous agissez au sein de l’ONG Sea Shepherd… aussi bien à la barre des navires qu’aux manettes de drones ? Oui. J’ai découvert Sea Shepherd en 2010, en Australie et, depuis ma première mission en 2012-2013, j’ai participé à treize campagnes de Sea Shepherd dont dix en tant que capitaine. De l’Antarctique à la Norvège, en passant par l’Afrique de l’Ouest, la Méditerranée, le Mexique et la mer du Nord. Je me suis formé au pilotage de drones sur nos navires et, en général, je cumule les deux rôles, celui de capitaine et celui de pilote de drones. J’aime l’excitation de faire voler un drone et de réussir à capturer l’image qui, je le sais, contribuera à faire changer les choses. Dans quelles situations utilisez-vous les drones ? Les drones sont de plus en plus performants et offrent toujours plus de possibilités. Tout d’abord, ils sont des outils pour notre équipe media afin de réaliser des vues extérieures des navires et de nos actions. Les plans obtenus grâce aux drones, auparavant uniquement possibles grâce aux

hélicoptères, permettent d’enrichir les vidéos et les photos utilisées sur notre site internet et sur les réseaux sociaux. Les drones sont également des engins stratégiques, le point de vue externe qu’ils apportent sur une situation est très intéressant et aide à mieux se rendre compte de ce qu’il se passe concrètement. Les perspectives aériennes qu’ils nous procurent nous permettent également de mieux voir ce qu’il se déroule à bord des navires de pêche et, par exemple, d’identifier la présence d’espèces protégées ou pêchées illégalement. Si nous suspectons qu’un navire est entrain de pêcher, nous pouvons utiliser un drone pour aller vérifier, sans devoir s’approcher du navire. Ils nous permettent aussi d’identifier un navire, en maintenant suffisamment de distance pour que celui-ci ne puisse pas nous identifier en retour. Pour finir, les informations que nous collectons grâce aux UVA nous permettent de mieux comprendre les modes opératoires des pêcheurs illégaux et, par conséquent, d’être plus efficaces. Cependant, il ne faut pas oublier que, faire décoller ou atterrir des drones sur un bateau


photos : Sea Shepherd

représente des challenges techniques importants ! Les drones disponibles sur le marché ne sont pas toujours compatibles et, les modèles semimilitaires, qui nous seraient très utiles, coûtent très cher ! À quels endroits du monde Sea Shepherd utilise-t-il ces engins volants ? Ce peut être tout près ! L’année dernière, en France, lors de l’opération Dolphin Bycatch, plusieurs images prises à l’aide de drones ont fait le tour du monde et ont permis d’exposer ce qu’il se passe dans le Golfe de Gascogne. La première était celle d’un dauphin mort gisant sur le pont d’un chalutier français. C’était la parfaite illustration du problème des prises « accidentelles » de dauphins. Ces images ont été reprises dans beaucoup de médias à travers le monde. Elles ont permis d’attirer l’attention sur la France et de mettre la pression sur le gouvernement. Durant cette campagne, nous avons également pu filmer la remontée de filet d’un chalutier géant (super trawler). Il n’y a pas ou très peu d’images de ces navires usines qui sont capables de remonter des tonnes de poissons à chaque coup de filet. Le point de vue aérien permet de bien se rendre compte des tailles du

bateau et du filet ainsi que de la quantité de poissons attrapés dans celui-ci. Nous avons également eu recours à cette technologie lors de la campagne au Mexique pour sauver le Vaquita. Lors de cette campagne, nous avons utilisé des drones munis de caméras thermiques pour pouvoir voir ce qu’il se passait de nuit car c’est à ce moment-là qu’a lieu la majorité de l'activité illégale. Lorsqu’une cible est repérée sur le radar du navire nous pouvons confirmer, grâce au drone, que ce bateau est bien en train de pêcher, voir même d’identifier les espèces de poissons qu’il remonte. Ces images capturées ont bien entendu fait le tour du monde et ont servi à exposer la réalité et la gravité de la situation au Mexique. Depuis, les pêcheurs ont compris que les drones représentaient une menace pour leurs activités lucratives ainsi, ils ont commencé à s’équiper de fusils pour les détruire… Plusieurs de nos drones ont été abattus en vol. Ce sont, à chaque perte, 16 000 dollars qui tombent à l’eau… Durant cette campagne au Mexique, sur une période de 4-5 mois, ce ne sont pas moins de 593 bateaux qui ont été survolés, ce qui représente 63 heures de vol et 1 243 km ! < Opération Dolphin Bycatch 2 - 2019 Chalutier allemand de 86 mètres de long. Ce bateau possède une pompe qui aspire des milliers de poissons et qui les envoie directement dans les cales. Il représente la pêche industrielle qui alimente les supermarchés en poissons à bas prix, en surimis ou en farines destinées aux animaux d'élevage. (photos : Annie Hillina) / Operation Dolphin Bycatch 2 - 2019 German trawler of 86 metres long. This boat has a pump that sucks up thousands of fish and sends them directly into the holds. It represents industrial fishing wich supplies supermarkets with cheap fish, surimi or flour for farm animals. (photos: Annie Hillina)

Prise « accidentelle » de dauphin par un chalutier français, dans le Golfe de Gascogne en 2019. / "Incidental" catch of a dolphin by a French trawler in the Bay of Biscay in 2019.

Drones, la résilience venue du ciel ?

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photo : Sea Shepherd

You're acting within the Sea Shepherd NGO... both at the helm of the ships and at the controls of drones? Yes, I discovered Sea Shepherd in 2010, in Australia and since my first mission in 2012-2013, I have participated in thirteen Sea Shepherd campaigns, ten of them as captain. From Antarctica to Norway, through West Africa, the Mediterranean, Mexico and the North Sea. I trained as a drone pilot on our ships and, in general, I combine the two roles of captain and drone pilot. I love the excitement of flying a drone and being able to capture the image that I know will make a difference. In what situations do you use drones? UAVs are becoming more and more powerful and offer increasingly more possibilities. During our campaigns, they are used in different situations. First of all, they are tools for our media team to realise external views of the ships and our actions. The shots obtained thanks to UAVs, which were previously only possible with helicopters, allow us to enrich the videos and photos that are used on our website and social networks. Moreover, UAVs are also strategic devices, the external point of view that they bring to a situation is very interesting and helps to understand better what is happening concretely. The aerial perspectives they provide also allow us to see better what is happening on board fishing vessels and, for example, to identify the presence of protected or illegally fished species. If we suspect that a vessel is fishing, we can use a drone to go and check, without having to approach the boat. They also allow us to identify a vessel, keeping enough distance so that the ship cannot identify us in return. Finally, the information we collect through UAVs will enable us to understand better the motives of operation of the illegal fishermen and, therefore, to be more effective.

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"The aerial perspectives drones provide allow us to see better what is happening on board fishing vessels and for example, to identify the presence of protected or illegally fished species"

However, we must not forget that taking off or landing UAVs on a boat represents major technical challenges! The UAVs available on the market are not always compatible and the semi-military models, which would be very useful to us, are very expensive. Where in the world does Sea Shepherd use these flying machines? It can be nearby! Last year, in France, during Operation Dolphin Bycatch, several images taken with drones have been around the world to show what is happening in the Bay of Biscay. The first was of a dead dolphin lying on the deck of a French trawler. It was the perfect illustration of the problem of "incidental" dolphin catches. These images have been picked up in many media around the world. They helped to draw attention to France and put

Operation Mamacocha 2018. Campaign to combat illegal, unreported and unregulated fishing in the tropical eastern Pacific corridor (Costa Rica, Peru, Colombia, Ecuador, Panama and Galapagos). / Opération Mamacocha 2018. Campagne de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée dans le couloir du Pacifique oriental tropical (Costa Rica, Pérou, Colombie, Equateur, Panama et Galapagos).


Operation Toxic Gulf in 2014, in cooperation with Ocean Alliance, to study the effects of BP's use of dispersants on marine life, especially sperm whales (after oil discharges in the Gulf of Mexico). / Opération Toxic Gulf en 2014 en coopération avec Ocean Alliance pour étudier les effets de l'utilisation de dispersants par BP (après les rejets d'hydrocarbures dans le Golfe du Mexique) sur la vie marine et notamment les cachalots.

We also used drones during the campaign in Mexico to save the Vaquita. In that campaign, we used drones with thermal imaging cameras so that we could see what was going on at night because that is when most of the illegal activity takes place. When a target is spotted on the ship's radar, we can confirm, thanks to the drone, that

Operation Mjölnir in 2018. Campaign against the slaughter of whales by the Icelandic whaling fleet. / Opération Mjölnir en 2018. Campagne contre le massacre de rorquals communs par la flotte baleinière islandaise.

photo : Sea Shepherd

this boat is indeed fishing, and even identify the species of fish it is hauling. These images captured have, of course, travelled around the world and have been used to expose the reality and seriousness of the situation in Mexico. Since then, fishermen have realised that drones were a threat to their lucrative activities, so they began to equip themselves with guns to shoot them down. Several of our drones were shot down in flight, and for every loss, $16,000 falls into the water. During this campaign in Mexico in 2016-2017, over a period of 4-5 months, no less than 593 boats were flown over, which represents 63 hours of flight time and 1,243 km! <

Operation SISO 2019. Campaign to combat illegal, unreported and unregulated fishing in Mediterranean regions (Italy et Aeolian islands). / Opération SISO 2019. Campagne de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée en Méditérranée (Italie et Iles Eoliennes).

photo : Sea Shepherd

pressure on the government. During this campaign, we were also able to film the hauling of a giant trawler. There are no or very few images of these factory ships, which are capable of hauling tons of fish with each haul. The aerial view gives a good idea of the size of the boat and the net and the amount of fish caught in it.

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SUSTAINABILITY #10


ENTRETIEN AVEC

Fabrice Monteiro

La photographie est le medium qu’a choisi Fabrice Monteiro pour sensibiliser la population sénégalaise aux fléaux écologiques qui menacent son environnement. Résidant à Dakar, il se lance dans un projet visant à attirer l’attention des jeunes sur l’accumulation des déchets dans la capitale. Dans un syncrétisme culturel, il conçoit une série de photographies qu’il nomme « La prophétie ». La présence d’un génie capable d’influencer spirituellement le genre humain, cette créature surnaturelle appelée djinn, rend chaque cliché unique, puissant et interpellant. Désirant partager ce conte à travers le monde, Fabrice Monteiro s’est rendu sur d’autres continents et, en juin dernier, nous a révélé la présence d’une quatorzième allégorie, au Texas. The photography is the medium that Fabrice Monteiro has chosen to raise awareness among the Senegalese population of the ecological scourges that threaten its environment. Residing in Dakar, he launches a project to draw young people's attention to the accumulation of waste in the capital. In a cultural syncretism, he conceives a series of photographs that he names: "The Prophecy". The presence of a genie capable of spiritually influencing the human race, a supernatural creature called a jinn, makes each photograph unique, powerful and challenging. Wishing to share this tale throughout the world, Fabrice Monteiro travelled to other continents and, last June, revealed the presence of the fourteenth allegory in Texas.

La mise en garde des génies

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Photo : Fabrice Monteiro

Prophétie n°5 - Allégorie des gaz et des fumées toxiques (Sénégal) / Prophecy #5 - Allegory of toxic gases and smokes (Senegal)

Religion animiste, djinns, héritage des masques, tradition européenne des portraits, postures de mode… le syncrétisme culturel transparait beaucoup dans votre travail… Je suis métisse et j’ai grandi à cheval entre deux cultures, belge et béninoise. Si mon art est l’expression de mon être, je pense que nécessairement mon métissage a une grande incidence sur mon travail. Quelle que soit la question que j’aborde, qu’il s’agisse d’esclavage ou d’environnement, ma volonté est de bâtir des ponts. Quand je traite de l’esclavage, j’évite l’approche manichéenne, blanc versus noir, mais je dis plutôt : voilà ce qu’un être humain est capable de faire au nom du profit. De même avec « La prophétie », je veux tenter de construire des ponts entre cultures, entre continents. Il y a cinq siècles de cela, l’Occident a choisi de soumettre les autres peuples, de se servir de tout et partout, du vivant comme du non-vivant pour grandir et s’enrichir. Aujourd’hui, nous arrivons au bout de ce système.

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Comment est né votre projet « La prophétie » ? Quand je suis revenu vivre en Afrique en 2011, au Sénégal, j’ai été abasourdi par la quantité de détritus jetés dans les rues et aux abords des villages. Dans les années 70, tout ça n’existait pas. On ne consommait pas autant de plastique, parce qu’on gardait encore des pratiques traditionnelles. Le continent n’avait pas encore été frappé de plein fouet par la mondialisation. Les nouvelles générations sont nées et ont grandi dans ce chaos environnemental. La présence de détritus fait partie de leur quotidien. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il existe très peu de sensibilisation à l’environnement, que ce soit au niveau scolaire ou de manière générale, il y a peu de chance que les choses évoluent. Je me suis alors demandé : comment est-ce que je pourrais créer des images assez fortes et parlantes pour engager une discussion avec cette nouvelle génération ? J’ai choisi d’utiliser le conte, de raconter une histoire dans laquelle j’ai voulu rassembler art,


Photo : Fabrice Monteiro

Prophétie n°6 - Allégorie des terres stériles (Sénégal) / Prophecy #6 - Allegory of infertile land (Senegal)

culture et environnement. J’ai imaginé mettre en scène des esprits qui viendraient s’adresser aux hommes pour leur apporter un message de mise en garde… c’est ainsi qu’est née « La Prophétie » ! Racontez-nous donc ce conte filé au fil des photographies ... L’idée de ce conte, c’est que Mère Nature se réveille un matin et elle est gravement malade ! Elle est malade parce qu’elle a mis des millions d’années à construire un monde harmonieux où les hommes pourraient profiter de ses bienfaits. Mais, aujourd’hui ils détruisent tout à une vitesse et une cadence telles, qu’elle ne parvient plus à rétablir l’équilibre. Mère Nature décide donc de rassembler ses esprits et leur dit ceci : « La situation est si grave, je veux que vous alliez sur place, que vous apparaissiez aux hommes et que vous leur délivriez un message de responsabilisation, ou sinon, ils ne pourront pas survivre à leurs erreurs ! ». C’est comme ça que ces esprits vont, à travers toute la

« Les nouvelles générations sont nées et ont grandi dans ce chaos environnemental » planète, apparaître sur des lieux touchés par un fléau environnemental spécifique. Une prophétie vous parle-t-elle plus qu’une autre ? La première prophétie a pour moi été un véritable cri du cœur, c’est l’expression d’un très grand égoïsme de génération. Les générations précédentes et la mienne avons développé un mode de fonctionnement en partant du principe qu’il y aurait toujours des ressources à foison, que tout ce que la planète pouvait offrir était là à notre disposition, et que nous pouvions l’utiliser à notre guise, le transformer en argent.

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Prophétie n°1 - Allégorie du plastique (Sénégal) Prophecy #1 - Allegory of plastic (Senegal)

« Mère Nature décide donc de rassembler ses esprits et leur dit ceci : " La situation est si grave, je veux que vous alliez sur place, que vous apparaissiez aux hommes et que vous leur délivriez un message de responsabilisation ou ils ne pourront survivre à leurs erreurs ! " »

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Photo : Fabrice Monteiro

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Prophétie n°13 - Allégorie du mercure (Chocó, Colombie) / Prophecy #13 - Allegory of mercury (Chocó, Colombia)

Aujourd’hui, nous réalisons que la Terre a ses limites et que finalement, ce sont nos enfants qui vont en subir les conséquences ! Nous en sommes à un tel point que ce sont eux qui sont obligés de se lever et de crier « laissez-nous une planète vivable » ! Cette première prophétie est vraiment l’expression de cet appel. Vos personnages mis en scène sont-ils des esprits, des djinns, des allégories ? Esprit, génie, djinn, allégorie… peu importe. Ce qui est important, c’est que chacun puisse retrouver un peu de lui dans ces histoires racontées et que chacune des images soit liée à la culture, à la mythologie, aux croyances et aux traditions locales. J’essaye de trouver quelque chose qui

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accroche, qui fait référence à ce que le spectateur connait, et qui existe dans son environnement, une façon pour moi de créer un intérêt pour la question. L’idée est partie des djinns car j’ai commencé au Sénégal, mais ma démarche est d’explorer toute la planète et d’aboutir à une prophétie planétaire, car chacune des thématiques abordées concerne l’ensemble de l’humanité. Justement. Ne manque-t-il pas une prophétie sur le continent européen ? Précisément, je prépare actuellement une prophétie en Espagne. Ce qui est devenu intéressant pour moi, c’est qu’en partant de la même approche me documenter sur la mythologie espagnole, sur ce que je pouvais trouver en lien avec la nature


Photo : Fabrice Monteiro

« CES PROPHÉTIES SONT UNE MANIÈRE DE SE RESSAISIR, « Ces prophéties sont une manière de se DE REPENSER CE MODE VIE ressaisir, de repenser ce mode deDE vie qui nous a été imposé comme la seule façon d’exister » QUI NOUS A ÉTÉ IMPOSÉ COMME LA SEULE FAÇON D'EXISTER »

et sa préservation dans la culture et les traditions locales - c’est très compliqué ! Alors que dans bien des cultures, chaque histoire que j’ai lue fait référence d’une manière ou d’une autre au fait d’être raisonnable envers la nature, en Espagne, je n’ai pas encore trouvé quelque chose à laquelle me raccrocher pour créer une prophétie ! Ce qui m’amène à penser que l’Occident s’est peu à peu détourné de cette évidence. Il faudrait réapprendre cela. Ces prophéties sont une manière de se ressaisir, de repenser ce mode de vie qui nous a été imposé comme la seule façon d’exister. Cette idée selon laquelle, pour être heureux, il faut consommer et consommer encore, sans lien avec la terre. Aujourd’hui on se trouve face au mur, mais on peut réapprendre de certaines cultures qui ont réussi à conserver le lien sacré.

pour alimenter l’une des centrales à charbon les plus polluantes de l’hémisphère. En échangeant avec différents activistes et communautés, j’ai pu comprendre que les populations autochtones ont été dépossédées de leurs terres, de leurs traditions, de leurs savoirs, car ils ne connaissaient pas la propriété privée. Il y a eu une confrontation entre deux mondes, qui est assez frappante et triste finalement. C’est quelque chose qui m’a donné le sentiment que ce travail était essentiel. Aujourd’hui, le principal client de ce charbon, l’État Mexicain s’est désisté. Il n’est plus client de la mine et c’est arrivé une semaine après la diffusion de la prophétie. Sans doute un hasard de calendrier mais ce qui est important est de mettre en avant que les choses avancent, elles avancent à petits pas, mais elles avancent !

Quel est le message de votre dernière prophétie en date, photographiée au Texas ? C’est suite à une émission radio que m’est venue l’idée de cette prophétie. Une émission qui parlait d’une marche des premières nations américaines à Eagle Pass contre la mine de Dos Republicas, installée sur des terres ancestrales et des lieux funéraires des natifs américains. D’entendre ce lien, entre environnement et première nation, je me suis dit que ça serait un sujet parfait pour « La prophétie ». Cette extraction au Texas n’a aucun sens ! Ces gens détruisent des terres ancestrales, polluent l’eau, anéantissent la vie sauvage pour récolter un charbon de très mauvaise qualité. Ils sont même obligés d’y ajouter des adjuvants pour pouvoir le brûler. Ce charbon est ensuite transporté dans des kilomètres de wagons à ciel ouvert qui traversent villes, écoles, jardins publics… avec cette poussière de charbon qui s’infiltre partout. Ces trains traversent la frontière vers le Mexique

Voyez-vous l’art comme un déclencheur ? Oui. L’art a son importance car il s’adresse au cœur des gens. Mais si nous souhaitons réellement nous réinventer, il nous faut mettre la question écologique au centre de nos préoccupations. Que l’on soit scientifique, banquier, journaliste ou artiste, peu importe la discipline, c’est en apportant chacun notre pierre à l’édifice qu’on arrivera vraiment à une prise de conscience capable de changer les choses. On est aujourd’hui au cœur de la 6ème extinction massive qu’aura connu la planète et, pour la première fois, nous, les Hommes, en sommes les uniques responsables. Pourtant, nous ne questionnons toujours pas le soi-disant progrès. Nous vivons une espèce de schizophrénie mondialisée et finalement, la seule façon de changer les choses efficacement est que ça provienne d’un mouvement global. Nous faisons face à un défi unique car c’est tout un paradigme qu’il faut changer : il faut réapprendre la solidarité absolue. <

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Photo : Fabrice Monteiro

Prophétie n°14 - Allégorie du charbon (Texas, USA) / Prophecy #14 - Allegory of coal (Texas, USA)

Animist religion, jinns, the heritage of masks, European tradition of portraits, fashion postures ... the cultural syncretism shows a lot in your work ... I am mixed race and I grew up straddling two cultures, Belgian and Beninese. If my art is the expression of my being, I think that necessarily this interbreeding has a high impact on my work. Whatever issue I tackle, whether it is slavery or the environment, my desire is to build bridges. When I deal with slavery, I am avoiding the Manichean approach, white versus black, but I am saying instead: this is what a human being is capable of doing in the name of profit. Same for “The Prophecy”, the idea is to try to build bridges between cultures and continents. Five centuries ago, the West, chose to subjugate other peoples, to use everything and everywhere, the living and the non-living, to grow and to enrich itself. Today, we have reached a stage where this system no longer works.

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What gave birth to “The Prophecy” project? When I came back to live in Africa in 2011, in Senegal, I was stunned by the amount of rubbish thrown in the streets and around the villages. In the 1970s, none of this existed. We weren't consuming as much plastic because we were still keeping traditional practices. The continent had not yet been hit hard by globalisation. New generations were born and raised in this environmental chaos. The presence of rubbish is part of their daily life. If we add to this the fact that there is hardly any environmental awareness, either at school or in general, there is little chance of change.

"New generations were born and raised in this environmental chaos"


"I have chosen to use the tale, to tell a story in which I wanted to bring together art, culture and environment"

So, I asked myself, how can I create images that are strong and meaningful enough to engage this new generation in a discussion? I have chosen to use the tale, to tell a story in which I wanted to bring together art, culture and environment. I imagined staging spirits who would come to speak to humans to bring them a message of warning... that is how “The Prophecy� was born! So tell us about this tale spun through the photographs... The idea of this tale is that Mother Nature wakes up one morning and is severely sick! She is sick because she took millions of years to build a harmonious world where humans

could enjoy its benefits, but today they are destroying everything at such a speed and pace that she cannot manage to restore the balance. Mother Nature decides to gather her spirits and tells them that: "The situation is so serious, I want you to go there, I want you to appear to men and give them a message of responsibility, or they will not be able to survive their mistakes!" That is how these spirits are going to appear all over the planet in places affected by a specific environmental scourge. Does one prophecy speak to you more than another? The first prophecy was for me a real

cry from the heart, it is the expression of a very great selfishness of generation. Previous generations and our own developed a way of operating on the assumption that there would always be plenty of resources, that everything that our planet can offer is there at our disposal, and that we could use them as we wished, turn them into money. Today, we realise that the planet has its limits and that, in the end, it is our children who will suffer the consequences! We are at such a point that they are the ones who are forced to stand up and shout "leave us a liveable planet". This first prophecy is really the expression of this call.

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Are your staged characters spirits, jinns, allegories? Spirit, genie, jinn, allegory... whatever. What is important is that everyone can find a little bit of himself in these stories and that each of the images is linked to the local cultures, mythology, beliefs and traditions. I try to find something catchy, that refers to what the spectator knows, and that exists in their environment, a way for me to create an interest in the issue. The idea started with the jinns because I began in Senegal, but my approach is to explore the whole planet and end up with a planetary prophecy, each of the themes concerns the whole of humanity. As it happens, isn't there a prophecy missing on the European continent? Precisely, I am preparing a prophecy in Spain. What has become interesting for me is that starting with the same approach: read up on Spanish mythology, about what I could find related to nature and its preservation in culture and local traditions, it is very complicated. Whereas, in many cultures, every story I have read refers in one way or another to being reasonable towards nature, in Spain I still haven’t find something I can hold on to create a prophecy. Which leads me to think that the West has gradually turned away from this evidence. We would have to relearn that. These prophecies are a way of pulling ourselves together, of rethinking this way of life that has been imposed on us as the unique way of living. This idea that, to be happy, we must consume and consume again, without any connection to the earth. Today, we are facing the wall, but we may relearn from certain cultures that have managed to preserve the sacred bond. What is the message of your latest prophecy, photographed in Texas? It was as a result of a radio broadcast that I got the idea of this prophecy. It was about a march by the First American Nations in Eagle Pass against the Dos Republicas mine, which is located on ancestral lands and burial sites of the Native Americans. To hear this connection, between the environment and the first nation, I thought it would be a perfect subject for “The Prophecy�. This extraction in Texas makes no sense. These people are destroying ancestral lands, polluting the water, wiping out wildlife to collect inferior quality coal. They even had to add additives to it to be able to burn it. This coal is then transported in kilometres of open-pit wagons which pass through towns, schools, public gardens... with

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this coal dust coming everywhere. These trains cross the border towards Mexico to power one of the most polluting plants of coal in the hemisphere. In talking with various communities and activists, I was able to understand that these indigenous peoples have been dispossessed of their land, their traditions, their knowledge, and this mine goes totally against their sense of respect for their environment. There was a confrontation between two worlds, which is quite striking and sad in the end. This is something that made me feel that this work was essential. Today, the main client of the coal, the Mexican State, has withdrawn. It is no longer a customer of the mine, and this happened a week after the prophecy was released. No doubt a coincidence of timing, but what is important is to highlight that things are moving forward, they are moving slowly, but they are moving forward. Do you see art as a trigger? Yes. Art has its importance because it speaks to people's hearts. But, if we want to truly reinvent ourselves, we need to put the ecological issue at the centre of our concerns. Whether you are a scientist, a banker, a journalist or an artist, whatever the discipline, it is by each of us doing our part that you will really become aware of the issue and eventually make a difference. Today, we are at the heart of the 6th mass extinction on the planet and, for the first time, we, humans, are solely responsible for it. Yet, we still do not question this supposed progress. We are living a kind of global schizophrenia, and in the end, the only way to change efficiently is if it comes from a global movement. We are facing a unique challenge because it is a whole paradigm that needs to be changed: we need to relearn absolute solidarity. <

"We are facing a unique challenge because it is a whole paradigm that needs to be changed: we need to relearn absolute solidarity"


Photo : Fabrice Monteiro

Né en 1972 à Namur, en Belgique, Fabrice Monteiro grandit au Bénin, pays d’origine de son père. À 22 ans, il débute une carrière de mannequin international. Aujourd’hui, il vit et travaille à Dakar en tant que photographe. Cet artiste belgo-béninois entend réaliser des projets artistiques lui permettant d’exprimer ses idées et préoccupations, tels que l’esclavage ou la protection de l’environnement. Sa photographie se traduit par un mélange de genres, entre photo-reportage, portrait et image de mode. Ses œuvres ont notamment été exposées au Meg à Genève (2018), à la Mariane Ibrahim Gallery à Seattle (2016) et au Musée de la photographie à St-Louis au Sénégal (2018).

FA B R I C E M O N T EI RO

Prophétie n°10 - Allégorie de la disparition du corail (Australie) / Prophecy #10 - Allegory of the coral disappearance (Australia)

Born in 1972 in Namur, Belgium, Fabrice Monteiro grew up in Benin, his father's country of origin. At the age of 22, he began a career as an international model. Today, he lives and works in Dakar as a photographer. This Belgian-Beninese artist intends to carry out artistic projects allowing him to express his ideas and concerns, such as slavery or environmental protection. His photography results in a mix of genres, between photo-reportage, portrait and fashion image. His work has been exhibited at Meg in Geneva (2018), the Mariane Ibrahim Gallery in Seattle (2016) and the Museum of Photography in St-Louis, Senegal (2018).

La mise en garde des génies

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ACTUALITÉS MEMBRES

LE RÉSEAU

EN BREF

LES MEMBRES DU RÉSEAU INVESTIS PENDANT LA CRISE SANITAIRE...

Photo : ©ATP asbl

La confection de masques, une nouvelle activité pour les Ateliers Thérapeutiques Protégés Dès le mois de mars, l’asbl ATP, membre associé du réseau IMS Luxembourg, a rebondi. Malgré le confinement, patients et équipes ont ainsi pu se rendre utiles, délaissant la fabrication de vêtements et la retoucherie au profit de la confection de masques en tissu 100% bio. Depuis, un partenariat s’est noué entre l’association et le collectif Lux Artists United afin de produire des masques sérigraphiés en édition limitée sur lequel pourront être retrouvés des œuvres de 13 artistes bénévoles luxembourgeois comme Sumo, Sabino Parente, Amarylis Hibon... Les fonds collectés permettront le financement de campagnes de sensibilisation autour de la maladie mentale, l’intégration des personnes malades ainsi que la formation des encadrants. Depuis le début de cette aventure, 345 masques ont été produits par les ateliers d’impression sur textile du Eilenger KonschtWierk et de couture du Kielener Atelier. The making of masks, a new activity for the Ateliers Thérapeutiques Protégés From March onwards, the ATP asbl has bounced back. Despite the confinement, patients and teams were able to make themselves useful, forsaking the making of clothes and retouching in favour of the production of masks in 100% organic fabric. Since then, a partnership has been established between the association and the Lux Artists United collective to produce screen-printed masks in limited edition on which works of 13 Luxembourg volunteer artists such as Sumo, Sabino Parente, Amarylis Hibon... can be found. The funds raised will be used to finance awareness campaigns about mental illness, the integration of sick people and the training of supervisors. Since the beginning of this adventure, 345 masks have been produced by the Eilenger Konscht-Wierk textile printing workshop and the Kielener Atelier sewing workshop.

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Un rôle majeur dans l’acheminement de matériel médical L’investissement de Cargolux a été notable au démarrage de cette crise sanitaire, permettant au gouvernement d’acheminer en un temps record les tentes militaires appartenant à l’OTAN stockées en Italie ainsi que du matériel médical de Chine. La réactivité du transporteur a ainsi pu permettre le déploiement des centres de soin exceptionnellement mis en place en prévision du pic de l’épidémie de la Covid-19. A major role in the delivery of medical equipment Cargolux's investment was notable at the start of this health crisis, enabling the government to bring in record time the NATO military tents stored in Italy as well as medical equipment from China. The reactivity of the transporter thus enabled the deployment of the treatment centers exceptionally set up in anticipation of the peak of the Covid-19 epidemic. Photo : ©Cargolux

Contre la multiplication de déchets sauvages liés à la crise sanitaire Masques, gants... voici les nouveaux articles qui sont aujourd’hui retrouvés en masse dans la nature par les bénévoles de l’asbl Pickitup. Pour lutter contre ces incivilités, l’association a lancé en mai dernier une campagne, reprenant les codes graphiques de la communication du gouvernement sur les gestes barrières, incitant chacun à être responsable en jetant #AndDreckskëscht (à la poubelle) ses propres protections. Against the multiplication of wild waste linked to the health crisis Masks, gloves... these are the new articles that are now found in Visuel : ©Pickitup large numbers in nature by the volunteers of Pickitup asbl. To fight against these incivilities, the association launched a campaign last May, using the graphic codes of the government communication on barrier gestures, encouraging everyone to be responsible by throwing its own protections #AndDreckskëscht (in the trash).

Le réseau en bref

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...ET TOUJOURS ENGAGÉS DANS L'INNOVATION SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE

Un package salarial vers plus d’écomobilité Le leasing d’une voiture est un des avantages souvent proposé lors du recrutement d’un nouveau salarié. Prenant en compte les problématiques de mobilité du pays et les préoccupations grandissantes liées à l’impact écologique des déplacements, ALD Automotive développe une nouvelle offre de leasing. Elle propose désormais des vélos de tous types, électriques ou non, et trottinettes électriques aux employeurs désireux de verdir leurs pratiques RH. A salary package towards more ecomobility Leasing a car is one of the advantages often offered when hiring a new employee. Taking into account the country's mobility issues and the growing concerns related to the ecological impact of travel, ALD Automotive is developing a new leasing offer. It offers bicycles of all types, electric or not, and electric scooters to employers wishing to green their HR practices.

Un film pour la construction innovante, écologique et durable de la Maison Relais Angelsberg à Fischbach En mars dernier sortait un film pour valoriser la méthode de construction de cette Maison relais qui dénote dans le paysage grand-ducal. En plus d’une architecture moderne et originale, le bâtiment est construit à partir de matériaux locaux et naturels (bois, paille, argile). Les concepteurs y ont cumulé différentes méthodes : incinérateur à bois, panneaux solaires, collecteurs géothermiques, système d’activation géothermique du béton, capteurs pour régler les stores... de sorte que le bâtiment respecte les normes appliquées aux maisons passives et soit neutre en carbone. Fruit d’un partenariat étroit entre le cabinet d’architectes Coeba, le bureau d’étude Shroeder & Associés et le bureau d’ingénieurs-conseil Betic, les concepteurs espèrent donner l’envie de répliquer le projet au travers de cette courte vidéo. A film for the innovative, ecological and sustainable construction of the Maison Relais Angelsberg in Fischbach Last March, a film was released to highlight the construction method of this "Maison relais", which stands out in the Grand-Ducal landscape. In addition to a modern and original architecture, the building is constructed from local and natural materials (wood, straw, clay). The designers have combined different methods: wood incinerator, solar panels, geothermal collectors, geothermal concrete activation system, sensors to adjust the blinds... so that the building meets the standards applied to passive houses and is carbon neutral. The result of a close partnership between the Coeba architectural firm, the Shroeder & Associates design office and the Betic engineering consultancy, the designers hope to give the desire to replicate the project through this short video.

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Création d’un service d’achat groupé d’électricité verte C’est une première au Luxembourg : INOWAI propose à ses clients de réaliser des achats groupés d’électricité verte certifiée européenne et renouvelable. Déjà 15 immeubles bénéficieront de ce service entre 2021 et 2023. Il permettra aux 6 propriétaires comme à leurs locataires de consommer une électricité responsable, mais également de bénéficier de tarifs négociés et bloqués. Cette offre de service pourrait dans un avenir proche être étendue à la fourniture de gaz pour les chaufferies. Creation of a green electricity group purchasing service A first in Luxembourg: INOWAI offers its customers a new possibility: the group purchase od certified European green electricity and renewable energy in groups. Already 15 buildings will benefit from this service between 2021 and 2023. It will allow the six owners as well as their tenants to consume responsible electricity but also to benefit from negotiated and blocked tariffs. This service offer could be extended soon to the supply of gas for boiler rooms.

Égalité de congés à l’arrivée d’un enfant C’est un pas en avant pour l’égalité entre les hommes et les femmes en entreprise. En juin dernier, Fidelity annonçait offrir 20 semaines de congés pour les nouveaux pères, durée équivalente au congé maternité prévu par la loi. La mesure entrera en vigueur pour toute naissance enregistrée à compter du 1er septembre 2020 et concernera également les adoptions. Equal leave of absence upon arrival of a child It is a step forward for equality between men and women in the workplace. Last June, Fidelity announced that it was offering 20 weeks of leave for new fathers, equivalent to the statutory maternity leave. The measure will come into effect for all births registered on or after September 1, 2020, and will also apply to adoptions.

Le réseau en bref

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L’hydrogène au centre de la recherche et de l’innovation : les projets se multiplient en faveur du développement de la filière La recherche dans ce domaine se concentre sur l'amélioration des technologies permettant de rendre le fractionnement de l'eau plus facile et plus abordable. Ce fractionnement, qui consiste à dissocier les atomes d’hydrogène et d’oxygène de la molécule d’eau, est une des pistes envisagées pour produire de l'hydrogène. Dans cette perspective, le LIST et 3D-Oxides ont annoncé en juin dernier la mise en place d’un laboratoire commun. Un programme de recherche centré sur le développement de nouveaux matériaux pour la filière hydrogène nécessaires à la création de piles à combustibles à faible teneur en catalyseurs, au développement d’électrolyseurs de nouvelles générations ou de systèmes à photolyse hyper performants sera mené. Parallèlement, un projet pilote a été lancé à l’échelle de la Grande Région. Encevo par le biais de sa filiale Creos Deutschland GmbH est un des partenaires de cette aventure. L’idée du projet Mosel Saar Hydrogen Conversion est de réaffecter le réseau de gaz naturel dans l’acheminement d’hydrogène afin d’accélérer le développement du marché interrégional de l’hydrogène. Le secteur des transports sera prioritaire dans ce développement afin d’améliorer la qualité de l’air dans la région Saar-Lor-Lux. Les décisions quant aux investissements à réaliser sont espérées pour 2022. Le Groupe Bollig, dans la logique de décarbonisation de ses activités, pense aussi à l’hydrogène dans sa stratégie à long terme. Aussi, outre l’électrification de sa flotte décidée en 2016 et la pose de panneaux photovoltaïques sur ses bâtiments, la nouvelle infrastructure basée à Diekirch prévoit une station à hydrogène. Des espaces dédiés sont prévus, et l’investissement sera déclenché lorsque les prix de cette technologie encore onéreuse seront plus bas. Hydrogen at the center of research and innovation: multiple projects for the development of this sector Research in this area focuses on improving technologies to make water fractionation easier and more affordable. Fractionation, which consists of dissociating the hydrogen and oxygen atoms from the water molecule, is one of the avenues considered for the production of hydrogen. In this perspective, the LIST and 3D-Oxides announced last June the establishment of a joint laboratory to conduct a research program. Together they will focus on the development of new materials for the hydrogen chain necessary for the creation of fuel cells with low catalyst content, the development of new generation electrolyzers or high-performance photolysis systems. At the same time, a pilot project has been launched on the scale of the Greater Region. Encevo, through its subsidiary Creos Deutschland GmbH is one of the partners in this adventure. The idea of the Mosel Saar HYdrogen Conversion project is to reallocate the natural gas network to hydrogen supply to accelerate the development of the inter-regional hydrogen market. The transport sector will be given priority in this development to improve air quality in the Saar-Lor-Lux region. Decisions on the investments are expected by 2022. The Bollig Group, in the logic of decarbonization of its activities, is also thinking about hydrogen in its long-term strategy. In addition to the electrification of its fleet decided in 2016 and the installation of photovoltaic panels on the buildings, the new infrastructure based in Diekirch also includes a hydrogen station. Dedicated spaces are planned, and the investment will be triggered when prices for this still expensive technology are lower.

Vous êtes membre IMS et souhaitez apparaître dans notre prochain numéro ? N'hésitez pas à nous envoyer vos actualités liées à la Responsabilité Sociétale des Entreprises à info@imslux.lu You are a member of IMS and would like to be featured in our next edition? Don't hesitate to send us news about Corporate Social Responsibility measures and events at info@imslux.lu

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Luxembourg CEO Sustainability Club "Zero Single-Use Plastic" Après plus d'un an de travail main dans la main avec les ambassadeurs du projet Zero Single-Use Plastic, le 5 février, IMS a invité les dirigeants d'entreprise à rencontrer notre experte lors d'un petit déjeuner sur les nouvelles politiques d'achats dans les organisations. On February 5th, after more than a year working hand in hand with the Zero Single-Use Plastic project's ambassadors, IMS invited CEOs to meet our expert during a breakfast to learn about new purchasing policies in organisations.

01 01. Nancy Thomas, IMS Luxembourg et les participants 02. Sandra Legrand, CEO d'Alter Domus Luxembourg, accueillait l'évènement

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03. Igor Jelinski, FreeLens 04. Julien Demoulin, Sodexo 05. Sandra Legrand, Alter Domus Luxembourg - Sandrine Grumberg, Via Sourcing - Nancy Thomas, IMS Luxembourg - Carole Dieschbourg, Ministre de l'Environnement, du Climat et du Développement Durable

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06. Carole Dieschbourg, Ministre de l'Environnement, du Climat et du Développement Durable

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Digital Explorer : nouvelles générations, nouveaux métiers ! Après le succès de la première édition Digital Explorer lors du dayCare, cette soirée du 13 février était l'occasion de découvrir les meilleures « Digital Visions » des binômes étudiants-entreprises et d'en apprendre plus sur ce que pensent les jeunes de la transition digitale. After the success of Digital Explorer's first edition on dayCare, this evening on February 13th was the opportunity to discover the best "Digital Visions" from the student-company pairs and to hear what young people think about the digital transition. 01

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06 01. Guy Keckhut animait la soirée aux côtés des élèves et des entreprises participantes 02. Mike Engel, Maison de l'Orientation 03, 08. La vidéo de l'évènement est disponible sur la chaîne YouTube d'IMS Luxembourg 04

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04. Christian Scharff, Président d'IMS échange avec un participant 05. Pit Bichel, Care Luxembourg et Victor Quinet, IMS Luxembourg 06. La House of Start-Up accueillait l'évènement.

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07. Christian Scharff 09. Près d'une centaine de participants étaient présents pour l'occasion 10. Liz Burton, étudiante et Simon Marcilly, ArcelorMittal Luxembourg 11. Claude Tremont, Ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Économie sociale et solidaire Bérengère Beffort, Ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes

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« Rester efficace dans un monde hyperconnecté » IMS Luxembourg a proposé à ses membres les 12 et 13 février, une formation, permettant à chacun d’expérimenter le fonctionnement du cerveau grâce à des mises en situations réalistes et d’améliorer leurs modes de travail pour gagner en efficacité et en sérénité dans leur quotidien. On February 12th and 13th, IMS Luxembourg members were offered a training course allowing them to experiment how the brain works through realistic situations. They also beneficiated from recommendations to adapt their working methods for more efficiency and serenity in their daily life. 01 01. POST a accueilli les formations 02. Mathilde Leré, IMS - Gaëtan de Lavilléon, Cog'X - Cécile Jacquemart, POST - Laura Mullenders, IMS 03. Pasquita Isolani et Diana Cipleu, LSC Engineering Group 03

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04. Annie Riquet, Sodexo et Hoi Yung Luk, Alter Domus 05. La formation était composée d'une partie théorique puis d'exercices pratiques

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06. Les participants se sont écrits une carte postale qu'ils ont reçue un mois plus tard pour les encourager à mettre en place les bonnes pratiques apprises lors de la formation 08. Claudia Colantonio, AXA Luxembourg - Cécile Jacquemart, POST

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Atelier de transfert de compétences Plusieurs fois par an, des associations ou entreprises de l'économie sociale et solidaire solicitent les membres du réseau IMS pour un regard expert sur une problématique donnée. Le 28 février, ATP, Life Project 4 Youth et le Tricentenaire ont pu compter sur quelques bénévoles lors de cet atelier. Several times a year, associations or companies of the social and solidarity economy beneficiate from IMS members' expertise on a specific issue. During this workshop taking place on February 28th, ATP, Life Project 4 Youth and the Tricentenaire could enjoy the insights from a few volunteers.

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03 01. Andreea Munteanu, Payconiq International - Karine Vallière, Jumpbox 02. Marcel Mathieu de la BIL qui accueillait l'atelier 03. Priscilia Talbot, IMS Luxembourg 05

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04. Amélie Jeannesson, IMS Sandrine Bem, ATP asbl 05. ATP asbl, LP4Y et le Tricentenaire ont pu bénéficier des conseils des entreprises membres du réseau

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06. Gilles Galichet, GG Consulting Laura Mullenders, IMS 07. De nombreux volontaires se sont mobilisés 08. Jean-Marie Demeure, Life Project 4 Youth - Agathe Sekroun et Fernand Pettinger, Felten & Associés

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Workshop de préparation au Diversity Day Pour sa 6e édition, la Charte de la Diversité Lëtzebuerg coordonne une fois de plus le Diversity Day. Le 3 mars, lors d'une pause déjeuner très interactive grâce au kit d'action et à l'intelligence collective, les participants ont pu s'inspirer et réfléchir à des actions innovantes pour le jour J. On March 3rd, participants gathered for a very interactive lunch break. Thanks to the action kit and collective intelligence, everyone could get inspired and reflect on innovative actions for the D-Day.

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02 01. Un kit d'action et un poster étaient mis à disposition pour trouver des bonnes pratiques innovantes 02. Près de 60 participants étaient présents 03,07, 09, 10. En groupe, tout le monde a fait appel à l'intelligence collective 04. Laura Giallombardo, Banque de Luxembourg 03

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05. Laure Amoyel, Ministère de la Famille, de l'Intégration et à la Grande Région 06. Corinne Migueres, Fédération des femmes cheffes d'entreprise 08. Caroline Hoffman, Mudam 11. Nancy Thomas, IMS Luxembourg

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Dîner du CEO Club avec Ryadh Sallem Les CEO membres du réseau ont rencontré Ryadh Sallem autour d'un dîner sur le thème de l'Économie Sociale et Solidaire le 14 septembre. Le multiple champion paralympique et dirigeant d'entreprises de l'ESS a livré un discours poignant sur la nécessité de faire évoluer nos systèmes économiques et sociaux. On September 14th, CEO members of the network met Ryadh Sallem for dinner to discuss Social and Solidarity Economy. The multiple Paralympic champion and SSE business leader delivered a poignant speech on the need to change our economic and social systems.

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01. Arnaud Jaquemin, Société Générale Luxembourg - Jean Bernou, Jean Bernou Consulting - Ryadh Sallem et Corinne Cahen, Ministre de la Famille, de l'Intégration et à la Grande Région 02. Ryadh Sallem, multiple champion paralympique et dirigeant d'entreprises de l'Économie Sociale et Solidaire. 09

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03. Corinne Cahen, Ministre de la Famille, de l'Intégration et à la Grande Région 04. Le thème de la soirée, avec la présence exceptionnelle de Ryadh Sallem, était l'ESS en écho au Luxembourg Sustainability Forum qui se tenait le lendemain. 05. Karine Blanc, Décathlon Luxembourg 06. Emmanuel Soulias, PUR Projet 07. Nathalie Mège, TNP 08. Christian Scharff, IMS Luxembourg et Loïc Le Foll, AG2R La Mondiale 09. François Neu, Enerdeal

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10. Xavier Delposen, Coévolution 11. Jean Bernou, Jean Bernou Consulting 12. Patrick van Egmond, LuxMobilty 13. La Table du Belvèdere accueillait le dîner.

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Luxembourg Sustainability Forum 2020 6 heures de live, 10 caméras, 2 studios, des intervenants distants... Pour la première fois, le 15 septembre 2020, l'évènement incontournable de la RSE au Grand-Duché était complétement diffusé en ligne pour partager connaissances et bonnes pratiques sur différents sujets tels que l'économie sociale et solidaire, l'infobésité, le management des nouvelles générations... Entrez dans les coulisses ! 6 hours of live, 10 cameras, 2 studios, remote speakers... For the first time, on September 15th, 2020, Luxembourg unmissable CSR event was entirely broadcasted to share knowledge and best practices on various subjects such as the social and solidarity economy, infobesity, management of new generations. Enter behind the scenes!

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01. Dans le studio du Grand-Théâtre, le décor et les caméras ont pris place pour diffuser les différentes conférences tout au long de la journée. 02. Christian Scharff, Président d'IMS, était le maître de cérémonie pour accueillir les intervenants et les participants derrière leurs écrans. 03

03, 04. Les équipes techniques de FreeLens TV et Apex étaient présentes en régie. 05. Ainsi que toute l'équipe IMS pour s'assurer que chacun puisse assister aux différentes sessions en ligne. 06. Les interprètes ont assuré une traduction simultanée en français, anglais, allemand et luxembourgeois.

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07. Une dizaine de caméras, des micros, des oreillettes, des lumières, des écrans... Tout a été repensé pour maintenir l'évènement annuel et le transformer en une véritable émission digitale.

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11 08. Benjamin Cavalli, Directeur du Programme Malin 09. Emmanuel Soulias, CEO de Pur Projet a livré un keynote speech sur la créativité et l'innovation pour promouvoir des solutions durables qui contribuent au bien commun des entreprises. 10. Marie-Geneviève Loys Carreiras, BNP Paribas Asset Management 12

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11. La table ronde « Le rôle de l'Économie Sociale et Solidaire face aux grands défis » animée par Nancy Thomas, IMS Luxembourg 12, 14. Ryadh Sallem était le Grand Invité du Luxembourg Sustainability Forum 2020. Un discours poignant sur la nécessité de réinventer notre modèle économique et l'importance d'exister en tant que collectif. 13. Benoît Bonello, Groupe Suez

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15. La table ronde « Management de la connaissance : l'humain au coeur de l'info ! » animée par Mathilde Leré, IMS Luxembourg 16. Gaëtan De Lavilléon, Cog'X et Caroline Sauvajol-Rialland, SoComment 17. Olivier Charbonnier, Didask 18. Jean-Yves Lamant, ArcelorMittal et Gilda Cavazza, Chambre de Commerce 19. Le plateau « D'hyperconnectés à technofûtés, faisons le premier pas ! » présenté par Laura Mullenders, IMS Luxembourg avec Marc Jacoby, ArcelorMittal Luxembourg - Thierry Kellens, Caceis - Sébastien Wiertz, Paul Wurth InCub

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20. Andreea Munteanu, Payconiq International et Mireille Sendashonga, Victor Buck Services 16

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22 21. Karine Blanc, Décathlon Luxembourg 22. François Bade, Deloitte Luxembourg 23. Gaëtan De Lavilléon, Cog'X 24. La table ronde « Management des nouvelles générations » animée par Christian Scharff, IMS Luxembourg 25. Mathieu Wendling, Groupe Inov'On

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25 Tous les replays sont disponibles sur la chaîne YouTube d'IMS Luxembourg

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Nous remercions les organisations qui nous ont permis de réaliser cet évènement inédit dont AG2R La Mondiale, la Banque Européenne d'Investissement, BNP Paribas Asset Management, PwC, Société Générale, ArcelorMittal, l'IFSB et Sodexo


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Tout au long de la crise sanitaire, les événements se sont poursuivis en ligne Du jour au lendemain, le télétravail est devenu la norme pour bon nombre d'entreprises au Luxembourg. Nous voulions garder ce lien qui est la force de notre réseau et avons donc proposé nos évènements de façon totalement dématérialisée. Merci à tous les participants et intervenants de nous suivre sur chacun de nos projets, même à distance ! Suddenly, from one day to the next, remote work has become the norm for many companies in Luxembourg. At IMS, we wanted to keep the link which is the strength of our network and therefore offered our events in a dematerialized way. Thank you to all the participants and speakers for following us on each of our projects, even remotely!

IMS Luxembourg a proposé 21 événements en ligne à ses membres : Club Achats Out of the box : les voyages professionnels le 20 mars / Usage unique vs. usage répété dans un contexte de pandémie le 9 avril/ La collaboration à distance le 16 avril / Zero Single-Use Plastic : contenants alimentaires et boissons lr 23 avril / Diversity Network : intersectionnalité, discrimination et Covid-19 le 6 mai / Sustainability Manager Club le 15 mai / Zero Single-Use Plastic : l'eau sans emballage le 19 mai / Corporate Gardens : les murs végétaux le 20 mai / Corporate Gardens : les jardins et les toitures le 28 mai / Club Achats Out of the box : transport et consigne le 29 mai / Vous avez dit transition ? le 9 juin / Assemblée générale 2020 le 18 juin / Sustainability Manager Club le 26 juin / Présentation de la seconde édition Digital Explorer le 30 juin / Coding Matchmaking platform le 1 juillet / Club Achats Out of the box : cadeaux de fin d'année et ESS le 10 juillet / Droits humains : du risque à l'opportunité le 10 septembre / Club Achats Out of the box : vêtements et textiles le 11 septembre / Luxembourg Sustainability Forum 2020 le 15 septembre / Session kickoff pour (Handi)Cap' Emploi le 22 septembre / Sustainability Manager Club : de la stratégie à l'action le 25 setptembre

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AGENDA

Les prochains rendez-vous

13 OCTOBRE 2020 DIVERSITY NETWORK

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28 13 NOVEMBRE 2020 CLUB "ACHATS OUT OF THE BOX" LES PRODUITS D'HYGIÈNE

24 NOVEMBRE 2020 NEW GENERATION : DIGITAL VISION OF WORK

10 DÉCEMBRE 2020 DIVERSITY NETWORK

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6 OCTOBRE 2020 DIVERSITY DAY LËTZEBUERG & SESSION DE SIGNATURE OFFICIELLE DE LA CHARTE DE LA DIVERSITÉ LËTZEBUERG

28 OCTOBRE 2020 DAYCARE & DIGITAL EXPLORER

17 NOVEMBRE 2020 CONFERENCE LGBTI INCLUSION ON THE WORKPLACE

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4 DÉCEMBRE 2020 SUSTAINABILITY MANAGER CLUB REPORTING & COMMUNICATION


28 JANVIER 2021 CONFÉRENCE DE PRÉSENTATION DU PROGRAMME 2021 ET ACCUEIL DES NOUVEAUX MEMBRES

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26 FÉVRIER 2021 ATELIER DE TRANSFERT DE COMPÉTENCES

18 MARS 2021 SUSTAINABILITY MANAGER CLUB ENGLISH SESSION

20 AVRIL 2021 DIVERSITY NETWORK

22 JANVIER 2021 CLUB "ACHATS OUT OF THE BOX"

4 FÉVRIER 2021 SUSTAINABILITY MANAGER CLUB ENGLISH SESSION

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26 MARS 2021

WORKSHOP DE PRÉPARATION AU DIVERSITY DAY LËTZEBUERG

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CLUB "ACHATS OUT OF THE BOX"

Plus d’infos www.imslux.lu et www.chartediversite.lu

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Découvrez la nouvelle publication de la Charte de la Diversité Lëtzebuerg La gestion immédiate de la crise et le retour à la nouvelle normalité

Téléchargez le guide ou rendez-vous sur www.chartediversite.lu


Word of the President Translated from page 7

Care. What does it make you think of? It is a synonym to “taking care, looking after, to tend…”, and implying “concerns, worries”. An NGO by the same name? Come to think of it, we are in a paradoxical situation where we’re spending billions right now on "care". Care to overcome the COVID Pandemic, cure the sick, test, find a vaccine… Care to cure our sick planet, with relative success, too long to come and sometimes with very questionable methods… Care for our diet with a very strong increase of organic food (because we obviously no longer eat natural products...). Care for our employees whose skills, health, and mental state we take care of (and yes, burn outs are not, or no longer, a myth). Care for the millions of unemployed, homeless, migrants. Care for us, trying to balance our private and professional life, having a healthy diet, moving a minimum.

the organic gardens where you can go, the "organic and antibioticfree" meat parcels, the urban greenhouses and gardens on our terraces or on the roofs of buildings. Like a need to get closer and "green" our cities. Initiatives that are still modest... But things are moving with, for example, this new regulation in France to promote "bulk" sales to buy the right quantity, without packaging. Things are moving also with the massive investments of certain funds in the concept of "Urban Farming", organic labels that are increasingly popular but perhaps still not very visible and too numerous. Green Washing is never far away. Between promise and reality, the gap is sometimes wide, and it is becoming more and more dangerous to play with one's "green" image in the age of social media. This is our focus on the next topic.

Care...For all these topics (and many others) we are concerned and try to (take) care of them.

Finally, as an exotic and digital note, we focus on drones in the service of sustainable development. Or how to use technology (which is indeed our ally and not an enemy) to monitor our fields, our harvests, avoid long, often inefficient human trips and deliver more information, faster.

So, are we moving towards a society of care? How do we untangle the empty promises and the reality, the facts?

So, caring? Who would be against it? On the concept, we can all agree, but we still have to execute. And now...?

If you are interested in this topic, this new issue is for you.

And now, every citizens gesture, every managerial and political decision counts. Let there be no mistake, this alignment between politics, business and the individual will be the key to our collective success, so that we can (still) live together for a long time to come in peace on our beautiful planet.

After our focus on this possible caring society, we will look at our plates and the diet of tomorrow. About the failure of hyperstandardisation and the consumer's desire to return to sensible things. Seasonal, local, natural products, not necessarily calibrated. And to see the seasonal "baskets" delivered to your home, the vegetables with their recipes of the week on your doorstep,

Enjoy reading, Act and (take) care. <

Interview

Fabienne Brugère: "Humanity is vulnerable" (...) continues from page 43

Precisely, how can we evolve with the assignment of women to care tasks? How do you see the revaluation of this field possible? Women have been assigned care tasks for a long time and in very different societies, the so-called "primitive" societies studied by anthropologists as those typical of today's financialised capitalism. However, it is essential to note the role played by the political space structuring, which results from both the contract theorists, the French Revolution and industrial capitalism dominated by the ideas of the European bourgeoisie. While women were denied political rights in the name of various forms of dependence (on their husband, on species, on feelings or impulses), they were confined to the domestic space in the name of a strict division of the sexes within public and private space. Women were denied

the right to educate children, help their elderly parents, or the daily care of dependent persons. The confinement that many countries have experienced in 2020, bringing the whole world almost to an economic standstill, is surprising from this sharing, since in many cases, women and men found themselves together at home. Two perspectives can be analysed: the new egalitarian practices of sharing domestic tasks and bringing up children and, more massively, an accentuation of a very traditional sharing of roles between men and women that has sometimes led to real exhaustion among the latter. How do we get women out of what Simone de Beauvoir called destiny? By encouraging women to promote their careers more, by penalising companies that pay women less than men, by making the care professions more

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attractive to men and by no longer accepting any forms of harassment or violence against women. You say "Vulnerability is the common lot of humanity". Are we thus moving away from the idea of an autonomous and efficient individual? Absolutely, definitions of the human being oriented towards vulnerability undermine the unwavering belief in an all-powerful and independent individual such as the theories of the social contract and sovereignty were able to deploy in the 17th and 18th centuries, starting with Hobbes and Locke. The sovereign individual is a fiction. However, refusal to consider all individuals as fundamentally vulnerable is deeply rooted in our various collective narratives. On the one hand, the birth of political liberalism and its reactivations up to John Rawls poses an ideal of autonomy or sovereignty through which any form of dependence or vulnerability is considered a loss of control or rationality, an impossibility to decide precisely, and therefore to participate in public affairs. Richard Sennett recalls how much political liberalism has glorified the perspective of a free subject, forgetting that autonomy cannot be decreed and that it does not concern all the moments of life: "The dignity of dependence has never appeared to liberalism as a valid political project." On the other hand, the development of neo-liberal ideas, analysed by Michel Foucault and many others since then, elaborates the norm of an efficient individual capable of converting all spheres of life to the laws of the market alone. The individual calculation, by which interest is rationalised, becomes omnipresent to the point of glorifying individual responsibility as the sole source of responsibility. With this reasoning, being poor is a matter of individual conduct: the poor are solely responsible for their situation; social assistance is then obsolete and becomes a paying service to the person. How, then, can we deal with an essentially interdependent individual, which is the hallmark of globalisation and its domino effects? The ethics of care are concerned with our present: an interdependent, interconnected world where relationships cannot be limited to selfish interests alone. If only to ensure that humans develop from birth, we cannot live without care, without attention, without support from others and collective structures, without taking into account our environment. As we know, the observation of our vulnerability goes beyond the strict perimeter of inter-individual care. What is the scope of care in your opinion? Even when people in many countries were confined, they found themselves listening to birdsongs, looking at trees or enjoying a garden where spring was doing its work. They realised that they could form relationships with other living things, plants, etc., and that they were able to do so. The relationships between oneself and other living things or the earth are altered as a result. Care is then an attractive model for valuable relationships that are as horizontal as possible against any centralising verticality. Good care consists in inhabiting the world with its subjectivity, its imagination, its affects, being wary of all markers of power. It is a question of appreciating and recognising differences, of composing worlds in the name of a common, always to be

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modified with the newcomers, and what surrounds us. Philippe Descola's work has taught us how much the West has stuck to the idea that human beings live in a world separate from that of non-humans. Today, care participates in resistance to this form of human supremacy and joins ecological concerns starting, on the one hand, from a highlighting of the interdependences and vulnerabilities which puts us all of us in relation to the earth, however, on the other hand, from a deconstruction of various forms of control of humans over the world: of the productive over the carers, of men over women, of humans over non-humans. This resistance took the form of the expression of a "different voice" in Carol Gilligan's research that defines the contours of an ethic of care: "the different voice is a voice of resistance" to dualities and hierarchies. Can we talk about 'planet caregivers'? What are these jobs? Such professions exist and will exist more and more as we become more aware of living in a damaged world, in degraded environments: concrete cities, deforestation, senseless production of plastics, polluting industries, etc. Fighting practices are gestures to protect the planet in the name of respect that we owe to the world we inhabit. The fight against climate change or the loss of biodiversity is becoming a global issue among young people who are demanding accountability in the name of the future. Greta Thunberg is a symbol of the tenacity and seriousness of this generation for whom caring for the earth or concern for the world is not an empty word. These professions of care on behalf of the planet are driven by an ideal and they can exist at all levels from a municipality fighting against environmental incivilities or developing ecological management of green spaces (municipalities without pesticides), to a region developing a truly eco-responsible economic policy, that of a State deploying renewable energy policies, that of a company committing to sustainable production. However, even more so, they have long existed in environmental NGOs, without which none of these struggles or activities would be possible. They are the watchdogs of our times. Beyond the initial perimeter of the care functions in healthcare, isn't there a particular difficulty in defining the scope of the care professions? As soon as we consider the ethics of these professions, we highlight the attention to others that is required, the concern, the preoccupation, or the fact of feeling concerned. This is what I had named from the old word "caring" in 2008 in Le sexe de la solicitude. The practices of care then extend to many elements of ordinary life in the name of a response that is given to our needs, to our forms of life that without we would be in danger: For example, without the garbage collectors, we would be invaded by garbage and prey to the return of old diseases, without the farmer we would no longer be able to feed ourselves, and would die of hunger and without the engineer who transforms our waste, we would no longer have in the long run pleasant living spaces. This type of "taking care" is local: it addresses the environment; it aims at responding to concrete needs and at ensuring that under certain conditions, our lives remain viable. It is, however, also global in its ultimate meaning: the unconditional response to beings in


need. It concerns victims of COVID-19 as much as the people under the rubble of the recent explosion in Beirut or the inhabitants of any country at war or subject to a climate catastrophe. If we look at the care professions related to sustainable development, they seem to escape from a devaluation in society? Is it because we are leaving the strictly domestic sphere? Sustainable development has a noble purpose, that of promising a better future according to the definition given by the Brundtland Commission under the aegis of the United Nations: "Development that meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs." Like care, sustainable development involves needs: for food, shelter, and education. As such, it involves a typical horizon that can be shared by all; a harmonious development of humanity that respects its environment. Moreover, it cannot disconnect from the progress of science: renewable energies do not exist without prior scientific research to make them useful. There is no sustainable development without engineers, technicians and ecological experts. This is an essential point of difference: the expertise and scientificity of sustainable development are praised. Care is only rarely perceived through its expertise and intelligence. It is still referred today to the silence of the domestic sphere and the supposed emotionality of women, to the special relationship they maintain with their bodies. In your book, you see the ethics of care as a way of "imagining our common destiny differently". Is this a real social project, a way of reconnecting with the collective? The ethics of care leads to care policies that are not merely soul supplements stuck as patches on current capitalism or increasingly unfortunate globalisation. It is a question of carrying what I have called a "sensitive democracy". For me, it is defined based on three axes on the premises of political action. First of all, listening:

the mission of those in power is to listen to the expertise of the actors, to recognise the importance of use-value before making a decision, and to propose new laws in this context. Even more, it is necessary to take into account angry voices, and not to stifle them, but to evaluate their relevance in order to broaden what is expected. The second axis is the equality of voices: listening implies practicing the equality of voices. In a democracy, the value is justice and not what determines a social order acquired through statutes and hierarchy. As long as the equality of women and men is not a reality, democracy stricto sensu does not exist. Finally, the third axis is support: vulnerability can only be lived if policies to support the most vulnerable individuals are implemented in a concerted manner within the framework of a State that promotes initiatives of collective work, solidarity, and mutual aid. Is there a real awakening today? There is no doubt that the ethics of care has attracted many people for many years: constituted bodies such as NGOs, associations, numerous collectives fighting in the name of the environment, social justice, feminism or any other causes and companies. It is interesting to note that the countries that have so far been able to best combat COVID-19 are for the most part countries governed by women, with good coordination of state and regional levels, public institutions and cooperating companies. It is more important than ever that those in power be as close as possible to the needs of the governed, listening to them so that their ordinary lives are facilitated and not hindered. However, it is not enough to consider the needs of hospitals or city medicine just as it is irresponsible to arouse fears related to the disease. A policy of care must also be deployed in the face of the ecological emergency, the needs of education (the number of illiterates is still very high in many countries) or against all forms of discrimination and violence. <

The Fall of Hyper-Standardisation Translated from page 53

Green revolution: the race for yields The world’s agriculture experienced dramatic increases in productivity between 1960 and 2010. According to the Food and Agriculture Organization (FAO), rice yields increased by 126% and cultivated areas by 41%. For corn, the figures rose to 174% and 55% respectively. These impressive gains result from the meeting between the motorisation of agriculture and four major technical evolutions: the selection of high-yield varieties, the increased use of irrigation, the extensive use of mineral fertilizers, and the development of phytosanitary products.

Within one generation of farmers, productivity has soared, reaching a ratio of 1 to 100 on some farms. It was this green revolution that gave birth to the industrialised food system we know today. As a result, Eurostat reports that the number of farms in Europe fell by about a quarter between 2005 and 2016. Over the last decade, no fewer than 4.2 million entities were wiped off the maps in the Member States to make space for vast, specialised, highly productive farms. 85% of these entities were small structures of less than 5 hectares running on mixed crop-livestock farming systems.

Far from the abundant aisles of produce from all over the world, far from the vast fields and lines of greenhouses so extensive they are visible from the moon, the reality of yesteryear, when humankind lived from livestock breeding and local agriculture throughout the seasons is sometimes hard to imagine. Sophistication of machinery, recourse to chemical inputs, transformation, industrialisation and mass production, globalisation of exchanges. For better and for worse, changes brought by the 20th century have structurally modified our way of cultivating and consuming, now in XXL.

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Indeed, throughout history, never has so much food been produced, consumed, and unfortunately, thrown away. Already in 2011, the French Academy of Sciences argued that distributed reasonably, the world’s agricultural production would theoretically be able to provide the entire population with an energy intake of 3,000 kilocalories per day. As a corollary to this change of scale, health aspects would guarantee greater product safety and traceability, leading to ever more calibrated food. An inflation of standards and a standardisation which today reveal their many limitations. Mission: Standardisation! In 1961, the FAO established the Codex Alimentarius to initiate the harmonisation of legislation and ensure food safety. Since then, the standards set out in this document have become international legal references in this field, notably by governing the World Trade Organization (WTO). Among the latest rules to date, there is, for example, standard CXC76R-2017 on regional codes of hygienic practice for street foods in Asia or standard CXA 6-2019, which contains the list of Codex specifications applicable to food additives. All these rules relating to transport, hygiene, packaging, display of products, and more, are initially intended to ensure increasingly safe and transparent food supply. However, at present, the picture is divided. Food standardisation is now called into question. It is leading to an astronomical loss of biodiversity as well as to a uniformity of practices, both in terms of production and consumption methods. In the United States, 70% of the potatoes grown are of a single variety imposed by McCain for its French fries. The same is true for 60% of tomatoes, whose standard variety is imposed by Heinz. In 1903, American farmers grew 578 different types of beans. Eighty years later, there were only 32 varieties left. This decline shows in livestock farming, with no less than a third of livestock breeds now threatened with extinction, six of which are disappearing every month. Under the pressure of open markets and increased competitiveness, farmers around

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the world have thus moved away from growing their many primitive and local varieties and towards genetically uniform and yield-optimised ones. As a result, supply is becoming more consistent, consumption patterns more global, cultural legacies and lifestyles are shrinking, and biodiversity is dramatically declining. The FAO reports that within a century, 75% of the genetic diversity of crop plants has been lost. Fake Food The "health" content of our plates, which are so similar, animates public debate daily. Foods are too fatty, too sweet, too energetic, processed with carcinogenic and endocrine-disrupting additives. Are we still moving towards a healthy diet for humankind and the planet? According to Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), the time spent preparing meals in France has fallen by 25% in a quarter of a century. This trend favors the increased commodification of processed food products and marks a growing distance between the individual and nature. This disconnection between the field and the plate leads to a significant loss of culinary knowledge and know-how among new generations. In 2010, the "Food Revolution" documentary produced in the United States, was perplexing when the famous British chef Jamie Oliver asked 6-year-olds to identify vegetables. They were unable to recognise the tomatoes in their favorite ketchup or the potatoes in their French fries. Far from the vegetable garden and the kitchen, we are now reaching the limits of a society that advocates "fake food" and "ready-to-eat". A "McDonaldisation" of our habits Isn't it surprising that every year about 3.6 million Japanese households celebrate Christmas with KFC fried chicken? (*BBC, 2016). In 2018, fast food brought in more than $570 billion globally (or 512 billion euros) (*Franchise Help, 2019). The use of industrialised and standardised foods has thus increased at the expense of fresh products, resulting in more and more intermediaries between producers and consumers. The French National Food Council tells us that 80% of food expenditure is on

processed foods. What is the problem? These products share the particularity of being rich in saturated fatty acids and additives such as preservatives, enhancers, colourings and added sugars. The promotion of this diet represents health risk factors across a range of chronic diseases. Overweight and obesity, but also diabetes, cardiovascular diseases, food intolerances, endocrine disruption, digestive disorders, a list that is much longer than a shopping list with disastrous repercussions on the world's population. In 2017, a study conducted by 130 researchers at the Global Burden Disease warned that one in five deaths was due to poor diet. A report by the Global Panel on Agriculture and Food Systems for Nutrition published in 2016, is not more optimistic and shows that six out the eleven mortality factors in the world are directly related to poor diet. The primary factors are excessive salt consumption, insufficient whole-grain intake and low daily fruit intake. Director of the Nutrition Department of the World Health Organization (WHO) Francesco Branca, refers to these figures as a "red flag", warning that "unless we adopt a diet that is healthy for our health and the environment, we will not get very far". A Nutritious Desert? Nutritional balance is essential for a properly functioning body. The varieties grown today are selected to be harvested in no time with the promise of incredible aesthetics, robustness and shelf life. The only downside: iron, calcium, vitamins and proteins seem to be on the decline. For several years now, many studies have been looking at the issue of nutrient depletion in the food we eat. From Brian Halweil's report stating that one would have to eat a hundred apples today compared to one in the 1950s to get the same amount of vitamin C, to Professor Guéguen's, who more reasonably argues that the carrot has lost 33% of its protein intake, opinions diverge and are the subject of debate. So, what is really hiding behind the controversial phenomenon of the "empty calory"? It does not seem easy to quantify the nutrient depletion of food in a precise and unanimous way. However, several of its causes are mentioned, such as the maturity


of plants and seasonality at harvest time, the average CO2 content of the atmosphere, and preservation and cooking methods. Therefore, the solution is in the hands of consumers: adopt a consumption of diverse, fresh, local and seasonal foods that are healthier for oneself and the planet! Growing Systemic Risks World food production and consumption are now at a pivotal point in their history. Although, they were able to make significant improvements during the 20th century, in the current context and outlook, they contain many systemic economic, social and environmental risks. FAO speaks of an "unbalanced" system with, on the one hand, "the productive potential of our natural resource base having been altered in many parts of the world and jeopardising the prosperity of the planet" and, on the other hand, "hunger that continues to be a reality for 821 million people and one in three people suffering from malnutrition". Ecosystems on Their Knees Over the years, the natural resources, which we underestimate, are increasingly deteriorated. The cause? Conversions in land use patterns, standardised production, overexploitation of soils, the import of invasive alien species, the destruction of natural habitats, but also pollution and climate change. The environmental impacts of the food system are disconcerting. According to the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), agriculture, along with forestry and other land uses, accounts for 24% of greenhouse gas emissions. According to the FAO again, nearly a third of the planet's soils are degraded by intensive agriculture, and 70% of all water withdrawals in the world are attributed to it. (Read more about the environmental impacts of agriculture - and inspiring solutions - on page 60). Faced with the startling observation of the scarcity of resources, experts are unanimous: the food system is a spectator, but above all, an actor, in a catastrophe scenario for humanity. Profession Under Pressure Women and men in agriculture are hard hit by the inconsistencies of the prevailing system. The question of the distribution

of income from agriculture is a subject that often resurfaces in the news, but without path for improvement. This is mainly due to the rise in the prices of raw materials and energy, as well as the low remuneration paid to processors and distributors. Sadly, 80% of undernourished people today are small farmers working in southern countries (Rebulard, 2018). In 2020, paradoxically with rising food prices for consumers, rural poverty is still a reality. The shares paid to farmers are so low that they generally barely cover production costs. Let us recall that today, according to FranceAgriMer, out of 100 euros of food purchases, only 6.5 euros are received by French producers. In industrialised countries, this situation has often pushed desperate farmers into an absurd race for gigantic farms, reminiscent of the heartbreaking scenes in Edouard Bergeon's film "In the Name of the Earth". Crumbling under the weight of debt, many farming families are now forced to give up their farms. The succession of the active and ageing population of the agricultural sector, although essential to continue feeding the world, seems challenging to ensure under such conditions.

for the future of humanity. According to UN forecasts, in a little less than 30 years, close to 10 billion people will have to share the planet's resources. But today, the conditions that allowed our post-industrial food system to prosper can no longer be guaranteed. More importantly, they must be banished because they contribute to the worsening of threats to food security. The agricultural sector thus seems to be caught in a vicious circle of which it is both the executioner and the victim. The complex and interdependent links in the food chain are vulnerable to changes and disruptions. Expanding the current model would entail enormous risks. So, what are the solutions for tomorrow?

The flaws of the Current Economic Model From production and consumption to logistics and processing, food plays a crucial role in the dynamics of the global economy. In Europe, the agri-food industry is the second largest sector in terms of turnover, with more than 300,000 companies, over 90% of which are SMEs. "Small" hitch: the economic model on which this system is based is very vulnerable, as highlighted by the recent COVID-19 health crisis. Indeed, the major difficulties that emerged from it highlighted the complexity and weaknesses of the current paradigm. Heavy dependence on trade and globalised value chains, logistical challenges, precarious labor, indebtedness, considerable lack of diversity in production and outlets... Our food system is in peril.

Diversity: The Key to Food Resilience First and foremost, there is diversity at all levels. On the agricultural side, it is the diversity of production, farming practices, stakeholders and their interactions is paramount. The idea: moving away from intensive monoculture systems that are more vulnerable to shocks. Varietal diversity is also essential. A broader range of seeds planted makes it possible to better adapt to the climate, soil types, fluctuations in external conditions (weather, pests, selling prices) and to each farmer's farming methods and means of cultivation. At the regional level, diversified agricultural sectors are fighting preventively against the risk of epidemics or sectoral crises. At the national level, diversified production makes it possible to stem the severity of shortages, stimulate the economy and strengthen the power of stakeholders. According to the FAO, "the conservation and use of a wide variety of animal and plant species is the key to ensuring the adaptability and resilience of populations to climate change, emerging diseases, pressures on water supplies and volatile market demands”. Also, the exploitation of ecosystem services reduces the need for external inputs and improves the efficiency of output. Diversity, therefore, seems to be the keyword for tomorrow's agriculture.

Pathways to Resilience Given the current challenges, the observation is unequivocal: the world food model needs to be redefined to become more coherent, efficient and sustainable

Along with this need, the construction of sustainable food also requires the involvement of society. Energy suppliers, transport companies, the secondary and tertiary sectors, public authorities, civil

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society and consumers: all are architects of this change of model. The transition from energy resources to the multitude of options offered by renewable energies, changes in consumption habits, diversification of producers: the aim is to decentralise and reduce dependence between the links in the supply chain in order to promote a modular and heterogeneous system based on a holistic approach to food. Building a Society Around Food This includes strengthening the autonomy of the actors in a territory. By this, we mean the power of farmers to dispose locally of the means of production, processing and marketing of their products. As for the territory's inhabitants, it is also about being able to meet their needs close to home. It is on these principles that the concept of "reterritorialisation" or "subsidiarity" of the food system is based. This approach is intended to re-humanise, promote social ties and boost rural development to create

jobs and achieve a more stable economy that is less dependent on international markets. To support this model, the FAO stresses that investment is essential in infrastructure such as transport, telecommunications and storage facilities. Paradoxically, if the need for regionalisation of production and consumption chains is established for greater food resilience, a part of globalisation also has a role to play so that humanity can have robust safety nets for the challenges ahead. For a good reason: climate change is expanding drylands, causing natural disasters and making weather conditions for arable farming more unstable. In view of these prospects, many regions may no longer be able to achieve food self-sufficiency. This is already the case for parts of North Africa and the Middle East. Asia is also increasingly exposed. For these regions, international trade is essential to meet the needs of local populations.

More than the question of globalisation or regionalisation of agriculture, it is production methods and consumption behaviors that need to be reviewed for a change in the food paradigm. Thus, on the road to resilience, humanity faces many challenges. One of the main ones is at the crossroads between the imperative of feeding a growing world population, reducing the ecological footprint and preserving natural resources for future generations. Quite a puzzle! Our industrialised society today seems particularly vulnerable to the occurrence of severe disruptions such as health and financial crises or natural disasters. As a sign of hope, many inspiring solutions already exist towards the great quest for food resilience. If these paths are ignored, how long before the balancing act of the global food system collapses? <

Back to Local (...) continues from page 65

According to him, "brands must become a rallying banner for a vision of the world and a posture, but to do so, they must prove it. People are no longer satisfied with what is on the shelf, they look at the product to find out where it comes from, how it is made and who is behind it". Food Sovereignty The concept of food sovereignty has also been making a lot of headlines lately. For 2020, this rise in popularity can be explained by an increased awareness of the health crisis and the containment. During these particular times, issues related to food dependency have become more prominent, and this is particularly true in Luxembourg. And for good reason, the Grand Duchy is currently very dependent on imports to feed its population. This is particularly the case for leafy vegetables and fruiting vegetables, which are essential for a

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healthy diet. According to Trademap, current imports are close to 97% of the country's needs. With such figures, although borders do not discriminate against local consumption, the country has considerable potential for improvement in order to make its contribution to sustainable food. The Ministry of the Environment, Climate and Sustainable Development estimated that in 2018, the Grand Duchy's CO2 emissions linked to food imports would amount to around 925 tons. A proportionally huge figure for the size of the territory since one ton of CO2Â alone represents the equivalent of a return road trip from Luxembourg to Moscow! Therefore, reducing the intermediaries and the distances travelled to get food from our plates would allow these emissions to fall considerably and seems necessary for a more carbon-efficient future.

The only thing is that... The Ministry of Agriculture, Viticulture and Rural Development informs us that between 1990 and 2015, the total number of family farms in Luxembourg decreased from 3,768 to 1,880. As everywhere else in Europe, the number of agricultural areas and the share of the farming population are in free fall. Thus, in the current context, food sovereignty still looks like a sweet utopia. And yet, it is essential. Because in addition to representing considerable risks for the future of the sector, this generalised decline in the farming world, experienced in the space of a single generation, has also led to an increasingly marked distance between the consumer and his food. When local rhymes with Grand Ducal You have got it: it is time to reinvent the recipe. For consumers, we are talking about encouraging the purchase of local products. As for businesses, the idea is to


decompartmentalise and collaboratively develop economic sectors that have until now been organised according to a logic of vertical silos. At the national and transregional levels, the idea is to implement a holistic, federative and solidarity-based strategy to achieve food sovereignty and promote contiguous consumption. We are talking here about producing, processing, distributing, consuming and recycling food on the basis of a saving interdependence for Man and the planet. In short, a resilient food system for tomorrow. Experts see us coming: it is the local distribution network concept. And to promote this way of consuming, many initiatives are germinating and growing in Luxembourg. Young and old can, for example, become producer-consumers or "prosumers".That is to say, to get involved in a community garden that they will find near their home thanks to the portal of the vegetable gardens in Luxembourg Eise Gaart or to create their own plantation at home. And why not also deepen their knowledge of permaculture at school or in training? For those who don't have a green thumb, don't worry. It is possible to become a member of a cooperative such as AlterCoop or to promote the purchase of local products thanks to the Solawi solidarity agriculture network or the Supermiro platform. In addition to reducing food kilometers of products, all these initiatives share other

common points: they create social ties and diversify production sources and exchanges. Did you know? It is estimated that 15 to 20% of the world's food production is currently grown in cities and communities. (Strategic Study "Third Industrial Revolution Lëtzebuerg", 2016) Less packaging, fewer emissions, less food waste, more transparency, more trust. Economic players are increasingly mobilising around these issues. And the Luxembourg landscape is beginning to draw new synergies for models combining positive socio-ecological impacts and economic dynamism. This is the case, for example, of the Pall Center and LuxAir, which promote partnerships with local suppliers, or Sources Rosport, which chooses not to export its products and selects its suppliers of raw materials based on their proximity to the production site. On the political side, the Luxembourg Government is also in favour of a more locavore diet. It is, therefore, taking several steps to make progress in this direction. To cite a few of them retrospectively, there is first of all the strategic study of the third industrial revolution (TIR) carried out in 2016 and including a section dedicated to the future of food for the Grand Duchy with various ambitious strategic measures. Two years later, in January 2018, the country proceeded to overhaul the territorial development programme (PDAT).

When citizens were invited to participate in the process, their demands were clear: quality food, optimal use of resources and sustainable agriculture. More recently, in June 2020, the Minister of Agriculture, Viticulture and Rural Development, Romain Schneider, presented a stimulus package for agriculture with an overall budget of 5 million euros. During his announcement, the Minister then recalled that "the pandemic will have had a positive effect: that of raising awareness of the work of farmers in the food chain, of the true qualitative value of their products, and of the dangers of over-dependence on food from abroad". It is with this awareness that the stimulus package is particularly committed to the diversification of quality local agricultural products distributed within short circuits. With regard to future prospects for the territory, Luxembourg also seems to be betting on innovation, since it is the first to set up a Food Council at the national level and an Urban Farming strategy aimed at making Luxembourg's towns and cities real food contributors. These are all promising initiatives to respond to a growing need to reconnect with the land that feeds us and to shorten the links - and the kilometres - that exist from the barn to the table. Did you know? Luxembourg has set itself a production target of 20% of its food needs by 2030. (Stratégie Nationale Urban Farming Luxembourg, 2019). <

Tribune Rachel Reckinger

Réflexions sur la résilience du système alimentaire luxembourgeois Suite de la traduction page 68

D’un côté, les petits producteurs connaissent des fluctuations et ne peuvent garantir de manière constante l'approvisionnement des entreprises clientes. Pour contourner cet obstacle, des plateformes gérées par des coopératives ou des centres alimentaires (food hubs) regroupant un certain nombre

de petits exploitants agricoles pourraient fonctionner comme un guichet unique pour les grossistes. De l’autre côté, de grandes entreprises luxembourgeoises proposent déjà des partenariats commerciaux aux producteurs du territoire qui acceptent d'investir dans les produits ou les lignes de production manquantes, mais ces

initiatives bénéficieraient d'un marché étendu à toute la Grande Région et au-delà – dépassant les conceptions nationalistes et protectionnistes de la régionalité. Des recherches actuelles montrent en effet qu'à part le poisson, le poulet et les tomates, toutes les catégories d'aliments sont déjà produites en quantité suffisante

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en Grande Région pour dépasser les besoins du secteur de la restauration de la Grande Région. Pourtant, seule une minorité de ces produits sont actuellement servis localement – ce qui indique que la souveraineté alimentaire est principalement une question logistique et politique de gestion de la chaîne d'approvisionnement, d'orientation du marché, de fixation de prix et de réglementations législatives nationales. Les experts soulignent aussi la nécessité d'un modèle agricole basé sur des systèmes agroécologiques diversifiés, réduisant les intrants externes, optimisant la biodiversité et stimulant les interactions entre les différentes espèces dans le cadre de stratégies holistiques visant à établir une fertilité à long terme et des moyens de subsistance sûrs. Or, le Luxembourg ne dispose pas d’une force de travail en assez grand nombre pour une telle transition vers des systèmes plus résistants, où la mise en commun des connaissances est essentielle. S'il y avait davantage d'incitations du marché et de garanties politiques pour les agriculteurs, ce choix d’orientation professionnelle représenterait moins de risques. À mesure que des aliments locaux de qualité, éthiques et durables seront disponibles et deviendront la norme, les consommateurs seront plus sensibles aux contingences locales, aux produits éthiques et de qualité, à la consommation d'aliments biologiques, à la saisonnalité, etc.

Les labels publics qui certifient différents types de qualité renforcent des achats plus durables et plus généralement la connaissance des aliments tant au sein des ménages que parmi les acheteurs publics uniquement s'ils sont transparents quant à la valeur ajoutée du produit et soutenus par des lois qui rendent ces critères obligatoires. Ainsi, une action rigoureuse et globale de gouvernements démocratiques et responsables pourrait servir de levier dans la transition vers un système alimentaire plus résilient. De telles conditions constituent la base idéale pour une transition délibérée vers une gouvernance efficace des systèmes alimentaires à plusieurs niveaux où les mouvements sociaux, les entrepreneurs et la société civile peuvent innover et s'épanouir. Au fur et à mesure, les nouvelles initiatives locales en matière d'alimentation pourront ainsi sortir de la marginalité et s'engager dans des processus législatifs formels nationaux et européens. Une Politique Alimentaire Commune pourrait donner la priorité aux expérimentations éthiques et durables à travers des actions complémentaires et des politiques alimentaires cohérentes aux niveaux européen, national et local. Les Conseils de Politique Alimentaire (Food Policy Councils) sont des outils innovants reconnus pour favoriser une politique et une gouvernance à plusieurs niveaux. Afin de relever ces défis, le Luxembourg est actuellement en train de fonder

le premier Food Policy Council au niveau national, en tant que plateforme multipartite pour une coopération indépendante entre des partenaires égaux issus des trois secteurs du système alimentaire luxembourgeois : politique et administration ; recherche et société civile ; production, transformation, gastronomie et commerce. Cette initiative s’inscrit dans un système alimentaire qui aurait comme but d’être socialement juste, écologiquement régénérateur, économiquement localisé et engageant un large éventail d'acteurs. Il vise à assurer une sécurité alimentaire de qualité, éthique et durable pour l'ensemble de la population, en raccourcissant les chaînes d'approvisionnement de manière (trans) régionalisée et coopérative. La souveraineté alimentaire repose ainsi de plus en plus sur la diversification locale, l'innovation et les processus d'apprentissage collectif. En raison de sa petite taille et de sa population multiculturelle unique, le Luxembourg peut offrir un site favorable à l'expérimentation d'innovations durables au niveau local ou transrégional et mettre en place une politique alimentaire efficace dirigée par plusieurs parties prenantes. Le pays pourra ensuite utiliser son poids politique et économique international pour faire circuler ses bonnes pratiques. < Pour plus de détails, voir https://food.uni.lu

Damaged Soil Regenerative Agriculture to the Rescue Translated from page 70

Regenerative agriculture, what exactly is it about? First and foremost, regenerative agriculture is the preservation or revitalisation of soil fertility. And this is very necessary because rich soils are essential to grow healthy food and prevent droughts or floods. Above all, soils are a key ally in the reduction and

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adaptation to climate change. Discreetly, they sequester an astronomical amount of CO2, preventing it from escaping into our atmosphere. These are little-known facts, but soils are home to a quarter of the world's biological diversity and sequester more CO2 than the earth's vegetation and atmosphere combined. 1,417 petatons, or 1,417,1015 tonnes, according to FAO. And

that is only in the first metre of soil depth! Unfortunately, current practices based on linear land use management, deforestation, compaction and pressure on resources are leading to erosion and critical depletion of nutrients in the land. The same is true for extensive cultivation, eradication of organic matter, intensive irrigation with poor quality water and overuse of inputs,


which also result in a drastic loss of soil fertility, pollution and deterioration. In 2018, FAO announced that nearly a third of the world's soils are degraded by intensive agriculture. And once a critical threshold is reached, soils are no longer able to provide anything at all: neither food, nor carbon capture, nor income for farmers, nor ecosystem services. For regenerative agriculture, which places soil health at the forefront, out of the question! Regenerative agriculture also endeavours to preserve water resources. Having fresh and salubrious water is a prerequisite to ensure a healthy and nutritional agricultural production. Despite this, water is currently too often mismanaged. As a result, blue gold is becoming scarce. In recent years, agricultural regions around the world have been subject to increasing water stress. Already in 2007, the FAO warned that "if current consumption patterns persist, two-thirds of the world's population could live in water-stressed countries by 2025". And although it suffers from the situation, conventional agriculture itself contributes to it since it accounts for 70% of all water withdrawals in the world and, at the same time, is one of its main sources of pollution. The sector therefore has a central role to play in improving the use of water and achieving a reasoned and reasonable use of this essential resource. This is what regenerative methods intend to do. The combination of vegetable or arboricultural crops with livestock, organic or sustainable agriculture, permaculture, agroforestry, aquaculture... a wide variety of methods based on different concepts come together under the name of regenerative agriculture. But no matter how diversified they may be, what counts is the production of healthy food for humans and the planet thanks to the adaptation of practices to the climate, to individuals and to available resources, without forgetting the enhancement of ecosystems and cycles of renewal. Although some people call it a radically different form of farming, regenerative agriculture is, in fact, the result of updated and improved pre-industrial farming methods, thanks to numerous experiments and the sharing of practices and knowledge about soil, water, biodiversity and the many, often ignored, interactions that exist in nature. Smallholders as well as large-scale producers can be part of the dynamic, as regenerative agriculture is a concept that can be adapted to different practices, which allows it to adapt to the scale, as well as to the geographical and social contexts of the cultivated land. And, since creativity is the limit, precursors of the movement are present in every corner of the globe with approaches that are each more exciting than the last. In India, for example, Satya, a farmer in India's West Godavari district, saw many neighbouring farms destroyed by a powerful storm in 2017, while his 2.4 hectare plantation came out virtually unscathed. His secret? A chemical-free, regenerative agriculture approach: the "zero budget natural farming" (ZBNF). In 2018, there were about 160,000 farmers like Satya in the district. By 2024, the government of Andhra Pradesh plans to have 6 million producers engaged in this transition. On the other side of the world, in Argentina, Doug Tompkins

has developed the Laguna Blanca, a 2,833 hectare farm, that has the distinctive feature of conserving large blocks of wilderness between its fields to take advantage of the ecosystem services of the savannah and marshes. Also, the farm is characterised by diversified crops, ranging from grains to peas, as well as numerous nuts and fruits. Regenerative agriculture, the basis of the future food system? Numerous observations make it possible to envisage these approaches to meet the needs of agricultural transition both in terms of productivity and limitation of its climatic and environmental impacts. Farms that focus on ecosystem health have seen their yields increase year after year. Leontino Balbo's farm in Brazil, for example, benefited from a 20% increase in sugar cane yield. In India, thousands of farms, such as Satya's, based on "zero budget natural farming", recorded an average increase of 36% in peanut production. Takao Furuno's integrated model of raising ducks in rice fields has led to a 20% increase in rice yield and a tripling of income. These few examples are part of a rapidly growing data set that proves that regenerative approaches can produce enough food while ensuring high-profit margins and practices in harmony with nature. Taking a systemic view leads to multiple assets to move towards greater resilience. Ways of hope are thus emerging for a transition of the food system on a global scale. To achieve this, it is necessary to begin the transition today because the implementation of regenerative agricultural practices does not happen overnight: nature moves at its own pace and cannot be rushed. On a small-scale, the transition from a conventional system to a regenerative system can be done quickly and without too much investment. On the other hand, on a large-scale, the changeover may take much longer and create periods of economic uncertainty in an already low-margin industry. The reduction of the financial risks associated with transition periods in the agricultural sector is an aspect in which public authorities have a role to play through subsidies, investments or insurance for farmers. For these interventions to be sustainable, effective monitoring methods still need to be established. For the private sector, this transition represents real untapped potential. New opportunities exist in medium and long-term investments, in the development of new technologies and new products that make it easier for farmers to practise regenerative agriculture. And the commitment of companies does not end with the food sector. More and more, attentive and inventive brands are finding ways to make their contribution. Timberland, for example, has chosen to make a commitment by sourcing leather from regenerative methods. This announcement is part of the brand's new strategy based on three pillars: better products, a stronger community and a greener world. The strength of regenerative farming is that it fits perfectly within the three pillars. At the same time, the American company decided to invest in a fund

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to spread good practices and the many advantages of regenerative agriculture, especially in the fashion world, which is increasingly exposed to criticism. Other brands are moving forward with the same vision, such as Patagonia. The outdoor clothing and equipment company continues to surprise and think outside the box by committing to sustainable food through Patagonia Provisions and various initiatives to support regenerative agriculture (see our interview on page 73). The founder of the activist brand talks about this new turning point as follows: "I have always thought my company as an experiment: making decisions based on quality and responsibility. And I can tell you that (for clothing) it is not an experiment any more. I've proven to myself it works. Now, applying that to food is a another story, another experiment. But I think it is probably the most important experiment we have ever tried." At home, too? Associated with the circular economy, a real lever for economic diversification and transition, a national project for the development of regenerative agriculture is perfectly in line with Luxembourg's desire to move forward in its Third Industrial Revolution (TIR) strategy. To do so, the country will have to understand the issues and, above all, the enormous potential of this concept, which has multiple but crucial aspects for food

resilience and sustainable development. Also, at the social and societal level, support for regenerative agriculture represents a multidimensional lever to create opportunities for improved wellbeing and professional development within the agricultural sector. In an encouraging sign at the European level, on May 20, the European Commission unveiled ambitious new strategies for investing in biodiversity and food as part of its "Green Deal" with the aim of protecting 30% of the EU's land and seas and reducing pesticide use by 50% (the European Green Deal - COM/2019/640 final). According to the Commission Vice-President, Frans Timmermans, "the coronavirus crisis has shown how vulnerable we all are, and how important it is to restore the balance between human activity and nature". Europe is thus talking about putting biodiversity on the road to "recovery". There is no doubt that regenerative agriculture has a bright future ahead of it, and it brings encouraging prospects for imagining an agricultural transition. But there is still a long way to go, while the time and resources available are dwindling. To speed up the pace, consumer's choice is key. After all, food is everyone's business. So soon, it will be up to each and every one of us to take responsibility and choose... what food for tomorrow? <

Interview

Rencontre avec Birgit Cameron

Directrice Générale de Patagonia Provisions

« Une révolution se prépare » Traduction de la page 73

Vous êtes aujourd’hui à la tête de Patagonia Provisions, la marque qui perce depuis quelques années dans le secteur agroalimentaire. Le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, a déclaré à propos de cette branche d’activité : « Pour moi, Provisions est plus qu’un simple projet d’entreprise supplémentaire. C’est une question de survie humaine. » Que pensez-vous de cette déclaration ? C’est une citation importante car l’alimentation et l’agriculture sont, en définitive, deux des plus importants contributeurs à la crise climatique que nous affrontons aujourd’hui. Cultiver des aliments et des fibres avec des techniques industrielles et des produits chimiques nocifs représente jusqu’à un quart des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre. Yvon m’a confié la tâche suivante : à quoi pourrait ressembler une entreprise alimentaire comme Patagonia ? Comment faire pour la bâtir ? Patagonia se développe dans le secteur de l’alimentation pour changer la façon dont les gens perçoivent la manière de cultiver et de produire la nourriture. « Notre entreprise existe pour sauver notre planète », telle est la mission de Patagonia et cela

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diffère considérablement de la norme, à savoir : « Notre entreprise existe pour faire du profit ». Cela impacte chaque décision que nous prenons. Notre objectif est de montrer que l’on peut être rentable tout en donnant la priorité au climat. Au final, il s’agit d’aborder l’industrie alimentaire tout autrement. C’est une parole d’activiste... Oui ! (rires) En réalité, la science pointe dans cette direction. Elle est la boussole qui informe les entreprises sur la façon dont il faut aller de l’avant. En particulier avec la pandémie, c’est le moment-même où nous devons changer les choses. Lorsque nous fonctionnons différemment - avec des gens qui travaillent de chez eux et qui voyagent moins - la planète commence à se régénérer. Aujourd’hui, la science n’est plus une simple feuille de papier ; elle est visuellement tangible pour les gens. Nous savons désormais que si nous agissons autrement, la planète peut se rétablir.


Votre credo, c’est l’agriculture régénérative. Que sait-on du rôle clef des sols ? Pourquoi est-il si déterminant de préserver les sols aujourd'hui ? Il existe un merveilleux livre intitulé The Soil Will Save Us (Le sol nous sauvera) de Kristin Ohlson, qui m’a aidé à comprendre la valeur indéniable d’un sol en bonne santé. Son ouvrage présente le sol comme un organisme qui fait équipe avec la vie et il explique que nous sommes la seule espèce détruisant les écosytèmes dont elle a besoin pour sa survie. Il est essentiel de considérer le sol non pas comme une matière inerte dans laquelle on peut introduire des produits chimiques, mais plutôt comme un écosystème vivant capable de respirer. La science nous dit qu'il s'agit d'un écosystème débordant de vie. Saviez-vous qu'il y a plus de microbes dans une cuillère à café de terre que de personnes sur la planète ? Lorsque vous respectez le sol en tant qu'écosystème, vous réalisez que le sol peut contribuer énormément à notre santé et à la santé de notre planète. Lorsque le sol fonctionne à son plus haut niveau, on obtient, au fil du temps, une meilleure infiltration de l'eau, une plus grande valeur nutritive des cultures et des rendements plus élevés que l'agriculture chimique. Aussi, les agriculteurs qui travaillent dans leurs champs ne tombent pas malades et les pollinisateurs responsables d'un tiers de notre approvisionnement alimentaire ne sont pas détruits. Ce que vous découvrez, c'est que toutes les routes mènent au sol. Si nous pouvons respecter le sol en tant qu'écosystème vivant et comprendre ce qu'il peut fournir sans essayer de le remodeler, nous serons bien plus avancés dans la voie de la guérison de la planète. Nous devons recréer des pratiques régénératives qui nous assureront un avenir durable. Si nous passons de l'agriculture industrielle à des pratiques biologiques régénératrices permettant d'obtenir des sols sains, nous pouvons faire de l'agriculture une solution et non plus un problème. C'est le changement de paradigme qui doit avoir lieu. Parfois, cela signifie revenir aux pratiques existant avant le développement de l'agriculture chimique, comme par exemple le fait de recouvrir le sol, de diversifier les plantes et les champs, ou encore d’effectuer la rotation des cultures. À ce propos, l'agriculture régénérative est bien souvent vue comme un simple retour aux pratiques anciennes. Mais il y a tout un travail de recherche et d’expérimentations en cours. Comment vous appuyez-vous sur les ressources scientifiques pour faire avancer les pratiques en matière d’agriculture régénérative ? La science nous est utile à bien des égards. Dans l’ensemble de nos démarches, nous recherchons des faits scientifiques corroborés et pleinement validés. Nous travaillons avec l’Institut Rodale, qui vient de publier un livre blanc sur les sols sains offrant des aliments plus riches. Cette dernière recherche nous guide et nous indique que nous sommes sur la bonne voie. La collecte de données et l'élaboration de critères autour de ces pratiques sont essentielles. Nous travaillons ensuite avec des agriculteurs qui mettent en œuvre ces pratiques. Certains agriculteurs sont déjà bien avancés, d'autres sont encore en transition. Nous avons également travaillé avec The Land Institute et Wes Jackson pour commercialiser une toute nouvelle culture, le Kernza. Les scientifiques ont découvert que les longues racines de Kernza absorbent plus de carbone que le blé conventionnel.

Ses grains font également une délicieuse bière, c'est pourquoi nous avons créé des produits à partir du Kernza. Inventez-vous toujours des produits pour répondre à des problèmes spécifiques que vous avez identifiés ? Nous ne conçevons jamais un produit en fonction de la tendance ; nous le créons parce qu'il répond à un problème. Nous avons développé notre gamme de Savory Seeds pour attirer l'attention sur l'importance des légumineuses comme fixateurs d'azote pour maintenir les sols en bonne santé. Pour élaborer ces produits, nous avons utilisé des lentilles et du sarrasin, qui sont essentiels au bon fonctionnement d’un système régénératif. Notre objectif est de mettre en place des filières d'approvisionnement autour de ces cultures, car les scientifiques nous disent qu'elles sont essentielles à la création de sols sains. Nous travaillons avec des agriculteurs pour mettre en œuvre ces pratiques régénératives, afin que leur sol atteigne leur plus haut rendement, tout en créant un véritable marché pour leurs produits. Nous avons adopté la même approche lors de la création de nos soupes de haricots et d'autres produits de Patagonia Provisions. Nos produits à base de bison répondent à un enjeu : celui de sauvegarder nos grandes plaines et nos prairies. Le bison est une espèce essentielle qui assure le bon fonctionnement de cet écosystème. Par conséquent, il devient le produit dérivé de l'effort de conservation. Wild Idea Buffalo est notre partenaire, et leur entreprise de viande est précisément née de leurs efforts de conservation. Il existe bien d’autres exemples. Prenez le fruit de l’arbre à pain. L’objectif de notre démarche est de contribuer à assurer une sécurité alimentaire, ce qui implique de veiller à ce que des pratiques de cultures multiples soient en place. Le fruit de l'arbre à pain pousse très bien au contact des mangues, des bananes et des noix de coco. Si vous pouvez développer un système diversifié, cultivé dans une situation d'agroforesterie régénératrice, les agriculteurs auront plus à vendre au marché, ce qui favorisera une meilleure stabilité économique. En cas d'événement climatique, ils seront plus résilients. Il suffit de penser différemment, plus en phase avec la réalité et la nature, alors, nous connaîtrons l'abondance. Quel est le dernier produit que vous avez lancé ? Pour quel combat a-t-il été pensé ? Le dernier produit que nous avons lancé est le maquereau, et c'est une merveilleuse histoire d'océan. Notre maquereau est pêché dans le golfe de Gascogne, au large de la côte nord de l'Espagne. Nous travaillons avec la Good Fish Foundation pour déterminer les endroits où cette espèce est disponible en abondance. C’est un parfait exemple d'un aliment délicieux qui se situe plus bas dans la chaîne alimentaire. En en mangeant , nous réduisons la demande de thon ou d'autres espèces de poissons plus gros. Les poissons-appâts, comme le maquereau, sont nutritionnellement denses, peu coûteux et présentent une bioaccumulation moindre de métaux lourds et d’autres toxines. S'ils sont gérés de façon durable, ils pourraient être à l’avenir un apport clé de protéines, à la fois sain et économique. C’est cela créer des produits qui aident à régénérer les océans, c’est rétablir la consommation

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de maquereaux et de plus petits poissons, et utiliser des pratiques qui contribuent à éliminer les méthodes de pêche non sélectives et préjudiciables à la nature. Puisque l’on parle de vos activités en Europe, quels y sont vos objectifs ? Il est prévu de lancer prochainement d'autres produits Patagonia Provisions en Europe. En collaboration avec diverses entreprises et agriculteurs, nous évaluons quels sont les meilleurs partenaires en matière d’agriculture régénérative. Nous examinons tous les produits, du vin à la bière, en passant par les produits de boulangerie et le poisson. Comme aux États-Unis et dans d'autres pays, nous allons développer des produits adaptés à des filières spécifiques tout en tenant compte des méthodes d'agriculture et de pêche locales. Notre approche est globale, c'est pourquoi nous sommes également présents au Japon. Notre objectif est de mettre en évidence les pratiques biologiques régénératives et de montrer pourquoi elles sont meilleures pour les gens et la planète. Quoi de mieux que de mettre en valeur ces méthodes par le biais de produits délicieux ? C'est passionnant ! Servonsnous de la nourriture comme d'un moyen de nous rassembler autour de ces défis. Voilà une révolution savoureuse ! Comment évaluez-vous concrètement les effets de vos efforts ? Comment mesurez-vous les bénéfices d’une démarche d’agriculture régénérative ? Justement, nous sommes actuellement en cours d’évaluation avec l’Institut Rodale pour tester différentes situations. De plus, nous effectuons nous-mêmes des mesures. Par exemple, il y a cinq ans, nous avons effectué un test de référence et prélevé des échantillons de terre dans les prairies où vivent nos bisons pour tester les niveaux de carbone. Aujourd'hui, nous effectuons un deuxième test pour montrer la progression sur cette période, en incluant les nouvelles méthodes de régénération. Vous avez récemment co-fondé la Regenerative Organic Alliance (ROC), une coalition dont l’ambition est d’émettre la certification la plus exigeante en matière d’agriculture. Y a-t-il un vrai mouvement qui démarre ? Peut-on changer d’échelle ? Oui, je le crois. Il est enthousiasmant de constater que les pratiques de Patagonia Provisions en matière de développement de produits ont joué un rôle d’influence déterminant dans la création de la Regenerative Organic Alliance et de la certification. ROA a réussi à rassembler de nombreuses entreprises, agriculteurs, et éleveurs du monde entier, pour participer au programme pilote. Avec désormais l'ouverture récente du processus de certification au public, de plus en plus d’acteurs s'impliquent. De nombreuses grandes entreprises, comme Danone, s'intéressent à ces pratiques et s'engagent sur la voie de la certification. Il est incroyable de voir l'énorme élan autour de la ROA. Dans cet esprit, nous avons enrichi notre site web afin de mettre en évidence les importants efforts et les produits des autres. L'objectif de Patagonia Provisions est de rassembler une variété de marques qui vont toutes dans la même direction, et de

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les présenter sur notre marché : patagoniaprovisions.com. C’est une plateforme collective. De cette façon, les consommateurs peuvent facilement trouver ces produits incroyables . Alors que nous n’en sommes qu’aux débuts, une formidable impulsion a déjà été donnée. En vérité, l'Europe est bien plus en avance que les entreprises américaines, et je suis très enthousiaste à l'idée qu'il s'agisse d'un mouvement mondial. Vous êtes coproductrice du film primé « Unbroken Ground », sorti en 2016, qui montre des pratiques et des expériences prometteuses et dont le slogan est « La révolution commence par en-bas ». La révolution agricole est-elle bien engagée selon vous ? Oui, je le crois. Surtout maintenant, avec cette pandémie. Il y a un côté positif à cette prise de conscience renforcée de la santé humaine et planétaire. Et je pense que les gens feront beaucoup plus leurs courses en suivant leurs valeurs. De nombreux individus, entreprises et agriculteurs s’engagent dans cette direction. Clairement, une révolution se prépare. Elle est urgente car nous commençons à manquer cruellement de temps. Si nous espérons remettre la planète sur la bonne voie pour que la prochaine génération ait un avenir sain, il faut le faire maintenant. J'ai personnellement entendu de nombreuses personnes dire que ce mouvement leur donnait de l'espoir. L'objectif de ROC est de trouver des solutions et d'aider les entreprises à construire des produits autour de ces solutions. C'est la raison d’être profonde de notre entreprise, celle de sauver notre planète. Avec tous ces gens qui vont dans la même direction, vous n’imaginez pas tout ce que nous pouvons accomplir ! <


Drones, Resilience from the Sky? Translated from page 110

Make no mistake, these roaring machines have been studied since the beginning of the 20th century. The conceptualisation of the first unmanned aerial vehicles (UAV: Unmanned Aerial Vehicles) dates back to July 2, 1917, when Max Boucher, Captain of the French aviation school, using an automatic pilot system, programmed the take-off of the first drone in history at the Avord military base. At the same time, in the United States, engineers were working on projects for radio-controlled aircraft, mainly for military use, which were equipped with an air torpedo system. The use of these remote-controlled aircraft then multiplied within the ranks of the US Army to carry out surveillance operations in enemy territory, particularly during the Vietnam War. The system is elementary: the machine, equipped with four rotors powered by an electric motor, is fitted with an on-board camera for low altitude shots. Its assets are: hovering flight, offset and vertical landing. It was only later, in the 1930s, that the name drone appeared in Great Britain. Meaning "Male bee", it was chosen by analogy with the humming and slowness of the first aircraft. Precious medical and sanitary tool It is in emergency situations and natural disasters, when distance and time become enemies, that drones and all their potential come into play. Their use in the medical field is organised more rapidly than anywhere else, to intervene as quickly as possible by transporting products to places where the state of the roads and the relief make land transport long, costly and dangerous. The drone ambulance, for example, with a cruising speed of 100 km/h, can transport a defibrillator in one minute in a 12 km2 area, increasing the patient's chances of survival by 8 to 80%. Recently, faced with the Covid pandemic, many of these possibilities have come to light. In Europe, several countries have chosen this technology to order those refractories to containment measures to return home. In China, companies such as Baidu have equipped UAV units with infrared cameras, coupled with facial recognition, which can measure the body heat of 15 people at the same time, within 0.3°C, and sound an alarm in case of fever. All this is done to place people at risk in quarantine as quickly as possible or to redirect them to care services able to take care of them. Other countries such as the United Kingdom, Scotland and the United States have also adopted these tools to be able to deliver many medical equipment and materials to hospitals or isolated communities. In the United States, these initiatives have been made possible through the partnership between CVS Health Corporation and retail giant UPS. This solution offers key benefits during a pandemic, such as speed of delivery, social distancing and protection of healthcare workers. In Seoul, the authorities were especially creative. With more than 300 drones illuminating the sky, they created an extraordinary

show that reminded the population of security measures and, at the same time, encouraged the medical staff. This ten-minute illumination show was relayed around the world on July 4th. In the past, drones have proven themselves. Since 2012, following the earthquake in Haiti, hundreds of relief kits were delivered by air. Also, in Papua New Guinea, the organisation Médecins Sans Frontières set up an innovative operation in 2014 to help reduce the difficulties of access to isolated communities. The objective of this mission was to transport saliva samples from patients suspected of having tuberculosis, results and treatments. Not only that, since 2016, the city of Bangalore in India has been running a project to transport organs by drone since 2016. This project has made it possible to reduce by more than 50% the delivery time of organs intended for transplantation, a crucial time saving to save more lives. The public health stakes are considerable, especially on the African continent, where many patients suffer from the lack of health products, mainly because of the poor state of roads and the inaccessibility of some villages. In collaboration with the government, the American start-up ZipLine has been able to implement in Rwanda a sustainable solution for transporting medicines and blood bags to isolated areas. 7,000 bags have already been delivered thanks to no less than 4,000 flights. The drones used have a range of 120 km, a weight of 12 kg and can transport 1.3 kg packages. The enthusiasm for this technology is such that a first "Droneport" should be launched in 2030 in Rwanda, in the hope of rationalising and industrialising the transport of health products more quickly and at a lower cost. This Droneport has two different transport lines: blue and red. The Redline UAV, used for health missions, has a three-metre wingspan and is capable of transporting 10 kilograms of equipment over a distance of 50 kilometres at 100 km/h. In contrast, the Blueline UAV, dedicated to commercial missions, has a six-metre wingspan and is able to move a 100 kg load over 100 km. Toward precision agriculture Some believe that the agriculture sector would represent the most significant potential financial windfall from the use of UAVs. According to PWC forecasting studies, the market for commercial UAVs in agriculture could generate $32.4 billion in international economic activity. Against climate change and the challenge of food insecurity increased by a rapid population growth, some farmers consider these devices to be real precision tools capable of revolutionising their farming methods. UAVs now offer a complete mapping service of agricultural plots. Thanks to on-board cameras capable of covering 400 hectares per hour, they enable precision aerial photography. Topographic

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analyses are carried out using laser remote sensing technology. In some farms where UAVs are acclaimed, productivity has been optimised, with yields increasing by up to 10% a year! The real interest of this technology is the differentiated approach to the cultivated areas that it allows. Custom-made, in some way. The thermal sensor integrated into certain machines can thus locate dry areas and lead to adapted water resource management. This is a significant advantage when you consider that agriculture accounts for around 70% of the world's water consumption. UAVs are also capable of measuring the light reflected by plants. These analyses make it possible to create "reflectivity" maps, a tool for analysing plant vitality and detecting areas where it is necessary to send fertiliser or remove weeds, for example. UAVs thus make it possible to improve soil fertilisation and optimise yields. Another merit of agricultural UAVs is that, thanks to infrared sensors, their multispectral images are able to detect whether the plants in a plot are affected by disease. Today, they would even be capable of dropping payload capsules in the fight against insects that devour crops. Ovalie launched this trichogramma spreading project in 2015. Faced with the invasions of moths devouring maize fields, drones dropped beads containing trichograms, thus preventing the appearance of the caterpillars responsible for the damage. These alternative practices encourage the limitation or even the elimination of chemical inputs and are one of the tools for the transition towards a more efficient and sustainable agricultural model. They represent a real opportunity to move to the world of Agriculture 2.0! An answer to the last-mile puzzle The problem of the last kilometre is, as we know, a particularly difficult issue to resolve in our thinking about the transition to a model of sustainable mobility. Indeed, in Luxembourg, this portion would represent 25% of greenhouse gas emissions and would be responsible for 20% of traffic. It is in response to this problem that certain groups such as Amazon, Google or DHL, eager to meet ever more demanding logistical requirements, are working to develop delivery drones. This perspective is based on the desire to reduce the delays caused by congested streets or the difficult accessibility of certain places. DHL Express, the world's leading provider of parcel services, has teamed up with China's EHang, the world leader in intelligent autonomous air vehicles, to launch a new automated delivery system in China. This new logistics concept was tested and officially launched on May 16, 2019 in Guangzhou. A new feature is that the UAV carries out loading and unloading autonomously. As a result, delivery is more efficient, less expensive, requires less energy and the system is therefore more sustainable. The first Falcon vehicle sent by the EHang company covered a distance of 8 km and reduced the delivery time from 40 to only 8 minutes. Of course, this new reality offers good business prospects for DHL. Amazon, for its part, is still looking for the ideal drone for its Prime deliveries. In June 2019, the company obtained an agreement from the FAA (Federal Aviation Administration) to

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continue its test phases. The ambition is to find a silent UAV, capable of avoiding other flying machines, the population and power lines. These new UAVs could carry packages of up to 3 kg and would be reserved for journeys of less than 25 km. A new service that should be called Air Prime. For home delivery lovers, the time is not far away when your next parcel will arrive by “postdrone”. A solution for professionals exposed to dangerous work While these flying machines have not yet completely revolutionised the construction or mining and quarrying fields, most of the current use of UAVs in industry takes place in risky and costly activities, such as the inspection of high-voltage lines and electrical networks. Until now, the inspection of an industrial facility's power lines or high voltage line networks has been carried out by helicopters. Automated UAVs allow large operators to inspect thousands of kilometres of power cables, train lines or gas pipelines at low cost. Equipped with a camera and sensors, UAVs can capture a large amount of data and take high-resolution pictures, to carry out mapping or 3D modeling in complete safety. At the American Duke Energy company, UAVs are used to inspect power lines or control towers. For instance, the company used them to install power lines in Puerto Rico after Hurricane Maria. Similarly, at EDF Énergies Nouvelles (ENR), which uses unmanned aircraft to monitor transformer stations and inspect defective insulators. These aircraft can even be used not just for analysis, but also for laying high-voltage cables. For example, Bouygues Energies et Services, like Engie IneoRHT, use drones to unwind cables at the top of high-voltage pylons. UAVs are also used to monitor other types of networks, such as motorway traffic. To inform users of traffic conditions via "live and continuous" visualisations. Similarly, on railways, they can carry out topographical measurements to analyse wear and tear on the tracks or to detect malicious acts. UAVs are also proving to be very valuable in the renewable energy sector, especially for technical inspection, cleaning and maintenance in hazardous areas. At the level of solar power plants, UAVs are revolutionary tools. They take high-quality photos that provide men with the ability to detect panel defects that are invisible to the naked eye. The French company Dronotec, for example, has equipped its devices with advanced thermal cameras. These have the ability to detect dust or plants on the panels, which can then be cleaned or repaired when conditions allow. Wind farms are another area that benefits from drone technology. Inspecting the blades of wind turbines, especially at sea, is traditionally an expensive and, above all, very dangerous activity for technicians. Indeed, they have to visually assess the condition of the blades while being towed by ropes. The American company Cyberhawk now uses drones to obtain 3D representations of the blades. Genuine vigilance for our environment Drones have become an indispensable ally in protecting the


environment. They can provide precise information on the state of natural environments, detect traces of pollution, protect both terrestrial and marine animals and control vegetation. They can also be used to control air quality or detect gas leaks. The Finnish start-up Aeromon, has made it possible to analyse 70 industrial pollutants and to map air quality. The UAVs thus allow to obtain quality information that guides the authorities when setting up air pollution measures. They are also used today to detect pollution from ships and aquatic pollution more generally. UAVs have the ability to reach isolated or hard-to-reach areas, such as the Arctic, where they monitor ice melt. Elsewhere, they are monitoring coastal erosion and volcanic eruptions. They also venture out into the rainforest or savannah, where they help spot illegal activities, particularly poaching, or identify illegal areas of deforestation. The NGO Sea Shepherd, struggles to defend marine ecosystems. It uses drones to spot poachers and illegal nets in order to eliminate them. For instance, they are working with the Mexican authorities to protect, in the Gulf of California, the world's most endangered cetacean, the vaquita. Interestingly, DroneSeed company has created a drone capable of planting trees thanks to a cannon that propels, at more than 380 km/h, capsules trapping seeds at a depth of more than 7 centimeters in the ground. This drone has the capacity to plant trees six times faster than a human. This invention makes it possible, in particularly inaccessible areas, to fight against deforestation and zones devastated by forest fires. The other side of the coin The advantages associated with UAVs are today considerable and, therefore, their exploitation is exponential. Small, affordable and easy-to-use; they are simple to procure and their number is increasing. It is predicted that by 2025, more than 25 million UAVs will be in circulation worldwide! As a corollary to their growing popularity, these flying machines are more and more associated with fraudulent acts. Their malicious potential is damaging their reputation and, today, they are therefore also becoming synonymous with threats. In France for example, the authorities became aware of the extent of the possible damage. They sounded the alarm when, in 2014, these UAVs flew over 15 nuclear power plants for unknown reasons. Major risks But what dangers can drones cause? The ESSE (École Supérieure de la Sécurité des Entreprises) has established a typology of UAV risks. For this French institution, there are three of them: terrorist attack, espionage and smuggling. At the terrorist level, it is not difficult to imagine that an explosive could easily be attached to a drone or that it could be used to guide a suicide vehicle. Daesh has moreover made use of numerous devices capable of filming propaganda documents, carrying out indirect fires and even dropping bombs. In 2018, it was the Venezuelan President Nicolas Maduro who was the victim of a drone attack during a conference in Caracas. Espionage or surveillance can take different forms: tracking, video recording, conversation listening, data interception. In China,

the authorities have set up a system of population control using pigeon drones. These bionic animals are remotely controlled thanks to a high-definition camera and an integrated GPS. Jewels of technology, they imitate up to 90% of the behavior of a real bird. They make it possible to observe everyone's actions in the streets, identify uncivil behavior and track the population. These pernicious uses of drones make us aware of the risks they can have on individual liberties and privacy. In addition to hyper surveillance, espionage can also take an economic form. UAVs are notably capable of dropping ghost wifi terminals or diverting company email conversations. Similarly, UAVs allow smuggling operations to be carried out. They are capable of illegally transporting not only smartphones but also weapons and drugs. Between Hong Kong and Shenzhen, drones were discovered carrying bags each containing up to 10 iPhones. The perception of an increase in the number of accidents should not be overlooked either. One danger concerning UAV is clearly on the aviation side. Near misses (near-collision between an aircraft and a UAV) are on the rise. In 2017, on French territory, 92 of these accidents were recorded. Beyond the health consequences, these accidents also cause significant economic damage. The shutdown of Dubai airport in 2017 due to unauthorised drone activities cost $100,000 per minute. However, these collisions can also occur. In the same year, a plane on a domestic flight in Canada was hit by a drone on its approach to Jean-Lesage airport. The multiplication of UAVs in the air also represents a new threat to people on the ground, who could be mowed down on their trajectories or receive parcels on their heads. This increase in incidents is also directly associated with the appearance of new gears. Although they could ease traffic and solve certain problems related to traffic jams, the arrival of the futuristic UAV-taxis, designed and manufactured by the German company Lilium, could also make the skies more and more crowded. Another invention that could congest the sky: the new CityAirbus. This flying taxi, automated and completely electric, was designed by Airbus Helicopters. It has the shape of a drone, measures 8 meters long and wide, has a maximum speed of 120 km/h and has a range of 15 minutes. Although the company is still carrying out tests, the objective is to transport up to 4 people at the Paris Olympics in 2024, in particular to relieve road traffic congestion. The introduction of these flying taxis, designed by major players in the world of aeronautics, will make it possible to take measures to secure airspace and potential victims on the ground? The challenge now is to find solutions! Detection, identification and neutralisation: it is necessary to be able to stop them to defend ourselves from their potential offensives. 2020: Year of New Regulations To counter these attacks and limit the threats, some tracking systems have been developed: radar, radio frequency, optical, infrared and acoustic. Other countermeasure tools such as falconry, jamming, spoofing, mobile weaponry and hard kill

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solutions are also applicable. However, not all of these methods are 100% reliable. To control and reduce the risks, new regulations need to be established. A number of expert groups are currently working on this issue, such as JAURUS (Joint Authority for Rulemaking on Unmanned Systems) at international level, the US FAA (Federal Aviation Administration) and, at European level, the EASA (European Aviation Safety Agency). Faced with the disparity of national framework measures, a European regulation on UAVs has been created: the implementing regulation (EU) 2019/947, and its "Easy Access Rules". The date of implementation of these measures, initially scheduled for July 1st, 2020, has been postponed to December 31 due to the health crisis linked to the coronavirus. These measures are the result of a desire to ensure security and uniformity, which will also make it possible to promote activities in Europe, such as the free trade of UAVs. The different pilots will then be able to use their aircraft in any EU country if they hold the required certificates. What changes? Whether you are a professional or an amateur, from now on you will have to comply with these measures. Firstly, all users will have to register their aircraft with the national aviation authority. The old laws were established according to the type of use of the UAV: commercial or private. Today, these categories will disappear to establish a classification based on the following parameters: breaches of security, privacy and the environment. This leads to three categories. The Open category concerns UAVs that present low risks, the flights are always visual and cannot exceed 120 m in altitude. The Specific category refers to those with medium risk exposure. Therefore, the operator requires an authorisation following a risk assessment. Finally, the Certified category is aimed at UAVs with higher risks, the use of the aircraft then requires a triple certification: of the operator, the UAV and the pilot (under license). These new measures will also apply to prohibited or restricted zones for UAVs, such as airports, nuclear sites, military zones, ... These zones are called "UAS geographical zones", their exact definition is still under study. The measures concerning them will be published before December 31. As an extension of the human hand, these jewels of technology are promising responses to multiple challenges, acting and guiding us in a targeted and calibrated way where we are powerless or vulnerable. True tools of resilience, of course, but these concentrates of technology also prove to be dangerous in several ways, and framing their use is proving to be a real challenge. <

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SUSTAINABILITY #10


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