Décennie du terrorisme sur huyghe.fr

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DĂŠcennie du onze septembre Terrorisme : les textes http://huyghe.fr

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La décennie du 11 Septembre Textes sur le terrorisme

À l'occasion de la sortie de "Terrorismes. Violence et propagande" Gallimard Découvertes 2011 N°575

Des textes sur le terrorisme publiés par diverses revues depuis le onze septembre également disponibles en ligne (avec d'autres) à la rubrique "Comprendre les conflits : le terrorisme" Table des matières Terrorismes Violence et Propagande!!

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Entre ravage et message!

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présentation du livre

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Cahiers de Médiologie n° 13 La scène terroriste

Tuer pour dire!

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Géopolitique N° 103, sur la communication terroriste

Message et terreur Vecteurs et vicitmes

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Séurité Globale Automne 2007

Terrorisme, guerre du pauvre et propagande par le fait

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Conférence à l'université de Lille 1

Kamikazes : la propagation!

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Médium n° 5

La fin de la terreur ! Géopoliitique automne 2011

Sratégie d'irruption!

Chapitre 1 "Écran/ennemi" Livre numérique

Ben Laden : plus dangereux mort que vivant ?

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Atlantico

Oslo, crime et idéologie !

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Affaires Stratégiques (Iris)!

Définitions du terrorisme !

Extrait de "Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire" (PUF)

Citations Bibliographie!

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Présentation de l'auteur

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TERRORISMES VIOLENCE ET PROPAGANDE Gallimard, coll. Découvertes, Septembre 2011 Tuer pour l'idée, répandre l'idée... Les milliers d'attentats commis chaque année sous toutes les latitudes montrent la permanence d"une violence politique et symbolique née vers 1880 dans la Russie tsariste.# Depuis, des centaines de groupes ont pratiqué la lutte armée clandestine au nom de leur idéologie : nihilisme ou anarchisme, indépendantisme ou anticolonialisme, réaction ou révolution mondiale, peurs apocalyptiques ou jihad planétaire. IRA, ETA, bande à Baader, Action directe, Brigades rouges, groupes palestiniens, Tigres tamouls, FARC ou Al-Qaïda marquent leur époque. François-Bernard Huyghe décrypte leurs méthodes, leurs modes d"action, leurs discours et pose la question : y a t-il une fin au terrorisme ?

Chapitre 1 Tuer pour l'idée Répandu à partir du XIX° siècle, le terrorisme est une méthode de combat qui met la violence au service de l'idéologie, qu'elle soit anarchiste, nationaliste, révolutionnaire, jihadiste, etc$ et qui justifie le crime par l'idéal. Chapitre 2 Modes d'action Tout groupe armé clandestin, quelle que soit sa couleur politique, doit résoudre des contraintes pratiques et inventer des stratégies pour mener la « guerre du pauvre » : survivre, s'armer,se cacher% Chapitres 3 Discours Le groupe terroriste a besoin de s'exprimer, donc de médias et de tribunes, pour revendiquer, convaincre ou provoquer. À l'époque de la rotative comme à l'ère numérique, le terrorisme reste une propagande par le fait. Chapitre 4 : Une fin au terrorisme Comment finit un groupe terroriste ? Vainqueur aux yeux de l'Histoire ? Écrasé militairement, arrêté par la police ? Converti ou découragé ? À moins qu'il ne se rallie à l'action politique classique

Docteur d'État en Sciences Politiques et habilité à diriger des recherches, FB Huyghe, chercheur à l'Iris, enseigne la stratégie de l"information notamment sur le campus virtuel de l"Université de Limoges et au CELSA Paris IV Sorbonne. Il mène des recherches en médiologie parallèlement à une activité de consultant. C'est aussi un blogueur influent (http://huyghe.fr). Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont, sur les questions stratégiques, "L"ennemi à l"ère numérique" (P.U.F), le livre électronique "Ecran/ ennemi", et "Quatrième guerre Mondiale" (Rocher) et a dirigé des numéros de revue : Panoramiques : "L"information c"est la guerre", Cahiers de médiologie "La scène terroriste"(2002).Dernier ouvrage sur ces questions : "Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire" avec A. Bauer (PUF 2010)


FRANÇOIS-BERNARD HUYGHE

Entre ravage et message

Pascal Aef Goetgheluck,

Dégâts causés par une bombe dans une villa en Corse, © Getty Image bank.

Malgré sa désinence en « isme », le mot « terrorisme » ne renvoie pas à un corpus de croyances. Il devrait se définir plus facilement que bouddhisme, marxisme, nationalisme, ou autres systèmes d’idées, puisqu’il se manifeste par des actes. Or c’est tout le contraire. Nul consensus, même chez les juristes, sur sa nature 1. Ce qui est terrorisme pour les Occidentaux est considéré par des millions de gens comme légitime défense face à une violence d’État (celle qui s’arroge le droit de dire quelle violence ou quel combattant est légitime). L’argument est bien connu : « Vos héros et résistants n’étaient-ils pas hier condamnés comme terroristes ? 37

1. Murielle Renar, Les Infractions du terrorisme contemporain au regard du droit pénal, Thèse de doctorat, 1996, Université de Panthéon Sorbonne.


2. Stephen Sloan, Historical Dictionary of Terrorism, The Scarecrow Press, Inc., 1995. 3. Schmid, Alex P., Jongman Albert J., Political terrorism : a research guide to concepts, theories, data bases and literature. Amsterdam, Neth. ; New Brunswick, USA. 4. L’United States Department of Defense (Code of Federal Regulations revised 2001) définit ainsi le terrorisme : « All criminals acts directed against a State and intended or calculated to create a state of terror in the mind of particular person or a group of persons or the general public ».

Une bombe dans une voiture est terroriste et criminelle, mais militaire et légitime si elle tombe d’un B 52 ? Les victimes de Hiroshima étaient-elles moins innocentes que celles des Twin Towers ? » Qu’est-ce donc que cette guerre sans armées ? Ce mode d’expression qui répand la violence pour propager la foi ? Quel rapport entre les exemples qu’on en donne : sicaires de la Bible, hommes-léopards d’Afrique, Ku-kluxklan, démons à la Dostoïevski, brigadistes marxistes, islamistes d’Al Qaïda2 ? Quel lien entre ses formes : basses œuvres et haute stratégie, banditisme et mysticisme, tyrannicide et massacre gratuit, résistance minoritaire et subversion de masse ? Entre ses buts, religieux, politiques, nationaux, intéressés ? Dans leur livre Political Terrorism, Schmid et Jongman 3 en recensent 109 définitions. Toutes divergent lorsqu’il s’agit d’identifier les acteurs (les organisations terroristes et leurs raisons), les actes (porteurs à la fois de destruction et de signification) et les buts (la terreur, cet « état psychique » quecherche à répandre le terroriste) 4. Contagion de la force et force de la contagion Il y a quelques raisons à cette confusion. D’abord historiques. Au commencement, le terrorisme est la diffusion dans toutes les provinces de la Terreur de 1793 née à Paris. C’est un système établi par les détenteurs du pouvoir afin de paralyser par une peur inouïe, au sens strict, toute velléité contrerévolutionnaire. Il se justifie par les circonstances exceptionnelles : la conjonction de la guerre externe et de la révolution interne. Pour Robespierre, « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire dans la Révolution est à la fois la vertu et la terreur… ». C’est le raisonnement que reprend Trotsky dans « Terrorisme et Révolution » : le terrorisme révolutionnaire contre des forces qui veulent terroriser la Révolution 5. En règle générale, le terrorisme se présente comme riposte à une terreur antérieure : despotisme ou occupation. Le sens du mot « terrorisme » se retourne. Il devient une violence subversive, ou, du moins, menée par des groupes clandestins et contre l’État. C’est la violence du faible et non plus du fort. Un terrorisme qui impose (il impose la terreur à la population que l’on contrôle) est devenu un terrorisme qui s’oppose, destiné à renverser un ordre ou libérer un territoire. C’est ce second sens qui l’a emporté dans l’usage courant. En France, cette question est quelque peu parasitée, vers la fin du

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5. « En exterminant dans l’Armée Rouge et en général dans tout le pays les conspirateurs contre-révolutionnaires, qui s’efforçaient, par l’insurrection, par l’assassinat, par la désorganisation, de rétablir l’ancien régime, nous agissons conformément aux lois de fer de la guerre par laquelle nous voulons assurer notre victoire… », Trotsky L., Terrorisme et communisme, UGE 1963, p 105.


Entre ravage et message

6. Eisenzweig Uri, Fictions de l’anarchisme, Christian Bourgois 2001-12-10. 7. Petit Robert : 1. Politique des années 1793-1794 en France 2. – (cour.) Emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique […] et spécialement ensemble des actes de violence, des attentats, des prises d’otage civils qu’une organisation politique commet pour impressionner un pays (le sien ou celui d’un autre).

XIXe siècle, par l’amalgame entre terrorisme, anarchisme et nihilisme. Ainsi, dans les fameuses lois scélérates, ce sont les « menées anarchistes » (donc des idées, un dessein de détruire la société) qui sont réprimées 6. À présent, les dictionnaires autorisent à parler de terrorisme soit pour se référer à un régime de Terreur, soit pour l’action violente de groupes clandestins à motivations idéologiques 7. La première acception tend à rendre terrorisme indiscernable de répression, tyrannie ou totalitarisme. La seconde se prête à toutes les interprétations idéologiques. D’autant que le premier terrorisme aime à prendre le masque du second. Les États terroristes sont souvent ceux qui « terrorisent », chez eux, par l’intermédiaire de milices « privées », et, hors de leurs frontières en manipulant ou subventionnant des groupes qui se disent « autonomes ». À ces ambiguïtés des rapports du terrorisme et de l’État, s’en ajoutent d’autres, idéologico-juridiques. Elles sont liées, cette fois, à la dénonciation ou à la répression du terrorisme comme crime exceptionnel. Ainsi certains juristes veulent en faire un équivalent en temps de paix du crime de guerre Il serait caractérisé par des attaques délibérées contre des civils, la prise d’otages ou l’exécution de prisonniers. Le terroriste évoque d’un côté la vieille figure du pirate (considéré par le vieux droit des gens comme « ennemi du genre humain », tant ses crimes sont cruels et tant leur répression exige de moyens exceptionnels). Mais il n’est pas sans rappeler aussi le partisan, ce combattant sans uniforme, ni légitimité étatique, qui mène une guerre hors des lois de la guerre. Encore ces approximations dissimulent-elles l’essentiel : le terrorisme veut d’abord signifier et persuader. Le terrorisme est donc la violence de l’autre, celle que l’on condamne. Mais quand il faut en définir objectivement les éléments, le consensus s’efface. - Les auteurs ? Pour être terroriste, faut-il être une organisation, ou peut on être solitaire ? Tel un régicide ? Un Unabomber ? Leurs motivations ? Estce la voie des sans voix, la traduction d’un état de contrainte ou bien un choix délibéré et antidémocratique, politique ou criminel ? Où passe la frontière qui sépare le terrorisme, d’une part du crime en bande organisée et, d’autre part, de la juste résistance ? Le droit français considère, pour qu’il y ait terrorisme, qu’il faut, outre des actes par nature criminels, un dessein de « porter gravement atteinte à l’ordre public ». Beaucoup tendent à absoudre le terrorisme quand il s’en prend à un régime non démocratique ou lutte pour la libération nationale. Même les Américains distinguent les bons freedom fighters des mauvais terroristes. Bref, la notion des motivations du terrorisme est tout sauf éclairante.

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Spectacle, sous-titre et générique Soit l’hypothèse que le terrorisme est message : ledit message est tout sauf simple (surtout s’il est formulé explicitement en un texte, souvent bavard, accompagnant l’acte). Que doit-il « dire » en effet ? Idéalement, proclamer, désigner, réclamer et émaner. Proclamer ? Même l’attentat que l’on dit « gratuit » ou « absurde » prétend énoncer une thèse (le règne de Dieu est proche, les jours des puissants sont comptés, il faut faire la Révolution…). Désigner ? Le message ne s’adresse pas indistinctement à tous les destinataires : il y a ceux qui doivent en pâtir (les oppresseurs, les occupants…) et ceux qui doivent le reprendre à leur compte. Réclamer ? Discours pour faire (ou pour faire faire), le terrorisme exprime une demande directe (répondez à nos revendications) ou indirecte (montrez votre vrai visage). Le but est d’infliger à l’adversaire un dommage moralement insupportable, jusqu’à ce qu’il cède ou qu’il crée les conditions de sa propre perte (par une odieuse politique de répression, par exemple). Émaner ? Le terrorisme implique signature. S’il revendique, il se revendique aussi. Ceci se fait soit directement (une organisation qui proclame son droit d’auteur), soit indirectement (on désigne un camp, une cause). Et, pour compliquer encore les choses, ce dernier élément, (comme les précédents), peut être parasité. Bien malin, plus malin, en tout cas, que les juges italiens, celui qui

8. Charnay (sous la direction de), Terrorisme et culture, Les 7 épées, 1981. 9. Article 22 de l’United States Code, Section 2656f (d) : « The term « terrorism » means premeditated, politically motivated violence perpetrated against noncombatant targets by subnational groups or clandestine agents, usually intended to influence an audience. The term « in-

- La gravité des actes, généralement . Des attentats ? Quelle frontière entre la revendication violente ou la contestation active et le vrai terrorisme ? Où passe la ligne rouge : quelque part entre « démonter » un Mac Donald de vive force et de jour ou le faire sauter la nuit ? Entre une violence trop bénigne pour être terroriste, et une autre trop organisée pour ne pas être légitime ? La violence contre les choses ou les esprits ne pose pas moins de questions : hier un projet de convention de la SDN classait acte terroriste la distribution d’images pornographiques 8. D’autres parlent d’un cyberterrorisme qui pourtant ne tue personne. Enfin et surtout, comment définir la victime « innocente » du terrorisme : le passant, le particulier qui n’a rien à voir avec l’appareil d’État ou les forces de répression, le civil, le non-combattant, le soldat qui n’a pas ses armes à la main 9 ? - Les objectifs psychologiques ? Comment définir cette « terreur » que veulent produire les acteurs, sans tomber dans la tautologie : le terrorisme terrorise, ou le moralisme : le terrorisme, c’est le crime ? Quel mélange de menace, de démoralisation, de pur et simple effroi mais aussi d’encourage-

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ternational terrorism » means terrorism involving citizens or the territory of more than one country. The term « terrorist group » means any group practicing, or that has significant subgroups that practice, international terrorism. No combattants include both civilian and military personnels who are unarmed or off duty at the time… We also


pourrait dire les vrais auteurs de certains attentats des « années de plomb » : extrêmegauche, extrême droite, services d’État, organisation secrète infiltrée dans l’État, de type P2 ou Gladio ? Ou que l’on se souvienne des milliers de gens de bonne foi défilant pour protester contre l’attentat de la rue Copernic, attribué à un groupe néo-nazi à connexions giscardiennes présumées. Ou des théories ingénieuses qui attribuent chaque fois la responsabilité d’un acte terroriste à celui qui semble en être la victime. Le 11 Septembre n’a pas fait exception à la règle, en vertu du principe que ce n’est pas par hasard que…, qu’il est matériellement impossible que… et qu’avec les moyens dont disposent les Américains, on ne me fera pas croire que… Il peut donc y avoir attribution erronée, ou délibérée ou par mésinterprétation, attribution confidentielle (cas d’école : seul le gouvernement destinataire est informé de la revendication réelle que dissimule la revendication apparente), mais il peut aussi y avoir concurrence. Il semblerait que le marché corse, particulièrement sensible au facteur logo et image de marque, ait inventé des méthodes de copyright. Ces procédures accréditives instaurent un curieux rapport de compétences partagées entre terroristes et policiers. Elles supposent la production d’éléments concrets de vérification : numéros de séries des armes, type de projectile utilisé, marquage des lieux de l’attentat par un signe convenu. Au ProcheOrient, c’est un problème que résolvent les groupes voués aux attentats-suicides (où l’auteur disparaît souvent avec l’œuvre) : dans des cassettes-testaments préenregistrées, les terroristes fournissent l’équivalent de la bande-annonce au cinéma, ou du making-of des DVD. À spectacle du terrorisme, terrorisme du spectacle.

ment à la révolte vise l’acte terroriste ? Pour répondre, les juristes américains recourent à des formules embarrassées comme « chercher à influencer le public » (to influence an audience). Mais en ce moment, ne suis-je pas en train « d’influencer une audience » ? Bref, dans la trilogie acteurs, actes, objectifs (terroristes, terrorisme, terreur), chacun discute la frontière d’avec crime, guérilla, complot, révolte, émeute. Chacun distingue la bonne Cause, la bonne lutte et les bons adversaires. consider as acts of terrorism attacks on military installations or on armed military personnel when a state of military hostilities does not exist at the site, such as bombing of US bases ».

Les moyens et les fins Troisième controverse : le terrorisme est-il de l’ordre des fins ou des moyens ? Certains y voient une fin en soi, une fin exceptionnelle, d’où le recours aux moyens extrêmes. Le terrorisme serait une antipolitique par son refus des règles et par sa volonté de les abolir. Son crime serait idéologique, voire métaphysique : la haine du réel. Ainsi, André Glucksmann réduit le terro-

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10. A. Glucksmann, Dostoïevski à Manhattan, Robert Laffont, 2002. 11. R. Servier, Le Terrorisme, coll. Que sais-je ?, P.U.F., 1979, où l’auteur dit plus subtilement : « Tout terrorisme est mystique – en un sens – puisqu’il revendique toujours un idéal, un but à atteindre, fût-ce l’élimination du péché de convoitise ou du capital. Tout terrorisme est situationnel dans la mesure où il entend créer une situation nouvelle, exercer – comme l’a dit Proudhon – une pesée sur l’histoire. » (p.15).

risme au nihilisme et ce dernier au refus de se soucier du Mal. Ce serait l’action au service d’une volonté de puissance déguisée en idéologie 10. Elle serait proche de l’acte gratuit ou du moins trouverait sa justification aux yeux de ses acteurs dans le « tout est permis » qu’elle implique. Avant lui, Jean Servier 11 expliquait le terroriste par une tendance « gnostique » à considérer le monde comme intrinsèquement condamnable, vérité qui n’apparaîtrait qu’à une minorité éclairée. D’autres, plus simplement, le réduisent à la pure jouissance de la destruction aggravée d’une naïveté ou d’une hypocrisie : croire qu’il suffit de supprimer un obstacle pour que naisse la société idéale. À cela s’oppose une interprétation du terrorisme comme moyen d’exception. Le terrorisme traduirait un manque : carence d’armes ou d’armée, absence d’autres voies d’expression, défaut de soutien populaire ou de légitimité. Il servirait de substitut moralement condamnable à d’autres types de lutte ou de revendication. Dans cette forme dégénérée ou annexe du vrai conflit (guerre, Révolution), le terroriste impatient refuse de passer par la case mouvement de masse ou constitution d’une armée ; son erreur serait stratégique et son crime cynique. Le seul point commun à ces définitions est la notion d’exception. À preuve : le discours ou la casuistique du terroriste. Son excuse proclamée est le caractère particulier de la vengeance ou de la résistance auxquelles il est contraint (le terrorisme de l’autre, le puissant) ou encore la nécessité qui oblige à recourir à la violence (telle l’absence de démocratie). Le terrorisme se définit donc toujours a contrario par son rapport avec d’autres catégories, telles la guerre, la guérilla, la guerre civile. Car ces formes de conflit supposent pareillement l’usage d’une violence armée durable et organisée. Mais le terrorisme, violence du quatrième type (ni guerrière, ni révolutionnaire, ni privée), est aussi une communication paradoxale. Il vise « les cœurs et les esprits », mais par les moyens de la peur, non de la séduction ou de la persuasion. Pour faire savoir, pour faire croire, et faire adhérer, il commence par faire tout court : supprimer et sacrifier. Entre guerre et propagande Le terrorisme présente des points communs avec la propagande et avec la guerre : on le nomme « propagande en actes », « guerre invisible », « guerre du faible ».

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Entre ravage et message

De la propagande, il remplit les trois grandes fonctions : Il rassemble. Il parle au nom d’une entité dont il exalte l’identité (le peuple occupé, le Prolétariat, l’Oumma, les opprimés du monde entier). Il oppose. Il sépare les camps. Si la propagande est un discours contre, qui désigne un coupable et qui s’oppose à un discours adverse qu’il faut recouvrir, ce trait est encore plus typique du terrorisme. Il s’accompagne forcément d’un message, d’un rituel d’humiliation ou de dénonciation de l’autre partie. Enfin, il idéalise, il symbolise, il endoctrine, bref, il manifeste des principes idéologiques à travers son action : libération d’un peuple, Révolution… De la guerre, le terrorisme partage les principaux caractères : C’est un conflit collectif visant des buts collectifs. C’est un conflit armé. Il suppose l’éventualité de mort d’homme, ou au moins une menace grave. Le terroriste a besoin d’outils, les armes. Sinon il est un simple manifestant ou un protestataire. Son objectif est de faire céder la volonté politique de l’adversaire. Faire céder signifie que l’autre renonce à ses prétentions, fût-ce en disparaissant de la surface de la terre, et cesse d’exercer son autorité sur un territoire, ou une communauté. Ou, au minimum, qu’il accomplisse un acte politique réclamé par son adversaire (libérer des prisonniers, changer la loi…). Mais d’autres traits séparent la guerre et le terrorisme. Contrairement à la première, le terrorisme ignore l’opposition du combattant et du non-combattant. Il ignore aussi les catégories de paix et d’allié. Là où la propagande prétend agir par des mots et des images, le terrorisme est d’abord agressif : la contagion des esprits dépend de la force démonstrative de l’acte. Il ne sert pas seulement à porter la crainte ou la confusion dans le camp adverse, ni à stimuler ses propres partisans, mais aussi à provoquer ravage et humiliations symboliques. Idéalement (de son point de vue, bien sûr) le terrorisme place son adversaire, l’État, devant un dilemme. Ou il le provoque à réagir, et donc à révéler sa vraie nature répressive et haïssable, encourageant une prise de conscience des opprimés. Ou l’État ne réplique pas ou mollement. En ce cas, n’exerçant plus ses fonctions régaliennes, ne contrôlant plus le territoire ou la paix publique, il perd de son prestige. Et là, encore, le camp de la révolte est stimulé. Le but principal de la lutte armée est d’affaiblir l’adversaire et d’occuper son territoire. Manipuler l’opinion n’est qu’une façon de servir ce dessein. La propagande, elle, vise principalement l’opinion, pour affaiblir l’adversaire (et concurrencer la parole adverse). Pour le terrorisme, lutte contre

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12. Quitte à s’attaquer à un monument symbolique. Le Comité révolutionnaire français (auteurs de l’attentat contre la statue de Thiers en 1881) déclarait : « Cette exécution d’un mort est un avertissement aux vivants détenteurs de l’autorité et exploiteurs du peuple que leur fin est proche » (in Eisenzweig ouv. cité, p 40).

l’Autre et conquête de l’opinion sont un seul et même processus. Bref, on n’en sort pas : c’est un hybride entre violence et communication. Il violente pour dire, et il parle pour frapper. Il s’apparente d’un côté à une guerre menée par d’autres moyens (WBOM, war by other means, disent les Américains), de l’autre à de la pub plus du carnage. Il oscille entre faire peur et faire sens, ravage et message. Cette forme aberrante de « communication » est justiciable de la médiologie. D’autant plus que le mot terrorisme (sinon la chose) est contemporain des premières idéologies de masse et des premiers moyens de propagation de masse. Les actes terroristes semblent se classer sur une double échelle de destruction et de propagation. L’échelle de destruction va de la violence la plus précise (le tyrannicide qui rapproche le terrorisme des complots et conspirations) à la plus générale (des opérations inscrites dans une longue lutte collective ou des « destructions massives »). Sur l’échelle de propagation, le message terroriste a valeur de proclamation, et va de la plus vaste entreprise destinée à éveiller le genre humain jusqu’à une forme de négociation : échange d’une trêve ou d’un otage contre un avantage. Le message devient quasi contractuel : faites ceci et je ne ferai pas cela. La valeur d’échange du terrorisme l’emporte alors sur sa valeur d’usage (paralyser l’ennemi, stimuler son propre camp). Cette dualité s’éclaire en fonction d’une troisième valeur : en règle générale les actes terroristes se veulent des exemples. Et, exemples, ils le sont dans tous les sens du terme. Ils ont fonction exemplaire de démonstration, « d’échantillon », d’« avantgoûts ». Ils signifient : « Voici ce que nous sommes capables de faire. Voilà ce qui vous attend si vous ne cédez pas à nos revendications ». Ce sont des exemples, avertissements au sens de « faire un exemple ». Que l’attentat touche un représentant de l’autorité honnie (du tyran lui-même au petit fonctionnaire « complice du Système »), ou, qu’au contraire, il vise un anonyme « innocent », afin de prouver que la cible est partout et que nul n’est à l’abri, dans tous les cas, l’acte frappe la partie pour atteindre le Tout12. Ce sont enfin des exemples « exemplaires » : ils sont censés être suivis. Ils prétendent éveiller (le prolétariat, le peuple occupé, l’Ouma), susciter des imitateurs, rendre le camp des opprimés conscient de sa force. Ainsi, la « propagande par le fait » d’inspiration bakounienne, relayée par « l’action directe » anarcho-syndicaliste, se voulait un moyen d’éveiller les masses sans passer par la médiation du parti ou par la rhétorique du programme. Ici, ce sont littéralement des actes qui valent discours : ils émancipent ceux qui les

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accomplissent autant qu’ils effraient ceux qui les subissent. Ben Laden ne dit pas autre chose lorsque, dans une cassette montrée le 27 Décembre 2001, il déclare : « Ces jeunes qui ont conduit les opérations ne se fiaient pas aux apparences populaires, ils acceptaient la vérité apportée par le prophète Mohammed. Ces jeunes hommes (… inaudible) ont proféré, par leurs actes à New York et Washington, des discours plus puissants que tous les autres discours prononcés de par le monde. Les discours sont compris tant par les Arabes que par les non-Arabes – même par les Chinois. Cela surpasse ce qu’ont dit tous les médias » 13. L’acte terroriste peut même être assimilé à une punition « exemplaire ». Les terroristes violent le droit positif, voire le droit des gens, mais au nom d’un autre droit, supérieur. Juges, témoins, et bourreaux à la fois, ils appliquent des arrêts. Ce sont des juristes contrariés qui n’écoutent guère les avocats. Conflit et asymétrie

13. Il est possible de trouver de nombreuses transcriptions des textes de Ben Laden via www. strategic-road. com, à la page terrorisme. Les définitions du terrorisme y sont également discutées à la page « Réflexions stratégiques ».

Ce double caractère, exception et exemple, s’il place le terrorisme hors des catégories habituelles de la violence et du langage, n’échappe pas à une logique de l’interaction : il est déterminé par ce qu’il combat. C’est un cas presque parfait d’asymétrie. Asymétrie des forces : c’est un rapport du faible au fort. Même si le faible en apparence peut avoir derrière lui tout un État, une internationale ou des réseaux mondiaux. Asymétrie de l’information : le terroriste est clandestin (même s’il cherche à donner un maximum de retentissement. à ses actes, ce qui en fait une sorte d’agent secret publicitaire). Son adversaire est visible et cherche à interpréter l’action terroriste sur la base de connaissances imparfaites. Le terrorisme est un facteur d’entropie, pour autant que ses finalités sont de créer un « climat d’insécurité » ou un désordre. Dans le contexte de l’après 11 septembre, cette asymétrie informationnelle prend un relief particulier. L’hyperpuissance se préparait pour une « guerre de l’information » (infowar en Pentagonien) propre et politiquement correcte, gérée par ordinateurs et satellites. Les stratèges développaient l’utopie de la dominance informationnelle totale. La guerre deviendraitcool et séduisante. Les spin doctors qui présentent les opérations militaro-humanitaires comme des promotions publicitaires étaient là pour cela. Pas de cadavres visibles, de bons réfugiés, de belles images, résultat : zéro dommage cathodique collatéral.

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Or, à l’évidence, c’est une tout autre « guerre de l’information » qu’a menée Al Qaïda : sidération du village global par la force des images symboliques en live planétaire, contagion de la panique boursière via les réseaux informatiques (terrorisme en réseaux contre société en réseaux), utilisation des moyens techniques adverses pour obtenir une répercussion maximale. Que l’on prenne le mot information en chacun de ses sens (des données, des messages ou nouvelles, des connaissances intellectuelles, voire des programmes au sens informatique), qu’il s’agisse de croyance ou de savoirs, il y a visiblement deux stratégies opposées. Dont une de retournement. Asymétrie des statuts : un des acteurs est illégal, l’autre officiel. L’un parle au nom de l’État, l’autre au nom du peuple, l’un se réclame de la Démocratie, l’autre de Dieu. Il ne peut y avoir de terrorisme entre égaux ou semblables. Asymétrie des territoires : l’un cherche à être partout ou nulle part pour frapper « où il veut, quand il veut », l’autre prétend contrôler une zone où s’exerce son autorité. Le second cherche à identifier politiquement, à repérer topologiquement et à faire taire pratiquement son adversaire. Le terroriste entend se manifester à son gré, sans souci de frontières ou de proximité géographique. Soit dit en passant, c’est peut-être ce rapport au territoire qui distingue le terrorisme de la guérilla. La guérilla emploie des armes et cherche à désorienter et paniquer des forces militaires supérieures, tout en ralliant des partisans. Mais souvent terrienne et enracinée, elle a pour but de conquérir ou de libérer des zones ou provinces. Asymétrie du temps : l’un se projette dans le futur, l’autre cherche le maintien de l’état présent. Le terroriste est l’homme de l’urgence ; il profite souvent de la vitesse du transport ou de l’immédiateté de l’information pour amplifier les effets de l’acte. Le contre-terroriste est lent, pataud, condamné à l’après-coup, à la reconstitution après la catastrophe. Asymétrie des objectifs : le terroriste attend quelque chose de son adversaire, mais celui-ci espère que le terroriste cessera de l’être, éliminé ou satisfait. L’un escompte des gains et veut changer l’ordre du monde, l’autre lutte pour le maintenir ou simplement pour perdurer. D’où la question des objectifs réels de certaines formes de terrorisme. En quoi consisterait leur « victoire » politique et la recherchent-ils vraiment ? Ou se pourrait-il qu’un terrorisme ne prétende être qu’un témoignage ? Asymétrie des moyens. Ce dernier point semble évident : l’un a l’armée, la police, l’autre se cache, etc. Cette dernière asymétrie implique pourtant ceci : le terroriste peut s’approprier ou retourner les moyens techniques (souvent publics) de l’autre, sans que l’inverse soit vrai. Un combattant de la

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Entre ravage et message

foi peut apprendre à piloter un avion ou à fabriquer une bombe atomique artisanale. Il peut saisir le défaut d’un logiciel ou d’un système de contrôle : le réseau de surveillance adverse ne vaudra que ce que vaudra son maillon le plus faible. Un terroriste peut s’en prendre aux moyens de communication. Il peut produire une image télévisée qui provoquera un effet de sidération maximale et gérer son planning attentats comme un planning média. Il peut profiter de l’effet de contagion des paniques numériques « en temps réel ». Il peut s’en prendre aux nœuds d’échange (gares, aéroports, Bourses) parce qu’il a compris la logique d’une société basée sur l’échange et les flux. Mais pour autant le terrorisé n’acquiert ni connaissance, ni moyen de rétorsion sur le terroriste. Aucune réversibilité dans ce sens-là. Il est tentant de conclure qu’il n’y a pas un terrorisme en soi, mais plutôt des preuves de terrorisme (au sens où Cocteau disait qu’il n’y avait pas d’amour, mais des preuves d’amour), voire une relation terroriste du faible au fort (du fort au faible dans le cas du terrorisme d’État, méthode de gouvernement). Dérangeant intermédiaire entre réalités stratégiques et symboliques, le terrorisme pourrait bien proliférer dans un monde que l’on croyait unifié techniquement, stratégiquement et symboliquement.

Lettre infectée par le bacille du charbon, envoyée le 12 octobre 2001 au bureau de Thomas Daschle, chef de la majorité démocrate du Sénat américain, © Reuters.

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Terrorisme : tuer pour dire Un article publié dans Géopolitique n°103 (Octobre 2008) Il existe plus de cent définitions, juridiques ou universitaires, du terrorisme1, ce qui explique en partie l’impuissance des organisations internationales à imposer une acception universelle du mot. Le résistant de l’un est le terroriste de l’autre, dit-on souvent. Ou encore, serait "combattant de la liberté" celui qui lutte contre un occupant ou un système interdisant l'expression démocratique. Tandis que les terroristes emploieraient la violence contre des régimes légitimes et des victimes innocentes. Mais l'on veut faire de "terrorisme" autre chose qu'une étiquette infamante, il faut chercher ailleurs quelle étrange relation se noue autour d’un simple mot entre idée et violence2. À la façon de Cocteau (Il n’existe pas d’amour, mais des preuves d’amour), disons qu’il n’existe pas de terrorisme en soi mais des manifestations du terrorisme. Le terrorisme n’est pas une école, une doctrine ou une idéologie, ce que suggérerait sa désinence en « isme » (comme bouddhisme, nationalisme ou structuralisme). C’est une pratique, moyen au service de fins politiques. Il existe, bien sûr, des groupes terroristes, qui posent des bombes ou assassinent. Mais la légitime horreur que suscite la chose ne doit pas empêcher d’examiner froidement le mot. Un moment pour la terreur Notons qu’ils refusent le plus souvent l'étiquette : ils se disent combattants de la liberté, avant-gardes, fractions armées du parti, armées secrètes, ou groupes de partisans. Ils ajoutent volontiers que, dès qu’ils auront affaibli l’adversaire (qu’ils dénoncent comme le "vrai " terroriste et le premier agresseur), ils se constitueront en mouvement de masse, jihad de l'Oumma entière ou armée avec uniformes et drapeaux. Il est, par exemple, significatif que ben Laden ne parle jamais d’une attaque terroriste contre les Twin Towers, mais de la « bataille de Manhattan ». Tout mouvement terroriste veut sa propre disparition et se pense comme un moment historique (sa vocation est de changer l’histoire écrite par les forts) : un jour, dit le terroriste, nous passerons à un autre stade, celui de la « vraie »


guerre, de l’action politique ouverte, de la révolution ou, pour certains, de la négociation d’égal à égal avec des gouvernements. Il y a donc non pas une essence, mais un moment ou une méthode terroriste à laquelle le faible, l'acteur non-étatique, choisit ou non de recourir dans une configuration politique. Mais au quotidien, la pratique terroriste se reconnaît à un signe : l’attentat par des groupes clandestins frappant des cibles symboliques dans un dessein politique. L’attentat est un usage de la violence à la fois planifiée (il répond à une stratégie), sporadique (il y a attentat ou séries d’attentats coupé de périodes de calme apparent), secrète (le temps de sa préparation et, après coup, lorsque ses auteurs disparaissent), surprenante (le but du terroriste est de frapper « où il veut, quand il veut » pour placer l’adversaire sur la défensive et transformer son attente du prochain attentat en angoisse) et enfin spectaculaire (l’attentat « vaut » par son impact sur les dirigeants, l’opinion adverse, neutre ou sympathisante, bien plus que par sa valeur strictement « militaire » de nombre de morts ou de bâtiments détruits). Tous ces éléments distinguent notamment l’acte terroriste de l’action d’une guérilla – qui a une durée et une visibilité permanentes et cherche à contrôler un territoire – ou de l’émeute. Il n’est pas moins constant que la cible est toujours symbolique, même s'il s'agit d'un chef d’État : la victime a été choisie moins pour ce qu’elle est ou pour la perte que constitue sa disparition de personne physique que pour ce qu’elle représente : le Système honni, l’autorité illégitime, les ennemis de Dieu, les occupants… Même la victime innocente - passant touché par une bombe dans la rue – est choisie en raison de son anonymat même. Elle est le zéro d’un terrible équation : sacrifiée pour signifier que nul n’est à l’abri même le moins apparemment concerné. Peut-être même ce passant est-il « coupable » aux yeux du terroriste, du seul fait de sa nationalité ou de sa religion, ou parce que, ne participant pas au combat de libération, il est jugé objectivement complice des oppresseurs. Enfin le but est politique, en ce sens qu’il s’agit de modifier un rapport de pouvoir stable. Il s’agit, par exemple, de détruire l’État (terroristes anarchistes), de chasser l’État d’un territoire (indépendantistes ou anticolonialistes) ou encore de contraindre l’État (les groupes internationaux des années 70/80 « à la Carlos » agissant peu ou prou pour des commanditaires)


Étymologie de l’horreur Reste pourtant que le mot de terrorisme a une apparition historiquement datée et que ses usages ne le sont pas moins. Pour sa première occurrence, le mot est attesté par le dictionnaire en 1793 : il désigne d’abord le terrorisme d’État jacobin et révolutionnaire, c’est-à-dire la propagation à tout le territoire de la Terreur ; elle doit paralyser de crainte les ennemis de la Nation. L’idée est de couper les têtes qui refusent de se laisser remplir. La plupart des langues européennes reprennent généralement de notre langue (mais les Grecs parlent de traumokratia, littéralement le règne de la peur). Au cours du siècle suivant, le sens du mot s’inverse : le terrorisme devient une forme de lutte contre l’État et sans les moyens d’un État (pas d’armée régulière, pas d’institutions reconnues…). La notion se répand avec les attentats narodnistes dits abusivement « nihilistes » puis ceux des sociaux-révolutionnaires en Russie. On parlera bientôt des bombes anarchistes dans le reste de l’Europe et en Amérique. Le terroriste est alors, selon le mot de Camus, celui qui « veut tuer une idée quand il tue un homme »3 : le coup de feu ou l’explosion qui tuent le tsar, le président, le policier ou le simple bourgeois sont des coups de tonnerre censés réveiller le prolétariat. En radicalisant la situation (voire en provoquant la répression), en obligeant chacun à choisir son camp, dominants ou dominés, et en démontrant que les représentants de la tyrannie ne sont plus à l’abri, le révolutionnaire entend faire œuvre idéologique voire pédagogique ou révélatrice. Quand le message compte plus que le dommage ou quand, selon le mot de Raymond Aron, il y a recherche d’un impact psychologique bien supérieur à l’impact « militaire », il y a pratique terroriste. Ceci constitue une rupture par rapport à des siècles qui ne connurent "que" l’assassinat politique, tel le régicide et le tyrannicide discutés par les philosophes et les théologiens. Les sicaires hébreux, les hashishins chiites ou les carbonaris républicains étaient certes motivés par l’idéologie et voulaient répandre la peur dans le camp adverse. Mais le but était de châtier un homme ou de faire disparaître un ennemi puissant, bref, détruire un obstacle. L’idée que l’éclat de cet acte contribuerait à répandre des idées vraies leur était étrangère ou leur semblait secondaire. Les terroristes nationalistes, réactionnaires, religieux, identitaires, révolutionnaires internationaux, et autres qui suivront pendant tout le XXe siècle se placent dans cette même logique où le spectacle et le sens donné à la mort (ou au dommage physique) comptent plus que la ravage. L’action terroriste est une


proclamation à la face du monde. Logique de la proclamation Pour le dire autrement, il existe trois approches majeures (et pas inconciliables) du phénomène terroriste. Soit il est considéré comme une variété particulièrement odieuse du crime. On juge alors qu’il s’en prend à des victimes innocentes par nature (femmes, enfants, civils) ou qui ne sont pas sur la défensive, et qu'il agit par traîtrise (les agresseurs se cachent, ne portent pas d’uniformes…). Équivalent terrestre de la piraterie maritime, fait des "ennemis du genre humain ", ou analogue en temps de paix au crime de guerre, le terrorisme outre ce caractère odieux se caractérise par la finalité de sa violence. Ses buts sont politiques et il cherche à exercer une contrainte sur des dirigeants ou des populations par l’intermédiaire d’une peur exceptionnelle, paralysante, contagieuse. Seconde perspective : c’est la guerre du pauvre. Qui n'a pas de bombardiers pose des bombes. Le terrorisme serait bien une guerre au sens classique : action armée menée par des collectivités affirmant la légitimité de leur violence et cherchant à faire céder la volonté politique d'une autre entité politique. Mais faute –provisoirement peut-être - d’armes, de territoire où exercer une souveraineté ou encore de reconnaissance juridique, un groupe recourt à des moyens du faible, que son adversaire, le fort, possède par définition et plus abondamment. La spécificité est là, non dans l’idée de provoquer la terreur pour démobiliser ou diviser l’adversaire, qui n’a rien de terroriste en soi : les États répressifs ou les armées d’invasion en connaissent le pouvoir perturbateur. Troisième interprétation : la « propagande par le fait »4. Agir et dire se confondent et c’est l’éloquence de la violence qui compte. Là où la force de la conviction ne suffit pas, ou là où le terroriste pense ne pas avoir des moyens de s’exprimer, il emploie la balle ou la bombe en guise de message5. Son contenu est d’ailleurs plus complexe que ne le laisse penser l’expression "répandre la terreur" ou l'idée de "revendiquer". Ce message peut s’exprimer dans un communiqué qui en constitue le sous-titre ou être implicite, dans le choix même de la victime. Il est à plusieurs niveaux de lecture : la signature de l’auteur de l’attentat, qui il représente (le Prolétariat, le Peuple occupé, l'Oumma, tous les opprimés), qui il combat et quels sont ses griefs, ses exigences et son programme, l’annonce d’autres attentats et de victoires futures… Sans oublier la très importante composante qu’est l'humiliation symbolique de l'adversaire, frappé, affaibli, stigmatisé et démasqué tout à la fois.


De ce dernier point de vue, celui de la "communication" ou de la propagation, l'histoire du terrorisme recouvre largement une histoire des techniques. Il y a un terrorisme révolutionnaire de l'âge de l'imprimé avec manifestes et brûlots anarchistes, un terrorisme de libération nationale ou de décolonisation historiquement lié à la radio, un terrorisme de l'image et de la télévision sans frontières (qui commence avec l'attentat contre les jeux olympiques de Munich en mondovision)... Les médias du terroriste ne varient pas moins que ses armes. Kamikazes et caméras Ainsi, il est difficile de ne pas s'interroger sur la concomitance de l'attentat suicide et du cyberjihadisme. La bombe humaine -avec une gradation : ceinture d'explosifs, voiture piégée, avion piraté transformé en missile - s'inscrit, pour une part dans une continuité historique. Les tyrannicides n'avaient guère d'illusion sur leurs chances de survie et les premiers terroristes du XIX° siècle se savaient promis à l'échafaud. Quant à l'idée de se faire exploser pour causer le plus grand ravage dans les rangs ennemis, ce n'est pas un monopole des islamistes : tigres tamouls, gauchistes japonais et même sionistes des années 40 l'ont appliquée6. Simplement, les jihadistes, qu'ils soient sunnites ou chiites, y ont apporté une systématicité et une spectacularité particulière. Non seulement, ils privilégient cette stratégie, tant ils ont de volontaires prêts à mourir pour économiser une simple télécommande, mais ils ont inventé un rituel. Cette technique frappe l'adversaire d'une panique toute particulière : le coupable a disparu avec son acte et aucune crainte ne pourra arrêter son successeur. S'il garantit au kamikaze sa place au Paradis, l'attentat que ses auteurs refusent de qualifier de suicidaire se veut surtout exemplaire. Les testaments vidéo des kamikazes obéissent à des règles aussi formelles que le Kabuki : le déjà-mort parle face à la caméra, en tenue de combattant qui est ici tenue de spectacle, explique son acte et appelle d’autres croyants à l'imiter. Certaines cassettes ou DVD le montrent échangeant un dernier baiser fraternel avec ses camarades. Plus tard, son image sera exaltée par des affiches apposées dans son quartier. Peut-être même, les enfants collectionneront des vignettes avec son visage, parmi des images de martyrs, comme nos bambins les Pokemon. Filmé avant, médiatisé pendant l'attentat, commémoré après, le martyr aura triplement témoigné par l'image. Cette mort comme spectacle est à mettre en rapport avec un rapport tout particulier des jihadistes avec les médias. Le 11 septembre fut la plus brutale opération de production d'images symboliques que l'on connaisse. Ce jour-là,


même les plus terre-à-terre ont compris qu'il s'agissait de frapper des symboles de l'Occident, de l'orgueil des infidèles, de l'argent, de l'Amérique, des tours de Babel, de l'idolâtrie, etc. Ces image-là étaient pensées et scénarisées, à tel point que les mots - un communiqué de revendication par exemple - était inutile. Mais au quotidien, l'activité jihadiste ne repose pas moins sur la production d'images pixellisées que sur celle de chaleur et lumière par les bombes. Elle est capable de combiner la force de l'archaïque et du numérique. Certes, les discours de ben Laden et Zawahiri sont des prêches remplis de citations de hadith et de poésie et comparent sans cesse l'actualité politique à la situation d'avant 1258 (chute du califat de Bagdad face aux Mongols) ou aux combats du prophète et de ses compagnons "en ce temps-là". Mais ces propos sont relayés par un réseau moderne de caméras digitales, de studios virtuels et de sites de diffusion. Si les nihilistes dans les Possédés de Dostoïevski, inspiré de faits réels, se déchirent pour une presse à imprimer cachée quelque part, al Qaïda possède une société de production as Sahab. Tout bon sympathisant sait comment se procurer en quelques clics des images exaltantes de l'entraînement des moudjahiddines, des prédications de l'émir ou des séquences d'otages égorgés ou de traîtres fusillés (Irakiens s'engageant dans la police, soldats algériens "anathèmes"). De telles images, que nous, Occidentaux, jugerions les plus propres à desservir leur cause, sont - de leur point de vue - "licites" au sens coranique et bonnes puisqu'elles montrent le châtiment des "ennemis de Dieu" et appellent au bon combat. Quant à la fonction "réseaux" d'Internet, elle est moins de permettre à la hiérarchie de s'exprimer, de donner des instructions, de créer une messagerie sécurisée ou de servir de "vitrine" éventuellement redoublée d'un centre de "elearning pour futurs moudjahiddines", que de créer l'équivalent des réseaux sociaux pour combattants de la foi : un lieu numérique ou se retrouver et se conforter.

Cycles Un des problèmes de la lutte anti-terroriste est précisément d’envisager son objet sous ses trois dimensions criminelle, polémologique, symbolique qui appellent respectivement une répression judiciaire, une stratégie politique et une action d’influence. Une récente étude de la Rand Corporation posait la question : « comment finissent les organisations terroristes ? »7 en retraçant le devenir de 648 groupes depuis 1968. Ses conclusions démontraient la faible rentabilité du terrorisme (il ne « gagne » qu’une fois sur dix, mais il est vrai qu’il ne « perd » face à la répression que dans 7% des cas). Les chiffres montrent surtout que la vocation


« naturelle » des groupes terroristes est, comme nous l’avions noté plus haute, de muter. Soit en devenant des forces politiques légales, soit en passant au stade supérieur de l’insurrection armée. Bien entendu, ce constat n’est qu’à moitié rassurant. Car si le terrorisme est une sorte de crise de croissance politique, le nombre de ses victimes s’accroît d’année en année. Mais au moins peut-on se dire que l’action terroriste a une fin, comme la guerre a la sienne qui est la paix (bien avant Clausewitz, saint Augustin faisait remarquer « nous faisons la guerre en vue de la paix »). Est-ce toujours aussi vrai ? Depuis la fin du XXe siècle, nous avons pu combien la guerre était « menacée », ou comment elle tendait à devenir hybride et imprécise : multiplication des opérations mi-militaires mi-policières contre (ou entre) de factions armées, groupes à la fois criminels et idéologisés, prolifération des combattants sans uniformes dans les zones sans droit, nouvelles formes d’actes de guerre asymétriques soit de très haute technologie (comme la guerre informatique) soit au contraire archaïques et barbares (massacres de civils par des « milices »)… Parallèlement, le « statut » - instrumental, provisoire, secondaire – du terrorisme n’est pas moins remis en cause. Il y a d’abord une « dilution » par le bas de la pratique terroriste en ce sens qu’un nombre croissant de groupes sont tentés de franchir le pas et de recourir à la violence expressive et symbolique : groupes d’amis des animaux, écoterroristes, groupes à motivations sexuelles (pro-pédophiles ou homophobes), sectes apocalyptiques et suicidaires, milices « survivalistes » américains persuadées qu’un complot international cherche à leur faire rendre leurs armes et veut les emprisonner8… Mais c’est surtout le dépassement « par le haut » qui pose problème. Le 11 Septembre, l’organisation qu’il est convenu de désigner comme « al Qaïda » a – chacun l’a bien compris -bouleversé la donne en termes de létalité (le premier attentat à trois décimales de morts), de technicité (l’exploit de la préparation et de la coordination) et de spectacularité (les images les plus filmées et les plus ressassées de l’histoire de l’humanité). La vraie assomption du terrorisme au statut de mythe, il l’a acquis le lendemain, le 12, quand les États-unis ont déclaré la « guerre globale au terrorisme » que d’autres ont baptisée « quatrième guerre mondiale » (supposée suivre la troisième, la guerre froide)9.


Sans victoire imaginable Bien entendu, cette « guerre au terrorisme » vite devenue l’acronyme GWOT (Global War On Terror) a été critiquée, y compris dans les rangs républicains pour deux motifs. D’une part, son absurdité évidente car le terrorisme est un moyen pas un adversaire, et selon la formule bien connue « On faisait la guerre au nazisme, pas à la Blitzkrieg ». D’autre part, il est reproché à cette formulation imprécise, de susciter des inquiétudes dans le monde arabe (où s’arrête ce combat ?) tout en faisant à ben Laden le douteux honneur de le proclamer ennemi principal, pour ne pas dire principe métaphysique du Mal. Pourtant, beaucoup s’obstinèrent à renforcer ce « concept » de 11 septembre10, à proclamer que l’événement était épochal et ouvrait une nouvelle phase dans l’histoire de l’humanité bien plus que la chute du mur de Berlin. Certains voulurent même distinguer des penseurs d’avant et d’après le 11 Septembre, ceux qui avaient compris l’ampleur des périls et les archaïques déguisés en réalistes – comme dans 1984, la novlangue distingue les ancipenseurs et le bonpenseurs qui adhérent à l’idéologie officielle moderne de Big Brother. Et certes, le danger de la guerre au terrorisme est d’ouvrir les vannes à des océans de bêtise et à des guerres, très réelles celles-là, aussi absurdes que celle d’Irak. Ces guerres sont censées remplir une fonction - Stratégique et matérielle : priver l’adversaire de son arsenal, détruire ses sanctuaires - Symbolique et dissuasive : dissuader apprentis terroristes et dictateurs. - Idéologique et politique : répandre la démocratie dans le monde. En faire « un lieu plus sûr pour la démocratie ». Mais le plus grand danger est peut-être d’avoir inventé une guerre sans victoire possible. Donald Rumsfeld avait déclaré que la GWOT11 prendrait fin lorsque plus personne ne songerait à s’en prendre au mode de vie américain, ; elle pourrait durer aussi longtemps que l’on aurait besoin de pompiers et de policiers dans la vie civile. Une guerre qui vise à détruire l’intention hostile (l’islamisme), l’organisation hostile (al Qaïda) et les moyens hostiles (Armes de Destruction Massives, bases terroristes et États voyous les soutenant) a, effectivement, peu de chances de se terminer par un traité de paix et un défilé de la victoire. Elle a même peu de chances de se finir du tout. Certes, la faute n’en revient pas qu’aux dirigeants américains et tient beaucoup aux délires millénaristes d’une organisation qui qualifie son action de forme théologiquement obligatoire du jihad défensif. Le terrorisme comme pure vengeance ou comme pratique trouvant sa récompense en elle-même (tel le Paradis pour les kamikazes) n’a pas davantage d’issues envisageables. Tandis


que l’Histoire se charge de ramener à une vision plus réaliste : ceux qui ont cru, par exemple, que les rapports de puissance ave la Chine et la Russie devenaient secondaires par rapport à la polarité terrorisme/monde démocratique redécouvrent la complexité du réel. Les terroristes prennent les idées au sérieux (ils tuent pour), raison de plus pour prendre les mots au sérieux François-Bernard Huyghe. 1

Schmid, Albert J. Jongman, et al., Political Terrorism: A New Guide to Actors, Authors, Concepts, Data Bases, Theories, and Literature, New Brunswick, NJ: Transaction Books, 1988, pp. 5-6. 2 Nous avons rassemble nos propres essaies de défintion sur http://www.huyghe.fr/actu_574.htm 3 In Les Justes 4 Formulation adoptée au Congrès socialiste révolutionnaire de Londre, 1881 5 Ce thème et la périodisation des médias terroristes évoquée plus loin ont été traités dans le N°13 des Cahiers de Médiologie (Galimard 2002) : La scène terroriste, téléchargeable sur le site http://www.mediologie.org 6 Voir Histoire du terrorisme de G. Challiand et A. Blin Bayard 2004 7 How Terrorists Groups end, Rand, Juillet 2008, téléchargeable sur http://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB9351/index1.html 8 Voir les travaux de Wlalter Laqueur sur la question comme The New Terrorism, Phoenix Press, 1998 9 Voir notre propre analyse dans Quatrième guerre mondiale Faire mourir et faire croire éd. du Rocher 2004 10 Voir sa critique par Habermas et Derrida dans Le concept de 11 Septembre, éd. Galilée 11 Pour la petite histoire : même l’administration Bush a pris conscience du caractère gênant de cette formulation et a envisagé d’adopter d’atures désignations, non moins étonnantes, comme Global Struggle Against Violent Extremism (GSAVE)


Message et terreur, acteurs et vecteurs François-Bernard HUYGHE Docteur d’État en sciences politiques, habilité à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication, expert associé à l’IRIS, consultant en stratégie de l’information, anime le site http://www. huyghe.fr. Dernier livre : Comprendre le pouvoir stratégique des médias (Éditions Eyrolles, 2005).

« Ne haïssez pas les médias, devenez les médias » aiment répéter les partisans du « journalisme citoyen » sur Internet 1. À sa façon, le terrorisme n’est-il pas lui aussi devenu un média ? Sa stratégie vise à une efficacité symbolique donc à un effet de croyance, et se trouve toujours confrontée à un choix. Combattre les médias suspects d’être au service du système haï ? Passer un compromis avec eux, jouer de leur goût pour le sensationnel et en profiter pour faire passer son message, au moins en partie ? Se doter de ses propres médias qui expliqueront la finalité de l’action violente ? Inventer de nouvelles formes de lutte ayant un sens si

fort qu’aucun média ne puisse le déformer ou le censurer ? La réponse renvoie à une logique qui articule trois éléments : une action violente, une intention qu’il faut bien qualifier de « pédagogique » (le terrorisme essaie systématiquement d’enseigner ou de « révéler » quelque chose), et des dispositifs censés informer le public, lui décrire les événements du monde.

Le mot, la chose Il n’y a pas une réponse unique à ces questions (pas plus qu’il n’y a un

Sécurité globale | Automne 2007


François-Bernard HUYGHE

« terrorisme » en soi). En revanche, il existe des situations historiques, marquées par la rencontre d’idéologies et de modes dominants de transmission (l’imprimé, la télévision, Internet...). Dans chacune de ces configurations, chacune de ces « médiasphères » 2, deux pôles : la violence et son sens, l’action et la proclamation, la mort réelle et le défi symbolique, la « guerre du pauvre » et la « propagande par le fait », le ravage et le message 3…

2

ou la machine infernale du boulevard du Temple en 1835, les complots de carbonari et autres associations secrètes, restent encore dans la tradition du tyrannicide : ils ne visent qu’à tuer le despote 5. Le terrorisme au sens moderne naît avec les médias modernes.

Détruire l’État

Commençons par l’étymologie. Le mot terrorisme apparaît dans un dictionnaire français en 1795 et désigne l’expansion de la Terreur proclamée par la Convention. Pendant des siècles, il y avait des groupes politiques clandestins, des assassinats de rois ou de tyrans, des massacres de civils innocents, des attentats… mais personne n’avait eu besoin d’un mot pour désigner la chose. L’apparition d’un terrorisme d’État suppose une idéologie constituée (la Terreur comme arme de la Révolution, qui, menacée, paralyse ses ennemis de crainte). Déjà, la violence est pensée comme arme de persuasion massive. Elle doit remplir les têtes qu’elle ne coupera pas. Répandre la terreur, c’est faire trembler les ennemis du peuple et encourager les bons citoyens. Or, pas de diffusion sans mise en scène. Les colonnes de Bleus descendent vers les provinces contre-révolutionnaires armées, certes de canons et fusils, mais aussi de proclamations, de guillotines sur leurs estrades, et parfois même de matériel pour monter des pièces patriotiques.

Apparaissent alors les « narodnistes » russes, du nom de leur parti « Narodnaïa Volia » (la « Volonté du peuple »)6. Celui-ci naît en 1879 d’une scission des populistes de « Terre et liberté » : lassés d’aller « au peuple » pour lui prêcher la bonne parole, les narodnistes, et leurs successeurs du Parti socialiste révolutionnaire de Russie (1901-1917) choisissent le terrorisme individuel. Cette mouvance est responsable de plusieurs décennies d’attentats (dont celui qui coûta la vie au tsar Alexandre II en 1881). Elle croit qu’afin de réveiller les forces révolutionnaires, l’avantgarde doit frapper des représentants de l’autocratie. Ceux qu’on nomme aussi à tort « nihilistes » utilisent la bombe et le pistolet (souvent en sachant qu’ils seront pris et finiront sur l’échafaud, leur acte équivalant à un attentat-suicide). Ils transforment leurs procès en tribunes, écrivent des manifestes et tentent d’imprimer des feuilles clandestines (généralement lues par la seule intelligentsia et repérées par la police). Leur gloire, ils la doivent surtout à la littérature.

La terreur change de camp durant le siècle suivant 4 : de servante de l’État, elle devient son ennemie et tente de le détruire. L’attentat de la rue Saint-Nicaise en 1800,

Un des plus grands romans de tous les temps, Les Possédés de Dostoïevski (traduit aussi par Les Démons) s’inspire d’une histoire authentique : celle d’un


Message et terreur, acteurs et vecteurs

groupuscule dirigé par une sorte de gourou fascinant. Dans la réalité : Netchaïev auteur du Catéchisme du révolutionnaire qui, autour d’une obscure histoire de presse à imprimer clandestine, amène le groupe à exécuter un pauvre type, le maillon faible de la conspiration. Camus s’inspirera aussi de la véritable histoire de terroristes antitsaristes notamment dans Les justes, où il résume leur système en écrivant que quand ils tuent un homme, ils veulent « tuer une idée ».

Les attentats tueront Sissi l’impératrice d’Autriche, le roi Umberto, le président américain McKinley, Sadi Carnot et beaucoup d’anonymes… En France, les noms de Vaillant, Ravachol, d’Émile Henry ou de Caserio marquent cette période. Elle durera jusqu’à la bande à Bonnot avant la Première Guerre mondiale ; tout ce temps, les bourgeois tremblent, s’attendant à voir une autre bombe exploser à la Bourse ou dans un café.

C’est aussi le temps des « lois scélérates » Dostoïevski et Camus ont raison. Ce qui de 1893 et 1894 qui répriment notamment caractérise le terrorisme, en effet, ce n’est l’apologie des « menées anarchistes ». pas qu’il frappe des victimes innocentes ni Car les anarchistes ont leur presse, qu’il cherche à « répandre la terreur » (est- parfois quotidienne (comme le Citoyen ce qu’une charge de cavalerie mongole ou de Paris) : Le Prolétaire, Le Révolté, le bombardement de Dresde ne cherchaient L’Anarchie ou La Dynamite (directeur pas non plus à terrifier pour faire céder politique : Ravachol)… Entre brochures la volonté de populations civiles ou théoriques, pamphlets, descriptions de gouvernements ?). Pour notre part, détaillées des machines infernales et nous avons défini le terrorisme comme recette de la dynamite, la production est une « méthode de lutte d’acteurs non abondante à l’ère de la rotative. Mais étatiques et clandestins commettant des l’action anarchiste touche aussi la presse attentats à buts politiques sur des cibles populaire à grand tirage (Le Matin, Le Petit symboliques ». L’attentat n’atteint pas Journal, Le Petit Parisien). Ces premiers seulement des choses ou des vies, il vise mass media relatent les exploits des terroristes avec force gravures de style très aussi des signes 7. kitsch (en attendant les premiers clichés), Une seconde grande vague de terrorisme tandis que les chanteurs de rue racontent naît dans les années 18808 : internationale, le triste sort d’un Ravachol ou d’un anarchiste, s’attaquant tantôt à des Bonnot. Dans les milieux intellectuels, représentants de l’autorité et du capital, et pas tous forcément de gauche, la tantôt à tout un chacun dans des brasseries, séduction romantique des révoltés n’est des trains ou des théâtres, visant à la pas négligeable. Les lois scélérates visent destruction de l’État mais aussi à l’éveil aussi cette participation morale, celle des de la conscience des opprimés. C’est ce sympathisants ou apologistes et répriment que les délégués anarchistes nomment dès l’expression des idées. Sans grande la fin du XIXe siècle « action directe » ou efficacité, d’ailleurs…. « propagande par le fait », slogan adopté au congrès de Londres en 1881.

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Contrôler le territoire

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circulation des dépêches par le câble, puis Une autre forme du terrorisme est née le rôle de la radio. Celle-ci n’amplifie avant le vingtième siècle et en accompagne pas seulement le bruit de l’attentat donc tous les soubresauts : elle se réclame de la crédibilité du mouvement : ni les luttes de libération nationales. Suivant douaniers, ni les policiers n’arrêtent les les époques ou les points de vue, on ondes. Un groupe de combattants isolés parle de combat pour la décolonisation, dans la montagne, le désert ou le bocage de séparatisme ou d’indépendantisme, peut rester en contact avec l’organisation, de guerre de partisans ou de guérilla, éventuellement avec ses soutiens d’armée de libération, de résistance, transfrontaliers… d’attentats séparatistes ou nationalistes. Tandis que les panoplies se perfectionnent De l’IRA à l’ETA en passant par le FLN ou la Main Noire serbe cette violence (armes automatiques, plastic…), la est menée pour le territoire et pour le logistique de transmission s’améliore. contrôle de la population. Les terroristes L’attentat ne joue son rôle performatif, enracinés luttent aussi contre les médias c’est-à-dire qu’il ne contribue à changer de « l’occupant » qui les présentent comme la réalité que couplé avec un communiqué des bandes criminelles. L’affirmation de de revendication. Ce dernier en constitue l’identité collective des peuples occupés comme le sous-titre ou un métatexte. Il à travers la langue, le chant, voire le en nomme l’auteur, en explique le sens, folklore tient une grande place dans leur le justifie en droit 9 (celui de la révolte des opprimés), le requalifie, en raconte le méthode. but, adresse une demande à l’adversaire, Mais l’affrontement passe aussi par la énonce une menace, voire entame une photographie qui confère son impact à une négociation. La victime de l’attentat a été cause : il importe moins de frapper un roi choisie moins en raison de son importance ou un général que de trouver des caisses politique qu’en raison de la « lisibilité » de résonance, y compris hors frontières. de son sacrifice. Un petit fonctionnaire Se réclamant souvent modèle militaire, les « représente » l’État occupant ; un organisations indépendantistes émettent instituteur, l’oppression culturelle ; un force communiqués pour expliquer le sens auxiliaire local, l’idée de collaboration de leur lutte (déclaration du gouvernement et un badaud ou un spectateur, tous les clandestin, jugement de tribunaux du indifférents qui doivent savoir qu’ils sont peuple, proclamation de telle ou telle partout menacés et qu’il n’y a plus de armée secrète, mots d’ordre et appels au neutralité possible… La fonction de prise peuple…). Ces textes ne sont pas seulement à témoin de l’opinion internationale est théoriques ou apologétiques, ils sont censés cruciale dans un combat où chacun a aussi prescrire et proclamer. compris qu’il s’agit moins de faire mourir que de faire savoir. L’affrontement autour de leur diffusion comme autour de la « publicité » données aux attentats reflète l’accélération de la


Message et terreur, acteurs et vecteurs

Terreur cathodique La grande étape suivante est marquée par la synergie entre la télévision et un terrorisme nouveau. Il est internationaliste, plutôt d’extrême-gauche. S’il fallait donner une date de naissance, ce serait la prise d’otages de Munich en 1972. Tout y est : utilisation publicitaire d’un événement en mondovision, tractations devant les caméras, équipe internationale d’activistes, revendications destinées à populariser la cause palestinienne dans le monde, construction dramaturgique inhérente à toute prise d’otages… La règle est : détourner les écrans comme on détourne les avions. Ou, comme le font certains professionnels du terrorisme « à la Carlos » 11 adresser des messages à des gouvernements par événements médiatiques interposés : ici un train saute, là, on frappe au cœur de la cité. 10

Le lien traditionnel entre le terroriste et l’État (l’État que voulaient détruire les anarchistes, l’État que voulaient chasser les indépendantistes) est médiatisé, dans tous les sens du terme. Il passe par des moyens de communication de masses. Mais il passe aussi par des médiations : les groupes activistes déterritorialisés (ou qui se battent pour un territoire symbolique lointain comme la Palestine) frappent psychologiquement le système international, incarné par des pays impérialistes. Ils le frappent à travers une masse anonyme. Celle-ci est à la fois cible (elle éprouve la peur et la souffrance, pas les dirigeants protégés) et relais (son refus d’une situation insupportable fera pression sur ces dirigeants).

Nombre de groupes entament une véritable lutte pour la visibilité : la finalité de l’attentat ou de la séquestration est, en transposant la formule d’Andy Warhol, « de devenir vedette un quart d’heure ». Apparaître sur les écrans ou à la première page pour une performance symbolique, par exemple « juger » un ministre italien enlevé ou envoyer, selon la formule de Renato Curcio 12 une « image-message » : une photo avec un vieux P-38, c’est une icône de la lutte armée. Sa finalité même est d’apparaître et de frapper l’imagination. Cette logique est poussée jusqu’au bout par un Unabomber qui envoie des lettres piégées pendant des années avec une unique revendication, la publication par les journaux de ses textes fulminant contre la civilisation technicienne. À cette époque, le rapport terrorisme et médias est pensé suivant deux catégories dominantes 13. Celle de l’amplification d’abord. C’est la logique du « plus que… » : une mort spectaculaire compte pour plus qu’une mort, un message sur fond de bombe est mieux entendu. La dimension rhétorique et spectaculaire du terrorisme est évidente. Produire une crainte plus que proportionnelle au risque réel, exacerber la peur par la vision de l’horreur, ou obtenir une réception de son message plus forte que sa représentativité politique. C’est ce que résume très bien la phrase de Raymond Aron posant la distinction entre une action terroriste et une action militaire. La première recherche un « impact psychologique, hors de proportion avec les effets physiques produits et les moyens utilisés ». Le média

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ferait donc chambre d’amplification du terroriste.

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les deux symptômes principaux de la mondialisation et de la société de l’information : la télévision satellitaire et Seconde image souvent utilisée : le Internet. Déjà, avant le 11 Septembre, il y terroriste « fait du judo » avec les médias. eut des signes annonciateurs. Des cassettes Il utilise leur force, la faculté de fasciner circulaient sous le manteau à la fin des les masses, comme une faiblesse pour années 1990. On y voyait des combattants leur imposer sa volonté. Tout se passe à l’entraînement ou des décapitations et comme s’il y avait un contrat implicite : le égorgements face à la caméra par des terroriste fournit l’image, le média fournit islamistes tchétchènes ou des Algériens l’impact. Au passage, le premier a gagné de du GIA. À l’époque ou l’Occident rêvait l’audience – l’attentat c’est l’événement par d’interventions humanitaires à zéro mort excellence, toujours dramatique, imprévu et développait le culte cathodique de la et renouvelable en série. Le terroriste, victime, c’était un signal qui aurait dû lui, a gagné l’attention de nouveaux attirer l’attention. destinataires. Il connaît la logique de notre L’événement le plus filmé de l’histoire système spectaculaire – en parler c’est l’encourager, l’ignorer c’est nourrir tous les humaine, le 11 Septembre 14 change la fantasmes. Lui répondre en le réprimant, donne. Comme un clip publicitaire aux c’est le justifier aux yeux, d’une partie au dimensions métaphysiques, des images moins, du public qu’il vise. Corollaire : le repassées en boucle des milliers de fois terrorisme a avantage à frapper au hasard. montrent la chute des Tours de Babel, que Ben Laden lui-même désignait comme « les Moins de risque et plus d’impact. icônes de l’Occident ». Le défi symbolique En effet, il est hyperdémocratique dans est double : la technique occidentale de le choix de ses victimes : plus besoin d’être transport et de communication frappe puissant ou d’incarner la domination pour l’orgueil américain et les kamikazes être éligible. Au contraire l’homme ou la réalisent le plus grand acte iconoclaste de femme du commun, dont la principale tous les temps. Comme leurs protecteurs qualité est d’être sans qualité particulière, talibans avaient détruit les sculptures l’anonyme qui pourrait être vous ou moi « idolâtres » des Bouddhas de Bâmiyân, ils est la cible la plus représentative puisqu’il frappent les plus grands monuments de incarne le plus petit dénominateur commun. notre « culte » matérialiste : la modernité, l’efficacité, l’argent, le cosmopolitisme, Il lui suffit d’être là. le modèle universel du bonheur par la réussite…

Terreur et réseaux

Ces deux grilles d’analyse ont leur valeur en leur temps ; mais il va falloir les réviser au tournant du XXIe siècle. Le terrorisme jihadiste en réseaux détourne

Pour comprendre l’attitude des jihadistes face aux médias, il faut revenir aux fondamentaux théologiques. L’islam (surtout salafiste) est iconophobe 15 : il considère que produire des images 16,


Message et terreur, acteurs et vecteurs

c’est à la fois rivaliser avec le créateur et fabriquer des objets de délectation sensuelle, détournant l’amour qui devrait être réservé au seul Créateur. Mais l’image peut être licite si elle est pédagogique et si elle exalte le Bien (le « Bien » en question pouvant consister, aux yeux de certains à égorger des étrangers ou des apostats ennemis de Dieu).

passé glorieux de l’Oumma triomphante, le jihadisme fonde un système de référence. Ainsi la répétition du texte et de l’histoire anciens est renforcée par des images inspirées des plus sensationnelles que produisent les télévisions occidentales.

D’où cette contradiction apparente que résume un cliché célèbre : des talibans détruisant des négatifs de photographies et de films, mais le faisant devant les caméras de la presse internationale pour que chacun voie comment ils traitent ces signes d’idolâtrie 17.

Le jihadisme a inventé de nouveaux genres médiatiques :

L’organisation de Ben Laden qu’il est convenu de nommer Al-Qaida a compris ce principe et l‘émir lui-même, fort soucieux de son apparence, alternant tuniques immaculées et battle-dress du maquisard, le symbolise mieux que personne. D’une part, il bat la société dite de l’information sur son propre terrain avec ses propres armes (« Comment se faitil que le pays qui a inventé Hollywood et Madison Avenue soit impuissant face à un type barbu dans une caverne ? » se demandait un sénateur américain). D’autre part, Ben Laden réactive un discours archaïque, comme si le monde s’était arrêté en 1258, date de la chute du califat de Bagdad. Les événements sont toujours renvoyés à un passé mythique. Tout remonte au Prophète : c’est l’éternelle lutte des mêmes contre les mêmes. Le jihad n’a jamais vraiment cessé entre serviteurs et adversaires du Coran. En renvoyant à ce

Message et style

- Les sermons télévisés. Ben Laden et Zawahiri se sont spécialisés dans ces « prêches » adressés tantôt aux croyants, tantôt aux chefs et peuples ennemis. Face à la caméra (parfois dans un décor qui évoque le Prophète et ses compagnons réfugiés dans une caverne) le prédicant utilise un langage littéraire, entrecoupé de citations coraniques ou de poèmes arabes classiques. Les métaphores fleurissent dans ce discours mystique. Il sera répandu dans notre monde profane, notamment par AlJazira. Des millions de téléspectateurs ont réalisé le 6 octobre 2001 le pouvoir de cette chaîne qatarie arabophone à petit budget. À la minute même où CNN jouait un remake de la guerre du Golfe de 1990 (les avions US sur le pays des terroristes et les missiles filmés en contre-plongée comme dans un jeu vidéo), les télévisions du monde entier étaient obligées de reprendre et traduire à la hâte une cassette de Ben Laden. La force du scoop était telle que le chef islamiste paraissait répondre par un autre défi symbolique à la puissance matérielle de l’US Army. Depuis, les messages audios et vidéos parviennent régulièrement aux

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télévisions, soit via Al-Jazira soit par Internet, renforçant le caractère mythique des deux personnages recherchés en vain par la première puissance du monde, ses satellites espions, sa technologie et ses milliards de dollars. - Les clips de recrutement. Ils montrent l’entraînement ou les actions des moudjahiddines, dans un style très pompier avec musique tonitruante. Le tout ferait apparaître les productions du style « engagez-vous dans la légion, vous y trouverez de l’action » comme des bluettes intimistes. Certains de ces films disponibles sur Internet se veulent des cyber-universités montrant comment s’entraîner.

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- Les testaments de kamikazes. Enregistrés dans la tenue où ils subiront le martyre, et sur fond de banderoles ornées de slogans, ils expliquent la raison de leur acte futur et leur joie de rejoindre la cohorte des martyrs. Juste avant de transformer leur propre corps en arme et en message qui exprimera la quintessence du jihad, ils défient l’adversaire et de leur vivant et par leur mort. Ils laissent des icônes qu’admireront de futurs imitateurs. Comment réfuter un message si fort que le messager meurt pour le délivrer 18 ? - Les exécutions filmées. Ce peut être un égorgement rituel d’otage occidental face à la caméra (précédé de la lecture d’une sentence et de versets coraniques). Parfois il s’agira de collaborateurs fusillés (des jeunes gens qui se sont engagés dans la police irakienne par exemple). Dans tous les cas, cette exécution judiciaire doit avoir la même vertu didactique qu’avaient autrefois les exécutions publiques chez

nous. Il existe une variante à la frontière du « film d’action » décrit plus haut : les exploits de Juba le sniper irakien qui a abattu de nombreux GI’s mais qui prend soin chaque fois de filmer ses exploits en vidéo et d’en assurer la diffusion publicitaire via Internet. Ici, on voit bien combien le jihadisme a inversé nos codes. Là où nos armées s’efforcent de produire des images soft avec zéro mort, frappe chirurgicale, guerre propre, etc., l’adversaire se complait, lui, à montrer la souffrance et l’agonie de ceux qu’il châtie. Difficile de mener une « guerre de l’information » d’inspiration hollywoodienne dans ces conditions. - Les images de victimes des « juifs et des croisés » : civils bombardés, exemple du petit Palestinien, Mohamed al Doura, tué par balle ou encore les sévices d’Abou Graib que des militaires américains sadiques avaient eu l’imbécillité de photographier en numérique et de laisser passer sur le Web. La très contre-productive pendaison de Saddam est également un bon exemple d’image boomerang. Ici, le message est simple : montrer les crimes ennemis et le but est de suggérer à tous les musulmans de s’identifier à ces corps humiliés. La logique d’exhibition des victimes, chère aux télévisions occidentales au Kosovo ou dans la guerre du Golfe, les contraint maintenant à montrer des victimes civiles arabes. Le Hezbollah excelle dans la stratégie qui consiste à jouer sur les valeurs compassionnelles de notre modernité. Il se pourrait que certains en « rajoutent » un peu, en organisant pour les télévisions des petites scènes de théâtre avec faux blessés et ambulances hurlant au Liban ou durant la seconde Intifada.


Message et terreur, acteurs et vecteurs

Telle est, en tout cas, l’accusation portée par des télévisions américaines contre « Pallywood » (terme autoexplicatif forgé en réunissant Palestiniens et Hollywood). Dans tous les cas, la controverse, parfois lancée par des organisations liées aux services israéliens comme le Memri, porte désormais sur la « métapropagande », c’est-à-dire la propagande qui consiste à accuser l’adversaire de propagande et de désinformation.

en France avant que le CSA n’y mette théoriquement le holà.

- Le message islamiste passe aussi par d’autres médias dont l’affiche (les posters de martyrs prolifèrent dans les quartiers tenus par le Hamas ou le Hezbollah). Il est aussi relayé par des moyens plus modernes : comme des jeux vidéos où, au lieu de combattre des monstres de l’espace, le joueur peut s’identifier à un combattant de la résistance irakienne abattant des GI’s. Il existe des T-shirts, Les nouveaux vecteurs des jouets, des gadgets, des tapis faisant l’apologie du jihad ou ornés de l’icône de La révolution jihadiste ne se manifeste pas Ben Laden qu’il est facile de se procurer seulement dans le contenu du message. Elle dans certains souks. Ils participent d’une suppose aussi la maîtrise des vecteurs : culture populaire sur laquelle le message des médias occidentaux et de la culture de - Al-Jazira n’est certainement pas une masse semble sans effet. télévision « terroriste », mais la petite station qatarie d’information continue en - Le monde numérique est aussi un arabe, rivale emblématique de CNN (au terrain favorable. Des DVD (parfois point de créer un Al-Jazira en anglais) offerts aux journalistes européens en est souvent la destinataire des messages guise de publicité) circulent ouvertement. vidéos ou audios des jihadistes. Cette Ils contiennent des anthologies d’exploits chaîne leur offre un point d’entrée vers le de moudjahiddines ou d’exécutions (nous circuit des autres médias. Contrairement à n’osons pas écrire des « best of »). Il existe ses rivales comme Al-Arabyia appartenant des sociétés de production d’inspiration aux saoudiens ou Al-Hurrah, qui émet islamiste qui ont parfaitement intégré les carrément des États-Unis, elle est crédible critères de l’esthétique des mangas ou de la auprès de ses millions de téléspectateurs culture pop. Considérée comme la « section arabes. média d’Al-Qaida », al Sahab Foundation for Islamic Media Publication basée à - Mieux encore : le Hezbollah libanais Quetta (Baloutchistan pakistanais) s’est (chiite) a maintenant sa chaîne, Al-Manar. spécialisée dans les vidéos de propagande. Elle s’est rendue célèbre en lançant, outre Elles mêlent tous les genres décrits ses informations de tonalité très islamistes, plus haut (testaments de kamikazes, des « jeux concours » exaltant le jihad ou interviews et messages de Ben Laden ou des feuilletons antisémites inspirés du Zawahiri, actions des moudjahiddines...) Protocole des Sages de Sion. Relayée par éventuellement avec des sous-titres ou des satellite, elle pouvait même être reçue versions anglaises. Les films recourent à la

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3D pour créer des décors très kitschs (tentes dans le désert, Corans flottant dans les airs, arbres se couvrant miraculeusement de fruits). Al Sahab entretient toujours l’incertitude sur la prochaine interview de Ben Laden qu’elle tournera. Au moment où nous écrivons, al Sahab vient de diffuser quelques images de Ben Laden, vite reprises par CNN et les médias internationaux, mais il est impossible de dater les séquences où il s’adresse à ses partisans pour les appeler au martyre.

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- La multitude des sites et forums dits jihadistes sur Internet a souvent été soulignée. Son importance est parfois exagérée dans la mesure où les « vrais » sites jihadistes en contact avec des organisations militaires ne se rencontrent pas comme cela. Il faut connaître leur URL (une adresse Internet en chiffres) qui change sans cesse pour échapper à la surveillance des autorités ou à l’action de hackers. Il y a donc peu de chance d’être recruté pour un vrai attentat, de recevoir de vrais messages secrets des dirigeants, de rencontrer une véritable filière pour l’Irak ou d’acquérir une authentique formation de poseur de bombe uniquement au hasard d’une navigation Google. Il faut être un peu plus initié et avoir quelques contacts humains. En revanche, il existe une multitude de sites sympathisants diffusant des vidéos, facilitant les contacts entre jeunes gens exaltés. Ainsi un certain « Irhabi 007 » (littéralement « terroriste 007 ») distribuait des vidéos d’exécutions, des manuels d’instruction militaire et du matériel jihadiste sur la Toile. Il pourrait s’agir d’un jeune homme de 22 ans, Younis Tsouli,

arrêté par Scotland Yard en 2005, mais la chose reste à prouver. - Les cybercafés attirent une faune de jihadistes virtuels dont nous doutons fort qu’ils aient un rang très élevé dans la hiérarchie d’Al-Qaida ou que Ben Laden leur fasse ses confidences par courriel. Mais, sur le nombre, il s’en trouve certainement qui passent à l’acte un jour, même avec maladresse. Ce phénomène qui a été surnommé « le jihad des copains » et qui est caractérisé par un certain spontanéisme n’est pas négligeable. - Même le « plus vieux média du monde », la rumeur, peut se mettre au service d’objectifs du jihadisme et trouver des centaines de milliers de récepteurs et propagateurs pour se persuader qu’il n’y avait aucun juif dans les Twin Towers ou qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone 19. Élevé par le 11 Septembre au statut d’ennemi absolu, au point que l’on parla de « Guerre Globale au terrorisme » le terrorisme est devenu tout-terrain, toutes armes, toutes technologies, tous médias voire toutes victimes. En effet, il peut frapper et partout son acte autosuffisant prend son sens : dans un avion, un métro ou une boîte de nuit, chacun symbolise le Mal que nous constituons à ses yeux. Pour lui, être ou être autre, c’est déjà être criminel et mériter sa mort. Et les pauvres tentatives de la public diplomacy américaine pour gagner les « cœurs et les esprits » des masses musulmanes par une politique d’influence ont échoué.


Message et terreur, acteurs et vecteurs

Nous sommes confrontés à une violence qui ne cherche plus à gagner quelque chose (à moins que Ben Laden espère sincèrement que grâce à son action tous les hommes se convertiront un jour) en imposant une force supérieure. La déflagration/ déclaration terroriste trouve sa satisfaction

en elle-même : dans le fait de respecter les prescriptions du jihad et dans celui d’infliger une souffrance en compensation de toutes les humiliations de l’Oumma. L’action, le message et son moyen de communication ont fusionné.

Notes 1. Initialement, le slogan “Don’t hate the media, become the media” a été lancé par un chanteur punk Jello Biafra. 2. Le rapport entre forme de la violence terroriste et « médiasphère », c’est-à-dire système dominant de transmission d’une époque a été développé dans La scène terroriste, coll. Cahiers de Médiologie, n° 13, Gallimard, 2002. Voir en particulier les articles de Catherine Bertho (avec qui nous avons animé ce numéro) et de Régis Debray (directeur de la revue). Les textes sont téléchargeables sur http://www.mediologie.org 3. Voir l’anthologie de nos textes sur le terrorisme téléchargeable sur http://www.huyghe. fr/actu_423.htm, et http://www.huyghe.fr/actu_212.htm 4. L’utilisation de « terroriste » dans un sens antigouvernemental n’est pas attestée avant 1866 (à propos de l’Irlande) et 1883 (pour la Russie). 5. Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Histoire du terrorisme, Bayard, 2004. 6. Ana Geifman, La mort sera votre Dieu, Du nihilisme russe au terrorisme islamiste, Table Ronde, 2005. 7. Jean-Paul Charnay, Terrorisme et culture, Les 7 épées, 1981. 8. Uri Eisenzweig, Fictions de l’anarchisme, Christian Bourgeois, 2001. 9. David Apter, The Legitimation of Violence, Macmillan Press, 1997. 10. Bruce Hoffman, La mécanique terroriste, Calmann-Lévy, 1999. 11. Le film de Barbet-Schroeder, L’avocat de la Terreur, montre très bien cette atmosphère et donne la parole à quelques acteurs. 12. Renato Curcio, À visage découvert, Lieu commun, 1993. 13. Par exemple François Furet, Terrorisme et démocratie, Fayard 1985 ; Michel Wieviorka, Société et terrorisme, Fayard, 1998. 14. Pour simplifier nous regrouperons ici la bibliographie à propos du jihadisme : - Alain Bauer et Xavier Raufer, La guerre ne fait que commencer, Jean-Claude Lattès, 2002. - Centre Français de Recherche sur le Renseignement, collectif, Al-Qaeda, Les nouveaux réseaux de la Terreur, Ellipses, 2004. - Éric Cobast, La Terreur une passion moderne, Bordas, 2004. - Jean-François Daguzan et Olivier Lepick, Le terrorisme non-conventionnel, FRS, 2000. - Jacques Derrida et Jurgen Habermas, Le « concept » du 11 Septembre, Galilée, 2004. - « Face à l’événement », Esprit, octobre 2001 et « Le monde de l’après-11 septembre », Esprit, août 2002. - Bruno Etienne, Les combattants suicidaires, l’Aube, 2005 - John Gray, Al Qaeda and What It Means to Be Modern, Faber & Faber, 2003.

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Terrorisme, guerre du pauvre et propagande par le fait (version réactualisée d'une conférence de 2009 pour le cycle "la guerre" de l'Université de Lille 1, actes en cours de publication)

Le terrorisme est-il une forme de guerre ? Oui pour les jihadistes qui prétendent, justement mener une guerre sainte pour libérer les terres d'Islam et venger le sang des musulmans. Oui pour de nombreux groupes indépendantistes qui s'intitulent "armée" (à commencer par l'Armée Républicaine Irlandaise depuis bientôt un siècle) Front, Brigade, Commando, etc.. On les voit d'ailleurs signer des trêves, des cessez-le-feu et des accords de paix. Oui pour l'extrême-droite US la plus dure qui mène la "RAHOWA" (Racial Holly War, guerre sainte raciale) Oui pour les membres de la bande à Baader qui faisaient la grève de la faim pour obtenir le statut de prisonniers de guerre. Oui pour les Brigades Rouges et autres multiples organisations marxistes des années 70, qui disaient mener une guerre au cœur de l'État, des actions de partisans ou de la guérilla urbaine, mais certainement pas du terrorisme individuel que condamnait Lénine. Mais pour leurs adversaires, en général l'État qui tient à conserver son monopole de la violence légitime, il s'agit forcément de crime et uniquement de crime. Toute l’ambiguïté du terrorisme tient dans la dualité de ses fins. Dans sa dimension politique (exercer une contrainte sur la volonté d’un acteur souverain), il s’assimile en effet à une guerre menée par des acteurs "privés! ". En tant qu'acte symbolique, c’est une forme d’expression atroce mais éloquente! : mettre en scène morts ou destructions pour faire parvenir un message en forme d’avertissement. On parle alors de "!propagande par le fait!". L’ambivalence du terrorisme (d'où la difficulté de lui donner une! définition juridique ou philosophique universellement acceptée) tient à cette nature double : message plus ravage, effet psychologique et violence physique. L’acte terroriste recherche certes des bénéfices en termes "publicitaires" et symboliques. Il tue les gens pour ce qu’ils représentent, non pour ce qu’ils sont ; il veut davantage faire savoir ou faire impression que faire mourir. Mais il s’en prend pas aux idées uniquement par des signes ou des insultes : il lui faut des dégâts, des morts, du sang, de la chaleur et de la lumière pour que l’acte prenne sens. Les deux formules - "guerre du pauvre" et "propagande par le fait" veulent dire : guerre moins les moyens régaliens d’une part et propagande plus violence : force démonstrative des bombes qui relaie 1


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celle des mots pour réveiller le peuple. Guerre moins armée, rhétorique plus bombe. Il y a donc lieu de comparer guerre et terrorisme (ou plus exactement actes terroristes ou réputés terroristes, car il n'y a pas un terrorisme en soi, mais une méthode terroriste qui peut parfois se mêler à d'autres comme l'action politique). La guerre et la norme Que faut-il pour qu’il y ait guerre au sens classique ? Pas obligatoirement des États au sens moderne, mais au moins des entités politiques stables et institutionnelles exercant des attributs de la souveraineté comme de demander à leurs membres (ou à certains jeunes mâles) de sacrifier leur vie et de tuer légitimement dans certaines circonstances. Il faut mort d’homme, en nombre et au moins comme éventualité acceptée : la guerre suppose le risque de mourir y compris à grande échelle (des théories comme celle de Bouthoul considèrent même la dimension démographique de la guerre une de ses grandes fonctions) Il faut des armes. En souvent toute une intendance et de lourds systèmes de fabrication, transport, entretien... pour qu’elles soient à disposition des combattants au bon moment. La guerre a une finalité : la paix. Ou plus exactement la paix victorieuse par laquelle un changement politique (un traité, le renversement du gouvernement allié, l’occupation d’une province) s’inscrira dans la durée historique. Il faut une séparation nette entre le temps de la paix et celui de la guerre : les deux représentent des états durables et notoires (tout citoyen sait s’il est en paix ou en guerre). La guerre se déroule sur un certain territoire, chez soi ou chez l’autre. Idéalement il y a même une ligne de front qui marque sur la carte la progression des différentes offensives et contre-offensives. Du reste, pour faire la guerre, il faut commencer par franchir ou violer une frontière (aérienne par exemple). Enfin la guerre a un statut juridique et un des principaux arguments contre le terrorisme est justement qu'il n'en respecte pas les règles (ce qui fait que certains voudraient le classer comme l'équivalent civil d'un crime de guerre) : il s'en prend à des civils innocents, les terroristes ne portent pas d'uniformes, ils ne respectent pas la distinction canonique entre civils, militaires et politiques, etc. 2


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À noter, en sens inverse, que certains groupes terroristes tentent d'imiter une deuxième prérogative territoriale de l'État (outre celle de déclarer la guerre) : ils prétendent exercer la justice, par exemple en faisant passer les otages qu'ils ont pris devant une "justice populaire" ou en faisant précéder leur exécution d'une sentence. Ce qui est logique puisque, pour eux l'État n'a que la légalité formelle, tandis que leur action à eux est légitime et en fait les vrais représentants du peuple. Bien entendu, le schéma que nous venons de rappeler est très théorique et il ne serait pas difficile d’énumérer des situations typiques de la conflictualité moderne et qui la remettent en cause : guérilla, guerre de partisan, désordres dans des États en faillite, actions de milices, ce que les Américains nomment OOTW (Operations Other Than War : opérations autres que la guerre). Phénomène d'autant plus troublant qu'une même organisation peut pratiquer et la guérilla (groupes armés en uniforme tenant en permanence une zone de jungle ou de montagne) et le terrorisme urbain (attentats contre des gouvernements ou des administrations, contre des moyens de transport, contre des rassemblements...). Voir l'exemple des Tigres Tamouls. De même, comme le Hamas et le Hezbollah, une même organisation peut gérer simultanément des commandos terroristes, un parti politique, des organisations caritatives, et même une télévision. Le terrorisme est donc parfois mixte (il se mélange à l'action politique, à la guérilla, au crime organisé) et souvent provisoire (une organisation terroriste peut se transformer en parti légal, en mouvement révolutionnaire de masses, en armée de libération victorieuse..). Cela tient à son statut de stratégie que l'on peut adopter, abandonner ou combiner avec d'autres. Mais, dès qu'il apparaît, le terrorisme comme stratégie radicalise la situation, et se présentant lui-même comme une riposte à un terrorisme d'État, pose la question d'un rapport entre ennemis. D'où l'importance des fondamentaux que nous pourrions résumer dans la formule : guerre = collectivités + létalité + technicité + finalité + temporalité + territorialité. Guerre et terreur Si le terrorisme a quelque chose de commun avec la guerre (au moins dans l’imaginaire de ceux qui le pratiquent), il vaut d’abord remarquer qu’il se pratique avant, après ou à la place de la vraie guerre, mais pas simultanément. Quelqu’un qui "fait un attentat" contre un char Abrams ou en tirant sur une brigade de Marines en armes n’est pas un terroriste, (mais il 3


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peut être un partisan sans uniforme, un franc-tireur) : quand bien même son acte n’est pas conforme aux lois de la guerre, c’est un acte de guerre pendant la guerre. En revanche l’attentat terroriste peut prendre place en temps de paix (voire provoquer une guerre comme celui de Sarajevo), mais aussi dès que le vainqueur a proclamé que la paix est rétablie et qu’il a vaincu l’État adverse. Comme en Afghanistan ou en Irak, il peut avoir la douloureuse surprise de découvrir que rien n’est fini. Il y a cette sorte de "guerre après la guerre" où les voitures piégées explosent, où le kamikazes se multiplient et où davantage de GI’s périssent d’une insurrection théoriquement terroriste que du fait des armées régulières afghanes ou irakiennes vite défaites. Le terroriste (l’insurgé, le guérillero) démontrent douloureusement au fort qu'il faut être deux pour faire et la guerre et la paix. La victoire militaire n’implique pas paix effective et que, si l'État le plus puissant a briser la volonté d’un gouvernement ou d’un état-major, il ne peut ni couper ni courber toutes les têtes de tous les révoltés. Si nous reprenons les éléments de la guerre abstraite, il est facile de voir combien le terrorisme réel -! qui ambitionne toujours de déboucher sur une vraie guerre (au moins une vraie guerre civile avec des forces importantes en présence) - les réinterprète à sa façon. Collectivité ? Tout groupe terroriste prétend agir au nom d’une communauté que représenteraient! les membres actifs du groupe terroriste, forcément avant-gardiste! et qui légitime son action. Ils se considèrent comme les vrais patriotes, les vrais exploités, le vrai peuple, les vrais croyants (contrairement à l’État fantoche ou au gouvernement illégitime qui le poursuit). Le problème est que le groupe terroriste - qui s’est auto-proclamé ennemi de l’État - se dit représentant de gens qui ne l’ont guère mandaté. Exemple : ben Laden dirigeant le jihad au nom de l’Oumma toute entière, communauté qui ne l’a élu ni chef politique, ni chef religieux. Il arrive aussi, mais rarement, que des terroristes agissent de façon individuelle, sur le modèle des "loups solitaires", sans le soutien d'un groupe de camarades qui les intègrent dans l'avant-garde auto-proclamée de quelque mouvement historique. Mais ces solitaires, jihadistes "autoradicalisés", Unabomber ou Breivik le tueur solitaire d'Oslo en 2011, agissent toujours au nom d'une communauté imaginaire (l'Oumma, la Nature, les vrais Européens) dont ils se disent les représentants les plus conscients. Létalité ? Le terrorisme tue, certes. Mais il renverse la hiérarchie entre guerre et guerre de l’information. Pour le militaire il importe d’abord de vaincre les forces ennemies par le fer, le feu et la manœuvre ; cette action prioritaire est renforcée par une action psychologique pour soutenir le moral des soldats et des civils, décourager les ennemis, justifier idéologiquement et moralement la guerre qu’il mène, etc. Pour 4


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le terroriste qui n’espère guère de triomphe militaire mais, au mieux la démoralisation de l’adversaire (en même temps que la mobilisation de ceux qu’il veut inciter à la révolte), une meilleure position pour négocier ou une avancée vers la mobilisation des masses, il est plus important de faire savoir que de faire mourir. Technicité ? Certes, le terroriste ne peut se doter d’un armement lourd : il n’a pas d’industrie de guerre, d’aviation, de marine, de moyens de transport, d’intendance, de logistique... Mais sa technique de mort (comme d’ailleurs sa technique de communication : Web, vidéo numérique...) est légère, inventive, changeante et surtout incroyablement économique par rapport aux gigantesques panoplies des réguliers. Là où une armée dépense des milliards en hélicoptères, satellites, missiles intelligents, le bricoleur terroriste transforme les avions en bombe, piège les voitures, transforme son propre corps en vecteur, fabrique de petits engins explosifs comme en Irak, tire de loin (ou au contraire de très près au prix de sa vie). Finalité ? La guerre vise à instaurer un état stable concrétisé par un traité de paix, une reddition, par le renversement du gouvernement vaincu et son remplacement par un autre favorable aux vainqueurs... Bref, elle vise à la sûreté et à la durée : fin de l’histoire et continuité de l’Histoire avec un grand H. Un groupe terroriste, lui, veut son autodissolution (contrairement à une armée qui est censée "resservir" lors de la prochaine guerre) : il espère que le conflit s’aggravera et qu’il y aura une révolution, une guerre civile durant laquelle chacun sera obligé de choisir son camp. Ou alors, il espère être convoqué à une table de négociation, traité non plus en criminel mais en force politique digne de se présenter aux élections, de signer des traités, voire de diriger un embryon d’État comme ce fut le cas de l’OLP. Temporalité ? Si la rupture entre temps de la paix et temps de la guerre est fondamentale voire fondatrice (la première fonction régalienne est de les proclamer l’une ou l'autre), pour un groupe terroriste, tout a toujours commencé avant qu'il n'entre en scène (le jour où l’oppresseur a, le premier, exercé son terrorisme d’État) et rien ne finira avant... Avant quoi au fait ? la victoire finale ? Dans certains cas, elle peut être difficile à définir : la révolution planétaire pour certains groupes marxistes, la fin de l’Histoire, l’établissement de l’Oumma universelle ? À noter aussi que le groupe terroriste, contrairement à une armée forcément permanente, a une activité discontinue : à un moment il frappe, à un moment il disparaît et se cache en attendant le prochain coup. Il peut rentrer en sommeil et resurgir, si bien que l'on ne sait jamais, sauf si tous ses membres disparaissent ou s'il proclame lui-même la fin de l'action armée, à quel moment l'on est en "paix" avec le terrorisme.

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Territorialité ? Si le guerrier classique connaît surtout la notion de front séparant notre territoire du leur, celui que nous sommes en train de conquérir (ou au contraire du territoire qu’ils sont en train d’envahir), le terroriste entretient des rapports bien plus complexes avec le territoire : tantôt il frappe en zone ennemie, derrière les lignes, tantôt il disparaît et se disperse pour attaquer "où il veut, quand il veut", tantôt il utilise des sanctuaires et des bases arrières. Tantôt encore, il pratique un "terrorisme international" qui consiste à frapper un État pour soutenir les intérêts d'un autre, le commanditaire. La violence comme propagande Que vaut alors la comparaison entre "propagande par le fait" et la propagande tout court ? La propagande-discours est un mode organisé de propagation d’idées, de valeurs, de jugements sur l’état du monde et sur les moyens de l’améliorer. Non seulement ce qu’elle propage vise à ressouder une collectivité (la propagande parle au nom d’un parti, d’une nation, de la Justice, de l'Histoire...)! mais elle représente une forme très particulière de diffusion des convictions : elle lutte forcément contre une propagande adverse. Soit réellement lorsqu’il s’agit de gagner des élections contre ceux qui ont d’autres projets politiques, soit dans l'imaginaire, y compris dans un État totalitaire où est censé régner l’unanimité, lorsque le propagandiste s’invente un ennemi (une idéologie et une propagande qu'il désigne comme mensongères et adverses) contre qui mobiliser les bons citoyens. Cette logique est poussée jusqu’au bout dans "1984" d’Orwell où Big Brother fabrique un ennemi pervers que les citoyens doivent dénoncer lors des "jours de la haine" et qu’ils rendent responsables de tous leurs malheurs. La propagande possède plusieurs dimensions. La première est celle des messages. Qui dit message persuasif dit technique (la rhétorique pour être vraiment convaincant, ou la sélection d’informations et d’images pour produire un effet, éventuellement sur l’inconscient). Mais si le terroriste est très attentif à l’efficacité des mots qu’il emploie et des images qu’il émet (par exemple dans des vidéos jihadistes), il reste d’abord fondamentalement persuadé que les discours sont insuffisants pour faire triompher la vérité (sa vérité). À leur force argumentaire, émotive, morale..., il ajoute la force de démonstration de la violence : elle seule parle vraiment au cœur, impressionne. Elle interpelle et oblige à répondre en choisissant son camp. Logique qui est poussée jusqu’au bout par le kamikaze : sa mort, c’est son mot le plus fort, sans réplique. Après le message, les médias. La propagande suppose leur maîtrise donc la possession des tuyaux : journaux même censurés, radios et 6


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télévisions y compris pour porter la parole en territoire adverse, câbles et satellites (à protéger du sabotage), sites pour faire vitrine, mobilisation de tous les moyens d’expression nationaux (dont le cinéma, le théâtre) pour répandre le message patriotique de mobilisation... Le terroriste, lui, doit d’abord s’imposer à des médias qu’il pense hostiles puisque complices du Système. Pour cela, il doit leur imposer de reprendre ses textes (signatures, revendications...), de faire la publicité de ses actes, de lui offrir une scène à la mesure du spectacle tragique dont il est l’auteur. Les médias numériques offrent l’accès aux "tuyaux" : chaque groupe peut produire ses propres images (ainsi les jihadistes filmant leurs exploits, leurs testaments précédant l’attentat suicide, des exécutions d’otages, des séquences d’entraînement) ; par Internet, il peut envoyer son discours à toute la planète sans être repéré. Et l’impact des images ou des mots est sans commune mesure avec les moyens matériels dont dispose l’émetteur. Pas besoin de salarier des journalistes! ni d’investir dans des antennes pour mettre sur You Tube une vidéo reprise dans le monde entier. Après les médias, les médiations. La propagande au sens classique requiert des organisations, souvent des services d’État (voire des brigades militaires spécialisées dans les "psyops"), des bureaux de la censure, des organismes chargés de missions d’influence ou de "diplomatie publique"...., mais aussi des sociétés et conseillers privés qui "vendent" une bonne image d’un pays ou de son action, tels les fameux "spin doctors". Quant à la propagande politique en temps de paix, elle repose sur des structures organisées, d’une brigade de propagande ouvrière type fin du XIX° siècle à un réseau militant sur Web 2.0, comme ceux qui ont contribué à la victoire d’Obama ou au printemps arabe. Ce n’est pas que la propagande terroriste néglige l’aspect organisationnel ni qu’elle ignore la nécessité de construire des réseaux (façade légale, mouvements sympathisants..). Mais la principale différence est que, pour le terroriste, organisation militante et organisation communicante sont une seule et même chose. Les idées justifient la violence et la violence illustre les idées en un perpétuel vaet-vient. Dire c'est faire et faire, c'est dire. Pour l'exprimer autrement, il existe dans le terrorisme une dimension qu’ignore la propagande en tant qu’elle rassemble dans une même croyance : le défi symbolique. Menacer ou insulter ce en quoi croit l’autre - ses emblèmes, les autorités auxquelles il est soumis, les signes de son orgueil triomphant (comme les Twin Towers) - voilà une des fonctions que remplit l’action terroriste.

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Enfin, message, médias et médiations n'ont,sens pour emprunter les catégories de Régis Debray, que par rapport à un milieu, culturel, mental et technique. Et de ce point de vue, on peut décrire la visée de la propagande terroriste comme un changement de milieu : il s'agit en effet de changer le code mental de ceux auxquels on s'adresse. Convaincre l'adversaire fort de sa faiblesse. Convaincre ses partisans potentiels (les faibles et les opprimés), qu'ils ont forts et les convertir au nouveau système de valeur. Guerre plus symboles Toute stratégie qui ne prend pas en compte la nature duale du terrorisme est vouée à l'échec. G.W. Bush a déclaré la guerre au terrorisme (Global War on Terror), tandis que ses conseillers néo-conservateurs parlaient de quatrième guerre mondiale. Mais l'administration Obama, après avoir un moment hésité à adopter des formulations grotesques mais politiquement correctes comme "lutte mondiale contre l'extrémisme violent" se réfère dans sa doctrine de contre-terrorisme produite après la mort de ben Laden à une "guerre à al Qaïda" qui risque de devenir une guerre perpétuelle. D'autres stratégies visent à éradiquer le terrorisme en "déradicalisant", c'est-à-dire en le traitant comme une déviation mentale frappant des esprits faibles exposés à de mauvaises influences, et donc en soumettant les populations menacées à ce qu'il ne faut surtout pas nommer une contre-propagande. Dans les deux cas, nous voyons combien nous Occidentaux peinons à concevoir une forme d'hostilité qui remet en cause à la fois le contrôle de la violence et les valeurs fondatrices du système qu'elle combat.

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Kamikazes : la propagation Revue Medium n°5 automne 2005

La prolifération des attentats suicide témoigne du principe de la guerre du faible au fort poussé à l’extrême : rentabiliser au maximum son sacrifice en termes stratégiques, politiques et symboliques. Cette pratique n’est ni nouvelle ni spécifique des mouvements islamique, mais son succès – dont témoigne le nombre constant de volontaires djihadistes suppose la diffusion spectaculaire du « modèle » y compris par l’image, et sa justification théologique.

Attentats suicides et terrorisme durable Chaque jour, l’U.S. Army dépense plus d’un milliard (son budget annuel s’élève à près de 400 milliards de dollars). Chaque jour, en Irak, un djihadiste au moins se fait sauter. À long terme qui gagne : le kamikaze ou le milliard ? Popularisées par le Hezbollah libanais en 1983, personnifiées par les avions du 11 Septembre, démocratisées par la résistance irakienne, les opérations suicides apparaissent aux occidentaux, comme un défi incompréhensible. Défi moral, d’abord : il ne s’agit pas là d’accepter sa propre mort au combat (cela, d’innombrables soldats l’ont fait pendant des siècles) mais d’en maximiser le taux de profit. Ce taux se mesure en victimes, voire en « civils innocents ». C’est une horreur pour nous mais honneur pour les terroristes, fiers d’être ainsi instrumentalisés. Au « zéro mort », idéal théorique de nos armées, ils opposent le principe « un mort multiplié par X » et pratiquent l’investissement mortifère. Ainsi, Ayman al-Zawahiri considère que «!La méthode des opérations-martyrs est celle qui inflige le plus de dommage à l’adversaire et qui coûte le moins aux moudjahiddines en termes de pertes.!»1 Ce qui nous apparaît comme la dépense suprême (donner sa vie) ne serait donc qu’une forme d’économie!: un volontaire de la mort coûterait moins qu’un déclencheur télécommandé et serait d’usage plus commode. Ce qui suppose une singulière humilité de sa part. Comme le note ben Laden, qui fut homme d’affaires : « Al Quaida a dépensé 500.00 dollars pour l’opération du 11 Septembre, alors que l’Amérique a perdu dans l’événement et ses répercussions au bas mot 500 milliards de dollars, c’est-à-dire que chaque dollar d’al Quaida a vaincu 1 million de dollars, grâce au Tout Puissant »2.

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Mia Bloom Dying to kill the Allure of Suicide Terror, New York, Columbia University Press, 2005, P 3et 4 2 Message au peuple américain du 30 Octobre 2004, cité in Al –Quaida dans le texte dirigé par Gilles Kepel, PUF 2005, p.107

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Du coup, le défi devient aussi stratégique. L’homme qui se considère comme une simple bombe ne se contente pas de prouver qu’à rebours de nos valeurs, il « préfère la mort à la vie ». Il renverse la logique traditionnelle de la victoire : utiliser une force supérieure pour infliger des pertes à l’adversaire jusqu’à provoquer sa faiblesse et faire céder sa volonté. Le kamikaze offre sa faible vie pour prouver la vanité de la force adverse. Il pousse à l’extrême la règle de la guerre asymétrique : non pas employer des moyens différents de ceux de l’autre, mais suivre des règles inverses3. Le défi est également politique, : ce qui, à nos yeux, pourrait le plus desservir une cause apparaît à ses partisans comme ce qui l’exalte le mieux. Le « message » produit par la déflagration de chaque véhicule piégé ou de chaque ceinture d’explosif est interprété, lui aussi, de façon inverse de la notre. Sidique Khan un des auteurs des attentats du 7 Juillet 2005 à Londres déclarait dans sa cassette testament enregistrée peu avant qu’il ne se fasse sauter : « Nos mots sont morts tant que nous ne leur donnons pas vie avec notre sang ». Sa propre transformation en lumière et chaleur n’aurait donc été qu’une façon de souligner un message auquel nous restons sourds. Le défi s’adresse aussi à nos tentatives d’explication dont beaucoup se révèlent simplificatrices.

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-Les kamikazes seraient des désespérés ; ils n’ont « rien à perdre ». Pas de chance : nombre d’études, notamment celle de Scott Atran4, démontrent qu’il n’y a aucun profil-type du kamikaze, ni sociologique, ni psychologique : des riches, des pauvres, des femmes, des enfants, des gens apparemment heureux et d’autres visiblement paumés peuvent en venir là. Ce qui montre a contrario la niaiserie du projet de supprimer le terrorisme « sous-produit de la misère » par le développement économique. Les kamikazes seraient des fanatiques. Oui si l’on admet que le fanatique (à suivre son étymologie, de fanum le temple) celui qui verse le sang pour son temple, entendez pour son idéologie. Admettons que le fanatique soit un fou de l’Idée, prêt à détruire le monde pour le rendre parfait ou à mourir pour obéir perinde ac cadaver- aux commandements de son Dieu ou de son Idéal. Mais il faut aussitôt préciser que la Cause qui produit de si terribles effets a de multiples visages. L’attentat suicide n’est ni une nouveauté, ni un monopole islamiste. Le PKK kurde, plutôt marxiste et séparatiste y recourt comme, au Sri Lanka, les Tigres Tamouls du LTTE, hindouistes et indépendantistes. Avant que le Hezbollah (chiite) du Liban n’en donne l’exemple aux salafistes de la mouvance al Quaïda, tout comme aux séparatistes tchétchènes, et à diverses factions palestiniennes ou autres, l’idée avait été emprunté l’idée à l’Armée Rouge japonaise. Ce groupe gauchiste et internationaliste avait commis un attentat-suicide à l’aéroport de Lod en 1972. Mais qui a commencé ? Seraient-ce les Haluzenbmädeln, du ghetto de Varsovie, juives et antifascistes : elles s’approchaient des barrages allemands pour faire sauteur leurs ceintures d’explosifs ?5. À ce compte, pourquoi pas Samson se sacrifiant pour écraser les Philistins sous les restes de leur temple ?

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Barthélémy Courmont et Darko Ribnikar, Les guerres asymétriques Iris Puf 2002 Scott Atran, Genesis of Suicide Terrorism,, Science, volume 299, numéro 5612, 7 mars 2003, pp. 1534-1539. 5 Voir le chapitre Les opérations suicides dans Histoire du terrorisme, sous la direction de Gérard Challiand et Arnaud Blin, Bayard, 2004 4

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Les kamikazes seraient des nihilistes. En ce cas, il vaudrait nous expliquer comment le même mot peut s’appliquer indifféremment aux révoltés athées de la Russie tsariste, au « Dieu est mort » de Nietzsche, ou à des croyants qui disent accomplir leur devoir de jihad et obéir à Dieu.

Sacrifice et tradition .. Pour comprendre ce qu’il peut y avoir de nouveau dans ce phénomène, aujourd’hui répandu dans plus de vingt-cinq pays, il faut voir en quoi il se rattache à un long passé, en l’occurrence de trois traditions. - Tradition militaire d’abord. Il est relativement facile de persuader de jeunes hommes de mourir jusqu’au dernier pour la gloire posthume, pour retarder l’ennemi, le braver ou en tuer le plus grand nombre. Dans certains cas, l’idée d’un échange de morts est plus explicite encore. Ainsi, les généraux romains pratiquaient le rite de la devotio avant une bataille qui semblait désespérée : non seulement, ils acceptaient de périr, au combat mais ils se vouaient aux puissances infernales, pourvu qu’elles garantissent la victoire aux légions. La référence qui revient le plus souvent est celle des pilotes japonais qui précipitaient leurs avions contre des navires américains pendant la guerre du Pacifique. On sait que kamikaze signifie « vent divin » ou « souffle des Dieux », par allusion à la tempête providentielle qui empêcha la flotte mongole d’envahir le Japon en 1281, mais on ignore que l’autre nom des unités kamikazes était « unités spéciales d’attaque par le choc corporel ». Car dans ce cas, comme dans celui des hommes-torpilles ou des unités « Selbstropfer » que préparaient les Nazis au moment de leur défaite, il s’agit bien d’utiliser les corps comme vecteurs et pour améliorer l’effet de choc. Le « suicide » répond en l’occurrence à un besoin rationnel : mieux diriger les forces, gagner de la distance, économiser des moyens mécaniques ou de coûteux projectiles qui se disperseraient loin de la cible. Le sacrifié est l’arme des derniers mètres. Le principe d’économie impose de lui faire porter l’explosif au plus près de l’objectif, que ce soit à pied, en voiture ou en avion.. Même raisonnement chez les vietminhs qui employaient bicyclette et poussepousse pour faire exploser de la dynamite au plus près des soldats français, quitte à sauter avec eux. Dans une variante, l’homme est utilisé pour faire dépenser des explosifs à l’adversaire. Ainsi, pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, les très jeunes basidje chiites iraniens se précipitaient sur les champs de mine pour ouvrir la voie aux « vrais » soldats. Toutes ces innovations militaires sont liées à l’évidence à l’emploi des explosifs modernes. L’anglais utilise suicide-bombing pour désigner l’action de celui qui provoque une explosion en sachant qu’il périra à cette occasion. Il est vrai que la langue anglaise, avec son bombing ne distingue pas la bombe lancée par un avion et celle qui est portée par un homme. Or cette différence linguistico-militaire fait toute la différence juridique entre un soldat et un terroriste. Comme l’avait déclaré un chef du Hamas « Le jour où nous posséderons des bombardiers et des missiles nous

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songerons à changer nos méthodes de légitime défense. Mais, pour le moment, nous ne pouvons répandre le feu qu’à mains nues et nous sacrifier. »6 Aujourd’hui, celui qui ne dispose ni de missiles intelligents à visée high tech, ni de bombardiers « furtifs »transporte donc l’explosif au plus près de l’objectif. C’est low tech et efficace. Il compense la portée et la précision technique par la proximité et la décision humaine. -

Une seconde tradition glorifie le suicide comme prix à payer pour tuer un ennemi remarquable: c’est celle des régicides, tyrannicides et autres pratiquants de l’assassinat politique. Mourir en commettant l’attentat (ou après l’attentat) a longtemps été la règle plutôt que l’exception. Les sicaires juifs tiraient leur nom de leur épée courte, faite pour une attaque surprise « en civil » contre l’occupant romain ou le Pharisien collaborateur. Les hashishins du XIIIe siècle luttaient contre les Turcs ou les croisés et périssaient en accomplissant leur mission. Ces sectaires ne raisonnaient pas très différemment de Jacques Clément ou Ravaillac : celui qui va tuer un roi ou un chef ennemi à l’arme blanche, entouré de ses gardes, sait qu’il finira sur l’échafaud ou abattu sur place. Il décide de sacrifier sa propre vie pour « gagner » la vie d’un ennemi de Dieu ou du Peuple. Logique de l’orgueil individuel ou logique de secte, dans les deux cas, c’est une affaire de prix à payer, donc encore d’économie. - Enfin, suivant une troisième tradition, propre au terrorisme, il est bon et utile de mourir en tuant car cela prouve quelque chose. « Un révolutionnaire est un homme perdu » claironne Netchaiëv, dont s’inspirera Dostoïevski, dans les Possédés. En d’autres termes, celui qui lutte pour la révolution accepte de renoncer à tout ce qui n’est pas la révolution, à commencer par la vie. Un terroriste lucide sait que sa « durée moyenne » de vie, la période où il peut agir avant d’être pris ou abattu, est relativement courte. Il s’en console en se disant qu’une existence qui n’est pas consacrée à la révolte et à la lutte contre les oppresseurs équivaudrait déjà à la mort. Le message est : « Perdus pour perdus, nous ne faisons que nous défendre. Il ne faut pas se laisser massacrer sans rien faire, sans témoigner. ». Cette thématique se retrouve par exemple dans les milieux proches des Black Panthers des années 60. Pour Huey Newton «…il n’y a plus qu’un seul choix : ou bien accepter le suicide réactionnaire ou bien accepter le suicide révolutionnaire. Je choisis le suicide révolutionnaire… Le suicide révolutionnaire est provoqué par le désir de changer le système ou bien de mourir en essayant de le changer. »7 Surtout, la mort du révolutionnaire devient exemplaire, pour ne pas dire publicitaire : elle exalte des camarades à suivre la même voie, elle radicalise les rapports entre exploiteurs et exploités. Théorie qui n’est d’ailleurs peut-être pas si fausse : Vladimir Oulianov serait-il devenu Lénine si son frère n’avait été pendu pour terrorisme ? Dans la dernière scène des Justes de Camus, l’héroïne, raconte l’exécution d’un camarade et résume bien cette joie contagieuse de l’échafaud commune à tant de terroristes : « il avait l’air heureux. Car ce serait trop injuste qu’ayant refusé d’être heureux dans la vie pour mieux se préparer au sacrifice, il n’ait pas reçu le bonheur en même temps que la mort. » La mort du terroriste fait

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Cité par Mia Bloom, Dying to Kill: The Allure of Suicide Terror, (New York,Columbia University Press, 2005, p. 3-4 7 Cité dans Michaud, Violence et Politique, NRF, 1978, p 186

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partie de la scène terroriste. Pascal a raison de dire que le fait qu’une cause trouve des partisans prêts à se faire trancher la gorge pour elle ne prouve rien en sa faveur, mais cela ne nuit pas à sa séduction mimétique bien au contraire. Pour le kamikaze, mourir dans l’action, c’est en démultiplier la valeur pédagogique. Question de propagation donc de médiologie.

Martyre, spectacle et imitation Outre qu’il synthétise les trois traditions que nous avons résumées - la mort à rentabiliser, la mort à échanger, la mort à imiter - que reste-t-il donc de spécifique dans le phénomène kamikaze islamiste ? Sans doute la nature de sa force contagieuse. Non seulement, le jihad trouve toujours des volontaires, mais leur taux de renouvellement ne faiblit pas. Tout se passe comme si la piétaille de l’islamisme appliquait le précepte du Hagakuré, le code d’honneur des samouraïs8, « Entre deux solutions, mieux vaut choisir celle qui implique sa propre mort ». Et les moyens de diffusion médiatiques n’y sont pas pour rien. Quand, dans les années 80, le Hezbollah lance la «!mode!» de l’attentat-suicide, elle est suivie par d’autres groupes, dont les Martyrs d’al Aqsa, proches de l’OLP pourtant guère suspects de céder au «!culte de la mort!» chiite. Quand les tigres tamouls, hommes et femmes confondus, se préparent à donner leur vie, ils montrent en riant aux journalistes, les capsules de cyanure qu’ils portent sur eux. Quand les dix-neuf du 11 Septembre font écraser des avions au cœur du sanctuaire américain, ils suscitent des émules à la périphérie de notre monde. Quand les Palestiniens se font sauter dans les bus, les enfants de la bande de Gaza collectionnent leurs portraits en vignettes et jouent à une sorte de Pokemon pour islamikazes. Quand les djihadistes irakiens se préparent au « martyre », ils dictent des cassettestestaments. Elles sont montées comme de mauvaises bandes-annonces (Kalachnikov cartouchières croisées, et décor fait de banderoles aux inscriptions grandiloquentes). Puis, ils se font filmer embrassant les camarades, et partent pour la mort. Le tout sera enregistré sur DVD. Des anthologies numériques des meilleurs martyres sont en vente sur le marché de Bagdad ou distribués comme produit d’appel à la presse étrangère9. La forme actuelle de l’attentat suicide repose donc sur la conjonction des armes modernes et des médias modernes. De plus, le suicide-exemple et le suicide-spectacle renvoient, au moins dans le monde islamique, au problème du suicide licite. Ou plus exactement le déni de son caractère suicidaire (le suicide est prohibé par l’islam, comme le meurtre de victimes innocentes). Il 8

Voir Maurice Pinguet, La mort volontaire au Japon, Gallimard, 1984

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Voir notre chapitre La «!communication d’al Qaeda!» dans le livre collectif du Centre Français de Recherche sur le Renseignement, CF2R!: Al_Qaeda Les nouveaux réseaux de la terreur, Ellipses, 2004. Ces sujets sont également traités sur http://www.terrorisme.net et sur http://ww.huyghe.fr

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a donc fallu des constructions théologique perverses (et d’ailleurs dénoncées par des vrais oulémas) pour persuader les volontaires: -

Que les victimes sont tout sauf innocentes (elles sont « objectivement » complices du sionisme ou de l’impérialisme) - Que leur propre sacrifice plaît à Dieu et porte sa récompense en lui-même - Que le terrorisme ne fait qu’appliquer la loi du talion en compensation des morts de musulmans - Que l’action de la bombe humaine est donc licite en tout point - Que l’auteur d’un attentat qui périt ainsi meurt en situation de Shahuda, de martyre. Le martyr loin d’avoir commis un péché, sera récompensé de ce témoignage de foi : il ira directement au Paradis d’Allah 10 - Enfin et surtout que les kamikazes sont en situation de jihad défensif et ne font, même au cœur du pays adverse que défendre leur terre et donc que répondre à la plus ardente des obligations. Abdallah Azzam, le maître spirituel de ben Laden,et théologien appliqué remarquait : « Je n’ai pas trouvé (au cours de mes lectures limitée) un livre de jurisprudence, de commentaire ou de hadith, qui dise le contraire, aucun des pieux Anciens n’a affirmé qu’il s’agît d’un devoir collectif ou qu’il faille demander l’autorisation des parents ; et le péché ne sera pas effacé tant qu’un territoire musulman (ou qui le fut) demeure entre les mains des infidèles, seul celui qui combat verra son péché remis. Un musulman qui n’accomplirait pas le jihaed, c’est comme s’il rompait le jeûne de Ramadan sans en obtenir l’autorisation ou comme si un riche ne versait pas l’aumône légale ; ne pas accomplir le jihad est même encore plus grave. »11. Le terroriste est un homme pressé à double titre: il compte sur la violence pour accélérer l’histoire ou faire advenir le règne de Dieu, mais il compte aussi sur son sacrifie pour assurer son salut au plus vite et sans avoir à attendre le jugement dernier. La mort exaltée du kamikaze est efficace. Elle s’adapte parfaitement à un adversaire qui serait invincible par des moyens classiques et est doté de puissants systèmes de détection des attaques. Elle passe en dessous du seuil technologique de repérage par l’adversaire mais produit visibilité médiatique et impact symbolique. Elle est surtout efficace à mesure de sa signification sacrificielle et de sa puissance d’humiliation. Celui qui nous jette sa mort à la face compense ainsi dans son imaginaire des années de honte pour les Arabes. Mais jusqu’à quel point cette efficacité!? Les bricoleurs du massacre peuvent-ils l’emporter sur les grosses machines!? Certes, ils continuent à recruter et le rythme des opérations-suicides ne faiblit guère depuis vingt ans. Mais pour vaincre, il ne suffit pas d’infliger des pertes à l’ennemi. Il faut aussi transformer la force d’attrition ou de perturbation en force d’occupation et de commandement. Donc devenir cible à son tour!? Telle est la limite de la mort volontaire!: son rendement médiologique est énorme, mais pour le transformer en valeur politique, il lui faut contredire son principe même. F.B. Huyghe Site!:http://www.huyghe.fr 10 11

Bruno Etienne Les combattants suicidaires suivi de Les Amants de l’Apocalypse, L’Aube, 2005

In al QuaIda dans le texte p.167

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LA FIN DE LA TERREUR ? Géopolitique, automne 2011 En cette année anniversaire du 11 septembre 2001, il faudrait un goût du paradoxe extrême pour ne pas compter le terrorisme au nombre des dangers majeurs Difficile de nier, par exemple, que l'attaque contre les tours jumelles ait changé l'Histoire, comme en son temps l'attentat de Sarajevo déclencheur à la Première Guerre Mondiale. Dans les deux cas quelques hommes résolus ont, en quelques minutes, provoqué plus de bouleversements que des foules dans les urnes ou dans les rues. Il est, certes, permis d'imaginer des conflits qui auraient éclaté tôt ou tard en Europe au début du XX° siècle, en Afghanistan et en Irak, au début du XXI° ; reste que, dans l'enchaînement des événements qui mènent à la catastrophe, les quelques secondes d'une fusillade ou d'une explosion opèrent une rupture décisive. Cette surprise stratégique, l'espace d'un moment, mis un acteur non-étatique animé de sa seule volonté ou de sa pure rage, à égalité avec le souverain : comme lui, il décide qui est l'ennemi et ouvre le temps de la guerre. Même s'il s'agit d'une "guerre du pauvre", asymétrique et indirecte, efficiente par les réactions qu'elle provoque bien plus que par les ravages qu'elle produit. Depuis le dernier quart du XIX° siècle, des mouvements clandestins recourent à l'attentat à objectif politique au nom d'idéologies d'extrêmegauche, nationalistes ou indépendantistes, religieuses, ultraconservatrices... Si ces dernières années sont marquées, à l'évidence, par la prééminence du jihadisme, il faut aussi constater la survie de mouvements luttant par les armes pour leur indépendance nationale (le récent cessez-le-feu proclamé par l'ETA ne nous convaincra pas du contraire), pour la destruction du système capitaliste (avec de nouvelles vagues d'attentats d'extrême-gauche en Grèce et en Italie). Tout cela sans exclure la possibilité de nouveaux attentats d'extrême droite (les milices américaines "survivalistes" comme lors de l'attentat d'Oklahoma City), inspirés par des prophéties apocalyptiques (comme la secte Aum au Japon), au service de la cause écologique ou de la défense des animaux.... Le terrorisme pose donc une question stratégique à la mesure de son caractère multiforme.


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EFFETS PSYCHOLOGIQUES Une citation souvent reprise de Raymond Aron dit qu'une "action violente est dénommée terrorise lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques". Même si l'on considère les trois mille morts des Twin Towers comme une exception historique, la tendance lourde tend à la létalité croissante des attentats. La conjonction d'un facteur technique (le véhicule piégé ou détourné à forte capacité explosive) et d'un facteur "culturel" (la banalisation de l'opération suicide) fait que le seuil des attentats tuant plus de cinquante personnes est de plus en plus souvent franchi depuis les années 90. Quant à la mortalité globale, elle fait l'objet de recensements que l'on peut toujours discuter (selon, par exemple, la façon de comptabiliser ou non les victimes civiles de l'insurrection en Irak ou en Afghanistan), mais comporte au moins trois décimales. Et, en tout état de cause, les probabilités statistiques d'être victime d'un attentat sont infinitésimales pour un Occidental. Même si le terrorisme tue moins que d'autres formes de crime, sa visibilité médiatique lui confère un impact sans commune mesure avec le risque concret qu'il implique. Ce que confirme le fait que des organisations jihadistes aient commencé à revendiquer des attentats ratés voire d'un singulier amateurisme comme la tentative de destruction du vol entre Amsterdam et Detroit, celui de Time Square ou l'attentat manqué contre la caserne de Nema en Mauritanie. Cet impact est fonction, en effet, du singulier "message" que constitue l'attentat. À s'en tenir à l'étymologie, et à certaines définitions officielles du terrorisme, celui-ci cherche à exercer une "contrainte" sur des gouvernants ou des peuples en plongeant ces derniers dans la "peur "(peur que l'étymologie nous dit irrépressible et paralysante). En grec moderne on dit même "traumocratie", littéralement "le commandement de la terreur", mort forgé sur le même modèle que démocratie, aristocratie, etc. ! Généralement, lorsqu'une vague de bombes frappe dans un pays occidental, résonnent deux sortes d'adjurations. Les premières appellent la population à ne pas faire ce qu'attendent les terroristes en s'affolant! et à conserver autant que possible son mode de vie habituel. Les secondes


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recommandent aux gouvernants de ne pas perdre leur âme et de respecter les règles d'un état de droit, car ce serait, là aussi, une victoire pour les terroristes que d'obliger les démocraties à changer de nature et à nier leurs propres principes. Bref, ne pas céder à la panique. D'après les réactions de nos compatriotes aux attentats de 1985 et 1995, ou! le comportement des Espagnols ou des Britanniques après ceux de Madrid et Londres en 2004 et 2005, il semblerait que les citoyens européens, les premières heures d'émotion passées se conduisent plutôt rationnellement et continuent par nécessité à aller au bureau, à faire leurs courses... Quant au gouvernement, il lui arrive de céder aux terroristes, comme de négocier avec des preneurs d'otages. Pour ne prendre nos exemples qu'en France, les libérations de Magdalena Kopp ou d'Anis Nacache ont démontré que le chantage à la bombe paie parfois. Mais il s'agissait là de la confrontation avec des groupes internationaux instrumentalisés par des puissances étrangères ; il réclamaient un avantage tactique et ne cherchaient pas une victoire stratégique. C'étaient des concessions, certes peu glorieuses, mais dont la satisfaction n'aurait pas de conséquences politiques cruciales. La récente réaction de la France aux prises d'otage d'Aqmi laisse penser que la négocation n'est pas toujours la règle. Il arrive aussi aux gouvernants d'adopter des lois d'exception (des "lois scélérates" française de 1893-1894 au Patriot Act de 2001) ou de faire appel à des barbouzes, commandos "antisubversifs" ou pseudo organisations de type GAL (Groupes Antiterroristes de Libération chargés de poursuivre les autonomistes basques). Même en suspendant la question du jugement moral, nous ne croyons pas que l'efficacité de ces méthodes vaille le discrédit moral qu'elles suscitent et l'argument qu'elles fournissent a posteriori à leurs adversaires. Pourtant, ne voir dans l'action terroriste qu'un moyen de faire peur pour faire céder, se contenter de préconiser le calme et la raison, ce serait, à notre sens, négliger de multiples composantes de son action psychologique. Les groupes terroristes cherchent aussi à recruter, à répandre leur idéologie et à faire connaître leurs griefs, à venger des offenses, à témoigner de l'injustice dont ils se disent victimes, à défier symboliquement des ennemis plus puissants, à encourager des révoltes ou des prises de conscience. Quand ils ne cherchent pas simplement à se faire entendre, plutôt qu'à déclencher une vague de panique.


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Ajoutons que la pratique terroriste n'est souvent qu'un moment ou un instrument dans des panoplies stratégiques. Elle se combine avec d'autres moyens : constitution d'un parti politique servant de façade légale, contrôle d'un territoire, guérilla rurale, activités criminelles, négociation... Nous ne viendrons pas non plus à bout du terrorisme en le réduisant à une forme de criminalité irrationnelle et anxiogène. Ni, certes, en attendant l'avènement d'une société si juste que personne ne songera plus à recourir à la violence politique pour se faire entendre... Il faut considérer le terrorisme comme un phénomène politique et stratégique, donc relevant du critère de la victoire ou de la défaite. Et partir de l'hypothèse que la volonté de terreur doit bien connaître une limite au moins dans le temps. Les organisations terroristes ont ceci de commun avec les autres créations humaines : elles disparaissent un jour. La vraie question étant! quand et dans quelles conditions. Le record de longévité est battu par l'IRA qui commet ses premiers attentats en 1920 et ne dépose théoriquement les armes qu'après l'accord du Good Friday en 1998. Encore faut-il préciser que le nom d'Ira est repris successivement par tout un arbre généalogique d'organisations, scissions et dissidences. Dans les années 90, on parlait beaucoup de cycles terroristes, nihilistes, anarchistes, nationalistes, d'extrême-gauche et on ne leur prédisait guère plus de trente ans de vie maximum... Mais, quand bien même ce serait vrai, personne n'a envie d'attendre 2020 ou 2030 pour qu'un phénomène biologique naturel mette fin au jihadisme par usure. Il faut donc revenir sur la question des voies et moyens. CONSTANTES HISTORIQUES ? Comment finissent généralement les groupes terroristes et quelles lois en tirer pour le futur ? L'hypothèse la plus difficile à admettre est, tout simplement, qu'ils gagnent. Des mouvements armés clandestins, classés en leur temps terroristes, ont pu, un jour, former un gouvernement ou obtenir l'indépendance qu'il réclame. Le FLN algérien, l'Irgoun Zvei Leumi israélienne, l'Ethniki Organosis Kyprion Agoniston (organisation nationale des combattants chypriotes), l'ANC (Congrès National Africain)! de Mandela en Afrique du Sud, l'Organisation de Libération de la Palestine et l'UCK (Armée de Libération du Kosovo) furent en leur temps classés parmi les


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groupes terroristes. Quelle que soit la distinction que l'on fasse entre causes justes ou injustes ou "combattants de la liberté" et "terroristes", aujourd'hui! ces organisations ou leurs anciens membres dirigent ou ont dirigé des États souverains (ou sa promesse dans le cas de la Palestine). Mais, bien sûr, personne ne passe directement de la cave où il fabriquait des bombes au palais présidentiel. Le chemin qui mène du statut de terroriste à celui de chef d'État passe par d'autres cases : soutien international, reconnaissance juridique, transformation en parti légal, négociations avec l'adversaire, libération de territoires sur lesquels on installe son autorité, soutien d'une armée étrangère, émeutes, élections... La plupart des groupes qui recourent au terrorisme et produisent des textes doctrinaux expliquent deux choses. - qu'ils ne sont pas terroristes, mais qu'ils constituent une avant-garde combattante, une armée clandestine, la branche militaire du parti..., qu'ils représentent l'ensemble des vrais croyants, le prolétariat, les opprimés, les patriotes authentiques...et que leur violence n'est que défensive, parce que le vrai terrorisme, celui de l'État ne laisse pas d'autre issue - que cette lutte est provisoire et que le stade de la confrontation armée et clandestine doit déboucher sur une véritable action populaire, la mobilisation de tous ceux qu'ils défendent et éventuellement une insurrection victorieuse. Bien entendu, il sera toujours permis, après coup, de juger que ces résultats auraient été obtenus en tout état de cause et sans massacres inutiles, que loin d'accélérer le processus, le temps des bombes l'a retardé. Mais la chose est par définition impossible à prouver. Pour les formes actuelles du terrorisme, on peut imaginer que tel ou tel mouvement indépendantiste finira par parvenir un jour où l'autre à ses fins... mais cette grille ne s'applique certainement pas au jihadisme. Sa démarche pose deux problèmes par rapport aux exemples historiques précédents - les mouvements qui réclamaient une libération nationale, une révolution ou une contre-révolution.


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Le premier est notre difficulté à appréhender le critère de la victoire pour les jihadistes. S'agit-il de la conversion de la planète à l'islam version salafiste et du rétablissement du califat partout où il s'étendait avant que les Mongols ne prennent Bagdad en 1225 ? De l'établissement d'un émirat à Washington D.C. ? Du départ des troupes étrangères d'Irak et d'Afghanistan, de la destruction d'Israël et de changement de régimes dans la plupart de pays musulmans ? Difficile de considérer qu'il s'agit d'objectifs réalistes en l'état du rapport de force planétaire. Seconde question : le terrorisme jihadiste est-il fin ou moyen ? Qu'il soit considéré à l'échelon individuel où le sacrifice garantit le salut du martyr, ou à l'échelle historique - une sorte de comptabilité du sang versé où l'Occident serait littéralement redevable de quelques millions de morts la question de l'auto-justification de la violence reste posée. Celui qui est persuadé que son acte plaît à Dieu et comporte en lui-même sa récompense n'a pas la même impatience de voir se réaliser la promesse historique que le militant ordinaire. Surtout s'il pense dans une logique de punition où il importe d'établir une sorte de symétrie de l'horreur pour compenser une injustice subie par tous les musulmans. Et celui qui ne cherche qu'à rendre un témoignage, fût-il historique et symbolique de sa révolte n'a pas les mêmes critères que nous de la victoire ou de la défaite. Ce second point n'est pas spécifique au jihadisme, il y eut depuis les nihilistes russes! ou les vengeurs de Ravachol des attentats dont il est permis de se demander s'ils contribuent - dans la logique même de leurs auteurs - à avancer leur cause et si leur valeur expressive et spectaculaire n'est pas une justification suffisante. Pour prendre un exemple actuel, la Fédération Anarchiste Informelle qui envoie des lettres piégées à Rome ne prétend pas autre chose d'après son communiqué que "faire entendre sa voix" et n'espère sans doute que lancer un défi au système honni. Peut-on alors envisager une solution militaire au jihadisme ? Il arrive bien sûr qu'une force armée traditionnelle vienne à bout d'une guérilla. Le dernier exemple est celui des forces sri-lankaises écrasant au bout de trente ans (1979-2009) et après des dizaines de milliers de morts, les tigres tamouls. Mais ceux-ci, s'ils ont pratiqué le terrorisme urbain et


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l'attentat suicide étaient surtout un groupe de guérilla territorialisé, avec des troupes en uniforme et, en quelque sorte, un "adresse" où aller le chercher et le détruire. Les méthodes dites de contre-insurrection (curieusement reprises de la doctrine de lutte anti-FLN de l'officier français Gallula) a encore à prouver son efficacité à long terme. DÉCLIN ET RENOUVEAU DU JIHAD Une solution policière ? Les forces "classiques" de répression l'ont, au fil du temps, utilisée avec succès. Qu'il s'agisse des anarchistes Belle Époque, des groupes marxistes des années 70 ou de terroristes internationaux comme ceux d'Abou Nidal ou Carlos, ils ont, le plus souvent, fini arrêtés ou abattus par la police. La réponse serait moins évidente si l'on prenait les groupes nationalistes, bénéficiant d'un appui d'une partie de la population, mais il reste que la combinaison d'une police efficace, généralement appuyée sur un renseignement de qualité et d'une justice intelligence tend à l'emporter au bout de quelques années sur des groupes clandestins armés. Ceci ne peut aller sans un traitement politique du terrorisme. L'exemple italien montre que la disparition des Brigades Rouges, Lotta Continua et groupes similaires n'aurait pas été possible sans deux facteurs : une délégitimation du combat terroristes révolutionnaires (surtout après l'assassinat d'Aldo Moro) au sein de la gauche italienne et une stratégie d'isolement des plus durs, en offrant à ceux qui ne voulaient pas suivre la spirale infernale la solution de la "repentance" ou de la "dissociation". Les repentis (pentiti) collaborant avec la justice et les dissociés (dissociati), qui condamnent le principe du terrorisme et bénéficient d'une certaine indulgence en raison de leurs déclarations sans coopérer à faire arrêter d'anciens camarades. Le retransposition de ces solutions au jihadisme - condamnation doctrinale par des docteurs de l'islam et politique de récupération des éléments "modérés" - n'est pas absurde en soi. La première partie du programme a même commencé à se réaliser, mais la seconde n'est probablement applicable que dans le cadre d'États de droit jouissant d'une situation globalement stabilisée. Ce qui la rend difficilement transposable en Irak, en Afghanistan ou en Arabie saoudite...


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Aussi surprenant que cela puisse paraître, la fin statistiquement la plus probable pour un groupe terroriste (46% selon une étude de la Rand portant sur 648 groupes terroristes qui ont disparu entre 1968 et 2006) est de se transformer en un autre forme d'organisation. La transition vers la légalité que ce soit en passant à des négociations avec un gouvernement légal ou à un statut légal. Des organisations comme l'OLP, le M 19 colombien en 1989, le Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional du Salvador en 1992, le Renamo (Resistencia Nacional Mozambicana) au Mozambique ou encore l'UCK (Armée de Libération du Kosovo), avec ou sans intervention internationale, ont connu ce sort. Peut-on sérieusement penser à une transition de ce genre pour les groupes jihadistes ? On sait que la notion de "taliban modéré" a été avancée, non sans provoquer quelques ricanements, pour justifier des négociations avec les groupes rebelles les plus achetables. Pour le moment, la démarche a échoué et les tentatives des autorités afghanes ont tourné court lorsqu'il s'est révélé que l'un des négociateurs supposés du côté taliban, Akhtar Muhammad Mansour, était un imposteur. Le "grand bargain", l'idée émise dès l'élection d'Obama d'une négociation générale en Afghanistan ou au Pakistan, avec les éléments récupérables ou présentables restera n'est pas encore l'issue la plus probable à un conflit qui a duré plus longtemps que celui du Vietnam. Un débat agite les milieux spécialisés dans le terrorisme, pour savoir s'il faut parler d'un "déclin" d'al Qaïda. Les un soulignent son échec en Irak, l'importance et la régularité de ses pertes, le recul des soutiens de l'organisation dans le monde musulman, son incapacité à reproduire des attentats qui réussissent contre l'Europe ou les USA... Les autres insistent sur la résilience d'al Qaïda, sa capacité de muter et de se réorganiser... De fait, un attentat majeur à Paris ou à New York commandité directement par l'émir ben Laden et la "direction centrale" - si tant est cette expression ait un sens dans le cas d'al Qaïda - ne semble guère vraisemblable dans l'immédiat. Comme la prise de pouvoir dans un pays musulman d'extrémistes salafistes proches de l'organisation. Mais en disant cela, on sait très bien que le pronostic peut être démenti demain par un exploit "technique" dans le premier cas, par un enchaînement politique dans le second. Enfin et surtout, il faut tenir compte de deux phénomènes. L'un est la montée en puissance d'organisations comme Terik-e-Taliban au Pakistan ou AQMI pour le Maghreb qui, tout en ayant un lien purement nominal avec al Qaïda,


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démontrent qu'ils ont un capacité de nuisance considérable, comme force de guérilla plus ou moins liée à des activités criminelles, comme groupes terroristes, mais aussi un projet "publicitaire" dans leur quête de renommée. L'autre facteur, maintenant bien repéré, est la montée des "loups solitaires", jihadistes autoradicalisés, vivant souvent en Occident, seuls ou en petits groupes "amateurs", sans réels liens avec les organisations connues, sans formation technique, mais capables peut-être de réaliser des actions spectaculaires un jour (en vertu du principe qu'à force d'échouer, quelqu'un finit bien par réussir).

En 2001, peu de gens auraient prédit que, dix ans plus tard, ben Laden serait toujours en liberté, la guerre contre le terrorisme toujours prioritaire, les Occidentaux incapables de faire ce qu'avaient fait les Soviétiques (laisser l'Afghanistan à un pouvoir capable de le tenir un ou deux ans et de leur éviter une humiliation trop visible). Mais peu de gens auraient prédit aussi que le terrorisme serait aussi polymorphe (voir la surprise que fut massacre d'Oslo) et la situation aussi ouverte. FBH


Chapitre I Terrorisme : stratégie d’irruption Il faut s’habituer à cette idée que nous, les Occidentaux, ne faisons plus la guerre qu’à la seule Terreur. Nous ne tuons des gens que pour éviter des massacres pires encore. Que faisionsnous d’autre au Kosovo, en Bosnie, en Somalie que de combattre « l’intolérable » : purification ethnique, déportations et crimes de Terreur ? Qu’a fait Bush en Afghanistan sinon « War against Terror », comme le sous-titrait C.N.N. ? Qu’a fait Sharon sinon une « guerre totale au terrorisme » ? Que feront demain les États-Unis face à l’Irak ou autre pivot de l’axe du mal ? Et à quoi servira l’OTAN après sa réconciliation avec la Russie, sinon à se tourner vers les « vrais ennemis » du genre humain : les terroristes1 ? Ici, on voit cligner de l’œil ceux qui ne croient guère au discours du « plus jamais ça » : illusion, manipulation, idéologie* ! Ils dénoncent la puissance de l’hyperpuissance derrière l’alibi du Droit. Les condamnations des États « voyous » et les réseaux* terroristes émanent, rappellent-ils, de ceux qui ont 1. http://www.nato.int

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Écran / Ennemi

encouragé ailleurs ou en d’autres temps des États ou des groupes tout aussi criminels1. Bref, la politique humanistico-pénale dissimulerait une politique des intérêts sous des bons sentiments. Peut-être ! Nul n’est assez naïf pour croire que nos guerres angéliques d’ingérence et de contrôle marquent le triomphe définitif de la « Morale ». Cela fournit une belle occasion de jouer aux jeux préférés des intellectuels : découvrir des gisements de pouvoir caché, se jeter des victimes au visage et se reprocher mutuellement de n’avoir pas autrefois dénoncé assez fort et avec assez d’équanimité des crimes politiques flagrants. Notamment lorsque Ben Laden était un « freedom fighter », ou que les USA toléraient de plus effroyables terrorismes d’État pourvu qu’ils aillent dans le bon sens2. La question n’est pas vraiment là. Elle est dans la rencontre des mots « guerre » et « terrorisme ». De la guerre, tout le monde a compris qu’elle n’a plus rien à voir avec le modèle dit clausewitzien3 : États souverains luttant jusqu’à ce que l’un cède et que l’on signe une paix. Quant au terrorisme, il prend là une singulière pesanteur, d’autant qu’il est tout sauf facile à définir4. Mais renoncer au mot, sous prétexte qu’il se prête à des usages idéologiques, terrifiants, répressifs ou trompeurs, ne nous laisserait que des substituts comme « violence politique » ou « formes de lutte armée non conventionnelles » sans gagner 1. Exemple cité souvent : l’UCK, placée sur la liste des organisations terroristes établie par les États-Unis, en est retirée en 1999, lorsqu’elle se retrouve dans le bon camp durant la guerre du Kosovo. 2. Les dénonciations de Noam Chomsky en fournissent d’assez bons exemples voir http://www.zmag.org/chomsky. 3. Sur la critique des conceptions de Clausewitz , inapplicables aux modernes conflits dits « de faible intensité », voir Martin van Creveld,Transformation de la guerre, Éditions du Rocher 1998 (Free Press 1991The Transformation of War). 4. Pour une anthologie de ces définitions voir : Schmid, Alex P., Jongman Albert J. Political terrorism: a research guide to concepts, theories, data bases, and literature. Amsterdam, Pays-Bas ; New Brunswick, NJ, USA : North-Holland Publishing ; Transaction Books, (Centrum voor Onderzoek van Maatschappelijke Tegenstellingen).

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Terrorisme : stratégie d’irruption

pour autant ni précision intellectuelle ni critères plus objectifs. La chose existe, le mot aussi, il faut faire avec.

Terrorisme et violence de l’autre Qu’est-ce que le terrorisme ? Faut-il le définir par ses effets moraux ? Il est censé répandre le sentiment de terreur, impressionner, créer un « climat de terreur » ? Sa caractéristique est-elle de troubler « gravement » l’ordre public comme le suggère notre code pénal1 ? Cet emploi illégitime de la violence politique s’opposerait-il à des usages légitimes, tels que guerre ou maintien de la paix publiqu e? Et ses victimes innocentes ? C’est souvent le critère des définitions américaines qui rapprochent le terrorisme tuant des non-combattants du crime de guerre2. Par le choix de cibles prises au hasard ? D’où tout un débat sur ce qu’est une victime innocente, à une époque où toute guerre tue plus de civils que de militaires. Les intentions de ses auteurs ? Elles ne seraient pas que criminelles — intérêt ou plaisir de détruire — mais idéologiques voire métaphysiques. Ainsi, le nihilisme proteste contre l’ordre du monde en général3. 1. Murielle Renar, Les Infractions du terrorisme contemporain au regard du droit pénal. Thèse de doctorat, Université du Panthéon Sorbonne, 1996, disponible sur le Web. 2. Sens dans lequel poussent aussi les instituts de recherche israéliens spécialisés dans le terrorisme : http://www.ict.org.il . Par ailleurs, il n’est pas inintéressant de noter que les États-Unis publient une liste d’États et de mouvements terroristes (dont l’U.C.K. a été retirée juste avant les opérations du Kosovo) mais aussi une liste d’États ne coopérant pas assez contre le terrorisme. 3. L’assimilation du terrorisme au nihilisme est notamment défendue par André Glucksman. Dostoïevski à Manhattan, Robert Laffont, 2002.

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Écran / Ennemi

Le terrorisme n’est-il que la guerre, la guérilla ou la révolte du minoritaire, du faible ou du pauvre ? Il se distinguerait alors de la guerre — visant à la domination du territoire — ou de la révolution — visant à la conquête de l’État — par sa faible intensité1, son caractère accessoire ou provisoire ? Est-ce une pratique « élitiste » ou minoritaire de la force destructrice : un maximum d’effet pour un minimum d’agents ? L’aveu d’un manque de légitimité2 ou de partisans ? « Terrorisme » est-il un jugement de valeur dénonçant la violence de l’Autre, comme « idéologie » disqualifie son idéal ? Chercheurs et juristes (dont ceux de la SDN3 et de l’ONU) se sont acharnés à concilier les éléments capables de caractériser le terrorisme4 : organisationnels : fait d’un groupe de spécialistes poursuivant des desseins historiques, le terrorisme s’apparente à la subver1. Quitte à choquer le lecteur, rappelons que, malgré quelques attentats exceptionnels qui ont fait des centaines, voire, comme à Manhattan, des milliers de morts, le terrorisme tue « peu » au regard des trente-deux conflits en cours aujourd’hui. Cela dit, il faut ajouter que le terrorisme tue de plus en plus (voir l’introduction au livre de Walter Laqueur, The New Terrorism, Phoenix Press, Londres, 1999). Pour être exact, avant le 11 septembre, le « seuil symbolique » des cent morts a commencé à être franchi de plus en plus souvent à partir de 1979 (une bombe en Iran : 477 morts) : depuis, une vingtaine d’attentats, essentiellement à la voiture piégée ou sur des avions, ont fait plus de cent victimes chacun. 2. Telle est la thèse d’Alain Wievorka, Sociétés et terrorisme, Fayard, 1988. Il y voit un « contre-mouvement social ». 3. La Société des Nations, ancêtre de l’ONU, définissait le terrorisme dans un traité guère appliqué de 1937 : « des faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature est de provoquer la terreur... ». Bref, le terroriste terrorise ! 4. Le débat sur la définition du terrorisme après le 11 septembre (et dans le contexte des nouvelles législations américaines et européennes) se reflète même sur les sites des partis politiques. Sur celui de http:// www.demlib.com/attentats/definition.htm, nous apprenons que « selon Jacques Baud, il existe 212 définitions dont 72 sont utilisées officiellement ».

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sion voire à la répression, pour qui utilise la notion de terrorisme d’État1 ; psychologiques : la panique ou la paralysie que le terrorisme cherche à provoquer en fait la version négative de la propagande* qui unit et rassure. Il le distinguerait de la guerre ou de la guérilla qui cherchent à détruire des forces ennemies et/ou à occuper des territoires ; éthiques : son caractère clandestin, puisque le terroriste, toujours sans uniforme, se dissimule jusqu’au moment d’agir, ses victimes et sa brutalité le rapprochent du crime ; polémologiques : comme la guerre, le terrorisme vise à faire plier par la violence la volonté d’un autre camp ; politiques : par ses revendications, le terrorisme suppose un différend politique qu’il porte sur l’ordre de la Cité, la forme du régime, un territoire, une loi, des alliances… Ces débats, pendant des années à l’ONU, plus récemment à la Commission Européenne après le 11 septembre ont montré que toute tentative de définition suscitait des objections2 destinées à limiter un concept qui, autrement, finirait par englober toute violence politique. Par en haut : pour certains, la qualité des intentions (résistance, lutte anticolonialiste, lutte contre des systèmes non démocratiques qui ne laissent aucune autre possibilité 1. La notion de « Terrorisme d’État » est tout sauf éclairante, puisqu’on désigne par là soit : a) l’activité répressive d’un État qui terrorise sa propre population, au sens robespierriste de la Terreur ; b) des opérations de type « service secret » visant à éliminer des adversaires politiques à l’extérieur : Trotski, Chapour Baktiar..., et menées soit directement par les ressortissants d’un État, soit par des groupes politiques « amis » ; c) des attentats commandités par un État et visant à faire pression sur un autre État, comme ont pu en pratiquer la Libye, la Syrie ou l’Iran, et c’est alors une façon de « faire passer un message » ; d) le soutien qu’apportent des États, sous forme d’argent, de matériel, de logistique, de refuge territorial à des groupes terroristes avec qui ils partagent des objectifs politiques. 2. Une bonne question d’aborder ces débats sur Internet peut être de commencer par le site universitaire canadien : http://agora.qc.ca/mot.nsf/ Dossiers/Terrorisme.

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d’expression) doit exclure les violences politiques, imposées à leurs auteurs, du domaine honteux du terrorisme. Par en bas : pour d’autres c’est la faiblesse des moyens employés qui distingue du vrai terrorisme un « simple » activisme, manifestation entraînant des heurts, occupation de locaux, dégradation de marchandises… Le terrorisme est rebelle à toute définition parce qu’il se situe sur le terrain de l’exception. Robespierre, voyait dans la Terreur un moyen inédit pour une situation paroxystique car « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire dans la révolution est à la fois la vertu et la terreur… » De la même façon, le discours du terrorisme se réfère à une situation d’exception : tyrannie extrême, imminence de la Révolution, décrets de la Providence, menace inouïe. Il suppose des fins exceptionnelles qui ne peuvent être atteintes dans le cadre de l’ordre existant. D’où des moyens tout aussi exceptionnels et qui échappent aux lois de la paix et de la guerre. Ou plutôt, de tels moyens abolissent la distinction entre paix et guerre, combattant et non combattant, front et arrière, acte licite et illicite.

Logiques de l’exception Ces difficultés ont une origine historique. Le mot « terrorisme », attesté depuis 1794, désigne d’abord une Terreur exercée par l’État, un ordre politique qui repose sur l’extermination physique des opposants réels ou supposés, et l’exhibition de férocité pour paralyser les ennemis de la Révolution. La Terreur, régime qui gouverne la France de mai 1793, la chute des Girondins, jusqu’à juillet 1974, chute de Robespierre, engendre les « terroristes », ses agents. Ils la propagent dans toutes les provinces. Le « terrorisme » est leur méthode et leur but. 24


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Depuis, le sens du mot s’est retourné. Il se retrouve maintenant du côté de la subversion ou du renversement de l’ordre. Désormais, la pratique de méthodes « terribles » par le Pouvoir se nommerait plutôt « répression féroce » ou « totalitarisme policier ». Un vrai terroriste n’a ni uniforme ni bureau. Un tonton Macoute ou un tchékiste terrorisent, sans être terroristes. C’est une confusion que de parler de terrorisme du Système ou de poser une équivalence entre oppression violente et terrorisme. C’est aussi éclairant que d’embrouiller la définition de la violence, avec les notions floues de violence passive ou structurelle, si bien que le terme devient synonyme de mal, haine ou inégalité. La sémantique ignore l’éthique. Déportation, épuration, massacre des opposants, camps peuvent être pires moralement que les terrorismes. Tout ce qui engendre la terreur n’est pas pour autant terrorisme. Seconde difficulté : la désignation du terrorisme est généralement le fait du terrorisé ou du contre-terroriste. Le terroriste présumé, lui, parle de résistance, régicide, riposte des opprimés, guerre sainte, juste revendication. Il fait remarquer que s’il pose des bombes, c’est faute des bombardiers comme les États1. Sa violence, toujours seconde, répond à une terreur initiale par légitime défense ou juste vengeance. Le terroriste nous rappelle que nos écoles célèbrent ceux qui figuraient hier sur l’Affiche Rouge2. Que nos occupants appelaient terroristes nos libéra1. Abdel Aziz al Ramtisi du Hamas (Le Monde du 13 juin 2002) « Nous sommes dans une guerre de libération. Ce qui se passe ici n’a rien à voir avec le 11 septembre aux États-Unis. Nous ne sommes pas des terroristes. Les jeunes martyrs palestiniens ne se sacrifient pas pour un quelconque paradis ou pour retrouver je ne sais combien de jeunes vierges. Ils se battent pour libérer leur territoire avec les moyens qu’ils ont à leur disposition... Si nous avions des F-16, nous les utiliserions à la place de martyrs, mais nous n’en avons pas. » 2. L’Affiche Rouge, placardée par les Allemands en février 1944 représentait des membres du groupe de Résistance du Groupe Manouchian qui allaient être fusillés comme terroristes au Mont-Valérien.

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teurs. Que De Gaulle et Mandela furent dits terroristes. Que des pouvoirs avec qui l’on traite maintenant ne sont que des terrorismes récompensés par l’Histoire, comme des religions sont des sectes qui ont réussi. Le terroriste avoué est rare : les exemples en sont ou romantiques, tels les nihilistes sur le modèle de Netchaïev1, ou cyniques. Ainsi Trotski en théorise l’emploi, dans « Terrorisme et Communisme » en 19352. L’organisation terroriste aime plutôt se présenter comme colonne, guérilla, armée secrète ou de libération… bref à se référer au modèle militaire du partisan, combattant sans uniforme. À moins qu’elle ne se rattache celui du parti en armes, fraction ou branche combattante d’un mouvement politique. Terroriste des champs, guérillero sans territoire, ou terroriste des villes, propagandiste armé, sont unanimes à refuser le qualificatif infamant. D’où un discours répétant que « le vrai terrorisme, c’est celui que nous subissons, l’oppression du peuple » ou que « si défendre ses droits et lutter pour la liberté est du terrorisme, alors, oui, nous sommes terroristes ». Allons plus loin : les terroristes accomplissent des actes qui violent droit positif et droit des gens, mais au nom d’un droit qu’ils estiment supérieur. Juges, témoins, et bourreaux, ils appliquent des arrêts, convaincus de leur légitimité. Un terroriste, c’est un juriste contrarié qui n’écoute guère les avocats. Voir les brigades rouges jugeant Aldo Moro avant de l’exécuter. Voir les auteurs d’une tentative de meurtre contre De Gaulle cherchant dans lejus gentium3, les raisons de sa tentative de « tyrannicide » contre De Gaulle. Voir les terroristes islamiques appliquant scrupuleusement fatwas, tafkirs (anathèmes), diyya 1. L’auteur du Catéchisme du révolutionnaire en 1869. Sa vie (et en particulier l’assassinat d’un étudiant membre de sa société secrète) ont inspiréLes Possédés (traduit aussi par « Les Démons ») de Dostoïevski. 2. Traduction française intégrale : U.G.E. 1963. 3. Intermédiaire entre le droit naturel et le droit positif, découvert par la Raison, suivant Saint-Thomas d’Aquin : les accusés du procès du Petit-Clamart faisaient souvent de telles allusions philosophiques aux raisons de leur acte.

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(prix du sang), djihad (guerre sainte proclamée) et fiqh (droit canon régissant l’application de la mort en cas de« nécessité »). En arrière-plan, donc, un droit éminent : droit naturel : état de nécessité, ou légitimité de la révolte en cas de rupture du contrat social, responsabilité individuelle des séides de la tyrannie, édit divin, ordre révolutionnaire encore en genèse, commandement d’une autorité supérieure au pouvoir établi illégitime… Le terroriste châtie qui prétend le réprimer et voit une sanction où nous voyons un crime. Même l’anarchiste de la Belle Époque, Henry, qui jetait une bombe au hasard sur les clients du café Terminus, affirmait le principe que « Nul n’est innocent ». Aujourd’hui, des théologiens fondamentalistes expliquent que les femmes et les enfants victimes du djihad ne sont pas si innocents : les femmes, en payant l’impôt ou en supportant l’existence d’un État, se rendent complices de ses crimes1. Les enfants ont tendance fâcheuse à devenir adultes. Dans une logique de pureté et de culpabilité universelle, les terroristes italiens des années de plomb passèrent des attentats contre des « fascistes », vus comme actes de résistance et d’autodéfense, aux exécutions de modérés de droite puis de gauche, puis enfin des traîtres ou des repentis potentiels dans leurs rangs. Les Japonais de l’Armée Rouge en vinrent à abattre les membres de leur groupe coupables d’attitudes « contrerévolutionnaires », comme avoir des relations sexuelles. Troisième difficulté : nature, intentionnalité et gravité sociale des menées terroristes varient suivant les époques et les cultures. Leur degré de violence et de dangerosité est jugé très différemment2. 1. Voir Towards a Definition of Terrorism par Ayatullah Shaykh Muhammad ‘Ali Taskhiri. Vol V No. 1 (Muharram 1408 AH/1987 CE) International Conference on Terrorism called by the Organization of the Islamic Conference, Genève, juin 1987. 2. Cela pose des problèmes même aux policiers. Voir Jean-François Raynaud Définir le terrorisme. Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ?, Revue internationale de criminologie et de police scientifique. N°2, 1988.

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Brûler des pneus au cours d’une manifestation, séquestrer un cadre une journée ou saboter une ligne de production, est-ce du terrorisme ? Pour nous, Européens modernes, ce sont, au pire, des dérives violentes de l’action revendicative, en soi légitime. Mais en d’autres temps et d’autres lieux, cela pouvait valoir le poteau. Distribuer de la drogue ou des images pornographiques, même au nom d’une prétendue haine de l’ordre établi, est-ce du terrorisme ? Là encore nous répondons que non. Or, les Actes de la Conférence d’Unification de Droit Pénal publiés à Paris en 1929 étaient de l’avis contraire. Y a-t-il des actes « par nature » terroristes ? Des crimes de simple banditisme, tel un hold-up ou une prise d’otage, qui deviennent terroristes s’ils sont accomplis par des groupes organisés et visent à subvertir l’ordre social ? Peut-on être terroriste seul ? Érostrate ou Ravaillac qui n’avaient pas de complices ? Ce Suisse qui a abattu quatorze personnes au Parlement cantonal ? Là encore aucune réponse ne fait l’unanimité. Impossible de sortir de la trilogie : fins/ moyens/acteurs. Peut-on, au moins, s’accorder sur une date de naissanc e ? Géné1 ralement le terrorisme « moderne » est dit remonter aux attentats des narodnystes2 ou populistes russes. Ils se font connaître en 1878, par l’assassinat du gouverneur de Saint-Pétersbourg exécuté par une disciple de Netchaïev. Ce terrorisme qui frappa l’opinion européenne, inspira, en littérature, Dostoïevski, puis Camus. Mais il inspira aussi, en pratique, des imitateurs russes. En France, la presse attribue à l’influence des« nihilistes russes » ou du prince Kropotkine3, dont le nom sonne bien et que l’on confond facile1. George Minois (Le Couteau et le poison, Fayard, 1997) explique très clairement la différence entre l’ancien tyrannicide et le moderne terrorisme. 2. De narodnaya volia, la volonté du peuple, groupe extrémiste russe qui assassina le tsar Alexandre II en 1881. Ils sont souvent également appelés, non sans laxisme verbal, nihilistes voire anarchistes. 3. Sur cette période, y compris dans ses dimensions littéraires en France, voire Uri Eisenzweig, Fictions de l’anarchisme, Christian Bourgeois, 2001.

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ment avec Bakounine1, la paternité morale des actions des Ravachol, Vaillant, Henry, Pauwels, et autres poseurs de bombe de la fin du XIXe siècle2. L’idée d’une incitation ou d’une participation morale au terrorisme, ou plutôt aux« menées anarchistes » naît aussi avec les « lois scélérates » de la même époque. Certes, toute périodisation est sujette à caution : il est facile de trouver des antécédents : les sicaires bibliques, les assassins ismaéliens du Vieux de la Montagne d’Alamut, ou les attentats contre Napoléon Ier et III. Il y eut des régicides, des tyrannicides, déjà théorisés par les jésuites du XVIIe siècle et des complots révolutionnaires bien avant 1878. Pourtant le terrorisme « à la russe », semble réunir tous les éléments : l’organisation, sa doctrine, son secret, ses outils de travail — la bombe et le pistolet — le rôle de la presse et de l’opinion, la contagion de l’exemple. Ce terrorisme moderne est à la fois : — Épidémique, puisque chaque attentat s’inscrit dans une série et suscite des imitateurs, en Russie et ailleurs en Europe. — Idéologique, voire pesamment théorisé. Des groupes réunis par l’idée veulent tuer des idées en assassinant des gens. Ils veulent aussi et surtout réaliser des idées, ce qui est autre chose que 1. Le prince Piotr Kropotkine (1842-1921), ami d’Élisée Reclus et qui séjourna en France, écrivait en 1880 dans le journal Le Révolté « La révolte permanente par la parole, par l’écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite [...], tout est bon pour nous, qui n’est pas la légalité.». Il fut même condamné à la prison après un attentat anarchiste en 1882, mais il dénonça fermement le principe du terrorisme. Son influence intellectuelle est cependant sans commune mesure avec celle de Michel Bakounine (18141876), grand rival de Karl Marx. Bakounine, longtemps fasciné par Netchaïev, finira par s’en séparer avec horreur. 2. Il y eut même des attentats dont l’unique finalité était la publication par la presse ennemie d’un texte : sa lecture était censée réveiller les masses de leur sommeil. Au XIXe siècle la « propagande par le fait » se voulait un moyen d’éveiller les masses sans passer par la médiation du parti ou par la rhétorique du programme. Ici, littéralement les actes valaient discours : ils devaient émanciper ceux qui les accomplissaient autant qu’ils effrayeraient ceux qui les subissaient. Voir Daniel Colson, Petit lexique philosophique de l’anarchisme, Poche, 2002.

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châtier un tyran ou prendre le pouvoir. Jamais plus qu’en leurs débuts, les terroristes ne méritèrent le nom d’intellectuels sanglants puisqu’ils prennent théories et symboles avec un redoutable sérieux. — Ambivalent, hésitant entre action et signification. Pour les narodnystes, chaque partie constituante de la dramaturgie des attentats est lourdement chargée d’un sens : elle représente toujours plus qu’elle-même. Les acteurs sont là pour exprimer une vérité ignorée, telle la révolte future du peuple, même s’il en est encore inconscient. L’organisation révolutionnaire se considère comme sa fraction éclairée. Et elle vise une cible éclairante : la victime, emblème de l’autocratie comme on disait alors. L’attentat est pensé comme un manifeste, une révolte tangible, un coup de tocsin, une étincelle destinée à se propager… — Instrumental, l’acte terroriste n’est pas censé se suffire en soi. Il ne vaut que dans la mesure où il accélère un processus. Il s’agit d’aggraver la décomposition du régime et la prise de conscience des opprimés. Le terrorisme est un raccourci historique. Comme le notait Ernst Jünger, les attentats « influent moins sur l’orientation que sur le rythme de l’Histoire, tantôt l’accélérant, tantôt le freinant »1. — « Altruiste » le terrorisme vise des fins qui sont supérieures aux intérêts de ses membres. Souvent les terroristes, tels Les Justes de Camus acceptent « d’être criminels pour que la terre se couvre enfin d’innocents »2. Le terrorisme apparaît ainsi dès sa première phase d’expansion comme une violence politique, armée, asymétrique et non institutionnelle, clandestine. Elle vise les forces morales de l’adversaire à travers ses forces matérielles et des proclamations symboliques. Il est évident que la forme que prend le terro1. Ernst Jünger, Récits d’un passeur du siècle, Éditions du Rocher, 2000. 2. Albert Camus, Les Justes (1949) in Camus Théâtre, Pléiade, NRF, 1962.

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risme dépend des croyances d’une époque, disons l’idéologie, mais, au moins autant, du répertoire technique disponible, les instruments de destruction et de propagation. Il dépend d’une configuration stratégique.

La terreur comme interaction Le terrorisme est une interaction1. Au même titre que la relation guerrière, elle suppose la distinction de l’ami et de l’ennemi et sépare le monde en deux camps. On connaît la phrase de Cocteau « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». De même, il n’y a pas de Terrorisme, il n’y a que des manifestations de terrorisme. Elles consistent à faire et à dire pour faire dire et faire faire. Les manifestations du terrorisme — le plus souvent par des attentats — sont censées lancer une longue série de réactions et contre-réactions. Elles peuvent être positives, tel le ralliement espéré des masses, mais aussi négatives puisque l’acte terroriste est censé pousser l’adversaire à la faute, par faiblesse ou par férocité. En ce sens, tout terrorisme est une provocation : il entraîne un cycle d’actions et réactions, discours et contre-discours. Là encore, c’est un trait qui le sépare de la guerre, le terrorisme ne saurait se contenter de faire beaucoup de morts : il doit produire beaucoup de bruit et beaucoup de réactions, voire de révélations. Ces manifestations partagent des caractères communs : — Elles visent à une perte. Celle-ci peut se mesurer en vies humaines : chefs, responsables ou « innocents » ; en 1. Sur la notion d’interaction, fondamentale en stratégie, et pas seulement pour le terrorisme, voir Pierre Fayard, La Maîtrise de l’interaction, Éditions 00h00, 2000, sur http://www.00h00.com.

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richesses : volées, consumées ou versées en rançon ; en concessions : amnistie, abandon d’un territoire… Mais ce principe de destruction se décline encore d’autres manières : perte d’organisation, de temps et d’information, en cas d’attaques contre des infrastructures, des archives, des systèmes informatiques, des mémoires. Perte des alliés découragés par les risques, perte de prestige. La cible du terrorisme, surtout s’il s’agit d’un État dit légitime, donc supposé maîtriser la violence sur son territoire, voit, de ce fait, son statut remis en cause : la question de sa légitimité n’est pas posée qu’en parole. Se présente alors une alternative. Ou bien faire cesser les pertes moralement insupportables par un abandon, en négociant, en se retirant d’un territoire… Ou bien s’engager dans une montée aux extrêmes : une lutte qui risque de légitimer a posteriori le terrorisme. Le dégât peut être présent, différé ou sous condition, comme en cas de prise d’otage. Il peut être indirect, lorsque l’attentat frappe un tiers. Plus subtilement, il peut faire perdre des apparences et des prudences. Par son acte, le terroriste prétend contraindre le camp adverse à révéler sa « vraie nature », par exemple en réprimant férocement et si possible maladroitement. Ceci peut mener à des raisonnements d’une absurde complication. Ainsi a-t-on accusé l’extrême droite italienne des années soixante-dix d’avoir provoqué des attentats pour mettre en lumière la nature faible et laxiste de l’État. Le but aurait été de l’obliger à se durcir, donc à réprimer des « subversifs » potentiels. Mais le raisonnement inverse a à peu près autant de sens. Pareil processus peut demander des sacrifices du côté terroriste. Ainsi le martyr est son propre medium : il témoigne, au sens étymologique, mais il transforme aussi son propre corps en vecteur du message. Il s’agit alors d’un investissement en vue d’un gain supérieur : le paradis pour le terroriste s’il est croyant, un gain de réputation et de partisans pour la cause. Le témoignage en actes, le martyr d’un des siens vaut à la cause un gain de visibilité et le poids de « l’argumentation » terroriste

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s’en trouve renforcée. Cette arithmétique de la destruction instaure un système d’échange et de valeur d’une complexité qu’ignore le stratège « classique ». — Les actes terroristes n’ont pas leur finalité en eux-mêmes. Ils s’inscrivent dans une continuité des desseins. « Un » acte terroriste sans suite ne serait pas plus signifiant qu’une bataille ne suffirait à faire une guerre. Il faut la promesse d’un renouvellement jusqu’à la victoire, une menace, un avertissement, une projection vers l’avenir. En ce sens, les « séries » terroristes sont à la fois économiques et stratégiques. Leur science est de gérer des ressources pour produire une plus-value, publicitaire, mais aussi de gérer les forces, dans un rapport dialectique avec des forces et intelligences adverses. De même qu’il y a des guerres à objectifs limités et des guerres totales, la revendication terroriste peut être restreinte, négociable, ou absolue. Le terrorisme peut tenter d’infliger un dommage, essentiellement moral, à l’adversaire jusqu’à ce qu’il estime moins « coûteux » de quitter un territoire ou de céder. Ce n’est pas la même chose que de vouloir rayer son ennemi de la surface de la Terre et d’établir le règne de Dieu, comme semble être la « revendication » du 11 septembre 2001. À demande absolue, affrontement absolu. — La manifestation terroriste doit pourtant rester rare et surprenante. Mille attentats, cela devient une guerre ou une routine. L’attentat s’apparente à la catastrophe : effondrement brusque du cours ordinaire des choses, suivi d’une période de réparation ou de retour à la normale. Une catastrophe régulière, c’est une contradiction dans les termes. — Corollairement, ces actions sont théorisées. Le terrorisme suppose un plan, même si le recours à la terreur apparaît comme un pis-aller ou un mal nécessaire aux yeux de ses auteurs. Qui dit plan dit méthode, donc groupes structurés.

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D’où le paradoxe des organisations terroristes : il leur faut rechercher l’invisibilité pour gagner la surprise ou l’impunité, dissimuler parfois les objectifs réels. L’acte terroriste recherche également une reproduction ostentatoire : multiplication exemplaire d’initiatives du même type, prolifération du désordre chez l’adversaire, mais surtout proclamation d’une « nouvelle ». Le terrorisme n’est pas un « cri », exprimant révolte ou désespoir, ou alors, il attend un écho. Son acte se veut porteur d’une riche signification et appelle une réponse de l’adversaire, de l’opinion, des neutres ou du genre humain en général. Qu’il s’agisse de la visibilité et de l’information en général, des moyens et des statuts, des objectifs et des structures, le terrorisme est la forme de conflit la plus asymétrique, puisqu’il n’est imaginable que dans son rapport avec un adversaire absolument autre.

Affrontement des symboles Le terrorisme, modèle stratégique, applique au mieux les principes de primauté de l’offensive, d’économie et de concentration des forces, de dispersion de l’adversaire et d’augmentation de son incertitude, d’action sur les points, qui produisent un effet d’amplification. Les notions stratégiques traditionnelles s’appliquent donc, en particulier celle de montée aux extrêmes : sauf « friction » du réel qui contraire ses desseins, le terrorisme est voué à l’escalade des moyens et des initiatives. Mais les effets de ces initiatives stratégiques terroristes ne se mesurent ni en rééquilibrage de forces ni en territoire. Il ne faut ici raisonner ni en termes de liberté d’action, ni en

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termes de capacité de contraindre l’Autre, comme le ferait un général ou un guérillero. Contrairement à une « vraie » guerre ou à un « vrai » crime, il est souvent difficile de mesurer les objectifs réels, l’objet du conflit, ou les gains réalisés par les acteurs. Ils doivent être appréciés en termes d’information autant que de destruction ou de conquête. Ils ressortent au domaine de l’interprétation qui est aussi celui de l’imprévisible. Le terrorisme joue toujours sur deux plans. Il y a les éléments visibles : le terroriste, l’otage, la bombe, son cratère, les cadavres, la rançon. Mais chacun de ses éléments signifie plus que lui-même et correspond à une économie supérieure du prestige, du salut, de la reconnaissance, de l’humiliation. Par là, le différend1 entre les deux camps prend une autre dimension. Le terrorisme déclenche toujours quelque chose, encore faut-il savoir quoi. C’est pourquoi il est si difficile de répondre à la question classique : le terrorisme est-il efficace ? Sousentendu : là où il échoue, n’a-t-il pas prouvé sa cruelle inutilité voire sa contre-productivité, et là où il a réussi, n’est-ce pas parce que l’Histoire allait de toute façon dans ce sens-là ? Le terrorisme représente un modèle symbolique autant que médiologique : il vise un maximum d’efficacité, compte tenu des moyens de transmission. Son histoire fait passer du poignard au Boeing, du libelle au live télévisé planétaire2. Si le dommage se double d’un message, celui-ci est à plusieurs étages : — C’est un témoignage. L’acte terroriste « révèle » : l’existence, les projets ou revendications d’un groupe qui se dit représentatif d’une communauté, de l’injustice éprouvée par 1. Sur cette notion voir Jean-François Lyotard, Le Différend, Éditions de Minuit, 1987. 2. La « périodisation » entre armes et médias du terrorisme est traitée dans l’article de Catherine Bertho-Lavenir du n° 13 précité desCahiers de médiologie.

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un peuple, de leur combativité… Tel la guerre, le terrorisme est un discours pour l’Histoire, souvent pédagogique. Parfois bavard. C’est une guerre du Paraître, voire pour paraître. Combien de terroristes luttent pour « être reconnus » ? — C’est un outrage. Il atteint celui à qui il s’adresse : il attente à son prestige symbolique, il en révèle les fragilités ou les contradictions. Le terrorisme procède par défi, mise en demeure. Il pose une énigme : comment interpréter l’acte, identifier les auteurs ? La transgression est renforcée par la théâtralisation. L’outrage joue aussi sur le caractère de la victime : emblématique par sa puissance et ses responsabilités, significative par son anonymat et son innocence mêmes. — C’est un marchandage. Le terroriste cherche toujours un gain. Il parle sous condition : si vous me donnez tel avantage, si vous libérez Untel, si vous cédez sur tel point, j’adoucirai votre peine. Si vous me reconnaissez, vous y gagnerez. Le tout est truffé de pièges et de mystères puisqu’on ne peut être assuré ni de la promesse ni du promettant, ni des termes de l’échange. Les actes terroristes se classent sur une double échelle. — L’échelle de destruction : elle va de la violence la plus précise — un tyrannicide — à la plus générale. Si les opérations terroristes se renouvellent trop, elles finissent par ne plus se distinguer de la guérilla ou de la guerre de partisans. — L’échelle de propagation : le message terroriste* peut avoir une valeur de proclamation, destinée à éveiller le genre humain mais aussi une valeur de négociation et ne s’adresser qu’à quelques interlocuteurs et décideurs. Il se pourrait enfin qu’il faille considérer qu’au-delà de l’atteinte aux forces adverses ou de la « publicité », le terrorisme a valeur d’expiation. La compensation du sang versé, l’humiliation du puissant, la punition tiennent une grande part dans son discours. Cela est plus vrai que jamais avec Ben Laden.

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Contrôle, images, données* Toutes ces grilles s’appliquent aux attentats du 11 septembre 2001. Les chercheurs discutent encore pour savoir s’ils inaugurent un « hyperterrorisme » ou s’ils ne représentent qu’un degré supérieur d’un phénomène ancien1. Avant le 11 septembre, le terrorisme était considéré comme subsidiaire ou secondaire, il se pratiquait à la place de la guerre ou de la Révolution, voire en attendant d’en avoir les moyens. Dans la même logique, l’image était la servante de l’acte : elle amplifiait, souvent via médias de l’adversaire, la force de nuisance de l’attentat. On pouvait raisonner en termes de facteur multiplicateur. Aux yeux des terroristes, l’essentiel était de faire diffuser leur message explicatif. Est-ce toujours vrai ? Le 11 septembre, tout commence par des images. Nous fûmes des millions à nous précipiter vers les écrans y voir et revoir s’effondrer les Twin Towers. Très vite, une lecture s’imposait : ces scènes étaient symboliques et stratégiques. Symboliques, elles voulaient nous dire quelque chose. Les tours « signifiaient » l’Amérique, l’Argent, la Culture mondiale, y compris celle des films catastrophe, la Tour de Babel… Stratégiques, ces images devaient nousfaire quelque chose. Quelqu’un les avait produites, mises en scène, en vue d’un effet psychique et paniqu e : une intelligence, consciente du pouvoir des médias. Il est bien connu que le terrorisme vise toujours à un retentissement psychique« hors de proportion avec ses résultats purement physique s »2. 1. C’est l’objet de la controverse entre François Heisbourg (Hyperterrorisme : la nouvelle guerre, Odile Jacob, 2001) et Gérard Challiand, L’Arme du terrorisme, Éditions Louis Audibert, 2002. Pour suivre les travaux sur le terrorisme des équivalents français desthink tanks américaines, voir : http://www.frstrategie.org, http://www.ifri.org, http://www.strategic-road.com/dossiers/terrorusa/htm. 2. L’expression est de Raymond Aron dans Clausewitz Penser la guerre, N.R.F., 1976.

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Pourtant tout n’est pas si simple. De quoi les tours étaientelles les « icônes » — le terme qu’emploie Ben Laden dans la traduction d’une de ses cassettes — sinon du temporel ? Comment fallait-il interpréter un attentat qui ne revendiquait rien, sinon la disparition de l’adversaire ou le règne de Dieu sur la Terre ? Du point de vue de l’image, tout s’oppose caricaturalement. Al Jazeera contre CNN. Cutters contre missiles. K7 contre B52. Low tech contre High tech. Discours théologique contre discours étatique. Métaphores coraniques contre conférences de presse. Treillis contre costumes. Ouma contre mondialisme. Dramaturgie contre communication. Celui qui regarde le ciel contre celui qui regarde le prompteur. L’homme des grottes et du désert contre l’homme des villes et des tours. Ben Laden contre Bush. Du point de vue stratégique, Ben Laden sait utiliser le principe des réseaux pour se protéger et retourner contre nous nos réseaux télévisuels, financiers, électroniques pour une contagion optimale. Les stratèges US théorisaient déjà netwar, la guerre en réseaux qu’ils distinguaient de cyberwar, la guerre assistée par ordinateurs1. Le Pentagone en a rêvé, Ben Laden l’a réalisé ! L’Amérique se préparait pour une « guerre de l’information » propre et politiquement correcte, gérée par ordinateurs et satellites. Les futurologues développaient le projet de la dominance informationnelle. La guerre deviendrait cool et séduisante. Les professionnels de la communication s’en chargeaient : zéro dommage cathodique. C’est une tout autre « guerre de l’information » qu’a menée al Quaïda : sidération du village global par des images emblématiques en live planétaire, contagion de la panique boursière via la Toile, utilisation des moyens techniques adverses pour une répercussion maximale… 1. Sur ces notions voir les textes d’Arquilla et Ronfeldt sur le site http:// www.rand.org plusieurs fois signalés dans cet ouvrage. Sur le terrorisme, la Rand propose également de nombreux textes de son meilleur spécialiste, Bruce Hoffman, partisan d’une analyse du phénomène en tant que stratégie froide et rationnelle (rationnelle au regard de ses objectifs, s’entend).

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Terrorisme : stratégie d’irruption

Le problème de l’organisation terroriste est d’être secrète et spectaculaire à la fois. Secrète, elle doit, en dépit de sa lourdeur, échapper aux détecteurs maillant la planète. Spectaculaire, elle doit produire une surprise maximale aux points de visibilité maximale. La solution de cette équation, c’est le terrorisme en réseaux, double négatif de la société en réseaux1. Il y gagne la capacité de coordonner des acteurs épars, de faire circuler leurs messages, de désigner des objectifs communs, de suivre des procédures implicites sans que ses adversaires puissent l’interrompre ou en reconstituer la structure. Dans cette configuration, le faible marque un point contre le fort. Ben Laden et les siens comprennent les faiblesses stratégiques et techniques de l’Occident. Pourtant, reste une question : en quoi consisterait leur « victoire » politique et la recherchent-ils vraiment ? À un journaliste qui lui demandait à quoi se reconnaîtrait la victoire des USA, David Rumfeld répondit que ce serait le jour où le monde entier accepterait de ne plus s’en prendre au mode de vie américain. Cela suppose une stratégie d’annulation. Le terrorisme, l’action des États « voyous », ou des groupes mafieux, tous les troubles dans les zones incontrôlables, sont évalués dans cette optique défensive, comme crises à éviter et périls à prévenir. Il faut les éliminer, si possible en amont par la surveillance et la dissuasion, si nécessaire en aval, par une réaction immédiate. Mais la victoire de Ben Laden ? Quel est le but ultime de sa stratégie de perturbation ? Il n’est pas difficile de comprendre ce que recherche un terroriste qui veut libérer un territoire ou renverser un gouvernement. Les objectifs de Ben Laden semblent trop universels. Est-il totalement nihiliste ou, ce qui 1. Sur la notion de réseaux on consultera Christian Marcon et Nicolas Moinet La Stratégie réseau, Éditions 00h00, 2000, téléchargeable sur http://www.00h00.com. Voir aussi Daniel Parrochia, La Philosophie des réseaux, P.U.F., 1993 et Philippe Forget et Gilles Polycarpe, Le Réseau et l’Infini, Economica, 1997.

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Écran / Ennemi

revient au même, réclame-t-il tout : l’utopie totale, la fin de l’Histoire, la fusion du politique et du religieux ?

Sept portes de la terreur Résumons : — Le terrorisme suppose une casuistique. Le terroriste veut justifier en conscience, et par un droit, une violence que son adversaire tente de criminaliser et de rabaisser. — Le terrorisme a une rhétorique. Il tente de convaincre et son adversaire (qu’il a perdu, que sa cause est injuste…) et son propre camp (de son identité, que la victoire est proche, qu’il faut être unis…). Cette rhétorique suppose un contenu que l’Autre doit réfuter comme mensonger. — Le terrorisme s’apparente parfois à un ésotérisme, voire à un comportement de secte, puisqu’il vit du secret. Ses ennemis, eux, prétendent toujours le démasquer. — Le terrorisme a une topologie : celle des réseaux. Ils dépendent à la fois de leur capacité de fonctionner malgré les tentatives d’interruption, et d’un environnement favorable, tel un sanctuaire hors frontières par exemple. En face, le contre-terrorisme cherche à sécuriser des zones, à contrôler du territoire. — Le terrorisme suppose une économie : il gère des ressources rares et tente de produire des plus-values considérables, notamment publicitaires. C’est cette logique d’échange que tentent de casser ses adversaires. — Le terrorisme ressortit, on l’a assez dit, au symbolique. Il recherche une « escalade » du sens : il prétend élargir la signification de ses cibles ou de ses revendications jusqu’à atteindre des principes historiques, religieux, métaphysiques : la Tyrannie, le Mal, la Révolution… Dans le camp d’en face, il faut, au

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Terrorisme : stratégie d’irruption

contraire, rabaisser le débat pour rabaisser le terrorisme, notamment le ramener à sa composante criminelle. — Le terrorisme est, avons-nous assez répété, stratégique. Il repose au total sur une méthode de perturbation, — paralyser la volonté ou la capacité adverse, — plutôt que de destruction ou de conquête. Cette stratégie implique dans certains cas le concept paradoxal de « non victoire », si le but du terrorisme est uniquement d’affirmation identitaire ou de vengeance symbolique. Face à cela, il ne reste plus à son ennemi qu’à élaborer une stratégie d’annulation, dont il faut craindre qu’elle ressemble à celle des Danaïdes.


Ben Laden : plus dangereux mort que vivant ? | Atlantico

30/07/11 12:02

Mort de Ben Laden Publié le 2 mai 2011

Ben Laden : plus dangereux mort que vivant ? Oussama Ben Laden mort, quel avenir pour Al Qaïda ? Chercheur à l’IRIS, spécialisé sur la communication et l’intelligence économique, François-Bernard Huyghe évoque pour Atlantico les conséquences géopolitiques de cet événement. 8

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Oussama Ben Laden mort, quel avenir pour Al Qaïda ? Crédit Reuters

C

ette mort de Ben Laden - la vraie cette fois après de fausses annonces - a quelque chose hollywoodien : la traque pendant dix ans et l'action en quelques secondes, les commandos d'élite et la maison à 100 km de Karachi, le président télégénique - qui rappelle que les USA combattent des criminels et pas l'islam - et les foules en liesse sur le site des Twin Towers.

FrançoisBernard Huyghe

Un scénario qui semble écrit par un néo-conservateur

François-Bernard Huyghe est Docteur d'État en Sciences Politiques et habilité à diriger des recherches.

Ce dénouement qui aurait comblé les vœux les plus fous de G.W. Bush ou de Chuck Norris se déroule sur fond de "tsunami démocratique" censé balayer le monde arabemusulman. Le scénario semble écrit par un néo-conservateur... le tournage ayant seulement pris dix ans de retard sur le plan prévu.

Voir la bio en entier

Ben Laden est mort Gary Cooper est de retour !

D'un point de vue stratégique, la mort de l'émir qui en était réduit à revendiquer les attentats manqués et dont les messages, sonores seulement, ne bouleversaient plus les chancelleries, a une importance relative. On ne peut exclure que certains de ses partisans ne célèbrent son accession au statut de martyr par des bains de sang, mais s'ils avaient cette capacité opérationnelle, auraient-ils attendu si longtemps pour le prouver ? Il y a des années que personne ne se représente plus Ben Laden comme un "Docteur No" digne de James Bond, commandant depuis une base secrète une organisation planétaire. Et les experts se sont à peu près tous convertis à l'idée que la "marque al Qaïda" était devenue un logo publicitaire pour jihadistes ambitieux, moyennant allégeance formelle au chef ; pas trop encombrant au demeurant. Ceci ne signifie pas que la mouvance dans son ensemble soit en déclin : elle tue beaucoup et surtout des musulmans. Hormis les touristes de Marakech, les risques pour un Occidental de périr dans un attentat mené au nom de Ben Laden restent sans doute très réduits. Ce qui n'est pas le cas pour un Pakistanais, un Irakien ou un Afghan.

Mort de Ben Laden : quelles conséquences ? Reste la question principale : l'impact symbolique. Que l'homme le plus recherché de l'Histoire soit mort par balle, sans doute au combat, et non de maladie, a ici son importance.

http://www.atlantico.fr/decryptage/ben-laden-plus-dangereux-mort-que-vivant-89324.html

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Ben Laden : plus dangereux mort que vivant ? | Atlantico

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30/07/11 12:02

Il y aura évidemment les réactions prévisibles. Des islamistes considéreront qu'il est mort en martyr et entretiendront son culte. Il y aura des conspirationnistes qui expliqueront, contradictions factuelles et preuves logiques à l'appui, que la version d'Obama est

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totalement invraisemblable. Mais un Ben Laden, même transfiguré post mortem par la légende, sera-t-il un meilleur recruteur que vivant, ne commandant plus grand chose, moins influent que Zawahiri ? Dans la mesure où la plupart des derniers attentats anti-occidentaux (souvent manqués faute de technique) ont été le fait de "loups solitaires" auto-radicalisés, il est difficile de prévoir leurs réactions. Et impossible de garantir que l'un d'entre eux ou un petit groupe ne réussira pas une action de rétorsion. On ne peut pas échouer à tous les coups. Sur le moyen terme, un Ben Laden mort et martyr, ne va sans doute pas produire des dizaines supplémentaires de "Jihad Jane" et autres "homegrown terrorists" ni leur donner la compétence pour réaliser leurs fantasmes. Ceux qui passeront à l'acte n'en étaient pas loin psychologiquement.

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En revanche, il existe des organisations actives dont les plus emblématiques sont AQMI et le TTP (Terik e Taliban Pakistan) : pratiquant un terrorisme "hybride" proche de la grande criminalité pour le premier, la guérilla montagnarde à grande échelle pour le second. Ils perdent dans cette affaire un lien de franchise avec un chef sans vraie prise sur le réel, mais entourés d'une aura mythique. Ce n'est pas assez pour provoquer dans leurs rangs des campagnes de désertion ou de conversion à la démocratie. Mais c'est un élément qui pourra jouer lorsqu'ils entreront dans des rapports de négociation politiques avec d'autres forces dans un monde islamique en pleine recomposition. Seront-ils plus redoutables démythifiés voire dédouanés ? Réponse dans les prochains mois. Al Qaïda | Barack Obama | Ben Laden | Etats-Unis | islamisme International | Terrorisme La mort de Ben Laden Les derniers articles du même auteur : Un complot ? Risible. Propagande kadhafiste : quand la mort s'exhibe Cyber attaques : la France en danger? 8

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Nos articles sont ouverts aux commentaires sur une période de 4 jours Par texarkana - 03/05/2011 - 12:05 - Signaler un abus Je suis bien content en tous cas! Opération rondement menée. J'attends maintenantle tour du Kaddhafi qui nous empoisonne depuis 42 ans, n'oublions jamais les attentats de Lockerbie et de l'avion d'UTA. Quant aux munichois qui tremblent à l'idée de représailles ...trouillard et mesquin. Par slavkov - 02/05/2011 - 21:41 - Signaler un abus déjà vu ... un jour on saura (presque) tout de l'affaire - avec j.m.morandini dans "présumé innocent" ...

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Oslo : crime et idéologie - affaires-strategiques.info

30/07/11 10:30

Analyse du jour

Oslo : crime et idéologie 26 juillet Par François-Bernard Huyghe, chercheur à l’IRIS Le massacre d’Oslo est indéniablement un crime idéologique. Si l’on peut qualifier Breivik de fou, ce fou-là raisonnait et son action n’était que la mise en œuvre d’une pensée politique. S’’il reconnaît son acte et revendique la responsabilité de près de 80 morts, les victimes sont pour lui les simples lettres d’un message : moyen efficace de démontrer quelque chose (en l’occurrence que les travaillistes "mutlikulti" pro-immigration doivent être châtiés), avertissement, mais aussi outils "publicitaires" pour faire connaître son idéal.

Cette tragédie illustre deux principes généraux valables pour toutes les stratégies terroristes : 1 - Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire (titre d’un ouvrage que j’ai co-écrit avec A. Bauer) : en l’occurrence, Breivik laisse un film vidéo disponibles sur You Tube et un texte de près de 1600 pages, accessible sur Internet, où il explique ce qu’il fera, pourquoi il le fera et comment il s’y prépare 2 - Les terroristes tuent des idées, pour répandre des idées et au nom des idées. Quand nous disons qu’ils "tuent des idées", cela signifie que, dans leur logique, on ne frappe pas des gens pour des raisons individuelles (logique du crime) ni pour causer les plus de pertes possibles à l’ennemi (logique militaire). On tue des gens pour que leur mort produise un effet psychologique (peur chez les uns, enthousiasme chez les autres) et un effet pédagogique (elles démontrent la justesse ou la faiblesse d’une cause). Une nouvelle idéologie de la peur Cette idéologie comment la qualifier ? On a beaucoup écrit que Breivik était un "fondamentaliste chrétien". Se qualifiant de protestant plutôt traditionnel, il comptait certes la religion parmi les valeurs identitaires européennes. Pour autant, il ne citait pas la Bible à tout bout de champ et se disait lui-même modérément croyant. D’extrême-droite ? Certes, quelqu’un qui déteste les immigrés au point de tuer n’est ni modéré ni de gauche. Mais "extrême-droite" est une catégorie très floue. Racisme ? Si Breivik détestait les Arabes, c’était parce qu’il voyait en eux les instruments d’une domination du monde par l’Islam, pas au nom de la supériorité des Aryens. Antisémitisme ? Breivik soutient les sionistes pour leur fermeté et voit certains Juifs comme les meilleurs alliés des bons Européens. Admiration pour Hitler ou des dictateurs ? Au contraire, Breivik dénonce le génocide (mais, il est vrai pour le relativiser par rapport au génocide communiste et surtout aux 2000 millions de morts dont il attribue la responsabilité à l’Islam au cours de l’Histoire). Valeurs antidémocratiques ? Une des raisons pour lesquelles Breivik hait les travaillistes norvégiens (il a finalement massacré des protestants blonds aux yeux bleus, non des Musulmans ou des Arabes) est leur politique de tolérance (droits concédés aux immigrés, protection des minorités ethniques ou sexuelles, refus de la répression). Mais cette ouverture à la norvégienne, il la condamne comme suicidaire : elle profite au vrai ennemi, l’Islam. Il progresse grâce à l’abaissement des défenses immunitaires des Européens et à cause de leur haine d’eux-mêmes (ce que Breivik appelle le "marxisme culturel" , le politiquement correct : le souci de ne marquer aucune discrimination envers aucune différence). Mais Breivik explique que ce triomphe de l’Islam, religion autoritaire et "génocidaire" signifierait la fin des libertés et de la démocratie typiques de la culture européenne. Populiste ? Certes Breivik a été membre du parti du Progrès norvégien (encore qu’il l’ait quitté comme traître à l’Europe), de la nébuleuse des populistes européens, craignant l’immigration et la perte d’identité, inquiets de la mondialisation et de l’État providence. Mais cette étiquette s’appliquerait à des millions de gens. Islamophobie ? On a compris que l’ennemi principal est pour lui l’Islam ou plutôt le projet fantasmique dit "Eurabia" de http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article5411

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Oslo : crime et idéologie - affaires-strategiques.info

30/07/11 10:30

conversion de notre continent entier à la religion musulmane, objet de tous ses fantasmes. Breivik se croit donc en légitime défense. D’autres loups solitaires ? Sur cette bouillie idéologique se sont surajoutés deux éléments. D’une part une attirance pour tout ce qui est occulte, avec des références à un bizarre ordre de templiers après un passage dans la franc-maçonnerie. D’autre part une capacité intellectuelle à tout expliquer par une cause unique : tout procède d’un plan diabolique de conquête du monde (que partageraient donc secrètement tous les musulmans). Il aurait deux complices objectifs : le capitalisme mondialiste favorable à la circulation des hommes et des capitaux, et les "belles âmes" humanistes soucieuses de non agressivité et leur bonne volonté à tout ce qui est minoritaire ou étranger. Le tout fait un motif de tuer, d’ailleurs sans réflexion stratégique (l’acte de Breivik sera probablement très anti-productif et va disqualifier, au moins dans certaines parties de l’Europe, tout discours aux relents anti-islamiques comme potentiellement terroriste. Mais l’idéologie n’est devenue mortelle que pour deux raisons. Breivik avec l’obstination d’un maniaque a réussi un "exploit" technique (en impact psychologique et nombre de morts) auquel n’est parvenu jusqu’à présent aucun "loup solitaire" islamiste ou autre. Ensuite, il a fait tout cela seul (si cela est confirmé) ou du moins sans appartenir à une organisation bien repérée. Deux conditions qui peuvent se retrouver chez un autre, éventuellement pour une tout autre cause : cela change singulièrement les perspectives des politiques anti-terroristes, jusqu’à présent orientées vers le danger islamiste et al Qaïda.

http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article5411

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D'AUTRES PERSPECTIVES

I Présentation dans "les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire" Tout essai à cet égard rappelle le débat sur la définition de la pornographie[1] (avec la sempiternelle question sur sa différence d'avec l'érotisme), et la phrase bien connue : "je suis incapable de définir intellectuellement la pornographie, mais je sais la reconnaître quand je la vois." Nul ne doute que quelqu'un qui met une bombe dans le métro soit un terroriste, mais s'il faut se mettre d'accord sur une règle générale, c'est une autre affaire. Sans essentialiser le terrorisme, il faut bien constater qu'il existe des actes de violence politique, quelque part entre protestation vigoureuse et guerre civile, dont il faut reconnaître la spécificité. Le droit en est-il capable ? On a souvent signalé le puzzle des 202 définitions du terrorisme recensées et l'absence de consensus académique sur ce point[2]. L'incapacité de l'Organisation des Nations Unies à produire une définition universelle du terrorisme est devenue proverbiale et est confirmée par la négociation de la Comprehensive Convention on International Terrorism (CCIT) en chantier depuis 1996[3]. Pour des Nations Unies, l'explication n'est pas très difficile à trouver : nombre d'États membres refusent une définition qui pourrait s'appliquer soit à leur propre passé (les mouvements de résistance, libération ou décolonisation dont est issu leur pouvoir) soit aux mouvements qu'ils soutiennent. En dépit de cela, cette proposition de définition du Secrétaire Général[4] qui insiste sur le caractère de " chantage " du terrorisme est souvent reprise : " Tout acte destiné à tuer ou à blesser des civils et des non-combattants afin d’intimider une population, un gouvernement, une organisation et l’inciter à commettre un acte, ou au contraire à s’abstenir de le faire. " Des institutions se tirent d'embarras en dressant des listes d'organisations terroristes[5], ce qui renvoie la difficulté au stade de la classification, de son objectivité et de son désintéressement (le processus est souvent identique pour les sectes…). On cite souvent comme ayant sinon statut officiel, du moins valeur de définition académique souvent utilisée dans les organisations internationales, celle du hollandais Schmid : "Le terrorisme est une méthode d'action violente répétée inspirant l'anxiété, employée par des acteurs clandestins individuels, en groupes ou étatiques (semi-) clandestins, pour des raisons idiosyncratiques, criminelles ou politiques, selon laquelle — par opposition à l'assassinat — les cibles directes de la violence ne sont pas les cibles principales. Les victimes humaines immédiates de la violence sont généralement choisies au hasard (cibles d'occasion) ou sélectivement (cibles représentatives ou 8


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symboliques) dans une population cible, et servent de générateurs de message. Les processus de communication basés sur la violence ou la menace entre les (organisations) terroristes, les victimes (potentielles), et les cibles principales sont utilisés pour manipuler la (le public) cible principale, en faisant une cible de la terreur, une cible d'exigences, ou une cible d'attention, selon que l'intimidation, la coercition, ou la propagande est le premier but." [6] Toute critique stylistique mise à part, les choses pourraient se simplifier en définissant le terrorisme comme la pratique d'actes terroristes - les attentats - par des organisations clandestines sur des cibles symboliques dans un but politique, entraînant ou risquant d'entraîner mort d'homme[7]. Disons que telle est notre définition, quitte à ce qu'elle devienne la 203°. De ce point de vue, le droit français nous semble pécher en ne restreignant pas, dès le premier alinéa, le terrorisme à l’atteinte à la vie humaine : Des éléments significatifs se retrouvent en commun dans certains textes juridiques. Le terrorisme combine deux éléments. Le premier est factuel et pénal : des actes (poser des bombes, tuer des gens, se procurer des armes, menacer, détruire), qui seraient répréhensibles en tout état de cause, accomplis pour d'autres motifs. Mais il s’y ajoute une dimension psychologique : l’activité terroriste veut agir sur des esprits, produire certains sentiments voire obtenir certains comportements. À la cible de la violence, s'ajoute la cible de l'attention qu'elle ne vise pas moins. Il est permis de discuter l'intensité du dommage (vol, destruction, enlèvement, séquestration), ou celle de l'effet psychologique (terrifier, contraindre, intimider, influencer une décision, inspirer de "l'anxiété"), mais il est difficile de douter de la combinaison des deux. D'autres recourent à des notions beaucoup plus englobantes renvoyant au droit de la guerre comme celle d'équivalent "civil" d'un crime de guerre (puisqu'il est accompli par des civils et sur des "non combattants". Ou plus simplement de "crime contre l'humanité". Dans un récent rapport au Sénat, Robert Badinter déclarait : "Quand on regarde de très près les textes et notamment le texte fondateur de la Cour pénale internationale, on trouve une définition du terrorisme qui paraît acceptable : on considère comme crime contre l’humanité les actions décidées par un groupement organisé, pas nécessairement un État, ayant pour finalité de semer la terreur, dans des populations civiles, pour des motifs idéologiques. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une de ces actions… " Il faut aussi signaler une idée différemment formulée dans beaucoup de définitions officielles américaines, à savoir que le terrorisme servirait : 9


Source : http://huyghe.fr

" (i) à intimider ou contraindre une population civile; (ii) à influencer la politique d'un gouvernement par l'intimidation ou la contrainte; ou (iii) à affecter la conduite d'un gouvernement par destruction de masse, assassinat, ou kidnapping"[8] Ainsi, cette même idée d’une dualité entre l’action psychologique sur les populations et la contrainte sur les gouvernements qui se retrouve peu ou prou dans le Patriot Act qui parle d'actes "(destinés (i) à intimider ou contraindre une population civile, (ii) à influencer la politique d'un gouvernement par l'intimidation ou la contrainte, ou (iii) à affecter la conduite d'un gouvernement par destruction de masse, assassinat, ou kidnapping, et (C) se produisent principalement dans le cadre de la juridiction territoriale des U.S.A."). Le terrorisme suppose donc des actes envers des gens ou des biens d'une part et d’autre part, un projet spécifique (troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, influencer les esprits, créer un certain "climat"). Comme on s'en doute, chacun de ces éléments peut donner lieu à contestation et sur la gravité des faits et sur la gravité de l'intention (ou de l'impact psychologique). Ainsi, le droit français se "contente" de vols, destructions, dégradations et détériorations là où la législation américaine parle de "destructions de masse" et quand d'autres veulent faire du terrorisme l'équivalent civil du crime de guerre. ….Par ailleurs, notre code pénal considère que l'intention d'intimider suffit pour constituer l'acte terroriste (plus une dimension politique, celle de l'ordre public, sinon un simple racket pratiqué sur une boîte de nuit répondrait à la définition). Autre problème donc : intimider et répandre la terreur ne sont pas la même chose (même si de telles notion sont éminemment subjectives). Le lecteur a compris qu'en vertu du principe de neutralité axiologique dont nous nous réclamons, nous emploierons le mot "terrorisme" par référence au droit positif. "Les terroristes des Brigades Rouges" signifiera sous notre plume : " les membres de l'organisation dite Brigades Rouges dont les membres ont accompli des actes qualifiés de terroriste par le code pénal italien". [1]

Voir Ruwen Ogien Penser la pornographie, PUF 2003

[2]

Schmid et Jongman Political Terrorism, Amsterdam, New Holland Publishing 1988. les deux auteurs ont

"testé" des propositions de définition auprès de centaines d'universitaires sans parvenir à en faire émerger une qui fasse l'unanimité ou recueille une vaste majorité. 10


Source : http://huyghe.fr [3]

Voir les travaux du Comité ad hoc sur "les moyens de développer le cadre légal compréhensif d'une

convention traitant du terrorisme international" ((Résolution 51/210).) de l'ONU [4] "Dans une liberté plus grande" Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies Mars 2005 p. 67 [5]

Conseil de l'Union Européenne, Organisation du Traité de sécurité collective, Home Office, Département

d'État US... [6]

Schmid précité

[7]

Comme l'éventualité de la mort de l'ennemi ou du criminel caractérise le pouvoir d'État (guerre, peine de

mort), la mort (ou sa virtualité) est liée à l'essence de la pratique terroriste. Une violence protestataire qui se contenterait de dégradations nous semble plutôt relever de la violence politique tout court. Cette distinction apporterait une certaine clarification. Mais il est évident que tous les législateurs ne sont pas de cet avis. [8]

Federal Criminal Code (Section 2331 du Chapitre 113B de la Partie I du Titre 18)

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Source : http://huyghe.fr

II DÉFINITIONS courantes •

Art. 421.1 du code pénal « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont (L n°96-647 du 22 Juillet 1996) « intentionnellement » en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur les actes suivants : les atteintes à la vie… les vols, les destructions, les dégradations et détériorations ainsi que les infractions en matière informatique…, la fabrication ou la détention de machines.421-2 constitue également…le fait d’introduire dans l’atmosphère…412-3 Constitue également…le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionné aux articles précédents. Baxter R. « Nous avons de bonnes raisons de regretter que le concept de terrorisme nous ait été infligé... Le terme est imprécis, il est ambigu, et, surtout, il ne sert aucun objectif juridique concret» Richard baxter A skeptikal look at the Concept of Terrorism, Akron Law review n°7, 1974 Commission européenne, dans sa communication 522 définit comme terroristes treize infractions « lorsqu’elles visent à menacer et à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques ou sociales d’un pays » puis modifié le 6 et 7 décembre 01 pour ne pas inclure les activités syndicales et manifestations antimondialisation Les conventions de la Haye (1970) et de Montréal (1971) ou la convention européenne sur la répression de l’activité terroriste (1977) ne contiennent pas de définition propre de l’activité terroriste. Derrida "Si on se réfère aux définitions courantes ou explicitement légales du terrorisme, qu’y trouve-t-on ? La référence à un crime contre la vie humaine en violation des lois (nationales ou internationales) y implique à la fois la distinction entre civil et militaire (les victimes du terrorisme sont supposées être civiles) et une finalité politique (influencer ou changer la politique d’un pays en terrorisant sa population civile). Ces définitions n’excluent donc pas le « terrorisme d’Etat ». Tous les terroristes du monde prétendent répliquer, pour se défendre, à un terrorisme d’Etat antérieur qui, ne disant pas son nom, se couvre de toutes sortes de justifications plus ou moins crédibles." Eisenzweig : « Les Conventions de la Haye (1970) et de Montréal (1971) concernant le terrorisme aérien ou l Convention européenne sur la répression du terrorisme ne contiennent pas davantage de définition propre de l’activité subversive... Pas davantage les législations étrangères ne semblent fournir 12


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d’éléments de réponse : ainsi l’article 129-a du code pénal allemand, l’article 270 bis du code pénal italien ou l’article 8 de la loi pénale espagnole du 26 Décembre 1984 invoquent la notion de terrorisme sans la déterminer » Encyclopedia universalis "La terreur est un état, une peur exacerbée, mais, depuis la Révolution française, c’est aussi un régime politique, voire un procédé de gouvernement, permettant au pouvoir en place de briser, à force de mesures extrêmes et d’effroi collectif, ceux qui lui résistent. Le terrorisme, quant à lui, s’il est d’abord action, n’en recouvre pas moins une notion voisine puisque, dépassant souvent le stade de l’initiative ponctuelle pour devenir une véritable stratégie, il postule l’emploi systématique de la violence, pour impressionner soit des individus afin d’en tirer profit, soit, plus généralement, des populations, soumises alors, dans un but politique, à un climat d’insécurité. Dans l’un et l’autre cas, il a pour caractéristique majeure de rechercher un impact psychologique, hors de proportion, comme le souligne Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations, avec les effets physiques produits et les moyens utilisés." Encyclopédie Hachette Le terrorisme désigne soit des actes violents – sabotages, attentats, assassinats, prises d'otages... – commis pour des motifs politiques par des individus isolés ou organisés, soit un régime de violence créé et utilisé par un gouvernement qui cherche à conserver le pouvoir face à des ennemis intérieurs ou extérieurs. Convention européenne du 10 Janvier 2000 pour la répression du financement du terrorisme : « Tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque par sa nature ou par son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. » Petit Robert : 1 Politique des années 1793-1794 en France 2 –(cour) Emploir systématique de la violence pour atteindre un but politique (..) et spécialement ensemble des actes de violence, des attentats, des prises d’otage civils qu’une organisation politique commet pour impressioner un pays (le sien ou celui d’un autre). Eisenzweig : « Les Conventions de la Haye (1970) et de Montréal (1971) concernant le terrorisme aérien ou l Convention européenne sur la répression du terrorisme ne contiennent pas davantage de définition propre de l’activité subversive... Pas davantage les législations étrangères ne semblent fournir d’éléments de réponse : ainsi l’article 129-a du code pénal allemand, l’article 13


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270 bis du code pénal italien ou l’article 8 de la loi pénale espagnole du 26 Décembre 1984 invoquent la notion de terrorisme sans la déterminer » Encyclopedia universalis "La terreur est un état, une peur exacerbée, mais, depuis la Révolution française, c’est aussi un régime politique, voire un procédé de gouvernement, permettant au pouvoir en place de briser, à force de mesures extrêmes et d’effroi collectif, ceux qui lui résistent. Le terrorisme, quant à lui, s’il est d’abord action, n’en recouvre pas moins une notion voisine puisque, dépassant souvent le stade de l’initiative ponctuelle pour devenir une véritable stratégie, il postule l’emploi systématique de la violence, pour impressionner soit des individus afin d’en tirer profit, soit, plus généralement, des populations, soumises alors, dans un but politique, à un climat d’insécurité. Dans l’un et l’autre cas, il a pour caractéristique majeure de rechercher un impact psychologique, hors de proportion, comme le souligne Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations, avec les effets physiques produits et les moyens utilisés." Encyclopédie Hachette Le terrorisme désigne soit des actes violents – sabotages, attentats, assassinats, prises d'otages... – commis pour des motifs politiques par des individus isolés ou organisés, soit un régime de violence créé et utilisé par un gouvernement qui cherche à conserver le pouvoir face à des ennemis intérieurs ou extérieurs. Convention européenne du 10 Janvier 2000 pour la répression du financement du terrorisme : « Tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque par sa nature ou par son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. » Petit Robert : 1 Politique des années 1793-1794 en France 2 –(cour) Emploir systématique de la violence pour atteindre un but politique (..) et spécialement ensemble des actes de violence, des attentats, des prises d’otage civils qu’une organisation politique commet pour impressioner un pays (le sien ou celui d’un autre).

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DÉFINITIONS EN ANGLAIS •

FBI Definition Terrorism is the unlawful use of violence against persons or property to intimidate or coerce a government, the civilian population, or any segment thereof, in turtherance of political or social objective Hoffman "Terrorists believe their cause to be altruistic and serving for the better of society. Bruce Hoffman in his most recent work Inside Terrorism (1998) states that the terrorist is fundamentally a violent intellectual, prepared to use and indeed committed to using force in the attainment of his goals. (p. 43). He also adds that by distinguishing terrorists from other types of criminals and terrorism from other forms of crime, we come to appreciate that terrorism is: Hoffman. 1998. Inside Terrorism.ineluctably political in aims and motives; violent-or, equally important, threatens violence; designed to have far-reaching psychological repercussions beyond the immediate victim of target; conducted by an organization with an identifiable chain of command or conspiratorial cell structure (whose members wear no uniform or identifying insignia); and perpetrated by a sub-national group or non-state entity." Source: Bruce Hoffman. 1998. Inside Terrorism League of Nations Convention (1937) – “All criminal acts directed against a State and intended or calculated to create a state of terror in the minds of particular persons or a group of persons or the general public.” Omar Malik Brookings "The first recorded use of "terrorism" and "terrorist" was in 1795, relating to the Reign of Terror instituted by the French government. Of course, the Jacobins, who led the government at the time, were also revolutionaries and gradually "terrorism" came to be applied to violent revolutionary activity in general. But the use of "terrorist" in an antigovernment sense is not recorded until 1866 (referring to Ireland) and 1883 (referring to Russia).In the absence of an agreed meaning, making laws against terrorism is especially difficult. The latest British anti-terrorism law gets round the problem by listing 21 international terrorist organisations by name. Membership of these is illegal in the UK. " Oxford English Dictionnary « Government by intimidation as carried out by the party in power in France during the Revolution... a policy intended to strike with terror those against whom it is adopted ; the emplyment of intimidation SCHMID "Terrorism is an anxiety-inspiring method of repeated violent action, employed by (semi-) clandestine individual, group or state actors, for 15


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idiosyncratic, criminal or political reasons, whereby - in contrast to assassination - the direct targets of violence are not the main targets. The immediate human victims of violence are generally chosen randomly (targets of opportunity) or selectively (representative or symbolic targets) from a target population, and serve as message generators. Threat- and violencebased communication processes between terrorist (organization), (imperilled) victims, and main targets are used to manipulate the main target (audience(s)), turning it into a target of terror, a target of demands, or a target of attention, depending on whether intimidation, coercion, or propaganda is primarily sought" (Schmid, 1988). terrorism: "...the systematic use of terror or unpredictable violence against governments, publics, or individuals to attain a political objective. Terrorism has been used by political organizations with both rightist and leftist objectives, by nationalistic and ethnic groups, by revolutionaries, and by the armies and secret police of governments themselves." Définition légale courte proposée par A.P. Schmid au Crime Branch des Nations Unies (1992) – Act of Terrorism = Peacetime Equivalent of War Crime. (War crimes are usually defined as deliberate attacks on civilians, hostage taking, and the killing of prisoners.) State department : « politically motivated attack on non-combatant target » "Terrorism is the sustained, clandestine use of violence, including murder, kidnapping, hijacking, and bombings, to achieve a political purpose. Definitions in the U.S. Intelligence and Surveillance Act of 1979 and the United Kingdom Prevention of Terrorism Act of 1976 stress the use of violence to coerce or intimidate the civilian population with a view to affecting government policy. In popular usage, however, as influenced by politicians and the media, "terrorism" is now increasingly used as a generic term for all kinds of political violence, especially as manifested in revolutionary and guerrilla warfare." (Encyclo électronique) Terrorism research Center (www.terrorism.com) : « Political terrorism is the systematic use of actual or threatened physical violence in he pursuit of a political objective, to create a general climate of public fear and destabilize society, and thus influence a population or government policy. Information terrorism is the nexus between criminal information system fraud or abuse, and the physical violence of terrorism. However, particularly in a legal sense, information terrorism can be the intentional abuse of a digital information system, network, or component toward an end that supports or facilitates a terrorist campaign or action. In this case, the system abuse would not 16


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necessarily result in direct violence against humans, although it may still incite fear. Most terrorism scholars, when defining "political terrorism," would include physical violence as a necessary component; thus, many acts of criminal computer abuse would not be considered terroristic, if they do not result in direct physical violence. However, scholars must face the fact that as technology’s implications broaden on society and politics, social and political definitions should likewise broaden to accommodate technology.15 The semantic vacuum of a universally accepted comprehensive definition leaves room for considering information system abuse as a possible new facet of terrorist activity. In a Third-Wave16 society, there are two general methods in which a terrorist might employ an information terrorist attack: (1) when information technology is a target, and/or (2) when IT is the tool of a larger operation. The first method implies a terrorist would target an information system for sabotage, either electronic or physical, thus destroying or disrupting the information system itself and any information infrastructure (e.g., power, communications, etc.) dependent upon the targeted technology. The second method implies a terrorist would manipulate and exploit an information system, altering or stealing data, or forcing the system to perform a function for which it was not meant (such as spoofing air traffic control, as highlighted in the third scenario). « in Information Terrorism: Can You Trust Your Toaster? (www.terrorism.com) UN Resolution language, 1999 – “1. Strongly condemns all acts, methods, and practices or terrorism as criminal and unjustifiable, wherever and by whomsoever committed; 2. Reiterates that criminal acts intended or calculated to provoke a state of terror in the general public, a group of persons or particular persons for political purposes are in any circumstance unjustifiable, whatever the considerations of a political, philosophical, ideological, racial, ethnic, religious or other nature that may be invoked to justify them.” (GA Res 51/210, 55/158, and others). United States department of Defense (Code of Federal Regulations revised 2001) All criminals acts directed against a State and intended or calculated to create a state of terror in the mind of particular person or a group of persons or the general public United States Department of Justice : Code of Fedral Regulations (Revised July 2001° Terrorism includes the unlawful use of violence agaisnt persons or propertiy to coerce a Governement, the civilian population, or any segment thereof, in furtherance of political or social objectives. (28 CFR Section O. 85 on Judicial Administration) 17


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United States Department of State (in Guardian May 7 2001) « Premeditated, politically motivated violence perpatrated against noncombattant targets by subnational groups or clandestine agents, usually intended to influence an audience non combattants includes both civilian and militaru personnels who are unarmed or off duty at the time… « We also consider as acts of terrorisme attacks on military installations or on armed military personnel when a state of military hostilities does not not exist at the site, such as bombing of US bases US Dept. of Defense definition – “The calculated use of violence or the threat of violence to inculcate fear; intended to coerce or to intimidate governments or societies in the pursuit of goals that are generally political, religious, or ideological.” USA Patriot Act (5) the terme « domestic terrorism » means activities that A involve acts dangerous to human life that are a violation of the criminal laws of the United States or any State (B) appears to be intended – (i) to intimidate or coerce civilian population- (ii) to influence the policy of a government by intimidation or coercion, or –(iii) to affect the conduct of a government by mass destruction assassination, or kidnaping ; and C) occurs primarly whithin the territorial jurisdiction of the United States Webster "The systematic use of terror especially as a mean of coercition"

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Domaines de recherche : stratégies de l’information, décryptage des médias, intelligence économique et stratégique, médiologie, polémologie mais aussi critique des idées contemporaines, routes de rencontres des civilisations et des imaginaires (route de la soie, route des épices...) •

Ses ouvrages :

Terrorismes Violence et propagande (Gallimard Découvertes 2011)

François-Bernard Huyghe, docteur d’État en sciences politiques et Habilité à Diriger des Recherches (infocom)

Avec A. Bauer : Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire •

Maîtres du faire croire (Vuibert 2008)

Comprendre le pouvoir stratégique des médias (Eyrolles 2005) Quatrième guerre mondiale (Rocher 2004) Écran/Ennemi (00hOO.com 2002) L’ennemi à l’ère numérique (PUF 2001)

Enseignement : Iris/Ipris Campus virtuel, Université de Limoges École de guerre économique Celsa Paris IV Sorbonne Hautes Études Internationales DRMCC, ENA, Polytechnique... Chercheur et consultant Médiologue, revue Médium

L’information, c’est la guerre (Corlet 2001)

Chercheur à l’IRIS; y dirige l'Observatoire géostratégique de l'information

Les experts (Plon 1996)

au comité scientifique du CSFRS

La langue de coton (R. Laffont 1991)

dirige Huyghe Infostratégie Sarl, société de conseil et formation en communication d’influence, infostratégie, intelligence économique...

La soft-idéologie (R. Laffont 1987) Avec Edith Huyghe, il a écrit : La route de la soie, La route des tapis, Histoire des secrets, Images du monde, Les coureurs d'épices...!!

Anime le site http://huyghe.fr Twitter : @huyghefb


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