Opinions pour une architecture critique

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OPINIONS pour une architecture critique

Mathieu Berger Vincent Calay Loïc Géronnez Camille Gira Nicolas Hemeleers Robert Philippart



Participation et dialogue dans le projet urbain

Sous le haut patronnage du ministère de la Culture


Sommaire


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Présentation 6 Shahram Agaajani

Débat Introduction 10 Shahram Agaajani & Mathieu Berger Participation et dialogue 12 Nicolas Hemeleers dans le projet urbain

Vers une démocratie directe 22 Loïc Géronnez dans les outils de production de la ville ?

Comment faire une « bonne » 30 Vincent Calay ville internationale ?

La participation citoyenne 40 Dr Robert L. Philippart dans l’urbanisme a-t-elle tradition à Luxembourg ?

L’invité

Ce que « faire participer » demande 48 Dr Mathieu Berger

Entretien 72 Camille Gira

Parlons-en 76 Groupe de travail Porte de Hollerich Teisen & Giesler architectes

Sommaire


Présentation Shahram Agaajani Architecte diplômé ISACF La Cambre. Co-fondateur de Metaform architecture, fondateur de l’a.s.b.l. Carnet d’Opinions.


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Contexte

Communication

Dans un pays comme le nôtre où l’enseignement de l’architecture fait défaut, nous sommes trop souvent confrontés à une architecture pauvre en concepts et peu portée sur la remise en question. Il existe au Luxembourg un pôle culturel ayant pour mission la tenue de manifestations sociales abordant les questions architecturales. Curieusement, ces volets touchant à la participation et au dialogue ne sont guère abordés. Nous aurions aimé voir la Fondation de l’Architecture assurer voire initier la tenue d’une telle démarche visant un débat autour de l’architecture. Somme toute, les intérêts de la Fondation de l’Architecture se résument à une mise en valeur d’une production immobilière mettant en avant finitions soigneuses et matériaux prestigieux plutôt que la valorisation d’un véritable questionnement sur la qualité intrinsèque visant le sens même d’un projet architectural. Les projets portant sur l’habitat, les pratiques des usagers et sur la qualité des espaces publics sont souvent réduits à des présentations dont les décisions et les prises de positions se tiennent à huis clos. C’est passer outre de nombreuses questions essentielles telles que la diversité, la multi-culturalité, les conflits sociaux, la complexité de l’habitat mais également les dimensions symboliques et esthétiques de l’espace public, la nécessité vitale d’un rapport actif et non passif avec son environnement comme c’est le cas aujourd’hui. Quelle distance existe-t-il entre le droit de vote dans notre démocratie et le droit de participation, entre le droit à l’information et la planification de notre espace public ? Il semblerait qu’actuellement, le développement de notre paysage bâti ne soit pas fondé sur le principe de recherche, d’échange et de participation mais bien sur un urbanisme d’opportunité. Les questions aussi complexes que l’habitat et l’espace public sont exclusivement définies en fonction du potentiel constructible d’un terrain ou d’un quartier.

Le vide intellectuel dans lequel nous baignons aujourd’hui laisse trop facilement place aux passéistes acharnés voyant dans la modernité la cause du déclin du développement urbanistique actuel. Une approche simpliste pour préconiser un retour aux valeurs anciennes dont le fruit s’apparenterait à la nouvelle « cité judiciaire » ? Peut-on encore éveiller ce type d’aliénations dépassées depuis plusieurs décennies dans une société interconnectée, fluide et sans cesse renouvelée ? Comment envisager le social sans tenir compte des altérités, sans accepter un regard critique, sans lancer un débat, et surtout sans initier la participation des individus et des collectifs ? Les notions, principes et idées qui nous orientent vers les concepts d’habitats, le rapport entre une société et son espace ont foncièrement évolué depuis la seconde moitié du XXe siècle. Si la sociologie urbaine inspire le développement de nombreuses villes européennes depuis les années ‘70, elle semble aujourd’hui encore hésiter à faire partie du quotidien des Luxembourgeois. L’information de la population et sa participation à l’évolution de son espace dans un milieu social, économique et politique donné ne peuvent plus être incessamment exclues et marginalisées. Les propositions unilatérales et sans nuances que l’on voit naître de nos jours dans notre environnement bâti sont, semble-t-il, issues d’un manque de relation entre les usagers de l’espace public et leur environnement et témoignent souvent de l’inefficacité de la politique de communication et de concertation avec la population.

introduction

Shahram Agaajani


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Communiquer, dans quel but ?

La ville doit se réinventer

Nos déplacements, notre habitat, nos lieux d’emplois, nos habitudes commerciales et culturelles sont influencés par l’urbanisme et l’architecture. Ces derniers renseignent sur la complexité de nos pratiques urbaines. Un projet, quelle que soit sa taille et son affectation, a un impact direct sur les cadres de vie et les paysages d’une ville, d’un village. Les réflexions urbanistiques et architecturales prévoient donc l’avenir des territoires, alimentent ou détruisent la culture et le patrimoine d’une ville, d’un pays. Rien ne paraît a priori plus simple pour un citoyen, un décideur politique, un architecte ou un urbaniste que de « communiquer » sur ses préoccupations, ses projets, ses ambitions, ses réalisations et par conséquent sur l’avenir de sa ville. Et pourtant, beaucoup de déceptions et parfois d’échecs se font sentir lorsqu’il s’agit de rassembler ces différents acteurs, de confronter leurs perspectives et de partager des stratégies urbaines.

A une époque où les réseaux sociaux ont bouleversé nos habitudes et précipité notre quotidien vers une multitude de supports interconnectés, transparents et fluides, où l’on se trouve « connecté » en permanence faisant face à une avalanche d’informations perpétuellement renouvelées, plus que jamais, la ville, lieu privilégié des échanges, de rencontre et de concurrence doit remettre en question sa façon de communiquer. Pour rester attractive, elle doit à l’avenir nouer de nouvelles relations et ouvrir d’autres horizons. La ville se pense désormais en réseaux. La compréhension et l’acceptation de son évolution ne peuvent négliger la participation. Autant d’instruments que les acteurs devront accorder pour traiter des sujets délicats, épineux et vastes à illustrer : logement, transports, équipements publics, développement durable, urbanisme, architecture… dont le dénominateur commun reste l’intervention sur l’espace. Si la production du savoir, la conceptualisation et la planification restent incontournables, à une époque marquée par la révolution de la communication, la diffusion et le partage d’informations deviennent tout aussi indispensables.

introduction

Shahram Agaajani


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Participation + Confrontation = Enrichissement Une étude aussi complexe que le développement des territoires ne peut être analysée par l’un ou l’autre groupe isolé, constitué exclusivement d’architectes ou d’urbanistes. La réussite d’une telle étude passe avant tout par une consultation et une information dignes de ce nom. Dans beaucoup de nos pays voisins, l’aménagement et le développement des territoires riment avec l’intervention de nombreux acteurs tels que les architectes, urbanistes, sociologues, paysagistes, géographes, mais aussi acteurs culturels, associations, entreprises, promoteurs et citoyens. Leurs contributions servent de révélateur critique pour les dynamiques locales, régionales, nationales ou européennes. C’est le cas notamment à Bruxelles, une ville qui servira de référence à notre dossier, et dont les politiques de développement (loin d’être exemplaires en tous points !) ont relevé, dans certaines conditions, le défi de la transversalité, de l’interdisciplinarité et de l’inclusion citoyenne. La participation dans le cadre de I’habitat groupé, par exemple, devra répondre à des initiatives d’habitants et de professionnels qui, encadrés par des mesures politiques

d’encouragement à la propriété, participeront au dialogue dans le but de prendre en charge la production de leur cadre de vie. Ces échanges permettront l’émergence des souhaits et des besoins négligés lors de la définition du projet initial. Une intervention active des futurs usagers dont la réussite résultera dans la recherche d’un optimal et non d’un maximal. Dans les pays voisins ayant adopté ces procédures, il est à remarquer que la satisfaction exprimée par les habitants ne découle pas forcément des caractéristiques objectives des logements mais du fait d’avoir été impliqués dans la démarche de l’élaboration du projet. Dans les pages qui vont suivre, quelques-uns ont bien voulu contribuer à ce début de réflexion sur la participation et le dialogue dans le projet urbain sur le ton qui est le leur, en partageant avec nous leurs approches. Acteurs institutionnels, consultants ou chercheurs universitaires, la rencontre de leurs expériences, de leur culture nationale et de leurs positions théoriques nous permet tout du moins de défricher un terrain qui ne peut rester stérile plus longtemps .

introduction

Shahram Agaajani


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PARTICIPATION ET DIALOGUE DANS LE PROJET URBAIN Introduction au débat par Shahram Agaajani & Dr Mathieu Berger Ce premier numéro d’Opinions est l’occasion d’ouvrir des pistes, au Luxembourg, pour des pratiques architecturales plus réflexives et des processus urbanistiques plus inclusifs. Dans ce dossier Participation et dialogue dans le projet urbain, les textes rassemblés proposent d’examiner les apports et les limites des processus participatifs tels qu’expérimentés ces vingt dernières années à Bruxelles, avant d’interroger l’existence d’une culture civique luxembourgeoise, propice au développement d’une participation citoyenne autour des questions d’architecture et d’aménagement du territoire. Bien que plus grande en taille et différente à de nombreux égards, la capitale belge et européenne partage avec la Ville de Luxembourg une condition de ville internationale et compte une importante communauté de ressortissants étrangers et une population cosmopolite, usagère de la ville mais peu concernée ou mobilisée par rapport à son devenir. Ne serait-ce que par sa proximité géographique, l’expérience bruxelloise en matière de participation citoyenne est susceptible d’apporter certains éclairages, tant ces aspects de dialogue publique et de concertation autour de projets urbains semblent inexistants aujourd’hui au Luxembourg. L’intention n’est pas d’idéaliser la situation bruxelloise. Les politiques de développement urbain constatées à Bruxelles sont critiquables à bien des égards et la réputation des expériences participatives que les représentants politiques avancent comme exemplaires est souvent surfaite. Il n’en reste pas moins qu’une vingtaine d’années de pratiques de participation citoyenne, notamment dans le cadre des « contrats de quartier », a montré ici et là des signes prometteurs. A l’heure où il s’agit, à Luxembourg, de créer les conditions d’un dialogue plus exigeant entre acteurs institutionnels et civils, l’expérience bruxelloise, à travers ses succès et ses échecs, ses forces et ses insuffisances, attire l’attention sur certains éléments cruciaux dans la conception, la mise en place et l’organisation de processus participatifs. Dans un premier texte, Nicolas Hemeleers nous montre, à partir d’une histoire accélérée des politiques de rénovation urbaine à Bruxelles, comment celles-ci se sont détournées dans les années 1970 de projets radicaux de grande échelle déployés de manière autoritaire, pour des opérations plus modestes, d’échelle réduite, mais permettant de développer davantage de transversalité, de qualité et de dialogue – des opérations qui culmineront avec la création du dispositif « contrat de quartier ». Loin d’en rester là, Hemeleers nous montre

INtroduction au débat


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l’ambivalence de ce « succès de la petite échelle » : aujourd’hui, il semble difficile aux représentants politiques et administratifs de se coordonner au-delà de cette petite échelle de prédilection, et de renouer avec une certaine ambition et une certaine ampleur dans le projet urbain. Dans le texte suivant, Loïc Géronnez s’interroge sur la capacité des dispositifs participatifs bruxellois de faire advenir des formes de « démocratie directe », dans lesquelles les participants citoyens, au-delà de donner leur avis occasionnellement ou de participer aux pratiques civiques qui leur sont proposées (verduriser leur quartier, prendre part à la création d’un potager urbain), bénéficieraient d’un certain pouvoir de décision. Décrivant deux dispositifs (l’« appel à projets de quartier » et le « contrat de quartier »), il montre comment le point fort du premier (la grande autonomie laissée aux citoyens dans la mise en œuvre des projets de quartier) et le point fort du second (la présence de budgets importants et d’enjeux réels en matière de production matérielle de la ville) devraient pouvoir être combinés. Vincent Calay nous amène pour sa part au cœur du « quartier européen » de Bruxelles et nous donne un exemple de « participation en régime d’internationalisation » qui ne manquera pas de nous intéresser. En s’inspirant d’un ouvrage récent du sociologue américain Richard Sennett, il pose les exigences d’une « coopération exigeante » dans le domaine des politiques de la ville. Décrivant la concertation organisée autour d’un projet de réaménagement du quartier européen, il nous montre comment les acteurs institutionnels de la concertation échouent à inscrire celle-ci dans les logiques d’une « coopération exigeante », (1) que cela soit en proposant un mode de discussion dialectique, oppositionnel, plutôt que dialogique, (2) en privilégiant, sur le plan de l’expression, l’assertion plutôt que le doute, et enfin, (3) en témoignant aux citoyens mobilisés une sympathie qui ne peut être confondue avec une position d’empathie exigeant un véritable échange des perspectives. Loin d’être entièrement satisfaisante à Bruxelles, la participation citoyenne aux politiques architecturales et urbanistiques a-t-elle un avenir au Luxembourg ? Peut-elle compter sur certains ferments au niveau d’une histoire civique et d’une culture de la citoyenneté active ? C’est à ces questions que s’attaque Robert Philippart dans le dernier texte de notre dossier. Arguant de l’importance d’un éclairage historique sur ces questions, il brosse le tableau d’une tradition citoyenne « bien en place », à travers notamment une pratique de la pétition, largement répandue. Comment progresser de ces pratiques de mobilisation plutôt arc-boutées sur la propriété et la défense d’intérêts individuels vers des formes de dialogue plus larges, plus politiques, en amont des projets ? Pour Philippart, seule l’éducation des citoyens et des dirigeants, possible à travers le développement d’institutions capables de diffuser les connaissances en matière d’architecture et d’urbanisme permettront de faire évoluer les mentalités.

INtroduction au débat


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