contrefaçon

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« La contrefaçon des médicaments : Un défi de grande envergure pour la communauté internationale »


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Sommaire

PARTIE 1….LA COOPERATION INTERNATIONALE, OUTIL MAJEUR DE LUTTE CONTRE LA CONTREFACON DE MEDICAMENTS  Chapitre 1 : L’implication des organisations internationales  Chapitre 2 : Une implication nécessaire de toutes les instances  Chapitre 3 : Entre un accès équitable aux soins et une protection de

la propriété intellectuelle : un équilibre à trouver PARTIE 2….CONTREFACON DE MEDICAMENTS ET PROPRIETE INTELLECTUELLE : UNE RELATION ETROITE MALGRE DES CONCEPTIONS NATIONALES DIFFERENTES  Chapitre 1 : Les caractéristiques de la législation française en

matière de médicament  Chapitre 2 : la contrefaçon et la protection intellectuelle : un point de

vue différent selon les pays PARTIE 3….LE TRIO INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE / ETAT / CONSOMMATEUR FACE A LA CONTREFACON DE MEDICAMENTS : QUELS MOYENS DE LUTTE ?  Chapitre 1 : L’industrie pharmaceutique au cœur du fléau  Chapitre 2 : L’Etat face à la criminalité organisée : le vrai visage de

la contrefaçon  Chapitre 3 : Une lutte à échelle mondiale


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Introduction La santé est pour tout être humain une préoccupation majeure. La maladie est un état que tout individu redoute et combat. Ce phénomène, normalement aléatoire, est d’autant plus inacceptable lorsqu’il est la résultante de la consommation de médicaments. Bien entendu, il ne s’agit pas de n’importe quels médicaments : les médicaments contrefaits sont les principaux responsables de cette situation. Agir au plus près de l’Homme, comme c’est le vœu des politiques de santé dans leur volonté de développement et leur application, et comme c’est l’engagement pris par tous les professionnels de ce secteur, nécessite une intégrité et une déontologie infaillibles. Seulement, la présence de contrefaçons dans les médicaments agit comme un grain de sable dans les rouages du système visant à promouvoir et à protéger la santé. Médecins, pharmaciens, chercheurs et industriels sont au premier plan. Mais les Etats et les consommateurs que nous sommes tous, sont tout autant, si ce n’est plus, concernés. On pressent l’ampleur du champ lié au médicament. Ses implications sont déterminantes dans de nombreux domaines. Les moyens utilisés pour son développement sont colossaux. Ses qualités intrinsèques nourrissent de nombreux espoirs qui n’ont pas uniquement trait à des préoccupations sanitaires. Le médicament est certes le noyau de la santé publique mais son rayonnement est plus vaste encore : l’économie, la politique, les relations sociales et la sécurité publique sont autant de dimensions sur lesquels on observe son impact. Etant l’un des rares produits de consommation dont la demande est constituée par l’ensemble de la population mondiale, il bénéficie d’un potentiel économique fabuleux. La prégnance des besoins, l’accroissement démographique des zones du Sud couplés à un prolongement de la durée de la vie et donc à une demande croissante de soins adaptés des zones du Nord font du marché du médicament l’un des plus rentables du monde. Il vient d’ailleurs en seconde position après celui des hydrocarbures, ce qui donne la mesure de son importance et de son évolution. L’ampleur des enjeux économiques ne doit cependant pas faire oublier son rôle essentiel qui est d’assurer des soins, ni les précautions qui doivent impérativement accompagner son utilisation. Chaque intervenant du système sanitaire a donc tout intérêt à s’intégrer dans une vraie « démarche qualité », c'est-à-dire être en mesure d’assurer la traçabilité du médicament, produit pour lequel la confiance du consommateur doit être absolue.


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Dès lors, il est naturel que les autorités publiques se penchent sur cet objet particulier et qu’elles n’envisagent pas sa fabrication et sa distribution sans la mise en place d’un réseau sous haute surveillance. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces circuits sont loin d’être homogènes au niveau mondial. Les règles de sécurité et les exigences législatives sont extrêmement variables d’un pays à un autre. En outre, les conditions d’accès aux soins sont elles aussi très inégales. C’est sur ce terrain très peu cohérent que la contrefaçon des médicaments prend vie. Les mêmes enjeux économiques, sociaux et sanitaires dont nous parlions précédemment attirent immanquablement la convoitise d’individus et de sociétés sans scrupules. Le développement de ce marché frauduleux est d’autant plus considérable qu’il prend appui sur la grande fluctuation des systèmes pharmaceutiques dans le monde, véritable aubaine pour eux. Il pourrait même concurrencer le marché des drogues dans certaines régions, tant il est devenu rentable mais surtout plus facile à mettre en place. Ainsi, par cette étude, nous souhaitons apporter des éléments de compréhension au phénomène de la contrefaçon des médicaments. Quelles motivations et quels mécanismes entrent en scène pour faire de ce commerce un marché prolixe et difficile à endiguer ? Ce qui motive également notre travail, c’est de pouvoir présenter une vision la plus exhaustive qui soit d’un problème qui ne se limite pas au secteur pharmaceutique. L’accès aux soins et leur coût sont autant de barrières que la contrefaçon des médicaments promet de faire disparaître. Elle s’appuie donc sur l’espérance des plus faibles de recouvrer la santé et sur les « rêves » ou la charge miraculeuse dont le médicament est porteur : il soigne, il transforme, il apporte un bien-être… Autant de désirs qui n’attendent que d’être comblés. La contrefaçon se nourrit en réalité du désespoir des Hommes. Outre les populations des contrées les plus pauvres, cette activité néfaste touche indistinctement tous les pays du globe. Elle prend de multiples visages et entraîne de nombreuses victimes dans son sillage. Nous verrons ainsi dans une première partie, quelle place occupe la coopération internationale et les espoirs que traduisent les nombreux accords internationaux, pour le fondement d’une politique législative homogène et équitable. Ces accords sont le fruit de longues négociations tant les divergences semblent difficiles à aplanir entre chaque pays. On s’interroge actuellement sur la suite à donner à ces négociations et sur les nouvelles solutions à adopter. L’apparition des contrefaçons dans le secteur pharmaceutique peut nous surprendre quand on sait avec quels soins et quelle sévérité les plus grands laboratoires développent et protègent leurs inventions. Tout système génère sa propre perversion et cela conduit à une obligation de vigilance et de contrôle.


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La plupart de ces grands laboratoires sont situés dans des pays où les conditions de mise sur le marché sont draconiennes, avec pour unique but d’assurer la qualité et la sécurité d’utilisation de ces produits. Seulement, malgré ces précautions, le médicament, destiné à tous, sans discrimination par excellence, peut pour ces mêmes raisons tomber entre de mauvaises mains et être copié ou falsifié. Ceci nous amène à traiter dans une seconde partie, la liaison étroite qui existe entre la contrefaçon des médicaments et la notion de propriété intellectuelle. En effet, la pratique de la copie (de bonne ou de mauvaise qualité) soulève inévitablement la question des brevets et de leur protection, traduite par l’intitulé juridique de « propriété intellectuelle ». Cet outil juridique visant à protéger les inventions, entre autres, n’est pas un thème consensuel à travers le monde, et son recours n’est pas non plus systématique. Chaque pays apprécie cette conception relativement nouvelle selon sa représentation de la propriété mais surtout selon ses besoins d’accéder et de protéger les connaissances ; les siennes et celles des autres. Ces visions très variées alimentent le contentieux sur ces questions entre chaque pays et les entreprises concernées. Pendant ce temps, le commerce des contrefaçons de médicaments qui ne s’encombre pas de telles considérations, prospère à vive allure. D’ailleurs, le terme même de contrefaçon prend des nuances inattendues selon les législateurs des différents pays. Ce qui nous apparaît comme évident devient tout à coup source d’incertitudes : nous tenterons d’apporter un éclairage sur les raisons avancées pour la fabrication de ces contrefaçons et les méthodes utilisées pour y parvenir, ceci afin de définir quels peuvent être le concept commun et les moyens d’action à privilégier face à ce fléau. Cela nous amènera également à réfléchir sur les différents risques auxquels s’exposent les contrevenants et, par voie de conséquence, à nous interroger sur l’efficacité de la répression actuellement en place. Il semblerait que l’internationalisation des échanges soit suivie de très près par celle de la criminalité. C’est ici qu’intervient notre troisième partie dans laquelle nous analyserons la nature du lien entre le trio Etat / industrie pharmaceutique / consommateur. Il est intéressant de mettre en lumière les intérêts que chacun souhaite défendre et quelle voie ils choisissent pour y parvenir. En effet, comment chacune de ces instances entrevoit la lutte contre la contrefaçon des médicaments et quels fils conducteurs privilégient-ils ? Comment s’accordent-ils entre eux ? Ce phénomène touche, par une action en cascade, à la fois les pouvoirs publics, les groupes pharmaceutiques, les professionnels de la santé et finalement les plus concernés : les consommateurs. Dans un tel contexte, peut-on uniquement se limiter à une action sur le territoire national ? Peut-on uniquement se limiter à une action sans concertation et sans appui externe ?


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Malgré la diversité des intérêts concernant la problématique de la contrefaçon des médicaments, il apparaît très rapidement opportun, pour la défense de la santé et de la vie humaine, de prendre position pour la défense de valeurs communes et de faire taire autant que possible les divergences d’opinion. Au risque de paraître peu original, ne dit-on pas que « l’union fait la force » ? Nous expliquerons finalement pourquoi une prise de conscience sur l’intérêt d’une action en cohésion est très souhaitable. Nous examinerons les résultats actuellement observés des actions conjointes entre secteurs public et privé et parfois impliquant les consommateurs eux-mêmes et quelles conclusions en tirer. La falsification des médicaments nous met face à des questions dérangeantes de déontologie et d’éthique toutes deux bafouées. Leur restauration passera avant tout par la sensibilisation de tous les intervenants du système sanitaire sur la gravité du fléau de la contrefaçon afin que chacun puisse connaître les tenants et les aboutissants et que finalement chacun puisse être en mesure de défendre ses droits. La santé, véritable colonne vertébrale de toute société, ne peut être mise en péril au risque de voir déstabiliser toute une communauté. C’est en cela que la pratique de plus en plus banalisée de la contrefaçon des médicaments représente un réel danger. Nous espérons contribuer, par ce modeste travail, à la mise en lumière mais surtout à la compréhension d’un phénomène dont on peut se croire à l’abri, afin d’être à l’avenir, tous en mesure d’apporter les solutions les plus judicieuses qui soient.


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PARTIE I LA COOPERATION INTERNATIONALE, OUTIL MAJEUR DE LUTTE CONTRE LA CONTREFACON DE MEDICAMENTS

CHAPITRE 1 L’IMPLICATION DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES Section 1 – Cartographie consommateurs •

des

pays

producteurs

/

pays

Les pays producteurs de contrefaçons

La contrefaçon en général touche un grand nombre de pays. Le commerce illégal de produits contrefaits n’est pas, comme on pourrait le croire, un problème limité aux pays pauvres ou en voie de développement. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des statistiques exactes concernant ces transactions commerciales qui, comme toute activité illégale, doivent rester cachées, on sait que leur mouvement se produit à travers un réseau étendu de pays et couvre tous les continents. Sur le continent américain, les Etats-Unis, le Mexique et le Brésil semblent être les principaux foyers de production de marchandises contrefaites. En Europe, on note une forte présence de sites de production en Espagne, en Italie, en Pologne, en Ukraine et en Roumanie. La Turquie, transition entre l’Europe et le Moyen-Orient, est un important pôle de transit. Sur le continent africain, tout le Maghreb est touché (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye). Pour les pays d’Afrique noire, le Nigéria est particulièrement ciblé. Enfin en Asie, le Pakistan, l’Inde, la Chine, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam, la Corée du Sud, Taïwan et Hong Kong sont malheureusement de grands pourvoyeurs de produits contrefaits.1 Evidemment, chaque pays a sa « spécialité ». Par exemple, bien que forts d’une législation et de contrôles plus poussés qu’ailleurs, la France et le Benelux sont très appréciés pour leurs capacités « d’assemblage », c'està-dire tout ce qui concerne par exemple les faux emballages ou étiquettes. Le produit contrefait, lui, aura été fabriqué ailleurs.

1 Annexe n°1 : Carte « les principaux pays producteurs de contrefaçons » extraite de « La guerre de la contrefaçon, le grand pillage des marques », Bleuzenn Monot, éditions ellipses, Paris, 2009.


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En ce qui concerne les faux médicaments, la Thaïlande, la Turquie et le Vietnam sont les plus concernés, sans pour autant désengager les autres pays de ce triste commerce. La Chine reste un pôle très important du trafic, tout comme l’Inde, mais toutes deux pour des raisons différentes.2 La Chine a culturellement toujours défendu et utilisé la méthode de la copie et ce dans divers secteurs industriels. Associée à une main d’œuvre très malléable et nombreuse, elle est le moteur essentiel du lancement de leur économie. C’est donc tout naturellement que le faux médicament y trouve sa place, compte tenu de l’opportunité financière qu’il représente. Ainsi, en ce qui concerne un tel trafic, nous sommes bien loin du cliché qui voudrait édifier une cartographie séparant le Nord du Sud. Lorsqu’elle est entre les mains de puissants réseaux de trafiquants, la production de médicaments contrefaits est de grande envergure et elle a tendance à se calquer sur les méthodes de la production légale au niveau mondial. Divisée en de nombreuses étapes, certaines sont confiées à des « sous-traitants » dans les pays qui présentent le plus de facilités ou d’expertise dans leur réalisation. Bien que les conséquences soient similaires, on distinguera cependant la fabrication « artisanale » que l’on observe ordinairement dans les pays pauvres, de cette production experte destinée à la vente internationale. Dans ces cas, la fabrication ne fait pas appel à des savoirs et à des technicités très poussées. Le produit, le plus souvent vendu à l’unité auprès d’une population peu éduquée et informée, ne nécessite ni un emballage respectant le modèle original, ni une forme pouvant tromper les autorités ou les consommateurs. •

Les pays consommateurs de contrefaçons

A toute offre de produits correspond une demande. Comme nous l’avons vu précédemment, nous sommes bien loin de l’idée « producteurs du Nord pour consommateurs du Sud ». Tout au long de cette étude, nous nous efforcerons de démontrer que le phénomène de la contrefaçon est non seulement complexe mais d’étendue généralisée. Le Canada, les Etats-Unis, les Caraïbes, le Brésil sont les principaux pays consommateurs de contrefaçons, tous produits confondus. Le Nigéria, l’Europe entière, l’Arabie saoudite, le Yémen, Oman et l’Australie constituent également des récepteurs essentiels3. 2 Voir partie I, chapitre 2, section 3 : « Une dérogation singulière : le cas de l’Inde » et partie II, chapitre 2, section 2 : « La Chine face à ses obligations ».

3 Annexe n°2 : Carte « Les principaux pays consommateurs de contrefaçons » extraite de « La guerre de la contrefaçon, le grand pillage des marques », Bleuzenn Monot.


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On peut penser que les pays disposant d’une forte réglementation et de contrôles réguliers sont épargnés. Ce n’est néanmoins pas le cas. Indubitablement seront-ils moins touchés que les pays dont le système de surveillance et de protection légale présente des failles, mais les trafiquants disposent de nombreux moyens pour réussir à contourner ces barrages, qu’ils soient physiques ou non. En ce qui concerne les médicaments, il existe des distinctions notoires entre consommateurs de pays riches et ceux de pays pauvres. Il s’agit de généralités mais elles illustrent tout de même les différentes préoccupations des « clients ». Ces différences sont connues et prises en considération par les contrefacteurs qui dressent de véritables études marketing, comme le ferait n’importe quelle autre société. Les pays du Nord sont très demandeurs de médicaments tels que les psychotropes, les somnifères ou les hormones de croissance. L’utilisation de ces produits, hors surveillance médicale, représente un vrai danger pour la santé des consommateurs. Les pays du Sud sont plutôt demandeurs de médicaments que l’on nomme « médicaments essentiels »4, c'est-à-dire ceux qui sont nécessaires pour les soins de base (paracétamol et antibiotiques, entre autres). On note cependant un intérêt généralisé pour le médicament type Viagra® qui est le médicament actuellement le plus contrefait dans le monde. Section 2 – Les conséquences du trafic de médicaments •

Les conséquences sur la santé des consommateurs

Il existe différents types de contrefaçons de médicaments. Il est difficile cependant d’établir une typologie des méthodes utilisées pour leur fabrication en fonction du degré de danger encouru. Remplir un vaccin avec de l’eau peut sembler moins dramatique que remplacer le principe actif ou les excipients par un produit toxique. Pourtant les résultats sont tragiques dans les deux cas. La seule différence réside dans les délais d’observation de leurs effets. Dans le premier cas, la mort du patient se produit par omission de soins, et prend aussi longtemps qu’il est nécessaire à la maladie non soignée de se propager dans l’organisme. Dans le second cas, l’administration d’un

4 Les listes des médicaments essentiels sont disponibles auprès de l’OMS et ajustées en fonction des besoins de chaque pays.


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poison mortel provoque le décès brusque du patient, ce qui rend la corrélation plus facile à faire avec la prise du produit. Bien entendu, le consommateur n’est pas alerté par le danger potentiel qu’il prend puisque le médicament que l’on lui administre est censé être le véritable médicament. « L’absorption d’un sirop de paracétamol contre la toux préparé avec du diéthylène glycol, un produit toxique utilisé comme antigel, à la place du propylène glycol a ainsi provoqué la mort de 89 personnes en Haïti en 1995 et de 30 nourrissons en Inde en 1998 ». Source : Le LEEM

L’OMS estime que sur un million de personnes mourant du paludisme, 200.000 pourraient être évitées si les médicaments utilisés étaient tous authentiques. Qui plus est, l’utilisation de médicaments contenant une quantité sousdosée de principe actif contribue à développer des résistances en suivant exactement le même principe que les vaccins, rendant la prise future du véritable médicament totalement inefficace.


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Les effets sur l’économie

Tout trafic illicite est un manque à gagner pour l’économie réelle. Le détournement du marché entraîne des pertes financières considérables qui ne touchent pas seulement le bilan des entreprises pharmaceutiques. Elles ont aussi des répercussions sociales. Des milliers d’emplois qui auraient pu voir le jour ne sont jamais créés. Les budgets alloués à l’innovation sont réduits à leur minimum. Et enfin, le marché parallèle détourne l’argent de la fiscalité des Etats, c'est-à-dire la contribution de tout un chacun au fonctionnement de son pays.  L’effet déstructurant de la contrefaçon de médicaments

Les médicaments contrefaits sont très présents dans les pays les plus pauvres. Or, au lieu de prodiguer des soins, ils sont la source de problèmes de santé aggravés. Les individus sont ainsi amenés à dépenser beaucoup plus d’argent pour se soigner. Au mal initial, s’ajoute celui provoqué par ces mauvais produits que les consommateurs avaient utilisé par souci d’économie. Les populations confrontées journellement à ces éléments dangereux risquent de voir leur santé s’affaiblir, ce qui déstructure totalement une société. Comment construire un pays lorsque les personnes qui le constituent sont rendues physiquement impuissantes ? De plus, cela contribue à alourdir la gestion du système de santé déjà en déficit dans ces contrées : plus de malades signifie plus d’hôpitaux et plus de médicaments. Il leur faut également être en mesure de fournir plus de compétences professionnelles. Or ces besoins nécessitent énormément d’argent. Ces pays se retrouvent le plus souvent dans une impasse. Les contrefaçons de médicaments provoquent un désastre sanitaire et social comparable, selon nous, à une épidémie. La rectification des désastres provoqués par les médicaments contrefaits engendre une charge très lourde à laquelle peuvent rarement faire face les pays pauvres. Les pays industrialisés qui, actuellement, réforment leur système de santé, démontrent que même pour des pays riches, la gestion de la santé est un problème de société complexe qui peut déstabiliser entièrement un Etat en l’absence de moyens financiers, d’une politique et d’une gestion économique cohérentes et solides. •

Les répercussions sur les pouvoirs publics et en particulier sur la justice

 Politique et santé : un nid pour la corruption


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L’industrie pharmaceutique, par le pouvoir financier qu’elle dégage attire comme tout autre marché lucratif les mauvais élèves. Loin d’être illégales dans certains pays, les relations développées entre politique et industrie n’en sont pas moins un problème lorsqu’elles placent les protagonistes hors d’atteinte des actions en justice. En Russie par exemple, les frontières entre les univers privé et public ne sont pas aussi distinctes que celles que nous avons l’habitude de prôner en France. Pourtant, ces situations sont monnaie courante même si elles ne font pas bon ménage avec la nécessaire indépendance des instances judiciaires. Un extrait de l’article paru dans le « Moniteur des pharmacies » illustre parfaitement cette situation. Il y est question du millionnaire russe Vladimir Bryntsalov : « Pétrole, éthanol, politique et…médicament » « Vladimir Bryntsalov a déjà fait la une du journal Millionnaire russe, au même titre que Roman Abramovitch, Mikhaïl Khodorkovsky ou Alexander Gaydamak. Il fit fortune dans le médicament, notamment en produisant de l’insuline, qui manque beaucoup en Russie, et des antibiotiques. Il possède le laboratoire Ferreïn, d’une valeur de 2 milliards de dollars, ainsi que des pharmacies. Le personnage, haut en couleurs, s’est rendu populaire en vendant bon marché des…bidons de 5 litres d’éthanol en pharmacie. On vit alors ménagères et clochards se précipiter pour transvaser l’alcool pur dans de grandes bouteilles en plastique. Les premières pour des infusions ou des cataplasmes, les seconds, pour leur consommation personnelle ! Car Bryntsalov a aussi parmi ses autres activités la production de vodka, un centre de vinothérapie, des actions dans des coopératives agricoles et des établissements vinicoles… Son usine, construite sur un immense terrain bien entretenu, se situe juste derrière une de ses deux pharmacies moscovites. Bryntsalov se targue d’employer 100 000 salariés auxquels il inspire respect et admiration pour son « patriotisme ». Car l’engagement politique est une autre facette de l’oligarque qui s’est présenté aux élections présidentielles de 1996, contre Boris Eltsine. Aux législatives de 1999, Bryntsalov fut même rappelé à l’ordre par le ministère de la Santé. En cause : la publicité de son parti politique Edinaïa Rocciya (« La Russie unie ») sur les boîtes de médicaments. Dans le même genre, la façade de son usine est flanquée du logo de son parti ! » Laeticia Cordonnier Extrait de « La pharmacie en Russie » Le Moniteur des pharmacies n° 2615, cahier 1, 11 février 2006


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Dans un pareil contexte, on observe de la part des populations une perte de confiance en les pouvoirs publics (institutions administratives et judiciaires) et dans le régime de santé publique. On peut alors comprendre la faible influence des structures légales internationales sur ces pays et l’immense travail de transformation nécessaire pour aboutir à un système où le consommateur serait véritablement protégé. C’est dans ces environnements que les systèmes financiers parallèles fleurissent en toute impunité et donnent un libre accès à toutes les structures mafieuses. De là à financer d’autres activités tel que le terrorisme, il n’y a souvent qu’un pas. Section 3 – Les actions des organisations internationales Devant ce fléau qui s’étend indifféremment, sur tous les territoires du globe, le rôle des organisations internationales est primordial. Même si certaines ont tardé à agir, d’autres ont déjà pris le dossier en main et diffusent plus largement leurs informations. •

Les recommandations des principales organisations internationales spécialisées

Dans son rapport de 2006, l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS) explique que « pour réglementer efficacement le marché des médicaments, les autorités nationales de réglementation pharmaceutique doivent pouvoir s’appuyer sur une volonté politique, sur une législation appropriée, sur des capacités institutionnelles adaptées et sur des professionnels compétents. Elles doivent en outre disposer de ressources financières suffisantes et de service d’inspection des médicaments bien structurés et motivés et pouvoir faire appel à la coopération internationale ». L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) prône une règlementation plus rigoureuse des médicaments (fabrication et distribution) et fournit une aide aux pays qui souhaitent renforcer cet aspect de leur législation. Elle met également en avant une coopération qui ne se limite pas seulement à l’industrie et aux professionnels de la santé mais inclut la justice et la police, soit une participation active des gouvernements. Cette initiative est développée par la création d’un groupe spécialisé, œuvrant contre la contrefaçon des produits médicaux dénommé « IMPACT ». L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) tente quant à elle d’équilibrer les échanges commerciaux internationaux en matière de médicaments. La dérogation obtenue le 30 août 2003 concernant les accords de l’OMC sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ou accords ADPIC) est un moyen de faciliter l’accès des pays pauvres aux médicaments, en les autorisant à se procurer des médicaments génériques.


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Le Directeur général, Pascal Lamy a d’ailleurs déclaré : « l’accord sur l’amendement des dispositions de l’Accord sur les ADPIC confirme une fois encore que les Membres sont résolus à faire en sorte que le système commercial de l’OMC contribue à la réalisation d’objectifs humanitaires et de développement […] cela fait des années que je m’emploie à faire en sorte que l’Accords sur les ADPIC fasse partie de la solution au problème de l’accès des pauvres aux médicaments ». En effet, le problème de l’accessibilité est la source majeure de la contrefaçon des médicaments dans les pays pauvres. D’ailleurs, les consommateurs ne sont pas les seuls à être trompés. Des Organisations Non Gouvernementale (ONG) telles que Médecins Sans Frontières (MSF) ont été plusieurs fois confrontées à des incidents sanitaires dus à l’utilisation de médicaments frelatés, et ce, malgré leur expertise, car ces produits ont réussi à pénétrer la chaine de distribution des réseaux théoriquement protégés. La faiblesse des institutions des pays dans lesquels ils opèrent rend possible toute sorte d’atteintes aux réseaux médicaux. •

Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) : des acteurs primordiaux

En parallèle des actions des industriels mais surtout des Etats et des services publics, les organisations non gouvernementales (ONG) ont un très grand rôle dans la diffusion des médicaments de première nécessité mais aussi dans le repérage éventuel d’opérations de vente de médicaments contrefaits. C’est un allié indéniable des Etats et de l’industrie pharmaceutique, pour peu que l’on veuille bien créer des alliances utiles et efficaces. Il faut pour cela réussir à dépasser les habituels préjugés, légitimes ou non, qui dominent dans les relations entre chaque acteur. En effet, malgré des motivations distinctes pour chaque part, un consensus peut et doit être trouvé sur la nécessité d’une action qui place la santé au centre des préoccupations. Celle-ci se nourrit d’un juste équilibre entre, d’une part, la préservation d’une industrie performante, qui soit créatrice de nouveaux procédés et de médicaments toujours plus efficaces, tout en permettant une défense simplifiée et efficiente des détenteurs de brevets et d’autre part, un accès équitable à la médication, avec une organisation des actions et une coopération entre Etats qui rendraient difficile tout acte de contrefaçon.  Le rôle de Pharmaciens Sans Frontières (PSF)

Crée en 1985, l’association Pharmaciens Sans Frontières regroupe des professionnels de la santé et plus particulièrement du médicament. De nombreux pharmaciens apportent leur contribution et leur savoir afin de mener à bien les missions qui leur incombent.


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La mission essentielle est de pourvoir en médicaments les pays qui vivent des situations de santé critiques et qui n’ont plus ou pas accès au réseau de distribution des médicaments, soit parce qu’il n’existe pas, soit parce que cela est trop coûteux. Leur mode d’approvisionnement consiste à se fournir directement auprès des fabricants. Les contrôles qualité sont effectués avant l’envoi des produits sur le terrain. Ainsi, PSF a la certitude d’envoyer de bons produits aux malades du monde entier. C’est dans leur intérêt mais aussi dans l’intérêt de PSF d’effectuer ces contrôles très rigoureusement. La survenance d’un problème lié à la consommation de médicaments défectueux, fournis par PSF ruinerait leur action en termes d’image et de fiabilité. Le réassort régulier que PSF effectue leur permet d’avoir une connaissance du marché régulièrement mise à jour. Cette perception réelle du marché leur permet de fournir des informations précieuses et de souligner les incohérences des offres reçues. Ces constatations indiqueraient la présence éventuelle d’un trafic et permettent de mettre en place des investigations de la part des autorités. L’apport de ces associations est incommensurable. Une aide concrète et surtout bien gérée au niveau des populations locales dont le réseau de distribution des médicaments est défaillant permet d’éviter au consommateur d’avoir recours au marché parallèle pour se soigner. Les ONG comme PSF sont un rempart contre les contrefacteurs qui voient ainsi se fermer des niches vers lesquelles ils écoulent habituellement leurs marchandises.  La Centrale Humanitaire Médico-Pharmaceutique

La Centrale Humanitaire Médico-Pharmaceutique (CHMP) a permis quant à elle la détection de nombreuses contrefaçons dans les médicaments collectés par les missionnaires de Médecins Sans Frontières dans différents pays. Ceci permet l’établissement d’une carte plus précise des pays touchés par ce commerce et surtout par les moyens utilisés par les contrefacteurs. Cette collecte de données est essentielle dans la lutte contre la contrefaçon.  OXFAM

Présente dans 15 pays développés, l’ONG OXFAM est surtout active dans l’hémisphère Sud. La campagne « santé et éducation pour tous » défend une aide « juste et efficace ». Dans le domaine de la santé, l’organisation met en avant la nécessité de développer les services publics et de promouvoir les droits des femmes. Le discours de l’ONG se fait plutôt virulent à l’égard de l’industrie pharmaceutique qu’elle soupçonne vouloir utiliser la prolifération de médicaments contrefaits dans le monde comme argument pour un durcissement du droit de propriété intellectuelle (DPI).


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Selon le rapport « Rester vigilant » discuté lors de la conférence organisée par Interpol et par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), le 2 février 2011 à Paris, il est fait état « qu’une meilleure règlementation des médicaments par les pays pauvres, plus que le renforcement des règles de propriété intellectuelle, serait le meilleur moyen d’assurer des médicaments de qualité, sans danger et efficaces ». L’ONG va jusqu’à critiquer le rôle du groupe spécialisé « IMPACT » qui agit selon elle, plus pour les intérêts de l’industrie pharmaceutique que pour le bien de la santé publique dans les pays pauvres. Toutefois, nous ne rejoignons pas le discours d’OXFAM sur ce point car selon notre opinion, lutter contre la contrefaçon est une action aussi primordiale que celle de faire bénéficier les pays pauvres de fonds pour se procurer des soins médicaux. Ces pays sont les principales victimes de la contrefaçon. Aussi, surveiller les mouvements internationaux de ces produits falsifiés ne revient pas à l’unique défense du DPI mais aussi à l’éradication de leur présence sur le marché. Finalement, leurs actions, aussi fondamentales soient-elles, restent encore insuffisantes notamment due à la divergence des intérêts entre ONG et industrie pharmaceutique. Chacun a malheureusement tendance à surenchérir dans la défense de leurs objectifs. Le manque de coordination et de volonté de tous les acteurs concernés persiste malgré l’urgence de la situation et le bénéfice que tous pouvons en tirer. Or c’est une question qui ne peut se régler sans la participation de l’ensemble des protagonistes car il faut pouvoir disposer des mêmes armes permettant de planifier des opérations efficaces. La confusion et le hasard ne font qu’affaiblir la lutte contre la contrefaçon quand il s’agit de faire face à une criminalité qui, elle, gagne en compétence et en cohérence.


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Les limites et les améliorations à apporter

De nombreux Etats, durablement installés dans des pratiques de corruption ou tout simplement en déficit de services publics, ont mis longtemps à réagir et à participer à la lutte contre la contrefaçon de médicaments. Cette attitude a pu perdurer le temps de pratiques plutôt « artisanales » qui ne les touchaient pas directement. Mais actuellement, la contrefaçon de médicaments prend une véritable dimension professionnelle qui s’étend mondialement. Et certains Etats réagissent fermement face au fléau et obligent parfois d’autres Etats à en prendre conscience comme c’est le cas pour le Nigéria. Ce pays fait partie des points névralgiques de la contrefaçon de médicaments, soit à cause des producteurs locaux qui prolifèrent ces dernières années, soit du fait des importations. C’est pourquoi le gouvernement nigérian a menacé l’Inde, important fournisseur, d’interdire toutes les importations de médicaments en raison du risque élevé de présence de contrefaçons parmi les marchandises. Ceci oblige le gouvernement indien à prendre ses responsabilités s’il espère rester un partenaire commercial pour de nombreux autres pays. Un des principales objectifs de la lutte contre la contrefaçon est de faire prendre conscience les Etats qu’aucun ne peut être épargné par ce fléau. Leur participation est nécessaire. Du côté de l’industrie pharmaceutique, concentrée sur la défense de ses brevets, il s’agit de leur faire admettre que si elle souhaite mettre fin aux pratiques de contrefaçon, il faut qu’elle agisse aussi sur la question de l’accessibilité des médicaments dans les pays en très mauvaise situation. Les organisations internationales constituent alors un bon médiateur qui puisse réunir industrie, Etats et ONG et les pousser à intégrer une politique de développement durable sur le plan de la santé.


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