Les Rails de l'histoire n°7

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l’histoire Le journal de l’Association pour l’histoire des chemins de fer

• Actualité de l’histoire Les buffets de gare : l’exemple du PO de 1900 à 1937 • Il y a 20 ans Autour du tunnel sous la Manche • Commémorations 1914-1918 - Le plan prémonitoire du général Michel (1911) - « Hommes 40 - Chevaux (en long) 8 » • Espace des adhérents Les premiers chemins de fer en images : l’Alsace en 1839 • Témoignages 1944. Témoignages cheminots sur la Libération du grand SudOuest • Portail des Archives Georges Forgeron : cheminot et illustrateur • Patrimoine La ligne des Invalides et les gares-pagodes : l’exemple de javel • Actualités de Rails et histoire

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Illustration de couverture : Cheminot et illustrateur, Georges Forgeron (voir p. 38 à 43) était un touche à tout. La caricature était de tous ses moyens d’expression le plus apprécié de ses amis qui, loin de s’offusquer d’être pris pour cible, en redemandaient. Le patron de la brasserie « Le Paris-Londres », sise en face de la gare du Nord, était de ceux-là, et d’un jeu fit une publicité qui prit la forme d’une carte de visite. Coll. NicoleForgeron/Rails et histoire.

ISSN : 2116-0031 Éditeur : Association pour l’histoire des chemins de fer, 9 rue du Château-Landon, 75010 Paris Directeur de la publication : Jean-Louis Rohou Rédaction : Bruno Carrière Secrétariat d’édition : Marie-Noëlle Polino Ont contribué à ce numéro : Bruno Carrière Anne-Laure Hérout Cécile Hochard Claude Le Breton Pierre Lepage Joseph-Jean Paques Martine Perot Maquette et mise en page : Isabelle Alcolea Impression : SNCF, Centre Éditions-La Chapelle, 75018 Paris Novembre 2014 Les Rails de l’histoire est édité par l’Association pour l’histoire des chemins de fer, 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation par tous procédés réservés pour tous pays, conformément à la législation française en vigueur. Il est interdit de reproduire, même partiellement, la présente publication sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable des textes et illustrations qui lui ont été communiqués. Les opinions émises par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes.

Les grands rendez-vous de Rails et histoire 2e semestre 2014

• 3-5 septembre 2014 : colloque 2014 de Rails et histoire « Gares en guerre / Stations in Wartime 1914-1918 » et exposition « Le 10e dans la guerre » en collaboration avec l’association Histoire & Vies du 10e. • 5-7 septembre 2014 : « 1914-2014 - Du Pain et des Liens », alimentation et partage en 1914-1918, évocation en gare de l’Est. • Mercredi 8 octobre 2014 : séminaire de Rails et histoire et de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS « Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations », Séance 7, « Les métiers du tramway et la formation d’une culture professionnelle ». (sur inscription : seminaire_tramway@ahicf.com) • Novembre 2014 : Les Rails de l’histoire, Journal de Rails et histoire, n° 7. • Mardi 18 novembre 2014 : conférence commune de la Société d’histoire de Paris et de l’Île de-France et de Rails et histoire, sur la gare de l’Est comme monument de la Première Guerre mondiale, 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris. (sur inscription : contact@ahicf.com) • Décembre 2014 : Assemblée générale extraordinaire des membres de Rails et histoire. • Mercredi 10 décembre 2014 : séminaire « Réinventer le tramway ? » Séance 8 « Tracé et espace public : la conception de l’espace Tramway entre desserte, vitesse et exploitation ». (sur inscription : seminaire_tramway@ahicf.com) • 16-17 décembre 2014 : colloque de l’université de Tours en collaboration avec Rails et histoire, « Histoire de la restauration ferroviaire dans le monde ». (sur inscription : colloque-restofe@univ-tours.fr)

4Suite du calendrier sur la page III de couverture (1er semestre 2015)


Édito Pouvoir de l’image, puissance des représentations À une époque où tous sont invités à afficher, sinon à s’afficher, et à afficher d’abord des images – les différents réseaux sociaux nous offrent même des « murs » pour cela, préconisant désormais le Dazibao et le graph dans l’espace virtuel – nous suivons le long des Rails de l’histoire images et représentations. Elles marquent les grandes étapes de la constitution des réseaux : de 1839, en Alsace, à 1994, sous la Manche. Elles établissent, par le geste d’architectes de renom, l’identité de lignes-vitrines, comme celle des Invalides d’abord destinée à la desserte des expositions universelles. Elles sont en effet au cœur de la promotion des services, le chapitre consacré par Bruno Carrière aux buffets de gare nous le démontre, et de la publicité, l’œuvre de Georges Forgeron nous le rappelle. Ce trésor d’archives nous montre aussi combien l’image peut échapper à ses commanditaires, comment la représentation d’un métier, ou la représentation collective d’un événement – l’association, dans tous les pays où il devient une icône muséographique, du wagon « Hommes 40 chevaux 8 » aux conflits successifs du 20e siècle – s’installe dans nos mentalités. C’est pourquoi les témoignages inédits des cheminots, que ce soient les rapports demandés en 1944 par la SNCF à ses agents présentés ici et, surtout, du 8 avril 2015 au 20 juin 2015, l’exposition sonore aux Archives nationales de 210 témoignages collectés

Sommaire • Actualité de l’histoire - p. 4 Les buffets de gare : l’exemple du PO de 1900 à 1937 • Il y a 20 ans - p. 12 Autour du tunnel sous la Manche • Commémorations - p. 17 1914-1918 - Le plan prémonitoire du général Michel (1911) - « Hommes 40 - Chevaux (en long) 8 » • Espace des adhérents - p. 26 Les premiers chemins de fer en images : l’Alsace en 1839 • Témoignages - p. 34 1944. Témoignages cheminots sur la Libération du grand Sud-Ouest • Portail des Archives - p. 38 Georges Forgeron : cheminot et illustrateur • Patrimoine - p. 44 La ligne des Invalides et les garespagodes : l’exemple de javel • Actualités de Rails et histoire - p. 52

70 ans plus tard par Rails et histoire, « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 » sont si importants : ils nous montrent comment ces représentations, les récits que nous transmettons, les mots que nous employons, la façon dont nous lisons les images, se construisent tous les jours.

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sL’histoire du buffet de la gare de Pari is jama à est 2, 201 en Austerlitz, démoli e ress maît , illon associée à la famille Rou des lieux depuis 1897. Photorail.

Autre possession de la famille Rouillon, le buffet d’Angoulême est reconnaissable à l’extension (au fond, en coin) qui en a été faite à la fin des années 1880. SNCFSardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans.

Le buffet de Châteaudun, discernable au premier plan, a été géré de 1904 à 1915 par un ancien cuisinier du buffet de Saint-Pierre-des-Corps. SNCF-Sardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans. À Tours, autre fief des Rouillon, le buffet et ses annexes occupaient une grande partie de l’aile gauche de la nouvelle gare (1898). L’entrée principale (au fond) ouvrait sur le quai transversal qui faisait tampon entre les salles d’attente (à gauche) et les voies (à droite). De part et d’autre des portes, on discerne quelquesuns des 18 tableaux constitués de carreaux de céramique peinte dont la restauration est en cours aujourd’hui. SNCF-Sardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Buffets et buffetiers sur le PO de 1900 à 1937 Ce travail sur les buffets et les buffetiers de l’ancien réseau du Paris-Orléans a été mené à partir du dépouillement des décisions arrêtées par le conseil d’administration de la compagnie entre 1900 et 1937 (archives conservées aux Archives nationales du monde du travail sous les cotes 60 AQ 727 à 776). Il nous a permis de recenser 75 établissements (buffets et buvettes) et d’identifier 205 gérants. Bruno Carrière

L’attribution des buffets Avant la Première Guerre mondiale, l’attribution des buffets ne relève apparemment d’aucune règle précise, si ce n’est qu’elle est laissée à la discrétion du directeur de la compagnie, qui soumet ensuite son choix au conseil d’administration. Nulle part il n’est fait une mention explicite d’une quelconque adjudication. « Parmi les candidats en présence », « De tous les candidats » sont les formules qui reviennent le plus souvent, sans que l’on sache exactement ce qu’elles recouvrent. Il est certain, en revanche, que la compagnie dispose en permanence d’une réserve de demandes spontanées dans laquelle il lui suffit de puiser. Ces demandes émanent, pour une part, de personnes déjà en possession d’un buffet mais pressées « de diriger un établissement plus important », pour une autre part, de nouveaux candidats. Parmi ces derniers, les plus à même de retenir l’attention sont ceux exerçant un métier de bouche, avec un avantage certain pour ceux qui peuvent déjà se prévaloir d’un emploi au sein d’un buffet de la compagnie ou se recommander d’un parent travaillant ou ayant travaillé pour elle. Mais il est une autre voie plus directe encore pour prétendre à la gérance d’un buffet. Nombre de buffetiers font en sorte de réserver leur succession à un parent (épouse, fils, fille, gendre, bru, frère, sœur). La solution la plus sûre est de les associer à leur gérance de leur vivant, soit dès leur entrée en fonctions (épouses), soit quelques années plus

tard (enfants ou autres). Et même si aucune disposition n’a été prise, il suffit à la veuve ou à l’un de ses enfants de réclamer le droit de reprendre à son compte le contrat du défunt pour être entendu. Pour la période étudiée, nous n’avons relevé qu’un seul refus de la compagnie. Si le choix arbitraire des buffetiers par le directeur de la compagnie se poursuit après la guerre, il est de plus en plus battu en brèche par la mise en adjudication des gérances. La première mention, ouvertement évoquée, d’une « adjudication restreinte » date de 1914 et intéresse le buffet de Châteauroux. Par restreinte, il faut entendre réservée aux « buffetiers aptes à assurer le service de cet établissement ». De fait, l’enchère est emportée par M. Buzelin, alors en charge du buffet de SaintSulpice-Laurière. Le recours à cette nouvelle façon de faire n’est pas gratuit puisqu’elle permet à la compagnie d’engranger des loyers bien plus importants. Jusque-là, elle s’était montrée assez timorée, n’imposant que de très modestes hausses de loyer lors de changement de gérant, voire aucune lorsque le buffet passait à un membre de la famille. Dans le cas de l’adjudication du buffet de Châteauroux, le loyer bondit d’un seul coup de 5 000 à 8 500 francs [les montants sont indiqués en francs courants]. Pour celle du buffet d’Angers, faite en 1917, la hausse est de 3 700 francs, plus conséquente encore. Encore faut-il que le buffet en vaille le coup. L’adjudication en 1915 du buffet de La Flèche, suite à la démission de son gérant, s’avère décevante : « Pour assurer son remplacement, nous Les Rails de l’histoire, n° 7 - novembre 2014

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avons procédé à une adjudication restreinte et nous avons invité à nous faire des offres un certain nombre de buffetiers qui nous ont paru aptes à gérer le buffet de La Flèche. La mise à prix a été fixée à 800 francs (loyer actuel : 735 francs). Sur les 15 gérants appelés à soumissionner, un seul, M. Monteil, gérant de la buvette d’Hautefort, nous a fait une offre de 905 francs, soit une majoration de 170 francs sur le prix actuel. » Faute de pouvoir recourir à l’adjudication – il faut pour cela qu’un buffetier offre sa « démission » ou soit révoqué pour faute –, la compagnie décide en 1921 de procéder à la révision des loyers de certains buffets « dont la date ancienne du bail permettait d’envisager un nouveau prix de loyer en rapport avec les dépenses d’entretien à la charge de la compagnie ». Applicables au 1er janvier 1922, les augmentations portent sur seize de ses buffets et varient de 150 francs (La Possonnière + 50 %) à 2 320 francs (Montluçon + 46,4 %). La guerre finie, la compagnie recourt progressivement à des adjudications ouvertes à tous. Il semble, en effet, qu’elle ait été confrontée à une pénurie de candidats recrutés en interne, plus réticents que par le passé à s’élever dans la hiérarchie en revendiquant un buffet plus important. On note aussi une défection des « héritiers », plus prompts à démissionner après seulement une ou deux années d’exercice. Il est vrai qu’avec le climat économique ambiant et les nouvelles habitudes de vie, rentabiliser un buffet devient aléatoire. La multiplication des demandes visant à une réduction des loyers en témoigne. Il est vrai que le recours à l’adjudication, aussi restreinte soit-elle, s’est traduit bien souvent par un envol déraisonnable des loyers, bien difficiles ensuite à honorer compte tenu de la crise qui frappe alors les chemins de fer. Il faut donc avoir les reins solides, ce qui transparaît dans la formule la plus usitée dans les années 1930 pour confirmer le choix de l’heureux élu : « Le candidat offre toute garantie au point de vue des aptitudes professionnelles, de l’honorabilité et des ressources pécuniaires. » Cette dernière condition était pratiquement passée sous silence avant la guerre. Prenons le cas de M. Grevet qui, en 1925, remporte l’adjudication du

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buffet de Périgueux, offrant d’acquitter un loyer de 30 300 francs, bien supérieur à celui versé par son prédécesseur fixé à 10 380 francs. La compagnie est confiante : « M. Grevet est actuellement gérant du buffet de Redon. Il a toujours donné satisfaction et son établissement est très bien tenu. » Las, M. Grevet déchante vite. Il est contraint de demander une première réduction de loyer en 1928, suivies de trois autres en 1931, 1933 et 1934. Il finit par démissionner en 1935, bien que n’étant plus redevable que d’un loyer de 16 000 francs. Si les diminutions de loyer accordées par la compagnie se multiplient dans les années 1930, tous les buffets ne sont pas logés à la même enseigne. Les plus importants résistent mieux à la crise et certains améliorent leurs chiffres d’affaires, au point de conduire la compagnie à leur imposer une augmentation de loyer. Il en est ainsi du buffet des Aubrais, dont le loyer est porté en 1936 de 14 899 à 19 000 francs, « le chiffre de recettes de cet établissement étant resté, en 1935, supérieur à celui de l’année 1926 ». Dans certains cas, elle estime simplement que le pourcentage que représente le loyer par rapport au chiffre d’affaires est insuffisant. C’est le cas en 1934 du buffet de Saint-SulpiceLaurière, dont le loyer de 2 000 francs correspond seulement à 0,90 % du chiffre d’affaires déclaré pour 1933 (220 000 francs) ; en conséquence, la compagnie décide de le porter à 4 400 francs, soit 2 % du chiffre d’affaires.

D’où viennent les buffetiers ? Beaucoup de buffetiers sont, nous l’avons signalé, des « héritiers ». Le nombre des filiations pèremère/fils-fille, s’élève à vingt-et-un. À quoi il faut ajouter quelques transmissions en faveur d’une petite-fille (une), d’un neveu (une), d’une sœur (deux) et d’une belle-sœur (deux). La plupart ont partagé le quotidien de leurs parents de longue date. Prenons l’exemple de la famille Fontanier, gérante du buffet de Neussargues : « Mme Fontanier qui gère seule le buffet de Neussargues depuis 1909, après l’avoir tenu avec son mari depuis l’ouverture de cet établissement en 1891, nous a demandé que ses deux filles Hermine et Hélène, âgées respectivement de


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38 et 32 ans, lui soient associées dans sa gérance. Mme Fontanier a toujours donné satisfaction ; elle a élevé 8 enfants et se trouve aujourd’hui fatiguée. En raison de son âge (68 ans) elle ne pourrait assurer seule le service du buffet et elle reçoit, en fait, l’aide de ses deux filles qui ont toujours vécu dans l’établissement et en connaissent parfaitement la clientèle et le service. » Les héritiers cohabitent avec les nouveaux venus.

Vingt-huit des nouveaux gérants recrutés par la compagnie entre 1900 et 1937 ont déjà exercé dans l’hôtellerie et la restauration, quelques-uns ayant même possédé (ou possèdant toujours) leur propre affaire, tel Paul Garrelon, nommé à la tête du buffet de Tulle en 1923, présenté comme un ancien restaurateur, vice-président de la Chambre syndicale des hôteliers de Brive. Un autre, M. Wasse, réussit même en 1920 à vendre à la compagnie son hôtel, sis à Saillat-Chassenon, pour en faire un buffet et à en prendre la direction. On notera qu’être originaire de la région dans laquelle se situe le buffet pressenti est un atout. En 1926, l’adjudication du buffet de Redon oppose deux candidats ayant soumissionné pour la même somme, M. Georget, « chef de cuisine et récemment propriétaire de l’hôtel des voyageurs près de la gare d’Auray », et M. Simon, fils du gérant du buffet de Macon. Le directeur tranche en faveur du premier : « Les deux postulants ont des qualités professionnelles sensiblement égales, mais M. Georget a sur son concurrent l’avantage d’être sur place et de connaître déjà le terrain spécial de Bretagne et de disposer de ressources pécuniaires beaucoup plus importantes. » Au nombre des nouveaux candidats placés à la tête d’un buffet pendant la même période, vingt-huit autres se prévalent d’une expérience acquise dans un établissement similaire en tant que maîtres d’hôtel, garçon de salle, caissiers, chef de cuisine, cuisinier, pâtissier, etc. C’est le cas, par exemple, de M. Coutiet, repreneur du buffet de SaillatChassenon en 1923, qui dit avoir travaillé comme cuisinier à ceux de Capdenac et de La Flèche. Citons aussi Marie Lacoste qui, « employée depuis

quatorze ans au buffet de Saumur », en obtient la direction en 1905. Si la plupart ont exercé dans des buffets relevant de la compagnie d’Orléans, certains candidats viennent de l’extérieur. C’est le cas notamment de Jules Langle, repreneur de la buvette d’Auneau en 1904, ancien cuisinier au buffet de Paris-SaintLazare, de Marie Hilaire, repreneur du buffet de Saint-Sulpice-Laurière en 1915, ancien « gérant » à l’Hôtel Terminus de la gare de Paris-SaintLazare, ou encore de M. Bonnet, repreneur du buffet de Tessonnières en 1922, issu d’une famille de buffetier de la Compagnie du Midi et ancien gérant du buffet de Domfront (Orne). Reste, enfin, la catégorie des nouveaux gérants s’étant prévalu d’un parent travaillant pour la compagnie. Ainsi, Maurice Petit, chef de cuisine placé à la tête du buffet de Laqueuille en 1910, est le fils d’un mécanicien retraité et le gendre d’un employé principal à l’inspection de Montluçon. De son côté, Juliette Ducluzeau, nommée à la tête du buffet de Châtellerault en 1908, a pu mettre en avant, outre son expérience de caissière au buffet de Tours, le soutien de son frère ancien inspecteur de l’Exploitation. La compagnie est sensible également aux demandes qui émanent de veuves de son personnel. Quatre accèdent ainsi à la direction d’un buffet : à Lexos en 1907 (veuve d’un sous-chef de gare de Limoges), à Port-Boulet en 1924 (veuve d’un facteur enregistrant tué en service), à Ussel (veuve d’un chef de district) et à Lexos (veuve d’un sous-chef de gare) en 1928. Une autre, veuve de l’ancien chef de gare de Guéret, appelée au buffet de Sarlat en 1904, se récuse. Une dernière, enfin, nommé en 1925 à Saint-Sulpice, est la veuve d’un chef de gare du PLM. À capacités ou relations égales, les femmes ont tout autant de chance d’être retenues pourvu que, comme pour les hommes, elles paraissent réunir « les conditions voulues » ou « les aptitudes voulues » pour diriger convenablement l’établissement en vacance. Si l’on excepte le cas particulier des veuves d’agents et hors Marie Lacoste et Juliette Ducluzeau, déjà citées, il y en a d’autres : élue au Les Rails de l’histoire, n° 7 - novembre 2014

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buffet de Savenay en 1900, Mme Minart se prévaut de ses fonctions d’ancienne gérante du Chalet des Touristes au Lioran ; élue à celui de Montmorillon en 1915, Mme Ducourtioux se prévaut de celles de « maîtresse d’hôtel » dans cette même ville. Trouve également grâce aux yeux de la compagnie la veuve Hergon, dont l’expérience de « bonne » au buffet de La Possonnière suffit à sa nomination à la tête du buffet de Port-Boulet en 1921. Cette confiance de la compagnie envers les femmes se retrouve dans la facilité avec laquelle elle accepte de reconduire les veuves de buffetiers dans les fonctions de leurs défunts maris. Nous en avons dûment répertorié vingt-huit. Plus que de la compassion, c’est une reconnaissance de leur participation, souvent primordiale, à la bonne tenue des établissements qui dicte les décisions du directeur. Un exemple, à la demande formulée en 1924 par la veuve Raynal de reprendre le buffet de Guéret, il est répondu que l’enquête menée avait établi qu’elle « avait largement contribué au relèvement du buffet, qui était tombé sous la gérance du prédécesseur de M. Raynal ». Cet engagement est même parfois ouvertement revendiqué par leur époux. En 1923, M. Gourdon, gérant du buffet des Aubrais, fait savoir qu’ « il ne pouvait plus compter sur l’appui de sa femme [malade] pour gérer le buffet dans de bonnes conditions ». Signalons enfin qu’être titulaire d’un buffet n’empêche pas de la poursuite d’activités annexes, parfois même avec la bénédiction de la compagnie. En 1921, Albert Charraudeau obtient la gérance du buffet de Port-de-Piles. Parmi les arguments ayant joué en sa faveur figure le fait qu’il possède un hôtel en face de la gare de cette localité. Un atout non négligeable : « De plus ce dernier établissement [le buffet] ne possédant pas de chambres et la localité étant assez éloignée de la gare, les voyageurs trouveront des avantages à la direction unique de l’hôtel et du buffet. » En 1910, M. Claudot, en possession du buffet de Ruffec, informe la compagnie qu’il vient de céder « sa suite d’affaires » à M. Grelaut, charcutier à Poitiers, et lui demande d’accepter ce dernier comme gérant, ce qui laisse entendre que le buffet ne représente qu’une partie

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de ses activités. Et que dire de la famille Raynal qui, devant le succès de son entreprise de plats en conserve – maison « Raynal & Roquelaure » fondée en 1876 –, renonce en 1900 au buffet de Capdenac. Ou des frères Rouillon qui, en parallèle à la gestion des buffets de Paris-Austerlitz et de Tours, s’exercent depuis 1899 à la pisciculture en leur domaine de Nanteuil-la-Vallée.

Les difficultés du métier Les buffetiers sont tributaires du monde ferroviaire auquel ils appartiennent. Nous avons vu plus haut les difficultés rencontrées du fait de la crise économique et du déclin du chemin de fer dans les années 1930. Ce n’est pas le seul aléa auquel ils ont dû faire face. Au début des années 1900, d’autres raisons, nées des progrès du chemin de fer cette fois-ci, les conduisent à solliciter là encore des diminutions de loyer. Avant 1914, cette démarche a le plus souvent pour raison « une modification dans l’horaire des trains » qui, du fait d’arrêts moins longs, « ne permettent plus, comme précédemment, au voyageurs de prendre des repas ». Citons pour exemple la buvette des Bordes (Loiret) en 1900 : « Le stationnement du train 303 aux Bordes ayant été abaissé de 23 m à 5 m, il en est résulté pour le gérant de la buvette de cette gare, M. Lemaire, une perte de recettes dont les dîners servis à ce train constituaient un des principaux éléments. » Sont également mis en cause l’introduction des wagons-restaurants qui constituent une concurrence directe. La gérante du buffet d’Étampes s’en plaint amèrement en 1902 : « L’enquête faite à ce sujet a démontré que ce buffet a perdu de son importance par suite des modifications apportées dans les horaires des trains. Les arrêts de nombreux trains express, pourvus maintenant de wagons-restaurants, ont été supprimés, les arrêts des autres trains ont été réduits, et enfin, l’ouverture d’un buffet à Juvisy, sont autant de causes qui ont constitué la diminution des recettes du buffet d’Etampes. » Son loyer passe de 2 500 à 1 800 francs en 1902 et à 1 000 francs en 1903. Une autre victime des wagons-restaurants est le buffetier d’Angoulême qui, en 1910, voit la surface


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de son établissement arbitrairement réduite dans le cadre d’un réaménagement de la gare (notamment l’agrandissement du vestibule des voyageurs et la création d’une consigne) pour lequel « il a été nécessaire de reprendre une partie des locaux affectés au service du buffet, locaux devenus inutiles en raison de la diminution de la clientèle par suite de l’introduction de wagons-restaurants dans les trains express1 ». Les griefs avancés par le gérant du buffet de Redon en 1911 diffèrent bien que, là encore, liés à l’exploitation. Sa demande repose sur une baisse de ses recettes « provoquée par la mise en correspondance plus directe des trains PO-État et de l’ouverture de la ligne de Nantes à Rennes par Blain ». De fait, l’ouverture en 1910 de la ligne de Blain à Beslé permet de se rendre de Nantes à Rennes sans passer par Redon. On peut rapprocher sa démarche de celle des frères Rouillon, titulaires du buffet de la gare de Paris-Austerlitz qui, en 1900, avaient revendiqué une diminution de loyer « basée sur la translation du service des trains de voyageurs (départ et arrivée) à la gare du Quai d’Orsay, et l’établissement dans cette gare d’un hôtel terminus qui leur a enlevé leur clientèle la plus riche ». Par ailleurs, non contents d’avoir bénéficié une réduction conséquente (leur loyer passant de 21 000 à 10 000 francs), les Rouillon avaient proposé à la compagnie de prendre la gérance des wagonsrestaurants au cas où elle renoncerait aux services de la CIWL : « Les affaires de notre maison ont, par suite du transfert de la tête de ligne au Quai d’Orsay, considérablement diminué, et nous pensons que nous serions à même de donner toute satisfaction à la compagnie pour la nouvelle affaire que nous sollicitons. L’outillage du buffet nous permettrait de subvenir facilement à l’alimentation des Wagons-R. » D’autres raisons sont invoquées. En 1900, la gérante du buffet de Busseau-d’Ahun s’appuie sur l’effet négatif provoqué par la disparition de son époux – sans doute doté d’une forte personnalité – pour obtenir gain de cause : « Sa veuve, Madame Garaud, nous a demandé une réduction de loyer. Il résulte des renseignements recueillis que la clientèle attirée par

M. Garaud a disparu ou ne fréquente cet établissement que d’une façon intermittente. Par suite, les recettes ont baissé sans qu’on puisse en attribuer la cause à une mauvaise gestion. » En 1900, toujours, la gérante du buffet de Guéret met en avant « l’extension des limites de l’octroi à la gare et à ses annexes ». C’est là un brusque rappel à la réalité, les buffetiers, du fait de l’édification des gares hors les murs des agglomérations desservies, ayant longtemps profité de la dispense des taxes liées à l’octroi, au grand dam des restaurateurs et hôteliers du cru. En 1911, le nouveau gérant de ce même buffet réclame à son tour une diminution de loyer en s’appuyant sur la modification de la marche de certains trains, mais aussi « de la concurrence que lui font les hôtels récemment construits aux abords de la gare ». Ici, comme ailleurs, la gare de Guéret est rattrapée par l’urbanisation. Enfin, restent les demandes liées à l’impossibilité de couvrir les dépenses par les recettes. C’est le cas, entre autres, pour le gérant du buffet de Châteaudun qui en 1906 demande une diminution de loyer car « malgré tous ses efforts, il n’a pu, depuis son installation [1er octobre 1904] réaliser aucun bénéfice ». L’enquête « « ayant démontré que malgré la bonne gestion du buffet, les dires de M. Maurer étaient exacts », la compagnie accepte une diminution de 300 francs. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les raisons invoquées ont rapport, pour certaines, à une mauvaise appréciation des bénéfices à attendre. Des surenchères inconsidérées au moment de l’adjudication ont conduit bien des buffetiers à demander une « ristourne » a posteriori. Ainsi, en 1925, la veuve Raynal dit pâtir de la surenchère faite par son époux deux ans plus tôt lors de l’adjudication du buffet de Guéret. De fait le loyer proposé alors par Raynal, soit 5 400 francs, est très largement au-delà de celui payé par son prédécesseur qui était de 650 francs, et plus de deux fois supérieur à la proposition de son concurrent direct. C’est d’ailleurs « compte tenu de ce qu’à l’adjudication du buffet de 1- Inversement, mais il s’agit là d’une exception, le buffet de Saint-Sébastien (Creuse) se voit imposer en 1924 une augmentation de loyer en raison « d’une légère amélioration dans les correspondances des trains ».

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Guéret le loyer offert par M. Raynal présentait une surenchère de 2 900 frs sur la soumission la plus élevée après la sienne » que la compagnie accorde à la veuve Raynal une réduction de 600 francs. Les raisons ne manquent pas pour obtenir un geste de la compagnie. En 1920, le gérant des buffets de Tours et de Saint-Pierre-des-Corps base sa défense sur une diminution des recettes « résultant en grande partie du départ des Américains ». M. D., à la tête du buffet de Libourne depuis 1930, met en avant le fait qu’il s’est appuyé « sur de fausses déclarations faites par son prédécesseur au sujet du chiffre d’affaires » pour obtenir en 1932 une minoration de 2 500 francs. La crise économique des années 1930 n’épargne pas les buffetiers, entraînant des diminutions de loyer en chaîne. Le gérant du buffet de Périgueux, pour ne citer que lui, obtient, « en raison de son déficit continuel d’exploitation », que son loyer passe successivement de 30 300 à 26 300 francs en 1929, 25 000 francs en 1931, 20 000 francs puis 16 000 francs en 1934. Une autre raison des difficultés rencontrées est « la concurrence automobile », dénoncée comme telle par le gérant du buffet de Saint-Denis-près-Martel.

Les risques du métier Tout buffetier risque à tout moment la révocation. Les motifs conduisant à la résiliation des baux sont de plusieurs ordres. Les plus graves ont un motif d’ordre judiciaire. Mme T., gérante du buffet de Lorient, est condamnée en 1917 « pour mouillage de vin et tentative de corruption des agents de la Régie ». La même sanction frappe Mme D., gérante du buffet de Saint-Sulpice (Tarn), accusée en 1921 d’avoir vendu du pain à un prix supérieur à la taxe officielle. Et c’est aussi pour mouillage de vin que M. W., gérant du buffet de Saillat-Chasseron (HauteVienne), est jugé en 1923. Enfin, en 1929, M. M., gérant du buffet de Cahors, écope d’une amende de 50 francs « pour tromperie sur la qualité de la marchandise vendue ». La mauvaise tenue de son

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établissement ne plaide pas non plus pour son maintien dans ses fonctions. De fait, les manquements à la bonne tenue du buffet sont un autre motif de renvoi. En 1907, M. B., gérant du buffet de Rodez, ayant fait l’objet « de nombreuses plaintes justifiées au point de vue du service que des aliments servis », et « s’obstinant à ne rien faire pour améliorer cette situation », est sommé de rendre son tablier. Même raison et même conséquence en décembre 1914 pour M. L., gérant du buffet de Vierzon, d’autant que « l’Autorité militaire a eu à se plaindre [de ses]procédés ». En 1922, M. E., gérant du buffet de Saint-Denis-prèsMartel, est également contraint à démissionner en dépit des mises en garde de la compagnie : « … ayant été l’objet de plusieurs plaintes sur la tenue défectueuse de son établissement, nous l’avons mis en demeure de se ressaisir et il avait été averti que si son service ne s’améliorait pas nous serions obligés de résilier son bail. Les plaintes ayant continué nous [lui] avons donné congé. » Gare aussi aux tenanciers trop portés sur la boisson. M. S., gérant du buffet de Savenay, est remercié en 1900 pour avoir « contracté depuis quelques temps des habitudes d’intempérance qui l’ont rendu alcoolique et ne permettent plus de le maintenir à la tête de cet établissement ». La même mésaventure frappe son collègue du buffet de Châteaudun en 1901. Reste enfin le défaut de paiement. En 1904, les époux C., gérants de la buvette de La Possonnière (Maine-et-Loire) depuis 1882, « redevables de deux termes de loyer dont nous poursuivons le recouvrement », sont poussés vers la sortie sans ménagement. C’est sans doute cette dureté qui incite M. B., gérant du buffet de Cahors, également débiteur de deux trimestres, d’une facture de gaz et d’une prime d’assurances d’un montant total de 590 francs – ce qui représente, il est vrai, l’équivalent d’une année de loyer – à refuser de répondre en 1905 aux injonctions de la compagnie et à ne lui faire aucune promesse de régularisation. Celleci perdra encore six mois de redevance avant de pouvoir installer un nouveau gérant.


ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Citons encore pour mémoire le cas de la veuve M., gérante du buffet d’Aurillac, dont la compagnie exige le départ en 1929, prétextant qu’elle n’est « plus en mesure d’assurer convenablement la gérance de cet établissement » car trop âgée. De fait, si plusieurs buffetiers restent à leur poste jusqu’à leur mort, beaucoup démissionnent. La seule obligation qui leur est demandé d’observer est de respecter un délai de trois mois entre leur décision et la date effective de départ. Les raisons de celui-ci ne sont pas toujours spécifiées et, lorsqu’elles le sont, sont liées à l’âge ou à la maladie.

La hiérarchie des buffets Une hiérarchie des buffets peut être établie à partir des loyers annuels demandés. En 1921, ceux-ci vont de 100 francs (buvette de CondatBersac, en Dordogne) à 20 000 francs (buffet de Tours). Huit ont des loyers égaux ou supérieurs à 10 000 francs (dans l’ordre dégressif, Tours, Nantes, Limoges, Capdenac, Les Aubrais, ParisAusterlitz, Périgueux et Vierzon) et huit autres des loyers égaux ou supérieurs à 5 000 francs (Orléans, Châteauroux, Poitiers, Angers, Coutras, Quimper, Montluçon et Redon). Grimper dans cette hiérarchie est un but avoué d’un nombre conséquent de buffetiers. Si la très grande majorité s’arrête à deux buffets, quelquesuns vont au-delà. Les plus belles réussites sont à mettre à l’actif d’André Gourdon (Port-de-Piles puis Quimper en 1901, Périgueux en en 1910, Les Aubrais en 1918), de Benjamin Durand (Auneau en 1901, Libourne en 1904, Montluçon en 1912), de Déchery (Port-Boulet en 1920, Lorient en 1921, Orléans en 1922), de Léon Guérin (Montmorillon en 1911, Châteaudun en 1915, qu’il abandonne à son fils Albert en 1930 pour rebondir à Saumur). À un échelon inférieur, Clément Voie suit une trajectoire identique (Ploërmel en 1903, La Châtre en 1905, Laqueuille en 1914), même si les buffets qu’il revendique n’ont par leur importance aucune commune mesure avec ceux cités plus hauts. Excepté la famille Rouillon, on ne relève aucune dynastie de buffetiers.

La dynastie des Rouillon Originaire de la Vienne, la famille Rouillon entre dans le petit monde des buffetiers de gare par le biais de Louis-Léon Rouillon (né en 1859). Cuisinier de formation, il trouve à s’employer au buffet de Poitiers, alors aux mains d’Auguste Nicolas Huguenot, l’un de ses témoins à son mariage en 1886. Cette même année, il prend la direction du buffet de Quimper, qu’il cède dès 1888 à son frère aîné, Félix-Alexis. Parti s’installer à Limoges, il gère le buffet de la gare de cette ville jusqu’en 1897. On le retrouve alors à la tête du buffet de la gare de Paris-Austerlitz, qu’il dirige jusqu’en 1902, en association avec son frère. Il occupe ses dernières années, de 1902 à 1919, à la gérance des buffets de Tours et de Saint-Pierre-des-Corps. Louis-Léon Rouillon laisse deux fils, Roger et Henri. Le premier est titulaire de la buvette d’Auneau de 1915 à 1917, le second du buffet de Juvisy de 1926 à 1935. Félix-Alexis Rouillon (né en 1854) prend le relais de son frère à Quimper de 1888 à 1892. Titulaire du buffet d’Angoulême de 1892 à 1897, il rejoint ensuite celui de Paris-Austerlitz dont il devient le seul gérant de 1902 à sa mort en 1925. Il laisse une fille et un fils, Edith et Eugène. Edith apporte en 1897 à son époux, Auguste Roy, le buffet d’Angoulême qu’ils conservent jusqu’en 1926. Eugène, associé à son père depuis 1919, hérite du buffet de ParisAusterlitz en 1926. Son fils René lui succède en 1961 et son petit-fils Pierre en 1993. Léon-Louis et Félix-Alexis Rouillon avaient deux sœurs. La première, Marie (née en 1851), épouse Caillard, un temps titulaire du buffet de Limoges-Montjovis. La seconde, Flore (née en 1863), apporte en 1892 le buffet de Quimper à son époux Yvon Le Moal ; le couple prend ensuite la gérance du buffet de Vierzon de 1901 à 1915.

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Le Tunnel sous la Manche Shuttle, Eurostar : une mise en route laborieuse (1994-1995) Le 6 mai 1994, le tunnel sous la Manche était inauguré en grande pompe par la reine Elisabeth II d’Angleterre et le Président de la République française François Mitterrand. Vingt ans après, il n’est pas inutile de rappeler que sa mise en service commerciale a été aussi chaotique que sa construction. La faute ici aux exigences de la Commission intergouvernementale du tunnel sous la Manche (CIG), organisme franco-britannique chargé de veiller à la sécurité dans le tunnel et à délivrer des certificats d’exploitation aux différents intervenants : Eurotunnel pour les transports par navettes (Shuttle) voyageurs et fret ; SNCF et British Rail pour les transports conventionnels voyageurs (Eurostar) et fret. Bruno Carrière

Shuttle : navettes camions 19 mai 1994 Phase de pré-ouverture : demi-rames (14 wagons), de jour uniquement et 5 jours sur 7, sur invitation au tarif spécial de 75 livres la traversée. 5 juillet 1994 La caravane du Tour de France gagne l’Angleterre via le tunnel à bords de navettes camions et de navettes autos. 25 juillet 1994 Ouverture commerciale : rames complètes (28 wagons), sans réservation, avec application des tarifs contractuels, ouverture 24 heures sur 24 et 5 jours sur 7 (du dimanche 16 h au samedi 8 h) avec un départ toutes les deux heures (toutes les heures en périodes de pointe : 6 h - 9 h et 17 h - minuit). 7 novembre 1994 Circulation 7 jours sur 7. 22 février 1995 Le 100 000e camion.

Shuttle : navettes autos 18 juillet 1994 Début du programme probatoire de circulation. 1er août 1994 Service pré-commercial, la CIG autorise des traversées de démonstration avec exercices

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d’évacuation : 6 départs/jour de part et d’autre accessibles aux personnels d’Eurotunnel, à leurs familles et à leurs invités. 3 octobre 1994 - 15 novembre 1994 Le service pré-commercial est étendu aux quelque 633 000 actionnaires d’Eurotunnel et aux « leaders d’opinion » : 13 départs/jour de part et d’autre du lundi au vendredi de 9 h à 21 h. 22 décembre 1994 Ouverture commerciale des navettes aux automobiles et motos 7 jours sur 7 mais avec interruption la nuit de 21 h à 9 h : 26 traversées/jour (13 dans chaque sens) – réservation obligatoire. 2 janvier 1995 Service continu 24 heures sur 24 à raison d’un départ par heure de 7 h à 23 h et d’un départ toutes les deux heures de 23 h à 7 h : 40 traversées/ jour (20 dans chaque sens). 1er mars 1995 Fin de l’obligation de réserver. Succès du slogan « Arrivez et partez » : le samedi 11 mars, Eurotunnel ne peut faire face à toutes les demandes au départ de Folkestone. 26 juin 1995 Ouverture des navettes aux autocars. 10 août 1995 Ouverture des navettes aux vélos.


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29 septembre 1995 Ouverture des navettes aux camping-cars et caravanes. 7 novembre 1995 La 1 000 000e voiture.

Fret 1er juin 1994 Premier train de transport de voitures neuves (Rover) des gares de Longbridge (près de Birmingham) à Arluno (près de Turin), 16 wagons porte-autos, 180 véhicules : service ouvert 24 heures sur 24 et 5 jours sur 7 (du dimanche 16 h au samedi 8 h). 13 juin 1994 Premier train de transport combiné (conteneurs, caisses mobiles) entre l’Angleterre et l’Italie, avec pour opérateurs Combined Transport Limited (CTL) et Allied Continental Intermodal (ACI). Fin octobre 1994 Circulation 7 jours sur 7. 20 décembre 1994 Le 1 000e train : un transport combiné entre Perpignan et Wembley. 21 décembre 1994 Premier essai d’un train de fret conventionnel (hors transports de voitures et combinés) : un convoi de wagons chargés d’acier entre la Suède et Sheffield. Avril 1995 Premier service régulier de trains de fret conventionnel entre Woippy et Wembley.

Eurostar 17 août 1994 - 13 septembre 1994 Service pré-commercial réservé sur invitation aux personnels des compagnies ferroviaires, puis à leurs invités : une puis deux rotations/jour ParisLondres et une rotation Londres-Bruxelles, avec simulation d’accident pour tester les procédures d’évacuation.

12 octobre 1994 La CIG accorde à Eurotunnel le certificat d’exploitation pour le démarrage du service commercial à grande vitesse Eurostar. 13 octobre 1994 Le roi Albert II de Belgique et la reine Paola inaugurent la ligne Bruxelles-Londres. 24 octobre 1994 Ouverture des réservations avec prix promotionnels. 14 novembre 1994 Premier Eurostar en service commercial : 2 AR Paris-Londres (service « Avant-Première »). 23 janvier 1995 Service normal : 4 AR Paris-Londres (5 le vendredi) et 3 AR Bruxelles-Londres. 3-5 février 1995 À l’occasion du match Angleterre-France comptant pour le Tournoi des Cinq Nations, l’équipe du XV de France emprunte Eurostar. 10 février 1995 Le 100 000e passager à destination de Londres. 27 février 1995 5 AR Paris-Londres (6 le vendredi). 3 avril 1995 6 AR Paris-Londres (7 le vendredi). 7 mai 1995 L’Eurostar des chefs d’État ramène à Paris les personnalités ayant participé à Londres aux cérémonies du 50e anniversaire du 8 mai 1945. 28 mai 1995 7 AR Paris-Londres. 2 juillet 1995 9 AR Paris-Londres. 24 septembre 1995 10 AR Paris-Londres (9 le samedi et dimanche, 11 le vendredi). 22 octobre 1995 11 AR Paris-Londres (10 le samedi et dimanche, 12 le vendredi).

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Il n’est jamais trop tôt… Bruno Carrière Alors que les travaux du tunnel, interrompus depuis 1883, viennent à peine de reprendre, la direction générale de la SNCF reçoit la lettre suivante de l’antenne parisienne du Japan Travel Bureau, Inc. : « Paris, le 4 décembre 1973 « Messieurs, « Nous espérons que vous voudrez bien considérer avec attention notre requête qui peut sembler, au premier abord, prématurée. « Nous souhaiterions savoir s’il est possible, dès maintenant, de réserver quelque 50 places de 1ère classe dans le premier train qui empruntera le Tunnel sous la Manche dont on parle tant. « Cette demande n’est pas une plaisanterie, elle est motivée par le fait que les Japonais amateurs de "rails" nous ont déjà posé la question plusieurs fois ; le prix n’est pas un obstacle. « Nous vous remercions dès maintenant de votre réponse et nous vous prions d’agréer, Messieurs, l’expression de nos sentiments les meilleurs. » Signée : Masao Hashimoto, Directeur Paris Office. Cette lettre est publiée par le journal interne de la SNCF Notre trafic, dans son numéro de septembre 1974, sous le titre : « Réservation pour le 1er train empruntant le Tunnel sous la Manche. » Elle est accompagnée par la réponse faite le 6 mai 1974 par le directeur commercial de la SNCF, Louis Lacoste. « Monsieur le Directeur, Par lettre MH/NW/3588 du 4 décembre 1973, vous avez bien voulu me faire part de votre désir de réserver une cinquantaine de places de 1re classe dans le premier train qui empruntera le Tunnel sous la Manche.

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Notre trafic, septembre 1974. Coll. Rails et histoire. Au cours d’une conversation téléphonique, qui a eu lieu courant décembre, un de mes représentants vous a informé que le Tunnel sous la Manche n’était encore qu’en état de projet et que divers préalables restaient à régler. Nous espérons maintenant voir débuter prochainement une première phase de réalisation et c’est bien volontiers que je vous confirme que nous prenons bonne note de votre demande pour le premier train commercial qui empruntera le Tunnel. Nous ne manquerons pas, bien entendu, de reprendre contact avec vous, le moment venu. Je vous prie de croire, … » 1974… 1994. Vingt ans plus tard, la SNCF a-t-elle tenu parole ?


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1962. La SNCF expérimente des navettes ferroviaires transmanche Bruno Carrière Traverser la Manche sans quitter sa voiture en prenant place à bord de l’une des nombreuses navettes ferroviaires mises à disposition par Eurotunnel (Le Shuttle) n’étonne plus personne aujourd’hui. Commandées en 1989 et livrées à partir de 1993, leur histoire est bien connue. Mais sait-on que, dès 1962, à la demande du Groupement d’étude du tunnel sous la Manche (GETM), la SNCF effectua les essais d’une navette expérimentale destinée à conforter les hypothèses émises par les experts en charge du projet ? Rappelons que c’est en 1955, à l’initiative, notamment, de Louis Armand, que l’idée d’établir un lien fixe entre la France et l’Angleterre est reprise avec, pour première étape, la création, en 1957, du GETM1, qui se fixe pour but de « mener à bien des études qui permettraient de construire et d’exploiter un tunnel sous-marin pour le trafic ferroviaire et (ou) routier reliant le territoire britannique à l’Europe continentale ». Le Groupement opte résolument, en 1960, pour un tunnel foré exclusivement ferroviaire à deux tubes encadrant une galerie de service, projet qui annonce déjà la configuration adoptée ensuite par Eurotunnel. Roger Hutter2 figure au nombre des premiers conseillers du GETM. Dans un exposé fait à Calais le 9 mars 1962, il évoque le transport des « véhicules accompagnés » que le projet divise en trois grandes classes : les automobiles de tourisme dont la hauteur n’excèdera pas 1,65 m, qui pourront être chargées sur des wagons spéciaux à deux étages ; les véhicules de plus de 1,65 m de haut, mais de poids modéré, comme les autocars, les caravanes et les camionnettes, qui prendront place sur des wagons à un étage ; les camions, d’une hauteur pouvant atteindre 4 m, pour lesquels on concevra des wagons plats surbaissés.

Départ des navettes en gare de Lyon (en haut). Exercice de débarquement des automobiles en gare de Fontainebleau (en bas). Transports, septembre 1962, Coll. Rails et histoire. 1- GETM : groupement constitué en 1957 et rassemblant la Société concessionnaire du chemin de fer sous-marin entre la France et l’Angleterre (dont le principal actionnaire est la SNCF), la British Channel Tunnel Company Ltd, la Compagnie financière de Suez et la Technical Studies, Inc., de New York.

2- Entré à la SNCF en 1935, dont il sera le directeur général adjoint de 1966 jusqu’à son départ en retraite en 1977, Roger Hutter (1911-1998) occupe alors les fonctions de directeur de la Région du Nord.

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Des wagons à deux étages, Roger Hutter donne la description suivante : « Ces wagons à boggies, à attelage spécial, constitueront des rames navettes avec deux planchers continus superposés sur lesquels les véhicules entreront par des wagons de chargement spéciaux venant se raccorder de niveau aux quais. « Ces wagons à étages seront fermés pour réduire les courants d’air et protéger les voitures contre les salissures et contre une chute éventuelle de caténaire ; ils disposeront cependant de baies vers l’extérieur, d’un éclairage intérieur puissant ; ils permettront la circulation à pied le long des voitures, même pendant la marche, moyennant un minimum de précaution. « Les rames de wagons à double étage pourront atteindre 750 m de long et recevoir en chargement 300 automobiles. » Concernant toujours le transport des voitures de tourisme, Roger Hutter insiste ensuite sur les trois principes fondamentaux établis par les études : - l’obligation faite aux conducteurs et passagers de rester dans les voitures en cas d’affluence, ce qui n’est pas incompatible avec la durée maximum assignée à leur présence sur les plateformes, qui ne doit pas excéder 50 minutes, dont 30 dans le tunnel ; - la nécessité de manœuvres de chargement et de déchargement « aussi simples que la conduite en ville » ; - une circulation des trains sans aucune manœuvre3. Afin de vérifier le bien-fondé de leurs conclusions, les experts du GETM obtiennent de la SNCF de procéder à une expérience grandeur nature. Ce qui est fait en juin 1962 entre Paris (gare de Lyon) et Fontainebleau, un trajet de 60 km d’une longueur comparable à celle du tunnel et de ses approches. À défaut d’un matériel spécifique, on se contente de wagons plats munis de passerelles d’intercirculation permettant le passage rapide des automobiles d’une extrémité à l’autre de la rame.

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Projet de quais de chargement et de déchargement à la station terminale française projetée à Sangatte. Les navettes sont à deux niveaux, déjà ! Notre trafic, avril 1964. Coll. Rails et histoire.

Longue de 250 m, la rame ainsi constituée accueille 100 automobiles (trois par wagon), moteur arrêté et frein à main serré. Partie en charge de ParisLyon, elle rallie Fontainebleau en 35 minutes à une vitesse maximale de 140 km/h. À Fontainebleau, on procède aux essais de débarquement et d’embarquement des voitures et de leurs occupants. Le résultat obtenu est probant : 26 véhicules chargés en moins de 90 secondes, soit un peu plus de trois secondes par unité, mieux que les estimations qui étaient de six secondes4. On connaît la suite. Aux espoirs suscités par la décision de 1966 prise par les Premiers ministres Harold Wilson et Georges Pompidou de réaliser le lien fixe transmanche, succède la désillusion avec l’abandon du projet par les Anglais en 1975. 3- R. Hutter, « Liaison fixe à travers la Manche (aspects techniques et économiques) », Bulletin intérieur d’informations des cadres, n° 42, février-mars-avril 1962. 4- Quelques images animées de ces essais peuvent être visionnées sur le site de l’Ina. Elles accompagnent un entretien donné en décembre 1962 par Louis Armand sur la conception générale du tunnel (http://www.ina.fr/video/CAF97080469/ maquette-du-tunnel-video.html).


COMMÉMORATIONS

Le chemin de fer du Nord. D’une stratégie à l’autre, 1911-1914 Pierre Lepage En 1911, le général Michel propose une révision du Plan stratégique prenant en compte une possible offensive allemande menée à travers le territoire belge avec, pour conséquence, un glissement du gros des forces françaises de la frontière est à la frontière nord. La neutralité de la Belgique, garantie par le traité international de 1839, suffit à endormir la méfiance de nos dirigeants qui rejetèrent la vision prémonitoire du général Michel. Mal leur en prit.

Au début de 1911, le général Victor-Constant Michel (18501937) fut nommé par le gouvernement vice-président du Conseil supérieur de la guerre (le CSG) et, à ce titre, généralissime désigné des armées françaises en cas de guerre. Le ministre de la Guerre, le général Brun, lui demanda de réviser le Plan stratégique en vigueur depuis 1908, alors tourné vers l’Est, appuyé sur le système fortifié dû à Séré de Rivières, qui s’étendait des Hauts de Meuse jusqu’à la région située entre Épinal et Belfort. Michel, dont la formation initiale était celle d’un officier d’état-major réputé pour ses travaux de géographe, connaissait bien la région du Nord où il avait exercé plusieurs commandements, notamment à l’état-major du 1er corps d’armée à Lille. Il avait constaté la vulnérabilité de la frontière franco-belge,

dépourvue de système fortifié de Dunkerque à Maubeuge. Depuis 1905, Brun et Michel avaient connaissance du plan allemand mis au point par le général comte Schlieffen. Ce plan consistait, par une immense offensive menée à travers le territoire belge, à envelopper l’ensemble de l’armée française et à la prendre à revers par une sorte de gigantesque coup de faux. Les milieux politiques, comme l’État-major général dans son ensemble, ne croyaient pas à une invasion de la Belgique, dont la neutralité était garantie par le traité international de 1839. Brun et Michel, eux, étaient convaincus de cette hypothèse. Dans un premier document remis au ministre de la Guerre en février 1911, le général Michel présentait ses « observations personnelles », formulées comme une sorte d’avant-projet de plan stratégique. Mais le général

Brun mourut subitement avant d’avoir pu examiner ces propositions. On ne pouvait concevoir la construction à court terme d’un système fortifié en « plat pays ». La défense du territoire se ferait donc avec des poitrines. Mais comment opposer une force équivalente à celle de la puissante armée allemande qui disposait de 42 corps d’armée actifs, alors que la France ne disposait que de 20 corps d’armée actifs et de 20 corps de réserve ? D’autant que, en 1911, en raison d’une insuffisance de ses voies ferrées, le secours attendu de l’allié russe et de son « rouleau compresseur » aurait été long à obtenir étant donné le temps nécessaire à la concentration de ses troupes. Michel, qui avait étudié les capacités du réseau ferré allemand très dense autour du Rhin inférieur, comptait cependant sur la résistance des forts de Liège et sur l’allongement du

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COMMÉMORATIONS

temps de parcours via le réseau belge pour freiner l’offensive ennemie, ce qui lui laissait un surcroît de temps pour exécuter la concentration des forces françaises. Le généralissime, dans un document qui fut remis en juin 1911 aux généraux du CSG, présentait une solution innovante. Il prévoyait deux groupes de forces de première ligne, l’un dans le Nord fort de 11 corps d’armée disposés de la mer du Nord jusqu’à Hirson, l’autre dans l’Est fort de trois corps d’armée protégés par le système fortifié existant. Six autres corps étaient prévus en réserve pour participer aux opérations que rendraient nécessaires les résultats des premiers engagements. L’axe de la défense était donc modifié et orienté principalement sur la frontière du Nord. Avec quels moyens ? Michel soumettait une seconde solution innovante à l’examen du CSG. Il proposait de reconstituer les fameuses « demi-brigades » qui avaient fait merveille en leur temps sous Lazare Carnot. En accolant chaque régiment de réserve à son régiment actif on doublait ainsi l’effectif de chaque brigade qui passait ainsi de deux à quatre régiments. Les divisions et les corps d’armées étant par là même doublés, l’armée française passait d’un potentiel mobilisable de 800 000 hommes à 1 600 000 soldats de première ligne. Le dispositif semblait séduisant, le rétablissement de l’équilibre numérique des forces

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Chaque carré représente une division « double » active + réserve, soit 25 000 hommes. Avec 21 divisions et à raison de 110 trains par division, plus les éléments annexes, c’est un ensemble proche de 2 500 trains de concentration qui auraient dû transiter par le réseau Nord ! Service historique de la Défense, Vincennes.

en présence pouvant se concevoir comme une forme de dissuasion en rendant de la sorte la parole à la diplomatie. Mais il n’était pas certain que la concentration d’une pareille force non loin du port d’Anvers assurât aux Français le concours de l’armée britannique, que Michel avait commencé à négocier en 1907 au cours d’un voyage en Angleterre. On observera que les idées du général Michel se rap-

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prochent de celles développées en 1911 par Jean Jaurès dans un livre magistral intitulé L’Armée nouvelle. Le tribun socialiste, visionnaire, voit l’envahissement de la France du Nord à partir de la violation de la neutralité belge par « la monarchie impériale prussienne », à laquelle il oppose toutes les ressources de la Nation armée, et il note l’importance du réseau ferré du Nord dans une pareille hypothèse.


COMMÉMORATIONS

Ces données géo-stratégiques étant formulées, il est clair que les deux réseaux de l’Est et du Nord devaient alors être englobés dans la zone des armées et tenus à la disposition exclusive du général en chef, conformément à la loi de 1888 portant sur l’organisation des transports militaires. Il fallait alors se demander si le réseau du Nord était en capacité de transporter les deux tiers d’une force armée de 1 600 000 hommes, soit près d’un million pour ce seul réseau. Il aurait fallu en premier lieu remanier les dix grandes radiales stratégiques, ces lignes rigides tracées pour la concentration par le 4e Bureau de l’État-major général dont les parcours aboutissaient pour la plupart sur le réseau de l’Est, celui du Nord n’ayant pas été étudié pour faire face à l’afflux d’un pareil trafic. Le réseau du Nord était réputé pour la vélocité de ses locomotives et la vitesse de ses trains commerciaux. Mais il s’agissait en l’occurrence moins de vitesse que de densité d’un trafic doublé par l’engagement immédiat des réserves. On observe que le Plan Michel dispose les forces « en cordon », avec une seconde ligne de défense ou de contre-offensive couvrant la frontière francobelge de la mer du Nord jusqu’à la Sambre et à Hirson. Ceci suppose la mise en œuvre de la totalité des lignes du réseau du Nord, laquelle n’était pas prévue dans les plans stratégiques précédents.

Le réseau de la Compagnie de M. de Rothschild est bien outillé en lignes à double voie. Grâce à ses tracés denses en région parisienne, il est en mesure d’écouler un lourd trafic et, par de multiples combinaisons, de l’écouler jusqu’à Creil, premier nœud ferroviaire important. La ligne mère de Paris à Lille est quadruplée jusqu’en ce point. Par un raccordement direct à Ormoy-Villers entre les lignes de Soissons et de Maubeuge, le réseau bénéficie en quelque sorte d’un second quadruplement jusqu’à proximité de Compiègne. Une extension du quadruplement entre Creil et Amiens, nœud stratégique d’importance, aurait constitué une solution des plus satisfaisantes, mais c’était une œuvre de longue haleine. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les gouvernements français de cette époque, par des mesures financières incitatives – les fameux emprunts russes –, contribuent, à la demande du haut commandement, au quadruplement de plusieurs liaisons stratégiques russes en direction de la Prusse orientale, tout en activant notre propre quadruplement sur le seul réseau de l’Est. Celui-ci, plus que le Nord, est mieux équipé en « sauts de mouton » qui évitent le cisaillement des voies aux embranchements. Il s’agit là d’un sérieux inconvénient qui peut perturber l’écoulement des corps d’armée que l’on prévoit en nombre accru sur le Nord. Par ailleurs, le nombre de wagons disponibles sur l’ensemble de tous les réseaux

était-il suffisant pour transporter un effectif quasiment doublé par l’engagement des unités de réserve ? Les quais de débarquement étaient-ils à créer ou à aménager, les gares régulatrices à définir et à organiser sur un réseau à l’origine non concerné par les opérations, puisque protégé par ce « vide belge » institué par la neutralité du pays voisin ? Ces questions qui relevaient du plan de transport auraient dû être réglées par l’État-major en cas d’accord du CSG au plan stratégique proposé. En 1911, la signature d’une convention militaire entre la France et l’Angleterre restait incertaine ; le général Michel disposait dans son Plan l’armée britannique entre Fismes et Laon, avec le transport d’un effectif de 150 000 soldats par le réseau de l’Est, ce qui allégeait d’autant sa concentration sur le réseau du Nord. Il affina son projet au cours du premier semestre 1911 et recueillit un avis positif de trois ministres de la Guerre successifs, deux d’entre eux décédant dans des circonstances tragiques, le général Jean Brun le 23 février, puis Maurice Berteaux le 21 mai 1911, le troisième, le général François Goiran, étant écarté par une crise ministérielle le 23 juin. La crise marocaine, dite d’Agadir, qui survint le 1er juillet 1911 provoqua un bouleversement dans la conception des plans stratégiques ainsi qu’une réorganisation en profondeur de l’État-major général. Le CSG,

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réuni dans l’urgence à l’incitation d’Adolphe Messimy, le nouveau ministre de la Guerre, rejeta le Plan Michel qu’il semblait avoir approuvé au préalable. Le 19 juillet, le généralissime désigné fut mis en minorité par ses pairs lors d’un vote portant sur l’emploi des réserves. Plus que ses idées, c’était la personnalité de Michel qui était mise en cause. À l’issue de cette crise, le général Michel fut remplacé par le général Joffre qui prit le titre de Chef d’État-major général. Dès lors, la doctrine officielle fut à l’offensive qui aurait lieu pour l’essentiel en Alsace-Lorraine annexées, avec pour conséquence des transports stratégiques acheminés principalement vers le réseau de l’Est. Une « réunion secrète » et restreinte, tenue le 21 février 1912 sous la présidence de Raymond Poincaré, interdit au général en chef tout projet d’une offensive d’envergure en Belgique. Dès lors l’État-major général travailla à l’élaboration du Plan XVII, l’effort principal se portant « quelque part entre Metz et Strasbourg » dans une région puissamment fortifiée par les Allemands. En matière de transports par voie ferrée, le décret du 2 août 1914 délimitait le territoire de la zone des armées placé sous l’autorité exclusive du général en chef. Joffre disposait alors de l’intégralité du réseau de l’Est, de la ligne PLM de Paris à Dijon et Besançon, et, pour le Nord, de la seule ligne de Paris à Hirson, complétée par une

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section de Laon à Jeumont via Tergnier. Seules deux lignes de concentration sur dix dépendaient du réseau Nord (lignes K et I), limitées au transport de deux corps d’armée sur les vingt et un que comportait l’armée française. Le Nord assurait toutefois le transport de l’Armée anglaise, dite W, depuis RouenMartainville jusque dans la région de Busigny-Hirson. On voit donc que ce réseau était loin d’atteindre la saturation. Ainsi, une fois la mobilisation et les concentrations achevées, le trafic commercial pouvait reprendre sur le réseau dit de l’intérieur restant sous la responsabilité du ministre de la Guerre. La défaite des armées françaises sur toutes les frontières consacra l’échec du Plan XVII à la fin du mois d’août 1914. La retraite générale de ces armées entraîna le contrôle d’une large partie du réseau Nord par l’ennemi, jusqu’au voisinage de la capitale. La victoire de la Marne, suivie de la course à la mer, permit de recouvrer une partie du réseau en conservant les ports de la mer du Nord. Mais, au nord d’Arras, le réseau ferré demeura sous occupation allemande jusqu’en 1918, et près de 14 000 cheminots du Nord, qui n’avaient pas reçu de leur hiérarchie l’ordre de quitter leurs postes, restèrent prisonniers des Allemands. Il reste à se demander si le séduisant et visionnaire plan stratégique initié en 1911 par le général Michel, qui ne reçut pas de numéro, était en mesure,

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par le rétablissement de l’équilibre des forces, de dissuader le grand État-major allemand d’opter pour la violation du territoire belge, faute diplomatique majeure. Il convient également de s’interroger sur le fait de savoir si le réseau du Nord était en capacité d’exécuter la concentration du gros d’une armée française doublée par l’engagement immédiat des réserves, ce que le réseau de l’Est réussit parfaitement en raison d’une organisation stratégique, logistique et technique étudiée et réalisée de longue date. Ces considérations ne présentent qu’un intérêt rétrospectif, car, comme le souligne Jean-Jacques Becker dans son introduction à une réédition de L’Armée nouvelle de Jaurès, « il aurait fallu beaucoup de temps pour transformer (et transporter) une armée de caserne en armée citoyenne, et du temps, il n’y en eut pas ». Sources Procès-verbaux des délibérations du Conseil supérieur de la guerre, Service historique de la Défense, 1N1, et Procès-verbaux des délibérations du Conseil supérieur de la défense nationale, eo. loc., 2N1. Jean Jaurès, L’Armée nouvelle, Paris, J. Rouff, 1911 [réédition, Paris, Fayard, 2012]. Pierre Lepage, « De la mobilisation à la concentration. Le Plan de transport stratégique français, août 1914 », Revue d’histoire des chemins de fer, n° 15 (automne 1996), p. 73-87.


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« Hommes 40 – Chevaux (en long) 8 », mais encore ? En août et septembre 1914, des milliers de soldats ont été acheminés par le rail depuis leurs garnisons jusqu’au front. Ces transports, dits de concentration, n’ont pu être effectués que grâce à la mobilisation de centaines de voitures de 3e classe et de wagons couverts aménagés (ou non) au moyen de bancs mobiles stockés par les compagnies ferroviaires en prévision d’un éventuel conflit armé. Nous nous intéresserons ici à ces seuls wagons et à leurs principaux utilisateurs, les hommes de l’infanterie. Bruno Carrière

Les wagons dont il est question doivent répondre à des critères précis : - des dimensions minimales fixées à 6 m pour la longueur (5,93 m à l’intérieur), 2,50 m pour la largeur, 1,98 m pour la hauteur (mesurée sous les courbes du plafond) ; - des étriers ou des marchepieds longitudinaux afin de faciliter l’accès aux deux portes latérales ; - des portes roulantes, à un ou deux vantaux, offrant une ouverture d’au moins 1,45 m et une hauteur minimum de 1,895 m, dotées d’un système de fermeture susceptible d’être facilement manœuvré de l’intérieur ; - des volets à glissières ou se rabattant à l’extérieur de 0,50 m sur 0,30 m au minimum pour l’aération (placés dans les portes si leur nombre est réduit à deux) ; - un éclairage de nuit assuré par des lanternes ; - des plaques indicatrices pour les trous de boulon des appareils Bry (suspension des blessés). Le nombre d’hommes à embarquer est indiqué sur un cartouche placé sur chaque paroi longitudinale. Lorsque cette indication comporte deux chiffres, le premier s’applique aux hommes équipés, le second aux hommes non équipés. Lorsqu’il n’y a qu’un chiffre, il s’applique aux hommes équipés ou non. Dans les wagons non pourvus de bancs, le nombre d’hommes à embarquer est le nombre maximum indiqué sur le cartouche.

Chaque wagon comprend deux lots de quatre bancs chacun, répartis longitudinalement de part et d’autre des portes. Chaque lot est constitué de deux madriers (supports) et de cinq planches (quatre assises, un dossier central). L’agencement des bancs varie en fonction de la longueur des wagons. Cinq catégories de wagons sont prises en compte : - wagon avec cartouche 32-40 = longueur intérieure de 5,80 m à 5,93 m ; - wagon avec cartouche 36-40 = longueur intérieure de 5,94 m à 6,43 m ; - wagon avec cartouche 40 = longueur intérieure de 6,44 m à 7,40 m ; - wagons avec cartouche 44 = longueur intérieure de 7,40 m à 7,90 m (un banc supplémentaire est placé contre l’un des petits côtés) ; - wagons avec cartouche 50 = longueur intérieure de 7,91 m à 9,00 m (un demi-banc supplémentaire – 2 supports, 2 assises, 1 dossier – est placé dans le prolongement de l’un des demi-bancs du milieu). Dans les wagons pourvus de bancs mobiles, les armes sont assujetties au moyen de pitons et de courroies (de sac ou de corde). Le chef de wagon place un premier fusil verticalement, la bretelle en avant, contre la paroi du petit côté dans l’espace dévolu à cet effet entre les bancs. Il visse un piton dans la paroi du wagon, la tige touchant la Les Rails de l’histoire, n°7 - novembre 2014

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monture de l’arme et à cinq centimètres environ au-dessous de l’embouchoir. Les autres fusils sont placés côte à côte dans la position qui vient d’être indiquée. Les armes en place, le chef de wagon visse un deuxième piton contre le dernier fusil et passe une courroie de sac ou un cordeau dans les pitons de manière à embrasser toutes les armes en les serrant fortement les unes contre les autres. Les sacs des hommes assis au milieu du wagon ou sur le banc supplémentaire adossé au petit côté sont rangés, autant que possible, sous les bancs. Les sacs qui n’y peuvent trouver place, ainsi que ceux des hommes assis le long des grands côtés, sont déposés dans les espaces laissés libres. Dans les wagons non aménagés, les armes sont arrimées par groupes de dix contre les petits côtés du wagon et assujetties au moyen de pitons et de courroies ou cordeaux. Les sacs sont disposés à plat sur le sol du wagon, à savoir : la moitié contre les grands côtés, l’autre moitié sur deux files, le long de la ligne médiane. Les hommes s’assoient sur leur sac ou, à défaut, sur leur manteau. La durée de l’embarquement (comme du débarquement) ne doit en aucun cas dépasser une heure et demie.

Monter dans les wagons constituant les trains de concentration, un exercice qui ne laissait rien à l’improvisation. La Science et la Vie, avril-mai 1916. Coll. Rails et histoire.

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L’exercice n’est pas nouveau pour les hommes, puisque inscrit au programme de tous les conscrits lors de leur passage sous les drapeaux. L’instruction prévoyait, en effet, un apprentissage progressif qui, amorcé à la caserne même, se terminait, au mieux, dans la gare la plus proche. Pour ce faire, on se contentait, dans un premier temps, de figurer à même le sol, à la pioche ou avec des cordeaux, des « cadres » rectangulaires de 2,40 m de large et d’une longueur variant de 5,80 à 9 mètres, que l’on garnissait avec des bancs du casernement. Un dispositif de madriers verticaux représentant une portion de petit côté de wagon de marchandises permettait d’enseigner le placement des sacs et le mode d’attache des armes. C’est ainsi que tous les appelés se familiarisaient par petits groupes avec les opérations d’embarquement et de débarquement. Plus rares étaient les exercices réels en gare. Regroupant plusieurs


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unités, ils permettaient d’approcher la réalité, sauf pour l’attache des fusils qui n’était jamais exécutée afin d’éviter de dégrader les wagons mis à disposition par les compagnies ! L’embarquement est précédé, en dehors des emprises ferroviaires, du « fractionnement », opération qui consiste à diviser la troupe en groupes correspondant à la contenance des wagons mis à disposition, chaque groupe ayant à sa tête un « chef de wagon », caporal ou brigadier. Le fractionnement terminé, la troupe se transporte en colonne par quatre vis-à-vis du train. Chaque fraction marche à deux pas de celle qui la précède pour s’arrêter devant le wagon qu’elle doit occuper et y faire face. Le chef de wagon fait alors serrer les files de manière à ne pas dépasser la longueur dudit wagon. L’embarquement des hommes commence à la sonnerie de « En avant ». À ce signal, les hommes enlèvent leur sac et le posent à terre devant eux. Le chef de wagon et quatre hommes (deux par demi-wagon) embarquent les premiers, avec pour mission de ranger les armes et les sacs que leurs compagnons leur font passer successivement. L’opération terminée, ceux-ci montent à leur tour selon un ordre précis pour gagner la place qui leur a été préalablement assignée. Le chef de wagon s’assure ensuite de l’ouverture sans problème de la porte depuis l’intérieur. Notons cependant que le soin de fermer la porte avant le départ incombe exclusivement au personnel des chemins de fer. Pendant le trajet, il est prescrit aux hommes de desserrer les lacets de leurs brodequins afin d’éviter le gonflement de la jambe. Dans tous les cas, le pantalon ne doit jamais rester engagé dans les chaussures. L’embarquement terminé, un sous-officier écrit à la craie, à côté du numéro d’ordre, l’indication de la fraction qui l’occupe (1er, 2e, 3e wagon...). Les inscriptions sont reproduites de l’autre côté des véhicules. Elles servent de repère aux hommes qui ont été autorisés à descendre lors d’un arrêt du convoi.

L’équipement des wagons couverts pour le transport des soldats était programmé de longue date. Chaque compagnie ferroviaire avait en stock les bancs nécessaires à cette opération.

On parle presque toujours des wagons « Hommes 40 – Chevaux (en long) 8 ». C’est oublier que les wagons ne correspondaient pas tous à ces critères.

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Si les wagons de 6,44 m prévus pour le transport de 40 hommes prédominaient, d’autres étaient limités à 32 hommes (wagons de 5,80 m) et certains pouvaient accueillir jusqu’à 50 hommes (wagons de 7,91 m). Aussi important que celui des hommes était le transport des chevaux à une époque où la motorisation des armées n’était encore qu’à ses débuts.

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Documents extraits des Règlements et instructions sur le transport des troupes de toutes armes par les voies ferrées et les navires de commerce, Paris, Henri Charles-Lavauzelle éditeur militaire, 1913.

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La disposition des bancs était adaptée à la capacité d’accueil de chaque wagon, ainsi que les espaces réservés à la dépose des fusils et des havresacs.


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Il est interdit aux soldats embarqués :

- de passer la tête ou les bras hors des portes ou des volets d’aération ; - de procéder pendant la marche à l’ouverture des portes et volets, ou à la fermeture desdits volets ; - de pousser des cris et de chanter ;

- de fumer au cas où, par les grands froids, il y aurait de la paille sur le plancher ;

sonnerie « halte ». Ils laissent leurs armes dans les wagons et doivent sortir exclusivement par les portes ouvrant du côté du quai ou du trottoir. Trois

minutes avant le départ, à la sonnerie « en avant », les hommes remontent en wagon. Ils sont libres de

ne pas descendre ou de remonter avant le signal du rembarquement.

- de jeter hors des wagons des objets quelconques et notamment des bouteilles pouvant blesser les agents en service sur la voie.

Lorsque l’accès aux buvettes et buffets n’est pas

Les hommes ne sont autorisés à descendre que lorsque l’arrêt du train est supérieur à dix minutes. Une dérogation à la règle est cependant tolérée pour ceux qui seraient « pressés de besoins urgents ». Les hommes ne descendent qu’à la

leurs compagnons.

interdit, seuls deux hommes par wagon sont autorisés à y pénétrer, chargés de faire les achats de

À la dernière halte avant l’arrivée, les hommes sont invités à rectifier leur tenue et à se tenir prêts à débarquer.

« Sur les quais d’embarquement » « Il faut avoir vu l’embarquement d’un corps d’armée pour se faire une idée de la tâche accomplie par chaque compagnie. Les hommes, tant en raison de la gravité de l’heure qu’à cause de la discipline militaire, sont admirables de méthode. Pas de confusion dans les embarquements. Chaque compagnie d’infanterie (250 hommes sur pied de guerre) rangée sur le quai monte en wagon au sifflet. En quelques minutes, c’est fait : le sac sert de siège dans les wagons à bestiaux, et le fusil de soutien. Un régiment sur pied de guerre comprend 3 bataillons de 1 000 hommes, soit 3 000 hommes. À 38, 39 hommes en moyenne par wagon, il faut deux trains entiers de 40 à 50 wagons pour transporter un régiment. Le transport des voitures régimentaires, des sections de mitrailleuses, cuisines de campagne et chevaux des officiers, nécessite un certain nombre de wagons supplémentaires. Comme il y a 8 régiments d’infanterie par corps d’armée, il faut 16 trains au minimum pour les transporter et il faudra en outre 2 trains pour le matériel de campagne qui en fait partie. » « Une guerre de chemins de fer », Lectures pour tous, 1er avril 1915-15 septembre 1915, p. 759.

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Figure 1. Gare de Thann vue par Engelmann, 1839. Bibliothèque municipale de Mulhouse.

Figure 2. Gare de Thann vue par J.-B. Schacre, 1839 ?. Bibliothèque de l’Université et de la Société industrielle de Mulhouse/ BUSIM.

Figure 3. Aquarelle anonyme de la gare de Thann, 1840 ?. Musée de Thann.

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Les premiers chemins de fer en France à travers des illustrations d’époque Deuxième épisode : l’Alsace s’organise aussi en 1839 Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec Si, dans nos précédents articles1, notre intérêt s’est porté sur la région parisienne en raison du 175e anniversaire de l’inauguration de la ligne de Paris à SaintGermain (1837), il ne faut pas oublier que le développement des chemins de fer en France s’est poursuivi simultanément en province. Ainsi, la mise en service le 12 septembre 1839 de la première ligne alsacienne, de Mulhouse à Thann, suit d’à peine plus d’un mois celle du chemin de fer de Paris à Versailles Rive Droite. Quoique moins fourni que celui se rapportant aux lignes de Paris à Saint-Germain et de Paris à Versailles RD, le catalogue des images consacrées au chemin de fer de Mulhouse à Thann n’en est pas moins conséquent, les Mulhousiens ayant eu à cœur, également, de mettre en avant leur savoir-faire en matière industrielle. Au moins 23 images ferroviaires publiées entre 1839 et 1855 célèbrent cette ligne de 21 kilomètres.

Conservé à la Bibliothèque municipale de Mulhouse, le document le plus connu – Vues du chemin de fer de Mulhouse à Thann – a été publié en 1839 par la maison Engelmann Père & Fils de Mulhouse à l’occasion de l’inauguration de la ligne : un album de huit chromolithographies dessinées par l’artiste suisse Rodolphe Huber2. Bien qu’édités ultérieurement, et consacrés principalement à la ligne de Strasbourg à Bâle, d’autres albums ou guides évoquent également le tronçon du chemin de fer de Mulhouse à Thann commun aux deux lignes3. Citons les essentiels :

- le Panorama des Vosges et du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, recueil de quatorze planches édité en 1841 [à cette date la ligne est limitée à Saint-Louis, à la frontière suisse] par Émile Simon Fils, lithographe à Strasbourg, à partir de dessins de Théodore Muller ; - le Souvenir du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, album de douze vues gravées sur cuivre

publié en 1842 par Creuzbauer & Nöldecke de Karlsruhe ; - le Voyage pittoresque en Alsace par le chemin de fer de Strasbourg à Bâle, guide de Th. Morville de Rouvrois illustré de gravures inspirées de dessins de Dantzer et Pedraglio, édité en 1844 par J.P. Risler de Mulhouse. D’autres images isolées (dessins, aquarelles, lithographies, etc.) se réfèrent à notre sujet. Dans un récent ouvrage, Le Train une passion alsacienne 1839-2012 1- Joseph-Jean Paques, « Le patrimoine iconographique ferroviaire de la ligne de Paris à Saint- Germain (18371855) », Les Rails de l’histoire, hors série, novembre 2012, p. 30-34 ; « Les premiers chemins de fer en France à travers des illustrations d’époque. Premier épisode : L’année 1839 ou de timides débuts (1/2) », Les Rails de l’histoire, n° 6, avril 2014, p. 16-21. 2- Mis au point par l’éditeur Godefroy Engelmann (1788-1839), la chromolithographie est un procédé permettant d’obtenir des tirages en plusieurs couleurs par impressions successives. 3- La ligne de Strasbourg à Bâle a été inaugurée dans son entier le 13 juin 1844. Elle empruntait la ligne de Thann à Mulhouse sur 6 km entre Lutterbach (bifurcation vers Thann) et Mulhouse.

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(Éditions Vent d’Est, 2012), Nicolas Stoskopf m’en a révélé quelques-unes, qui avaient échappé jusqu’alors à mes recherches. Cet ouvrage reproduit également plusieurs des « vues » de l’album d’Engelmann et l’intégralité des planches du recueil de Simon Fils. Les gares – ou stations comme on les appelait à l’époque – constituent l’objet central de la plupart des sites reproduits (sept illustrations pour Thann, trois pour Cernay, sept pour Mulhouse), les autres portant essentiellement sur des ponts ou des viaducs. Intéressons-nous tout d’abord à la gare de Thann, croquée sous des angles différents. La vue intérieure de la station issue de l’album d’Engelmann [figure 1] est à rapprocher, l’animation en moins, de celle du dessin aquarellé de Jean-Baptiste Schacre [figure 2] mis en lumière par Nicolas Stoskopf. Également sortie de l’oubli par ce dernier, une aquarelle anonyme dévoile le côté face de la gare [figure 3]. Visible sur les trois documents, le clocheton qui surmonte le toit du bâtiment principal permet de mieux appréhender l’agencement des lieux. Le musée de Thann conserve une autre représentation de la gare de Thann vue de l’intérieur : produite après 1839 par B. Boehrer, lithographe à Altkirch, elle est une copie conforme de celle d’Engelmann si ce n’est le « gommage » de certains personnages.

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Les trois dernières vues montrent la gare intégrée dans la ville de Thann. Celle publiée en 1842 par Creuzbauer et Nöldecke [figure 4] ménage le recul nécessaire permettant d’apprécier l’animation qui règne autour du départ imminent d’un train que l’on devine par les volutes de fumée émise par une locomotive dont on aperçoit la silhouette à droite. On remarquera l’atmosphère éminemment romantique qui se dégage de cette lithographie par la présence de nuages et leur éclairage « dramatique ». Une impression identique ressort des deux autres vues [figures 5 et 6]. Et si la représentation des éléments ferroviaires peut être discutable, tous les éléments-clés de Thann sont là : la collégiale, l’œil de la sorcière (vestige du donjon de la forteresse démantelée sous Louis XIV), le clocheton du bâtiment principal, les Vosges. En aval de Thann, la gare de Cernay est représentée au moins à trois reprises dans des ouvrages publiés entre 1839 et 1844. La première illustration [figure 7] fait partie des chromolithographies d’Engelmann ; on notera le peu de constructions autour de la gare et le décor campagnard. La seconde illustration est issue de l’album de Simon Fils (planche XII) [figure 8] : elle montre une vue panoramique de Cernay, avec les Vosges en arrièreplan. Nous n’avons pas pu résister au plaisir d’essayer de retrouver ce paysage [figure 9], même si de nombreuses constructions et la présence d’un rideau d’arbres

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ne permettent pas d’obtenir exactement la même vue. On peut reconnaître néanmoins les Vosges et deviner le clocher de l’église de Cernay à l’extrême droite. Malheureusement, la voie ferrée est aujourd’hui totalement cachée. La vignette de la gare de Cernay extraite du guide de Morville de Rouvrois (p. 222) est trop réductrice pour retenir notre attention, mais permet toutefois de reconnaître l’allure générale du bâtiment. La gare de Cernay passée, la ligne croise sur son chemin l’Ill, voie d’eau qu’elle franchit sur un viaduc. Cet ouvrage, reproduit par Engelmann dans son album – le « Viaduc entre l’Ill et Dornach » [figure 10] – a été construit en lieu et place d’une ligne en remblai afin d’assurer la libre circulation des eaux du fleuve et éviter ainsi les risques d’inondations pour Mulhouse. Si le site a subi depuis plusieurs transformations, il est encore facilement reconnaissable et le viaduc toujours opérationnel [figure 11]. Surgit enfin Mulhouse. Pour ce site, nous avons retenu les deux illustrations ferroviaires qui nous ont paru les plus caractéristiques. La vue la plus panoramique provient de l’album de Simon Fils, plus précisément de la planche XIII qui offre une vue générale de la ville prise de la colline [figure 12]. Elle permet de découvrir l’usine de constructions mécaniques André Koechlin & Cie (au centre) et la ligne du chemin de fer en provenance de


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Figure 4. Station du chemin de fer à Thann, publiée par Creuzbauer et Nöldecke, 1842. BNU Strasbourg.

Figure 5. Vue de Thann en 1840 par Gresset. Musée de Thann.

Figure 6. Thann, lithographie par Dantzer, 1841. Musée de Thann.

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Figure 7. Gare de Cernay vue par Engelmann, 1839. Bibliothèque municipale de Mulhouse.

Figure 8. Panorama des Vosges, partie de Cernay à Thann prise près de Cernay, Simon Fils, 1841. Cabinet des estampes et des dessins de Strasbourg © Photo musées de Strasbourg, Mathieu Bertola.

Figure 9. Vue actuelle de Cernay et des Vosges, 2010. Photo J.-J. Paques.

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Figure 11. TGV franchissant le viaduc au dessus de l'actuel lit principal de l'Ill, mai 2010. Photo J.-J. Paques

Figure 10. Viaduc entre l'Ill et Dornach, vu par Engelmann, 1839. Bibliothèque municipale de Mulhouse.

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Thann qui, à la suite de sa prolongation jusqu’à la frontière suisse, franchit désormais le canal du Rhône au Rhin pour atteindre la gare définitive de Mulhouse. Une lithographie d’Engelmann permet de mieux découvrir le site de l’usine André Koechlin & Cie [figure 13] qui a fourni au chemin de fer de Thann ses premières locomotives – André était le cousin de Nicolas Kœchlin, le promoteur de la ligne. La gare de Mulhouse est visible à l’extrême droite de la vue panoramique de la planche XIII de l’album de Simon fils. Une vignette tirée du guide de Morville de Rouvrois (p. 243, obtenue par estampe d’une gravure sur bois debout), certes moins attirante qu’une belle lithographie colorée, permet cependant de mieux cerner l’agencement de ses installations [figure 14].

Nous tenons à remercier ici Nicolas Stoskopf, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Haute-Alsace, pour sa lecture éclairée de cet article et les illustrations qu’il nous a permis d’utiliser. Nous tenons également à remercier Isabelle Leibrich, de la Société industrielle de Mulhouse, Joël Delaine, conservateur des Musées historique et des beaux-arts à Mulhouse, ainsi que qu’André Rohmer, président du Musée des amis de Thann, pour nous avoir autorisés à publier les illustrations dont leurs organisations sont les conservateurs attentionnés.

Figure 12. « Panorama des Vosges et du chemin de fer de Strasbourg à Bâle. Partie comprenant la chaîne des Vosges de Thann à Seléstadt prise de la campagne de Mr. André Kœchlin à Mulhouse », 1841. Cabinet des estampes et des dessins de Strasbourg © Photo musées de Strasbourg, Mathieu Bertola.

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Figure 13. André Koechlin & Cie à Mulhouse, Engelmann, vers 1845. Musée historique de Mulhouse.

Figure 14. Gare de Mulhouse, extrait du guide de Morville de Rouvrois, 1839. BUSIM.

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TÉMOIGNAGES

1944. Témoignages cheminots sur la Libération du grand Sud-Ouest. L’exemple de Castelnaudary Bruno Carrière Le 18 août 1944, confronté au succès du débarquement de Provence et à la progression des Alliés en Normandie, Hitler ordonne à ses troupes stationnées dans le Sud-Ouest de se replier vers le Nord. Soumises aux bombardements et aux mitraillages de l’aviation alliée, harcelées par les résistances locales, les forces allemandes abandonnent progressivement le terrain. Fin août, les responsables des principaux centres ferroviaires reçoivent pour instruction de consigner par écrit les événements dont ils ont été les témoins et/ou les acteurs pendant cette période. Il leur est notamment demandé de relater le rôle des cheminots dans la lutte menée contre l’ennemi en déroute en vue de libérer leur outil de travail et de le protéger contre les destructions de la dernière heure. Les rapports, rédigés à chaud en septembre-octobre et adressés au Centre régional de direction à Toulouse, ont été soigneusement conservés à Paris-Austerlitz par le service des archives de la Région du Sud-Ouest, jusqu’à sa suppression et à la destruction des fonds en 1986. Quelques-uns nous sont néanmoins parvenus, tel celui établi le 5 septembre par Félicien Euzière, « chef de réserve », « sur les événements qui se sont déroulés le 19 et le 20 Août 1944, journées d’évacuation à Castelnaudary [6e Arrondissement Matériel et Traction] des troupes allemandes d’occupation ». En voici la fidèle transcription. « Dans les premières heures de la soirée du 19 des signes de désarroi se manifestaient assez clairement parmi les troupes d’occupation. Je me trouvais en repos mensuel mais, en raison de l’approche d’évè-

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La gare de Castelnaudary telle qu’elle se présentait avant sa destruction par les Allemands dans la nuit du 19 au 20 août 1944. SNCF-Sardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans.

nements importants dont il était facile de deviner l’approche, je ne quittais guère mon logement que pour me rendre compte dans un court rayon du dépôt de ce qui se passait aux alentours. Le remplaçant, l’Intérimaire de Traction Feuillerat était attentif et nous restions tous deux en étroite liaison afin de parer aux difficultés que nous supposions venir assez rapidement. Vers 16 h 00 m’étant rendu à un carrefour de routes situé à quelques centaines de mètres du dépôt, j’ai vu des soldats allemands organiser un barrage complet du carrefour et confisquer à leur propriétaire, sous la menace des armes, bicyclettes et même des automobiles.

« Vers 18 h 00 les soldats Russes qui gardaient nos installations recevaient l’ordre d’évacuer le dépôt. « 19 heures - Un train blindé venant de Castres rentrait en gare1. Une équipe allemande conduisait

1- Voir Rapport de M. Aladenise, Chef de dépôt à Castres « sur les faits notables qui se sont produits à Castres au moment du départ des allemands ». « Événements survenus sur le 6e AMT depuis le début du mouvement de départ des troupes allemandes », Toulouse le 26 septembre 1944, signé l’Ingénieur CAMT. « CASTRES, Les Allemands demandent une machine 140.900 pour l’acheminement de leur train blindé. Depuis la veille, des pièces avaient été prélevées sur diverses machines et cachées. Un chauffage inexistant avait été simulé à une machine pour avoir un prétexte afin d’enlever l’essieu. Il ne restait qu’une machine 230.601 utilisable. Les Allemands l’acceptèrent mais durent fournir eux-mêmes l’équipe de conduite. Tous les cheminots allemands partirent par ce train. Il n’y eut aucune destruction. »


TÉMOIGNAGES

la machine 230.626 de Castres attelée de concert avec la machine titulaire de ce train. La 230.626 rentrait au dépôt et en ressortait après prise d’eau et nettoyage des feux. Ce train blindé a séjourné une heure environ à Castelnaudary et repartait ensuite précipitamment vers le Sud.

« 20 heures - Le chauffeur de route Izard, ffon. [faisant fonction] de surveillant de dépôt de 20 h. à 6 h. prenait son service. Il nous faisait connaître que, venant au travail, il avait été bousculé par des soldats allemands qui lui avaient volé sa bicyclette. Deux trains de troupes venant de la direction de Toulouse demandaient à débarquer à la même heure.

« 20 h. 15 - À cette heure-là commençait la destruction par explosifs d’autos, de camions, de tanks plus ou moins avariés, matériel de guerre dont les allemands se voyaient embarrassés d’amener avec eux. Ces engins étaient stationnés un peu partout : il y en avait en gare, aux abords de cette dernière dans les rues et les avenues avoisinantes, ainsi que sur les bords du canal du Midi.

« Malgré le tintamarre des explosions, le débarquement des 2 trains s’effectuait à peu près normalement lorsque arriva vers 21 heures venant de Toulouse un troisième train de troupes. Les hommes de ce train paraissaient particulièrement énervés, certains même passablement surexcités. Nous apprenions par la suite par un gradé de ce train qui parlait assez bien le français, que des partisans (c’est ainsi qu’ils appelaient la résistance) les avaient chassés de Toulouse. Aussi les choses se gâtaient complètement dès l’arrivée de ce dernier train. Le chef du convoi accompagné du chef de service de l’exploitation Durand, vint au dépôt et, en criant fort, réclamait une machine et un mécanicien pour continuer le train sur Carcassonne. L’Intérimaire Feuillerat et M. Durand passèrent à ce moment là un bien mauvais quart d’heure. Il fallut faire comprendre à ce forcené que le dépôt ne disposait plus que d’une seule machine à vapeur de faible puissance, qu’il fallait la préparer et la charger de combustible et qu’en plus il fallait aussi aller commander un mécanicien en repos chez lui. L’officier ne voulait

rien savoir, dans un français passablement écorché il proférait des injures à l’égard du personnel cheminot qu’il qualifiait de saboteur. À force de palabres et de menaces de fusillade il fut décidé d’aller chercher le mécanicien Clerc chez lui. Le commissionnaire serait accompagné par deux soldats allemands porteurs de pistolets mitrailleurs. C’est ce qui d’ailleurs fut fait. « Pendant ce temps les évènements se précipitaient. L’officier chef de convoi avait maintenant pas mal à faire pour tenir ses hommes qui débarquaient en pleine voie des choses transportables en manifestant visiblement des signes d’inquiétude. Il se prit même de querelle avec un autre officier d’un train débarqué. Un peu plus tard, cet officier fusilleur, sans doute renseigné sur les réelles difficultés qui l’attendaient sur le parcours CastelnaudaryCarcassonne, décidait et donnait ensuite l’ordre d’incendier le train en partance qui se trouvait encore à la pointe extrême des aiguilles de rentrée de gare côté Bordeaux. Vers 1 h 30 le train tout entier flambait assourdissant l’air de violentes déflagrations provoquées par les explosions de munitions diverses et de fûts d’essence. C’est dans cette ambiance de panique que commençait également la destruction de l’important dépôt de munitions des "Cheminières" situé tout proche de Castelnaudary2.

« 2 heures - Les incendies et les explosions font maintenant rage. Plus de lumière dès ce moment-là ; de temps à autre dans mon logement, secoué par les explosions, les vitres volent en éclats. Les lueurs rougeâtres et sinistres des incendies éclairent seulement les emprises de la SNCF. Le spectacle est lugubre. 2- Voir rapport de M. Andral, inspecteur s. a., sur « Les événements survenus au chemin de fer durant les journées de libération dans le ressort des 61e et 62e Sections électriques », Toulouse, 5 septembre 1944. « Vers 15 heures, le crieur public informe la population de Castelnaudary d’avoir à évacuer la ville et de se retirer en direction Nord, les Allemands devant détruire un gros dépôt de munitions entreposées au parc du château des Cheminières (2 km SE de Castelnaudary). Vers 19 h 30, les tanks parqués Allées Riquet (à 400 m de la gare) sont dynamités et font explosion. Les troupes tirent dans la nuit de nombreux coups de feu. »

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TÉMOIGNAGES

« 2 heures 30 - Une patrouille de 5 allemands dont plusieurs sont ivres fait irruption dans le dépôt. Ces soldats frappent à coups de crosse pour faire ouvrir les portes du bâtiment et même celles de mon logement. Nous finissons par comprendre qu’ils cherchent des bicyclettes pour s’enfuir. Avec pas mal de peine nous réussissons à nous débarrasser de ces intrus qui nous quittent en faisant claquer leurs armes. « 3 heures - Avec l’Intérimaire Feuillerat nous suivons l’évolution de la situation. La consigne est que chacun reste à son poste.

« 4 heures - Rien de changé. Seulement les explosions au dépôt des "Cheminières" semblent devenir plus faibles. Cependant de temps à autre on aperçoit, aux lueurs d’incendies, quelques soldats qui circulent isolément dans le chantier de la gare. Des coups de feu sont tirés. Les bruits se confondent avec le crépitement des incendies. Il en va ainsi jusqu’au petit jour.

« 7 heures 20 - Il fait maintenant grand jour. Il reste encore quelques soldats allemands en gare. Soudain une formidable explosion retentit : le bâtiment de voyageurs vient de sauter sans doute miné pendant la nuit avec un explosif de grande puissance. En même temps est incendié un groupe de wagons pleins de denrées que n’avaient pu emporter les allemands dans leur fuite. L’explosion nous a quelque peu assourdis. Au dépôt, les baies du gril de remisage des machines ont été arrachées. Les toits se sont soulevés et les tuiles ont été projetées ça et là. Des plafonds se sont effondrés et une grande partie des vitres du dépôt et de mon logement sont brisées. Déjà trois blessés au service de l’exploitation affluent à la maison où ma femme leur donne les premiers soins. Les blessures ne paraissent pas graves mais ces hommes sont ensanglantés par de multiples éclats de verre. « 9 heures - Les incendies s’atténuent. On ne signale plus qu’une trentaine d’Allemands à un carrefour de la route de Toulouse en plein cœur de la ville. « 12 heures - C’est la fin. Les derniers soldats allemands ont quitté Castelnaudary. L’on peut se rendre compte de toute l’étendue des destructions

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sans aucun motif militaire et des nombreux actes de vandalisme. « Le spectacle serre particulièrement le cœur des cheminots. Parmi ceux qui circulent à travers ces ruines on entend fréquemment ces mots : "C’est du travail de bandit".

« Bilan : 83 wagons ont été incendiés. Le bâtiment des voyageurs est à reconstruire. Un autre bâtiment englobant la consigne et les colis G.V. a été entièrement soufflé par l’explosion de la gare3.

« Telles sont les 24 heures mémorables vécues à Castelnaudary de 12 heures le 19 à 12 heures le 20 Août 1944.

« Il ne reste plus qu’à signaler la conduite exemplaire et sans défaillance des trois agents suivants : - CLERC Henri, mécanicien de route - IZARD Jules, chauffeur de route - FAURE Firmin, manœuvre. « Ces agents sont restés à leur poste au risque et péril de leur vie afin de protéger le plus possible de la destruction le matériel et les installations du dépôt. « J’ai la profonde conviction que si ce personnel avait été défaillant au cours des heures tragiques énumérées ci-dessus, les allemands en fureur auraient saccagé les machines (nous en avions 5 électriques et 3 vapeurs) et sans aucun doute également nos diverses installations. »

[Fait à CASTELNAUDARY, le 5 Septembre 1944. Le Chef de Réserve. Signé : EUZIERE]

3- Voir rapport de l’inspecteur principal, chef d’arrondissement de l’Exploitation, 5e arrondissement. Toulouse, le 21 septembre 1944. « Le 20 août à Castelnaudary. Destruction de la gare occasionnée par l’explosion de munitions et de matériel de guerre et incendie de wagons stationnant en gare et à l’entrée de la gare. Destructions provoquées par l’armée allemande. « Dégâts : BV aux ¾ détruit, magasins des colis GV entièrement détruit, avaries diverses à la halle PV, lignes caténaires rompues sur plusieurs voies, nombreux wagons brûlés en totalité ou en partie, avaries importantes à la voie, 3 agents blessés. »


TÉMOIGNAGES

Autres rapports

Un autre rapport de synthèse, adressé le même jour à Toulouse par le Chef du 5e arrondissement

Le 26 septembre 1944, l’ingénieur CAMT (chef de l’arrondissement Matériel et Traction) adresse au chef du Centre régional de direction [Girette] localisé à Toulouse une synthèse des événements survenu sur le 6e Arrondissement MT. Nous en avons extrait les éléments concernant Castelnaudary.

de la Voie, évoque également le drame de Castelnaudary. « Section de Carcassonne « Les cheminots allemands ont quitté leur service le 19 août à midi. Dans l’après-midi, les convois de troupes allemandes qui se dirigeaient vers l’Est ont été, par suite des sabotages, contraints de s’arrêter à Castelnaudary et de continuer leur retraite par route. « Comme conséquence, dans la nuit du 19 au 20, les Allemands incendièrent un train à l’amont de Castelnaudary et de nombreux wagons en gare ; 83 wagons furent ainsi brûlés. Ils firent également sauter un train de munitions, à proximité du BV, lequel fut en partie détruit. »

• Journée du 19 août « Vers 16 h, non loin de la gare, les Allemands organisent un barrage et réquisitionnent tous les moyens de transport. Vers 18 h, les Allemands gardant le dépôt reçoivent l’ordre d’évacuation. Vers 20 h 15, les Allemands commencent la destruction systématique, par explosifs, de tous les moyens de transport sur route avariés et du matériel de guerre devenu intransportable. « Vers 21 h, un train de troupes, venant de Toulouse, arrive en gare où stationnent déjà 2 autres trains. Le Chef de convoi exige une machine à vapeur (qu’il fallait préparer) et un mécanicien (que le commissionnaire, accompagné de soldats en armes, dut aller chercher). Mais les troupes du 3e train donnaient des signes d’inquiétude. Des officiers appartenant à des trains différents se prirent de querelle. Le Chef du 3e convoi, convaincu finalement que, même en traction vapeur, son train ne pourrait sans doute pas arriver jusqu’à Carcassonne n’insiste plus pour le départ. Il fait débarquer la troupe et fait incendier le train qui transportait des munitions et des fûts d’essence ». • Journée du 20 août « À 1 h 30 début de la destruction de l’important dépôt de munitions des Cheminières. À 7 h 30, destruction, par explosion, de la gare qui avait dû être minée au cours de la nuit. Dégâts au dépôt, par l’effet du souffle. En outre, 83 wagons incendiés. Pas de destructions aux machines grâce à la présence continue du personnel du dépôt. » • Journée du 22 août La croix de Lorra « Un agent découvre 6 mitrailleuses ine et le « V » de la victoire exprim la liberté retrouv ent ée pour le chef de Hotchkiss et 50 caisses de munitions dans gare d’Albi, appe témoigner tout co lé à mm e se s collègues de Ca les débris du matériel incendié. » Doc. Bruno stelna Carrière.

udary.

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ce auprès des cheminots Début 1943, la SNCF lan vols » sur la « Prévention des un concours d’affiches ent ent rés rep que u au fléa destiné à les sensibiliser Le e. vic ser en es is commis les soustractions de col eur éni ing s, eoi urg Bo é par M. 15 février, le jury, présid se à elé app est mercial, en chef au Service com son es 700 envois soumis à lqu que les sur prononcer ) ncs fra 0 00 (5 prix r le premie appréciation. Il octroie au que hni tec ur e-contrôle à Georges Forgeron, aid ins , qui a présenté pas mo rd) (No is Par à Service VB … res noi ins Ma « t rs – don de dix affiches en couleu tes tou ant ign mo te – « té mais propres », la lauréa té » (Renseignements lici pub la de s sen d’un réel 44). CF, n° 122, 25 février 19 hebdomadaires de la SN ils et histoire. Coll. Nicole Forgeron/Ra

Un appel spécial du Comité National de Solidarité des Cheminots (CNSC)

Georges Forgeron apporte un soutien régulier au Comité national de solidarité des cheminots (CNSC) pour la réalisation de ses affiches. Celles-ci sont placardées dans les différents établissements et reproduites dans les pages des Renseignements hebdomadaires de la SNCF (n° 72 et 118 des 12 février 1943 et 28 janvier 1944). SNCF-Sardo, Centre Natilonal des Archives historiques (Le Mans), VDR2430 et VDR2432. Tous droits réservés.

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PORTAIL DES ARCHIVES

Cheminot et illustrateur : Georges Forgeron (1912-1977) Bruno Carrière

Lors de notre étude consacrée aux vols de colis perpétrés par les cheminots en 1940-1944 (Les Rails de l’histoire n° 4, avril 2013), nous avions évoqué le concours d’affiches lancé par la SNCF en 1944 auprès de son personnel sur le thème de la « Prévention des vols ». Le lauréat de ce concours, dont les Renseignements hebdomadaires de la SNCF s’étaient fait l’écho, nommé Forgeron, alors aidecontrôleur technique du Service Voie et Bâtiments à Paris-Nord, était présenté comme étant doté « d’un réel sens de la publicité ». Quelques mois après la parution de cette étude, nous avons été contactés par Nicole Forgeron, sa fille, qui se proposait de nous confier les archives de son père. L’occasion pour nous de découvrir que l’œuvre de Georges Forgeron ne s’était pas limitée aux seules affiches présentées lors de ce concours. Né à Cognac (Charente) le 4 décembre 1912, Georges* Forgeron a été élevé par sa mère, son père ayant été tué à l’ennemi le 6 septembre 1914. Titulaire du certificat d’études puis du brevet, il intègre l’École des arts appliqués à l’industrie, rue Dupetit-Thouars à Paris (surnommée les « Arts-A », prononcer Zarza), où il opte pour l’atelier « dessin appliqué aux tissus et papiers peints ». Bien qu’ayant prématurément interrompu sa formation au bout d’un an, c’est dans cette branche qu’il trouve à s’employer avant d’être appelé sous les drapeaux en avril 1934, versé au 6e groupe autonome d’artillerie basé à Saint-Cloud. Le 6e GAA est une unité spécialisée dans le repérage des batteries ennemies au son ou d’après la trajectographie. Georges y est affecté en tant que trompette (musicien, il joue également du violon et du saxophone), ce qui ne l’empêche pas d’être nommé 1er canonnier.

Les quelques photographies de Georges Forgeron en notre possession (ici au premier plan avec sa sacoche) dénotent une jovialité communicative. Loin d’offusquer ses victimes, souvent ses plus proches collègues, ses caricatures étaient au contraire très demandées. Coll. Nicole Forgeron/Rails et histoire.

Renvoyé dans ses foyers en juillet 1935, il décide de changer d’orientation professionnelle et, bien que ne possédant aucune accointance cheminote, entreprend d’entrer au chemin de fer. Domicilié alors à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), c’est tout naturellement vers la Compagnie du chemin de fer du Nord qu’il se tourne. Conservé au Centre des archives multirégional SNCF de Béziers, principalement voué à la conservation des archives du personnel, son dossier précise qu’il a passé les tests d’aptitude physique et aptitude technique le 11 janvier 1937. Retenu, il fait ses premières armes * Officiellement Albert, mais Georges pour ses amis.

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au service Matériel et Traction comme expéditionnaire à La Chapelle. Sans doute las de recopier à longueur de temps les courriers destinés à l’expédition, il obtient en février 1939 d’être affecté au service Voie et Bâtiments en tant que calqueur en poste à la gare de Paris-Nord. Sa décision d’intégrer le chemin de fer, qui donne l’assurance d’un emploi stable, n’est sans doute pas étrangère à son mariage, célébré quelques mois plus tard. De son union avec Marthe, sa cadette d’un an, devait naître Jean, en 1938, et Nicole, en 1940. Mobilisé le 2 septembre 1939, la veille de la déclaration de guerre à l’Allemagne, il est envoyé comme observateur sur les avants de l’ouvrage fortifié de Latiremont, élément de la ligne Maginot situé dans le département de Meurthe-et-Moselle. Durant les quelques mois de la « drôle de guerre », à laquelle la brusque offensive allemande de mai 1940 met fin, il se fait remarquer pour ses talents artistiques, notamment auprès des officiers, friands de ses statuettes en bois sculpté et de ses portraits. Au service de la communauté, il peint également les décors de la troupe « Zatroa », qui se produit dans le cadre des matinées récréatives de l’ouvrage. Fait prisonnier le 21 juin 1940, il est retenu au « Frontstalag 160 » de Lunéville. Mis en congé de captivité le 27 août 1940 en tant qu’agent de la SNCF, il est officiellement démobilisé le 8 octobre 1941. Rendu à la vie civile, il poursuit sa carrière au sein de la SNCF. Nommé sous-inspecteur en 1960, il prend sa retraite le 1er mars 1967. Près de trente ans de loyaux services pendant lesquels, outre ses obligations purement professionnelles, il n’a cessé de faire profiter l’entreprise de ses talents artistiques, spontanément ou à la demande de sa hiérarchie. En 1957, il est cité à l’ordre de la SNCF pour avoir participé au sauvetage des victimes d’un train déraillé dont il était lui-même le passager. Il est également titulaire de la médaille de l’ordre du Mérite social (actuel ordre national du Mérite) pour son engagement auprès du Secours National et de la médaille d’argent d’honneur des chemins de fer. Il décède à Sens (Yonne) le 21 avril 1977, à 65 ans.

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Un autre talent développé par Georges Forgeron est la sculpture sur bois et la menuiserie. Il figure notamment au nombre des fournisseurs de la Maison H. Lardy, fabricant de jouets implanté à Dortan, dans l’Ain, puis à Lavancia, dans le Jura. Parmi ses réalisations, la série des « Frigolos », personnages démontables aux combinaisons multiples, à l’origine de produits dérivés tels ces bouchons. Coll. Nicole Forgeron/Rails et histoire.


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Après la guerre, Georges Forgeron est très souvent sollicité par sa hiérarchie pour participer aux opérations événementielles et commerciales de la Région du Nord. Ainsi, en novembre 1945, il est à l’origine de l’une des vitrines qui, en gare du Nord, célèbrent le centenaire de la première concession faite à la Compagnie du chemin de fer du Nord. Un journal s’en fait l’écho : « Mais le plus curieux, ce sont des personnages de carton découpés, peints avec autant d’humour que de talent par un cheminot artiste qui a fait revivre en eux d’une façon extrêmement amusante ses collègues de tous les temps dans les uniformes si pittoresques qu’ils ont portés depuis LouisPhilippe, la République de 1848, et le Second Empire jusqu’à nos jours. » Coll. Nicole Forgeron/ Rails et histoire.

Deux exemples de la contribution de Georges Forgeron à la publicité commerciale du réseau : la promotion des carnets de billets banlieue (ci-dessus) et des courts séjours à la mer (ci-contre). Comme bien souvent, les personnages croqués appartiennent à son entourage professionnel direct. Coll. Nicole Forgeron/Rails et histoire. Les Rails de l’histoire, n°7 - novembre 2014

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Une autre production publicitaire se rapporte aux « Plaisirs d’été en Île-de-France ». Cinq « tableaux » aux couleurs vives présentés sous vitrine à la gare du Nord en 1946 et « qui rappellent fort opportunément à tous ceux qui n’ont pas les moyens de faire les frais de vacances de mer, l’existence de plaisirs accessibles aux bourses modestes, à savoir un joyeux dimanche à la campagne en Ile de France » (Notre trafic, septembre 1946). Toute la famille Forgeron est présente sur le tableau reproduit ci-contre : les enfants dans et au pied de l’arbre, le père agrippé à l’appontement, la mère appliquée à nager. Coll. Nicole Forgeron/Rails et histoire.

En juillet 1947, la SNCF participe à la grande Exposition internationale de l’urbanisme et de l’habitation organisée au Grand Palais par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU). Son stand est consacré à l’effort de reconstruction du réseau et au logement des cheminots. On peut y voir notamment une maquette de la cité d’Aulnoye, « une des plus importantes et des plus réussies de l’Exposition, due d’ailleurs au talent d’un cheminot [en l’occurrence Georges Forgeron] ». R. Huchet, « Le stand SNCF à l’Exposition », Le Bâtiment à la SNCF, Revue bimestrielle de l’Association professionnelle des agents des bâtiments de la SNCF, n° 8, nov.-déc. 1947, p. 165.

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Les associations cheminotes faisaient également appel à Georges Forgeron. Ci-dessus, une affichette pour la « Famille du cheminot » publiée dans Notre Métier du 13 avril 1948…

La prévention des accidents et le respect des horaires étaient une autre de ses sources d’inspiration.

… et ci-contre l’illustration du livret-guide de l’Association touristique des cheminots édité en 1953. Coll. Nicole Forgeron/Rails et histoire.

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En prévision de l’Exposition universelle de 1900, la Compagnie de l’Ouest travaille d’arrache-pied à la réalisation de ses lignes d’accès au Champ de Mars et, au-delà, à sa gare des Invalides. Carte annexée au Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale des actionnaires du 30 mars 1899. Coll. Rails et histoire.

Ouverte en 1901, la gare du Pont-de-l’Alma était l’une des quatre « gares-pagodes » de la ligne des Invalides. Elle disparut lors de la couverture des voies pour les besoins de l’Exposition internationale de 1937. SNCF-Sardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans.

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PATRIMOINE

La gare pagode de Javel À l’heure où la SNCF apporte son appui au projet qui vise à obtenir l’organisation à Paris de l’Exposition universelle de 2025 (« ExpoFrance 2025 »), événement que la France n’a pas accueilli depuis 1900, rappelons que l’actuelle gare Javel (ligne C du RER) est un héritage vivant de cette année charnière qui, l’espace de quelques mois, a fait de Paris la capitale du monde. Marion Perot et Claude Le Breton, Arep pour SNCF Gares & Connexions

Rappel historique Partie intégrante de la ligne C du RER, la ligne des Invalides relie la gare du même nom à Versailles-Rive Gauche1. Son origine remonte à 1875, année de la concession à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest de la ligne « du pont de l’Alma aux Moulineaux et à Courbevoie » destinée à favoriser les échanges avec les établissements industriels établis le long de la rive gauche de la Seine. C’est pourtant à l’organisation des trois Expositions universelles de 1878, 1889 et 1900, sur et autour du Champ de Mars, que cette ligne, dite des Moulineaux, dut sa réalisation. Celle-ci connut donc trois grandes étapes. La première porta sur le tronçon de Grenelle au Champ de Mars, qui permit la desserte ferroviaire de l’Exposition de 1878 à partir de la Petite Ceinture (raccordement de Grenelle). La seconde étape intéressa le tronçon de Puteaux (Courbevoie) à Javel (Grenelle), qui autorisa en 1889 l’organisation d’un service de trains complémentaire entre Saint-Lazare et le Champ de Mars.

Restait à la Compagnie de l’Ouest à pousser ses voies jusqu’au pont de l’Alma. Elle se heurta alors à la Ville de Paris qui, en échange de son autorisation, exigeait la suppression des nombreux passages à niveaux qui ponctuaient la ligne depuis Javel. Cette opération impliquant de reprendre entièrement la plateforme afin d’établir les voies en tranchée, la Compagnie de l’Ouest parvint à un compromis. Contre la promesse d’un prolongement jusqu’à l’esplanade des Invalides, au-delà du pont de l’Alma donc, elle acceptait non seulement de réaliser la mise en tranchée de la ligne, mais encore d’apporter sa contribution à la construction d’un nouveau pont sur la Seine, en l’occurrence le pont Alexandre III. Les arguments en faveur d’une grande gare terminus aux Invalides étaient doubles. Il s’agissait, d’une part, de répondre au projet de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans visant à établir une nouvelle gare au quai d’Orsay, au cœur même de la capitale ; d’autre part, de disposer d’un recours en cas d’engorgement de ses gares de Saint-Lazare et

de Montparnasse. Pour ce faire, elle obtint en 1897 la concession de deux nouvelles lignes, l’une entre Issy (près Javel) et Viroflay, l’autre entre Plaisir-Grignon et Epône. La première avait pour dessein de mettre en relation la ligne des Invalides avec celles de Brest et de Granville, la seconde (branchée sur la ligne de Granville) d’ouvrir une porte en direction du Havre et de Cherbourg. C’est avec la mise en tranchée de la ligne et son prolongement vers l’esplanade des Invalides que les « gares-pagodes » apparurent. Avant les travaux, commencés en 1894, la ligne, exception faite de la halte de Javel et de la gare terminus du Champ de Mars, ne comptait intra-muros aucun autre point d’arrêt. L’ouverture le 15 avril 1900 de sa partie terminale entre le Champ de Mars et les Invalides s’accompagna de la mise en service de la nouvelle 1- Autrefois en impasse côté Invalides, elle a été prolongée en 1979 jusqu’à la gare d’Orsay afin de rejoindre la gare d’Austerlitz et assurer, au-delà, une liaison directe avec la gare de VersaillesChantiers, terminus sud de la ligne C.

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PATRIMOINE

gare des Invalides et de la transformation de la gare du Champ de Mars en simple gare de passage. Deux autres « stations » – Pont de Mirabeau et Pont de Grenelle – furent livrées au public quelques semaines plus tard, le 17 mai 1900, date de la reprise des circulations interrompues entre Javel et le Champ de Mars depuis plusieurs années par suite des travaux de mise en tranchée. Contrairement à la gare des Invalides, établie en souterrain pour respecter la perspective de l’esplanade, et à celle du Champ de Mars limitée à quelques édicules, les nouvelles stations, lancées au-dessus des voies, furent les premiers exemples des « gares-pagodes » qui firent l’originalité de la ligne des Invalides. Pour les besoins de l’Exposition, la Compagnie de l’Ouest avait été invitée à recouvrir la section nouvellement achevée, depuis le pont d’Iéna jusqu’au pont des Invalides, d’une « chape en ciment armé » pour servir d’assise aux pavillons des puissances étrangères érigés en bordure de Seine. Cette contrainte posa un problème dans le sens où, l’utilisation de la traction vapeur s’avérant dangereuse (fumées), il fallut accélérer les projets d’électrification de la ligne avec pour conséquence, lors de l’ouverture de l’Exposition, la mise en place d’un service de navettes électriques « bricolées » à la hâte entre le Champ de Mars et l’esplanade des Invalides. Ce n’est qu’une fois cette couverture

Œuvre de Juste Lisch, tout comme les « gares-pagodes », la gare des Invalides, bien qu’établie pour l’essentiel en souterrain, fut au centre d’une importante polémique, d’aucuns dénonçant une atteinte à la perspective de l’esplanade. SNCF-Sardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans.

démolie que la Compagnie de l’Ouest put étendre l’électrification des Invalides à Issy et à Meudon-Val-Fleury en 1901 et de Meudon-Val-Fleury à Viroflay Rive Droite en 1902. Dans le même temps, deux nouvelles « gares-pagodes » sont livrées au public, les stations de La Bourdonnais et du Pont de l’Alma, établies entre le Champ de Mars et l’esplanade des Invalides. Un mot ici « des » gares du Champ de Mars. La première, édifiée en 1867 pour la desserte de la première Exposition universelle tenue au Champ de Mars, eut une existence aussi éphémère que celle de la ligne de raccordement à la Ceinture (Grenelle) établie pour l’occasion. La seconde, érigée en 1878, fut maintenue en place jusqu’en 1898, date à laquelle elle fut démontée et transférée à Bois-Colombes2. La troisième, aménagée en lieu

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et place de la précédente, assura provisoirement le service de l’Exposition de 1900, accueillant notamment les trains vapeur issus de la toute récente ligne de Courcelles-Ceinture au Champ de Mars inaugurée le 12 avril3, de la ligne des Moulineaux nouvellement remaniée et, enfin, de la Ceinture. Les voyageurs souhaitant poursuivre leur chemin jusqu’à la gare des 2- Le bâtiment voyageurs d’origine y connaît de multiples usages : remplaçant un hangar démoli par une tornade il est affecté à un atelier d’entretien jusqu’en 1920, devient le terminus de la ligne électrique Paris-Saint-Lazare - Bois-Colombes de 1924 à 1936, enfin local SNCF après la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’inscrit aux Monuments historiques, il est laissé à l’abandon depuis de nombreuses années. 3- Cette nouvelle ligne était le pendant pour la Ceinture Rive Droite du raccordement de Grenelle pour la Ceinture Rive Gauche. La logique aurait voulu que le raccordement à la Ceinture RD se fît à hauteur de Javel comme pour celui de Grenelle, mais la topographie des lieux ne le permit pas.


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Invalides étaient invités à se transporter à la nouvelle gare de passage établie à proximité pour emprunter les navettes électriques. En permettant aux trains vapeur de poursuivre leur route jusqu’aux Invalides, la démolition en 1901 de la chape en ciment armé qui recouvrait les voies sonna le glas de la gare du Champs de Mars, progressivement réduite au rôle de gare marchandises. Une dernière étape fut franchie avec la décision, prise en 1934, de couvrir les voies par un tablier en béton entre l’esplanade des Invalides et le pont de Passy (actuel pont de Bir-Hakeim) pour les besoins de l’Exposition internationale de 1937. La couverture fut cette fois-ci définitive, le projet d’utiliser la nouvelle plateforme comme promenade s’étant concrétisé par la suite. Les travaux furent réalisés sans aucune interruption de trafic.

Les gares-pagodes signées Juste Lisch Paradoxalement, c’est à l’architecte de la gare de 1878, Juste Lisch (1828-1910), que la Compagnie de l’Ouest fit appel pour concevoir les gares de la ligne des Invalides. Si la gare des Invalides répondait aux critères de classicisme appliqués en 1889 à la reconstruction de la gare Saint-Lazare sur les plans du même Juste Lisch, les motifs décoratifs des « gares-pagodes » n’étaient pas sans rappeler ceux de la gare du Champ de Mars de

Une autre originalité de la ligne des Invalides était son électrification par troisième rail. Le réseau de câbles à haute tension représenté ci-contre permet de visualiser avec précision les stations desservies. RGCF août 1902/Coll. Rails et histoire.

Ouverte en 1900, la gare de passage du Champs de Mars, réduite à quelques édicules, n’avait plus rien de comparable avec son aînée, construite sur les plans de Juste Lisch pour la desserte de l’Exposition de 1878. SNCF-Sardo, Centre national des Archives historiques, Le Mans.

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1878. Juste Lisch fut également appelé à travailler à la conception de deux des stations de la ligne de Courcelles au Champ de Mars : Courcelles-Ceinture (qui entrait dans la même typologie de « gare-pagode ») et Avenue Foch (dont le classicisme se prêta à l’accueil des personnalités étrangères dont elle se fit une spécialité). Pour la gare des Invalides, et afin d’apaiser les critiques, Juste Lisch « a eu comme préoccupation principale d’édifier un monument qui ne fît point tache au milieu des constructions et du panorama qui l’entourent » (La Construction moderne). Il opte pour des installations en souterrain et, en surface, pour un bâtiment voyageurs discret inspiré de l’orangerie classique, un long bâtiment bas aux grandes arcades vitrées et à la façade en pierre. Le choix de Juste Lisch pour les stations intermédiaires (Pont Mirabeau, Pont de Grenelle, La Bourdonnais, Pont de l’Alma) est plus original. Il les conçoit selon un même modèle adapté à la topographie des lieux (ligne en tranchée) : celui d’un bâtimentpont constitué d’un corps central surélevé à structure métallique orné d’un auvent et de deux corps latéraux mis en relation avec les quais par deux escaliers. Leurs toitures légèrement recourbées et l’ornementation de l’ensemble, aux façades vitrées et au remplissage en briques colorées, rappellent la forme d’une pagode chinoise. Ce type

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À notre connaissance, la seule photographie d’époque de la gare Mirabeau (actuelle Javel) qui nous soit parvenue. Coll. Henri Dropsy.

de « pagode » a été repris sur une autre gare du réseau francilien, construite également sur les recommandations de Juste Lisch : la gare de CourcellesCeinture, aujourd’hui disparue. Il est à noter que Juste Lisch, tout en conservant le concept de la gare-pont, avait préconisé pour le corps principal des gares de La Bourdonnais et du Pont de Grenelle un type de bâtiment plus classique. La Compagnie de l’Ouest leur a préféré le type « pagode » pour des raisons qui nous échappent.

Que sont ces gares devenues ? De ces sept gares, seule subsiste aujourd’hui la gare de PontMirabeau (actuelle gare Javel) qui a conservé sa fonction originelle. Les autres ont été soit sup-

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primées (La Bourdonnais, Pont de Grenelle), soit reconstruites (Pont de l’Alma, Javel), soit déplacées (Champ-de-Mars), soit conservées et affectées à d’autres usages (Invalides.) Réduite à n’être plus qu’un terminus banlieue, la gare des Invalides offre des installations en décalage avec ses besoins. En 1936, le réseau de l’État se résout à rétrocéder à la Ville de Paris le bâtiment en surface (il abrite le Commissariat général de l’Exposition de 1937 et, depuis 1948, le terminal routier d’Air France) et une partie des sous-sols. La tranche conservée, accessible par une entrée indépendante aménagée côté quai d’Orsay, est prolongée en 1979 jusqu’à la gare d’Orsay dans le cadre de la « transversale rive gauche » (TRG).


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La station du Pont de l’Alma, qui devait originellement assurer la liaison entre les deux emplacements de l’Exposition universelle de 1900 – le Champ-deMars et le Trocadéro d’une part, le site des Grand et Petit Palais d’autre part – a été remplacée en 1937 par un bâtiment moderne lors de la couverture des voies. De la station de La Bourdonnais, il ne reste aucune trace. L’arrêt a été supprimé en 1920 car trop proche des haltes du pont de l’Alma (490 m) et du Champde-Mars (497 m). Désaffectée, elle est démolie en 1937 lors de la couverture des voies. La présence anachronique de l’ancienne gare de Champ-deMars dans un quartier résidentiel conduit à sa fermeture en 1935 et au transfert de ses activités sur les sites de Vaugirard (charbons) et de Grenelle (marchandises). Ses emprises sont, pour l’essentiel, cédées à la Ville de Paris dans la perspective de l’Exposition internationale de 1937. La station du Pont de Grenelle a subi un sort identique à celle de La Bourdonnais, pour la même raison : sa trop grande proximité avec la station Pont-Mirabeau (463 m). Ces deux stations étaient si proches qu’elles étaient reliées entre elles par un quai ininterrompu, avec pour conséquence l’arrêt des rames au milieu de ce quai ! Aussi, dès le 15 octobre 1901, la Compagnie de l’Ouest adopte-t-elle une desserte qui impose à certains trains l’arrêt à Pont de Grenelle

et à d’autres l’arrêt à Pont Mirabeau. Cet embrouillamini conduit à sa disparition en 1919. Relevant d’une typologie différente de celle des gares-pagodes, la halte de Javel était réduite à un unique bâtiment voyageurs (avec une marquise sur toute la longueur de la façade côté quai) auquel répondait un simple abri établi sur le quai d’en face. Inauguré au tout début des années 1900 en relation avec le prolongement de la ligne des Invalides sur Meudon et Viroflay Rive Droite, il avait été substitué aux installations d’origine ouvertes aux seules marchandises. Le nouvel édifice s’élevait à proximité du viaduc du Point-du-Jour sur lequel passait la Petite Ceinture. Démoli en 1961, reconstruit puis de nouveau arasé en 1996, ses emprises sont occupées depuis par l’actuelle gare BoulevardVictor. Ainsi rebaptisée en 1948, l’ancienne gare de Javel change encore de nom à deux reprises : Boulevard-Victor - Pont du Garigliano en 2006 lors de la mise en service de la ligne de tramway 3a (T3a) et Pont du Garigliano - Hôpital européen Georges-Pompidou en 2012.

En 1979, dans le cadre de la modernisation de la transversale Rive Gauche réalisée par la Division de l’Équipement de la SNCF et suite au constat de son état de vétusté général, son bâtiment voyageurs est entièrement réaménagé et restauré. Cette opération se fait avec l’accord de l’architecte des Bâtiments de France, l’édifice étant situé dans le rayon de protection du pont Mirabeau classé monument historique. Le réaménagement est réalisé avec le souci « de conserver autant que possible l’aspect caractéristique propre au bâtiment, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ». Les façades sont reconstituées presque à l’identique avec pans de fer apparents agrémentés de rivets à têtes demi-rondes, remplissage des allèges en brique rouge (décor non d’origine) et remplissage des parties supérieures en panneaux de céramique à reliefs encadrés de profilés métalliques apparents. Les consoles et rivets métalliques, les sous-faces de toiture en frises de bois peint, les menuiseries en bois peint avec les parties pleines en lambris d’assemblage sont restaurés. La couverture est refaite.

La gare de Pont Mirabeau (actuelle gare Javel)

Les murs des escaliers d’accès aux quais sont habillés en pierres appareillées, semblables à celles des murs de soutènement existant.

Rebaptisée Javel en 1948, la gare de Pont Mirabeau est la seule survivante des quatre gares de type pagode érigées en 1901.

L’intérieur du bâtiment voyageurs est réaménagé. Le sol des parties publiques est constitué d’un dallage de pierres. Les parties dégradées du revêtement en

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céramique émaillée sont remis en état. Le plafond du hall est restauré. Les poutres, consoles et poteaux sont repeints en vert. La frise décorative en briques vertes et jaunes, d’inspiration néo-grecque, est nettoyée et les menuiseries en bois repeintes en beige. Un lustre central type « lanterne classique » est placé dans le hall.

Plan de la façade sud (côté rue) de la gare de Mirabeau (actuelle Javel) dressé en 1897 par Juste Lisch. SNCF Gares & Connexions.

Le réaménagement des parties nouvelles est traité en menuiseries de bois classiques, notamment les guichets de la billetterie. Pour des raisons de sécurité, les vitrages extérieurs sont en glace feuilletée. De nouveaux sanitaires sont aménagés. Les éléments à caractère de mobilier sont d’aspect moderne notamment les panneaux d’affichage triangulaires, les sièges, les cabines téléphoniques publiques, les appareils de contrôle automatique et les distributeurs automatiques. En 1983, un projet de correspondance entre le RER C (SNCF) et la RATP est étudié afin de mettre en relation par un souterrain la gare de Javel avec la station Javel-André-Citroën (la ligne 10 du métro).

Dans la continuité du premier document, le plan de sols du bâtiment voyageurs. De part et d’autre du corps central, deux volées d’escaliers permettent l’accès aux quais établis en contrebas. SNCF Gares & Connexions.

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Des travaux d’entretien sont toutefois réalisés en 2003. Lors du diagnostic de l’état de la gare, on constate : - à l’extérieur des infiltrations dans les poteaux et les linteaux acier, la disparition ou dégradation de pieds de poteaux ornés, des descentes d’eau pluviale défectueuses, des fuites dans les chéneaux, des bavettes en zinc de protection des rives abîmées,


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Projet de restauration de la façade de la station Javel (anciennement Mirabeau) dressé en 1979 dans le cadre de la modernisation de la transversale Rive Gauche. SNCF Gares & Connexions.

La façade en 1980 après un travail de restauration mené avec le souci « de conserver autant que possible l’aspect caractéristique propre au bâtiment, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ». SNCF Gares & Connexions.

des détériorations des panneaux en brique de la façade et un affaissement de la façade côté Seine ; - à l’intérieur, conséquence d’infiltrations et de l’humidité, la rouille de certains poteaux et soubassements, la dégradation des peintures et des menuiseries en bois. La structure et l’étanchéité sont reprises suite à ces constatations, et des couches d’antirouille sont posées là où elles sont nécessaires. Aujourd’hui, l’accès principal à la gare pendant la journée se situe

sur la façade principale. À partir de 20 h 30, une entrée de nuit permet d’accéder au bâtiment des voyageurs sur la façade latérale, côté quai André-Citroën. Concernant les abris de quais de la gare du Pont de Mirabeau devenue aujourd’hui Javel, un premier projet est proposé en 1900, lors de l’édification de la gare. Il prévoit la mise en place de deux abris de quais en métal et brique, mais il n’est pas certain qu’ils aient été réalisés. Un relevé de 1937 mentionne des abris plus simples, au revêtement en

plaques de ciment amianté. En 1937, lors du relevé des murs de soutènement en vue de proposer des surfaces d’affichage pouvant intéresser la réclame, les anciens abris sommaires sont déposés et les abris actuels sont mis en place : il s’agit a priori d’abris originellement placés à la gare du pont de l’Alma et déplacés à Javel. En 1949, lors du réaménagement intérieur du bâtiment des voyageurs, on les décrit comme suit : « soubassement briques sur socle granit ; charpente et ossature fer ; châssis vitres, couverture en terrasse. »

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ACTUALITES DE RAILS ET HISTOIRE

« Voix cheminotes.

Une histoire orale des années 1930 à 1950 » Exposition sonore du 8 avril 2015 au 20 juin 2015

À la fin de l’année 2011, la SNCF a lancé un appel à témoignages auprès des cheminots et de leurs familles ayant vécu et travaillé pendant la Deuxième Guerre mondiale et a confié à Rails et histoire, dans le cadre d’une convention, le projet de collecte, de traitement scientifique et technique et de mise en ligne des entretiens oraux réalisés. Au total, ce sont plus de 700 réponses qui ont été reçues, 400 heures d’entretien qui ont été enregistrées dans toute la France et plus de 3 000 documents qui ont été recueillis. L’ensemble des 210 entretiens a été réalisé par l’équipe du Pôle Archives orales de Rails et histoire, qui travaille à la constitution de fonds patrimoniaux liés à la parole (tels que les témoignages), complémentaires des sources écrites. Les documents recueillis ont quant à eux été déposés ou donnés au Centre national des archives historiques de la SNCF (CNAH) et systématiquement numérisés. Fort du succès de cet appel, Rails et histoire souhaite maintenant porter à la connaissance du plus grand nombre les résultats de cette collecte de grande qualité et valoriser ce patrimoine à travers une exposition. Les témoignages recueillis constitueront le cœur de cette exposition, sous la forme d’extraits sonores et de montages audiovisuels. Ces témoignages seront accompagnés d’un certain nombre des documents collectés (souvent inédits) ainsi que d’objets. L’exposition sera centrée sur la vie et le travail de jeunes gens âgés de 15 à 30 ans pendant la Deuxième Guerre mondiale et dont pour beaucoup la première expérience professionnelle s’est faite à la SNCF. Cette exposition restituera une époque – les années 1930-1950 – à travers les témoignages de ces jeunes cheminots et cheminotes et contribuera à une meilleure connaissance des réalités de la

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période. Les événements, généralement racontés du point de vue national ou communautaire, sont ici ramenés à la dimension d’un être humain. Trois grands axes constitueront le cœur de l’exposition : la vie personnelle, la vie quotidienne et la vie professionnelle de nos témoins, étudiées et analysées grâce aux outils problématiques mis en œuvre en histoire culturelle, sociale et politique. Ces axes croiseront une approche chrono-thématique, qui présente la collecte et les témoins, qui rappelle le contexte des années 1930, qui donne à comprendre les faits et événements relevant de la guerre et de l’Occupation, qui en étudie les répercussions sur le groupe professionnel des cheminots, en prêtant une attention toute particulière aux singularités géographiques induites par l’existence de zones de statut différent sur le territoire français. Une place de choix sera enfin accordée aux mémoires et à leur transmission.


ACTUALITÉS DE RAILS ET HISTOIRE

Cette exposition sonore, intitulée « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 », sera ouverte gratuitement au public du 8 avril 2015 au 20 juin 2015 dans la salle d’exposition des Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine. Un livret de visite accompagnera l’exposition, ainsi qu’une page Internet sur le site Mémoire orale de l’industrie et des réseaux sur lequel peuvent déjà être écoutés une partie des témoignages recueillis, dans la collection « Vie et travail au quotidien pendant la Deuxième Guerre mondiale : mémoire et récits de cheminots ». Une journée d’étude accompagnera également l’exposition, le jeudi 28 mai 2015, afin de pouvoir faire dialoguer archives orales et mise en perspective scientifique de ces nouveaux fonds d’archives. Anne-Laure Hérout - Cécile Hochard

Pôle Archives orales de Rails et histoire Dans la volonté de promouvoir la sauvegarde et la préservation d’une mémoire professionnelle forte, Rails et histoire constitue depuis 2002 des collections d’archives orales. Cette approche rejoint la pratique de l’entretien et du récit de vie propre à différentes sciences sociales comme la sociologie, l’ethnologie, la psychologie ou les sciences cognitives. Ces collectes, réalisées auprès de témoins de l’histoire ferroviaire, sont menées par le Pôle Archives orales, composé d’une équipe pluridisciplinaire d’historiens, d’archivistes, de linguistes, de techniciens du son et de chargés de valorisation culturelle. Cette équipe travaille à la constitution de fonds sonores, à leur analyse, à leur traitement technique, à leur conservation, ainsi qu’à leur valorisation dans les domaines de la recherche, du patri-

© Médiathèque SNCF

moine et de la culture.

« Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 » Exposition sonore, du 8 avril 2015 au 20 juin 2015 INFORMATIONS PRATIQUES Entrée libre Horaires : ouverture du lundi au vendredi et certains samedis de 9 h à 16 h 45 Visites guidées sur réservation. Informations auprès de Rails et histoire : 01 58 20 51 01 Archives nationales 59 rue Guynemer - 93383 Pierrefitte-sur-Seine Cedex Accès : métro ligne 13 - Saint-Denis Université

Le site internet Mémoire orale de l’industrie et des réseaux résulte de la rencontre et du travail de trois structures : Rails et histoire, l’Institut pour l’histoire de l’aluminium et la Fondation EDF. Depuis 2007 la mutualisation de leurs moyens et de leurs compétences a permis de créer un outil qui met à disposition du public leurs collectes d’archives orales. Actuellement, sur 179 entretiens catalogués, 80 peuvent être librement écoutés sur le site, à l’adresse www.memoire-orale.org

site internet : www.archives-nationales.culture.gouv.fr

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ACTUALITES DE RAILS ET HISTOIRE

Rails et histoire, actualités ! En 2014, l’Association pour l’histoire des chemins

Mais, surtout, Rails et histoire est l’Association

histoire. Une réflexion approfondie sur les mis-

elle allie l’histoire des conflits contemporains, à

de fer a choisi une marque : elle devient Rails et

sions et la gouvernance de l’Association a été entreprise afin de répondre aux attentes des dif-

férentes communautés qu’elle réunit : la recherche scientifique ; le secteur des transports ; la société professionnelle et la culture ferroviaires.

de tous les transports par rail. En 2014 et 2015, l’occasion des célébrations nationales et des grands anniversaires de 1914 et 1944, à celle des transports publics dans les villes de France, avec un

séminaire qui aborde tous les aspects de quarante

années de tramway en France, et un programme de

Les membres de l’association sont sollicités :

recherche et d’action qui, à l’occasion du 20e anni-

de nouveau à l’ordre du jour. Notre présence sur

réunit les acteurs d’aujourd’hui pour s’interroger

groupes de travail thématiques et bénévolat sont

versaire de la liaison fixe ferroviaire transmanche,

les réseaux sociaux s’affirme, le site www.ahicf.com

avec eux sur les enseignements de cette expérience.

s’enrichit et change de visage.

Un grand événement pour 2015 Après « 1914-2014, Du pain et des liens », qui nous a tous réunis pendant trois jours sur le parvis de la gare de l’Est, inaugurant une façon toute nouvelle de transmettre l’histoire de la Grande Guerre au public, Rails et histoire organise pour la première fois en 2015 une exposition publique dans une institution culturelle nationale, et ce sera, résultat et hommage à notre activité patiente et tenace de collecte et d’exploitation des archives orales du 20e siècle, une exposition sonore : « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 ». Car si la réponse aux

Les étudiants médiateurs de l'événement "19142014, Du pain et des liens", Paris, gare de l'Est, 5-7 septembre 2014. © Rails et histoire/Clément Gosselin.

questions que se pose le temps présent passe par la constitution d’archives et de références pour l’avenir, une réflexion approfondie sur leur transmission, leur médiation et leur restitution

Ne manquez rien, suivez l’actualité

sont indispensables. Dès à présent, des visites

de Rails et histoire

réservées aux membres de Rails et histoire sont

sur www.ahicf.com

prévues, ainsi qu’aux associations profession-

et sur notre page Facebook

nelles et historiques.

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Les grands rendez-vous de Rails et histoire 1er semestre 2015

• 11 février 2015 : séminaire de Rails et histoire et de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS « Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations », Séance 9 « Le tramway, entre incertitudes et tergiversations : le projet victime du jeu des acteurs ». (sur inscription : seminaire_tramway@ahicf.com) • 19 mars 2015 : programme « Vingt années sous la Manche… et au-delà », journée d’études 1, Lille, sur le thème « Géographie et économie des transports ». (sur inscription : 20yearschunnel@ahicf.com) • Avril 2015 : Les Rails de l’histoire, Journal de Rails et histoire, n° 8. • Mercredi 8 avril 2015 : inauguration de « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 » Exposition sonore du 8 avril 2015 au 20 juin 2015 aux Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine. • Mercredi 15 avril 2015 : séminaire « Réinventer le tramway ? », Séance 10 « Les effets territoriaux du tramway : la question des commerces, de l’inclusion et de l’espace public ». (sur inscription : seminaire_tramway@ahicf.com) • Jeudi 16 avril 2015 : Assemblée générale des membres de Rails et histoire, suivie d’une conférence. • Jeudi 28 mai 2015 : journée scientifique autour de l’exposition « Voix cheminotes », aux Archives nationales, site de Pierrefitte-surSeine. • 19 juin 2015 : Journée des Étudiants de Rails et histoire. (sur inscription : contact@ahicf.com)


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