Les rails de l'histoire n°4

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Les Rails de

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Le journal de l’Association pour l’histoire des chemins de fer

• On en a parlé Aux origines du procédé UFR (1932-1949) • Entreprises Il y a 55 ans naissait Sofrerail • Espace des adhérents L’atelier d’Épernay • Il y a 70 ans Émile-André Schefer • Portail des Archives 1940-1944 - Le vol des colis à la SNCF • Patrimoine La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale • Mémoire d’entreprise Une lettre de Charles Boyaux • Actualités de l’AHICF 2012-2017 : Les chemins de fer ont une histoire

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Les grands rendez-vous de l’AHICF

 Mars 2013 : Revue d’histoire des chemins de fer, 44

(2011), « Parler de soi, écrire sa vie au travail. La pratique autobiographique des cheminots »  Avril 2013 : Les Rails de l’histoire, Journal de l’AHICF, n° 4

216 pages - 18 €

 13 septembre 2013 : journée scientifique, Archives départementales de la Sarthe, autour de l’exposition « Le Train dans la Sarthe »

ISSN : 2116-0031 Éditeur : Association pour l’histoire des chemins de fer, 9 rue du Château-Landon, 75010 Paris

 6 décembre 2013 : journée d’étude, Bordeaux (sur

Directeur de la publication : Jean-Louis Rohou

aux enjeux actuels (1938-2013) »

Rédaction : Bruno Carrière

 Novembre 2013 : Les Rails de l’histoire, Journal de l’AHICF,

Secrétariat d’édition : Marie-Noëlle Polino Ont contribué à ce numéro : Bruno Carrière Gilles Degenève Pierre Guy

inscription), « 75 ans après l’arrivée du premier train électrique reliant Paris et Bordeaux. Du patrimoine historique

n° 5  Automne 2013 : Revue d’histoire des chemins de fer, 45 (2011), articles divers

Maquette et mise en page : Isabelle Alcolea

 1er trimestre 2014 : Revue d’histoire des chemins de fer,

Impression : SNCF, SG-La Chapelle, 75018 Paris

vitesse sur rail, trente ans de grandes vitesses »

46-47 (2012), « Le rail à toute(s) vitesse(s). Deux siècles de

Avril 2013 Les Rails de l’histoire est édité par l’Association pour l’histoire des chemins de fer (AHICF), 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation par tous procédés réservés pour tous pays, conformément à la législation française en vigueur. Il est interdit de reproduire, même partiellement, la présente publication sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable des textes et illustrations qui lui ont été communiqués. Les opinions émises par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes.

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Photos de couverture : en haut, carte postale de la fin des années 1930 pour la promotion du « porte à porte » mettant en parallèle les trois principales techniques employées. La vue du milieu, qui représente une rame de wagons UFR en gare de Bercy-Râpée, a été publiée dans Le Bulletin PLM de septembre 1935. Manque à l’appel la remorque routière porte-wagon que la SNCF mettra en avant après la guerre. D.r., coll. Bruno Carrière. En bas, manœuvre d’une remorque UFR sur un wagon chargeur. Photo publiée dans L’État… notre réseau de juillet 1934. L’auteur de l’article affirme que le temps nécessaire à sa mise en place depuis le quai est d’une à deux minutes selon la place occupée. Son calage sur le wagon porteur, exécuté par deux hommes, demande quarante secondes. Coll. AHICF.

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Édito

Sommaire • On en a parlé - p. 4 Aux origines du procédé UFR (1932-1949)

Sur... les Rails de l’histoire

• Entreprises - p. 11 Il y a 55 ans naissait Sofrerail

On demande aujourd’hui à l’histoire, en ces

• Espace des adhérents - p. 22 L’atelier d’Épernay. Survol de 165 ans d’histoire

temps de crise et de réforme, de rassurer par la fourniture de précédents, de garantir des points de repère, de déterminer sur quoi sera construit l’avenir. Alors, puisque 2012 fut l’année de multiples anniversaires, prenons-les comme les marches sur lesquelles nous appuyer pour gravir les degrés de l’année 2013 : des 175 ans des chemins de fer aux 75 ans de la SNCF, en passant par les 165 ans des ateliers d’Épernay, les 55 ans de Sofrerail (devenue Systra), le souvenir d’É.-A. Schefer... Vous les retrouverez dans ce nouveau numéro des Rails de l’histoire. Mais ne nous trompons pas : des réformes, l’his-

• Il y a 70 ans - p. 25 Il y a 70 ans disparaissait Émile-André Schefer • Portail des Archives - p. 31 Entre l’enclume et le marteau. 19401944, le vol de colis par les cheminots • Patrimoine - p. 42 La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale • Mémoire d’entreprise - p. 50 En marge des 75 ans de la SNCF • Actualités de l’AHICF - p. 51 2012-2017 : Les chemins de fer ont une histoire

toire des chemins de fer en connaît environ tous les quinze ans depuis le début du xx e siècle ; le changement est de toujours, et c’est ce que nous apprend d’abord l’histoire. Il ne s’agit donc pas de rassurer, mais de comprendre et d’aider à comprendre.

Destiné à faire mieux connaître les racines, les acquis, les ressources et le développement du transport par rail depuis presque deux siècles, il

Ainsi, avec le programme « 2012-2017“ : les

s’adresse tant aux acteurs du transport qu’aux voya-

chemins de fer ont une histoire », c’est à la fois

geurs et au grand public et les emmène pendant

le sens du temps qui passe et les références qu’il

ces cinq années vers les 190 ans du train en France,

nous fournit que l’AHICF souhaite rappeler à

les 180 ans du train de voyageurs, les 175 ans de

tous ceux qui, aujourd’hui, sont concernés par les

la grande loi d’aménagement du territoire par le

chemins de fer - décideurs, exploitants, usagers.

chemin de fer.

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5Le premier brevet déposé par André Porte en 1932 préconisait, outre les deux dispositifs illustrés ci-dessus, une troisième solution faisant appel à un plateau mobile pivotant sur un axe central ou opérant une translation transversale (Coll. Bruno Carrière). Ci-dessous, démonstration d’un chargement en gare des Batignolles en juin 1934. Coll. Bruno Carrière.

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Aux origines du procédé UFR (1932-1949) Née en 1967 du rapprochement du Groupement technique des transporteurs mixtes rail-route - GTTM (technique UFR) et de la Société de traction et d’exploitation de matériel automobile - STEMA (technique Kangourou), NOVATRANS, après avoir été rachetée par la SNCF en 2009, vient d’être cédée au Groupe Charles André (GCA)1. L’occasion pour nous d’évoquer les tout débuts des remorques et wagons UFR mis au point par l’ingénieur René Porte. Bruno Carrière

Donner aux transporteurs routiers la possibilité de faire acheminer leurs véhicules par le rail, c’est le défi que s’est donné, au début des années 1930, l’ingénieur et industriel français René Porte, victime d’un accident de la route causé par un camion fou. L’idée n’était pas neuve puisque déjà expérimentée outre-Atlantique, notamment en 1926 par le Chicago North Shore and Milwaukee Railroad, mais limitée à sa plus simple expression. Déposée le 2 décembre 1932, sa demande de brevet sur les « Perfectionnements apportés aux moyens de permettre le transport de charges roulantes, notamment des véhicules, par wagons de chemin de fer » est officiellement enregistrée le 14 mars 1933. Il passe à la postérité sous le nom de « procédé UFR », par référence à la Société pour l’union des transports ferroviaires et routiers qu’il crée en 1934 avec le concours de la Compagnie française de matériel de chemins de fer (CFMCF), de la Société des transports automobiles et commerciaux (STA) et de la Société industrielle de transport automobile (SITA), et avec l’appui de la banque de Neuflize. Président directeur général de l’UFR, René Porte s’emploie à rendre opérationnel son procédé. Pour ce faire, sa société commande à l’industrie privée 75 remorques routières en bois de sa conception (de 3,6 t et 6 t de charge utile) qu’elle loue aux transporteurs. Pour leur acheminement par rail,

elle obtient des chemins de fer de l’Est et de l’État la cession « précaire », moyennant un loyer, de 40 wagons à bogies dont elle assure la transformation en wagons porteurs (25) et wagons chargeurs (15). De 18,5 m hors tampons, les wagons porteurs (du type SNCF RRlyw) peuvent recevoir cinq petites remorques ou trois grandes remorques (longues respectivement de 3,4 m et de 5,85 m). En 1935, l’UFR fait construire à ses frais 5 wagonnets chargeurs qui, placés en bout de quai, offrent une alternative aux embarquements et débarquements latéraux. En 1938, elle établira également les plans d’une passerelle mobile permettant d’opérer directement à partir de la chaussée. Les premiers transports réguliers de remorques UFR datent de 1935. Quatre relations sont disponibles au départ de Paris en direction de Lille, Strasbourg, Lyon et Marseille, et vice-versa. Le PLM inaugure son service le 1er mai 1935 à raison d’un départ tous les deux jours puis, deux semaines plus tard, d’un départ quotidien. Le trajet demande 24 heures : départ de Paris-Bercy à 23 h 29 (jour A), arrivée à Lyon-Guillotière à 23 h 49 (jour B) ; départ Lyon-Guillotière à 4 h 55 (jour A), arrivée Paris-Bercy à 6 h 15 (jour B). En fait le 1- Offre de reprise validée par le conseil d’administration de Novatrans le 26 septembre 2012, sous réserve de l’approbation (attendue au premier trimestre 2013) de l’Autorité de la concurrence française.

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trafic se limite encore pour chaque envoi à un wagon chargé de trois remorques. La tarification appliquée par les réseaux s’inspire du « tarif wagon-kilomètre » entré en vigueur en mars 1933 : la location et le transport du wagon sont facturés entre 2 francs et 4 francs le kilomètre quels que soient la nature et le poids du chargement. La coordination des transports étant au cœur de l’actualité, d’autres procédés font concurrence à celui de la Société UFR. Le 27 juin 1935, la Chambre de commerce internationale réunit à Paris-Bercy les trois matériels alors en compétition : la remorque UFR, mais aussi le wagon « amphibie » Willème-Coder, conçu de façon à pouvoir circuler aussi bien sur route que sur rail, en essai sur le Nord depuis 19332, et la remorque routière porte-wagon développée outre-Rhin par le Dr Culemeyer avec l’appui de la Reichsbahn3. D’autres prototypes de remorque tenteront par la suite de concurrencer le procédé UFR. Mais seul celui développé par la Société d’études et de réalisations mécaniques (SEREM) retiendra réellement l’attention : une remorque dont la caisse, après escamotage du train de roues arrière, vient reposer directement sur le plancher du wagon, résolvant ainsi le problème du calage tout en augmentant la hauteur de caisse. SEREM, qui dépose son brevet le 17 novembre 1937, s’associe aux Établissements CODER de Marseille-Saint-Marcel pour la construction de ce matériel.

2- C’est en septembre 1932 que les Établissements Willème de Paris, constructeurs de poids-lourds et de moteurs Diesel, et les Établissements Coder de Marseille, constructeurs de wagons et de remorques routières, ont approché la Compagnie du Nord. 3- Un ingénieur français, Léon Barthélémy, avait exposé en 1931, au Salon de l’automobile de Paris, un prototype de remorque analogue. Intéressée au projet, la Compagnie du Paris-Orléans ne lui avait pas donné de suite. L’emploi en France d’une première remorque Culemeyer remonte à 1937 (Bruno Carrière, « Quand les wagons prennent la route », La Vie du Rail, n° 2271(29 novembre 1990), p. 45-49).

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5Le matériel UFR était de deux types : fourgon métallique (en remplacement des premières remorques à structure en bois jugées trop fragiles) et citerne (photographies publicitaires diffusées par l’entreprise, en haut). Posée en rivale, la remorque SEREM-CODER (en bas), dont les roues étaient « escamotables », vit sa construction suspendue après 1945 par suite de difficultés de calage sur les wagons. Coll. Bruno Carrière.

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Partie prenante dans l’élaboration des mesures régissant la coordination rail-route, la SNCF est amenée, dès sa création, à se pencher sérieusement sur les techniques de « porte à porte » susceptibles de faire obstacle aux développements des transports routiers. Le 8 novembre 1938, l’ensemble de l’état-major de la SNCF se rend ainsi en gare de Paris-Batignolles, convié par son Service commercial à une présentation des « dispositifs de transport de domicile à domicile » : cadres, appareils de manutention, matériels rail-route dont, bien sûr, le procédé UFR. En 1939, « en vue d’obtenir une déflation des transports routiers à grande distance4 », la SNCF réfléchit au moyen d’organiser des services de transport mixtes par rail et par route. L’emploi des remorques UFR est retenu comme le moyen le plus approprié à cette fin. Mais il est impensable de laisser l’UFR maître du marché. La position de la SNCF est claire : elle fournira elle-même les remorques et les wagons adéquats aux entreprises routières qui en feront la demande. Approché, René Porte, prêt à collaborer, transmet ses conditions le 10 août 1939. Il accepte de rétrocéder à la SNCF, en l’état, les 40 wagons donnés en location et les 5 wagonnets chargeurs construits par les soins de l’UFR moyennant la somme forfaitaire de 1 030 000 francs. Cette somme, qui représente à peine les deux tiers des frais engagés par l’UFR depuis 1935 pour l’aménagement et la construction de ces matériels5, se décompose comme suit : 640 000 francs pour dédommagement des 15 wagons chargeurs (au prix unitaire de 36 000 francs) et des 5 wagonnets chargeurs (au prix unitaire de 20 000 francs) ; 150 000 francs pour compensation des 25 wagons porteurs (au prix unitaire de 6 000 francs) ; 240 000 francs pour les wagons porteurs que la SNCF jugerait bon d’équiper dans l’avenir (au prix unitaire de 6 000 francs par wagon de trois remorques, de 4 000 francs par wagon de deux remorques et de 2 000 francs par wagon d’une remorque). Une fois la somme de 1 030 000 francs atteinte et versée, la SNCF serait entièrement libre d’aménager de nouveaux wagons et de les exploiter

à sa convenance sans avoir à payer aucune autre redevance à l’UFR. La SNCF accepte la proposition de René Porte. Toutefois, compte tenu de l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, elle se voit dans l’obligation de différer le dossier. Celui-ci est repris une fois la défaite consommée. Si l’accord de 1939 réglait le sort des wagons, il avait laissé en suspens celui des 75 remorques routières qui demeurait la propriété de l’UFR. Écartant cette fois-ci toute idée de rachat, la SNCF décide l’acquisition sur ses deniers de 300 unités de ce type de matériel avec pour objectif de les revendre à crédit aux entreprises routières intéressées. Elle pense, à juste titre, pouvoir obtenir des industriels de meilleures conditions financières en groupant les commandes. À cet effet, le conseil d’administration approuve, dans sa séance du 4 décembre 1940, l’ouverture de deux crédits, l’un de 30 millions de francs pour la construction de 300 remorques de type UFR, l’autre de 6 millions pour travaux des wagons supplémentaires à équiper pour leur transport. Ne reste plus au conseil d’administration de la SNCF qu’à donner son approbation à la signature du traité à passer avec l’UFR pour la cession de ses wagons et l’exploitation des brevets qui leur sont attachés, ce qu’il fait le 19 février 1941, imputant du même coup les 1 030 000 francs réclamés en dédommagement au crédit de 6 millions déjà provisionné. La convention définitive avec l’UFR est signée le 4 mars 1941. Le choix délibéré de la SNCF en faveur du procédé UFR déclenche toutefois une polémique. Inquiets de l’intérêt croissant porté par les pouvoirs publics au transport par rail, plusieurs groupements routiers, desservis par la pénurie de carburant et de pneumatiques, tentent de freiner le mouvement en dénonçant la mise à l’écart par la société nationale 4- SNCF. Rapport sur le fonctionnement des services au cours de l’Exercice 1939, Paris, s.d., p. 32.

5- Soit exactement 1 375 770 francs, à savoir : 192 216 francs pour 3 wagons prototypes, 512 052 francs pour 25 wagons porteurs, 564 252 francs pour 15 wagons chargeurs, 106 250 francs pour 5 wagonnets chargeurs.

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du procédé SEREM-CODER. La SNCF proteste, assure avoir établi sa conviction sur la supériorité technique des remorques UFR basée sur une longue expérience et des adaptations nombreuses pour accroître leur solidité, ce dont leurs rivales, en exploitation depuis 1938 seulement, ne peuvent se prévaloir6. Elle finit par accepter un compromis et laisse au procédé SEREM-CODER un contingent de 50 véhicules qui correspond proportionnellement aux vœux exprimés par les transporteurs routiers intéressés par ce système. L’autorisation ministérielle pour la commande de 250 remorques UFR et 50 remorques SEREM-CODER intervient le 20 juin 1941. Entre-temps, la SNCF confie au Comité d’organisation professionnelle de l’industrie et du commerce du matériel de transport ferroviaire le soin de placer la commande auprès des constructeurs. Les meilleures propositions proviennent de l’UFR et de CODER. La SNCF entérine les marchés le 9 juillet 1941. À l’UFR échoit l’ensemble des remorques UFR, soit 170 fourgons métalliques à toit fixe et 36 autres à toit ouvrant, tous de 6 t de charge utile, et 44 citernes pour le transport du vin d’une capacité de 6 200 l. Ne possédant pas d’ateliers en propre, l’UFR répartit son lot entre quatre constructeurs : la Compagnie générale de construction et d’entretien de matériel de chemin de fer de Villefranche-sur-Saône (100 fourgons à toit fixe), les Établissements Lagache et Glatzmann d’Argenteuil (106 châssis de fourgon et 44 châssis de citerne), les Établissements MillionGuiet de Levallois-Perret (70 caisses de fourgons à toit fixe et 70 caisses de fourgons à toit ouvrant) et les Établissements Digard d’Aubervilliers et Pinchard-Denis de Noisy-le-Sec (44 citernes). La construction des remorques SEREM-CODER (25 fourgons de 8 t de charge utile et 25 citernes de 8 000 l à deux compartiments égaux) incombe aux ateliers des Établissements CODER implantés à Marseille au quartier Saint-Marcel. Les remorques commandées sont destinées en priorité aux transporteurs routiers ayant accepté d’abandonner une partie de leurs services longue distance au profit du rail. Pendant la guerre,

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treize entreprises passent des conventions à cet effet : contre la remise au rail d’un quota de marchandises, elles étaient assurées de recevoir un certain nombre de ces remorques (UFR ou SEREM-CODER au choix) en toute propriété – le financement était couvert pour 30 % environ par les entreprises et pour 70 % par la SNCF7 – et l’assurance de disposer des quais et des wagons nécessaires à leur chargement et à leur transport. Des avenants sont apportés par la suite pour tenir compte des éventuelles entraves à la circulation par fer et destructions de matériel imputables aux faits de guerre. La première à signer est la Société des transports automobiles du Nord (STAN), basée à Pierrefitte (Seine), propriétaire de 27 camions et de 10 remorques routières représentant un tonnage utile de 290 t et de cartes de transport lui donnant le droit d’assurer des services à la demande à travers toute la France, un statut auquel elle est prête à renoncer contre la promesse de toucher 60 remorques UFR. Conclu début 1941, l’accord est entériné par le secrétariat d’État aux Communications le 20 juin suivant : moyennant la remise de 40 remorques UFR (financées par la SNCF à hauteur de 75,7 %), la STAN s’engage à remettre à la SNCF au moins 144,5 t de marchandises par remorque et par semestre à transporter depuis Paris sur Lille, Nancy, Rouen, Le Havre, Ponts-et-Marais (Seine Inférieure) et vice-versa. En cas de non respect du contrat, la SNCF est en droit de reprendre les remorques. Parmi les autres entreprises signataires, on peut citer la Société Bourgey et Montreuil de Chambéry8 (convention approuvée le 22 septembre 1941) qui, avec 13 fourgons à toit ouvrant et 17 citernes à un compartiment, s’est engagée à fournir un trafic minimum de 160 t (par semestre et par remorque) entre Chambéry, 6- Il est dit aussi que, du fait de leur plus grande capacité, 225 remorques SEREM-CODER suffisent là où 300 remorques UFR sont nécessaires, et que la construction des 225 remorques SEREM-CODER n’exigerait que 675 t de matières contre 1 200 t pour les 300 remorques UFR.

7- Après la guerre, la SNCF limitera sa participation à un tiers du prix de vente, avant de la supprimer en 1950. 8- Société qui entrera en 1969 dans le giron de la SCETA.

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Lyon, Marseille et Paris et entre Chambéry et les centres vinicoles du Midi de la France. La pénurie de matières retarde cependant l’exécution des marchés et les livraisons s’échelonnent de 1943 à 1946. Au 31 décembre 1945, seules 163 remorques UFR et quatre remorques SEREMCODER sont à pied d’œuvre. Côté wagons, le bilan n’est guère plus brillant : faute de disponibilités, la SNCF est contrainte de réduire ses ambitions à d’anciens wagons à deux essieux de type Rzl. De construction vétuste et peu robuste, ces wagons ne peuvent emporter qu’une seule remorque, uniquement en Petite Vitesse et sans pouvoir passer par les triages à gravité. Répondant au vœu de la SNCF, le secrétariat d’État aux Communications ne donne pas moins son aval, le 30 décembre 1942, à l’acquisition de 15 nouveaux wagonnets chargeurs. Freiné par les circonstances (certaines des entreprises routières signataires n’ont reçu aucune remorque pendant la guerre), le trafic rail-route par remorques connaît une vive reprise au lendemain de la Libération, passant de 16 400 t en 1945 à 39 300 t en 1946, les contingents les plus importants étant représentés par les vins et spiritueux (6 039 t), les papiers et cartons (1 810 t), la verrerie (1 422 t), les eaux minérales, le mobilier, les accumulateurs, le caoutchouc. À cette date, seules sept gares sont dotées de chantiers de chargement-déchargement spécifiques : Paris-La Villette, Nancy, Chaumont, Paris-La Chapelle, Lille-Saint-Sauveur, Paris-Batignolles, Le Havre. En prévision de cette reprise, la SNCF n’a pas hésité, dès l’été 1945, bien avant donc la livraison complète des commandes de 1941, à réclamer la construction d’une nouvelle tranche de 350 remorques routières, puis, à l’hiver 1945, de 200 wagons porteurs. À trois essieux, longs de 12 m et pouvant recevoir deux remorques de 10 t chacune, ces wagons sont destinés à entrer dans la composition des trains à Grande Vitesse et à passer par les triages à gravité. Confirmés en 1946, les deux programmes prennent en compte les procédés UFR (320 remorques, 175 wagons) et

CEREM-CODER (30 remorques, 25 wagons). En fait seuls les matériels UFR seront effectivement livrés : en 1947-1949 pour les remorques, en 1948 pour les wagons9. Le renoncement définitif au système CEREM-CODER est le résultat des ajustements techniques qu’il a fallu apporter à ce matériel comme l’avait craint la SNCF en 1941. L’avantage annoncé était de n’exiger aucun aménagement spécifique des wagons porteurs. Or, afin d’éviter aux remorques de riper au cours du transport, les wagons avaient dû très vite être dotés d’une sorte de « berceau » dont la mise en place et l’enlèvement exigeait un long travail. Couplé à la fragilité des caisses, notamment celle de leur système d’escamotage des roues, cet inconvénient devint rédhibitoire pour la SNCF d’autant que les Établissements CODER se refusaient à tous travaux d’amélioration. Dès le 1er octobre 1945, à la faveur de la mise en service d’un nouveau service de trains de messageries, un premier contingent de remorques UFR fait l’objet d’essais d’acheminement accéléré sur certaines relations (Paris-Lyon, Paris-Marseille, Paris-Bordeaux, Paris-Lille, notamment), avant même donc l’application officielle, au 1er janvier 1946, du régime accéléré (RA) à cette catégorie de matériels. Mais il faut attendre la livraison, en 1948, des wagons commandés deux ans plus tôt, pour que l’ensemble des remorques puisse bénéficier pleinement de cette mesure. À partir du 1er août 1948, la totalité des wagons porteurs (362 destinés au transport des remorques UFR et 50 à celui des remorques SEREMCODER), des wagons chargeurs (13), des wagonnets chargeurs (20) et des dispositifs semi-fixes (38) est versée au parc sud-est, leur entretien étant assuré par les ateliers de wagons de VilleneuveSaint-Georges (UFR) et de Marseille-Prado (CODER).

9- Pour parer au plus pressé, la SNCF avait procédé en 1946 à la transformation de 207 wagons plats de son parc.

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Le 5 octobre 1948, la SNCF inaugure à Ivry-surSeine la gare rail-route de Champ-Dauphin où sont désormais concentrés tous les départs et arrivées de remorques à destination ou en provenance des Régions Méditerranée, Sud-Est et Sud-Ouest. Cette cérémonie précède de peu la grande exposition du « porte à porte » tenue en gare de ParisBatignolles du 11 au 16 octobre. Compte tenu de leur nombre encore limité, les remorques rail-route doivent tourner rapidement suivant un programme établi à l’avance. De plus, chaque gare expéditrice ou destinataire se doit de disposer de tracteurs routiers pour assurer les camionnages terminaux. En effet, à défaut de disposer de leurs propres tracteurs, les entreprises s’adressent à des tractionnaires indépendants, certains s’étant spécialisés dans cette prestation, telle, à Paris, la Société auxiliaire parisienne du transport mixte rail-route. Une telle organisation sortant du cadre normal de ses services de gare et de correspondance à domicile, la SNCF encourage la création de structures adéquates : en 1947, du Groupement technique des transporteurs mixtes rail-route (GTTM), association régie par la loi de 1901, qui réunit autour de leur président-fondateur René Mazeaud (1911-1986) des groupeurs, commissionnaires et transporteurs routiers et dont les correspondants locaux jouent un rôle à la fois commercial (rapport avec la clientèle) et technique (réception des remorques et wagons, surveillance et entretien des agrès) ; en 1949, de la Société française pour le développement du transport mixte rail-route (SOFRAMIXTE), société anonyme dont le capital est détenu en grande majorité par plus d’une centaine de transporteurs, qui gère le parc des wagons UFR (surveillance, entretien, répartition) que la SNCF lui donne en location10.

10- Par la suite, la SOFRAMIXTE géra également le parc de wagons UFR constitué par la SCETA. Elle se chargea aussi du financement des achats de matériel, ce qui la conduisit à posséder ses propres wagons UFR.

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Au 31 décembre 1949, 653 remorques et 382 wagons porteurs sont en exploitation. 41 gares sont équipées de chantiers de chargement et de déchargements. Le tonnage transporté s’élève à 158 000 t (contre 59 500 t en 1947 et 91 000 t en 1948). Dans 90 % des cas, la durée des acheminements par voie ferrée est équivalente, sinon inférieure à celle du camion routier. De plus, une régularité quasi parfaite est obtenue puisque les acheminements prévus sont respectés dans 97 % des cas. Bien que desservie par une charge maximum de 17 t, très en deçà de celle des véhicules routiers gros porteurs qui peut atteindre 24 t, la technique UFR connaît une croissance continue jusqu’en 1968, date à laquelle le nombre de remorques en circulation commence à s’éroder (2 640 en 1968, 2 490 en 1969). Ce déclin s’explique notamment par la montée en puissance, depuis 1959, de la technique Kangourou qui, faisant appel à des wagons dotés d’une poche dans laquelle viennent se loger les roues de la semi-remorque, sont aptes à accueillir les éléments routiers les plus importants. Il s’accélère avec la décision prise en 1971 par NOVATRANS, société chargée depuis de 1966 de l’exploitation des deux techniques, d’abandonner la manutention par tracteur spécialisé au profit de la manutention verticale. La dernière remorque UFR en exploitation disparaît en 1983.

Cette étude s’appuie sur l’exploitation de dossiers mis en ligne par le Centre des Archives historiques SNCF (CAH) du Mans sous les cotes : 505LM 35-3 (conventions transporteurs), 505LM 249-12 (brevets UFR), 505LM 250-1 à 11 (achats matériels). Le versement 505LM est composé des dossiers documentaires constitués par le secrétariat du conseil d’administration de la SNCF entre 1938 et 1980.

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Il y a 55 ans naissait Sofrerail Le 1er juillet 2012, la SNCF et la RATP ont mis le point final à la refondation de Systra qui, née en 1991 du rapprochement de la Sofrerail et de la Sofretu, leurs deux filiales d’ingénierie, avait fait l’objet de leur part, depuis 2004, d’une âpre lutte d’influence. Nous revenons ici aux sources de l’assistance technique de la SNCF aux chemins de fer étrangers et à la création, en 1957, de Sofrerail. Bruno Carrière Le 18 avril 1956, Charles Boyaux, directeur général de la SNCF, donne lecture aux membres du conseil d’administration d’une note sur l’assistance technique apportée par la SNCF aux chemins de fer étrangers (reproduite page suivante). À peine plus d’un an plus tard, le 5 juin 1957, Louis Armand, président de la SNCF, avise le même conseil d’administration de la nécessité de constituer, sous l’égide des pouvoirs publics et avec l’aide de divers établissements bancaires, une société susceptible de répondre aux sollicitations de ce type. Fixé à 55 millions de francs, le capital de cette société, qui répondrait au nom de « Société française d’études et de réalisations ferroviaires » (Sofrerail), serait couvert par la SNCF à hauteur de 18,5 millions de francs, soit un peu plus du tiers. Proposition à laquelle les membres du conseil souscrivent. La nouvelle entité voit le jour dès le lendemain. Cette création répond à la lettre du 27 mai 1957 par laquelle Paul Ramadier, ministre des Affaires économiques et financières, attire

l’attention d’Edouard Bonnefous, son homologue aux Travaux publics, aux Transports et au Tourisme, sur l’intérêt que présenterait pour l’économie française la création, avec le concours de la SNCF, d’une société qui pourrait entreprendre des études de construction et de modernisation de lignes de chemins de fer à l’étranger. La Sofrerail fait suite à la Sofremines / Société française d’études minières (1955) et précède la Sofrelec / Société française d’études et de réalisations d’équipements électriques (1959). Le 22 juin 1959, Armand Porchez, premier président directeur général de Sofrerail, et par ailleurs directeur général adjoint de la SNCF, revient, devant un parterre de journalistes de la presse technique et industrielle réunis au Centre national du commerce extérieur de la France, sur la caractéristique des « Sofre » : sociétés d’« engineering » qui, issues de structures nationales (Charbonnages de France, SNCF, EDF) et rompues aux critères de l’intérêt général, savent conserver leur indépen-

dance à l’égard des constructeurs et entrepreneurs tout en profitant de la souplesse de fonctionnement propre à leur nouveau statut d’entreprise privée. Sofrerail se présente comme la détentrice des techniques mises au point par la SNCF avec laquelle elle reste en liaison étroite, comme en témoignent les nombreux cheminots détachés dans ses bureaux d’études1.. Les domaines pour lesquels Sofrerail est en mesure d’offrir son concours aux réseaux étrangers sont variés : étude économique, étude commerciale, étude complète de grands projets, contrôle d’exécution et expertise technique, organisation et gestion des activités ferroviaires, organisation et gestion administrative et financière, organisation et formation du personnel enfin.

1- En 1958, Sofrerail propose aux fonctionnaires supérieurs de la SNCF proches de la retraite des missions de moyenne et longue durée auprès de réseaux étrangers au titre d’ingénieurs-conseils.

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Note de Charles Boyaux, directeur général de la SNCF, sur l’assistance technique de la SNCF aux chemins de fer étrangers, 18 avril 1956

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Je crois devoir attirer, en quelques mots, 1’attention du Conseil sur le rôle de plus en plus important d’assistant ou de conseiller technique que joue la S.N.C.F. auprès des Administrations de Chemins de fer ou auprès des pays étrangers. Le prestige considérable dont elle jouit actuellement à l’étranger attire un flot sans cesse croissant de personnalités qui désirent étudier sur place son équipement et son organisation. Toutes ces visites ne sont pas systématiquement centralisées par la Direction Générale, de sorte que cette dernière ne connaît pas exactement le nombre des techniciens que la SNCF accueille chaque année, mais le Service des Études Générales de la Direction Générale a reçu pour chacune des deux années 1954 et 1955 plus de 200 visiteurs et il semble bien que, pour les 6 premiers mois de 1956, le nombre de ces visites sera proche de 400. Les experts ferroviaires reçus au cours de ces deux dernières années ressortissent à 52 pays : Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Bolivie, Brésil, Birmanie, Canada, Ceylan, Chili, Chine, Colombie, Cuba, Cambodge, Danemark, Egypte, Équateur, Espagne, EtatsUnis, Grèce, Haïti, Hongrie, Indes, Indonésie, Iran, Japon, Liban, Madagascar, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande,

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Pakistan, Portugal, Rhodésie, Royaume-Uni, Sarre, Salvador, Soudan, Suisse, Suède, Syrie, Tchécoslovaquie, Tasmanie, Thaïlande, Turquie, URSS, Uruguay, Venezuela, Viêt-Nam et Yougoslavie. Parmi les personnalités les plus marquantes figurent : le SousSecrétaire d’État aux Travaux Publics de la République d’Argentine, le Directeur Général des Chemins de Colombie, le Président des Chemins de fer de Cuba, le Directeur Général des Chemins de fer du Cambodge, le Secrétaire Général des Chemins de fer d’Egypte, le Ministre des Communications d’Indonésie, le Président-Directeur Général des Chemins de fer du Japon, le Vice-Président du Conseil de Rhodésie, le Président de la Haute Commission de Contrôle des Chemins de fer de Turquie, le Ministre des Communications du Venezuela, un membre du Conseil d’Administration des Chemins de fer des Indes et le Directeur Général des Chemins de fer au Ministère des Transports du Pakistan. A l’heure même où je vous présente cet exposé, 70 visiteurs admis à faire un stage parcourent la S.N.C.F. ; ils comptent 20 hauts fonctionnaires membres du Conseil de productivité des Chemins de fer britanniques, 17 Ingénieurs des Chemins de fer allemands, 10 Ingénieurs des Chemins de fer russes spé-

cialistes des questions d’électrification, 4 hauts fonctionnaires des Chemins de fer thaïlandais, 6 Ingénieurs des Chemins de fer Yougoslaves, un Ingénieur des Chemins de fer vénézuéliens, 7 techniciens et Ingénieurs des Chemins de fer du Viêt-Nam, 5 représentants des Chemins de fer turcs et un certain nombre d’agents de Chemins de fer de la France d’Outre-mer. Ce rôle de conseiller technique ne se limite d’ailleurs pas à l’organisation de visites d’installations et de tournées d’étude ; la S.N.C.F. a, en effet, à cœur de répondre à l’appel qui est de plus en plus fréquemment adressé à ses techniciens pour des missions à l’étranger en qualité d’experts. Ces missions sont organisées sous l’égide des Nations Unies, de la Banque Internationale pour la reconstruction et du Ministère des Affaires Etrangères sur la demande des Gouvernements ou des Chemins de fer intéressés. C’est ainsi que nous avons envoyé au Vénézuéla M. DINE, Ingénieur en Chef de la Région Sud-Est, en Turquie M. VAUBOURDOLLE, Chef adjoint de la Direction des Installations Fixes, aux Indes et au Pakistan M. PALME, Chef de la Subdivision des Rails, en Australie, Nouvelle-Zélande et aux Indes M. NOUVION, Ingénieur en Chef à la Division des Études de Traction électrique,

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en Argentine, en Equateur, au Venezuela, au Mexique, à Cuba, en Mauritanie, M. FIOC, Ingénieur Principal aux Etudes Générales, au Mexique M. BEYNET, Ingénieur Principal à la Direction du Personnel et M. MICAUD, Ingénieur Principal à la Région Ouest, au Liban M. de FONTGALLAND, Ingénieur aux Études Générales, en Iran M. EPALLE, Ingénieur à la Direction Méditerranée, en Thaïlande M. PALLIER, Ingénieur à la Région Ouest, et, en Amérique du Sud M. TESSIER, Ingénieur à la Division des Éudes de Traction électrique. Enfin, de nouvelles missions seront très prochainement organisées pour l’Amérique du Sud – le Brésil en particulier – et les Indes. La S.N.C.F. remplit bien volontiers ce rôle d’assistant technique auprès des pays étrangers, non pas dans son intérêt propre, mais dans l’intérêt général de l’économie française. Elle a, en effet, assumé de ce fait un rôle d’exposant permanent et de promoteur des techniques ferroviaires au bénéfice exclusif des industries et entreprises françaises constructrices et exportatrices de matériel et d’équipement ferroviaires. Évidemment, ce rôle entraîne quelques charges. Sur le plan financier direct, ces charges ne s’avèrent pas considérables, du fait que les salaires et charges sociales intéressant les agents

5Les retombées attendues de l’étude de l’électrification des chemins de fer indiens (qui fait la une de La Vie du rail en mai 1961), diligentée Fernand Nouvion en 1956, ont beaucoup pesé sur la création de Sofrerail. AHICF/Fonds F. Nouvion.

que nous envoyons à l’étranger sont généralement remboursés. Par contre, les réceptions des visiteurs et l’accompagnement des missions s’effectuent sans aucune compensation. Or, le temps qui leur est consacré est considérable, puisque nous estimons qu’il exige à longueur d’année la présence et absorbe l’activité d’une dizaine de fonctionnaires supérieurs. Et encore cet effort en vue de propager dans le monde la technique française est-il parfois quelque peu freiné par la limitation des effectifs de cadres supérieurs de

la S.N.C.F., alors que d’autres pays – l’Allemagne par exemple – pour gagner les marchés étrangers envoient des missions extrêmement étoffées qui servent de commis voyageurs à leurs industries nationales. Pour être servie par des moyens plus modestes, l’action menée par la S.N.C,F. n’en est pas moins très efficace et c’est précisément en raison de l’importance de cette action et de l’effort qu’elle demande à ses Ingénieurs que j’ai tenu à en informer le Conseil.

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1957-2012. De Sofrerail à Systra bis 6 juin 1957 : création de Sofrerail / Société française d’études et de réalisations ferroviaires par la SNCF et plusieurs banques (Union des mines, Banque de Paris et des Pays-Bas, Crédit lyonnais, BFCE, Banque de l’union parisienne, Worms et Cie, Lambert et Cie).

et à directoire, détenue à 72 % par la RATP et la SNCF et à 28 % par un groupe de banques3, dont la Sofrerail et la Sofretu deviennent des filiales.

6 mars 1961 : création de Sofretu2 / Société française d’études et de réalisations de transports urbains par la RATP et plusieurs banques (Union des mines, Banque de Paris et des Pays-Bas, Crédit lyonnais, BFCE, Société générale, Worms et Cie, Banque de l’Indochine, Sofibanque Hoskier, Comptoir national d’escompte de Paris, BNCI).

1993 : Sofretu acquiert l’entité britannique MVA Group.

1963 : premier rapprochement informel de la Sofrerail et de la Sofretu dans le cadre de la Compagnie française pour la diffusion des techniques qui réunit plusieurs « Sofre » sous la présidence d’Antoine Pinay. 1985 : Sofretu se dote d’une filiale aux États-Unis : LS Transit Systems / LSTS. 1989 : Sofrerail se dote d’une filiale aux États-Unis : Rail Transportation System / RTS. 1990 : Sofrerail crée Ingerail en France et Canarail au Canada. 1er mars 1990 : la SNCF et la RATP décident de coopérer, et de mettre ainsi un terme à la concurrence qu’elles commençaient à se livrer sur les marchés étrangers, en réunissant au sein d’un groupement d’intérêt économique (GIE) leurs deux filiales d’ingénierie aux côtés de sociétés de consultants et d’ingénierie basées dans divers pays d’Europe et d’Amérique. Juillet 1991 : rapprochement effectif de la Sofrerail (filiale à 60,5 % de la SNCF) et de la Sofretu (filiale à 77 % de la RATP) qui conserveront au sein de la holding Systra (pour SYStèmes de TRAnsport) la spécificité de leurs cultures techniques respectives : ingénierie ferroviaire interurbaine pour la première, ingénierie des transports urbains pour la seconde. Octobre 1991 : regroupement dans les mêmes locaux au 5, avenue du Coq, Paris 9e. 17 juin 1992 : création de la société holding « Financière Systra », société à conseil de surveillance

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1er mars 1993 : mise en place de la nouvelle organisation.

Avril 1995 : la holding SYSTRA SA, qui contrôle Sofrerail et Sofretu et leurs filiales respectives aux États-Unis, au Canada, en Angleterre et en Espagne, prend le nom de Groupe Systra SA. Novembre 1995 : fusion juridique de la Sofrerail et de la Sofretu sous le nom de Systra-Sofretu-Sofrerail qui devient une des trois composantes du Groupe Systra SA avec : • Systra USA Inc qui regroupe depuis le début de 1995 les filiales américaines de Sofrerail (RTS) et de Sofretu (LSTS) ; • MVA Group, basé en Grande-Bretagne, à Hong-Kong et en Malaisie.

Juin 1997 : Systra-Sofretu-Sofrerail s’appelle désormais Systra. La SNCF se dote de structures d’ingénierie annexes : • 1997 : Arep

• 1998 : direction de l’Ingénierie

• 1999 : SNCF International.

2004 : amenées à s’affronter sur leurs anciens prés carrés respectifs, la SNCF et la RATP, par la voix de leurs dirigeants, demandent la dissolution de Systra et le rapatriement des actifs et des effectifs qu’elles y ont placés. 20 septembre 2005 : rapport de Jean-Noël Chapulut et Jean Durand, ingénieurs généraux des Ponts et Chaussées, sur « l’ingénierie des infrastructures de transport et de génie civil » établi à la demande du secrétariat d’État aux Transports ; s’oppose à l’éclatement de Systra en raison des conséquences que cette dissolution aurait sur le potentiel d’exportations françaises. 22 mars 2006 : la RATP fonde en conséquence Xelis.

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1er février 2007 : la SNCF crée Inexia. Ces deux nouvelles filiales d’ingénierie sont appelées à entrer en concurrence avec Systra. Décembre 2009 : la SNCF propose de regrouper les filiales d’ingénierie ferroviaire Inexia, Arep et SNCF International, d’une part, et Xelis d’autre part, dans Systra, par l’ajout des chiffres d’affaires et des participations correspondants : • SNCF = 126 M€ Systra4 + 85 M€ Inexia + 43 M€ Arep + 18 M€ SNCF International = 191 M€ • RATP = 126 M€ Systra + 13 M€ Xelis = 58 M€. La SNCF prendrait ainsi le contrôle de Systra, la RATP restant deuxième actionnaire. Mars 2010 : la RATP, qui a refusé ce projet en arguant du fait que le transport urbain représente 70 % du chiffre d’affaires de Systra, fait une contre-proposition. 24 Juillet 2010 : Jean-François Bénard, procureur général de la Cour des comptes, directeur général de la SNCF de 1992 à 1996 et de RFF de 2000 à 2002, désigné par le gouvernement pour examiner les propositions de la SNCF et de la RATP, rend un rapport dont les conclusions en faveur de la RATP sont rejetées par la plupart des acteurs du secteur, excepté RFF. 29 juillet 2010 : lettre de la RATP au secrétaire d’État aux Transports portant notamment sur le rachat par la RATP des parts de la SNCF dans Systra et sur la fusion de Systra et de Xelis, cela afin de permettre à Systra de se spécialiser uniquement dans le transport urbain. Octobre 2010 : rapport du cabinet Roland Berger commandité par l’Agence des participations de l’État en réaction au rapport Bénard ; la solution préconisée est proche de celle de la SNCF : maintien des deux groupes publics au capital de Systra, chacun apportant à l’entreprise ses autres filiales spécialisées. 28 octobre 2010 : la SNCF et la RATP annoncent leur volonté de refonder leur alliance dans le groupe Systra, la Régie obtenant de rester à parité au sein de Systra alors que le scénario initial de la SNCF diluait considérablement son apport. Cette décision conduit la SNCF à exclure Arep et SNCF International du projet final.

30 juin 2011 : première étape de refondation par l’absorption de la holding Financière Systra par Systra SA (avec effet rétroactif au 1er janvier 2011), le transfert du contrôle de Xelis et d’Inexia et de 49 % de leur capital respectif5, et le changement de gouvernance de Systra SA pour passer en société anonyme à conseil de surveillance (présidé par Pierre Mongin, président de la RATP, Guillaume Pepy, président de la SNCF, assurant la vice-présidence, une inversion des rôles étant prévue tous les deux ans) et directoire (Pierre Verzat, président). 1er juillet 2012 : fusion par absorption au sein de Systra SA de Inexia et de Xelis, en avance de six mois sur le calendrier prévisionnel. 3 décembre 2012 : installation de Systra SA dans son nouveau siège social aux 72-76, rue Henry-Farman, Paris 15e. SA gère aujourd’hui plus de 3 000 contrats. Présent dans 150 pays et 350 villes, il s’affirme comme le n° 1 du marché français de l’ingénierie des transports publics (avec un leadership incontesté dans les domaines de la grande vitesse, de la rénovation de réseaux ferroviaires, du métro automatique et des ouvrages souterrains en milieu urbain complexe) et le n° 2 mondial en ingénierie des transports ferroviaires et urbains à l’international. Il s’appuie sur 3 400 collaborateurs, dont plus de la moitié dans le monde. Son capital est détenu conjointement par la SNCF (36 %), la RATP (36 %) et diverses banques (28 %) ; la cession de 5 % aux salariés est à l’étude. Chiffre d’affaires en 2011 : 416 millions d’euros.

2- À l’origine Sofre-Transports urbains. L’utilisation du nom de Sofretu n’apparaît qu’à la fin des années 1960.

3- En 1997, le capital se répartit pour 70,5 % entre la SNCF et la RATP, pour 28 % entre diverses banques (Indosuez, Crédit lyonnais, Paribas, BFCE, Crédit du Nord, Compagnie financière CIC et Union européenne, Société générale, BNP) et pour 1,5 % entre les Chemins de fer italiens (Ferrovie dello Stato). À cette date, le Groupe Systra SA possède également une participation de 24,5 % dans Tifsa, filiale d’ingénierie des chemins de fer espagnols (Renfe). 4- La SNCF et la RATP possèdent chacune 35,85 % du capital de Systra. 5- Systra SA devient actionnaire à 100 % d’Inexia et de Xelis le 3 janvier 2012.

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5Croqué en 1860, dix ans après la construction des premiers bâtiments, le site des ateliers d’Épernay, reconnaissable à ses deux rotondes élevées en 1851 et 1856, reflète déjà tout l’intérêt que lui porte la Compagnie de l’Est. La photographie date, elle, de 1859.  Coll. Pierre Guy.

Âgé de 64 ans, Pierre Guy est entré à la SNCF en 1963 comme apprenti aux ateliers d’Épernay (mécanicien d’entretien). Il en est sorti en 2003 en tant qu’ingénieur de maintenance du matériel hors classe (division des locomotives de la direction du Matériel). Retraité très actif (militant d’Amnesty International, randonneur, photographe), il s’est intéressé à l’histoire des ateliers et de la ville d’Épernay, matière à divers articles et conférences. Il termine une histoire des ateliers (300 pages, 500 illustrations) qui fait l’objet d’une souscription et sera publiée en mai 2013. Il est membre de l’AHICF depuis 2007.

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L'Atelier d'Épernay Survol de 165 ans d’histoire Le site industriel des ateliers d’Épernay va s’éteindre prochainement. Il s’agit d’un établissement unique : au cours de ses cent soixante-cinq années d’existence, le grand Atelier du chemin de fer de l’Est aura été tour à tour le plus important constructeur puis « metteur au point » de locomotives à vapeur de France. Durant l’ère moderne, il se sera reconverti deux fois : en atelier réparateur de locomotives Diesel puis en établissement directeur de séries de locomotives électriques. La ville d’Épernay doit son essor économique à cette présence cheminote qui l’a emporté longtemps sur le négoce du champagne sur lequel repose désormais sa renommée. Pierre Guy En 1844, Épernay est une petite bourgade provinciale de 6 200 âmes, le creuset d’une petite bourgeoisie rurale toute dévouée à Louis-Philippe. Il faut alors 36 heures de diligence aux personnes pour rallier la capitale. Quant aux marchandises, principalement les vins effervescents et le bois, elles empruntent le cours de la Marne, cependant fort ombrageux. La construction du chemin de fer de Paris à la frontière allemande est un véritable ballon d’oxygène pour la ville et sa région. Autorisée par la loi du 2 août 1844, elle est concédée par adjudication le 25 novembre 1845 au général Despans de Cubières et consorts, à l’origine de la constitution, le 15 décembre de la même année, de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg. L’exploitation de la ligne, commencée le 5 juillet 1849 jusqu’à Meaux, est poussée le 21 août suivant jusqu’ Épernay.

insurgés en province » et à empêcher que ne grossisse dans la capitale « la masse d’ouvriers révolutionnaires organisés et décidés »1 (voir encadré). Sur le papier, les ateliers d’Épernay se composaient d’une rotonde « entière » pour les locomotives, de deux grands bâtiments pour les voitures ou wagons en réparation (avec bureaux et magasins), de deux autres bâtiments pour les forges et les ateliers de chaudronnerie, d’un atelier de montage et, enfin, d’un grand bâtiment pour les tours et l’outillage.

Sans la Révolution de 1848, Épernay n’aurait sans doute été qu’un centre ferroviaire de seconde importance. En effet, les plans primitifs de la com- 5L’atelier de montage des locomotives en 1903. pagnie prévoyaient de concentrer dépôt et ateliers Coll. Pierre Guy. dans le prolongement de sa gare tête de ligne et à proximité immédiate de Paris, à l’exemple des Leur construction incombait à l’État mais, au Compagnies de Saint-Germain et de Versailles moment de l’arrivée du chemin de fer à Épernay, RD aux Batignolles, de la Compagnie d’Orléans au dire même de la compagnie, rien n’avait été à Ivry et de la Compagnie du Nord à La Chapelle. encore fait hormis quelques baraquements. C’est Le rôle tenu par les cheminots lors des Journées de donc dans l’urgence que la compagnie avait obtenu Juin, notamment par les ouvriers des ateliers de La d’entreprendre elle-même les travaux, à charge Chapelle, devait toutefois inciter le gouvernement du général Cavaignac à imposer « le départ des 1- Jean Dautry, 1848 et la IIe République, Paris, Éditions sociales, 1957. Les Rails de l’histoire, n° 4 - avril 2013

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pour l’État de lui rembourser les sommes investies, engagement à moitié tenu. En avril 1850, seules les deux grandes remises pour les voitures et wagons étaient disponibles. Les autres bâtiments ne sont achevés qu’à l’été 1851. Une seconde rotonde sort de terre en 1856, identique à son aînée mais construite à l’économie : remplacement des colonnes en fonte par des poteaux en chêne, substitution de gouttières en zinc aux chéneaux en fonte. Jusque vers 1855, les ateliers assurent l’essentiel des réparations des locomotives et des wagons du réseau naissant et usinent les pièces détachées nécessaires. Épernay vit et grandit dès lors au rythme de leur développement. Et c’est en vain qu’Auguste Perdonnet, membre du comité de direction de la compagnie, milite pour que lui soit substituée Bar-le-Duc, jugée plus au centre du futur réseau. Une raison plus matérielle guidait Perdonnet : le prix des terrains et des matériaux, bien plus élevé à Épernay qu’à Bar-le-Duc. Qui dit ateliers, dit besoins importants en maind’œuvre qualifiée. Avec le chemin de fer, Épernay voit donc arriver progressivement de Paris des hommes robustes, souvent célibataires, embauchés à des salaires supérieurs (calculés sur la base des barèmes parisiens) à ceux pratiqués localement, imprégnés des accents révolutionnaires de PierreJean de Béranger et Pierre Dupont, forts en gueule et friands de la chopine. À leur contact, la bourgeoisie rurale locale va évoluer. Les cafés-concerts naissants et surtout l’activité chorale vont participer activement à cette rencontre entre deux mondes étrangers que rien ne destinait à se mélanger. Très vite aussi, le rapport de forces entre la ville et la compagnie tourne à l’avantage de cette dernière qui impose le déplacement physique de l’octroi afin que ses voyageurs et matériaux ne soient plus taxés, réduisant par cette action des recettes municipales pourtant vitales pour la cité. Avec l’essor général des chemins de fer, les différentes compagnies en lice ont des difficultés à se procurer auprès des industriels les matériels roulants nécessaires à l’accroissement des trafics. La demande est telle que les plus importantes sont

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S’adressant en avril 1850 aux actionnaires, les membres du conseil d’administration de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg résument l’affaire en quelques lignes : « Vous n’avez pas oublié, Messieurs, que dans l’origine de notre Société, et d’après les projets primitifs arrêtés par l’Administration supérieure, les ateliers de grandes et de petites réparations devaient être établis à Paris dans l’enceinte même de la gare des marchandises [La Villette]1. « Depuis 1848, et par des motifs qui sont faciles à apprécier, le Gouvernement, frappé des inconvénients que pouvait présenter une trop grande agglomérations d’ouvriers aux portes de Paris, a décidé que les ateliers de réparation du chemin de fer de Paris à Strasbourg seraient reportés sur différents points de la ligne. Il a décidé que le premier de ces ateliers serait construit à Épernay, point de jonction de la ligne principale et de l’embranchement de Reims. « Bien que cette décision dérangeât nos prévisions premières et nous obligeât à des combinaisons nouvelles dans l’organisation de nos services, il ne nous appartenait pas de nous y opposer et nous l’avons acceptée. Mais nous avons dû demander, et il a été arrêté qu’il serait construit immédiatement, dans la gare de La Villette, des ateliers secondaires suffisants pour subvenir aux réparations journalières de petit entretien2. » 1- Outre Paris, qui devait abriter les grands ateliers, des ateliers secondaires avaient été prévus à Épernay, Saint-Dizier, Nancy et Strasbourg. 2- Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg, Rapport à l’Assemblée générale des actionnaires du 25 avril 1850.

même contraintes de construire elles-mêmes leurs locomotives. La Compagnie des chemins de fer de l’Est (qui a succédé nominalement à la Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg en 1854) s’attèle au problème. En avril 1855, elle informe ses actionnaires que les installations des ateliers d’Épernay et de Montigny-lès-Metz viennent d’être complétées. Un effort dont elle entend bien profiter

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au plus vite : « L’outillage considérable de ces ateliers nous permettra de maintenir en parfait état d’entretien tout notre matériel roulant. Il nous fournira, en outre, les moyens de construire avec économie, toutes les fois que le besoin s’en fera sentir, les locomotives que l’industrie privée ne pourrait livrer en temps utile. Il nous rendra ainsi plus indépendants des constructeurs et obligera ces derniers à réduire leurs prétentions à un taux modéré2. »

L’essor Le savoir-faire des ouvriers avait été déjà mis à profit quelque temps auparavant par le directeur du Matériel et de la Traction Henry-Hind Edwards lors de modifications techniques apportées à des locomotives livrées par François Cavé en 1847-1849 pour pallier un manque de puissance lié à la qualité du coke employé. Il est de nouveau sollicité, par Clément Sauvage cette fois, le nouvel ingénieur en chef du Matériel et de la Traction de la compagnie, qui supervise la construction, en 1856-1857, de 12 locomotives de type 030, puis, en 1858-1859, de 20 autres de type 120. Le début d’une longue chaîne qui ne s’achèvera qu’en 1930 avec la sortie, en février et mai, des deux prototypes 141 701 et 702 (futures 141 TC). Au total, les ateliers d’Épernay auront étudié et produit 765 prototypes et locomotives de série et procédé à la transformation profonde ayant amené une nouvelle numérotation de 141 autres machines. D’où l’hommage qui leur est rendu par J. Gillot en 1976 : « La plupart des locomotives de conception Compagnie de l’Est, qu’on peut appeler, car elles présentaient bien des caractères communs, des locomotives de l’école Est, ont été construites en totalité ou en partie par les ateliers d’Épernay3. » L’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871 fait perdre à la compagnie une partie importante de ses installations de construction et de réparation de ses matériels roulants. Elle est notamment privée du site de Montigny-lès-Metz, l’un de ses trois grands ateliers voitures et wagons avec La Villette et Mohon. Et si la décision de remplacer Montigny par la création de nouveaux ateliers à Romilly-sur-

Seine est prise dès 1874, il faut attendre 1884-1887 pour que ceux-ci deviennent réalité. Pour le plus grand profit d’Épernay qui a accueilli en 1870 une partie des ouvriers de Montigny, accompagnés de leurs familles : pendant une vingtaine d’années, les ateliers vont ainsi ajouter à la construction et à la réparation des locomotives et à la fourniture de pièces détachées celles des voitures et des wagons. Les besoins de la Compagnie de l’Est ne cessant de croître, il est bientôt nécessaire d’améliorer et de compléter les installations. Une première phase voit la construction des fonderies de bronze (1876) et de fonte (1889) et de l’atelier de montage à 34 fosses transversales (1877). Une seconde phase conduit à la création de l’atelier des roues (1889) et de l’atelier de montage à fosses longitudinales (1894). Sous la direction du directeur du Matériel et de la Traction Louis Salomon, il est fait appel à des bâtiments modernes inspirés de l’industrie ferroviaire britannique (structures métalliques, charpentes en sheds à versants inégaux) qui permettent une meilleure rationalisation du travail mais aussi une surveillance accrue des ouvriers. C’est à cette époque aussi que l’une des deux rotondes est transformée en atelier de peinture. Les ateliers sont alors à leur apogée et quelquesunes de leurs productions mises à l’honneur à l’occasion des Expositions universelles de 1889 (présentation d’une 031T de banlieue) et de 1900 (présentation de la locomotive compound 2411 pour le service des trains express). Âge d’or aussi pour la ville, qui se poursuit jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1881, elle compte 16 200 habitants et, sur les 3 230 salariés recensés par les services préfectoraux (hors religieux, commerçants et enseignants), 1 610 travaillent aux ateliers, soit un actif sur deux, chiffres qui traduisent bien le poids de la communauté cheminote au sein de la cité. Le formidable développement de l’économie locale pendant cette période (avec, par rang d’importance, 1- Assemblée générale des actionnaires du 28 avril 1855.

2- J. Gillot, Les Locomotives à vapeur de la Région Est, LevalloisPerret, Éditions Picador, 1976, p. 20.

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la chapellerie, le commerce, le transport, le bâtiment et, loin derrière, le négoce des vins de Champagne) est directement lié à l’activité ferroviaire. Dans tous les domaines (social, associatif, commercial, festif, mais aussi dans son urbanisme), la ville vit du rayonnement cheminot.

Les déséquilibres locaux Cependant, malgré cette reconnaissance, le climat au sein des ateliers se délite. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans que l’on ait à déplorer un accident du travail en raison des cadences imposées dans un environnement encore trop souvent mal adapté. Et le recrutement de vigiles « commissaires de la sécurité » extérieurs à l’entreprise est perçu comme une forme de surveillance supplémentaire. De plus, bien que la compagnie accumule les bons résultats financiers, diverses décisions suscitent le mécontentement, tels le non-paiement des journées chômées lors des inondations de février 1910 et la suppression de primes de fin d’année. Confronté à la chute du prix d’achat du raisin imposée par les négociants et à l’arrachage des vignes suite au phylloxéra, le monde viticole connaît lui aussi une crise de confiance qui renforce la morosité ambiante. Le 14 octobre 1910, le premier mouvement de grève de l’histoire des ateliers est déclenché à l’instigation de la section locale du Syndicat national des travailleurs du chemin de fer, qui peine cependant à se développer : seuls 186 ouvriers et employés cessent le travail. Les meneurs, dont le charismatique Jules Lobet, futur (et premier) député socialiste de la Marne, sont arrêtés et révoqués comme la plupart des grévistes. Cette manifestation est malgré tout le prélude à une longue lutte syndicale et politique qui opposera en permanence les leaders syndicaux ouvriers et les élites conservatrices de la ville. Pendant la guerre de 1914-1918, les ateliers, à proximité immédiate des lignes de front, sont la cible de nombreux tirs et bombardements allemands, mais les destructions ne seront jamais à la hauteur de l’importance stratégique du site. Quoique partiellement transformés en hôpital de campagne, les ateliers participent à l’effort de guerre,

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usinent des obus et réparent du matériel militaire. Ils continuent d’assurer en parallèle leurs fonctions premières, assurent la remise en état des matériels ferroviaires et reprennent en 1915 la transformation (030 de tranche 30254 à 30489 en 130 A) et même la construction de locomotives (230 de la tranche 3202 à 3210, futures 230 J ; 141T de la tranche 4413 à 4512, futures 141 TB) suspendues depuis l’ouverture des hostilités À l’issue du conflit, une grave crise des transports sévit sur le tout territoire et touche de plein fouet la compagnie qui doit réorganiser son réseau et son parc de matériel et réintégrer le personnel démobilisé. Pendant l’entre-deux-guerres, la compagnie doit faire face à Épernay à une forte agitation politique et sociale au moment où formation et organisation deviennent les maîtres mots du fonctionnement des ateliers. Dans la continuité du congrès de Tours en 1920 et de l’écartèlement de la CGT (1921), la scission au sein du syndicat local est consommée. Militants CGT et CGTU se voient opposer par la direction des ateliers le syndicat ouvrier chrétien afin de limiter « l’emprise bolchévique ». Ce dernier syndicat est particulièrement influent au centre d’apprentissage où sont placés des instructeurs militants chrétiens (dont Roger Menu, futur maire d’Épernay et sénateur de la Marne) chantres de l’avènement de la promotion professionnelle qui doit garantir la meilleure formation des futurs agents de maîtrise. Parallèlement sont mis en place les grands principes d’organisation du travail inspirés de l’industrie anglo-saxonne. Les ateliers d’Épernay sont un précurseur en la matière. C’est dans ce contexte que l’établissement construit ses derniers prototypes, à commencer par la légendaire 41 001 (241 A 1 SNCF préservée à la Cité du Train) qui effectue ses premiers tours de roue le 9 janvier 1925 devant une foule de badauds éblouis. Première Mountain européenne et, selon la presse, la locomotive la plus puissantes d’alors, elle a été étudiée par les services de l’ingénieur F. Duchâtel, construite puis mise au point par les contremaîtres et ouvriers des ateliers, témoignage de leurs grandes compétences professionnelles. Suivent, en février et mai 1930, les 141TC 701 et 702 destinées à la

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remorque les rames métalliques de la banlieue de Paris-Est, qui apportent la touche finale à la fonction de « constructeur » des ateliers. Ceux-ci se consacrent désormais entièrement à la fabrication et à la réparation de pièces détachées, ainsi qu’à la révision périodique de l’ensemble du parc des locomotives vapeur du réseau.

La première reconversion À l’issue de la Seconde Guerre mondiale où, en dépit de la surveillance permanente de l’occupant, les ouvriers des ateliers ont apporté aide et soutien à la Résistance locale (plusieurs ont payé de leur vie cet engagement), la fin de l’activité vapeur se dessine avec les derniers gros travaux de transformation apportés en 1947-1948 aux douze 230 K converties au fuel pour la remorque des trains drapeaux de Paris à Strasbourg. Dans le même temps, l’arrivée des 040 DA Baldwin, livrées à partir de 1946 dans le cadre du Plan Marshall, annonce l’ère de la technologie Diesel. Désigné en 1953 comme « atelier directeur » chargé de la réparation des locomotives Dieselélectriques à moteurs lents de l’ensemble du parc SNCF, Épernay prépare sa reconversion. Dès 1952, forgerons, fondeurs, chaudronniers et monteurs se forment progressivement aux nouveaux métiers et outillages liés à ce type d’engins, ce qui exige d’une main-d’œuvre relativement âgée (46 ans et plus d’âge moyen en 1954) beaucoup d’efforts d’adaptation. Les réparations vapeur continuent cependant d’être assurées jusqu’à l’extinction des derniers feux à la fin des années 1960. De cette époque date aussi le début de la spécialisation des établissements SNCF dans la réparation de pièces d’appareils produits en série remplacées lors des révisions. Dans ce contexte, Épernay devient quelques années plus tard atelierdirecteur d’organes des indicateurs-enregistreurs Flaman et Téloc, de certaines catégories d’essieux, des agrès de levage, des matériels de relevage des engins déraillés, etc.

La fin de l’activité industrielle Durant une trentaine d’années donc, le hall du montage – cœur de l’activité des ateliers – va sentir

le gazole. Cependant, la perte de vitesse du Diesel, notamment du Diesel de manœuvres, fer de lance des ateliers, n’annonce rien de bon (les dernières interventions Diesel datent de 19821983). Heureusement, la révolution TGV vient fort opportunément à leur secours. La décision de confier l’entretien des futures rames à grande vitesse aux ateliers d’Hellemmes conduit en effet à délester ceux-ci d’une partie de leurs activités, en l’occurrence la maintenance des locomotives électriques. Épernay connaît ainsi, à partir de 1978, une seconde reconversion. Pendant plus de vingt-cinq ans, les ateliers se voient confier plusieurs séries de locomotives d’engins à courant alternatif monophasé (BB 12000, BB 13000, BB « Alsthom ») pour révision, réparation accidentelle ou modification. Mais les effectifs (qui ont culminé à plus de 2 000 personnes en 1947, dont beaucoup d’auxiliaires et de femmes embauchés durant le conflit) ne cessent de diminuer au rythme des organisations nouvelles, des améliorations de la productivité et de l’allongement des cycles de maintenance du matériel. Amorcée en 1990, la nouvelle organisation de la SNCF par activités, dont chacune devient propriétaire de son parc d’engins moteurs, n’est pas faite non plus pour faciliter la santé des établissements réparateurs de matériels anciens comme Épernay. Envisagée pour le 1er janvier 2000, avec report d’une partie du personnel sur le futur établissement de maintenance des TGV Est (Technicentre Est européen de l’Ourcq), la fermeture de l’« établissement industriel » d’Épernay est momentanément différée par suite de l’ouverture en 2006, à quelques hectomètres de là, sur les deniers de la région, du « Technicentre Champagne-Ardenne » chargé de la maintenance (de type dépôt) de l’ensemble du matériel régional TER : une bouffée d’oxygène pour les agents les plus jeunes, les « anciens » restant occupés dans l’atelier de montage à la réparation d’organes. Une situation qui, pour ces derniers, devrait perdurer jusque début 2014, date arrêtée pour la fermeture définitive du site. En quasi centre-ville, ses treize hectares, progressivement réduits à l’état de friches industrielles, excitent déjà les appétits. Les Rails de l’histoire, n° 4 - avril 2013

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Épernay n'est pas (seulement) la capitale du champagne... Actuellement, pour le grand public, Épernay est surtout connue comme la « capitale du champagne ». Si cette image est fondée et vérifiée depuis 1970, il n’en a pas été de même durant les cent vingt années précédentes au cours desquelles les ateliers ferroviaires ont été le moteur du développement de la cité.

La transformation de la ville L’arrivée d’une importante population d’hommes jeunes, aux idées progressistes et aux revenus supérieurs à ceux de la classe ouvrière locale, ne manque pas de bouleverser les codes établis. Par le truchement des cafés-concerts, des bals et des chorales s’opère un brassage social profond qui, l’argent aidant, fait accepter les employés du chemin de fer par la société locale, qui va progressivement perdre ses habitudes petite-bourgeoises et rurales pour devenir plus urbaine et industrielle. Le poids économique des ateliers sur la ville est indéniable. Entre 1848 et 1866, la population d’Épernay s’accroît ainsi de 62 %, totalisant à cette dernière date 11 704 habitants dont 900 cheminots. Les premiers ouvriers sont logés de façon précaire à proximité des ateliers. Souvent touché par les inondations du Cubry, petit affluent de la Marne, et au contact de terrains marécageux, le quartier est frappé à deux reprises par le choléra, en 1849 et surtout en 1854, la majorité des 235 victimes recensées cette année-là appartenant aux ateliers. Il faut cependant attendre plus de dix ans pour qu’un notaire local, G. Jémot, prenne l’initiative

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de créer, plus au cœur de la ville, une première cité de 90 maisons ouvrières bon marché construites sur le même modèle de 1868 à 1879, la plus grande partie donnée en location ou vendue à des employés de la compagnie. Pour cette réalisation, G. Jémot obtient plusieurs récompenses, notamment une médaille d’argent à l’Exposition universelle d’Amsterdam en 1868. Deux autres quartiers à fort peuplement cheminot voient le jour dans les décennies qui suivent. Le premier sort de terre au lendemain de la guerre de 1870, sur la rive droite de la Marne, face aux ateliers, composé de 60 maisons offrant quatre niveaux de confort. Loti par le promoteur immobilier A. Thévenet après le renforcement des berges de la rivière et l’assainissement des terrains, il est aujourd’hui rattaché à la commune de Magenta. Le second, entrepris au tournant du siècle à l’initiative des mécènes J. Parichault et F. Thiercelin, comprend 81 maisons bourgeoises qui, à l’ouest de la ville, constituaient alors un quartier huppé. Cet urbanisme, témoignage de la « bonne santé » économique des chemins de fer, profite aux corps de métiers liés au bâtiment et au transport, au commerce et à la banque. Les plus nantis – à commencer par les négociants en vins de Champagne, cercle alors restreint à sept maisons seulement – font construire des demeures bourgeoises imposantes le long de la rue du Commerce (future avenue de Champagne), véritable vitrine de la ville qui domine la voie ferrée. Dans le même temps, elle se couvre d’édifices publics dignes de sa nouvelle prospérité, palais de justice (1863), caisse d’épargne (1898) et même un magnifique théâtre à l’italienne (1900). Enfin, pour concrétiser l’effort de christianisation des milieux ouvriers et « soulager leur misère » comme souhaité par le Pape Léon xiii dans son encyclique Rerum Novarum de 1891, est édifiée de 1898 à 1915 la nouvelle église Notre-Dame. L’âge d’or de la cité est la logique conséquence de l’essor industriel des ateliers. Dans cette seconde partie du xi x e siècle, une personne active sur deux travaille aux ateliers. Le tissu social et associatif se construit progressivement. Les cheminots en sont les principaux

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 Apprentis chaudronniers en 1938. À gauche, Roger Menu (1910-1970), instructeur et syndicaliste CFTC, futur maire d’pernay et sénateur de la Marne. Photographie, coll. Pierre Guy.

acteurs, intervenant dans tous les secteurs depuis l’entraide avec notamment la Société de secours mutuel de l’atelier (créée le 9 mai 1856, c’est historiquement la première association statutaire de la ville) et l’Association fraternelle des employés du chemin de fer (1873) jusqu’à la pratique du sport avec la Société de gymnastique (1874). Un secteur particulièrement développé est celui de la musique et du chant choral. Dirigé par Joseph Muller, épaulé de quelques-uns de ses collègues, le premier orphéon est créé en 1851. Également conduite par un employé des ateliers, Bréville, la première chorale, future Lyre sparnacienne, naît en 1856. Symbole de l’osmose naissante entre corporations, la Chorale Sainte-Cécile associe en 1857 négoce et chemin de fer sous la baguette d’un contremaître des ateliers, Doré. Suivent, en 1886, la Société lyrique Le Camélia et, en 1899, la Société chorale des chemins de fer.

Vie politique et sociale Jusqu’en 1900, la vie politique locale est tranquille, très conservatrice et proche du pouvoir, centrée sur quelques personnalités du commerce et du négoce des vins de Champagne. La dégradation des conditions de travail au sein des ateliers et le mécontentement qui commence à gronder dans le vignoble (le dynamisme de la sous-préfecture

n’atteint pas les villages voisins) vont changer la donne. Commence une longue période d’activité syndicale intense, relayée par un engagement politique permanent, qui voit s’opposer pendant soixante dix ans, de manière soutenue, le monde conservateur chrétien et les idées socialistes. Au cœur de cette turbulence vont s’illustrer trois personnalités « à double casquette » : Jules Lobet (1871-1925), Alcide Benoit (1899-1992) et Roger Menu (1910-1970). Ouvriers viticoles, Lobet et Benoit rejoignent les ateliers en 1898 pour le premier, peu avant 1914 pour le second. Fils de cheminot, Menu entre au chemin de fer en 1923, à l’âge de 13 ans. Après avoir assumé des responsabilités syndicales au sein des ateliers – proche de la pensée jaurésienne, Lobet se fait le partisan d’une défense « raisonnée » de l’ouvrier ; affilié à la CGTU (de tendance communiste), Benoit se montre plus virulent ; quant à Menu, membre de la CFTC (christianisme social), il joue le rôle de contre-feu au service de la direction contre les idées marxistes –, tous trois basculent dans la politique : Lobet est député socialiste de la Marne de 1919 à sa mort ; Benoit maire d’Épernay de 1945 à 1948 et député communiste de la Marne de 1951 à 1958 ; Menu maire d’Épernay en 1948 et sénateur de la Marne en 1959, deux mandats qu’il conserve jusqu’à sa mort. Quelles que soient leurs divergences, tous trois n’auront de cesse, sous Les Rails de l’histoire, n° 4 - avril 2013

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5Sortie des ouvriers en 1905 à l’époque des dernières années de l’âge d’or des ateliers qui emploient alors près d’un actif sur deux et pèsent sur toute la vie économique et sociale de la cité. Au premier plan, l’un des lavoirs municipaux établis sur la Marne. Carte postale, coll. Pierre Guy.

des formes diverses, de défendre la corporation cheminote et de renforcer la position des ateliers au sein de la cité. Indépendamment de l’impact considérable qu’ont eu les ateliers sur le développement de la ville, les mondes cheminot et « civil » ont souvent été en complète osmose, que ce soit lors de grands événements ferroviaires (Expositions universelles, sortie de la 241 001, etc.), politiques ou festifs. Pendant cent vingt ans, chaque respiration de la ville a été intimement liée à celle des cheminots, particulièrement au cours des trois conflits sociaux qui ont touché la région, au cours desquels les ateliers et leurs personnels ont tenu un rôle majeur. Cette situation privilégiée dure jusque dans les années 1970, période où Épernay est à la croisée de deux évolutions majeures : d’une part, la SNCF

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commence à restructurer son dispositif de maintenance du matériel roulant (accentuation de l’idée de spécialisation de ses établissements, productivité plus grande), d’autre part, le monde du négoce commence à se constituer en groupes, visant là aussi les taux de rentabilité élevés permis par des récoltes de plus en plus abondantes. La conjonction de ces deux tendances aura raison des ateliers et, par conséquence, de leur influence sur les affaires communales. Très vite, Épernay devient la capitale du Champagne, vitrine de grandes marques de groupes internationaux. Les cheminots, dont les effectifs ont été réduits de manière drastique, ne sont plus qu’une corporation parmi d’autres, le monde du négoce et de sa soustraitance étant devenu, avec le secteur tertiaire, l’employeur principal de la ville.

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IL Y A 70 ANS

Il y a 70 ans disparaissait Émile-André Schefer Feuilleter un journal des années 1920-1930 consacré aux transports, et plus spécifiquement un journal ferroviaire, conduit immanquablement à croiser un dessin ou une gouache d’Émile-André Schefer (1896-1942). Sa brutale disparition souleva un immense émoi parmi la communauté cheminote, consciente d’avoir perdu en ce « premier peintre du rail » un ami et un témoin essentiel de la modernité du chemin de fer.

« Le peintre-dessinateur É.-A. Schefer, spécialisé depuis de nombreuse années dans l’interprétation de la vie du chemin de fer, et collaborateur assidu des anciens Réseaux, puis de la SNCF, vient de mourir à l’âge de 46 ans. « Renversé par un cycliste, dimanche matin 15 courant, et atteint d’une fracture du crâne, il a succombé dans la soirée sans avoir repris connaissance. « Cet excellent artiste, qui n’avait d’autres moyens d’existence que son pinceau, laisse à peu près sans ressources une jeune femme et six orphelins dont l’aîné n’a que 13 ans et le dernier 1 an. » C’est par ces quelques lignes publiées par leur journal d’entreprise, les Renseignements hebdomadaires SNCF, daté du 21 mars 1942, que les cheminots apprennent la disparition brutale de celui dont ils avaient appris à apprécier l’œuvre au travers des publications et publicités consacrées au chemin de fer, et qu’ils avaient fini par considérer comme l’un des leurs (voir encadré). Obéissant à un devoir de

solidarité, ses amis de l’Association française des amis des chemins de fer (AFAC) et ceux des Amis de Notre Métier ouvrent aussitôt une souscription au profit de sa veuve et de ses enfants. Le 6 mars 1943, soit un an après sa disparition, une exposition rétrospective de son œuvre est inaugurée en gare de Paris-Saint-Lazare sous le triple patronage de la SNCF, de l’UACF (Union artistique des cheminots) et de l’AFAC. Cette manifestation est annoncée la veille par les Renseignements hebdomadaires SNCF, qui consacrent deux de leurs quatre pages au « premier peintre du rail »1. Georges Chan, chef de la division des Études de locomotives, rend un hommage appuyé à celui qui a si bien su combiner « la science du technicien et la fantaisie de l’artiste ». Le président et le vice-président de la SNCF, MM. Fournier et Grimpret, le directeur général adjoint, M. Berthelot, représentant le directeur général empêché, participent au vernissage. La plupart des quelques 200 œuvres exposées trouvent presque aussitôt preneur.

Coll. J. Falaize/AFAC

Bruno carrière

L’un des tableaux « les plus caractéristiques » fait par ailleurs l’objet d’une tombola, le but premier de la manifestation étant de récolter des fonds pour venir en aide à la famille d’É.-A. Schefer. Le succès est tel que la fin de la manifestation, annoncée pour le 21 mars, est remise d’une semaine, une partie des œuvres prenant même le chemin de Lyon pour prendre part à une exposition organisée par l’AFAC. Et, pour répondre au désir d’un certain nombre d’amateurs, est arrêté le principe d’une édition en fac-similé, soumise à souscription, d’une dizaine d’œuvres ferroviaires parmi les plus marquantes2. Présenté à peine plus d’un mois plus tard (Renseignements hebdomadaires SNCF du 7 mai 1942), 1- D’autres illustrateurs contemporains auraient pu revendiquer ce titre tels Pierre Delarue-Nouvellière (18891973), Georges Hamel dit Geo Ham (1900-1972) ou encore Albert Jahan (1890-1972).

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le nouveau diplôme de citation à l’ordre de la SNCF emprunte à un tableau de l’artiste le thème de son motif central (une 241 C1 en tête d’un train de voyageurs). À l’automne 1943, le Comité Schefer3, qui réunit des membres de l’AFAC, de l’UACF, des Amis de Notre Métier et de la direction du service commercial de la SNCF, annonce sa décision de fonder un « Prix Émile-Schefer ». Ce prix, destiné à pérenniser la mémoire de l’artiste, sera décerné chaque année à une œuvre traitant d’un sujet ferroviaire (peinture, dessin, sculpture, eau-forte, lithographie, art appliqué, illustration) exposée au salon annuel de l’UACF (Renseignements hebdomadaires SNCF du 22 octobre 1943).

La date du premier concours est fixée, « sauf empêchement imprévu », au mois de septembre 1944 (Renseignements hebdomadaires SNCF du 9 juin 1944). En raisons des circonstances, il ne sera attribué qu’en janvier 1946 et récompensera une

2- La souscription est lancée fin 1943. Elle porte sur l’édition de 1 000 portefeuilles numérotés proposés au prix unitaire de 1 000 francs. Chaque portefeuille sera composé de dix gouaches reproduites sur papier de chiffon en grand format (38 x 49), à savoir : 1- Gare de l’Est, rapide Paris-Strasbourg, locomotive Crampton ; 2- Rapide Ouest, locomotive 120 n° 678 ; 3- Rapide PO, locomotive électrique 2D2 ; 4- Rapide Nord, locomotive 232 ; 5- Ligne Laroche-Dijon, croisement de deux rapides, locomotives 231 G et 240 P ; 6- Rapide Paris-Calais, locomotive Atlantic « Chocolat » ; 7- « Twentieth Century Limited », New-York-Chicago, locomotive Hudson du New-York-Central ; 8- Rapide PLM, locomotive « Coupe-vent » 220 ; 9- Rapide lourd PO, locomotive 240 ; 10- Rapide croisant, locomotive 240 (Renseignements hebdomadaires SNCF du 17 décembre 1943). 3-Émanation du Comité de l’Exposition Schefer à l’origine de l’exposition rétrospective de mars 1943. Président : E. Mulotte, président de l’AFAC ; viceprésidents : G. Chan, chef de la division des Études de locomotives à la SNCF, et J. Dupin, président général de l’UACF.

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peinture de P. Larche, « Rapide dans un paysage de neige », une première mention étant attribué à titre d’encouragement à… Henri Vincenot (Notre Métier du 1er février 1946, dont le prix Schefer fait la couverture).

« Un grand ami du chemin de fer. Notre collaborateur Émile-André SCHEFER vient de mourir » Renseignements hebdomadaires SNCF, 21 mars 1942. « É.-A. Schefer n’était pas pour le chemin de fer un collaborateur ordinaire. Ce dessinateur, dont le grand talent n’a eu d’égal que la modestie et le désintéressement, occupera une place marquante dans l’iconographie du rail. Car il n’est pas exagéré de dire qu’il a été le seul artiste ayant vraiment excellé dans l’interprétation des locomotives, des trains en mouvement. Ses compositions, à la fois pleines de poésie et de vérité, ont toujours été vivement appréciées des cheminots, techniciens ou profanes, ainsi que du grand public. Et c’est sans doute la raison qui faisait que l’on s’adressait en définitive toujours à Schefer, lorsqu’il s’agissait d’obtenir des illustrations ferroviaires de qualité. Il a ainsi collaboré, en fait, à la plupart des organes ferroviaires français et l’on peut notamment citer : Le Bulletin PLM, Notre Métier, Notre Trafic*, Rails de France, Les Renseignements hebdomadaires SNCF, Transports, Chemins de fer (organe de l’AFAC), Traction Nouvelle, La Revue Générale des Chemins de fer, Le Bulletin de l’Amicale des Agents hors-statut, l’Indicateur Chaix, etc. Mais Schefer a rendu encore bien d’autres services au Chemin de fer dont il était l’imagier fervent. Dans ses travaux pour nos Services de Publicité et lorsqu’il collaborait aux présentations de certaines Expositions ; lorsqu’il réalisait des jeux ferroviaires pour l’enfance ou des planches de leçons de choses pour la jeunesse des écoles, ou des éditions de belles gravures pour les collectionneurs, lorsqu’il dessinait des faïences artistiques comme son cendrier du « Paris-Saint-Germain » ou l’assiette commémorative du « Train Royal », Schefer servait toujours, en l’illustrant magnifiquement, ce rail qu’il aimait. Et il le servait encore lorsqu’il était appelé à donner à certains techniciens des Services d’Études son avis d’artiste sur les formes nouvelles de carénage du matériel. Émile-André Schefer était certainement plus cheminot que beaucoup de cheminots. Sa foi dans le chemin de fer et l’enthousiasme qu’il mettait à exalter tout ce qui pouvait contribuer au prestige du rail : la vitesse, la sécurité, les progrès techniques, le sentiment de confiance qu’il donnait ainsi à maints cheminots furent autant de motifs qui, en 1939, incitèrent la jeune Association des « Amis de Notre Métier » à lui demander de prendre place dans le Corps de ses Membres fondateurs. Précisons qu’il faisait, par ailleurs, déjà partie du Conseil de l’Association françaises des Amis des Chemins de fer. » * Lors de sa renaissance en janvier 1946, après plus de cinq années d’interruption, Notre Trafic, le journal du Service commercial de la SNCF, n’oublie pas de rendre un hommage appuyé à É.-A. Schefer, au collaborateur de la première heure et au dessinateur dont le talent « était inégalable dans l’interprétation des scènes ferroviaires ».

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Un aperçu de la multiplicité des talents d’Émile-André Schefer L’illustrateur de presse : la 232-1 de la région du Nord, à gauche, fait la couverture de Notre Métier en mars 1940, tandis que des vignettes émaillent les articles de Notre Trafic (ici, le n° 2 de novembre 1938 ).

Le vulgarisateur : quoi de plus efficace que quelques dessins pour permettre à tous de comprendre l’inexplicable (ici l’automotrice électrique Michelin expérimentée en 1938 sur la ligne de Paris à Saint-Germain) ?

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5L’aquarelliste : une « Mountain » en tête d’une rame de voitures Pullman.

 L’éducateur : promouvoir le chemin de fer auprès des jeunes en participant à l’élaboration décalcomanies.

Pour se faire une idée plus précise de l’œuvre de É.-A. Schefer, on pourra se reporter à Chemins de fer, la revue de l’Association française des amis chemins de fer (AFAC), qui lui a consacré en 1994 un numéro spécial (n° 425, 1994/2).

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Dessiner… C’est comme s’il avait prétendu « faire du théâtre » ! De l’homme privé, on sait peu de chose. En 1993, son fils aîné Michel, graphiste-décorateur de son état, avait accepté fort gentiment de satisfaire notre curiosité. Il regrettait de ne pouvoir s’appuyer que sur la mémoire d’un enfant âgé seulement de 13 ans à la mort de son père, l’essentiel des archives de la famille ayant disparu lors du bombardement du Havre du 5 septembre 1944, tout comme son oncle René qui en était le dépositaire. Une ascendance flatteuse. Issus d’une famille noble du duché de Nassau, les Schefer descendent en droite ligne d’Auguste-Frédéric, apparenté selon un biographe bien informé à « un de ces fonctionnaires qui, ayant suivi la fortune de Napoléon, se fixèrent dans notre pays ». Auguste-Frédéric, caissier du Trésor de la liste civile, est le père de Charles-Henri (1820-1898), « la gloire de la famille ». Ancien élève du lycée Louis-le-Grand (et, à ce titre, condisciple et ami de Charles Baudelaire), il devient en 1843 drogman (interprète) à Beyrouth pour le compte du ministère des Affaires étrangères. En poste successivement à Jérusalem, Smyrne, Alexandrie et Constantinople, il rentre en France en 1856 et occupe dès l’année suivante la chaire de persan à l’École des langues orientales, dont il assure la direction de 1867 jusqu’à sa mort1. Son fils, Christian (1866-1944), empêché de suivre ses traces en raison du refus de son épouse de voyager, doit se contenter d’une chaire d’histoire à l’École des sciences politiques2. De leur union naissent trois enfants : Marcelle († 1935), René et Émile-André. « La famille, nous confiait encore Michel Schefer, était alliée, par les femmes, aux Rouart, Manet, Morisot, etc. Mais tout ceci est d’une telle complication qu’il m’est difficile de m’y retrouver ! » Les aléas de la vie. Né en 1896, Émile-André grandit dans l’insouciance. Une jeunesse heureuse, brutalement interrompue. Laissons la parole à son fils : « À sa sortie du lycée Hoche de Versailles où il fit ses études, il n’avait aucune “orientation” particulière comme on l’entend maintenant. La famille était aisée. Lorsqu’il se marie en 1927, tout

va changer : il épouse en effet une délicieuse petite jeune fille catholique, ce qui fit scandale dans cette famille de grands bourgeois protestants. Comme il fallait faire vivre le foyer, il déclare être dessinateur : la foudre ! C’est comme s’il avait prétendu “faire du théâtre” ! C’est à ce moment que ses amis l’ont aidé à travailler car, bien entendu, la famille l’a complètement abandonné à son sort. » La situation est d’autant plus difficile que les naissances se suivent : trois garçons et trois filles entre 1928 et 1940. Un coup de crayon inné. « Mon père n’a jamais appris à dessiner : il savait, c’est tout. Ses dons pour le dessin et la peinture s’étaient révélés dix ans plus tôt3. Mobilisé en 1917 dans le train des équipages, il participa au volant (horizontal) d’un GMC au ravitaillement de Verdun. Les attentes entre les rotations étaient souvent longues ; aussi avait-il fixé sur ce volant, si pratique, une planche à dessin. De cette période, il reste une étonnante suite de croquis, dessins à la plume, au stylo, au crayon, représentant des trains, gares et matériels ferroviaires bizarres, des locomotives… imaginaires, prémonitoires. Certains de ces dessins, datés de 1917-1918, laissent entrevoir ce que sera plus tard le “look” des Pacific et autres Mountain. Aujourd’hui, on reste stupéfait de l’audace de ces dessins – j’allais dire de ces «prises de vues» –, de leur originalité, de leur impact visuel. C’est qu’il inaugura une technique inspirée de la gravure sur bois qui donnait un rendu d’une puissance extraordinaire. Rapidement passé maître dans ce domaine, il reste inégalé. » « Ses carnets étaient la base de ses dessins. Ce sont des croquis au crayon pris sur le vif et fort succincts, des lignes ébauchées avec la notation des couleurs qu’il restituait ensuite à l’aquarelle ou à la gouache. Pas de photos ou très peu. » Des appuis indéfectibles. « Ses amis de jeunesse, aux destins plus conventionnels, pourvus de postes stratégiques dans d’importantes sociétés, vont faire appel à sa collaboration pour l’élaboration de leur publicité. C’est ainsi que vont apparaître dans de sévères publications de nouveaux placards publicitaires vantant les productions de Latécoère (il dessinera le logo de La Croix-du-Sud), Renault, etc. Ses amis ingénieurs – dont André Chapelon – n’avaient Les Rails de l’histoire, n° 4 - avril 2013

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pas non plus oublié les fameux petits croquis prémonitoires de 1918 et firent souvent appel à ses conseils d’esthète. » Le maître à l’œuvre. « En 1934, nous passions nos vacances au Pouliguen d’où l’on pouvait apercevoir, de l’autre côté de l’estuaire, la silhouette du paquebot Normandie en construction. Sollicité par la Transat, c’est lors de ce séjour qu’il exécute une série de dessins de vulgarisation qui seront publiés en 1935 dans un fort numéro du journal l’Excelsior. De là remontent mes premiers souvenirs de mon – grand – papa (1,96 m). En grandissant, mon nez finit par atteindre le niveau de sa table à dessin et là, les yeux écarquillés, je suivais sa main aux longs doigts qui faisait naître la vie. Il dessinait avec application, les yeux mi-clos pour juger d’un effet, la langue légèrement serrée entre les dents, ayant lâché sa pipe le temps d’un passage délicat. Parfois, dans le feu de l’action, il imitait le bruit d’une locomotive en pleine action pour être certain que son illustration serait bien ressemblante et qu’elle ferait l’heure pour être remise à temps au journal. Honnête et ponctuel, rares qualités. « Pas toujours facile de dessiner pour vivre. À cette époque, la publicité n’était pas encore un métier, les artistes devaient remettre leurs travaux entièrement terminés, la lettre dessinée. Papa souffrait beaucoup d’avoir à dessiner les textes de ses affiches. Il m’a dit : «Un jour tu pourras m’aider, tu apprendras le dessin de la lettre.» Prémices d’une carrière. « De ces années, il demeure de merveilleux souvenirs de promenades, le plus souvent ferroviaires. Maman, totalement absorbée par les soins des petits, était bien contente de voir les plus grands libérer l’espace. Ainsi, accrochés à sa main, mon frère et moi, nous courrions à son côté : lorsqu’il faisait un pas, nous en faisions quatre ! Les dépôts parisiens faisaient nos jeudis favoris : les Batignolles et ses machines bien astiquées, les Poissonniers, la Villette, le Charolais où nous errions avec délice au milieu des scories, de la vapeur et de l’huile chaude. Et puis, un autre lieu magique : l’imprimerie. Il me menait quelquefois chez Karcher, imprimeur lithographe, où il veillait à la bonne reproduction de ses dessins qui devenaient des affiches grâce à d’immenses pierres. Mystères fascinant pour un petit garçon. Sa collaboration à

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quelques magazines pour enfants (il y expliquait l’inexplicable avec des schémas limpides) m’a permis, toujours accroché à sa main, de découvrir aussi l’univers de la presse. »

L’épreuve. « Papa est mort brutalement, renversé par un cycliste, le 15 mars 1942. Il partait rejoindre maman à l’église, c’était un dimanche, il n’est jamais arrivé. Artiste au sens le plus large, sensible à l’extrême, fin, silencieux, modeste, il était totalement désintéressé et – malheureusement – bien incapable d’évaluer la valeur de son travail. Il avait 46 ans, maman 36 ans et six enfants de 13 à 1 an. En 1942, dans un Paris affamé, sans ressources, mais avec un cercle d’amis et un courage rarement rencontré. Alors a commencé ce que je crois être un exemple unique de solidarité : réunis sous le vocable de Comité Schefer, tous ces gens, amis, clients, relations officielles, ont assuré la survie matérielle de la famille jusqu’à ce que nous puissions y subvenir par nous-mêmes. Cela a duré plus de dix ans. » 1- Auguste Bouché-Leclercq, « Notice sur la vie et les travaux de M. Charles Schefer ; lue dans les séances des 3 et 10 novembre 1899 », Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 43e année, n° 6, 1899, p. 627-668.

2- Veuf, Christian Schefer quitte la France en 1940 pour s’installer à Meknès, au Maroc, auprès de sa fille adoptive. 3- En fait, alors qu’il n’était encore que lycéen, É.-A. Schefer observait les trains et les dessinait sur ses cahiers d’écolier.

Bibliographie : « Émile-André Schefer, peintre des machines », Chemins de fer, n° spécial, n° 425 (1994/2). Antoine Bechet, Les Magiciens du chemin de fer [À la mémoire de Émile-André Schefer et Henri GirodEymery], s.l., Décalcomanies Industrielles SA, 1992.

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Entre l’enclume et le marteau 1940-1944, le vol de colis par les cheminots Dans les mois qui suivent la défaite, la SNCF constate l’augmentation des vols de colis confiés à ses services. Le phénomène atteint une telle proportion qu’il est bientôt évoqué au plus haut niveau, le maréchal Pétain, plus particulièrement sensible aux soustractions touchant les colis de prisonniers, exigeant même un rapport sur le sujet. Outre la sanction financière (elle est tenue de rembourser les marchandises dérobées), la SNCF est confrontée à un problème moral : la mise en cause de nombreux cheminots. Bruno Carrière Le qualificatif de « vol » est appliqué uniformément aux colis disparus (volés) et aux colis ayant subi une déprédation (spoliés), si minime soit-elle. Couvrant la période de janvier à novembre 1941, un premier bilan comptabilise 69 375 vols. Un examen détaillé des statistiques permet plusieurs observations : les vols ont pratiquement doublé au cours de l’année (4 373 pour le seul mois de janvier, 8 324 pour novembre) et, quoique très limités par rapport au nombre total des expéditions (0,11 % des 59 millions de colis transportés1), apparaissent bien plus importants qu’avant la guerre. La comparaison entre les quatre premiers mois de 1939 et les quatre premiers mois de 1941 montre qu’ils ont quadruplé sur la Région de l’Ouest et quintuplé sur la Région du Sud-Ouest. Plusieurs raisons sont invoquées pour expliquer cette inflation : l’affaissement de la moralité, souvent observé en période troublée ; les difficultés croissantes de ravitaillement, les détournements de

denrées entrant pour 40 à 45 % dans le total des vols ; les conditions de transport des colis. Tout en reconnaissant l’importance des vols de denrées (ce qui explique sans doute que les Régions de l’Ouest et le Sud-Ouest, les plus éminemment agricoles du réseau, affichent les taux globaux de vols les plus élevés), la SNCF précise que bien d’autres marchandises excitent la convoitise des voleurs : vin, tabac, chaussures, lainages, linge, charbon, carbure2, sont du nombre. La SNCF ne manque pas non plus de souligner qu’avec la disparition à peu près complète des transports routiers, elle occupe une place prépondérante dans l’écoulement des marchandises : 245 000 wagons circulent en permanence sur 40 000 km de voies desservant quelque 4 500 gares, le plus souvent insuffisamment gardées, situées en dehors des agglomérations et plongées la

5Affiche réalisée à partir de la maquette de M. Durupt, ouvrierpeintre aux ateliers du Landy (Nord), en réponse au « concours de la prévention des vols » lancé auprès des cheminots en décembre 1943. CAH SNCF.

nuit dans une obscurité presque complète en application des directives de la défense passive. À cela s’ajoutent des emballages de 1- En 1944, 615 000 colis volés sur quelque 40 millions de colis transportés, soit 1,6 %. 2- Combustible employé pour les lampes à acétylène.

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mauvaise qualité qui font que les colis s’éventrent en cours de transport. En dépit des mesures prises pour enrayer l’inflation des vols (nous y reviendrons), la courbe ne cesse de grimper : 134 555 vols recensés en 1942, 176 681 en 1943. Le nombre des arrestations de personnes impliquées dans ces vols suit la même évolution : 18 091 en 1942, 22 900 en 1943. Tous ne sont pas des cheminots, loin s’en faut. Pour répondre aux attaques diffamatoires, Robert Le Besnerais3 exige que les statistiques dressées mensuellement fassent systématiquement la distinction entre les vols attribués aux agents du cadre SNCF, aux auxiliaires, aux ouvriers employés par les entreprises travaillant pour la SNCF et aux personnes étrangères au chemin de fer. Ce qui est fait à partir d’avril 1942. Il apparaît ainsi que seuls 35,01 % et 31,3 % des vols suivis d’arrestations en 1942 et en 1943 sont imputables à des agents du cadre permanent et à des auxiliaires, le plus gros bataillon des personnes mises en cause étant celles étrangères au chemin de fer, pour plus de la moitié des vols.

Fermer les yeux serait se rendre complice Mais l’idée même que des cheminots aient pu participer à ces vols est intolérable pour la SNCF. Daté du 31 octobre 1940, l’ordre régional n° 37 signé du directeur de l’Exploitation L. Cambournac – Appel aux

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cheminots de la Région du Nord – est explicite : « Le personnel des Chemins de fer et particulièrement de la Région du Nord s’est acquis des titres à la reconnaissance du pays par la manière dont il a accompli son devoir pendant la guerre. « Par la faute de quelques-uns, cette glorieuse renommée est en voie d’être ternie. Des vols fréquents sont commis au détriment de la clientèle ou de la Société Nationale et j’ai la tristesse de constater qu’il y a des cheminots parmi les voleurs. « Sûr d’être approuvé par tous, je punis et, quelles que soient l’importance et les circonstances du vol, je continuerai à punir de la révocation les agents malhonnêtes. « Je demande à tous de m’aider à en purger notre corporation dont les traditions d’honnêteté doivent, dans les circonstances actuelles, être plus que jamais respectées et sauvegardées. » Les rappels à l’ordre se suivent, mettant également en garde les cheminots sur les conséquences que pourrait avoir la multiplication des vols sur l’avenir de l’entreprise. Ton solennel pour A. Jourdain, directeur de l’Exploitation de la Région du Sud-Est, qui écrit le 31 août 1941 : « Enfin soyons intraitables sur le chapitre honnêteté.

5Devant la recrudescence des vols, les Régions font appel au sens moral des cheminots. Affichette éditée par la Région de l’Ouest, l’une des plus touchées avec celle du Sud-Ouest. CAH SNCF.

Si nos concurrents pouvaient dire qu’ils assurent mieux que nous l’intégralité des colis expédiés, nous perdrions notre clientèle et notre gagne-pain ; bien plus, l’honneur de notre corporation, dont nous sommes tous responsables, serait compromis. Nous ne le supporterons pas. Il n’y a pas de place pour les voleurs à la SNCF. » Approche plus terre à terre pour R. Renard, directeur de la Région de l’Est, qui avertit le 5 janvier 1942 : « Si la clientèle nous délaisse une fois la paix revenue, adieu les traitements et les retraites : il n’y aura plus de 3- Directeur général de la SNCF du 2 septembre 1937 au 30 septembre 1944.

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recettes pour les payer. » L’un et l’autre encouragent par ailleurs la dénonciation. En des termes toujours aussi graves pour A. Jourdain : « Si, par malheur, un agent se laissait aller à commettre un larcin, si minime fûtil, il sentirait peser lourdement sur lui la réprobation de ses pairs et la répression de ses chefs. Fermer les yeux devant une faute si grave de conséquences, ne pas la réprimer, ce serait se rendre complice. » De manière plus crue pour R. Renard : « Dénoncer un voleur n’est pas moucharder, c’est accomplir un devoir envers la profession et la corporation ; c’est faire œuvre de salubrité publique. » Le président Fournier, dans son rapport sur le sujet adressé au maréchal Pétain en janvier 1942, se montre aussi intraitable visà-vis des fautifs « à qui il faut faire perdre cette idée fausse qu’un léger larcin n’est qu’un chapardage – que les besoins des enfants qui souffrent de privations excusent tout –, qu’assister sans protester aux vols commis par des collègues est imposé par les règles de la camaraderie ». Les Renseignements hebdomadaires SNCF, version édulcorée du journal d’entreprise Notre Métier d’avant la guerre, participent également à la sensibilisation du personnel. Le 24 avril 1941, un premier encart dénonce les vols imputables aux cheminots sous le titre « Une question grave sur laquelle il faut revenir ». D’autres interventions jalonnent l’année 1942 : le

16 janvier (« À certains cheminots avant qu’il soit trop tard »), le 13 février (« Chez la grande majorité, le sentiment de la stricte probité subsiste intact »), le 20 février (« Pour que les clients révisent certains de leurs jugements »), 15 mai (« Tous de plus en plus résolus à réagir contre les vols »), 23 octobre (« Méditation en face d’une grande affiche »), 4 décembre (« Le public ne devrait pas ignorer que toute une masse d’honnêtes cheminots veille sur ses colis »). Aux exactions des uns, vivement fustigés, ces articles s’empressent d’opposer les actes de probité des autres, tel cet homme d’équipe, Marcel G., de Paris-Quai d’Orsay, qui, le 15 juillet 1942, s’empresse de remettre la serviette qu’il vient de trouver dans le filet d’une voiture et les 132 350 francs en billets de banque qu’elle renfermait. Les exemples ne manquent pas. Suit, en 1943, une longue période de silence. Le problème des vols n’est plus évoqué dans les colonnes du journal : la crainte sans doute d’apporter des arguments à ceux, nombreux, à commencer par la presse nationale, qui ne manquent pas de clouer au pilori la corporation, par ailleurs accusée de profiter de sa position pour se livrer sans retenue au marché noir. Mais ceci est une autre histoire.

Sous haute surveillance La SNCF, tout comme avant elle les grands réseaux, avait été déjà confrontée au problème des

vols et elle s’était dotée, dès 1938, des moyens de combattre ce fléau. Les Régions disposaient ainsi chacune d’un service de surveillance générale4, chapeauté au niveau national par le service central du Mouvement5. Placé sous l’autorité d’un inspecteur, chaque service de surveillance générale était constitué d’une « brigade régionale » fixe et de plusieurs « brigades locales6 », le plus souvent mobiles. La brigade régionale intervenait à l’échelle de la région (missions particulières, enquêtes générales), les brigades locales à l’échelle des arrondissements7. Leurs membres étaient des agents SNCF, pas nécessairement assermentés. Armés pour certains, ils étaient tous porteurs d’une carte d’identification spécifique et munis d’autorisations leur permettant de circuler librement dans les emprises ferroviaires et d’accéder aux bâtiments et aux matériels roulants. Ils étaient habilités, en outre, en accord avec les chefs d’établissement et 4- Lorsque ces services étaient évoqués collectivement, on recourait au qualificatif global de « la Surveillance générale ».

5- Pendant la guerre, les questions touchant à la Surveillance générale étaient régulièrement examinées au sein du Service central du Mouvement par une entité dite « Sous-commission de surveillance générale » qui, en juillet 1943, prend le nom de « Commission consultative de surveillance générale ».

6- La création des brigades locales (où « territoriales ») remonte à octobre 1940. 7- En mars 1943, la répartition des brigades locales (quatre hommes par brigade) s’établit comme suit : Est 9, Nord 8, Ouest 8, Sud-Ouest 12, SudEst 14.

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en leur présence (ou celle de leur représentant), à procéder à la visite des placards et des paniers, voire à des fouilles au corps8. Enfin, face à la recrudescence des vols, il est décidé, fin 1941, de renforcer la surveillance par l’emploi dans chaque région d’un corps d’agents spécialement affectés au gardiennage des gares et des triages, corps qualifié en mars 1942 de « Service de surveillance locale » par analogie avec le Service de surveillance générale. En juillet 1942, l’ensemble des agents de surveillance sont dispensés du port de la casquette afin de pouvoir garder « un anonymat complet ». Dans le même temps, la SNCF obtient des autorités d’occupation l’autorisation de les réarmer, une démarche identique étant menée auprès des préfets de la zone libre9. Commencée en mars 1942 en zone occupée et en mai en zone libre, l’approvisionnement en armes de poing se poursuit jusqu’en mars 1943. C’est à cette époque seulement qu’ont lieu les premières distributions, limitées toutefois à certaines opérations, la demande de la SNCF de la possibilité pour chaque agent de conserver son arme en permanence, y compris en dehors des heures de service, n’ayant pas, semble-t-il, abouti. Depuis l’Armistice, les effectifs de la Surveillance générale n’avaient cessé d’être revus à la hausse en corrélation avec l’augmentation des vols10. Ils le sont une nouvelle fois, et de façon conséquente, le 1er juin 1942.

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À cette date, en effet, il est décidé de les porter progressivement de 585 à 697 agents. Les effectifs de la surveillance locale bénéficient du même coup de pouce, passant de 947 à 1 094 agents. Ce qui permet au président Fournier d’annoncer au secrétaire d’État aux Communications, le 28 septembre 1942, qu’« il y a maintenant, au total, 1 791 agents de la SNCF dont l’activité est presque entièrement employée à combattre les vols de marchandises en cours de transport ». Un chiffre théorique mais proche de la réalité : en mars 1943, un décompte officiel fait état de 1 736 agents, dont 696 pour la Surveillance générale et 1 040 pour la Surveillance locale. Début 1942, la SNCF sollicite également l’aide de la police et de la gendarmerie. Des réunions ont lieu à cet effet tant à la préfecture de Police qu’au ministère de l’Intérieur. Il lui faut cependant attendre mars 1943 pour qu’une coopération sérieuse prenne corps, concrétisée notamment par la création au sein de la police d’une « Section judiciaire des chemins de fer » dont la juridiction s’étend aux trois départements de la Seine, de la Seine-et-Oise et de la Seine-etMarne11. La part de la police et de la gendarmerie reste cependant modeste : à peine plus de 12 % des arrestations en 1942 et en 1943. En août 1943, enfin, les surveillances générales et locales sont invitées à étendre leur contrôle aux dépôts et ateliers.

Il ne s’agit plus ici de lutter contre les vols, mais contre les « attentats », dont le nombre se multiplie. À l’été 1943, il est décidé d’adjoindre un volet « prévention » à l’ancien volet « répression ». Concrètement, il est prévu de doubler chacun des services de surveillance générale régionaux d’un service de prévention. Cette mesure, tient à préciser Jean Tuja, directeur du Service central du Mouvement, lors de la tenue, le 12 juillet, d’une séance de la Commission consultative de surveillance générale, n’est pas une marque de défiance à l’égard des hommes en place, mais l’expression de la volonté de la SNCF de renforcer la lutte contre les vols par une autre approche, le recours exclusif à 8- En février 1944, il est demandé que la fouille du personnel auxiliaire féminin, limitée jusqu’alors à quelques cas, soit généralisée, mais confiée à des personnes du même sexe. 9- Ces mêmes autorités d’occupation avaient exigé leur désarmement en février 1941, imitées par quelques préfets en zone non occupée.

10- Le nombre des agents passe de 269 en 1939 à 409 en 1941.

11- À la même époque, la HVD de Bruxelles informe la SNCF de sa volonté d’instaurer prochainement des Services de répression des vols (touchant notamment les envois de la Wehrmacht) dans les EBD de Lille et de Nancy, et sollicite d’elle une « étroite collaboration ». Une conférence se tient à cet effet à Lille le 30 mars 1943. En effet, les Eisenbahndirektionen (EBD) régionales de Lille et de Nancy, dont dépendaient les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, dépendaient de la Hauptverkehrsdirektion (HVD) centrale de Bruxelles.

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la répression ayant montré ses limites. Le préjudice lié aux vols est alors estimé pour la SNCF à 240 millions par an12 : « Pour ce motif, et plus encore peut-être au point de vue moral, poursuit J. Tuja, M. le Président du Conseil d’Administration et M. le Directeur Général attachent une importance capitale à la question. Les vols constituent actuellement la tare majeure de la SNCF, le discrédit qui en résulte efface, en grande partie, la gratitude du public pour les services que nous rendons au Pays. Nous avons donc une œuvre utile à faire au niveau national. » Les services de prévention sont officiellement mis en place le 1er octobre 1943.

Après la répression, la prévention La prévention prend un double visage : action sur les esprits tant par écrit (articles, affiches, slogans) que verbalement (conférences, causeries) pour tenir en éveil le sens moral des cheminots ; protection des marchandises par la surveillance (chasse aux négligences, application strictes des consignes) et le conseil (amélioration des installations). Pour sensibiliser les cheminots à cette nouvelle approche, il a été décidé, en septembre 1943, de mettre sur pied une vaste campagne « de propagande » obéissant à quatre axes principaux : publication d’articles dans les Avis hebdomadaires d’arrondissement et les Renseignements

hebdomadaires SNCF ; apposition dans les lieux non accessibles au public de « placardsslogans » et ajout de « papillonsslogans » sur les feuilles de solde ; organisation de conférences ; mise en place d’un système de primes pour les agents « qui feront preuve d’initiative en matière de prévention, qu’il s’agisse d’initiatives et de réalisations purement locales ou de suggestions d’ordre général »13 et de sanctions administratives pour ceux « qui se rend[ront] coupables de négligences pouvant faciliter les vols, même lorsqu’il n’y a pas de vol effectif ». Les Renseignements hebdomadaires SNCF reprennent donc la publication des articles ciblés interrompue depuis plusieurs mois. Le 29 octobre 1943, paraît un premier papier consacré à « L’angoissante question des vols », papier qui informe les lecteurs du préjudice matériel que ceux-ci font peser sur l’entreprise (un million de francs par jour environ), minime cependant comparé au préjudice moral causé à tous les membres de la corporation : « À une époque où la presque totalité des transports passe par nos mains, le public qui se voit ainsi lésé se laisse aller volontiers à soupçonner tous les cheminots

5Dès 1941, les ordres de service lénifiants cèdent la place à des formules plus percutantes prenant la forme de slogans diffusés par des papillons. CAH SNCF.

en bloc. Nous risquons tous d’être fâcheusement discrédités, et pour de longues années. » L’édition du 3 décembre 1943 sert de support au lancement par la SNCF du « concours de la prévention des vols » ouvert à tous les cheminots et aux membres de leur famille. Dotés 12- 73 millions en 1938, 299 millions en 1941.

13- R. Le Besnerais propose en octobre 1943 la mise en place de « boîtes à idées dirigées ».

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de 12 500 francs de prix, dont 5 000 pour le lauréat, il invite « à réaliser des dessins ou à trouver des slogans pouvant s’appliquer à la lutte entreprise contre les vols ». Clos le 15 janvier 1944, le concours suscite l’envoi de plus de 700 réponses, dont beaucoup émanant d’enfants et d’apprentis (agissant seuls ou collectivement). Les résultats sont publiés le 25 février. Composé de représentants du Service commercial et des services de la Surveillance générale, le jury décerne le 1er prix à M. Forgeron, aidecontrôleur technique VB de Paris-Nord pour son affiche « Mains noires… mais propres. Une devise à adopter », affiche qui représente un mécanicien brandissant un extrait de son casier judiciaire, vierge s’entend. Les œuvres des 160 candidats primés (le montant des récompenses a été doublé entretemps) sont exposées du 6 au 20 mars dans l’ancien Salon des artistes cheminots à la gare de Paris-Lyon, visitées entre autres par le directeur général de la SNCF Robert Le Besnerais. Les meilleurs dessins et slogans sont présentés au président Fournier lors d’une séance du conseil d’administration. La sensibilisation des cheminots passe aussi par l’affichage en interne, à l’échelle de chaque région, des sanctions prises à l’égard des agents reconnus coupables de vols. Prescrite par R. Le Besnerais dès le 17 octobre 1940, la mesure suscite des divergences de vues

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sur les formes et la périodicité à donner à l’information, ce qui conduit le Service central du Personnel à faire, le 12 mars 1941, des recommandations, chaque région gardant son libre arbitre. Il est simplement demandé que la liste des peines prononcées fasse l’objet d’un affichage régulier (dernier à s’incliner, le Sud-Ouest n’obtempère qu’au premier trimestre 1943) avec indication du grade et de la résidence de l’agent, mais sans qu’il soit nommément cité. Le respect de l’anonymat est vigoureusement défendu par R. Le Besnerais. Invité à se prononcer sur l’opportunité de dévoiler le nom des fautifs comme l’envisage l’Administration des Postes (secteur le plus touché avec le chemin de fer par les vols de colis), il répond sans ambiguïté le 16 avril 1943 que « les collègues de la même résidence n’ignorent pas l’exclusion prononcée contre un agent qui s’est rendu coupable d’une pareille faute » et que « dans les résidences où il est inconnu, l’affichage du nom n’apporterait aucune force supplémentaire à la publication des révocations et ne pourrait que jeter un discrédit sur la famille, ce qui n’est pas le but recherché ». Quelques mois plus tard, son attention ayant été attirée par une affiche « de dimensions considérables en raison du nombre des révocations »14 (et donc vraisemblablement peu lisible), R. Le Besnerais mobilise de nouveau ses services. Le 6 octobre 1943,

le Service central du Personnel réexamine ainsi l’opportunité d’uniformiser la périodicité et la forme à donner aux affiches. La commission réunie à cet effet reconnaît volontiers l’impact positif des affiches sur le personnel : « Il est certain que pendant les premiers mois leur effet dut être appréciable. Elles montraient au personnel que les voleurs n’avaient aucune indulgence à attendre, elles leur révélaient par le nombre des sanctions prononcées la gravité du mal à combattre et la nécessité où se trouvait leurs chefs de procéder à une répression impitoyable. » Elle souligne aussi les efforts réalisés pour continuer à mobiliser l’attention des agents : « Pour éviter que, par accoutumance, les agents cessent de porter intérêt à ces affiches, les Régions se sont efforcées d’en varier la présentation, par le changement de couleur du papier, l’utilisation d’encre de couleur, de caractères typographiques différents, l’insertion de renseignements statistiques sur le nombre de révocations prononcées, sur le total des peines infligées par les tribunaux… Des commentaires sont ajoutés en bas et en haut de l’affiche dans le but de faire réfléchir le personnel sur les conséquences que peut avoir la multiplication des vols tant pour les agents euxmêmes que pour leurs familles, pour la corporation des cheminots, pour la nation tout entière 14- Affiche de la Région du Sud-Est reprenant trois mois de sanctions.

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[…] » La commission estime cependant qu’il n’est pas judicieux de « s’astreindre obligatoirement à publier chaque mois une liste des agents révoqués pour vols ». Elle préconise donc que les régions continuent à faire paraître soit une liste des agents révoqués analogue à celles déjà publiées, soit des recommandations spéciales au personnel, soit des statistiques numériques des révocations prononcées, etc., mais conservent toute latitude en ce qui concerne la périodicité des affichages et leur présentation. Enfin, se faisant l’écho de revendications régionales, la Commission consultative de surveillance générale fait observer, au cours de sa réunion du 8 novembre 1943, « qu’il y aurait intérêt à mentionner le nombre d’arrestations d’étrangers à la SNCF sur les affiches intérieures relatives aux révocations pour vols. Le fait de ne signaler que les cheminots révoqués laisse croire au public, qui lit malgré tout certaines de ces affiches, que les vols ne sont effectués que par les agents alors qu’une partie importante est imputable aux étrangers à la SNCF ».

De l’avertissement aux travaux forcés Tout agent convaincu de vol est traduit devant le conseil de discipline régional. Le dossier est ensuite transmis à la justice

5Pas de noms ni de lieux. Il ne s’agit pas de désigner les coupables à la vindicte, mais de montrer que tout vol, si minime soit-il, n’appelle qu’une seule sanction : la révocation. CAH SNCF.

qui peut assortir la sanction administrative d’une amende et/ou d’une peine de prison. Dans le cas particulier du vol de colis destinés aux prisonniers – considéré comme l’acte le plus « odieux »15 –, l’agent, en application de la loi du 12 août 1942, est déféré au tribunal spécial16 dont relève son domicile, la peine encourue étant alors les travaux forcés à perpétuité17, bien plus lourde que pour les prévenus dont la profession ne touche pas au monde du transport, limitée aux travaux forcés à temps. La loi du 19 mai 1943 renforce le dispositif en étendant la peine des travaux forcés à perpétuité aux détournements de colis de prisonniers (soustraction partielle de leur contenu) et aux receleurs. La lourdeur de la peine a fait que seuls les agents impliqués dans les affaires les

plus graves ont été traduits devant un tribunal spécial. L’affaire la plus médiatisée a été celle d’un chef de train de 15- Dans un Ordre du jour (n° 43 du 12 mars 1942) R. Le Besnerais met en garde les agents sur la sévérité des sanctions relatives à ces vols et précise que « aucune circonstance atténuante et aucune considération de famille ne seront admises ».

16- Tribunaux créés par la loi du 24 avril 1941 pour juger dans un premier temps les auteurs d’agressions nocturnes. Par la suite leur domaine de compétences est élargi à de nouveaux crimes et délits – vol nocturne de bestiaux, marché noir, vol de colis de prisonniers, infractions économiques et pillage en temps de guerre – assortis de peines multipliées oscillant entre l’emprisonnement et la mort.

17- Art. 2 de la loi du 12 août 1942 : « Si le vol ou la tentative de vol a été commis par un individu qui, par ses fonctions, contribue, à quelque titre que ce soit, au transport des de colis ou des objets destinés aux prisonniers de guerre, la peine des travaux forcés à perpétuité sera prononcée. »

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Compiègne condamné à Paris le 31 août 1942 aux travaux forcés à perpétuité pour avoir accumulé à son domicile une quantité considérable de denrées et objets divers prélevés dans des colis envoyés à des prisonniers, vols destinés à subvenir à ses propres besoins mais aussi à alimenter quelques trafics personnels par la vente sur le marché noir. Heureusement, toutes les affaires ne débouchent pas sur des condamnations aussi sévères. Et, contrairement à l’intransigeance affichée en haut lieu, les conseils de disciplines ont à leur disposition un éventail de sanctions qui leur permettent de modérer les peines. Ainsi, le traitement en interne, en décembre 1941, des 151 dossiers relatifs à des agents du cadre permanent accusés de vols débouche sur 88 révocations, 32 derniers avertissements, 11 blâmes du chef de service, 1 congédiement, 6 blâmes du chef d’établissement et 13 classements sans suite18. De plus, des demandes d’arbitrage et des recours en grâce peuvent être transmis au directeur général. Reste que la sévérité de certains jugements surprend au regard des faits reprochés, tel ce brigadier de manutention du Sud-Est condamné en 1941 à la révocation (SNCF) et à 50 francs d’amende (justice) pour avoir soustrait d’un cageot de volailles deux œufs pondus au cours du transport et fait main basse sur un couteau tombé d’un

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5En 1943, le local de Paris-La Chapelle dédié à la préparation des colis destinés aux cheminots de la région du Nord retenus prisonniers en Allemagne. Renseignements hebdomadaires SNCF, numéro spécial « Pour nos prisonniers », n° 95 (30 juillet 1943).

5Prononcée par la SNCF, la révocation, déjà catastrophique par les répercutions matérielles qu’elle entraîne, peut être accompagnée d’une sanction judiciaire pouvant aller jusqu’aux travaux forcés à perpétuité. CAH SNCF.

colis. Il faut préciser ici que les vols commis par des agents du cadre permanent, bien que leur part soit prépondérante à partir de 1941, ne sont pas les seuls délits dont les conseils de discipline et la justice ont à connaître. Menées antinationales, abandons de poste,

absences irrégulières, insultes/ voies de faits/coups et blessures, graves négligences dans le service, ivresse en service, outrages 18- La rétrogradation et le déplacement par mesure disciplinaire figurent aussi au nombre des sanctions possibles.

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publics à la pudeur, sommeil en service sont également jugés. La révocation reste malgré tout, pour les affaires touchant aux vols d’objets confiés au chemin de fer, la sanction la plus souvent prononcée contre les agents du cadre : 58 en 1940, 1 225 en 1941, 2 311 en 1942 (pointe jusqu’à 253 en octobre), 2 524 en 1943 (pointes à 282 en juillet et en août), 946 en 1944. La peine est-elle suffisamment dissuasive ? R. Le Besnerais est loin d’en être persuadé. S’adressant le 31 mars 1942 aux membres du conseil d’administration de la SNCF, il signale que les agents révoqués « trouvent à s’embaucher ailleurs à des prix supérieurs à ce qu’ils gagnent à la SNCF. En outre, leur impression générale très nette est que toutes les sanctions prises pendant la guerre donneront lieu à une amnistie d’ensemble qui leur permettra d’obtenir leur réintégration ». Et de préciser amèrement : « Cette croyance est accréditée par une propagande insidieuse. » Elle l’est aussi sur le terrain par certains errements. Le 28 février 1944, la Commission consultative de surveillance générale regrette que trop d’agents révoqués soient rappelés par les autorités en tant que « requis » pour être employés à la surveillance de points sensibles dans les emprises des gares et demande à ce qu’ils soient affectés à des postes en pleine voie. Elle déplore par ailleurs que

certains utilisent encore leur uniforme pour circuler dans ces mêmes emprises et requiert en conséquence que tout agent quittant le service du chemin de fer rende obligatoirement « ses broderies, boutons, coiffures ».

Flagrants délits et dénonciations Le plus souvent, les fautifs sont pris en flagrant délit de vol. Ainsi, en décembre 1943, le conducteur Charles B., de Limoges, est surpris en gare d’Uzerche « au moment ou il pratiquait un trou dans un fût, mais n’eut pas le temps de soutirer du vin ». Plus pernicieuses sont les fouilles inopinées. Fouille des armoires de service : le 5 août 1943, « au cours d’une visite des placards effectuée en gare de Limoges-Bénédictins […], il fut découvert dans celui de l’homme d’équipe R. une boîte de pilules pharmaceutiques » ; interrogé, il reconnaît s’être servi dans un colis avarié et avoue d’autres vols, du chocolat, des torchons et une paire de sabots de cuir. Fouille des paniers : le 27 novembre 1943, « au cours d’une visite des paniers [en gare de Limoges] des agents ayant équipé le train 4124, le conducteur B. fut trouvé porteur de trois saucissons, d’une boîte de sardines et d’un paquet de tabac » ; une visite à son domicile permet de découvrir d’autres conserves qu’il avoue avoir également dérobées. Encouragée en haut lieu, on l’a dit, la dénonciation contribue également à la répression. Dans

son ordre régional du 3 avril 1942, le directeur de l’Exploitation de la Région de l’Est ne cache pas sa satisfaction de voir le nombre d’agents convaincus de vol dénoncés par leurs collègues passer de 15 en décembre 1941 à 24 en février 1942, le chiffre le plus élevé depuis un an, et de conclure : « Ces chiffres montrent que l’immense majorité du personnel a compris les appels qui lui étaient adressés et qu’un nombre croissant d’agents apportent leur concours actifs à la répression des vols qui menacent nos moyens d’existence. » Si les vols sont généralement le fait d’individus isolés, le phénomène d’entraînement entre agents n’est pas rare. Ainsi, en 1941, seize cheminots de Blainville, de tous postes et de tous grades, sont révoqués pour vols et consommation de marchandises en cours de transport. La même année, vingt et un agents de Saint-Dizier connaissent la même sanction pour vols et consommation de vin en cours de route. La sentence étant à chaque fois individuelle, il est difficile d’affirmer avec certitude qu’il y a eu complicité ou s’il s’agit d’un tacite accommodement au niveau de ces établissements. L’affaire des 900 pièces d’or de 20 francs dérobées à la messagerie arrivée de Paris-Lyon fin novembre 1940 relève bien, elle, de la complicité. Neuf hommes d’équipe sont inculpés pour avoir directement participé à ce vol (dont un accusé d’avoir vendu 350 de ces pièces), un autre pour

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avoir accepté trois pièces et les avoir négociées, un dernier pour avoir reçu une somme de 8 200 francs provenant de la vente des pièces volées. Bien que les vols de denrées et boissons (avec une prédilection marquée pour le champagne) soient les plus courants, charbon, pétrole, tabac, pneumatiques, bicyclettes, tissus, vêtements, chaussures, savon figurent également parmi les objets les plus convoités. Ces vols sont le plus souvent de peu d’importance et sans doute guidés par un besoin immédiat lié à la pénurie. Dans quelques cas cependant on peut soupçonner les auteurs des vols de vouloir se livrer à un trafic lucratif. Difficile de croire, en effet, que ce wagonnier de la Région du Sud-Est, chez lequel ont été retrouvés en 1941 20 boîtes de conserve de viande, 200 boîtes de thon, 50 kg de sucre et 25 kg de café prélevés dans des wagons en attente de triage, ait agi sous le coup d’une impulsion subite. La justice ne s’y est pas trompée en assortissant sa révocation de dix mois de prison ferme.

Pour quels résultats ? Les résultats ont-ils été à la hauteur des efforts entrepris ? Globalement non à en croire R. Le Besnerais qui, le 20 janvier 1943, dresse un premier et court bilan devant les membres du conseil d’administration de la SNCF : « Il est regrettable d’avoir à constater que nous n’avons pas pu, au cours de 1942 et malgré les mesures prises,

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enrayer la progression des vols de marchandises. Le nombre des vols a augmenté, en effet, de 20 % par mois d’un bout à l’autre de l’année. » Seule satisfaction, « bien que le nombre des arrestations ait augmenté de 50 %, le nombre d’agents de la SNCF arrêtés n’a pas augmenté : 600 environ tant en début qu’en fin d’année, tandis que celui des étrangers au chemin de fer a augmenté de près de 800 du début de l’année à la fin ». R. Le Besnerais s’était exprimé le 31 mars 1942 sur la certitude que partageait un grand nombre d’agents révoqués d’une amnistie générale une fois la guerre terminée. Il avait été précédé en cela par le directeur de la Région de l’Est, R. Renard, qui dans son ordre régional du 5 janvier 1942 s’était montré inflexible excluant d’éventuelles réintégrations : « Je puis donner l’assurance que, contrairement aux bruits de même source qu’on tente de faire courir, aucun voleur révoqué ne sera à quelque moment que ce soit réintégré dans les cadres de la SNCF : une entreprise de transports ne peut subsister que si elle inspire confiance au public : de telles réintégrations tueraient la confiance et notre entreprise du même coup. » Pourtant, à l’automne 1944, confrontée à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, la SNCF décide la réintégration des agents révoqués pour vols entre le 22 juin 1940 (signature de l’Armistice) et le 1er septembre 1944. Peuvent être réintégrés d’office les agents condamnés pour vols au préju-

dice des autorités allemandes (marchandises françaises destinées à la Wehrmacht ou à destination de l’Allemagne), pour vols commis pendant la période troublée de 1940 (« récupération » de marchandises éparses dans les rues et sur les routes, dans les maisons abandonnées, dans les magasins pillés, dans les wagons détériorés), pour vols au préjudice de la SNCF (ramassage/prélèvements de charbon sur les voies et sur les machines, pétrole, huile, carbure, petit outillage, petits matériaux de construction). Peuvent être proposés à la réintégration les agents condamnés pour vols au préjudice d’un tiers (denrées, fourrage, bois), pour vols de marchandises confiées au transport (petits détournements, par exemple un fromage, un paquet de biscuits), pour recels (denrées et vin en petites quantités si connaissance de la provenance, en grandes quantités si ignorance de la provenance), pour participations à un vol collectif (agents de grade peu élevé craignant des représailles de leurs supérieurs), pour ramassage de denrées et marchandises diverses (céréales, farines, charbon, conserves, vêtements, linge échappés d’une caisse brisée, d’un sac éventré) ou prélèvements de vin (à des fûts ou foudres préalablement percés par d’autres ou en vidange). Dans tous les cas, sont pris en considération le peu d’importance des vols, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis, la situation de famille des agents concernés, la qualité et l’ancienneté de leurs services, etc.

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En principe, ne peuvent bénéficier de cette clémence les agents ayant volé dans des colis destinés à des prisonniers de guerre. Subordonnée à une visite médicale et à la révision de la sanction initiale (révocation) en « dernier avertissement », « retard d’avancement », « rétrogradation » ou « déplacement pour mesure disciplinaire », la réintégration fait obligation à l’agent de renoncer à tout dédommagement : « Si vous acceptez d’être réintégré, vous serez traité, aux points de vue de votre position en échelle et de vos droits à la retraite comme si vous aviez été, pendant votre absence, en situation de disponibilité, sans faculté de versements. » Ces réintégrations ne font pas l’unanimité, y compris au sein de l’entreprise. Ainsi, lors d’une réunion de la Commission départementale provisoire de la main-d’œuvre de Saône-etLoire, qui réunit représentants des employeurs et des salariés, tenue à Châlons-sur-Saône le 9 octobre 1945, l’une des questions évoquées touche justement au « réembauchage à la SNCF ». Le procès-verbal de la séance rapporte l’intervention du représentant de la SNCF, M. Debarbouille, qui « fait remarquer que des agents ayant volé pendant l’occupation ont été réembauchés parce que leurs vols ont été considérés comme “vols patriotiques”, ce qui n’était pas le cas » et précise que ces réembauchages « ont d’ailleurs été très mal accueillis par le personnel honnête ». Les exemples de candidats

à la réintégration écartés in extremis grâce à la vigilance de l’encadrement en place ne manquent pas. Ainsi, le 11 avril 1945, le chef de gare de Lozanne (Rhône) appelle l’attention de sa hiérarchie sur le passé de Joseph M., ancien brigadier de manutention à Lyon-Vaise. Révoqué pour vol et condamné à six mois de prison le 17 juin 1943 par le tribunal correctionnel de Lyon, notre homme avait refait surface à Lozanne comme « chef de poste des gardes-voies requis » et avait profité de sa nouvelle affectation pour dérober, le 14 janvier 1944, deux colis express (vol reconnu par lui) et un colis de prisonnier de guerre (vol qu’il conteste). Traduit devant le tribunal spécial, il est relaxé le 24 mai 1944 au bénéfice du doute pour le colis de prisonnier de guerre, le reste du vol bénéficiant de cette relaxe. S’il échappe à la justice, l’intervention du chef de gare de Lozanne empêche sa réintégration.

vous de faire votre police”. » La Surveillance générale, dont les effectifs ont été renforcés (plus de 4 000 agents) est toujours en première ligne, mais cela ne suffit pas. Les cheminots sont invités à faire de « l’auto-défense » afin de démasquer « la brebis galeuse » qui a pu se glisser dans leurs rangs, mais aussi « faire la chasse aux voleurs amateurs ou professionnels qui rôdent [et] sont souvent beaux parleurs, et très aimables… ». Surtout, ils doivent veiller à ne pas faciliter les vols en vérifiant la solidité des emballages, en surveillant de près colis et bagages, en expulsant les personnes étrangères au service, etc. « Tous au travail donc, pour que notre corporation soit délivrée des soupçons que certains voudraient faire peser sur elle et que, dans nos compte, on assiste à une diminution verticale des sommes inscrites dans cette agaçante rubrique “Indemnités pour pertes et vols”. »

En mars 1946, Notre Trafic, journal du Service commercial de la SNCF, signale que loin d’avoir cessé avec la guerre, les vols sont de nouveau en augmentation. Et, comme aux heures les plus sombres, les cheminots sont montrés du doigt : « Nous savons que la réalité est différente et que presque toujours ces vols sont commis par des étrangers, mais la clientèle n’entre pas dans ces considérations ; elle a confié ses marchandises au Chemin de fer, il en est responsable jusqu’à la livraison et s’il y a perte ou vol on nous objecte : “C’est à

Cette étude s’appuie sur l’exploitation d’un certain nombre de dossiers mis en ligne par le Centre des Archives historiques SNCF (CAH) du Mans, notamment sous les cotes 25LM (Service central du personnel) 240-1 (statistiques, 1941-1946) ; 25LM 240-2 (Procès-verbaux de la Sous-commission de surveillance générale de décembre 1941 à mai 1943 et de la Commission consultative de surveillance générale de juillet 1943 à juillet 1944) ; 505LM 544-1 (Prévention et répression des vols dans l’enceinte du chemin de fer, 1938-1944).

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5Les décisions de déferrer telle ou telle ligne pour les besoins en rails et traverses du Méditerranée-Niger ont donné lieu à une correspondance nourrie entre la SNCF et le secrétariat d’Etat aux Communications. CAH SNCF.

Âgé de 49 ans, Gilles Degenève est entré à la SNCF en tant qu’apprenti du Matériel. Il occupe actuellement la fonction de chef de bord à l’Établissement commercial trains de Chambéry et travaille sur les lignes TGV Genève-Paris et Genève-Nice. Affichant une prédilection marquée pour l’histoire de l’infrastructure du réseau ferré français, il achève aujourd’hui, pour la revue Chemins de fer (AFAC), une étude consacrée à l’évolution des vitesses-limites des trains de voyageurs de la SNCF depuis 1938. Il est membre de l’AHICF depuis 2009.

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La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale (1re partie) Au cours du dernier conflit mondial et dans l’immédiat après-guerre, le réseau ferroviaire français a été amputé de plusieurs milliers de kilomètres de voies par mise à voie unique de lignes à double voie ou dépose de lignes à voie unique, tant pour répondre aux réquisitions de l’occupant que pour participer à l’effort national (Défense, Transsaharien, Reconstruction). Gilles Degenève

Les premiers prélèvements (1940-1942) De 1940 à 1949, la SNCF à procédé à la « dépose », c’est-à-dire au démontage, de plusieurs milliers de kilomètres de voie destinés à répondre tant à ses besoins propres qu’à ceux imposés par des intervenants étrangers à l’entreprise. Pendant cette période, la consistance du réseau a été indéniablement revue à la baisse. Ce recul a obéi à trois phases principales : - de 1940 à 1942, la dépose de quelques tronçons isolés et l’aide à la construction, en Afrique du Nord, du mythique « Méditerranée-Niger » ; - de 1942 à 1944, l’intervention de l’occupant afin de faire procéder, au profit du Reich, au démontage de 2 500 km ;

- de 1944 à 1949, la nécessité de remettre en état au plus vite le réseau meurtri par les destructions ayant précédé ou accompagné la Libération. Lorsque, le 1er janvier 1938, la SNCF prend le relais des anciens réseaux, la longueur totale effective des lignes tombées dans son escarcelle (y compris celles à voie étroite) est de 42 642 km, répartis comme suit1 : •

Nord - total : 3 830 km - dont double voie : 2 540 km - dont voie unique : 1 290 km

Est - total : 5 216 km - dont double voie : 4 323 km - dont voie unique : 893 km AL - total : 2 106 km - dont double voie : 1 280 km - dont voie unique : 826 km PLM - total : 9 949 kms - dont double voie : 4 961 km - dont voie unique : 4 988 km Midi - total : 4 315 kms - dont double voie : 1 219 km - dont voie unique : 3 096 km PO - total : 7 411 kms - dont double voie : 2 441 km - dont voie unique : 4 970 km État - total : 9 660 kms - dont double voie : 4 093 km - dont voie unique : 5 567 km Ceintures - total : 155 kms - dont double voie : 155 km

1- La statistique ne tient pas compte de la fusion de l’exploitation des Compagnies d’Orléans et du Midi intervenue le 1er janvier 1934.

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On remarque d’emblée que la proportion entre lignes à double voie et lignes à voie unique diffère selon les réseaux. L’Est totalise ainsi près de 83 % de lignes à double voie, le Midi 28 % seulement, écart qui s’explique par le caractère éminemment stratégique des lignes du réseau Est. D’un point de vue strictement géographique, l’examen d’une carte du réseau révèle la faiblesse de l’équipement en double voie de la région du Massif central, la plus mal lotie du territoire national. Dans l’ensemble cependant, les installations ferroviaires françaises sont plutôt bien proportionnées, puisque le pourcentage des sections équipées de deux voies ou plus avoisine 50 %. Un bilan tout à fait honorable comparé aux autres pays européens à la même date : l’Italie, l’Espagne, la Suisse et l’Autriche ont un taux d’équipement très nettement inférieur à cette valeur. La preuve aussi que nos autorités militaires ont su tirer les enseignements, parfois douloureux, des deux précédents conflits armés (1870-1871 et 1914-1918), l’inadaptation de la capacité d’écoulement des convois destinés au front ayant eu parfois des répercussions dramatiques sur l’issue des combats.

la puissance occupante que la seconde voie des tronçons du Monastier à Saint-Sauveur-de-Peyre (ligne de Béziers à Neussargues), de Lusignan à Saint-Maixent (ligne de Poitiers à La Rochelle) ou encore de Lérouville à Pont-Maugis (Sedan) a été déposée en 1943, alors que les deux premiers n’ont jamais été exploités à double voie au cours de leur histoire et que le troisième n’a été mis à voie unique qu’en 1946-1947. D’autres affirment sur le même ton que la deuxième voie de Sathonay à Bourg-en-Bresse a été déferrée sur ordre allemand au cœur du conflit, alors que la décision ministérielle de dépose, qui n’a été prononcée que le 6 décembre 1944 et appliquée sur le terrain en 1945, n’est nullement imputable à l’occupant. Ces erreurs ont été favorisées par l’absence d’une étude d’ensemble, rendue difficile par la dissémination des sources documentaires qu’il faut confronter en permanence pour y voir plus clair et comprendre que telle situation envisagée a été finalement écartée au profit d’une autre.

Au début de 1938, il est impossible d’imaginer que le réseau national allait faire l’objet de modifications profondes. La conjonction involontaire de la Seconde Guerre mondiale et de la mise en place des nouvelles structures administratives de l’entreprise nationale (SNCF) devait conduire, en effet, à des répercussions au caractère quasiment irréversible dans le régime d’exploitation de nombreuses artères jugées pourtant vitales jusqu’alors. Gardons-nous cependant de partager l’opinion généralement admise selon laquelle les coupes sombres qui ont alors touché le réseau n’auraient que le conflit pour seul responsable. Certes, ils sont encore nombreux ceux qui déclarent de manière péremptoire que « c’est pendant la guerre », sans avoir besoin de préciser laquelle, que telle ligne a été mise à voie unique ou totalement déferrée. Or, cette certitude, née d’une « impression » toujours vivace plus de soixante-dix-ans plus tard, a donné lieu à des inexactitudes flagrantes. Ainsi, d’aucuns restent persuadés que c’est sur ordre de

- le kilométrage indiqué correspond à la longueur linéaire effective déposée, donc deux fois plus importante pour une ligne à double voie entièrement déferrée que pour une ligne à voie unique ;

Les tableaux présentant les sections de lignes touchées ont été établis en tenant compte des particularités suivantes :

- l’année de référence se rapporte normalement au moment où le régime d’exploitation de la ligne a été modifié, c’est-à-dire le passage en régime voie unique pour une ligne à deux voies et la mise hors service définitive pour une ligne à voie unique ; - la situation retenue est celle qui correspond au caractère « permanent » des installations modifiées, ce qui exclut les régimes d’exploitation « provisoires » que certains tronçons ont pu connaître, le plus souvent en raison de la destruction d’ouvrages d’art (tunnels, viaducs) ; - l’indication « OA » signifie que c’est la destruction d’un (ou plusieurs) ouvrage(s) d’art qui a été à l’origine du changement de régime d’exploitation. Pour ne pas surcharger inutilement ce travail de recherche, on a renoncé à retenir les sections de

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ligne qui ont connu une modification de leur exploitation sans avoir fait pour autant l’objet d’une dépose. Nous citerons pour exemple le tronçon stratégique de Bourron-Marlotte à Malesherbes, exploité en voie unique à compter du 1er juillet 1947 mais ayant conservé sa seconde voie (hors service mais non déposée) à la demande de l’autorité militaire, ou encore celui de la section de Saint-Florent-sur-Cher à Issoudun dont la seconde voie, neutralisée depuis la fin du conflit (les destructions subies avaient conduit la SNCF à la « vampiriser » pour rétablir la continuité de l’autre), ne sera officiellement reconnue comme propre à être définitivement déferrée que par une décision ministérielle du 19 janvier 1955.

Pour les besoins du service et de la Défense nationale Avec l’entrée en guerre de la France le 3 septembre 1939, et une fois la période de concentration achevée, le service de la Voie et des Bâtiments prend des mesures pour diminuer la fatigue de ses lignes, notamment un abaissement général des vitesses et la réduction du nombre des circulations. Ces mesures intéressent surtout les grandes lignes, le sort des lignes de moindre importance ayant été déjà largement réglé de façon drastique par leur fermeture au transport des voyageurs, dans la continuité de ce que les grands réseaux avaient commencé à faire dès 1932 dans un souci d’économie et des mesures prises dans le cadre de la coordination rail-route de 1934. De fait, au moment de l’ouverture des hostilités, 14 660 km ont été déjà fermés aux voyageurs, totalement pour 9 760 km et partiellement pour 4 900 autres. Et si les besoins de la Défense nationale ont conduit à la réouverture de la majorité de ces lignes, cette mesure n’a été, pour la plupart, que provisoire et limitée à la période de concentration. Reste qu’au début de l’année 1940, l’entreprise, confrontée à une pénurie de matériaux, est contrainte de revoir à la baisse ses programmes d’entretien et de travaux. Cette pénurie, liée en partie à la fourniture d’importantes quantités de matériel de voie pour les besoins de la

Défense nationale2 (de janvier à juin 1940 inclus, la SNCF cède à cet effet 1 186 appareils de voie, 178 km de voie courante, 755 km de rails), s’aggrave brusquement avec l’invasion allemande. Au lendemain de l’armistice du 22 juin 1940, le service de la Voie et des Bâtiments, qui doit déjà faire face à une importante perte d’outillage, est confronté à des difficultés d’approvisionnement qui s’installent. Ainsi, les fournitures de rails, très réduites pendant les cinq premiers mois de l’année (14 000 t), deviennent quasiment nulles pendant le deuxième semestre de 1940 par suite de l’arrêt total des usines productrices de l’Est de la France. Seule l’usine du Boucau (Basses-Pyrénées) fournit un petit contingent de 11 400 t qui porte le total des livraisons de l’année à 25 400 t au lieu de 120 000 t, moyenne des années précédentes. La production des appareils de voie s’est trouvée elle aussi très réduite, limitée au cours du deuxième semestre à 400 unités livrées par les ateliers en interne à défaut de toute commande à l’industrie privée. Même pénurie pour le ballast de laitier et les traverses pour lesquelles il a fallu admettre l’abattage du bois en sève et un pourcentage plus important de certaines essences inférieures telles que l’orme ; faute de quantités suffisantes de créosote, seules les traverses en hêtre ont été imprégnées, celles en chêne étant employées sans traitement. Les conséquences sur les renouvellements et l’entretien des voies sont immédiates : compte tenu des restrictions budgétaires et des premières difficultés d’approvisionnement, la SNCF avait arrêté pour 1940 un programme portant sur 1 300 km de renouvellement de voie et 1 300 km de ballast, contre 1 900 km et 1 800 km en année normale. En définitive, elle doit limiter son action à 400 km de voie et 250 km de ballast. Dans le même temps, 2- Parmi les principaux travaux entrepris au cours du premier trimestre 1940 : des gares entièrement affectées aux permissionnaires (Massy-Palaiseau, Achères), des doublements de lignes (Tours au Mans, Dieppe à Eu), des raccordements directs (Villeneuve-Saint-Georges, Abbeville, Amiens), des faisceaux de garages pour rames militaires spécialisées (Brienne-le-Château, Chauny), etc.

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elle doit répondre aux réquisitions de matériel puis, à partir de 1942, de main-d’œuvre émanant des autorités allemandes. Elle doit ainsi puiser dans ses stocks pour fournir 292 appareils de voie, 213 km de rails, 13 700 éclisses, 34 400 boulons d’éclisses, 505 500 traverses et 704 500 tires-fonds, à quoi il faut ajouter 638 t de rails de rebut. Et, comble de malchance, sur la reconstruction des 542 ouvrages d’art, 1 202 bâtiments et 150 km de voies de service détruits pendant les combats, viennent se greffer les dommages causés d’octobre à décembre 1940 par une vague d’intempéries sans précédent : en octobre, l’inondation du Roussillon coupe la ligne de Perpignan à Cerbère obligeant à la mise en place d’une déviation provisoire pendant sept semaines. Il est évident que, dans ce contexte, la tentation est grande pour la SNCF de se fournir en matériels divers en procédant au démantèlement des lignes laissées pour compte. Parmi les opérations de dépose exécutées pendant la période de la Drôle de guerre (septembre 1939-mai 1940) et les semaines précédant l’armistice (juin 1940), on peut donner pour exemples :

- la suppression de la double voie de la courte antenne de Saint-Germain-en-Laye à SaintGermain-GC sans utilisation depuis 1936, réemployée à l’établissement d’une gare de permissionnaires à Achères (démontée à son tour fin 1940-début 1941) ; - la mise à voie unique du tronçon de MontbazinGigean à Cournonterral, dont les rails servent en partie à l’établissement de l’embranchement destiné à desservir le camp Joffre établi sur la commune de Rivesaltes (construit à des fins militaires à partir de 1938, le camp devient vite un lieu de détention de sinistre mémoire pour les populations indésirables, juive et tsigane notamment) ;

- la mise à voie unique du tronçon de Vouvray à Vernou-sur-Brenne, déferré pour les besoins de voies de travaux à Saint-Pierre-des-Corps ; - la récupération sur la ligne à voie unique de Groléjac à Gourdon de 7 km de voie linéaires réutilisés entre Brive et Montauban ;

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- la dépose de trois courtes sections à voie unique des régions Est et Sud-Est à la suite de la destruction en juin 1940 de certains des ouvrages d’art (viaducs sur la Seine et le Rhône) jalonnant leur parcours. Précisons que la mise à voie unique, en 1940, des deux courts tronçons de Nantes-Orléans à Doulon et de Nantes-Blottereau (poste E) à Doulon n’est pas liée aux hostilités mais résulte de la réorganisation du site retenu pour abriter le nouveau triage de l’agglomération nantaise, travaux décidés et commencés avant le début de la guerre. L’étude du tableau 1 montre que, dans un premier temps, les commandements français puis allemand ont partagé après la défaite les mêmes points de vue dans leur refus de porter atteinte aux voies ferrées situées sur les régions Est et Nord et, à quelques exceptions près, sur la région Ouest. Inversement, les régions Sud-Ouest et Sud-Est paient le plus lourd tribut. Leur localisation en retrait de la zone des combats puis en zone non occupée explique la propension de la SNCF à y prélever les éléments de voie dont elle a besoin faute de pouvoir s’approvisionner auprès de ses fournisseurs habituels.

Les contributions à la construction du « Méditerranée-Niger » Il nous faut maintenant évoquer les prélèvements qui ont affecté plus en profondeur le maillage du réseau ferré, en commençant par la fourniture de matériaux destinés au « Méditerranée-Niger », dont le maréchal Pétain, longtemps opposé au projet (il estimait que le Transsaharien était fait pour les marchands de rails), devait officiellement autoriser la construction le 22 mars 1941. Diversion à l’amertume de la défaite ou volonté de prévenir les éventuelles velléités allemandes de prélèvements en personnels qualifiés et matériels, le débat reste ouvert. Quoi qu’il en soit, le 26 novembre 1940, sans même donc attendre l’acte de naissance du « Mer-Niger », selon l’appellation de l’époque, le secrétaire d’État aux Communications, Jean Berthelot, au retour d’une

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Tableau 1.

RÉGIONS

KILOMÈTRES

RÉGION EST Ligne à voie unique supprimée 1940

Lurey-Conflans – Romilly (OA)

5

RÉGION NORD Ligne à double voie supprimée 1941 Auteuil-Boulogne – Grenelle(1) (1) Cette section de la Petite Ceinture, bien que située dans la partie sudouest de la capitale, appartenait administrativement à la région Nord.

2

RÉGION OUEST Ligne à double voie supprimée 1940

Saint-Germain-en-Laye – Saint-Germain-GC

3

Lignes à double voie mises à voie unique 1940

Nantes-Orléans (Bif) – Doulon

1

1940

Nantes-Blottereau Poste E – Doulon

1

1941

Thouars (Bif) – Bressuire

27

RÉGION SUD-OUEST Lignes à double voie mises à voie unique 1940

Montbazin-Gigean – Cournonterral

4

1941

Poste de Pétafy – Bédarieux Poste de l’Orb

8

1941

Sévérac-le-Château – Saint-Laurent-d’Olt

18

1941

Loudun –Thouars

25

1941

Vouvray – Vernou-sur-Brenne

3

1942

Condat-le-Lardin – Terrasson

4

1942

Bayonne (Bif Mousserolles) – Poste Saint-Pierre-d’Irube

1

Lignes à voie unique supprimées 1940

Saint-Rémy – Limours

8

1941

Groléjac – Gourdon

11

1941

Auxy-Juranville – Beaune-la-Rolande

6

1941

Poste de Pétafy – Bédarieux Poste de l’Orb (tracé d’origine)

8

RÉGION SUD-EST Lignes à voie unique supprimées 1940

Villebois – Montalieu (OA)

2

1940

Saint-Didier d’Aoste – Brégnier-Cordon (OA)

4

1940

Saint-Julien-les-Fumades – Célas

9

Sous-total du tableau 1

150 km

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Tableau 2*.

RÉGIONS

KILOMÈTRES

RÉGION SUD-OUEST Ligne à double voie mise à voie unique 1941

Millau – Sévérac-le-Château (MN1)

30

Lignes à voie unique supprimées 1940

Amélie-les-Bains – Arles-sur-Tech (MN1)

3

1941

Hautefort – Terrasson (MN1)

21

1941

Le Carlaret – Mirepoix (MN1)

17

1941

Belvèze – Limoux (MN1)

16

1941

Castillonnès – Casseneuil (MN1)

24

1941

Condom – Castéra-Verduzan (MN1)

23

1942

Bussière-Galant – Le Chalard (MN2)

13

1942

Montbazin-Gigean – Poussan-les-Oulettes (MN2)

3

RÉGION SUD-EST Lignes à double voie mises à voie unique 1942

Lons-le-Saunier – Chaussin (MN2

39

1942

Tassin — Charbonnières-les-BainsMN2

3

1942

Le Cailar — Aimargues (MN 2)

2

1942

Embrun – L’Argentière -la -Bessée (MN2)

31

1942

La Ferté Hauterive — Gannat (MN2)

35

Lignes à voie unique supprimées 1941

Saint-Cannat – La Calade Eguilles (MN1)

12

1941

Saignon – Biabaux-Saint-Michel (MN1)

29

1941

Montbrison – Grézieux-le-Fromental (MN1)

6

1941

La Chapelle Laurent – Saint-Flour (MN1)

22

1941

Saint-Gengoux – Etiveau (MN1)

3

1941

Saint-Just-Saint-Rambert (pk 7) – Fraisse-Unieux (MN1)

8

1941

Uzès – Bourdic (MN1)

7

1941

Brouzet – Fontarèches (MN1)

19

1942

Brioude – Beaumont-Lauriat (MN2)

3

1942

Grézieux-le-Fromental – Boisset-le-Cerizet (MN2)

5

1942

Clermain – La Clayette-Baudemont (MN2)

32

1942

Sommières – Gallargues (MN2)

9

1942

Bourdic – Saint-Chaptes (MN 2)

6

Sous-total du tableau 2

421 km (dont MN1 = 240 km et MN2 = 181 km)

* Précisons que la section de Groléjac à Gourdon, déjà comptabilisée dans le tableau 1, n’est pas reprise dans le tableau 2.

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mission en terre marocaine, invite la SNCF à approvisionner les chantiers d’un premier tronçon projeté entre Bou-Arfa, Colomb-Béchar et Kenadza pour l’exploitation du bassin houiller local3. Les envois, qui impliquent de déferrer un peu plus de 200 km de ligne, débutent en février 1941 depuis Marseille à destination des ports de Nemours et d’Arzew. Rails, traverses, éclisses et tirefonds issus des lignes sacrifiées de la métropole prennent ainsi la direction des franges sahariennes. La présence sur place de stocks de rails disponibles permet parfois de limiter les expéditions aux seuls éléments constitutifs secondaires de la voie comme à l’issue, par exemple, de la dépose de la seconde voie du tronçon de Millau à Séveracle-Château. L’autorisation définitive du démantèlement est soumise, là aussi, à l’approbation des autorités allemandes qui peuvent s’opposer à tout moment, pour les raisons stratégiques évoquées, à l’accord initial donné par le secrétariat d’État aux Communications. En novembre 1941, plusieurs lignes situées en zone occupée sont ainsi soumises à cet interdit. Une seconde phase est planifiée en mars 1941 en vue de l’établissement d’un nouveau tronçon entre Kenadza et Béni-Abbès. Le 2 juillet 1941, la SNCF communique la liste des sections à déferrer qui totalisent ensemble 362 km. Plusieurs interventions vont empêcher de réaliser à plein ce programme, à commencer par celle de Jean Berthelot qui, par décision du 20 octobre 1941, formule des réserves quant au choix arrêté. De leur côté, les autorités allemandes s’opposent à ce que l’on touche aux lignes situées en zone occupée4 et, une fois la ligne de démarcation franchie en réponse au débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord (novembre 1942), mettent un frein au démantèlement des lignes de la zone libre partiellement déposées ou non encore touchées. De fait, le 4 décembre 1942, la SNCF est officiellement invitée à cesser les fournitures destinées au Mer-Niger. En définitive, seuls 181 km de voie trouveront une nouvelle utilisation en Afrique du Nord, tandis que les stocks non encore expédiés prendront en partie le chemin

de l’Allemagne. Notons que les travaux, aussitôt interrompus, ne reprendront que fin 1944. Ils porteront notamment sur le prolongement de la ligne depuis Colomb-Bechar (en amont de Kenadza) jusqu’à Abadla (90 km), ouvert à titre provisoire en mai 1948. Le tableau 2 répertorie les lignes qui ont été déposées au titre du projet de construction et d’extension du Méditerranée-Niger (MN 1 pour le tronçon de Bou-Arfa à Kenadza, MN2 pour le tronçon de Kenadza à Béni-Abbès). À sa lecture, on remarque que seules ont été touchées les Régions Sud-Ouest et Sud-Est, les autorités allemandes s’étant formellement opposées à tout démantèlement en zone occupée. Des précisions sont à apporter pour certaines des sections déferrées, soit que seule une partie de leurs éléments constitutifs ait traversé la Méditerranée (traverses, éclisses et tirefonds pour celle de Millau à Sévéracle-Château ; traverses au nombre de 5 000 pour celle de Groléjac à Gourdon), soit qu’une partie du kilométrage prélevé ait suivi un autre chemin (6 des 24 km de la section de Castillonnès à Casseneuil ont été réemployés au renouvellement des voies de la ligne de Paris à Bordeaux à hauteur de la gare de Saint-Sulpice-Izon en Gironde), soit encore que leur destin ait été lié à un événement particulier (la section d’Amélie-les-Bains à Arlessur-Tech, partie terminale de la ligne ex-Midi en provenance d’Elne, ne doit d’être sur la liste qu’aux inondations qui ont dévasté le Roussillon en octobre 1940). À suivre : les parties 2 et 3 de cette étude seront publiées dans les prochains numéros des Rails de l’histoire. 3- Les 160 km qui séparent Bou Arfa de Kenadza sont inaugurés le 8 décembre 1941 par Jean Berthelot en personne. La section d’approche Oujda-Bou Arfa avait été ouverte en 1931 par la Compagnie des chemins de fer du Maroc occidental.

4- Le 25 mars 1941, pourtant, Berthelot demande à la SNCF d’étudier la possibilité de procéder en zone occupée à « quelques déposes de lignes n’ayant ni intérêt économique, ni caractère militaire ». Pour obtenir gain de cause, il compte s’appuyer sur l’engouement des milieux économiques allemands pour le Transsaharien.

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MÉMOIRE D’ENTREPRISE

En marge des 75 ans de la SNCF

Polytechnicien, entré au PLM en 1923, premier directeur commercial de la SNCF en 1938, directeur général adjoint en 1946, directeur général en 1955, Ch. Boyaux a notamment tenu à rappeler dans cette lettre comment il avait vécu professionnellement la « nationalisation » de 1938 et comment la guerre, l’occupation et la reconstruction avaient accéléré l’amalgame d’hommes venus d’horizons différents au sein de la grande « Maison ».

« J’ai été le premier Directeur Commercial de la S.N.C.F., il y a 20 ans, en 1938, et je me souviens, moi qui étais comme chacun de vous étroitement attaché à mon Réseau d’origine, de mon désarroi devant cette concentration, qui me paraissait artificielle, au 54 Boulevard Haussmann, d’agents venus des quatre points cardinaux, apportant les uns et les autres des meubles disparates et des habitudes différentes. Chacun d’eux,

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comme moi-même, regrettait son ancienne maison et ses traditions, à une époque où le sigle « S.N.C.F. » lui-même était totalement inconnu du grand public.

« Et puis très vite sont arrivées la guerre et l’occupation, avec leur cortège de difficultés sans rapport avec tout ce que nous avions connu auparavant ; elles se sont chargées de démontrer que, dans une telle période, sans l’unité de commandement de la S.N.C.F., aucun des grands problèmes de transport et de ravitaillement liés au bon fonctionnement des Chemins de fer n’aurait pu être convenablement résolu. « Après la guerre ont surgi d’autres problèmes instants : la reconstruction, le renouveau de la concurrence de la route à un niveau jamais atteint, les attaques menées contre le Réseau National en agitant le spectre du déficit.

Notre trafic. Fonds AHICF

Le 30 octobre 2012, l’ancienne halle des messageries de Paris-Austerlitz (« Halle Freyssinet ») a servi de support aux manifestations organisées par la SNCF à l’occasion de la célébration de ses 75 ans. Séquence émotion, quatorze anciens cheminots ont été invités à retracer l’histoire de l’entreprise à travers leur expérience. Nous apportons ici notre pierre à l’édifice avec le témoignage laissé par Charles Boyaux (1896-1993) qui, autorisé à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 1958, a confié au Bulletin intérieur d’informations à l’usage des fonctionnaires supérieurs (n° 25, spécial non daté) le soin de publier une lettre en date du 31 mai adressée à l’ensemble de ses collaborateurs. « C’est pendant toute cette période de la guerre et de l’aprèsguerre que s’est cimentée l’unité de la S.N.C.F. : chacun de nous s’est alors senti étroitement lié à tous ses collègues pour faire face à ces épreuves, et définitivement convaincu que, sans cette unité, nous n’aurions pas été à l’échelle des difficultés rencontrées. « C’est enfin grâce à cette même unité de la S.N.C.F. qu’a été finalement réalisé, devant l’opinion publique, ce prodigieux redressement de la cause du Chemin de fer, mettant en évidence des progrès sans précédents dans l’ordre technique, économique et commercial.

« Aujourd’hui notre Maison repose sur des bases solides ; sa réputation n’est plus à faire, aussi bien en France qu’à l’étranger, et la fierté de ma vie sera d’avoir été, pendant quelques années, à la tête de cette magnifique organisation française. » Br. C.

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ACTUALITÉS DE L’AHICF 2012

Le colloque « Histoire des réseaux, des transports et des mobilités en Île-de-France » a pris ainsi la tonalité d’une grande ouverture de concert. Organisé du 22 au 24 novembre 2012 avec la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, dont les membres ont été très nombreux à rejoindre les différentes séances, il a bénéficié du concours des Archives Nationales, qui ont reçu les deux premières journées dans leurs nouveaux bâtiments de Pierrefitte-sur-Seine avant leur ouverture aux lecteurs, de la Région Île-de-France (Service Patrimoines et Inventaire), du Comité d’Histoire de la Ville de Paris et de l’Association P2M « Passé Présent Mobilité ». Ce sont en tout plus de cent vingt personnes qui se sont associées à cette manifestation. La veille du colloque, une table ronde ouverte par Pierre Serne, deuxième vice-président

L e s c h e mi

histoire

De 2012, à l’image de ce qu’avaient avec succès accompli l’Allemagne et la Belgique en 2010, l’AHICF souhaitait faire une année du train, prenant comme appui le 175e anniversaire des chemins de fer commerciaux de voyageurs en France, avec, le 24 août 1837, l’inauguration de la ligne de Paris au Pecq. Finalement, nous avons étendu, grâce au soutien de Bombardier Transport et d’Alstom transport, ce programme de manifestations et d'événements qui prend le titre de « 2012-2017“: les chemins de fer ont une histoire ». Destiné à faire mieux connaître les racines, les acquis, les ressources et le développement du transport par rail depuis presque deux siècles, il s’adresse tant aux acteurs du transport qu’aux voyageurs et au grand public et les emmène pendant ces cinq années vers les 190 ans du train en France, les 180 ans du train de voyageurs, les 175 ans de la grande loi d’aménagement du territoire par le chemin de fer.

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« 2012-2017 : les chemins de fer fer ont de u s ont une histoire »

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du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des transports et des mobilités, a réuni dans les murs du Conseil historiens, géographes, acteurs des transports urbains, régionaux et nationaux autour de la question : « Prendre le train tous les jours : le transport des franciliens, 1837-2012. Priorités d’investissements, continuité dans l’innovation, critères de qualité. »

De gauche à droite : François Caron, professeur émérite à l’université de Paris-Sorbonne, David Azéma, directeur général délégué Groupe SNCF, président de l’AHICF, Marie-Noëlle Polino, secrétaire générale de l’AHICF, Patrice Leroy, directeur honoraire de la SNCF, président délégué de l’AHICF 5Affiche du Colloque, novembre 2012. © Isabelle Alcolea/AHICF

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ACTUALITES DE L’AHICF

En 2013, c’est une série de manifestations scientiÿ ques et culturelles, événements, publications qui recevront le « label » « 2012-2017 : les chemins de fer ont une histoire », dont les manifestations auxquelles l’AHICF participe en 2013 en baie de Somme, au Mans et à Bordeaux.

C’est une conférence réussie qui a ouvert l’année, le 27 février 2013, organisée en commun par l’AHICF, l’AFFI, la chaire Technologies et compétences ferroviaires du Cnam et la Revue générale des chemins de fer qui ont invité leurs membres et correspondants à une soirée intitulée « La ligne de Paris à Saint-Germain ou la continuité dans l’innovation », destinée aux acteurs du transport ferroviaire intéressés par l’histoire et les références qu’elle peut fournir à la réflexion et à la décision. Successivement, Gilles Maléfan, professeur au Cnam, a mis en relation passé et présent des chemins de fer ; Etienne Auphan, professeur émérite à l’université de Paris-Sorbonne, géographe, a mis en perspective « Deux siècles d’infrastructures ferroviaires en Île-de-France, réseaux, dessertes et cartes » à partir d’une animation informatique inédite retraçant la constitution et la contraction des différents réseaux ferroviaires en Île-de-France ; Paul Smith, historien à la direction générale des patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication a rappelé « le chemin de fer atmosphérique : les enseignements d’une innovation oubliée ».

Les Archives départementales de la Sarthe organisent une série de manifestations autour de l’exposition « Le Train dans la Sarthe » (inauguration le 4 juillet 2013), dont une journée scientiÿ que le 13“septembre 2013 à laquelle est associée l’AHICF.

Le 6 décembre 2013, sera organisée à Bordeaux, sous la direction d’Hubert Bonin, professeur à Sciences Po Bordeaux, et de Christophe Bouneau, professeur à l’université Michel-de-Montaigne – Bordeaux 3, une journée d’étude à laquelle est associée l’AHICF : « 75 ans après l’arrivée du premier train électrique reliant Paris et Bordeaux. Du patrimoine historique aux enjeux actuels (1938-2013). » Elle doit réunir chercheurs et acteurs du transport ferroviaire et de l’aménagement régional autour d’un anniversaire et d’une analogie avec les chantiers ferroviaires en cours. Par ailleurs le 3 avril 2013 est lancé un séminaire de recherche, intitulé « Réinventer les transports en commun en France : bilan de quarante années de tramways, TCSP, transports guidés“» et destiné à se réunir quatre fois par an, avec un programme original : retracer et comprendre quarante années de tramway et de transports en commun en site propre dans les villes françaises et interroger l’idée reçue du « retour du tramway » en France. Des acteurs (élus, responsables dans les collectivités des transports publics, des entreprises exploitantes) seront invités à prendre la parole. Une collecte d’archives orales sera menée parmi les témoins sollicités. C’est là que le site www.ahicf.com joue pleinement son rôle : le séminaire (ci-contre) sera enregistré et mis en ligne pour rassembler une communauté de recherche et d’intérêts autour de cette question, tandis que table ronde, conférence et colloque peuvent déjà être écoutés dans leur intégralité.

5Conférence reçue par le Cnam, 27 février 2013. © Christophe Recoura/RGCF

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Les programmes et conditions d’inscription seront mis à jour sur le site : www.ahicf.com

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ACTUALITÉS DE L’AHICF

INVITATION Réinventer les transports en commun en France : bilan de quarante années de tramways, TCSP, transports guidés Séminaire organisé par l'AHICF et l’UMR n° 3329 CNRS/ MCC AUSSER

2013-2015 L’objectif de ce séminaire est de mettre en lumière les processus qui ont participé au « retour » du tramway dans les grandes villes françaises et à l’exportation du « tramway français standard » dans nombre d’autres métropoles. La décennie des années 1970 est souvent considérée comme l’origine d’un regain d’intérêt pour les transports collectifs. Cependant, comment la solution « tramway » (re)devient-t-elle progressivement crédible aux yeux des élus, des experts, des professionnels du transport ? Quels enjeux nourrissent les controverses nouées aux échelons locaux, nationaux et internationaux ? Quels acteurs favorisent son retour en grâce ? Comment, dans les processus de décision, s’articulent les temps des projets et le calendrier électoral ? Quels sont les ressorts des options technologiques choisies ? Comment les politiques d'aménagement urbain ont profité de ces nouveaux projets de transport ? Quelles logiques professionnelles sous-tendent la mise en place et l'exploitation de ces nouvelles lignes de tramway ? Nous tenterons de répondre à ces questions à travers des séances qui réuniront des points de vue de grands témoins (élus, fonctionnaires, experts, industriels) et des points de vue de chercheurs spécialistes des transports urbains. Le séminaire comptera deux séances par semestre, de 2013 à 2015. Il s’adresse aux chercheurs en sciences sociales comme aux professionnels du transport public, auxquels il propose de mieux connaître la suite des décisions locales et nationales qui ont conduit à des choix techniques, d’organisation et de services.

L’enregistrement des interventions sera disponible en ligne sur le site www.ahicf.com. Les entretiens approfondis menés avec les témoins seront mis en ligne sur la plate-forme Mémoire de l’industrie et des réseaux, www.memoire-orale.org. Les séances auront lieu le mercredi de 14 h à 17 h à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville, 60, boulevard de la Villette, 75019 Paris (M° Belleville), sauf mention contraire. Contact et inscriptions : seminaire_tramway@ahicf.com >>>

Les Rails de l’histoire, n° 4 - avril 2013

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ACTUALITES DE L’AHICF

PROGRAMME PROVISOIRE Printemps 2013 : Origines et controverses : la mise en place du tramway français Séance 1 (3 avril) : Le concours Cavaillé et la naissance du Tramway Français Standard. Les premiers projets de Nantes et Grenoble.

Avec Benoît Demongeot, Michel Bigey et Pierre-Henri Emangard, Emmanuel Bois (Alstom Transport) Séance 2 (12 juin 2013) : Surface ou souterrain. Le cas de Strasbourg et de Toulouse.

Avec Francis Beaucire (sous réserve de confirmation), Robert Marconis et Jean Frébault. Année 2013-2014 : Le tramway comme projet urbain Séance 3 : Du projet de transport au projet urbain : les liens entre urbanisme et transport. Séance 4 : Projet politique et enjeux sociaux : l’exemple du T1 en Île-de-France. Séance 5 : La question des métiers et la formation d’une culture professionnelle : le travail entre architectes, ingénieurs et paysagistes et les relations avec les services techniques des villes. Séance 6 : Les effets territoriaux du tramway : valeur foncière et enjeux commerciaux. Les effets d’homogénéisation et de diversité du tramway. Année 2014-2015 : La mobilité à l’issue de 40 ans de tramways Séance 7 : Rail ou pneu : retour sur les questions de terminologie. Séance 8 : Temps politique et temps des projets. Séance 9 : Les conducteurs : enjeu de statuts et conflits sociaux. Séance 10 : Construction et circulation du modèle français de tramway.

L’enregistrement des interventions sera disponible en ligne sur le site www.ahicf.com. Les entretiens approfondis menés avec les témoins seront mis en ligne sur la plate-forme Mémoire de l’industrie et des réseaux, www.memoire-orale.org. Les séances auront lieu le mercredi de 14 h à 17 h à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville, 60, boulevard de la Villette, 75019 Paris (M° Belleville), sauf mention contraire. Contact et inscriptions : seminaire_tramway@ahicf.com

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Feuilletez en ligne les numéros précédents des Rails de l’histoire sur le site www.ahicf.com

http://www.ahicf.com/les-rails-de-l-histoire,96.html

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