Repères et outils pour comprendre et appuyer la participation des citoyens au système de santé et de services sociaux Florence Piron, avec la collaboration d’Isabelle Goupil‐Sormany et Annie Lévesque
RÉSUMÉ D’une manière synthétique, ce document présente différents outils de réflexion et d’action en matière de participation des citoyens dans le domaine de la santé et des services sociaux. Il est principalement (mais pas exclusivement) destiné aux gestionnaires et agents de recherche du système de santé et de services sociaux du Québec qui souhaitent encourager, stimuler ou mieux encadrer la participation des citoyens à la vie de leur établissement, qu’il s’agisse des membres du comité des usagers ou du conseil d’administration, de citoyens impliqués dans des associations, groupes et mouvements de la société civile ou encore de citoyens non impliqués, vivant dans la communauté desservie par l’établissement.
Québec, mars 2010
Ce document a été préparé à l’occasion de la Journée annuelle de santé publique « Participation citoyenne et santé », organisée par Florence Piron, Michèle Clément et Christopher McAll le 11 mars 2010 à Montréal (http://www.inspq.qc.ca/aspx/fr/jasp_programme.aspx?sortcode=1.55.58.60.65.69&N umTheme=15). Dans un avenir rapproché, ce texte sera mis en ligne et pourra évoluer au fil des commentaires, suggestions et exemples proposés par les lecteurs. Pour de l’information sur ce processus, voir les coordonnées ci‐dessous. Les auteures : Professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval depuis 2004, Florence Piron a mené depuis 5 ans plusieurs expériences de participation citoyenne en santé, notamment un forum de citoyens sur l’évaluation du système de santé au Québec et un projet d’appui à la participation citoyenne en santé, l’Espace des citoyens / santé et bien‐être (Québec) (http://espacecsb.com). Ses principaux champs de recherche sont l’éthique des sciences, la science citoyenne, la démocratie participative et la participation citoyenne dans le domaine de la santé et des services sociaux. Elle a co‐dirigé l’ouvrage collectif Aux sciences, citoyens ! Expériences et méthodes de consultation sur les enjeux scientifiques de notre temps (2010, Institut du Nouveau Monde et Presses de l’université de Montréal). Isabelle Goupil‐Sormany, M.D. est médecin‐conseil en santé environnementale à l ‘Agence de santé et des services sociaux de la Capitale nationale/Direction de la santé publique. Elle réalise en parallèle un doctorat en santé communautaire à l’Université Laval sur la justice environnementale et les politiques publiques de santé. Dans ce document, elle a rédigé l’essentiel de l’introduction et travaillé sur certaines fiches méthodologiques. Annie Lévesque est étudiante à la maîtrise en santé communautaire de l’Université Laval. Un grand merci à Michèle Clément qui a rendu possible d’engager Annie pour préparer quelques fiches méthodologiques et créer les schémas associés. Les références bibliographiques sont accessibles à partir du site http://participationsante.ning.com.
2
Table des matières
Introduction : Pourquoi le système de santé et de services sociaux auraitil besoin de la participation des citoyens ? Lettre aux décideurs.............................................................................. 1 1. Précisions conceptuelles sur la notion de « participation des citoyens ».............................. 4 2. Textes législatifs ou officiels instituant la participation publique dans le système de santé et de services sociaux du Québec ................................................................................................. 7 2.1 La participation au conseil d’administration d’un établissement de santé........................................ 7 2.2 La participation au comité des usagers ou au comité de résidents d’un établissement ............... 7 2.3 La participation au comité d’éthique de la recherche de l’établissement........................................... 8 2.4 La participation au forum de la population d’une région.......................................................................... 9 2.5 La participation au forum de consultation du Commissaire à la santé et au bienêtre ............... 9 2.6 Consulter la population : une obligation législative .................................................................................. 10 3. Méthodes de consultation de la population et d’animation de la participation des citoyens ...........................................................................................................................................................12 3.1 Pour recueillir des idées et des savoirs éclairés, réfléchis, sur un thème précis............................. 14 La consultation électronique.............................................................................................................................14 La méthode Semato Delphi ................................................................................................................................16 Le sondage délibératif..........................................................................................................................................18 Le groupe de discussion ......................................................................................................................................19 Le théâtre forum.....................................................................................................................................................20 3.2. Pour obtenir des recommandations sur un enjeu ou une technologie ............................................. 22 La commission populaire : une intervention communautaire orientée vers les groupes «sans voix», marginaux........................................................................................................................................22 Trois méthodes délibératives : le forum de citoyens, le jury de citoyens et le conseil de citoyens.......................................................................................................................................................................24 3.3 Pour stimuler la discussion et le débat, notamment sur des orientations futures ou une planification stratégique............................................................................................................................................... 27 L’atelier scénario ....................................................................................................................................................27 3.4 Pour utiliser toutes ces méthodes sans le souci du recrutement des participants ....................... 29 Le panel de citoyens..............................................................................................................................................29 L’Espace des citoyens / santé et bien‐être (Québec)..............................................................................31 Évaluer une expérience de consultation ou d’animation de la participation : quelques éléments de réflexion.................................................................................................................................33
1
Introduction : Pourquoi le système de santé et de services sociaux aurait‐il besoin de la participation des citoyens ? Lettre aux décideurs Isabelle Goupil‐Sormany et Florence Piron Les gestionnaires du système de santé et de services sociaux sont appelés à prendre des décisions difficiles. Ces décisions reposent sur des a priori de plus en plus complexes (contraintes budgétaires, pressions politiques, couverture médiatique, lobbying professionnel et syndical, décisions antérieures prises, etc.). De même, l’utilisation appropriée des ressources en santé est un enjeu quotidien. Dans ce contexte, les gestionnaires en santé doivent savoir naviguer dans des univers politiques, administratifs et professionnels qui s’opposent parfois et qui, ce faisant, masquent une vision cohérente de ce que devraient être les soins de santé et les services sociaux publics au Québec. Comment sortir de l’isolement décisionnel et légitimer de façon solide les décisions prises ? Une partie de la réponse réside dans l’intégration d’un processus de participation des citoyens au processus décisionnel. Rappelons que l’OCDE recommandait récemment une plus grande intégration des citoyens dans les structures décisionnelles administratives et politiques pour accompagner les décideurs : Impliquer les citoyens dans le processus de décision est un investissement profitable et un élément au coeur de la bonne gouvernance. Cela permet aux administrations d’exploiter des sources d’information plus variées, de mettre en perspective les données, de bénéficier d’éventuelles solutions et d’améliorer la qualité des décisions. De la même manière, cela contribue au renforcement du sens civique et de la confiance du public dans l’administration ainsi qu’à l’amélioration de la qualité de la démocratie. (OCDE, Des citoyens partenaires. Information, consultation et participation à la formulation des politiques publiques, Paris, 2001.) Le présent document propose des repères et des outils de réflexion permettant aux décideurs de se faire une idée de ce qu’il est possible de faire au Québec, à notre époque. Après un rappel de quelques précisions conceptuelles (première partie) et des principales formes de participation publique en santé (deuxième partie), ce texte fait un survol de différentes façons d’intégrer la participation des citoyens au sein des instances décisionnelles du système, qu’il s’agisse d’appuyer les mécanismes de participation publique déjà institués (plus particulièrement les membres de la population dans les conseils d’administration, les comités des usagers et les comités de résidents) ou de créer de nouveaux lieux ou espaces de dialogue élargi entre les décideurs et l’ensemble de la population, des citoyens, qu’ils soient ou non usagers directs des services offerts. Alors que les modèles de cogestion entre décideurs et professionnels font de plus en plus leur preuve comme solution constructive aux impasses du système de santé et de services sociaux, la participation des citoyens constitue elle aussi une alternative progressiste et utile à la décision.
1
La participation des citoyens offre plusieurs avantages : elle permet de traduire la complexité, de soutenir des valeurs de démocratie ouverte, de légitimer les décisions prises face aux pressions politiques et aux médias, de renforcer les compétences des gestionnaires et des citoyens qui y contribuent. Elle favorise la prise de meilleure décision, car les décideurs sont mieux éclairés par les enjeux sociaux et politiques réels. Il ne faut pas la confondre avec des instances de négociation syndicale ou de revendication politique et craindre qu’elle vire inévitablement au conflit, à la critique destructive, à l’affrontement entre une population insatisfaite et un système débordé. L’expérience de nombreux comités des usagers montre au contraire une collaboration appréciée de part et d’autre en faveur d’une meilleure qualité des services et des soins. Les exemples présentés dans la troisième partie illustrent aussi comment l’existence même d’un lieu de dialogue entre citoyens et décideurs, à condition qu’il soit préparé de manière compétente et sérieuse, contribue à miner les stéréotypes et les idées fausses que chaque groupe peut avoir sur l’autre : non, les décideurs ne sont pas tous des bureaucrates insensibles et froids, uniquement préoccupés par leur budget ou leur carrière, et non, les citoyens ne sont pas tous des râleurs égocentrés et incapables de comprendre les enjeux collectifs du système de santé et de services sociaux. Un système de services de santé et de services sociaux efficace et humain, tel est le rêve que tous ont en commun. La participation des citoyens, c’est une façon de travailler ensemble pour trouver des solutions permettant de réaliser ce rêve à partir des savoirs et des idées des uns et des autres. La participation des citoyens n’est pas une panacée. Elle repose sur un engagement solide de la part des décideurs qui s’y réfèrent. Elle fait appel à des valeurs fondamentales : la transparence, la rigueur et la reddition de compte. Elle demande une organisation solide qui doit savoir concilier les intérêts des différents groupes qui y participent : experts, citoyens, usagers, gestionnaires. Tous doivent entrer en dialogue pour s’engager dans la prise de décisions dans l’intérêt de tous. Le processus de participation nécessite d’y croire, de s’y engager, d’y investir temps et argent et de persister à travers les différents écueils possibles. Mais la participation n’est pas qu’une option de gestion, c’est aussi une prescription légale. En effet, la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec prescrit, via son article 99.8, qu’ « une instance locale doit recourir à différents modes d'information et de consultation de la population afin de la mettre à contribution à l'égard de l'organisation des services et de connaître sa satisfaction en regard des résultats obtenus ». Traditionnellement associée à la consultation du comité des usagers, la participation des citoyens peut désormais prendre de nouvelles formes. En particulier, elle peut prendre une forme plus « délibérative ». Un processus délibératif est un processus décisionnel qui intègre différents représentants de la société, indépendants de l’organisation qui les consulte, afin de mettre en évidence des arguments et des contraintes liés à une question ou un enjeu précis. Pour y arriver, il faut partir d’une question claire à laquelle doivent répondre des « citoyens », c'est‐à‐dire des membres de la société. Les membres peuvent être représentatifs de la population générale, des usagers d’un établissement, de groupes d’intérêts ou encore sélectionnés au hasard.
2
Plusieurs étapes caractérisent la participation délibérative: une information exhaustive et éclairée sur les enjeux liés à la question posée, un processus de dialogue entre l’instance qui pose la question, certains experts et le groupe d’individus sélectionnés et une décision appuyée et argumentée, décision qui appartient en partie aux citoyens impliqués. La participation peut être limitée à des petits groupes, comme c’est le cas pour les jurys de citoyens, ou très extensive comme les panels de citoyens ou encore les forums de discussion (voir la troisième partie). Pour s’engager dans un processus de participation citoyenne délibérative, les gestionnaires devront en faire l’apprentissage, étape par étape, du partage de l’information à la décision partagée. Il s’agit alors de se donner le temps d’intégrer ce processus à son travail. Il leur faudra apprendre à ne pas céder aux pressions politiques, aux groupes d’intérêts, aux conflits de valeurs, à l’intimidation, aux jeux de pouvoir, à la partisanerie et à l’urgence de la décision, éléments qui favorisent souvent une prise de décision hiérarchique plutôt que participative. Mais lorsque bien animée, une telle démarche est souvent plus nourrissante pour l’organisation et le décideur que la voie traditionnelle : elle éclaire sur de nouveaux enjeux, positionne la décision dans des ensembles plus exhaustifs et fait ressortir l’importance réelle du problème auquel le processus s’adresse. Rien n’oblige les gestionnaires à implanter d’emblée des processus ambitieux de participation des citoyens. L’apprentissage peut se faire aussi de façon modeste et progressive, soutenue par une évaluation adéquate des avantages et inconvénients conférés par les nouvelles modalités de consultation. C’est au gré des différents essais et moments participatifs que les gestionnaires pourront saisir les meilleures opportunités de consultation et de participation des citoyens pour leur organisation. Il est fort à parier que les gestionnaires qui s’engageront dans une telle démarche en apprendront davantage sur les forces et les limites de leur organisation que par n’importe quel autre processus d’analyse ou d’évaluation d’une question politique ou administrative. Enfin, la participation des citoyens n’est pas qu’utile au gestionnaire. Elle sert aussi les intérêts des citoyens qui sont amenés, en participant, à mieux comprendre le système pour lequel ils doivent prendre une décision. La participation des citoyens au système de santé et de services sociaux favorise une meilleure utilisation des ressources, mais surtout permet aux citoyens qui s’y engagent de mieux comprendre les contraintes liées au système. Le dialogue est alors facilité et les décisions sont moins contestées de part et d’autre. Il s’agit d’un idéal démocratique qu’il ne faut pas dénigrer, à l’heure du désengagement social et de la perte de vitesse de la démocratie représentative. Afin de compléter ces repères et outils, nous proposons une liste non exhaustive de références médiagraphiques (textes et Internet), ainsi que le programme de la Journée annuelle de santé publique « Participation citoyenne et santé », incluant les coordonnées des conférencières et conférenciers.
3
1. Précisions conceptuelles sur la notion de « participation des citoyens »
Les cinq paragraphes qui suivent sont extraits du sommaire exécutif du document Participation et consultation des citoyennes et citoyens en matière de santé et de bienêtre, publié en 2004 par le Conseil de la santé et du bien‐être et rédigé par Marie‐Rose Sénéchal et Florence Piron. Ce document est téléchargeable gratuitement sur la page web http://www.csbe.gouv.qc.ca/index.php?id=97. Quelques coupures et compléments (signalés par des [ ]) ont été apportés par Florence Piron aux fins du présent document, avec l’autorisation de Mme Anne Marcoux, directrice générale du bureau du Commissaire à la santé et au bien‐être, qui est l’organisme dépositaire des publications du Conseil. 1. [Le contexte dans lequel s’articule la participation au sein des sociétés démocratiques modernes nous] amène à constater des transformations importantes sur le plan des rapports entre l’État et les citoyennes et citoyens. En effet, ces derniers demandent de plus en plus à jouer un rôle plus actif dans le processus décisionnel et à être tenus informés des agissements des pouvoirs publics. Pour répondre à ces exigences de transparence, d’ouverture et d’imputabilité, différents mécanismes sont alors mis en oeuvre par les États démocratiques, qui perçoivent de plus en plus la participation active des citoyennes et des citoyens comme un investissement profitable contribuant à la fois au renforcement du sens civique et à la bonne gouvernance. [Cette participation peut prendre deux formes] : ‐ la « participation citoyenne », qui prend vie au sein de la société civile ‐ la « participation publique », mise en place et encadrée par l’État démocratique, qui permet à des citoyennes et citoyens, individuellement ou de manière organisée, de participer à divers degrés aux processus décisionnels liés aux politiques publiques. 2. Dans le premier cas, c’est la société civile qui est en action. La participation des citoyennes et des citoyens se caractérise alors par leur capacité à créer des liens, à se mobiliser autour d’enjeux d’intérêt commun, et à s’organiser pour défendre leurs valeurs et intérêts. Les acteurs de la société civile peuvent aussi prendre part à des débats dans des espaces publics de délibération qui engagent un rapprochement avec l’État, comme le permettent, par exemple, les sommets, les tables de concertation et les nouveaux forums délibératifs, qui réunissent également des décideurs et des experts. La participation au sein de la société civile favorise la pratique et la mise en valeur d’une citoyenneté active, responsable et dynamique. Les citoyennes et les citoyens y sont intéressés, engagés et animés par des valeurs tels que la solidarité, l’appartenance collective et le sens civique. Les savoirs produits sont hétéroclites et hybrides, à l’image de l’hétérogénéité de valeurs et des intérêts présents dans la société civile. 3. Dans le second cas, c’est l’État démocratique qui est l’initiateur du processus et qui invite les citoyennes et les citoyens à participer. Une deuxième distinction essentielle apparaît ici entre, d’une part, les stratégies de participation qui sont basées sur la représentation sociopolitique des acteurs individuels et collectifs de la société civile et, d’autre part, les stratégies qui cherchent à cerner les tendances de l’opinion
4
publique sur un sujet particulier à partir d’échantillons statistiquement représentatifs. Ces deux types de stratégies engendrent des pratiques de citoyenneté, véhiculent des valeurs et produisent des savoirs différents. 4. Les stratégies basées sur la représentation sociopolitique favorisent la représentation des points de vue, valeurs et intérêts des citoyens et citoyennes qui sont ancrés dans des pratiques (professionnelles, politiques ou communautaires) et des contextes sociaux ou politiques spécifiques. L’État cherche à écouter et faire valoir les savoirs de différents acteurs sur des objets spécifiques qui l’intéressent et selon les termes qu’il pose. On compte parmi ces stratégies des méthodes de consultation qui consentent un pouvoir d’influence aux citoyennes et aux citoyens, que ce soit par une instance délibérative instaurée pour un temps limité, comme les commissions d’étude, les états généraux et les forums délibératifs, ou sur une base permanente telle que les conseils de citoyens, les forums de citoyens et les comités de citoyens, ou par des méthodes de consultation non délibératives non permanentes comme les audiences publiques. Celles‐ci sont d’ailleurs généralement employées par les membres des commissions d’étude et des états généraux pour recueillir les savoirs des acteurs de la société civile. Par ailleurs, certaines méthodes de participation peuvent permettre un partage du pouvoir entre les citoyennes et citoyens et les décideurs, comme les conseils d’administration. Enfin, ces diverses méthodes favorisent l’exercice d’une citoyenneté active et responsable, mais encadrée. Les valeurs qu’elles véhiculent sont la recherche du bien commun, la justice sociale et l’équité, notamment sur le plan du droit de parole et de l’accès à l’information. En ce qui a trait aux savoirs recueillis, ils portent généralement sur un thème précis et sont étroitement associés aux pratiques, aux contextes, aux expériences et aux réseaux de sociabilité des acteurs de la société civile interpellés. La juxtaposition de ces savoirs permet à l’État d’obtenir une vue d’ensemble, complexe et nuancée, d’un même thème. 5. En ce qui a trait aux stratégies qui cherchent à cerner les tendances de l’opinion publique sur un sujet particulier, elles utilisent des méthodes de consultation comme les sondages d’opinion, les groupes de discussion, les panels du peuple et les sondages délibératifs. Ces méthodes donnent peu de pouvoir d’influence aux participants. Toutefois, de nouvelles méthodes de consultation délibératives, qui attribuent un pouvoir d’influence aux citoyennes et aux citoyens, sont expérimentées depuis quelques années dans plusieurs pays, tel les conférences de consensus, les jurys de citoyens, les panels de citoyens et les dialogues délibératifs. Les consultations électroniques et les forums de discussion en ligne, de plus en plus utilisés, favorisent par ailleurs l’exercice d’une forme solitaire et individualisée de la citoyenneté. Enfin, ces différentes méthodes de consultation n’encouragent pas la participation active des citoyennes et citoyens aux débats publics. L’unité pertinente demeure l’individu représentatif d’une catégorie statistique de population, et non pas le citoyen situé dans un contexte ou engagé dans diverses formes de pratiques sociales et politiques spécifiques. Les savoirs produits sont alors censés refléter l’image de l’état de l’opinion publique à un moment précis, et non pas le dynamisme et les rapports sociaux présents au sein de la société civile. Ces méthodes permettent néanmoins, dans l’ensemble, de recueillir les points de vue de citoyennes et de citoyens qui ne sont pas activement impliqués dans des organisations de la société civile.
5
6. Les différentes modalités de participation consultative visent à permettre à l’intelligence collective de s’exprimer et de nourrir la gouvernance et la prise de décisions par des idées et des savoirs autrement dispersés. Mais elles ne doivent pas être considérées comme un substitut à l’action politique ou comme un signal que le pouvoir n’est plus un enjeu. Tout citoyen a le droit d’aspirer à participer directement aux affaires publiques de sa Cité, notamment en se faisant élire. 7. La participation accrue des citoyens ne signifie pas que les experts ne seront plus écoutés, ni que les élus (et la démocratie représentative) perdront leur légitimité au profit de la démocratie participative, non fondée sur des élections. La représentation et la participation, les deux piliers de la démocratie contemporaine, se confortent mutuellement : un élu n’a‐t‐il pas d’abord été un citoyen qui « participe » ? Renforcer le pilier de la participation signifie que davantage d’intelligence collective se trouvera au gouvernail de l’État, que davantage de citoyens auront le souci du bien commun de leur communauté, que les débats publics seront plus nombreux et intéressants, permettant des décisions prises en meilleure connaissance de cause. La démocratie participative n’est pas l’ennemie de la démocratie représentative, mais son complément.
6
2. Textes législatifs ou officiels instituant la participation publique dans le système de santé et de services sociaux du Québec Cette section présente, en guise de rappel, les textes législatifs ou officiels relatifs aux cinq principales formes de participation publique instituées au sein du système québécois de santé et de services sociaux, en date de mars 2010.
2.1 La participation au conseil d’administration d’un établissement de santé Selon la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec, tout conseil d'administration d'un établissement public, qu'il s’agisse d’un CHSLD, d’un CSSS, d’un centre hospitalier, d’un centre jeunesse ou d’un centre de réadaptation doit inclure, parmi sa vingtaine de membres, quatre personnes élues par la population, qui ne sont donc pas d’emblée définies par leur formation, leur métier ou leur compétence. Ce nombre tombe à 2 pour les centres universitaires. Ce conseil comprend également deux personnes désignées par le comité des usagers de l'établissement, dont l’une au moins fait aussi partie du comité de vigilance de l’établissement. Rappelons que, conformément aux lois qui régissent les établissements de santé, le conseil d’administration : • établit les priorités et les orientations de l’établissement et voit à leur respect. Ces priorités doivent tenir compte des ressources humaines, matérielles et financières mises à la disposition de l’établissement (réf. article 171 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux); • s’assure en outre (réf. article 172 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux) : 1. de la pertinence, de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des services dispensés; 2. du respect des droits des usagers et du traitement diligent de leurs plaintes; 3. de l’utilisation économique et efficiente des ressources humaines, matérielles et financières; 4. de la participation, de la motivation, de la valorisation, du maintien des compétences et du développement des ressources humaines.
2.2 La participation au comité des usagers ou au comité de résidents d’un établissement Ce n’est que depuis récemment que tous les établissements publics de santé du Québec, qu’il s’agisse d’un petit hôpital, d’un Centre hospitalier universitaire ou d’un Centre de santé et de services sociaux, ont l’obligation de constituer un comité des usagers (c’est‐ à‐dire des utilisateurs de services). En effet, depuis novembre 2005:
7
« Tout établissement doit mettre sur pied un comité pour les usagers de ses services. Le comité des usagers se compose d'au moins cinq membres élus par tous les usagers de l'établissement et d'un représentant désigné par et parmi chacun des comités des résidents. » La Loi sur les services de santé et les services sociaux définit ainsi les fonctions du comité des usagers : • Renseigner les usagers sur leurs droits et leurs obligations. • Promouvoir l'amélioration de la qualité des conditions de vie des usagers et évaluer le degré de satisfaction des usagers à l'égard des services obtenus par l'établissement. • Défendre les droits et les intérêts collectifs des usagers ou, à la demande d'un usager, ses droits et ses intérêts en tant qu'usager auprès de l'établissement ou de toute autre autorité compétente. • Accompagner et assister sur demande, un usager dans toute démarche qu'il entreprend, y compris lorsqu'il désire porter une plainte conformément aux sections I, II et III du chapitre III du titre II de la Loi sur les services de santé et les services sociaux ou en vertu de la Loi sur le Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux (chapitre P‐31.1). • S'assurer, le cas échéant, du bon fonctionnement de chacun des comités des résidents et veiller à ce qu'ils disposent des ressources nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Un comité de résidents d'un centre public d'hébergement (CHSLD) a pour mandat de: • Renseigner les résidents sur leurs droits et leurs obligations. • Défendre leurs droits individuels et collectifs. • Les informer des programmes et des services dispensés. • Faire des recommandations pour améliorer la qualité des services et de leurs conditions de vie. • Les accompagner et les assister dans leurs démarches lorsqu'ils portent plainte.
2.3 La participation au comité d’éthique de la recherche de l’établissement
Depuis 1998, tous les établissements universitaires ou de santé du Canada qui abritent de la recherche scientifique, qu’elle soit biomédicale ou sociale, doivent mettre sur pied un comité d'éthique de la recherche pour évaluer sur le plan éthique les projets de recherche qui s’y déroulent. Ces comités doivent respecter les principes et les règles de fonctionnement définis dans plusieurs textes normatifs parmi lesquels figurent au premier chef l'Énoncé de politique des trois Conseils : éthique de la recherche avec des sujets humains, produit par les organismes subventionnaires fédéraux, et le Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique, produit par le Ministère de la Santé et des services sociaux du Québec. Selon ces deux textes (actuellement en intense révision), un comité d’éthique de la recherche doit comporter au moins un « citoyen », qu’il s’agisse, pour le document fédéral, d’une « une personne [qui] proviendra de la collectivité servie par l'établissement, mais n'y sera pas affiliée » (règle 1.3) ou, pour le document provincial, d’une « personne non affiliée à l’établissement, mais provenant des groupes utilisant les services de l’établissement » (p. 21).
8
Peu connue, cette possibilité de participation donne à quelques citoyens l’occasion de contribuer à la réflexion sur la science en train de se faire et de manifester une certaine vigilance quant au respect des droits des usagers par les équipes de recherche oeuvrant dans des établissements de santé.
2.4 La participation au forum de la population d’une région Dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec, L.R.Q., chapitre S‐ 4.2, articles 343.1 et suivants, un Forum de la population: • est mis sur pied, pour chaque région du Québec où le gouvernement institue une agence. Ses activités sont coordonnées par le président‐directeur général de l'agence. • Ce forum est composé de 15 à 20 membres désignés par le conseil d'administration de l'agence. La durée du mandat de ces membres est de trois ans. • Afin de tenir compte des particularités de la région, l'agence conclut une entente avec la conférence régionale des élus (CRE) sur: 1° la composition spécifique du Forum de la population; 2° les modes de consultation des divers organismes socio‐économiques de la région pour établir une liste de noms à partir de laquelle seront désignés les membres du forum. • Le Forum de la population est responsable envers le conseil d'administration de l'agence: 1° d'assurer la mise en place de différents modes de consultation de la population sur les enjeux de santé et de bien‐être; 2° de formuler des recommandations sur les moyens à mettre en place pour améliorer la satisfaction de la population à l'égard des services de santé et des services sociaux disponibles et pour mieux répondre aux besoins en matière d'organisation de tels services. • Le Forum de la population établit ses propres règles de fonctionnement et les soumet pour approbation au conseil d'administration de l'agence. • Le Forum de la population se réunit avec le conseil d'administration de l'agence au moins deux fois par année et ces réunions sont publiques. • L'agence met à la disposition du Forum de la population les ressources qu'elle juge nécessaires à l'exercice des responsabilités du Forum. • L'agence doit rendre compte des activités du Forum de la population, notamment des mécanismes de consultation utilisés, lors de la présentation, à la population de son territoire, du rapport annuel de ses activités lors d'une séance publique de son conseil d'administration.
2.5 La participation au forum de consultation du Commissaire à la santé et au bien‐ être Extraits du site Internet du Commissaire à la santé et au bien‐être (http://www.csbe.gouv.qc.ca/index.php?id=61).
9
Le Forum de consultation est un groupe de citoyennes, de citoyens et d’experts qui a pour mandat de fournir au Commissaire son point de vue sur diverses questions qui touchent le système de santé et de services sociaux, ainsi que la santé et le bien‐être de la population. Le commissaire à la santé et au bien‐être, M. Robert Salois, a nommé les membres du premier Forum de consultation, le 18 février 2008, pour un mandat de trois ans. Ce Forum est composé de 27 membres, soit 18 citoyennes et citoyens venant de chacune des régions du Québec, et 9 citoyennes et citoyens possédant une expertise particulière en relation avec le domaine de la santé et des services sociaux. Le Commissaire nomme les membres du Forum de manière à ce que soient représentés, dans la mesure du possible, l'ensemble des groupes d'âge et des caractéristiques socioculturelles, ethnoculturelles et linguistiques de la société. Les nominations doivent également tendre à une parité entre les femmes et les hommes. Le Commissaire doit s'assurer aussi que soient représentés le plus équitablement possible tant le domaine de la santé que celui des services sociaux. Être membre du Forum, c'est s'impliquer au sein d'une instance délibérative qui favorise la mise en commun des connaissances et des expériences de citoyens et d'experts venant de différents milieux géographiques et disciplinaires. Les membres du Forum seront amenés à développer ensemble un jugement sur diverses questions relatives aux travaux du Commissaire, notamment : • l’appréciation du système de santé et de services sociaux et la proposition de changements en vue de l’améliorer; • l’analyse d’enjeux éthiques; • la production d’un avis sur les droits et les responsabilités des citoyennes et citoyens en matière de santé et de bien‐être. Les conclusions du Forum de consultation seront incluses dans les rapports publiés par le Commissaire. Ces documents seront transmis au ministre de la Santé et des Services sociaux et déposés à l’Assemblée nationale. Ils seront largement diffusés dans le but d’éclairer les débats au sein de la société.
2.6 Consulter la population : une obligation législative
Selon l’article 99.8 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec, « une instance locale doit recourir à différents modes d'information et de consultation de la population afin de la mettre à contribution à l'égard de l'organisation des services et de connaître sa satisfaction en regard des résultats obtenus ».
Conclusion Qu’est‐ce que « la population » ? Comment la consulter ? Comment s’assurer que les consultations effectuées sont légitimes, pertinentes et utiles pour les établissements et qu’elles permettront d’améliorer la qualité des services ? Quelles ressources devraient être mobilisées pour réaliser ces consultations ?
10
Les méthodes et expériences présentées dans la partie suivante constituent des outils susceptibles de répondre à ces questions et d’aider les établissements qui souhaitent remplir de manière originale et efficace leur obligation de consultation envers « la population ». Ces établissements pourront ainsi découvrir que l’obligation légale de consulter peut devenir une passionnante occasion d’animer et de renforcer la participation des citoyens à leur système de santé et de services sociaux. Ce système pourra alors bénéficier d’une intelligence collective plus que jamais nécessaire.
11
3. Méthodes de consultation de la population et d’animation de la participation des citoyens Cette section propose la description de quelques méthodes ou expériences de consultation et d’animation de la participation pouvant être facilement ou avantageusement utilisées dans le secteur de la santé et des services sociaux. En la préparant, nous n’avons que la prétention d’éveiller chez nos lecteurs la curiosité et le goût d’en savoir plus. L’ouvrage collectif Aux sciences, citoyens ! Expériences et méthodes de consultation sur des enjeux scientifiques de notre temps, publié par l’Institut du Nouveau monde et les Presses de l’Université de Montréal en 2009, propose des fiches plus complètes et élaborées, de même que le guide publié par la Fondation du roi Beaudoin en Belgique et celui de l’Organisation mondiale de la santé (voir la section des références). Le document Participation et consultation des citoyennes et citoyens en matière de santé et bienêtre (Conseil de la santé et du bien‐être 2004) propose lui aussi de nombreux exemples. Ces méthodes ne sont pas des recettes magiques. Elles demandent à être prises au sérieux et il faut y allouer le temps et les ressources nécessaires. Une équipe organisatrice enthousiaste et compétente, un local, un budget raisonnable, un site Internet convivial et bien fait, des outils d’archivage (électronique, audio ou vidéo) sont des ingrédients nécessaires à toute démarche de consultation de la population. Il faut y ajouter de l’imagination, de la mobilité et une grande capacité d’écoute et d’adaptation aux réalités du terrain (Piron 2007) et comprendre que, quelle que soit la méthode choisie, elle devra toujours être adaptée à la finalité visée et au contexte dans lequel elle sera utilisée, notamment aux spécificités des personnes qu’elle cherche à mobiliser. Par exemple, si la méthode consiste à animer un groupe de discussion parmi des personnes à la retraite, des rencontres peuvent être prévues le jour, alors qu’il faut plutôt viser une période de congé (soir ou fin de semaine) si on s’adresse à des personnes sur le marché du travail. Des documents d’information ne seront pas préparés de la même façon selon qu’ils s’adressent à des générations plus âgées ou plus jeunes, à des groupes plus instruits ou moins instruits, etc. Il faut aussi clarifier la question des frais de transport et d’hébergement, ainsi que celle d’une éventuelle compensation des participants (forfait, certificat‐cadeau, objet, etc.). Préparer l’évaluation continue d’un exercice de consultation ou d’animation de la participation citoyenne est également une bonne pratique de base (Rowe et Frewer 2000). Finalement, le tableau de bord d’une consultation ne doit pas s’arrêter au moment du dépôt du rapport : il doit inclure une réelle stratégie de diffusion des résultats, afin que l’exercice de participation n’ait pas été vain ou futile et ne contribue pas à nourrir le cynisme des citoyens. En effet, l’expérience montre que, ni naïfs ni cyniques, les participants à des consultations sont conscients que les décideurs peuvent ne pas endosser leurs recommandations et sont prêts à l’envisager. Mais ils accepteront mal qu’aucun effort ne soit fait pour faire entendre leur voix dans les médias, par exemple. Les décideurs du système de santé et de services sociaux n’ont pas à craindre de tels exercices de consultation : loin d’être le lieu de règlements de compte ou de critiques acerbes, ils permettent souvent à l’intelligence collective de se manifester et d’enrichir
12
l’action publique. Toutefois, ce ne sont pas des gadgets : les utiliser demande une compétence qui ne s’improvise pas, mais qui n’est pas non plus hors de portée d’un établissement de santé ou de services sociaux. La connaissance du milieu et une intention claire, jumelées à l’adaptation locale d’une méthode qui a fait ses preuves, constituent les ingrédients de base d’une démarche réussie de consultation ou d’animation de la participation citoyenne, pour le bien du système de santé et de services sociaux et de la santé et du bien‐être de tous les citoyens. Il existe de nombreuses façons de classer ces méthodes. Celle proposée ci‐dessous utilise comme critère la finalité de l’expérience de consultation ou d’animation de la participation citoyenne, sans tenir compte du niveau de pouvoir accordé aux citoyens ou du degré de délibération inhérent à la méthode.
13
3.1 Pour recueillir des idées et des savoirs éclairés, réfléchis, sur un thème précis La consultation électronique Une consultation électronique est un moyen de connaître l’opinion, les préoccupations, les souhaits et les savoirs des citoyens par le biais d’Internet. Elle peut prendre la forme d’un sondage en ligne ou d’un forum de discussion avec modérateur. Son accessibilité sur Internet permet de joindre un nombre potentiellement très élevé de répondants dans un temps restreint et à peu de frais puisqu’aucun déplacement ou gestion d’envois postaux ne sont nécessaires. L’avènement des réseaux sociaux (Facebook, Linkedin, Twitter, etc.) facilite encore davantage la diffusion de ces consultations. Deux formes de consultation électronique sont possibles : un sondage ou questionnaire en ligne ou un forum de discussion électronique. Le sondage en ligne Cette méthode offre un grand nombre de possibilités qui peuvent s’ajuster au but recherché : cela va de quelques questions simples lancées au grand public à des questions plus complexes s’adressant à un public plus ciblé, d’un accès libre à tous les internautes à un accès plus contrôlé incluant une phase d’inscription, d’une période très courte de consultation à une période beaucoup plus longue. Il est possible d’inclure, au début du questionnaire, des questions de type sociodémographique qui permettront, lorsque la consultation sera terminée, de bien comprendre qui a répondu et de faire des croisements intéressants (réponses des femmes, des jeunes, des personnes ayant subi tel ou tel traitement, etc.). La construction du questionnaire peut s’avérer une tâche plus ou moins complexe selon l’information que l’on veut aller chercher. Les questions « fermées » (portant sur un choix préalable de réponses) ont l’avantage de produire des résultats apparemment clairs – dans la mesure où les choix de réponse sont sans ambiguïté. Mais la plupart du temps, il est intéressant d’offrir aux répondants un espace de commentaire ouvert qui leur permet d’expliquer ou de nuancer leur réponse à une question fermée. Non seulement, ils sont ainsi plus satisfaits de leur participation, mais ces commentaires aident à interpréter les réponses aux questions fermées. Non obligatoires, ils sont l’occasion d’un temps de réflexion qui est bien apprécié d’une grande partie des répondants. La mise en ligne d’un questionnaire est désormais très facile et peu coûteuse grâce à plusieurs logiciels électroniques accessibles sur Internet. Surveymonkey (http://www.surveymonkey.com/), par exemple, est gratuit, mais n’offre pas la possibilité d’inclure et d’analyser des « espaces de commentaires ouverts », alors que le logiciel Semato, conçu au Québec, le permet pour une somme modique (http://semato.uqam.ca/guidexpert‐ato/ss.asp). Tous ces logiciels prennent en charge la présentation, la mise en ligne et la compilation des réponses. L’organisation commanditaire n’a plus ensuite qu’à intégrer l’adresse URL ou l’hyperlien du questionnaire dans la page d’accueil de son site et à en faire une promotion active dans les milieux qu’elle cible. Deux étapes à ne pas oublier : vérifier les stratégies de sécurité du logiciel que vous utilisez (sauvegarde des réponses, codes de validation, etc.) et tester votre questionnaire
14
électronique auprès de 5 ou 6 personnes avant de le rendre accessible. . Il est également très important d’informer les participants des résultats de la consultation à laquelle ils et elles ont consacré du temps, que ce soit par un communiqué de presse ou en publiant le rapport sur un site facilement accessible. Ce « retour » des résultats permet de maintenir la confiance des participants dans la sincérité de l’organisation commanditaire de la consultation. Le forum de discussion Le forum de discussion (à distinguer du « chat » ou du clavardage) est beaucoup plus « qualitatif » : il permet de recueillir des informations et des savoirs portant sur des sujets variés, en recréant de manière électronique l’atmosphère d’une discussion libre en groupe, mais en temps différé, offrant du temps de réflexion à ceux et celles qui veulent en prendre.. Il existe différents logiciels permettant de créer de tels forums, certains étant gratuits et faciles d’utilisation, par exemple, les sites gratuits de la famille ning (http://www.ning.com/) ou le logiciel PHPBB (http://www.phpbb‐fr.com/). L’organisation commanditaire peut choisir de donner un accès libre au forum ou de le réserver à certaines personnes, d’accepter tous les messages (au risque de recevoir des messages robotisés non pertinents) ou de les « modérer », c’est‐à‐dire d’en faire vérifier la pertinence par un lecteur avant de les publier. Inclure un processus d’inscription au forum permet de poser des questions d’ordre sociodémographique. Les blogues peuvent aussi être utilisés comme des forums de discussion : l’animateur lance un message et fait un appel de commentaires. Il existe plusieurs logiciels qui permettent de créer gratuitement de tels blogues en français : par exemple, wordpress (http://www.wordpress‐fr.net/)ou blogger (http://www.blogger.com). Exemple de forum de discussion – Quand les citoyens québécois font la science! Au Québec, l’Agence Science‐Presse propose depuis 2005 un système de dialogue entre citoyens et experts scientifiques sur son site Internet. Par le biais du programme Science! On Blogue, des scientifiques sont invités à publier en ligne dans différents blogues thématiques un texte sur un sujet de leur choix dans lequel ils sont libres de livrer leur opinion. Les lecteurs réagissent aux propos du scientifique, établissant ainsi les bases d’une discussion. http://blogue.sciencepresse.info/
Deux éléments importants sont à prendre en considération : un forum de discussion qui fonctionne bien, qu’il soit libre ou à accès réservé, modéré ou non, doit être sous la responsabilité d’une personne qui peut y proposer des thèmes, relancer des discussions, enrichir les débats, faire un suivi de la pertinence. La présence de l’outil sur Internet doit être complétée par une telle animation. Par ailleurs, des règles de fonctionnement, ainsi qu’un rappel de la « netiquette » (politesse, etc.) et des finalités du forum devront être bien affichés. L’organisation commanditaire pourra faire un résumé des discussions et l’envoyer aux participants lorsque la période de consultation sera terminée.
15
La méthode Semato Delphi Cette méthode est une forme de sondage électronique très intéressante car elle permet de reproduire sur Internet le processus d’une séance de brainstorming ou tempête d’idées : dans une page Internet, chaque participant ou le modérateur, selon la modalité choisie, propose aux autres participants un ou plusieurs énoncés (une idée, une suggestion, une recommandation, un constat, etc.). Les participants peuvent alors donner leur appréciation de cet énoncé par un vote et justifier ce vote par un commentaire ouvert. Au fil du temps, des discussions de fond sont ainsi amorcées, tout en permettant à certains énoncés d’émerger comme étant les plus consensuels. En utilisant cette procédure de manière plus contrôlée, on peut l’utiliser comme version électronique de la méthode Delphi, qui consiste à consulter un groupe de personnes sur un thème précis en effectuant plusieurs tours. Après chaque tour, les participants sont informés des réponses des autres et peuvent ainsi modifier leur réponse. Pour en savoir plus sur cette méthode originale de délibération sur Internet, il existe une page d’information : http://semato.uqam.ca/guidexpert‐ato/geadoc‐delphi.asp. Exemple de l’évaluation de la formation en éthique des sciences au Québec.
(Projet ayant pour but de produire un portrait global de cette formation dans les universités québécoises de manière à identifier ses forces, ses faiblesses, et les possibilités d’amélioration.)
Par la méthode Sémato Delphi, des étudiants, professeurs, chercheurs, membres de comité d’éthique de la recherche et administrateurs de la recherche ont été virtuellement réunis afin de produire un consensus sur les priorités d’action à propos de la formation universitaire en éthique des sciences. En participant aux recommandations, tous avaient donc le statut d’expert, peu importe leur titre réel. La première ronde de consultation, réunissant 36 personnes, a duré une semaine et déjà, après cette première compilation des résultats, un consensus clair semblait se dégager. Seule une deuxième ronde de consultation a été suffisante pour confirmer les résultats ; à cette occasion, les participants ont répondu aux justifications des uns et des autres émises au premier tour. À la fin du processus, les énoncés privilégiés sont devenus les recommandations sur les priorités d’actions à propos de la formation éthique des sciences au Québec. Florence Piron, 2008, Enquête sur la formation en éthique de la science et de la recherche dans les universités québécoises. Rapport remis à la Commission de l’éthique de la science et de la technologie.
16
Rappel du fonctionnement de la méthode Delphi 1. Phase préparatoire • Dé~inition du thème, du public cible et des objectifs • Création des énoncés • Recrutement des participants
2. Premier tour de consultation • Cotation des énoncés et argumentation par les participants
3. Compilation et analyse des réponses • Partage des résultats
4. Deuxième tour de consultation • Cotation des énoncés et argumentation par les participants
5. Formation d'un consensus
17
Le sondage délibératif Le sondage délibératif a été mis au point à la fin des années 1980 aux États‐Unis par le professeur James Fishkin, actuellement professeur à l’Université Stanford, et Bob Luskin de l’Université du Texas. C’est une méthode de sondage qui, au lieu de se limiter à recueillir des réponses spontanées à quelques questions fermées, y intègre une étape d’information et de délibération sous la forme d’un dialogue avec des experts et des concitoyens (Fishkin 2009). Cette méthode fonctionne en trois temps : 1) un sondage traditionnel (téléphonique ou en ligne) est effectué auprès d’un échantillon aléatoire et représentatif d’environ 1 000 personnes 2) de 200 à 500 personnes parmi les répondants sont invitées à participer à deux journées de délibération et d’échanges avec des experts sur le thème du sondage. Ils reçoivent quelques semaines avant la date prévue un document d’information clair, accessible et neutre, présentant différents points de vue, qui leur permettra de se préparer aux discussions et qui en sera le point de départ. 3) ces personnes répondent de nouveau au sondage après la période de délibération. Les réponses recueillies sont jugées mieux informées, plus éclairées et, en ce sens, plus démocratiques. Un sondage de contrôle peut être réalisé auprès des autres membres de l’échantillon initial. Ce dispositif permet de vérifier l’impact – ou l’absence d’impact ‐ des deux journées de délibération sur les opinions exprimées. Telle que présentée, et avec le label officiel du sondage délibératif (Deliberative Poll), cette méthode peut être très coûteuse à mettre en place et semble hors de la portée d’un établissement de santé. Toutefois, il est possible d’en conserver le principe et de l’adapter à différents contextes. Ainsi, le sondage de départ peut être mis en ligne, ce qui en limite le coût. Le nombre de participants peut être moindre, à la fois pour l’étape de départ et pour la phase délibérative. Les délibérations peuvent se faire lors de journées spéciales ou par Internet, par le biais de logiciel comme Semato Delphi ; la vidéo ou la téléconférence par Skype peuvent être utilisées pour le dialogue avec les experts. Ce qu’il faut retenir de cette méthode, c’est l’importance d’inclure une phase d’information et de discussion si l’on souhaite vraiment obtenir une information éclairée et des indications stables et solides quant à la position des répondants sur un enjeu donné.
18
Le groupe de discussion En tant que technique inspirée par le marketing, le groupe de discussion (ou focus group) est peut‐être la méthode la plus répandue de consultation qualitative, celle à laquelle les organisations pensent spontanément comme alternative à un sondage. En effet, réunir 5 à 10 personnes, dans une ambiance détendue, pour discuter d’un sujet précis avec l’aide d’une personne modératrice permet de générer de nouvelles idées, de mieux comprendre la perception d’actions complexes ou les motivations d’un groupe de la population. Un tel groupe de discussion peut aussi servir à tester, évaluer ou réviser un programme ou un document d’information ou de publicité. La mise en œuvre en est simple : la personne modératrice invite les participants à discuter ensemble de leurs valeurs et opinions en lien avec le thème de la discussion, à s’interroger mutuellement et à fournir des explications sur leurs propos. Un guide d’entrevue plus ou moins précis peut être utilisé pour baliser les échanges. La discussion est en général enregistrée ou filmée. La difficulté d’une telle méthode se pose surtout à l’étape du rapport : comment rendre compte de ce qui s’y est produit ? Faut‐il noter tout ce qui s’y est dit ? Comment constituer une position commune à partir de ces échanges ? Comme cette méthode très souple n’impose aucune contrainte particulière aux participants à part la consigne de prendre la parole, il est difficile de prévoir ce qui en ressortira, à l’inverse d’un jury de citoyens, par exemple. Stratégie de la feuilleréponse Une variante très intéressante a été imaginée par le Collectif pour un Québec sans pauvreté lors de la vaste consultation qu’il a mené dans tout le Québec en 1999‐2000 (http://www.pauvrete.qc.ca). La proposition qui suit s’en est inspirée. À la personne modératrice s’ajoute un « secrétaire » qui, au lieu d’enregistrer les discussions afin de les réécouter plus tard, note sur une feuille‐réponse bien structurée les principales idées exprimées. À la fin de la rencontre, le secrétaire lit les notes qu’il a prises et fait ainsi valider cette feuille‐réponse par le groupe. Autrement dit, l’analyse de la discussion se fait au fur et à mesure, de manière consensuelle et participative. Les personnes présentes peuvent aussi remplir leur propre feuille‐réponse, pour l’ajouter à la feuille collective. Cette méthode a été utilisée dans une enquête sur les valeurs dans le système de santé (Piron 2005). Elle économise du temps d’analyse et permet de rapprocher le groupe de discussion d’une méthode plus délibérative comme le forum ou le jury de citoyens.
19
Le théâtre forum Le théâtre forum est une approche ludique de participation citoyenne qui propose au public d’intervenir pendant et à la suite de la présentation d’une pièce de théâtre préparée spécifiquement à cette fin. Les comédiens de la pièce témoignent de réalités vécues sur lesquelles les spectateurs sont invités à se prononcer pendant ou à la fin de la pièce. Cette méthode permet de présenter un thème complexe sous une forme originale, dans un climat convivial, avec parfois une touche humoristique. Le processus complet nécessite plusieurs semaines de préparation. Au point de départ sont les questions suivantes : • Dans quel contexte ou évènement la pièce sera t‐elle présentée ? • Quelles sont les raisons motivant l’utilisation du théâtre ? • Quels sont les résultats désirés ? • Qui seront les écrivains et les acteurs ? • Comment sera rédigé le texte ? • Qui le validera ? Ensuite débute la création du projet menée par une équipe constituée d’un comité organisateur, des auteurs, de comédiens, d’une équipe technique et d’un meneur de jeu. 1. Création du projet Avant de débuter l’écriture, une collecte d’information sur la réalité qui sera présentée est nécessaire. Cette recherche d’information peut se faire à partir de l’expérience de certaines personnes, de la littérature, d’experts dans le domaine, de recherches sur des thèmes associés, etc. Une fois que cette exploration est terminée et que les limites du thème sont bien cernées, le processus d’écriture peut commencer. Il inclura, dans la trame dramatique, plusieurs répliques qui pourront faire réagir le public. Un fois complété, le texte sera soumis au comité organisateur qui y apportera commentaires et modifications au besoin. 2. La première présentation Lorsqu’arrive le temps de la présentation devant public, le meneur de jeu introduit le sujet et explique le déroulement du théâtre forum. La pièce est jouée une première fois, sans interruption, devant les spectateurs qui doivent tenter d’y repérer les situations qui demandent réflexion ou discussion et faire un lien entre elles et leur propre expérience. 3. Discussion et deuxième présentation Après cette première présentation, on propose au public une période de discussion. À partir de leurs observations et réflexions, les spectateurs tentent de trouver des pistes de solutions en modifiant les attitudes ou les propos des personnages. Des changements sont ainsi apportés à la pièce qui sera jouée de nouveau selon ces nouvelles modalités. Au cours de cette deuxième présentation, les spectateurs sont libres d’intervenir dans le
20
jeu des acteurs en criant ‘’stop’’ ou en claquant des mains. Ils peuvent à ce moment apporter d’autres modifications ou des commentaires pertinents sur le jeu. 4. Synthèse et conclusion L’événement se conclut par une synthèse des interventions. Le meneur de jeu invite les participants à percevoir, d’une façon différente, le thème abordé. Il propose même un changement d’attitude et certaines actions concrètes. Le comité organisateur est invité à s’engager sur certains points afin de répondre aux enjeux soulevés. Le meneur de jeu termine la séance en offrant la possibilité aux participants de solliciter certaines ressources au cas où certains voudraient échanger davantage sur le sujet. 1. Préparation • Ré~lexion sur les motivations, travail avec les auteurs et comédiens, la logistique, etc. • Composition de l'équipe du projet
4. Discussion • Les spectateurs partagent leurs observations • Suggestions de modi~ications à la pièce
2. Création de la pièce • Collecte d'information • Écriture • Approbation du texte • Répétition avec les comédiens
5. Deuxième présentation de la pièce • Ajout des modi~ications • Interventions possibles des spectateurs
3. Première présentation • Introduction au thème • Explication du déroulement de l'expérience • Présentation de la pièce
6. Synthèse des interventions et conclusion
La compagnie Mise au jeu se spécialise dans le théâtre forum au Québec et a une bonne expérience de milieu de la santé et des services sociaux, comme l’a montré la présentation de Luc Gaudet et Christopher McAll lors de la journée du 11 mars : http://www.miseaujeu.org/francais/index_francais.html
21
3.2. Pour obtenir des recommandations sur un enjeu ou une technologie La commission populaire : une intervention communautaire orientée vers les groupes «sans voix», marginaux Résumé de la présentation de Jean Gagné et Marjolaine Despars lors la journée du 11 mars La participation civique est au cœur de la tradition d’organisation communautaire au Québec. Son enjeu est la démocratie ou le maintien et le développement des processus de délibération qui assurent la mise à contribution des connaissances, expériences et valeurs de tous les groupes sociaux dans l’adoption des lois et politiques qui les concernent. Nous présentons ici une telle intervention menée par le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). L’objectif de l’organisme promoteur est de préserver le parc des maisons de chambre à Montréal afin de favoriser l’accès à des logis salubres, sécuritaires et financièrement abordables pour des personnes seules et ayant de très faibles revenus. Les membres du RAPSIM voulaient sensibiliser les autorités publiques à la nécessité d’investir dans la création de logements sociaux. Cette intervention eut lieu à l’automne 2009, en pleine campagne électorale municipale alors que les questions de pauvreté et de logement étaient complètement occultées par celles de la corruption et des malversations de certains édiles à l’Hôtel de Ville. Ce contexte renforçait le cynisme des électeurs tout en excluant du débat public les préoccupations des organismes communautaires et de leurs membres. L’idée de créer une Commission populaire sur la sauvegarde des maisons de chambres à Montréal visait au contraire à donner la parole aux citoyens et citoyennes et à lui assurer une portée publique. Localisées à 85% dans les quartiers centraux de Montréal dont, entre autres, ceux desservis par le CSSS Jeanne‐Mance, les maisons de chambres constituent une offre de logement pour les gens les plus démunis ou temporairement en difficulté pour toutes sortes de raisons (divorce, endettement, etc.). Ces maisons ont une véritable «fonction sociale» dans le paysage urbain. Selon les termes entendus en commission, la chambre louée est à la fois un rempart contre l’itinérance et un tremplin pour en sortir. La Commission populaire pour la sauvegarde des maisons de chambres à Montréal a d’abord lancé une tournée de consultation auprès de personnes déjà locataires de chambres, l’ayant été ou désirant le devenir. Elle a ainsi rencontré une centaine de personnes réparties dans 11 groupes sociaux ou organismes. La commission a ensuite tenu une séance publique de consultation le 20 octobre 2009 à l’Église Unie de St‐Jean à Montréal. Y ont participé plus de cent personnes dont un bon nombre de locataires, de représentants et de membres d’organismes communautaires actifs dans les domaines du logement et de l’hébergement. Le 20 janvier suivant, la commission déposait officiellement au même endroit son rapport intitulé «Maisons de chambres en péril : La nécessité d’agir». Il comportait dix recommandations aux gouvernements municipal et provincial, toutes inspirées ou appuyées par des témoignages livrés à la Commission. On y revendique notamment le recensement du parc existant et la mise à jour régulière de ce portrait en vue d’assurer le remplacement des unités perdues ou que l’on prévoit perdre. Le rapport recommande ensuite l’application plus ferme des lois de protection des locataires chambreurs qui sont souvent peu informés de leurs droits et disposent de
22
peu de ressources pour les faire valoir. Enfin, la commission appelle à la stimulation de programmes gouvernementaux adéquats pour favoriser la rénovation et le transfert de la propriété d’un nombre significatif de maisons de chambres vers le secteur sans but lucratif.
23
Trois méthodes délibératives : le forum de citoyens, le jury de citoyens et le conseil de citoyens Ces trois méthodes ont de nombreux points communs : Il s’agit de réunir un certain nombre de citoyens, invités, recrutés ou sélectionnés sur la base de leur représentativité statistique, de les constituer en « groupe » (forum, jury ou conseil) et de confier à ce groupe un mandat précis, de manière à pouvoir aboutir à un rapport utilisable par l’instance organisatrice, comportant par exemple un certain nombre de recommandations consensuelles. Une première différence majeure entre ces méthodes concerne le caractère éphémère ou permanent du dispositif ainsi créé. Un Conseil de citoyens est en général permanent, même si sa composition varie au fil des mandats. Le Citizen’s Council du National Institute for Clinical Excellence (NICE) de Grande‐Bretagne, créé en 2000 pour élaborer des recommandations en vue de la promotion de la bonne santé et de l’amélioration des pratiques cliniques, est un tel conseil, tout comme celui que l’Ontario vient de créer sur ce modèle ou, au Québec, le défunt Conseil de la santé et du bien‐être. Le Citizen’s Council britannique, comité permanent au sein de la structure du NICE, vise à impliquer les patients dans l’évaluation du système de santé et dans la détermination des priorités de dépense, une tradition en Grande‐Bretagne depuis 1974, date de la création des Community Health Councils (abolis en 2003 sauf en Écosse). La vocation de ce conseil ne consiste pas à émettre un jugement scientifique sur les pratiques cliniques évaluées, mais plutôt à introduire un regard plus large, porteur des aspirations, principes et valeurs présents dans la société britannique. Depuis sa création, il a produit 10 rapports, soumis à la consultation publique sur Internet. Certains de ces rapports ont rapidement influencé les recommandations du NICE au gouvernement. Comment fonctionne‐t‐il? C’est une structure permanente de 30 membres; un tiers d’entre eux, tirés au hasard, doivent quitter le Conseil chaque année pour être remplacés par d’autres citoyens. Chaque membre est nommé pour trois ans. Les 30 membres ont été recrutés par une firme indépendante, à l’aide d’une campagne médiatique nationale. 35000 demandes d’information avaient été reçues au moment de sa création… Les membres doivent être représentatifs de la population en général. Sont exclus du Conseil toutes les personnes parties prenantes dans le système de santé. Les dirigeants du NICE ne peuvent intervenir dans les délibérations, même s’ils fixent l’agenda des travaux. Le Conseil se réunit deux fois par an pendant deux ou trois jours; lors de ces réunions, il adopte temporairement le modèle du jury de citoyens : il auditionne des témoins‐ experts et mène des séances de délibération en petits groupes puis en plénière, avec l’aide d’animateurs indépendants qui rédigent la synthèse et le rapport. Les membres reçoivent une indemnité de 300$ par jour environ. L’Ontario vient de constituer son Conseil de citoyens, sur le modèle anglais .
24
Le jury de citoyens et le forum de citoyens sont deux méthodes éphémères, c’est‐à‐dire qu’ils sont organisés ad hoc, pour répondre à un besoin d’un organisme promoteur, et qu’ils disparaissent dès que ce besoin est comblé. Le jury de citoyens et la conférence de consensus Le Jury de citoyens, méthode développée au Jefferson Center, Etats‐Unis, s’inspire directement du jury de la justice pénale. Il s’agit de faire délibérer de 12 à 24 citoyens sur une question très précise dans le but d’obtenir une position consensuelle de leur part, susceptible d’éclairer la prise de décision de l’organisme commanditaire. Tout comme un procès, un jury de citoyens est un processus qui s’étend sur plusieurs semaines et qui culmine avec la délibération à huis clos du jury et l’annonce publique de ses conclusions. Cette méthode est idéale lorsqu’il s’agit de prendre une décision parmi plusieurs options divergentes et s’il s’agit d’un sujet controversé ou litigieux. Pour optimiser son succès, la question posée au jury doit être claire et non biaisée et l’organisme commanditaire ne doit pas être perçu comme étant en faveur de l’une ou l’autre des options qui seront présentées aux participants. La phase de préparation est cruciale. Le processus de recrutement et la composition du jury influenceront grandement la crédibilité et la légitimité du processus. La transparence de ce processus est essentielle, quelles qu’en soient les modalités (jury représentatif de la population d’un pays, d’une région, d’une classe sociale, d’un groupe spécifique, etc.). Un comité de pilotage doit donc être formé pour gérer ce processus adéquatement et conduire à la constitution d’un jury crédible et prêt à travailler. Ce comité est aussi responsable de la formation des membres du jury à l’état de la question traitée, ainsi que de l’élaboration de l’agenda du jury : journées de présentation, d’auditions de témoins‐experts et de délibération. Cet agenda doit être judicieusement élaboré afin de maintenir la motivation des participants, sans pour autant les surcharger. Il est à noter qu’il peut être modifié au besoin, afin de laisser au jury suffisamment de temps pour prendre une décision éclairée. Les témoins‐experts qui seront entendus sont choisis par les membres du jury et le comité de pilotage. Il est aussi possible de nommer 2 à 4 personnes modératrices pour guider le jury durant les auditions et l’accompagner durant la délibération, favorisant le respect et l’écoute mutuelle. La conférence de consensus est une forme particulière du jury de citoyens, développée notamment au Danemark, par l’Office d’évaluation des technologies en santé. Le forum de citoyens a un format beaucoup plus souple. Il peut se transformer en groupe de travail lorsqu’il reçoit un mandat ponctuel qu’il réalise avec l’aide d’une équipe de soutien. Dans ce cas, les membres peuvent être sélectionnés en fonction de certains critères, mais pas nécessairement : le désir d’y participer, l’engagement civique, peuvent être des motifs suffisants. Mais un forum peut aussi être un espace de dialogue plus large, sur Internet, ou encore un lieu où sont organisées des activités diverses. Le Scottish civic forum, qui a existé de 1999 à 2005 est un exemple d’un tel forum de citoyens. L’expérience du Forum des citoyens de Québec sur la santé et les services sociaux a été menée par Florence Piron dans le cadre du projet PACS (La parole aux citoyens sur la santé) en 2005, avec une subvention du Conseil de la santé et du bien‐être. Notre but était d’expérimenter une formule permettant aux citoyens membres de se sentir
25
solidaires les uns des autres et co‐responsables de la réalisation de leur objectif commun. Nous avions aussi posé une condition indispensable de succès : c’était la présence d’un appui logistique et intellectuel de la part d’une petite équipe « permanente » de recherchistes ou de rédacteurs se mettant à la disposition du groupe. Le mandat de ce forum était le suivant : 1) Analyser, du point de vue des citoyens québécois, la proposition de cadre d'évaluation du système publiée par le Conseil de la santé et du bien‐être en 2004 sous le titre Pour une appréciation globale et intégrée du système québécois de services de santé et de services sociaux. 2) Proposer des manières d'évaluer comment les valeurs fondamentales du système sont respectées aussi bien par les citoyens‐usagers que par le gouvernement ou les responsables du système ; 3) Recommander des modèles de participation des citoyens au processus d'appréciation du système. Au lieu de limiter l’expérience à une fin de semaine ou à quelques jours intensifs, nous avions choisi de miser sur le long terme, espérant qu’une véritable réflexion collective, qui soit plus qu’un agrégat d’opinions individuelles, aurait ainsi le temps de se construire ou, en tout cas, d’émerger. La rapidité et la productivité intensive, critères tellement valorisés dans notre société, nous semblaient ici inappropriées : la construction d’un langage commun, d’un univers sémantique partagé, la compréhension des arguments des uns et des autres, tous ces aspects de la délibération collective prennent du temps et il faut le lui donner. Dans les conditions expérimentales du projet, les activités du forum ont réuni 8 personnes autour de ce mandat, pour des travaux ayant duré 7 semaines. Un rapport unanime en est ressorti.
26
3.3 Pour stimuler la discussion et le débat, notamment sur des orientations futures ou une planification stratégique L’atelier scénario L’atelier scénario est une méthode prospective qui, à la faveur d’une rencontre entre des représentants de plusieurs groupes d’acteurs d’une même communauté, permet de construire un plan d’action pour l’avenir sur un thème précis. Pour ce faire, les participants évaluent ensemble différents scénarios qui leur sont proposés, identifient les difficultés possibles et définissent des priorités pour gérer la situation. Chaque participant possède un savoir spécifique, unique, issu de ses pratiques, ce qui permet à la rencontre de générer une grande diversité de points de vue, des idées nouvelles et ainsi, de mobiliser l’intelligence collective.
Cette méthode est utile lorsqu’une organisation souhaite impliquer plusieurs parties prenantes de sa communauté autour d’une thématique. Étant le résultat de la mobilisation des acteurs issus de la communauté, le plan d’action ainsi construit a de grandes chances de faire consensus. On peut très bien imaginer qu’une organisation l’utilise pour élaborer sa planification stratégique à moyen et long terme. L’atelier scénario nécessite l’implication de plusieurs acteurs. L’équipe du projet prend en charge l’organisation de l’événement et prépare plusieurs scénarios (environ 4) qui seront présentés aux participants. Ces derniers sont au nombre de 24 à 32, et doivent représenter, de façon équilibrée, les groupes d’acteurs locaux : citoyens, agents économiques, experts techniques, décideurs politiques, etc. Un modérateur présente les règles de débat et accompagne les délibérations. Voici le déroulement type de la rencontre : 1. Introduction Présentation des participants, du déroulement de la rencontre et des scénarios. Pour gagner du temps, les scénarios peuvent être envoyés à l’avance aux participants. 2. Première lecture des scénarios et réflexion Par groupe d’acteurs, les participants sont invités à réfléchir aux avantages et inconvénients associés à chaque scénario, sans pour autant privilégier une option en particulier. L’objectif de cette première étape est d’alimenter le débat. 3. Discussion Ensuite, pour favoriser le développement de nouvelles perspectives, les participants sont répartis en plusieurs groupes formés de différents types d’acteurs et sont amenés à réfléchir sur un aspect particulier de la thématique. Ils peuvent alors se servir des scénarios initiaux et les combiner à d’autres idées issues du groupe. À la fin, sous forme de plénière, chaque groupe présente ses idées aux autres groupes.
27
4. Mise en commun des idées et élaboration du plan L’objectif de cette dernière étape est d’en arriver à élaborer un plan d’action. Les idées de tous sont alors mises en commun et un débat collectif s’ensuit afin de déterminer quelles sont les actions les plus pertinentes et quels sont les acteurs susceptibles d’être impliqués. En fin de processus, les résultats sont médiatisés et peuvent devenir le point de départ de nouvelles discussions.
28
3.4 Pour utiliser toutes ces méthodes sans le souci du recrutement des participants Le panel de citoyens Une des principales difficultés de toutes ces méthodes est le recrutement des participants, qu’il s’agisse de la douzaine de membres d’un jury de citoyens ou des centaines de répondants à une consultation électronique. Or il existe un dispositif très simple, largement utilisé en Grande‐Bretagne, qui permet de surmonter cette difficulté, tout en valorisant les citoyens et citoyennes qui souhaitent « participer », faire entendre leur voix, mais sans s’impliquer dans un comité ou dans un groupe : le panel de citoyens (citizen’s panel). Le principe central de ce dispositif consiste à dissocier le recrutement des participants et les activités de consultation proprement dites. Un panel de citoyens est un ensemble de personnes issues d’une communauté qui, d’emblée, ont accepté de répondre à trois ou quatre consultations dans une année, au nom du bien commun. Un tel panel peut regrouper de 500 à 7000 personnes issues d’une même ville, d’un quartier, d’une région ou d’un ensemble de régions et être rattaché à un réseau local de services, un conseil régional, un établissement offrant des services ou même un ministère… Le fonctionnement des panels britanniques montre que le recrutement des membres d’un panel se fait de différentes manières : par sollicitation téléphonique aléatoire, en distribuant de l’information par la poste ou à partir d’un site Internet proposant un formulaire de candidature, ainsi que des informations sur le panel et ses activités. Dans tous les cas, les citoyens doivent donner certaines informations sociodémographiques qui permettront de garantir la représentativité du panel ou de constituer des sous‐ panels représentatifs en son sein (les jeunes les hommes, etc.). Au besoin, des appels sont lancés à des catégories spécifiques de citoyens, afin d’assurer la représentativité du panel. Les noms et coordonnées de ces personnes sont intégrés à une banque de données respectant les critères de confidentialité en vigueur. Le fait que le panel soit représentatif et que ses membres aient accepté à l’avance de participer à des groupes de discussion, à des sondages en ligne ou à toute autre forme de consultation facilite beaucoup la mise en place de ces activités de consultation, tout en garantissant un excellent taux de réponse. Cette structure permet aussi de répéter des consultations d’année en année et d’observer les éventuels changements. Un petit bulletin de liaison présentant les résultats des consultations passées, annonçant celles à venir, etc., renforce le sentiment d’utilité et d’implication pertinente chez les membres du panel. Ces derniers ne sont pas rémunérés. De leur point de vue, il s’agit d’une façon de contribuer à la vie de leur communauté, d’exercer leur citoyenneté. Il est important toutefois de comprendre qu’un tel panel est « a‐politique », c’est‐à‐dire qu’il représente moins la diversité des idées et des valeurs que la diversité socio‐ démographique d’une région. Cette caractéristique peut être considérée comme un atout ou comme un problème selon la finalité recherchée.
29
Le panel de citoyens du Leicestershire County Council, Grande‐Bretagne Ce panel est constitué de 1500 personnes représentatives de la population du comté. Elles sont invités à remplir de 4 à 5 questionnaires par année, d’une durée de 20 minutes chacun. Un bulletin d’information, le Leicestershire’s VOICE, présente en une page le résultat de chacun de ces questionnaire et la façon dont ces résultats ont été utilisés par les autorités locales pour faire des recommandations. En 2007, un questionnaire portait sur l’accès aux services de dentisterie. Les résultats montrent un bon accès pour 90% des répondants, mais une très faible utilisation des services de dentisterie en dehors des heures ouvrables. Le « Trust » des soins primaires de la région recommande donc de faire une campagne d’information sur l’existence de ces services. http://www.leics.gov.uk/index/your_council/haveyoursay/consultation_citizens_ panel_voice/consultation_voice_explained.htm
Leicestershire’s VOICE
30
L’Espace des citoyens / santé et bien‐être (Québec) L’Espace des citoyens est un projet‐pilote d’appui à la participation citoyenne dans la région de Québec. Il a été financé à titre de recherche‐action expérimentale, sous la direction de Florence Piron, par l’Agence de la capitale nationale et les Centres de santé et de services sociaux de Québec‐Nord et de la Vieille‐Capitale de 2006 à 2009 et comptait à cette date une liste de près de 300 abonnés à ses bulletins d’information. Son budget global était de 37000$ par année. Actuellement non fonctionnel, il pourrait être relancé sous peu grâce à des citoyens, notamment des membres de comités des usagers, qui ont appris à l’apprécier. Son concept pourrait aisément être repris dans d’autres régions du Québec (pour information, voir le site http://espacecsb.com). L’Espace n’est ni un groupe communautaire, ni un institut de recherche, ni un service de communications, ni un conseil d’administration; ce n’est pas non plus un groupe de pression, un organisme de revendication, un regroupement politique ou une instance habilitée à recevoir des plaintes. Son mandat ne consiste pas à promouvoir et à défendre les droits d’un groupe particulier. L’Espace est une sorte de forum de citoyens permanent, qui peut aussi servir de panel de citoyens, animé par une équipe de support (composée de la responsable du projet et d’une professionnelle à temps partiel). Sa mission est d’appuyer les citoyens de Québec qui souhaitent mieux comprendre leur réseau local de services de santé et de services sociaux, prendre part à la réflexion collective sur son avenir et participer aux décisions qui l’affectent. Il offre à ces citoyens des activités d’information et de consultation qui ont pour but de les aider à prendre la parole de manière éclairée, pertinente et efficace, afin qu’elle soit entendue. Son ambition est d’encourager les citoyens à mieux s’informer sur le système de santé et de services sociaux et à s’y impliquer de la façon qui leur convient le mieux. Ce n’est donc pas une méthode de participation des citoyens à proprement parler, mais plutôt une « pépinière » de citoyens éclairés, informés, partageant les valeurs suivantes : 1. La préservation d’un système public de santé et de services sociaux qui respecte les valeurs fondamentales de la société québécoise 2. Le droit des citoyens à une information juste, claire et accessible 3. Le droit des citoyens à participer « au choix des orientations, à l'instauration, à l'amélioration, au développement et à l'administration des services » (art. 2. LSSS). Ses activités sont les suivantes : • Publication régulière de trois bulletins d’information courts et très accessibles : Vigie santé et bienêtre (informations générales sur le système de santé et de services sociaux ‐ toutes les deux semaines), Participer (calendrier des rencontres des conseils d’administration des établissements de la région afin de stimuler l’intérêt de la population pour leurs travaux ‐ mensuel) et Mieux connaître (dossier informatif sur des aspects complexes du système de santé et de services sociaux – mensuel). Ces bulletins sont publiés sur le site Internet de l’Espace, envoyés par courriel aux abonnés électroniques et par la poste aux abonnés « postaux ». • Mise à jour d’un site Internet très informatif • Réalisation de consultations organisées de son initiative (par exemple sur les services aux personnes âgées en 2007) ou à la demande de ses organisations commanditaires (par exemple, sur la lisibilité d’un guide des services)
31
• •
Débats et séances d’information organisés à la demande des membres Organisation de journées de concertation de tous les comités des usagers de la région de Québec, leur permettant de partager idées, bonnes pratiques, préoccupations.
Liste des thèmes traités dans le bulletin Mieux connaître de l’Espace des citoyens, accessible sur le site de l’Espace à l’adresse http://espacecsb.com ‐ La réforme du système de santé et de services sociaux (2003‐2004) ‐ Le fonctionnement du système de santé et de services sociaux en réseau local ‐ Le traitement des plaintes à l'intérieur du système de santé et de services sociaux ‐ Les rapports annuels des centres de santé et de services sociaux ‐ Les comités des usagers ‐ Les droits et responsabilités des usagers ‐ L'assurance maladie au Québec ‐ L'assurance médicaments au Québec
Leicestershire’s VOICE
Une évaluation du projet par un sondage en ligne au printemps 2008 indique ceci: En devenant membre de l’Espace des citoyens, … 22% des répondants souhaitaient mieux comprendre les grands enjeux du système provincial, 22% souhaitaient avoir la possibilité de débattre à propos des grands enjeux du système 18% souhaitaient mieux connaître le réseau de santé et de services sociaux de Québec 13% voulaient connaître les idées et les besoins d’un groupe particulier 12% voulaient réaliser un projet sur un thème précis et 7% voulaient donner une forme concrète à leur attachement au système de santé et de services sociaux. Depuis qu’ils sont devenus membres de l’Espace, 41% des répondants souhaitent davantage s’impliquer, comme citoyen(ne) dans le SSS 37% comprennent mieux leurs possibilités d'action dans le système 10% sont devenu(e) plus cyniques quant à l’efficacité de la participation citoyenne dans le système et 7% se sentent de plus en plus impuissant(e). Depuis la même date, … 34% des répondants se sentent beaucoup mieux informé(e) sur leur système local de santé et de services sociaux 53% se sentent un peu mieux informé(e) sur ce système et 13% ne se sentient pas mieux informé(e) sur ce système.
32
Évaluer une expérience de consultation ou d’animation de la participation : quelques éléments de réflexion Florence Piron Il existe désormais une littérature scientifique sur l’évaluation de consultations publiques ou d’expériences participatives, qu’elles soient ponctuelles ou institutionnelles (Rowe, Horlick‐Jones et al. 2005). Il en ressort plusieurs constats, propres surtout à l’Amérique du nord, notamment le fait que cet exercice fait face à plusieurs difficultés structurelles incluant le manque d’intérêt de la part des promoteurs. Pourquoi évaluer une consultation ponctuelle, qui ne sera jamais répétée, donc qui n’aura jamais besoin d’être « améliorée » ? Ou, inversement, pourquoi évaluer une consultation prescrite par la loi, obéissant à des critères légaux qu’il sera impossible de changer malgré les résultats de l’évaluation ? Où trouver les ressources nécessaires ? Comment procéder pour faire une évaluation alors que, surtout dans le cas des méthodes délibératives, ces expériences sont très récentes et encore souvent au stade expérimental ? Comment évaluer le travail accompli par des bénévoles dans le cas des comités des usagers ou de résidents ? À quoi servirait de publiciser les aspects plus faibles d’un exercice de consultation publique ? Ces questions se compliquent dès que l’on réalise à quel point les consultations ou expériences d’animation de la participation peuvent prendre des formes variées : est‐il vraiment possible de construire un cadre évaluatif commun, basé sur un ensemble d’indicateurs et de critères, qui permettrait de les comparer, par exemple ? Certains auteurs ont essayé et ont produit de longues listes d’indicateurs parmi lesquels on peut puiser ceux qui seraient les plus pertinents. Ce travail de Sisyphe n’est pas toujours inspirant… Pensons simplement aux indicateurs relatifs à l’efficacité : selon la finalité ou l’intérêt des acteurs, l’efficacité du processus sera évaluée bien différemment. Par exemple, un promoteur qui veut rapidement une recommandation claire sur un enjeu complexe sera déçu si le processus délibératif prend du temps et implique de nombreuses périodes de délibération, alors que les participants pourront y trouver une occasion de raffiner leur position, d’aiguiser leurs arguments et de mieux comprendre l’enjeu en question. Plus généralement, le critère quantitatif est parfois non pertinent : une consultation très médiatisée peut attirer beaucoup d’intérêt de la part des citoyens, alors que son enjeu décisionnel est beaucoup plus faible qu’une consultation moins médiatisée, plus discrète. Les instances de pouvoir peuvent créer de manière un peu artificielle une consultation spectaculaire, simplement pour apaiser l’opinion publique et se donner du temps pour rendre acceptable leur décision, sans avoir jamais pris l’engagement de donner une suite aux recommandations qui en sortiront. Inversement, la société civile peut donner du poids à des recommandations de manière imprévue et non liée à la façon dont l’expérience de consultation elle‐même s’est déroulée. Comment faire de l’évaluation intéressante et utile dans ce domaine ?
33
Une première étape, selon Abelson et Gauvin (2006), consiste d’abord à convaincre les promoteurs de l’intérêt de prévoir une forme d’évaluation, si possible continue, dès la conception du projet, dans l’intérêt général de cette nouvelle forme de pratiques. Plus il y aura d’évaluations fines qui seront faites d’expériences réelles et plus ce champ pourra être utile aux promoteurs de consultation qui, par ailleurs, ne doivent pas craindre une évaluation négative. Ces auteurs suggèrent aussi d’éduquer les citoyens à ce qu’est une bonne consultation publique : cela leur donnerait à la fois la capacité de les évaluer, d’exiger des processus de qualité et de mieux s’y préparer ou encore d’avoir une meilleure opinion des conclusions qui en découlent. Mon expérience pratique me suggère de renoncer à l’ambition d’une évaluation uniforme d’un processus de consultation publique ou d’une expérience de participation délibérative. Par définition, un tel processus vise à réunir des acteurs hétérogènes autour d’une question complexe dans un contexte incertain. Sinon, il n’y aurait pas besoin de consultation ! Dans certaines situations, le fait même d’une rencontre ou d’un échange entre deux groupes d’acteurs est un signe de réussite (pensons aux sommets diplomatiques), alors que dans d’autres cas, l’absence de consensus sur un thème qui fait l’objet d’un débat de société complexe ne sera pas jugée décevante, mais prévisible. Je suggère donc d’adopter une approche souple qui prend en compte le contexte de l’expérience évaluée, ainsi que la diversité des finalités des acteurs. Ainsi, pour l’évaluation de l’Espace des citoyens, nous avons rencontré avec des outils différents les membres, les promoteurs et quelques observateurs, en prenant soin de comprendre les motivations et positions des uns et des autres à l’endroit du projet. C’est le croisement de ces regards qui permet de construire une évaluation intéressante. Remarquons, par exemple, que, du point de vue d’un observateur externe, l’insatisfaction d’un promoteur face aux résultats d’une consultation qu’il avait lancée pour faire approuver un projet et qui a plutôt pour effet de généraliser son rejet peut être le signe que l’aspect consultatif et démocratique de la consultation est un succès, les participants ayant pu s’exprimer librement. Un jury de citoyens dont les membres ne réussiraient pas à s’entendre peut être considéré comme un échec par le promoteur qui a besoin d’un message clair, mais aussi comme un « succès », notamment pour un sociologue, si on y lit le signe que l’enjeu soumis au jury est porteur d’un clivage de valeurs plus fondamental que ce qu’on pensait. Une personne issue d’un groupe marginalisé qui a réussi à faire entendre son point de vue lors d’une délibération pourra se dire extrêmement satisfait d’une expérience dont le résultat global est décevant pour tous les autres participants et promoteurs. En guise de repères, une telle stratégie d’évaluation peut prendre en compte les trois grandes dimensions de base de tout exercice de consultation ou de participation délibérative : une dimension de gouvernance, qui touche à la prise de décision, une dimension liée à la citoyenneté, qui concerne l’exercice des droits et libertés et les compétences démocratiques, et une dimension d’éthique publique, touchant à la qualité de notre vie démocratique, des débats publics qui s’y déroulent et de sa capacité à inclure de manière égale une diversité de points de vue. Une même consultation peut être appréciée différemment sous ces trois angles, en plus des finalités diverses des promoteurs !
34