Hors-série GOTLIB

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80 ans, 2 éditeurs, 120 pages Pour quelques béotiens incultes dont vous ne faites pas partie, admirable lecteur, le 14 Juillet correspond vaguement à l’ouverture d’un chantier de déblaiement place de la Bastille, accompagnée d’un vaste programme d’implantation de HLM dans la région versaillaise. Que nenni, celui qui entraîne dans son sillage les forces armées remontant les Champs-Élysées, celui qui est fêté par nos présidents lors de garden-parties follement débridées lors desquelles les Ferrero rocher™ sont dégustés par poignées, celui enfin qui est fêté dans chaque bourgade, chaque village, chaque hameau, un magnifique feu d’artifice embrasant le ciel alors que des pompiers musculeux attirent les jeunes filles naïves dans des bacchanales endiablées, oui celui qui réussit à rassembler un pays divisé, meurtri, blessé, à lui redonner fierté, espoir et courage, celui-là même aux pieds duquel nous nous prosternons, emplis d’une passion ardente et d’une foi immense, oui, l’immense Marcel Gotlib naquit en ce jour béni des dieux et de la rigolade réunis. Qu’un homme tel que lui puisse fouler la même terre que nous, simples mortels, afin de répandre à la plume ou au pinceau calembours et calembredaines, rubriques-à-brac ou en détail, saillies prémonitoires et galéjades subtiles, donne enfin un sens à nos existences harassantes. Nous, qui, dès le berceau, avons été choisis parmi des millions, nous qui, dès l’enfance, cloîtrés dans un monastère tibétain, avons fait vœux de polygamie galopante et d’agapes frénétiques, pour diriger d’une main de fer dans un gant de cuir les organes de propagande officielle à la gloire du plus immense génie du xxe siècle, nous sommes fiers, heureux et émoustillés de vous présenter en avant-première mondiale le plus grand numéro jamais réalisé de Pilote -  Fluide Glacial™, un hymne à la Gloire de l’Artiste Suprême, le Divin Créateur, le Seigneur du Gag, l’Empereur du trait, le seul, l’unique Marcel Gotlib, Gloire à Lui. Alléluia !

&

Philippe Ostermann CIO de la Gotlib Dargaud Worldwide Company, DGA Pilote Newton incorporated, titulaire de la chaire de RAB au MIT, diplômé de la Gotlib University of Arts.

Yan Lindingre Président de la Gotlib Fluide Glacial Oversaes Foundation, DAF Audie le Rire moderne, Professeur honoraire de la Pervers Pépère Academy of Chicago, diplômé de la Gotlib University of Blagues and FFD (Funny Fucking Djokes).


Sommaire 2 Couverture Fluide Glacial n° 36 Juin 1979 3 Édito par Yan Lindingre et Philippe Ostermann 5 La Coulpe 6 Chanson aigre-douce 8 Un Gai-Luron nommé Gotlib par Claire Letourneux 9 Nanar, Jujube et Piette 11 Gai-Luron est un chien 12 Gai-Luron : On n’est pas des bêtes 15 René, Jean-Michel et Marcel par Claire Letourneux 16 Le Gag 22 Comment il naquit 25 Les Dingodossiers par Claire Letourneux 26 Réunion de rédaction 28 Le mot du patron par René Goscinny 29 Le Doublage (scénario) par René Goscinny 30 Le Doublage avec René Goscinny 32 Pages d’actualités « 5 pages d’actualités à 2 » (extrait) avec Gébé 33 Récréation 35 La Rubrique-à-Brac par Claire Letourneux 36 La Vache 38 Radio Pilote par Claire Letourneux 39 Couverture Pilote n° 582 Décembre 1970 40 Bougret the policeman 45 Récréation (solutions de la page 33) 46 Le Langage cinématographique 48 Cinémastock avec Alexis 50 Hamster Jovial et ses louveteaux par Gérard Viry-Babel 52 Superdupont sauve la France par Gérard Viry-Babel 53 Superdupont : Échec aux empoisonneurs avec Jacques Lob 61 Les Trois dessinateurs avec Nikita Mandryka 62 Claire, Nikita et Marcel par Yves Frémion

63 Les Trompettes de Jéricho 64 Hé… Dites… Ho… 65 Deux pages pour attraper un torticolis 66 Roman-photo avec Claire Bretécher, Nikita Mandryka et Gébé 70 Les Petits Miquets par Yves Frémion 80 Jacques, Alexis et Marcel par Gérard Viry-Babel 81 Éditoriaux de Fluide Glacial 82 The Intro and the Outro 83 Notice d’utilisation 84 Les Marges 86 Pervers Pépère a-t-il une âme ? par Gérard Viry-Babel 88 Photo-Bédé par Bruno Léandri 89 La Bande à Connot avec Pierre Dupé, Goossens, Marie-Joelle Goossens et Bruno Léandri 95 Après moi, le délire par Gérard Viry-Babel 96 Slowburn avec André Franquin 99 L’histoire de la mouche qui repeint son plafond avec André Franquin 100 La Mort en ce jardin avec Solé 103 Charolles is baque par Gérard Viry-Babel 104 Superdupont pourfend l’infâme sans relâche avec Jacques Lob et Alexis texte par Gérard Viry-Babel 105 Opération encrage ! avec Jacques Lob et Solé 106 Veillée des chaumières 109 Bruno et Marcel par Bruno Léandri 110 Les Adieux de Gotlib à la BD avec Bruno Léandri 113 Genèse 121 Les Mondes de Golib par Anne Hélène Hoog 123 Couverture Pilote n° 381 Février 1967

I « La Coulpe », parue en 1973 dans L’Écho des savanes, est une bande dessinée en 15 planches qui évoque, sous la forme d’une « odyssée intérieure » les affres du créateur, ses doutes, ses culpabilités, à un moment où la vie artistique et personnelle de Gotlib est en pleine mutation. Nous avons choisi de distiller ces planches comme le « fil rouge » de ce numéro spécial qui retrace, par le dessin et l’autoportrait, l’évolution de la carrière artistique de Marcel Gotlib.

Président - Directeur général Marcel Gotlib Directeur général Marcel Gotlib Directeur administratif et financier Marcel Gotlib Président et Directeur de la publication Thierry Capot ••• Directeur des rédactions : Marcel Gotlib Rédacteurs en chef : Gérard Viry-Babel, Yan Lindingre et Philippe Ostermann Couverture : Philippe Ravon Directeur artistique : Alexandre Chenet Textes : Claire Letourneux, Gérard Viry-Babel, Bruno Léandri et Yves Frémion Corrections : Camille Didelon et Claire Letourneux Fabrication : Julien Depaulis Relations internationales : Marcel Gotlib Attachées de presse : Valentine Véron et Hélène Werlé Vente au numéro : Ghada Ghanem (01 55 28 12 31) Distribution : Presstalis Marcel Gotlib est habillé par Marcel Gotlib (Paris) Merci à Gilles Verlan, Michel Lieuré, Philippe Ravon, Nicolas Thibaudin et Yohan Faumont Ours : Marcel Gotlib ••• Éditions AUDIE S.A.S. au capital de 300 000 e R.C. Paris B 352046197 87, quai Panhard & Levassor 75647 Paris cedex 13 Tél. : 01 55 28 12 20 Dépôt légal : février 2014 Photogravure Reproscan Imprimerie Pollina. Printed in France ISSN 0339-7580 Commission paritaire N° 0617K81954 © Éditions Audie, éditions Dargaud et les auteurs. La reproduction des dessins, photographies et textes est interdite sans l’autorisation écrite du journal. Les documents non sollicités par le journal ne sont pas retournés.


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6 I novembre 1969 – Pilote n° 525 : Cette double page de la « Rubrique-à-Brac » est strictement autobiographique. À 35 ans, alors que sa fille vient tout juste de naître, Gotlib éprouve le besoin de raconter cette période difficile de son enfance où, pour échapper aux rafles, il est envoyé à la campagne


chez un couple de « Thénardier ». Lui-même un peu surpris de cette production très émotionnelle, il s’inquiète de la pertinence de sa publication dans les pages de Pilote. Goscinny le rassure : « Si ! Vous avez envie de faire cela, c’est très bien. »


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Gai-Luron est un ch ien à qui il ne manque même pas la parole. Il paraît triste mais ce n'est que de l'indifférence. Il parle peu mais n'en pense pas plus. Lorsque d'aventure il laisse échapper une phrase, c'est rarement lourd de sens et toujours à mauvais escient. C'est un «grand calme», en apparence... Or - et c'est là où il trompe l'ennemi - c'est vraiment un «grand calme». Gai-luron est-il ph ilosoph e? à cette question, il répond qu'»un ch ien à moitié endormi n'est rien d'autre, après tout, qu'un ch ien à moitié éveillé...» Car il est optimiste. Et s'il ne rit jamais, c'est uniquement parce que le rire est le propre de l'homme. Or voilà : gai-luron est un ch ien. Tout cela est d'une logique implacable. Gai-Luron vit le jour vers l'année 6 4. à sa naissance, comme tous les bébés, il n'était pas très beau. Il avait cette tête-là : pendant des années, il a grandi, il a évolué, il a mûri, il a pris de la bouteille, et sur ses vieux jours, il avait cette tête-là :

considérant alors, à juste titre, que s'il y avait eu changement, il n'y avait guère eu, par contre, amélioration, qu'il n'était pas tellement plus beau à voir dans la maturité qu'à sa naissance, il prit tout bonnement le parti de mourir. Or, voici venu le temps de la résurrection. Gai-Luron, tel le phénix renaissant de ses cendres, va ressusciter le temps de quelques recueils dont celui-ci est le premier. Avec son ami Jujube, flanqué d'une souris ahurie, il va revivre sa vie, ses amours, ses joies, ses peines et ses insomnies au fil de cette collection. Après quoi, il repartira, car tel est le destin : mémento, homo, quia pulvis es et in pulverem reversis... («souviens-toi, ch ien, que tu es encre de ch ine, et qu'en encrier tu retourneras.») Avec mille et mille pensées reconnaissantes pour Tex Avery et son Droopy.-

I avril 1975 : Préface du premier album de Gai-Luron, qui est par ailleurs le premier ouvrage paru aux éditions Audie (amusement, umour, dérision, ilarité, et toutes ces sortes de choses) créées par Gotlib au même moment que Fluide Glacial.


La révolution de Mai 68 laisse des traces et n’épargne pas Pilote. Le journal connaît des heures mouvementées : Goscinny vacille mais ne tombe pas. Les temps ont changé, le journal évolue. Les « Pilote Actualités » font une première apparition avec ces cinq pages signées Fred et Gébé. L’inauguration officielle de la rubrique a lieu trois semaines plus tard, dans le numéro 459 du 22 août, avec Godard et Mézi(ères). Essai transformé : les ventes grimpent en flèche.

32 I Août 1968 – Pilote n° 460



40 I février 1971 – Pilote n° 582


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Superdupont sauve la France Par

d

epuis quelques mois et avec la sortie de l’Écho des savanes, Pilote souffre de l’absence de Gotlib dans ses pages. Ce dernier reçoit chez lui en juillet la visite de Vidal* et d’Uderzo, qui lui expliquent que le journal manque de matériel et lui demandent de l’aide, faute de quoi ils devraient publier des pages blanches. Il planche donc sur un nouveau « Bougret et Charolles ». « J’ai imaginé Charolles tombant d’une fenêtre. […] Sur un toit voisin, on apercevait Bougret habillé avec un maillot de corps, une ceinture de flanelle et un caleçon long... [...]

Je me suis dit : je vais aussi lui dessiner un béret basque, et puis un holster dans lequel il y aurait un camembert qui lancerait des rayons laser...

Tel un superhéros, il va s’envoler et sauver Charolles d’une mort certaine... » Ravi de sa trouvaille, il change de braquet, oublie Bougret et trouve un nom à son nouveau héros : Superdupont ! Gotlib, hystérique, appelle Mandryka pour lui parler de sa trouvaille. Ce dernier lui annonce : « Formidable, mais je crois que Lob travaille sur un truc similaire. » Douche froide. Coup de téléphone à Jacques Lob qui confirme : « Oui, Superdupont, je suis dessus. Toi aussi ?

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gérard viry-babel

Avec un maillot de corps ? Pareil ! Et une médaille SD ? Exact. Il porte un béret basque ? Le mien aussi !... »

Gotlib se liquéfie. Ils ont eu la même idée à deux virgules près, et au même moment. Lob trouve la solution : « Je suis scénariste, toi dessinateur, travaillons ensemble. » Une des trouvailles les plus géniales de Lob est l’invention des suppôts de l’Anti-France, pour lesquels les auteurs créent un langage particulier, genre de javanais mélangeant diverses langues. La collaboration avec Lob est détonante et extrêmement fructueuse et va se poursuivre dans Fluide Glacial. D’autres dessinateurs et scénaristes s’attelleront à la tâche de Superdupont (voir à ce propos l’article « Superdupont pourfend l’infâme », page 104) tant et si bien que la série est toujours publiée aujourd’hui sous le pinceau de Solé et avec le renfort de LefredThouron au scénario.

La couverture du Pilote n° 672, le 21 septembre 1972 annonce à la fois le retour de Gotlib dans le journal après de longs mois d’absence et la première de Superdupont.

* Guy Vidal, rédacteur en chef de Pilote durant les années 1970 puis directeur éditorial de Dargaud.


I mars 1972 – Pilote n° 643 : Cette planche, symbolisant la complicité des trois dessinateurs d’humour les plus important à Pilote, paraît à la période où les trois compères sont sur le point de créer L’Écho des savanes.


84 I août 1975 – La couverture du numéro 2 de Fluide Glacial est précurseur de ce qui fera la marque de fabrique du journal et contribuera à sa notoriété : les marges. Chaque mois, dans la « Gazette de Frémion » – un journal dans le journal – offre ses marges aux auteurs lors du bouclage du magazine. Ils y commentent le plus souvent la vie de la rédaction ou donnent simplement libre cours à leur sens aigu de la déconnade…


Pervers pépère a-t-il une âme ? Par

Parmi les personnages emblématiques de Fluide Glacial, Pervers Pépère tient une place de choix. Apparu dans le numéro 7 de FG, il est né d’un sketch de Cheech & Chong – des comiques babas cools americains que Gotlib appréciait – racontant les déboires d’un vieil oncle dérangé : Uncle Pervy. « C’est une source de gag de faire croire que c’est un vieil obsédé, alors qu’en réalité c’est un mec qui se contente de faire des farces, certes de mauvais goût, mais jamais malsaines. » Gonfler un ballon avec son trou de balle pour l’offrir à un gosse et le faire exploser, faire croire à une jeune femme qu’il la suit puis accélère, la dépasse et applatit un ballon de rugby devant elle, ou encore

gérard viry-babel

attaquer un chiotte public pour piquer le butin de la dame pipi, voilà le genre de gag qui le fait systématiquement, à la fin de chaque planche, entrer dans une transe hystérique de rire. La nouveauté de ce personnage pour Gotlib est qu’il est muet. Les gags sont strictement visuels, hormis quelques onomatopées. « Sans faire de psychanalyse de bazar, j’ai l’impression qu’il s’est châtré en se lançant dans cette série muette : chacun sait que chez lui la parole est aussi importante que le dessin. Le problème de Marcel, déjà à cette époque, était qu’il n’arrivait plus à se surpasser. Il avait été aussi loin qu’il le pouvait avec L’Écho et craignait plus que tout de se répéter. » (Jacques Diament)


fluide glacial n° 31 – décembre 1978 I 87


Fluide glacial

photos-bédé Par

u

n des trucs que je m’étais découvert en commun avec Gotlib même avant de le rencontrer, c’est l’attirance pour les romans-photos. Le roman-photo, je m’y suis mis très jeune. Avec les copains, vers 17 ans, on en a tourné un énorme avec les moyens du bord et je ne savais pas alors que j’allais en faire toute ma vie. Souvent, toute une existence ne fait qu’approfondir un sillon tracé négligemment à l’adolescence, d’un geste léger et désinvolte.

C’est Cavanna et Hara-Kiri qui avaient inauguré les romans-photos marrants dans les années 1960,

époque où, lecture très populaire, on les trouvait à foison dans les journaux de mémères à grand tirage, toujours insipides historiettes d’amour poisseux, tournés à la chaîne en Italie avec des comédiens de seconde zone aux yeux de carrelet avarié. Gotlib avait vite compris de son côté qu’on pouvait tirer du système roman-photo quelque chose de nouveau et différent. Il aimait comme moi cette variante figurative qui faisait rupture dans l’univers graphique de la BD, et, dans une moindre mesure évidemment, son lointain rapport avec le cinéma (car il est aussi fondu de cinéma, on a dû vous le dire par ailleurs), au moins pour le vocabulaire, les mêmes mots désignant les mêmes activités en version light : tournages, cadrages, lumières, costumes, casting, repérages, accessoires… Gotlib en avait déjà réalisés d’épatants, de romans-photos, dans les premiers numéros de Fluide – dont l’un avec une des stars de la scène humoristique du moment, Bernard Haller – qui m’avaient écrasé de félicité. Alors que les romans-photos italiens ou ceux d’Hara-Kiri utilisaient des textes aux polices et formats raides de l’imprimerie, dans des cartouches froids et géométriques, Gotlib eut l’idée de façonner le roman-photo comme une bande dessinée. Il traita donc les tirages photos comme il traitait ses cases de BD, en les garnissant de textes manuscrits en bulles calligraphiées, d’onomatopées dessinées ou peintes, et de toute cette panoplie des symboles traditionnels de la BD, gouttes, traits, étoiles, spirales, pictogrammes, etc., que chaque auteur assaisonne à sa sauce. Il avait inauguré un sous-genre, baptisé plus tard « photo-BD ». En même temps, il y avait aussi découvert

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BRUNO LÉANDRI

les difficultés techniques, lors d’un tournage très épineux, véritable superproduction, dont la réalisation tourna au cauchemar. Le résultat technique, après des jours de travail, s’avérant décevant, l’affaire dissuada à tout jamais le Fritz Lang du roman-photo de récidiver. C’est là que mon envie brûlante rencontra sa crise de découragement. Je ne me souviens plus si c’est moi qui lui ai proposé ou si c’est lui qui a pensé à me le demander, peut-être les deux, toujours est-il que commença ainsi une longue, très longue vocation. Au début, c’est Gotlib qui lettrait et animait graphiquement les pages de mes romans-photos. Avant Photoshop, les trucages se faisaient aux ciseaux et à la colle, les retouches au crayon, et les photos étaient montées sur une grande feuille de carton, ensuite couvertes d’un calque, sur lequel il dessinait les textes. Puis, accablé par le surcroît de boulot, il finit par confier la tâche à un lettreur professionnel, comme sur les pages ici reproduites.

Ce roman-photo date de 1984, il a trente ans pile.

On y est jeunes et beaux. On y voit Goossens et sa femme Marie-Jo, le chef des terroristes est joué par Pierre Dupé, un photographe et grand ami de Marcel, décédé depuis. Les photos ont été prises par un vieux copain, Didier Boutet. Il a été tourné chez moi, et dans mon quartier. Les vrais fluidomanes chroniques et observateurs reconnaîtront le trottoir visible sur la première page : il a servi de décor à de nombreux scénarios. On l’a vu pour la dernière fois dans le Fluide Série Or consacré aux années 1980, dans lequel une jeune touriste de 2010 visitait un vieux roman-photo noir et blanc de 1985, hihi. Nombre d’extérieurs ont été tournés là parce que la rue était tranquille (sauf aux heures de sortie d’école) et bien exposée du point de vue lumière. Je peux vous le dire maintenant, c’est rue Olivier-Métra, dans le 20e arrondissement de Paris, on y mettra une plaque, bientôt.

Une partie de ce texte est librement adaptée des souvenirs de mes années Fluide Glacial et Hara-Kiri, dans Nous nous sommes tant marrés, à paraître.


fluide glacial n° 102 – novembre 1984 I 89


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l’expo

Les mondes de Gotlib Par

«l

es mondes de Gotlib » trouve son origine dans l’exposition « De Superman au Chat du rabbin », organisée par le Mahj en 2007 et dont le sujet était une réflexion sur les codes employés par certains auteurs de bande dessinée lorsqu’ils font référence à leur judéité. L’œuvre de Gotlib y prenait part à travers quelques planches (La Coulpe et Chanson aigre-douce) ainsi qu’un extrait du film documentaire de Michel Grosman La Bibliothèque idéale de Gotlib. L’exposition « Les Mondes de Gotlib », élaborée en dialogue constant avec l’auteur, n’est pas une rétrospective mais plutôt une approche particulière de son parcours, un récit chronologique et thématique de son œuvre. Elle renonce à l’impossible exhaustivité pour mettre en avant des moments clefs de sa production, relate comment Gotlieb (alias Gotlib) s’est construit comme homme et comme artiste, comment il a créé son univers. La scénographie nous invite à croiser ses maîtres (René Goscinny, Franquin) ainsi que ses complices (Alexis, Mandryka, Bretécher, Lob, Solé, Patrice Leconte…). L’artiste a pris part activement à l’élaboration de l’événement et a généreusement mis a disposition près de 200 de ses planches et de nombreuses archives graphiques, écrites et audiovisuelles.

Anne Hélène Hoog

Si Marcel Gotlieb a connu des débuts difficiles et s’il est réputé de caractère dépressif, l’artiste Gotlib a toujours privilégié la dérision. Il a souvent rappelé qu’il avait été ce fils d’immigrés juifs, titi parisien du 18e traînant ses galoches entre les rues Ramey et FerdinandFlocon, un enfant caché pendant la guerre, qui fit sa bar-mitsvah à 14 ans dans un home pour enfants tenu par des Juifs hongrois. Si le fait d’être juif a du sens pour lui, il ne pense pas que cela doive l’être pour les autres. Les « mondes » de Gotlib évoquent en filigrane cette histoire juive, mais si universelle. Ironique et libertaire, Gotlib ne cesse de l’être à partir de L’Écho des savanes puis dans les pages de Fluide Glacial, lorsqu’il brise les tabous sexuels et met à mal religion et censure. Par ailleurs, le personnage de Superdupont lui sert, ainsi qu’à Lob, Alexis et Solé, à dénoncer et moquer les obsessions étriquées d’une France repliée sur elle-même. Quant à ses autres personnages fétiches – Isaac Newton, la coccinelle, Gai-Luron, le professeur Burp, Hamster Jovial, Bougret et Charolles, ils sont désormais entrés dans le panthéon des dieux de la bande dessinée. Anne Hélène Hoog est conservatrice au Mahj et commissaire de l’exposition

Une exposition présentée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme du 12 mars au 20 juillet 2014


Photo de Rita Scaglia


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